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Vonda Sinclair

Le Guerrier intrépide
Aventuriers des Highlands – 3
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Wanda Morella

Milady Romance
À maman et papa. Vous m’avez appris
l’amour,
l’honnêteté, la bravoure et la
persévérance.
Je vous remercie d’être les meilleurs
parents du monde.
Chapitre premier

Écosse, novembre 1618

Dirk MacKay lança son cheval au


galop sur le chemin boueux et étroit qui
menait de Draughon Castle à Perth. Priant
de ne pas arriver trop tard pour voir son
père en vie une dernière fois, il plissa ses
yeux que piquait la froide bruine.
La maigre lueur de l’aube occultée par
d’épais nuages gris fournissait peu de
lumière. De chaque côté de la route, des
collines brun-vert parsemées de moutons
qui paissaient et des champs de céréales
beiges ondoyants défilaient à vive allure.
Tulloch le rapprocha des maisonnettes en
pierre à toits de chaume appartenant à de
modestes fermiers, situées avant un petit
bois d’arbres aux branches nues. Un
brouillard blanc et ténu flottait sur les
vastes eaux du Tay, cachées parmi les
buissons au loin.
Dirk espérait avoir disparu avant que
ses deux amis ne découvrent ses
intentions. Ils insisteraient pour venir
avec lui, et il ne pouvait consentir à ce
qu’ils fassent un tel sacrifice.
Lachlan s’était récemment marié, et
s’était vu nommer comte et chef. Il aurait
été idiot de sa part d’accompagner
MacKay dans ce dangereux voyage à
travers les montagnes enneigées
jusqu’aux confins de la terre, en laissant
sa femme et son clan livrés à eux-mêmes.
Quant à Robert, « Rebbie » MacInnis,
comte de Rebbinglen, bien qu’il soit un
Highlander sans attaches, Dirk ne l’aurait
pas non plus entraîné dans le moindre
danger.
Le climat rude et glacial du Nord
n’était pas le seul élément qui l’amenait à
s’inquiéter pour la sécurité de ses amis.
Un meurtrier se tapissait parmi les
membres de son clan… Un individu qui
voulait sa mort, et exterminerait aussi
bien l’un de ses compagnons sans ciller.
Il secoua la tête. Non, il avait fait le bon
choix en ne demandant ni à Lachlan ni à
Rebbie de risquer leurs vies en voyageant
avec lui vers Durness.
Les trois hommes avaient été presque
inséparables durant ces quelques
dernières années, mais MacKay avait
besoin de régler ceci lui-même. Il avait
vécu dans l’oubli pendant douze ans, et
l’heure avait sonné de retourner à sa
véritable existence… De poursuivre sa
destinée.
Derrière lui, des claquements de sabots
rapides et réguliers martelaient le sol, et
faisaient gicler les flaques. Un sifflement
strident fendit l’air humide et frais. Il jeta
un coup d’œil par-dessus son épaule et
aperçut dans son sillage un homme aux
cheveux sombres vêtu d’une cape noire.
Rebbie.
— Damnation !
Comment avait-il su ? Dirk ralentit son
cheval, puis fit halte et se tourna pour
faire face à son ami qui s’approchait.
Tulloch, renâclant d’avoir dû interrompre
sa joyeuse course, esquissa une petite
danse nerveuse sous son cavalier.
— Oooh, mon garçon, dit ce dernier
pour tenter de calmer sa monture.
Lorsque MacInnis le rejoignit et
s’arrêta à côté de lui, MacKay s’enquit :
— Où allez-vous ?
— Question plus intéressante encore :
où est-ce que vous partez ? Vous avez
disparu sans un mot. Par chance, j’ai
entendu le plancher craquer quand vous
vous êtes faufilé devant ma chambre dès
potron-minet. Tout cela aurait-il à voir
avec la missive que vous avez reçue hier
au soir ?
— Je n’ai pas besoin d’aide, répondit
le guerrier, contournant cette interrogation
déroutante.
Le comte baissa ses sourcils noirs.
— Même si c’était le cas, vous êtes
sûrement trop fier pour en solliciter. Que
s’est-il passé qui vous fasse ainsi filer ?
— Je dois rentrer chez moi sur-le-
champ.
Et non, ce n’était pas l’orgueil qui
l’empêchait de demander quelque
assistance. Il était certaines réalités qu’un
homme devait braver seul.
MacInnis tira sur les rênes de son bai
agité et revêche.
— Pourquoi ?
Le regard rivé vers le nord, Dirk
observa à l’horizon les montagnes
brunâtres voilées de brouillard. Il aurait à
chevaucher bien au-delà pour regagner sa
maison.
— Une urgente affaire de famille.
— De quelle sorte ?
— Damnation, Rebbie. Vous faut-il
sans cesse poser un millier de questions ?
Il détestait la façon dont sa poitrine se
comprimait chaque fois qu’il songeait à la
perte à laquelle il pourrait faire face en
rentrant au château où il avait grandi. Le
regret l’envahissait. La peur. S’il se
dépêchait, il aurait peut-être le temps de
voir son père en vie.
— Ce serait trop long à expliquer
maintenant. Je dois me mettre en route.
Son compagnon sourcilla plus
intensément et son expression posée
s’assombrit.
— Partez-vous loin ?
MacKay hésita, ne sachant s’il
souhaitait divulguer la vérité. Ses amis le
voyaient comme quelqu’un qu’il n’était
pas, mais l’heure était venue d’affronter
la réalité. Cela susciterait sans doute de
nombreuses autres interrogations de la
part de son compère inquisiteur. Mais à
quoi bon continuer de mentir. Il sortait de
sa clandestinité et prenait le taureau par
les cornes – pour sûr, ses jours seraient
en danger dès qu’il aurait gagné Castle
Dunnakeil.
— Je rentre à Durness, annonça-t-il,
avec la sensation d’être lui-même plus
qu’il ne l’avait été ces dernières années.
— Par tous les saints, mon vieux !
s’exclama Rebbie.
Son cheval remua furtivement les
oreilles et se mit à tourner sur place avec
agitation.
— C’est de là que vous venez ? Je
croyais que les MacLerie étaient de
Strathspey.
— Eh oui.
Le clan de sa mère résidait dans cette
région, où il avait passé beaucoup de
temps. Son vrai nom n’était pas
MacLerie, mais MacKay. Il ne pouvait
révéler cela au comte dans l’immédiat, ou
celui-ci poserait des centaines d’autres
questions indiscrètes.
MacInnis attendit que Dirk s’explique,
et, voyant qu’il restait muet, haussa un
sourcil.
— Durness, hein ?
Le guerrier acquiesça, et ses cheveux,
mus par une soudaine bourrasque, vinrent
fouetter ses cheveux.
— Eh bien, revenez au moins au
donjon quelques minutes. Lachlan peut
vous fournir des provisions, des
victuailles et des couvertures de laine.
Avec ce climat, il vous faudra un certain
temps pour arriver à Durness.
— J’en suis bien conscient. Mon plan
est de prendre à l’ouest, traverser
Stirling, puis remonter la côte par galère
ou par navire. Si les conditions sont
correctes, je puis effectuer la majorité du
trajet par la mer.
Mais le vent et la pluie, à peine
perceptibles lorsqu’il avait quitté
Draughon Castle un quart d’heure plus tôt,
concertaient désormais une tempête.
— Je viens avec vous, déclara Rebbie,
en serrant ses mâchoires volontaires.
Cet homme était un ancien soldat
compétent, expert, et rompu à toute
bataille qui se présenterait à eux, mais
l’hiver hostile des Highlands était une
autre affaire, tout comme ce meurtrier.
— Non, j’estime préférable que vous
restiez ici pour aider Lachlan.
— Oh ! Ce n’est prudent pour
personne, même pour quelqu’un d’aussi
redoutable et aguerri que vous, de
voyager seul aussi loin. Il y a des bandits
de grands chemins, des pirates barbares,
et des hors-la-loi. Parfois en larges
bandes.
MacInnis plissa ses yeux marron,
arborant ainsi l’expression des forbans
qu’il avait évoqués.
— Allons, reprit-il. Discutons-en à
Draughon, à l’abri de cette pluie. Vous
précipiter sans préparatifs vous sera peu
utile. Vous avez besoin d’équipement. De
vêtements de laine en réserve.
Dirk sentit son estomac se nouer
d’effroi. Peut-être que son ami avait
raison. Il avait prévu de se ravitailler à
Perth ou Stirling. Mais le faire sur place
serait probablement plus pratique ; il ne
perdrait pas de temps à chercher les
denrées nécessaires.
— Très bien.
Il était encore tôt le matin. S’ils ne
s’attardaient pas trop, ils pourraient
progresser sensiblement ce jour-là.
Ils regagnèrent rapidement le château
massif avec ses quatre tours de pierre
rondes et grises, et son large donjon
rectangulaire. Les gardes postés aux
grilles métalliques noires les laissèrent
pénétrer dans l’enceinte pavée à hauts
murs. Les arrivants contournèrent le côté
de l’une des tours en direction des
écuries.
Rebbie bondit de son cheval,
atterrissant sur ses pieds dans un bruit
mat.
— Préparez nos chevaux, ainsi que
deux autres, pour un long voyage,
ordonna-t-il à l’écuyer.
— Deux de plus ? s’étonna Dirk en
descendant de selle. Lachlan ne peut pas
abandonner lady Angelique et son clan.
— J’entends bien, mais vous et moi
aurons besoin de serviteurs pour
s’occuper des bêtes, faire des courses et
autres missions de ce genre.
MacKay observa ce noble gâté en
levant les yeux au ciel.
— Je n’ai pas de domestiques. Et plus
petit sera notre groupe, mieux je m’en
porterai.
MacInnis le congédia d’un geste de la
main.
— Nous en parlerons plus tard.
Ils poursuivirent en longeant le flanc du
donjon avant d’en monter les marches.
Une fois à l’intérieur de la grande et
somptueuse salle à deux étages, Dirk
s’approcha du feu qui brûlait dans
l’immense cheminée, non loin de la table
d’honneur, pour se réchauffer le dos,
pendant que Rebbie envoyait son valet,
George, réveiller Lachlan. MacKay
survola du regard les imposantes
tapisseries dépeignant l’histoire de la
famille Drummagan qui décoraient les
murs. Elles lui rappelaient celles qui se
trouvaient à Dunnakeil.
Des servantes allumèrent des bougies
et montèrent de la nourriture des cuisines
du rez-de-chaussée, préparant le petit
déjeuner sur les longues tables en bois.
Les compères dérobèrent deux pains
bannock beurrés en attendant.
Quelques instants plus tard, Lachlan
MacGrath-Drummagan, vêtu d’un tartan à
ceinture, émergea de l’étroit escalier en
colimaçon.
— Angelique est malade, murmura-t-il
à leur seule adresse.
— Que lui arrive-t-il ? s’enquit Dirk.
— Nausée, vomissements.
Les deux compagnons échangèrent un
coup d’œil inquiet, mais curieux.
— Peut-être est-elle enceinte, suggéra
MacInnis.
— Eh oui, répondit le troisième homme
en ébauchant un petit sourire réjoui.
J’espère que c’est bien cela.
Ses cheveux blond-roux brillant dans
la lueur des chandelles, il observa
furtivement les marches, signifiant sans
ambiguïté à ses compagnons qu’il désirait
remonter dans la chambre auprès d’elle.
Il les regarda de nouveau en face pour
demander :
— Qu’est-ce que vous faites tous les
deux ? On dirait que vous étiez à cheval
sous la pluie.
— Eh oui, Dirk se met en route pour
Durness et je l’accompagne, expliqua
Rebbie. Nous avons besoin de provisions
et d’équipement, si vous pouvez nous en
fournir. Des couvertures de laine, des
manteaux, et suffisamment de victuailles
pour une semaine.
— Bon sang ! s’écria Lachlan en
écarquillant ses yeux marron clair.
Pourquoi diable devriez-vous partir pour
l’extrême nord ?
— Je ne sais pas vraiment, avoua le
comte en regardant son compagnon
d’expédition.
Celui-ci grommela à peine, une lourde
crainte suspendue au-dessus de sa tête
tels les nuages gris qui menaçaient à
l’extérieur. Peu lui importait que ses amis
connaissent la vérité, mais la perspective
de la leur dévoiler ne l’enchantait guère.
Évoquer son passé ranimait toutes sortes
de déchirantes émotions. Il détestait
celles-ci, car il les éprouvait avec trop
d’intensité et de profondeur.
Lachlan envoya deux employées de
cuisine chercher la nourriture que Dirk et
Rebbie pourraient emporter – du pain, du
fromage à pâte dure, des biscuits
d’avoine, des fruits secs, du vin et des
pommes.
— Allons dans la bibliothèque,
proposa le maître des lieux qui ouvrit le
chemin dans un petit couloir, puis ferma
la porte derrière eux.
Même si aucun feu ne crépitait dans la
modeste cheminée, MacKay avait
toujours trouvé douillette et confortable
cette pièce qui se révélait basse de
plafond et plus exiguë que les autres ;
peut-être parce qu’elle lui rappelait la
bibliothèque de son père à Dunnakeil, où
il s’était senti en sécurité étant enfant.
— Dites-nous tout, mon vieux, lança
Rebbie en s’affaissant dans l’un des
fauteuils en cuir rembourrés. Nous
voulons savoir ce que racontait cette
missive.
— Vous êtes bien exigeant tout à coup,
marmonna le guerrier en faisant les cent
pas devant l’âtre froid.
Il pouvait à peine se résoudre à
formuler de vive voix ce qu’il lui fallait
divulguer, mais il ne ferait que perdre un
temps précieux en tergiversant. Il se racla
la gorge, en essayant de soulager le nœud
douloureux qui s’y formait.
— Mon père est souffrant. Mon oncle
estime qu’il ne vivra plus très longtemps.
Prononcer ces paroles lui faisait l’effet
d’une flèche transperçant sa poitrine, car
il avait toujours été proche de son père
bien-aimé.
— Oh, non, déplora MacInnis en
sourcillant, l’air grave.
Quelque affection s’était subitement
emparée du vieil homme. Dirk aurait dû
retourner chez lui des mois auparavant,
mais il ignorait que son parent tomberait
malade.
— Je suis attristé de l’apprendre,
déclara Lachlan d’un ton réconfortant.
Quand l’avez-vous vu pour la dernière
fois ?
— Quand j’avais quinze printemps,
répondit-il, honteux d’avouer combien
d’années s’étaient écoulées.
Un silence pesant emplit la pièce.
MacKay riva les yeux sur les charbons
noirs de la cheminée, évitant les regards
inquisiteurs de ses compagnons. Il savait
ce qu’ils devaient penser. Pourquoi aussi
longtemps ?
— Avez-vous eu quelque désaccord ?
s’enquit Rebbie.
— Vous pourriez dire cela.
Il leur fallait connaître cette vérité
qu’il avait tue douze ans durant. Une
éternité, lui semblait-il. Il était plus
proche de ces deux hommes que de
quiconque, même parmi sa famille. S’ils
n’étaient pas dignes de sa confiance, qui
le serait ?
Il inspira profondément, puis souffla.
— Quand j’étais un tout petit garçon,
ma mère est morte en accouchant de ma
sœur. Mon père s’est marié de nouveau
un ou deux ans plus tard, et a eu deux
autres fils. Ma belle-mère, Maighread
Gordon, voulait que son aîné hérite. Elle
a donc… tenté de me tuer – ou de me
faire tuer – à plusieurs reprises.
— Bon sang, dit Lachlan d’une voix
grinçante, son regard d’ambre
s’assombrissant, le visage soudain figé
tel un masque de guerrier. Quand vous
n’étiez encore qu’un enfant ?
— Eh oui. La dernière fois, j’avais
quinze ans, un homme m’a poussé du haut
d’une falaise pour que je m’écrase sur les
récifs. Mon cousin, avec qui j’étais très
ami, se trouvait avec moi. Il est mort.
Pour ma part, j’ai miraculeusement réussi
à atterrir sur une petite saillie à environ
une quinzaine de pieds en dessous. Le
lendemain matin, mon oncle Conall est
venu me secourir. Mon père me croit
décédé, comme le reste du clan. Les seuls
à me savoir encore vivant sont mon oncle,
ma tante et mes deux cousins.
— Par tous les saints, siffla Rebbie.
Quelle sorcière. Est-elle toujours de ce
monde ?
— Aux dernières nouvelles, oui. Quoi
qu’il en soit, Conall a raconté que j’avais
péri et m’a emmené habiter avec la
famille de ma mère à Strathspey. Je suis
allé à l’université deux ans plus tard.
Où il avait rencontré ses amis.
— J’ai gardé mon identité secrète
durant les douze années qui viennent de
s’écouler, ajouta-t-il.
— Quel est votre véritable nom ?
demanda le comte.
— Dirk MacKay.
— Vous n’êtes pas un MacLerie ?
Pourquoi nous l’avoir caché ? s’enquit
Lachlan.
— Ma mère était issue de cette famille.
Et… eh bien, il était tout simplement plus
facile et plus prudent que tout le monde
pense que je m’appelle comme elle. Mon
oncle m’a ordonné de ne le révéler à
personne, car Maighread Gordon vient
d’un clan puissant dont l’influence est très
étendue.
— Je vois. Votre père détient donc un
titre et des biens ? l’interrogea Rebbie.
— Oui, mais rien d’aussi remarquable
que les vôtres. Il est chef et baron. Les
terres MacKay sont vastes, mais la
portion arable est faible. Sur ces
propriétés se trouvent un donjon – Castle
Dunnakeil –, un manoir à environ vingt
miles d’ici, et des membres du clan
éparpillés sur tout notre territoire le long
de la côte nord.
— Impressionnant, déclara leur hôte.
Vous en hériterez donc un jour ?
Dirk haussa les épaules.
— Il est de mon devoir et de ma
responsabilité de diriger et guider le clan
si papa n’en est plus capable. Il m’y a
préparé depuis que j’ai l’âge de m’en
souvenir.
La première image qu’il en avait
gardée le figurait chevauchant une large
monture avec son père. Il devait avoir
trois ou quatre ans à l’époque. « Un jour,
tout cela sera à vous, avait dit son
parent. Quand je serai parti, je veux que
vous preniez soin de ce clan comme s’il
s’agissait de votre progéniture. Vous
comprenez ? » Il se rappelait avoir levé
les yeux vers le visage noble et fier de cet
homme à la barbe brun-roux et au regard
bleu. Il avait hoché la tête, bien que
n’ayant vraiment rien saisi. Mais le chef
savait qu’à terme, son fils se
remémorerait ses paroles et prendrait
conscience de leur sens.
À présent, Dirk ignorait s’il le
reverrait en vie. Sa gorge se noua
derechef.
— Vous entendiez-vous bien ?
demanda Rebbie.
MacKay acquiesça.
— Autant que l’on pouvait l’espérer.
Mais papa était épris de son épouse. Il la
voyait comme la plus belle créature sur
terre. Il refusait de me croire quand je lui
disais qu’elle essayait de me tuer. Il
m’accusait d’avoir une imagination trop
fertile.
— Comment avez-vous appris que
c’était elle ? s’enquit Lachlan.
— Elle m’a menacé à partir du moment
où elle a posé les yeux sur moi, et prenait
un grand plaisir à me gifler dès qu’elle en
avait l’occasion, quand nous étions à
l’abri des regards. Elle me parlait sans
aucune retenue, car elle pensait que
personne ne me croirait. Elle se trompait.
Malgré les dénégations de papa, mon
oncle m’a entendu.
— Chienne, marmonna MacInnis.
Dirk approuva d’un signe de tête,
envahi d’une soudaine urgence.
— Je pense qu’il est l’heure pour moi
de prendre congé. Mais auparavant, je
souhaite vous remercier tous les deux
pour votre amitié durant ces dix dernières
années. Je vous considère maintenant
comme des frères.
— Oh, murmura Rebbie. Vous savez
que le sentiment est réciproque.
— En effet, mon frère, confirma
Lachlan qui s’avança pour lui offrir une
poignée de main. Faites attention à vous
au cours de votre expédition dans le
Nord. Je vous suis également
reconnaissant de m’avoir aidé à remettre
de l’ordre dans le chaos que nous avons
traversé ici, à Draughon le mois dernier.
Je n’aurais jamais survécu sans vous
deux.
Dirk acquiesça.
— Les amis servent à cela. À se porter
une assistance mutuelle.
— Raison pour laquelle je vous
accompagne, lança MacInnis en se levant.
— Je dois vous avertir que le climat,
surtout en hiver, est plus rude au pays des
MacKay que dans aucun autre endroit où
nous soyons allés jusque-là.
— J’en suis bien conscient. Je me suis
déjà rendu à Thurso.
— Et ma meurtrière de belle-mère sera
peut-être aussi encline à tuer mes
compagnons que moi-même.
— Oh, qu’elle essaie donc, grommela
le comte.
— Très bien, vous aurez été prévenu.
Nous allons avoir besoin de vêtements
plus chauds et de couvertures en laine.
— J’en ai en réserve, proposa le
maître des lieux. Ainsi que ces épais
manteaux de toison de laine que nous
portions à notre retour de Kintalon. Ils
conviendront pour affronter la neige et le
vent.
Dirk hocha la tête.
— J’apprécie ce que vous faites.
— Je regrette de ne pouvoir me joindre
à vous, mais Angelique ne se sent pas
bien.
— Vous devez rester ici et prendre soin
d’elle ainsi que du clan.
MacKay lui donna une tape sur
l’épaule. Il n’avait jamais vu son ami
aussi amoureux, mais cette petite épouse
avait apprivoisé l’indomptable Écossais.
— Envoyez-moi une missive pour me
tenir informé du cours des événements là-
bas. Si vous avez besoin de moi,
prévenez-moi et je serai sur la première
galère qui met le cap au nord.
Dirk opina du chef.
— Je vous remercie.
— J’espère que votre père sera encore
en vie à votre arrivée, ajouta Lachlan
tandis qu’ils cheminaient dans le couloir.
Le guerrier priait pour que son cher
papa connaisse une miraculeuse guérison.
Celui-ci avait à peine plus de cinquante
ans, il n’était donc pas un vieillard, ce
qui jouerait peut-être en sa faveur. Dirk
s’était toujours imaginé retourner à
Durness, et lire la surprise sur le visage
de son parent. Il espérait que cela
pourrait encore se produire.

Sans la moindre bougie pour éclairer


sa route, Isobel MacKenzie gravit en hâte
l’escalier de pierre en colimaçon dans
Munrick Castle. Elle entendait de légers
bruits de pas derrière elle, l’incitant à se
presser davantage. Il s’agissait sans doute
de Nolan MacLeod, le frère cadet de son
futur époux. Ce ne serait pas la première
fois qu’il tenterait de l’approcher. Il lui
adressait toujours des regards
concupiscents ou lui murmurait des
commentaires obscènes lorsque personne
ne prêtait attention à eux. Elle n’avait rien
fait pour l’y encourager. À vrai dire, elle
s’était efforcée de ne pas tenir compte de
lui en attendant le retour de son fiancé.
Aucun doute que Torrin, le chef, dirait à
son frère d’aller s’occuper de sa propre
femme.
Lorsque Isobel émergea en haut des
marches, la pénombre du couloir glacial
lui donna soudain des frissons. Elle était
en ces lieux depuis moins de deux
semaines, et s’y sentait de moins en moins
chez elle à mesure que les jours
s’écoulaient.
— Où fuyez-vous ainsi, ma petite
sorcière ?
Jetant un coup d’œil par-dessus son
épaule, elle ne parvint pas à distinguer
l’individu dans l’escalier, mais la voix
appartenait à cette canaille de Nolan.
— Laissez-moi.
Elle se précipita vers la seule source
de lumière, un chandelier au bout du
passage, près de sa propre chambre.
Des pas résonnaient sourdement
derrière elle sur le plancher en bois, mais
la musique tumultueuse du céilidh dans la
grande salle garantissait que personne
n’entendrait. Les oreilles emplies de
vives palpitations, elle se retourna et le
bâtard apparut à moins de trois pieds
d’elle. Elle s’arrêta, et lui fit face. Dans
l’obscurité, elle vit ses minces lèvres
dissimulées dans sa barbe brune en
bataille esquisser un sourire en coin, et la
lueur lubrique qui animait ses prunelles
noisette la dégoûta.
— Je me sens nauséeuse, et je pensais
me retirer pour la soirée, déclara-t-elle,
levant des yeux furieux vers lui.
En vérité, elle aurait voulu lui vomir
dessus. Peut-être perdrait-il alors
l’intérêt malsain qu’il lui manifestait.
L’air narquois, il sourit plus largement
et fit un pas vers elle.
— Je sais comment vous soulager, ma
jolie.
Elle en eut l’estomac réellement
retourné.
— Où est votre épouse ?
— Occupée. Avec le bébé.
Elle grimaça. Il était le plus sordide
des hommes, cherchant l’attention
d’autres femmes alors que la sienne
venait d’accoucher deux semaines plus
tôt. Il était vraiment fâcheux que son
promis, Torrin MacLeod, soit en visite
dans quelque clan, laissant ainsi à Nolan
la responsabilité du château.
— Je suis certaine qu’elle va vous
chercher, dit-elle. Et au cas où vous
l’auriez oublié, je dois épouser MacLeod.
Il renâcla.
— Vous croyez qu’il se soucie de vous
? Il ne vous a vue qu’une fois. Eh non, il a
Ruthann au village. Il en est épris depuis
des années, et ils ont des enfants.
Cela pouvait-il être vrai ? Sa nausée
décupla.
— Avec vous, poursuivit-il, il ne veut
qu’un héritier. Si vous êtes capable de
procréer, ricana-t-il. La rumeur prétend
que vous seriez stérile, puisque vous
n’avez pas réussi à donner d’enfant à
votre précédent mari avant sa mort.
La révulsion et la colère s’emparèrent
d’elle. Elle avait entendu ces
commérages à son sujet, mais il s’agissait
de purs mensonges.
— Cela ne vous regarde pas.
— J’en fais une affaire personnelle.
Voyez-vous, si vous êtes une veuve
infertile, il importera peu que nous
prenions un peu de plaisir sous les
couvertures.
Elle avait envie de lui arracher les
yeux.
— Je ne suis pas stérile.
Du moins, le pensait-elle. Difficile à
affirmer, puisqu’elle était encore vierge.
— Croyez-vous que votre frère
voudrait de votre bâtard pour héritier ?
demanda-t-elle. Laissez-moi.
Elle se tourna vers sa chambre en
frémissant.
Sur les talons de la jeune femme,
Nolan lui attrapa le bras, la contraignit à
faire volte-face et l’immobilisa contre le
mur en pierre en la soulevant. Elle sentit
son cœur battre dans sa gorge.
Elle tenta vigoureusement de se
dégager, mais ne parvint pas à le faire
bouger.
— Lâchez-moi !
— Oh que non. Et taisez-vous.
Son haleine empestait le whisky fort, et
son tartan à ceinture exhalait l’odeur d’un
mouton qui se serait vautré dans un
marécage.
— Canaille ! À votre avis, que dira
votre aîné de tout ceci ? Lord Torrin sera
furieux.
En tout cas, l’espérait-elle. Cette
hypothèse constituait sa seule arme.
— Il n’en aura jamais vent, car si vous
le lui révélez, vous le regretterez.
Il lui souffla ses relents d’alcool dans
la figure, puis lui imposa ses lèvres dans
le cou, lui irritant la peau avec sa barbe.
Elle se hérissa.
— Pouah.
Elle se tortilla, s’efforçant de se
libérer de son assaut, mais il ne fit que
resserrer davantage son bras autour
d’elle.
— Et même s’il l’apprend, quelle
importance ? demanda-t-il. Il vous épouse
uniquement pour les trois cents hectares
inclus dans votre dot. Vous êtes une
séductrice, et il me faut vous posséder !
Ou seriez-vous une sorcière qui m’a jeté
un sort ?
— Vous êtes fou !
Elle projeta son genou pour atteindre
l’aine de son assaillant, mais l’escarcelle
de celui-ci ainsi que ses propres jupons
amoindrirent ses efforts.
Il raffermit sa prise et cala violemment
ses jambes entre celles d’Isobel.
— Espèce de chienne. N’essayez
surtout pas de me résister. Vous ne ferez
qu’aggraver votre situation.
Il lui agrippa les cheveux au-dessus de
la nuque et tira. La tête de sa proie cogna
dans un bruit sourd contre le mur. La
douleur irradia dans tout le crâne de la
jeune femme, mais elle se garda de
montrer à Nolan qu’il la faisait souffrir.
Par ailleurs, aucun des membres du clan
de ce dernier ne viendrait la secourir. À
leurs yeux, cet homme ne pouvait causer
aucun mal. C’était elle, l’étrangère.
Il lui couvrit la bouche d’une main, et
lui enserra la gorge de l’autre.
— Ne dites pas un mot, ou je vous tue
sur-le-champ, lui gronda-t-il dans
l’oreille. Je suis prêt à tordre votre cou si
doux et si menu.
Une peur glaciale figea les muscles
d’Isobel. Elle ne bougea plus d’un cil, se
creusant fébrilement l’esprit pour trouver
un moyen de s’échapper. Y avait-il
quelqu’un susceptible de l’aider ? Une
arme ? La dague de son harceleur ! Il la
portait toujours dans un fourreau attaché à
sa ceinture. Elle pria que ce fût le cas à
cet instant précis. Elle s’en saisirait alors
pour poignarder son agresseur. Elle
amollit tout son être, comme pour accéder
aux exigences du vaurien.
— Ah, voilà une brave fille.
Maintenant, allons dans vos appartements
pour plus d’intimité.
Hilare, il s’appuya si lourdement
contre sa victime que celle-ci sentit son
membre lui pointer dans l’estomac.
Sale vermine en rut. Elle lui ferait
regretter de l’avoir touchée. Ses frères lui
avaient correctement appris à se
défendre.
Il relâcha sa prise, projetant la jeune
lady vers la porte qui menait à sa modeste
chambre. Il lui enfonça ses doigts dans un
bras, en lui plaquant son autre main sur la
bouche. Lorsqu’il la poussa pour passer
l’embrasure et referma derrière lui d’un
coup de pied, elle posa sa paume sur la
poignée en os du couteau. Elle sortit
brusquement celui-ci de son étui, le métal
siffla sur le cuir.
— Que manigancez-vous ?
Nolan s’empara violemment des doigts
fureteurs et fit levier sur ceux-ci. Elle
remua sa main pour s’efforcer de la
libérer. Un craquement se fit entendre, et
la douleur enflamma son majeur. Mon
Dieu ! Était-il cassé ?
Surmontant sa souffrance en serrant les
dents, elle se dégagea de l’étau de son
assaillant sans lâcher l’arme. Il fit volte-
face et lui envoya son poing dans le
visage. Elle tituba en arrière, la pommette
en feu, mais resta debout. Qu’il soit
maudit !
Elle se jeta en avant dans la pénombre
pour tenter de taillader et poignarder son
adversaire, qu’elle parvint à atteindre une
fois.
— Ah ! Sale chienne ! rugit-il. Je jure
que vous paierez très cher pour cela.
Il tendit le bras pour l’attraper.
Elle l’esquiva et brandit derechef la
dague, envoya des coups de pied, et
courut à travers la pièce en évitant ses
malles de vêtements et le lit. Nolan
trébucha et tomba dans un bruit sourd.
— Je vais vous tuer, dit-il, bouillant de
fureur, d’un ton calme, mais funeste.
Elle savait qu’il exécuterait cette
promesse à la moindre occasion. Des
frissons de peur et d’effroi la
parcoururent.
Même s’il préférait boire et fréquenter
les prostituées plutôt qu’aiguiser ses
aptitudes au combat, il demeurait bien
plus fort et plus imposant qu’elle. Sur la
table de chevet se trouvait un pichet en
grès contenant un fond de vin dilué d’eau.
Elle s’en empara et attendit que son
agresseur fasse un mouvement, son cœur
palpitant dans ses oreilles.
Elle ne souhaitait sincèrement pas le
tuer – ni lui, ni personne. Mais elle ne le
laisserait pas user et abuser d’elle.
Dans la lueur tamisée des braises qui
se consumaient dans la minuscule
cheminée, la jeune femme ne pouvait
discerner que les contours des objets.
Avec un grognement, son futur beau-frère
se redressa lourdement et la chargea une
fois encore. De sa main valide, elle lui
écrasa de toutes ses forces la lourde
carafe sur la tête. La poterie atteignit la
matière osseuse dans un craquement.
L’homme s’effondra au sol en gémissant.
Puis le silence emplit la pièce.
Retenant son souffle, elle attendit qu’il
bouge, ou émette un son.
— Je l’ai tué, murmura-t-elle, figée
d’épouvante. Je lui ai enfoncé le crâne.
Elle posa le pichet par terre et, de ses
doigts tremblants, alluma une bougie à
l’aide des braises dans l’âtre pour
vérifier s’il avait réellement succombé au
coup. Si c’était le cas, que devrait-elle
faire ? Fuir ? Les membres du clan la
condamneraient à mort et la noieraient
dans le lac glacial dès qu’ils
apprendraient son crime. Il était fort
probable qu’ils ne patienteraient même
pas jusqu’au retour de son futur époux.
Ou peut-être la jetteraient-ils dans le
donjon et l’affameraient jusqu’à ce qu’il
revienne.
Que les saints me protègent.
Les bras tressautant de fébrilité, elle
posa la chandelle sur la malle au pied du
lit et riva les yeux sur le corps inerte de
Nolan durant de longs moments. La
poitrine de celui-ci se soulevait puis
retombait.
— Encore en vie, souffla-t-elle.
Elle supposait que c’était une bonne
nouvelle, mais il pouvait reprendre
conscience à tout instant et tenter de la
tuer. De nouveau. Elle l’observa, et ne
releva aucun autre mouvement que celui
de sa respiration. Il paraissait bel et bien
assommé, grâce au ciel.
Des élancements embrasèrent son
doigt. En l’examinant, elle s’aperçut qu’il
était replié dans un angle étrange. Son
agresseur le lui avait effectivement cassé.
Maudit bâtard ! Entre le pouce et l’index
de son autre main, elle comprima son
majeur dans lequel la douleur irradiait.
Elle inspira dans un chuintement. Dieux
du ciel ! Elle ne s’était jamais rien
fracturé auparavant. Comment devait-elle
procéder ? Elle avait vu son frère se faire
remettre en place un bras cassé lorsqu’il
n’était qu’un enfant. La souffrance lui
avait tiré des hurlements.
Elle sursauta en entendant la porte
s’ouvrir derrière elle. Sa bonne, Beitris,
se tenait immobile sur le seuil, ses yeux
ronds dardés sur Nolan MacLeod qui
gisait dans la lueur de la bougie. Isobel
l’attira dans la chambre, referma et les
barricada à l’intérieur. Sa domestique la
servait depuis sa tendre enfance, et la
jeune femme lui faisait confiance plus
qu’à quiconque.
— Savez-vous soigner un doigt cassé ?
lui demanda-t-elle.
La servante la regarda d’un air idiot.
— Que… Milady, qu’est-ce que vous
avez fait ? murmura-t-elle d’un ton
choqué en se dirigeant vers l’individu à
terre.
— Il est encore en vie. Voyez comme
sa poitrine monte et descend.
— Mais… le sang, répondit sa
compagne en désignant le sol.
Pour la première fois, sa maîtresse
releva que la flamme de la chandelle se
reflétait dans une petite mare cramoisie
s’écoulant de la tête de l’agresseur. Elle
fut saisie de peur. Sainte mère de Dieu,
s’il n’avait pas encore trépassé, ce ne
serait peut-être pas long à se produire !
— Il a essayé de me violer. Le bâtard.
Je ne le tolérerai d’aucune façon.
— Il ne « tolérera » certainement pas
cette blessure ni cette insulte à son
orgueil s’il… reste en vie.
— Je le sais bien. Nous allons devoir
partir, nous enfuir durant la nuit.
Beitris acquiesça, ses grands yeux
sombres troublés.
— Mais où irons-nous ? C’est la fin de
l’automne, et le climat change.
— Je l’ignore, mais l’on me déclarera
coupable de l’avoir attaqué, même s’il en
réchappe. Et dans le cas contraire…,
ajouta-t-elle en secouant la tête, glacée
d’horreur jusqu’aux os. Les gens d’ici me
noieront dans le lac. Vous le savez très
bien.
En effet, on ne pendait pas les femmes
en Écosse pour des crimes tels que le
meurtre. On les jetait à l’eau. Et la
plupart des procès n’étaient que pures
mascarades. On avait ainsi fait plonger
plus d’une innocente. Qui savait ce que
Torrin MacLeod dirait de tout cela ? Les
frères s’opposaient rarement. Quand bien
même il aurait défendu sa promise, il ne
se trouvait pas à Munrick à ce moment-là,
et ne serait pas de retour avant au moins
une semaine.
— Nous allons rentrer chez nous,
annonça Isobel. Mon aîné ne souffrirait
guère que j’épouse un homme issu de ce
clan… où j’aurais un éventuel violeur
pour beau-frère.
— Mais Dornie est fort loin au sud.
— En effet.
Isobel eut l’estomac noué de songer à
la distance exacte qui la séparait de son
foyer – peut-être cent miles.
— C’était pas votre faute, milady.
— Cela importera peu à leurs yeux.
Vite. Mettez tous vos habits.
S’efforçant d’oublier la douleur dans
son doigt, la jeune veuve se hâta, sans
grande agilité, de superposer sur elle tous
les vêtements qu’elle possédait,
choisissant de recouvrir l’ensemble avec
sa robe écossaise la plus élimée. Elle
remonta la partie supérieure de la tenue
beige et vert sur sa tête. L’épaisse laine
contenait quelques petits trous, mais avait
appartenu à la grand-mère d’Isobel. Cette
dernière la gardait toujours auprès d’elle.
Tout ce qu’elle possédait de petit, y
compris les pièces d’argent et d’or, ainsi
que ses bijoux et sa flûte, fut rangé dans
la poche qu’elle portait à sa taille, cachée
sous les multiples couches de tissus.
Ensuite, elle ramassa le couteau
qu’elle avait lâché – la dague de Nolan –,
et en nettoya la lame en l’essuyant sur le
tartan de son propriétaire. Mieux valait
ne pas l’emporter, mais il lui faudrait une
arme si elle prenait la route pour les
Highlands sans autre escorte que sa
bonne. Les voleurs et hors-la-loi étaient
légion.
Elle vit par l’étroite fenêtre qu’il
faisait nuit noire. Avec l’hiver
approchant, le crépuscule tombait de
bonne heure, et l’aube poindrait tard. Les
nuages ne laissaient pas filtrer le moindre
rayon de lune ce soir-là. Elles auraient
besoin de lumière. Elle se pencha, prit la
bougie, et alluma sa petite lanterne de
métal et de corne posée sur la malle.
L’objet lui venait de sa mère, et Isobel
l’utilisait depuis son enfance.
Que leur fallait-il d’autre ? Elle ne
disposait d’aucune nourriture ni boisson
dans sa chambre. Elle jeta un coup d’œil
circulaire dans la pièce et repéra des
briques de tourbe à côté de la cheminée.
Elles étaient légères et pourraient être
échangées contre une nuit de logement, ou
brûlées pour produire de la chaleur si
nécessaire. Elle en fourra cinq dans la
large poche que formait la volumineuse
étoffe de sa tenue en bouffant par-dessus
sa ceinture, et s’empara des deux
chandelles supplémentaires qui se
trouvaient sur le manteau de la cheminée.
— Nous devons filer pendant le
céilidh. Venez, chuchota-t-elle en
récupérant la lanterne avant de se diriger
vers la porte.
Dans le couloir, le valet maigre et
barbu de Nolan s’approcha, vêtu de son
tartan à ceinture usagé. Le rythme
cardiaque d’Isobel fit une pointe. Lorsque
Beitris fut sortie de la chambre, sa
maîtresse ferma la porte et resta postée
devant. Elle pria pour que le blessé
n’émette aucun son à l’intérieur.
— Milady, avez-vous vu maître
MacLeod ? s’enquit le domestique. Son
épouse se demande où il est parti.
Chapitre 2

Le cœur battant la chamade, Isobel


tenta de ralentir son pouls en prenant une
profonde inspiration, avant de devoir
croiser le regard méfiant du domestique
dans le couloir de pierre faiblement
éclairé.
— Non, je ne sais pas où se trouve
votre maître, répondit-elle, espérant
adopter une voix suffisamment posée pour
rendre son mensonge convaincant.
Le serviteur esquissa une brève
révérence et poursuivit son chemin dans
le passage.
— Je savais que l’on s’apercevrait
rapidement de la disparition de ce
vaurien dans la grande salle, et que l’on
irait le chercher, murmura-t-elle à sa
bonne, alors qu’elle précédait celle-ci
pour descendre l’étroit escalier de
service en colimaçon.
— Je prie qu’il vous ait crue, milady,
dit sa compagne. Et qu’il n’inspecte pas
votre chambre.
Elles émergèrent dans la cuisine
surchauffée du rez-de-chaussée. Les
servantes en sueur qui travaillaient là
étaient trop occupées pour leur prêter
attention… jusqu’à ce que l’une d’elles
dispose une corbeille de pain entre les
mains de Beitris.
— Rendez-vous utile et emportez ça en
salle, lui ordonna-t-elle d’un ton bougon
avant de retourner à ses corvées.
La soubrette acquiesça, se retourna
lentement, et posa le plateau vide sur le
plan de travail en face d’elle. Puis elle
attira Isobel en hâte vers la sortie.
— Où est passé le pain ? chuchota la
jeune veuve, escomptant le chaparder
pour leur prochain repas.
— Chut, souffla sa bonne en ouvrant la
porte.
Lorsqu’elles furent au-dehors,
fouettées par le vent, la domestique reprit
:
— Dans ma robe. Nous aurons besoin
de nourriture, n’est-ce pas ?
— Ah. Quelle réaction avisée.
Dieu merci, elles ne mourraient pas de
faim, du moins pas avant un moment. Des
frissons parcoururent toutefois l’échine
de la lady. Était-ce l’effet de la peur ou
des glaçantes rafales ?
Même si elles parvenaient à s’enfuir à
l’insu des gardes… que se passerait-il
ensuite ? Elle ignorait tout de cette partie
des Highlands aux alentours d’Assynt.
Certes, il se trouvait un tout petit village
au sud, pas très loin. Mais serait-il
prudent d’y faire halte ?
Elle tenta de se remémorer le chemin
que son frère et ses compagnons avaient
pris quand ils l’avaient escortée avec sa
bonne en ces lieux deux semaines plus tôt.
Elle se souvenait seulement de quelques
bourgs ici et là, plusieurs fermettes
isolées, et nombre de hautes montagnes
accidentées, parsemées de tourbières, de
champs et de lacs. Le spectacle était
splendide quoique inquiétant, surtout à
l’approche de l’hiver.
La jeune fugitive espéra avec ferveur
qu’elles croiseraient suffisamment de
fermiers disposés à leur fournir un
endroit chaud où dormir chaque soir
jusqu’à ce qu’elles aient regagné Dornie.
Elle se rappelait son frère Cyrus
affirmant qu’il s’agissait d’un trajet
éprouvant par les terres, et de plus de
cent miles. Mais si elles avaient assez
d’argent pour s’acquitter du billet, elles
pourraient effectuer une partie du voyage
en galère, comme à l’aller. Le port
d’Ullapool n’était pas si loin, à peut-être
vingt-cinq miles.
Dehors, dans l’air vivifiant, la nuit
était complètement tombée. L’herbe
scintillante de givre craquait sous les
bottes de cuir d’Isobel tandis qu’elle
descendait avec sa servante un tertre
pentu sur la petite île où le château était
sis. Elles traversèrent la cour pavée pour
se diriger avec prudence vers le portail.
Elle remonta le tartan de sa tenue plus
fermement sur sa tête, telle une capuche,
pour dissimuler la moitié supérieure de
son visage. Le garde ne devait
absolument pas s’apercevoir qu’elle était
une dame ni la future épouse de son chef,
auquel cas il la retiendrait assurément.
Elle cessa de respirer, mais le cerbère
jeta à peine un second coup d’œil à son
accoutrement volumineux et miteux avant
de lui ouvrir. Bien heureusement, il ne vit
rien d’inhabituel dans ces deux
domestiques qui rentraient au village. La
jeune veuve soupira de soulagement
lorsqu’elles franchirent le pont étroit qui
enjambait un petit bras du lac.
Une violente et glaciale rafale cingla
leurs habits.
— Marchez plus vite. Nous devons
nous dépêcher, ordonna-t-elle en tirant sa
bonne sur le sentier boueux. Ils pourraient
découvrir Nolan à tout moment et se
lancer à nos trousses.
— Oh, milady, il fait de plus en plus
froid et le vent se lève. Nous devons
trouver un endroit où dormir sans tarder.
— Eh, ce sera le cas.
— Ravie que vous en soyez certaine.
J’en doute davantage.
Isobel envisageait toujours des
dénouements heureux. Elle tenait ce trait
de caractère de sa mère. Mais finalement,
les choses avaient mal tourné pour celle-
ci, lorsqu’elle était morte d’une fièvre six
ans auparavant. La fugitive sentit sa gorge
se serrer, et une bourrasque gela presque
les larmes qui lui montaient aux yeux.
Parfois, elle s’imaginait entendre les
mots encourageants de sa mère, ces
mêmes paroles qu’elle avait souvent
prononcées lorsque la jeune veuve n’était
encore qu’une enfant. Cette femme avait
toujours voulu ce qu’il y avait de mieux
pour sa fille. Elle avait cru que cette
dernière mènerait une belle vie auprès
d’un homme qui l’aimerait. Isobel n’avait
pas encore vu cela se produire… et elle
avait vingt-cinq ans. Par moments, elle
ignorait si cela arriverait vraiment un
jour. Mais elle refusait de perdre espoir.
Elle n’accepterait qu’un époux qui la
traiterait correctement. Ce n’était pas trop
demander. Bien entendu, cette exigence
s’étendait au clan de l’individu en
question. Ce MacLeod n’incarnait pas le
conjoint qui lui convenait. Il était peut-
être honorable, mais l’on ne pouvait en
dire autant de son frère. Celui de la
fugitive, Cyrus, devrait renégocier, et lui
trouver une famille plus agréable à
laquelle s’intégrer.
Même si elle savait ce souhait presque
chimérique, elle mourait d’envie de
réaliser ses rêves d’adolescente…
Connaître ce que ses parents partageaient,
un mariage d’amour. Son aîné se moquait
de telles aspirations, contrairement à leur
père avant lui. Évidemment, on arrangeait
l’union de la plupart des filles et sœurs
de chef avec quiconque profiterait le plus
au clan. Elle avait enduré une alliance
inopportune avec son premier époux. Par
chance, il ne s’était jamais montré
méchant ni malveillant envers elle. Il
s’était révélé supportable, malgré son âge
avancé.
Elle avait rencontré son fiancé actuel,
Torrin, une seule fois. Au moins, il était
plus jeune que son défunt mari – autour de
trente printemps – et bien plus séduisant,
mais ne lui plaisait pas beaucoup. Il
dégageait une sorte d’arrogance, de
prétention. Il l’avait furtivement regardée,
avant de se détourner d’elle. Désormais,
elle savait pourquoi. Comme Nolan
l’avait expliqué, il était dévoué à une
autre femme, depuis des années.
Manifestement, celle-ci appartenait à un
rang inférieur à celui de MacLeod, dont
le clan refusait la perspective d’une telle
union.
Dans ce cas précis, être esquivée par
son époux pouvait avoir du bon.
Demeurait toutefois un autre problème –
le frère de l’époux en question qui, quant
à lui, n’esquivait pas la jeune femme. Et à
présent, elle avait presque tué ce bâtard,
ce qui l’empêchait de retourner à
Munrick. Son agresseur la supprimerait
sûrement s’il reposait un jour les yeux sur
elle.
Tandis qu’elles s’engageaient dans un
coude de la route, l’odeur âcre de la
fumée de tourbe provenant du village se
fit plus prononcée. Une faible lueur de
flammes filtrait à travers les fissures des
volets de quelques masures.
— Merci, mon Dieu ! J’ai les pieds
pratiquement gelés, s’exclama la
servante.
— Nous ne pouvons pas rester ici ce
soir, murmura sa maîtresse, malgré les
gouttelettes de pluie erratiques qui
éclaboussaient le tartan lui couvrant la
tête. C’est le premier endroit où Nolan et
les gardes viendront nous chercher. Les
habitants du bourg nous livreront à eux
sans le moindre scrupule.
— Où devons-nous donc aller ?
questionna la domestique d’une voix
paniquée. Il commence à pleuvoir.
— J’en suis bien consciente.
Il aurait été difficile de passer à côté
de l’eau glaciale que crachait le ciel et
balayait le vent. Elles auraient en effet
bientôt besoin d’un abri.
— Sur le chemin, reprit-elle, j’ai
remarqué une fermette abandonnée au sud
du village.
Elle ne savait pas vraiment pour quel
motif elle l’avait repérée, à part le fait
qu’elle semblait désertée et triste, placée
sur un si joli site à environ cent yards de
la route.
— Je l’ai aperçue aussi. La moitié du
chaume était partie !
— Eh oui, mais elle pourrait nous
servir de refuge ce soir. Nous y ferions un
feu au centre, à même le sol.
— Si nous parvenons à trouver des
herbes sèches à brûler, modéra la bonne
d’un ton sceptique.
Isobel tapota la poche dans son arisaid
1 qui retombait par-dessus ses hanches,
lui donnant l’air plus enveloppée de
quelques pouces qu’elle ne l’était
réellement.
— Et que pensez-vous que j’aie là ?
Des bourrelets de graisse ?
Beitris l’observa de haut en bas en
sourcillant.
— Vous portez du pain dans votre
tenue, et j’ai cinq briques de tourbe dans
la mienne, poursuivit la jeune veuve.
— Pour de vrai, milady ? Comme vous
êtes rusée.
Sa maîtresse ébaucha un bref sourire.
— J’ai emporté tout ce que je pouvais.
Il nous faudra des denrées à échanger
contre l’hébergement la nuit, et pour la
nourriture.
Elle garderait son argent pour le
transport en galère.
— Peut-être que nous mangerons et
dormirons au chaud ce soir, mais
qu’adviendra-t-il demain, et après-
demain ? Et le jour suivant ?
— Vous voulez survivre, Beitris ? lui
demanda la fugitive, lasse des sombres
pensées de sa compagne.
— Eh, bien sûr.
— Très bien, alors, mettez-vous à
réfléchir aux moyens de résoudre ce
problème au lieu de vous attendre au pire.
— J’ai vingt ans de plus que vous, mon
petit, soupira la domestique. Mes vieux
os me font souffrir par ce froid.
— Dès que nous aurons fait un feu,
vous vous sentirez mieux.
Elles traversèrent le village sans se
faire remarquer. Il n’y avait personne
dans les environs, et il était facile de
deviner pourquoi. La pluie se
transformait en neige fondue. Isobel se
réjouit de se diriger vers le sud, car de
petits grêlons, entraînés par le vent du
nord, tambourinaient sur son dos.
Elle rattrapa sa bonne qui glissa sur
une plaque de glace ou une flaque de
boue.
— Ce n’est plus très loin.
Une demi-heure plus tard, elles
approchèrent de la fermette abandonnée.
La portion du toit exposée au nord était
encore couverte de chaume. La jeune
femme passa la porte déjà ouverte en
tirant Beitris derrière elle. Elles furent
instantanément protégées des rafales.
— Vous voyez ? C’est un abri très
convenable.
La veuve aperçut une sombre
embrasure menant à ce qui paraissait être
une seconde pièce. Munie de sa lanterne,
elle s’y aventura. Ce petit espace serait
plus chaud que le premier. La toiture
comptait un ou deux trous, mais l’endroit
était bien plus confiné.
Le visage crispé par l’inquiétude, la
bonne se posta sur le seuil.
— Nous allons dormir ici, annonça sa
maîtresse d’un ton qu’elle espérait
encourageant.
— Bien.
— Faisons un feu.
— Je dois d’abord me reposer.
Beitris trouva un tabouret retourné, le
remit à l’endroit, et s’assit dessus.
— J’ai mal à ma hanche, ajouta-t-elle.
Une partie du chaume provenant de la
portion de toit démolie avait été soufflée
et formait un tas dans un coin de la plus
grande pièce. Isobel rassembla la paille
et en transporta dans leur chambre exiguë,
où elle constitua un amas au milieu de la
terre battue, puis posa une brique de
tourbe à côté.
Ensuite, elle enfonça une tige de
chaume sèche dans sa lanterne et la
ressortit couronnée d’une petite flamme
qui lui permit d’embraser le tas d’herbes.
Lorsque celui-ci commença à brûler et
que la tourbe dégagea de la fumée, elle se
leva et lança un coup d’œil circulaire.
Elles ne pouvaient utiliser tout leur
combustible le soir même. Il leur en
faudrait d’autre.
Sa lampe à la main, elle fureta parmi
les débris que contenait la maisonnette.
Elle dénicherait forcément là quelque
chose à consumer. Ah, ah ! un vieux
matelas rembourré de bruyère que l’on
avait abandonné dans un coin. Il était
sûrement infesté de puces, mais au moins,
il alimenterait le feu. Elle le tira vers
elle, puis en déchira le tissu élimé,
libérant ainsi les plantes séchées qu’il
renfermait. Elle en jeta quelques poignées
dans les flammes.
Elle découvrit également la moitié d’un
seau en bois cassé. Il brûlerait aussi bien
que la tourbe. Elle empila ses trouvailles
non loin de l’âtre improvisé.
— Eh bien, au moins, nous avons assez
de vêtements de laine dans lesquels nous
enrouler pour la nuit, déclara-t-elle.
— Il faudra que ça convienne, je
suppose.
Beitris se redressa et traversa la pièce
en boitillant.
La regardant progresser avec lenteur,
Isobel sourcilla, soudain submergée
d’une sombre peur. Que deviendraient-
elles si sa bonne ne parvenait pas à
avancer assez vite, ou à marcher sur une
trop longue distance ? Réussirait-elle à
parcourir les vingt-cinq miles jusqu’à
Ullapool ? Et si elles n’étaient pas assez
rapides, les gardes des MacLeod les
rattraperaient-ils ?

Des bourrasques glaciales projetaient


des flocons givrés dans les yeux de Dirk.
Après plusieurs jours de trajet en galère
pour remonter la côte ouest, Rebbie et lui
avaient débarqué à Ullapool. Avec les
vents violents, il était apparu imprudent
de poursuivre plus au nord par la mer. Ils
avaient alors pris cette direction à dos de
cheval.
Il leur était impossible d’avancer
prestement sur le sentier étroit qui
traversait la campagne accidentée. Il leva
les yeux vers les montagnes d’Assynt qui
se dressaient autour d’eux, leurs sommets
rocheux dissimulés par les nuages qui les
auréolaient. La neige habillait même les
pentes les plus basses d’un voile
immaculé.
— Le climat est-il toujours aussi
engageant ici ? cria Rebbie à quelques
pieds dans son sillage.
Se retournant sur sa selle, Dirk regarda
furtivement derrière lui et esquissa un
sourire moqueur. Son compagnon s’était
habitué au confort des températures
modérées qu’offraient les Lowlands
écossais et l’Angleterre. Des flocons
couvraient ses cheveux bruns. Les
naseaux de sa monture exhalaient de
petites bouffées de buée.
Bien entendu, il avait insisté pour
emmener son valet, George Sweeny. Il
avait voulu s’entourer de deux
domestiques, mais Dirk s’y était opposé.
Il aurait été plus difficile de garantir le
passage sur une galère pour un si large
groupe.
— Je pensais que vous étiez un
Highlander, lança le guerrier.
— J’en suis un, en effet. Mais du Sud.
— Servez-vous de la capuche du
manteau.
Les tartans et les plaids que Lachlan
leur avait fournis s’étaient révélés utiles.
La laine qu’il avait remontée sur sa tête
retenait l’eau de la neige qui fondait, et
l’aidait à conserver la chaleur que son
corps produisait. En dessous, il portait
une partie d’armure en cuir clouée de
métal – on n’était jamais trop prudent
dans les Highlands –, et un tartan à
ceinture qui recouvrait ses hauts-de-
chausses.
Rebbie s’habillait en général comme
un Lowlander. Mais à présent, ils avaient
tous deux enfilé plusieurs couches de
vêtements, aussi bien des basses que des
hautes terres.
Le soir les rattrapait, et la température
chutait. Il leur fallait gagner Munrick
Castle avant la tombée de la nuit. Les
MacKay et les MacLeod avaient toujours
été alliés. Enfin, la plupart du temps. Il
espérait que le chef leur offrirait refuge
pour la nuit.
On s’était assurément passé le mot
dans le voisinage, nul ne devait ignorer
que l’héritier de son clan était mort
depuis plusieurs années et qu’un frère
cadet devait reprendre le titre. Dirk
n’était pas encore sûr de la manière dont
il expliquerait sa survie.
Durant cette absence de douze
printemps, il avait oublié combien le
climat pouvait être à ce point hostile dans
la région d’Assynt. La patrie des
MacKay, sur la côte nord, était quant à
elle encore plus rude.
Le sentier qui traversait les Highlands
ne pouvait contenir les chevaux et la
circulation pédestre que sur une file. Le
guerrier huma la fumée âcre de tourbe qui
s’échappait des chaumières des paysans
alentour. Que n’aurait-il pas donné à ce
moment précis pour être assis devant l’un
de ces feux incandescents ! Cette odeur,
mélangée à l’air humide émanant du
marécage non loin et aux plantes raidies
par le givre, créait une senteur qui
rappelait à Dirk son enfance.
À cette époque, il avait visité ces
contrées avec son père à quelques
reprises, car ils étaient en affaire avec les
MacLeod. En général, l’entente était
cordiale, mais la plupart des clans des
Highlands se montraient assez malins
pour ne pas nourrir une confiance absolue
envers leurs semblables.
Un mouvement devant eux attira son
attention. Qu’était-ce ? Pas un cerf. Il
avait cru voir passer un tartan l’espace
d’un instant. La furtive vision tourna en
remontant la colline et franchit de courts
buissons d’ajoncs. On se cachait derrière
ce bloc de roche.
MacKay s’arrêta et fit volte-face.
— Rebbie, dit-il à voix basse.
Quelqu’un rôde là-haut.
Son ami acquiesça. Ils descendirent
tous deux de leurs montures et sortirent
leurs épées.
— Tenez les chevaux, murmura le
comte à son valet. Mais s’ils sortent pour
se battre, venez nous aider.
George hocha la tête.
— Oui, milord.
Dirk n’entendait rien par-dessus le
souffle constant du vent.
— Qui va là ? cria-t-il. Je suis
MacKay, et je ne fais que traverser les
terres.
Pas de réponse. La canaille demeurait
tapie. Peut-être étaient-ils plusieurs.
S’agissait-il d’une embuscade tendue par
des bandits de grands chemins, ou des
hors-la-loi aux abois ?
Agrippant son arme, Dirk se faufila sur
le sentier, en s’efforçant de ne pas heurter
les cailloux. MacInnis le suivait de
quelques pieds.
Les bourrasques se renforcèrent,
sifflant au travers des branches d’ajoncs
et lui piquant la figure. Bien. Tous les
bruits qu’ils feraient seraient donc
couverts, surtout parce que son
compagnon et lui se trouvaient dans le
sens des rafales par rapport à quiconque
se tenait à l’affût entre les buissons et les
rochers. S’il pouvait s’approcher des
inconnus par surprise, il prendrait
l’avantage sur eux.
S’ils appartenaient au clan MacLeod, il
devrait les assurer qu’il était lui-même un
allié MacKay. Il pria qu’aucun conflit
n’ait éclaté entre les deux familles depuis
son dernier passage en ces lieux. Son
oncle n’avait pas mentionné la moindre
querelle dans sa missive, mais son
message n’avait toutefois abordé que
l’essentiel dans des termes concis.
Chaque pas menait Dirk un peu plus
près de la cachette. Il tenait son glaive
prêt à servir, pleinement conscient que
deux hommes ou plus pouvaient surgir à
tout moment.
Il arriva enfin à leur tanière et
contourna le bloc de roche à pas de loup.
Ne l’accueillirent là que de la bruyère
couverte de neige et des plantes basses.
Damnation, où étaient-ils passés ?
Il avança en rampant, descendant une
pente avant de contourner un buisson. Il
découvrit alors deux formes
recroquevillées et vêtues de mornes
tartans, l’une se tenant droite, adossée à
un énorme rocher, l’autre accroupie.
Il se figea, tout comme les inconnus.
Une jeune femme ? Un regard sombre
et féroce croisa celui du guerrier par-
dessous la capuche, mais ce visage était
incontestablement féminin, ainsi que la
tenue – une longue arisaid En dépit des
habits volumineux et encombrants de
l’étrangère, il distinguait la finesse de ses
épaules. Elle plissa les yeux, dans une
posture de défense. Il examina
furtivement ses mains, qu’elle cachait en
partie dans les replis de ses jupons, mais
ne manqua pas d’apercevoir l’éclat du
couteau qu’elle tenait fermement dans
l’un de ses poings.
Il riva son attention sur l’autre
silhouette. Elle appartenait au beau sexe
également, mais était plus vieille de
quelques années.
— Que diable… ? marmonna Rebbie
qui arrivait à côté de lui.
— Que faites-vous toutes les deux
dehors par ce temps ? demanda Dirk en
gaélique, d’un ton plus dur qu’il ne
l’avait souhaité.
Étaient-elles folles ? Le crépuscule
approchait, et la neige et le vent ne
feraient qu’empirer.
— Laissez-nous, répondit la jeune
femme d’une voix ferme.
Il échangea un regard confus avec son
ami. Ce dernier se posait sûrement la
même question que lui. Pourquoi se
trouvaient-elles là, loin de tout village, de
tout château et de toute ferme ?
— Il n’est pas prudent pour deux
dames d’errer de la sorte. Ignorez-vous la
présence de hors-la-loi et de voleurs dans
ces régions ?
Du moins, c’était le cas douze ans plus
tôt, et il supposait que les choses
n’avaient pas beaucoup changé depuis
lors.
— Nous ne vous importunons pas, et
n’avons pas besoin de votre aide. Il nous
reste peu de trajet avant d’atteindre notre
destination.
Dirk se sentait nargué et irrité par le
scintillement du poignard que la plus
jeune tenait. Elle avait indubitablement
peur d’eux.
Il rangea son glaive dans son fourreau.
— Et quelle serait cette destination ?
Nous avons traversé le dernier bourg
depuis un bon moment.
Et il s’était écoulé davantage de temps
depuis leur départ du donjon où ils
avaient dormi la nuit précédente.
— Cela ne vous concerne en rien.
Ah. Elle était donc de celles qui
avaient le verbe impertinent. Plus
intéressant encore, elle s’exprimait
comme une aristocrate des Highlands,
dans un dialecte de quelque endroit au
sud de cette région, mais assurément de
l’ouest des hautes terres. Il hocha la tête.
— Eh bien, je ne puis vous laisser ici à
la merci des éléments. Je vais vous
emmener avec votre compagne à Munrick
Castle. Les MacLeod vous porteront
secours.
— Non, répondit-elle sèchement en
faisant volte-face, aidant son amie – ou sa
bonne – à se mettre debout. Laissez-nous.
Nous ne sommes pas en difficulté.
— Nous ne vous voulons aucun mal,
milady.
Il observa sa réaction à l’emploi de ce
titre.
— Je vous remercie de nous offrir
assistance, mais nous n’en avons pas
besoin.
Elle ne releva pas l’appellation, elle
avait donc clairement l’habitude que l’on
s’adresse à elle en ces termes. Par
ailleurs, son élocution en disait long sur
son statut social. Et celui-ci impliquait
que Dirk ne pouvait l’abandonner sans
protection dans une tempête de neige.
Elle ne serait sûrement pas aussi
résistante au climat hostile que pouvait
l’être la domestique d’un fermier. Était-
elle la fille en fuite de quelque chef ?
— De quel clan êtes-vous issue ?
s’enquit-il.
— Est-ce important ?
— Certes.
Il préférait toujours savoir à qui il
avait affaire. Aider cette créature aurait
sans aucun doute des répercussions.
Le contour de ses lèvres et la courbe
de sa mâchoire donnèrent à Dirk une
impression de déjà-vu. Même s’il voyait
qu’elle avait les yeux foncés, il ne
pouvait en discerner précisément la forme
sous la capuche et la barrière que formait
sa frange de cheveux bruns. L’avait-il
déjà croisée auparavant ?
— Êtes-vous une MacLeod ? Une
MacKay ? insista-t-il.
Ces familles étaient les deux
principales dans la région. Mais si elle
venait d’une localité plus au sud, comme
l’indiquait son dialecte, impossible de
savoir d’où elle était originaire.
— Non, répondit-elle.
Pourquoi refusait-elle de révéler au
moins le nom de son clan ?
— Fuyez-vous quelqu’un ?
Elle se figea, le dévisageant de ses
yeux écarquillés. C’était donc cela. À qui
voulait-elle échapper, et pour quelles
raisons ?
Une brusque rafale de vent s’engouffra
dans sa capuche et la repoussa en arrière,
découvrant ainsi davantage ses traits et
ses longs cheveux bruns.
En effet, cette personne ne lui était pas
inconnue. L’avait-il rencontrée durant son
enfance ? La sensation qu’elle lui était
familière le tourmentait, assaillait les
recoins de son esprit.
— Je vous ai déjà vue, déclara-t-il.
Elle rabattit brusquement son vêtement
par-dessus sa tête, cachant une fois de
plus la majeure partie de sa figure.
— Non, je ne crois pas. Vous me
prenez pour une autre.
Un prénom vint soudain à l’esprit du
guerrier.
— Isobel ? risqua-t-il.
Elle recula de quelques pas, ses grands
yeux suspicieux scrutant le visage de
l’inconnu.
— Qui êtes-vous ?
Damnation, à présent, il se souvenait.
— Vous êtes Isobel MacKenzie, fille
du chef de votre clan.
À la fin de son quinzième printemps, il
était allé à Dornie avec son père et
plusieurs membres de son clan. Il l’avait
alors rencontrée. Les autres garçons
avaient tenté avec force niaiseries
d’attirer l’attention de la jeune femme.
Mais elle avait fait preuve d’indifférence
pour chacun d’entre eux, et n’avait pas
daigné dire plus de deux mots à Dirk
lorsqu’ils avaient été officiellement
présentés.
Même s’il dut admettre qu’elle était
ravissante, elle se révélait bien trop jeune
à l’époque pour qu’il lui trouve le
moindre attrait. De plus, sa mère et elle
étaient proches de Maighread, cette
parente par alliance qui avait tenté de le
tuer. Elles avaient parlé et ri pendant des
heures, et il avait appris que les deux
femmes mûres étaient amies depuis leur
tendre enfance. Il ne comprenait pas que
la personnalité de sa belle-mère pût
contenir deux facettes si opposées, ni
comment les gens parvenaient à lui faire
confiance.
Plus tard cet été-là, il avait été obligé
de quitter les siens.
Si belle qu’elle pût être, Isobel,
compte tenu de ses liens avec cette
créature diabolique, n’était guère plus
fiable qu’une vipère.
— Qui êtes-vous ? répéta-t-elle, d’une
voix plus exigeante.
— Mon nom est Dirk MacKay. Nous
nous sommes rencontrés il y a fort
longtemps chez vous, à Dornie.
Elle sourcilla, scrutant de nouveau le
visage du guerrier.
— Vous en souvenez-vous ? demanda-
t-il, sachant que la réponse serait
négative.
Mais une certaine part de lui-même
espérait le contraire.
— Vous avez grandi, dit-elle.
Elle ne l’avait donc pas oublié ? Il en
eut l’air abasourdi. Et même si c’était
probablement idiot, il se sentit flatté et
ému. Il se soupçonna de tenir pour
acquise l’idée que toutes les figures de
son passé l’avaient effacé de leur
mémoire. Presque comme s’il avait
réellement trouvé la mort douze ans plus
tôt, et s’était vu renaître dans la peau d’un
autre en partant s’installer ailleurs sous
un nom différent.
Et elle avait raison, il s’était étoffé. À
quinze ans, il n’était qu’un jouvenceau
grand et mince, à la carrure beaucoup
moins développée qu’à présent. Isobel
avait-elle été informée du complot
maléfique de Maighread contre lui ?
Avait-elle eu vent de son « trépas » ?
1 Robe écossaise. (NdT)
Chapitre 3

Isobel étudia le grand individu de large


carrure qui se dressait devant elle. Il
avait le regard intimidant d’un
Scandinave, surtout en sourcillant de cette
façon. Qui aurait pu deviner, lorsqu’elle
était sortie de la masure avec Beitris ce
matin-là, qu’elles croiseraient Dirk
MacKay à la tombée de la nuit ?
Il avait à ce moment précis la tête
protégée par une capuche couverte de
neige, mais elle se rappelait qu’il
arborait une chevelure blond-roux comme
ses ancêtres envahisseurs… s’il était
vraiment celui qu’il prétendait. Elle se
souvenait bien de lui quand il était jeune,
mais pensait qu’il avait péri depuis des
années, peu de temps après qu’elle l’avait
rencontré.
Comment une personne pouvait-elle
changer autant ? Il avait les épaules deux
fois plus larges qu’à l’époque. Il semblait
être un guerrier confirmé, elle n’en
doutait pas. Il était même vêtu d’une
pièce d’armure en cuir cloutée de métal
sous son manteau en laine. La garde de
son épée rutilait dans le fourreau qu’il
portait sur le côté. Lorsqu’il s’était
approché d’elle un peu plus tôt avec cette
lame létale dégainée, la jeune femme en
avait presque suffoqué de peur. Le
pommeau soigneusement poli d’une dague
ainsi que la crosse d’un pistolet
dépassaient également de sa ceinture et
scintillaient dans le crépuscule
approchant. Seuls les hommes riches
possédaient des armes aussi
impressionnantes. Bien entendu, en tant
que fils aîné de chef, il disposait
certainement de tout ce dont il avait
besoin.
Bien qu’elle l’eût déjà rencontré de
nombreuses années auparavant, comment
pouvait-elle savoir qu’il était toujours
digne de confiance ? Peut-être était-il
devenu un hors-la-loi depuis lors.
— Eh bien, puisque nous nous
connaissons, racontez-moi ce que vous
faites dehors par cet effroyable temps et
si loin de chez vous, lança-t-il.
Ce n’était pas une question. Il exigeait
une réponse. Mais elle n’était pas encore
prête à la lui fournir.
Selon les dernières nouvelles qu’elle
avait eues, les MacKay et les MacLeod
étaient alliés. Et si c’était encore le cas,
elle ne pouvait lui révéler ce qu’elle
avait fait à cette fripouille de Nolan qui
l’avait agressée. Dirk risquait de la
ramener de force jusqu’à Munrick. Après
tout, il avait prévu d’y dormir cette nuit-
là.
Même s’il avait rangé son arme, Isobel
n’était pas encore disposée à faire de
même. Elle avait les doigts presque figés
sur la poignée en os de sa dague.
Elle observa furtivement sa bonne
avant de se concentrer de nouveau sur le
guerrier.
— Vous n’avez pas à vous inquiéter de
cela. Nous sommes rompues au climat
des Highlands.
Même dans la lumière décroissante du
jour, les yeux pâles de MacKay la
transpercèrent. Ils étaient bleu clair, mais
dénués de douceur. Seuls des termes tels
que « pénétrant » et « incisif » pouvaient
qualifier son regard… y compris lorsque
l’homme souriait. Oui, elle se rappelait
parfaitement qu’un jour, il lui avait souri
et lui avait adressé quelques mots, mais
cela remontait à des lustres. Jadis, sa
timidité l’avait empêchée de formuler la
moindre réponse. La jeune femme avait
été à la fois captivée et impressionnée
par l’œil aiguisé qu’il portait sur elle. Il
dégageait par ailleurs une attitude
défensive. Chaque fois qu’elle l’avait
furtivement étudié dans la grande salle de
Teasairg Castle, la demeure familiale de
son clan, il avait jaugé en silence tous
ceux qui l’entouraient d’un air intelligent,
mais méfiant. Il l’examinait maintenant de
la même façon.
— Le climat ne s’améliore pas, et je
souhaiterais arriver à Munrick Castle
avant le crépuscule, maugréa Dirk. Les
MacLeod nous proposeront assurément le
gîte pour la nuit. Au nom de l’hospitalité
rituelle des Highlands. Nos clans se sont
toujours témoigné de l’amitié.
Par tous les saints ! La bonne d’Isobel
saisit le coude de sa maîtresse, et la fit
sursauter. La dernière chose qu’elle
pouvait décider était de retourner là-bas.
Mais comment éviter cela – et se
débarrasser de MacKay – sans éveiller
les soupçons ?
Il sourcilla plus intensément.
— Dès que je prononce le nom de
MacLeod ou de Munrick Castle, vous
semblez désireuse de vous enfuir.
Qu’avez-vous omis de me révéler ?
questionna-t-il sans ménagement.
— Nous ne pouvons aller là-bas. C’est
au nord d’ici. Et nous nous dirigeons vers
le sud.
Il plissa les yeux et l’observa un
moment.
— Vous en venez, n’est-ce pas ?
l’interrogea-t-il d’un ton calme, presque
compréhensif, auquel la fugitive ne s’était
pas attendue.
La plupart des hommes qu’elle
connaissait perdaient patience lorsqu’elle
n’exécutait pas leurs exigences ou ne leur
disait pas ce qu’ils souhaitaient entendre.
Même si elle n’était pas certaine de
pouvoir lui faire confiance, la voix
rugueuse et l’œil vif du guerrier l’y
incitèrent. Elle acquiesça, priant qu’il ne
la force pas à retourner là-bas.
— Que s’est-il passé ? s’enquit-il.
Elle secoua la tête. Elle ne se lancerait
dans ce récit pour rien au monde. Elle
ignorait quels rapports cet individu
pouvait avoir avec les MacLeod.
— Il est préférable que je n’en parle
pas.
Il soupira, puis leva le regard vers les
nuages bas et les flocons qu’ils
déversaient.
— Nous devons nous mettre à l’abri,
lady Isobel. Le crépuscule va bientôt
s’abattre sur nous. La neige tombe de plus
en plus et le vent se lève. Je n’ai pas le
temps de vous ramener jusqu’à Dornie.
J’ai reçu une missive. Mon père est
malade et mourant. Je dois me rendre en
hâte à Durness.
Elle sentit l’angoisse lui nouer
l’estomac en se remémorant les derniers
jours de son propre père trois ans
auparavant.
— Oh. Je suis désolée d’apprendre
cette nouvelle. Je ne vous retiendrai donc
pas.
Elle esquissa une révérence qui eût été
plus élégante si ses jambes n’avaient été
aussi raides et aussi endolories d’avoir
tant marché et d’avoir gravi les collines.
Il haussa un sourcil, son regard rusé se
posant sur la main endommagée et
douloureuse qu’elle tenait – elle s’en
apercevait à présent – près de sa poitrine
dans une position protectrice. Elle la
baissa pour la dissimuler de nouveau
dans ses jupons.
— Êtes-vous blessée ? demanda-t-il.
— Non.
Dieux du ciel, il ne devait pas
découvrir ce qui lui était arrivé. Et si
Nolan MacLeod comptait parmi ses amis
? Ils avaient presque le même âge.
— Pourquoi pensez-vous cela ?
l’interrogea-t-elle.
Il fit un pas vers elle. Elle bondit
impulsivement en arrière et leva la dague.
— Ne vous approchez pas de moi.
Il s’immobilisa et tendit lentement le
bras.
— Milady, vous savez fort bien que je
ne vous ferais jamais aucun mal. Posez
cette arme et laissez-moi examiner votre
main.
Il s’exprimait d’une façon qu’elle
trouvait encore trop exigeante à son goût.
Elle secoua la tête en signe de
dénégation, toujours méfiante vis-à-vis de
lui. Sa bonne s’agrippa à son bras, et
elles reculèrent doucement.
Il prit une profonde inspiration.
— Je ne vais pas vous laisser mourir
ici dans cette tempête de neige, gronda-t-
il.
— Et nous n’allons pas à Munrick avec
vous.
Elle s’efforça de ne pas laisser sa voix
chevroter.
Même s’il était assez fort pour la
lancer par-dessus son épaule et la
transporter comme un sac de farine s’il
l’avait voulu, elle ne céderait pas. En
outre, il avait du renfort. Son ami aux
yeux sombres qui se tenait à ses côtés
était aussi large de carrure, et presque
aussi grand que lui.
— Eh bien, soit, nous irons ailleurs,
annonça-t-il d’un ton plus aimable, mais
guère moins contrarié.
— Où ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas pour l’instant, mais
nous trouverons un endroit. Venez.
Elle jeta de nouveau un coup d’œil à
l’homme qui accompagnait MacKay. Il
était lui aussi l’incarnation du redoutable
guerrier, portant de hautes bottes en cuir
de belle qualité, des hauts-de-chausses
marron, un tartan et un manteau de laine.
Étant donné la richesse émanant de sa
tenue – une curieuse association de
Highlands et Lowlands –, il était peut-
être chef, ou membre de la noblesse.
Comptait-il parmi les alliés des MacLeod
? Les relations de ceux-ci s’étendaient
très loin.
— Voici Rebbie, un ami proche,
annonça Dirk. Il est également digne de
confiance.
Elle hésita.
— De quel clan est-il issu ?
— MacInnis.
Elle n’avait jamais rencontré personne
de ce clan, et ignorait complètement avec
qui celui-ci était en bonne entente.
— Milady, c’est un grand plaisir de
vous connaître.
L’homme aux cheveux bruns esquissa
une révérence appliquée comme s’ils
s’étaient trouvés à Holyrood Palace et
non au milieu d’une tempête de neige
dans les montagnes. Il était sûrement
propriétaire terrien, mais ne paraissait
guère offensé que son compagnon l’ait
présenté simplement par son prénom.
Elle tenta avec maladresse de
s’incliner devant lui, mais ses genoux
manquèrent de fléchir. Honteuse de se
montrer si faible, elle redressa ses
jambes. Il ne leur restait plus de pain
depuis le déjeuner, et elle sentait la faim
la tirailler plus qu’à l’accoutumée, surtout
en cheminant ainsi dans le froid.
Elle se crispa lorsqu’un autre individu
apparut derrière Rebbie. Combien
étaient-ils à voyager avec eux ?
— Voici mon valet, George, déclara
MacInnis.
Isobel fit un signe de tête, puis désigna
sa domestique.
— Et voici ma bonne, Beitris.
— Assez de civilités et de
présentations, intervint brusquement Dirk.
Avez-vous envie de mourir ici ?
— Non, répondit-elle, d’une voix
qu’elle espérait aussi cassante.
Elle n’appréciait pas plus que lui de se
trouver dans ces bourrasques neigeuses.
Mais elle ne voulait pas davantage rendre
son dernier souffle entre les griffes de
Nolan MacLeod ou quiconque du même
clan.
MacKay lui fit signe d’approcher.
— Vous pouvez monter sur mon cheval.
Nous n’irons pas à Munrick. Avez-vous
faim ?
— Milady, chuchota la servante. Il
vous faut manger.
— Vous aussi. Vous avez de la
nourriture en réserve ? demanda-t-elle à
Dirk.
— Oui.
Elle rengaina sa dague dans le fourreau
dissimulé dans la poche suspendue à sa
ceinture. Agrippées l’une à l’autre, les
deux femmes avancèrent en glissant sur le
sol mouillé.
— Je vais chercher les bêtes, dit
George.
MacKay acquiesça et offrit son bras à
Isobel. Soulagée que sa main valide soit
la plus près de lui, elle saisit donc le
coude imposant du guerrier. Même à
travers les couches de vêtements, ses
muscles fermes et bandés étaient visibles.
Elle dérapa de nouveau.
— Attention, murmura-t-il en l’aidant à
reprendre l’équilibre.
— Oui.
Beitris s’accrocha à l’autre coude de
sa maîtresse, ballottant d’un côté puis de
l’autre, ses chaussures de cuir
manifestement moins adhérentes encore
que celles de la lady.
— Je parie que vous avez les pieds
presque gelés, lança Dirk.
— Ils n’en sont pas très loin.
Elle s’étonna de l’inquiétude qu’il
manifestait. La plupart des hommes ne
prêtaient assurément aucune attention à
l’état de ses orteils.
— À quand remonte votre dernier
repas ? s’enquit-il.
— Quelques heures, mais je ne meurs
pas de faim.
La simple idée d’une collation fit
bruyamment gargouiller son estomac,
infirmant ainsi ses propos. Il était
toutefois vrai qu’elle n’aurait pas refusé
de manger.
Le sourcil arqué, il baissa les yeux sur
elle.
— Vous avez entamé une longue
traversée pédestre en emportant peu de
victuailles ?
— Nous avons épuisé ce que nous
avions.
La petite miche en tranches que Beitris
avait dérobée dans la cuisine n’avait pas
duré aussi longtemps qu’elles l’avaient
espéré.
— Et quand êtes-vous parties de
Munrick ?
— Hier soir.
Il hocha la tête.
— J’ai de la nourriture dans mon sac.
Lorsque George et Rebbie eurent
avancé les montures – deux larges
destriers, et un poney des Highlands de
plus petite taille –, Dirk lâcha Isobel pour
fouiller dans ses sacoches. Il tendit à
chacune des femmes un pain bannock.
— Je vous remercie, dit Isobel avant
de mordre dans la galette d’avoine plate.
Rien ne lui avait jamais semblé
meilleur que ce goût de riche farine frite
dans du beurre. Il la regarda se sustenter
en plissant le front. Gênée de déployer la
voracité d’un sanglier affamé, elle se
refréna et prit de délicates bouchées.
Même si elle ignorait pourquoi elle aurait
dû se soucier de ce qu’il pensait de ses
manières.
Quand elle eut terminé, il offrit un
second pain à chacune d’elles.
— Cela va-t-il vous aider à tenir un
peu le temps que nous soyons arrivés à
notre lieu d’hébergement ?
Elle acquiesça, ne sachant vraiment
pas de quel endroit il parlait. Peut-être
s’agissait-il de la même chaumière
délabrée où elles avaient dormi la nuit
précédente.
Lorsque leurs secondes rations ne
furent plus qu’un souvenir et qu’elles se
sentirent rassasiées, Dirk reprit :
— Bon. Prêtes à grimper ?
— Je suppose, répondit-elle,
consciente qu’elle n’irait pas bien loin
dans ses bottes sans tomber. Et encore
une fois, merci pour la nourriture.
— Je vous en prie. Si vous avez soif,
vous devrez manger de la neige jusqu’à
ce que nous ayons atteint un ruisseau.
— Eh, nous avons déjà eu notre content
d’eau glaciale.
Il s’approcha d’elle et la souleva pour
l’installer sur la selle. Elle fut
déséquilibrée un instant d’être portée
dans les airs avec une telle rapidité. Elle
s’empara des rênes et ajusta sa position.
— Maîtresse, dit George à Beitris.
Vous pouvez monter mon poney si vous le
souhaitez.
— Vous recevrez une prime pour votre
générosité, mon brave, lui annonça
MacInnis.
Le jeune homme sourit.
— Ce n’est pas nécessaire, milord.
Ah, ah ! ce Rebbie était donc un noble.
Pourquoi ne l’avaient-ils pas présenté en
tant que tel ? Que cachaient-ils ?
— Tenez-vous à la selle, conseilla
Dirk à Isobel.
Elle hocha la tête et agrippa le cuir de
sa main valide. Elle couvrit celle qui était
blessée de son arisaid. Elle lui semblait
presque gelée, mais l’air glacial avait
d’une certaine façon atténué la douleur.
Dirk mena le cheval à pied sur le
sentier neigeux.
— Je ne comptais pas prendre votre
monture, déclara-t-elle, levant la voix
pour être audible par-dessus la rafale de
vent.
— Ce n’est pas le cas, cria-t-il en
retour.
Elle l’observa de dos : un guerrier
imposant et redoutable. Certes, elle ne
l’avait pas reconnu au départ, tant il avait
foncièrement changé, mais elle se
rappelait à présent avec précision ce
qu’elle avait ressenti la première fois
qu’elle avait regardé dans ses yeux bleus,
si féroces et intenses. Il avait même paru
ennuyé à ce moment-là.
À quinze ans, il l’avait intriguée –
effrayée, aussi. Désormais, puisqu’il
déployait la puissance d’un homme, il
était encore plus intimidant. Mais elle ne
pensait pas qu’il lui veuille du mal. Il
était clair que cet homme n’avait pas
l’âme aussi glaciale que son expression,
ou il aurait laissé la fugitive mourir de
froid dans la neige.
— Avez-vous des suggestions quant
aux lieux où nous pourrions passer la
nuit, au sud de Munrick ? demanda-t-il.
— Il y a une hutte de fermier
abandonnée.
Il se retourna, et l’observa en
sourcillant.
— Vous plaisantez.
Elle secoua la tête. Était-il surpris
qu’une lady, fille et sœur de chefs, puisse
abaisser ses exigences à ce point ? Peut-
être se figurait-il, comme beaucoup
d’autres, qu’elle n’était qu’une dame
gâtée qui céderait à un accès de colère si
elle ne couchait pas dans la plus élégante
des pensions.
— Est-ce l’endroit où vous avez dormi
hier soir ? s’enquit-il.
Elle ne voulait pas qu’il en sache
davantage la concernant, mais chaque fois
qu’elle ouvrait la bouche, elle révélait
une autre information dont il pourrait se
servir contre elle. De plus, il était rusé et
astucieux. Même si elle ne lui dévoilait
pas tout, il déduirait probablement le
reste.
Toutefois, il leur fallait trouver refuge
pour la nuit. En dehors de Munrick Castle
ou d’une chaumière dans le village, ils
n’auraient nulle part où loger. Elle ne
pouvait montrer son visage dans le bourg.
Les MacLeod avaient certainement visité
toutes les maisons à l’heure qu’il était, et
les habitants seraient plus que ravis de la
livrer au frère du lord. Le crime de celui-
ci importait peu ; Isobel était l’étrangère.
— La hutte n’était pas si terrible. Nous
avons fait un feu dans la plus petite pièce,
qui était davantage confinée et nous
abritait mieux du vent.
— Ah. Si elle était si confortable,
pourquoi cette masure n’est-elle pas
occupée ?
— Eh bien, il y a ce léger problème de
toit, dont il manque la moitié.
— Pourquoi ne suis-je pas surpris ?
marmonna-t-il. Et combien de temps nous
faut-il pour retourner là-bas ?
— Je ne sais pas vraiment. Nous
sommes parties tôt ce matin.
Mais elles s’étaient également perdues
avant l’aube et avaient cheminé dans la
mauvaise direction durant un long
moment. Dès qu’elle avait pris
conscience qu’elles voyageaient vers
l’est au lieu du sud, elles s’étaient vues
contraintes de revenir sur leurs pas. Par
ailleurs, elles avançaient lentement,
compte tenu des problèmes de genoux et
de hanche dont souffrait Beitris.
MacKay menait sa bête agile en haut
d’un col passant entre de gigantesques
montagnes de granit. La neige tombait à
plus gros flocons, et le vent faisait
vaciller les marcheurs avec une force
toujours plus cinglante. Lorsqu’ils furent
descendus de l’autre côté, Dirk marqua
une pause.
— Nous pouvons progresser plus vite
en montant tous à cheval, cria-t-il à
George dans son sillage. Pensez-vous
pouvoir vous installer derrière moi, sur
mes couvertures ?
Elle acquiesça, décontenancée
l’espace d’un instant d’imaginer cet
homme assis entre ses cuisses. Elle
n’avait d’autre choix que voyager à
califourchon si elle ne voulait pas tomber.
Mais il s’agissait de l’animal de MacKay,
et ce dernier se montrait généreux en le
mettant à la disposition de la jeune
femme. S’appliquant à ne pas
endommager davantage sa main, elle se
glissa prestement sur le rouleau moelleux
de couvertures en laine attaché à l’arrière
de la selle.
— Si vous pouviez vous reculer d’un
pouce, je grimperais sans risquer de vous
donner un coup de pied, lui dit-il.
Lorsqu’elle se fut exécutée, il lança sa
jambe et se hissa gracieusement sur le
siège de cuir.
Dès que les deux domestiques eurent
procédé de même, ils avancèrent tous à
meilleure allure sur le sol plus plat. Le
cheval trottant ballottait Isobel, mais de
sa main valide, elle se tenait à l’épaule
solide comme le roc de Dirk.
Elle fut saisie d’un instant de panique à
la seule pensée de repartir vers le nord et
de se rapprocher du clan de Nolan, mais
en vérité, Beitris et elle-même avaient
besoin d’aide. Elle n’avait pas la
moindre idée de l’endroit où elles
auraient dormi si MacKay et ses
compagnons ne s’étaient pas retrouvés sur
leur route.
— Vous êtes ami avec les MacLeod,
n’est-ce pas ? l’interrogea-t-elle.
Il haussa une puissante épaule avant de
la faire retomber.
— Nos clans sont alliés aux dernières
nouvelles que j’en ai eues, mais je ne suis
pas revenu dans les environs depuis
plusieurs années.
Peu après, elle se détendit légèrement.
S’il n’entretenait pas de relations étroites
avec le chef et son frère, peut-être ne
l’obligerait-il pas à retourner dans cet
épouvantable château.
— Les MacKenzie et les MacLeod
sont-ils désormais en bonne entente ?
s’enquit-il.
— Je suppose.
Cela faisait partie du contrat de
mariage ; des échanges de terres, ainsi
que la paix. Mais elle ignorait les
problèmes que sa fuite engendrerait. Dès
que son frère Cyrus aurait pris
connaissance de son agression, il serait
furieux. Elle le supplierait de ne pas
riposter. Cette affaire ne valait pas d’y
perdre la vie.
Elle pria également pour qu’il ne la
force pas à repartir là-bas. Il se souciait
de son sort, mais ne nourrissait pas une
compassion ni une indulgence égales à
celles de leur père. Il voulait qu’elle
mûrisse et prenne ses responsabilités, ce
qui signifiait épouser le laird qu’il
désignerait, quel qu’il fût.
Le vent soufflait de plus en plus
violemment autour d’eux. Dirk se tourna.
— Avez-vous assez chaud ?
— Oui.
Installé si près d’elle, il la protégeait
presque complètement des rafales venues
du nord. Elle se demanda comment elle se
sentirait, blottie contre lui sous le
manteau en toison de laine. Bien au chaud
grâce à la température confortable que le
guerrier dégageait – elle en était certaine.
Cette pensée suffit à éveiller des
picotements en elle. Elle n’avait pas joui
d’un tel bien-être depuis fort longtemps.
Il ne lui était jamais arrivé de se
pelotonner auprès d’un homme pour sa
chaleur, ni de trouver cette perspective
aussi séduisante qu’à cet instant précis
avec Dirk.
Juste avant que la tombée de la nuit
n’accapare les dernières lueurs du jour, la
hutte leur apparut.
— La chaumière abandonnée est là,
annonça-t-elle en la pointant du doigt.
— Ah. Je vois à présent pourquoi elle
est inhabitée, répondit sèchement
MacKay.
Il était vrai que le toit se trouvait en
piteux état, mais la jeune veuve éprouvait
à présent une curieuse affection pour la
vieille construction.
— Elle nous a fourni un abri décent
pour la nuit, et personne ne savait que
nous étions là.
— Vous vous cachiez, donc ?
Un frisson d’alerte la parcourut.
— Pour ainsi dire, rétorqua-t-elle avec
précaution. Nous ne souhaitions pas
attirer l’attention de hors-la-loi.
Ou de quiconque connaissant les
MacLeod.

Nolan massa doucement du bout des


doigts l’énorme bosse que cette chienne
de MacKenzie lui avait infligée sur la
tête. La nuit précédente, il s’était réveillé
dans une mare gluante de son propre sang.
Maudite créature !
Heureusement, il avait réussi à quitter
la chambre de celle-ci avant que qui que
ce soit ne le découvre assommé. La
dernière chose dont il avait besoin était
que son frère ou son irritante et
envahissante épouse soupçonnent les
motifs de sa présence dans cette pièce.
Isobel MacKenzie était un morceau bien
appétissant dans lequel il aurait
volontiers enfoncé ses crocs. Par ailleurs,
elle se croyait supérieure à tous les
autres, y compris lui. Il voulait lui
montrer que rien ne justifiait chez elle
cette suffisance. Certes, elle était
comtesse, mais uniquement parce qu’elle
avait épousé un vieux noble décrépit.
Les domestiques ayant découvert le
sang dans les appartements de la veuve
supputèrent qu’il s’agissait du sien, et
qu’elle avait disparu dans de
mystérieuses circonstances. Ils avaient
donné l’alarme et les gardes s’étaient
lancés à sa recherche. Personne ne l’avait
trouvée pour l’instant. Certains pensaient
qu’elle était sortie en titubant et avait fini
par se noyer dans le lac. D’autres
auraient parié leur dernière bouteille de
scotch qu’un inconnu s’était introduit,
l’avait frappée sur la tête puis enlevée,
étant donné sa beauté.
Où était-elle passée ? Elle avait dû
s’enfuir au cours de la nuit.
Nolan avait fait croire qu’il avait trop
bu de whisky la veille avant de perdre
conscience dans la chambre vide de son
aîné.
Après avoir repris ses esprits et avoir
nettoyé le sang dans ses cheveux, il avait
envoyé d’autres membres de son clan
retrouver la jeune femme et la bonne de
celle-ci. Personne au village ne les avait
vues cette nuit-là ni le lendemain matin.
Comment avaient-elles pu simplement
s’évaporer ?
Quelle importance ? Une tempête de
neige et un vent glacial s’étaient levés
peu après. Il espérait que cette petite
sorcière succomberait au froid. Elle ne
méritait que cela après l’avoir laissé pour
mort.
Il n’avait jamais vu une fille se
défendre comme elle l’avait fait. Son
épouse ne s’y risquerait assurément pas,
ou il la frapperait jusqu’à ce qu’elle
s’effondre. Mais cette Isobel se prenait
pour une reine. Elle croyait avoir le droit
de faire tout ce qu’elle voulait.
Manifestement, son père et son frère ne
l’avaient jamais disciplinée.
Si elle reparaissait en ces lieux, elle
lui causerait toutes sortes de problèmes.
Elle raconterait peut-être à Torrin qu’il
avait essayé de la violer. Non que celui-
ci la croie.
Toutefois, il ne se réjouirait guère de la
disparition de sa promise. Que ferait-il ?
Et quand serait-il de retour ?
Le lendemain, Nolan enverrait l’un des
hommes du clan à Lairg, pour informer
leur chef des événements. S’il ne
procédait pas ainsi, son attitude
éveillerait les soupçons.
Il n’allait certainement pas braver une
tempête pour la retrouver. Et la fugitive
ne se montrerait jamais plus dans ce
château, sauf si son frère la forçait à y
retourner.
Le jeune MacLeod se contenterait de
jouer au cadet serviable et inquiet. Et
s’ils mettaient un jour la main sur cette
sale traîtresse, il se vengerait.
Chapitre 4

Arrivé à la chaumière dont la neige


avait recouvert le toit délabré, Dirk
bondit au sol. Il ne parvenait pas à croire
qu’Isobel et sa bonne avaient dormi là la
nuit précédente. Si tout cela était vrai,
elle avait dû vouloir se cacher à tout prix
de quelqu’un. Dans quel genre d’ennuis
s’était-elle enlisée à Munrick ?
La masure en pierre semblait
menaçante dans le crépuscule, avec son
entrée plongée dans l’obscurité, et sa
couverture de chaume à demi affaissée ou
envolée. Elle offrirait une faible
protection contre la tempête et le vent qui
soufflait en rafales latérales, piquant la
figure et les yeux du guerrier.
Il se retourna, prit la jeune dame par sa
taille étroite et l’aida à descendre. Elle se
sentait si fragile et si petite entre ses
mains ; elle mesurait en effet presque un
pied de moins que lui. Une couche de
flocons s’étalait sur le tartan en laine
qu’elle avait sur la tête.
— Comment allez-vous ? s’enquit-il.
— Bien. Mais j’ai hâte de me mettre un
peu au chaud, répondit-elle dans un
frisson.
— Certes, lança-t-il avant de porter
son attention vers Rebbie, qui avait quitté
sa monture et se tenait non loin d’eux.
Milady me dit qu’elle est restée ici la nuit
dernière. Nous pouvons rentrer les
chevaux avec nous à l’abri du vent.
Par chance, l’embrasure paraissait
assez large et assez haute pour laisser
passer leurs bêtes.
MacInnis acquiesça, même s’il n’avait
pas l’air spécialement enthousiaste vis-à-
vis de la masure. À la vérité, ils avaient
séjourné dans des logements pires que
celui-ci quand ils avaient combattu en
France, dormant parfois sans toit au-
dessus de leurs têtes. Mais il ne faisait
pas aussi froid qu’à cet instant.
— Je vais d’abord inspecter les lieux
pour m’assurer qu’ils sont déserts,
annonça Dirk.
George apporta l’une des lanternes et
aida le guerrier à explorer la masure à
deux pièces. Constatant qu’elle était vide
et qu’il ne se dissimulait rien derrière
elle à part des buissons, ils rejoignirent le
reste du groupe.
Dirk offrit son bras à Isobel pour lui
épargner de glisser sur la neige.
À travers les couches de lin et de laine,
la main de la veuve posée au creux de son
coude lui sembla menue et légère,
presque comme si elle eût craint de le
toucher. Quelque chose en lui voulait
apaiser les inquiétudes de sa compagne.
Mais au-delà de l’aider à trouver un
refuge, il ne souhaitait rien avoir à faire
d’autre avec elle, étant donné la
proximité de cette femme avec sa belle-
mère. Quelque problème qu’elle se fût
attiré à Munrick, cela ne faisait
qu’amplifier la menace qui l’entourait.
MacKay sentait – non sans une certaine
irritation – que son corps indiscipliné se
trouvait en haute alerte en présence de la
fugitive… parce qu’elle appartenait au
beau sexe. C’était la seule raison. Elle se
révélait même plus jolie que dans leur
jeunesse, et déployait des courbes
indubitablement plus généreuses. Se la
figurer chevauchant à califourchon
derrière lui fit surgir des pensées
libidineuses dans son esprit… Des
pensées qui n’avaient pas leur place en
ces circonstances. Sa beauté importait
peu, il ne s’engagerait dans aucune sorte
de relation avec cette créature.
Ils pénétrèrent tous les cinq dans la
misérable hutte. Isobel se munit de sa
lanterne et franchit l’entrée.
— Nous nous sommes aperçues que
cette petite pièce était beaucoup plus
chaude.
Tout le monde la suivit.
— Elle est en effet mieux protégée,
convint Dirk.
— Nous avons brûlé presque tout le
petit bois hier soir. Mais il me reste deux
briques de tourbe.
Il hocha la tête.
— Il nous en faudra peut-être
davantage. La nuit sera longue et le vent
est glacial.
— Y a-t-il un village non loin d’ici ?
s’enquit Rebbie.
La veuve écarquilla les yeux, hésitante.
— Euh, oui. Au nord, juste après le
tournant. Mais il n’y a pas d’auberge.
— N’en soyez pas contrariée, milady.
Avec une aussi splendide pension que
celle-ci, pourquoi voudrais-je dormir
dans une hostellerie ? plaisanta MacInnis
en clignant de l’œil, avant de se tourner
vers son valet. George, j’ai besoin que
vous alliez au bourg acheter de la tourbe
sèche, de l’avoine pour les bêtes, et du
pain frais si vous en trouvez.
Il fit tomber quelques pièces d’argent
dans la main du jeune homme.
— Oui, milord.
Le serviteur esquissa une furtive
révérence et se dirigea vers la porte.
— Ne dites pas un mot au sujet de ces
dames, ajouta Dirk, espérant calmer les
angoisses d’Isobel. Et assurez-vous que
personne ne vous suive au retour. Si l’on
vous le demande, vous travaillez pour les
MacKay.
Le domestique acquiesça et se retira en
hâte.
— Maintenant, George travaille pour
vous. Pfff, me voilà abasourdi, déclara le
comte.
Rien ne lui plaisait davantage que de
décontenancer les autres, surtout ses
amis. Et à présent que Lachlan n’était
plus dans les parages, Rebbie infligeait
ses taquineries au guerrier.
Ce dernier lui adressa un air narquois.
— Je vous aiderai à le payer lorsque
nous aurons atteint Durness. Il nous a été
d’un grand secours à vous et moi pour
prendre soin des chevaux et faire des
courses.
— Insensé. Nous sommes engagés
ensemble dans cette palpitante aventure.
MacInnis se frotta les mains et souffla
dessus.
Isobel ébaucha un sourire ténu, son
regard allant et venant entre les deux
hommes. Mais elle conservait sa main
dans une position protectrice. Dirk devait
découvrir de quoi elle souffrait, et tout ce
qui lui était arrivé. Pourquoi ne lui
faisait-elle pas assez confiance pour le
lui révéler ? Il détesterait avoir à lui
soutirer des informations. Par ailleurs, il
n’avait jamais très bien su comment s’y
prendre avec les femmes. À dire vrai, il
était trop direct pour les manipuler par le
charme, comme Rebbie et Lachlan.
— Vous disiez avoir de la tourbe ?
demanda-t-il à la fugitive.
— Oui.
Elle sortit les deux légères briques
d’herbe sèche de son arisaid.
— C’était malin de votre part de
penser à emporter cela.
Il les récupéra, et entreprit de
constituer un petit tas de paille et de
tourbe au centre de la pièce, à l’endroit
où Isobel avait elle-même fait un feu la
veille.
Après avoir enflammé les
combustibles, il explora la partie
principale de la hutte, rassemblant
davantage de chaume sec. Il ne restait
presque rien d’autre.
— Je vais faire entrer les montures,
annonça MacInnis en contournant son ami
pour s’aventurer dans la tempête de
neige.
MacKay acquiesça d’un signe de tête,
puis retourna dans la plus petite pièce où
il empila ses trouvailles à côté du foyer
improvisé. La jeune lady se rapprocha
timidement de la flambée, les bras
croisés sur sa poitrine.
— Avez-vous froid ? s’enquit-il.
— Pas trop.
Il jeta un coup d’œil à l’embrasure
ouverte qui laissait le vent gelé
s’engouffrer à l’intérieur. Ils auraient bien
du mal à réchauffer ce refuge sans
pouvoir en obturer l’entrée. L’une des
épaisses couvertures en laine de Dirk
servirait peut-être à empêcher la majeure
partie de l’air de s’infiltrer.
Rebbie avait fait pénétrer son cheval
dans la grande pièce. MacKay retira sa
selle et son équipement de couchage
contenant le plaid qu’il utiliserait comme
cloison de fortune. De retour dans la
petite chambre où se trouvaient les deux
femmes, il combla à l’aide du tissu les
fissures entre les pierres situées au-
dessus de l’encadrement de la porte. Il
enfonça deux cailloux pour maintenir la
couverture fermement en place.
— Voilà. Cela devrait nous aider à
avoir un peu plus chaud.
— Quelle brillante idée, déclara Isobel
d’un ton enjoué. Je regrette que nous
n’ayons pas disposé d’un épais rideau
comme celui-ci la nuit dernière.
Il hocha la tête, agacé à l’idée qu’elle
ait presque gelé durant son sommeil. Il
était regrettable qu’il ne se soit pas
trouvé dans les environs à ce moment-là
pour l’aider.
Il se rappelait la jeune fille hautaine et
gâtée qu’elle était douze ans plus tôt, et la
façon dont elle avait méprisé son clan.
Mais les habits qu’elle portait à présent
n’étaient plus aussi somptueux et élégants
qu’à l’époque. Son arisaid était criblée
de trous de mite. Affrontait-elle une
période difficile ? Ou sa tenue faisait-elle
partie d’un déguisement destiné à
dissimuler ses nobles origines ? Il devait
lui poser de nombreuses questions, et
espérait qu’elle baisserait suffisamment
sa garde pour y répondre avec honnêteté.
— Milady, votre main est-elle blessée
?
Elle regarda par terre.
— Je ne vous ferai aucun mal, ajouta-t-
il. Mais il vous faut me dire la vérité si je
dois vous porter secours.
— Oui, elle est endommagée, avoua-t-
elle doucement.
Il s’approcha, et tendit le bras vers
elle.
Qu’avait-il l’intention de faire ? La
jeune veuve le dévisagea avec méfiance.
Puis elle mit sa main valide dans celle du
guerrier.
— Laissez-moi examiner l’autre,
mademoiselle, dit-il d’une voix profonde
et lénifiante. Je dois connaître la nature
de votre plaie.
Même si Beitris se reposait de leur
éprouvant voyage, recroquevillée dans un
coin, Isobel eut presque l’impression
d’être seule avec Dirk. L’intimité
imprégnant l’atmosphère était
étrangement palpitante.
Il baissa la capuche couverte de neige
de son manteau, révélant ainsi ses longs
cheveux roux dans la lueur du feu. La
première fois qu’elle l’avait vu, elle
s’était demandé si la couleur incendiaire
de sa crinière reflétait son tempérament.
Même s’il était déjà grand pour son âge à
quinze ans, il arborait à présent une
carrure autrement plus imposante, avec
des épaules d’une largeur
impressionnante. Il était mince autrefois,
voire maigre. Désormais, il avait les bras
gorgés de muscles, comme le reste de son
corps, sans aucun doute. Elle avait
entendu une rumeur qui le prétendait mort
dans un accident, mais cette histoire
n’était à l’évidence pas plus véridique
que les autres fables colportées dans la
région.
— Je ne vous ferai pas souffrir
volontairement. Me croyez-vous ?
Son regard bleu pâle la cloua sur
place.
— Oui, répondit-elle en s’efforçant de
stabiliser sa voix.
Elle vit dans ses yeux plissés une
intelligence mêlée de ruse. Elle craignait
qu’il ne décèle le moindre mensonge
qu’elle tenterait de raconter. Elle priait
seulement qu’il ne révèle pas son identité
aux MacLeod. Puisqu’il avait précisé au
domestique de ne pas évoquer la
présence des deux femmes, il était
vraisemblablement digne de confiance.
Rebbie et lui semblaient honorables.
— Laissez-moi voir, proposa-t-il en
remuant les doigts.
Elle céda, et plaça sa main blessée
dans la large paume de Dirk. En
l’examinant, il la serra un peu trop fort,
provoquant ainsi une vive douleur. Isobel
prit une inspiration chuintante dans un
brusque mouvement de recul.
— Pardonnez-moi, dit-il en desserrant
sa prise sans la lâcher. Qu’avez-vous fait
pour que votre main soit dans cet état ?
Elle se mordit la lèvre, son esprit
repassant en boucle le souvenir du bâtard
qui l’accostait. Elle n’avait jamais
imaginé devoir un jour se défendre d’un
imposant guerrier ; elle s’y serait mieux
préparée, dans ce cas.
Dirk fit doucement glisser le bout de
son pouce et de son index le long du
majeur de la jeune femme.
— Il est gonflé. Oh, il est cassé, non ?
Comment est-ce arrivé ?
Il sourcilla, l’air troublé.
Elle se sentait trop épuisée pour
inventer un récit convaincant. Mais
dévoiler la vérité au sujet de Nolan
engendrerait simplement davantage de
questions.
Dirk riva les yeux sur le profil de la
fugitive, et son expression inquiète céda
la place à un regard noir. Il l’incita à
tourner sa figure vers la lanterne en la
prenant par le menton.
— C’est un sacré bleu que vous avez
là, lady Isobel. Qui vous a frappée ?
demanda-t-il fermement.
Elle secoua la tête. Ils n’avaient pas
encore quitté le territoire des MacLeod.
Ils n’étaient même pas encore passés
devant le château en revenant sur leurs
pas.
— Êtes-vous en danger ? s’enquit-il
dans un chuchotement en se rapprochant
d’elle.
Elle acquiesça à contrecœur, priant de
pouvoir se fier à lui.
— À cause de… ?
— Vous auriez dû me laisser où vous
m’avez trouvée. Maintenant, vous êtes
impliqué dans mes ennuis.
Le dernier de ses souhaits était que
l’on s’en prenne à lui parce qu’il l’avait
aidée.
— C’est absurde, gronda-t-il. Je
n’abandonnerais jamais une femme là-
dehors, qu’il s’agisse ou non d’une dame.
Savez-vous que votre père me ferait
noyer et écarteler si je ne vous avais pas
secourue ?
— J’en doute. Il est mort il y a trois
ans.
Même si cet événement était lointain,
elle avait la gorge nouée par une
profonde et douloureuse peine dès qu’elle
pensait au vieil homme.
MacKay fronça les sourcils.
— Je suis désolé de l’apprendre.
Toutes mes condoléances.
Il réduisit son intonation à un murmure
rocailleux. Elle eut réellement
l’impression qu’il comprenait son émoi.
— Je vous remercie. Et je suis navrée
de savoir que votre père est souffrant. Je
ralentis votre voyage.
— Non. Nous dormirons quelques
heures avant de poursuivre notre route
vers Dunnakeil.
Elle se rappelait le nom du château de
son clan, mais ne s’y était jamais rendue.
Elle ne souhaitait pas non plus continuer à
voyager plus au nord pour l’instant. Elle
avait plutôt besoin de retourner à Dornie,
dans la demeure qui l’avait vue grandir…
et abritait désormais le foyer de son frère.
Il serait furieux d’entendre que Nolan
MacLeod l’avait attaquée et amenée à
s’enfuir. Il comprendrait assurément
qu’elle ne pouvait pas rester là-bas.
Cyrus, de cinq ans son aîné, était un rude
combattant doublé d’un chef exigeant qui
revendiquait l’obéissance. Mais il
protégeait les siens.
— Nous devons nous occuper de votre
doigt, déclara-t-il en lui lâchant la main.
Quand a-t-il été cassé ?
— Hier soir.
Il esquissa un bref hochement de tête.
— J’ai remis en place des os fracturés
par le passé. Mais ils étaient tous bien
plus gros que votre majeur.
Elle tint sa main près de sa poitrine
dans un geste défensif, imaginant la
souffrance qu’il aurait à lui infliger pour
effectuer cette manœuvre. Mais elle
savait qu’il faudrait en passer par là si
elle voulait un doigt de nouveau droit. Sa
bonne avait fait une tentative la nuit
précédente, mais s’était révélée
incapable de poursuivre devant les cris
de souffrance d’Isobel. À vrai dire, la
jeune veuve avait peu dormi en raison de
sa blessure.
Dirk se dirigea vers l’embrasure de la
porte.
— Vous reste-t-il du whisky ?
demanda-t-il à Rebbie dans l’autre pièce.
— Certes.
MacKay revint et tendit à la fugitive
une coûteuse flasque en argent.
Elle secoua la tête.
— Je n’aime pas cela.
— C’est pour la douleur. Votre doigt
est enflé, et sera plus difficile à soigner
qu’il ne l’aurait été juste après avoir été
cassé. Pourquoi votre domestique ne s’en
est-elle pas aussitôt occupée ?
— Elle a essayé, mais n’y connaît rien
dans ce domaine. Son travail est de servir
une lady.
— J’aurai besoin d’une attelle pour
maintenir l’os en place une fois que je
l’aurai redressé. Pendant que j’en
fabrique une, vous avalez ce whisky.
Faites-moi confiance, cela vous aidera à
endurer la douleur.
Il se tourna vers la bonne et ajouta :
— Faites en sorte qu’elle le boive.
La servante acquiesça et se leva pour
exécuter son ordre tandis qu’il sortait.
Comme il était aisé de détourner
l’allégeance de cette vieille femme quand
on avait un beau visage et une voix
autoritaire.
— Je n’ai pas besoin que vous me le
versiez au fond de la gorge, Beitris. Je
suis parfaitement en mesure d’ingurgiter
de l’alcool.
Même si, pour elle, le goût de ce
spiritueux était le plus intolérable de tous,
y compris lorsqu’il était dilué avec de
l’eau. Elle préférait largement le vin
chaud.
— Vous feriez mieux d’écouter ce bon
monsieur. Il sait de quoi il parle. Vous ne
pouvez vous figurer à quel point vous
allez souffrir quand il va remettre votre
os droit.
Isobel ressentit une soudaine épouvante
qui manqua de l’étourdir.
— Je vous remercie pour ces paroles
rassurantes. Vous savez vraiment
comment apaiser quelqu’un, déclara
sèchement sa maîtresse, avant de prendre
une première et fougueuse gorgée.
Elle sentit le whisky effectuer un trajet
brûlant de sa bouche à son estomac, puis
suffoqua. Peut-être cela lui réchaufferait-
il également le sang.
Si elle en consommait trop, impossible
de dire ce qu’elle finirait par faire ou
révéler. Elle ne supportait pas les alcools
forts.
Dirk sortit de la hutte, muni de la
lanterne et suivi de son compagnon.
Il plissa les yeux pour affronter la
neige tourbillonnante, puis cria à
MacInnis :
— Aidez-moi à trouver deux bouts de
branche, petits, mais assez solides pour
improviser une attelle.
Une chose était certaine : le bois était
rare dans ces parages. MacKay repéra un
pied d’ajoncs et d’autres buissons près
d’un mince ruisseau, et se dirigea vers
eux.
Son ami le rejoignit et marcha à son
rythme, puis tira sur la capuche en laine
par-dessus sa tête.
— La connaissez-vous bien ?
— Ni plus ni moins que je ne le
souhaite. Sa mère était la meilleure amie
de ma belle-mère.
— Cette même femme qui a tenté de
vous faire tuer ?
— Eh oui, la seule et unique.
— Cela ne veut pas dire qu’Isobel est
proche d’elle.
— Certes, mais je ne lui fais
absolument pas confiance.
Il s’inquiétait de sa sécurité et voulait
savoir qui lui avait fait du mal, mais cela
ne signifiait en rien qu’il l’estimait fiable.
— Mais vous devez admettre qu’elle
est ravissante.
Le large sourire tout en dents de
Rebbie était visible, même dans la faible
lueur de la lanterne qui se reflétait dans la
couche de neige au sol.
Dirk renâcla, parcouru d’un sentiment
d’irritation. Son compagnon était-il attiré
par la fugitive ? Bien entendu. Et en
général, il attrapait toujours dans ses
filets les créatures qu’il désirait. Il ferait
mieux de ne pas toucher à celle-là.
— Voyons, insista Rebbie d’un ton
traînant. Elle est adorable. Sans mentir.
— J’ai des yeux, rétorqua sèchement le
guerrier. Mais la beauté n’égale pas
l’honneur ni la bienveillance.
— Vous estimez qu’elle ne possède
aucune de ces deux qualités ? l’interrogea
MacInnis comme s’il souhaitait
réellement connaître la vérité.
MacKay leva les yeux au ciel.
— Je n’en ai pas la moindre idée. Mais
elle est proche de Maighread Gordon, la
fille du démon.
— Votre belle-mère ?
— Évidemment !
— Je ne me souvenais pas de son nom,
grommela le comte. Vous êtes plus
maussade qu’à l’accoutumée, pire qu’une
demoiselle avant ses menstrues. Y a-t-il
un rapport avec Isobel ?
— Non ! Regardez-nous, répondit Dirk
en déployant ses bras. En quête de bouts
de bois dans la neige balayée par le vent.
Il fait noir comme en pleine nuit. Mon
père est sur son lit de mort. Nous avons
encore deux jours de trajet devant nous, et
sommes accompagnés de deux femmes
qui fuient les MacLeod pour une raison
inconnue. Pourquoi serais-je donc de
mauvaise humeur ?
— D’accord. Vous en avez le droit…
cette fois. Je suis désolé pour la maladie
de votre père. Quant au reste, nous avons
connu plus dramatique. Nous pourrions
être affamés, blessés ou trempés
jusqu’aux os sans un pouce de laine ni le
moindre abri, comme cela nous est arrivé
en France.
— Inutile de me le rappeler. Tenez
cela.
Il tendit la lanterne à son ami. Au bord
d’un petit bosquet, il sortit son sgian
dubh 2 et chercha une brindille assez
épaisse pour pouvoir la fendre en deux.
— En ce qui concerne la présence de
ces dames, cela n’a rien d’une épreuve,
fit remarquer MacInnis. Vous n’allez
sûrement pas me contredire, étant donné
la façon dont Isobel était plaquée contre
votre dos durant plusieurs heures ce soir.
Dirk grinça des dents, car…
damnation… Rebbie avait raison. Il avait
apprécié qu’elle chevauche derrière lui,
et cela n’avait rien à voir avec la chaleur
qu’elle lui procurait. Il avait senti sa
propre température monter également à
d’autres endroits. Des parties de son
corps auxquelles il refusait de songer à ce
moment précis.
Il s’accroupit, et coupa une branchette
à la base du buisson, puis se redressa
pour la trancher dans le sens de la
longueur.
— Isobel doit avoir… combien…
vingt-cinq ans à présent ? questionna
MacInnis. N’est-elle pas mariée ?
— Comment diable le saurais-je ?
répliqua MacKay en sourcillant. Je ne
vais pas demander aux ladies ce genre de
renseignements.
— Vous devriez. Quelque mari furieux,
peut-être même un lord ou un chef,
pourrait se lancer à nos trousses.
Un profond malaise assiégea l’instinct
de Dirk, tandis qu’il commençait à
deviner la situation.
— Il pourrait s’agir de celui qui l’a
frappée et lui a cassé le doigt.
— Possible.
Un mélange de colère et de suspicion
vrilla les entrailles du guerrier.
— Je l’ai questionnée sur l’individu
qui l’avait blessée, et elle a refusé de me
révéler son identité. Elle arrive de
Munrick et craint d’y retourner. Nous
avons toujours été en bons termes avec
les MacLeod et si l’un d’eux lui a fait du
mal, elle a peur que je sois de leur côté.
À présent, tout cela paraissait sensé.
— Elle n’ignore donc pas que vos deux
clans sont alliés.
— Non. Son père le savait. C’est bien
connu dans les environs.
Damnation ! Avait-elle épousé l’un
des fils du chef MacLeod, Torrin ou
Nolan ? Il n’appréciait ni l’un ni l’autre –
tous deux aussi arrogants que des rois. Il
le découvrirait dès que l’occasion se
présenterait.
Il fendit l’épaisse brindille avec sa
lame aiguisée, puis retira l’écorce et les
échardes de chaque moitié, en prêtant une
attention particulière à la surface
intérieure. Elle devrait être lisse au
contact du doigt endommagé. Isobel avait
sûrement la peau sensible et délicate.
— Elle est assurée qu’aucun éclat ne
dépassera de ces bouts de bois, lança
MacInnis. Quel galant homme vous faites.
D’habitude, les taquineries de son
compagnon ne dérangeaient pas MacKay,
mais à cet instant, elles irritaient ses nerfs
à vif. Il ne savait pourquoi, il mesurait
seulement que MacInnis avait raison. Il
pensait trop au bien-être de leur
compagne, à sa vulnérabilité, à sa
réconfortante chaleur quand elle se
pressait contre lui… Sans compter la
manière dont elle lui avait agrippé
l’épaule ou le manteau pour garder
l’équilibre. Même s’il avait couché avec
nombre de femmes, aucune d’entre elles
n’avait dépendu de lui pour sa sécurité ni
pour sa protection.
Il refusait d’en faire une obsession. Il
se posait d’autres questions bien plus
importantes, comme… Qui lui avait cassé
le doigt ? Et pourquoi ?
La dernière chose qu’il souhaitait était
de devoir se battre pour la défendre,
mais, par tous les saints, il s’y résoudrait
s’il le fallait. Le seul problème était que
si les MacLeod attaquaient, ils seraient
plusieurs dizaines et les domineraient en
nombre. Les trois hommes devraient faire
preuve de malice et se creuser l’esprit
lorsqu’ils traverseraient le territoire de
ce clan, plutôt que déployer leurs talents
à l’épée.
Ses réflexions dérivèrent de nouveau
vers Isobel, avec son doigt abîmé et tordu
dans le mauvais sens. Maudit soit celui
qui lui avait infligé cela !
— Elle aura mal pendant que je lui
remettrai son os en place, soyez-en
certain. Vous aurez peut-être à la tenir.
— Avec plaisir, répondit Rebbie en
souriant.
— Ce ne sera pas l’occasion d’en tirer
avantage, gronda Dirk. Elle va beaucoup
souffrir.
Son ami reprit son sérieux, et l’observa
de près.
— Vous la tenez, et je m’occupe du
doigt, proposa-t-il.
— Vous l’avez déjà fait ?
— Bien sûr. Vous rappelez-vous la fois
où j’ai redressé le vôtre ?
— Non. Vous êtes fou. Quand vous
imaginez-vous que cela s’est passé ?
— Vous aviez trop bu pour vous en
souvenir. Je pense que vous aviez
descendu une pinte de whisky. Peut-être
deux.
— Je me rappelle m’en être fracturé
un, parmi d’autres blessures plus
fâcheuses. Mais je croyais que Lachlan
était celui qui l’avait remis en place.
— Eh non, c’est moi qui ai procédé
aux soins miraculeux cette fois-là.
— Alors je vous en remercie. Mais les
doigts des ladies sont plus délicats que
les miens.
— J’ose l’espérer, vu que vous avez
plutôt des pattes d’ours.
Dirk renâcla, heureux que la nature
l’ait gracieusement doté de larges et
puissantes mains. Elles lui avaient bien
servi au combat, et les filles ne se
plaignaient pas de leur taille.
— Rebbie, en vérité, êtes-vous certain
de pouvoir le faire sans blesser Isobel
davantage ?
— Oui, je le jure.
MacKay songea à menacer sa vie s’il
faisait mal à la jeune femme, mais cela ne
ferait qu’attiser ses railleries. Par
ailleurs, redresser l’os la ferait sans
doute souffrir ; rien ne pourrait empêcher
cela, à part l’alcool.
Ils traversèrent la neige d’un pas lourd
en direction de la masure et entrèrent. Les
chevaux mastiquaient bruyamment de
l’avoine dans la pièce principale. Dans la
plus petite, George et Beitris étaient
accroupis près du feu et réchauffaient des
bannocks. La tête posée sur ses bras
croisés, Isobel était assise sur le côté,
contre le mur.
— Avez-vous rencontré le moindre
problème au village ? demanda MacInnis
à son valet.
— Non. J’ai fait ce que vous m’aviez
dit tous les deux. J’ai répondu que je
travaillais pour les MacKay quand on
m’a posé des questions. On s’est montré
moins méfiant après cela, et l’on m’a
vendu les provisions.
Dirk regarda la fugitive, qui semblait
dormir.
— A-t-elle bu le whisky ? s’enquit-il
auprès de la bonne, avant de se rappeler
qu’ils auraient besoin d’une ficelle pour
lier l’attelle au doigt.
À l’aide de son couteau tranchant, il
découpa une bande de tissu de son tartan.
— Oui, monsieur.
— Tout ? s’étonna le comte, effaré.
— Non. Environ la moitié.
Il opina du chef.
— Aidez-moi à la tenir pendant que
nous lui redressons son os, ordonna Dirk
à la servante, avant de s’agenouiller
auprès de la jeune femme. Lady Isobel,
êtes-vous consciente ?
Levant la tête, elle lui adressa un
sourire rêveur, ses yeux marron
n’évoquant que pure séduction. Ses lèvres
étaient pulpeuses et engageantes. Par tous
les saints ! Elle était magnifique. Il sentit
son cœur battre la chamade, et de
violentes palpitations animer sa gorge,
ainsi que d’autres endroits bien plus bas.
Seul le spiritueux donnait à la veuve cette
expression amoureuse, mais celle-ci
déclencha chez le guerrier la plus
indécente des envies.
Elle est probablement mariée, abruti.
— Votre bonne et moi vous aiderons à
rester tranquille pendant que Rebbie, dont
l’expérience est considérable, remettra
votre os en place. Il m’a même soigné un
doigt que je m’étais cassé il y a quelques
années, et comme vous le constatez,
aujourd’hui il est rétabli.
Il montra brièvement son index, puis fit
signe à MacInnis d’avancer.
Il s’installa d’un côté de la veuve, et la
domestique de l’autre.
— Tenez ce bras-là, Beitris, et je me
chargerai de celui avec la blessure. Vous
devez demeurer parfaitement immobile,
milady.
— Vais-je avoir mal ? demanda-t-elle
sans articuler.
— Peut-être un peu, mais je suis sûr
que vous serez assez forte pour surmonter
la douleur.
Il lui tint le bras et tendit la main
endommagée à son ami.
— Maintenant, appliquez-vous.
— Je ferai tout mon possible pour être
délicat.
— Vous n’auriez pas deviné qu’il était
noble, n’est-ce pas ? lança MacKay pour
détourner l’attention de la lady.
— Il l’est… vraiment ?
— Oui. Comte de Rebbinglen.
— Je me doutais qu’il était… un genre
d’lord.
Les mots se mêlaient les uns aux autres,
comme si sa langue avait refusé de les
prononcer séparément.
— Il a une bague en or, et…
Tandis qu’elle se concentrait sur un
autre sujet, MacInnis lui prit son doigt
enflé, redressa l’os et le replaça dans
l’alignement en quelques secondes.
Isobel cria brièvement et remua, mais
Dirk lui tenait fermement le bras.
— Non, vous devez rester tranquille.
Ou vous ne ferez que vous blesser
davantage.
Rebbie enroula la fine bande de tissu
autour des bâtons et la fixa.
— Aïe, aïe, aïe !
Elle ferma vigoureusement les yeux.
MacKay eut presque le cœur brisé de
voir des larmes s’en échapper.
— Désolé, jeune fille.
— Vous prétendiez que ce serait peu
douloureux, lui rappela-t-elle en levant
vers lui un regard embué et empli de
colère.
— Vous avez attendu trop longtemps
avant de vous faire remettre le doigt en
place.
— Cela ira bientôt mieux, marmonna-t-
elle d’une voix qui se rapprochait d’un
murmure.
Elle se blottit sous le manteau de Dirk
et tourna le visage contre le tartan qui
couvrait son torse. Il ne put empêcher son
bras de se retrouver autour de l’épaule de
sa compagne. Il voulait l’attirer plus près
de lui et la réconforter, tenter de lui
arracher sa souffrance. Plus encore, il
mourait d’envie de la prendre dans son
giron et de la consoler ainsi jusqu’à ce
qu’elle cesse de pleurer. Il détestait voir
sa figure ainsi ruisseler.
— La pièce tourne, chuchota-t-elle en
agrippant le vêtement de son sauveur
avec sa main valide.
— C’est le whisky.
— Je n’en bois jamais pur. Papa ne me
laissait pas en consommer sans le couper
d’eau.
MacKay hocha la tête.
— Mais vous en avez besoin à présent.
L’alcool va engourdir la douleur et vous
aider à dormir.
— Voilà, c’est terminé, annonça
MacInnis. J’estime qu’il sera guéri d’ici à
un mois.
Elle ramena sa main vers elle, et
examina son doigt dans l’attelle.
— Merci, monsieur… milord.
— « Rebbie » suffira.
Il se leva et esquissa une courte
révérence.
— Vous avez besoin de manger,
milady, affirma Beitris qui se mit debout
et se dirigea vers le feu.
— Je n’ai pas faim.
Isobel ne s’écarta pas de Dirk, et celui-
ci n’était guère désireux de la pousser
d’où elle se trouvait.
— Dites-moi qui vous a fait mal,
chuchota-t-il afin de ne pas attirer
l’attention des autres.
— Je ne préfère pas.
— Était-ce un MacLeod ?
Elle se mordit la lèvre.
Envahi par un mauvais pressentiment,
il s’obligea à s’éloigner d’elle, puis
l’aida à s’appuyer contre le mur.
— Êtes-vous mariée à un membre de
ce clan ?
Elle leva furtivement les yeux vers lui
d’un air coupable. La dénégation et
l’effroi que MacKay y aperçut le
transpercèrent.
— Non, murmura-t-elle.
— Ne me mentez pas, répondit-il d’un
ton qu’il n’avait pas voulu si dur.
— Je ne suis l’épouse de personne,
insista-t-elle fermement. Je suis promise
à leur chef.
Damnation ! Cela revenait à être
mariée. Il aurait dû s’en douter. Quelle
importance cela avait-il ? Il ne pourrait
jamais lui faire confiance de toute façon,
si belle fût-elle.
— Et votre fiancé, est-ce lui qui vous a
cassé le doigt ? s’enquit-il.
— Non, c’est son grossier cadet.
— Nolan ?
Elle l’observa, le regard brillant
d’épouvante.
— Vous le connaissez ?
— Je l’ai rencontré une fois, il y a de
nombreuses années. C’est un porc.
Et il mourait d’impatience d’enrouler
ses mains autour de la gorge de ce bâtard.
En vérité, tout individu capable de s’en
prendre à une femme n’était pas un
homme.
— Je ne retournerai pas là-bas. Et je
n’épouserai jamais un MacLeod. Aucun
d’entre eux, précisa-t-elle d’un ton
irrévocable.
Dirk se réjouissait qu’elle en soit
arrivée à cette décision, mais il devait
rester un contrat de fiançailles quelque
part, la liant à Torrin. Le rompre ne serait
pas sans conséquence. Cyrus devrait
peut-être payer une somme considérable à
ce clan.
Le guerrier tendit la flasque de whisky
à sa compagne.
— Buvez ceci, puis allongez-vous pour
dormir. Cela vous soulagera.
Elle tourna la tête.
— Je déteste cet ignoble liquide.
— Isobel, faites ce que je vous dis,
murmura-t-il. Cela va vous aider.
Elle émit un long soupir.
— Très bien.
Elle prit une autre gorgée de spiritueux
en grimaçant, puis s’étendit sur la
couverture et s’en enveloppa.
— J’espère que cela ne me fera pas
parler pendant mon sommeil.
— C’est peu probable. Pourquoi votre
fiancé a-t-il laissé son frère vous faire du
mal ?
— Il est parti pour Lairg, afin de
rencontrer un autre chef. Il ne sait rien de
cette affaire.
— Pour quelle raison son cadet vous a-
t-il brutalisée ?
Elle garda le silence un long moment.
— Je ne puis vous le dévoiler, mais je
crains que s’il remet la main sur moi, il
ne se permette bien plus que de me casser
un doigt.
— Sale chien, marmonna-t-il.
Pourquoi refusait-elle de lui révéler
pourquoi Nolan l’avait agressée ? S’était-
elle battue avec lui ? En l’absence de son
aîné, avait-il tenté d’abuser d’elle ?
Isobel était largement plus jolie que la
plupart des autres filles, et tournait
assurément la tête de nombreux hommes.
Pour certains, « non » n’était pas une
réponse. Leurs désirs charnels passaient
outre à leur bon sens, même si la créature
qu’ils convoitaient appartenait à un frère.
— Quand MacLeod doit-il rentrer ?
demanda Dirk.
Elle respirait avec profondeur et
régularité, et ne répondit pas. Il l’observa
encore un moment, rageant devant la
contusion qui entachait l’ivoire de sa joue
veloutée. Une voix intérieure lui hurlait
de chercher à venger une insulte et une
blessure telles.
Il s’efforça de détourner les yeux.
Beitris ronflait légèrement, pas très loin
de sa maîtresse. Il était temps pour lui
aussi d’essayer de dormir.
Il se leva et alla s’asseoir sur un
tabouret à côté du feu.
— Il y a du pain et du fromage si vous
en voulez, lança Rebbie, allongé non loin.
S’apercevant qu’il était affamé,
MacKay dévora la nourriture. Il regrettait
que la fugitive n’ait rien avalé de solide
avant de s’endormir, mais elle avait au
moins mangé les deux bannocks un peu
plus tôt.
— Où est George ?
— Il se charge du premier tour de
garde, répondit le comte.
Dirk déroula sa couverture, au moment
même où le valet entrait en trottant dans
la petite chambre.
— Des gens arrivent, deux ou trois
cavaliers, annonça-t-il.

2 Petit couteau faisant partie de la tenue traditionnelle


écossaise. (NdT)
Chapitre 5

Qui diable pouvait bien se trouver aux


alentours de la hutte, et pourquoi ?
— Damnation, marmonna Dirk.
Il enfila son manteau de laine et se
munit de son glaive. Rebbie l’imita. Les
cavaliers qui se rapprochaient devaient
être des MacLeod. Ou peut-être étaient-ce
des villageois ayant trouvé George
suspect, et qui l’avaient suivi jusque-là.
Même si la neige et le vent avaient dû
recouvrir ses traces à présent. Ou alors,
ayant senti la fumée de leur feu, ils
l’avaient suivie.
— Oh, Seigneur.
Beitris se redressa brusquement en
position assise sur sa couverture, mais
Isobel ne se réveilla pas.
— Veillez sur elle, ordonna Dirk.
Restez toutes les deux ici.
La bonne acquiesça, les yeux
écarquillés.
— Oui, monsieur.
Il rengaina sa lame et sa dague de
Highlander afin de ne pas paraître trop
agressif, puis suivit George et Rebbie au-
dehors dans la tempête. Si les visiteurs
n’étaient pas des villageois, ces derniers
avaient donc probablement alerté les
MacLeod à Munrick que des étrangers se
trouvaient dans les environs. Mieux valait
qu’il ne s’agisse pas de Nolan, ou
MacKay risquait de ne pas pouvoir
refréner sa furieuse envie de se battre.
Surtout si ce bâtard devenait insolent et
tentait de pénétrer de force dans la
chaumière. Dans tous les cas, Dirk ne le
laisserait jamais s’approcher de sa
protégée.
Les deux hommes, dont l’un tenait une
torche, descendirent de cheval à quelques
yards de là. Plissant ses yeux irrités par
les rafales de neige, il essaya de les
identifier. Ils étaient vêtus de tartans, de
hauts-de-chausses et de manteaux en
toison de laine. Le second individu sortit
son épée de son fourreau.
— Par tous les saints, marmonna le
guerrier en dégainant la sienne.
MacInnis fit de même, puis posa la
lanterne. On ne savait jamais à quel
moment le sang allait jaillir.
— Qui êtes-vous et que faites-vous sur
les terres MacLeod ? lança l’un des
cavaliers en gaélique. Vous vous trouvez
en violation de propriété.
— Je suis un MacKay, je retourne au
château de Dunnakeil, à Durness. Nous
avions simplement besoin d’un endroit où
rester cette nuit, à l’abri de ce temps.
L’un des visiteurs, portant un haubert
en cuir clouté de métal par-dessus ses
épaisseurs de tissu écossais, approcha sa
torche, en examinant Dirk. Assurément,
ils relevaient sa ressemblance avec
nombre de MacKay. Eux-mêmes, avec
leurs longs cheveux bruns et leurs
silhouettes minces et dégingandées,
avaient un air de famille avec les
MacLeod.
— Et lui, qui est-ce ? interrogea
l’individu en esquissant un signe de tête
vers Rebbie.
— Mon ami, Robert MacInnis. Mon
clan et le vôtre ont toujours été alliés,
rappela-t-il aux inconnus qui, vu l’aspect
de leur tenue, étaient des hommes
d’armes.
— En effet. Pourquoi n’avez-vous pas
demandé l’hébergement à Munrick ?
— Nous l’aurions fait volontiers, mais
il était tard, et la tempête devenait de plus
en plus violente. Nous avons vu cette
chaumière et décidé de nous en servir,
expliqua Dirk, haussant les épaules en
espérant qu’ils croyaient son mensonge.
Nous quitterons les lieux pour nous
remettre en route vers Durness demain
matin.
— Auriez-vous croisé une lady et sa
bonne sur votre chemin ?
— Non. Pourquoi ? s’enquit-il sans la
moindre hésitation.
Il sentit les poils de sa nuque se
hérisser.
— La future épouse du chef s’est enfuie
dans la tempête. Elle est un peu idiote, je
pense.
Le soldat cracha par terre.
— Pourquoi diable ferait-elle cela ?
demanda MacKay, affectant la surprise,
alors qu’en réalité, il avait envie de le
frapper à coups de ceinturon pour avoir
insulté Isobel.
— Nous l’ignorons, répondit l’individu
dont le regard dériva vers la porte de la
hutte.
Dirk se raidit. Ce bâtard ferait mieux
de ne pas même envisager cette idée.
— Qui voyage avec vous ?
— Mes domestiques, dit Rebbie.
— Vous ne verrez donc aucun
inconvénient à ce que nous allions
fouiller la masure pour chercher la dame
qui a disparu.
Il s’avança.
Tendu de tout son être, le guerrier se
plaça devant la porte pour en bloquer le
passage.
— Non. Je ne ferais pas cela si j’étais
vous.
— Et pourquoi pas ?
Le membre du clan MacLeod s’arrêta,
son visage se crispant dangereusement,
son épée au poing, prête à servir.
— Son valet est très souffrant,
répondit-il, espérant que cette canaille
avalait ses absurdités.
La plupart des gens étaient terrifiés par
la maladie, car elle évoquait en général la
mort.
— Nous ne savons pas ce qu’il a,
poursuivit-il. Il tousse du sang. C’est
peut-être contagieux.
L’homme plissa les yeux.
— Aucun de vous deux n’a encore
attrapé son mal. Si vous ne nous laissez
pas explorer les lieux, vous feriez aussi
bien de vous diriger vers le sud, car vous
ne passerez pas Munrick.
Un puissant raclement de gorge résonna
à l’intérieur de la masure.
— Ça va aller, cria George d’une voix
faible et rauque. Cela ne me dérange pas
qu’ils viennent chercher ici.
Il retomba dans un nouvel accès de
toux.
Pourquoi diable le valet tenait-il de
tels propos ?
— Vous l’avez entendu. Poussez-vous,
MacKay, exigea le soldat, dont émana une
forte odeur de whisky poussée par une
rafale de vent glacial.
S’il était presque ivre, il manquerait de
réflexes. Il aurait peut-être aussi du mal à
reconnaître Isobel.
Dirk jeta un coup d’œil à Rebbie, qui
acquiesça et riva un regard redoutable sur
l’un des individus, signifiant qu’il
s’occuperait du second garde si
nécessaire.
Le guerrier ne voulait pas être obligé
de tuer un MacLeod, mais si ces hommes
découvraient l’identité de leur compagne,
il y serait peut-être contraint.
Il s’écarta pour laisser entrer les
visiteurs dans la hutte puis les suivit,
MacInnis dans son sillage. Après un bref
moment de silence, George feignit une
autre quinte de toux, puis gémit et se
pencha en avant pour cracher au sol, les
bras plaqués sur l’estomac pour faire
bonne mesure.
— Restez où vous êtes, l’avertit l’un
des inconnus en l’observant avec dégoût.
Tenant la lanterne en l’air, les deux
individus examinèrent les chevaux, puis
remarquèrent l’embrasure qui menait vers
la petite pièce. Ils s’y dirigèrent et
repoussèrent la couverture en laine sur le
côté pour entrer. Dirk retint son souffle,
car ce n’était plus qu’une question de
secondes avant qu’ils ne trouvent Isobel
et sa bonne. Sa main se serra sur la garde
de son glaive. Il protégerait la jeune
femme à tout prix, même si cela voulait
dire tuer deux MacLeod.
Il pénétra dans la chambre après eux.
Ses yeux scrutèrent la pénombre de
l’endroit enfumé tandis que les soldats
déplaçaient leur lanterne ici et là. Où
étaient-elles ? Il ne les voyait nulle part à
proximité des sacs de couchage ni du
minuscule feu qui se consumait. Ni dans
les coins.
Que diable… ?
— Il n’y a personne d’autre ici,
déclara l’un des gardes. Je croyais que
d’après lui, ses domestiques voyageaient
avec vous.
— « Son » domestique, rectifia Dirk.
— Très bien, MacKay, dit le second,
l’élocution altérée par l’alcool. Nous
vous rendons à votre sommeil. Si vous
voyez cette dame et sa bonne, prévenez-
nous.
— Je n’y manquerai pas.
— C’est une belle fille aux yeux
foncés. Elle s’appelle Isobel MacKenzie.
Le guerrier acquiesça, les épaules si
tendues qu’il en avait les muscles
douloureux. Où diable était-elle ? Se
cachait-elle quelque part dans cette pièce
? Il n’y avait là aucune fenêtre par
laquelle elle aurait pu ramper pour
s’échapper.
— Très bien, alors, bonne soirée à
vous, dit le visiteur en bâillant.
MacKay suivit les MacLeod au-dehors.
L’un d’eux inclina sa flasque de whisky et
en but une longue gorgée. Puis ils se
remirent en selle, avant de rebrousser
chemin.
Rebbie se tenait en silence à côté de
son ami tandis qu’ils regardaient la
progression des soldats dans la neige,
leur torche s’éloignant de plus en plus.
— Par Satan, où sont-elles passées ?
gronda doucement Dirk.
— Je l’ignore.
— Surveillerez-vous ces hommes
pendant que je vais la chercher ?
— Certes.
Le guerrier retourna à grandes
enjambées vers la cahute.
— Isobel ? appela-t-il en s’efforçant
de garder la voix basse. Où ont-elles
disparu, George ?
— Il y a une toute petite fenêtre qui
donne derrière l’endroit où les chevaux
sont attachés. Les volets étaient fermés,
mais je les ai poussés pour les ouvrir et
j’ai aidé ces dames à sortir.
— Très malin de votre part. Cela n’a
pas dû être facile pour la domestique.
Il prit la lanterne et se hâta de passer la
porte et de contourner le côté de la
masure de pierre pour se rendre à
l’arrière.
La jeune femme et sa servante étaient
blotties là, dissimulées par un buisson
d’ajoncs épineux.
— Dieux du ciel, milady, marmonna-t-
il. Vous m’avez fait la peur de ma vie.
Il la releva, puis aida sa suivante.
Celle-ci gémit.
— C’était la seule possibilité, déclara
la jeune lady en brossant ses habits pour
les débarrasser de la neige. Après que
Beitris m’a réveillée, j’ai entendu les
soldats parler, et je savais qu’ils
voudraient fouiller. Je me suis souvenue
de la fenêtre barricadée que j’avais
remarquée la veille.
— Merci, monsieur, dit la bonne, se
tenant fermement au coude de Dirk tandis
qu’ils contournaient la hutte. Je ne suis
pas faite pour me tordre dans de telles
positions ni me tortiller à travers
d’étroites ouvertures.
— Vous avez été toutes deux avisées de
vous faufiler à l’extérieur avant qu’ils
entament leur exploration. Je ne voulais
pas être contraint de tuer un MacLeod.
— Auriez-vous sincèrement fait cela
pour nous ? demanda la fugitive, la voix
encore un peu troublée et hésitante à
cause du whisky tandis qu’elle
s’agrippait à l’autre bras du guerrier et
avançait d’un pas mal assuré à ses côtés.
— Je ne les aurais pas laissés vous
ramener à Munrick.
— Vous êtes vraiment un gentleman, et
un héros, s’enthousiasma-t-elle.
Damnation, peut-être n’aurait-il pas dû
lui donner autant de spiritueux.
Il escorta les deux femmes dans la
masure, et ressortit pour monter la garde
avec George et Rebbie. Après une demi-
heure sans relever le moindre mouvement
dans les parages, excepté le fouettement
de la neige, il s’était assez détendu pour
rentrer et tenter de dormir un peu.
MacInnis le suivit.
Un quart d’heure plus tard, tout le
monde semblait avoir trouvé le sommeil.
Le comte ronflait légèrement. Mais Dirk
ne parvenait pas à fermer l’œil. Il se
tourna sur son flanc, et regarda le visage
assoupi d’Isobel dans la faible lueur du
feu. Comment pouvait-elle être promise à
un autre ? Cette idée l’irritait. Quelle
atrocité de la savoir liée à un clan qui la
maltraitait.
Il donna un coup de poing dans le
manteau roulé en boule qu’il utilisait
comme oreiller. Par l’enfer, il ne voulait
pas d’elle de toute façon.
Quelque chose le faisait souffrir
intérieurement. Il ne comprenait pas ce
dont il s’agissait. Peut-être se languissait-
il avec nostalgie de sa jeunesse perdue et
de la famille qu’il avait aimée. Ou était-
ce l’inquiétude pour son père ? Si celui-
ci n’était pas encore mort, ce serait
bientôt le cas. Son estomac se noua, et un
regret pesant comprima sa poitrine.
La dernière fois qu’il avait essayé de
faire entendre au vieil homme que sa
belle-mère souhaitait sa disparition, ce
dernier avait fait la sourde oreille, ne
parvenant à croire quoi que ce soit
d’aussi diabolique au sujet de la femme
qu’il aimait. Néanmoins, Dirk savait que
son père l’avait aimé. Et lui-même
éprouvait toujours de l’affection pour lui.
Il espérait seulement être en mesure de le
voir avant que celui-ci ne rende son
ultime souffle.

La seule chose dont MacKay s’aperçut


à son réveil fut le coup de genou cinglant
qu’on lui envoya dans le ventre. Une
attaque ? Il saisit rapidement le bras de
l’assaillant qui se tortillait et plaqua
l’individu sous lui. Une femme cria. La
pièce était si sombre, il ne discernait
guère plus que quelques braises
mourantes et orangées à l’endroit où le
feu avait brûlé un peu plus tôt.
Que diable se passait-il ? Où était son
poignard ?
— Rebbie ? hurla-t-il.
Son ami était allongé non loin de lui,
n’est-ce pas ?
— Oui ? répondit MacInnis d’un ton
brumeux.
— Lâchez-moi ! vociféra une voix
aiguë sous Dirk.
Une femme ? Il immobilisait un
membre du beau sexe par terre ? Isobel.
Il la libéra en marmonnant des jurons
en gaélique puis recula.
— Pourquoi m’avoir envoyé votre
genou dans l’estomac ? demanda-t-il
fermement.
— Je n’ai rien fait ! Je dormais. Tout
ce que je sais, c’est que l’instant d’après,
vous me clouez au sol comme si vous
luttiez contre un sanglier. Je vais avoir
une énorme bosse sur la tête là où vous
m’avez frappée.
Une contrariété mêlée de confusion
déferla en lui.
— J’étais allongé ici, et votre genou a
atterri dans mes entrailles. Je ne suis pas
fou, gronda-t-il.
— Je ne… suis pas folle non plus.
— Vous m’avez agressé.
Il se sentit idiot de tenir de tels propos
à une fille sans défense comme elle.
Rebbie ricana et alluma la lanterne.
— Votre sac de couchage est là-bas,
reprit Dirk.
À présent qu’il pouvait voir dans la
lumière voilée, il pointa le doigt vers la
couverture qu’elle avait abandonnée près
du mur.
— Il est clair que vous vous êtes
déplacée, contrairement à moi, sauf quand
j’ai voulu protéger mes organes vitaux.
Elle se releva avec précipitation et
épousseta ses vêtements, ses joues pâles
visiblement empourprées.
— Eh bien… Peut-être que j’essayais
de traverser la pièce, et que vous vous
trouviez sur mon chemin. Il faisait sombre
!
— Je suis sûr qu’il ne s’agissait que de
cela.
Tandis que son cœur palpitant se
calmait et que son corps se décrispait, il
se passa une main dans les cheveux. Pas
d’assaut. Pas de bataille. Il était sans
doute l’heure de se réveiller et de
reprendre la route de toute façon. L’aube
poignait tard à cette période de l’année.
Il se leva et lança le manteau sur ses
épaules par-dessus ses autres épaisseurs
d’habits, puis sortit et alla derrière la
masure pour se soulager. En dépit de
l’obscurité, le tapis de neige reflétait le
faible clair de lune, et il se réjouit de
constater que les flocons givrés avaient
cessé de tomber.
Une bonne chose qu’il n’ait pas reçu le
coup d’Isobel un pied plus bas, ou il
serait plié en deux de douleur. Quel
démon s’était emparé d’elle ?
— Que s’est-il passé ? demanda
Rebbie, assouvissant lui aussi un besoin
naturel quelques yards plus loin.
— Je rêve que je suis en train de
manger un lapin rôti, et l’instant qui suit,
une femme m’assène violemment son
genou dans le ventre. À vous de
m’expliquer.
— Alors… Peut-être souhaitait-elle
simplement sortir se soulager, mais se
sentait trop embarrassée pour le dire.
Elle ne pouvait pas vous voir allongé par
terre, et elle a trébuché avant de tomber.
— J’espère que c’est cela. Ma seconde
hypothèse serait qu’il s’agit d’une
meurtrière.
MacInnis renâcla.
— Eh bien, cela ne rendrait-il pas le
cours des événements intéressant ?
Ils arrangèrent leurs vêtements.
— Elle m’a parlé de sa situation. Elle
est fiancée au chef des MacLeod. En
l’absence de celui-ci, son frère cadet l’a
blessée pour quelque raison. Elle a refusé
de me la révéler. Nous devrons nous
montrer extrêmement prudents en passant
Munrick. Ses habitants ne doivent pas
voir son visage ni découvrir qui elle est.
— Y a-t-il un moyen d’éviter cette
région ?
— Non, le seul chemin qui soit sûr
pour traverser ces montagnes escarpées
longe le château et le lac.

— Oh, dieux du ciel, marmonna la


jeune veuve, ne parvenant à croire ce
qu’elle avait fait. Blesser Dirk ? Elle
secoua la tête et Beitris, qui ajoutait à
présent de la paille dans le feu, lui lança
un regard penaud. Sa bonne était censée
éviter les désastres dus à son
somnambulisme, aussi vite que possible
mais manifestement, elle aussi dormait.
Isobel n’avait aucun souvenir de s’être
levée de sa couverture et aventurée dans
la pièce. Elle avait seulement eu
conscience de Dirk l’attrapant pour la
faire rouler sous son corps large et
puissant, puis la plaquer violemment sur
la terre battue. La tête de la jeune lady
n’avait pas cogné aussi fort qu’elle
l’avait insinué, mais son crâne était
assurément resté sensible à un endroit. Ne
sachant vraiment pas où elle se trouvait,
elle s’était sentie trop terrifiée pour
former des mots, mais les avait
finalement lâchés. Un battement de cœur
après que Dirk eut crié le nom de Rebbie,
elle s’en souvint. Apparemment, elle
n’avait fait que trébucher sur lui. Elle
n’avait aucune raison de l’agresser ni de
le blesser de quelque manière que ce soit.
Il ne l’ignorait probablement pas.
Des réminiscences confuses de ce qui
s’était déroulé un peu plus tôt lui
revinrent. La douleur dans son doigt cassé
lorsque MacInnis le lui avait redressé, la
façon dont elle s’était blottie contre
MacKay tandis qu’il la maintenait
vigoureusement. Il était confortable…
Fort, mais doux, comme un gros ours
bourru. Son corps n’était rembourré nulle
part, tout en muscles tendus de guerrier.
Une part cachée et instinctive d’Isobel
s’en était délectée.
Et l’avoir allongé sur elle quand il
l’avait immobilisée au sol, eh bien… cela
s’était révélé effrayant au départ. Mais en
y repensant… elle n’aurait souhaité se
faire ainsi écraser par personne d’autre.
Elle avait toujours détesté et redouté les
manières aussi agressives qu’autoritaires
des hommes, mais elle ne craignait pas
Dirk. Elle trouvait envoûtantes
l’assurance avec laquelle il se déplaçait,
et la fermeté mâtinée de tendresse dont il
faisait preuve quand il la touchait.
Penchée en avant, elle s’aperçut que
les lacets de l’une de ses bottes en cuir
huilé s’étaient défaits durant la nuit.
Ébauchant un nœud, elle lutta pour les
rattacher. Bon sang ! Des élancements
irradiaient dans son doigt cassé au
moindre mouvement de sa main. Elle
tenta toutefois de se servir de son index
pour finir la tâche, mais les ficelles de
cuir raides n’y semblaient guère
disposées.
Le rideau de laine se poussa
rapidement sur le côté, tandis que Rebbie
et MacKay pénétraient dans la pièce. Le
regard intense de ce dernier croisa
immédiatement celui de sa protégée. Elle
se sentit enveloppée d’une étrange et
fiévreuse chaleur. Seigneur, qu’est-ce qui
n’allait pas chez elle ? Il la mettait mal à
l’aise, mais en même temps, elle
regrettait de ne pouvoir passer tout son
temps à l’examiner dans les moindres
détails. Au lieu de cela, elle reporta son
attention sur ses bottes.
— Milady, peut-être devrions-nous
nous excuser, annonça la domestique en
se dirigeant vers sa maîtresse.
— Oui, dès que j’aurai noué ceci.
— Je vais vous aider, répondit sa
bonne en s’agenouillant. Oh !
Elle tressaillit, se figea et agrippa son
dos.
— Beitris, vous allez bien ?
Elle s’inquiétait pour sa servante et
avait peur que ce trajet dans la neige ne
se révèle trop éprouvant pour la vieille
femme.
— Oui, seulement le froid s’est infiltré
dans mes articulations et les a raidies.
— Si vous permettez, intervint Dirk.
Vous paraissez beaucoup souffrir,
madame.
— Mes os ne sont plus de première
jeunesse. Et je vous remercie, mon bon
monsieur.
La figure d’Isobel s’enflamma comme
les braises de tourbe.
— Je vais m’en occuper.
— C’est absurde, répondit-il.
Il posa un genou à ses pieds et
repoussa gentiment ses mains.
— Vous ne voulez surtout pas cogner
ce doigt cassé, poursuivit-il.
Il noua rapidement les lacets de cuir et
se remit debout, la dominant de nouveau
de toute sa hauteur. Rondement mené.
Tout ce qu’il accomplissait l’était, mais
cette attitude lui servait uniquement de
façade pour dissimuler sa sollicitude.
— Merci, dit-elle.
Il esquissa une furtive révérence.
— Nous devons nous hâter. Il nous faut
franchir Munrick Castle avant que le jour
se lève et que la plupart des membres du
clan s’éveillent. Nous ne pouvons en
aucun cas les laisser découvrir votre
identité.
Certes, mais qu’adviendrait-il si cela
arrivait ?
Juste avant l’aube, ils approchèrent de
la forteresse. Isobel était installée sur
l’imposante monture noire de MacKay
tandis que ce dernier menait l’animal en
portant la lanterne. Rebbie, George et
Beitris suivaient à dos de cheval.
L’estomac vrillé, elle regrettait d’avoir
à cheminer non loin du château, mais ils
ne pouvaient procéder autrement. Les
immenses montagnes de granit d’Assynt
se découpaient, dressées et menaçantes,
sur le ciel bleu foncé que l’aurore
imminente illuminerait. Le lac sombre et
parcouru de ridules reflétait quelques
étoiles qui clignotaient à travers les
nuages. Entre les sommets et l’eau se
trouvaient Munrick Castle et l’étroit
passage.
Les torches aux portes de l’édifice
apparaissaient au-devant, les flammes
s’agitant frénétiquement dans le vent, leur
image dansant sur l’onde. Isobel avait
espéré ne jamais revoir cet endroit
infernal. Elle se couvrit plus fermement la
tête de sa capuche ainsi que du tartan
supplémentaire que Dirk avait fourni,
priant qu’aucun MacLeod ne reconnaisse
sa bonne ni elle-même. Beitris était
consciente de devoir également
dissimuler son visage.
— Ne dites rien, murmura Dirk à la
fugitive. Je me charge de tout.
Elle acquiesça, soulagée de pouvoir lui
faire confiance.
Il les fit tous cheminer progressivement
vers le château ténébreux. Ils n’y
pénétreraient pas, se remémora-t-elle.
Respire.
D’obscures silhouettes se
rapprochèrent des portes. Trois gardes
observaient les voyageurs. Leurs épées
luisaient dans l’éclat des torches.
— Halte-là ! Qui êtes-vous ? lança en
gaélique un homme arrivant dans leur
direction sur le sentier qui partait de la
forteresse.
Oh, dieux du ciel, la même sentinelle
qu’elle avait vue en s’enfuyant. Si le
soldat apercevait sa figure ou l’arisaid
usée qu’elle portait en quittant les lieux,
il la reconnaîtrait certainement. Au moins,
il ne s’agissait pas de l’un de ceux qui
avaient fouillé leur refuge la veille.
— Je suis un MacKay, annonça Dirk
d’une voix autoritaire.
Il s’arrêta, et fit face au garde.
— Nous ne faisons que passer pour
rejoindre les terres de mon clan, ajouta-t-
il.
— Qui est-ce ? s’enquit l’individu en
désignant Isobel.
Elle retint son souffle. Elle craignait de
s’évanouir et de tomber de sa selle.
— Mon épouse, rétorqua le guerrier
sans hésitation.
Son épouse ? Isobel s’embrasa de la
tête aux pieds, malgré le froid et la peur
qui la glaçaient.
Il désigna ensuite Rebbie.
— Et voici mon ami, Robert MacInnis,
ainsi que nos deux domestiques.
Alors que le garde s’approchait d’elle
en allant voir le comte, elle eut du mal à
avaler sa salive, et supplia le ciel qu’il
ne la force pas à descendre de sa
monture.
— Nous devons nous dépêcher, cria
Dirk. Mon père se trouve sur son lit de
mort.
Il regrettait que ce ne soit pas un
mensonge de plus.
La fugitive s’échina à inspirer tandis
qu’elle écoutait les pas crisser dans la
neige, et les petits cliquetis des armes et
des harnais. L’un des animaux renâcla.
L’air mordant et humide imprégnait ses
os.
L’épouse de Dirk ? Cette pensée ne
voulait pas la quitter. Seigneur, être
réellement sa femme. Même s’il était
l’homme le plus redoutable qu’elle eût
jamais rencontré, l’idée de convoler avec
lui ne l’épouvantait pas autant que celle
d’épouser son premier mari. Ni autant
que la perspective de s’unir au MacLeod
auquel elle était à présent fiancée.
Le soldat fit demi-tour et passa de
nouveau à côté d’elle.
— Très bien. Bonne route, MacKay.
Il leur fit signe de poursuivre leur
chemin, et repartit vers Munrick.
Isobel poussa un profond soupir de
soulagement qui la laissa tremblante,
faible et gelée. Dirk incita le cheval à
avancer d’un pas vif, en jetant de furtifs
coups d’œil par-dessus son épaule en
direction des sentinelles.
Même s’il aurait été largement plus
agréable de rêver qu’elle était l’épouse
du guerrier, mieux valait revenir à la
réalité et rester attentive. Si le père de
MacKay était en effet mourant – ou mort
–, son fils éprouverait un
incommensurable chagrin, tel celui
qu’elle avait enduré au décès de ses
propres parents. Elle frissonna en priant
que le vieillard soit encore en vie et bien
portant au moment où ils atteindraient
Durness. Elle se souvenait de lui à
l’époque où il était en pleine santé, un
gros ours aux cheveux châtains parsemés
de gris. Elle se remémorait même son rire
plus tonitruant que tous les autres.
À quoi pouvait ressembler celui de
Dirk ? Elle se rappelait à peine l’avoir vu
sourire. Autrefois, il était plutôt discret,
observant tout le monde avec méfiance.
Son regard aiguisé ne manquant jamais le
moindre détail. Toujours sérieux, comme
il l’était à présent.
Il avait même étudié la jeune femme
jusqu’à la mettre mal à l’aise, en la
jaugeant de ses yeux pâles.
Elle ignorait pourquoi il la perturbait.
À l’évidence, il était digne de confiance.
Il venait de la sauver des MacLeod.
Elle devait trouver une manière de le
remercier convenablement.

Isobel avait les orteils engourdis de


froid lorsqu’ils arrivèrent ce soir-là dans
un endroit que son sauveur appelait «
Scourie ». Ils ne s’étaient même pas
arrêtés pour prendre leur déjeuner,
préférant manger durant le trajet. Le vent
qui soufflait dans les cols et les vallons
se révélait parfois violent. Dès qu’ils
avaient quitté les montagnes traîtresses
pour la lande plate – qui n’était pas
apparue détrempée outre mesure –, Dirk
était monté devant sa compagne afin de
gagner du temps.
Bien que cette seule pensée la rendît
honteuse, elle appréciait d’être installée
derrière le guerrier et de s’agripper à lui.
Il était si indispensable, fort et protecteur,
qu’il lui donnait presque le vertige. Elle
se surprit à avoir envie de sourire aux
moments les plus saugrenus, lorsque rien
ne justifiait son hilarité. Son doigt la
faisait souffrir et elle avait les pieds
pratiquement gelés, mais quelle
importance ? L’homme devant elle la
désorientait plus encore que le whisky
qu’il l’avait obligée à boire la veille.
Puisqu’il avait repoussé sa capuche
dans son dos, la jeune femme contempla
le somptueux lustre de sa chevelure
cuivrée, et s’aperçut qu’elle désirait la
peigner de sa main valide. Mais cela
n’aurait guère été décent.
Dirk guida sa bête vers la plus large
chaumière du village, s’immobilisa et
descendit de selle. Il tendit les rênes à sa
passagère et leva furtivement les yeux
vers elle. Le bleu de son regard semblait
différent d’une certaine façon, plus foncé.
Peut-être parce que le crépuscule
s’abattait sur eux, et que le ciel se
couvrait sérieusement.
— Je connaissais l’homme qui habite
ici. Je reviens tout de suite.
Il se dirigea vers la porte à grandes
enjambées et frappa.
Un individu à la barbe grise et fournie
lui ouvrit et dévisagea son visiteur durant
un moment tandis qu’ils entamaient le
dialogue.
— Dirk ? Est-ce bien vous, mon garçon
? s’étonna le villageois en riant avant de
lui serrer chaleureusement la main. Je
vous croyais mort.
— C’est une longue histoire que je
serai ravi de vous raconter un jour.
— Eh bien, faites entrer vos amis à
l’abri du froid. Je vais demander à Mattie
de préparer quelques galettes d’avoine
supplémentaires.
Il disparut à l’intérieur, et appela
bruyamment la fameuse Mattie.
Lorsque le guerrier retourna l’aider à
descendre de cheval, Isobel plaça
soigneusement sa main blessée sur
l’épaule de son compagnon tandis qu’il la
hissait à bas de sa monture.
— Son nom est Lewis MacLeod,
murmura-t-il.
— Quoi ? Un MacLeod ?
Un effroi incisif la transit.
— Chut. C’est un ami proche de mon
père, et comme vous pouvez le constater,
il se tient à bonne distance des autres
membres du clan, mais certains d’entre
eux occupent effectivement ce village.
— Il pourrait me livrer, chuchota-t-
elle, essayant d’empêcher sa voix de
chevroter, mais doutant d’y parvenir
réellement.
— Nous n’allons pas lui révéler votre
véritable identité, l’assura-t-il.
— Quel nom vais-je emprunter ?
Il haussa les épaules.
— Que diriez-vous de Liz MacDonald
?
Elle fronça les sourcils. Comment
avait-il trouvé cela ? Il avait dû y
réfléchir durant des heures.
— Très bien.
Elle avait peur de lui demander s’il
comptait toujours prétendre qu’elle était
son épouse. Si c’était le cas, elle n’y
voyait pas d’inconvénient. Absolument
aucun, même. Lorsqu’il l’avait présentée
comme sa femme un peu plus tôt, elle
s’était sentie parcourue des pieds à la tête
d’un petit frisson impertinent.
Il lui fit signe de passer devant lui
pendant qu’il parlait à Rebbie et
George… au sujet de son faux patronyme,
sans aucun doute.
— Étant donné que cet homme est un
MacLeod, vous devez m’appeler Liz
MacDonald, murmura-t-elle à Beitris.
— Ah. Bien pensé, répondit la bonne.
La porte de la chaumière s’ouvrit.
— Entrez, entrez, mes belles dames,
venez vous réchauffer les orteils.
La jovialité que l’homme grisonnant
déployait en les invitant chez lui semblait
sincère.
Isobel sourit et pénétra à l’intérieur.
— Je vous remercie de votre
hospitalité.
— Tout le plaisir est pour moi.
Même si la cheminée ne contenait que
des braises rougeoyantes, il faisait bien
meilleur en ces lieux qu’au-dehors. Leur
hôte ajouta de la tourbe dans le feu, puis
alluma une bougie pour éclairer la pièce
sombre.
La fugitive se tenait devant le modeste
foyer et se réchauffait les mains, pendant
que sa domestique occupait un fauteuil
rembourré non loin d’elle. Dirk et Rebbie
entrèrent et déposèrent leurs sacs de
couchage à côté de la porte.
— Merci de nous accueillir sous votre
toit cette nuit, dit MacKay.
— C’est la moindre des choses. Faites
comme chez vous. Je vais montrer à votre
domestique où installer les chevaux,
ajouta MacLeod avant de sortir en
refermant derrière lui.
Afin de ne pas garder les yeux rivés
sur son sauveur, la jeune veuve balaya la
pièce du regard. Cette demeure paraissait
être un petit manoir. Les sols en ardoise
et les meubles usés mais de bonne qualité
révélaient que le propriétaire possédait
sans doute des terres, même s’il n’était
probablement pas chef.
— Êtes-vous certain que cela ne le
dérangera pas de nous héberger tous les
cinq ? demanda-t-elle.
— Oui. C’est un homme bon, répondit
Dirk. Je me souviens d’une fois, dans ma
jeunesse, où nous avions dormi à dix ou
douze ici. À cet endroit même, par terre.
Isobel était persuadée qu’ils devraient
également s’y résoudre ce soir-là. Bien
que passer la nuit sur le sol ne fût pas
dans ses habitudes, elle s’y était résolue
sans se plaindre les deux nuits
précédentes. Cette pratique était bien
moins choquante qu’être retenue en otage
par un clan barbare de grossiers
personnages, même s’ils disposaient de
lits et de matelas de paille.
Elle remua les orteils, enchantée qu’ils
dégèlent ; cependant, le retour des
sensations dans ses extrémités était
accompagné d’intenses picotements.
Lewis retourna à l’intérieur
accompagné d’une puissante bourrasque
glacée et adressa un sourire aimable au
guerrier.
— Cela me réchauffe le cœur de vous
voir en vie et bien portant, MacKay,
marié depuis peu en plus de cela,
déclara-t-il en gloussant. Je devine que
vos noces sont récentes.
Elle s’embrasa de tout son être et ne
trouvait rien à dire. Pourquoi avait-il
supposé cela ? Dirk l’en avait-il informé
plus tôt ?
— Hum, non, répondit ce dernier. Je
veux dire, oui. Nous ne sommes même
pas mariés depuis six mois.
— Je le savais !
Elle n’était pas sûre qu’il s’agisse
entièrement d’un mensonge. En effet, ils
n’étaient pas mariés depuis six mois. Elle
n’était pas habituée à raconter des fables,
ni certaine de pouvoir poursuivre cette
mascarade. Mais peut-être que simuler
une union avec lui constituerait un bon
entraînement. D’où sortait cette réflexion
? Cela signifiait-il qu’elle souhaitait
convoler avec lui ?
— Eh bien, mon garçon, vous vous êtes
trouvé une beauté, affirma Lewis en
étudiant l’intéressée, avant d’arquer un
sourcil. Est-ce une contusion que je vois
sur son visage ?
— Je suis tombée du monstrueux
cheval de mon époux, bredouilla-t-elle.
Et je me suis cassé le doigt dans ma
chute.
Elle leva son majeur pour le lui
montrer, espérant qu’il croirait son
histoire piètrement élaborée.
— Oh. Vous devrez faire plus attention.
De quel clan êtes-vous issue ?
— Les MacDonald de Glencoe,
répondit MacKay. Et voici mon bon ami,
Robert MacInnis, comte de Rebbinglen.
Leur hôte écarquilla les yeux et
s’inclina.
— C’est un immense honneur de vous
rencontrer, milord. Je ne pensais pas
avoir le privilège d’héberger un homme
de si haut rang.
— Tout le plaisir est pour moi. Et je
vous remercie de votre généreuse
hospitalité.
Lewis esquissa un geste en l’air.
— J’espère seulement que vous serez
capable d’avaler notre humble repas. Je
dois toutefois admettre que la tourte des
Highlands que fait Mattie est fort
savoureuse.
— Je suis certain qu’elle est bien
meilleure que les bannocks rassis dont
nous avons dû nous contenter.
— Possible.
L’estomac d’Isobel gargouilla
bruyamment durant ce moment de silence.
Elle plaqua une main dessus en
grimaçant.
— Je pense que milady est affamée. Ne
la nourrissez-vous pas, mon garçon ?
— Si, quand elle y consent, répondit-il
en rougissant légèrement.
Son visage s’empourprait-il ? La
fugitive ne pouvait le concevoir.
Lewis s’esclaffa et leur désigna une
salle à manger séparée.
— Je sens les tourtes.
La jeune femme aussi. Les senteurs
conjuguées de venaison, d’oignons et
autres légumes la firent saliver.
— Installez-vous à table et Mattie vous
apportera le repas.
— Avez-vous eu des nouvelles de mon
père ? demanda Dirk en tirant une chaise
pour Isobel.
— Non. Je sais seulement qu’il est
malade. Je n’ai vu personne de Durness
depuis au moins un mois.
— J’espère qu’il est encore en vie,
reprit MacKay en prenant place à côté
d’Isobel.
— Moi aussi, mon garçon. C’est un
homme bon, l’un des meilleurs en ces
contrées.
Le guerrier acquiesça. La tristesse qui
se lisait dans son regard incita sa
compagne à lui prendre la main. Elle
voulait faire davantage, peut-être le
prendre dans ses bras, et lui dire qu’elle
comprenait. Perdre son propre père
l’avait presque tuée.
Il baissa les yeux sur les doigts de sa
protégée, les serra doucement l’espace
d’un instant, puis les lâcha. Elle les
retira, démunie, regrettant cette main
chaude et puissante. Le contact du
guerrier était réconfortant, mais
également excitant.
— Pourquoi ai-je entendu que vous
étiez mort ? s’enquit Lewis.
Dirk jeta un coup d’œil perçant à
Isobel.
— C’est une rumeur qui a couru quand
je suis parti.
— Les commérages, marmonna le vieil
homme.
Pour quelle raison l’avait-il observée
de la sorte ?
Peu après, une femme grisonnante
coiffée d’un fichu rouge ainsi qu’une fille
brune au visage angélique beaucoup plus
jeune servirent les tourtes fumantes. La
plus âgée devait être Mattie, cette
cuisinière dont Lewis avait chanté les
louanges, supposa la fugitive.
L’appétissante odeur d’oignons
cuisinés tortura l’estomac grondant
d’Isobel. Le mets était par ailleurs à base
de viande, de carottes et de navets dans
une pâte feuilletée, et présenté sur un
plateau en bois. Étaient à disposition du
pain d’avoine en tranches au centre de la
table et une chope de bière pour chaque
convive.
Après avoir dit les grâces, le maître de
maison invita tout le monde à manger.
La veuve n’eut guère besoin qu’il le lui
répète. Elle coupa en deux la part de
tourte prévue pour chacun et la laissa
refroidir quelques secondes, avant d’en
dévorer une large bouchée.
— Délicieuse, commenta-t-elle, tentée
de gémir de plaisir.
— En effet, acquiesça Dirk.
Quelques instants plus tard, elle leva
les yeux et croisa ceux du guerrier, emplis
de questions, avant qu’il ne se concentre
de nouveau sur son assiette. Que lui
traversait-il l’esprit ? Lorsqu’ils se
retrouveraient seuls, elle lui demanderait
pourquoi il l’avait examinée de cette
manière étrange et insistante. Il ne pensait
tout de même pas qu’elle avait lancé les
rumeurs sur sa mort.
— C’est le meilleur repas que j’aie
mangé depuis des siècles, déclara Rebbie
lorsqu’ils eurent terminé.
MacKay et sa protégée l’approuvèrent.
Après avoir englouti plus de nourriture
que de raison, elle se leva, passant devant
les hommes pour se retirer de la pièce.
Beitris avait eu droit au même plat dans
la cuisine avec les autres domestiques.
— J’ai une petite chaumière juste à
côté, annonça leur hôte. Ma fille et les
siens y séjournent lorsqu’ils me rendent
visite en été, mais elle est vide en ce
moment. Dirk, votre épouse et vous
pouvez y passer la nuit. J’ai demandé à
mon domestique d’y allumer un feu dans
l’âtre. Il devrait y faire chaud à présent.
Dieux du ciel ! Lewis MacLeod ne
pouvait être sérieux. Il s’attendait à ce
que le guerrier et sa compagne dorment
ensemble ? Ou y avait-il deux lits séparés
dans le logis annexe ?
— Ce ne sera pas nécessaire, répondit
MacKay. Je me contenterai de dormir par
terre ici.
— C’est insensé, mon brave. Avec tous
les couchages que nous avons dans cette
maison-ci et dans celle d’à côté, il y a
assez de place pour que tout le monde se
repose sur des matelas moelleux et
confortables, y compris vos serviteurs.
— Ce plan me paraît parfait, intervint
Rebbie.
Même s’il réprimait un sourire, une
flamme ironique dansait dans ses yeux
malicieux.
Dirk décocha un regard assassin à son
ami, observa Isobel d’un air troublé, puis
se tourna derechef vers Lewis.
— Très bien. Je vous remercie pour
votre générosité.
Leur hôte les salua brièvement et se
dirigea vers la porte.
— Je vais vous mener à la chaumière,
milady.
Chapitre 6

— C’est absolument scandaleux que


vous deviez passer la nuit avec cet
inconnu, chuchota Beitris à Isobel dans la
maisonnette à une pièce où Lewis
MacLeod les avait escortées.
Dirk avait suggéré que la bonne
s’occupe au préalable d’installer sa
maîtresse. Manifestement, il tergiversait,
ce dont la fugitive se réjouissait, car elle
avait besoin de prendre un bain à
l’éponge.
Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle
ressentait quant à cette situation
singulière. D’un côté, elle se jugeait
malfaisante en entretenant ainsi la duperie
qu’ils avaient entamée plus tôt ; mais de
l’autre… L’excitation crépitait dans tout
son être.
La chaumière était douillette et chaude,
avec de petits tabourets et une chaise en
bois à haut dossier. Une modeste table et
une cuisine rudimentaire équipée d’un
placard occupaient la moitié de l’espace,
et un lit clos était disposé à l’autre
extrémité.
— Les circonstances sont peut-être
indécentes, mais MacKay n’est pas un
étranger, rétorqua Isobel. Je le connais
depuis que je suis jeune. Par ailleurs,
nous avons déjà passé la nuit ensemble
dans cette hutte abandonnée.
— Avec nous autres, siffla sa
domestique. Vous n’étiez pas seule avec
lui. En vérité, vous serez peut-être
contrainte de l’épouser après ceci.
— C’est absurde.
Elle s’étonna de constater que
perspective ne la dérangeait pas autant
qu’elle aurait dû. Elle avait consenti à se
marier avec des individus pires que lui.
— Personne ne le saura, affirma-t-elle,
à l’exception de Lewis MacLeod et de
notre groupe. Je ne puis imaginer que
l’information se répande.
— Je vais rester ici pour vous
protéger. S’il tente d’abuser de vous
durant la nuit, je hurlerai assez fort pour
réveiller les morts.
Sa maîtresse renâcla.
— Êtes-vous folle ? Il ne va rien
essayer de la sorte. Il n’est pas comme
Nolan.
— Les mâles sont parfois
imprévisibles. Lorsque leurs désirs sont
attisés, ils peuvent perdre la maîtrise
d’eux-mêmes et ne plus du tout faire
preuve de bon sens.
— Hum…
Voilà qui était enivrant aux oreilles de
la veuve… Le simple fait de songer à
l’ardeur de Dirk qui s’éveillait…
La servante écarquilla les yeux.
— Ne me dites pas que c’est ce que
vous voulez.
— Je n’ai jamais vraiment connu
d’homme, Beitris, comme vous devez le
savoir.
— Estimez-vous chanceuse ! Vous faire
prendre par l’un d’eux est la pire chose
imaginable.
Isobel sourcilla.
— Vous a-t-on violée ?
— Non, mais il s’agissait d’un acte que
je n’aurais pas décidé non plus. Il était
simplement question d’un devoir auquel
je me pliais pour mon époux.
— Je me demande toutefois si c’est
toujours aussi désagréable. Je pense que
cela ne dérangeait pas ma mère outre
mesure. Autrement, pourquoi l’aurais-je
entendue glousser dans la chambre
qu’elle partageait avec mon père quand je
me tenais devant la porte ?
— Vous les écoutiez ? Vilaine fille !
s’exclama la bonne, bouche bée.
— Pas longtemps, répondit sa
maîtresse en esquissant un geste de la
main. De plus, je n’avais pas la moindre
idée de ce qui se passait à cette époque.
Je croyais que papa était peut-être en
train de la chatouiller. Ou lui avait
raconté une anecdote amusante. Je savais
qu’ils appréciaient leurs moments
d’intimité.
— Eh bien, certes, j’ai ouï dire que
certaines femmes aimaient réellement
cela. Il est possible que cela dépende des
aptitudes du partenaire.
— Voilà qui est intrigant.
Elle se demanda si Dirk possédait
quelque talent en la matière. Elle se
rappelait encore la façon dont il l’avait
touchée, en l’aidant à monter sur sa
monture et à en descendre, ou en la tenant
vigoureusement afin que Rebbie redresse
l’os de son doigt. Son contact était doux
ou ferme selon les moments, mais jamais
brusque.
— N’y songez même pas ! l’avertit sa
domestique. Vous n’êtes pas une traînée,
milady.
— J’ose l’espérer. Mais si une femme
se plaisait à avoir… des rapports… avec
son conjoint, ce ne serait ni choquant ni
scandaleux.
— Cet homme n’est pas votre époux.
— J’en suis bien consciente.
Même si la pensée de se marier avec
lui était bien plus séduisante qu’avec
MacLeod ou son précédent époux.
— C’est une ruse, Beitris. Je suis
certaine que MacKay aura les manières
d’un gentleman bien élevé et ne posera
pas l’ombre d’une main sur moi.
— Mieux vaudrait pour lui.
La bonne déployait une véhémence
proche de l’agressivité.
— Ou alors… ?
— Eh bien… je ne sais pas vraiment.
Je suppose que je pourrais me jucher sur
une table et lui mettre une gifle.
Isobel sourit en imaginant la scène.
— Ne le laissez pas s’approcher du lit,
ajouta la vieille dame en agitant son index
vers elle.
— S’il souhaite y dormir, je peux
passer la nuit dans cette chaise ou par
terre.
— Je suis ravie d’entendre que vous
envisagez de vous comporter comme une
jeune fille vertueuse.
— Bien entendu. Je l’ai toujours été.
Pourquoi cela changerait-il maintenant ?
Et s’il vous plaît, ne lui dites rien. Les
hommes font parfois le contraire de ce
qu’on leur demande par pure rancune.
Elle ne craignait guère que Dirk se
comporte ainsi, mais elle refusait que sa
servante l’embarrasse en abordant ce
qu’ils devaient tous deux s’interdire. Elle
était persuadée qu’il le savait.
Mais une part d’elle-même, rebelle et
licencieuse, espérait qu’il se montrerait
plus qu’impertinent ce soir-là.
Diable, qu’allait-il faire à présent ?
Passer la nuit avec elle, tandis qu’ils
seraient seuls dans une minuscule
chaumière ? Comment survivrait-il
jusqu’au lendemain en restant sain
d’esprit ? L’excitation frémissait déjà
presque en surface.
Rebbie et Lewis s’autorisèrent une
goutte de whisky devant le feu. MacKay
avait décliné l’invitation à les
accompagner. Il avait besoin de garder
les idées claires. La conversation de ses
compagnons ne formait qu’un agaçant
murmure auquel il ne parvenait pas à
prêter attention, malgré tous ses efforts.
Les images d’Isobel se préparant pour
le coucher ne quittaient pas son esprit.
Aucun doute que Beitris l’avait déjà aidé
à ôter sa tenue de dessus. Si la
maisonnette était chaude et que le lit
comportait plusieurs couvertures, elle
n’aurait guère besoin de dormir tout
habillée comme elle l’avait fait la veille.
Il ferma les yeux, se la figurant nue dans
une blouse de lin, le sous-vêtement que la
plupart des femmes portaient. Même s’il
savait qu’il s’agissait de folie pure, il
mourait d’envie de voir ses courbes
généreuses et découvertes.
— Lord Rebbinglen, j’ai une chambre
pour vous.
Lewis se leva pour montrer ses
quartiers à son invité.
— Je vous souhaite « bonne nuit »,
lança le comte en adressant à son ami un
sourire narquois tandis qu’il passait
devant lui.
Quel bâtard arrogant !
— À vous aussi, marmonna Dirk.
Il se leva et arpenta la pièce, conscient
qu’il devait se rendre à la modeste
demeure avant de paraître suspect. Bien
sûr, s’il avait réellement été marié à la
fugitive depuis moins de six mois, il
aurait eu hâte de se retrouver seul avec
elle. C’était ce rôle qu’il devait jouer.
Son hôte reparut quelques instants plus
tard.
— Je suis certain que vous désirez
vous aussi vous retirer. Comme je le
disais à votre femme, l’eau du seau est
fraîche, à peine tirée du puits. Si vous
avez besoin de quoi que ce soit d’autre,
prévenez-moi. J’espère que vous
dormirez bien.
Il lui fit un clin d’œil en ouvrant la
porte.
— Merci, se força à répondre le
guerrier, certain que le sommeil le fuirait
jusqu’à l’aube.
Muni de son sac de couchage, de ses
affaires et de sa lanterne, il sortit et
emprunta un chemin pavé. La chaumière
était située à quelques dizaines de pieds
seulement de la maison principale.
Ma « femme ». Bon sang ! Quel
incroyable mensonge. Il n’avait jamais
envisagé de se marier, mais lorsque lui
reviendrait un jour la position de chef de
son clan, il devrait prendre épouse.
C’était ce que sa famille attendait… Que
le meneur de leur peuple engendre un
héritier dès que possible. Il ne faisait
aucun doute que son père – s’il était
encore en vie – arrangerait un mariage
pour lui. Une union qui profiterait au clan
d’une façon ou d’une autre, en lui
apportant terres et fortune, ou de
nouveaux alliés. Mais il ne pouvait
songer à un réel mariage pour l’instant.
L’idée exigeait trop de réflexion. Il allait
se concentrer sur une étape à la fois –
d’abord, faire en sorte que son groupe et
lui-même arrivent sains et saufs à
Durness.
Il marqua une pause devant l’entrée de
la chaumière, l’estomac noué, puis frappa
à la porte en chêne. Peu après, la bonne
ouvrit, lui décocha un regard noir de mise
en garde, puis passa promptement à côté
de lui.
Avant qu’il ait le temps de l’assurer
qu’il ne chercherait pas à profiter de sa
maîtresse, elle avait disparu en direction
du bâtiment principal.
En pénétrant dans le logis, il scruta la
minuscule pièce où brûlait déjà un bon
feu. L’unique bougie posée sur la
cheminée révélait Isobel qui se tenait
près du lit clos.
Dans la lueur de la flamme, elle
semblait rougir, et ses yeux dégageaient
une sombre séduction sous ces longs cils.
Une vague d’excitation déferla en lui. Par
tous les saints ! Qu’était-il censé faire à
présent ? Son instinct lui hurlait
d’arracher ses propres vêtements et
d’allonger la jeune femme sur les draps
en se délectant de sa bouche pulpeuse.
Non, il ne pouvait se laisser égarer par
ses pulsions, cela ne faisait aucun doute.
Déposant son sac par terre et la
lanterne sur la table, il tenta de se
distraire en observant le curieux mobilier,
mais son esprit s’obstinait à dériver vers
cette couche qui pouvait accueillir au
moins deux personnes. En hiver, la
plupart des familles de fermiers se
serraient en plus grand nombre possible
dans un lit pour se tenir chaud. Cela
incluait parfois les parents et deux ou
trois jeunes enfants. Mais il ne dormirait
pas avec Isobel cette nuit-là, si mordant
que soit le froid à l’extérieur.
— Vous prendrez le matelas, et moi je
m’allongerai sur le sol.
Il souleva ses couvertures enroulées.
— Ce ne serait pas juste, répondit-elle
d’une voix sensuelle et rauque qui
déclencha en lui une onde de désir
alarmant.
— Bien sûr que si. Vous êtes une lady.
Et puisque nous ne sommes pas
réellement mariés…
— Je ne pensais pas une seule seconde
qu’il allait procéder ainsi, poursuivit-il.
Je n’ai jamais eu aucune intention de vous
mettre dans une situation compromettante,
avec cette ruse concernant votre identité.
— Je le sais bien. Vous êtes un homme
honorable, Dirk MacKay. Et je vous
remercie de me protéger.
Il sentit son visage s’embraser devant
ce compliment. Rougissait-il ? Diable,
cela ne se produisait jamais. Mais cette
créature le déstabilisait facilement. Elle
était ravissante dans l’éclat du feu, et ses
yeux se révélaient ensorcelants en cette
fin de soirée. Son corps était parfaitement
dissimulé sous l’épaisse couverture de
laine dont elle s’était enveloppée, mais il
savait qu’elle arborait des courbes
généreuses aux endroits opportuns.
Il appréciait les femmes comme
n’importe lequel de ses congénères, mais
l’heure n’était pas au rendez-vous
galant… Et surtout pas avec la fiancée
d’un autre.
— Vous devez m’expliquer pourquoi
vous m’avez jeté un regard aussi acéré
quand Lewis MacLeod a évoqué les
commérages sur votre mort, dit-elle.
Il sourcilla. Avait-il fait cela ? Il
devrait davantage maîtriser ses
expressions.
— Sans raison particulière.
Il ne souhaitait pas parler de
Maighread pour l’instant. Moins il
informerait de gens sur son histoire,
mieux ce serait. Isobel se précipiterait
peut-être pour aller raconter à la sorcière
tout ce qu’il lui apprendrait, puisque
celle-ci était une amie proche de sa mère.
— J’ai entendu les rumeurs vous
prétendant mort. Mais je ne les ai jamais
lancées ni répandues, si c’est ce que vous
imaginez.
— Non, je n’ai jamais rien pensé de la
sorte.
— Bien. Donc… vous m’avez
dévisagée ainsi pour un autre motif.
Lequel ?
Il s’efforça de se rappeler ce dont elle
parlait.
— Je ne me suis pas rendu compte que
je le faisais.
Il lâcha ses couvertures devant l’âtre,
s’agenouilla et remua les braises à l’aide
du tisonnier. Il lui avait probablement
adressé un regard sévère en l’imaginant
rapporter à Maighread qu’il n’ignorait
pas ses tentatives d’assassinat envers lui.
— Parfois, vos beaux yeux bleu ciel
sont remarquablement expressifs. À
d’autres moments, vous êtes aussi
impénétrable qu’un bloc de granit.
« Beaux » ? Que diable… ? Son corps
impertinent réagit aux propos de sa
compagne d’une fâcheuse manière ; un
torrent de désir se mit à bouillonner dans
ses veines. Peut-être Isobel avait-elle bu
trop de bière au cours du repas. Il ne
savait pas s’il devait la remercier ou
désapprouver son attitude.
— Je vois.
Si stupide que cela parût, il n’avait
rien trouvé d’autre à répondre. Il devait
changer de sujet de conversation, et vite.
Par ailleurs, il lui fallait en apprendre
davantage sur sa protégée.
— Je souhaiterais que vous me
racontiez pourquoi Nolan MacLeod vous
a cassé le doigt et blessé la figure.
Elle garda le silence un long moment,
et il sentit son attention rivée sur lui.
Désireux de la regarder dans les yeux
pour la convaincre de lui avouer la
vérité, il rangea le tisonnier, se leva et lui
fit face. Il s’efforça de ne pas l’observer
trop longtemps, enveloppée dans sa
couverture. Elle ne portait sûrement
qu’une fine blouse en dessous. Même s’il
s’appliquait à ne pas l’imaginer nue sous
le vêtement délicat, il ne put s’en
empêcher.
— Soit, dit-elle. Si vous voulez
vraiment savoir, c’est une brute, une
véritable bête. Et il a essayé de… de me
violer.
— Damnation, marmonna-t-il, son sang
fiévreux bouillant désormais de fureur. Il
n’y est pas parvenu ?
— Non.
Ce bâtard aurait toutefois mérité d’être
pendu.
— Comment vous êtes-vous enfuie ?
Elle hésita, l’air méditative, puis
secoua la tête.
— Mieux vaut que vous n’en sachiez
rien.
— Vous ne l’avez pas tué.
Si elle avait achevé son agresseur, les
gardes MacLeod qui leur avaient rendu
visite la veille ne se seraient pas montrés
aussi aimables. On n’aurait pas non plus
laissé les deux femmes franchir les portes
du château sans procéder à une fouille.
— Non. Du moins, je ne pense pas.
— Étant donné qu’on nous a permis de
poursuivre notre chemin sans contester,
j’aurais tendance à dire que ce n’est
effectivement pas le cas.
Elle soupira.
— Tant mieux. Je ne souhaiterais
jamais ôter la vie à qui que ce soit. Nolan
avait une dague à sa ceinture. Je m’en
suis emparée, puis nous nous sommes
battus pour l’avoir. Je pense que je lui ai
infligé une entaille peu profonde, même
s’il faisait trop sombre pour l’affirmer.
La dernière fois qu’il m’a poursuivie, je
l’ai frappé sur la tête avec un pichet en
grès. Il était inconscient quand je suis
partie, il saignait beaucoup, mais
respirait toujours.
Si elle l’avait si grièvement touché,
pourquoi les sentinelles et les membres
du clan n’avaient-ils pas été plus hostiles
? À moins que Nolan n’ait soufflé mot de
l’incident. Il ne voulait probablement pas
que s’ébruite la nouvelle de sa défaite
face à une femme, ni de sa tentative de
viol sur elle.
— Où cela s’est-il déroulé ? demanda
Dirk.
— Dans la chambre que l’on m’avait
attribuée à Munrick.
— Est-ce que quelqu’un au château a
eu vent de cette affaire ?
Elle secoua la tête.
— Pas tant que j’étais sur place. Nous
nous sommes échappées discrètement ce
soir-là, avant que quiconque n’apprenne
ce qui était arrivé. Je savais que si cet
animal me trouvait encore là à son réveil,
il tenterait de me tuer.
— Sans aucun doute, grommela-t-il, les
muscles crispés par l’envie d’empoigner
une épée pour se lancer à la poursuite du
cadet MacLeod.
Ce misérable ne voudrait pas que son
frère, le chef, sache qu’il avait eu
l’intention d’abuser de sa future belle-
sœur. Mais Isobel avait raison. Nolan
chercherait sûrement à se venger d’elle si
l’occasion se présentait.
Diable. Dans quels ennuis Dirk s’était-
il enlisé ? Impossible de faire autrement.
Il n’aurait jamais laissé sa protégée
mourir de froid dans cette tempête de
neige. Il se réjouissait de s’être trouvé sur
son chemin et d’avoir pu lui fournir
quelque assistance.
Elle était dans une situation fâcheuse.
Puisqu’elle n’avait pas tué son agresseur,
l’aîné MacLeod désirerait toujours
l’épouser, compte tenu de sa beauté, et de
l’éventuel arrangement qu’il avait
contracté avec Cyrus.
— Si votre fiancé découvre où vous
êtes, il viendra vous chercher, déclara-t-
il.
Elle secoua énergiquement la tête en
écarquillant ses yeux foncés.
— Je ne veux plus l’épouser, étant
donné le comportement barbare de son
cadet.
Il ne pouvait la blâmer de réagir ainsi.
Il était ravi qu’elle refuse de convoler
avec Torrin, mais la plupart du temps, les
souhaits de la fiancée importaient peu.
Cela dépendrait surtout du frère d’Isobel
et de ce qu’il déciderait. MacKay devait
s’entretenir avec lui. Lorsqu’ils
arriveraient à Durness, il lui enverrait une
missive.
— Le chef m’accusera peut-être même
d’avoir enlevé ou volé sa promise,
marmonna-t-il, détestant se voir accuser
de méfaits qu’il n’avait pas commis.
Et passer la nuit dans cette chaumière
avec elle, si innocent que ce fût, ne ferait
qu’aggraver son cas lorsque MacLeod
l’apprendrait.
— Nolan a dit que son frère avait une
maîtresse au village, une personne qu’il
aime et dont il a eu un enfant naturel. Il
voulait se marier avec moi simplement
pour que je lui donne un héritier
légitime… Mais surtout pour les trois
cents hectares que je représentais.
— Ah.
Ce bâtard ne voyait même pas qu’elle
valait beaucoup plus que ces vastes
biens. Mais le guerrier savait que les
terres faisaient souvent partie d’une dot,
et il arrivait qu’un homme désire moins
sa promise que la fortune qu’il récupérait
avec elle.
— Les liens du sang sont plus forts que
tout, jeune fille. Il n’est pas fréquent
qu’un individu s’oppose à son propre
frère.
Elle haussa les épaules.
— Peut-être que Torrin est de la même
nature que Nolan. Je ne les connais pas
assez pour le savoir.
— Je les ai rencontrés quand nous
n’étions tous encore que des garçons,
mais je ne saurais le dire non plus. Il se
peut qu’ils soient tous deux de féroces
hors-la-loi.
Un détail continuait de dérouter
MacKay.
— Pourquoi ne vous êtes-vous encore
jamais mariée ?
— Je l’ai été. Cette union avait
également été arrangée par mon aîné. Je
suis veuve.
Dirk sourcilla, abasourdi par cette
nouvelle. Pour quelle raison ne le lui
avait-elle pas dit ? Il supposa que le sujet
n’avait pas été abordé. Par ailleurs, en
quoi cela le concernait-il ?
— Je suis désolé d’apprendre ce deuil,
répondit-il. Comment est-ce arrivé ?
— Mon époux avait plus du double de
mon âge, et il est tombé malade peu après
nos noces.
— Je vois.
Il était courant que des hommes mûrs,
en particulier les chefs, s’assurent des
épouses jeunes et belles. Ils avaient
beaucoup de chance, mais MacKay voyait
à présent combien ces femmes pouvaient
ne pas apprécier leur sort, à moins d’être
gâtées par leurs vieux maris. Il se
demanda comment celui d’Isobel l’avait
traitée. Et à quand remontait sa mort. Il
avait beaucoup de questions à lui poser,
mais il était préférable qu’il refrène sa
curiosité. Il n’était pas aussi indiscret que
Rebbie.
— Allez vous coucher si vous le
souhaitez, lui dit-il. Je vais dormir ici,
devant l’âtre. Vous pouvez même fermer
les portes du lit clos pour plus d’intimité.
— Non, repartit-elle aussitôt. Je
déteste me sentir enfermée. Je préfère les
laisser ouvertes.
— Très bien.
Damnation, il n’avait pas besoin de
cette tentation.

Isobel regarda Dirk, qui se tenait


devant le feu avant d’arpenter la pièce. Il
barricada la porte, puis retourna à la
cheminée. La lumière enflammait sa
chevelure d’or. Il avait ôté son manteau et
son pourpoint, et ne portait à présent
qu’une chemise en lin. La lueur de la
flambée traversait le fin tissu, révélant le
contour de ses larges épaules, de sa taille
étroite, et des muscles de ses bras.
Elle trouvait la situation aussi étrange
que palpitante. Elle aurait aimé que sa
vraie nuit de noces, celle qu’elle avait
vécue quelques années auparavant,
ressemble un peu plus à cela. Son
premier époux était beaucoup plus vieux
qu’elle, et s’était de plus montré
incapable d’accomplir son devoir
conjugal dans la chambre à coucher. Pas
seulement ce soir-là, mais tous ceux qui
suivirent.
Dirk comptait parmi ces individus que
les dames auraient été fières de désigner
comme leur mari. Il était courtois,
protecteur et obligeant. Il faisait preuve
de respect et ne souhaitait guère profiter
de leur situation délicate. Même si une
infime part d’elle-même le regrettait.
Peu d’hommes lui plaisaient. Aucun, en
fait. Mais celui-ci la faisait réellement
méditer sur le fait de se retrouver avec un
homme… viril et débordant de vigueur.
Au lit.
Les joues fort empourprées, sa bonne
avait tenté de lui exposer la façon dont
l’acte amoureux se déroulait. Même si
celle-ci avait une vision brumeuse de la
chose. Par le passé, Isobel n’avait pu se
l’imaginer autrement que très gênante.
Mais lorsqu’elle observait le corps
musculeux de Dirk, elle songeait que
l’union physique ne se révélerait peut-
être pas aussi dégoûtante qu’elle l’avait
envisagé.
Elle parvenait presque à se figurer son
compagnon dans le plus simple appareil.
Mais il ne retira pas ses vêtements. Il
étala son sac de couchage par terre
devant l’âtre et s’allongea.
Après avoir étendu une couverture en
laine sur lui, il jeta un coup d’œil à la
jeune femme et lui demanda :
— Allez-vous au lit ?
— Oui.
Elle se glissa rapidement sous les
draps.
— Si vous n’y voyez pas
d’inconvénient, j’apprécierais que vous
vous reteniez de m’envoyer votre genou
dans l’estomac cette nuit.
Ces propos la mortifièrent. La
taquinait-il ?
— Je vous ai dit que j’étais confuse.
C’était complètement idiot de ma part.
Un petit sourire anima la commissure
des lèvres du guerrier. Cette expression
captiva la fugitive. Elle regrettait de ne
pas la contempler plus souvent. Elle
devrait penser à d’autres façons de la
susciter.
Comme il était singulier de partager
une chambre avec un homme qui ne
cherchait pas à la tripoter de haut en bas.
Bien que… Peut-être cela signifiait-il
qu’elle ne l’attirait pas. Qu’importe, elle
ne pouvait que lui faire confiance.
L’honneur comptait plus pour lui que la
satisfaction charnelle. Ou peut-être était-
il un gentleman déployant les manières
d’un galant chevalier ?
Elle se redressa en position assise.
— J’ai une confession à vous faire.
— Ah oui ?
— Parfois, durant mon sommeil, je
marche, je parle ou me comporte
étrangement. Vous ne devez pas y prêter
attention.
— Ah. Voilà donc l’explication.
Elle haussa un sourcil, prenant
conscience qu’il évoquait le moment où
elle l’avait agressé plus tôt ce matin-là.
— Beitris essaie de m’épargner d’être
ridicule, mais il arrive que même cela n’y
change rien.
— N’en soyez pas embarrassée. Je suis
certain de survivre s’il vous prenait
l’envie de m’attaquer une deuxième fois.
À présent, elle savait qu’il plaisantait.
Maudit soit-il. Son visage s’embrasa,
mais elle souriait.
— J’espère que vous n’en avez pas
gardé de contusions.
— Non. Il en faudrait bien plus que
votre genou pour me faire du mal.
— Vous m’en voyez rassurée.
Se rallongeant sur l’oreiller, elle tenta
d’imaginer comment ce serait de passer
ses doigts sur le ventre de Dirk. À quoi
ressemblait-il ? Elle savait qu’il était plat
et que des muscles fermes en saillaient.
Elle avait pu le constater en le frappant.
Portait-il désormais une marbrure de la
forme de son genou ?
Se sentant en sécurité et au chaud dans
son lit douillet, et sachant son sauveur à
côté d’elle et non à dix pieds de distance,
elle dériva vers le sommeil.

Un quart d’heure plus tard, MacKay


crut entendre sa protégée parler. Il
regarda furtivement vers la couche de
celle-ci. Dans la lueur des flammes, il vit
que la jeune femme gisait sur le flanc,
face à lui, les yeux fermés.
— Vous êtes fort… Viril, murmura-t-
elle.
« Viril » ? S’exprimait-elle déjà en
dormant ? Était-elle par ailleurs obligée
de lui mettre des idées d’une ardeur si
brûlante en tête ? Damnation, il n’aurait
pu oublier sa virilité à cet instant précis.
Il tourna le dos à sa compagne, et se
couvrit derechef, espérant ne plus
entendre les commentaires irréfléchis et
aguicheurs de celle-ci. Elle lui distillait
de folles envies dans le crâne. Sa
dernière étreinte avec une femme
remontait à de nombreuses et longues
semaines. À présent, il en fallait peu pour
attiser sa passion.
Surtout quand Isobel se trouvait à
proximité de lui.
Il ferma les paupières et laissa son
esprit vagabonder, mais celui-ci
s’orientait inlassablement vers elle, si
chaude et si veloutée dans ce lit. Il
s’imaginait ôter sa chemise et ses hauts-
de-chausses, puis se glisser sous les
draps à côté d’elle. Il désirait
vigoureusement sentir le subtil contact de
cette peau satinée contre la sienne.
Il lui détacherait sa blouse et la
retirerait de son délectable corps,
découvrant sa poitrine généreuse et ses
tétons roses et pointus. À cette seule
image, il devint fébrile et son membre se
durcit. Elle le gratifierait de quelque
stupide compliment sur ses yeux ou sa
masculinité et l’embrasserait. Il
dévorerait ses lèvres douces et
caresserait jusqu’à la moindre parcelle
de sa peau soyeuse. Puis elle
l’enfourcherait sauvagement et le
prendrait avec abandon. Étant veuve, elle
saurait ce qu’elle voudrait. Peut-être
même éprouvait-elle un manque et
recherchait-elle éperdument l’attention
d’un homme.
Damnation, il était à présent
horriblement dur, sans aucun espoir de
soulagement à l’horizon.
— Dirk, chuchota-t-elle.
Dormait-elle encore ? Serrant les dents
pour refouler la douleur qui torturait son
entrejambe, il regarda furtivement
derrière lui. Les yeux de la fugitive
étaient toujours clos et elle n’avait pas
bougé. Si elle se réveillait et le
convoquait dans sa couche, que ferait-il ?
Par la barbe de Dieu. Il ne pouvait
rien faire. Elle était promise à un autre, et
liée à celui-ci par contrat légal, qu’elle
s’en réjouisse ou pas. Pour sa part, il
n’appréciait guère cette situation.
De toute façon, elle ne le sommerait
pas de la rejoindre. Il s’agissait
uniquement de sa propre imagination. De
stupides rêvasseries qu’il ne devait pas
entretenir, compte tenu des circonstances.
Oublie-la. Il devait se reposer pour
être alerte le lendemain.
S’évertuant à faire le vide dans son
esprit, il glissa vers le sommeil.
— Dirk, gémit Isobel.
Du moins, il pensa qu’elle gémissait.
Une fois de plus aux aguets, il jeta un
œil noir par-dessus son épaule. Enfer !
Allait-elle le tourmenter toute la nuit en
murmurant son prénom de cette voix
rauque ? Elle se tourna sur le dos et
s’agita sans répit.
Jurant entre ses dents, il s’efforça de
faire face à la cheminée une fois de plus.
Il eut besoin de se boucher les oreilles
avec ses couvertures afin de ne plus
entendre les appels de cette sirène.
Quelque temps plus tard, il se réveilla,
conscient qu’un vent glacial fouettait
l’intérieur de la chambre. Par tous les
diables ! La porte était ouverte. Il bondit
sur ses pieds, et trouva la jeune femme
debout dans l’embrasure, seulement vêtue
de sa fine blouse de lin.
Chapitre 7

— Isobel ?
Pourquoi diable avait-elle ouvert la
porte, laissant ainsi le vent d’hiver
souffler violemment dans la chaumière,
surtout en étant simplement parée de ses
sous-vêtements ? Dirk traversa la pièce
en hâte, attira la fugitive vers l’intérieur,
et referma derrière lui.
— Que faites-vous ?
Elle avait les yeux ouverts, mais ne le
regardait pas. Dormait-elle ?
— Retournez vous coucher, poursuivit-
il.
Il la prit par le haut des bras, et la
dirigea délicatement vers le lit.
Elle résista et tendit la main vers la
porte.
— Rentrer à la maison.
Il pouvait la comprendre, puisque lui-
même souhaitait repartir chez lui. Mais
aucun d’eux n’était en mesure de le faire
à cet instant précis.
Sachant qu’elle ne lui obéirait pas, il la
souleva. Elle lui parut aussi légère qu’une
petite fleur de chardon, mais n’était en
rien aussi épineuse. Il l’avait aidé à
monter sur son cheval à quelques
reprises, mais ne l’avait jamais tenue de
cette manière, le corps plantureux de la
jeune femme appuyé contre le sien.
Lorsqu’il se tourna avec sa compagne,
celle-ci se mit à glousser. Ce rire
espiègle le parcourut dans un tourbillon
d’excitation fiévreuse. Elle lui glissa les
bras autour de la nuque et s’y suspendit
fermement tandis qu’il la portait jusqu’à
la couche. L’un de ses seins moelleux, au
téton durci, se frotta contre le torse du
guerrier, le fin tissu constituant le seul
rempart entre eux. Elle enfouit son nez au
creux du cou de MacKay, lui stimulant la
peau de sa chaude haleine.
Le désir déferla en lui, mais
lorsqu’elle lui embrassa la gorge, il
pensa qu’il allait littéralement
s’enflammer. Par tous les saints ! Il
voulait faire de même, lui déposer un
sillon de baisers qui descendrait jusqu’à
sa poitrine, dénouer sa blouse, et… Il
secoua la tête, s’échinant à débarrasser
son esprit de telles pensées.
Debout devant le lit, il demeura
immobile, malgré son instinct qui lui
intimait rageusement d’écraser ce corps
frêle contre le sien sur le matelas.
Il inspira profondément, luttant pour
calmer ses ardeurs.
— Êtes-vous réveillée ? murmura-t-il.
Elle émit un bourdonnement endormi et
lui déposa un nouveau baiser dans le cou.
Réprimant un gémissement, il baissa le
regard sur elle. Dans la pénombre, il ne
parvenait pas à voir si elle avait les yeux
ouverts ou fermés. Mais elle sentait
divinement bon, un parfum de lavande et
de féminité.
Remets-la simplement dans le lit et
laisse-la tranquille !
Il la posa sur la couche, mais elle resta
agrippée à sa nuque. Il savait qu’il
pouvait se contenter de se défaire lui-
même de la frêle jeune femme, mais
semblait ne pouvoir s’y résoudre. Le
souffle d’Isobel lui chatouillait le visage.
Sa bouche, à guère plus d’un pouce ou
deux de celle du guerrier, l’attirait, lui
donnait la pressante envie d’y goûter
seulement une fois.
Cédant à la tentation, il effleura de ses
lèvres celles de sa compagne… Elles se
révélèrent d’une douceur soyeuse et
chaude. Elle les pressa plus fermement
contre celles de Dirk, après avoir laissé
échapper un léger soupir. Il s’agissait
d’un chaste baiser, mais l’ardeur rageuse
que MacKay sentait gronder dans tout son
corps le poussa à rendre ce contact
charnel, et à écarter les lèvres de sa
protégée pour y glisser sa langue.
Non. Elle est endormie.
Relevant la tête, il lui retira les bras de
son cou et remonta les couvertures sur
elle. Elle protesta dans un grognement.
Damnation, elle paraissait animée de la
même envie que lui. Mais en était-il
l’objet, ou se serait-elle satisfaite de
n’importe quel homme ?
Cela ne faisait aucune différence.
— Rendormez-vous, dit-il d’une voix
basse mais ferme, même si elle somnolait
déjà.
Elle se retourna et sa respiration
s’approfondit.
Par tous les saints ! Pour cette fois, il
aurait préféré qu’elle fasse l’inverse de
ce qu’il lui demandait. La sensualité de
ses lèvres avait laissé sa marque brûlante
sur celles de MacKay.
Non. Il ne pouvait l’avoir. Ni
l’embrasser. Elle appartenait à un autre.
Elle ne bougeait plus et semblait
désormais complètement assoupie.
Il barricada de nouveau la porte et
plaça un lourd fauteuil devant en espérant
que cela empêcherait la fugitive de sortir
et de se geler le derrière pendant qu’il
dormait. Au moins, elle le réveillerait si
elle poussait le siège pour passer
l’embrasure.
Mais étant donné son état d’intense
excitation, il avait peu de chances de
trouver le sommeil cette nuit-là.
Déterminé à essayer, il s’allongea sur sa
couche. Il ne pouvait oublier combien il
lui avait paru parfaitement naturel de tenir
Isobel dans ses bras. Son instinct s’était
manifesté, et il avait presque l’impression
d’avoir capturé une femme pour son
propre compte. Comme il aurait voulu
pouvoir l’emporter loin de là et lui
montrer l’effet qu’avaient sur lui ses
baisers !
Mais puisqu’elle dormait, elle ne se
remémorerait sans doute pas l’incident.

Dirk sella son cheval le lendemain


matin devant l’étable de Lewis MacLeod
tandis que George procédait de même
avec celui de Rebbie non loin de là. La
faible lueur du soleil se hissait au-dessus
des montagnes.
— Comment cela s’est-il passé hier
soir ? s’enquit MacInnis dans un sourire
enjoué. Vous semblez vous être peu
reposé.
— Très bien.
MacKay savait ce que son ami
cherchait à savoir, mais il ne lui
révélerait rien de la torture sensuelle
qu’il avait endurée.
— Très, très bien ? insista le comte
d’un ton suggestif.
Le guerrier lui adressa un regard
furieux.
— Il ne s’est rien produit, si c’est ce
que vous vous demandez.
Rien d’important en tout cas.
Assurément rien dont elle se souviendrait.
Mais la façon dont elle lui avait embrassé
le cou et l’effleurement de leurs bouches
le hanteraient.
— Elle a dormi dans le lit, et je me
suis contenté de mon couchage devant
l’âtre.
Son compagnon émit un petit rire.
— Comme je le supposais. Vous êtes le
roi de la courtoisie et de l’honneur dès
qu’il s’agit de cette créature.
— Quand ai-je manqué de ces deux
qualités envers quelque autre dame ?
— J’ai le souvenir d’une occurrence au
cours de ces derniers mois, rétorqua
Rebbie dans un sourire malicieux. Vous
vous rappelez certainement lady Neilina.
— Vous faut-il absolument l’évoquer ?
J’aidais Lachlan. Il avait un nombre
indécent de femmes calculatrices à ses
trousses. Mis à part cela, je suis un
homme comme les autres. Je suis
persuadé que vous vous seriez porté
volontaire pour cette mission avec elle si
vous aviez été plus grand et plus blond.
MacInnis sourcilla.
— Qu’y puis-je si je n’ai rien d’un
géant ?
Dirk renâcla. Même si son compagnon
mesurait plus de six pieds, il demeurait
légèrement plus petit que lui ou que
Lachlan. Sa taille faisait partie des
quelques sujets que MacKay avait trouvés
pour le taquiner. En général, Rebbie y
restait insensible.
— Je vois ce que vous essayez de
faire, déclara le comte. Vous tentez de
dévier la conversation.
Le guerrier haussa les épaules,
espérant que son ami se lasserait.
— Il n’y a rien à raconter.
— Vous a-t-elle envoyé son genou dans
l’entrejambe cette fois ?
— Non, Dieu merci. Mais elle m’a
avoué qu’elle marchait dans son sommeil.
C’est pourquoi elle m’est tombée dessus
l’autre matin.
— Je vois, répondit MacInnis en
grattant la barbe naissante qui couvrait
son menton. Hum… Je suis sûr que vous
souhaitiez la voir en pleine crise de
somnambulisme se diriger jusqu’à votre
couche pour se glisser sous les
couvertures.
— Eh bien, cela n’a pas eu lieu, vous
pouvez donc cesser d’élaborer des
hypothèses.
— Quel dommage. Cette froide nuit
d’hiver aurait pu se révéler autrement
plus chaude.
Dirk secoua la tête.
— Votre esprit ne se départit jamais de
sa vulgarité, n’est-ce pas ?
— Rarement. Je trouve simplement
divertissant d’observer la manière dont
vous vous laissez perturber par une
femme pour la première fois.
— Ce n’est pas le cas, gronda Dirk.
— Il fallait que cela arrive tôt ou tard.
La porte s’ouvrit derrière eux, puis
Isobel et sa bonne apparurent, chargées
de leurs modestes affaires.
— Chut, siffla MacKay à son ami.
— Bonjour, milady, lança Rebbie en
esquissant l’une de ses révérences
théâtrales.
— Bonjour, dit-elle d’un ton plus
réservé avant de s’incliner à son tour.
Elle paraissait bien plus reposée que
son sauveur ne l’était, sans l’ombre d’un
doute. Elle avait dormi toute la nuit,
malgré ses déambulations dans la
chambre, alors qu’il n’avait profité que
de quelques assoupissements entre deux
rêves brûlants de sensualité.
Dans l’air frais, les joues de la jeune
femme s’illuminaient d’un rose éclatant.
Et le regard ténébreux qu’elle posa sur
Dirk le fit presque suffoquer. Il lui
adressa une brève révérence.
Elle sourit et le salua en retour, puis se
hâta de rejoindre Beitris en direction de
la maison principale.
— Avez-vous vu cela ? murmura
MacInnis en aparté. Elle a rougi dès
qu’elle vous a vu.
— Rebbie, je vous préviens…,
marmonna-t-il à voix basse.
Le comte s’esclaffa et le gratifia d’une
tape sur l’épaule.
— Il est l’heure de manger, cria Lewis
MacLeod sur le seuil de son logis.
— Nous devons rapidement déjeuner et
nous mettre en route, déclara le guerrier.
Il est déjà tard. Il nous faut gagner
Durness avant le coucher du soleil, ou
nous n’aurons aucun endroit où passer la
nuit.

Isobel frissonnait contre MacKay,


assise derrière lui sur son cheval. Il
regrettait de ne pouvoir la réchauffer,
mais elle était déjà enveloppée dans tous
les tartans et toutes les couvertures
supplémentaires qu’il possédait. Dieu
merci, il ne neigeait plus, et le soleil
perçait à travers les nuages de temps à
autre. Mais le vent incessant soufflait plus
violemment.
Au moins, le corps imposant du
Highlander la protégeait presque
entièrement des bourrasques provenant du
nord. Il les sentait parfois lui piquer la
figure et s’insinuer dans ses multiples
épaisseurs de vêtements. Cependant, il
n’avait pas froid. En fait, durant la
majeure partie du trajet, le contact de la
jeune femme l’avait embrasé outre
mesure. Il avait vraiment besoin de
partager un peu de cette ardeur charnelle
avec elle. Mais cette idée n’était guère
judicieuse.
Il tourna la tête.
— Vous avez froid, milady ?
— Pas de façon insurmontable.
Elle claqua des dents, avouant ainsi
qu’elle venait de mentir. Il l’admira de ne
pas se plaindre. Cette fille était forte.
— Mettez vos bras sous mon tartan et
ma cape. La température est meilleure au
plus près de mon corps.
Damnation, il n’aurait pas dû dire cela.
Il sentit son cœur s’emballer en
l’imaginant se rapprocher de sa peau, et
lorsqu’elle enfouit ses mains sous son
manteau de laine et son habit écossais,
puis toucha ses hanches à travers son
pourpoint, il s’anima de tout son être.
Mais son devoir était de lui tenir chaud.
Il avait grandi dans ces contrées, et
savait combien l’automne et l’hiver
étaient rudes au pays des MacKay. Il
supporterait plus facilement qu’elle le
froid.
Elle glissa sa main valide sous le bras
de Dirk et la posa telle une plume sur le
haut du ventre de ce dernier. Il l’aida à
installer le membre blessé au niveau de
sa taille, en prêtant une grande attention
au majeur harnaché de l’attelle, puis lui
couvrit les mains avec l’une des siennes.
— Oh. Vos doigts sont glacés.
— C’est vrai. Le vent cinglant souffle
si fort par ici.
— Nous atteindrons Durness dans peu
de temps.
Il frappa du talon les flancs de sa
monture pour qu’elle accélère sur le
sentier qui coupait entre la lande et les
collines rocailleuses. Un troupeau de
bœufs des Highlands à fourrure noire se
trouvait là et les observait dans le champ
enneigé. De la fumée s’échappait d’une
petite hutte de fermiers au loin.
La pression des doigts d’Isobel sur son
estomac l’affecta plus qu’il ne l’aurait
souhaité, déclenchant de brûlantes vagues
de désir dans tout son corps. Il mourait
d’envie de la tenir dans ses bras, de la
réchauffer et de la protéger. Que le diable
l’emporte s’il n’était pas un parfait crétin.
Se demandant ce qu’il advenait du
reste du groupe, il fit halte, tourna
légèrement son animal et jeta un coup
d’œil à Rebbie par-dessus son épaule.
Dans le sillage de ce dernier, Beitris
chevauchait en passagère arrière sur la
bête de George.
MacInnis fit signe à son ami de
poursuivre.
Dirk incita son cheval à reprendre la
route. Chaque yard parcouru sur la voie
étroite qui serpentait autour des lacs et
entre les montagnes de pierre nue était un
pas de plus dans le passé. Peu de choses
avaient changé dans la région en douze
ans.
Des hurlements éclatèrent au loin dans
leur dos. La bonne d’Isobel cria.
— Oh, mon Dieu, s’exclama la lady.
— Que diable… ?
Dirk obligea de nouveau son destrier à
faire volte-face pour regarder derrière
lui. Rebbie et les deux domestiques
s’étaient laissé distancer. Et à présent, un
homme se dressait devant eux, un pistolet
à la main. Il vociféra un ordre.
Qui était-il et d’où avait-il surgi ?
Portant un masque et une capuche sur la
tête, il arborait l’apparence d’un bandit
solitaire.
Pouvait-il s’agir de McMurdo ? Dirk
avait oublié ce bâtard.
Il mit pied à terre.
— Passez à l’avant sur la selle et
restez baissée, dit-il à Isobel en lui
tendant les rênes. Cet individu est armé.
S’il se dirige vers vous, chevauchez au
nord aussi vite que vous le pouvez. La
chaumière de mon oncle sera la première
que vous rencontrerez. La grande.
— Je viens aussi, pour aider Beitris.
Elle s’apprêtait à descendre.
— Non, ordonna-t-il. Ne bougez pas
d’ici.
— J’ai un poignard.
Elle sortit le couteau luisant de la
poche qui pendait de sa ceinture.
— Rangez cela avant de vous couper,
gronda-t-il. Garde-la en sécurité, Tulloch,
lança-t-il à sa bête.
Celle-ci hennit et frappa le sol de son
immense sabot.
— Faites attention à vous, dit la jeune
femme.
Dirk dégaina son glaive et se rua deux
cents pieds en arrière vers le reste du
groupe, en dérapant sur la glace et la
neige. Il n’avait pas conscience d’avoir
autant devancé Rebbie et les
domestiques.
Son cheval dansant sur place, MacInnis
envoya un coup de pied botté qui projeta
le pistolet du hors-la-loi. Le vaurien se
jeta alors par terre pour le récupérer.
Tandis que Rebbie bondissait de sa
monture, le guerrier fonça vers eux.
Le comte et l’inconnu roulèrent au sol,
en se disputant l’arme. MacKay saisit
leur assaillant par sa cape marron qui
était attachée autour de son cou, et
l’écarta violemment de son ami, qui
s’était emparé du pistolet. Le bandit émit
des sons étouffés et tira sur la boucle du
manteau. Dès qu’elle fut défaite, il se
libéra de l’habit et s’enfuit vers un
bosquet, ses longs cheveux gris flottant
derrière lui. Avant de se trouver à
couvert, il feignit d’aller s’abriter pour
subitement se diriger vers Isobel et le
cheval.
— Halte ! somma Dirk, se précipitant
vers sa protégée.
Bâtard ! Il le ferait suffoquer jusqu’à
son dernier soupir s’il s’avisait de poser
les mains sur elle.
Un coup de feu explosa derrière eux.
MacKay regarda furtivement par-dessus
son épaule et aperçut le comte tenant
l’arme levée et toujours pointée vers le
brigand, ainsi qu’un nuage de fumée noire
que le vent faisait dériver. L’homme
masqué ne tomba pas. Au lieu de cela, il
changea de trajectoire et détala derechef
dans les buissons.
— Vermine ! hurla le guerrier, en se
rapprochant enfin d’Isobel.
Tulloch renâcla et frappa le sol.
La dernière fois que Dirk avait vu
Donald McMurdo, ce dernier avait les
cheveux foncés, mais cela remontait à des
années. Il s’agissait forcément de lui. Si
les femmes ne s’étaient pas trouvées avec
eux, il aurait traqué cette canaille pour la
jeter dans le cachot de Dunnakeil.
— Bon sang ! grommela Rebbie qui les
rejoignait en brossant ses habits pour en
ôter la neige et les débris. Un bandit de
grands chemins ? Par ici, dans le pays le
plus reculé que j’aie jamais vu ?
— Eh oui, ils sont partout. C’était
certainement McMurdo. Quand je n’étais
qu’un jeune garçon, mon père et ses
hommes ont tenté de le capturer, mais il
était aussi insaisissable qu’un fantôme.
C’est un voleur, mais aussi un meurtrier.
Difficile de croire qu’il soit toujours en
vie après tout ce temps.
George amena l’autre cheval sur lequel
Beitris, encore livide, était perchée.
MacInnis étudia le pistolet de
l’agresseur dans sa main.
— Si cette saleté avait été de meilleure
qualité, j’aurais pu tirer dans le derrière
de ce vaurien avec sa propre arme.
Dirk souffla avec mépris.
— Dépêchons-nous avant qu’il ne
reparaisse.
— J’espère qu’il osera, lança Rebbie
d’une voix forte, pour s’assurer que
quiconque caché dans le bosquet puisse
l’entendre. J’ai quelque chose à lui
donner – une balle de plomb entre les
dents.
MacKay observait Isobel, et releva
qu’elle scrutait l’extrémité des buissons
en écarquillant ses yeux sombres.
— Vous allez bien ? s’enquit-il.
— Oui.
Tripotant et tortillant ses épaisseurs de
vêtements et de couvertures, elle retourna
sur son équipement de couchage derrière
la selle. Il admira la façon qu’elle avait
d’affronter des événements éprouvants
sans ciller ni verser dans l’hystérie.
Il enfourcha sa monture et dans le quart
d’heure qui suivit, la large demeure
d’oncle Conall, avec ses murs en pierre
chaulée et son toit de chaume, apparut aux
abords du village. Il se sentit revigoré,
soulagé que ce voyage se termine enfin.
Mais à mesure qu’il cheminait, se
rapprochant de plus en plus du bourg de
son enfance, il se crispa.
Il priait d’être arrivé à temps pour voir
son père en vie.
— Nous y voilà, annonça-t-il à Isobel.
Une fois devant la maison, il mit pied à
terre, puis se retourna furtivement vers
Rebbie sur son cheval.
— C’est le domicile de mon oncle, lui
dit-il.
Il leva les mains, et aida sa protégée à
descendre. Les autres firent de même.
Lorsqu’il se trouva face à la porte
d’entrée, l’effroi lui vrilla les entrailles.
Oncle Conall, le frère cadet de son père,
ainsi que sa famille étaient les seuls
membres du clan en qui il pouvait avoir
confiance.
À ses côtés, la jeune femme lui serra le
bras, cherchant à le distraire de sa
morosité l’espace d’un instant. Les yeux
de la fugitive, un peu plus foncés que
noisette, s’adoucirent comme si elle
comprenait ce qu’il ressentait.
L’angoisse, la peur. Bien sûr qu’elle
comprenait. Elle avait assisté à la
maladie de ses propres parents, avant de
les perdre. Mais ce qui importait plus que
tout était qu’à ce moment précis, il ne se
sentait plus seul. Car même lorsqu’il se
trouvait en compagnie de ses amis, il lui
semblait souvent être isolé, et il ignorait
s’ils parvenaient réellement à saisir ce
qu’il éprouvait. Quelque chose lui disait
qu’Isobel avait cette faculté.
Elle retira sa main, et il ne put croire
combien ce contact ténu lui manquait.
Prenant une profonde inspiration, il
s’efforça d’avancer pour frapper à la
porte patinée par le temps.
Sa tante Effie ouvrit et sortit la tête.
Elle posa son regard sur lui, esquissa un
sourire, poussa violemment la porte en
arrière, et le prit dans ses bras.
— Mon neveu, c’est une bénédiction
de contempler de nouveau votre visage.
Je suis heureuse que vous soyez de retour
à la maison.
Elle recula et cria dans la chaumière :
— Conall !
Elle se tourna derechef vers Dirk, et lui
expliqua :
— Il prend son souper. Vous savez
comment il est. Rien ne peut le faire
quitter la table. Entrez, ainsi que vos
compagnons.
Elle leur fit signe de s’avancer.
Il resta figé. Et même s’il détestait
avoir à lui demander, il devait le faire.
— Quelles sont les nouvelles
concernant mon père ?
— Oh, mon petit, répondit-elle, la
figure plissée dans une grimace. J’ai
oublié que vous n’en aviez pas encore été
informé. Je suis désolée de vous
apprendre qu’il est décédé il y a plus
d’un mois.
Ces propos le frappèrent comme un
bélier lui percutant l’estomac.
Son père était parti. MacKay ne
pourrait pas l’étreindre une dernière fois
ni lire la joie sur sa figure.
Il acquiesça, la gorge serrée.
— C’est ce que je craignais.
Même s’il avait sincèrement espéré se
tromper.
— Je suis venu dès que j’ai pu, ajouta-
t-il.
Le regret le submergea comme la pluie
inondant un marécage. Le chef avait
certainement succombé avant même que
son fils ne reçoive la missive à Draughon.
Il aurait dû revenir avant, peut-être des
années plus tôt. Mais son père le pensait
mort. Le guerrier n’avait jamais su s’il
était préférable de rester « enterré », ou
de proclamer sa présence au clan et à la
femme qui veillerait à le faire assassiner
si l’occasion lui était donnée.
— Oui ?
Conall apparut dans l’embrasure, ses
cheveux et sa barbe désormais gris. Il
concentra son regard durant un moment
sur leur visiteur.
— Dirk, mon garçon, c’est bien vous ?
— En effet.
— Je vous reconnais à peine
maintenant que vous êtes adulte.
Il enveloppa son neveu dans une
impressionnante étreinte. Lorsqu’il se
recula, ses yeux étaient embués de
larmes.
— Mon enfant, je suis navré que Griff
ne s’en soit pas sorti. Une semaine après
que j’ai envoyé cette lettre, il nous a
quittés. J’en ai expédié une seconde, mais
je ne sais pas si vous l’avez reçue.
MacKay secoua la tête.
— Je vous remercie de m’avoir tenu
informé.
Conall regarda furtivement le reste du
groupe qui avait voyagé avec lui.
— Avec qui êtes-vous venu ?
Dirk s’efforça de mettre son chagrin de
côté pour le moment. Rebbie était celui
qui se tenait le plus près de lui.
— Voici mon grand ami, Robert
MacInnis, comte de Rebbinglen.
— Un comte ? Je suis ravi de vous
rencontrer, milord.
Il lui serra la main.
— Tout le plaisir est pour moi.
— Et voici lady Isobel MacKenzie et
sa bonne. Nous les avons secourues sur le
chemin.
— Secourues ? Eh bien, vous êtes un
véritable chevalier et un gentleman, n’est-
ce pas ? Entrez. Nous avons assez de
nourriture pour tout le monde.
— Malgré la manière dont vous
l’engouffriez ? railla Effie.
— Bah ! Je vais m’occuper des
chevaux, femme. Servez à manger à nos
invités.
Conall fit signe à tous les autres de
pénétrer dans la chaumière.
En passant devant Dirk, la veuve
croisa son regard et lui adressa un coup
d’œil empli de compassion.
Il esquissa en réponse un bref
hochement de tête pour la remercier de sa
compréhension, puis suivit son oncle vers
la petite écurie.
Après que le vieil homme eut montré à
George où mener les montures, son neveu
lui demanda : — Pourrais-je m’entretenir
avec vous un instant, mon oncle ?
— Certes.
Le côté de la bouverie en pierre les
abritait des plus cinglantes bourrasques.
— Je ne puis croire que mon père soit
mort. A-t-il souffert ?
— Non. Son mal ne paraissait pas
accablant. C’était son cœur, nous a dit la
guérisseuse, expliqua Conall en secouant
la tête.
— S’agit-il encore de Nannag ?
— Oui. Toujours aussi audacieuse
qu’un chiot, même si elle perd l’ouïe.
— Par tous les saints, elle doit avoir
au moins cent ans.
Son hôte acquiesça en esquissant un
léger sourire.
— Je dirais autour de quatre-vingts ou
quatre-vingt-dix printemps. Mais elle
conserve sa vivacité d’esprit.
— Elle est fiable, n’est-ce pas ? Ma
belle-mère n’aurait pas réussi à la
convaincre par la force de précipiter le
décès de papa, si ?
— Non, je ne pense pas, mon garçon.
Maighread semblait nourrir de l’affection
pour votre père. Il n’aurait été d’aucun
profit pour elle ni pour leurs fils de
l’assassiner. Aiden a seulement vingt et
un ans, il est à peine assez mature pour
faire un chef décent. Ses parents se
doutaient tous les deux qu’il rencontrerait
des difficultés avec cette position.
Dirk hocha la tête. Il se sentit apaisé
d’entendre que cette sorcière n’aurait
jamais voulu la mort de son époux comme
elle avait souhaité celle de son beau-fils.
Apparemment, ce dernier était le seul
dont la disparition présentait quelque
intérêt pour elle.
— Griff n’a plus jamais été le même
après vous avoir cru décédé, déclara son
oncle. Voyez-vous, des semaines durant,
il a refusé de penser que c’était vrai,
parce que l’on n’avait pas retrouvé votre
dépouille échouée sur la rive. Il a fini par
accepter votre trépas, puis s’en est voulu.
Dirk eut l’impression de recevoir un
rocher en pleine poitrine. La dernière
chose qu’il avait désirée était de blesser
son père.
— Lui avez-vous dévoilé qui vous
suspectiez d’avoir tué cousin Will ?
Cet enfant était le fils du second frère
de son père, et le meilleur ami de
MacKay durant son enfance. Ils étaient
quasiment inséparables, jusqu’à ce que
l’un des hommes de sa belle-mère ne
pousse le garçon de la falaise.
— J’y ai fait allusion, répondit Conall.
Mais je ne pouvais accuser
catégoriquement Maighread sans preuves.
Par ailleurs, je la soupçonne d’avoir
plusieurs membres du clan à son service.
— Eh bien, comme vous le savez, elle
a tenté de me tuer deux fois avant cela, et
il ne m’a jamais cru.
D’une certaine façon, il s’était senti
trahi par Griff, qui avait préféré faire
confiance à son épouse plutôt qu’à son
propre fils.
— Ce qu’il voyait en cette femme
dépasse l’entendement, marmonna Conall.
Il l’aimait jusqu’à en perdre la raison. Et
même si le cœur n’y était pas, il avait
demandé que les hommes commencent à
entraîner vos deux jeunes frères pour
qu’ils marchent sur ses traces.
— Les deux ?
— Oui, comme vous le savez, Aiden
est l’aîné, mais également le plus timide
depuis toujours. Votre père n’était pas
certain de son aptitude à mener ses gens.
Haldane est plus jeune, mais de nature
plus déterminée. Il me paraît évident qu’il
souhaite devenir chef malgré ses dix-neuf
printemps. Environ la moitié du clan le
soutiendrait s’il décidait d’évincer son
frère, mais il y est attaché. Je ne crois pas
qu’il veuille le blesser. Si Aiden
renonçait à sa position, son cadet lui
succéderait. Cependant voyez-vous, la
plupart des anciens prendraient parti pour
l’aîné, parce qu’il est plus mûr, mais
aussi plus rusé et plus réfléchi. Et
maintenant que vous êtes là…, ajouta son
oncle en haussant les épaules.
— Certes. Maintenant que je suis là…
Je ne sais même pas si les nôtres croiront
que je suis bien celui que je prétends.
— Comment pourraient-ils en douter ?
À présent que vous êtes adulte, je vois
beaucoup de votre père en vous.
Dirk s’en réjouissait. Il avait toujours
été fier de lui ressembler. Mais il n’était
pas sûr de l’accueil que lui réserverait le
clan, qu’il ait un air de famille ou pas.
— Il reste encore un peu de temps pour
y songer. Avez-vous faim ?
— Oui.
Son estomac le tourmentait, mais était-
ce dû à l’appétit ou à l’angoisse ?
— Allons à l’intérieur.
Dirk le précéda dans la chaumière qui
n’avait pas changé depuis la dernière fois
qu’il y avait pénétré. Deux des plus
jeunes fils de Conall et trois de ses filles
le saluèrent lorsqu’il entra. Par tous les
saints ! Ils n’étaient tous que des enfants
en bas âge quand il était parti.
— Vous avez tous grandi. Où est
Keegan ?
Il avait toujours été très ami avec
l’aîné de Conall.
— Il est à la tête des gardes du
château.
— Je vois.
Il s’agissait d’un poste très important,
et MacKay était ravi qu’il soit occupé par
une personne en qui il avait confiance.
Intercalant tant bien que mal sa large
carrure entre Rebbie et un autre cousin, il
s’assit en face d’Isobel. Elle avait retiré
la capuche couvrant sa luxuriante
chevelure noire qui retombait sur ses
épaules. Son regard enchanteur croisa
celui du guerrier dans la lueur des
bougies, et une étonnante sensation le
parcourut du torse jusqu’à l’entrejambe.
Diable, qu’est-ce qui n’allait pas chez
lui ? Il baissa les yeux sur le tranchoir
généreusement garni de nourriture que
tante Effie avait disposé devant lui.
— Je vous remercie, bredouilla-t-il.
— Mangez. Vous êtes en pleine
croissance et avez besoin de prendre des
forces.
— « En pleine croissance » ? Je ne
l’espère pas.
Il n’y avait que cette femme pour tenir
de tels propos. Il sentit sa poitrine se
réchauffer d’être de retour parmi les
siens.
— Je suis tout à fait certain d’avoir
assez grandi.
Rebbie renâcla.
— Vous en avez le droit.
— Vos commentaires ne sont pas
requis, répondit Dirk, l’attention de
nouveau attirée par sa protégée.
Elle réprima un sourire, les yeux
brillants d’humour. Damnation, elle était
vraiment ravissante. Il parvenait à peine à
se détourner d’elle, mais s’appliqua à se
concentrer sur son repas.
Ses pensées vagabondèrent vers la
tâche qui l’attendait : annoncer à ses
frères et au reste de la famille qu’il était
bel et bien en vie, et qu’il revenait pour
prendre sa place de chef du clan. Il
rencontrerait sans aucun doute un nombre
considérable de contestations.
Chapitre 8

Dirk ne savait pas vraiment à quoi


s’attendre à Castle Dunnakeil, mais il
estima plus prudent pour Isobel et sa
bonne de rester avec tante Effie jusqu’à
ce que Conall, Rebbie et lui se rendent au
château et rencontrent son frère, Aiden,
ainsi que le reste du clan.
Le vent s’était un peu calmé à la
tombée du crépuscule, mais les rafales
demeuraient plus violentes dans cette
région que dans celles situées plus au
sud. Le temps que la forteresse
apparaisse à l’horizon, avec pour toile de
fond la baie plongée dans l’obscurité, la
nuit s’était abattue sur eux. Des torches
diffusaient suffisamment de lumière
autour de la propriété et dans la haute
enceinte de pierre pour lui permettre de
constater que les lieux avaient peu changé
ces douze dernières années. Les trois
tours rondes de Dunnakeil avaient
chacune été construites à un siècle
différent par ses ancêtres, tout comme le
donjon et l’aile est.
Même si son foyer paraissait intact au-
dehors, il savait que les choses seraient
amplement différentes à l’intérieur,
maintenant que son père n’était plus là.
En s’approchant de la demeure, il pouvait
à peine croire qu’il n’aurait plus
l’occasion de le revoir. Une sensation
pesante et sinistre lui assaillit l’estomac.
— Comme je vous le disais, Keegan
occupe le poste de chef des gardes, dit
son oncle tandis qu’ils arrivaient à
proximité de la guérite. S’il y a le
moindre problème, il nous sera d’une
aide précieuse.
Dirk pria que rien de tel ne se présente.
Il ne désirait guère se battre avec des
membres du clan ou de sa famille.
Sous l’abri des sentinelles se
trouvaient deux silhouettes qui les
observaient dans la lueur des flammes.
— Qui est avec vous, Conall ?
demanda l’un des soldats.
— Dirk ? lança l’autre occupant de la
guérite, d’une voix choquée mais
familière.
— Oui, confirma MacKay. Keegan,
est-ce vous ?
— En effet.
Le fils aîné du vieil homme émergea
pendant que son collègue relevait la
herse.
Ils pénétrèrent dans l’enceinte pavée en
direction des écuries où ils descendirent
de selle. Deux garçons dégingandés
d’environ quinze ans emmenèrent les
montures.
MacKay se tourna vers son cousin.
— Keegan, c’est bon de vous revoir.
Ses cheveux couleur sable châtain
étaient tirés en arrière dans une tresse. La
figure enfantine dont Dirk se souvenait
avait mûri pour laisser place à celle d’un
homme aux mâchoires et au menton
prononcés. Sous son manteau de laine, il
portait une armure en cuir cloutée de
métal avec son tartan à ceinture.
Il serra la main du revenant et lui tapa
l’épaule dans un geste viril de bienvenue.
— Je me demandais si vous rentreriez
un jour.
Il se tourna vers son père en souriant.
— Pourquoi n’avez-vous pas envoyé
de message pour prévenir qu’il était là,
papa ?
— Il est arrivé il y a seulement une
heure, et je pensais que vous apprécieriez
la surprise.
Dirk présenta Rebbie, et les hommes
échangèrent une poignée de main.
— Je suis plus heureux que jamais de
vous voir ici, mon cher, déclara Keegan.
MacKay partageait son enthousiasme,
mais se demanda ce que signifiaient ces
propos énigmatiques.
— Pourquoi ?
— Il se murmure que le clan va bientôt
se diviser au sujet de celui qui constituera
le meilleur chef – Aiden ou Haldane.
— Je suppose alors que les voix ne
vont faire que s’élever davantage à mon
sujet, rétorqua Dirk, impatient de voir les
visages de ceux qui le croyaient mort
depuis douze ans.
Certains seraient ravis de le revoir.
Contrairement à d’autres.
Son cousin sourit.
— Exactement ce qu’il nous fallait
pour semer un peu plus le désordre.
Tandis qu’ils se dirigeaient tous les
quatre vers la porte, un mélange
d’excitation et d’effroi envahit le
guerrier.
Lorsqu’ils pénétrèrent dans la grande
salle avec ses longues tables jonchées
des restes de souper, les membres du clan
et les domestiques qui y fourmillaient
s’interrompirent pour étudier les
nouveaux arrivants. Des odeurs de pain,
de venaison et de bière parfumaient l’air,
ramenant MacKay dans un lointain passé.
La table d’honneur était disposée en
travers à l’autre bout de la pièce, près de
la cheminée. Le regard de Dirk se posa
sur son demi-frère qui occupait le siège
central du chef.
De six ans son cadet, Aiden avait
seulement neuf ans la dernière fois qu’ils
s’étaient vus. Il ne paraissait pas
beaucoup plus vieux à présent. Bien
entendu, il était plus grand, mais semblait
frêle et maigre. MacKay sourcilla,
espérant que le jeune homme n’était pas
malade. Autrefois, Aiden le suivait
partout en permanence tel un lévrier, et
les deux garçons avaient toujours été
proches.
Il devint blême lorsque leurs yeux se
croisèrent, et se leva précipitamment.
L’individu musculeux assis à côté de
lui se mit également debout, appuyant sa
main sur la poignée de son glaive, son
regard noir rivé sur le visiteur.
— Qui diable est-ce donc ? gronda-t-
il.
Pouvait-il s’agir de Haldane, le plus
jeune des demi-frères de Dirk ? Il avait
sept ans quand ce dernier était parti.
Certes, il ressemblait à leur père, mais à
son aîné aussi, avec ses cheveux roux.
Même si sa carrure n’était pas encore
celle d’un homme, il était grand et large
d’épaules.
— Je suis Dirk MacKay, annonça-t-il
d’une voix retentissante, afin de s’assurer
que tout le monde dans la salle
l’entendrait.
Il était étonné de devoir déclarer une
évidence, mais de longues années
s’étaient écoulées et ses cadets n’étaient
encore que de petits garçons lorsqu’il
avait disparu.
Le silence fut ponctué d’étranglements
de stupéfaction. Le guerrier scruta
rapidement les visages dans la pièce ; la
plupart lui étaient familiers.
— Auriez-vous oublié votre parent
disparu ? demanda Conall à Haldane.
— Il est mort. Je me souviens vivement
de cela, répliqua celui-ci d’un ton sec.
— Non, il est en vie et bien portant,
comme vous pouvez le constater, rétorqua
son oncle.
Le jeune laird demeurait pétrifié,
cramponné à la table, examinant la figure
de MacKay, les yeux écarquillés.
— Aiden, c’est bon de vous revoir,
mon cher.
Il ébaucha un léger sourire, dans
l’espoir de mettre tout le monde à l’aise.
— Est-ce réellement vous, mon frère ?
demanda le garçon d’une voix effarée.
— Oui, répondit Dirk, qui s’avança le
bras tendu.
Son cadet le dévisagea intensément, lui
serra la main, puis l’étreignit.
— Mais comment est-ce possible ?
Nous vous avons cru mort, tombé d’une
falaise à Faraid Head.
— Je ne suis pas si facile à tuer,
repartit-il en faisant dériver son regard
vers Haldane dont l’expression était
clairement hostile. Vous avez grandi, lui
dit-il en guise de salutations.
Il ne reçut qu’un air furieux pour toute
réponse.
Les deux frères avaient les yeux verts
de leur mère. MacKay scruta la pièce,
curieux de savoir où pouvait se trouver
cette vieille sorcière, et qui d’autre en
ces lieux comptait parmi ses ennemis. Il
s’attendait à des marques d’agressivité,
bien sûr. Mais la personne susceptible de
perdre le plus, Aiden, était celle qui
l’avait accueilli le plus chaleureusement.
Dirk n’était pas revenu pour reprendre
avidement le pouvoir. Que diable, il ne
souhaitait même pas endosser cette
responsabilité. Mais il s’agissait de son
droit d’aînesse, et son père l’avait
préparé à être le prochain chef depuis
qu’il était né.
Pendant leur enfance, Aiden n’avait
pas du tout été formé de la même manière.
Sa mère l’avait poussé à s’entraîner, mais
Griff n’avait prêté aucune attention aux
efforts de son épouse. Par ailleurs, leur
fils ne nourrissait pas un grand intérêt
pour le combat ni pour la position de
dirigeant. Il avait une véritable passion
pour la musique et s’était mis très tôt à
jouer de la cornemuse, ainsi que d’autres
instruments.
Le guerrier avait le sentiment que
Haldane était foncièrement différent. Il
arborait l’allure déterminée des MacKay
que son sang Gordon par sa mère ne
faisait qu’accentuer.
Il se tourna vers les anciens, parmi
lesquels se trouvaient deux de ses grands-
oncles, qui entraient à l’instant dans la
salle et serrèrent la main des arrivants.
Tous murmurèrent, ébahis, avant de
l’accueillir.
— C’est un imposteur, cria Haldane, la
figure écarlate.
— Non, mon garçon, répondit Conall,
en haussant ses sourcils gris et
broussailleux.
— Il est tombé d’une falaise sur les
récifs et a succombé à sa chute.
— Vous n’étiez pas présent et n’avez
pas vu cela. De plus, vous n’étiez qu’un
petit garçon de sept printemps, gronda
leur oncle. Son corps n’a jamais été
retrouvé, n’est-ce pas ? demanda-t-il à
l’ensemble du groupe.
Plusieurs individus, y compris les plus
âgés, secouèrent la tête.
— Dirk n’a pas atterri sur les rochers,
proclama Conall, dont la voix était
renvoyée en écho par le haut plafond.
Quelqu’un l’a poussé – le même homme
qui a tué Will MacKay ! Mais mon neveu
est tombé à une faible hauteur le long de
la paroi et s’est agrippé à un petit
affleurement de pierre. Je le sais, parce
que je lui ai lancé une corde et l’ai
ensuite remonté.
L’intéressé acquiesça, tandis que les
griffes glaciales et sinistres de la peur lui
labouraient de nouveau les entrailles. Des
années durant, il avait fait des
cauchemars le figurant suspendu au flanc
d’une falaise, pleurant la perte de son
meilleur ami, conscient qu’il serait la
prochaine victime si le rocher cédait.
— Vraiment ? demanda Aiden, les yeux
écarquillés. Pourquoi ne pas nous avoir
dit qu’il était encore en vie ? Pourquoi
nous avoir laissés croire le pire… y
compris papa ? Penser que Dirk était
mort l’a presque tué.
— Parce que quelqu’un œuvrait à sa
disparition ! s’écria Conall en frappant
d’un poing robuste la table à larges
planches. Ce n’était qu’un garçon de
quinze ans. Il était bien entraîné pour son
âge, mais n’avait pas encore assez
d’expérience pour se défendre contre un
individu déterminé à l’assassiner.
— Qui aurait eu de telles intentions ?
interrogea Haldane. Un clan ennemi ?
— Non. Un traître parmi les MacKay,
rétorqua son oncle.
Les murmures des membres qui les
entouraient se firent plus sonores.
— Qui ? exigea de savoir son jeune
neveu.
Conall hésita, scrutant la salle de son
regard bleu perçant. Dirk se demanda s’il
oserait énoncer la vérité.
— Je n’ai pas de preuves quant à
l’identité du meurtrier, admit enfin le
vieil homme.
— Vous n’en savez donc rien, railla le
cadet. S’il s’agit réellement de Dirk
MacKay, où était-il durant toutes ces
années ?
— Dans nombre d’endroits, répondit
celui-ci.
— Vous n’êtes pas le fils de mon père.
Son aîné renâcla en plissant les yeux.
Pour qui se prenait cet enfant ? Dirk était
la personne tout indiquée pour apprendre
deux ou trois choses à ce petit
prétentieux.
Deux anciens du clan s’avancèrent,
pour inspecter le revenant de près.
— Eh oui, c’est bien Dirk MacKay,
aussi sûr que je me tiens devant vous,
déclara Ranald, le porteur de glaive de
son père. Il est l’image même de Griff à
cet âge. Il a l’apparence de nos ancêtres
scandinaves.
— Il a une marque de naissance rouge
en forme de dague sur le dos. Je l’ai vue
le jour où il est né. Pour notre chef,
c’était le signe qu’il devait se prénommer
Dirk 3. Elle prouvera assurément qui il
est, affirma son grand-oncle Hamish.
Même s’il avait une épaisse barbe
blanche, l’homme semblait en pleine
santé.
— Vous plaisantez ! s’exclama
Haldane. Une tache sur sa peau ne
signifie rien.
Les six anciens ignorèrent ses propos
et se rassemblèrent pour tenir un
conciliabule dans un coin.
Dirk avait oublié cette marque
puisqu’elle se situait à l’arrière de son
épaule. Mais il se réjouissait que le clan
envisage de s’en servir pour témoigner de
son identité.
Les vieillards marmonnèrent quelques
instants, puis se retournèrent face aux
autres.
— Oui, nous devons voir cette tache, et
tous les doutes seront levés quant à
l’individu qui se trouve devant nous,
décréta Hamish.
— Très bien, acquiesça Dirk.
Il retira ses vêtements de dessus, son
pourpoint et sa chemise jusqu’à être torse
nu.
— Ah, la voilà ! lança son grand-oncle
aux autres en pointant du doigt l’omoplate
gauche du guerrier. Vous voyez, elle est
rougeâtre et de la forme d’une dague, le
symbole des MacKay.
Le reste des anciens murmurèrent leur
approbation derrière lui.
— Tournez-vous pour permettre à tout
le clan de la voir, mon garçon, ajouta-t-il.
Dirk s’exécuta, puis le petit groupe se
reconstitua pour discuter en privé de la
situation.
— Je ne le laisserai pas s’emparer de
ce qui revient de droit à mon frère, éructa
Haldane.
À son frère ? Le regard de Dirk passa
alternativement du haussement de sourcils
confus et docile d’Aiden à celui,
malveillant, de leur cadet.
— Taisez-vous, jeune profiteur,
l’interrompit sèchement Conall.
— Je ne suis plus un enfant, loin de là.
Mes hommes et moi avons dérobé une
dizaine de bestiaux aux Gunn, pas plus
tard que le mois dernier. Ces gens ont eu
si peur de nous qu’ils nous ont laissés
faire.
Son aîné lui décocha un regard furieux
en se rhabillant. Était-ce donc sa façon de
prouver qu’il avait atteint l’âge adulte ?
En volant et en provoquant leurs voisins ?
Certes, il s’agissait d’une tradition des
Highlands qui remontait à la nuit des
temps, mais ces pratiques ne feraient que
déclencher de futures querelles. Les
conflits entre clans faisaient déjà
beaucoup trop de morts.
— Vous avez des « hommes » ?
demanda le guerrier.
— Ceux du clan MacKay. Aiden a
autorisé cet assaut. C’est ce que nous
faisons pour montrer notre virilité ici, ce
que vous n’avez jamais pratiqué, j’en suis
certain.
— Je n’en ai pas eu besoin. Ma
masculinité saute aux yeux, riposta-t-il en
s’efforçant de réprimer tout sourire
narquois. Par ailleurs, j’étais à
l’université à votre âge.
— L’université ? répéta Haldane en
reniflant avec mépris. À quoi cela sert-il
? À part vous faire un peu plus
ressembler à un sale Anglais.
— Le roi exige que tous les meneurs y
envoient leur aîné.
Son frère haussa les épaules.
— Maman a fait venir des tuteurs. Je
parie que j’en sais autant que vous.
Les six anciens achevèrent leur
conférence privée.
— Nous tiendrons audience pour
décider si Dirk MacKay, premier fils et
héritier légal de Griff MacKay, deviendra
chef, annonça Hamish d’une voix
puissante. Cette séance aura lieu dans
trois jours.
Le guerrier leur exprima son respect
dans une révérence.
— Je vous remercie.
S’ensuivirent force murmures et
bavardages. Dirk balaya la pièce des
yeux, et son regard se posa sur un visage
féminin qui lui était familier. Sa petite
sœur ?
— Est-ce Jessie ? demanda-t-il à son
oncle.
— Oui, n’est-elle pas devenue
ravissante ?
La grande jeune femme à la
flamboyante chevelure rousse et aux yeux
bleus descendit les marches. Dans un
large sourire, elle se jeta sur lui pour le
gratifier d’une impressionnante étreinte.
— Je ne puis croire que vous soyez en
vie, mon frère. Après toutes ces années.
— Oui, c’est bon de vous revoir, ma
chère.
Ils avaient été proches pendant leurs
jeunes années, mais à sept ans, l’enfant
avait été placée chez les Keith.
Principalement parce que leur belle-mère
ne voulait pas l’avoir dans ses jupons. La
fillette était une petite fautrice de troubles
à l’époque, suivant les garçons partout et
les entraînant dans de fausses batailles
avec des épées en bois. Il ne l’avait revue
qu’à de rares occasions depuis lors. Elle
lui avait cruellement manqué, puisqu’elle
seule était issue des mêmes parents que
lui.
Elle avait vingt-trois ans, et il avait du
mal à s’imaginer que son père ne l’ait pas
mariée plus tôt.
Elle recula d’un pas pour lui adresser
une expression rayonnante.
— Je suis si heureuse que vous soyez
vivant et de retour à la maison.
— Je suis ravi d’être ici. Mais navré
de n’avoir pu arriver à temps pour voir
papa une dernière fois.
— Oui, il aurait été fou de joie de vous
savoir toujours de ce monde.
À ces paroles, Dirk regretta encore
plus amèrement d’avoir décidé de
demeurer à distance. Il avait toujours été
conscient que son père l’aimait, mais
douze ans plus tôt, il avait eu
l’impression que celui-ci vouait une
adoration et une confiance plus grandes
encore à Maighread. Parfois, il avait
ressenti de la colère envers le vieil
homme de ne pas avoir cru ses dires ni
avoir fait cas de ses inquiétudes.
— Resterez-vous ici ce soir ? s’enquit
sa sœur. Je peux faire préparer une
chambre.
— Est-ce que notre belle-mère si
aimante est là ?
Jessie sourit.
— Non, elle est à Tongue.
Conall attira son neveu à part et lui dit
à voix basse :
— Il serait peut-être préférable que
nous dormions à la chaumière cette nuit.
Dirk savait à quoi son oncle faisait
allusion – sa sécurité. En vérité, il n’était
pas sûr de vouloir tourner le dos à
Haldane ne serait-ce que le temps de
sortir de la pièce, encore moins de
vouloir dormir sous le même toit que lui.
Ce garçon avait les yeux emplis de
violence. Aiden s’approcha de Dirk.
— Ne logerez-vous pas ici ce soir,
mon cher ? demanda-t-il.
MacKay sourcilla, s’efforçant de
discerner l’état d’esprit et les motivations
du jeune homme. Celui-ci n’avait pas
beaucoup changé depuis leur dernière
entrevue. Il était plus grand, bien entendu,
mais toujours aussi mince. Il était certain
qu’il n’avait pas l’air assez vieux ni assez
redoutable pour être chef.
— J’apprécierais que vous acceptiez,
poursuivit-il. Il s’est écoulé tant
d’années. J’aimerais discuter et prendre
de vos nouvelles.
Dirk esquissa un bref hochement de
tête. Il s’assurerait de dormir loin de leur
petit frère et de barricader sa porte.
— Avez-vous également de la place
pour mon ami, le comte de Rebbinglen ?
— Le « comte » ? s’étonna Aiden, en
faisant dériver ses yeux écarquillés vers
Rebbie qui s’inclina légèrement. Bien
sûr. Nous en serions honorés.
Haldane, plus grand de quelques
pouces et plus large d’épaules que son
aîné, le rejoignit.
— Ils ne restent pas.
— Si, je les ai invités. Dirk est notre
frère et son ami porte un titre de haut
rang.
— Bon sang, je me moque de ce qu’ils
racontent. Nous n’avons aucune preuve
qu’il soit effectivement notre aîné. Et
n’importe qui peut se prétendre
aristocrate. Cela ne rend pas la chose
vraie.
MacInnis esquissa un sourire narquois.
MacKay savait que son compagnon
n’avait nul besoin de prouver qui il était.
Il suffisait de le regarder, d’examiner ses
affaires et sa tenue pour en déduire qu’il
était issu de la noblesse. Mais le cadet
suspicieux n’était pas plus avisé
qu’observateur.
— Résignez-vous, mon cher. J’ai déjà
pris ma décision, déclara Aiden.
— Haldane, espèce de crétin.
Évidemment qu’il s’agit de Dirk, intervint
leur demi-sœur pour faire bonne mesure.
— Taisez-vous, Jessie, rétorqua le
jeune homme en balayant le petit groupe
d’un regard furieux avant de grommeler
dans sa barbe et de se retirer d’un pas
bruyant.
Elle se retourna, ordonnant aux
domestiques de préparer des chambres
supplémentaires.
— Pourrions-nous parler quelques
instants dans la bibliothèque ? demanda
Aiden à son aîné.
— Oui, bien sûr.
Muni d’une bougie, le fils de
Maighread ouvrit la voie et les guida hors
de la somptueuse salle pour emprunter un
couloir étroit qui menait à la pièce plus
modeste où leur père réglait ses affaires
officielles. L’endroit semblait déserté
maintenant que le vieil homme n’était
plus assis au bureau massif installé dans
l’angle, ou sur l’un des bancs situés de
chaque côté de la table autour de laquelle
on se réunissait en petit comité ou sur
laquelle l’on déployait des cartes. Des
documents enroulés et autres papiers
remplissaient encore certaines étagères
sur un mur.
Le petit groupe prit place dans des
fauteuils devant l’âtre où se consumait un
petit feu. Aiden ajouta une brique de
tourbe dans les flammes, puis se tourna
vers Dirk.
— Vous êtes parti parce que l’on a
tenté de vous assassiner ?
— Oui.
Le guerrier mesurait combien
l’information qu’avait révélée Conall un
peu plus tôt serait choquante pour son
demi-frère. Celui-ci était trop jeune à
l’époque pour être impliqué. Avait-on
supposé qu’il s’agissait d’un meurtre, ou
pensé que les deux garçons avaient
simplement eu un accident et avaient
chuté tous deux de la falaise ?
— Qui a fait cela ? Qui a tué cousin
Will ?
MacKay ne savait pas vraiment s’il
devait lui dire que sa mère était la
coupable.
— Je n’ai encore aucune preuve.
J’espère démasquer le coupable.
— Mais vous suspectez quelqu’un.
— Certes, mais je préfère me taire
pour l’instant. Je suis sûr que toute cette
histoire sera mise au jour maintenant que
je suis de retour. Racontez-moi les
dernières heures de père.
Le regard vert d’Aiden se fit plus
lointain.
— Il s’exprimait peu. Il restait alité.
Parfois, il me mandait dans sa chambre et
nous discutions du clan. Il me rappelait
les consignes qu’il m’avait répétées des
milliers de fois. Il avait peur que je ne
sois pas un bon chef, je le sais. J’ai la
même crainte.
Il plongea des yeux découragés dans
les braises rougeoyantes, son visage
clamant combien il se sentait peu
confiant, mais également coupable de ne
pas être ce que Griff attendait de lui. Il
n’y pouvait rien s’il était né avec un talent
pour la musique plutôt qu’une aptitude à
diriger. Il leva un regard plein d’espoir
vers Dirk.
— Êtes-vous ici pour prendre la place
qui vous revient de droit ?
Son aîné demeura muet de stupéfaction
pendant un moment. Ce garçon voulait lui
abandonner le titre et la responsabilité
qui en découlait.
— Si c’est ce que le clan souhaite,
répondit-il dans un long soupir, traversé
par une onde ténue de soulagement.
Il n’avait jamais voulu blesser son
frère bien-aimé.
— Aiden, reprit-il, je ne suis pas
revenu pour vous évincer. J’espérais que
papa serait encore en vie.
— Ne vous mettez pas martel en tête.
Si loin que je puisse m’en souvenir, vous
étiez le chef présomptif. Rien ne s’est
passé correctement depuis votre
disparition. Tout s’en est allé à vau-l’eau.
Notre père m’a poussé à m’entraîner avec
un glaive, une cible et une dague,
expliqua-t-il en secouant la tête. Je l’ai
déçu. Il a tenté de me façonner sur votre
modèle, en vain.
— Je suis persuadé qu’il était fier de
vous malgré tout.
Le jeune homme émit un bref rire
sinistre.
— Non, je crains que l’entraînement ne
m’ait guère été profitable. Je suis un
joueur de cornemuse, pas un soldat. Si
papa était en vie, il serait fou de joie de
vous voir, et de savoir que vous allez lui
succéder… C’est ce qu’il aurait désiré.
Vous y êtes formé et possédez les
aptitudes innées pour cela.
— Je suis heureux que vous ayez ce
sentiment. Vous êtes resté celui dont je me
souviens… Généreux, intelligent et
compréhensif.
— Je vous remercie. Mais
manifestement, il faut bien plus que ces
qualités pour faire un meneur efficace.
Il avait raison. Un chef de clan devait
être avant tout un guerrier et un soldat,
préparé à commander nombre d’individus
et les mener à la bataille lorsque cela
s’imposait. Il lui fallait toujours songer à
ses gens et à leur sécurité, et faire preuve
de sévérité à d’autres occasions.
— Comment va votre mère ? s’enquit
Dirk, en s’appliquant à dissimuler sa
haine pour elle.
— Bien, toujours aussi autoritaire,
répondit Aiden en souriant. Elle demeure
au manoir de Tongue la plupart du temps,
car il fait plus chaud là-bas.
— Et elle y séjourne en ce moment ?
— Oui.
Bonne nouvelle. Si elle décidait de
revenir, il aurait au moins quelques jours
pour mettre le clan de son côté. Elle se
trouvait à vingt ou trente miles – un trajet
d’une journée à cheval en terrain
montagneux. Avec le mauvais temps, il
faudrait peut-être même compter
davantage. Elle se montrerait aussi
hostile que Haldane, mais sa réaction
serait dix fois pire.
— Des conflits de clans ont-ils éclaté
depuis mon départ ?
— Rien d’important. On se dérobe du
bétail de temps à autre, mais cela ne
génère aucune perte humaine. Je pense
que c’est un jeu pour ceux qui s’y prêtent,
et mon frère y prend plaisir.
— Qu’advient-il des relations avec les
MacLeod ?
Aiden secoua la tête.
— Je ne me rappelle pas le moindre
échange avec eux depuis plusieurs
années.
— Ce sont donc toujours nos alliés ?
— Oui.
C’était une bonne chose. Toutefois,
s’ils considéraient qu’en secourant
Isobel, il avait volé ou pris en otage la
promise de leur chef, une guerre pourrait
éclater.
— Des mariages, ou de nouvelles
ententes avec d’autres familles ?
Le visage pâle du cadet s’embrasa
soudain dans la lueur de la bougie.
— Maman a convaincu notre père que
je devais épouser une fille de la famille
Murray.
Dirk fut surpris, car il ne pouvait tout
simplement pas imaginer le garçon marié,
avec cette allure si juvénile.
— Avez-vous prononcé les vœux ?
— Non. Nous ne sommes même pas
encore fiancés. Je ne me sens pas prêt.
Mais selon ma mère, je dois m’y résoudre
maintenant que je suis chef. Cette créature
et sa tante sont arrivées juste après les
funérailles de papa et séjournent
actuellement à Tongue avec maman. Elles
sont restées ici quelques semaines pour
que Seona et moi fassions plus ample
connaissance. Mais si vous reprenez le
titre, je n’aurai plus à l’épouser. Je
pourrai attendre de trouver une fille qui
me plaît.
Il sourit d’un air soulagé.
— Vous ne l’appréciez pas ?
Aiden haussa les épaules.
— Elle est assez jolie, mais nous
n’avons pas grand-chose à nous dire. Elle
ne possède aucun talent pour la musique
ni le chant.
— Je vois.
À l’évidence, elle ne l’attirait pas non
plus ; la musique n’aurait eu aucune
importance dans le cas contraire.
— Haldane a annoncé qu’il
l’épouserait si je n’y consentais pas. Je
crois qu’il en est épris, mais elle
l’esquive comme un chiot agaçant.
— Vise-t-il à devenir chef ?
Sans doute, mais Dirk avait besoin
d’en avoir la confirmation. Ce jeune
ambitieux pourrait représenter un
obstacle de taille.
Aiden esquissa un nouveau haussement
d’épaules.
— Il ne l’a jamais exprimé clairement,
mais j’ai vraiment le sentiment qu’il en a
l’intention. Et je sais que certains
membres du clan voient en lui un meilleur
laird que moi. Ils ont peut-être raison.
Mais vous seriez bien plus apte que nous
deux à reprendre le titre.
MacKay se sentit soudain ému et
heureux d’avoir ce frère si honnête et si
attentionné.
— Je vous remercie pour la confiance
que vous me portez, mon cher.
— Haldane est trop jeune et trop
irréfléchi. Il parle ou agit avant de penser.
Par ailleurs, il suscite souvent la colère
des gens. Nous ne ferions que nous battre
avec les autres clans s’il devenait notre
meneur. Vous êtes plus diplomate.
Ils s’entretinrent plus d’une heure
durant au sujet de ce qui s’était produit
depuis le départ de Dirk. Et celui-ci
raconta à son puîné certains de ses
exploits.
Cette nuit-là, il insista pour barricader
la porte de sa chambre au cas où leur
cadet commettrait un acte impulsif, et
avertit Rebbie de faire de même dans la
sienne. Il ne comprenait pas encore ce
garçon, ne lui faisait guère confiance et
ignorait ce dont il était capable. Du pire,
si sa mère avait été sa tutrice.
Il se réjouit que Haldane soit encore
couché à l’aube du lendemain matin,
pendant que le reste des hommes
prenaient leur petit déjeuner. La dernière
chose dont il avait envie était de se
quereller durant un repas.
Il parla ensuite en privé avec Aiden.
— Je vous remercie de votre
hospitalité. Vous êtes très aimable.
— C’est le moins que je puisse faire
pour mon frère revenu du royaume des
morts. J’espère que vous allez rester
jusqu’à l’audience, déclara le jeune
homme en baissant la voix. Et après, bien
entendu, car d’ici là, vous serez devenu
chef.
— Merci.
Le guerrier souhaita que son cadet ait
raison, car il voulait résolument élire de
nouveau domicile en ces lieux.
Il réfléchit à la façon dont il aborderait
le sujet d’Isobel. Elle ne pouvait
séjourner plus longtemps chez oncle
Conall, car la grande famille de celui-ci
était déjà entassée dans la chaumière.
— En venant, nous avons croisé le
chemin d’une MacKenzie accompagnée
de sa domestique. Elles seraient mortes
de froid dans la tempête de neige si nous
ne les avions pas aidées. Auriez-vous une
autre chambre où elles pourraient
s’installer jusqu’à ce que je les escorte
chez elles ?
— Bien sûr. Ce vieux château en
compte un large nombre. Nous leur en
trouverons une. Celle de maman est
inoccupée pour le moment.
Dirk secoua la tête.
— Je ne crois pas que ce soit une
bonne idée. Cette pièce est réservée à la
femme ou à la mère du chef. Je ne
voudrais pas que quiconque tire de
fausses conclusions concernant lady
Isobel.
Aiden l’observa d’un air inquisiteur.
— Ah. Lady Isobel MacKenzie, non ?
MacKay éprouva un léger choc.
— Vous la connaissez ?
— Je me souviens d’elle quand j’étais
petit, répondit son cadet en souriant. Et je
me rappelle combien vos amis et vous ne
pouviez la quitter des yeux lorsque nous
allions dans son clan. Est-elle toujours
aussi jolie ?
Dirk haussa les épaules, espérant
cacher ce qu’il pensait réellement.
— Oui, je suppose.
Si l’on estimait ravissants un regard
séduisant et ténébreux, de longs cils, des
lèvres roses et pulpeuses, et des courbes
généreuses. Ce qui, pour lui, était
diablement le cas. Il sentit son corps
s’emballer en l’imaginant telle qu’elle
était deux nuits plus tôt, uniquement vêtue
d’une fine blouse tandis qu’il la portait
jusqu’au lit. Il prit une inspiration
profonde et apaisante, priant de parvenir
à lui résister une fois qu’il l’aurait
emmenée à la forteresse.

3 Dirk signifie « dague ». (NdT)


Chapitre 9

Isobel faisait les cent pas devant la


petite fenêtre de la chaumière.
— Vous êtes aussi nerveuse qu’un chat,
milady, déclara tante Effie en souriant.
Elle avait envoyé ses filles aider à
finir de préparer le déjeuner avec
l’unique domestique du foyer. La fugitive
la soupçonna de vouloir lui soutirer
quelque information, mais elle n’était pas
certaine de savoir laquelle.
— Je vous prie de m’excuser, madame.
Je suis un peu angoissée, répondit-elle.
Elle ignorait si elle passerait la
prochaine nuit dans cette maison ou
ailleurs. Étant donné que Dirk et ses
compagnons n’étaient pas rentrés la
veille, elle n’avait aucune idée de ce qui
s’était produit au château. Avaient-ils été
attaqués ou bien accueillis ? Elle espérait
que son sauveur se dépêcherait de revenir
lui donner des nouvelles. En outre, il lui
manquait.
— S’il vous plaît, appelez-moi tante
Effie.
Bonté divine, elle ne pouvait être
sérieuse. Cela impliquait qu’elle faisait
partie de sa famille.
— Très bien, tante Effie.
Elle s’efforça de s’asseoir sur un
tabouret près de la cheminée.
— Je puis comprendre ce que vous
ressentez, en étant loin de chez vous et
face à cette situation.
La jeune femme acquiesça.
— Et je suis persuadée que vous
voulez revoir ce grand gaillard,
poursuivit son hôtesse.
— Ce « gaillard » ?
— Oui, Dirk. Je vois que vous y êtes
déjà attachée. Il est facile à apprécier,
celui-là.
Une vague de chaleur submergea la
jeune femme. Son hôtesse pensait qu’elle
avait un faible pour lui ? Soit, c’était
vrai. Mais elle refusait que quiconque le
sache. Elle devrait se montrer plus
prudente.
— Je crois qu’il est un peu épris de
vous également, ma fille.
Elle lui adressa un clin d’œil.
Isobel fut certaine d’avoir le visage
plus rougeoyant que les braises dans le
foyer, et elle entendait son cœur marteler
dans ses oreilles.
— Non. Je ne l’espère pas.
Eh bien, il s’agissait d’un mensonge
éhonté, mais il dissimulerait
indubitablement l’attirance qu’elle
ressentait pour le guerrier.
Effie souffla avec scepticisme.
— Je sais que vous ne voulez pas le
dévoiler, mais cela me paraît évident.
Son invitée s’apprêtait à lui dire
qu’elle était fiancée à un MacLeod, mais
elle devait probablement garder ce
renseignement pour elle. Moins elle
informait de gens, mieux c’était.
— Je souhaite simplement retourner
chez mon frère dès que le temps le
permettra.
— Dirk assurera votre sécurité d’ici
là. Dès qu’on l’aura investi de ses
fonctions de chef, il lui faudra se marier.
Dieux du ciel, la femme de Conall
cesserait-elle cette conversation
d’entremetteuse ? Certes, se faire passer
pour l’épouse de MacKay avait constitué
une agréable diversion, mais il ne
s’agissait que d’une imposture. Il ne
pourrait jamais en être autrement. Son
frère devrait négocier de nouveau avec
les MacLeod pour déterminer si son
union pouvait être retirée de leurs
accords. Dans le cas où cela se révélerait
impossible, elle s’enfuirait chez sa tante,
plus au sud.
Mais elle ne pouvait épouser son
sauveur, le laird du clan voisin. Cela
engendrerait sans aucun doute un conflit
entre les deux familles. S’imaginer à
l’origine d’une vague de violence, d’un
carnage et peut-être même de pertes
humaines lui était impensable. Par
ailleurs, les MacKay auraient une piètre
vision de ce couple s’ils nommaient Dirk
à leur tête et qu’il entamait ensuite une
guerre dont elle était l’objet.
— J’ai eu le cœur presque brisé quand
il a dû partir il y a des années de cela. Il
nous a tous cruellement manqué.
— Pourquoi y a-t-il été contraint ?
demanda Isobel, espérant qu’Effie lui
donnerait plus de détails que l’intéressé.
— Il ne vous l’a pas dit ? Il a échappé
de très peu à un assassinat.
Un frisson d’horreur parcourut la jeune
femme.
— Qui ferait une telle chose ?
Cet homme était si agréable et si
respectueux qu’elle ne parvenait pas à
concevoir qu’on le haïsse suffisamment
pour le tuer.
— Eh bien, d’après vous ? rétorqua la
vieille dame en haussant un sourcil,
comme si sa compagne aurait
pertinemment dû le savoir.
— Je n’en ai pas la moindre idée.
— Sa belle-mère, bien sûr.
— Mais il s’agit de Maighread
Gordon.
La meilleure amie de sa mère.
— Oui, c’est bien elle.
Même si la jeune lady ne la connaissait
pas intimement, cette dame lui avait
toujours semblé convenable et aimable.
— Pourquoi commettrait-elle une
horreur pareille ? s’enquit-elle.
— Pour que l’un de ses fils puisse
hériter.
— Je vois.
La fugitive ne savait si elle devait
croire cette nouvelle. Mais quelle raison
Effie aurait-elle de mentir ? Peut-être que
tout le monde se trompait.
— Comment a-t-elle procédé ?
— Elle a engagé quelqu’un pour le
pousser du promontoire qui s’avance au-
dessus de la mer du Nord. Les parois sont
effroyables là-bas, hautes d’environ trois
cents pieds. Dirk est tombé sur une courte
distance le long de la roche, et a atterri
sur un petit affleurement. Conall l’a
secouru ; l’un de ses autres neveux a été
tué ce jour-là par le même individu.
— Dieux du ciel ! suffoqua Isobel.
Comment la Maighread qu’elle
connaissait pouvait-elle être l’instigatrice
d’un événement aussi tragique et violent ?
Pourquoi sa mère s’était-elle liée
d’amitié avec une telle créature ? Elle
n’avait pu déceler ses instincts
meurtriers, bien entendu. Il n’était par
ailleurs guère étonnant que Dirk soit
toujours nerveux et vigilant quant au
danger.
— Certaines personnes vont très loin
pour servir leur cupidité, affirma Effie.
Une affreuse pensée vint à l’esprit de
la fugitive et lui glaça le sang.
— Puisqu’il est revenu, croyez-vous
qu’elle essaiera encore de s’en prendre à
lui ?
— C’est ce qui m’a empêchée de
dormir, déplora son hôtesse en
acquiesçant. Je prie seulement pour que
notre gaillard soit prudent cette fois.
Évidemment, il n’admettrait jamais
craindre une dame grisonnante,
maintenant qu’il est devenu un si
redoutable guerrier, mais elle est
sournoise. De nombreux membres du clan
lui sont fidèles. Elle pourrait engager
n’importe qui pour accomplir ses basses
besognes.
Isobel devait agir. Bien sûr, elle
n’avait pas la force de le protéger contre
quelque assassin, mais elle pouvait rester
aux aguets pour lui. Elle se tiendrait à
l’affût pour savoir s’il se fomentait un
complot à son encontre.
— Où est sa belle-mère en ce moment
? Je me demande si elle est au courant de
son retour.
— C’est peu probable pour l’instant.
Elle vit dans un manoir à Tongue la
plupart du temps.
— Elle est en bonne santé ?
— Oui. Elle était plus jeune que lord
Griff de quelques années lorsqu’il l’a
épousée.
Même si Maighread ne se déplaçait
pas en personne jusqu’à Dunnakeil, elle y
enverrait peut-être un tueur.
— S’il vous plaît, ne dites pas à Dirk
que je vous ai soufflé mot de tout cela,
implora la tante du Highlander. Conall et
lui préfèrent se taire sur le sujet, compte
tenu de la position de cette femme. Il
s’agit de la sœur d’un comte, et sa famille
est puissante.
Son invitée acquiesça, se rappelant qui
étaient ces gens. Si certains individus aux
illustres ascendants avaient versé dans le
meurtre sans jamais être inquiétés, la
jeune veuve veillerait toutefois à ce que
Maighread ne s’en sorte pas impunément.
— Mais je voulais vous informer du
danger, ajouta Effie.
— Je vous remercie de m’en avoir
parlé.
Quoiqu’elle se sentît complètement
incompétente pour cette tâche, il lui
fallait aider le guerrier à rester sain et
sauf. N’ayant jamais rien fait de la sorte
auparavant, elle ne savait pas vraiment
comment s’y prendre. Demeurer avec lui
en permanence ? Se faufiler et espionner
les domestiques pour entendre quelles
intrigues faisaient l’objet de leurs
commérages ? Si Maighread apparaissait,
elle se rapprocherait d’elle pour voir
quels secrets celle-ci serait susceptible
de lui révéler.
Conall MacKay ouvrit la porte de la
chaumière, et la tint pour Dirk et Rebbie,
qui baissèrent la tête afin de passer
l’embrasure, apportant la fraîcheur et le
souffle de l’air hivernal.
Le cœur d’Isobel s’emballa lorsqu’elle
aperçut le guerrier avec ses cheveux de
cuivre fouettés par le vent.
— Bonjour à tous ! lança son oncle
d’un ton jovial.
La jeune lady se leva et les salua.
Dirk lui répondit par une brève
inclinaison de la tête.
— Milady.
Lorsqu’elle croisa ses yeux bleu clair,
elle s’aperçut combien il lui avait manqué
la veille au soir.
— Venez vous réchauffer, proposa
Effie en les conduisant vers la cheminée.
— Ne vous levez pas pour nous, je
vous en conjure, dit MacInnis en faisant
signe à leur compagne de reprendre place
sur son tabouret.
— Je suis restée assise trop longtemps.
Par ailleurs, elle avait trop chaud tout à
coup. Elle se rendit de l’autre côté de la
pièce à grandes enjambées, à l’écart de
l’âtre.
— Comment s’est déroulée l’entrevue
? s’enquit la vieille dame.
— Très bien, répondit son époux. Les
anciens ont reconnu Dirk, tout comme
Aiden. Haldane était trop jeune pour se
souvenir vraiment de lui. Il clame qu’il
s’agit d’un imposteur.
— Pfff, grommela-t-elle. Je m’y
attendais. Quoi qu’il en soit, vous arrivez
juste à temps pour le déjeuner.
Elle les invita d’un geste de la main à
se diriger vers la petite cuisine qui faisait
aussi office de salle à manger.
Pendant qu’ils mangeaient des galettes
d’avoine et de la soupe de poireau, ils
poursuivirent leur conversation au sujet
des deux demi-frères du guerrier.
— Aiden a consenti à nous laisser
séjourner au château, expliqua Dirk. Il ne
manque pas de chambres. Nous ne
voudrions pas vous pousser hors de chez
vous, ma tante.
— Vous êtes les bienvenus ici aussi
longtemps que vous le souhaitez. Mais ce
garçon est généreux. Je me réjouis que sa
mère et son cadet n’aient pas encore
réussi à le changer.
— Non, il est comme je l’ai toujours
connu, confirma MacKay. Il a bon cœur.
— À la façon dont il joue de la
musique, j’ai l’impression qu’il s’agit
d’un ange envoyé par le Tout-Puissant,
s’émerveilla Effie.
— Oh, on penserait qu’il est saint
Andrew en personne, à vous entendre
tous les deux, claironna son mari.
Isobel se mordit la lèvre pour réprimer
un sourire.
— Oh, taisez-vous donc, vieux bouc, le
réprimanda son épouse tout en le
gratifiant d’une tape affectueuse sur sa
mâchoire barbue.
— Il déborde peut-être de bonté, mais
il n’a pas l’étoffe d’un laird, poursuivit
Conall. Son père en était conscient,
comme la majorité du clan.
Dirk savait que le jeune homme ne
désirait pas non plus endosser ce rôle,
contrairement à ce que voulait sa mère.
Elle était allée jusqu’à prévoir
d’assassiner le guerrier quand il n’était
qu’un enfant, pour que son fils hérite. À
présent, toutes ses conspirations et autres
manipulations étaient réduites à néant.
Elle serait furieuse. Si les anciens le
nommaient chef et qu’Aiden renonçait au
titre avant que sa mère puisse
recommencer à conspirer, MacKay aurait
plus de chances de son côté. Sa belle-
mère avait certainement moins
d’influence sur le clan qu’avant, car elle
était désormais la douairière.
Pour l’instant, le frêle meneur était
plutôt un pantin dont Maighread et
Haldane tiraient les ficelles.
Même si ces histoires de clan et de
position hiérarchique tourmentaient
l’esprit de Dirk, son attention dériva vers
Isobel, assise de l’autre côté de la table.
Après avoir passé deux nuits dans la
même chambre qu’elle, il s’était senti
démuni de ne pas la voir dès qu’il avait
ouvert les yeux. Il voulait lui parler sur-
le-champ, mais ne souhaitait guère attirer
inutilement les regards curieux.
— Comment va votre main, milady ?
s’enquit Rebbie.
— Beaucoup mieux. Je vous remercie,
milord.
L’agacement s’insinuait doucement
dans les entrailles du guerrier. Il en
ignorait la raison. Le comte déployait sa
sollicitude et son amabilité habituelles.
MacKay regrettait de ne pas être
davantage comme lui. Insouciant et
détendu avec les dames… ce qui devait
se révéler plus facile à vivre que cette
sensation intense qui s’emparait de lui
lorsqu’il était en présence de la jeune
veuve.
Damnation, quel était son problème ?
Son père venait de mourir. Il s’apprêtait
peut-être à devenir chef de son clan. Et
toutes ses pensées convergeaient vers une
femme pratiquement mariée à un autre.
Cela ne lui ressemblait pas du tout. Il ne
se laissait indubitablement pas aussi
facilement gagner par quelque obsession
pour la gent féminine que Rebbie et
Lachlan. Certes, il aimait lui aussi le beau
sexe, mais cela ne figurait guère au
sommet de sa liste de priorités. Du moins,
cela n’avait jamais été le cas par le
passé.
Il croisa le regard de MacInnis.
— Que se passe-t-il ? demanda celui-
ci.
— Rien. Nous ferions mieux de nous
mettre en route.
Il se leva de table, essayant d’effacer
de son visage ce qui devait être une
expression rageuse. Il regarda furtivement
son oncle et sa tante.
— Je vous remercie de votre
hospitalité.
— Vous êtes plus que le bienvenu dès
que vous le voudrez, répondit Effie en lui
tapotant la main. Nous sommes si heureux
que vous soyez rentré chez vous.
Conall acquiesça.
— Oui, c’est sûr.
Tandis qu’ils rassemblaient leurs
affaires et se préparaient à partir, Isobel
prit la vieille dame dans ses bras. Ce
geste parut naturel et affectueux, d’une
certaine façon… comme une étreinte
partagée au sein d’une famille. Le
guerrier languit alors après quelque chose
qu’il devait s’interdire d’imaginer.
Dirk, Isobel, Rebbie, George, Beitris
et Conall sortirent en file dans le vent
glacial. Le ciel orageux, où se
succédaient nuages gris fuyants et
embellies, variait au-dessus de leurs
têtes.
La jeune femme s’arrêta aux côtés de
son sauveur tandis que les autres
grimpaient sur leurs montures.
— Je n’ai pas eu l’occasion de vous
dire… Je suis désolée pour votre père.
Vous avez toute ma plus profonde
sympathie.
De sa main valide, elle lui toucha
légèrement le bras.
— Je vous remercie.
Ses propos et son contact signifiaient
plus pour lui qu’il ne pouvait l’exprimer.
Puisqu’elle avait perdu son propre père
peu de temps auparavant, il savait que ses
paroles n’étaient pas vides de sens. Elle
comprenait réellement ce qu’il ressentait.
Il fut tenté de lui capturer les doigts
pour les embrasser, mais elle retira sa
main.
— Êtes-vous certain que je serai la
bienvenue au château ?
Ses yeux marron et profonds, dans
leurs écrins de cils épais, le captivèrent
lorsqu’elle les leva de sous sa capuche en
laine.
— Oui. Aiden me l’a affirmé. Toutefois
vous resterez sur vos gardes.
— Je le suis en permanence.
— Je m’inquiète au sujet de mon cadet,
Haldane. Il est imprévisible et peu fiable.
Elle sourcilla, comme en pleine
réflexion.
— Je ferai attention.
— Laissez-moi voir votre blessure.
Elle plaça sa paume dans celle qu’il
tendait, et cette légèreté ainsi que la
confiance qu’elle avait en lui emplirent
Dirk d’exaltation.
Le doigt cassé était encore maintenu
dans l’attelle, mais le haut de la main
arborait à présent une teinte violet foncé.
— Il y a une grosse contusion.
Celle qu’elle avait sur le côté du
visage, plus bleue, était elle aussi
toujours visible. Le guerrier sentit la rage
monter doucement en lui. Maudit Nolan
MacLeod !
— Votre majeur est-il douloureux ?
— Un peu, mais c’est supportable.
Il acquiesça brièvement et la lâcha. Il
était fier de la force dont elle faisait
preuve. Nombre de dames comme elle
n’auraient fait que se plaindre à chaque
souffle d’être blessées et de se retrouver
en ces lieux, aux confins du territoire, où
le vent venant de la mer cinglait avec une
puissance vengeresse.
— Si cela ne vous dérange pas trop,
vous pouvez être de nouveau ma
passagère et vous asseoir derrière moi,
dit-il en lui offrant son bras.
Elle glissa sa main autour du coude de
son compagnon, puis ils se dirigèrent vers
Tulloch.
— Avec grand plaisir, mon bon
monsieur.
« Plaisir » ? Est-ce que chevaucher
ensemble l’excitait autant que lui ? Non,
impossible.
Lorsqu’ils eurent grimpé sur la bête, la
jeune femme à califourchon derrière lui
sur le matériel de couchage, Dirk eut
l’impression de revenir à la normalité.
Elle l’agrippa par le dos de son manteau.
— Donnez-moi votre main valide.
Il l’attrapa et cala le bras d’Isobel
autour de sa taille.
Elle se cramponna fermement, puis fit
de même de l’autre côté. Il sentit son
corps s’animer, comme chaque fois
qu’elle le touchait, son sang se mettant à
bouillonner tandis que de délicieuses
images charnelles se formaient dans son
esprit. Il se représentait aisément la pulpe
de ses doigts passant sur la peau nue et
soyeuse des courbes de sa compagne.
Damnation ! Il devait cesser cela.
Il lança un regard oblique et aperçut
Rebbie qui affichait l’hilarité d’un chiot
dorloté. Il devrait assurément endurer
plus tard d’autres railleries de sa part.
Refusant de lui donner la satisfaction
d’une réaction, MacKay incita son cheval
à s’engager sur la voie qui traversait le
village en direction du château.
Il ne pouvait penser à cette lady comme
étant la sienne, ou il ne serait jamais
capable de la laisser partir.
Les nombreuses maisonnettes chaulées
du bourg rappelaient Dornie à Isobel.
Elle fut tentée de demander à Dirk à quel
moment on l’escorterait chez elle, mais
les rafales de vent étaient si violentes
qu’il ne l’entendrait probablement pas.
De plus, sachant quel danger le menaçait,
elle n’était pas pressée de rentrer.
Ses bras étaient au chaud sous le
manteau, mais ses mains restaient
exposées. Elle n’avait pas de gants, et ne
serait de toute façon pas en mesure d’en
enfiler un sur son doigt endommagé.
Toutes ses couches de laine tissée ne la
protégeaient pas des froides et piquantes
bourrasques qui pénétraient l’étoffe. Elle
frissonna, regrettant de ne pouvoir se
glisser sous le tartan avec lui. Tous deux
nus. Sentir cette peau chaleureuse contre
la sienne serait sûrement pure félicité.
Elle ne se comprenait pas. Elle n’avait
jamais nourri de pensées si indécentes au
sujet d’un homme.
Il plaça sa main sur celles de sa
compagne qui reposaient sur sa taille.
Elle en émit presque un soupir, savourant
sa chaleur, et bien plus encore concernant
ce corps, comme sa silhouette musclée et
athlétique. Contrairement à feu son époux.
Elle avait dû prendre soin de Jedwarth
durant sa maladie et avant sa mort. Il
s’était révélé souffreteux dès leur
rencontre, c’est-à-dire le jour de leur
mariage. À défaut de l’aimer, elle l’avait
respecté, reconnaissante qu’il la traite
bien.
Rumeurs et hypothèses avaient abondé.
Était-elle stérile ? Le vieux comte était-il
impuissant ? Pourquoi ne lui avait-elle
pas donné d’héritier ?
Difficile d’en concevoir un alors que
son époux ne parvenait pas à remplir son
devoir dans la chambre conjugale. Il avait
essayé, en vain.
Elle se demandait ce que serait de
partager sa couche avec Dirk. Quelque
chose au plus profond d’elle-même en eut
des fourmillements. Il débordait sûrement
de virilité, jeune comme il était, son aîné
de deux ans seulement. Il était sans aucun
doute aussi performant qu’un étalon.
Elle ignorait pourquoi elle y songeait à
ce moment précis alors qu’elle aurait dû
se concentrer sur leur sécurité. Jetant un
coup d’œil sur la lande dégagée, elle ne
perçut aucune menace. Un voile de neige
couvrait partiellement les rochers gris et
la bruyère arborant un vert brunâtre
maussade. Le vent vif garantissait la
dérive des flocons plus au sud.
Depuis qu’elle avait l’âge de
s’intéresser aux garçons, son rêve était de
vivre un mariage comme celui de ses
parents. Ils s’étaient voué un amour
profond, souvent assis côte à côte, à
parler et à rire de leurs plaisanteries en
privé. Il lui était arrivé de les surprendre
s’embrassant dans un coin sombre, à son
plus grand embarras.
Sa mère l’avait conseillée sur les
hommes. Jusque-là, Isobel n’avait pas
trouvé le type de conjoint qu’elle avait
toujours désiré. Chaque fois qu’elle
voyait Dirk, il semblait de plus en plus
incarner son idéal. Et alors ? Une
montagne d’obstacles se dressait devant
eux, comme le clan MacLeod au complet.
Ainsi que son frère Cyrus.
À mesure que leur groupe se
rapprochait de Castle Dunnakeil par la
côte, le vent soufflait plus violemment. La
plupart du temps, elle se recroquevillait
derrière la large charpente de MacKay,
espérant se protéger des plus cinglantes
bourrasques.
Lorsqu’ils atteignirent le sommet de la
colline, elle se pencha sur le côté. La
vieille forteresse juchée sur son éminente
formation rocheuse et l’océan derrière
s’étendaient de part et d’autre à perte de
vue. Quel spectacle impressionnant sous
ce ciel d’ouest changeant, gris-violet, où
luisait la pâleur orangée du soleil que
filtraient les nuages.
Même si le vent glacial lui piquait les
yeux, elle ne pouvait détourner le regard.
L’imposant château de pierres grises
comprenait trois tours cernées d’un haut
mur. Cette fortification était à l’évidence
bien bâtie et défensive. Sans savoir
pourquoi, Isobel l’apprécia aussitôt.
Elle fit seulement le souhait que les
MacKay acceptent Dirk en tant que chef,
comme sa naissance l’y destinait.

— Ne voyez-vous pas ce qu’il est en


train de faire ? interrogea Haldane d’une
voix forte que renvoyaient en écho les
murs de pierre de la grande salle sombre.
Le reste du clan devint silencieux.
— Un imposteur qui installe ses amis à
résidence, poursuivit-il. Pour autant que
nous le sachions, il pourrait se trouver ici
pour nous tuer pendant notre sommeil.
MacKay l’observa d’un air furieux.
Espèce de petit bâtard. Il ne pouvait
attendre de l’exiler à Tongue.
— Inutile d’être si dramatique,
répondit Aiden. Je me souviens de Dirk,
et il s’agit bien de cet homme.
Son cadet leva les yeux au ciel, mais se
retint d’entamer une querelle. Le guerrier
se réjouit de constater que le jeune
homme montrait au moins un certain
respect à son frère.
— Il est même venu avec sa femme,
annonça Haldane en dardant son regard
sur Isobel qui se tenait près de
l’imposante cheminée.
Dirk se demanda pour quelle raison
tout le monde les imaginait mariés.
Simplement parce qu’ils chevauchaient
ensemble, ou parce qu’il l’avait escortée
pour monter les marches et pénétrer dans
le manoir ?
Vingt, voire trente paires d’yeux
passèrent du guerrier à sa compagne, les
membres du clan cherchant sans aucun
doute à deviner s’ils étaient effectivement
époux.
Il sentit tout son être s’embraser. De
gêne ou de rage ? Il ne pouvait se
prononcer. Peut-être la conjugaison des
deux. Étant donné qu’il avait porté un
faux nom depuis l’âge de quinze ans et
s’était caché en plein jour durant toutes
ces années, il n’avait jamais aimé être le
centre d’attention. Et à présent, il n’était
pas normal qu’il ait à expliquer quoi que
ce soit à son jeune malotru de frère. Mais
puisque leur simulacre de mariage n’était
plus nécessaire pour protéger Isobel, il
serait honnête envers les siens.
— Ce n’est pas ma femme, mais une
dame que j’ai secourue au cours de mon
voyage jusqu’ici.
— Oh, c’est donc sa catin, vociféra
Haldane. Je n’arrive pas à croire que les
anciens puissent le tolérer.
La fureur bouillonna dans les veines de
MacKay.
— Vous allez trop loin, le mit-il en
garde en s’avançant vers lui. Notre
invitée est issue de la noblesse et je la
connais à peine. Elle n’est la « catin » de
personne. Elle est blessée et nous nous
contentons de lui offrir l’hospitalité. Son
frère est laird. Présentez vos excuses à
lady Isobel. Maintenant.
— Non, répondit le cadet en plissant
les yeux. Je n’obéirai pas à vos ordres.
Avant que Haldane ait le temps de s’en
apercevoir, Dirk l’empoigna par le col de
sa chemise et le souleva contre le mur en
pierre.
— Ce n’est pas une façon de traiter les
dames, gronda-t-il, nez à nez avec sa
proie. Présentez immédiatement vos
excuses.
Le regard écarquillé du jeune homme
scruta frénétiquement la pièce. Le silence
régnait. À n’en pas douter, cette
misérable fouine cherchait quelqu’un
pour venir à son secours. Le guerrier fut
fier de son clan en constatant que
personne ne bougeait d’un pouce.
Contrairement à ce petit vaurien, ils
savaient tous que l’on montrait du respect
à la gent féminine.
— Je… vous prie de m’excuser, lady
Isobel, bredouilla Haldane.
Il avait la respiration hachée, avec le
poing de son aîné sur la gorge.
Remarquant qu’il fuyait son regard,
Dirk esquissa un sourire narquois.
— Voilà, était-ce si difficile ?
demanda-t-il en le relâchant. J’attends de
vous que vous déployiez désormais plus
de considération envers elle ainsi qu’à
l’égard de toutes les autres femmes.
Les narines dilatées, le visage rouge et
ses yeux verts animés d’une lueur
venimeuse comme l’auraient été ceux de
sa mère, le jeune insolent recula pour
aller se poster derrière l’épaule d’Aiden
avant de dire à celui-ci :
— Je vais chercher maman, et vous
venez avec moi. Je n’ai aucune confiance
en cet… imposteur. Venez.
— Je n’irai nulle part, répondit son
frère en croisant les bras sur son étroite
poitrine. Nous sommes l’après-midi, et je
ne me mettrai pas en route pour Tongue si
tard.
Ce garçon était intelligent. Même si ce
village se trouvait sur les terres MacKay,
il faudrait au moins une journée de
chevauchée pour s’y rendre.
— Alors j’irai, moi, rétorqua son
cadet, le regard d’une intensité assassine.
Mère souhaitera être présente pour
l’audience.
Leur aîné bouillait intérieurement. Il
serait diablement intéressant de revoir
Maighread Gordon – cette sorcière
meurtrière.
Chapitre 10

Debout près de l’immense cheminée,


essayant de se réchauffer en compagnie
de sa bonne, Isobel scruta la salle
principale de Dunnakeil, vaste, mais
grouillante de monde, avec sa multitude
de tables et de bancs. Puisque Haldane
avait fini son insultante diatribe et
effectué une sortie retentissante, la jeune
femme pouvait se détendre un peu. Même
si certains membres du clan persistaient à
lui lancer des regards inquisiteurs.
Deux imposants lévriers étaient
allongés devant le feu sur un tapis
écossais, la tête posée sur leurs pattes. Ils
avaient reniflé l’inconnue à son arrivée,
mais ne lui prêtaient désormais plus
aucune attention.
Elle tourna les yeux puis les leva.
Trois énormes paires de bois de cerf
trônaient au-dessus de l’âtre, ainsi que le
blason des MacKay – une main tenant une
dague ou un poignard écossais. On
pouvait y lire une formule en gaélique : «
Bi Tren », ce qui signifiait « soyez
vaillant ». Des termes qui décrivaient
Dirk à la perfection.
— Lady Isobel, l’entendit-elle dire à
hauteur de son épaule.
Elle fit volte-face.
— Oui ?
— Je suis désolé que Haldane se soit
montré si impoli envers vous, murmura-t-
il avec une gravité de ton qui apaisa sa
protégée.
— Vous n’avez pas besoin de présenter
d’excuses à sa place.
Même si les accusations injustes de ce
malotru et les œillades insistantes du clan
l’avaient mortifiée, et virulemment
empourprée, elle n’en voulait pas au
guerrier.
Quelle sacrée terreur que ce cadet !
Elle était tentée de lui gifler les tempes
pour avoir déployé une telle grossièreté,
comme elle l’avait fait une ou deux fois
avec ses propres frères. Même si Dirk et
son benjamin avaient en commun leur
rousseur et leur grande taille, ils ne se
ressemblaient en aucun autre point.
Surtout pas en ce qui concernait leurs
manières.
Mais se trouver en présence de
MacKay et parler avec lui en privé la
réconfortait, tout comme plonger dans son
regard captivant.
— On dirait qu’il va causer des ennuis,
déclara-t-elle.
— Oui, n’ayez aucun doute à ce sujet.
Il jeta un coup d’œil par-dessus
l’épaule de sa protégée. Elle se retourna,
et vit qu’une belle et sculpturale créature,
plus grande qu’elle de quelques pouces,
se dirigeait vers eux.
— Connaissez-vous ma petite sœur,
Jessie ? demanda-t-il.
La jeune femme était assurément de sa
famille ; ils avaient tous deux les yeux du
même bleu pâle, et les cheveux de la
même couleur cuivrée.
— Non, mais j’ai déjà entendu son
nom.
Le guerrier fit les présentations.
— C’est un plaisir de vous rencontrer
enfin, milady, dit Isobel en esquissant une
révérence. Et je déplore que cela se
produise seulement maintenant.
Quelqu’un appela Dirk, celui-ci
traversa prestement la grande salle,
laissant ainsi les deux femmes seules.
— En effet. Mon père ne voulait jamais
que je vienne à Dornie quand il y amenait
ma belle-mère pour voir votre mère. Et
j’ai été placée chez les Keith à l’âge de
sept ans. Venez, je vais vous montrer
votre chambre.
Tout en bavardant, elles montèrent
l’étroite cage d’escalier en pierre
jusqu’au deuxième étage, puis
empruntèrent un long couloir, avec Beitris
à leur suite. Une porte menait dans une
pièce minuscule contenant un lit équipé
d’une généreuse couche de couvertures
écossaises multicolores. Une paire de
fauteuils à dossier droit encadraient l’âtre
où brûlait un feu. Ce qui semblait être un
grabat abondamment rembourré était
installé devant, avec d’autres plaids. Une
fenêtre étroite, à peine plus large qu’une
meurtrière, garnissait le mur du fond.
Isobel trouva la chambre douillette et
d’un charme désuet.
— Cette pièce est exiguë, mais elle
compte parmi les plus chaudes en hiver,
dit Jessie. Elle a toujours été l’une de
mes préférées.
— Je vous remercie, elle est
ravissante.
— J’aide Aiden à diriger le personnel
de maison comme je le faisais pour mon
père avant sa mort.
— C’est généreux de votre part
d’assister autant votre famille.
Son hôtesse haussa les épaules.
— Ma belle-mère n’a jamais apprécié
de séjourner ici. Je n’aime pas vivre avec
elle, soyez-en certaine. Il s’agit donc d’un
arrangement qui me convient.
La veuve acquiesça, curieuse de savoir
si cette jeune fille avait été mariée ou si
elle envisageait de le faire un jour, mais
elle-même détestait qu’on lui pose des
questions sur son statut conjugal.
— Vous ne vous entendez pas avec elle
? se contenta-t-elle de demander.
— Non. Par ailleurs, elle est
consciente que je n’apprécie guère sa
compagnie.
La cadette de Dirk avait-elle été
informée que cette horrible femme avait
tenté d’assassiner son frère ? Ou le lui
cachait-il ? Isobel devrait s’en entretenir
avec lui avant de trop parler. Elle n’avait
jamais aimé les commérages.
— Même si elle était amie avec
Maighread, je commence à penser que ma
mère ne la connaissait pas très bien,
déclara-t-elle.
— C’est fort probable. Et cela m’irrite
au plus haut point que Haldane soit parti
la chercher. Peut-être se transformera-t-
elle en glaçon avant d’atteindre Durness.
Son invitée retint de justesse un furieux
éclat de rire. Il était évident que Jessie
méprisait cette sorcière presque autant
que son frère. Elle abordait toutefois le
sujet avec davantage de spontanéité.
— Saviez-vous que Dirk était vivant
durant toutes ces années ?
— Non. La surprise a été totale et
merveilleuse pour moi ! Vous ne pouvez
imaginer combien je suis heureuse de le
revoir. Nous étions proches dans notre
prime jeunesse, probablement parce que
notre mère était morte, expliqua-t-elle, le
regard soudain mélancolique. Bien, je me
doute que tout ce voyage a dû vous
épuiser. Je vais vous laisser vous
reposer. Le souper sera servi à 20 heures.
— J’ai hâte d’y prendre part.
Jessie se retira en souriant.
Isobel tira sur le côté la lourde
draperie de laine qui occultait la fenêtre.
Au-delà du verre ondulé ne se trouvait
aucune vue méritant que l’on s’y attarde :
une simple portion de mur du château et
des nuages gris dérivant prestement dans
le ciel. On bénéficiait au moins d’un peu
de lumière au cours de la journée.
Elle laissa retomber le rideau devant la
vitre et se retourna vers la chambre où
Beitris tentait de tirer le plus de chaleur
possible du feu.
Combien de temps devrait-elle rester
là ? Avait-elle fait une erreur en mettant
le cap vers le nord plutôt que le sud ?
Étant donné le climat et le vent hostiles,
elle serait peut-être contrainte de
demeurer là jusqu’au printemps.
Il ne faisait aucun doute que les
MacLeod et les MacKenzie se lanceraient
à sa recherche. Si elle ne réapparaissait
pas rapidement, ils présumeraient que
Beitris et elle-même étaient mortes.
D’une certaine façon, elle aimait l’idée
qu’ils fassent une supposition aussi
erronée. Cela induisait qu’elle se
retrouverait libre, au lieu de devoir
épouser n’importe quel homme que son
frère lui imposerait. Bien entendu, Cyrus
et ses autres frères seraient terrassés de
chagrin s’ils la croyaient décédée. Elle ne
souhaitait pas les blesser, mais elle
aspirait vivement à davantage
d’indépendance.
S’ils la trouvaient en ces lieux, des
problèmes surgiraient.
Toutefois, elle voulait y séjourner
assez longtemps pour s’assurer que Dirk
n’était pas menacé par sa belle-mère et
son cadet.
Quelques heures plus tard, après
qu’Isobel eut fait une sieste et pris un
bain, une jeune bonne apparut à la porte.
— Le souper va être servi, milady.
Maître MacKay a demandé que vous
preniez place à la table d’honneur avec
lui, lord MacKay et lord Rebbinglen.
L’invitée acquiesça, impatiente de
quitter cette pièce exiguë.
Lorsqu’elle pénétra dans la grande
salle, toutes sortes de domestiques et
autres membres du clan s’affairaient
autour des quatre longues tables qui
occupaient presque tout l’espace. Elle
s’approcha de celle du chef, placée sur
une estrade près de la cheminée, où Dirk,
son frère et Rebbie étaient assis avec
quelques hommes un peu plus âgés.
Le cœur de la jeune femme bondit dans
sa poitrine lorsqu’elle croisa le regard de
son sauveur. Pourquoi provoquait-il un tel
bouleversement en elle ? Il se leva, et tira
une chaise pour elle entre la sienne et
celle de MacInnis. Il était si courtois, et
lui donnait toujours l’impression d’être
spéciale. Néanmoins, il lui parut étrange
de ne voir aucune autre femme qu’elle-
même à la table d’honneur. Pour quelle
raison Jessie n’était-elle pas installée
avec eux ?
— Merci.
— Je vous en prie.
La voix grave du guerrier était
réconfortante, bien que formelle. Elle se
demanda ce qu’il cachait sous cette
épaisseur de réserve maîtrisée.
— La chambre est-elle à votre
convenance ? s’enquit-il.
— Oui. Je vous suis sincèrement
reconnaissante ainsi qu’à votre famille de
nous avoir trouvé de quoi nous héberger.
— Bonsoir, lady Isobel, lança Rebbie
en souriant. Comment allez-vous ?
— Très bien. Et vous ?
— Merveilleusement, maintenant que
j’ai le privilège d’être assis à côté de la
plus ravissante personne de cette
assemblée.
Elle s’empourpra d’entendre un tel
compliment de la part du comte.
— Vous êtes trop aimable, milord.
Jessie fit irruption au dernier moment
et prit une place vacante au bout de la
table. La jeune veuve fut déçue de ne
pouvoir parler avec elle durant le repas.
Mais la sœur de Dirk endossait le rôle de
dame du château et donnait ses
instructions au personnel.
Quand l’un des anciens eut dit les
grâces, la nourriture fut servie.
En remarquant l’énorme pièce de
venaison sur le tranchoir d’Isobel, le
guerrier pensa qu’il devrait lui proposer
de la couper pour elle, puisque sa main
était endommagée. Mais MacInnis prit
alors la parole.
— Laissez-moi vous aider, milady.
Il se chargea donc de lui débiter sa
viande en morceaux de la taille d’une
bouchée.
L’estomac de MacKay se noua, mais
celui-ci ignorait complètement pourquoi
le fait que le comte porte assistance à sa
protégée devrait le déranger. Quelle
différence cela faisait-il ? Et pourtant, il
eut l’impression de manquer quelque
chose de crucial.
— Je vous remercie, milord, murmura-
t-elle.
— Tout le plaisir est pour moi.
Dirk jeta un coup d’œil furieux au-
dessus de la tête de sa compagne en
direction de son ami, mais celui-ci était
occupé à manger. S’appliquant à se
concentrer sur son propre souper, il prit
une portion. Il se sentit idiot, à la fois de
ne pas avoir été assez rapide, et d’en
éprouver de l’agacement. Cela importait
peu. Isobel était fiancée à un autre et
partirait bientôt. Il était préférable qu’il
ne s’habitue pas trop à l’avoir dans son
entourage. Cependant, il ne pouvait nier
qu’il se délectait de la présence de cette
créature. Son corps frémit alors
d’excitation refoulée.
Débordant de sollicitude, Rebbie versa
une autre coupe de vin à la jeune femme.
— Vous avez grandi à Dornie, n’est-ce
pas ? demanda-t-il.
— Oui. À Teasairg Castle.
— Je ne suis jamais allé dans cette
région.
— C’est ravissant, avec les trois lacs.
Le guerrier écouta l’échange qui se
déroulait à côté de lui, avec le sentiment
d’espionner une conversation privée. Il
grinça des dents, puis se força à prendre
une nouvelle bouchée. Il n’avait pas faim,
et son estomac le tourmentait. Diable,
quel était son problème ?
MacInnis chuchota des propos que
MacKay ne put comprendre, et la veuve
se mit à glousser.
Dirk serra encore une fois les
mâchoires, saisi d’une envie de grogner.
Il s’éclaircit la voix et prit une gorgée de
vin chaud.
— Est-ce que tout va bien ? s’enquit sa
protégée en se penchant tout près de son
épaule.
— Hmm ? Oui.
Il se surprit à constater combien les
yeux sombres d’Isobel étaient séduisants
dans la lueur des bougies, et ses lèvres
d’un rouge tentateur. Damnation, pauvre
bougre, reprends-toi !
— Vous avez à peine touché à votre
repas, fit-elle remarquer.
L’inquiétude qu’elle manifestait à son
égard déclencha en lui une chaleureuse
sensation au centre de ses entrailles.
— Je n’ai pas faim, répondit-il d’un
ton un peu plus bourru qu’il ne l’avait
souhaité.
— Il est dans l’une de ses humeurs.
N’y prêtez aucune attention, intervint
Rebbie.
Dirk lui adressa un regard noir.
Son ami haussa les sourcils.
— Quoi ? Vous savez que c’est vrai.
Vous êtes parfois en sombre disposition.
MacKay grommela, désireux de lui
rétorquer de se mêler de ses affaires.
— Je suis de bonne humeur, merci,
marmonna-t-il sèchement.
Leur compagne lui lança un sourire
fugace puis retourna à sa venaison. Il était
heureux de constater qu’elle mangeait de
bon cœur.
Il s’appliqua à avaler une autre
bouchée et à se concentrer sur n’importe
quoi d’autre que la jeune femme. Il
parcourut furtivement la table du regard
en direction d’Aiden. Il eut de la peine
pour le pauvre garçon pris entre deux
feux et manipulé par sa mère. Maighread
arriverait peut-être le lendemain, voire le
jour suivant. Que ferait-il alors ? Il ne
pouvait lui ordonner de vider les lieux
avant d’être chef… Si les anciens se
prononçaient effectivement en sa faveur à
l’audience. Elle entrerait probablement
dans une rage meurtrière, mais le
dissimulerait bien. Comme elle l’avait
toujours fait.
Il fut momentanément distrait par des
bonnes qui servaient des tartes aux
fraises. Celle que l’on avait posée sur son
tranchoir sentait bon, mais il n’avait
guère d’appétit pour des douceurs en cet
instant. Isobel mordit dans la sienne avec
délectation.
— Hmm, c’est excellent.
Ses gémissements résonnèrent
follement dans tout le corps de MacKay,
le stimulant à des endroits inappropriés
alors qu’il se trouvait parmi quelques
dizaines de convives dans une grande
salle.
Deux chaises plus loin, Aiden se
pencha en avant.
— Allez-vous manger cela, mon frère ?
S’entendre appeler ainsi après toutes
ces années était agréable et lui réchauffa
le cœur.
— Non.
Il tendit sa pâtisserie à son cadet qui,
tandis qu’il la dévorait en souriant, ne
semblait guère plus âgé que lorsqu’il
l’avait quitté douze ans plus tôt.
Lorsqu’il se retourna, sa protégée le
regardait d’un air amusé.
— J’espère que vous ne la vouliez pas,
dit-il.
Il n’avait pas pensé à lui proposer son
gâteau.
Elle secoua la tête et finit de mâcher. Il
lui restait quelques traces de glaçage rose
à la fraise sur les lèvres, mais elle
s’empressa de les lécher. Bon sang, elle
ne devait vraiment pas faire cela. Il
éprouva soudain une envie irrépressible
de dame aux fruits rouges.
— Non, je suis complètement
rassasiée, répondit-elle. J’en déduis que
vous n’aimez pas les douceurs.
Tout dépendait de laquelle on évoquait.
Celle des femmes était indubitablement
plus à son goût que celle des tartes. Il
haussa les épaules.
— Parfois.
Après que la plupart des membres du
clan eurent fini de manger, les musiciens
jouèrent plus fort, puis firent signe à
Aiden de se joindre à eux. Dirk se souvint
de son cadet avec une flûte lorsqu’il
n’était encore qu’un petit garçon. Il avait
même commencé à souffler dans une
cornemuse à sept ans. Mais à présent, il
sortait un violon d’un étui posé dans
l’angle.
La belle musique qui s’en échappa
stupéfia le guerrier.
— Il joue incroyablement bien, non ?
lança Isobel d’une voix émerveillée.
— Oui. Il a un talent inné. Depuis son
plus jeune âge.
MacKay était fier de son frère. Celui-
ci n’était peut-être pas forgé pour le
combat, mais ses dons artistiques
compensaient plus qu’amplement cette
inaptitude.
— Jouez-vous d’un instrument ?
s’enquit-elle.
— Non.
Considérerait-elle cela comme une
lacune ? Quelle importance si c’était le
cas ? Il n’était pas là pour lui plaire, mais
pour endosser une responsabilité que sa
naissance lui conférait de droit.
Étrangement, il s’aperçut qu’il attendait
cela avec impatience. Il était enfin chez
lui, à sa place, à l’endroit où il se sentait
lui-même comme jamais depuis ces
dernières années. Et pourtant, il ne
trouvait rien d’apaisant en cela. Bien au
contraire. Plusieurs détails le
tourmentaient, et les échanges de Rebbie
et Isobel n’étaient pas des moindres.
À la fin du morceau, Aiden acheva un
solo qui incita tous les convives à taper
des pieds et des mains. Toutes les tables,
excepté celle d’honneur située sur
l’estrade, furent démontées et poussées
contre les murs afin de laisser de la place
pour danser.
Lorsque la musique reprit, la fugitive
suivit le rythme en tambourinant des
doigts. Danser était la dernière chose que
Dirk était d’humeur à faire. Il s’adonnait
rarement à cette activité de toute façon.
Avec sa grande taille et sa large carrure,
il avait toujours l’impression d’être
gauche.
— Milady, me feriez-vous l’honneur de
m’accorder une danse ? proposa le
comte.
Bien sûr que Rebbie allait l’inviter.
MacKay leva les yeux au ciel.
— J’aimerais beaucoup. Si vous
voulez bien nous excuser, dit-elle au
guerrier.
Il acquiesça en faisant un geste en
direction de la piste, où des couples
énergiques se mouvaient déjà en réglant
leurs pas sur une vive cadence. Il
préférait la regarder au lieu de
l’accompagner. Non pas qu’il répugne à
la toucher, il en avait fort envie. Mais il
savait qu’elle ne le trouverait pas aussi
bon partenaire que MacInnis. Il était plus
enclin à esquisser des figures totalement
différentes, qui nécessitaient d’un lit –
mais d’aucun musicien. Cependant, il ne
partagerait rien de tout cela avec Isobel.
Elle était promise à un autre.
Ils accomplirent trois danses au même
mouvement rapide. MacKay grinça un peu
plus des dents à chaque changement de
morceau. Rebbie avait intérêt à ne pas
essayer de la séduire, ou Dirk
l’étranglerait, qu’il soit son ami ou pas.
Quand elle retourna s’asseoir, la jeune
femme était rouge et à bout de souffle,
mais hilare. Elle offrait une image
vraiment charmante. Il se demanda alors
si elle avait la même apparence après
avoir fait l’amour. S’obligeant à se
détourner de l’excitation qu’elle avait
dans les yeux, de ses joues roses et de
son sourire éclatant, il se pencha en
arrière, croisa les bras et observa les
musiciens.
Mais son attention vagabonda de
nouveau vers elle. Il la regarda du coin
de l’œil. Elle l’observa un moment, puis
se tourna vers MacInnis. Ils se
murmuraient tous deux des propos que la
musique couvrait et empêchait le guerrier
d’entendre.
Damnation ! Il sentit ses muscles se
crisper et sa peau s’irriter. Cette salle
était excessivement chaude et bruyante. Il
quitta violemment sa place, attrapa son
manteau et se dirigea vers la sortie. La
lourde porte en chêne claqua derrière lui
et le vent glacial du soir le fouetta en
pleine figure, lui éclaircissant ainsi les
idées.
Il inspira une profonde bouffée d’air
frais. La musique et le bruit se
dissipèrent, et il eut presque l’impression
de retourner quinze ans en arrière. Les
odeurs étaient les mêmes – des
bourrasques salées en provenance de la
mer combinées à la fumée des torches.
Il traversa à grandes enjambées la cour
vide éclairée par les flammes,
instantanément apaisé. Ses pas
résonnaient dans le froid et son souffle
faisait de la buée devant sa bouche.
Protégé par les hauts murs, l’endroit
n’était pas trop assailli par le vent, mais
son souffle continuait à s’engouffrer et
faisait tourbillonner de nouveaux flocons.
Se rapprochant des écuries en face de
l’enceinte, il entendit une porte s’ouvrir
et se refermer juste derrière lui. Quelques
notes s’échappèrent avant de s’évanouir
aussitôt. Sans interrompre sa marche,
Dirk jeta un coup d’œil par-dessus son
épaule, mais ne put discerner qui se tenait
sous la balèvre. S’agissait-il de Rebbie,
ou de l’un des sous-fifres de Maighread ?
Ami ou ennemi ? Ayant besoin d’un
moment de solitude pour réfléchir, il n’en
tint pas compte, et poursuivit son chemin.
Il pénétra dans les écuries, ravi de
découvrir que les rafales n’atteignaient
pas ce coin plus chaud et préservé. Il
approcha de la stalle de Tulloch. Le noir
animal émit un hennissement qui guida le
guerrier vers lui dans l’obscurité. Il lui
caressa les naseaux. Oui, dans
l’ensemble, il s’entendait mieux avec les
chevaux qu’avec les gens. Même s’il se
réjouissait d’avoir des amis comme
MacInnis, ce coquin mettait sa patience à
rude épreuve avec la façon dont il avait
courtisé leur compagne.
Il se concentra sur la personne qui
l’avait suivi. Des pas légers et rapides
claquaient sur les pavés glacés.
La silhouette qui s’immobilisa à
l’entrée de l’écurie était petite et mince.
Féminine.
Isobel ?
Elle était la dernière personne qu’il
aurait soupçonnée de le talonner dans le
vent hivernal. Elle avait la tête couverte
de son tartan foncé. Son corps menu était
enveloppé dans un manteau.
— Dirk ? dit-elle en laissant échapper
un nuage de buée. Est-ce que vous allez
bien ?
La familiarité avec laquelle elle
prononçait son prénom déclencha en lui
une curieuse envie. Posté dans la partie la
plus sombre des lieux, il se figea presque
d’étonnement de la voir là. Il s’était
attendu à un face-à-face avec quelque
ennemi de longue date. Ou à des railleries
du comte. Mais pas à elle.
— Oui. Que faites-vous ici dans le
froid, lady Isobel ?
— Je pourrais vous poser la même
question.
Elle s’avança plus près de lui.
— Je n’aime pas les bruyantes
assemblées, reprit-il.
— Moi non plus.
Il renâcla, se remémorant
l’enthousiasme avec lequel elle avait
rejoint les festivités, évoluant sur la piste
au rythme de la musique jusqu’à en
perdre haleine.
— Je ne suis pas sûr de vous croire.
— Pourquoi ? Parce que j’aime danser
de temps à autre ?
Il haussa les épaules, même s’il était
presque certain qu’elle ne pouvait pas le
voir. Il n’y avait rien de mal à apprécier
une danse. En réalité, il regrettait qu’il
n’en soit pas de même pour lui, mais il se
sentait trop gêné pour cela.
— Vous auriez dû m’inviter, déclara-t-
elle d’un ton séducteur qui captiva
l’attention de MacKay.
Par tous les saints ! Que pouvait-il
rétorquer à part la vérité ?
— Je ne suis pas très doué en la
matière.
— Hmm. Qu’aimez-vous faire ?
S’imaginait-elle vraiment qu’il allait
répondre à cela ? Il ne pensait pas qu’elle
se réjouirait de l’entendre répliquer : «
forniquer ». Diable, rien d’intelligent ne
lui venait à l’esprit. Aucune saillie
amusante ni taquine digne de Rebbie. Il se
sentit idiot l’espace d’un instant, puis
comprit pourquoi. Il parlait rarement aux
femmes. Certes, il s’était adonné au sport
en chambre avec nombre de partenaires,
mais il ne poursuivait pas la conversation
avec elles.
— Donc… vous n’êtes pas très enclin
à danser, ni à parler, résuma-t-elle. Ni à
manger, si j’en juge par ce que vous avez
négligé sur votre tranchoir. Laissez-moi
deviner. Vous aimez monter à cheval,
vous battre, chasser. Pratiquer l’épée.
Secourir les dames sans défense.
Une vague de chaleur le submergea.
Non seulement déclenchée par
l’embarras, mais aussi par un certain
éveil sexuel.
— Vous n’avez rien d’une « dame sans
défense ».
— Dans l’ensemble, je l’étais… quand
vous m’avez trouvée.
— Peut-être.
Il caressa les naseaux de sa bête,
l’esprit en ébullition pour trouver une
réponse. Mais il n’était pas d’humeur à
discuter. Toutes ses pensées
convergeaient vers les trésors dont
regorgeait le corps de sa compagne. Le
souvenir d’avoir porté celle-ci jusqu’au
lit était gravé dans son âme et son être. Il
se remémorait avec précision la légèreté
et les courbes d’Isobel au creux de ses
bras, et les fourmillements d’excitation
qui l’avaient parcouru lorsqu’elle l’avait
embrassé dans le cou.
— Vous ai-je remercié ? demanda-t-
elle.
— Oui. Et il n’y a vraiment pas de
quoi.
— Il s’agit là de Tulloch, non ?
— Oui.
Elle leva la main, comme pour dorloter
le cheval de bataille, qui se révélait bien
plus haut qu’elle.
— Va-t-il me mordre ?
— Je ne l’espère pas.
— Voilà qui est rassurant, rétorqua-t-
elle sèchement.
Il ricana, conscient à cet instant
seulement qu’il pouvait être amusant
d’échanger avec une femme.
— Était-ce de l’hilarité ? Vous vous
moquez de moi ? exigea-t-elle de savoir
d’un ton faussement sévère.
— Non. Pas de vous.
Mais il émanait d’elle, maintenant
qu’ils se trouvaient en privé, quelque
chose qui incita le guerrier à sourire plus
qu’à l’accoutumée. Il ne parvenait pas à
mettre un nom sur ce que c’était.
— Je pense que j’aimerais vous voir
rire, déclara-t-elle dans un éraillement de
voix sensuel.
Damnation, elle le provoquait. Il
ignorait comment procéder avec les
séductrices, surtout celles qu’il n’était
pas autorisé à toucher. Il savait ce qu’il
avait envie de faire – la soulever pour la
plaquer contre le mur. Mais non, il ne
pouvait se conduire ainsi avec une lady
fiancée à un chef de clan voisin.
— Je suppose que je devrai trouver
quelque chose d’amusant à dire pour vous
voir vous esclaffer. D’ici là, Tulloch, ne
me mords pas.
Elle se rapprocha davantage de Dirk
pour toucher la monture. Celle-ci lui
renifla la paume avant de baisser son
énorme tête. La jeune femme lui caressa
les naseaux.
— Ce n’est rien qu’un gros animal
domestique, s’étonna-t-elle.
— Il se tient parfaitement devant une
dame, mais se montre parfois tendu et
indomptable.
— Pourrait-on formuler les mêmes
propos vous concernant ? l’interrogea-t-
elle d’un ton suave et intime.
— J’en doute.
Une chaleur frissonnante lui hérissa la
peau, déclenchant un désir de… Bon sang
! Elle essayait de susciter une réaction
chez lui. Ce qu’il ne pouvait lui offrir,
même s’il avait cruellement envie d’elle.
— Oh, je vous suspecte d’être parfois
impossible à apprivoiser.
Enfer, elle ne sous-entendait pas ce
qu’il pensait. Parlait-elle de sexe ? Il fut
alors tellement dur que toute réponse
adéquate déserta son esprit.
Elle avait perdu son mari, se rappela-t-
il soudain. Cet homme ne l’avait-il pas
comblée au lit ? Cela s’était vérifié avec
quelques-unes des veuves que Dirk avait
fréquentées par le passé. S’imaginer
Isobel frustrée et débordante de
passion… Il se demanda si elle se
souvenait de quoi que ce soit au sujet de
la nuit où elle avait marché durant son
sommeil et que son compagnon l’avait
recouchée. Elle n’avait pas évoqué
l’incident.
— Vous descendez de ces sauvages
envahisseurs scandinaves, n’est-ce pas ?
questionna-t-elle.
— En partie.
Il inspira une profonde bouffée d’air
glacial pour calmer ses brûlantes ardeurs.
Au-delà de l’odeur de foin, il captura des
traces sucrées et florales du parfum
qu’elle portait, ce qui ne fit que gonfler sa
fièvre.
— Vous ne devriez pas être ici, Isobel.
— Pourquoi pas ?
Elle se tourna vers lui. Dans la faible
lueur réfléchie des torches à l’extérieur, il
discernait uniquement la courbe de ses
pommettes et l’ourlet pincé mais sensuel
de ses lèvres.
Il s’éclaircit la voix et fit volte-face,
contraint d’ajuster ses culottes de la plus
déplorable manière.
— Je ne voudrais pas que ce vent frais
vous rende malade.
— Je ne crains rien. J’ai habité dans
les Highlands toute ma vie. Je suis
rompue aux températures hostiles.
— Certes, mais Rebbie va se
demander où s’est enfuie sa partenaire.
L’avait-il dit d’un ton plus amer que
d’ordinaire ?
— Non. Je l’ai prévenu que je voulais
vous parler.
— Qu’a-t-il répondu à cela ? s’enquit-
il, curieux de savoir à quel propos, ou
pour quel motif.
— Il m’a souhaité « bonne chance ».
— Pfff. Toujours prêt à dégainer un
trait d’esprit, pas vrai ? grommela-t-il.
— Vous n’avez aucune raison d’être
jaloux de lui, repartit-elle d’une voix
douce.
Comment savait-elle qu’il l’était ? Il
voulait le nier, mais toute contestation
n’aurait constitué qu’un mensonge cousu
de fil blanc. MacInnis était capable de
parler toute la journée à une femme, et de
la faire rire toutes les cinq secondes. Dirk
lui enviait cette aptitude.
— Nous pourrions danser ici, vous
savez, suggéra-t-elle.
— Danser ? Dans l’écurie ?
— Oui.
— Il n’y a pas de musique.
Elle commença à fredonner, et à
chanter une gigue entraînante d’une voix
aiguë et envoûtante, puis se lança dans
une série de pas folkloriques. Il gloussa
devant ce comportement si idiot et si
drôle. Elle l’attira dans ses figures, et il
se laissa entraîner. Il se souvenait des
mouvements, les ayant esquissés à
quelques rares occasions. Son orteil se
prit dans l’une des ardoises du sol. Il
trébucha, mais attrapa sa compagne et
s’agrippa au mur de pierre pour leur
épargner de tomber.
Il se mit à rire comme cela ne lui était
pas arrivé depuis longtemps.
— Vous pouvez constater que je ne suis
pas un danseur hors pair.
Elle émit à son tour un petit
gloussement, et dans la faible lumière,
l’éclat de ses dents blanches et l’étincelle
animant ses yeux brillèrent. Il fut presque
ensorcelé par ce capiteux parfum de rose
dans une écurie au beau milieu des
montagnes. Il ne se rappelait pas avoir
déjà relevé cette odeur sur elle. Non, il
ne l’avait pas sentie deux jours
auparavant. Peut-être la jeune femme
avait-elle pris un bain agrémenté d’un
nouveau savon.
Était-elle même réelle ? Comment cela
pouvait-il se produire ? Tout lui
paraissait n’être qu’un songe d’une nuit
d’hiver, un rêve enfiévré qu’il avait
élaboré pour lutter contre le froid.
Une délicieuse illusion à laquelle il ne
pouvait s’empêcher de goûter l’espace
d’un instant.
Chapitre 11

Appuyé contre le mur en pierre


jouxtant la stalle, le guerrier leva la tête
et trouva les lèvres d’Isobel. Hmm. Elles
étaient sucrées, aussi douces et délicates
que des pétales de rose après une pluie
d’été. Sa délectable saveur féminine
conjuguée à la tarte aux fraises fit perdre
à MacKay toute faculté de raisonnement.
Il lui fallait en goûter davantage. Quelle
surprise enchanteresse lorsqu’elle ouvrit
la bouche pour l’accueillir. Il l’explora,
aimant les coups rapides et timides de
cette langue contre la sienne.
Elle serra les poings dans les cheveux
de son compagnon, l’incitant à baisser le
front tandis qu’elle se hissait à sa hauteur
en se glissant de tout son long contre lui.
Il gémit, trouvant à tâtons le postérieur de
la jeune femme, et l’attirant fermement
contre sa vigoureuse virilité. Il sentit tout
son être se déchirer de plaisir et d’envie.
Les mains emplies des courbes parfaites
de ce derrière, il la souleva davantage,
lui dévorant les lèvres. Il émit un
gémissement avant même de s’apercevoir
qu’il lui avait échappé.
Bon sang, s’il ne s’agissait pas du
paradis…
Les baisers hésitants d’Isobel se firent
plus audacieux et frénétiques. Elle
remuait sa bouche sur celle de son
partenaire et lui caressait la langue avec
la sienne en ronronnant.
— Hmm, Dirk, murmura-t-elle. C’est si
bon.
Que diable suis-je en train de faire ?
Il se recula et l’écarta de lui.
— Iosa is Mhuire Mhàthair.
Énonçant dans un grondement le
serment gaélique invoquant la Vierge, il
s’efforça de reprendre son souffle et de
réfléchir avec les lambeaux de logique
qu’il lui restait, tout en écoutant la
respiration hachée de la jeune veuve.
— Je n’ai jamais… Enfin…, chuchota-
t-elle en prenant appui contre le mur.
Maintenant, nous savons pour quelle
discipline vous êtes doué.
— Damnation, Isobel. Retournez à
l’intérieur.
Il avait douloureusement envie d’elle.
Ce désir le tourmentait depuis des jours,
mais jamais autant qu’à cet instant précis.
— Vous devenez maussade, à présent ?
Après cela ?
— Précisément à cause de cela. Je ne
puis…, commença-t-il tandis qu’il
s’éloignait à grandes enjambées en
marmonnant des jurons écossais, assiégé
par une frustration sans limites. Nous n’en
avons pas le droit. Vous êtes fiancée.
— Très bien, rétorqua-t-elle en se
redressant, d’un ton soudain affecté et
convenable, qui dépassait la vexation.
Reportez donc la faute sur moi.
— Je ne blâme personne. Contentez-
vous de… garder vos distances avec moi.
Diable, ce n’était pas la chose à dire.
— Bâtard, répliqua-t-elle avec
froideur.
Il inspira profondément, essayant de
redevenir maître de lui-même. Soit, qu’il
la laisse penser ce qu’elle voulait, tant
qu’elle ne le touchait plus. Ou qu’elle ne
lui permettait plus de la toucher. Lorsque
c’était le cas, il ne maîtrisait plus son
propre corps.
À l’évidence, elle était de ces veuves
expérimentées qui savaient comment
séduire facilement. Son futur époux ne
ferait peut-être pas la différence,
contrairement à Dirk. Il avait trop
d’honneur et de bon sens pour coucher
avec une femme presque mariée à un
autre.
Elle s’éloigna de lui, puis revint sur
ses pas.
— Je voulais seulement que nous
soyons amis.
— Les amis ne s’embrassent pas de
cette façon, maugréa-t-il, regrettant de ne
pouvoir tout revivre.
Aucun baiser ne lui avait jamais paru
si époustouflant.
— Je sais.
— Pour l’amour de Dieu, Isobel,
rentrez.
Il était conscient d’employer un ton qui
frôlait l’imploration, mais il ne pouvait
s’en empêcher. Il lui fallait lutter pour
juguler ses instincts lorsqu’elle se
trouvait près de lui. Son esprit resta rivé
sur le plaisir qu’elle avait tiré de ce
contact, sur la manière dont elle avait
réagi, se frottant à lui et l’embrassant
telle une dévergondée en quête
désespérée d’amour. Si elle le touchait
encore à cet instant, il la plaquerait
certainement au mur en quelques
secondes, leurs vêtements s’entasseraient
dans un coin, et…
Non, n’y pense pas. Il secoua la tête,
s’efforçant de chasser ces images
sensuelles.
Lorsqu’elle s’approcha de lui, il prit
une profonde inspiration, follement en
mal de son odeur, de sa saveur. Il se
raidit, refusant de bouger.
— Je voulais simplement vous dire…
J’ai apprécié tout cela plus que…
— Pour qui me prenez-vous ? gronda-
t-il, son désir le ravageant intérieurement.
Un saint ? Un eunuque ?
Elle secoua la tête, puis sortit en hâte
dans la cour avec la dignité d’une reine.
Qu’avait-elle voulu dire ? Qu’elle
avait apprécié ce baiser comme aucun
autre auparavant ? Son fiancé ou feu son
mari ne l’avaient-ils jamais embrassée
jusqu’à avoir l’impression qu’ils
pouvaient la dévorer ? Eh bien… c’est ce
qu’il avait ressenti. Peut-être devait-il en
éprouver de la gêne, mais ce n’était pas
le cas. Elle était délicieuse, et diablement
excitante. Si elle était restée, elle se
trouverait étendue sur un tas de foin dans
l’une des stalles vides, les jupons
retroussés jusqu’à la taille, pendant qu’il
lui donnerait exactement ce qu’elle avait
demandé.

Isobel traversa à vive allure l’enceinte


glaciale, souillant ainsi la mince couche
de neige, la main plaquée sur ses lèvres
brûlantes. Celles-ci picotaient, et sa
langue conservait la délicieuse saveur de
Dirk – une virilité épicée. Sa bouche
succulente avait presque enflammé celle
de sa compagne dans le froid. Elle était
certes veuve, mais n’avait jamais reçu un
baiser si sulfureux. Elle ne croyait même
pas possible d’en recevoir de tels.
Elle n’avait jamais voulu des lèvres
d’un homme sur les siennes de toute
façon. Son défunt mari avait toujours eu
mauvaise haleine. Son fiancé, MacLeod,
ne l’avait jamais embrassée non plus.
Elle le connaissait à peine. Mais le
souffle de MacKay et sa bouche
exhalaient des effluves de vin chaud : la
cannelle, le clou de girofle et le miel,
auxquels s’ajoutait une saveur
immanquablement masculine et attirante,
qui lui donnait envie de le mordre et de
lécher la moindre parcelle de son corps.
Elle avait senti l’impressionnant
membre du guerrier contre son bas-
ventre. Elle n’avait jamais connu cela, et
trouvait cette fermeté incroyable.
Que ferait-il si elle retournait aux
écuries en courant ? Non qu’elle en ait
l’intention. Elle n’était pas sotte. La façon
dont il l’avait rejetée avec colère était
incontestable.
Bien entendu, il fallait tenir compte
d’autres éléments que son simple besoin
physique. Elle devait songer aux clans et
au sort de leurs membres respectifs. Ce
qu’elle souhaitait, toute humble femme
qu’elle était, n’importait guère. Personne
ne se souciait de ses rêves et autres
désirs.
Elle grimpa en courant les marches
menant à la porte du château. Un garde
l’aida à l’ouvrir de l’intérieur, puis elle
pénétra dans la grande salle. Incapable de
supporter plus longtemps la musique et la
danse, elle contourna la piste et monta
subrepticement l’étroit escalier en
colimaçon.
Dans la chambre qui lui avait été
attribuée, Beitris avait entretenu le feu
réconfortant et dormait sur un grabat
devant l’âtre.
Après s’être en partie déshabillée,
Isobel se glissa entre les draps frais,
heureuse que plusieurs couvertures soient
empilées par-dessus. Elle cacha sa tête en
dessous et pensa à Dirk. Elle avait encore
le menton sensible à l’endroit où il avait
frotté sa barbe naissante. Elle avait tout le
corps embrasé et parcouru de
fourmillements après le baiser qu’il lui
avait donné, consommant sa bouche
comme s’il avait été en manque de son
goût… Oh, dieux du ciel ! Elle avait
envie de lui avec la même avidité.
Elle ne comprenait pas les émotions
qu’il avait suscitées en elle. Avait-il fait
appel à la magie ? Elle avait senti son
cœur s’emballer, comme sous l’emprise
de quelque puissant envoûtement ou autre
potion de sorcière. Et ce torrent de désir
brûlant… au plus profond d’elle-même…
entre ses jambes. Elle se serait pliée à
n’importe quelle exigence du guerrier à
ce moment-là. Elle aurait fait tout ce qu’il
aurait voulu, surtout après qu’il l’avait
intimement attirée contre son membre
durci.
À l’évidence, il en avait désiré
davantage, et elle regrettait qu’il ne se
soit pas plus servi. Imaginer la peau de
Dirk glisser le long de la sienne la rendait
presque folle. Elle voulait qu’il soit celui
qui ferait d’elle une vraie femme. À
vingt-cinq ans, elle avait largement
dépassé l’âge de découvrir ce qu’était
l’accouplement. Avec lui, elle se
languissait de cette étrange et
insaisissable union comme jamais
auparavant. Peut-être était-elle restée
vierge trop longtemps, et son corps de
femme se rebellait-il, réclamant celui
d’un homme, aspirant à l’épanouissement
et la complétude.
S’il se doutait de son innocence, il
garderait probablement encore plus ses
distances. Il ne devait pas l’apprendre.

— Que diable faites-vous ici ?


Dirk sursauta et se détourna de la
stalle. Rebbie se tenait à l’entrée de
l’écurie. Pourquoi n’avait-il pas entendu
son ami approcher ? Ses réflexions
concernant sa protégée l’avaient distrait.
— Rien, répondit-il. J’examine les
lieux.
— Ah. Vraiment ?
Le comte avança avec de longues
enjambées sur le sol jonché de paille et
jeta un coup d’œil vers son propre
cheval.
— Cela me paraît plus que suffisant,
déclarat-il.
— Oui.
— Est-ce qu’Isobel est venue ici ?
— Pourquoi ? Que vous a-t-elle dit ?
— Rien. Mais quand elle est rentrée,
elle a traversé la grande salle en toute
hâte et a disparu en haut des marches
comme si les flammes de l’enfer lui
brûlaient les talons.
— Pfff.
Dirk l’avait peut-être effrayée. Il n’en
avait pas eu l’intention, même s’il s’était
effectivement senti obligé de l’avertir de
rester à distance de lui. S’ils entretenaient
une liaison, les conséquences en seraient
réellement effroyables – une guerre de
clans.
— Lui avez-vous dit quoi que ce soit
l’ayant contrariée ? s’enquit Rebbie.
— Non.
Soit, il mentait. Impossible de faire
autrement.
— Mais elle se trouvait bien ici ?
— Oui.
— Il a dû se passer quelque chose.
MacKay grinça des dents.
L’indiscrétion de son ami combinée à la
façon qu’il avait eue de badiner avec la
jeune femme un peu plus tôt mettait sans
conteste la patience du guerrier à rude
épreuve.
— Cela ne vous concerne pas,
répliqua-t-il sèchement.
— Ah… bien, répondit MacInnis en
reculant. Je vois.
Vraiment ? Dirk en doutait. Il détestait
l’atroce position dans laquelle il se
trouvait, et son compagnon n’apaisait pas
sa torture, remuant au contraire le couteau
dans la plaie.
Rebbie gloussa doucement.
— Quoi ? gronda-t-il.
— C’est clair comme de l’eau de
roche, mon vieux. Elle vous trouble.
MacKay renâcla, s’appliquant de
toutes ses forces à dissimuler ce qu’il
ressentait réellement. Il avait assurément
éprouvé de l’attirance pour d’autres. Du
désir. Mais jamais avec l’intensité
dévorante qui l’assaillait quand la jeune
veuve se trouvait près de lui.
— Vous avez l’imagination fertile.
— Je sais que vous la voulez.
Admettez-le.
— Pas plus que vous, grommela Dirk
en lui lançant un regard noir.
Le souvenir de Rebbie et Isobel
conversant au cours du souper, puis
dansant ensemble, lui vrilla les entrailles.
— Ah, ah ! C’est là que vous vous
trompez, mon cher, riposta le comte. Je ne
suis pas assez idiot pour courir après une
dame presque mariée.
— Moi non plus. Pensez-vous que je
souhaite entrer en conflit avec les
MacLeod ?
— Non. Je vois que cela vous retient.
— C’est une raison suffisante.
En effet. Largement, même. Il ne
pouvait revenir au sein de son clan pour
l’entraîner aussitôt dans une bataille qu’il
aurait lui-même déclenchée. Il n’avait pas
enlevé la fiancée de ce chef ; il l’avait
secourue.
— Mais s’il n’y avait eu cet élément ?
— Peu importe, puisqu’elle est
promise à un autre. Rien ne changera cette
réalité, répondit MacKay durement, tant à
sa propre intention qu’à celle de
MacInnis.
Les aspirations et rêvasseries étaient
réservées aux gamines frivoles et idiotes,
et ne menaient nulle part. Il vivait dans le
monde réel.
— Et pourtant, le véritable amour
trouve toujours son chemin, affirma
Rebbie d’un air méditatif.
L’amour ? Pourquoi son compagnon
faisait-il preuve d’une telle mièvrerie tout
à coup ? L’amour et le plaisir charnel
étaient aux antipodes l’un de l’autre.
— Pfff. Qu’êtes-vous, un poète ? Un
barde ? railla Dirk.
— Peut-être devrais-je y songer. Les
dames adoreraient cela, je pense.
— J’en suis certain, marmonna-t-il
froidement.
Elles adoraient tout ce que faisait cet
homme.
— Cependant, à l’exception de lady
Isobel et de votre sœur, Dunnakeil est
presque dépourvu de réelles beautés, est-
ce que je me trompe ? J’apprécierais
qu’une fille plantureuse réchauffe mon lit
la nuit.
Le guerrier sourcilla.
— Vous n’envisagez pas de séduire
Jessie, dit-il sur un ton de mise en garde.
— Non, étrangement, elle est une
incarnation trop conforme de vous en
femme. C’est un peu bizarre.
— Elle ne possède pas une once de
masculinité.
— Non, elle est indéniablement
féminine et belle, mais ses yeux… On
croirait se trouver en face des vôtres.
MacKay pensait comprendre ce que
son ami évoquait. Sa cadette et lui-même
se ressemblaient beaucoup, et avaient
tous deux hérité du regard de leur père.
Quoi qu’il en soit, il se réjouissait qu’elle
n’attire pas le comte. Une chose de moins
dont se soucier.
— Et vous ne songez pas à courtiser
Isobel non plus.
Il savait qu’il avait formulé ses paroles
comme une injonction, mais il n’avait pu
s’en empêcher.
— Non, pas davantage. Visiblement,
elle est déjà convoitée par deux autres
partis.
— Pas par moi. Par le laird des
MacLeod.
Le guerrier savait qu’il s’agissait d’un
demi-mensonge, mais ses mots auraient
dû exprimer la vérité. La seule raison qui
leur interdisait réellement de toucher à
cette créature était le clan voisin. Mais si
Rebbie décidait de la séduire, l’amitié
des deux compères s’en verrait anéantie.
Il se fustigea de nourrir une telle pensée.
Ils se fréquentaient depuis une dizaine
d’années. Qu’un membre du beau sexe
puisse menacer leur relation déclencha en
lui une alerte qui lui glaça le sang.
À quoi diable songeait-il ? Avait-il
perdu la tête ? Il ne pouvait s’attacher à
cette femme.
— En effet, les MacLeod, répliqua
MacInnis dubitatif.
— Oui. Je la ramène chez son frère. Il
peut s’arranger avec eux. Je reste en
dehors de tout cela.
— Ce ne sera plus pareil ici sans elle.
Dirk n’y avait pas pensé, mais son
compagnon avait raison.
— C’est inévitable, dit-il. Elle doit
bien rentrer chez elle à un moment donné.
— Mais pas maintenant.
— Dès que le climat s’améliorera.
— Cela ne se produira pas avant le
début du printemps, je pense, si l’on
considère la façon dont le vent du nord a
soufflé depuis notre arrivée.
MacKay haussa les épaules.
— Peu importe. Les MacLeod ignorent
où elle se trouve, elle est donc à l’abri.
— D’eux, certes. Mais l’est-elle de
vous ? demanda le comte d’un ton
provocateur.
— Je ne profite pas des femmes.
Il avait envie de donner des coups de
ceinture à son ami pour l’avoir même
suggéré.
— Peut-être pas. Maintenant que j’y
pense, je m’inquiète un peu qu’elle-même
n’abuse de vous.
— Ah ! À présent j’en suis certain…
Vous êtes mûr pour l’asile de fous.
— L’avenir nous le dira.
Rebbie sortit de l’écurie en flânant
vers la cour.
Dirk sourcilla. Isobel prévoyait-elle de
le séduire ? Et si c’était le cas, pourquoi
? Pour qu’il la protège indéfiniment des
MacLeod ? Allait-elle se servir de lui de
cette façon ? Par tous les diables, il ne
pouvait se laisser entraîner dans un
conflit entre ce clan et celui des
MacKenzie.

— L’individu dont vous parlez ne peut


être Dirk MacKay. Il est mort, affirma
Maighread Gordon, lady MacKay, à
Haldane. C’est un imposteur !
Elle observa son fils cadet qui se tenait
à l’autre extrémité du tapis turc du salon
de son manoir à Tongue. Le jeune homme
semblait énoncer la vérité.
— J’ignore s’il s’agit réellement de
lui. Je ne m’en souviens pas bien.
— C’est impossible.
Dirk MacKay était décédé douze ans
plus tôt. Sans l’ombre d’un doute.
Comment aurait-il pu survivre à une
chute du haut d’une falaise de trois
cents pieds ? Un éclair de culpabilité lui
traversa la poitrine, comme toujours
lorsqu’elle songeait à ce détestable petit
bâtard roux. Il lui évoquait ces
légendaires enfants échangés. Depuis son
plus jeune âge, il l’avait regardée avec
ses inquiétants yeux pâles et perçants,
comme s’il avait su lire dans ses
pensées… comme s’il la haïssait. Elle le
lui avait indubitablement rendu avec une
égale ferveur.
Mais le père de ce sale gamin, Griff
MacKay, l’avait aimée. Il le lui avait
répété chaque jour, et avait fait construire
cette chaleureuse demeure pour elle à
l’endroit où elle l’avait désiré, près du
Kyle of Tongue. Elle ne supportait pas
Castle Dunnakeil, ce sinistre château
parcouru de courants d’air et situé du côté
sauvage de ce rivage venteux.
Elle n’aurait eu aucune raison
d’épouser Griff MacKay vingt-deux ans
plus tôt, si ce n’était de porter son
héritier. Elle était fille de comte et avait
espéré contracter une union à la hauteur
de sa naissance. Mais cela ne s’était pas
produit. Son mari n’était qu’un baron chef
de clan. Cela se révélerait suffisant,
avait-elle supposé, compte tenu des terres
qui venaient avec le titre. Mais plutôt être
damnée que de laisser un petit fauteur de
troubles aux cheveux de feu prendre la
tête du clan, alors que cette position
pouvait aussi aisément revenir à son fils
aîné.
— Tous les anciens disent que c’est
lui, poursuivit Haldane. Et oncle Conall
prétend que son corps n’a jamais été
retrouvé parce qu’il n’est pas mort.
Conall ? Faisait-il partie de ce
complot ? Elle n’avait jamais fait
confiance au frère cadet de son époux.
— À quoi ressemble ce Dirk ?
— Un grand guerrier endurci. La
chevelure rousse, le regard bleu.
Maighread plissa les yeux. La
description correspondait jusqu’à une
certaine mesure.
— Quelle taille fait-il ?
Il leva la main environ six pouces au-
dessus de sa tête. Six pieds et demi ? Ce
gamin maigrichon avait-il pu autant
pousser ?
— Qu’en dit Aiden ? s’enquit-elle.
— Il pense que c’est bien lui.
— Vraiment ?
Son aîné avait neuf printemps lorsque
Dirk avait disparu. Il saurait forcément si
ce revenant était celui qu’il prétendait.
— Oui, mais il se laisse facilement
duper. Il veut simplement retrouver son
frère, peu importe qui en incarne le rôle.
Il lui a permis de s’installer dans le
donjon, et d’amener avec lui ses amis et
sa traînée.
— Quel scandale. Je dois aller
constater tout cela en personne. Je suis
persuadée qu’il s’agit d’un imposteur.
Mais si c’est lui, il nous faudra prendre
des dispositions le concernant. Il ne
spoliera pas mes fils de leurs droits.
Son cadet écarquilla les yeux, puis
sourit en repliant sa main sur la poignée
de son glaive.
— J’aimerais m’en charger.
— Vous vous abstiendrez de commettre
quoi que ce soit de stupide et d’irréfléchi.
Vous allez vous faire tuer. J’ai besoin de
vous, le clan aussi. Si Aiden ne peut
mener son peuple seul, vous l’y aiderez.
— L’aider ? répéta-t-il d’un œil noir.
— Oui. Vous l’assisterez dans les
décisions difficiles, et dirigerez les
hommes durant les batailles. Il n’est
clairement pas taillé pour la guerre
comme vous l’êtes. Cependant, il est doté
d’une intelligence aiguisée. Il sait tenir le
clan de manière convenable, mais il est
un peu plus faible physiquement.
Haldane croisa les bras en sourcillant,
le visage empourpré.
— Insinueriez-vous que je manque
moi-même de vivacité d’esprit, mère ?
— Non. Mais nous savons tous les
deux que vos études ont été laborieuses.
Vous refusiez de prêter la moindre
attention à votre tuteur toutes ces années
où il était ici.
— Je m’ennuyais. Cela ne fait pas de
moi un idiot !
— Néanmoins, mes deux enfants
régneront ensemble. Cet arrangement est
idéal, puisque vos forces et faiblesses
respectives sont différentes.
— Certes, sauf que mon frère est le
chef et le seigneur, quant à moi, qui suis-
je ? Son second ? Son sous-fifre ?
— Ne soyez donc pas si égoïste ! Vous
feriez mieux de vous inquiéter tous les
deux de cet usurpateur qui est arrivé. À
l’évidence, il souhaite vous déposséder
de ce qui vous revient de naissance.
— Une audience est prévue après-
demain. Peut-être voudriez-vous y
assister.
— En effet, je serai présente.
— Il serait donc avisé de nous mettre
en route. Le froid est terrible entre
Tongue et Durness.
— Je sais fort bien cela, Haldane.
— Dépêchons-nous. Nous devrons
partir à l’aube demain matin. Les anciens
étaient pressés d’installer Dirk dans ses
nouvelles fonctions. À entendre Aiden,
j’ai eu l’impression qu’il était disposé à
s’effacer pour lui laisser la place.
— Il faudra d’abord me passer sur le
corps ! s’exclama Maighread.

Le lendemain, le guerrier se tenait sur


la rive donnant sur Balnakeil Bay. Même
si le vent glacial n’était pas aussi cinglant
que la veille, il lui piquait encore les
yeux. Il resserra son manteau de laine
autour de ses épaules. La vaste plage
dorée s’étendait devant lui, et six fières
galères en bois de différentes tailles
étaient amarrées non loin de là. Il ne
souhaitait guère faire embarquer Isobel
sur l’une d’elles pour la ramener dans le
Sud. Le baiser qu’ils avaient partagé le
soir précédent dans les écuries le rendait
d’autant plus hésitant. Mais il devrait la
conduire auprès de son frère à un moment
donné.
Au-delà des navires, les dunes de
sable, maintenues par de l’oyat, se
déployaient à perte de vue vers Faraid
Head, et abritaient des falaises qui
saillaient sur deux miles au-dessus de la
mer. Enfant, il avait adoré jouer avec ses
cousins parmi ces buttes. Il entendait
presque les échos de batailles fictives
menées à la pointe d’épées inoffensives.
Ils montaient aux sommets, et s’en
laissaient glisser ou rouler jusqu’en bas.
Mais Faraid Head avait également un
côté plus obscur – ses parois de trois
cents pieds où il avait failli perdre la vie.
À présent, l’air salé avait exactement
la même odeur qu’à l’époque. Dirk avait
du mal à croire qu’il s’était écoulé autant
de temps.
Il se retourna furtivement vers le
château perché sur son gigantesque rocher
noir. Il avait éprouvé le besoin de sortir.
Même fourmillant de monde, l’édifice
paraissait vide lorsque n’y résonnait plus
le rire jovial et éclatant de son père.
Griff MacKay était grand, large de
carrure, et sa prestance n’avait pas
d’égale au sein du clan. Quand il prenait
la parole, on l’écoutait. Quand il partait
pour le combat, ses ennemis blêmissaient
de terreur.
Même si son fils aîné l’avait adoré,
admiré et respecté plus que quiconque, il
devait admettre que le vieil homme s’était
montré plutôt naïf, en vouant à son épouse
une confiance sans bornes au détriment du
reste de son entourage. Et elle serait
probablement là d’ici à un jour ou deux.
Il ne pensait guère que le froid ou le vent
la dissuaderaient de venir. Elle habitait
sur cette côte nord depuis plus de vingt
ans et était rompue au climat.
Même s’il se méfiait d’elle, il ne la
craignait pas. Il s’attendait à ce qu’elle
élabore quelque complot. Elle chercherait
à l’écarter et à faire fi de ses
déclarations. Mais elle ne serait guère en
mesure de contredire le conteur de Griff,
ni les autres anciens qui étaient membres
du clan depuis bien plus longtemps
qu’elle et lui. Des êtres de l’âge de son
père, ou plus vieux, qui avaient connu
celui-ci depuis la naissance. Ils étaient
vifs et sains d’esprit.
Puisque Maighread ne pouvait
légalement empêcher Dirk de devenir
chef, elle verserait une fois encore dans
la sournoiserie, comme elle en avait
l’habitude. Elle tenterait de l’assassiner
de nouveau ; il ne se faisait aucune
illusion à ce sujet. Il s’était déjà entretenu
avec Rebbie, Conall et Keegan à ce
propos, et concernant la sécurité autour
de la forteresse.
Puisque cette sorcière était une amie
proche de la mère d’Isobel, il ne pensait
pas qu’elle essaierait de s’en prendre à
cette dernière. Elle envisagerait de se
servir de la jeune MacKenzie pour
parvenir à ses fins uniquement si elle
s’apercevait que celle-ci attirait vivement
MacKay. Pour la protéger, il devrait
cacher l’intérêt qu’il lui portait.
Toutefois, il lui fallait l’avertir des
dangers qui pouvaient résulter des
manigances de Maighread ou Haldane.
Une fois qu’il serait chef et saurait en qui
avoir confiance, il aurait la possibilité
d’assigner des gardes personnels à
Isobel, lui-même et quiconque se
trouverait dans la ligne de mire de cette
maudite vengeresse. Car dès qu’Aiden
serait destitué, il ne faisait aucun doute
qu’elle voudrait prendre sa revanche
contre son beau-fils. Pour l’assouvir, elle
manipulerait les amis du guerrier, ou des
membres de sa famille, n’importe qui
parmi ceux qu’il affectionnait.
Des vagues s’écrasèrent sur la plage
rocheuse à sa gauche, l’eau retombant
prestement sur le sable. Le vent portait à
ses oreilles un hymne joué à la
cornemuse, provenant peut-être du
village.
Une silhouette solitaire marchant au
loin sur le rivage captura son attention ; la
tenue sombre qu’elle arborait contrastait
avec le gris de l’océan et la blancheur
des brisants. Il ne parvenait à distinguer
s’il s’agissait d’un homme ou d’une
femme, mais cette personne ne semblait
guère ramasser des coquillages. Cet
endroit était plaisant en été, mais lorsque
l’automne était déjà aussi avancé, le
littoral se révélait trop froid et trop
venteux pour que l’on apprécie
réellement de s’y promener.
Dirk se retourna pour observer le
coucher de soleil orange et or coiffant les
collines herbeuses. Il balaya du regard la
paroi de l’église. Derrière elle se
trouvaient le cimetière et le nouvel
édifice – l’œuvre de son père.
Quittant la rive, le guerrier se dirigea
vers le mur, ouvrit le portail et pénétra
dans ce champ du repos où nombre de ses
ancêtres avaient été enterrés. Conall
l’avait informé que son père avait été
inhumé à l’intérieur de la chapelle.
En y entrant, il marqua une pause dans
le silence glacial et l’atmosphère figée.
Les lieux sentaient le mortier frais et la
poussière de roche. Soudain, l’ancien
sanctuaire qui se dressait là quand il était
parti lui manqua. Il était vieux de
plusieurs siècles, mais en piteux état. En
remontant l’allée, Dirk s’aperçut que l’on
avait réutilisé le vitrail coloré. Cela ne
faisait pas si longtemps que la totalité de
Durness s’était convertie du catholicisme
au protestantisme, et il se réjouissait de
constater que l’on avait reconnu la valeur
de cet ornement.
Il trouva la tombe de son père près des
premiers rangs, mais en retrait sur le côté.
La douce lumière du soleil couchant
luisait à travers le verre rouge et or,
rehaussant le nom de Griff MacKay et la
gravure de son visage – un front altier, un
sourcil conquérant, une bouche ferme qui
avait prononcé plus d’un ordre strict,
mais qui s’était également plu à faire
résonner un rire franc. Il s’agissait là d’un
portrait fidèle de lui.
— Je suis désolé de ne pas être revenu
avant votre décès, papa, chuchota-t-il.
Si seulement il avait pu le revoir une
dernière fois. Il n’avait jamais autant
regretté quoi que ce soit. Passant ses
doigts sur la figure sculptée dans la
pierre, il se demanda ce que le vieil
homme aurait pensé de lui à présent.
Aurait-il été heureux de constater que son
fils n’était pas mort douze ans plus tôt ?
Aurait-il éprouvé quelque fierté vis-à-vis
de l’adulte qu’était devenu son enfant au
cours de cette longue absence ?
Oui, Dirk supposait que cela aurait été
le cas. Son père aurait voulu un récit
détaillé de toutes les aventures que son
aîné avait vécues durant ses voyages, et
de chaque bataille qu’il avait menée.
— Vous êtes revenu, chef.
Tiré de ses pensées, il se retourna
brusquement. Le pasteur se tenait derrière
lui, grisonnant et vêtu de noir.
« Chef » ? Il ne l’était pas encore, mais
le deviendrait d’ici peu.
Le guerrier se dirigea vers lui d’un pas
vif.
— C’est bon de vous revoir, révérend.
— J’avais entendu parler de votre
résurrection. J’ai du mal à en croire mes
yeux tant vous ressemblez à Griff
MacKay, déclara le pasteur MacMahon,
bouche bée, tandis qu’il lui serrait la
main.
— C’est ce que l’on m’a dit.
Il était heureux de partager au moins
une similitude dans les traits, même si les
deux hommes étaient très différents en
personnalité.
L’ecclésiastique prit un air grave.
— Il y a quelques semaines, votre
oncle Conall m’a raconté ce qui s’était
passé dans votre jeunesse, annonça-t-il en
secouant la tête. Je ne puis concevoir tant
de cupidité et de malfaisance.
— Certes.
L’expression du révérend se relâcha
dans ce qui pouvait être considéré chez
cet homme austère comme un sourire ténu.
— Il semble que nous soyons obligés
de retirer votre plaque funéraire.
— Une plaque funéraire ?
— Oui, au-dehors, sur le mur de
l’église, avec Faraid Head en fond. Votre
père la voulait à cet endroit. Parfois, il
venait là et gardait les yeux rivés dessus
durant de longs moments. Ou peut-être
regardait-il au-delà, en espérant vous
voir émerger des dunes.
Dirk sourcilla. Il se sentit transpercé
de culpabilité en imaginant le chagrin que
Griff avait éprouvé en le croyant mort.
— Je déteste savoir que je l’ai peiné,
mais il m’était impossible d’agir
autrement.
— C’est vrai. Vous avez fait ce que
vous deviez afin de survivre. Il a envoyé
des équipes de recherche autour du
littoral pour vous retrouver. Après de
nombreuses semaines, il a abandonné la
chasse et accepté l’idée que vous étiez
sûrement décédé. Puis nous avons
procédé à votre cérémonie
commémorative. Elle était fort belle, je
dois dire, précisa MacMahon en
ébauchant un rictus ironique.
— Eh bien, je vous remercie donc pour
cela.
Mal à l’aise d’aborder ce sujet,
MacKay scruta les cloisons et le haut
plafond.
— Le nouvel édifice est magnifique.
De bonne construction.
— Oui. Votre père était résolu à
achever ce projet avant de mourir, et Dieu
merci, il l’a effectivement vu terminé. Il
appréciait de venir ici, et de regarder
travailler les artisans et les maçons. Nous
avons gardé le sol en pierre d’origine.
Dirk hocha la tête, remarquant une
autre nouvelle tombe sur le côté qui ne
contenait aucune épitaphe.
— Qui est enterré là ?
— Personne pour l’instant, mais cette
sépulture est réservée à Donald
McMurdo. Il a fait don d’une somme
considérable pour la reconstruction de
l’église.
Le guerrier fut saisi d’incrédulité et
d’indignation.
— McMurdo ? Ce criminel de grands
chemins ?
Le regret se lut furtivement sur le
visage du révérend.
— Oui, lui-même.
— Il a tué un nombre incalculable
d’innocents.
— Je n’en doute pas une seconde. Mais
il semble avoir fini par s’inquiéter pour
l’immortalité de son âme. C’est pourquoi
il a versé autant d’argent.
— Il l’a gagné en faisant couler le
sang, marmonna Dirk, avec la soudaine
impression que la bâtisse était
corrompue.
— Notre bon Seigneur est clément.
— Et croyez-vous que ce vaurien se
soit repenti de tous les meurtres et de tous
les méfaits qu’il a commis ?
Cet homme était assurément celui qui
les avait menacés d’une arme son groupe
et lui, juste avant qu’ils ne gagnent
Durness.
— Dieu seul le sait, mais il souhaitait
être enterré à l’intérieur de cette chapelle.
Je pense qu’il craint que le clan MacKay
et les gens de la région ne profanent sa
dépouille après sa mort s’il n’est pas
inhumé dans un lieu protégé. Pour moi, il
a acheté une tombe, pas son entrée au
paradis. Son sort reste entre les mains du
Seigneur.
— En effet.
Mais voir la future sépulture d’un
meurtrier si près de celles de son père et
de tous ses ancêtres éprouva les nerfs
déjà à vif de MacKay. Si cet individu
essayait encore l’un de ses tours funestes,
il pourrait finir par intégrer sa jolie fosse
plus tôt que prévu.
— Oui, je reconnais vraiment votre
père en vous, déclara le pasteur en
esquissant l’un de ses sourires quasi
imperceptibles. Vous avez son
tempérament, et son sens du bien et du
mal. Il n’a jamais pu supporter l’injustice.
Vous ferez un laird formidable. Un
brillant meneur d’hommes. Il serait fier
de vous, affirma-t-il en s’inclinant
brièvement. Si je puis faire quoi que ce
soit pour vous obliger, faites-le-moi
savoir.
— Je vous remercie, révérend. Une
audience se tiendra dans deux jours au
château. Le clan va décider qui est
l’héritier légitime. Si vous acceptiez
d’attester que vous vous souvenez de moi
et que je suis bien Dirk MacKay, fils aîné
de Griff MacKay, vous me seriez d’une
aide précieuse.
— J’en serai ravi. Je vous souhaite une
bonne soirée.
Le guerrier s’inclina, et
l’ecclésiastique se retira par la porte
latérale, probablement en direction de sa
chaumière avoisinante.
Une plaque commémorative ? Dirk
devait voir cela.
Il jeta un dernier coup d’œil dans
l’église et en sortit par l’entrée
principale, encore perturbé par l’idée
qu’elle avait été construite grâce à
l’argent d’un criminel. Pourquoi son père
avait-il autorisé une telle chose… À
moins que le clan n’ait connu des
difficultés financières ? Maighread et son
élégant manoir en avaient-ils asséché les
coffres ? Il devrait s’en entretenir avec
l’intendant dès qu’il aurait été nommé
chef.
Au-dehors, il vagabonda entre les
sépultures couvertes d’herbe avec leur
pierre tombale. Le soleil, qui s’était
évanoui derrière les collines, tachait le
ciel d’orange, de rose et de violet. Tout le
mur nord faisait face à la baie et à Faraid
Head au-delà, selon l’endroit d’où on
l’observait. Il le longea et à mi-chemin, il
aperçut, rivée dans la paroi, une plaque
de pierre grise sculptée. Elle mesurait
environ un pied de haut. Il s’approcha
puis se posta devant.

Pour honorer la mémoire de Dirk


MacKay, brave et noble fils du chef
Griffin MacKay. Né en 1591. Mort en
1606 à Faraid Head. Vous nous
manquez.

Soudain, il ressentit l’irrévocabilité de


son décès, comme l’avaient endurée son
père et son clan. Son trépas aurait pu si
facilement être réel.
À quelques pieds se trouvait la stèle de
son cousin qui était vraiment mort ce
jour-là, William MacKay.
Maighread était une véritable
criminelle.
Il entendit un bruit sourd derrière lui et
fit volte-face, la main sur la poignée de
son glaive, alerte et prêt à attaquer.
La silhouette en habits sombres qui
errait sur la plage se tenait à dix pieds de
lui.
Chapitre 12

Isobel.
Pour Dirk, la voir là dans ce cimetière
était si inattendu qu’il se trouva à court de
mots. Son corps était toujours sur le qui-
vive, en position d’attaque.
Lâchant la poignée de son épée, il se
sentit idiot pour cette soudaine montée
d’angoisse qui l’avait presque incité à
frapper avant d’identifier la personne qui
se tenait dans son dos. Il entendait son
cœur marteler dans ses oreilles comme un
tambour. Ce n’était pas la première fois
que cela se produisait. S’attendre à
tomber à tout moment dans une
embuscade pouvait avoir cet effet sur un
homme.
— Je vous prie de m’excuser. Je
n’avais pas l’intention de vous
surprendre, dit la jeune femme en
sourcillant. Vous allez bien ?
Il inspira profondément, puis souffla
pour évacuer la tension, s’efforçant de se
détendre.
— Oui. Que faites-vous à l’extérieur
des portes du château ? Le bandit de
grands chemins qui nous a attaqués
pourrait s’aventurer dans les parages.
Elle plissa les yeux et balaya les
alentours du regard.
— Il fallait simplement que je sorte
pendant que le temps était à peu près
convenable. Si cela peut vous rassurer,
j’ai une dague dans mon sac.
Cette précision ne dissipa guère les
inquiétudes de Dirk, mais cela valait
mieux que rien, supposa-t-il.
— Que faites-vous ici ? s’enquit-elle.
— Rien de plus qu’admirer ma plaque
funéraire, répondit-il d’un ton sec en la
lui montrant.
Elle s’approcha, scrutant la pierre
sculptée.
— Oh, lâcha-t-elle. « Brave et noble ».
Je suis d’accord.
Sa remarque le toucha plus qu’il
n’aurait su l’exprimer.
— Je vous remercie, murmura-t-il.
Lorsqu’elle releva ses yeux sombres
vers lui, ils étaient embués.
— Vous avez manqué aux membres de
votre clan.
— Pas plus que je ne me suis langui
d’eux.
— Mais vous saviez qu’ils étaient ici,
alors qu’ils vous pensaient parti… pour
toujours.
— Certes, il y a une différence, admit-
il.
Il n’en était que trop conscient, surtout
maintenant que son père était mort. Il se
sentait profondément ému que ce dernier
ait fait graver une si belle épitaphe en son
honneur.
Isobel la regarda de nouveau.
— Faraid Head… Où est-ce ?
— À plus de deux miles dans cette
direction.
Il pointa son doigt au-delà du mur, vers
la vaste étendue de terre de l’autre côté
de Balnakeil Bay.
— C’est un endroit inhospitalier qui ne
recèle rien d’autre que des dunes de sable
et des falaises, précisa-t-il.
— Que s’est-il passé ?
Le lui expliquer était trop éprouvant à
cet instant précis. Un tourbillon
d’émotions diverses et sinistres
s’abattaient sur lui, des souvenirs de ce
qu’il avait subi ce soir-là. Savoir que
lady MacKay était cupide au point de
vouloir tuer pour ce qui revenait
légitimement à son beau-fils… pendant
que celui-ci, à l’âge de quinze ans,
endurait la douleur provoquée par une
grave blessure, ainsi que la peur de se
retrouver suspendu au bord d’une falaise
des heures durant dans l’obscurité et le
vent, dans le fracas des vagues qui se
brisaient en contrebas, où son meilleur
ami était mort, ignorant s’il serait en
mesure de remonter sur la terre ferme, ou
s’il connaîtrait lui aussi une chute fatale.
Puis il y avait eu la gratitude d’avoir
survécu. Non, tout cela représentait trop à
revivre. Par ailleurs, il en parlait
rarement.
— Je vous raconterai tout, un jour,
répondit-il, les yeux rivés vers le sévère
promontoire, songeant à Will et souffrant
de son absence plus vivement maintenant
qu’il se tenait devant sa tombe.
Il ne souhaitait pas attirer l’attention
d’Isobel sur sa douleur, ni évoquer son
cousin pour le moment. Ils avaient
d’autres problèmes plus urgents à
aborder.
— Nous devons discuter, annonça-t-il.
— Je pensais que nous étions
précisément en train de le faire.
Elle se mordit la lèvre, mais laissa
échapper l’ébauche d’un sourire qui eut
pour effet de distraire le guerrier,
l’extirpant de l’abîme de ses sombres
tourments. Son passé se dissipa comme la
rosée du matin tandis qu’il se concentrait
pleinement sur le présent.
Isobel.
Des mèches défaites de cheveux foncés
avaient glissé de sa capuche et flottaient
au vent, invitant Dirk à les capturer pour
les enrouler autour de ses doigts. Elle
avait les joues et les lèvres rosies par
l’air frais… des yeux ténébreux et
enchanteurs…
Que le diable l’emporte, s’il ne
s’agissait pas là d’une petite séductrice.
Il détourna le regard pour mieux se
concentrer sur ce qu’il avait à dire.
— J’entendais évoquer un sujet
sérieux.
— Il n’existe rien de plus sérieux
qu’une plaque commémorative, rétorqua-
t-elle d’un air direct.
Il ne put réprimer un ricanement
accompagné d’un rictus, ne sachant
vraiment pas pourquoi la remarque de sa
compagne lui paraissait amusante. Il
secoua la tête.
— Je crois que nous devrions retourner
au château avant la tombée de la nuit. Il
fait plus frais dès que le soleil se couche.
Elle acquiesça et passa entre les
tombes pour sortir.
Il lui tint le portail en bois patiné par le
temps, puis se mit en route à côté d’elle
sur le sentier de sable mouillé et compact
qui remontait la colline en direction du
manoir.
— Je me demandais si vous aviez
envoyé une missive à mon frère pour le
prévenir que j’étais saine et sauve. Il va
s’inquiéter quand les MacLeod vont lui
révéler que j’ai disparu, dit-elle.
— J’en avais l’intention. Mais j’ai
ensuite pensé qu’ils intercepteraient peut-
être le messager ou la lettre, et
apprendraient où vous vous cachiez. Pour
votre sécurité, j’ai estimé préférable
d’attendre un peu.
Elle hocha la tête.
— Très bien. Je souhaite à tout prix
qu’ils ne me retrouvent pas.
— Je dois également vérifier quels
domestiques sont dignes de confiance et
qui ferait le meilleur coursier.
Il y avait presque deux cents miles à
parcourir jusqu’à Dornie. Il lui fallait
envoyer quelqu’un qui s’y était déjà
rendu, et qui jouissait d’une santé assez
vigoureuse pour supporter le froid. À dire
vrai, il devrait probablement faire appel
à deux serviteurs pour un trajet si long, si
ardu et si dangereux.
Par ailleurs, il détesterait que
quiconque, y compris le frère d’Isobel,
fasse irruption pour l’emmener si tôt loin
de lui. Ce serait pour le mieux,
évidemment, mais il n’était pas certain
d’être prêt à la laisser partir. Il se
montrait idiot, car il n’avait aucun avenir
avec elle. Néanmoins, il ne pouvait
s’empêcher d’apprécier le temps qu’ils
passaient à converser, même s’ils
n’abordaient que des sujets futiles.
— Vous marchiez au bord de la mer ?
demanda-t-il, curieux de savoir ce qui lui
avait pris de flâner au-dehors par ce
temps glacial.
— Oui, il fait meilleur aujourd’hui, et
le vent s’est calmé. De plus, je n’ai
jamais vu une plage aussi belle.
Elle marqua une pause l’espace d’un
instant pour jeter un coup d’œil sur
Balnakeil Bay, que teintait la douce lueur
du crépuscule.
— Il en existe de ravissantes autour de
Durness.
Et la plupart des dames ne se seraient
jamais risquées à sortir, que le paysage
soit magnifique ou pas. La résistance de
la jeune femme charma son sauveur.
— J’avais besoin d’air frais et de
lumière, répondit-elle. Ma chambre est
chaude et douillette, mais un peu sombre.
Il devrait veiller à lui trouver une
pièce plus agréable s’il était désigné chef
– ou plutôt quand il le deviendrait. Il ne
doutait pas de la décision du clan en sa
faveur, surtout si Aiden lui cédait la
place. Haldane protesterait, mais quel
bien en tirerait ce garçon ? Il était peut-
être d’un tempérament ombrageux, mais
se révélait impuissant au final. Ce qui
avait déclenché la colère de Dirk en
particulier était la façon dont il avait
parlé d’Isobel, en la qualifiant de traînée.
Le guerrier aurait toutefois l’occasion
d’apprendre à ce chien fou une leçon sur
le respect dû aux dames et autres
membres de la noble société.
— Et comment va votre doigt
aujourd’hui ? s’enquit-il.
— Il a un peu dégonflé.
Elle s’arrêta pour le lui montrer.
Il le prit délicatement, avide de tout
prétexte lui permettant de la toucher.
— Vous avez la main froide. Et elle
arbore un joli vert à présent.
Elle esquissa un sourire charmeur.
Il avait envie de baiser ce membre
blessé plus que tout au monde. Mais il
n’avait rien d’un galant ni d’une canaille
comme Lachlan, ou même Rebbie. Il
n’était pas de ceux qui provoquent les
femmes ou les font glousser. À son grand
regret. Il aurait souhaité changer et
devenir un peu plus comme ses amis.
Lorsqu’elle leva ses yeux envoûtants
vers lui, il se sentit presque ensorcelé. Il
ne désirait pas simplement la provoquer ;
il voulait l’embrasser. Sur les lèvres.
Mais il lui fallait se l’interdire, même si
la douceur de cette bouche contre la
sienne avait hanté ses rêves toute la nuit.
Elle était toujours promise à un autre.
Les fiançailles étaient un engagement par
contrat légal.
Il la lâcha et se remit à gravir la
colline d’un pas lent, attendant que sa
protégée le rejoigne.
— Lady Isobel, je me rends compte
que je vous dois des excuses pour ce qui
s’est passé dans l’écurie hier soir.
— Pour le baiser, ou pour m’avoir
rabrouée juste après ?
— Les deux.
Il en eut le visage embrasé malgré le
froid.
— Sottises. Je suis soulagée que vous
ne m’en vouliez pas. Peut-être est-ce à
moi de vous demander pardon.
— Non, c’est inutile.
— Tant mieux. Car je ne regrette rien.
Était-elle vraiment obligée de se
montrer si diablement sincère et attirante
à la fois ?
— Gratifiez-moi de l’œil le plus noir
qui vous plaira, ajouta-t-elle en souriant.
Nous avons cédé à un petit plaisir, non ?
Il riva de nouveau son attention droit
devant lui, déterminé à ne pas se laisser
entraîner dans ce jeu de séduction.
— Certes. Cela ne se reproduira plus.
— Quel dommage.
Elle avait marmonné, mais il l’avait
clairement entendue malgré la rafale de
vent qui lui avait presque renvoyé son
souffle au fond de la gorge.
Qu’il soit damné si elle n’avait pas
entrepris de le poursuivre. Avait-elle
perdu l’esprit ? Ou tentait-elle
d’échapper au mariage avec un MacLeod
? S’il la volait à leur laird, il en
découlerait une guerre de clans. Il ne
craignait personne, mais refusait que ses
propres désirs charnels mettent en péril la
vie de son peuple.
Si elle ne s’était révélée liée à un
autre, il n’aurait eu aucun problème à
fréquenter une veuve. En fait, les jeunes
femmes de cette catégorie étaient celles
qu’il préférait pour pratiquer les joies de
la chair. Elles jouissaient d’une certaine
expérience, et apparaissaient souvent en
manque – voire avides – de relations
intimes.
Isobel l’avait embrassé avec ce même
appétit la veille. Mais il ne s’autorisait
pas à badiner avec des créatures déjà
convoitées, même s’il était presque
impossible de leur résister.
— Y avait-il autre chose dont vous
souhaitiez me parler ? demanda-t-elle
lorsqu’ils regagnèrent la herse ouverte.
— Oui. Nous en discuterons dans la
bibliothèque.

— Mon père traitait toujours ses


affaires officielles dans cette pièce,
expliqua Dirk en ouvrant la vieille porte
en chêne sculptée.
Isobel entra, mais n’y distingua rien
dans la pénombre. Marquant une pause
dans l’embrasure, elle regarda son
sauveur allumer une bougie à partir du feu
de tourbe qui se consumait doucement
dans l’âtre. Il s’en servit pour en
enflammer deux autres disposées dans un
chandelier que l’on avait placé sur la
table usée. Celle-ci était munie de deux
bancs de chaque côté, et de fauteuils à ses
extrémités. D’anciennes tapisseries
défraîchies représentant des galères
chargées de guerriers décoraient deux des
murs en pierre.
Elle n’aurait pas qualifié ce lieu de
bibliothèque, car, malgré son unique
étagère, elle ne contenait aucun livre.
Seuls quelques parchemins et documents
enroulés étaient éparpillés ici et là. La
fenêtre haute et étroite offrait une vue
splendide sur la baie dans la lueur du
crépuscule.
— Asseyez-vous.
Dirk lui désigna un siège sculpté digne
d’un roi et situé devant la cheminée.
— C’est le vôtre. Je ne puis
décemment pas…
— Non. Il n’est réservé à personne
pour le moment.
Elle s’installa sur le coussin élimé en
velours bleu, et tendit les mains plus près
des braises.
— Je suis certaine que l’on vous
nommera chef à l’audience.
Le clan serait devenu fou s’il en
décidait autrement. Elle n’avait jamais
rencontré aucun homme plus apte à porter
ce titre.
— Je l’espère. Je suis par ailleurs
soulagé qu’Aiden ne souhaite pas
réellement endosser cette responsabilité.
Si c’était le cas, la situation se révélerait
beaucoup plus compliquée.
Il tourna l’un des fauteuils disposés
autour de la table, et le rapprocha du
foyer pour s’y asseoir.
— Je n’en doute pas.
Elle admirait la complicité des deux
frères et aimait l’idée que Dirk veille à
ne pas blesser son cadet.
— Il est plus doué pour la musique que
pour mener des hommes.
— En effet. Comme vous le savez,
Haldane est allé chercher sa mère.
Elle acquiesça, se remémorant la
réaction injurieuse qu’il avait eue à son
égard. Elle se réjouirait de ne plus jamais
avoir à l’affronter. Il représentait une
menace.
— Vous connaissez Maighread Gordon,
bien entendu, affirma-t-il.
— Oui. Étant donné qu’elle faisait
partie des amies de ma mère, elle nous a
parfois rendu visite durant mon enfance.
Maman la tenait en haute estime.
— Elle peut de temps à autre arborer
une charmante façade, qui cache
néanmoins l’esprit le plus sournois et le
plus maléfique que j’aie jamais connu.
— Je sais qu’elle a essayé de vous
tuer.
Il plissa les yeux.
— Qui vous l’a dit ?
— Votre tante Effie. Elle m’a conseillé
de m’en méfier.
— Je souhaite également vous mettre
en garde à ce sujet. Ma belle-mère peut
paraître aimable et gentille en surface,
mais une chose est sûre : elle ne cesse de
comploter au profit de ses deux fils.
— J’ai du mal à le concevoir.
Devant le haussement de sourcils
sceptique qu’il esquissa, elle ajouta :
— Mais je vous crois.
— Je ne la connais que trop bien.
J’imagine sans peine ce qu’elle fera dès
son arrivée.
— Quoi donc ?
— D’abord, elle tâchera de me
discréditer, puis elle cherchera de
nouveau à m’éliminer. Ou plutôt, elle
engagera quelqu’un pour le faire.
Sa compagne s’y attendait également,
mais cette perspective lui glaça les
veines malgré tout. Elle hocha la tête.
Même si elle ignorait comment, compte
tenu qu’elle n’était qu’une femme et non
un guerrier expérimenté, elle se devait de
protéger Dirk. Ou du moins, de rester
vigilante pour lui. Elle découvrirait si
Maighread était bien celle qui avait tenté
de le faire assassiner, ou s’il s’agissait de
quelqu’un d’autre. Elle ne pouvait
comprendre comment une mère, amie
attentionnée de celle d’Isobel, était
capable d’élaborer un plan pour tuer son
beau-fils, un homme si honorable ?
Cachait-elle quelque démence ?
— De quelle manière a-t-elle essayé
de vous faire disparaître ? Je sais que
vous ne souhaitez guère en parler, mais je
me sentirai mieux préparée si j’en sais
plus sur la façon dont elle opère.
L’affliction obscurcit furtivement le
regard bleu ciel de MacKay. Il se leva et
arpenta la pièce sombre. Il marqua une
pause devant la fenêtre et observa au loin
Balnakeil Bay.
— J’avais chevauché jusqu’aux
falaises de Faraid Head avec mon cousin
Will, dit-il. Nous avions presque le même
âge. Papa nous avait envoyés guetter les
galères qui s’approchaient. Il attendait
une cargaison de provisions en
provenance de Glasgow. C’était l’été,
nous allions donc demeurer là toute la
nuit, et surveiller chacun à notre tour.
Mais pendant que je dormais, quelqu’un a
attaqué Will. Je me suis réveillé au son
de sa voix qui criait mon nom et d’épées
qui se croisaient. Étant donné la saison, le
crépuscule luisait encore malgré l’heure
tardive. Quelqu’un – un homme – vêtu de
noir a projeté mon cousin dans le vide
avant que j’aie le temps d’arriver jusqu’à
eux. J’étais sous le choc. Mon meilleur
ami… un frère pour moi. C’était trop
tard. Je ne pouvais rien faire pour l’aider.
— Oh, Dirk.
Elle en eut mal au cœur pour lui. Elle
ne pouvait qu’imaginer le bouleversement
et le chagrin qu’engendrait la perte d’un
être si proche alors qu’on se trouvait soi-
même en danger.
— Ce sale meurtrier portait une large
cagoule sur la tête, je n’ai donc pas vu
son visage dans l’obscurité. Sa tenue et
son arme m’étaient inconnues. Il s’est
avancé vers moi en brandissant sa lame.
J’étais assez bien entraîné à l’épée, mais
il avait plus d’expérience. Il s’agissait
d’un individu dans la fleur de l’âge,
grand, large d’épaules, bien plus
imposant que je ne l’étais à l’époque. Je
me suis battu avec fougue durant quelques
minutes. Je n’avais jamais assisté à un
véritable combat auparavant, et c’était la
première fois que j’avais réellement
envie de supprimer une vie. Mais toute
ma rage et toute ma détermination furent
vaines. J’ai fait un faux pas, et mon
adversaire a saisi mon arme et l’a
envoyée au loin. Juste avant de me
pousser de la falaise, il m’a dit : « Avec
les sincères salutations de lady MacKay.
»
— C’est terrible, déclara Isobel en
essuyant des larmes.
Elle avait les entrailles nouées de
tristesse pour lui. Il était si jeune et si
vulnérable au moment des faits.
— Comment avez-vous survécu ?
reprit-elle.
— J’ai glissé le long de la paroi, un
rocher escarpé et pointu m’a labouré le
dos avant de se prendre dans mon tartan.
J’avais si mal que je ne me suis pas
aperçu immédiatement de ce qui s’était
passé… que j’étais à l’abri et en vie. J’ai
réussi à grimper sur une saillie. Notre
agresseur ne pouvait me voir. J’étais
tombé à environ quinze pieds. Pensant
probablement que je m’étais écrasé sur
les récifs en contrebas, il est parti.
— Vous avez eu de la chance.
— Oui, contrairement à mon cousin. Je
ne l’ai jamais revu, ni même sa dépouille
fracassée, mais mon oncle m’a écrit que
celle-ci s’était échouée sur le rivage
plusieurs jours après.
Elle secoua la tête, se figurant le jeune
Dirk, alors âgé de quinze ans, à peine
plus mature qu’un enfant, coincé au flanc
d’une falaise, accablé de chagrin, en
deuil de son cousin bien-aimé. Ne sachant
s’il allait lui-même en réchapper.
— Le lendemain matin, Conall m’a
lancé une corde pour me hisser hors de
danger.
— Quel cauchemar, répliqua-t-elle,
réprimant dans un clignement les larmes
qui lui brûlaient les yeux.
Ne montrant aucune émotion au-delà de
la noirceur des souvenirs que reflétait son
regard expressif, il observa furtivement
sa compagne, puis se détourna.
— Je trouve sage d’avoir laissé penser
à tout le monde que vous étiez mort.
— Mon oncle disait que c’était le seul
moyen de me protéger. Il m’a amené juste
au sud d’Inverness pour que j’aille
habiter avec le clan de ma mère.
— Vous a-t-on convenablement traité ?
— Oui. Les MacLerie sont des gens
honorables, intègres et bien considérés.
Après quelques années passées auprès
d’eux, je suis allé à l’université comme le
veut la coutume pour les futurs chefs.
Conall et le clan ont subvenu à mes
besoins jusqu’à ce que j’en sois moi-
même capable. J’ai été mercenaire en
France quelque temps avec Rebbie et un
autre ami proche, Lachlan.
— Cela paraît excitant.
Il haussa les épaules.
— Je préfère de loin l’Écosse, malgré
le climat plus rude.
Il garda le silence durant plusieurs
minutes, les yeux rivés à la fenêtre,
comme si certaines scènes du passé se
déroulaient dans son esprit.
— Quoi qu’il en soit, ce que je veux
vous expliquer, c’est que vous devriez
vous méfier de Maighread. Faites-lui
autant confiance qu’à une vipère
venimeuse. J’espère que l’amitié qu’elle
partageait avec votre mère la retiendra de
s’en prendre à vous ou de vous impliquer
dans ses manipulations, mais restez
vigilante. Elle est imprévisible. Qui peut
dire ce qui se passe dans son esprit ?

Nolan MacLeod se prélassait assis


devant l’âtre dans la salle haute de
Munrick Castle tandis que Torrin, le
laird, faisait les cent pas. Ses longs
cheveux bruns, maintenus dans une queue-
de-cheval, étaient encore ébouriffés par
la capuche de son manteau. Il était arrivé
le jour même, une heure après la tombée
de la nuit.
— Où diable lady Isobel est-elle partie
? demanda-t-il avec insistance, ses yeux
vert foncé luisants de… soupçon ou de
rage ?
Nolan devrait s’assurer que son aîné
n’apprendrait rien de ses agissements
juste avant la disparition de cette femme.
Le meneur se souciait-il plus de sa
promise que son cadet ne l’avait supposé
?
— Si je le savais, j’irais vous la
chercher. Elle a disparu dans la nuit. Elle
s’est enfuie, sûrement pour rejoindre son
frère.
— Pourquoi ne vous êtes-vous pas
lancé à sa poursuite avec nos guerriers ?
— Nous l’avons fait. Mais nous ne
nous sommes rendu compte de sa
disparition que le lendemain matin. Elle
avait disposé de plusieurs heures pour
réussir son évasion.
Ce qui n’était qu’un demi-mensonge. Il
avait certes envoyé les hommes de Torrin
à ses trousses, mais ne s’était guère
aventuré lui-même dans le froid, le vent
et la neige.
— Demain à la première heure, je
partirai sur ses traces avec une dizaine de
compagnons, annonça le chef.
— Oh. Il s’est écoulé presque une
semaine. Elle pourrait être n’importe où,
même à Dornie, si elle a embarqué sur
une galère en partance de l’un des ports
au sud d’ici.
— Elle n’a pas pu voyager toute seule
aussi loin, avec sa bonne pour toute
escorte. Sans aucun garde pour la
protéger. Elle est plus probablement
morte de froid quelque part. Par tous les
saints, jura Torrin d’une voix grinçante,
en secouant la tête.
Son cadet en avait d’autant plus
conscience, et semblait hautement troublé
à cet instant précis.
— Damnation, reprit-il, si seulement
j’avais été là. Pourquoi ne l’avez-vous
pas surveillée ?
— Je n’ai pas cessé de le faire.
Pour sûr, il l’épiait avec intensité dès
qu’il en avait l’occasion. C’était une fille
plantureuse, avec une taille fine et une
poitrine généreuse. Aucun homme sain
d’esprit ne serait parvenu à détourner son
regard de cette créature quand elle se
trouvait dans la même pièce.
— Mais elle a rusé, feignant de
prendre congé de bonne heure, juste après
le souper. C’est alors qu’elle est sortie à
l’insu de tout le monde.
Torrin frotta la barbe de trois jours
couvrant son menton.
— Je ne comprends pas pourquoi elle
a voulu s’enfuir.
— Peut-être craignait-elle votre
terrifiante réputation. Vous êtes considéré
par certains comme un amoureux de la
guerre et un meneur impitoyable.
L’intéressé haussa les épaules, l’air à
présent beaucoup moins effrayant. En fait,
il paraissait vaincu. Nolan avait envie de
ricaner en voyant son imposant aîné
presque à genoux de désespoir pour une
femme. Il ne lui jalousait pas sa position,
mais lui enviait plutôt son succès auprès
du beau sexe. S’il pouvait coucher avec
quelques-unes des charmantes conquêtes
de Torrin, il se verrait comblé. Mais il
avait tout gâché en mettant enceinte une
fille de laird qu’il avait dû ensuite
épouser. Son frère ne l’avait même pas
aidé à dénouer les liens matrimoniaux qui
menaçaient de l’étrangler. Il s’était au
contraire rallié au père de la demoiselle,
affirmant à Nolan qu’il s’agissait de la
seule chose honorable à faire. Le jeune
homme ne le lui avait pas encore
pardonné.
— Personne n’a signalé la découverte
du moindre corps, poursuivit-il en se
passant la main sur l’endroit encore
sensible de son cuir chevelu où cette
sorcière l’avait frappé.
L’aîné hocha la tête en sourcillant.
— Peut-être qu’un maudit hors-la-loi
l’a enlevée, et la torture ou abuse d’elle
en ce moment même.
Son cadet se figura la scène, et parvint
à réprimer un sourire. Il espérait qu’on
l’avait sévèrement violée après ce
qu’elle avait osé lui faire.
— C’est simple, je ne comprends pas
pourquoi elle s’est enfuie du château. Elle
connaît assurément les dangers de
voyager sans protection.
— Arrive-t-il aux femmes d’avoir des
réactions sensées ? La plupart sont
idiotes, y compris ma propre épouse.
Le chef l’observa d’un œil noir durant
de longues secondes. Soit, Nolan savait
que son parent approuvait rarement son
point de vue. Mais il se montrait
seulement honnête ; il déployait peu de
patience vis-à-vis des dames, de leurs
pensées et de leurs actions. Il désirait les
mettre dans son lit, et non prêter l’oreille
à leurs stupides considérations.
— J’ai déjà envoyé une missive
lorsque j’étais à Lairg, pour prévenir le
frère d’Isobel, annonça Torrin en se
dirigeant vers la cheminée. Si elle est
rentrée auprès de lui, elle ne se désistera
pas de notre arrangement aussi
facilement. Je la veux, et le clan a besoin
de ses terres.
— Eh, cette fille n’est vraiment qu’une
chienne sournoise et calculatrice.
Son aîné tourna la tête pour lui
décocher un regard furieux.
— Cela ne m’a pas frappé quand je
l’ai rencontrée.
— Eh bien, elle ne m’a jamais inspiré
confiance. Ses yeux trahissent ses
instincts rebelles. Je ne pense pas qu’elle
obéirait à un seul de vos ordres. Je ne
voudrais guère d’une épouse insoumise.
Par ailleurs, elle est sûrement stérile.
— Nous l’ignorons, répliqua
sèchement le chef. Son premier mari était
peut-être impuissant. Après tout, il avait
une soixantaine d’années. Cette lady est
la plus belle de la région, elle semble en
bonne santé et capable de porter des
enfants, déclara-t-il en haussant les
épaules. Mais il m’est possible de
négocier un mariage temporaire à présent,
si je la retrouve. De cette façon, je peux
m’assurer qu’elle est fertile avant que
nous nous unissions.
Nolan acquiesça, regrettant de ne
pouvoir découvrir lui-même si elle
l’était. Il avait presque réussi.
— Bonne idée, et si vous savez enfin
où elle se cache, je serai ravi d’aller la
chercher pour vous, mon frère.
Le lendemain, Maighread Gordon
franchit d’un pas résolu la porte d’entrée
de Dunnakeil comme si elle avait été la
reine de l’Écosse et de l’Angleterre
réunies. Dirk se sentit transpercé de
dégoût, et la nausée lui vint.
Curieusement, il avait l’impression d’être
de nouveau un garçon de quinze ans,
plutôt qu’un adulte.
Qu’elle soit maudite !
Il redressa les épaules et grinça des
dents. Elle n’était plus de taille à
l’affronter. Il était devenu un combattant
fort expérimenté et habile, et elle n’était
qu’une veuve frêle et grisonnante.
Lorsqu’elle posa les yeux sur lui, ils
brillèrent avant de s’écarquiller. Elle
blêmit, mais dissimula rapidement sa
stupéfaction. Ou était-ce de la peur ?
Forcément, compte tenu de la haute
stature qu’il arborait à présent. Dans tous
les cas, il était clair qu’elle le
reconnaissait.
Elle l’écorcha de son regard vert et
cinglant, comme elle le faisait jadis. Si le
mal avait un jour été incarné dans cette
pièce, c’était en ce moment même.
Haldane entra derrière elle, suivi de
deux autres dames, quelques domestiques
et les hommes d’armes de Maighread.
Elle voyageait accompagnée d’une large
escorte, dont chaque membre
nécessiterait d’être surveillé.
Le guerrier savait qu’elle ne pourrait
résister à l’envie de venir vérifier en
personne si Dirk MacKay était
effectivement sorti de sa tombe.
— Qui est cet imposteur qui aurait fait
irruption ici pour s’emparer du clan et du
château ? demanda-t-elle à toute la salle
d’une voix haute.
Chapitre 13

Sa belle-mère pensait qu’il était un


imposteur ?
Dirk renâcla et lui adressa un sourire
narquois. Ses propos étaient si idiots
qu’ils ne méritaient aucune réponse. Elle
l’avait incontestablement reconnu dès
qu’elle avait fait un pas dans la grande
salle. Elle était toujours la même – une
menteuse manipulatrice.
— Ce n’est pas un usurpateur, milady,
intervint oncle Conall, d’une voix aussi
contrariée que son neveu l’était, et que le
haut plafond faisait retentir. Il s’agit bien
de Dirk MacKay, fils de lord Griff,
comme vous pouvez clairement le
constater.
— Non.
Maighread plissa les yeux en direction
du guerrier. Elle pointa un doigt
accusateur sur lui et s’avança, mais
s’immobilisa à une distance de trois
pieds.
— Ce n’est pas lui. Mon beau-fils est
mort depuis de nombreuses années.
Celui-ci ne put réprimer un sinistre
sourire tandis qu’une abjecte soif de
vengeance mêlée de haine lui parcourait
les veines. Il n’avait jamais fait de mal à
une femme, mais s’en voyait affreusement
tenté à présent. Il se maîtrisa en serrant
les poings.
— Je suis certain que vous voudriez
me savoir trépassé, madame. Mais ce
n’est pas le cas.
— Je ne souhaiterais jamais une telle
chose à qui que ce soit. Mais il vous est
impossible de prouver que vous êtes bien
celui que vous prétendez.
Son intonation condescendante de
harpie exaspéra Dirk.
— Demandez-moi tout ce qui vous
plaira, riposta-t-il. Peut-être
apprécieriez-vous que je vous récite mon
ascendance depuis le Xe siècle.
— Pfff.
L’expression hautaine de la criminelle
indiqua qu’elle n’était pas le moins du
monde impressionnée.
— Vous auriez pu apprendre cela
auprès de n’importe quel membre du clan,
déclara-t-elle.
— Questionnez-moi sur mon enfance.
À propos de quelque chose que je serais
le seul à savoir.
Le sourcil haussé, il attendit. Elle
ouvrit la bouche, puis la referma.
— Inquiète que mes réponses puissent
vous donner tort ? reprit-il.
— Nous nous souvenons tous de lui,
milady, intervint Phelan, le conteur de
Griff. Tous les plus vieux membres du
clan peuvent l’identifier. Nous étions
présents à sa naissance, et l’avons vu
grandir jusqu’à ce qu’il devienne un
garçon grand et fort.
— Cet adolescent n’avait rien à voir
avec l’imposteur qui se tient ici,
proclama-t-elle en scrutant les anciens.
Êtes-vous tous devenus séniles ?
Les hommes ainsi fustigés échangèrent
des regards vexés en sourcillant, certains
lui adressant même un œil noir. Mais elle
n’en tint pas compte, et préféra dévisager
le revenant avec une intensité rageuse.
— Je suis un peu plus imposant que
lors de notre dernière entrevue, lui lança-
t-il en croisant les bras.
Il se redressa, et la toisa de toute sa
hauteur. La première fois qu’il avait
rencontré cette femme – il avait quatre ou
cinq ans –, elle lui avait paru gigantesque
et l’avait jaugé de haut comme s’il n’avait
été qu’un méprisable et jeune bâtard
couvert de boue.
Juste avant sa disparition, il avait
quinze ans, et devait faire à peu près la
même taille qu’elle. Mais désormais, il
mesurait au moins un pied de plus.
— Il ressemble à son père et à son
grand-père, affirma Ranald, le porteur de
glaive de Griff.
— Il n’a rien de commun avec feu mon
cher époux, que Dieu ait son âme, dit-elle
dans un faux accès de piété. Et je n’ai
jamais vu mon beau-père, alors comment
le saurais-je ?
— C’est lui, milady. Il a la tache de
naissance, l’informa Phelan avec une
confiance sereine.
Dirk avait toujours apprécié cet homme
ainsi que ses extraordinaires récits à la
gloire des batailles et autres parties de
chasse du défunt chef.
— De quoi parlez-vous ? exigea-t-elle
de savoir.
— De la marque sur son dos, mère,
précisa Haldane.
— Il n’en a jamais eu.
— Vous ne l’avez pas mis au monde ni
élevé comme une mère lorsqu’il était
enfant. Comment sauriez-vous s’il en
possède une ? interrogea Conall.
— Je… Eh bien…, bredouilla-t-elle.
— Ouvrez les yeux, poursuivit son
oncle. Vous voyez bien qu’il s’agit de
Dirk.
— N’étiez-vous pas celui qui a affirmé
qu’il avait fait une chute mortelle d’une
falaise ? demanda-t-elle fermement.
Avez-vous menti ?
— Oui, car quelqu’un a tenté de
l’assassiner, dévoila-t-il, son regard
sombre sondant celui de sa belle-sœur.
J’ai tu la vérité pour le protéger. Il est
tombé à mi-hauteur de la paroi dont on
l’avait poussé. Un tueur à gages, sans
aucun doute. J’ai jeté une corde à mon
neveu et l’ai hissé jusqu’à moi. Puis je
l’ai aidé à filer dans une autre partie des
Highlands afin qu’il reste en sécurité
jusqu’à l’âge adulte.
— Je m’interroge…, dit le guerrier.
Pourquoi ce meurtrier m’a-t-il dit « avec
les sincères salutations de lady MacKay »
juste avant de me pousser du bord ?
Murmures et marmonnements
parcoururent la grande salle tandis que
deux dizaines d’hommes ou plus
observaient la scène, sans en perdre une
miette.
Maighread suffoqua, le visage blême.
— Je n’en ai pas la moindre idée !
Cependant, cela ne prouve rien.
N’importe qui pourrait prétendre cela
pour m’impliquer. Mais puisque vous
n’êtes pas le véritable Dirk, vous avez
inventé tout cela, évidemment.
— L’assassin que vous avez engagé,
qui a tué Will MacKay, pensait qu’il
s’agirait des dernières paroles que
j’entendrais, rétorqua-t-il. Il voulait que
je sache pour qui il travaillait, mais
également que j’emporte cette information
dans ma tombe de récifs. Cela ne s’est
pas passé ainsi.
Il esquissa un sourire amer, mais empli
de satisfaction.
Les quatre gardes musclés de sa belle-
mère avancèrent pour se poster aux côtés
de leur maîtresse. Au moins deux d’entre
eux étaient issus du clan Sutherland. Dirk
ne connaissait pas les autres.
— Cet homme est fou ! l’accusat-elle,
scrutant le clan soudain agité des
MacKay. Comment pouvez-vous le croire
? Cet imposteur raconte n’importe quoi.
Et même s’il était celui qu’il affirme, il
n’est pas difficile d’élaborer un
mensonge. Il essaie de voler le titre de
chef à Aiden.
L’assistance continua de murmurer sur
le sujet en se posant des questions quant à
la culpabilité de Maighread. Le guerrier
était heureux de voir tant de compatriotes
troublés se rallier à sa cause. Il n’avait
pas prévu d’affronter cette sorcière à la
minute où ils se reverraient, mais le
moment semblait opportun.
— Lord Griff MacKay serait effaré
devant le comportement de ses gens !
s’exclama-t-elle. Je suis parmi vous
depuis plus de vingt ans. Comment
pouvez-vous douter de moi ou me
suspecter d’une telle trahison ? Vous
devriez avoir honte de vous, de donner
quelque crédit aux affabulations de ce
simulateur.
— Et s’il n’en était pas un ? Et si l’on
parvient à prouver qu’il est bien Dirk ?
intervint Conall.
— Eh bien, alors, il ment à propos de
ce qu’a dit l’assassin. Il est facile
d’inventer une telle histoire. Et s’il s’agit
effectivement de mon beau-fils, alors
c’est lui qui a tué Will MacKay et s’est
ensuite enfui pour ne pas se faire prendre.
— Pourquoi diable aurais-je tué mon
meilleur ami ? s’enquit l’intéressé.
Quiconque pouvait se laisser
convaincre d’une chose pareille était
assurément stupide.
— Et pourquoi diable aurais-je tué
l’enfant de mon époux ?
— Afin que votre propre garçon hérite,
bien entendu, riposta-t-il. C’est ce que
vous avez toujours voulu, n’est-ce pas ?
Se redressant avec la dignité d’une
reine, elle balaya de son regard hautain
chaque visage jusqu’à ce qu’elle
aperçoive celui d’Isobel. Marquant une
pause, elle fronça les sourcils et se
dirigea vers la jeune veuve.
— Isobel MacKenzie ? Que faites-vous
donc ici ?
MacKay plissa les yeux. Depuis
combien de temps ne s’étaient-elles pas
revues ? Il refusait que Maighread
approche de quelque façon sa compagne.
Elle tenterait peut-être de lui faire du mal,
ou de lui remplir la tête de mensonges, lui
corrompant l’esprit pour la retourner,
ainsi que tout cet honorable clan, contre
lui. Il se hérissa en imaginant sa protégée
se faire influencer de quelque infime
manière par sa maléfique belle-mère.
La fugitive parla à voix basse, mais il
saisit ses paroles.
— J’ai été surprise par une tempête de
neige avec ma bonne, et lord MacKay
nous a secourues.
Elle ne l’avait jamais appelé ainsi.
Pourquoi le faisait-elle maintenant ? Pour
éprouver la criminelle et mesurer son
agacement ? Le guerrier sourit devant
cette audacieuse manœuvre.
— Lord MacKay ?
— Oui. Dirk. Votre beau-fils, répondit
Isobel avec candeur, les yeux écarquillés
de naïveté.
Quelle petite comédienne !
La dame grisonnante arqua un sourcil
et adressa un regard noir à son ennemi de
toujours.
— Ma chère fille, il n’a rien d’un
noble, pas plus qu’il n’est mon beau-fils,
j’en suis persuadée.
La jeune lady échangea avec son
sauveur un coup d’œil empli de
compassion et pétillant d’intelligence,
puis haussa discrètement les épaules. Il
l’avait déjà prévenue que cette sorcière
essaierait de le discréditer. Il ne la
connaissait que trop bien. Mais sa
compagne commencerait-elle à croire
cette harpie à son détriment ?
— Venez, nous devons discuter, lady
Isobel… Ou devrais-je vous appeler lady
Jedwarth ?
Comment ? Dirk avait oublié de lui
demander le nom de feu son mari. Par
tous les saints ! Il n’avait pas supposé
qu’il pût s’agir du célèbre comte de
Jedwarth. Elle était comtesse. Ce qui
faisait d’elle une célibataire hautement
convoitée, au-delà de sa beauté. Non que
cela importe à MacKay, mais c’était
sûrement le cas concernant MacLeod.
Maighread se retourna vers les
hommes.
— Nous réglerons cela plus tard.
Elle scruta la pièce. Lorsqu’elle posa
les yeux sur Jessie, elle ordonna :
— Faites monter à boire et à manger à
la salle supérieure.
Puis elle fit signe aux deux femmes qui
l’escortaient en disant :
— Venez, mesdames.
La sœur de Dirk l’observa d’un air
furieux. Apparemment, elle appréciait sa
belle-mère à peu près autant que lui.
Marmonnant des propos qu’il ne put
distinguer, elle fit volte-face et se dirigea
d’un pas lourd vers les cuisines.
L’idée qu’Isobel se trouve seule avec
Maighread déplaisait au guerrier. Il
craignait que la meurtrière ne s’en prenne
à elle, surtout si leurs opinions
divergeaient quant à la situation. Puisque
les deux compagnes de cette sorcière se
trouvaient avec elles, il y avait peu de
risques que celle-ci devienne violente.
Mais avec ses mensonges, elle pourrait
monter la jeune femme contre lui.
Il rejoignit Rebbie à côté de l’immense
cheminée.
— Je souhaiterais m’entretenir un
instant avec vous, lui murmura-t-il avant
d’ouvrir le chemin vers la bibliothèque.
Lorsque son ami y eut pénétré, Dirk
ferma la porte.
— Elle sait qui je suis, et également
que les miens m’ont identifié, affirma-t-il.
Elle continuera sans aucun doute à clamer
que je ne suis pas celui que je prétends,
mais elle est consciente que le clan ne
prêtera aucune attention à ses allégations.
Son seul recours sera de tenter une
nouvelle fois de m’assassiner. Je vais
avoir besoin que vous veilliez à ma
sécurité.
— Bien sûr. Mais peut-être vous
faudrait-il aussi deux gardes attitrés, fit
remarquer MacInnis, ses yeux marron
foncé empreints d’une gravité peu
coutumière.
— Pour le moment, j’ignore à qui je
puis faire totalement confiance parmi les
membres du clan, à part Conall et
Keegan.
— Mais ce cousin est, voyons, le
troisième ou quatrième héritier
présomptif du titre après vous, je me
trompe ?
— C’est exact, mais nous avons
toujours été proches. Je ne le
soupçonnerais pas de trahison. Ni mon
oncle. Lui aussi pourrait devenir chef,
mais il m’a toujours aidé, plus encore que
mon père. Ils sont loyaux jusqu’à la
moelle.
— À mon avis, Keegan ferait un bon
protecteur. Peut-être y concéderait-il
comme une faveur à votre égard.
— Certes, et je m’assurerai qu’il ait un
poste de plus haut rang lorsque je serai
devenu laird.
Il songea au groupe de garçons avec
qui il avait passé beaucoup de temps dans
sa jeunesse. Erskine avait été un bon
camarade. Il était l’aîné du porteur de
glaive de Griff, et, puisque cette fonction
se transmettait de père en fils dans le
clan, il avait toujours été voué à devenir
celui de Dirk. Remplissait-il déjà cette
mission pour Aiden ? Le guerrier n’avait
pas pensé à le demander, mais cela ne
poserait sûrement aucun problème. Si son
cadet lui était fidèle, cet ancien
compagnon de jeux le serait sans doute
également.
— Erskine est une autre possibilité.
Attendez ici, je vais voir s’il est dans les
environs.
Dirk retourna dans la grande salle, et
scruta les deux dizaines de personnes
présentes. L’homme qu’il cherchait
parlait avec Keegan près de l’entrée. Si
ce dernier ressemblait beaucoup à son
cousin, mis à part le blond cuivré de ses
cheveux, Erskine était moins large de
carrure, brun, et avait les yeux marron.
Cependant, son corps était sec, mais
musclé, et MacKay l’avait vu dominer de
plus imposants adversaires dans leur
jeunesse.
Il s’approcha de lui.
— Pourrais-je m’entretenir avec vous
deux dans la bibliothèque ?
— Certes, répondirent-ils avec un
intérêt aiguisé avant de le suivre.
Une fois dans l’intimité de la pièce, le
guerrier referma derrière lui.
— Asseyez-vous.
Il leur indiqua les sièges et les bancs
autour de la table, puis prit place lui
aussi, aux côtés de Rebbie.
— Je ne suis pas encore chef, bien
entendu, mais ce sera le cas si les anciens
et la majorité du clan se décident en ma
faveur lors de l’audience. Je ne nourris
aucune rancœur envers Aiden. Il est mon
frère bien-aimé, mais nul ne peut nier
qu’il n’a guère l’étoffe d’un meneur.
Ses deux compères agréèrent dans un
murmure.
— Êtes-vous son porteur de glaive ?
demanda-t-il à Erskine.
— Oui. Je serai ravi de le rester pour
l’un ou l’autre d’entre vous, répondit le
jeune homme.
Il plissa les yeux et précisa :
— Mais pas pour Haldane. Si jamais il
devient laird, ma famille et moi quitterons
les lieux.
Dirk acquiesça. Son compagnon
semblait sincère.
— Je vous remercie. Vous avez
toujours été un bon ami, mon cher. Aiden
sait qui je suis, et je crois qu’il se
retirera. Il m’a déjà confié qu’il
préférerait me céder sa place. Si cela se
produit, ma belle-mère essaiera peut-être
encore de me faire tuer.
— J’ai été surpris d’entendre qu’elle
était à l’origine de votre disparition.
Mais tout s’explique à présent. Je
n’arrive pas à croire que personne ne
m’en ait informé, déclara Erskine en
lançant un regard déconcerté à Keegan.
— Nous avons bien gardé le secret,
expliqua ce dernier dans un sourire fier
en haussant les épaules.
— J’ai besoin de deux hommes de
confiance pour assurer ma protection, en
dehors de Rebbie. Il se laisse parfois
distraire par la gent féminine.
— Oui, et une fille ravissante est
arrivée avec votre belle-mère, lady
Seona Murray, railla son cousin, faisant
manifestement allusion à la jolie et
fraîche créature brune aux yeux bleus qui
s’était tenue derrière Maighread avec sa
mère ou sa tante.
Il s’agissait donc de la personne que
cette sorcière voulait voir Aiden épouser.
— Oh, vous donnez l’impression que
je suis parfaitement inutile, protesta
MacInnis. En vérité, Dirk est tellement
déconcentré par une certaine dame
voluptueuse aux longs cils noirs que, le
chargerait-on de front, épée tendue, il ne
s’en rendrait pas compte si elle se
trouvait dans la même pièce.
Le guerrier s’empourpra. Damnation, il
détestait cela.
— Nous débattons d’un sujet sérieux.
Essayons de nous y atteler.
— Je ne plaisante pas du tout. Dès
qu’il sera en présence d’Isobel, il lui
faudra un garde pour veiller au danger qui
surviendrait au-devant de lui, et un autre à
l’arrière, affirma le comte aux deux
hommes.
Ceux-ci gloussèrent en observant
l’intéressé.
— Je la pensais déjà fiancée, fit
remarquer Keegan.
— Oui, en effet. Et ne nous écartons
pas de notre propos, intervint Dirk, résolu
à reprendre la conversation de départ. Ma
belle-mère ne tentera probablement rien
elle-même. Elle enverra un domestique
ou un sous-fifre. Elle ne manquera pas
d’imagination. Elle a l’esprit plus tordu et
plus sournois que toutes les personnes
que j’ai pu rencontrer, mais elle le cache
à ceux qui sont proches d’elle. Ses amis –
diable, même mon propre père ! –
n’avaient pas la moindre idée de la
manipulatrice qu’elle est.
— Je me rappelle très bien ce qui s’est
passé quand vous avez failli vous faire
tuer, dit son cousin, le regard troublé et
orageux. Vous êtes comme un frère pour
moi, et notre chef et seigneur légitime. Je
serai honoré d’être votre garde personnel
si tel est votre souhait.
— Oui, j’apprécierais, et je vous en
remercie, répondit MacKay,
reconnaissant et ému de compter un autre
ami fidèle.
Il se tourna vers le fils du porteur de
glaive.
— Erskine, nous avons toujours été
camarades durant notre enfance. Il relève
du miracle que vous ne vous soyez pas
trouvé avec Will et moi lorsque le drame
s’est déroulé à Faraid Head.
— C’est vrai.
— Seriez-vous également disposé à me
protéger, au moins jusqu’à ce que je
sache qui d’autre est loyal au sein du clan
?
— Oui, j’en serais plus qu’enchanté.
Le guerrier pouvait forcément faire
confiance à ces deux hommes. En tout cas
l’espérait-il. Il ne les avait pas côtoyés au
cours des douze dernières années, et ne
pouvait donc en être entièrement certain.
Il lui faudrait distinguer dans le clan les
membres fiables de ceux que Maighread
était susceptible de payer pour
l’assassiner.

Isobel suivit la belle-mère de Dirk


dans la salle supérieure exposée au sud.
Le faible soleil d’hiver perçait à travers
les trois fenêtres, mettant en valeur le
tapis turc bleu et or qui ornait le sol. Les
dames qui avaient voyagé avec elle les
accompagnèrent.
— Fermez la porte, ordonna la
meurtrière à sa domestique lorsqu’elles
furent toutes à l’intérieur. Je vous
présente la fille de ma meilleure amie,
Isobel MacKenzie, comtesse de Jedwarth,
annonça-t-elle aux deux autres femmes. Et
voici lady Patience Murray et sa nièce
lady Seona Murray, la promise d’Aiden.
La fugitive leur adressa une révérence.
— C’est un plaisir de vous rencontrer,
mesdames.
Elles lui retournèrent la politesse.
Seona était jeune, elle avait peut-être
une vingtaine d’années, et sa parente
environ le double. Elles étaient toutes
deux séduisantes, et se ressemblaient
fortement dans la couleur foncée de leurs
cheveux, l’ovale de leur visage, leur peau
de porcelaine et leur bouche en cœur.
Le groupe prit place autour de la
cheminée, à l’exception de Maighread qui
faisait les cent pas. La bonne ajouta des
briques de tourbe dans les braises
luisantes et fumantes.
— Je n’arrive pas à croire que cet
homme prétende être mon beau-fils, ni
qu’il ose raconter de tels mensonges.
J’espère qu’aucune de vous n’accorde
crédit aux accusations insensées qu’il
profère à mon encontre.
— Bien sûr que non, milady, protesta
Patience.
Sa nièce se contenta de secouer la tête.
Isobel l’imita, refusant que l’amie de sa
mère la soupçonne de prendre le parti de
Dirk.
Maighread parut accepter leurs
réponses et se calmer. Elle s’assit dans un
fauteuil en face de la jeune veuve.
— C’est une grande surprise de vous
trouver ici, lady Jedwarth. Que faisiez-
vous dehors en pleine tempête de neige ?
lui demanda-t-elle.
— S’il vous plaît, appelez-moi Isobel,
répondit celle-ci, essayant de gagner du
temps.
Elle détestait foncièrement que l’on
s’adresse à elle par son titre, et n’était
guère prête à révéler toute son histoire.
Sa mère avait confié tous ses propres
secrets à cette femme, mais elle-même
n’y était guère disposée, étant donné les
tentatives de meurtre dont Dirk l’accusait.
Par ailleurs, elle ne connaissait
absolument pas les autres personnes
présentes. Elles étaient peut-être liées au
clan MacLeod, ce qui signifiait que la
jeune veuve ne pouvait tout dévoiler
concernant sa fuite de Munrick.
— C’est une longue histoire, reprit-
elle. Et je ne voudrais pas vous ennuyer,
mesdames.
Maighread lui adressa un sourire
aimable, ou était-il condescendant ?
— Seriez-vous cette Isobel MacKenzie
promise au chef des MacLeod ? s’enquit
Patience.
La fugitive se sentit blêmir. Comment
la tante de Seona pouvait-elle être
informée de cela ?
— Lorsque nous avons effectué notre
traversée il y a plus d’un mois, nous nous
sommes arrêtées deux nuits dans leur
château pour nous reposer avant de
poursuivre au nord. On y parlait de
l’arrivée imminente de lady Isobel
MacKenzie pour son mariage avec le
beau et sémillant meneur.
L’intéressée s’efforça d’afficher un
sourire gêné.
— Oui, il s’agissait de moi.
— Que s’est-il passé ? insista sa
compagne.
— Je… préfère ne pas aborder le
sujet.
— Réchauffez-vous, mes chères.
Milady et moi allons voir où en sont les
collations, lança Maighread en l’attendant
à la porte.
La jeune femme se hissa hors de son
fauteuil avec effroi, puis la suivit, se
doutant qu’elle allait subir un
interrogatoire intensif.
La belle-mère de MacKay la guida
vers une alcôve au bout du couloir.
— Je voyais bien que vous ne
souhaitiez pas discuter de tout cela devant
ces dames, mais je m’inquiète vivement
de ce qui vous est arrivé, ma fille.
Isobel sentit son estomac se nouer, ne
sachant qui était vraiment cette créature,
la fidèle confidente de sa mère, ou une
criminelle sans âme. Dans les deux cas,
elle ne voulait pas éveiller les soupçons
de celle-ci. Il lui fallait gagner sa
confiance afin de découvrir ses plans.
Cette meurtrière tenterait-elle de tuer
Dirk une fois encore ?
Elle tordit ses mains. Lady Patience
avait de toute façon déjà révélé qu’elle
était fiancée à Torrin MacLeod. Inutile de
le nier plus longtemps.
— Promettez-vous de n’en parler à
personne ? interrogea-t-elle. La situation
est délicate.
— Bien entendu, ma chère, roucoula
Maighread comme si elle s’était adressée
à une enfant de cinq ans. Votre mère m’a
toujours confié ses plus grands secrets,
vous le pouvez également.
— Très bien. Je vous remercie de
votre loyauté, dit-elle, feignant de ne pas
croire un mot des allégations du guerrier.
Voyez-vous, mon frère a signé un contrat
pour que j’épouse MacLeod.
— Je suis persuadée que votre mère
aurait estimé ce choix peu judicieux,
déplora la vieille dame en secouant la
tête. Et l’union a-t-elle eu lieu ?
— Pas encore. Nous sommes fiancés.
Mais en raison d’un… incident, j’ai dû
partir en compagnie de ma suivante. La
neige tombait en abondance. Fort
heureusement, Dirk MacKay et son ami
nous ont croisées entre Munrick et
Ullapool. Je ne suis pas certaine que nous
aurions trouvé refuge sans leur aide.
— Seigneur. Qu’a-t-il bien pu se
passer pour vous faire fuir ainsi en pleine
tempête ?
Isobel riva les yeux au sol, brûlante
d’humiliation. À présent, il lui fallait une
raison d’avoir quitté le fief de MacLeod.
Elle ne trouvait pas de meilleure excuse
que la vérité. Il importait peu que
Maighread apprenne ce qu’avait fait
Nolan. Si elle confessait une expérience
aussi terrifiante, peut-être son récit
inciterait-il la sorcière à lui faire
confiance et à compatir avec elle.
— Un membre de son clan me traitait
mal.
La belle-mère de Dirk écarquilla les
yeux, comme impatiente de dévorer le
commérage.
— Qui a fait quoi ?
— Son cadet… m’a abordée, puis il a
tenté de me violer.
La vieille dame retint son souffle.
— Ma pauvre chérie. Votre frère
cherchera à vous venger, assurément.
— Je ne l’espère pas.
Elle se hérissa, méprisant l’idée que
des membres de sa famille ou de son clan
perdent la vie à cause de cette folie.
— Je veux simplement partir et oublier
ces gens, ajouta-t-elle.
— Cyrus n’a pas traîné pour essayer de
vous remarier, n’est-ce pas ?
Maighread hocha la tête d’un air
exaspéré dont Isobel ne parvenait à croire
la sincérité.
— Non.
— Eh bien, je suis ravie que vous
soyez désormais en sécurité ici. Quelle
infortune que Jedwarth n’ait pu vous
mettre enceinte avant de mourir. Surtout
d’un garçon. Dans ce cas, être la mère
d’un futur comte vous aurait assuré une
meilleure position.
— Certes.
Elle aurait aimé avoir un enfant, mais
en même temps, l’entourage de son défunt
mari aurait peut-être essayé de prendre
les rênes de son éducation et d’en écarter
la jeune mère. Dans les Highlands, la
tradition lui aurait imposé d’envoyer son
fils vivre au sein d’une éminente famille.
Cyrus avait été accueilli dans le foyer
d’un chef de moindre envergure pendant
sept années au cours desquelles elle
l’avait rarement vu.
— Lord Jedwarth était un proche de
ma famille, comme vous le savez, déclara
la criminelle. Un homme bon.
Isobel acquiesça. Elle ne voulait plus
penser à son ancien époux, ni être
appelée par le nom de celui-ci. Le passé
devait rester où il était. Elle aspirait à un
avenir plus heureux.
— Mais comment diable avez-vous
réussi à vous enfuir de Munrick sans que
MacLeod s’en aperçoive ? poursuivit la
lady grisonnante.
— Il était à Lairg.
— Ah, son cadet a donc cru qu’il avait
la responsabilité de la bergerie, n’est-ce
pas ?
— Il tenait plus du loup que du
gardien, affirma la jeune veuve en se
remémorant la méchanceté de son
assaillant.
— Et comment avez-vous échappé à ce
misérable ?
Isobel haussa les épaules.
— Il se peut que je l’aie blessé.
Et elle ne le regrettait guère. Elle
espérait même qu’il en avait gardé une
migraine les deux semaines suivantes.
Maighread s’esclaffa.
— Vous l’avez atteint physiquement,
ma fille ?
— Je le crains. J’ai dû le frapper sur la
tête pour l’arrêter. Il a perdu
connaissance, et c’est à ce moment que je
suis parvenue à m’enfuir en pleine nuit.
La criminelle lady émit un
gloussement.
— Vous ressemblez tant à votre chère
mère. Elle me manque terriblement. Elle
a tout de même été ma meilleure amie
pendant presque cinq décennies. Et vous
êtes son portrait craché. Vous regarder me
ramène dans ma jeunesse, dit-elle en
secouant la tête. Allons donc rejoindre
nos deux compagnes.
Isobel la suivit dans la chaleureuse
salle supérieure. Les bonnes servaient
une collation à base de pain, de fromage
et de vin.
— Je vous en prie, asseyez-vous et
racontez-moi ce que vous savez de cet
individu qui se fait appeler Dirk, dit
Maighread.
La fugitive sourcilla, ne sachant
comment répondre. Peut-être serait-elle
en mesure de découvrir ce que cette
sorcière pensait réellement.
— Vous ne croyez pas qu’il soit celui
qu’il prétend ? demanda-t-elle en
acceptant le vin chaud présenté dans un
coûteux verre en cristal que lui tendait la
domestique.
Peut-être la vieille dame devenait-elle
sénile à ne pas se souvenir de son beau-
fils ?
— Non ! Cet individu ? s’offusqua
celle-ci en esquissant un geste vers la
pièce principale. Il ne ressemble en rien à
Dirk.
Elle était soit folle, soit hautement
douée pour le mensonge. Isobel avait
gardé une image précise du guerrier
jeune, et ne nourrissait aucun doute quant
à son identité. En effet, il mesurait
environ un pied de plus et ses épaules
étaient deux fois plus larges. Sa mâchoire
et son menton carrés avaient forci, mais
ses yeux bleu pâle et perçants n’avaient
pas changé. Elle n’aurait jamais oublié
son regard ensorceleur, ni ses épais
cheveux roux.
— C’est un imposteur qui songe à
spolier mes fils de leur héritage. Je ne le
laisserai pas faire. Si vous aviez des
garçons, vous comprendriez, déclara
Maighread avec passion.
La jeune veuve acquiesça.
Certainement, mais… Il s’agissait bien
de lui. Et elle voyait que cette femme était
probablement prête à n’importe quoi pour
protéger ce qu’elle estimait revenir de
droit à sa progéniture.
— J’ose espérer que vous pourriez
facilement prouver qu’il n’est pas
l’héritier, intervint lady Patience. Seona
est censée épouser le chef MacKay, quel
que soit l’individu qui en porte le titre.
— Eh bien, ce ne sera pas ce hors-la-
loi usurpateur. Soyez-en assurée. Aiden
est à la tête de ce clan, et le restera. Vous
n’avez rien à craindre à ce sujet, ma
chère, affirma-t-elle à la promise.
Celle-ci jeta un coup d’œil gêné autour
d’elle, et Isobel se demanda ce qui lui
traversait l’esprit à cet instant. Comme
elle-même, cette demoiselle était dans
une situation épineuse, et s’inquiétait
sûrement pour l’avenir qui lui avait été
prévu. Son sort était entre les mains de
tiers… dont la plupart se moquaient pas
mal de son bonheur ou de son bien-être.
Mais il était clair pour la fugitive que
cette innocente créature était intelligente,
et avait elle aussi de tendres espérances
et des rêves grandioses d’avenir éclatant.
Peut-être souhaitait-elle même trouver
l’amour. Quelle ingénue ne le désirait pas
? Ces aspirations étaient en général hors
de question pour les filles de laird. Peu
d’unions de cœur étaient scellées, du
moins pas pour les premiers mariages.
Les alliances entre familles
apparaissaient autrement plus
importantes. Tout ce que les jeunes ladies
pouvaient souhaiter se résumait à un
époux qui ne les battait pas et un clan qui
les traitait avec respect.
Une nouvelle réflexion tarauda Isobel.
Si Seona était obligée par contrat
d’épouser le chef… et que Dirk le
devenait… cela signifiait-il qu’ils
devraient s’unir ?
Certainement pas, s’il n’avait consenti
lui-même à l’accord entre leurs clans. Un
tel engagement ne devenait-il pas nul dans
ce cas ?
Pourquoi cela devait-il la tourmenter
de toute façon ? Elle ne se marierait pas
avec le guerrier. Après ce qu’il avait
déclaré la veille, elle savait qu’il était
fidèle aux règles et autres traditions de
leur société. Il croyait au fait d’honorer
les arrangements signés, les vœux et
autres promesses. Soit, elle aussi,
normalement, mais la situation avec les
MacLeod se révélait extrême.
Quoi qu’il en soit, Dirk était un homme
de parole. Peu importait s’il avait
apprécié ce baiser – et c’était le cas –,
cela n’aurait aucune influence sur lui.
Même si elle n’avait guère d’expérience
dans les rapports physiques avec les
hommes, il s’était à l’évidence senti
vivement excité et presque incapable de
se maîtriser. Son cœur se mit à battre au
rythme d’un cheval au galop lorsqu’elle
se remémora la façon si sensuelle et si
charnelle dont Dirk l’avait embrassée.
— Lady Isobel ?
Elle sursauta, en manquant de
renverser son vin. Son regard dériva vers
Maighread.
— Oui ? répondit-elle en rougissant.
— Tout va bien ?
— Oui.
Elle avala sa gorgée d’alcool, priant
qu’elle la calme.
— Seriez-vous en train de dire que
vous croyez ce hors-la-loi quand il
prétend être Dirk MacKay ?
Ne souhaitant pas passer du côté des
ennemis de la meurtrière au risque de
perdre sa confiance, elle ne voulait pas la
contredire, ni toutefois mentir et se
retourner entièrement contre son sauveur.
Quel dilemme !
— Peut-être, bredouilla-t-elle,
espérant demeurer impartiale.
— Mais vous ne l’avez rencontré qu’en
une occasion auparavant, est-ce que je me
trompe ?
— Non, vous avez raison.
Cependant, elle se souvenait
clairement de lui. Elle n’oublierait jamais
cet homme – aussi beau que redoutable.
Lors du banquet donné au château du clan
MacKenzie, il lui avait adressé une fois
la parole. Elle s’était pris les pieds dans
ses jupons et avait failli s’écrouler en bas
des marches, mais il l’avait rattrapée par
le bras pour lui épargner de tomber.
« Attention, jeune fille », avait-il dit
de sa voix déjà grave pour ses quinze ans.
Bien entendu, elle était encore plus
caverneuse à présent, et légèrement
éraillée de temps à autre par le vent froid.
Mais le son qu’elle produisait provoquait
chez la veuve de brûlants frissons.
Leur première rencontre avait été
brève, et ils avaient peu parlé. Mais les
regards intrigués et insistants qu’il lui
avait lancés comptaient parmi les détails
qu’elle gardait en mémoire. Ils étaient
tous deux encore complètement innocents
à l’époque. Quelque lien qui ait pu
s’établir entre eux, cela n’avait rien d’un
engouement sentimental. Seulement une
curiosité instinctive.
— Je suis persuadée que l’image de
Dirk s’est effacée de votre esprit durant
la douzaine d’années qui s’est écoulée,
affirma Maighread.
À peine. Isobel lui adressa un vague
sourire, refusant d’entamer le débat.
— Possible.
— Les MacKay seront assez
raisonnables pour prendre conscience de
sa duplicité.
— Ils ont mentionné une tache de
naissance, fit remarquer lady Patience.
Les anciens du clan la considéreront-ils
comme une preuve ?
— Je n’en suis pas sûre. Mais même
une telle marque distinctive peut être
contrefaite, dit la criminelle en plissant
les yeux.
— Comment en aurait-on eu
connaissance, surtout si Dirk est censé
être mort il y a douze ans ? demanda la
jeune veuve en espérant incarner la voix
de la sagesse.
— Un membre du clan, Conall par
exemple, aurait pu descendre au sud,
trouver quelqu’un de la même couleur de
peau que mon beau-fils, et utiliser une
sorte de teinture rouge pour imiter la
tache. Oui, je suis convaincue que cet
homme se cache derrière tout cela. Il veut
que son propre fils, Keegan, hérite. Il est
lui-même le troisième prétendant au titre,
et son garçon est le quatrième. Il se sert
de cet imposteur comme d’une
marionnette. Ce doit être son plan
sournois.
Voilà qui était un peu exagéré. Si le
guerrier prenait la tête du clan, comment
son oncle ou son cousin pourraient-ils
s’accaparer son poste ? Mais Isobel se
retint de le demander. Manifestement,
cette sorcière était désespérée et insensée
pour se raccrocher à des éléments si
ridicules. La fugitive voulait demeurer
aussi proche d’elle que possible sans
provoquer sa colère. Elle serait ensuite
informée du moindre plan abominable
que cette meurtrière concocterait à
l’encontre de MacKay.
— S’il s’agit d’un usurpateur, qu’est-il
arrivé au vrai Dirk ? interrogea-t-elle
avec toute l’innocence et toute la naïveté
qu’elle pouvait déployer. Était-ce un
accident ?
— Oui. Son cousin et lui étaient partis
pour Faraid Head, et consommaient du
whisky. Ils titubaient probablement trop
près du bord de la falaise, et sont tombés,
expliqua sa compagne en secouant la tête.
Pauvres imbéciles.
Quel mensonge ! Isobel dut rassembler
toutes ses forces pour ne pas bondir et
hurler à la figure de Maighread.
— Quant à cet imposteur et Conall…
je ne les laisserai pas s’en sortir ainsi,
soyez-en certaine, ajouta-t-elle, ses yeux
verts animés d’une lueur vindicative. Ils
feraient mieux de rester sur leurs gardes.
Chapitre 14

Isobel et Seona Murray descendirent


l’escalier afin de se rendre dans la grande
salle pour souper. La première n’était pas
entièrement sûre de s’entendre avec la
seconde. Cette fille était jolie et discrète,
mais son expression habituelle se
résumait à une mine renfrognée.
— Quelque chose ne va pas, milady ?
lui demanda la fugitive.
— Non, répondit la promise d’Aiden
en affichant un sourire forcé.
— Vous pouvez me le confier. Je n’en
parlerai à personne.
Elle baissa la voix puis chuchota :
— Certainement pas à qui vous savez.
Je sais bien ce que c’est de vivre au sein
d’un clan qui n’est pas le vôtre. Et dont
vous épousez l’un des membres.
Seona acquiesça.
— Je vous remercie pour votre
compréhension. Il se trouve simplement
que j’ignore ce que l’avenir me réserve.
— Eh bien, aucun de nous ne le sait.
Juste devant l’entrée de la pièce,
Keegan les salua dans une révérence.
— Mesdames, vous êtes toutes deux
ravissantes ce soir.
— Je vous remercie, répondit la future
mariée en s’inclinant.
Isobel l’imita.
— Maître Keegan.
— Je vous en prie, laissez-moi vous
escorter jusqu’à la table d’honneur, dit-il.
La protégée de Dirk n’en avait
certainement pas besoin. En relevant les
joues empourprées de Seona, elle comprit
pourquoi cet homme leur accordait tant
d’attention.
— Allez-y, tous les deux. Je dois voir
si je peux trouver Jessie, proposa-t-elle
comme excuse pour leur laisser quelques
secondes d’intimité.
La jeune fille lui lança un regard
implorant. Sa compagne lui fit signe
d’avancer en souriant. Après avoir jeté un
coup d’œil autour d’elle sans apercevoir
la sœur de MacKay, elle suivit le couple.
Keegan tira une chaise pour Seona,
puis une autre pour Isobel. Celle-ci
croisa un instant le regard de Dirk qui lui
adressa un petit sourire dissimulé, puis
elle s’assit à côté de la promise d’Aiden.
Lorsque le cousin du guerrier
s’éloigna, elle se pencha plus avant vers
sa voisine.
— J’ai vu ce qui se passait, chuchota-t-
elle.
— Quoi donc ?
— Je pense qu’il est épris de vous.
— Chut.
Le visage de la jeune fille s’embrasa
littéralement, tandis qu’elle lançait des
regards furtifs autour d’elle pour vérifier
si quelqu’un les écoutait.
Isobel réprima un gloussement, puis
murmura :
— Il est séduisant.
Impossible qu’il en fût autrement,
puisqu’il ressemblait à Dirk.
— Oh, cessez cela, je vous en supplie.
La veuve parcourut la table des yeux et
tomba sur son sauveur qui l’étudiait avec
un vif intérêt.
Aiden trônait sur la chaise la plus large
destinée au chef – ce qui semblait tout
simplement malséant à la fugitive. Le
cadet, l’air hargneux, mais plus imposant,
était installé à sa droite, à un siège d’elle.
Maighread prit place entre eux deux, et
lady Patience de l’autre côté de sa nièce.
Isobel ne se réjouissait guère de manger
près de la criminelle, mais si celle-ci
s’avisait d’émettre le moindre
commentaire malveillant sur Dirk, la
jeune femme serait plus susceptible de
l’entendre.
Durant le souper, l’atmosphère était si
tendue qu’Isobel avait du mal à se
concentrer sur son repas – un ragoût de
venaison accompagné de pain, puis un
plat à base de grouse rôtie, de panais et
d’oignons. Les rares fois où elle avait
glissé un coup d’œil en direction de la
lady criminelle, elle avait vu cette
dernière décocher des regards assassins à
son beau-fils. Il lui en avait renvoyé
quelques-uns lourds de menace.
Maighread murmura à l’oreille de
Haldane, mais d’une voix si basse que la
veuve ne parvint à distinguer ses propos
dans le grondement des conversations
emplissant la grande salle. Que
complotaient-ils ?
Dirk s’entretenait tranquillement avec
son oncle et lord Rebbinglen. Nerveux,
les yeux écarquillés, Aiden regardait les
convives autour de lui. Il ne paraissait
pas à sa place ni à l’aise dans son rôle,
surtout depuis l’arrivée de sa mère. Les
soirées précédentes, il s’était montré plus
détendu et impatient que la musique
commence afin de pouvoir se joindre aux
réjouissances.
Lorsqu’elle observa de nouveau le
guerrier, il avait les yeux posés sur elle,
les faisant aller et venir de sa protégée à
sa belle-mère avec curiosité et
inquiétude, peut-être même agacement. Il
n’était sûrement pas en colère contre la
jeune veuve. Lui manquait-elle à ses
côtés, où elle avait été assise jusqu’à
présent ? Elle l’espérait. S’enfuirait-il
encore aux écuries, et dans ce cas, le
suivrait-elle ? Souhaiterait-il qu’elle le
fasse ?
À la fin du dîner, l’un des musiciens
joua une ballade, bientôt rejoint en
chanson par un autre ménestrel.
— Je suis épuisée par tout ce voyage,
dit Maighread à Isobel. Je pense que je
vais me retirer tôt.
— Nous aussi, annonça Patience en se
levant.
— Je préférerais rester encore un peu,
intervint Seona.
— Non, jeune fille. Au lit, et tout de
suite.
La nièce émit un soupir contrarié, se
redressa et suivit sa tante.
— Je n’ai pas encore fini ma tarte, dit
la fugitive.
Même si elle savait devoir suivre
partout cette maudite meurtrière pour
découvrir ses secrets, elle mourait
d’envie de demeurer auprès de Dirk
quelques instants supplémentaires.
— Bonne nuit. Je vous verrai demain
matin, lança la promise d’Aiden.
Les trois femmes s’excusèrent avant de
quitter la pièce.
Isobel mangea tranquillement sa tarte
sucrée aux figues, se demandant comment
trouver une occasion d’être seule avec le
guerrier deux ou trois minutes.
Le regard de ce dernier déviait vers
elle de temps à autre. Elle s’aperçut qu’il
n’avait mangé que la moitié de son
gâteau, laissant le reste sur son tranchoir,
à l’abandon. Hum, peut-être commençait-
il à changer et à apprécier les douceurs.
Elle savourait presque autant cette
pâtisserie que leur baiser. À bien y
réfléchir, elle songea que ce contact avec
lui s’était révélé bien plus délectable, et
elle ne pouvait attendre d’en partager un
autre.
Il se pencha en arrière dans son
fauteuil et croisa ses bras puissants. Elle
se rappelait vivement la fermeté de ses
muscles. Pendant qu’il l’embrassait, il
l’avait facilement soulevée et appuyée
contre le mur de l’écurie tout en dévorant
sa bouche dans un désir ardent.
L’arrachant à ses rêveries, il se leva
brusquement de table. Elle aimait
observer la façon dont il bougeait son
corps, avec une telle assurance, une telle
force. Lorsqu’il se faufila derrière la
chaise de la jeune veuve, elle retint son
souffle, le cœur battant la chamade.
— Milady, puis-je m’entretenir un
instant avec vous dans la bibliothèque ?
chuchota-t-il d’une voix trop basse pour
que quiconque entende, surtout avec la
musique et le chant qui résonnaient dans
la salle.
— Oui.
Engloutissant la dernière bouchée de sa
tarte, elle se mit debout. Il attendit qu’elle
le précède dans un couloir étroit jusqu’à
destination. Il lui fit signe vers un fauteuil
où elle prit place, tandis qu’il s’appuyait
contre le bord de l’imposante table
occupant le centre de la pièce. Le feu
dans l’âtre s’était réduit à un lit de
braises et de cendres, mais l’endroit
demeurait chaud. Non qu’Isobel ait froid.
Bien au contraire, même. Elle se sentait
brûlante et empourprée.
— Vous semblez proche de Maighread,
lança Dirk d’un ton légèrement
accusateur.
Elle haussa les épaules. Devait-elle
l’informer qu’elle essayait de passer le
plus de temps possible avec cette femme
pour découvrir si elle complotait contre
lui ? Elle craignait qu’il n’apprécie guère
sa démarche. Peut-être estimerait-il que
cela présentait trop de danger.
— Ma mère et elle étaient amies,
comme vous le savez, répondit-elle
vaguement.
Il acquiesça. Les yeux plissés, il
l’étudia.
— Qui était votre premier mari ?
— Le comte de Jedwarth.
Pourquoi demandait-il cela maintenant
? L’estomac de la jeune femme se noua.
La croyait-il folle d’avoir épousé un si
vieil homme ? Elle avait eu peu le choix
dans cette décision. À moins de s’enfuir,
comme elle l’avait fait cette fois, elle
n’aurait pu échapper au mariage. Son
frère l’avait prévenue qu’il ne
l’entretiendrait plus si elle ne consentait
pas à se marier pour contracter des
alliances entre clans. Elle ignorait s’il
s’agissait d’une réelle menace, ou s’il
tentait seulement de la convaincre par la
force. Cyrus n’était guère connu pour sa
compassion.
— C’est ce que j’ai cru comprendre en
entendant Maighread vous appeler lady
Jedwarth.
Il se détourna pour se diriger vers la
cheminée à grandes enjambées.
— Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ?
questionna-t-il en la regardant de
nouveau, les sourcils froncés.
— Je n’apprécie pas que l’on
s’adresse à moi par ce titre. Chaque fois
que quelqu’un le fait, je grimace
intérieurement, car je ne suis plus mariée
à cet homme. Je repense alors à lui, et…
à ces mois, ces semaines, ces jours
précédant sa mort. Même si je ne l’aimais
pas, cette période s’est révélée très
difficile. Je veux aller de l’avant et
songer à l’avenir. Il y a forcément mieux
qui m’attend.
— Vous a-t-il maltraitée ?
— Non. Il était assez gentil, comme
tout le monde au sein de son foyer. Mais
le lendemain de ses funérailles, son neveu
– et héritier – est arrivé pour me renvoyer
chez mon frère.
La dernière chose qu’elle désirait faire
quand elle avait du temps en privé avec
Dirk était de parler du comte de
Jedwarth. Les deux individus n’avaient
absolument rien en commun. Son défunt
époux était frêle et cacochyme, alors que
le guerrier était l’incarnation de la force
et de la santé. Qui pouvait lui en vouloir
d’être attirée par le second ?
— Jedwarth et les MacMorrison sont
alliés de près au clan qui a vu naître
Maighread, les Gordon, fit-il remarquer.
— En effet, ils étaient amis. Mais l’on
ne m’a pas demandé mon avis. Pensez-
vous que je jetterais mon dévolu sur un
homme de presque soixante ans en vue de
l’épouser ? Mon frère a arrangé cette
union.
Elle espérait qu’il ne lui tiendrait pas
rigueur de ce premier mari. Il savait
assurément que la plupart des filles de
chef n’avaient pas leur mot à dire dans le
choix de leur conjoint. Elles ne se
faisaient pas traîner pieds et poings liés
jusqu’à l’autel, mais n’étaient pas
davantage autorisées à sélectionner un
prétendant qui leur plaisait physiquement.
Ni à se marier par amour.
Ses parents étaient tombés amoureux
après leurs noces arrangées. Ils avaient
voulu qu’elle ait le droit de s’exprimer
sur celui dont elle allait devenir la
femme, mais son aîné était moins
compatissant. Elle avait été incapable de
trouver quelqu’un qui l’attirait lorsque
son père et sa mère étaient encore en vie.
Aucun homme ne lui convenait. Cyrus
avait perdu patience. Il n’était pas marié,
et estimait les mariages d’amour futiles.
— Faites-vous confiance à Maighread
? l’interrogea-t-il.
— Bien sûr que non.
En réalité, elle était extrêmement
méfiante vis-à-vis de cette femme et de
son étrange comportement.
— J’espère que vous ne lui avez pas
raconté ce qui s’était déroulé à Munrick.
Elle grimaça.
— Même si je n’en avais pas
l’intention, j’ai été contrainte de lui
apprendre ce que Nolan MacLeod avait
fait.
— Pourquoi ? lui demanda-t-il d’un ton
sévère.
— Lady Patience Murray avait déjà
entendu que j’étais promise au chef des
MacLeod, car elle avait passé deux nuits
dans leur château sur son chemin
jusqu’ici. J’ai dû fournir une excuse
crédible pour m’être enfuie en pleine
tempête de neige. J’espère que votre
belle-mère gardera mon secret. Je lui ai
également dit que je n’épouserais pas
Torrin. Et je le pense sincèrement.
Posant sa main contre la cheminée,
Dirk hocha la tête.
— J’espère que vous n’y serez pas
contrainte, mais il ne va pas être facile de
vous délier du contrat de fiançailles que
votre frère a signé. Sa parole, son
honneur et sa réputation sont en jeu. Ce ne
sont pas des mesures qu’il prendra à la
légère. Les MacLeod non plus.
MacKay était-il comme tous les autres
hommes qui voyaient les femmes
uniquement comme de vulgaires pions à
placer là où ils y avaient le meilleur
intérêt ? Elle sentit la fureur l’envahir.
— Je me moque de ce que mon aîné a
signé. Je refuse de me faire accoster et
tripoter par les membres du clan dans
lequel je me marie. On a témoigné un
grand respect à ma mère dans notre
famille, et elle m’a appris que je ne
méritais pas moins qu’elle. Père l’adorait
et la traitait comme du cristal. Mon
souhait est de trouver quelqu’un qui
prenne autant soin de moi, mais… cela
me paraît hors de portée.
Des larmes salées lui piquèrent les
yeux tandis qu’elle observait les braises
orangées. Elle n’avait pas eu l’intention
de dévoiler autant ses émotions, mais ses
paroles s’étaient déversées en torrent.
Elle n’avait pas été élevée pour devenir
une moins-que-rien servile, piétinée par
les autres, et aurait bien du mal à tomber
dans ce rôle à présent.
Elle hasarda un regard vers Dirk.
Il l’avait dévisagée jusque-là, mais se
détourna.
Que pensait-il ? Qu’elle était
absolument navrante ? Qu’elle ne pouvait
affronter l’existence ? Qu’une union
fondée sur l’amour n’était qu’un fantasque
caprice ? Cela n’avait pas semblé sans
valeur aux parents d’Isobel. Leurs vies
s’étaient révélées de courte durée, mais
ils avaient pleinement joui des années qui
leur avaient été offertes, et avaient connu
plus de bonheur que la plupart des gens.
Elle avait bénéficié d’une enfance
protégée, mais la dure et froide réalité
s’était imposée à elle à leur mort. Son
frère n’avait toutefois aucun scrupule à la
pousser dans les affres du monde.
— Maighread vous a-t-elle parlé de
moi ? s’enquit-il.
Désarçonnée par ce brutal changement
de conversation, elle l’étudia
attentivement, mais il ne la regardait
même pas, examinant la tapisserie au-
dessus de la cheminée. Il devait lui faire
confiance pour lui poser une telle
question, n’est-ce pas ? Il semblait
légèrement vulnérable à ce moment
précis.
Elle demeurait intriguée par la façon
presque insensée dont la criminelle avait
réfuté les affirmations de Dirk quant à son
identité.
— Promettez-vous de ne pas lui
répéter ce que je vais vous dire ?
— Oui, bien sûr. Je lui adresse la
parole le moins possible.
Il s’assit en face d’elle.
— Je pense qu’elle devient sénile,
déclara Ysobel.
— Pourquoi ?
— Même en privé, elle jure ne pas se
souvenir de vous.
Il renâcla.
— Elle sait parfaitement qui je suis,
n’ayez aucun doute. Elle ment.
— Eh bien, je croyais que c’était peut-
être le cas, mais elle paraît si véhémente
sur le sujet.
— J’ai vu dans ses yeux qu’elle me
reconnaissait. Elle sait qui je suis. Ce qui
l’effraie. Elle veut que le titre et le
patrimoine reviennent à Aiden depuis
qu’il est né.
— Elle a toujours été gentille avec
moi, répondit-elle en secouant la tête. Je
ne puis comprendre ce côté vicieux chez
elle.
— Oui. Elle le cache à presque tout le
monde, mais elle m’en veut depuis le jour
où elle a épousé mon père. En fait, il
s’agit plutôt d’une haine virulente et
profondément enracinée. Elle a essayé de
m’assassiner à deux autres reprises
lorsque j’étais plus jeune. Même si elle
ne s’est pas autant approchée de son but
que la dernière fois.
L’indignation s’emparait d’Isobel.
— Cette femme est-elle vraiment folle
? Comment s’y est-elle prise pour ses
autres tentatives ?
Dirk plongea le regard un long moment
dans les braises rougeoyantes.
— L’hiver de mes huit ans, j’ai
développé une sorte d’affection
accompagnée de fièvre. J’ai été malade
des jours durant. Je me souviens d’elle
entrant dans ma chambre une nuit pour
ouvrir les volets, afin que l’air glacial
souffle en rafales dans la pièce. J’étais
perplexe quant aux raisons qu’elle avait
de le faire, mais j’étais à demi délirant,
assailli de rêves et de cauchemars dus à
ma haute température. Trop atteint, je ne
pouvais me lever pour fermer la fenêtre.
Aucun serviteur ni guérisseur ne se
trouvait près de moi. Elle les avait
probablement envoyés se coucher. Je me
rappelle seulement m’être senti transi de
froid et engourdi, avant de glisser dans un
sommeil confortable. À mon réveil, mon
père me secouait violemment en hurlant.
La chambre était remplie de domestiques
et de membres du clan. On me tenait
devant le feu pour tâcher de me
réchauffer.
Isobel en eut la gorge si serrée qu’elle
ne parvenait à parler, et ses yeux s’étaient
embués. Elle ne savait que dire de toute
façon. Elle craignait d’éclater en sanglots
si elle prononçait un seul mot. Comment
cette personne de son entourage était-elle
capable d’une telle cruauté envers un
enfant malade et sans défense ? Mais elle
avait peur que Dirk n’ait remarqué ses
larmes.
Il se leva pour traverser la
bibliothèque avant de revenir sur ses pas.
— Une autre fois, j’avais environ dix
ans, on m’a raconté que j’étais tombé en
bas d’un escalier et que je m’étais cogné
la tête sur le sol en pierre. Je me souviens
seulement de m’être approché des
marches du haut, et de Maighread arrivant
derrière moi. Je ne pensais pas une
seconde qu’elle me pousserait. Même si
je restais méfiant quand elle était dans les
parages, je n’éprouvais aucune réelle
crainte. Toute réminiscence de ce qui
s’est passé ensuite s’est effacée. Quand je
me suis réveillé, j’avais le bras cassé et
mon corps était si douloureux que je
réussissais à peine à bouger. J’ai encore
un trou dans la nuque pour le prouver. Je
me doutais qu’elle m’avait poussé, et mon
oncle partageait mes soupçons.
Isobel se sécha les yeux tandis que la
colère sourdait en elle.
— Comment a-t-elle pu avoir un
comportement si effroyable vis-à-vis d’un
petit garçon ? s’indignat-elle, incapable
de comprendre. Avez-vous confié à votre
père que vous la suspectiez ?
— Oui. Lorsque Conall et moi-même
lui avons rapporté ce qu’elle avait fait, il
nous a répondu que nous étions fous. Il a
été courroucé que nous puissions accuser
sa douce Maighread d’une telle trahison.
Il l’adorait tant qu’il demeurait aveugle
face aux manipulations de cette sorcière.
Un muscle tressauta dans sa mâchoire.
— Eh bien, étant donné sa duplicité, je
suis certaine que maman n’aurait jamais
supposé non plus qu’elle puisse se
montrer si cruelle et si malveillante
envers un enfant. Cette criminelle a dupé
tous ses proches. Ceux qui l’aimaient le
plus ne la connaissaient même pas.
La mère de la jeune veuve aurait été
choquée et horrifiée d’apprendre les
agissements de son amie.
— Non, à moins qu’elle n’ait révélé sa
véritable nature à ses fils, rétorqua-t-il.
Son esprit est diabolique. C’est la seule
explication sensée.
— En effet, confirma-t-elle en se
remémorant vivement sa conversation
avec Maighread dans la salle supérieure.
Plus tard dans la journée, elle a déclaré
que Conall et vous devriez rester aux
aguets. Je pense donc qu’elle prépare
quelque chose.
— Je m’y attends. Elle est désespérée.
À ses yeux, je suis revenu spolier Aiden
de son héritage, son titre et sa position.
Mais je ne la crains plus comme quand
j’étais un petit garçon sans défense.
Sa protégée demeurait toutefois
inquiète pour sa sécurité.
— On n’est jamais trop prudent.
Il riva son regard perçant sur elle.
— Je le suis toujours.
— Je sais.
Quel calvaire ce devait être de
poursuivre sa vie ainsi, avec la crainte
qu’on pouvait lui tendre une embuscade à
tout moment.
Elle devrait faire tout ce qui était
imaginable pour veiller à ce qu’il reste
sain et sauf. Elle ne lâcherait plus cette
meurtrière d’un pouce et feindrait de
mépriser Dirk pour gagner sa confiance.
— J’espère que vous ferez aussi
attention en sa compagnie, précisa-t-il. Et
éloignez-vous d’elle autant que possible.
Elle acquiesça, prévoyant toutefois
d’adopter l’attitude inverse. Le guerrier
s’opposerait à l’idée qu’elle espionne sa
belle-mère. Mais elle devait agir pour
l’aider, le protéger. Pour la première fois
de sa vie, elle avait l’impression d’être
utile, investie d’une noble cause. Elle ne
parvenait pas à croire l’importance qu’il
avait prise dans son existence, même si
elle ne pourrait jamais l’avoir pour elle
seule.

Les deux fils de Maighread entrèrent


l’un derrière l’autre dans la salle haute
éclairée par le feu et quelques bougies.
N’étaient-ils pas séduisants ? Et adultes,
à présent. Leur père serait si fier d’eux.
Après avoir jeté un coup d’œil de part et
d’autre du couloir pour s’assurer qu’il
n’y avait personne alentour, elle ferma la
porte.
— Je ne compte pas laisser cet
imposteur qui se fait appeler Dirk vous
voler votre héritage, dit-elle à Aiden à
voix basse.
— De quoi parlez-vous, mère ? Il
s’agit bien de lui.
À présent, il la défiait de ses yeux
verts, si semblables aux siens.
Ce pauvre garçon était si naïf.
Intelligent, certes, mais elle devrait lui
apprendre à mieux jouer la comédie.
— Non. Ne me dites pas qu’il vous a
dupé vous aussi. Je vous croyais plus
rusé.
Il fronça les sourcils puis observa
furtivement Haldane.
— Je suis d’accord avec elle, déclara
son cadet si avisé.
Bien entendu ; il ne se souvenait
probablement pas du guerrier, des talents
d’acteur n’étaient donc pas requis.
Aiden ne semblait guère convaincu par
les mensonges de Maighread. En fait, il
avait même l’air irrité. Elle n’arrivait pas
à le comprendre.
— Souhaitez-vous qu’il vous prive de
ce qui vous revient ? l’interrogea-t-elle.
Il garda le silence un moment, en la
dévisageant.
— Non. Évidemment.
— Bien.
Il entendait enfin raison.
— Maintenant, Haldane, reprit-elle,
j’ai besoin que vous alliez chercher
Donald McMurdo pour lui demander de
venir ici sur-le-champ. Dites-lui de
m’attendre caché derrière l’église. Venez
me prévenir quand vous l’aurez trouvé.
Ne laissez personne d’autre découvrir
qu’il est là.
— Pourquoi ? s’enquit-il.
— Parce que j’en ai décidé ainsi.
Comment osait-il la questionner ? Elle
ne pouvait tout révéler à ses fils. Ils
étaient trop jeunes pour mesurer toutes les
conséquences. Ils ne soupçonnaient pas
jusqu’à quels extrêmes elle pouvait aller
pour les protéger ainsi que leur avenir.
Haldane poussa un soupir impatient
qu’il avait longuement retenu.
— Et s’il n’y consent pas et attaque les
hommes ?
— Précisez-lui…
Elle réfléchit un instant à ce que le
tueur estimait le plus précieux.
— S’il n’exécute pas mes ordres, il lui
en coûtera l’emplacement funéraire qu’il
s’est offert pour une fortune ; le chef le lui
confisquera.
Elle sourit à Aiden et poursuivit :
— Et je le ferai arrêter pour la dizaine
de meurtres dont il est responsable.
Au lieu de celui qu’il n’avait pas
réussi à commettre.
Dirk n’aurait pas autant de chance cette
fois.

Plus tard ce soir-là, le guerrier essayait


de dormir quand il entendit cogner à la
porte de sa chambre. Que diable… ?
Quelqu’un tentait-il de s’introduire dans
ses appartements ? Il voyait à peine
l’embrasure dans la lueur de l’âtre. Il se
leva et enfila en hâte ses culottes sous sa
longue chemise en lin. Il tendit l’oreille,
et ne perçut rien de plus. Après avoir
allumé une bougie à partir des braises et
saisi sa dague, il alla ouvrir. Dans le
couloir, la lumière des flammes brillait
dans les cheveux bruns de sa protégée,
qui étaient défaits et cascadaient jusqu’au
milieu de son dos.
— Lady Isobel ? Que faites-vous là
dans le noir ? demanda-t-il en tenant sa
chandelle en l’air.
Elle n’avait même pas pris de quoi
s’éclairer.
Elle inspira vivement, se retourna puis
regarda autour d’elle, sourcillant et
clignant des paupières.
— Où suis-je ? Je rêvais de…
Baissant les yeux, elle vit qu’elle ne
portait qu’une blouse et croisa les bras.
Mais pas avant qu’il n’ait pu profiter d’un
délicieux aperçu de sa poitrine généreuse
et de ses tétons qui dardaient sous le fin
tissu.
Il en fut aussitôt submergé de désir.
Damnation ! Les courbes envoûtantes de
la jeune veuve le torturaient.
— Étiez-vous en pleine crise de
somnambulisme ?
Ou le feignait-elle pour d’autres
raisons ? Maighread l’avait-elle
convaincue d’espionner le guerrier ? Ou
Isobel voulait-elle le séduire ? Il se sentit
parcouru d’une enthousiaste ardeur à cette
pensée. Même s’il voulait lui faire
confiance, il demeurait néanmoins
circonspect. Elle avait passé trop de
temps en compagnie de sa belle-mère.
— Comme vous le savez, en effet,
j’erre parfois durant mon sommeil,
répondit-elle en frissonnant. Je ne suis
pas folle, je vous assure.
— Je n’ai jamais dit cela. Vous êtes
gelée. Entrez vous réchauffer près du feu.
Je vais vous donner une couverture.
Il recula et la laissa pénétrer dans la
pièce.
Elle s’arrêta juste après avoir passé
l’embrasure. Dieux du ciel, le lit de Dirk
était disposé dans l’angle, les draps
chiffonnés. Elle ignorait que ses
vagabondages l’avaient menée si près de
la chambre de son sauveur. Enfin, elle
savait qu’il dormait là. Avec si peu à
faire d’autre, elle explorait souvent le
château quand elle se sentait agitée, et
était passée à maintes reprises devant
cette porte. Mais pourquoi s’être rendue
là alors qu’elle était endormie ?
— Je retourne dans ma chambre.
Non qu’elle répugne à rester là. Bien
au contraire. Mais il l’avait
vigoureusement rejetée après leur
premier baiser. Elle ne voulait pas qu’il
la prenne pour une traînée manipulatrice.
Il ferma derrière eux, puis guida la
jeune femme vers la cheminée.
— Réchauffez-vous d’abord. Vous
tremblez.
Elle tendit les bras vers les braises
luisantes, s’imprégnant de leur
voluptueuse ardeur. La chaleur se
propagea en elle, mais la sensation était
loin d’être aussi merveilleuse que celle
que lui procuraient les mains ou la peau
de Dirk. Les chevauchées derrière lui et
la proximité qu’elles engendraient lui
manquaient. Au cours de leur voyage vers
le nord, elle avait pu le toucher sept
heures par jour, et s’était habituée au
contact de ce corps puissant. Elle frémit,
se languissant cruellement de cette
chaleur et de cette intimité.
— Vous êtes transie jusqu’aux os,
déplora-t-il.
Il lui enroula autour des épaules une
couverture en laine déjà à bonne
température. Elle devait provenir de son
lit.
Elle frémit à nouveau, mais de plaisir,
cette fois. Elle soupira, ne parvenant à
croire combien elle se sentait
douillettement protégée dans ses bras.
Cédant à une insurmontable pulsion,
elle s’affaissa en arrière contre lui. Ne
souhaitant pas le laisser deviner l’envie
qui l’animait, elle tourna la tête, posant la
joue sur son épaule.
Il lui caressa les cheveux pour les
repousser sur le côté, ses doigts chauds
effleurant la peau fraîche sous l’oreille de
la fugitive. Elle sentit des picotements de
béatitude se répandre dans son cou et sa
poitrine.
— Oh, chuchota-t-il, attardant sa main
sur la gorge de sa compagne. Je ne
devrais pas vous toucher, Isobel.
Elle lui fit face.
— Je veux que vous me touchiez,
souffla-t-elle.
Son regard bleu, généralement perçant,
s’obscurcit tandis qu’il haussait un
sourcil affligé.
Elle savait qu’il la désirait. Malgré sa
virginité, elle n’avait rien d’une oie
blanche. Âgée de vingt-cinq printemps,
elle observait les hommes de près depuis
des années, ainsi que leurs réactions.
Dirk était un gentleman qui enfouissait
profondément sa nature passionnée, mais
ses yeux étaient des plus expressifs. Elle
parvenait presque à lire ses pensées. À
présent, elle voyait dans ses pupilles
qu’il désirait l’embrasser… comme cette
première nuit dans l’écurie. Sa fièvre
s’était déchaînée ce soir-là, du moins
pendant quelques secondes. Que pouvait-
elle faire pour la déclencher derechef ?
Elle se retourna pour appuyer l’avant
de son corps contre celui de son
compagnon. Il portait une longue chemise
et des culottes. Le tissu léger ne pouvait
dissimuler les muscles fermes qui
saillaient à travers son vêtement et se
pressaient contre la poitrine de la jeune
lady.
Un grondement rocailleux échappa au
guerrier.
Poussant un petit gémissement pour
toute réponse, elle glissa les bras autour
de la fine taille de MacKay. Il était si
grand et si large de carrure qu’il éveillait
tous ses instincts de femme. Elle aimait la
façon dont il l’avait toujours protégée.
Il lui enfonça ses doigts dans les
cheveux et lui caressa la mâchoire du
bout du pouce, en remontant délicatement
sur la joue.
— Isobel, dit-il d’une voix basse et
déconcertée. Que vais-je faire de vous ?
— Ceci.
Elle se hissa, puis posa sa bouche sur
celle de Dirk. Seigneur, elle était chaude
et ferme.
— Hmm.
Il écarta les lèvres et donna un coup de
langue sur celle de la fugitive. Le désir la
submergea instantanément, l’incitant à
s’ouvrir au guerrier. Celui-ci l’embrassa
alors plus profondément. Il avait la
saveur brûlante du mâle enfiévré, et elle
voulait y goûter davantage. Elle enfouit
les mains dans sa chevelure cuivrée,
regrettant de ne pouvoir le gravir tel un
sommet, pour se délecter de sa bouche. Il
était un brasier… la seule source de
chaleur réconfortante dans ce paysage de
givre.
Les mains sur le postérieur de sa
protégée, il la souleva exactement comme
elle le souhaitait, en lui remontant les
jambes autour de sa taille. Elle lui mit les
bras autour du cou, sans que le contact de
leurs lèvres ne soit jamais rompu. Il
sentait le whisky fort et tourbeux, un
parfum sombre et terreux mêlé à une
ardente virilité.
Il mit fin au baiser puis appuya son
front sur celui de la jeune femme.
— Hmm, vous avez si bon goût,
murmura-t-il.
Elle gémit, aspirant désespérément à
d’autres baisers.
— Nous ne devrions pas faire cela,
dit-il.
Non, ne vous arrêtez pas. Elle avait
attendu depuis toujours de connaître la
passion. Craignant qu’il ne continue pas,
elle se tint plus fermement à lui, et
l’embrassa avec une lenteur sensuelle sur
sa joue piquante jusqu’à son oreille.
Il geignit et l’étreignit plus
vigoureusement.
Elle se tortilla contre lui, le centre
sensible, moite et fourmillant de ses
ardeurs se frottant contre le bas-ventre de
son sauveur, avec leurs tenues de lin pour
tout rempart entre eux. Comme elle
regrettait de ne pas sentir la puissante
érection ni la chair brûlante de cet homme
contre elle. Comme elle avait envie qu’il
l’allonge sur son lit, et la déshabille pour
la prendre. Elle accueillerait volontiers
son invasion.
— Par tous les saints, Isobel, nous
devons cesser, gronda-t-il avant de lui
faire reposer les pieds au sol.
Les genoux si faibles qu’elle redouta
de tomber, elle secoua la tête et
n’abandonna pas.
— Je voudrais vous satisfaire de… la
façon qu’il vous plaira.
Il marmonna des jurons en gaélique et
retira de son cou les bras de la veuve.
Elle le regarda d’un œil noir. Il la
rejetait de nouveau, alors qu’elle venait
de lui exprimer clairement combien elle
le voulait.
— Vous me rendez fou. Mais je ne peux
pas coucher avec vous aussi simplement.
Ignorez-vous qu’il y aura des
conséquences à tout cela ?
— Et quelles seront celles de ne
jamais savoir comment se seraient
passées les choses entre nous ? demanda-
t-elle, la frustration alimentant son
courage. Je n’ai aucune idée de ce qu’est
la « vraie passion ». J’avais espéré
trouver le véritable amour, découvrir le
désir. Mais au lieu de cela, mon frère
m’envoie dans les bras d’un homme avec
un pied dans la tombe, puis dans ceux
d’un barbare. Ce n’est pas ce que je
voulais. Ma mère me disait toujours que
je trouverais la « vraie passion ». Je l’ai
crue naïvement. Mais peut-être ne suis-je
qu’une idiote sentimentale.
Laissant tomber son regard embué de
larmes vers le sol, elle secoua la tête.
— Je regrette de ne pas être plus forte.
D’avoir un cœur et des rêves. Si tel
n’était pas le cas, je pourrais peut-être
jouer à la jument reproductrice pour
MacLeod, et à la catin pour son cadet. Et
s’ils me chassaient, j’irais servir
d’esclave pour un autre chef. Il serait
préférable que je n’aie pas d’âme.
— Damnation, Isobel. Taisez-vous,
gronda-t-il.
— À qui appartient ce corps ?
interrogea-t-elle en se posant une main
sur la poitrine avant de regarder Dirk une
nouvelle fois dans les yeux.
— Ne soyez pas ridicule. C’est le
vôtre.
— Mais je n’ai pas mon mot à dire
quant à son sort. Je ne puis décider qui le
touche ou le mérite. Ce ne doit donc pas
être le mien. En réalité, il revient à mon
aîné de le donner à qui bon lui semble.
— Je n’ai pas écrit les lois, grommela-
t-il.
— Si seulement…
Le silence s’imposa.
Les propos d’Isobel avaient anéanti le
guerrier. D’entendre ses espérances et ses
envies ainsi mises à nu devant lui, des
réflexions si intimes… Personne ne
s’était jamais confié à lui de cette façon.
Il ne savait comment réagir, surtout dans
la mesure où il désirait cruellement être
celui qui lui offrirait tout ce qu’elle
souhaitait.
Même s’il avait l’air idiot, il ne put
s’empêcher de demander :
— Quoi ?
— Si seulement je pouvais faire
comme vous… Simuler ma mort, changer
de nom et devenir quelqu’un d’autre.
Quelqu’un que personne ne chercherait.
Je serais libre de faire ce à quoi j’ai
toujours aspiré.
Il secoua la tête, préférant ne pas
énoncer ce qui semblait évident. Elle ne
pouvait disparaître et changer d’identité
sans une fortune propre… ni un homme
pour prendre soin d’elle.
Il murmura un juron dans sa barbe.
Certes, il voulait être ce compagnon,
mais… Manifestement, il cherchait
l’assaut des MacLeod. Et les membres de
ce clan seraient dans leur bon droit
d’attaquer, puisque Dirk s’était enfui avec
la promise de leur chef. Soit, il l’avait
secourue, mais ils ne verraient pas la
situation sous le même angle.
Il ne pouvait la renvoyer chez eux,
surtout si cette brute de Nolan était
encore en vie. Par ailleurs, il ne parvenait
pas à l’imaginer épouser Torrin, ni aucun
autre individu en vérité.
À la seconde où ils s’étaient
rencontrés, son instinct lui avait hurlé que
cette femme devrait être la sienne. Mais il
ne savait comment ce serait réalisable. Si
seulement il était revenu plus tôt, ou était
allé voir le père d’Isobel des années
auparavant. Mais il ne l’avait pas fait, et
à présent, il était trop tard.
Damnation, il se languissait encore du
goût de sa bouche, si douce et si
féminine, comme le lait et le miel,
véritable nectar des dieux. Il n’avait
jamais rien savouré d’aussi ensorcelant,
dont il soit si dépendant. Il ferma les yeux
en les plissant et marmonna un autre
juron. Il ne désirait rien autant que la
peau nue et satinée de cette femme
effleurant la sienne. Il sentit son membre
se durcir en imaginant des relations
intimes avec elle. Le paradis sur terre.
— Je constate que mes volontés vous
importent autant qu’aux autres, déclara-t-
elle.
Bien au contraire, que diable ! Mais
elle n’avait pas besoin de le savoir.
— Vous êtes déjà promise à quelqu’un.
Inutile de développer plus avant.
— Je n’appartiens à personne,
vociféra-t-elle, la ferveur de ses paroles
enflammant plus encore le désir de Dirk,
éveillant les instincts de possession
contre lesquels il luttait tant.
— Les fiançailles. Le contrat, précisa-
t-il d’un ton sec et sévère.
Il aurait dit n’importe quoi pourvu que
cela l’empêche de céder à l’envie de
l’allonger sur le matelas, de lui ôter
prestement sa blouse et de se délecter de
son corps voluptueux.
La porte s’ouvrit et il fit volte-face
vers l’entrée, tandis qu’il s’élançait
instinctivement dans une position de
défense. Son glaive était à côté du lit,
trop loin pour qu’il s’en saisisse s’il
devait rester placé entre Isobel et l’intrus.
Chapitre 15

Dirk jeta un regard noir à la personne


qui osait pénétrer dans sa chambre à
minuit sans frapper. L’ultime trace
d’excitation l’abandonna, ne laissant
qu’une glaciale sensation de danger dans
son sillage.
Aiden se tenait dans l’embrasure de la
porte refermée. Que diable lui prenait-il
de faire irruption à cette heure-ci ?
Il fit dériver ses yeux écarquillés entre
Dirk et Isobel.
— Je vous prie de m’excuser,
bredouilla-t-il. J’ai frappé, mais peut-être
n’avez-vous pas entendu.
Son aîné inspira profondément,
s’efforçant de calmer les martèlements de
son cœur tout en étouffant son côté
guerrier. Il se réjouissait à présent
d’avoir désobéi à ses pulsions vis-à-vis
d’Isobel, ou son cadet aurait assisté à une
scène autrement plus choquante, étant
donné qu’il avait oublié de barricader la
porte. Et fort heureusement, la fugitive
était de nouveau enroulée dans la
couverture.
— Qu’y a-t-il, Aiden ? demanda-t-il.
— C’est mère. Elle a envoyé Haldane
trouver McMurdo pour le faire venir ici.
McMurdo, le criminel de grands
chemins.
— Pourquoi ?
— Je l’ignore, mais elle lui a donné
rendez-vous derrière l’église. Et cela
vous concerne.
— Quand ?
— Dès que notre frère le retrouve et le
ramène. Je ne sais pas combien de temps
cela prendra.
— Damnation, marmonna MacKay.
Qu’a-t-elle dit d’autre ?
— Qu’elle ne laisserait pas
l’imposteur – vous, donc – me spolier de
mon héritage.
Dirk secoua la tête, le cœur près de se
fendre devant la position délicate du
jeune homme.
— Je vous remercie de m’avoir averti.
— Vous êtes de ma famille. Mon aîné.
Je ne voudrais jamais accaparer ce qui
vous revient de droit.
— Vous êtes un homme bon, Aiden.
Ce dernier esquissa un bref sourire et
se redressa, mais reprit ensuite un air
grave.
— Je n’étais pas dans la grande salle à
l’arrivée de maman, mais l’un des
membres du clan m’a répété vos
révélations. Est-ce bien elle qui a tenté de
vous faire assassiner il y a douze ans ?
— Oui. Ma seule preuve est que le
meurtrier, avant de me pousser, m’a lancé
« avec les sincères salutations de lady
MacKay ». Et ce que vous venez de me
dire sur McMurdo m’incite à croire qu’il
est celui qu’elle avait engagé.
— C’est ce que je craignais, déplora
son puîné en secouant la tête. Elle veut
vous arrêter au point d’en devenir folle.
Je dois lui parler.
— Ce n’est peut-être pas une bonne
idée. Si vous me défendez, vous risquez
de la mettre en colère.
Aiden haussa les épaules.
— Elle ne me ferait jamais de mal.
Elle accomplit tout cela pour moi,
expliqua-t-il en leur adressant un bref
salut. Je vais me retirer, à présent.
— Et au fait, mon frère. Si cela ne vous
dérange pas, ne dites à personne que vous
avez vu Isobel dans ma chambre.
Le garçon rougit, mais esquissa un
sourire.
— Bien sûr que non.
Il passa la porte et disparut.
— Dieux du ciel, chuchota la veuve.
— Je savais que cette sorcière
recommencerait à comploter, marmonna
son compagnon. Elle doit prévoir une
nouvelle fois de me faire tuer par ce
bandit.
— Qu’allez-vous faire ?
— L’attraper et l’obliger à tout avouer.

Dirk et Keegan se faufilèrent le long du


mur sud qui entourait le cimetière et
l’église. Rebbie et le reste des hommes
avaient contourné l’enceinte nord pour
faire le guet. La lueur de la lune se
reflétant dans la fine couche de neige
n’aidait pas à se dissimuler dans la nuit.
Les rafales provenant du littoral
empêchaient presque d’entendre quoi que
ce soit, de près ou de loin.
Le mur autour du sanctuaire était assez
bas pour être gravi. Dirk se redressa
doucement et regarda par-dessus pour
voir si McMurdo attendait derrière
l’édifice. Ou rencontrerait-il Maighread à
l’intérieur ? Non, il y avait un mouvement
à peine perceptible dans les ombres du
bâtiment de pierre.
Il s’accroupit de nouveau derrière le
mur, à l’abri du vent.
— Il est là. Je vais me cacher dans la
chapelle, chuchota-t-il à son cousin.
— Il risque de vous repérer.
— Nous devons écouter sa
conversation avec ma belle-mère. Ce
n’est pas faisable d’ici avec ces
bourrasques.
— Impossible de dire même si elle
sortira par ce froid pour le rejoindre. Elle
le fera peut-être patienter jusqu’à demain
matin.
Dirk secoua la tête.
— Cette vieille mégère a le cuir dur. Je
parie qu’elle va arriver aussi vite que
possible. Elle est follement impatiente de
se débarrasser de moi.
— Une fois qu’elle aura franchi le
portail, nous pourrons lui bloquer la
sortie, et elle sera capturée, déclara
Keegan. Je ferai en sorte que le reste des
hommes encerclent le mur, et ils
attraperont ce meurtrier s’il essaie de
s’enfuir en sautant par-dessus.
— Soit, mais nous n’aurons aucune
confirmation de ce qu’ils manigancent. Je
dois l’entendre charger McMurdo de me
tuer. Lorsque j’aurai assisté à cela, je
tiendrai une preuve solide. Ensuite, peut-
être que quand nous aurons piégé ce hors-
la-loi, il passera aux aveux. Si vous vous
tenez à mes côtés et l’écoutez également
se confesser, vous constituerez un second
témoin.
— Très bien.
Ils rampèrent sur le sol glacé jusqu’à
l’angle. La partie est du mur comprenait
l’entrée.
— J’ai une meilleure idée, chuchota le
fils de Conall. Nous attendrons ici, et dès
que Maighread franchit le seuil, nous
nous engouffrons discrètement derrière
elle.
— Cela pourrait marcher, répondit
MacKay en jetant un coup d’œil au ciel.
Quelques nuages dérivent par ici. Ils vont
aider à nous cacher.
Une silhouette solitaire quitta l’église
en silence, puis courut vers la plage.
— C’est lui, marmonna Dirk, en se
mettant debout. Il s’échappe. Venez.
Au nord de l’enceinte, il siffla à
l’intention de ses autres compagnons et
leur fit signe vers le bord de mer. Le
manteau sombre du bandit disparut
derrière une dune de sable tandis que
l’individu atteignait la crête surplombant
le rivage de l’autre côté du château.
— Dépêchez-vous, hurla le guerrier en
courant pour rattraper le bâtard.
Lorsqu’il eut atteint le sommet des
buttes, il ne vit aucune trace du criminel.
— Allumez la lanterne, demanda-t-il à
Erskine. Il n’a sûrement pas pris la
direction de Faraid Head.
Son sang se glaça. MacKay n’était pas
retourné là-bas depuis ce jour fatal douze
ans plus tôt. Il ne souhaitait plus s’y
rendre, mais le ferait s’il y était contraint.
— Maudit McMurdo, grommela-t-il.
— Je parie qu’il est allé à Smoo Cave,
dit Aiden, le souffle saccadé. Il s’y cache
parfois.
Dirk fit volte-face vers son frère.
— D’où êtes-vous arrivé ?
— Je faisais le guet dans les buissons à
côté du ruisseau.
— C’est trop dangereux pour vous.
Regagnez le donjon.
— Non. Je suis encore le chef, et tant
que ce sera le cas, je ferai ce qu’il me
plaira.
Il esquissa un sourire visible dans la
lueur de la lune.
Le guerrier marmonna un juron.
— Smoo Cave, dites-vous ? intervint
Rebbie.
— Oui.
— Cela paraît sensé. Il essaie
probablement de se débarrasser de nous
en rebroussant chemin.
Dès qu’Erskine eut allumé la lanterne,
les traces de neige et de pas dans le sable
fraîchement balayé par les bourrasques
furent évidentes. Mais elles menaient vers
Faraid Head, qui n’était rien d’autre
qu’un dédale de dunes débouchant sur les
falaises.
Ne tenant pas compte des marques au
sol, Dirk envoya les hommes à l’est
comme son frère l’avait suggéré, vers
Smoo Cave. Ils tombèrent rapidement sur
d’autres empreintes plus récentes dans le
sable saupoudré de neige.
— Ah, ah ! Vous êtes futé, Aiden, lui
dit son aîné qui fit une pause et lui tapota
l’épaule.
Le jeune chef sourit avec fierté. Dès
que Dirk aurait repris le titre, il lui
faudrait trouver une position idéale et
bien payée pour son puîné. Il ne voulait
pas que ce garçon ait le sentiment de
perdre quoi que ce soit. Bien entendu, il
était doué en musique, mais également si
intelligent qu’il méritait d’exercer
d’autres fonctions.
La couverture nuageuse s’épaissit et le
vent violent qui soufflait de la mer du
Nord les fouetta lorsqu’ils quittèrent les
dunes pour se rapprocher du littoral
accidenté. Ils accélérèrent le pas. En une
demi-heure, ils atteignirent l’imposant
talus au-dessus de Smoo Cave.
— Faites attention à ne pas tomber,
lança MacKay à Rebbie tandis qu’ils
descendaient le sentier étroit et raide qui
serpentait à flanc de coteau vers la
crique.
Les autres soldats suivirent. Les rafales
se révélèrent moins cinglantes dans ce
ravin protégé par les hautes parois
rocheuses de chaque côté.
Après être arrivé en bas du chemin,
Dirk fit halte, leva la main pour demander
le silence, puis tendit l’oreille. Il ne
perçut rien d’autre que les vagues de la
marée montante et les cris de quelques
oiseaux marins importunés.
— Vous restez là, Aiden. Nous allons
entrer pour chercher McMurdo, ordonna
son aîné à voix basse.
— Non, je viens vous aider. Je ne suis
plus un enfant alors cessez de me
commander ainsi.
— C’est pour votre bien. Je ne veux
pas que vous soyez blessé, grommela
MacKay d’un ton sévère en imaginant le
bandit dominer aisément son frère bien
plus petit.
— Je m’en veux pour cette querelle
entre ma mère et vous, et je souhaite faire
quelque chose pour arranger la situation.
— Ce n’est pas votre faute, mon cher.
Par ailleurs, vous nous avez été utile. Il a
peut-être des complices qui attendent à
l’intérieur. Savez-vous combien ils sont
dans sa bande de voleurs ?
— Non. Je pense que la plupart ont été
tués il y a quelques années, quand père et
d’autres membres du clan les ont
pourchassés. McMurdo a été le seul à en
réchapper. Mais il a peut-être recruté
d’autres acolytes depuis.
— Très bien. Approchons-nous
discrètement.
Glaive à la main, le guerrier traversa
sans un bruit Allt Smoo, la large et peu
profonde rivière qui s’écoulait
paisiblement de la caverne. L’eau
glaciale ne pénétra pas le cuir huilé de
ses bottes, mais il ressentit tout de même
le froid.
Un modeste feu se consumait
faiblement dans l’angle du fond, mais il
ne se trouvait personne en vue. Les
brigands se tapissaient sûrement dans la
grotte intérieure qui était accessible
uniquement par bateau. Dirk se tourna
vers l’entrée exiguë de cette seconde
cavité. Une cascade se déversait à
l’intérieur dans un grondement moins
intense en cette période de l’année. Une
embarcation attendait à l’amarrage. Elle
pouvait contenir cinq hommes.
Il se retourna vers ses compagnons.
— Qui veut venir avec moi dans la
grotte intérieure ?
— Moi, répondit Aiden en s’avançant.
Le comte devrait rester ici puisqu’il ne
connaît pas l’endroit.
— Mon cher, vous mettez vraiment ma
patience à rude épreuve, rétorqua son
aîné qui sentait l’irritation lui vriller les
entrailles. Rebbie et vous montez la garde
ici. Keegan, Erskine et Flynn vont se
joindre à moi.
Mais le jeune chef esquiva les
consignes, et grimpa dans la barque.
— J’ai ramé dans cet esquif des
dizaines de fois.
MacKay leva les yeux au ciel,
contrarié que le garçon n’en fasse qu’à sa
tête et se moque qu’il essaie de le
protéger. Mais à présent, il ne pouvait
plus vraiment le hisser sur la terre ferme
par la peau des fesses.
— Si ces bâtards tentent de s’enfuir,
MacInnis, vous et Flynn les en empêchez.
Rebbie acquiesça.
— Faites attention. Je déteste les
grottes, et celle-ci est des moins
engageantes.
— Vous en avez le droit, répondit le
guerrier, qui avait exploré les moindres
recoins du lieu à de nombreuses reprises
dans sa jeunesse.
Lorsque Dirk et son cousin furent à
bord avec son frère, Erskine suivit avec
la lanterne et largua les amarres de
l’embarcation. Aiden se mit à ramer pour
traverser la caverne remplie d’eau.
Même si son aîné parvenait à peine à
assimiler l’idée, ce garçon était
réellement devenu un homme. Ce n’était
plus un bambin sans défense. Mais il
avait toujours cette allure d’adolescent
fluet et dégingandé. Et en quelques
minutes, l’effort physique lui avait coupé
le souffle.
— Levez-vous, et laissez-moi prendre
votre place, lui proposa Keegan en se
mettant debout.
Le bateau tangua.
— Prenez garde à ne pas nous faire
chavirer, lança Erskine, dont le plafond
de la grotte fit résonner la voix.
La lanterne projetait d’étranges reflets
sur les murs humides.
Les deux cousins échangèrent
précautionneusement leurs positions et le
soldat, avec toute la force que les
muscles de son torse généraient,
commença à ramer ; ils avancèrent alors à
plus vive allure. Ils restèrent d’un côté de
la grotte en évitant la cascade. Keegan se
réjouit que celle-ci s’épanche faiblement.
Au printemps, elle s’écoulait avec une
telle fougue qu’il était dangereux de la
traverser en bateau.
En quelques minutes, ils arrivèrent à
l’autre bout de la caverne. Le fils de
Conall bondit au sol, tira l’embarcation
sur la berge, et l’amarra près d’une autre.
Il se trouvait bien quelqu’un en ces lieux.
Dirk n’entendait aucun bruit, excepté
celui de la chute d’eau, et ne voyait
aucune lumière filtrer de la troisième – et
beaucoup plus petite – chambre de la
grotte. Muni de la lanterne et de son épée,
il s’approcha de l’étroite ouverture.
Un homme surgit des ténèbres. Le
guerrier aperçut seulement le
scintillement d’une lame une seconde
avant qu’elle ne soit brandie vers lui. Il
leva son arme juste à temps pour contrer
un coup violent.
Il tendit la lampe à Keegan, et demeura
en garde, l’épée prête à frapper. À
présent, il parvenait à distinguer son
adversaire : McMurdo. Ses cheveux,
jadis foncés, étaient désormais longs, gris
et filandreux. Mais il paraissait toujours
aussi fort et robuste.
— Depuis combien de temps
travaillez-vous pour lady MacKay ?
demanda le beau-fils de celle-ci.
— Je n’ai pas d’autre employeur que
moi-même.
Il s’agissait bien de la voix qui avait
prononcé cette phrase détestable douze
ans plus tôt… « Avec les sincères
salutations de lady MacKay. »
— J’ai cru comprendre que vous vous
étiez offert une crypte dans la nouvelle
église, poursuivit Dirk.
— Eh oui, l’ancien seigneur MacKay
était un homme bon.
— Contrairement à vous. Pensez-vous
que votre donation compense tous vos
meurtres ?
— Je n’ai jamais tué personne,
rétorqua le hors-la-loi en souriant. Et
vous êtes un imposteur.
Le guerrier lui répondit par un sinistre
rictus.
— Vous dites cela parce que vous
voulez encore croire que vous m’avez
assassiné il y a douze ans en me
précipitant du haut de cette falaise.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez.
Il se déchaîna alors avec son glaive,
mais son adversaire para facilement
l’attaque. Leurs lames se croisèrent
encore et encore.
Cet homme avait peut-être été doué à
l’épée à sa belle époque, mais il avait
passé depuis quelques années la fleur de
l’âge. Le bras avec lequel il combattait
commençait à trembler.
MacKay porta le coup parfait, qui fit
voler l’arme de son ennemi.
— Ah, ah ! railla-t-il en maintenant le
bout de la sienne près de la gorge du
bandit. À présent, nous retournons à
Dunnakeil où vous séjournerez quelque
temps au cachot. Ligotez-lui les mains,
ordonna-t-il à Erskine.
Ce dernier s’exécuta et poussa
McMurdo vers le bateau. Les cinq
hommes montèrent à bord et cette fois, le
futur porteur de glaive prit les rames
tandis que Dirk et son cousin gardaient
leurs armes pointées vers le criminel.
Celui-ci resta tranquillement assis, leur
lançant des regards noirs à tour de rôle. À
mi-chemin de la sortie, il se pencha en
arrière et donna un violent coup de pied
vers Aiden qui reçut la botte dans son
épaule, perdit l’équilibre et tomba à
l’eau.
— Espèce de bâtard ! hurla Dirk en
projetant le criminel la face contre le sol
de l’embarcation. Keegan, asseyez-vous
sur lui !
— Au secours ! cria le jeune homme en
agitant les bras dans l’eau.
Sa tête disparut sous la surface, puis il
émergea de nouveau en suffoquant.
— Par tous les diables, mon frère.
Calmez-vous ! Approchez le bateau de
lui, commanda MacKay à Erskine.
Aiden coula. Bon sang, il ne savait pas
nager !
Dirk retira sa cape et son fourreau,
mais n’eut guère le temps d’ôter quoi que
ce soit d’autre. Il craignait que le garçon
ne se noie dans les secondes qui
suivraient. Il sauta à l’eau, dont le froid
glacial le heurta de plein fouet. Il nagea
jusqu’au point où le frêle meneur avait
sombré. Où diable se trouvait-il à présent
? Le guerrier plongea la tête, mais ne vit
rien dans cette rivière sombre et teintée
de tourbe. Remontant d’un coup de talon,
il entendit crier.
— À l’aide !
S’essuyant prestement les yeux, il
aperçut son frère non loin de là. Il nagea
vers lui puis l’agrippa afin qu’il ne
redescende plus.
— Tenez bon. Nous allons vous
ramener dans le bateau.
Aiden se pendit à son cou. Puis un
chahut éclata à bord. Leur cousin envoya
une rame vers McMurdo, qui avait réussi
par quelque moyen à se libérer les mains.
Le vaurien s’empara de l’aviron et
bascula en arrière sur Erskine, entraînant
Keegan dans sa chute.
— Damnation ! cria ce dernier, qui
attrapa le manche et frappa le bandit de
son autre poing. Le futur porteur de
glaive, qui se trouvait derrière le hors-la-
loi, lui glissa son bras autour du cou
jusqu’à l’étouffer. Le meurtrier donna un
coup de pied dans l’entrejambe de
Keegan et le fit atterrir gémissant à
l’autre bout de l’embarcation.
— Bâtard !
McMurdo poussa l’aviron derrière lui
pour l’envoyer dans la tête d’Erskine.
Le guerrier nageait avec son frère vers
le bateau.
— Tenez-vous au bord.
Il tenta de se saisir de la rame, mais le
criminel la leva hors de sa portée au
dernier moment, avant de s’en servir pour
le frapper. Dirk ne put l’esquiver à temps
et le claquement qu’il reçut sur le front
diffusa une douleur qui lui martela tout le
crâne.
Un couteau à la main, son cousin se
jeta sur le bandit.
— Cessez cela, ou je vous tranche la
gorge, mon vieux !
Jaugeant la proximité à laquelle se
trouvait le sgian dubh de son cou,
McMurdo se figea et lâcha l’aviron.
— Très bien, vous m’avez eu, saleté.
— Je devrais vous achever ici même.
Vous pourriez alors mettre à profit cette
coûteuse tombe.
Le meurtrier leva les bras en signe de
reddition.
— Attachez-lui les mains et les pieds
cette fois, dit Dirk.
Dès que ce fut fait, Aiden et lui
remontèrent à bord, frissonnant dans leurs
vêtements mouillés. Ils placèrent leur
prisonnier face vers le sol et surveillèrent
attentivement le moindre de ses
mouvements.
Keegan rama et ils arrivèrent
rapidement au ponton. Dès qu’ils furent
dans la grotte extérieure, le guerrier guida
son frère, tremblant de froid, vers la
flambée dans le fond de la cavité. Leurs
compagnons avaient ranimé le feu en y
ajoutant du bois flottant.
— Que diable s’est-il passé ? Vous
avez eu envie d’aller nager un peu ?
demanda Rebbie.
— Pour sûr. Ce bâtard a poussé Aiden
à l’eau et j’ai sauté pour le secourir.
— C’est un aîné dévoué, déclara le
jeune chef en claquant des dents.
MacInnis acquiesça.
— Vous feriez mieux de vous sécher
tous les deux avant que nous sortions dans
le vent.
La caverne était située à l’abri, calée
entre deux falaises. Et le feu avait
réchauffé les murs de pierre dans la
grotte. Il faudrait du temps pour que tous
leurs habits soient secs. MacKay souffrait
du coup de rame qu’il avait reçu, et
éprouva une sorte de vertige. Tout devint
noir, et il se sentit tomber sans rien
pouvoir y faire.
— Dirk ?
Quelqu’un lui souleva une paupière. Il
sourcilla, se concentrant sur le visage
flou du comte au-dessus de lui.
— Vous avez une sérieuse blessure,
mon ami. Cette entaille sur votre tête
saigne abondamment.
— Nous devons l’amener au château
où se trouve la guérisseuse, observa
Keegan.
Du moins, le guerrier pensa qu’il
s’agissait de son cousin. Il n’avait pas les
idées très claires pour le moment.
— Ses vêtements sont encore trop
trempés pour que nous partions, répliqua
Rebbie. Les vôtres aussi, Aiden.
— Non, mon tartan est toujours mouillé
en hiver. La laine est plus chaude ainsi.
— Je crois que ses hauts-de-chausses
sont plutôt faits d’un lin épais.
— Alors mieux vaut les lui enlever.
— Personne ne touche à mes hauts-de-
chausses, gronda l’intéressé. Je vais bien.
Il se redressa avec effort, serrant les
mâchoires pour lutter contre
l’étourdissement et la douleur dans sa
tête. Il refusait de faire montre de
faiblesse devant les autres. Quel genre de
laird serait-il si l’on pouvait si facilement
le mettre à genoux ? Il avait mené des
combats bien plus épouvantables. Rebbie
et l’un de leurs compagnons le
rattrapèrent avant qu’il ne s’aperçoive
qu’il avait chancelé.
— McMurdo ? s’enquit-il.
— Ligoté, répondit son cousin.
— Qu’attendons-nous ? demanda Dirk
d’un ton autoritaire. Allons le jeter au
cachot.
— Nous restons là jusqu’à ce que vos
hauts-de-chausses soient secs, mon cher,
expliqua son frère.
— Ils sont très bien ainsi.
Puis il se dirigea vers l’entrée de la
grotte, feignant de ne pas sentir l’air froid
mordre son crâne et ses cheveux
mouillés. Il les couvrit en remontant la
capuche de son manteau de laine. Il avait
beaucoup plus chaud à présent, mais
souffrait toujours de vertige et d’une
migraine si forte qu’il ne parvenait à
réfléchir clairement. Il espérait pouvoir
gravir le sentier étroit qui menait au
sommet des falaises.
Il grimpa avec difficulté, plaçant
douloureusement un pied devant l’autre.
Lorsqu’ils furent en haut, le mal qui lui
enserrait la tête était devenu presque
insupportable. Probablement la
conséquence de cette éprouvante
escalade. Les bourrasques le cinglaient
telles des lames de glace, et plaquaient
ses culottes mouillées sur ses jambes.
Celles-ci se figeraient assurément de
froid dans les minutes à venir. Même s’il
ne les sentait plus, il continua d’avancer,
eut soudain l’impression de sombrer, puis
tout ne fut que ténèbres.
Chapitre 16

Après le départ de Dirk et de ses


hommes pour aller chercher McMurdo,
Isobel ne parvint pas à trouver le
sommeil. Qui pouvait deviner ce que ce
bandit de grands chemins ferait ? Elle se
tapit dans un sombre recoin sous
l’escalier. Et si le guerrier ne revenait
jamais ? Non, elle ne pouvait songer à
cela. Il avait trop d’importance dans sa
vie pour même envisager qu’il lui arrive
malheur.
À un moment, Haldane et Maighread
étaient rentrés et avaient gravi les
marches avec précipitation en tenant de
houleuses messes basses. La fugitive en
avait seulement saisi quelques bribes
sans aucun sens. Apparemment, ils
savaient que « les autres » avaient «
compris ».
Priant que son compagnon revienne
sain et sauf, elle attendit. Bien plus tard,
des éclats de voix masculines résonnèrent
dans la grande salle.
Elle se rua hors de sa cachette.
Lorsqu’elle arriva dans la pièce
faiblement éclairée, la scène devant elle
la glaça d’effroi. Deux membres du clan
aidaient Dirk à se traîner sur ses pieds, un
sous chaque bras. Il avait les yeux
presque clos. Un côté de sa figure ainsi
que ses cheveux étaient couverts de sang.
Elle alla prestement à leur rencontre et
s’écria :
— Que s’est-il passé ? Il saigne
horriblement, et il est trempé.
— McMurdo m’a projeté par-dessus
bord pendant que nous traversions la
grotte en bateau, expliqua Aiden,
tremblant de tout son corps frêle et
claquant des dents devant la cheminée.
Mon frère a sauté et m’a sauvé la vie,
puis ce bâtard a saisi une rame et s’en est
servi pour le frapper sur la tête.
« Bâtard » était le mot juste. Elle aurait
aimé assener elle-même un coup d’aviron
sur le crâne du hors-la-loi. Le guerrier
semblait affreusement mal en point ; il
avait le visage livide et les lèvres
légèrement bleues.
— Il est transi de froid ! Ôtons-lui ses
habits mouillés et il se réchauffera, dit-
elle.
— Je vais bien, gronda Dirk entre ses
mâchoires serrées, en commençant à
frissonner et tressaillir. Je vais… ma
chambre.
Il tituba vers l’escalier en colimaçon.
Il était manifestement plus atteint qu’il ne
voulait l’admettre.
— Apportez de l’eau chaude et du
whisky, ordonna-t-elle à l’un des
domestiques qui dormaient dans la salle.
Où est la guérisseuse ?
Cette entaille nécessiterait un nettoyage
et l’application d’un baume.
— Je vais la chercher, décréta Aiden.
— Vos vêtements aussi sont gorgés
d’eau.
— Oui. Je vais me changer, lança-t-il
en s’éloignant au trot.
Dirk monta lentement mais par ses
propres moyens les marches étroites.
Deux membres du clan suivirent, et Isobel
ferma la marche. Combien de temps
avait-il passé dans le vent glacial, ainsi
trempé ? Il était assuré d’attraper une
fièvre. Une fois dans sa chambre, il
s’écroula sur son lit.
— Aidez-moi à le sortir de cette tenue
froide et mouillée, dit-elle aux deux
hommes.
— La laine est plus chaude quand elle
est humide, déclara Keegan.
— Eh bien, pourquoi a-t-il donc les
lèvres qui bleuissent ?
Il sourcilla.
— Ravivez le feu. Je vais m’occuper
de cela, ajouta-t-elle.
Elle lui retira son manteau, puis les
couches de tartans givrés. Sa chemise en
lin était collée à sa peau. Par tous les
saints ! Elle défit ses hauts-de-chausses
et tira dessus. Erskine l’aida à le
retourner pour faire glisser l’arrière de
l’habit.
— Laissez-moi, grommela MacKay.
— Non. Voulez-vous mourir ?
demanda-t-elle.
Elle jeta sur lui une couverture sèche et
lui enleva le vêtement de ses jambes.
— Que s’est-il passé ? s’enquit une
vieillarde rabougrie de l’embrasure de la
porte.
— Seriez-vous la guérisseuse ?
l’interrogea à son tour Isobel.
— Oui. Je suis Nannag.
— Dieu merci vous êtes là ! Il a été
frappé sur la tête avec une rame en bois.
Il est presque gelé et saigne sérieusement.
Dès que tous les habits gorgés d’eau
furent entassés par terre, elle le couvrit
d’un autre plaid en laine.
Les deux hommes se retirèrent et la
dame âgée examina l’entaille sur le front
de Dirk.
— L’épanchement s’est arrêté. Nous
allons laver ce sang séché pour voir si la
blessure doit être raccommodée. Je vais
chercher les herbes requises pour
préparer une tisane.
Elle disparut de l’encadrement.
Dirk arborait toujours une pâleur
bleuâtre et maladive, et de puissants
tremblements le secouaient de tout son
être. Il avait immédiatement besoin de
chaleur, et celle de la petite cheminée ne
parviendrait pas jusqu’au lit avant un long
moment.
Isobel défit sa ceinture et laissa tomber
son arisaid au sol. Elle ôta le reste de sa
tenue à l’exception de sa fine blouse en
lin, puis se glissa sous les couvertures
pour s’allonger sur le guerrier. Dieux du
ciel, le corps de celui-ci n’était qu’un
solide bloc de glace.
Il prit une vive inspiration, et de ses
mains froides, agrippa la taille de sa
compagne qui en eut un frisson. Il
marmonna des propos qu’elle ne put
saisir. Il avait l’haleine empreinte de
whisky. Peut-être l’un de ses compagnons
lui en avait-il donné pour aider à raviver
sa circulation.
— Chut. Contentez-vous de vous
reposer. Je vais vous réchauffer.
Elle lui embrassa le cou, heureuse
qu’il lui soit revenu. Elle craignit qu’il
n’ait des engelures tant sa peau était
glacée.
Son corps trembla dans un accès de
frissons. Sa température commençait donc
à remonter, espérait-elle, car il avait à
peine frissonné à son arrivée au château.
— Oh, lady Isobel ! Que faites-vous ?
questionna Jessie dans un murmure effaré.
Elle regarda furtivement la jeune
femme qui se tenait devant la porte en se
couvrant les yeux.
— Je le réchauffe avec mon propre
corps. Si je ne l’avais pas fait, il serait
peut-être mort.
— Oh.
La sœur de Dirk retira ses mains et se
précipita vers le lit.
— Comment va-t-il ? s’enquit-elle.
— De mieux en mieux, je pense.
La guérisseuse reparut et s’approcha
de la couche, les yeux écarquillés et un
petit sourire aux lèvres.
— Voyons s’il se réveillera
suffisamment pour boire un peu de
whisky.
— Je pense qu’il en a déjà eu.
— Alors je vais préparer une infusion.
Après s’être rendue d’un pas traînant à
la cheminée, elle saupoudra une pincée
de feuilles dans une coupe en bois, et
versa de l’eau bouillante par-dessus.
— Je vais surveiller la porte, Isobel,
pour éviter que ne se répande le bruit que
vous êtes couchée auprès de mon frère,
dit Jessie.
Elle se rendit à l’entrée, mais avant
qu’elle ait pu l’atteindre, Rebbie fit
irruption.
— Comment va-t-il ? demanda-t-il en
arquant alors les sourcils. Je vois qu’il
s’amuse plus que moi.
La veuve piqua un fard brûlant.
— Ne soyez pas idiot, lord Rebbinglen
! Je le réchauffe avec mon corps.
— Sale chanceux, marmonna-t-il.
La cadette de Dirk alla dans le couloir
en fermant derrière elle.
— Cela n’a rien d’une blague. Il aurait
pu mourir sans cela.
— Pfff. Je regrette de ne pas avoir
frôlé la mort.
— Allez au diable, Rebbie, grommela
le guerrier.
Sa protégée inspira brusquement, mais
se réjouit qu’il semble plus alerte.
Le comte gloussa.
— Vous voyez, il est parfaitement
lucide. Aussi résistant que les Highlands,
celui-là.
C’est alors qu’elle sentit une bosse
durcir contre sa jambe, tandis qu’elle
était allongée sur MacKay. Oh, Seigneur,
était-ce… ? Avait-il durci ? Toujours
sous les couvertures, elle roula sur le
côté et posa sa main le long de la joue
fraîche de Dirk.
— Vous sentez-vous mieux ?
— Oui.
— Encore mieux que… mieux, je
parie, murmura MacInnis. N’est-ce pas ?
— Certes, confirma le malade d’un ton
monocorde qui ne révélait rien, les yeux
toujours fermés.
— Pourrais-je avoir un moment
d’intimité, je vous prie ? demanda Isobel.
— Bien sûr, dit Rebbie en esquissant
une révérence avant de retourner vers le
couloir.
— Non, vous ne pouvez pas entrer
dans cette chambre, Haldane ! entendit-on
Jessie ordonner derrière la porte.
— Poussez-vous, ma sœur, tonna celui-
ci avant de faire irruption dans la pièce.
— Qu’est-ce… ?
Il posa alors les yeux sur Isobel,
allongée à côté de Dirk.
— Que diable se passe-t-il ici ? Est-ce
une plaisanterie ? s’écria-t-il.
— Il était presque mort de froid. Je ne
faisais que le réchauffer avec mon corps.
Il émit un rire malveillant.
— Mais j’en suis certain.
— Que voulez-vous ? gronda
faiblement le guerrier.
— Ne vous approchez plus d’Aiden.
Vous l’avez presque fait tuer. Et relâchez
McMurdo du cachot. Il n’a commis aucun
crime.
Son aîné grogna.
— Vous êtes un crétin si vous pensez
que je vais exécuter l’une ou l’autre de
vos injonctions.
— Vous n’êtes pas chef ! Vous ne
pouvez ordonner que l’on détienne
quiconque.
— Sortez, Haldane. Et pas un mot à qui
que ce soit, le somma Jessie en essayant
de le pousser vers la porte – en vain, car
étant beaucoup plus imposant qu’elle, il
bougea à peine.
Oh bon sang ! Il allait tout révéler à sa
mère. Elle penserait alors qu’Isobel et
Dirk entretenaient une liaison. Elle ne
ferait peut-être plus autant confiance à la
jeune femme après cela. Ou elle enverrait
quelqu’un prévenir MacLeod que
MacKay lui avait volé sa fiancée. Cette
dernière devrait lui parler et l’assurer
qu’elle essayait seulement de sauver la
vie d’un homme, et non de le séduire.
Haldane se retira d’un pas lourd en
murmurant un juron, et Rebbie le suivit,
laissant à la fugitive l’intimité dont elle
avait grandement besoin. Même si
Nannag était toujours voûtée devant la
cheminée, elle restait concentrée sur ses
herbes apaisantes et la préparation de sa
tisane.
Isobel se glissa hors du lit et se drapa
en hâte de son arisaid comme d’une
couverture, en s’efforçant de ne pas
regarder son sauveur. Elle avait du mal à
croire qu’il pouvait éprouver de
l’excitation, étant donné qu’il était blessé
et presque gelé. Existait-il quoi que ce
soit susceptible de refroidir les ardeurs
d’un homme viril ? Cette réflexion
déclencha chez elle une tout autre sorte de
frissons enfiévrés.
Nannag nettoya le sang sur la plaie du
guerrier afin de mieux l’examiner.
— Il ne s’agit que d’une petite coupure
qui a beaucoup saigné, mais ne
nécessitera pas d’être recousue.
La veuve se réjouit de l’entendre, mais
remarqua que la peau autour de la
minuscule entaille se colorait d’un rouge
violacé.
Un instant plus tard, la guérisseuse
avança la coupe en bois.
— Tenez, monsieur, buvez cela.
Malgré son âge avancé, ce petit bout de
femme était encore énergique et parlait
d’une voix forte.
La veuve aida Dirk à relever la tête de
son oreiller pendant qu’il buvait quelques
gorgées.
— Voilà, c’est bien, dit la vieillarde en
reprenant le récipient.
— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit la
jeune lady en prenant conscience trop tard
qu’elle ignorait si cette personne était
digne de confiance.
— Un mélange pour les blessures au
crâne.
Isobel sourcilla. Les herbes soignaient,
mais tuaient aussi. La guérisseuse
pouvait-elle être un pion de Maighread ?
La fugitive en eut le sang glacé d’effroi.
— N’ayez crainte, ma chère. Cette
recette se passe d’une génération à l’autre
depuis des lustres dans ma famille ; elle a
rétabli plus d’un guerrier, et dissipé la
douleur de nombreuses plaies.
La jeune femme acquiesça, toujours
dubitative quant aux réelles motivations
de Nannag.
— Je vous remercie de le soigner, dit-
elle.
— Je me souviens de l’arrière-grand-
père de cet homme, répondit sa compagne
en souriant avec fierté. Mon devoir est de
servir les chefs MacKay et leurs fils. Et
vous ?
Même si elle se réjouissait de
constater que la vieillarde semblait
loyale, Isobel prit un air méfiant en
s’interrogeant sur ce qu’elle entendait par
cette question.
— Et moi ?
— Pourquoi l’aidez-vous autant, ma
fille ?
Nannag arqua les sourcils dans une
expression perplexe qui creusa les rides
de son front.
— Parce qu’il m’a sauvée. S’il n’était
pas venu à mon secours dans cette
tempête de neige, je ne serais peut-être
pas en vie aujourd’hui.
Bien entendu, ce n’était pas l’unique
raison, mais il s’agissait de la seule
qu’elle était disposée à fournir. Personne
n’avait à savoir combien elle tenait à lui.
La guérisseuse lui adressa un sourire
espiègle.
— Alors, ma chère petite, vous avez de
la chance qu’il vous ait trouvée.
Elle rassembla ses affaires et se
dandina jusqu’à la sortie, où elle croisa
Aiden et Erskine.
Ils entrèrent et s’approchèrent du lit.
— Comment vous sentez-vous, mon
frère ? demanda le jeune chef.
Dirk ouvrit les yeux.
— Je vais bien, les gars. Dites à
Keegan et au reste du clan que je
survivrai.
— Je monterai la garde à l’entrée si
vous avez besoin de quoi que ce soit,
annonça le fils du porteur de glaive.
— Je vous remercie.
Son puîné lui souhaita « bonne nuit » et
prit congé. Erskine se retira dans le
couloir et ferma la porte.
Toujours curieuse quant à ce qu’avait
insinué la vieille dame en l’interrogeant
sur ses raisons d’aider le guerrier, Isobel
laissa son regard vagabonder vers celui-
ci. Elle fut surprise de s’apercevoir qu’il
l’observait.
Elle se pencha en avant et plaça sa
main le long de la joue râpeuse de
MacKay. La peau de celui-ci n’était pas
encore revenue à une température
normale, mais se révélait moins fraîche
que précédemment.
— Vous avez toujours froid ?
— Non. Je vous remercie de m’avoir
réchauffé. Je crois bien que personne
d’autre au sein du clan n’aurait fait
comme vous. Et je ne l’aurais pas voulu
non plus.
— Mais cela ne vous a pas gêné que je
partage ainsi ma température avec vous ?
Il s’esclaffa brièvement, puis ferma
soudain les yeux dans un grommellement,
comme si ce rire l’avait fait souffrir.
— Non. Votre chaleur était divine. Je
ne m’étais pas rendu compte combien
j’étais glacé.
Elle aurait dû éprouver de l’embarras,
mais ce n’était pas le cas. En outre, elle
ne s’était pas dénudée, et n’avait donc
rien fait d’affreusement scandaleux.
— C’était indispensable. Je ne voulais
pas que vous mouriez de froid.
— Je ne suis pas si délicat.
Il toucha sa blessure, puis sourcilla.
— Est-ce douloureux ? s’enquit-elle.
— Pas trop. Maudit McMurdo.
— Vous l’avez fait enfermer dans le
donjon ?
— Oui. J’ai hâte de pouvoir interroger
ce bâtard.
Elle prit le linge dans le bol en bois
rempli d’eau brûlante que la bonne avait
apporté, et tamponna le sang restant sur le
front de Dirk.
— Je vais nettoyer doucement la plaie
en espérant que l’épanchement ne
reprenne pas. Nannag a affirmé que vous
n’auriez pas besoin d’être recousu.
Il s’agissait plus d’une contusion que
d’une entaille.
MacKay marmonna et baissa les
paupières, l’air grandement délassé. Il
demeura immobile pendant qu’elle
retirait le sang qu’il avait sur la tête et
dans les cheveux. Il se mit à respirer
profondément, comme s’il s’était
endormi. Qu’y avait-il donc dans cette
tisane ?
Il murmura, tel un somnambule, des
propos qu’elle ne put comprendre. Sa
domestique disait à Isobel qu’elle faisait
cela en permanence.
— Allez, vous devez dormir et guérir,
mo chridhe 4, déclara la jeune veuve.
Elle lui embrassa la tempe, à distance
de la coupure. Seigneur, il paraissait bien
plus chaud à présent. Il n’allait tout de
même pas attraper de la fièvre. Elle
appuya à nouveau ses lèvres sur la peau
du guerrier, plus pour vérifier sa
température que pour l’embrasser, mais
l’excuse était bonne pour en profiter.
— Hmm, soupira-t-il avant de
marmotter d’autres paroles, paraissant
une fois encore excité.
Il entrouvrit les yeux, et de sa main
posée sur le bras de sa compagne, attira
celle-ci à lui.
Elle couina de surprise.
— Je pensais que vous vous
endormiez. Que faites-vous ? Dirk ?
— Oui, chuchota-t-il en l’incitant à
s’approcher plus avant.
Ébauchant un léger sourire, il leva la
tête et embrassa la jeune femme sur les
lèvres. Il n’était assurément pas assez
rétabli pour cela. Mais… Hmm. Sa
bouche sentait l’homme, le whisky et la
tisane à la menthe. Elle se serait
joyeusement délectée de lui, mais ce
n’était guère le moment.
— Dirk ? dit-elle entre deux de ses
baisers insistants. Savez-vous au moins
qui je suis ?
— Hmm, hmm…
Il l’entraîna de tout son long sur le lit à
côté de lui et roula à moitié sur elle.
— Ma douce Isobel.
Ses baisers se firent plus exigeants et
plus passionnés. Plus grisants. Même si
elle aurait pu l’arrêter, elle n’en avait
guère l’intention.
« Ma douce Isobel » ? Non seulement
il se souvenait d’elle, mais il la clamait
sienne. Se trouvait-il en proie à quelque
rêve enfiévré ? L’infusion l’avait-elle
drogué ? Ou était-ce la continuation de ce
qu’ils avaient entamé plus tôt ce soir-là ?
Dans les deux cas, elle ne pouvait résister
à sa bouche ardente au goût d’ambroisie.
Glissant sa main le long du dos
d’Isobel jusqu’à son derrière, il l’attira
fermement contre lui afin que leurs
bassins se touchent. L’ayant déshabillé,
elle savait qu’il était nu sous les
couvertures. À présent, elle sentait sa
virilité dressée contre elle. Cette
impression irrésistible et enchanteresse
lui donnait envie de réduire encore la
distance entre eux.
Elle en savait peu sur le corps des
hommes, et n’avait eu qu’un aperçu de
ceux-ci en tenue d’Adam. Son défunt mari
et elle-même avaient toujours dormi dans
une chambre plongée dans l’obscurité ou
faiblement éclairée. Elle connaissait à
peine la sensation d’un attribut masculin
contre sa peau. Elle avait l’occasion d’en
faire l’expérience, avec suffisamment
d’audace. Rassemblant tout son courage,
elle fit descendre sa main sur les muscles
sculptés et la fine couche de poils
qu’arboraient la poitrine et l’estomac de
Dirk, puis parcourut du bout des doigts le
membre du guerrier qui se révélait aussi
enflammé que sa tête quelques instants
plus tôt. Fasciné, elle découvrit qu’il était
dur comme du bois, mais doux et soyeux.
L’instinct de la jeune veuve se réveilla, et
son corps s’anima au contact de celui de
son partenaire. Elle prit son sexe entre
ses mains, et le pressa, en éprouvant la
fermeté. Captivant.
Dirk émit un rugissement.
— Isobel ?
— Oui.
— J’ai envie de vous, souffla-t-il d’un
ton passionné entre deux baisers.
Le cœur de la jeune femme battit
comme des ailes de papillon et des
larmes lui montèrent aux yeux. Il la
désirait, et d’une certaine façon, elle
devinait que ce n’était pas seulement
physique.
Du moins, elle espérait qu’il la voulait
depuis aussi longtemps qu’elle se
languissait de lui.
Il se baissa et effleura de son visage
les seins de sa protégée encore
recouverts par la blouse. Elle sentit alors
ses tétons picoter et durcir. Elle retint son
souffle, ne pouvant s’empêcher d’appuyer
sa poitrine contre la figure de MacKay,
cruellement en manque de lui. À travers
le tissu, il prit un mamelon entre ses
lèvres et le mordilla.
Les délicieuses sensations déclenchées
dans tout son être la firent gémir. Dieux
du ciel, aucun homme ne lui avait jamais
fait cela. Elle n’avait pas supposé que
cela faisait partie des rapports sexuels. Il
dégrafa la chemise de la jeune femme et
la lui descendit en dessous des épaules,
lui plaquant ainsi les bras le long du
corps. Mais elle adorait cette impression
d’être sa prisonnière. Elle n’aurait voulu
se trouver nulle part ailleurs. Baissant un
peu plus le vêtement, il libéra les seins
d’Isobel, puis referma ses lèvres sur l’un
d’eux, en aspirant l’extrémité dans sa
bouche brûlante. Avec des râles sensuels,
il lécha, suça, attisant à chaque instant
l’ardeur de la fugitive. Oh, quelle
délicieuse folie ! Se tortillant contre lui,
dans une envie toujours plus pressante,
elle en perdait presque haleine.
Il lui retroussa la blouse en haut des
cuisses, caressant de sa main chaude la
peau nue.
— Hmm, si douce, murmura-t-il, avant
de diriger ses doigts vers l’entrejambe de
sa compagne.
Il tira sur l’autre téton avec ses lèvres,
puis le gratifia de petits coups de langue
tandis que sa paume se déplaçait vers le
point le plus sensible de sa partenaire. Ce
même endroit qui s’animait de
fourmillements dès qu’il la touchait.
Malgré une angoisse persistante, étant
donné son manque d’expérience en la
matière, elle écarta légèrement les
cuisses, dans une invite impatiente. Il
effleura à peine les boucles de sa toison.
Oh, dieux du ciel, elle éprouvait des
difficultés à respirer ! Elle avait du mal à
croire les sensations puissantes et
ensorcelantes que suscitaient ses doigts.
Elle s’agrippa fermement à lui, espérant
qu’il soulagerait la douleur qui vrillait
ses entrailles.
Il la caressa avec davantage de
vigueur, souhaitant qu’elle lui cède. Elle
ouvrit plus encore ses jambes, abasourdie
par l’intensité de son envie. Elle avait
attendu des années pour découvrir les
relations intimes. Au départ, cette
perspective l’avait terrifiée. À présent,
même si une infime part d’elle-même
demeurait inquiète, elle était plus que
prête à implorer MacKay. Vivre cette
expérience avec un homme aussi attirant
et aussi attentionné que lui dépasserait
sûrement tout ce qu’elle avait pu
imaginer.
Sans cesser de lui suçoter le mamelon,
il introduisit son majeur… en elle.
— Dirk ? suffoqua-t-elle, car il lui
faisait mal.
Sans souffrir atrocement, elle éprouvait
un désagréable tiraillement.
— Ah… Humide, murmura-t-il.
Puis il fit aller et venir son doigt, avec
délicatesse. Ce mouvement se révéla plus
plaisant à chaque passage jusqu’à ce
qu’Isobel soit presque envoûtée et
tremblante, à la limite de l’insoutenable.
Incapable de comprendre ce qui se
produisait en elle.
Elle remua pour libérer ses bras de sa
blouse. Y parvenant enfin, elle glissa sa
main jusqu’au membre de son sauveur, à
présent dur comme le roc, incroyablement
excitée par ce contact. Son corps avait
besoin de celui de Dirk au-delà de ce
qu’elle aurait pu concevoir. Quelque
fougueux instinct la possédait.
— Je vous veux. Et je me languis de
vous, chuchota-t-elle en parsemant ses
lèvres de petits coups de langue.
Il gémit, écarta violemment la
couverture et la chemise entravant son
chemin, et s’installa nu entre les jambes
d’Isobel.
— Vilaine fille, susurra-t-il contre sa
bouche.
Certes, elle craignait de l’être
terriblement, mais pour le moment, elle
n’en avait cure. Elle l’embrassa en lui
labourant les cheveux du bout des doigts.
Il lui dévora les lèvres en rugissant, puis
se redressa contre elle. Sa virilité
taquinait par petites pressions l’antre de
la jeune femme, déclenchant chez elle une
autre vague de désir plus intense. Elle
retint son souffle et écarta encore les
jambes, redoutant de souffrir, mais
n’accordant en même temps aucune
importance à son appréhension. Son envie
de lui surpassait sa peur de la douleur.
Il serra les dents et geignit de nouveau,
puis sembla concentré tandis qu’il
s’élançait, essayant de pénétrer lentement
en elle. Mais leurs corps ne se
correspondaient pas. Le guerrier était
bien trop large pour sa partenaire.
— Oh, non. Et si… ?
Elle en eut la respiration coupée. Et
s’il ne lui convenait vraiment pas ? Et s’il
était trop imposant au point de gravement
la blesser ?
Lorsqu’il marqua une pause, elle eut
peur qu’il ne change d’avis.
— Ne vous arrêtez pas, le supplia-t-
elle, en commençant à paniquer. Prenez-
moi.
— C’est… ce que je suis en train de
faire, jeune fille, bredouilla-t-il presque
en chuchotant.
Son sourire ténu la charma et l’aida à
se calmer.
— Restez calme, ajouta-t-il.
— Je le suis.
— Prête à m’accueillir ?
— Oui.
Plus que tout. Elle se mordit la lèvre
et s’arma de courage pour la suite.
Dans l’élan de ses hanches, il la
transperça douloureusement, mais elle se
retint de crier. Malgré les larmes qui
coulaient de ses yeux, elle refusait de le
laisser deviner qu’elle n’était qu’une
vierge inexpérimentée. Peut-être
s’interromprait-il. Par ailleurs, la quasi-
totalité de l’entourage de la lady
supposait qu’elle avait déjà couché avec
un homme. À présent, c’était vrai. En
dépit de sa souffrance, elle se réjouissait
que Dirk soit celui qui ferait d’elle une
femme, plutôt que son ancien époux.
Il marmonna un juron et grinça des
dents.
— Hmm… si serrée, Isobel, souffla-t-
il contre les lèvres de la veuve.
Détendez-vous…
Hésitant, il lui embrassa doucement le
visage, puis lui dévora la bouche ; sa
langue la provoquait une fois encore. Elle
sentit sa douleur se dissiper tandis que
son corps s’habituait au contact et à la
taille de son amant.
Curieusement, malgré la gêne physique,
elle voulait plus encore de cet homme, de
ses mouvements, de son invasion
voluptueuse. Elle avait le corps ardent,
humide et animé de picotements à
l’endroit où il s’unissait à celui de Dirk.
Au fur et à mesure, les élancements les
plus aigus de cette saisissante douleur
s’atténuèrent, et la tension de la jeune
femme s’évanouit. Il s’en était sûrement
aperçu, car il se retira et s’enfonça
aussitôt dans un glissement sensuel.
— Oh ! C’est…
Elle ignorait ce que c’était, mais
trouvait cela délicieux.
Il réitéra l’action, un retrait et une
poussée, plus profonde cette fois. Oh, par
tous les saints, elle en voulait encore, et
bien plus. Elle écarta les jambes,
espérant qu’il lui en donnerait davantage,
même si la brûlante douleur ne l’avait pas
quittée.
Il lui saisit tendrement le postérieur.
Avec un coup de reins, il la pénétra de
nouveau, toujours plus loin.
— Oh. Je n’arrive pas à croire ce que
je ressens.
Des fourmillements ensorcelants de
plaisir. Un bouleversant besoin que son
partenaire la complète. Elle se mordit la
lèvre.
Il marmonna quelque juron et
replongea en elle.
— M’eudail.
Mon trésor ? Elle fondit en entendant
ces mots doux et souleva le bassin pour
rencontrer celui de Dirk. Ce fut
l’étincelle qui embrasa le guerrier. Dans
un gémissement, il s’élança en elle encore
et encore, toujours plus vite à chaque
mouvement. Par tous les saints ! La force
avec laquelle il l’assaillait effraya tout
d’abord Isobel, puis elle comprit. Des
vagues rapides et successives faisaient
déferler de stupéfiantes sensations dans
tout son corps, telles des étoiles qui
explosaient par milliers. Elle suffoqua, ne
pouvant croire la façon dont il se
déplaçait en elle, et la béatitude qui en
découlait. Qui aurait pu imaginer cela ?
Il referma la bouche sur celle de sa
compagne, capturant ses halètements et
ses cris. Il se mouvait en elle, mais ne lui
infligeait plus de réelle douleur. À chaque
pénétration il la portait plus haut jusqu’à
ce qu’elle ne puisse plus respirer. Elle se
trouvait enserrée dans un étau de plaisir
intense, et Dirk l’entraîna tout entière
dans une frénésie dévastatrice de bonheur
mêlé de souffrance. Elle s’agrippa aux
reins musculeux de son amant, à ses
hanches souples et puissantes, dans une
tentative de le retenir en elle. Cela
n’avait aucun sens. Mais elle ne parvenait
pas à réfléchir. Cet avide besoin la
secouait, refusait de la quitter.
Le guerrier s’arqua vers le haut, puis
s’enfonça profondément en elle, laissant
échapper un gémissement passionné et
guttural. Une onde de chaleur se répandit
dans le bas-ventre d’Isobel tandis que son
sauveur tremblait en son antre, et qu’elle
l’étreignait de tout son être, désirant ce
qu’il offrait. Oh, dieux du ciel, elle avait
la semence de Dirk… en elle. Son défunt
mari n’avait jamais été en mesure de lui
donner cela. Et elle s’était vu accuser
d’infertilité.
Il s’effondra sur elle, le visage contre
celui de sa compagne, dans un murmure
indistinct de jurons, de louanges et autres
mots doux en gaélique mélangé à de
l’anglais. Elle lui embrassa la joue,
incapable d’assimiler l’ampleur de ce
qu’ils venaient de partager. Malgré la
souffrance, elle avait été comblée de
plaisir. Elle se réjouissait qu’il soit le
premier et unique homme à lui avoir fait
découvrir ce qu’était l’acte d’amour.
Il laissa retomber sa tête sur l’oreiller
et en quelques secondes, son souffle se fit
plus profond. Son corps devint un poids
mort sur la jeune veuve.
— Dirk ? Vous êtes lourd.
Elle le poussa et dans un grognement, il
roula sur le côté. Sa respiration resta
lente et régulière.
Isobel se glissa hors du lit. Une tache
de sang virginal maculait le drap de lin,
ainsi que son partenaire. Après avoir
versé de l’eau propre mais froide du
pichet dans la bassine, elle se lava avec
une serviette et essuya également le
guerrier. Il marmonna quelques propos
pendant qu’elle lui nettoyait son membre,
qui se révélait à présent plus flexible.
Lorsqu’elle eut terminé, son attribut
remua et commença à se redresser. Par
tous les saints ! Il ne pouvait être déjà
prêt pour une nouvelle étreinte.
Elle recula, plaça le linge dans le
récipient de faïence, et observa la scène.
Dirk était étendu sur le dos, et son sexe à
demi érigé bougeait, reposant sur son
bas-ventre. Il n’était plus aussi raide que
quelques instants auparavant, mais il en
faudrait certainement peu pour le rendre
de nouveau dur comme de l’acier.
MacKay était incroyablement viril de
réagir de la sorte, malgré sa blessure et la
fièvre, ou quoi que ce soit d’autre qui
n’allait pas chez lui. Peut-être était-ce la
combinaison du whisky et de la
décoction.
Elle sourit, se demandant si elle oserait
retourner dans le lit de son amant cette
nuit-là. Elle éprouvait une douleur entre
les jambes, sa chair rompue piquait, mais
elle se sentait imprégnée d’une chaleur
satisfaite. Lorsqu’elle se remémora
l’extraordinaire plaisir qu’elle avait
connu, cette sensation fit place à un
fourmillement intrigant et torride.
Incapable de résister, elle retira sa
blouse, la posa négligemment et se faufila
derechef dans la couche auprès du
guerrier. Elle lui embrassa l’épaule et la
poitrine. Dans un gémissement, il l’attira
sur lui pour l’allonger sur sa virilité
triomphante, puis lui captura les lèvres.
— Insatiable gamine, murmura-t-il en
souriant.
Il avait raison. Elle n’était jamais
rassasiée de ses baisers ni de son corps
puissant. Tandis qu’elle coula sa langue
dans la bouche de Dirk, il se saisit de son
postérieur, puis lui écarta les cuisses.
— Chevauchez-moi, chuchota-t-il.
Elle n’était pas certaine d’avoir
compris sa requête. Mais il glissa sa main
entre leurs corps, et se plaça devant
l’intimité d’Isobel. Lentement, il
s’introduisit.
La douleur transperça la chair tendre et
meurtrie. Elle inspira dans un sifflement,
et s’efforça de ne pas montrer son
inconfort à son partenaire.
— C’est vous qui tenez les rênes, jeune
fille.
Elle se mit à genoux et le fit pénétrer
en elle. Il gronda à chaque pouce qu’il
parcourait dans son antre.
— Oui, c’est cela. Enfourchez-moi.
Elle se hissa légèrement afin qu’il se
retire un peu, puis se laissa retomber sur
lui. Il adopta aisément le rythme de sa
protégée, et releva les hanches afin de
rencontrer celles d’Isobel. Elle avait peur
d’avoir encore plus mal, mais ce ne fut
pas le cas. À chaque moment qui passait,
à chaque aller et retour, elle sentait son
plaisir augmenter et comprenait aisément
que l’on puisse développer une
dépendance à cette volupté.
Il lui dévora les lèvres, agitant sa
langue à la même cadence qu’elle. Il la
prit par la taille, puis glissa une main sur
sa toison. De son pouce humide, il lui
massa un point particulièrement sensible
jusqu’à la rendre folle. Il lui couvrit la
bouche avec la sienne, capturant ses cris
tandis que l’exaltation la submergeait de
nouveau, l’emportant sur des cimes
inconnues, incitant son corps à se replier
fermement sur celui de Dirk. Il la pénétra
avec davantage d’ardeur, atteignant les
profondeurs d’Isobel où il s’attarda dans
un gémissement rocailleux.
— Damnation, marmonna-t-il.
Après un instant, il se rallongea,
haletant.
— Vous essayez de me tuer ? demanda-
t-il.
— Je pense que vous en avez vu
d’autres, répondit-elle en gloussant.
— Hmm.
Ce son se situait entre le rire et le
ronflement satisfait.
— Fatigué, ajouta-t-il d’une voix
étouffée.
— Oui. Endormez-vous.
Il grommela et ne bougea plus d’un cil.

— Que diable s’est-il passé hier soir,


Isobel ?
Le hurlement la réveilla en sursaut.
Elle fit un bond, ouvrit les yeux, et vit
Dirk planté devant le lit, la dévisageant
d’un air furieux. Nu. Dieux du ciel,
magnifiquement nu ! Elle posa le regard
sur le membre dressé du guerrier, qui
attrapa en hâte son tartan pour se couvrir.
Elle émit un petit rire. Trop tard ! Elle
avait déjà contemplé son charmant
appendice, et éprouvé les sensations qu’il
pouvait procurer.
— Vous étiez plutôt fougueux, hier soir,
le taquina-t-elle.
— Moi ? explosa-t-il.
— Cessez de hurler contre moi !
— Bon sang, Isobel, gronda-t-il en
s’appliquant à ne pas hausser le ton.
Avons-nous… Diantre, je suis sûr que
nous l’avons fait.
— N’en auriez-vous aucun souvenir ?
Elle sentit son estomac se nouer.
— Je pensais l’avoir rêvé, rétorqua-t-
il avant de proférer dans sa barbe de
choquants jurons en gaélique. Pourquoi
m’avez-vous laissé faire… cela ?
Parce que c’était ce qu’elle avait
voulu. Mais, en tant que femme, avait-elle
le droit de tenir de tels propos ? Ou la
jugerait-il scandaleuse ? Il méritait la
vérité.
— Je le désirais autant que vous. Je
vous croyais conscient de nos actes.
— Combien de fois ? l’interrogea-t-il.
— Deux.
Il leva les yeux au ciel comme s’il
avait été foudroyé sur place.
Avec son vêtement de laine placé
délicieusement bas autour de ses hanches,
il fit les cent pas devant le lit.
— Êtes-vous folle ? Et si je… Et si
vous… ?
Il secoua la tête et grommela d’autres
termes orduriers.
Elle se rappela la joie explosive
découlant de ce qu’ils avaient vécu. De
cet incroyable plaisir. Comment ne
pouvait-il pas s’en souvenir ? Certes, ils
s’étaient montrés peu avisés et
imprudents, mais elle avait été incapable
de résister. Peut-être n’était-elle qu’une
horrible dévergondée, elle avait toutefois
partagé avec lui l’une des meilleures
expériences de sa vie. Elle fut humiliée
qu’il n’éprouve pas la même chose
qu’elle. Elle n’ignorait pas que l’honneur
de MacKay était en jeu, mais pour elle,
cette communion physique représentait
bien plus que cela. Elle voulait qu’il
devienne le centre de son existence.
Je l’aime. Oh, Seigneur ! Oui, elle
l’aimait. Elle n’aurait pu se donner tout
entière à lui autrement. Leurs étreintes
n’avaient rien à voir avec le devoir ; il
n’était question que d’émotions croissant
entre eux.
— Je ne comprends pas, reprit-il en
sourcillant, comme en proie à une grande
confusion. Vous n’étiez pas vierge, il y a
pourtant du sang sur les draps.
Il pointa du doigt le milieu du matelas.
— Vous ai-je fait mal ? Dites-moi que
je ne vous ai pas violée.
— Non. J’étais consentante.
— Pourquoi y a-t-il donc cette tache ?
— La vérité, c’est que… j’étais vierge.

4 « Mon cœur » en gaélique. (NdT)


Chapitre 17

« Vierge » ?
Que diable… ? Posté à côté du lit,
Dirk gardait les yeux rivés sur Isobel,
vêtue d’un simple drap et toujours
allongée de façon tentante sur la couche.
Il s’efforça de rester concentré sur cette
information qui ne se raccordait à aucun
autre élément.
— Vous prétendiez avoir été mariée !
Une veuve ! Est-ce un mensonge ?
— Cessez de hurler ! J’ai dit la vérité.
Elle continua de l’observer d’un œil
noir, mais reprit d’une voix plus douce :
— Mon époux était incapable
d’accomplir son devoir conjugal. Il a été
malade presque tout le temps où je l’ai
connu.
Il sourcilla. Tant d’émotions
contradictoires tourbillonnaient en lui
qu’il n’était pas sûr de savoir ce qu’il
éprouvait vraiment.
— Vous n’avez jamais fait l’amour
avec votre conjoint ?
Elle secoua la tête en guise de
dénégation.
— Tout le monde pensait pourtant que
c’était le cas. Il m’a suppliée de ne pas le
révéler, car il en avait honte. Le clan
l’aurait considéré comme un homme
faible. Ils ont donc tous supputé que
j’étais stérile.
Même si cela pouvait paraître
malveillant, une part du guerrier se
réjouissait que le vieux comte n’ait pu
remplir ses obligations maritales. Le côté
primitif de Dirk était plus qu’enchanté
d’avoir été le premier partenaire de la
jeune veuve. Mais sa raison avait
conscience que les ennuis se profilaient.
Un individu honorable ne se contentait
pas de passer son chemin après avoir
défloré une femme.
Comment était-il possible qu’une
innocente l’ait séduit ? Ou était-ce lui qui
l’avait charmée ? Comment diable avait-
il pu perdre ainsi son sang-froid et
prendre une créature qu’il n’avait jamais
envisagé de posséder ? Certes, il l’avait
voulu, mais avait été persuadé de pouvoir
résister. Était-il fou ? Non. Les herbes
médicinales, se souvint-il soudain. Isobel
l’avait-elle drogué avec l’aide de la
guérisseuse ?
— Mais comment est-ce que tout cela
est arrivé ? demanda-t-il en désignant
l’espace entre le matelas, sa compagne et
lui-même.
Elle était allongée sur le flanc, plus
qu’attirante, qu’elle en ait eu l’intention
ou pas, uniquement couverte du drap et
d’un plaid. Elle fit dériver son regard
sombre vers la poitrine de Dirk.
— Je croyais que vous aviez de
l’expérience en la matière.
Il poussa un soupir exaspéré.
— C’est le cas. Mais comment avons-
nous fini au lit ensemble, précisément ?
Je me rappelle que j’avais très froid et
que vous m’êtes montée dessus pour me
réchauffer.
Il s’était alors retrouvé au paradis.
— Oui. Vous étiez presque gelé après
votre chute à l’eau dans la grotte, puis la
longue marche dans le vent glacial.
— J’apprécie votre aide. Je me
souviens des élancements dans mon
crâne… Puis Nannag m’a donné une
tisane à boire. Qu’y avait-il dedans ?
— Elle m’a dit que cela apaisait la
douleur. Je ne suis pas guérisseuse et j’en
sais très peu sur les simples.
Il ne décelait aucune trahison dans ses
yeux. Peut-être se montrait-elle honnête et
n’avait-elle joué aucun rôle dans quelque
complot pour le droguer.
— Comment cela nous a-t-il menés
jusque-là ? interrogea-t-il en montrant la
couche.
— Eh bien… Je vous ai embrassé le
front et vous vous êtes emparé de moi.
— Vraiment ? Par tous les saints,
grommela-t-il en rougissant.
Il n’avait jamais été agressif envers les
femmes, sauf lorsqu’elles le réclamaient.
— Vous avez commencé à
m’embrasser, et… dieux du ciel…
l’atmosphère s’est réchauffée. Vous avez
ensuite passé votre bouche sur mes seins,
avant de les téter. La sensation était
époustouflante, et…
— Assez !
Damnation, il avait déjà
douloureusement envie d’elle. Inutile
d’attiser davantage le feu de sa passion.
Elle l’excitait comme aucune autre
partenaire auparavant, et à présent, le
rempart qu’il avait érigé autour de son
désir semblait avoir été abattu.
— Je pensais que vous vouliez des
explications de ma part, se défendit-elle.
— Il n’est pas nécessaire de donner
autant de détails. Cela fait remonter le
peu de souvenirs que j’en ai gardés. Et
vous pourriez être…
Un curieux mélange de peur et d’espoir
entrava le cours de ses propos. À quoi
songeait-il ? Il ne craignait rien. Mais tout
cela était si soudain et si bouleversant.
— Quoi ? demanda-t-elle.
Il expira un soupir réprimé.
— Vous pourriez être enceinte. Bon
sang ! Êtes-vous folle, jeune fille ?
— Ce n’était pas ma faute. Vous
m’avez fait succomber avec vos
irrésistibles baisers.
Des baisers. Certes, il aimait
l’embrasser, et en avait envie à cet instant
même. Il se força à lui tourner le dos et
s’éloigner à grandes enjambées.
— La plupart des chefs veulent une
descendance, vous savez, déclara-t-elle.
N’aurez-vous pas besoin d’un fils quand
vous reprendrez le titre ?
Il pivota sur ses talons.
— Vous êtes fiancée à un autre meneur
de clan !
Si elle portait son bébé, cet enfant
pourrait devenir son héritier – s’il
s’agissait d’un garçon – à la seule
condition que Dirk épouse Isobel.
Elle haussa les épaules.
— Cela m’importe peu.
— Vous devriez pourtant vous en
inquiéter. Cela pourrait déclencher une
guerre de clans.
Diable, il ne pouvait prendre un jour la
tête d’un peuple, puis mener celui-ci à la
bataille le lendemain, au simple motif
qu’il était incapable de maîtriser ses
pulsions avec la promise vierge de son
voisin. Ce comportement était plus
qu’irresponsable. Et MacKay n’avait
jamais fait preuve d’insouciance jusque-
là.
Elle sourcilla.
— Pensez-vous que les MacLeod
attaqueraient votre famille pour cela ? Ou
la mienne ?
— Peut-être. Votre frère devra
certainement négocier un arrangement
avec eux et leur faire un cadeau.
— S’il était disposé à leur céder les
terres, ils s’en verraient apaisés. Ils ne
voulaient rien d’autre de toute façon.
Il acquiesça.
— S’ils découvrent que vous êtes ici,
ils pourraient lancer l’assaut quoi qu’il
advienne, qu’ils aient conclu un accord
ou pas. On a entamé des conflits pour
bien moins que cela.
L’air maussade, elle riva les yeux au
sol.
— Je devrais retourner parmi les
miens.
Une lame d’effroi transperça Dirk en
plein estomac. Il avait peur de ne jamais
être capable de la laisser partir. Son
instinct de possession était avivé et il
n’imaginait pas son existence sans cette
femme.
— Non. Je ne puis vous ramener là-bas
pour l’instant. C’est l’hiver. Le vent
souffle trop violemment pour voyager par
la mer. Et traverser le territoire des
MacLeod serait du pur suicide sans une
armée pour contrer leur inévitable
attaque.
— Je suppose que je suis obligée de
rester jusqu’au printemps. D’ici là, nous
saurons si je suis enceinte.
Il serra les dents, imaginant ce corps
voluptueux arrondi par son enfant. Au-
delà du fait qu’il trouvait cette scène plus
que séduisante, il n’avait jamais pensé à
la paternité auparavant. Sa vie avait
toujours été trop instable. Durant les dix
dernières années, il n’avait guère fait plus
que voyager avec ses amis. Mais
désormais, tout cela était derrière lui. On
allait peut-être l’élire chef ce jour-là. Ce
qui induisait qu’il s’installerait, dirigerait
son clan et se marierait. Il n’avait pas
prévu de chercher une épouse aussi tôt.
Peut-être au bout d’un an ou deux, une
fois qu’il se serait accoutumé à sa
nouvelle fonction.
Mais si Isobel portait son bébé, il
devrait la prendre pour femme. Non que
cette pensée lui parût infernale une seule
seconde. S’unir à elle se révélerait
assurément édénique. Mais qu’en serait-il
de son fiancé ? La dernière chose que le
guerrier souhaitait était un affrontement
avec les MacLeod.
Elle était vierge jusque-là. Il secoua la
tête. S’était-il montré brusque avec elle ?
Il se rappelait à peine l’avoir prise. Ses
réminiscences ressemblaient davantage à
un rêve enfiévré, vague, mais le souvenir
demeurait. Il n’avait pas oublié le plaisir
éprouvé. Deux rapports étaient plus que
suffisants pour la mettre enceinte.
— Je vais devoir demander votre
main. Je n’aurai guère d’autre choix,
annonça-t-il.
Elle fronça les sourcils.
— C’est faux. Si vous ne voulez pas
m’épouser, alors ne le faites pas,
répondit-elle en lui tournant le dos.
Auriez-vous l’amabilité de quitter la
pièce, s’il vous plaît ? Je vais m’habiller
et vous laisser tranquille.
Damnation ! C’était donc fait : il
l’avait blessée. Il n’était pas habitué à la
sensibilité féminine.
— Je vous prie de m’excuser, reprit-il.
Mais comme vous le disiez, vous portez
peut-être mon enfant. Mon héritier.
Il fut pris de vertige. Cette sensation
résultait-elle de son coup sur la tête, des
herbes, ou de ces événements si
précipités ? Il avait du mal à croire
qu’elle avait peut-être déjà conçu son
premier fils avant même qu’il devienne
laird.
Elle haussa les épaules.
— Vous semblez y accorder peu
d’importance.
— J’y prête le plus grand intérêt,
soyez-en persuadée.
Elle se redressa en position assise,
dissimulée par la couverture, l’observant
furieusement de ses yeux sombres et
envoûtants.
— Vous me désiriez, l’accusa-t-elle.
— Oui, c’est vrai.
Et c’est encore le cas. À cet instant
précis. Il ne pouvait lui dire cela. Ils
n’avaient guère besoin d’une nouvelle
étreinte pour s’assurer qu’elle serait
enceinte. Il doutait de s’être retiré à
temps avant de jouir en elle, comme il
l’avait fait avec d’autres veuves.
— Vous m’avez attirée dans votre lit,
fulmina-t-elle en le pointant du doigt. Ne
me tenez donc pas responsable de tout
cela.
— Ce n’est pas votre faute. Je suis le
seul à blâmer.
Sans l’influence des plantes
médicinales, il aurait peut-être davantage
gardé son sang-froid, mais quand bien
même, il l’avait désirée depuis leur
première rencontre.
En son for intérieur, une voix soufflait
au guerrier que cette créature était
destinée à être sienne. Mais en même
temps, l’idée paraissait trop belle pour
être vraie. Ce qui le rendait méfiant.
Il fut pris d’un accès de rage et de
jalousie en imaginant Isobel avec
MacLeod. Non, il lui fallait l’épouser.
Mais il avait besoin d’obtenir la
permission de Cyrus ; dans le cas
contraire, il serait considéré comme un
voleur de promise et un ravisseur.
L’honneur n’était pas un vain mot pour
lui, et il ne s’était pas comporté de façon
respectable. À ses yeux, enlever la
fiancée de Torrin pour l’épouser n’avait
rien d’une offense mineure. Le clan de
son rival se vengerait. Dirk refusait
qu’une guerre éclate, que du sang soit
versé et que des vies soient sacrifiées
pour la stupide erreur qu’il avait
commise. Il devrait indubitablement
donner à son adversaire un présent de
grande valeur pour que la paix règne de
nouveau.
— Quel maudit désordre, marmonna-t-
il en frottant sa barbe naissante et drue.
— Je ne veux pas être un fardeau pour
vous, grommela Isobel en se glissant au
bord du lit. Elle tendit le bras pour
prendre sa blouse parmi le tas de
vêtements par terre, dans des gestes
brusques et empreints de courroux.
— Comme je vous l’ai déjà expliqué,
je souhaite un mari qui tienne à moi. Si
vous n’en êtes pas capable, alors je vais
prendre congé.
— Damnation, Isobel ! Je tiens à vous.
— Je ne vous crois pas. Je ne
représente qu’une contrariété à vos yeux.
— Pas vous, plutôt la situation.
— La situation avec moi.
— J’espère que vous pouvez me
pardonner, dit-il d’un ton plus doux. Je
dois faire preuve de diplomatie envers
MacLeod et votre frère, ou cette histoire
va m’éclater à la figure. Et je ne suis
même pas encore à la tête du clan. Je
voulais faire les choses dans un certain
ordre. À présent, c’est la confusion totale.
D’autres seigneurs remettront en question
mon honneur. Ils me considéreront comme
un hors-la-loi et un ravisseur pour avoir
enlevé la promise d’un chef voisin.
— Très bien. Je suis navrée d’avoir
souillé votre immaculée respectabilité et
votre réputation sans tache, monseigneur.
Qu’il soit damné si cette femme n’avait
pas le verbe impertinent. Il fut tenté de la
faire taire avec un baiser fougueux.
On frappa plusieurs coups à la porte.
— Dirk ? Vous sentez-vous mieux ?
lança Rebbie dans le couloir.
— Oui.
Le loquet cliqueta sans céder. Le
guerrier avait barricadé l’entrée un peu
plus tôt afin que personne ne fasse
irruption et trouve Isobel dans son lit. Il
espérait ne pas avoir été aperçu avec elle
pendant qu’ils dormaient.
— C’est l’heure de l’audience,
annonça MacInnis, la voix étouffée
derrière le vantail en bois. Tout le monde
est rassemblé dans la grande salle.
— Je serai là dans un instant. Je
m’habille.
Ou du moins, il s’y apprêtait. Il ne
souhaitait guère lâcher son tartan et
donner ainsi un aperçu de sa nudité à la
jeune femme. Il ne voulait pas non plus
lui montrer combien elle l’émouvait dès
qu’il était en sa présence. Il se languissait
d’elle, et les souvenirs brumeux de la
veille ne faisaient que le narguer et attiser
plus encore son envie. Il se retourna
furtivement vers Isobel tandis qu’elle
laçait son arisaid.
— Ne laissez surtout pas Maighread
découvrir ce qui s’est passé entre nous,
déclara-t-il.
— Pourquoi ? En auriez-vous honte ?
— Non, gronda-t-il. Elle s’en servira
contre moi. Elle fera absolument tout pour
m’atteindre, y compris vous blesser.
— Eh bien, vous vous rappelez
forcément que Haldane nous a vus au lit
ensemble hier soir pendant que je vous
réchauffais. Elle en conclura donc le pire.
Enfer ! Il avait oublié cela. Toutes les
images de la veille étaient floues.
— Elle ne me ferait pas de mal,
assurément, sachant qui était ma mère. Si
?
— Ne soyez pas aussi naïve, Isobel. Et
ne sous-estimez jamais cette harpie. C’est
un serpent venimeux rampant dans
l’herbe.
— Je ne révélerai évidemment rien sur
la nuit que nous avons passée ensemble,
ajouta-t-elle faiblement, les yeux rivés au
sol pour éviter son regard.
Il voulait lui demander de ne pas être
en colère à son encontre. Il faisait de son
mieux. Mais là encore, il tiendrait
probablement des propos confus. Elle
était la première femme avec laquelle il
avait partagé plus qu’une conversation
éphémère – ou une couche. Il savait
comment s’adresser aux hommes de façon
directe et franche, sans se soucier s’ils
appréciaient ou non ce qu’il leur disait.
Les dames réagissaient autrement.
Elles prenaient mal les choses et le
moindre affront les blessait. Il devrait
penser à soigneusement peser ses mots
avant de parler plus avant à sa compagne.
Diable, comme elle le tentait. Il ne
désirait rien plus que s’emparer d’elle, la
ramener sur le lit et dévorer ses lèvres
roses. Il mourait d’envie de se remémorer
le moindre détail voluptueux de ce qu’ils
avaient vécu, mais les herbes avaient
troublé ses souvenirs.
— Du pavot, lança-t-il.
— Pardon ?
— Nannag a dû en mettre dans cette
tisane.
Il se rappelait à présent les effets de
l’opium, car il en avait déjà consommé,
après une blessure au combat.
— J’ignorais qu’elle vous en
donnerait.
— Ne vous inquiétez pas de cela.
Il se réjouissait simplement de savoir
pourquoi il avait perdu son sang-froid
avec une telle facilité.
À présent habillée, elle s’approcha de
la porte, puis le regarda furtivement par-
dessus son épaule.
— Je vous verrai à l’audience.
Regrettant de ne pouvoir s’exprimer
davantage, il hocha la tête, l’observant
tandis qu’elle se retirait.
Elle serait à nouveau sienne, décida-t-
il. Mais il agirait convenablement la
prochaine fois. Il obtiendrait le
consentement de Cyrus, et épouserait
cette femme. Il ne pourrait la toucher
d’ici là.
— Je vous avais dit qu’Isobel était sa
traînée, déclara Haldane à sa mère dans
la salle supérieure, où se déversait le
soleil du matin.
— De quoi parlez-vous ? J’ai entendu
qu’elle essayait de le réchauffer parce
qu’il était tombé à l’eau.
Bien entendu, un tel comportement était
indécent, surtout parce que la veuve était
une lady, et non une guérisseuse.
— Eh bien, il a mis du temps à dégeler,
car elle n’a pas quitté la chambre de Dirk
et n’est jamais retournée dans la sienne
de toute la nuit.
— Comment savez-vous cela ?
demanda-t-elle avec autorité. Vous
l’espionnez ?
— Pas personnellement. Une des
bonnes garde un œil sur elle pour moi.
Il sourit, la laissant s’interroger sur les
autres services que cette domestique lui
rendait.
Plus important que cela, que diable
faisait Isobel MacKenzie ? Fiancée à un
chef, et maîtresse d’un autre ? Elle jouait
avec un feu susceptible de consumer les
MacKay et les MacLeod.
Dirk était-il amoureux d’elle ? Si cette
jeune femme n’avait été la fille de sa
meilleure amie, Maighread aurait envoyé
une missive à Torrin si rapidement qu’il
l’aurait crue soufflée jusqu’à lui par une
violente tempête.
Même si elle souhaitait que son beau-
fils se trouve de quelque manière en
danger, elle ne voulait pas mettre la
veuve en péril, mais cette dernière ne
faisait guère preuve de prudence – ni de
distinction.
— Je vous remercie de m’en avoir
informée, Haldane. Je m’occuperai d’eux.
Il acquiesça et quitta la pièce.
Aiden attendait toujours à la porte.
— Vous désiriez vous entretenir avec
moi ?
— Vous allez m’emmener voir
McMurdo, répondit-elle.
— Non, mère. Le donjon est un endroit
répugnant.
— Pensez-vous que cela m’importe ?
Vous allez ordonner aux geôliers de me
laisser entrer. Vous êtes encore le
seigneur… jusqu’à l’audience, du moins.
Le clan se ralliera peut-être du côté de
l’imposteur, mais la bataille n’est pas
terminée.
— Je ne crois pas que vous devriez
rencontrer cet individu ni lui parler. C’est
un dangereux criminel susceptible de
vous faire du mal.
— Il ne pourra pas me toucher !
Aiden plissa les yeux.
— Quels sont vos plans ?
Pourquoi son fils remettait-il ses
desseins en question à présent ? Il ne se
l’était jamais autorisé auparavant.
— Je ne vais pas le faire échapper. Il
mérite d’être enfermé. Après tout, c’est
un meurtrier, mais j’ai besoin de
m’entretenir avec lui quelques minutes au
sujet de la tombe qu’il s’est offerte, en
payant votre père et l’Église.
— Très bien, mais je dois vous
demander un service.
— Tout ce que vous voudrez, mon cher.
Ignorez-vous que je ferais n’importe quoi
pour votre bien ? roucoula-t-elle,
espérant que son naïf de garçon la
croirait.
— Je compterai donc sur votre parole.
Je souhaite que vous laissiez Dirk
tranquille. Que vous ne lui fassiez aucun
mal, ni n’engagiez qui que ce soit pour
s’en charger.
— Mais enfin, Aiden, s’indigna-t-elle
de la façon la plus théâtrale qu’elle
puisse feindre, n’étant pas le moins du
monde surprise qu’il prenne le parti de
son aîné. Quel genre de personne pensez-
vous que je sois ? Je ne m’en prendrais
jamais à quiconque, que ce soit un
usurpateur ou pas. Je refuse simplement
qu’il accapare ce qui vous revient de
droit.
— Je ne comprends pas comment vous
pouvez dire cela, en sachant qu’il est le
fils de père.
— Désolée, mais honnêtement, je ne
crois pas qu’il s’agisse de votre frère.
Il la dévisagea d’un regard empli
d’intelligence, et elle se demanda s’il
allait la croire. Peut-être n’avait-elle pas
eu l’air assez sincère.
Une choquante pensée vint à l’esprit de
Maighread. Était-ce lui qui avait
conseillé à MacKay et ses hommes de se
lancer à la poursuite de McMurdo ? Ils
avaient bien su d’une façon ou d’une autre
qu’elle devait rencontrer le bandit à
l’église. À son arrivée, les lieux étaient
déserts. Deux heures plus tard, son
complice se trouvait au cachot, tandis
qu’Aiden et Dirk étaient revenus trempés.
Ils avaient forcément été ensemble.
Son fils n’était qu’un petit traître.
Alors qu’elle courait tous les risques
pour lui ! N’avait-il donc pas conscience
qu’être chef était l’unique moyen de
garantir à son cadet et à lui-même un
avenir serein ? Il descendait d’une longue
lignée de puissants meneurs dans le nord
de l’Écosse, mais son seul rêve était de
devenir troubadour. Guère plus qu’un
domestique. Elle était horriblement déçue
à son sujet.
S’il ne voulait pas de ce titre, Haldane
le porterait volontiers. Peu lui importait
lequel, mais l’un de ses deux enfants
prendrait la tête du clan.
— Je ne toucherai pas un cheveu de
l’imposteur, ajouta-t-elle. Eh bien, allons-
y. Vous êtes un bon garçon.
Elle ouvrit le chemin dans le couloir, et
le jeune homme suivit.
Dans l’air venteux du matin, la figure
piquée par les flocons de neige glacials,
ils traversèrent ensemble l’enceinte
pavée. Malgré les regards curieux qu’ils
leur adressèrent, les gardes autorisèrent
Maighread et Aiden à entrer dans le
donjon sans contester. Après l’audience,
si Dirk devenait laird, il interdirait tout
contact entre sa belle-mère et McMurdo.
Son fils avait raison, l’endroit était
lugubre, dégoûtant et humide, mais cela
ne la dissuadait guère. Elle était vêtue de
sa plus vieille tenue.
Le geôlier posa la lanterne à
l’extérieur de la cellule, et la visiteuse
jeta un regard oblique vers celui qui s’y
trouvait enchaîné au mur.
— McMurdo ?
— Oui, milady.
— Allez me chercher Haldane, dit-elle
en se tournant vers son fils.
— Non, je ne vous laisserai pas seule
avec lui.
L’image du frêle Aiden protégeant sa
mère semblait déplacée.
— Il est attaché. Il ne peut pas
s’approcher de moi. Je dois parler à
votre cadet sur-le-champ.
Le jeune homme plissa les yeux, et
répondit en chuchotant :
— Si l’un de vous deux s’avise de
l’aider à s’enfuir, les gardes risquent de
vous blesser, voire vous tuer.
— Nous n’en avons aucune intention,
mon chéri. Me croyez-vous folle ? Je
vous ai dit qu’il méritait de se trouver
exactement là où il est. C’est un
meurtrier. Allez me chercher votre frère.
Il lui lança un dernier regard furieux et
partit d’un pas traînant exécuter les
ordres de sa mère comme il le faisait
toujours. Elle se réjouissait qu’il soit si
facile à manipuler malgré ses scrupules.
Elle se tourna vers le prisonnier.
— McMurdo, écoutez-moi bien. Êtes-
vous éveillé ?
Il grogna, et riva sur elle ses yeux noirs
et perçants.
— Oui.
— Je vous ai versé une grosse somme
pour accomplir une tâche il y a quelques
années. Mais vous n’avez pas terminé le
travail, n’est-ce pas ? Vous m’avez volé
ces mille livres. Vous avez payé à peu
près le même montant pour cette crypte
dans l’église, non ?
Les chaînes émirent un bruit de
ferraille.
— Je le croyais mort. Il est tombé de la
falaise. Je le jure. Je n’ai pas la moindre
idée de la façon dont il a pu en réchapper.
C’est un miracle.
— Mentez autant que vous le voulez. Je
vous fais une autre offre. Achevez votre
mission, ou je récupère mon argent.
— De quelle manière ? Je ne l’ai plus.
— Vous ne serez pas enterré dans votre
luxueuse tombe.
— Non, milady ! Comment vais-je finir
la besogne maintenant ? Je suis enchaîné
au fond d’un cachot.
— Je pourrais trouver quelqu’un pour
vous aider à vous sauver.
— Ah, je vous en supplie, milady.
Sortez-moi de cet enfer, et je ferai tout ce
que vous voudrez. Vous m’autoriserez à
conserver ma tombe, oui ?
— Certes, mais seulement quand
j’aurai vu de mes propres yeux que vous
avez rempli votre tâche. Et je vous
interdis de parler de notre arrangement à
qui que ce soit. Cet entretien n’a jamais
eu lieu.
— C’est d’accord. Je m’en occuperai.
Il baissa la voix et ajouta dans un
murmure :
— Je tuerai Dirk MacKay cette fois.
Chapitre 18

Une demi-heure après qu’elle eut quitté


la chambre de Dirk, on frappa à la porte
de la jeune veuve. Son cœur bondit dans
sa gorge. Pouvait-il s’agir du guerrier ?
Lorsqu’elle ouvrit, elle trouva la sœur
de celui-ci qui attendait, les yeux
écarquillés.
— Isobel, les domestiques colportent
des rumeurs, murmura Jessie.
La fugitive attira sa compagne à
l’intérieur et referma derrière elle.
— À quel sujet ? demanda-t-elle,
soulagée que Beitris soit partie lui
chercher une petite collation puisqu’elle
était absente pour le petit déjeuner.
Et, bien entendu, la bonne avait eu
beaucoup à dire quant aux raisons pour
lesquelles sa maîtresse avait manqué le
repas.
— Ils racontent que vous n’avez pas
quitté la chambre de mon frère de toute la
nuit.
L’intéressée s’empourpra.
— Il est blessé et avait besoin que l’on
reste auprès de lui.
Même si elle considérait la cadette de
son amant comme une nouvelle amie, elle
ne pouvait tout lui confesser.
Jessie haussa l’un de ses sourcils
acajou.
— Que me cachez-vous ?
— Rien.
— Allons, ma chère. Je ne suis pas une
naïve ingénue. J’ai été mariée pendant un
an et un jour.
— Certes.
Elle se rappela ce que la jeune fille lui
avait confié précédemment.
— Et vous êtes veuve. Nous savons
toutes les deux ce qui se passe entre un
homme et une femme dans une chambre.
— En effet.
Ô combien ! Elle ne serait plus jamais
la même après avoir connu une passion si
intense. À présent, elle savait qui
s’amusait vraiment dans la vie. Les
dévergondées. Rien d’étonnant à ce
qu’elles aient toujours l’air si satisfaites
et enjouées.
— Eh bien ? l’encouragea Jessie à
poursuivre.
— C’est-à-dire que… maintenant je le
sais… avec certitude.
Sa compagne sourcilla.
— Qu’est-ce que cela signifie ?
— Mon défunt mari et moi… n’avions
pas de relations. Il était impuissant,
avoua-t-elle en levant la main. Avant que
vous disiez quoi que ce soit, laissez-moi
vous expliquer. Je voulais savoir ce que
c’était. Il me fallait découvrir, réellement,
ce qui se passait durant une relation
intime. J’ai tout de même vingt-cinq ans.
Son amie en fut bouche bée.
— Cette nuit était votre première fois ?
— Oui.
— Mais Dirk est blessé.
— Pensez-vous que cela importe à un
homme ? Il m’a attirée dans ses bras.
La jeune fille prit une courte
inspiration, son regard bleu s’aiguisant, si
semblable à celui de son frère.
— Comment a-t-il osé !
— Mais je n’y voyais aucune
objection.
Isobel sourit tandis qu’une vague de
chaleur la submergeait.
— Vous y avez pris du plaisir ?
s’enquit la cadette de Dirk d’un ton
sceptique.
— Oui, c’était bien plus incroyable
que ce que j’aurais pu imaginer.
— « Incroyable » ? Je n’emploierais
pas ce terme, répondit Jessie dans une
grimace en faisant les cent pas.
— Vous n’avez pas apprécié vos
propres expériences ?
— Non. Mon époux – si l’on peut le
désigner ainsi – s’est révélé ennuyeux.
— Pourquoi avez-vous consenti à ce
mariage temporaire ?
La veuve savait que la pratique était
courante dans les Highlands, mais
profitait rarement aux femmes.
— Mon père l’a arrangé pour moi avec
un important chef de clan au sud-est. Vous
n’ignorez pas que de telles unions durent
un an et un jour. Si la promise tombe
enceinte à la fin de cette période, le
couple a de grandes chances de s’unir
définitivement. Dans le cas inverse, les
conjoints peuvent rester ensemble ou se
séparer. Je ne portais pas d’enfant, nous
avons donc décidé de reprendre chacun
notre chemin. Un seigneur doit toujours
avoir un héritier. Si sa conjointe apparaît
stérile, il peut la renvoyer dans sa famille
et lui trouver une remplaçante plus fertile.
Mais nous n’avons fait l’amour que trois
fois cette année-là. Je pense que ce n’était
pas suffisant, estima-t-elle en haussant les
épaules. Je ne dis pas non plus que
j’aurais préféré des rapports plus
fréquents.
— Mais vous êtes magnifique.
Comment n’a-t-il pu vous désirer qu’à
trois reprises ?
— Il a trouvé une autre fille plus à son
goût. Ils sont actuellement liés par un
mariage temporaire. Il se lassera sans
doute d’elle dans quelques mois. Les
hommes sont volages.
— J’espère qu’il existe des exceptions.
En effet, et si Dirk se fatiguait d’elle ?
Mais quelle importance, puisqu’ils
n’avaient pris aucune sorte d’engagement,
à court ou long terme ?
— Je n’ai pas beaucoup fréquenté mon
frère depuis notre enfance, je ne saurais
donc me prononcer sur son inconstance.
Mais s’il est futé, il vous épousera.
Isobel fut parcourue d’un frisson à
cette pensée.
— L’idée me plairait, mais je ne veux
pas d’un individu qui se sente forcé de
me prendre pour femme. Il devrait le faire
uniquement parce qu’il en a envie. Le
plus gros problème est que je suis déjà
fiancée à un autre.
Jessie hocha la tête et s’assit sur un
tabouret près de la cheminée.
— Je le sais. Comment est-il ?
— Torrin MacLeod est assez bel
homme – brun aux yeux verts, presque
trente printemps. Mais il est amoureux
d’une villageoise, peut-être la fille d’un
petit fermier, avec laquelle il a eu des
enfants. Du moins, c’est ce que sa
canaille de cadet m’a raconté. Son clan
ne l’autorisera pas à l’épouser. Il
souhaitait se marier avec moi seulement
pour s’emparer des trois cents hectares
inclus dans ma dot. Et pour
éventuellement avoir un héritier.
— Quel crétin, grommela la sœur de
MacKay.
— Son frère est pire.
Elle avait déjà révélé à son amie
l’incident survenu à Munrick, et la façon
dont elle avait pratiquement enfoncé le
crâne de Nolan.
— Les hommes pensent que nous ne
sommes que des bêtes destinées à la
reproduction. Ce que nous désirons
n’importe pas du tout. Cela m’est égal de
demeurer célibataire. Je serais sûrement
mieux ici même, parmi mes proches.
— Oui, c’est vrai. Mon aîné jugeait
qu’il était temps pour moi de partir de
chez nous. Il est dur et insensible parfois,
mais protecteur vis-à-vis du clan.
— Quand Dirk deviendra le meneur,
j’espère qu’il n’essaiera pas de me faire
épouser quelque vieux bâtard bougon.
Isobel ricana.
— Vous lui ressemblez plus que vous
n’en avez conscience.
Jessie esquissa un sourire penaud.
— Je suppose que vous avez raison.
Êtes-vous prête pour l’audience ?
J’espère que mon frère sera bientôt
nommé officiellement à la tête du clan,
mais je crains que Maighread
n’entreprenne de l’en empêcher.
— Eh bien, regardez-vous, chef, lança
Rebbie dès que Dirk eut quitté sa
chambre et fait un pas dans le couloir.
— Pardon ?
Le guerrier se demanda si son ami était
également là lorsque Isobel était sortie de
la pièce un peu plus tôt. Il espérait le
contraire.
— Vous avez l’air d’un authentique
Highlander maintenant, avec ce tartan à
ceinture, et sans aucun habit pour
dissimuler ces mollets poilus.
— Allez vous faire voir.
MacKay s’éloigna à grandes
enjambées, son épée à deux mains
sanglée dans son dos cognant contre sa
hanche.
MacInnis émit un rire moqueur et
rattrapa son compagnon au bout du
couloir.
— Au fait, comment vous sentez-vous ?
— Mieux.
Il n’avait plus qu’une légère migraine
ce matin-là. Guère plaisante, mais
tolérable.
— Je serais tenté de dire que vous
avez passé une sacrée nuit.
— De quoi parlez-vous ?
Dirk marqua une pause, souhaitant –
non, priant – que le comte n’ait rien
deviné de ce qui s’était déroulé entre la
jeune veuve et lui.
Lorsque Rebbie lâcha un petit
gloussement entendu, le guerrier comprit
ce qu’il en était.
— Vous m’espionnez, à présent ?
demanda-t-il.
MacInnis hocha la tête, à peine capable
de contenir son amusement. Il essayait au
moins de le dissimuler afin de ne pas
attirer l’attention.
— Je suis venu voir un peu plus tôt si
vous alliez bien, et je vous ai entendus
vous quereller.
— On écoute aux portes ? C’est bas,
même venant de vous.
— Je n’ai pas entendu vos propos,
malgré quelques cris, rétorqua le comte
en renâclant. Par ailleurs, Erskine a
monté la garde devant votre porte toute la
nuit. Il sait que notre amie n’est jamais
sortie de votre chambre avant ce matin.
— Quelle piètre sentinelle il fait s’il
ne sait même pas tenir sa langue. Je vais
lui en toucher un mot. Au fait, où est-il en
ce moment ?
— Il avait besoin d’aller se soulager,
je lui ai donc dit que je prenais la relève
durant quelque temps. C’est nouveau pour
lui. Et il a pensé que vous ne verriez pas
d’inconvénient à ce que je sois dans la
confidence concernant Isobel et vous.
— Il se trouve que cela m’importe.
J’étais blessé et la guérisseuse m’a donné
une sorte de potion sédative. Très
probablement de l’opium. Je n’étais plus
moi-même et n’en garde presque aucun
souvenir.
— Ah. Vous n’avez diablement pas de
chance. Vous ne voudriez oublier que
vous avez…
Dirk lui coupa la parole d’un regard
furieux l’avertissant de ne pas aller trop
loin. Il ne tolérerait aucune remarque
salace au sujet de sa protégée.
— N’en dites rien. Maighread et sa
cour ne doivent pas le découvrir, ou
Isobel pourrait se trouver en danger.
Ce point était capital. Bien entendu,
elle en avait probablement déjà été
informée, si Haldane s’en était mêlé.
— Je n’en parlerai à personne. Vous le
savez. Mais je souhaite vous féliciter,
déclara le comte en tendant la main pour
serrer celle de son ami.
— Pourquoi ?
— Vous allez l’épouser, n’est-ce pas ?
Le cœur de Dirk s’emballa à cette
simple pensée, car il voulait
effectivement la prendre pour femme.
Mais il ignorait encore comment
accomplir cela, étant donné tous les
obstacles qui entravaient sa route.
— Oui, bien sûr. C’est une question
d’honneur, compte tenu du fait qu’elle
était…
Il se tut brusquement.
— Qu’elle était quoi ? l’interrogea
Rebbie, ses yeux sombres écarquillés de
curiosité.
— Qu’elle est noble, se corrigea-t-il.
— Oubliez l’honneur. Cette créature
vous rendra heureux.
— Comment le savez-vous ? Vous
n’êtes pas expert en bonheur matrimonial.
Par ailleurs, l’idée même du mariage
vous terrifie, n’est-ce pas ?
MacInnis haussa les épaules.
— Il ne s’agit pas de moi. Vous êtes
différent avec elle. Et il ne fait aucun
doute qu’elle se soucie de votre santé, vu
la façon dont elle vous a réchauffé de
toute sa nudité hier soir. Elle est
précisément celle dont vous avez besoin
pour vous sortir de vos humeurs
bougonnes.
— Je ne suis pas bougon, marmonna le
guerrier, distrait par le délicieux souvenir
d’Isobel allongée sur son corps nu la nuit
précédente pour partager sa chaleur, leurs
deux êtres seulement séparés par la fine
blouse.
Elle avait assurément fait remonter sa
température. Son membre s’était
ragaillardi le premier, prêt avant même
que Dirk ne recouvre la sensation de ses
orteils engourdis.
Il ajusta son escarcelle, s’assurant que
son sporran dissimulait son début
d’excitation à ce moment inopportun. Le
kilt, un tartan impeccable à ceinture,
appartenait à son père. MacKay estimait
cette tenue appropriée pour l’audience. Il
portait également une chemise en lin
ivoire et un pourpoint gris qu’il avait
apportés.
Sur leur chemin, ils croisèrent un
groupe de membres du clan. Le comte
leur adressa un signe de tête et changea
de sujet.
— Et comment va votre crâne ce matin
? demanda-t-il à Dirk. Il vous reste une
vilaine marque rouge et une contusion.
Puisque Rebbie s’était déjà enquis de
sa santé, le guerrier devina qu’il le faisait
pour la galerie.
— Mieux. Je n’ai plus aussi mal.
— Avez-vous faim ?
— Non. Un domestique m’a monté des
bannocks et des œufs un peu plus tôt.
La grande salle bourdonnait d’activité.
Quelques-uns se turent en le voyant entrer
avec son ami, puis s’avancèrent vers eux
pour prendre des nouvelles de sa
blessure. Il se réjouissait de constater que
la majorité des siens s’inquiétait de son
bien-être, et qu’ils se montraient
accueillants.
Tous les anciens et tous les hommes
MacKay, y compris Haldane, oncle
Conall et Keegan, s’assirent aux tables de
la grande pièce, comme Rebbie et
Erskine, pendant que Dirk et Aiden
s’installaient aux places d’honneur. Le
porteur de glaive – ou ceann-cath – de
son père était présent, ainsi que son
trésorier – ou fear sporain –, et il
reconnut d’autres hommes occupant des
positions officielles. Maighread se
tapissait dans un coin sombre comme une
araignée affamée. Son beau-fils ne prêta
aucune attention à l’œil fielleux qu’elle
posait sur lui, et scruta les lieux.
Isobel fit son entrée et se posta de
l’autre côté de la salle en compagnie de
Jessie, Seona et quelques autres femmes.
De son regard ténébreux, la jeune veuve
ensorcelait toujours son sauveur, même à
cet instant précis, à vingt pas de distance.
Quel pouvoir exerçait-elle sur lui ? Il
devait cesser de la dévisager ainsi, car
elle le distrayait au-delà du raisonnable.
Phelan, le senachie de Griff, qui était
également l’un des plus vieux membres
du clan, se leva du banc. Sa longue barbe
blanche lui donnait un air sage et
distingué.
— Cette audience est tenue pour
déterminer à qui revient de droit le titre
de chef. Nous voulons un meneur fort qui
soit également le fils du prédécesseur,
notre vénéré seigneur MacKay, que Dieu
bénisse son âme.
Sa voix puissante retentissait et chacun
l’écoutait avec intensité. Ce conteur était
un orateur-né, déclamant au clan les récits
de ses ancêtres depuis que Dirk avait
l’âge de s’en souvenir, et bien avant
encore.
— Je me rappelle la naissance de Dirk
MacKay, poursuivit-il en désignant
l’intéressé. Je me tenais ici dans cette
même salle lorsque notre chef a fièrement
descendu l’escalier avec son fils aîné
dans les bras. Le bébé pleurait à pleins
poumons, rugissant tel un petit lionceau.
On pouvait déjà deviner qu’il serait un
jour un redoutable combattant, tout
comme son père et son grand-père avant
lui. Je vous demande à tous d’honorer la
mémoire de Griff MacKay en
reconnaissant son premier garçon, Dirk
MacKay, comme son successeur légitime
à partir de maintenant.
Il reprit son siège.
Hamish, le grand-oncle du guerrier, se
leva à son tour.
— Et lorsque son père l’a tenu en l’air,
nu comme un ver, nous avons tous vu la
petite tache de naissance sur son épaule
gauche en forme de dague des Highlands.
Tous ceux d’entre vous qui étaient là
quand il est revenu il y a quelques jours
ont pu constater cette même marque sur
l’homme qui se tient devant nous, dit-il en
pointant le doigt vers lui.
— Vous n’êtes qu’un fou sénile, gronda
Maighread de son coin.
Il la regarda d’un air courroucé.
— Vous n’étiez pas là, vieille femme.
Elle retint son souffle, bouche bée.
Son beau-fils ne put contenir un petit
ricanement. Il était grand temps que l’on
rende à cette sorcière un peu de sa
grossièreté. Il jeta un coup d’œil oblique
et aperçut Aiden qui retenait lui aussi un
sourire.
— Lord Griff se retournerait dans sa
tombe s’il savait que vous me parlez de
cette manière, rétorqua-t-elle, l’outrage
suintant de chacun de ses mots.
— Et s’il était parmi nous, il
reconnaîtrait son fils aîné ici présent,
affirma l’oncle en montrant son petit-
neveu.
Ne tenant pas compte d’elle, il
s’adressa au reste de l’assemblée.
— Si vous examinez la preuve et
entendez les témoignages de ceux qui
fréquentaient Dirk lorsqu’il était enfant –
c’est-à-dire presque tout le monde ici âgé
de plus de vingt ans –, vous verrez qu’il
est le chef légitime de notre clan. Il vous
suffit de l’observer pour avoir la
confirmation qu’il est le portrait craché
de son père. À l’évidence, il est
également fort, intelligent, il s’agit d’un
soldat expérimenté qui fera un puissant
meneur pour notre peuple.
Le révérend MacMahon et cinq autres
hommes déclarèrent qu’ils n’avaient
aucun doute sur son identité.
Aiden se leva.
— Je suis d’accord avec vous tous.
— Aiden, asseyez-vous ! lui ordonna
Maighread.
— Non, mère. Si vous estimez
vraiment que je dirige ce clan, alors
laissez-moi m’exprimer en toute sincérité.
Il l’étudia d’un œil mauvais, et
lorsqu’elle fut silencieuse, il reprit en
s’adressant aux autres :
— Je me souviens bien de lui à
l’époque où j’étais enfant. Je l’admirais
tel un aîné robuste à qui je désirais
ressembler. Cet homme assis à côté de
moi est mon frère, dit-il en désignant
l’intéressé. Le premier fils de mon père.
En tant que tel, il est en droit de devenir
le laird. Je vous cède la place, Dirk. Ils
ont raison. Vous ferez un seigneur
puissant, fort et avisé.
Le guerrier se leva, presque submergé
d’une humble gratitude envers son puîné
bien-aimé. Il le prit par la main, puis
l’étreignit.
— Je suis fier de vous, mon cher. Vous
êtes le plus honorable des hommes.
— Merci, mon frère.
— C’est de la folie pure ! s’exclama
Haldane en bondissant sur ses pieds, les
poings serrés le long du corps. Avez-vous
perdu l’esprit, Aiden ? Transmettre aussi
facilement l’héritage que notre père vous
a confié à cet imposteur ?
— Asseyez-vous, lui répondit le jeune
meneur d’une voix calme mais ferme.
— Non ! Je ne vais pas m’asseoir. Et
je ne me laisserai pas non plus piétiner
par ce bâtard ! Vous êtes idiot de tout
abandonner sans vous battre.
— Il n’y aurait aucune raison. Je
connais la vérité. Cet homme est le fils
aîné de père.
— Vous ignorez s’il est légitime. Notre
père n’a peut-être même pas épousé sa
mère. Qui sait si elle n’était pas
seulement sa traînée, et peut-être cet
individu est-il bel et bien un bâtard.
— Vous allez trop loin ! s’écria Dirk,
outré de tout son être que son cadet ose
insulter sa mère avec une telle virulence.
Restez assis et taisez-vous, ou partez
d’ici.
Dans un grondement, Haldane quitta la
pièce en furie, et envoya claquer la porte
contre le mur en pierre. Une bourrasque
de vent froid s’engouffra à l’intérieur
avant que le garde ne referme.
Le guerrier fit dériver son regard vers
Maighread. Elle avait les yeux plissés, et
l’air assez vindicatif pour le charger avec
un glaive. Mais il savait qu’elle ne
dévoilerait jamais si ouvertement son
envie de vengeance. Elle riposterait en
secret, sous couvert de l’obscurité. Elle
engagerait quelqu’un pour accomplir ses
basses tâches, tout en s’imaginant garder
les mains parfaitement propres. Il était
persuadé qu’elle élaborait ses plans à ce
moment précis. S’il la connaissait bien,
elle ferait appel à une personne capable
de remplir cette mission et aussi
malveillante qu’elle. Mais ce ne serait
pas McMurdo. Il était au cachot.
— Je pense que nous pouvons tous
nous accorder à déclarer que Dirk
MacKay est notre chef légitime, annonça
Hamish. Que ceux qui sont pour disent «
oui ».
Un chœur retentissant de « oui »
s’éleva.
— Que ceux qui s’y opposent disent «
non ».
Tout le monde se tut, même Maighread.
Mais le venin jaillit presque de ses
pupilles. Son beau-fils haussa un sourcil,
la défiant de le prendre de nouveau pour
cible.
Elle sortit en fulminant. Il espéra
qu’elle partait faire ses bagages.
Isobel la suivit, ce qui attira l’attention
de son sauveur. Pourquoi diable
accompagnait-elle cette maudite harpie ?
La séance fut ajournée, et les membres
du clan se rassemblèrent en cercle pour
serrer la main de Dirk et lui témoigner
leur loyauté. Ils l’informèrent qu’une
cérémonie traditionnelle se tiendrait en
extérieur quand le temps s’y prêterait
davantage.
Quelques instants plus tard, deux
sentinelles firent irruption à la porte
principale et s’adressèrent à Keegan.
— Le prisonnier a tenté de s’échapper.
L’un des gardes a été blessé.
Dirk traversa la salle à grandes
enjambées pour les rejoindre.
— Que s’est-il passé ?
— Dirk MacKay est notre nouveau
chef, expliqua son cousin aux deux
hommes que le guerrier avait rencontrés
quelques jours auparavant.
Ils s’inclinèrent.
— Chef, trois individus masqués ont
fait irruption dans le donjon et ont
cherché à maîtriser les deux geôliers.
L’un d’eux a été poignardé à l’aide d’un
sgian dubh mais il est en vie. L’autre a
été assommé. Les intrus se sont emparés
des clés et ont ouvert la porte de la
cellule, mais n’avaient pas de quoi
déverrouiller les menottes. Ils essayaient
de détruire la chaîne ou de l’arracher du
mur, quand d’autres soldats sont arrivés.
— Les avez-vous capturés ?
— Oui. Ils doivent faire partie de la
bande de voleurs au service de
McMurdo.
— Damnation ! Je vais les interroger
de ce pas.
Quelques instants plus tard, Dirk
descendit avec les deux hommes l’étroit
escalier en pierre qui menait au cachot
froid et humide. Rebbie le suivit, ainsi
qu’Erskine et Keegan. On avait laissé un
gros marteau dans le couloir. Il le poussa
du bout du pied.
— Est-ce qu’ils se sont servis de cela
?
— Oui.
L’une des sentinelles ouvrit la porte de
cellule du prisonnier. Il était seul, et ses
acolytes hors la loi avaient été placés
dans des geôles séparées.
Le meurtrier était assis sur le sol
dégoûtant, ses mains menottées et
enchaînées à la cloison. Ces précautions
étaient le seul moyen d’empêcher ce
bandit retors de s’enfuir. Même si une
partie de la pierre retenant ses liens de
fer s’était ébréchée.
Dirk tint la lanterne en l’air, tentant de
distinguer avec clarté le visage de
McMurdo, en particulier ses yeux. Pour
ce qu’il en savait, cet homme pouvait être
un malade mental. MacKay avait un
millier de questions à lui poser. Par où
devait-il commencer ? Il voulait
principalement voir ce criminel avouer
que Maighread l’avait engagé pour tuer
son beau-fils. Il lui faudrait trouver une
manière d’y parvenir.
— Pourquoi étiez-vous dans la cour de
l’église à minuit ? Qui attendiez-vous ?
l’interrogea-t-il.
Muet, le vaurien le dévisagea, son
regard noir et sinistre intensément
perçant, mais également perplexe.
Essayait-il de deviner comment Dirk en
avait réchappé ?
— Surpris que je m’en sois sorti quand
vous m’avez poussé du haut de cette
falaise il y a douze ans ?
— Vous êtes fou. Je ne sais rien de tout
cela.
Bien sûr qu’il dirait cela. Dirk
s’attendait à ce qu’il mente.
L’affabulation était la spécialité des
voleurs et des meurtriers.
— Pourquoi vous êtes-vous attaqué à
notre groupe à l’entrée de Durness ?
— Quand ?
Le guerrier émit un petit rire amer.
— Niez autant qu’il vous plaira. Tout
le monde sait que vous avez tué au moins
dix-huit personnes. Même si je suis
certain que ce nombre est sous-estimé,
puisque vous avez également ôté la vie à
mon cousin Will.
— Vous me confondez avec quelqu’un
d’autre.
— Vous guettiez lady MacKay hier soir
dans la cour de l’église. La raison est
évidente. Vous avez bâclé le travail pour
lequel elle vous a engagé. Combien vous
a-t-elle payé il y a douze ans pour
m’assassiner ?
Les narines de McMurdo se dilatèrent
tandis qu’il dardait son regard aux quatre
coins de la cellule.
— Je ne sais rien de tout cela.
— Quelle somme avez-vous versée
pour cette jolie tombe dans la nouvelle
chapelle ?
Le vieil homme plissa les yeux.
— Cette affaire ne concernait que moi
et votre père… euh… je veux dire lord
MacKay. C’était un homme bon et
brillant.
Dirk lui adressa un sourire rusé. «
Votre père »… La canaille venait
d’admettre qu’elle connaissait sa
véritable identité. L’une des rares fois où
les deux hommes s’étaient tous deux
retrouvés face à face par le passé était le
jour où ce criminel avait tenté de le tuer.
Il était donc évident qu’il avait reconnu
son ancienne victime.
— Répondez honnêtement à toutes mes
questions, ou vous perdez votre fameuse
crypte. Je la saisis.
— Non, vous ne pouvez pas faire cela !
— Qu’est-ce qui m’arrêterait ? Je suis
désormais le chef de ce clan.
McMurdo se lécha nerveusement les
lèvres et déglutit avec difficulté.
— J’ai payé cher pour ce caveau ;
c’est un lieu sacré et protégé dans
l’enceinte de l’église, et je détiens même
un papier signé de lord Griff MacKay.
— Cela n’a aucune importance,
répondit le fils de ce dernier dans un
haussement d’épaules désinvolte. Vous
êtes un assassin et un prisonnier en état
d’arrestation. Tous vos biens ici en pays
MacKay sont confisqués. Puisque je suis
maintenant le baron détenteur de ces
terres, votre propriété m’appartient.
— C’est ma tombe ! Je l’ai acquise
légalement, en déboursant pour elle
jusqu’à la dernière pièce d’argent que
j’avais ! gronda McMurdo en tirant sur
les chaînes qui le retenaient fermement au
mur.
— Comment avez-vous obtenu cette
somme ? En la volant, entièrement. Si
vous désirez conserver votre crypte, vous
devez tout confesser. Les meurtres que
vous avez commis, et les tentatives. Tous
les vols que vous avez perpétrés au cours
de votre vie. Si vous préférez que le
pasteur soit là, cela peut s’arranger.
— Non. Maudit soyez-vous ! cria le
bandit en s’élançant de nouveau vers lui,
le regard fulminant.
— Vous refusez que cet homme
d’Église soit informé de la profondeur de
votre dépravation, n’est-ce pas ? Vous
voulez le laisser penser que vous vous
êtes repenti de tous vos péchés, y compris
vos crimes de sang-froid sur des
innocents, parmi lesquels des femmes
sans défense.
— Je n’ai tué personne, bâtard !
— Mon père n’apprécierait guère de
vous entendre calomnier sa première
épouse. Je croyais que vous le respectiez.
— Certes. Mais pas vous. Vous n’êtes
pas le fils de lord MacKay, mais la
progéniture du diable !
Dirk renâcla.
— Continuez de mentir. Quand vous
serez mort dans cette sinistre cellule, le
fossoyeur enterrera votre misérable
carcasse dans les pâturages. Et une nuit,
les proches de l’une de vos victimes se
faufileront dans le pré et sortiront votre
dépouille en décomposition pour en
disperser çà et là les morceaux. Peut-être
planteront-ils même votre crâne au bout
d’un piquet aux abords du village pour
avertir les autres bandits de grands
chemins de ce qu’il advient des voleurs et
des meurtriers. Les corneilles viendront
alors picorer vos os jusqu’à ce qu’ils
soient propres.
— Allez en enfer ! vociféra McMurdo
en tirant sur ses fers, le corps tremblant.
Il ne passerait peut-être pas aux aveux
ce jour-là, ni le suivant, mais Dirk
continuerait de l’interroger. Dès que cette
fripouille aurait compris que personne ne
l’aiderait à s’échapper de sa geôle, et que
le nouveau meneur pensait ce qu’il disait,
elle avouerait. Apparemment, sa tombe
dans l’église était d’une importance vitale
pour ce vaurien, mais il restait disposé à
jouer encore un peu.
— Je ne lançais pas cette menace en
l’air, annonça le guerrier. Vous serez
enseveli dans un champ sous le fumier de
moutons. Ou peut-être ferai-je jeter vos
restes miteux dans les marécages. Ou du
haut de la falaise de Faraid Head pour
nourrir les poissons. C’est ainsi que vous
vouliez procéder avec moi.
Il quitta la cellule. La porte se referma
en claquant et le garde la verrouilla.
Dirk regarda furtivement dans les
autres pièces. Il ne reconnut aucun des
deux insignifiants brigands comme faisant
partie de la bande de McMurdo, mais il
les interrogerait plus tard, lorsqu’ils se
seraient lassés de cet endroit humide et
sombre. Leurs langues se délieraient
alors plus facilement. À l’évidence,
quelqu’un leur avait fait franchir la
poterne. Il devrait distinguer les traîtres
des membres loyaux au sein du clan.
Il gravit les marches raides et étroites
qui menaient hors du donjon, ses amis à
sa suite.
Sous la balèvre, un garde l’arrêta.
— Chef, l’un des soldats blessés dit
qu’Aiden et lady MacKay ont rendu visite
à McMurdo il y a quelques heures.
— Pourquoi les a-t-on laissés entrer ?
La sentinelle haussa les épaules.
— Aiden portait encore son titre à ce
moment-là. Nous sommes censés obéir à
notre laird, comme vous le savez.
Pourquoi son puîné ferait-il cela ?
Maighread avait dû le commander et
exiger de lui tout ce qu’elle voulait.
— Quelqu’un sait-il ce qui s’est passé
?
— Non, seulement qu’il a escorté sa
mère à l’intérieur, et s’est ensuite hâté
d’aller mander son frère. Mais elle est
partie avant qu’ils ne reviennent.
Sans l’ombre d’un doute, l’évasion de
McMurdo avait été ourdie par Maighread
et ses hommes.
— Je veux que l’on double le nombre
de geôliers à partir de maintenant, jour et
nuit. Personne ne pénètre dans la cellule
de ce criminel sans me l’avoir demandé
au préalable. Quelque chose se trame.
Aucun doute que l’on tentera une fois
encore de le faire sortir.
Chapitre 19

Cet après-midi-là, Dirk patientait dans


le couloir du deuxième étage, alors
qu’Aiden insistait pour retirer
immédiatement ses affaires de la chambre
du chef pour que son aîné puisse s’y
installer.
Celui-ci n’était pas particulièrement
pressé de prendre possession des lieux
que son père avait toujours occupés. Cela
ne lui paraissait pas naturel. Griff aurait
dû se trouver là. Il manqua encore plus
cruellement à son fils sur le moment.
Mais si le clan estimait qu’il devait
s’attribuer cet endroit, Dirk s’y
résoudrait.
Maighread apparut gracieusement dans
le corridor tel un esprit maléfique. Il
sentit ses muscles se crisper, animé du
besoin de l’étouffer pour faire sortir de
ce corps décharné le dernier souffle de
vie, mais il se maîtrisa. Isobel la suivait.
Que diable faisait-elle ? Il voulait lui
interdire de parler avec cette créature. Ne
lui avait-il pas déconseillé de faire
confiance à cette vieille sorcière ?
— Que voulez-vous ? demanda-t-il à
sa belle-mère, la fureur lui rongeant les
entrailles.
— Je suis ici pour parler à mes fils,
répondit-elle avec une innocence
appliquée dont la fausseté était si
manifeste qu’il faillit lui rire au nez. Vous
avez peut-être dupé tous les autres, mais
pas moi. Ce clan ne gardera pas
longtemps un imposteur à sa tête.
Son regard annonçait que son ennemi
n’était peut-être pas encore mort, mais
que cela ne saurait tarder.
— Ne me menacez pas, l’avertit-il.
Vous le regretterez.
— Ce n’est pas le cas. Je ne faisais
qu’énoncer la vérité. Si vous êtes
réellement Dirk, pourquoi n’êtes-vous
pas revenu quand votre père était encore
en vie ?
Il se sentit alors transpercé de regret. Il
déplorait plus que tout au monde de ne
pas l’avoir fait. Bien entendu, elle avait
tenu ces propos en sachant pertinemment
qu’ils le blesseraient. Il s’efforça
d’afficher une expression impassible.
— J’en connais la raison, poursuivit-
elle de son ton suffisant, en pointant du
doigt la poitrine de son beau-fils. Il aurait
percé vos affabulations à jour. Il se serait
aperçu que vous n’étiez pas son enfant.
— Le clan sait qui je suis. Aiden aussi.
C’est tout ce qui importe à présent. Votre
opinion ne compte pas. Je ne suis plus ce
garçonnet que vous pouvez projeter à
terre avec une gifle comme vous le faisiez
par le passé.
Isobel retint son souffle. Postée sur le
côté, elle étudiait Maighread d’un œil
critique.
— Ne croyez pas un mot de ce qu’il
raconte, dit la marâtre sans jamais le
lâcher de son regard vert débordant de
haine.
Sa bouche tressauta comme si elle eût
réprimé un autre sourire narquois.
— Je n’ai jamais mis de claque à un
enfant.
Le guerrier renâcla.
— Nous savons tous deux que c’est
faux.
Il se souvenait de la première fois
qu’elle l’avait frappé. Peu après la
naissance d’Aiden, Dirk, à peine âgé de
six printemps, s’était penché au-dessus du
berceau de son petit frère, qui lui tenait le
doigt. Il avait été fasciné par la force de
cette minuscule main de nouveau-né.
Maighread était entrée en hurlant, lui
ordonnant de s’éloigner de son bébé.
Submergé d’une peur glaçante, le jeune
MacKay avait reculé, mais trop tard. La
paume de sa belle-mère avait tapé le côté
de sa petite tête, et il avait atterri dans un
angle de la pièce, manquant de peu de se
fracasser le crâne sur le mur en pierre. Il
avait eu l’oreille bourdonnante durant le
reste de la journée.
Elle avait usé de violence à son
encontre au moins une dizaine de fois,
peut-être davantage. Il avait cessé de
compter. Elle le maltraitait toujours
lorsqu’il avait l’infortune de se trouver
seul avec elle. Il avait alors fait en sorte
de rester aussi près de son père ou de son
oncle que possible. Elle s’était toujours
comportée comme une sainte en leur
présence.
Quand il avait grandi et qu’il avait
commencé à s’entraîner à l’épée, les
sévices avaient cessé. Il avait relevé, au
regard méfiant de sa belle-mère, qu’elle
le craignait un peu. Mais c’était à cette
époque qu’elle l’avait poussé dans
l’escalier. Elle avait renoncé à le torturer
; elle voulait simplement le voir mort.
Alors qu’elle se tenait maintenant
devant lui, il esquissa un rictus suffisant
et arqua un sourcil, lui renvoyant
l’expression qu’elle aimait tant arborer,
mêlant mépris et assurance. Oh, il savait
pertinemment qu’elle pouvait engager un
sous-fifre pour causer nombre de dégâts,
mais il n’avait pas peur d’elle.
Il était entouré de deux gardes dignes
de confiance. Il en choisirait également
deux autres pour la sécurité d’Isobel tant
qu’elle séjournerait en ces lieux. Il ne
pensait pas que Maighread chercherait à
faire du mal à la jeune veuve, mais si elle
découvrait qu’il appréciait celle-ci au-
delà de ce qu’il aurait dû, elle déciderait
peut-être de se venger différemment. Il ne
la sous-estimerait plus.
— Retournez à Tongue dès que vous le
souhaitez, lui dit-il.
— Vous ne pouvez me chasser de mon
propre domicile.
— Vous n’êtes pas chez vous, mais
chez moi. Tout le monde sait que vous
préférez le nouveau manoir à ce vieux
château traversé de courants d’air. Même
si la maison est située sur mes terres, je
vous autorise à y habiter.
— Pfff. Cette demeure ainsi que le
domaine sur lequel elle se trouve sont un
cadeau que m’a fait lord Griff. Vous
n’êtes propriétaire ni de l’une ni de
l’autre.
— Nous verrons, rétorqua-t-il en
haussant les épaules, sachant qu’elle avait
tort. Si vous résidez là-bas, nous
pourrons nous entendre.
Il se montrait plus que généreux, au
nom de son père et d’Aiden. Si ce n’eût
été pour eux, il aurait escorté cette
sorcière aux oubliettes. Il regrettait de
n’avoir aucune preuve solide, ni un
témoin en mesure de certifier qu’elle
avait tenté de l’assassiner, et avait tué son
cousin Will. Si McMurdo était disposé à
avouer… Mais sans élément à charge
contre elle, s’il l’emprisonnait, il risquait
de déclencher la colère du puissant clan
Gordon. Dès qu’elle essaierait de
l’éliminer de nouveau, il attraperait celui
qu’elle avait engagé, et lui extorquerait
toute la vérité.
— Vous n’allez pas me dire où je dois
vivre. Je demeurerai ici aussi longtemps
que je le voudrai, répondit-elle.
— Vous le croyez sincèrement ?
— Oui.
Il lui adressa un rictus menaçant.
Comme il aurait aimé pousser sa belle-
mère et la voir atterrir sur le postérieur.
— Lord MacKay se retournerait dans
sa tombe s’il savait qu’un imposteur me
traite de cette manière.
— Vous avez raconté des chapelets de
mensonges à mon père. Il pensait que
vous étiez son ange ravissant, et ne
distinguait rien au-delà de cette illusion.
Il était aveugle devant la vérité, et toutes
vos sournoiseries.
— Un usurpateur qui me sermonne sur
l’honnêteté ? railla-t-elle.
Elle pivota sur ses talons pour se
diriger vers la chambre du chef, et y
pénétra.
— Je veux m’entretenir avec vous
deux, annonça-t-elle à ses fils.
Dirk espérait qu’Aiden resterait à
Dunnakeil, mais Maighread et son cadet
devaient quitter les lieux sans plus
attendre.
— Pourquoi vous amusez-vous à
passer autant de temps avec elle ?
demanda-t-il à voix basse, afin qu’Isobel
seule puisse l’entendre.
Elle fronça les sourcils et avança les
lèvres dans un « chut » silencieux.
— Si Haldane et elle ne partent pas de
leur plein gré d’ici à demain matin, je les
ferai chasser, dit-il.
Sa compagne hocha brièvement la tête,
mais sembla dubitative quant à la
décision du guerrier.
— Ne serait-il pas préférable de les
garder à portée de main, afin de voir ce
qu’ils complotent ? chuchota-t-elle.
Mieux vaut un mal connu… vous
connaissez l’adage, non ?
— Je ne suis rassuré que lorsqu’elle se
trouve le plus loin possible de moi… ou
de vous. Je préférerais que vous ne
passiez pas autant de temps avec elle.
La fugitive haussa les épaules, se
tourna pour jeter un coup d’œil à la porte,
puis regarda de nouveau son sauveur.
— Je dois vous féliciter d’avoir été
nommé chef, murmura-t-elle, les yeux
triomphants.
— Je vous remercie, mais les ennuis ne
font que commencer. Malheureusement.
Il observa l’entrée de la chambre d’un
air furieux, conscient que Maighread
redoublerait d’efforts pour comploter.
— Est-ce que les gardes blessés vont
mieux ?
— Oui, l’un a une plaie superficielle.
L’autre s’est réveillé avec une migraine.
Quelques instants plus tard, sa belle-
mère sortit de la pièce et se dirigea vers
eux.
— Il circule des rumeurs selon
lesquelles vous avez tous deux partagé le
même lit.
Elle grimaça, donnant envie à Dirk de
lui aplatir la figure.
— Je parviens difficilement à y croire,
Isobel, poursuivit-elle, alors que vous
m’avez déclaré précédemment ne pas
supporter d’être dans la même pièce que
cet individu. Vous trouviez qu’il n’était
qu’une brute dégoûtante.
Avait-elle vraiment dit cela ? Il
dévisagea intensément la jeune veuve,
tâchant de discerner la vérité. Peut-être
s’était-il comporté comme une bête au lit
la veille, mais il n’était plus lui-même.
Isobel en resta bouche bée.
— Je n’ai jamais tenu de tels propos !
— Me traitez-vous de menteuse ? Je
comprends votre petit jeu à présent. Vous
pensez qu’en feignant de vous intéresser à
lui, il vous protégera des MacLeod. Vous
voulez vous servir de lui.
— Non, rien de tout cela n’est vrai ! Je
n’utilise personne. J’essaie simplement
de rentrer chez moi.
La jeune femme rougit, les yeux
brillants de colère.
— Je ne suis pas idiote, ma petite. Vos
parents seraient tellement déçus de votre
comportement. Aucun homme respectable
ne voudra de vous maintenant que vous
vous êtes allongée avec un imposteur qui
a dérobé un titre et un territoire ; soyez-en
certaine.
— Assez ! Allez-vous-en ! ordonna-t-il
à sa belle-mère en lui montrant le couloir.
Elle serra les dents, paraissant presque
prête à gronder. Mais elle tourna les
talons et se retira.
Des larmes luisaient dans les yeux de
la jeune lady tandis qu’elle regardait,
fulminante, la marâtre partir.
— Vous vous trompez… sur toute la
ligne !
— Continuez de mentir, ma petite,
lança Maighread, avant de suivre ses fils
qui sortaient de la chambre du chef,
chargés d’une malle remplie de vêtements
d’Aiden qu’ils transportaient dans une
pièce plus modeste.
Le guerrier observa sa protégée, tentant
de distinguer le vrai du faux, mais brûlant
à la fois d’étrangler lady MacKay pour
avoir fait pleurer Isobel. Même s’il
s’agissait de larmes de rage.
Il savait que cette sorcière était une
affabulatrice, mais il ne la détestait que
davantage pour avoir fait germer le doute
dans son esprit. La veuve le trouvait-elle
brutal et dégoûtant ? Étant donné ce qui
s’était passé la veille, c’était possible. Il
ne parvenait à se rappeler s’il avait été
trop brusque avec elle. Il ne l’espérait
pas. Il n’aurait voulu pour rien au monde
la blesser.
— Cette femme est complètement folle,
murmura-t-elle en s’essuyant les yeux. Je
n’ai rien dit de tout cela.
Il voulait la croire. Mais une
incertitude demeurait dans son esprit.
L’utilisait-elle simplement pour échapper
aux MacLeod ? Ou son attirance envers
lui était-elle sincère ? L’avait-elle drogué
la nuit précédente, pour qu’il cède à son
désir envers elle… et se voie obligé de
l’épouser ? Les femmes avaient
volontiers recours à la manipulation pour
obtenir ce qu’elles voulaient. Et s’il
devenait comme son père, laissant la
séduction et la passion le rendre aveugle
aux manigances d’une dame ? Il secoua la
tête, et s’efforça de ne pas regarder
Isobel, car il ne pouvait réfléchir avec
logique lorsqu’il le faisait.
— Vous ne la croyez pas, tout de
même, reprit-elle en lui prenant la main,
les prunelles levées vers lui. Il évita son
regard.
— C’est vous qui m’avez prévenue
qu’elle était menteuse et indigne de
confiance, ajouta-t-elle.
— Certes, admit-il.
— Haldane lui a probablement raconté
qu’il était entré dans la chambre au
moment où je vous réchauffais hier soir.
Par ailleurs, elle s’est aperçue à
l’évidence que je suis attachée à vous.
Attachée à lui ? Il détestait la façon
dont son cœur s’emballa d’espoir. Il avait
même envie de quelque chose qui
dépassait l’affection.
— Dirk ?
Elle lui toucha le visage, posant une
main fraîche sur sa joue, pour caresser la
rugosité de sa barbe naissante. Elle
plongea ses yeux ténébreux dans ceux de
MacKay dans une expression plaintive,
l’implorant silencieusement de la croire.
Tout en lui l’y poussait, mais sa raison
s’y opposait. La seule chose qu’il avait
en tête était la facilité avec laquelle
Maighread avait dupé son père, peut-être
en manœuvrant à peu près de cette façon.
Mais ce dernier l’ignorait.
Dirk prit la main d’Isobel dans la
sienne. Il voulait l’embrasser, mais
s’abstint. Il lui caressa la paume, puis la
relâcha. Il ne savait pas…
Il ne comprenait pas toute la palette
d’émotions qu’il déchiffrait dans son
regard, ni l’intensité des sentiments
qu’elle l’amenait à éprouver. Pouvait-il
se fier à elle ? Ou à lui-même ?
Après avoir été nommé seigneur ce
matin-là, il ne savait plus très bien qui il
était. L’image qu’il avait de lui-même
s’était radicalement modifiée. D’une
certaine manière, il se sentait reconnu,
plus valeureux que depuis de nombreuses
années. Mais il se demandait aussi si ce
changement n’était pas trop beau pour
être vrai. Cela durerait-il ? Pourrait-il
mener ce clan avec succès ?
Certes. Il le devait. Il s’agissait de son
héritage, et de ce que son père attendait
de lui.
— Chef, appela quelqu’un derrière lui.
Il lui fallut un moment pour prendre
conscience que l’on s’adressait à lui.
Il se retourna brusquement. L’un des
membres du clan se trouvait là, les yeux
rivés sur lui.
— Oui ? s’enquit Dirk.
— Les anciens voudraient s’entretenir
avec vous dès maintenant.
Que pouvaient-ils bien vouloir si tôt ?
Ce devait être d’une importance vitale.
— J’arrive tout de suite.
Dès que l’homme eut disparu dans
l’escalier en spirale, le guerrier se tourna
vers Isobel.
— Contentez-vous de rester loin
d’elle. Et surveillez toujours ce qu’il se
passe dans votre dos. Aucun de nous ne
sait encore à qui l’on peut se fier.
Elle acquiesça, les yeux empreints de
tristesse. Il regrettait de ne pouvoir en
dire davantage, ni la réconforter, mais il
avait besoin de réfléchir – tout était allé
si vite –, et comprendre ce qu’il
ressentait.
Il descendit les marches, et trouva
l’homme qui patientait en bas.
— Ils sont dans la bibliothèque,
milord.
« Milord ». Un titre qui lui enflammait
le sang. Plusieurs de ses amis étaient eux
aussi des seigneurs, mais il ne savait pas
vraiment s’il pourrait s’accoutumer à ce
statut.
Il entra dans la bibliothèque et y trouva
Conall accompagné de cinq anciens qui
l’attendaient.
— Asseyez-vous, mon garçon, lui dit
son oncle, en esquissant un geste vers le
bout de la table.
— De quoi s’agit-il ? s’enquit-il en
prenant le siège désigné.
— Eh bien… maintenant que vous êtes
chef, il est temps pour vous de songer au
mariage, expliqua le frère de Griff.
Dirk ne put réprimer un éclat de rire
bref et incrédule.
— Je suis à la tête de ce clan depuis
quelques heures, et vous envisagez déjà
que je me marie ?
— Non, répondit son parent en jetant
un coup d’œil nerveux vers les autres
membres. Mais il existe cet accord que
les anciens, votre père et lady MacKay
ont passé avec les Murray durant votre
absence. Il y a presque cinq ans, en fait.
Je ne pouvais l’éviter sans révéler que
vous étiez encore en vie.
— Quel accord ? demanda-t-il avec
effroi.
— Le meneur de cet autre clan a signé
un contrat stipulant que sa fille aînée
épouserait le chef des MacKay, expliqua
son grand-oncle Hamish.
— Vous voulez sûrement dire qu’elle
doit se marier avec Aiden.
Son frère lui avait déjà confié qu’il
était censé prendre une Murray pour
femme.
— Peut-être, mais dans le cas où votre
puîné n’aurait pas été en mesure de
devenir laird, en raison de sa santé,
Haldane serait intervenu. Voilà pourquoi
nous avons tous décidé de mentionner «
le chef », plutôt que désigner
spécifiquement l’un des fils de Griff.
Mais aujourd’hui, cela ne s’applique à
aucun des deux. C’est vous, le chef.
Dirk sentit la contrariété lui nouer les
entrailles.
— Je n’ai jamais consenti à épouser
qui que ce soit.
— Non. Mais votre père l’a fait pour
vous, et comme vous le savez, les
meneurs arrangent les unions de leurs
enfants, surtout celles de leurs aînés. Le
contrat précise qu’elle doit se marier
avec le chef MacKay qui suit directement
Griff.
— Aiden avait cette position. Il a
dirigé le clan environ un mois.
Les anciens sourirent comme face à un
naïf, et secouèrent la tête.
— Cela ne compte pas. Il ne portait
pas vraiment le titre puisque vous étiez
toujours vivant. À présent, vous êtes le
seigneur de notre peuple. C’est comme
s’il n’avait jamais occupé la place. Par
ailleurs, lord Murray ne serait pas
d’accord. Il souhaiterait que sa fille
épouse le chef actuel. L’irriter se
révélerait dangereux.
— Tout cela est insensé, gronda le
guerrier. Je n’étais même pas là quand
l’accord a été passé. Mon père me croyait
mort. Il n’aurait jamais eu l’intention de
me faire m’unir à cette Murray. Il avait
prévu cette alliance pour l’un de mes
deux frères.
— Certes. Mais ses volontés ne
signifient plus rien désormais. Tout ce qui
restera valable est ce document, les
termes écrits. Vous devez honorer
l’accord signé par votre père, déclara
Hamish.
— Et si je refuse ? les défia-t-il.
Tous se tortillèrent, marmonnèrent et
lissèrent leurs barbes grisonnantes.
— Cela pourrait mener au conflit, mon
garçon. Vous ne voulez pas provoquer le
meneur de ce clan, répondit Phelan.
— Aiden m’a confié qu’il comptait
épouser cette fille, affirma Dirk. Il le peut
encore. Il est le deuxième successeur
direct à présent, c’est-à-dire le tanist.
Une position qui n’est pas des moindres.
— Mais il n’est plus chef. Cela ne
suffira pas. Murray ne voudra pas
entendre parler d’une telle union.
MacKay se pencha en arrière et croisa
les bras sur sa poitrine.
— À quoi sert un meneur ? les
interrogea-t-il.
Ils échangèrent entre eux des regards
confus et inquiets.
— À diriger le clan et protéger ses
membres comme un père vis-à-vis de ses
enfants. Vous savez sûrement cela.
Il confirma d’un hochement de tête.
Bien entendu, qu’il le savait, mais eux ?
— Le chef prend-il des décisions ?
— Oui, répondit Hamish avec
hésitation.
— A-t-il le dernier mot ?
Ils haussèrent les épaules, puis
rétorquèrent à contrecœur :
— Oui.
— Eh bien, je fais donc mon choix, et
mes propos seront irrévocables. Non.
Il se leva et quitta la pièce en claquant
la porte derrière lui. Après avoir traversé
la salle principale, il sortit à grandes
enjambées. Damnation, il ne se ferait pas
malmener ni ordonner quoi que ce soit
par son propre clan, surtout s’il était
censé le gouverner. Il n’avait cure du
privilège d’ancienneté de ces vieillards.
Il n’était pas là lorsque ce maudit
contrat avait été établi, n’était pas non
plus celui qu’ils avaient en tête à ce
moment-là, et refusait donc que cet
accord le lie à quiconque. Il
s’entretiendrait avec le chef Murray en
vue d’une négociation. Il n’avait jamais
parlé à la fille de celui-ci, et ne l’avait
vue qu’à deux reprises. Isobel, en
revanche, portait peut-être déjà son
héritier. Un tel chaos d’émotions intenses
déferla en lui lorsqu’il pensa à elle, qu’il
ne sut ce qu’il ressentait. Il s’efforça de
chasser ces pensées de son esprit, le
cœur martelant comme un tambour
militaire.
Erskine le suivait à distance tandis
qu’il traversait l’enceinte. Dirk se
réjouissait que son ami prenne son rôle
de garde personnel au sérieux. Même s’il
n’avait pas encore l’habitude d’être
talonné en permanence par un guerrier
armé. Il avait pris soin de lui-même des
années durant. Mais tous les lairds étaient
fortement protégés, il ferait donc mieux
de s’y habituer.
L’air vivifiant et le soleil éclatant
l’aidèrent à s’éclaircir les idées.
Bon sang, comme les anciens l’avaient
irrité. Ils ne pouvaient le nommer à la tête
de leur clan, et lui donner des ordres
l’instant suivant. Soit il était le meneur,
soit il ne l’était pas, mais il refusait une
position entre les deux. Il n’accepterait
pas non plus qu’un tiers lui dise qui il
devrait épouser.
Il n’y avait aucun problème concernant
la fille Murray. Elle était assez jolie.
Mais ce n’était pas Isobel.
Il avait compromis cette dernière,
toutefois il ignorait comment se marier
avec elle sans déclencher un conflit. Les
MacLeod et les Murray s’en prendraient
sévèrement aux MacKay pour la rupture
de toutes sortes de contrats.
— Diable, marmonna-t-il.
Comment s’était-il enlisé dans une
situation aussi délicate ?
Arrivé dans les écuries, il marqua une
pause. Inhaler les odeurs de chevaux et de
foin le détendit un peu. Isobel.
Damnation, cette créature le rendait fou.
Il avait envie d’elle chaque seconde, mais
il ne pourrait plus l’avoir. Pas pour le
moment. Il ne savait même pas s’il
pouvait lui faire confiance.
Certes, ses souvenirs de la veille
étaient flous, mais il se remémorait sans
cesse les baisers qu’ils avaient échangés
en ces lieux quelques nuits auparavant, et
la façon dont elle l’avait embrassé sans
retenue, animée d’une avidité qu’il
n’avait jamais connue. Elle n’avait pu
feindre cela, assurément.
En savourant cette bouche, en se
délectant de son goût suave et féminin, il
avait eu furieusement envie de
s’abandonner, d’arracher les vêtements
de sa compagne, de la revendiquer
comme sienne, de toutes les manières
possibles. À présent, manifestement, il
l’avait possédée, mais ses souvenirs
étaient trop vagues pour l’apaiser. Cela
s’était plutôt déroulé comme dans un
rêve. Il avait besoin de savoir, avec une
précision aiguë, ce qu’il avait éprouvé
avec elle.
Il avait été son premier amant, et un
instinct primitif et enfoui rugissait qu’elle
lui appartenait… qu’elle devait être à lui.
Mais ce n’était pas le cas. Pas encore. Et
un contrat, quelque part, affirmait qu’elle
était promise à un autre homme.

Dirk était en colère contre elle. Isobel


était hantée par cette seule pensée.
Comment pouvait-il croire qu’elle le
jugeait dégoûtant et brutal ?
Elle monta discrètement la minuscule
volée de marches en spirale, espérant
trouver un endroit isolé pour y réfléchir
en toute intimité. Beitris avait emboîté le
moindre de ses pas, l’interrogeant de
nouveau sur les raisons pour lesquelles
elle avait passé la nuit seule avec le
guerrier. La jeune veuve avait alors
prétendu qu’elle s’apprêtait à aller
marcher sur la plage, et sa domestique
avait estimé cette idée insensée. En
vérité, Isobel n’avait aucune envie de
sortir dans ce vent froid.
Elle monta l’escalier jusqu’à une tour
conique à l’angle ouest d’une section de
Dunnakeil, et ferma la petite porte. Les
rares rayons de soleil d’après-midi
filtrant par les deux fenêtres étroites
étaient exactement ce qu’il lui fallait pour
la réconforter.
Maintenant qu’il était chef, Dirk était
accaparé par les affaires du clan. Il le
serait toujours, et n’aurait sûrement que
peu de temps à lui accorder. Même si elle
devait espionner Maighread pour
découvrir ses plans, elle ne supportait
pas de regarder cette femme après les
mensonges qu’elle avait proférés. Et
celle-ci ne lui ferait plus confiance.
Elle inspira profondément, et jeta un
coup d’œil dans la modeste pièce
circulaire en pierre. À une époque, on
avait dû y installer des gardes, mais après
des extensions dans le château, l’endroit
n’était plus requis pour cet usage.
Elle regarda par la vitre de verre
ondulé en plissant les yeux, et ne put voir
clairement ce qui se trouvait en
contrebas, mais au moins, elle était en
mesure d’apprécier ces quelques rais de
lumière sans être gelée. Le fracas régulier
qui lui parvenait aux oreilles était produit
par les vagues s’écrasant sur le rivage et
se répandant sur le sable. Elle se rappela
alors la fois où elle s’était promenée sur
la plage, avant de trouver Dirk à l’église.
Elle l’avait si peu vu en ce jour de
nomination qu’il lui manquait, surtout
après avoir partagé une telle intimité au
lit la veille.
Il avait déclaré n’avoir presque aucun
souvenir de ce qui s’était passé. Qu’il la
soupçonne de l’avoir drogué était ce qui
la contrariait le plus. Certes, elle voulait
coucher avec lui, mais n’aurait jamais eu
recours à quelque sournoiserie pour le
séduire. Comment pouvait-il ignorer cela
?
Devait-elle aller le chercher pour
l’assurer de la vérité, ou le laisser
respirer ? Comment pouvait-il accorder
plus de crédit aux propos d’une créature
si fourbe qu’aux siens ? Après tout ce
qu’il avait traversé, la façon dont on avait
attenté à sa vie, Isobel comprenait
aisément qu’il trouve difficile de se fier à
qui que ce soit. Même à elle.
Durant la majeure partie de la journée,
elle fut incapable de penser à autre chose
qu’à leurs étreintes. Elle ne pouvait
croire la profondeur de l’intimité qu’ils
avaient partagée, et combien elle y avait
pris du plaisir – et en voulait encore.
Personne n’aurait jamais pu lui expliquer
suffisamment l’union physique. Il
s’agissait simplement d’un acte dont il lui
avait fallu faire l’expérience pour se le
figurer réellement. Même si elle avait
l’impression de s’être mal conduite en
s’abandonnant à un homme qui n’était pas
encore son époux.
Comme le mariage devait se révéler
agréable et fascinant pour les femmes
vraiment attirées par leur conjoint… Et
cette séduction menait sûrement à
l’amour.
Elle secoua la tête, et s’efforça de
chasser la nuit précédente de son esprit.
Reportant toute son attention sur son
environnement, elle s’aperçut que cette
minuscule pièce en haut de la tour lui
rappelait celle qui se trouvait dans le
château où elle avait grandi. Quand elle
avait dix ou douze ans, elle rêvassait à
ses noces dans quelque avenir lointain, se
voyant épouser le bel homme dont elle se
serait éprise. Ses songeries naïves lui
avaient été inspirées par l’heureuse union
que vivaient ses parents. Et elle s’était
toujours imaginé que l’on jouerait sa
ballade romantique favorite, The Laird
o’Logie, au banquet nuptial.
Au moment venu d’épouser Jedwarth,
rien ne s’était déroulé comme elle l’avait
envisagé. Il ne s’agissait guère plus que
d’un arrangement commercial. Son mari
n’avait rien d’un homme séduisant de
l’âge d’Isobel, et elle n’était absolument
pas amoureuse de lui. Tous les sourires
qu’ils échangeaient étaient forcés. La fête
donnée en leur honneur avait été
somptueuse, mais elle ne connaissait
presque personne parmi les convives, et
l’on n’y avait interprété aucune de ses
chansons préférées. On ne lui avait
d’ailleurs pas demandé ce qui lui aurait
plu. Tout était convenu d’avance. Son rôle
avait uniquement consisté à apparaître et
dire : « Je le veux. »
Elle avait grandi depuis, et savait ce
qu’était la réalité. Elle n’était plus cette
enfant idiote absorbée dans ses rêveries.
Peut-être n’entendrait-elle jamais sa
ballade favorite à son mariage, mais elle
pouvait l’interpréter elle-même, l’ayant
apprise bien des années plus tôt.
Debout devant la fenêtre, elle sortit sa
petite flûte de la bourse attachée à sa
ceinture, et l’appuya sur sa lèvre
inférieure. Après avoir placé ses mains,
elle effectua quelques gammes pour
s’échauffer. Son attelle entravait un peu le
mouvement de son majeur, mais elle
parvint à jouer convenablement, levant et
baissant le doigt sans le plier. Au bout
d’une minute, elle marqua une pause, puis
entama le morceau. Elle espérait s’en
souvenir dans son intégralité. Elle n’avait
pas pratiqué depuis une éternité. Malgré
quelques fausses notes ici et là, son
interprétation se révéla assez correcte,
compte tenu de l’absence de public.
Après quelques instants, son esprit
remonta le cours des ans jusqu’à l’époque
où elle n’était qu’une jeune fille aspirant
avec confiance à un avenir éclatant. Ses
yeux s’embuèrent et sa vue se brouilla.
Après les avoir promptement essuyés,
elle joua le couplet suivant de cette
histoire d’amour dont les vers
submergeaient son âme. Il y était question
d’un jeune lord prisonnier du roi, mais
ensuite secouru par la femme chère à son
cœur.
Un craquement retentit dans son dos.
Elle sursauta et se tourna vers la porte,
séchant ces larmes contrariantes.
Chapitre 20

La fugitive fut surprise de voir Dirk


dans l’embrasure de cette petite pièce
circulaire.
— Lady Isobel ? Pardonnez-moi. Je
pensais qu’Aiden s’exerçait ici.
— Non. Ce n’est que moi.
— J’ignorais que vous étiez
musicienne, répondit-il en la transperçant
de son regard aiguisé. Pourquoi pleurez-
vous ?
— Cela n’a aucun intérêt.
Elle se détourna pour essuyer d’un
revers de manche ces stupides larmes.
Elle détestait qu’on la voie pleurer.
— Avez-vous mal quelque part ?
s’enquit-il en entrant plus avant. S’agit-il
de votre doigt ?
— Non, tout va bien. Quant à vous,
comment va votre tête ? demanda-t-elle,
espérant dévier le sujet de conversation.
— J’ai une migraine. Mais j’en aurais
une même sans le coup de rame que j’ai
reçu sur le crâne hier soir.
— Que se passe-t-il ?
— Je préfère ne pas en parler,
répliqua-t-il en s’approchant. Laissez-
moi examiner votre majeur cassé.
Lorsqu’elle tendit la main, il la prit
entre les siennes, si larges et si chaudes.
Elle aimait la façon dont, malgré toute sa
puissance, il la tenait délicatement,
comme s’il avait craint de la blesser.
— La contusion s’estompe et la peau a
dégonflé, fit-il observer.
Elle acquiesça.
Il la dévisagea de nouveau de ses yeux
perçants.
— Alors… Pourquoi pleurez-vous ?
— C’est passé.
Elle ébaucha un sourire ténu, essayant
de le convaincre qu’elle allait bien. À la
vérité, être en sa compagnie la
réconfortait.
— Mais c’était bien le cas.
Elle secoua la tête.
— C’était à cause de cette ballade que
je jouais. Elle me fait penser à… Peu
importe. Je suis sûre que vous me trouvez
idiote.
— Non. Bien sûr que non. Pure
curiosité.
Étant donné son air captivé, il semblait
effectivement intéressé.
— Eh bien, quand j’étais petite, The
Laird o’Logie était mon morceau préféré.
Ma mère demandait souvent aux
musiciens de le jouer après le souper. Je
pensais qu’un jour, on l’interpréterait à
mon banquet nuptial. Je menais alors une
existence protégée, et je croyais vraiment
que mes rêves se réaliseraient. Bien
entendu, ce n’est jamais arrivé.
Il se dirigea vers la fenêtre, comme
distrait par quelque chose au-dehors.
Après un moment, il se retourna vers elle,
mais elle ne parvint à déchiffrer son
expression.
— Je vous avais prévenu que c’était
bête, dit-elle en rougissant.
— Cela n’a rien de stupide de vouloir
être heureux.
— J’espère que vous l’êtes avec cette
nouvelle position de chef.
Il haussa les épaules.
— Pour moi, ce titre ne représente pas
le bonheur, mais plutôt le sens du devoir
et des responsabilités.
Elle ne comprenait que trop bien ces
notions, et elles ne se révélaient pas
toujours plaisantes, du moins pas dans
son propre cas.
— Quoi qu’il en soit, je vous souhaite
d’apprécier ces fonctions. Je pense que
vous êtes l’homme idéal pour les exercer.
Avisé et courageux, vous ferez un grand
meneur.
— Je vous remercie. Je ferai de mon
mieux.
Le soleil d’après-midi perçant dans la
pièce fit briller ses yeux d’un bleu vif.
— Il me paraît évident que vous ne
serez pas l’un de ces lords cupides, mais
plutôt un seigneur qui protégera son
peuple.
Il acquiesça brièvement.
— Je ferai tout mon possible pour
égaler mon père, qui a été un meneur
compétent et respecté. Le clan n’aurait pu
se montrer plus loyal envers lui.
Elle hocha la tête, se remémorant ce
qu’elle avait ressenti en entrant dans cette
pièce.
— Je voulais vous parler de ce que
Maighread a déclaré. Elle a menti. Je n’ai
jamais dit que je vous trouvais dégoûtant
et barbare. En fait, je pense même
l’inverse. Vous êtes l’homme le plus
attirant que j’aie jamais rencontré.
Derrière votre puissance et votre
endurance, vous êtes aussi quelqu’un de
compatissant et protecteur.
Il sourcilla légèrement, mais garda le
silence, semblant un instant sans voix.
— Vous ne croyez pas que je vous
manipule comme elle l’a prétendu,
j’espère. Si vous souhaitez que je parte,
je le ferai. Je ne cherche pas à vous
piéger… de quelque manière que ce soit.
— Non, c’est moi que je blâme,
grommela-t-il d’un air torturé. Un homme
devrait se maîtriser à tout moment, surtout
avec une dame… sans expérience. Même
si je l’avais su, je ne suis pas certain que
j’aurais eu la sagesse de m’arrêter.
— Eh bien… Je n’ai pas non plus
essayé de vous en empêcher. Une veuve
de vingt-cinq ans ne devrait pas être
vierge. Je sais que vous vous en souvenez
à peine, mais pour moi, c’était…, hésita-
t-elle en secouant la tête. Je n’ai pas les
mots pour le décrire. Plus beau et plus
exquis que tout ce que j’aurais pu
imaginer.
Il lui adressa un regard sombre, les
paupières baissées. Puis il se tourna
brusquement.
— Je dois prendre congé.
— Pardon ? Pourquoi ?
Il sortit et ferma la porte derrière lui.
Qu’il aille au diable, de toute façon.
Que lui avait-il pris ? Pourquoi refusait-il
de lui parler et de s’expliquer ?

Dirk inspira une profonde bouffée d’air


frais dans le couloir et se dirigea vers le
toit.
« Beau » et « exquis ».
La description de leurs ébats par
Isobel donnait envie au guerrier de
plaquer sa protégée contre le mur et la
prendre de nouveau. L’envie ainsi qu’un
pur désir s’étaient si vite emparés de tout
son être qu’il s’en trouvait presque
étourdi. Il lui fallait faire preuve de
retenue vis-à-vis d’elle. Et si cela
signifiait s’éloigner d’elle, il s’y
résoudrait.
S’il l’avait mise enceinte avant qu’elle
soit libérée de tout contrat avec
MacLeod, Dirk le paierait cher. Par
ailleurs, il s’attachait à être un homme
d’honneur qui se dominait. Posséder une
vierge qui n’était pas son épouse
atteignait les sommets de la bassesse.
Mais elle le tentait au-delà de la
raison.
Lorsqu’il sortit sur les remparts du
château, le vent glacial lui gifla le visage.
Exactement ce dont il avait besoin pour
calmer ses ardeurs. Il jeta un coup d’œil
autour de lui et s’aperçut que le toit était
désert. Les tours de garde en dessous à
chaque coin des murs étaient plus que
suffisantes pour surveiller les armées
approchantes. Aucune n’avait effectué
d’invasion depuis des années.
Souhaitant jouir de quelques minutes
d’intimité, il avait demandé à Erskine de
l’attendre en bas des marches.
Il fit les cent pas, le regard attiré vers
le soleil se couchant sur la baie et les
montagnes, dans des teintes orange et rose
auxquelles se mêlait le gris des nuages.
Quelle vue magnifique ! Il était chez lui.
Les lames se brisant en contrebas et
couvrant en rythme le sable l’aidèrent à
évacuer la tension et le désir qui
tourmentaient tout son être. Il inspira
profondément l’air frais et salé. Comme
cet endroit lui avait manqué.
Un mouvement à la porte attira son
attention. Isobel, sa capuche sur la tête, se
glissa à l’extérieur, et le vent referma
brutalement le vantail.
À quoi diable jouait-elle en le suivant
ainsi ?
Les pulsions du guerrier resurgirent,
même s’il savait n’avoir aucune chance
de pouvoir la prendre à ce moment-là.
Mais son corps n’en avait cure. Ce qu’il
avait oublié de la veille, son imagination
le compensait avec des images et des
sensations d’une sensualité ensorcelante.
Elle marcha d’un pas vif vers lui.
— Dirk ? Pourquoi avez-vous disparu
de cette façon ?
Comment pouvait-elle ne pas
comprendre ? Elle en savait peu sur les
hommes ; voilà tout. Bon sang, il n’allait
pas le lui expliquer. Moins ils parlaient
de sexe, mieux il s’en porterait.
— Êtes-vous encore en colère contre
moi ? demanda-t-elle.
— Non.
— Mais vous ne me faites pas
confiance. C’est évident.
— Si, mais c’est de moi que je doute.
— Qu’est-ce censé vouloir dire ?
Agrippant la pierre gelée devant lui, il
secoua la tête.
— Parce que… Damnation, Isobel, j’ai
envie de vous, gronda-t-il. Ne le voyez-
vous donc pas ? Je veux encore… ce que
nous avons vécu la nuit dernière.
Elle parut ébahie – de choc ou de joie,
il ne savait pas vraiment. Elle passa sa
langue sur ses lèvres. Il en devint presque
fou.
Il plissa intensément les paupières,
évitant ainsi ce spectacle voluptueux.
La seconde qui suivit, elle lui toucha le
bras. Il rouvrit alors brusquement les
yeux et la regarda d’un air furieux. Elle
était trop près, presque entièrement
appuyée contre lui.
— Isobel… Rentrez.
Le vent froid emporta ses paroles, les
rendant presque inaudibles.
Elle secoua la tête en signe de
dénégation.
— Faites ce que je vous dis, gronda-t-
il plus vivement.
Elle se mordit la lèvre, paraissant de
nouveau peu assurée et vulnérable.
— Je ne suis pas fâché contre vous,
jeune fille, déclara-t-il en s’efforçant
d’adopter une voix douce. J’essaie de
vous protéger.
— Je ne veux pas que vous me mettiez
à l’abri de vous-même.
Il sentit un papillonnement, puis un
déferlement dans sa poitrine. Bon sang !
Il avait presque l’impression de perdre
l’esprit en présence de cette femme.
Comme si son corps et ses émotions
prenaient les rênes, et que ses capacités à
raisonner l’avaient abandonné.
Il reprit une bouffée d’air vivifiant,
mais cela ne dissiperait guère son appétit
pour elle. Elle éprouvait le même désir
pour lui. Ses lèvres roses l’envoûtaient. Il
fallait qu’il y goûte une nouvelle fois.
Lâchant la pierre glaciale, il attira sa
compagne à lui. La flamboyante excitation
que contenaient les yeux de celle-ci attisa
ses instincts. Elle avait la bouche aussi
froide que lui, mais l’intérieur était chaud
et doux lorsqu’il s’y engouffra. Il glissa
ses mains sur le dos d’Isobel pour la
prendre par la taille et la tenir près de lui.
Du bout des doigts, elle parcourut ses
cheveux, les tira, mais il n’y prêtait
aucune attention. Il ne voulait rien d’autre
que dévorer chaque once de cette
créature.
De sa langue délicate, elle taquinait
celle de son amant, embrasant la passion
de celui-ci, le faisant gémir. Il la plaqua
contre sa fougueuse virilité. Seigneur,
comme il avait envie d’elle, là, tout de
suite. Le froid n’aurait rien empêché,
mais Dirk ne pouvait faire cela. Aucune
lady ne souhaitait être prise contre un mur
de pierre glacé, les jambes exposées au
vent d’hiver.
Imaginer ses cuisses nues et écartées,
avec lui installé au milieu, suffit à faire
sursauter son membre avec une fougueuse
excitation. Le nouveau chef poussa un
gémissement. Les lèvres d’Isobel étaient
plus douces que n’importe quelle
friandise au miel qu’il eût jamais mangée.
Quelque chose passa derrière la tête de
MacKay dans un sifflement, et l’air que
produisit le mouvement souffla sur ses
cheveux. L’inquiétude retentissant dans
tout son être, il roula au sol avec sa
compagne. Elle atterrit sur lui, mais il la
poussa rapidement derrière son dos.
Diable, de quoi s’agissait-il ?
Une flèche rebondit contre le mur.
— Iosa is Mhuire Mhàthair.
Un bâtard le prenait pour cible ?
Damnation ! L’un d’eux aurait pu se faire
tuer.
— Restez couchée !
Avec précaution, il se releva et scruta
le toit. Ils étaient toujours seuls. Ce
devait provenir de quelqu’un se trouvant
en bas. Comment savait-on qu’il était
monté là ? Il observa par-dessus le bord
de la muraille vers l’endroit d’où l’on
avait tiré – à l’ouest. Il ne vit personne en
contrebas. Où était passé ce vaurien ?
Il fit dériver son regard un peu plus
loin, en direction de l’enceinte entourant
la chapelle. Une silhouette disparut
derrière une grande pierre tombale en
forme de croix celtique. On essayait de
l’assassiner à partir de la cour de l’église
? Quelle sorte de démon se tapissait là ?
Il ne pouvait s’agir de McMurdo. Il se
trouvait au cachot – du moins, il y était
encore à peine une heure auparavant. Il ne
s’était sûrement pas échappé depuis.
Aucune alarme n’avait retenti.
Les yeux plissés, Dirk guetta et
attendit. Il ne distingua plus aucune trace
de l’individu habillé de vêtements
sombres.
Isobel traversa le toit en rampant vers
son sauveur.
— Avez-vous vu quelqu’un ?
— Oui, mais je n’ai pas réussi à
l’identifier.
Le crépuscule se faisait plus noir à
chaque seconde qui s’écoulait.
MacKay avait la certitude que
Maighread avait engagé cette personne,
qui que ce fût. Qui savait combien de
sbires elle avait embauchés pour
assassiner son beau-fils ?
— Allons, retournons à l’intérieur.
Tout en demeurant accroupis, ils se
dirigèrent vers la porte. Il l’ouvrit et aida
la fugitive à la passer. Ils atteignirent le
dernier étage du château.
— J’aimerais que vous restiez dans
vos quartiers jusqu’à ce que je vienne
vous chercher, dit-il d’une voix étouffée.
Je vais prendre des soldats avec moi et
tenter d’attraper celui qui nous a tiré
dessus. Je ferai poster un garde devant
votre chambre.
— Pensez-vous vraiment que ce soit
nécessaire ? chuchota-t-elle.
— Oui. Maintenant que Maighread est
informée de notre… moment d’intimité,
elle se servira peut-être de vous pour
m’anéantir.

— Pourquoi portez-vous une armure ?


demanda doucement Rebbie à Dirk
lorsque celui-ci apparut dans la grande
salle.
Le guerrier scruta ceux qui étaient
présents. Même si certains l’observaient
avec curiosité, aucun ne paraissait hostile
ni suspicieux.
— Pourquoi, croyez-vous ? marmonna
MacKay de côté, s’assurant que personne
ne se trouvait assez près pour l’entendre.
On essaie encore de m’éliminer.
Le comte sourcilla d’un air sombre.
— Que s’est-il passé ?
— Sur les remparts, il y a quelques
minutes, une flèche m’a rasé la tête. Un
individu se cachait dans le cimetière. Un
bâtard que Maighread a engagé, sans
doute. Ou peut-être était-ce Haldane. Je
rassemble les hommes pour effectuer des
recherches. McMurdo devrait encore être
au cachot. Si c’est le cas, cette sorcière
se sera payé les services d’un autre
criminel. S’il s’est échappé de quelque
façon, je me lance à sa poursuite. Je serai
moins clément, cette fois.
— Alors j’aurai moi aussi besoin de
mon armure, déclara MacInnis en
refermant la main sur la poignée de son
glaive fixé à sa hanche.
— Oui. Et il nous faudra également nos
heaumes.
— Vous voilà, entendit-il dans son dos.
Il fit volte-face et vit Aiden, qui
arborait un air inquiet et regardait par-
dessus son épaule.
— De quoi s’agit-il ? s’enquit-il.
— Je vous cherchais partout, chuchota
le garçon. Nous devons nous entretenir en
privé.
— Faisons cela dans la bibliothèque.
Allez-y en premier, nous arrivons tout de
suite.
Ainsi, au cas où sa belle-mère aurait
un espion dans la salle, on ne
remarquerait pas que les deux frères
étaient ensemble. Il ne souhaitait pas que
cette harpie sache qu’Aiden était de
connivence avec lui. Cela pourrait mettre
le jeune homme en danger. Il ne croyait
pas réellement que Maighread attenterait
à la vie de son propre fils, mais si elle
estimait qu’il la trahissait, elle pourrait
décider de récupérer le titre de chef pour
son cadet.
Quelques minutes plus tard, Rebbie et
Dirk trouvèrent le puîné de ce dernier
arpentant la bibliothèque.
— Que se passe-t-il, mon cher ?
demanda le guerrier après que son ami et
lui furent entrés dans la pièce et eurent
refermé derrière eux.
— C’est mère. Je l’ai entendue
murmurer à Haldane d’aller à la taverne
du village et de rencontrer un individu
barbu aux cheveux clairs.
— Elle n’a pas dit son nom ?
Aiden secoua la tête.
— Non. Si elle l’a prononcé, je ne l’ai
pas relevé.
— Pour quoi faire ? Est-ce quelqu’un
qu’elle emploie pour m’assassiner ?
— J’en ai eu l’impression. Haldane est
censé lui apporter un sac de pièces
d’argent.
Dirk récita un chapelet de jurons en
gaélique.
— Restez là, mon frère. Je vais
emmener les hommes et vérifier ce qui se
trame à l’auberge.
Quelques instants plus tard, MacKay,
MacInnis, Keegan, Erskine et cinq
membres du clan quittèrent Dunnakeil à
cheval par le chemin couvert de boue
glacée. Le crépuscule avait rapidement
laissé place à la nuit. Le vent froid
soufflait prestement des nuages bas sous
la lune, faisant ainsi alterner des moments
de pénombre et d’obscurité. Même s’il
était difficile d’y voir clairement, Dirk
examina les collines et les montagnes
autour d’eux, comme le firent ses
compagnons.
Avant qu’ils ne quittent le donjon, il
avait inspecté le cachot. McMurdo y était
toujours enfermé. Le guerrier avait
interrogé les complices du bandit, mais
aucun n’avait révélé quoi que ce soit. Il
devait découvrir de qui provenait cette
nouvelle menace. Qui lui avait envoyé
cette flèche, et qui Haldane devait-il
rencontrer à la taverne ?
Il espérait seulement qu’Isobel
demeurerait cloîtrée comme il le lui avait
dit. Il avait laissé le deuxième fils de
Conall, Dougal, ainsi qu’un autre homme
digne de confiance, faire le guet devant la
porte de la jeune femme. Dirk devait
s’empêcher de penser au baiser qu’il
avait échangé avec elle sur le toit, de
peur d’en être déconcentré, mais il
apparaissait ardu d’oublier le goût de
cette bouche dont il n’était jamais
rassasié. Les images d’elle qui défilaient
avec netteté dans sa tête firent bouillonner
son sang dans cette nuit de givre.
Son regard fut attiré par la lumière
dansante d’une flamme à la bouverie
abandonnée de Stackie aux abords du
sentier. Il fit halte.
— Il y a quelqu’un dans l’étable là-
bas. Ce pourrait être un fermier, ou une
embuscade, déclara-t-il en descendant de
sa monture. Venez. Allons les surprendre.
Ses compagnons mirent également pied
à terre, dégainèrent leur glaive et le
suivirent. Abandonnant leur lanterne
derrière eux, et deux hommes pour garder
les bêtes, ils parcoururent le reste du
chemin en rampant sous la lueur
capricieuse de la lune, le gel crissant
sous leurs bottes.
Ils se faufilèrent derrière le petit
bâtiment et sur le côté aussi
silencieusement que possible. Percevant
des voix étouffées à l’intérieur, Dirk
marqua une pause pour les écouter, mais
ne distingua aucun de leurs propos.
— Pensez-vous qu’il s’agisse de
Haldane ? murmura Rebbie.
— Probablement.
Lorsqu’ils virent l’un des amis de son
jeune frère contourner seul l’angle de la
bouverie, ils en eurent la confirmation. Le
guerrier l’assomma avec la poignée de
son épée. Sa victime émit un cri sourd et
s’écroula au sol.
— Ligotez-le, chuchota MacKay en
rengainant son arme.
Il espéra que le bruit n’alerterait pas le
reste de la bande. Lorsqu’il entendit des
voix s’élever à l’intérieur, il supposa que
les vauriens n’y avaient prêté aucune
attention.
MacInnis traîna l’homme derrière la
construction en pierre.
La querelle se poursuivit dans l’étable,
puis un hurlement y coupa court –
Haldane, s’efforçant de se montrer
autoritaire, voire impérieux. Comment
pensaient-ils tendre un piège à quiconque
en faisant un tel vacarme ? Ou peut-être
n’était-ce pas une embuscade, après tout,
simplement une réunion. Dans les deux
cas, ils ne préparaient sûrement rien de
bon.
Le cadet de Dirk et ses compagnons se
trouvaient dans ces âges délicats où l’on
n’est plus un garçon, et pas encore un
homme. La plupart étaient grands et forts,
mais faisaient plus preuve d’impudence
que de bon sens. Ils étaient prêts à
prendre des risques stupides qu’éviterait
un adulte. Ils se révélaient dangereux, tant
pour les autres que pour eux-mêmes.
Le guerrier attendait dans l’ombre, au
flanc du bâtiment, où la lune ne pouvait
l’éclairer.
Un autre jeune individu fit dépasser sa
tête à l’angle.
— Finlay ? Où diable êtes-vous ?
Approchez-vous encore d’un pouce.
MacKay esquissa presque un sourire
quand l’inconnu sortit son glaive et
s’avança lentement. Il bondit des
ténèbres, lui saisit le poignet avec lequel
il tenait son arme, et plaqua une main sur
sa bouche.
— Taisez-vous ou vous le regretterez,
gronda-t-il à l’oreille de sa proie.
Maîtrisant sans peine le gringalet, il
l’attira derrière la bouverie.
— J’ai besoin d’une corde et d’un
bâillon, murmura-t-il à Rebbie.
— Il est temps de mettre fin à tout ceci,
marmonna Keegan lorsque les deux
fauteurs de troubles furent troussés
comme des cochons.
— Quel est votre plan ? s’enquit Dirk.
— Je vais interroger Haldane sur ce
qu’il complote tandis que vous restez là
tous les deux.
Le soldat avait des rapports bien plus
étroits avec lui que MacKay, l’ayant
fréquenté durant toutes ces années, peut-
être parviendrait-il donc à lui parler.
Mais le nouveau chef souhaitait toutefois
protéger son cousin. Son petit frère était
imprévisible et sans scrupules, surtout
lorsqu’il exécutait les volontés de
Maighread.
Le groupe de Dirk fit subrepticement le
tour de l’étable.
— Vous, mes compagnons, attendez ici,
dit-il à Erskine et aux autres.
Avec Keegan et MacInnis, il pénétra
dans le bâtiment en ruine. Les cinq
hommes qui se disputaient à l’intérieur se
turent subitement avant de se retourner.
Une lanterne était placée sur le côté,
illuminant chaque visage.
— Que faites-vous donc ici ? demanda
Haldane, en observant son aîné d’un air
furieux.
— Je me pose la même question à
votre sujet, mon frère.
— Où sont Finlay et Ross ?
— À l’abri, répondit Keegan. Mais
vous, les garçons, que fabriquez-vous
dans cette étable abandonnée ?
— Mes affaires ne vous concernent
pas.
— J’estime qu’elles me regardent en
tant que laird de ce clan, déclara Dirk.
— Vous l’êtes tant que vous parvenez à
rester en vie.
Dans un sourire railleur, Haldane
dégaina son glaive. Ses quatre compères
l’imitèrent, se mettant en garde.
Diantre, il regrettait que ce blanc-bec
soit son frère ; dans le cas contraire, il lui
aurait enfoncé un peu de bon sens dans le
crâne à coups de poing. Il n’allait pas
s’en prendre à un membre de sa famille…
Du moins, il espérait ne pas avoir à le
faire. Il se souvenait encore de lui
lorsqu’il n’était qu’un petit garçon. Mais
il pouvait donner une leçon à ce crétin en
le jetant au cachot.
— Rengainez votre épée, ordonna-t-il
d’un ton raisonnable, conservant la sienne
dans son fourreau.
Tant il était inexpérimenté, son frère
ignorait que cet endroit se révélait trop
confiné pour permettre d’utiliser
efficacement un glaive. Une dague ou un
poignard auraient été bien plus adéquats
si l’on voulait être sûr d’éliminer
quelqu’un.
— Non, gronda Haldane. Réglons cela
une bonne fois pour toutes.
— J’ai des compagnons qui attendent
dehors. Vous êtes moins nombreux que
nous, rétorqua Dirk en croisant les bras
sur sa poitrine.
— Cela ne m’empêchera pas de vous
occire, riposta le rebelle en le chargeant
brusquement, la pointe de sa lame dirigée
vers le torse de son aîné.
Ce dernier fit un pas de côté et attrapa
son assaillant par le bras qui tenait
l’arme. Même si le garçon était fort et
légèrement musclé, sa puissance n’était
guère comparable à celle de sa cible. Le
guerrier lui tordit le poignet assez
fermement pour le casser. Le jeune
homme hurla et lâcha son glaive. Dans
une rapide manœuvre, MacKay lui retint
les bras derrière le dos et lui plaqua la
figure contre le mur en pierre.
Des lames d’acier s’entrechoquèrent
avec fracas tandis que les autres hommes
déplaçaient l’affrontement à l’extérieur
pour avoir plus d’espace. Damnation, il
faisait trop sombre à présent pour se
battre.
— Écoutez-moi bien, petit bâtard,
vociféra le chef dans l’oreille de son
frère en lui remontant plus
douloureusement un bras. Obéir aux
ordres de votre mère vous tuera. Cette
chienne est une traîtresse doublée d’une
meurtrière. Je vais la faire tomber. Si
vous restez agrippé à ses jupons comme
un bébé, vous serez entraîné dans sa
chute. Vous désirez être un homme,
comportez-vous comme tel.
Son cadet se tortilla, jura, se débattit
pour tenter de se libérer, mais il
l’immobilisait fermement, et lui demanda
:
— Qui comptiez-vous rencontrer à la
taverne ?
— Vous croyez que je vais vous le dire
?
Le retenant par les poignets, Dirk le fit
brusquement sortir, à la recherche d’une
corde pour l’attacher. L’un des vauriens,
ou plutôt l’un des plus jeunes gardes de
Maighread, gisait inerte par terre, une
partie du visage maculée de sang.
— Que diable lui est-il arrivé ? hurla
Haldane.
— Il a été assommé, répondit Keegan.
En espérant qu’il se réveille. Sinon, le
blâme vous incombera. C’est ce qui se
produit quand on provoque une rixe. Vous
devriez avoir honte, vous battre avec des
membres de votre propre clan. Votre père
serait déçu de vos agissements.
— Ce bâtard ne fait pas partie de mon
peuple, riposta le cadet en désignant son
aîné du menton.
Le reste de sa bande fut capturé et
désarmé. Rebbie avait un pied sur le dos
de l’un d’eux, un glaive dans chaque
main. Le garçon gigotait et tournait la tête
en tous sens, essayant d’attraper la
cheville du comte. Celui-ci appuya plus
lourdement en souriant, et sa victime émit
un grognement.
— Ligotons-les tous. Ils partent pour le
donjon, annonça MacKay.
— Que j’aille en enfer si l’on
m’envoie dans un cachot, déclara
Haldane en se projetant vers le sol.
Il se débattit tant qu’il parvint à se
dégager de la prise de Dirk. Celui-ci
tenta de le rattraper, mais son frère, dont
le corps était plus fin, fut plus rapide et
s’élança vers Rebbie, qui esquiva la
charge. L’individu que MacInnis
maîtrisait sous sa botte bondit et courut
derrière le fuyard. Les deux vauriens se
ruèrent vers un bosquet.
— Lâches ! hurla Dirk.
Il lui fallait les pourchasser et les
capturer, surtout son cadet. Mais dans ces
ténèbres, ils seraient difficiles à retrouver
dans le fourré. Même s’ils étaient privés
de leurs glaives, il leur restait
certainement leurs couteaux. Ils
pourraient aisément se cacher et attaquer
quiconque les suivrait dans les buissons.
Le guerrier hissa sur ses pieds le
maigre garçon prénommé Ross, lui ôta
son bâillon et l’attrapa par les cheveux.
— Qui Haldane comptait-il rejoindre à
la taverne ?
— Je ne vous dirai rien, bâtard !
— Quel âge avez-vous ? demanda
Dirk, puisque le garçon se comportait
comme un enfant gâté.
— Dix-huit ans.
MacKay acquiesça.
— Je pense que votre père prendra une
cravache pour corriger votre misérable
postérieur quand il apprendra ce que vous
faisiez. S’opposer au meneur du clan est
considéré comme de la trahison. Vous
avez intérêt à me révéler ce que je veux
savoir. Je puis vous garder enfermé aussi
longtemps que je le souhaite. Des mois.
Des années. Peu m’importe.
— Allez vous faire voir ! Vous n’êtes
pas notre chef.
La fureur déferla dans les veines du
guerrier. Il brûlait d’envoyer ce blanc-
bec par terre avec une gifle, mais étant
donné qu’il pesait cent quarante livres de
plus que lui, un geste si violent le rendrait
aussi vil que sa belle-mère.
— Vous ne faites plus partie de ce clan,
annonça-t-il avec une froide
irrévocabilité.
Si Ross n’était pas loyal, Dirk ne
voulait pas qu’il cause des ennuis au sein
de son peuple.
— Vous ne pouvez pas faire cela,
rétorqua le jeune homme d’un ton mal
assuré.
— Je viens de le décider. Si l’envie
me prend de vous libérer du cachot, vous
devrez quitter ce territoire et ne jamais
revenir.
— Mais je suis chez moi !
— Que pensez-vous qu’il arrive quand
les hommes manquent de fidélité envers
leur laird ?
Le garçon se contenta de le dévisager,
les yeux écarquillés.
— Je ne puis vous faire confiance,
poursuivit-il. Vous pourriez me
poignarder dans le dos.
— Très bien, répondit Ross dans un
grognement, comme si l’on avait extirpé
les mots de sa bouche. Haldane n’avait
personne à voir. Ce devait être une
embuscade.
Entendre la confirmation de ses
soupçons fit bouillonner MacKay de
fureur.
— Il prévoyait de me tuer ici ?
— Oui.
— Pourquoi ? exigea-t-il de savoir,
même s’il connaissait déjà la réponse.
— Sa mère lui en a donné l’ordre.
— Évidemment.
Cette chienne ! Il ne s’était attendu à
rien de moins.
— Qui m’a envoyé la flèche sur le toit
?
— Votre frère vous a aperçu là-haut
quand nous nous rendions ici. Il a déclaré
que vous vous preniez pour le roi du
château et qu’il fallait vous renverser de
votre trône. Il a sommé Gil de vous tirer
dessus pendant que nous autres étions
dissimulés derrière le mur de l’église.
— Qui est Gil ?
— Celui qui s’est enfui avec Haldane.
Damnation ! Le guerrier aurait
particulièrement apprécié de le capturer.
— Je vous remercie pour ces
révélations.
— J’ai dit la vérité. Allez-vous
m’autoriser à rester, maintenant ? Je ne
souhaite pas quitter le clan.
— Cela dépend de la loyauté que vous
me témoignerez. Je ne tolérerai aucune
parole en l’air. Réfléchissez-y un peu, et
décidez ensuite du genre d’homme que
vous désirez devenir.
Le jeune vaurien baissa la tête.
— Ramenons ces traîtres au donjon.
Avancez, commanda-t-il à Ross.
Celui-ci trébucha en avant et regarda
par-dessus son épaule, à présent plus
effrayé. Il savait pertinemment qu’un
individu banni était en effet vulnérable,
mais Dirk n’accepterait aucune infidélité.
On porta les deux félons assommés
pour les installer négligemment sur les
dos des chevaux. Le reste de la bande fut
ligoté et fut forcé de marcher. Les garçons
avaient désormais perdu leur arrogance.
Aucun d’entre eux n’avait dû passer de
temps dans un cachot, et peut-être cette
perspective les angoissait-elle un peu.
MacKay mena sa monture et obligea
Ross à marcher devant lui, tandis qu’il
tenait les cordes enserrant les poignets de
sa proie.
Quelques minutes plus tard, ils
passèrent les grilles de Dunnakeil, où les
gardes s’étonnèrent de voir des
prisonniers de leur propre peuple, dont
certains étaient les fils de membres
respectés. Il fallait donner une leçon à ces
jeunes gens s’ils devaient un jour devenir
des hommes estimés parmi leur clan.
Peut-être ne le seraient-ils jamais. Dans
ce cas, leur chef se verrait contraint de
les chasser.
Le guerrier s’adressa aux sentinelles à
l’entrée.
— Ne laissez pas entrer Haldane ni
son compère Gil. Ce sont des traîtres qui
m’ont tiré dessus et ont ensuite provoqué
une échauffourée dans la bouverie. Si
vous les voyez, emparez-vous d’eux.
Passez la consigne à tous les soldats.
L’un des gardes haussa les sourcils.
— Oui, milord.
Le donjon contenait quantité de
cellules pourvues de portes solides et
bien entretenues. Dirk s’assura que tous
les acolytes de son frère, jusqu’au
dernier, soient placés dans une pièce
individuelle, car il ne voulait pas leur
permettre d’échanger ni d’élaborer
d’autres plans. Il souhaitait qu’ils
consacrent une réflexion longue et
attentive aux actes de traîtrise qu’ils
avaient perpétrés, en attaquant ainsi leur
chef et ses compagnons. On avait exécuté
des hommes pour moins que cela. Il
n’avait aucune intention de procéder de
façon aussi radicale, mais il ne serait
jamais capable de faire confiance à ceux
qui l’avaient poignardé dans le dos. Il se
réjouissait de découvrir précisément les
membres du clan dont il fallait se méfier.
À présent, il devait s’occuper de sa
belle-mère.
Chapitre 21

Maighread regarda Dirk et sa cohorte


armée pénétrer dans la grande salle. Le
souper avait été suspendu le temps que le
laird revienne… Elle en avait grincé des
dents.
Elle plissa les yeux en direction de ce
bâtard arrogant. Échevelé par le vent, il
était vêtu d’une armure et portait son
heaume. Où se trouvait Haldane ? Était-il
blessé ? Cet usurpateur avait-il saboté le
guet-apens qu’elle avait si soigneusement
élaboré ? Elle savait qu’Aiden écoutait
au moment où elle avait dit à son frère de
rencontrer cet homme à la taverne. En
réalité, il n’y avait ni homme ni rendez-
vous à la taverne. Le jeune vaurien et ses
acolytes, ainsi que l’un des gardes de sa
mère, étaient censés surprendre Dirk et
les amis de celui-ci, et les tuer. Ou au
moins éliminer le guerrier, mais il ne
paraissait même pas blessé, ni aucun de
ses compagnons. Une frustration rageuse
bouillonnait dans les veines de la
meurtrière. Que diable s’était-il passé ?
— Où est Haldane ? murmura-t-elle à
Aiden, qui se tenait tout près.
— Comment le saurais-je ? Je suis
resté ici toute la soirée.
— Pas d’impertinence avec moi, jeune
homme.
— Je vous prie de m’excuser, mère,
mais j’ignore où il est.
Il s’éloigna d’elle. Comment osait-il se
montrer si grossier et si ingrat envers elle
? Ne savait-il pas qu’elle faisait tout cela
pour lui ?
Tendant attentivement l’oreille, elle
saisit quelques propos échangés par les
arrivants. Ils évoquaient une embuscade
déjouée, et l’emprisonnement de quelques
individus dans le donjon.
Qu’il aille en enfer ! Avait-il jeté son
cadet au cachot ? Elle traversa la salle au
pas de charge, regrettant de ne pas avoir
une petite dague à lui enfoncer entre les
côtes.
— Où est mon fils ? questionna-t-elle
fermement.
— Votre aîné est juste là, répondit Dirk
en désignant l’intéressé du doigt. Quant à
Haldane, j’ignore où il se trouve.
— Menteur !
Elle serra les poings pour s’empêcher
de lui sauter dessus et lui arracher les
yeux. Elle n’avait jamais détesté
quelqu’un avec autant de virulence.
Il lui adressa un sourire moqueur. La
haine rageuse qu’elle éprouvait n’en fut
qu’attisée.
— Si vous vous en prenez à mon fils,
vous le paierez très cher.
— Pourquoi voudrais-je du mal à mon
propre frère ? Que pourrait-il accomplir
pour me provoquer ? Quelque effroyable
tâche que vous l’auriez envoyé exécuter,
peut-être ?
Le silence s’abattit dans la pièce, et
tous les regards se posèrent sur elle.
Il tentait de la piéger pour qu’elle
révèle ses plans. Elle n’était pas aussi
stupide qu’il le croyait.
— Je n’ai rien fait de tel.
— Haldane a d’abord ordonné à l’un
de ses amis de me tirer une flèche dessus.
Ensuite, il m’a attaqué avec un glaive. En
attentant à la vie du chef, il est devenu un
traître dans ce clan.
Maighread sentit son souffle se glacer
dans sa poitrine. S’il avait tué son
garçon…
— Qu’avez-vous fait de lui ?
— Il est parti se cacher dans les
buissons, comme le petit couard qu’il est.
Ne lui confiez pas de missions d’homme,
ce n’en est pas un.
— Sale bâtard, feula-t-elle.
Il esquissa un sourire sinistre.
— Emmenez-la dans sa chambre, et ne
l’autorisez pas à en sortir, ordonna-t-il à
l’un des soldats à côté de lui.
— Quoi ? Avez-vous perdu la tête ?
demanda-t-elle d’un ton régalien.
— Non, je suis parfaitement sain
d’esprit, et fort conscient que rien ne vous
arrêtera dans vos tentatives d’assassinat à
mon encontre.
Ses yeux bleu pâle et inquiétants la
transperçaient, aiguisés comme des
poignards.
Elle ne s’était pas montrée assez
prudente, et l’avait sous-estimé.
— Je n’essaierais jamais de vous tuer,
répondit-elle d’une voix qu’elle espérait
innocente.
Dirk renâcla.
Elle mourait d’envie de gifler sa figure
suintant de suffisance, comme elle le
faisait quand il n’était qu’un petit garçon.
Mais il avait tellement grandi à présent,
ses épaules et ses bras ressemblaient à
des branches d’arbre.
— Néanmoins, vous êtes assignée à
résidence, ma belle-mère. Seuls Aiden et
le souvenir de père me retiennent de vous
jeter au cachot avec vos sous-fifres, car
votre place est là-bas.
Elle se raidit de tout son être,
submergée par le besoin d’étouffer cet
homme, de lui enfoncer le crâne avec un
objet lourd. Elle fut tentée, en apercevant
la dague de la taille d’un pied qu’il
portait à sa ceinture, de l’attraper pour la
lui planter dans le cœur.
Mais elle ne pouvait rien faire. Il était
désormais deux fois plus grand qu’elle, et
l’aurait facilement écrasée de son énorme
poing.
— Milady, dit un garde en lui désignant
l’escalier.
Elle n’avait d’autre choix que de
s’exécuter pour le moment, mais elle était
loin d’en avoir fini avec Dirk. Il
regretterait de l’avoir ainsi tournée en
ridicule devant tout le clan.

Au bruit de voix étouffées résonnant


dans le sombre couloir, Isobel marqua
une pause avant de passer l’angle.
Puisque le guerrier avait consigné
Maighread dans ses quartiers trois jours
plus tôt, la fugitive avait gardé une oreille
attentive à ce que les autres étaient
susceptibles de comploter pour l’aider à
s’échapper, ou pour s’en prendre au
nouveau chef.
Espionnant en silence de son coin, elle
vit deux jeunes bonnes devant la porte de
son sauveur. Il ne se trouvait aucun garde.
Elle avait remarqué qu’il ne s’entourait
parfois de personne à l’intérieur du
château, puisqu’il avait confiné cette
maudite sorcière dans sa chambre et que
Haldane était quelque part au-delà du mur
d’enceinte.
De quel sujet les deux domestiques
pouvaient-elles donc s’entretenir ?
— Vous le faites, dit l’une.
— Non, vous. Je n’entre pas là-dedans,
répondit l’autre fille dans un murmure
sonore.
— S’il s’agissait du petit Aiden, cela
ne me dérangerait pas trop. Mais j’ai peur
de celui-là.
— Vous me croyez plus rassurée que
vous ?
— C’est le seigneur, espèce de dinde.
Vous ne pouvez lui désobéir.
— Je sais. Mais je préfère être
renvoyée que violée.
« Violée » ? Craignaient-elles cela de
lui ? Dans ce cas, elles se méprenaient
sérieusement.
Isobel sortit de la pénombre.
— Pourquoi vous querellez-vous ?
— Oh, milady, s’exclama l’une d’elles
en couvrant sa bouche, tandis que sa
compagne écarquillait des yeux presque
exorbités. Je n’avais pas vu que vous
étiez là.
— Quel est le motif de votre dispute ?
Elles restèrent muettes.
— Le laird Dirk MacKay ? devina-t-
elle.
L’une des bonnes acquiesça d’un air
penaud.
— Nous ne voulons pas perdre notre
emploi, milady, chuchota-t-elle en
l’implorant d’un air misérable.
— Pourquoi cela se produirait-il ?
— Il prend un bain et demande que
l’on aille lui laver le dos. Et… enfin…
La servante se mordit fermement la
lèvre.
— Ah. Je vois.
Une séduisante image de son corps
musclé étendu dans une cuve en bois
taquina l’imagination de la jeune lady.
— Vous n’avez rien à craindre de lui,
déclara-t-elle. C’est un homme bon, et un
meneur respectable. Je vais m’en charger.
— Oh. Vraiment ?
Les domestiques rayonnèrent
littéralement de soulagement.
— Oui. N’allez pas colporter que je
me suis proposée de le faire, et je ne
raconterai pas au chef MacKay que vous
esquiviez vos devoirs.
— Oh, non, milady, répondirent-elles
en secouant la tête de manière théâtrale.
Nous ne dirons pas un mot.
— Si je m’aperçois que vous avez
osé…, les avertit-elle.
— Nous vous le promettons. Nos
lèvres sont scellées.
Elles se retirèrent en trottinant, comme
si des loups affamés les avaient
poursuivies.
Idiotes. Aider le seigneur à faire sa
toilette était sûrement une tâche plus
adaptée pour une veuve de toute façon.
Elle avait ainsi assisté feu son mari à de
nombreuses reprises.
Dirk était resté fort occupé les trois
jours précédents, et elle l’avait à peine
vu. Elle commençait à se demander s’il
l’évitait.
Elle frappa à sa porte.
— Entrez.
Sa voix caverneuse la fit frissonner.
Elle ouvrit et le trouva assis dans un
immense cuvier en bois, à peu près
comme elle se l’était figuré. Ses épaules
nues et ses bras puissants éveillèrent ses
instincts féminins.
— Que diable… ? marmonna-t-il. J’ai
sollicité une bonne, pas vous, milady.
— Pourquoi pas ?
Après avoir pénétré dans la pièce, elle
referma soigneusement la porte derrière
elle. Elle envisagea de la barricader,
mais peut-être l’aurait-il mal interprété…
ou correctement. Elle réprima un sourire.
— J’ai l’habitude d’aider un homme à
se laver. Je l’ai fait avec mon ancien
époux maintes fois avant sa mort.
Il poussa un soupir exaspéré.
— Non. Je vous prie de partir.
Maintenant, précisa-t-il avec fermeté.
— Il est inutile d’être si obstiné. Avez-
vous besoin ou pas que l’on vous frotte le
dos ?
— Vous ne pouvez pas. Vous avez une
attelle au doigt.
— Non, je l’ai retirée aujourd’hui.
Elle leva la main pour lui montrer.
— Vous n’auriez pas dû. C’est trop tôt,
grommela-t-il. Je doute que votre os se
soit déjà ressoudé.
— Il va bien, je vous assure, affirma-t-
elle en s’approchant.
Il souffla un juron dans sa barbe.
— Vous ne travaillez pas comme
domestique. Et vous êtes fiancée à un
autre homme.
— Que se passe-t-il ? Je ne fais que
vous assister pour votre toilette. Il ne
s’agit pas… de séduction.
Il lui adressa un regard dur et, l’espace
d’une seconde, elle comprit pourquoi les
bonnes le craignaient tant. Il ressemblait à
un envahisseur scandinave assoiffé de
sang, tels ceux que décrivait le barde de
son père dans ses récits des siècles
passés, prêt à dévaster tout le pays. Mais
elle savait qu’il n’était pas ainsi.
— Vous me pensez incapable de vous
aider à vous baigner ? interrogea-t-elle en
se plantant devant la cuve, les bras
croisés sur sa poitrine.
— Non. Mais votre idée est tout
simplement épouvantable.
— Ne soyez pas idiot.
Elle ne tint pas compte du froncement
de sourcils qu’il arborait, et vint plus
près de lui. Ce torse nu émergeant de
l’eau aurait suffi à distraire n’importe
quelle femme. Le ventre du guerrier, le
haut de son dos et ses bras étaient
sillonnés de muscles d’acier. Dieux du
ciel, le contempler l’empêchait presque
de respirer. Une couche de poils blonds
sur sa poitrine s’étrécissait au niveau de
sa taille. D’un furtif coup d’œil, Isobel
aperçut qu’une serviette de lin lui
couvrait les cuisses.
Elle s’installa derrière lui et trouva le
savon par terre à côté du cuvier.
— Vous serait-il possible de vous
pencher en avant, s’il vous plaît ?
demanda-t-elle.
Lorsqu’il s’exécuta, elle eut une
splendide vue de son dos dans la lumière
du feu… Les stries de sa puissance, les
vestiges de vieilles plaies, et la tache de
naissance en forme de dague. Elle avait
entendu les anciens parler de cette
marque et du fait qu’elle prouvait son
identité. La cicatrice qui se trouvait en
dessous était particulièrement effrayante
et rugueuse, mais ne semblait pas due à un
coup de glaive.
— Que s’est-il passé là ?
Elle parcourut l’entaille blanche et
irrégulière du bout des doigts.
Il poussa un soupir chuintant.
— C’est lorsque j’ai glissé de la
falaise il y a douze ans. Les rochers
dentés m’ont déchiré la chair, mais ce
sont les mêmes qui ont interrompu ma
chute en accrochant mon tartan.
— Oh.
Elle passa ses doigts glissants de
savon sur l’anomalie de ce corps parfait.
Si cette vilaine marque symbolisait le fait
qu’il soit resté en vie, la jeune femme se
réjouissait donc de la voir.
Il aurait pu si facilement mourir à
quinze ans, Isobel n’aurait alors jamais eu
l’occasion de l’apprécier. Tandis qu’elle
massait les omoplates et les épaules du
guerrier, elle s’aperçut combien elle le
chérissait et l’admirait. Il ne s’agissait
pas seulement de son impressionnant
physique, mais de lui, en tant qu’homme.
Elle n’avait jamais connu un tel être.
Elle se rinça les mains, les savonna de
nouveau, puis lui lava le dos, s’efforçant
de pétrir les muscles rigides, mais il était
si crispé qu’elle n’y parvint pas.
— Je sais ce que vous essayez de faire,
grommela-t-il.
— Simplement de vous aider pour
votre toilette, l’assura-t-elle, espérant
qu’il ne pouvait lire dans ses pensées.
— Je ne suis pas stupide, ma petite.
— Bien sûr que non. Vous êtes même
extrêmement intelligent.
Il soupira, et grinça bruyamment des
dents.
— Que croyez-vous que je tente de
faire ? interrogea-t-elle, sincèrement
curieuse de savoir ce qu’il pensait.
Peut-être la même chose que lorsqu’ils
étaient sur les remparts quelques jours
plus tôt… Qu’il la voulait. Qu’une fois
encore, il mourait d’envie de vivre ce
qu’ils avaient partagé au lit l’autre nuit.
Avec la manière passionnée dont il avait
confessé ses désirs avant cet
époustouflant baiser, il avait ravi le cœur
de sa protégée.
— Par tous les saints, gronda-t-il. Vous
n’êtes pas obligée de faire cela, Isobel.
Je vous protégerai de ceux qui
chercheraient à vous faire du mal.
— Je le sais. Vous êtes incroyablement
honorable. Il est temps de vous laver les
cheveux. Vous êtes prêt ?
— Oui.
Elle souleva un seau d’eau chaude et
lui en versa la moitié sur le crâne.
Il crachota en secouant la tête,
projetant des gouttes sur les jupons de sa
compagne.
Elle lui lissa la chevelure en arrière à
partir de son front altier, puis la frictionna
vigoureusement.
Même s’il demeurait silencieux, les
yeux fermés pour éviter que la mousse ne
les irrite, il était tendu de tout son corps.
Debout au-dessus de lui, elle avait une
vue parfaite sur ses épaules jusqu’à son
giron. Le linge était à présent
extrêmement dressé. Avant la nuit qu’ils
avaient passée ensemble, avant d’avoir
senti le membre puissamment durci de
Dirk se glisser en son antre, elle se serait
peut-être demandé comment cette partie-
là d’un partenaire pouvait ainsi soulever
du lin. Elle avait déjà été en contact avec
l’attribut de feu son époux, qui n’était
guère qu’une chose frêle et ballante. Elle
s’était souvent interrogée sur les raisons
pour lesquelles on appelait le sexe
masculin une « verge » s’il n’en avait pas
la rigidité.
Maintenant, elle comprenait que cet
appendice était effectivement censé se
raidir… lorsqu’il était excité. Il ne faisait
également aucun doute que Dirk devenait
irritable dans cet état-là. Un détail que
Beitris avait oublié de lui préciser sur les
hommes.
— Je devine pourquoi vous êtes fâché,
dit-elle.
— Maintenant, vous le savez ?
Au murmure rocailleux de cette
question, Isobel fut parcourue de frissons
enfiévrés.
— Oui.
— Pourquoi cela ?
Une vague de chaleur monta de la
poitrine jusqu’aux joues de la jeune
femme. Oserait-elle prononcer les mots
qu’elle avait en tête ? Il la prendrait
sûrement pour une débauchée, et en toute
honnêteté… elle l’était.
— Parce que vous êtes dur, lui
confessa-t-elle au creux de l’oreille dans
un chuchotement.
— Seigneur, Isobel, gronda-t-il. Vous
vous aventurez sur un terrain diablement
glissant.
Elle se mordit la lèvre pour
s’empêcher de ricaner.
— Vous voyez, à présent, vous êtes
encore plus irascible.
— Contentez-vous de me rincer les
cheveux et finissons-en avec ce maudit
bain.
Il accordait de l’importance à son
précieux sang-froid, n’est-ce pas ? S’il le
perdait, que ferait-il ? Peut-être lui
donnerait-il un autre baiser brûlant. Ou il
la porterait à son lit et ravirait son corps
une fois de plus. Elle en eut des
fourmillements dans le bas-ventre à cette
simple pensée.
Elle lui versa un seau et demi d’eau
claire sur la tête, pour en rincer la
mousse.
— Voilà. Vous êtes tout propre.
Il écarta les cheveux mouillés de son
visage et s’essuya les yeux.
— Merci. Vous êtes maintenant libre de
vous retirer.
Pfff. Elle n’y était guère disposée.
— Avez-vous besoin d’aide pour quoi
que ce soit d’autre ?
Il se retourna, et l’observa du coin de
l’œil, furieux. Il avait désormais la main
et le bras sur ses cuisses pour cacher son
érection.
— Cela vous amuse de me torturer ?
demanda-t-il.
— Non. Je ne cherche pas du tout à
faire cela. Je veux…
Il plissa les paupières, la mettant en
garde.
Elle parvenait à peine à respirer tandis
qu’ils se dévisageaient. Le regard
habituellement pâle de Dirk était à cet
instant plus sombre qu’elle ne pouvait le
concevoir. Il avait les narines dilatées et
les mâchoires serrées.
— Partez, lui ordonna-t-il avec un
léger mouvement de tête en direction de
la porte. Tout de suite.
Et si elle refusait ? Hurlerait-il contre
elle ? La rouerait-il de coups ? Était-il
excité au point de ne plus maîtriser ses
actes et perdre la raison ? Même s’il
avait l’air effrayant, elle ne le craignait
pas. Au lieu de cela, son regard menaçant
ne faisait qu’attiser davantage l’ardeur
d’Isobel, trahissant le désir intense qu’il
éprouvait pour elle. Elle se languissait de
la passion qui émanait de lui.
Lors de leur première étreinte, il
n’avait plus toute sa tête, avec l’influence
des herbes médicinales. Comment se
comporterait-il en toute lucidité, en étant
complètement lui-même ?
Elle sentit tout son être s’embraser,
dans une alternance de chaud et de froid,
comme sous l’effet de quelque maladie.
Elle ne pouvait penser à rien d’autre
qu’au corps brûlant et tendu du guerrier
contre elle. En elle. Il l’avait révélée à sa
féminité. Elle voulait revivre cela. Et
souhaitait qu’il soit entièrement présent
cette fois.
En réponse à l’ordre qu’il lui avait
donné de quitter la pièce, elle secoua la
tête en signe de dénégation, sachant
qu’elle se montrait obstinée et
inconvenante en désobéissant à un chef.
Dans un mouvement brusque et rapide,
il se leva du cuvier en faisant gicler de
l’eau. De carrure phénoménale,
ruisselant, le membre dressé, il était
magnifique.
Dieux du ciel !
Ses épaules étaient incroyablement
larges au-dessus de sa taille mince. Les
muscles épais de ses cuisses se
contractèrent lorsqu’il sortit de la cuve et
s’approcha d’elle à grandes enjambées
comme un animal affamé. Le cœur
d’Isobel battit la chamade.
— C’est votre dernière chance,
l’avertit-il. Sortez d’ici, ou vous en
subirez les conséquences.
— « Subir » ? répéta-t-elle en se
mordant la lèvre pour s’empêcher de
sourire à l’emploi de ce terme. Vous
n’allez pas me faire mal, n’est-ce pas ?
demanda-t-elle doucement, sachant que ce
ne serait pas le cas.
— Je ne vous promets rien. Je devrais
corriger votre petit derrière avec ma
cravache.
— Vous ne m’avez pas fouettée la
dernière fois. Et la douleur n’a duré
qu’une minute. S’est ensuivi uniquement
du plaisir.
Elle eut l’attention attirée par l’attribut
de Dirk qui remuait. La seconde suivante,
il se tenait devant elle, l’acculant contre
le mur de pierre en la soulevant. Avant
qu’elle puisse émettre un son, il lui
dévora la bouche, l’assiégeant, la goûtant.
Hmm… Elle perdit le fil de ses pensées
sous l’effet de cet assaut sensuel. La
façon dont il enfonçait sa langue rappelait
à la jeune femme comment il l’avait
pénétrée lors de leur précédente étreinte.
Son instinct féminin s’était alors embrasé.
Oui, son corps réclamait que l’on se
l’approprie ainsi.
Elle sentait ce membre dur frotter
contre son entrejambe à travers le tissu de
sa robe. Elle s’agrippa fermement au cou
de son amant tandis qu’il la hissait sans
peine contre lui. Il fourra une main sous
ses épaisseurs de jupons, les écartant
violemment pour s’y engouffrer jusqu’à
ce qu’il atteigne sa destination. Du bout
des doigts, il caressa son intimité de la
plus choquante et de la plus excitante des
manières. Elle retint son souffle.
— Damnation, comme vous êtes
mouillée, lui murmura-t-il à l’oreille.
Elle était incapable de formuler la
moindre réponse. Elle savait seulement
que d’une façon ou d’une autre, ses chairs
devenaient moites dès que cet homme
l’embrassait ou la touchait. Ou
lorsqu’elle le contemplait nu. Elle
supposait qu’il s’agissait d’excitation
féminine.
Il l’effleura en décrivant des cercles
lents et ensorcelants. De la pure magie !
Son plaisir et son envie s’enflammèrent,
embrumant ses pensées.
— Oui, souffla-t-elle, sollicitant
d’autres baisers.
Il introduisit en elle un doigt humide ;
elle crut partir comme un boulet de canon.
Elle se tortilla, dans une vaine tentative
de trouver quelque soulagement à cette
torture sensuelle. Une fois encore, elle se
languissait cruellement de ce large
membre à l’intérieur de son être, la
pénétrant profondément comme lors de
leur première nuit.
— Prenez-moi, chuchota-t-elle en
refermant ses bras autour du cou de Dirk.
— Damnation, Isobel ! Vous me rendez
fou.
Certes, la démence était précisément ce
qui animait aussi la jeune veuve à cet
instant précis.
Il repoussa davantage les vêtements de
sa compagne. Faisant glisser l’extrémité
rigide de sa virilité contre les replis les
plus sensibles de sa maîtresse, il
commença à pénétrer celle-ci par petits
coups.
— Oui, Dirk.
Elle était au bord du délire tant son
corps désirait celui de son partenaire.
Il émit un gémissement rauque et
s’enfonça plus avant avec délicatesse ; se
retira, puis l’assaillit de nouveau, la
défiant dans un va-et-vient toujours plus
audacieux. Elle voyait qu’il se montrait
désormais prévenant. Il n’avait pas fait
preuve d’une telle lenteur la première
fois.
Chaque mouvement devint plus aisé
que le précédent, et la jeune femme en
apprécia la moindre seconde, éprouvant
ses limites. La taille de son amant lui
avait convenu l’autre nuit, elle savait
donc qu’il en serait de même ce soir-là. Il
finit par onduler les hanches, s’imposant
en elle de ce dernier pouce. Il prononça
un juron en grondant, et elle se sentit
alors possédée, conquise par son
compagnon. Elle lui appartenait à présent.
Tout comme il était sien. Cette réalité la
consuma. Elle ignorait si elle était la
seule à avoir cette impression.
Il s’immobilisa, leurs deux êtres unis
de la plus primitive et émouvante des
façons, leurs bouches s’effleurant, ses
yeux assombris par ses paupières mi-
closes rivés sur ceux de sa protégée.
D’une certaine manière, elle avait le
sentiment qu’il revendiquait son droit sur
elle. Enfin.
Elle lui taquinait les lèvres de sa
langue, impatiente de le déguster. Il sortit
presque entièrement pour replonger en
elle, avec élan et assurance. Elle
suffoqua, abasourdie et frissonnante.
Encore et encore, ce plaisir violent la
martelait, toujours plus fabuleux à chaque
passage. De plus en plus rapide, jusqu’à
ce qu’elle en ait le souffle coupé.
Exactement comme la dernière fois, une
indicible extase jaillit en elle, s’emparant
de son corps et de son esprit. Elle hurla.
Il lui couvrit la bouche avec la sienne,
capturant ses cris. S’enfonçant plus avant,
il rugit, ses lèvres sur celles d’Isobel. Il
se déhancha dans un ultime assaut, puis
frémit contre elle. Un grondement
rocailleux lui échappa, suivi d’une
grossièreté.
Se retirant tout en la portant, il tituba
vers le lit. Il s’y écroula sur le dos, en
tenant fermement sa partenaire sur sa
poitrine. Elle avait le visage enfoui dans
son cou, et ne voulait pas bouger.
— Par tous les saints, Isobel,
commença-t-il d’une voix éraillée et
haletante. Vous m’avez presque tué.
Elle sourit.
— Non, il faut sûrement plus que cela
pour terrasser un si valeureux guerrier.
Il s’esclaffa brièvement, puis ils
reprirent leur souffle en silence.
— J’ai une question, dit-elle.
— Oui ?
— J’ai éprouvé une sensation intense
et indescriptible chaque fois que nous
avons fait l’amour, vers la fin.
— Moi aussi.
— De quoi s’agit-il ?
— Le point culminant d’une relation
intime, l’orgasme. Les Français appellent
cela la « petite mort ».
— Oui, l’espace d’un instant, j’ai cru
mourir de plaisir.
Il la fit rouler sur le côté, et esquissa
un rictus hilare.
— Vraiment ?
— Oui, et cela m’a effrayée la
première fois.
— Il n’y a rien à craindre de cette
jouissance.
Il parut soudain satisfait, voire fier de
lui.
— Je me demandais si vous étiez un
amant émérite, et c’est le cas. Ô combien.
Il plissa les yeux.
— Quand vous êtes-vous posé cette
question ?
— Lorsque nous avons passé cette nuit
seuls dans la chaumière à Scourie.
— Vous étiez alors vierge. Que saviez-
vous des partenaires talentueux ?
— Très peu de choses. Beitris a tenté
de m’expliquer ce qui se déroulait entre
un homme et une femme. Je ne parvenais
pas à m’imaginer cela séduisant,
jusqu’à…
— Jusqu’à ?
— Vous. Quand nous voyagions, la
façon dont vous me touchiez – en
m’aidant à monter sur votre cheval ou à
en descendre, en me tenant avec
délicatesse et fermeté pendant que Rebbie
me soignait le doigt, sans parler du temps
que j’ai passé assise à califourchon
derrière vous sur votre bête. Ces seuls
contacts m’ont donné envie d’en avoir
d’autres.
Il inspira profondément, lui adressant
un regard énigmatique.
— Vous savez ce que cela signifie,
n’est-ce pas ?
— Non, répondit-elle.
— Je ne vous laisserai pas retourner
chez les MacLeod, annonça-t-il d’un ton
possessif.
— Je n’en avais aucune intention de
toute manière.
— Et cela implique également la
guerre.
Ses yeux furent animés d’une effrayante
étincelle.
— La guerre ? Non. Mon aîné ne
consentirait pas à ce que j’épouse cet
homme dont la brute de cadet abuserait de
moi sous leur toit. Les membres de ce
clan n’ont donc aucune raison de prendre
les armes. Ils sont responsables de ma
fuite.
— Eh bien, espérons que votre frère
trouvera un arrangement avec eux avant
qu’ils ne s’aperçoivent que je vous ai
volée.
— Est-ce bien ce qui s’est passé ?
demanda-t-elle en souriant. Êtes-vous un
ravisseur de fiancée ?
— Maintenant, oui. Par tous les saints !
Je n’avais jamais imaginé faire cela un
jour.
— Parce que vous êtes si honorable ?
Il haussa les épaules.
— Je crois en la vertu de faire ce qui
est bien.
Il est bien pour nous d’être ensemble.
Elle manqua de prononcer cette phrase à
voix haute, mais n’était pas certaine de la
façon dont il réagirait à ses propos. Elle
espérait qu’il revendiquerait plus encore
son droit sur elle en déclarant vouloir
l’épouser. Non que les circonstances l’y
contraignent. Elle convolerait seulement
avec un homme qui désirerait s’unir à
elle, pour ce qu’elle était. Pas pour ses
biens ni sa dot. Ni pour des raisons
d’honneur.
Elle voulait un mariage d’amour.
Dirk se leva, traversa la chambre et
versa du vin chaud dans une tasse. Il
l’apporta au lit et la tendit à Isobel après
en avoir pris une gorgée. Son corps
délicieusement nu la distrayait trop pour
qu’elle songe à consommer de l’alcool.
Elle en sirota et lui rendit le gobelet.
Il le posa puis s’allongea à côté d’elle
et se couvrit jusqu’à la taille. Il parut
subitement préoccupé et plongé dans ses
pensées.
Elle repoussa les draps, exposant son
amant de nouveau à sa vue. Elle était
consciente de se comporter telle une
audacieuse débauchée, mais souhaitait en
apprendre davantage sur cet être.
Les yeux mi-clos, il la regarda tandis
qu’elle examinait ses mensurations.
— Tout simplement… merveilleux,
déclara-t-elle, caressant du bout des
doigts le membre soyeux, qui ne se
révélait ni dur ni mou.
MacKay laissa échapper un
gloussement.
— Il n’y a que vous pour parler de
cette manière d’une chose aussi charnelle
et terre à terre qu’un vit.
— Est-ce ainsi qu’on le nomme ? Un
vit ?
— Oui, c’est l’un de ses noms. Les
autres sont trop vulgaires pour vos
oreilles délicates.
Elle s’empourpra, mais son attention
dériva vers l’appendice en question. Elle
se redressa en position assise et le
caressa du bout des doigts. Quelle
fascination de le voir se raidir et
s’allonger à chaque instant qui passait.
Elle s’en saisit et le serra. Dirk gronda, la
teinte bleu sombre de son regard lui
révélant son désir de la prendre une fois
encore.
Oui, faites-le, s’il vous plaît.
Le guerrier ne parvenait pas à croire ce
qu’il avait fait. Maintenant qu’il n’était
plus sous l’influence de quelque drogue,
il se remémorait chaque seconde, chaque
détail du moment où il avait emporté
Isobel au sommet du plaisir. Elle avait été
si belle, à couper le souffle.
— C’est vous qui êtes merveilleuse,
murmura-t-il avant de lui déposer sur les
lèvres de petits baisers, comme il aurait
pris des gorgées de vin, en les savourant
une à une.
Elle l’envoûtait, avec ses yeux
ténébreux et ensorcelants levés vers lui
dans la lueur des bougies.
Non, il ne pourrait jamais la laisser
partir à présent.
Elle pressa fermement le membre
durci, déclenchant en Dirk une vague de
pur plaisir et d’envie brute. Damnation,
comme il aimait la voir déployer un
penchant pour la débauche.
— Vous ai-je fait mal tout à l’heure ?
s’enquit-il, se rappelant soudain qu’il
aurait dû se montrer plus délicat
puisqu’elle avait perdu sa virginité
depuis si peu de temps.
Elle secoua la tête en lui adressant un
sourire espiègle.
— Non. C’était même tout l’inverse.
Il baissa les yeux, s’apercevant de sa
nudité alors qu’elle était entièrement
habillée.
— Ôtez ces maudits vêtements.
Il aurait dû se sentir décontenancé de
constater qu’il l’avait prise avec un
empressement tel qu’elle n’avait même
pas eu la possibilité de se dévêtir ; mais
elle l’avait nargué au-delà de son seuil de
tolérance. Son esprit s’était emporté dans
un tourbillon d’excitation et de voracité
qu’il fallait rassasier.
Il l’aida à retirer sa robe. Lorsqu’elle
fut allongée à ses côtés, il dévora du
regard les courbes voluptueuses de sa
compagne ainsi que sa peau lisse et pâle.
Il prit en coupe l’un de ses seins rebondis
sur lequel pointait un ravissant mamelon
rose foncé.
— Magnifique, susurra-t-il avant d’en
aspirer le succulent téton dans sa bouche
pour le sucer, se délectant de son goût si
féminin.
Il huma la douce fragrance de sa peau.
— Hmm, vous sentez le nectar de fleur.
Dans un gémissement, elle lui passa
ses doigts dans les cheveux pour l’attirer
plus près d’elle en lui tenant tendrement
la tête. Il apprécia ce geste enthousiaste et
affectueux, et porta son attention sur
l’autre sein.
Elle tenta de l’entraîner contre elle afin
de réduire encore la distance qui les
séparait. Lui-même impatient de se
rapprocher, il roula entre les cuisses de
sa maîtresse, savourant le doux contact de
cette peau contre la sienne. Par tous les
saints ! Combien de fois avait-il rêvé de
se trouver à cet endroit précis.
— Encore, je vous en prie, Dirk,
chuchota-t-elle d’un ton implorant.
Il gronda, chérissant le désir qu’il lui
inspirait. Il ressentait la même ardeur,
incapable d’assouvir son envie d’elle.
S’élevant au-dessus d’elle, il se glissa
vers le haut et plongea le regard dans ses
prunelles sombres d’enchanteresse, tandis
qu’il guidait son membre en elle.
Éprouvant de nouveau la chaleur
ruisselante de sa partenaire, il perdit
presque la maîtrise de ses actes – et tout
sens commun. Il voulait s’engouffrer sur-
le-champ dans les profondeurs d’Isobel,
mais s’efforça d’une certaine manière de
se refréner, se rappelant que leurs
étreintes pourraient se révéler
douloureuses pour elle.
Pendant qu’il lui assiégeait la bouche à
coups de langue, elle tortillait les hanches
dans un mouvement qui donna à Dirk
l’envie de la pénétrer puissamment.
— Hum, vous réclamez, marmonna-t-il,
parvenant à peine à se retenir.
— Oui, s’il vous plaît. Encore, le
supplia-t-elle.
Incapable de résister, il se souleva et
augmenta le rythme de ses assauts.
Quelques instants plus tard, elle hurlait,
le corps agrippé à celui de son amant
tandis qu’elle jouissait. Lui couvrant les
lèvres des siennes, au cas où quelqu’un
l’entendrait dans le couloir, il se délecta
de la manière dont les muscles intérieurs
de sa compagne le caressaient
étroitement, le menant aux confins de la
raison et du désir. Son propre orgasme le
brûla de tout son être tel un boulet de
canon, dans une explosion de plaisir qui
anéantit toutes ses pensées.
Lorsqu’il recouvra ses esprits, il se
demanda, haletant, comment diable il
allait sortir de cette situation sans une
guerre de clans.

Un bruit le réveilla quelque temps


après. Qu’était-ce donc ? Il sortit d’un
sommeil reposant pour trouver Isobel
lovée devant lui, chaude et nue. Hmm…
Elle remua son appétissant derrière
contre le membre excité de son
partenaire. La passion déferla en lui,
l’incitant à explorer les courbes soyeuses
de sa protégée. Il fit glisser une main le
long de sa cuisse, sur ses hanches et sa
taille jusqu’à son opulente poitrine. Il prit
à pleine paume l’un de ses seins fermes
quoique moelleux, puis tira vivement sur
le mamelon durci. Gémissante, elle
pressa ses fesses contre lui.
Des coups secs et pressants retentirent
à la porte.
— Dirk !
Chapitre 22

Le guerrier grommela par réflexe un


chapelet de jurons, démesurément
contrarié d’être ainsi tiré de ce paradis
d’excitation somnolente tandis qu’il se
trouvait blotti contre Isobel. Il était dur
comme la pierre, et avait besoin de la
prendre sur-le-champ.
— Dirk, êtes-vous là, mon garçon ?
lança ce qui semblait être la voix de son
oncle.
— Oui ! cria-t-il, avant de se hisser
hors du lit.
La pièce était presque plongée dans
l’obscurité totale, à l’exception de la
lueur que produisaient quelques braises
dans la cheminée. Où diable étaient ses
vêtements ? Il attrapa l’une des
couvertures en laine sur le matelas et
l’enroula autour de sa taille.
La porte s’ouvrit, et Conall entra, muni
d’une lanterne.
— J’arrive ! Attendez dans le couloir,
s’empressa de dire MacKay pour
empêcher son visiteur de voir la jeune
femme dans ses draps derrière lui.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle,
en remuant avant de se retourner.
Le vieil homme arqua vivement les
sourcils.
Enfer ! Dirk leva les yeux au ciel.
— Si vous pouviez nous laisser un peu
d’intimité, je vais me vêtir. Posez la
lampe ici.
— Soit. Mais dépêchez-vous, mon
enfant, dit Conall.
Il laissa la lanterne par terre, puis se
retira en fermant la porte.
— De quoi s’agissait-il ? s’enquit
Isobel de nouveau.
— Je ne sais pas encore. Il faut que je
m’habille pour aller le découvrir.
Comme le moment était mal choisi. Ce
devait être sérieux, ou son oncle n’aurait
pas fait ainsi irruption. Dirk ouvrit une
malle, en sortit quelques affaires et les
enfila en hâte.
— Restez là. Je reviendrai vous
informer de ce qui se déroule quand je le
pourrai.
Elle s’assit, le front plissé.
— J’espère que vous ferez attention.
— Bien entendu.
Il voulait l’embrasser, mais un tel geste
aurait trahi ce qu’il ressentait et ne
souhaitait lui dévoiler.
— Barricadez-vous et ne laissez entrer
personne.
Elle acquiesça.
— Revenez vite.
Il saisit la lampe et rejoignit Conall.
— Pas un mot de tout cela à qui que ce
soit, mon oncle, l’avertit-il.
— Malgré mon envie de vous taquiner
au sujet de la fille dans votre lit, il se
trame des choses plus importantes.
— Quoi ?
— Haldane et ses acolytes ont aidé
tous les prisonniers du donjon à s’évader,
y compris McMurdo.
— Comment diable y sont-ils parvenus
? questionna Dirk en accélérant le pas.
— Ils ont tué deux gardes MacKay et
blessé un troisième.
— Iosa is Mhuire Mhàthair. Ce petit
bâtard. J’en ai assez de lui laisser des
secondes chances et de le traiter comme
un frère. Je ne puis fermer les yeux sur un
meurtre.
— Je suis d’accord.
— Qui sont ses complices, et combien
étaient-ils ?
— Nous ne le savons pas avec
certitude, mais ils ont pris dix chevaux. Et
quelqu’un a vu l’un des hommes de votre
belle-mère avec eux pendant qu’ils
fuyaient. Après inspection du reste de sa
troupe, il est apparu qu’ils manquaient
tous à l’appel.
— Maighread se cache derrière tout
cela, évidemment.
— Sans aucun doute. Peut-être que
l’une de ses bonnes a porté une missive à
un garde ou à Haldane.
— Je me suis montré trop clément
envers elle et son cadet.
Conall hocha la tête.
— Je reviens tout de suite, lui dit son
neveu. Je dois parler aux soldats que j’ai
postés à la porte de cette sorcière.
Après avoir traversé le couloir et gravi
à vive allure un escalier, Dirk arriva à la
chambre de lady MacKay. Les deux
individus se tenaient de chaque côté de
l’embrasure.
— Qui est entré ici ou en est sorti ?
s’enquit-il.
— Sa servante lui a monté son souper
hier soir, répondit l’une des deux
sentinelles avec hésitation.
— Ne permettez l’accès à personne
d’autre. Elle ne doit pas être en contact
avec qui que ce soit. Aucun échange
verbal ni écrit. Assurez-vous qu’elle ne
dissimule pas le moindre message en
dessous ni à l’intérieur de quelque objet
quittant la pièce. Deux gardiens sont
morts à cause de ses complots. Cette
affaire est de la plus haute importance.
Comprenez-vous ?
— Oui, milord, répondirent-ils à
l’unisson.
Ils avaient tout intérêt à obéir aux
ordres, ou il les enverrait faire leurs
bagages. Il ne supporterait aucun employé
insubordonné ou négligent.
Quelques instants plus tard, le guerrier
retrouva son oncle dans le couloir
inférieur. Ils descendirent la volée de
marches étroites, et se trouvèrent en
présence de plusieurs hommes en colère
qui criaient dans la grande salle.
— Quelle direction ont-ils prise ?
demanda Dirk d’une voix retentissante.
Ses compatriotes se turent en se
retournant vers lui.
— Nous ne le savons pas encore. Trois
des nôtres sont à leur poursuite.
— Pourquoi tout ce chahut ? lança
Rebbie derrière lui.
MacKay fit volte-face vers son ami,
qui avait revêtu sa tenue complète.
— Grâce à Haldane, les prisonniers se
sont échappés. Ils ont tué deux geôliers.
Nous allons les chercher.
Il alla vers l’entrée à grandes
enjambées, suivi de tout le groupe.
Ils traversèrent l’enceinte éclairée par
des torches pour gagner les écuries où les
palefreniers et leurs assistants
s’affairaient déjà à seller des chevaux.
— Chacun des hors-la-loi est parti
avec une monture, annonça l’un des
jeunes garçons au chef du clan. J’ai tenté
de l’en empêcher, milord, mais votre
frère a volé la vôtre.
Le guerrier se sentit prêt à exploser
d’indignation.
— Quoi ? Il a pris Tulloch ?
Le serviteur recula, intimidé.
— Oui. Il m’a forcé à le préparer en
pointant son glaive sur moi.
— Maudit petit bâtard, gronda Dirk.
Il n’était pas certain qu’il aurait pu se
retenir d’étrangler ce vaurien s’il s’était
trouvé là. Il espérait que sa bête enverrait
voler ce morveux dans un marécage.
— Il doit avoir des bijoux de famille
aussi gros que des boulets de canon,
marmonna Rebbie.
— Ce qui pourrait lui être fatal.
La bravoure n’égalait pas
l’intelligence.
— Combien de chevaux reste-t-il ?
— Une vingtaine, répondit le
palefrenier.
— C’est suffisant.
Ils retrouveraient ces meurtriers
voleurs de montures.
Un maigre individu entra en courant
dans les écuries, le souffle court.
— Milord, je ne suis pas parti avec
eux.
MacKay leva la lanterne et s’aperçut
qu’il s’agissait de Ross, l’ami de
Haldane qu’il avait menacé d’expulser du
clan.
— Ils m’ont libéré, mais au lieu de les
suivre, je me suis caché jusqu’à leur
départ.
— Je suis fier de vous, Ross, déclara
le guerrier, se fiant en partie au jeune
homme, tout en se demandant si celui-ci
n’avait pas été laissé sur place par son
cadet pour quelque infâme raison. Peut-
être afin de les espionner. Mais il allait
lui accorder le bénéfice du doute.
— Je suis heureux de constater que
vous avez tiré une leçon de tout cela.
Savez-vous où ils se dirigeaient ?
— Non, ils ne l’ont pas dit. Mais ce
sont Haldane, Gil et des gardes de lady
MacKay qui nous ont relâchés.
Comme le beau-fils de cette sorcière
l’avait supposé.
— Restez ici pour aider les garçons
d’écurie.
— Oui, milord.
Ross rejoignit aussitôt les palefreniers,
en leur proposant son assistance pour
quelque tâche.
— Surveillez-le, chuchota discrètement
Dirk à Conall. Je n’ai pas confiance en
lui. Il travaille peut-être pour mon frère.
Empêchez-le de s’approcher d’Isobel.
Pourrez-vous passer le message à ses
gardes ?
Son oncle acquiesça.
— Bien sûr. Faites attention à vous,
mon garçon.
Le chef grimpa sur une monture
inconnue, les veines palpitant d’une
nouvelle vague de fureur à l’encontre de
Haldane. Il récupérerait Tulloch, même
s’il devait pourchasser ce pendard
jusqu’aux Lowlands.
Quelques instants plus tard, Dirk,
Rebbie, Keegan, Erskine, et presque une
dizaine de membres du clan parmi les
plus forts et les plus expérimentés
passèrent les portes principales à cheval,
laissant quelques sentinelles postées à
l’entrée, au cas où les hors-la-loi feraient
demi-tour.
Équipés de lanternes et de torches, ils
parvinrent à suivre les empreintes de
sabots dans les quelques pouces de neige
qui recouvraient le sol gelé de la lande.
Les traces menaient au sud. Une profonde
angoisse pesa sur l’estomac de MacKay.
S’étaient-ils mis en route pour Munrick
Castle, chez les MacLeod ?
Maudite Maighread ! Elle avait
envoyé son fils leur révéler l’endroit où
se trouvait Isobel. Ce ne pouvait être que
cela. Elle ferait tout pour arrêter le
guerrier, même trahir la fille de sa
meilleure amie. Il n’aurait guère dû
s’attendre à quoi que ce soit d’autre de la
part de cette criminelle.
Une demi-heure plus tard, la maigre
lueur de l’aube éclairait faiblement le
ciel. Dirk fut étonné d’apercevoir une
grosse masse sombre traverser la vaste
étendue dans la neige, ses larges sabots
battant le sol dans un bruit sourd en se
rapprochant.
— Tulloch ?
Il alla plus près de lui et fit signe aux
autres de marquer une halte. Oui, le
cheval de guerre trottait vers lui.
— Eh bien, que je sois maudit, lâcha
MacInnis.
Le chef bondit à terre en souriant, ravi
de retrouver son destrier – qui était
surtout son ami. Interrompant sa course
dans un dérapage, mais encore indocile,
l’animal renâcla en trépignant, comme
extrêmement insulté d’avoir été subtilisé
puis monté par un voleur de chevaux.
Son maître attrapa ses rênes.
— Allons, mon grand. Calme-toi.
Il laissa la bête le sentir, ce qui apaisa
celle-ci.
— Eh, tu as fait ce qu’il fallait. As-tu
balancé ce petit bâtard dans un lac ? Je
l’espère.
Il vérifia que Tulloch n’était pas
blessé, puis examina sa selle et son
harnais. Tout semblait aller. Il se hissa sur
son dos. L’un des hommes, qui montait
avec un compère, récupéra le cheval
supplémentaire.
Deux heures plus tard, ils atteignirent
Scourie, et les traces de sabots dans la
neige continuaient vers le sud, comme le
guerrier l’avait prévu.
Il fit une halte, et le groupe l’imita.
— Les renégats sont allés chez les
MacLeod, annonça-t-il.
— Diable, marmonna Rebbie.
— Pourquoi ? s’enquit l’un des
membres du clan.
Bien entendu, MacInnis, Keegan,
Erskine et certains autres connaissaient la
raison, mais tout le monde n’en avait pas
eu vent chez les MacKay.
— Ma belle-mère les y a envoyés.
Comme vous le savez, j’ai secouru lady
Isobel lors d’une tempête de neige il y a
quelques jours.
Une poignée d’individus acquiescèrent.
— Ce que vous ignorez peut-être,
poursuivit-il, c’est que l’un des MacLeod
s’en est pris à elle et a tenté de la violer.
Voilà pourquoi elle s’est enfuie. Elle est
par ailleurs fiancée à leur laird.
Ses compagnons grommelèrent des
jurons à l’encontre de ce maudit clan.
— Cette jeune femme était en sécurité
avec nous, mais maintenant, à cause de
Haldane et de ses acolytes, les MacLeod
sauront où elle se trouve, et viendront la
chercher.
— Qu’ils viennent ! Nous les
embrocherons un par un jusqu’au dernier
!
Un cri jaillit. Les hommes étaient
clairement animés d’un vif désir de
bataille, et impatients de l’entamer. Leurs
montures renâclèrent et dansèrent sur
place dans l’excitation.
— Inutile de pousser plus avant vers le
sud, déclara Dirk lorsqu’ils eurent repris
leur calme. Nous savons où sont parties
nos proies. Nous allons retourner à
Dunnakeil et nous préparer au combat.
— Oui ! hurlèrent plusieurs de ses
compagnons.
— Après avoir chevauché de Munrick
jusqu’à Dunnakeil, ils seront épuisés.
Nous aurons l’avantage.
— Oui, chef, approuvèrent certains.
Fier qu’ils le soutiennent, le guerrier
les guida vers leur forteresse à une allure
plus tranquille, afin de ne pas éprouver
les bêtes. De retour chez eux, après le
déjeuner, il confia des responsabilités à
chacun afin que tout le monde soit prêt
avant l’arrivée de leurs ennemis.
Quelques-uns parmi les plus jeunes
MacKay n’avaient jamais connu de
conflit, car leur peuple avait vécu en paix
depuis plusieurs années, et les MacLeod
étaient jusque-là leurs alliés. Dirk avait
presque la conviction que cette entente se
révélait désormais rompue, puisqu’il
avait porté secours à Isobel.
Ayant terminé d’affecter des tâches, il
pénétra dans la grande salle, espérant
bénéficier d’un moment d’intimité avec sa
protégée.
— Mon garçon, nous devons discuter,
lui dit son oncle, qui le suivait dans la
pièce.
Dirk se retourna.
— Oui. À quel sujet ?
— Allons dans la bibliothèque.
Lorsqu’ils furent à l’intérieur, Conall
ferma la porte et déclara :
— L’accord passé avec les Murray me
tourmente.
— Moi aussi.
Quel euphémisme. Il détestait l’idée de
briser un contrat que son père avait signé,
mais il ne pouvait le mener à terme. Il lui
était impossible d’épouser une autre
femme alors qu’il aimait Isobel.
Damnation ! D’où lui était venue cette
pensée ? Il fut soudain livide, puis
parcouru de frissons.
Il n’avait jamais été épris d’une femme
auparavant, et n’était pas certain de ce
qu’il éprouvait réellement. Peut-être
n’était-ce pas de l’amour. Cependant, il
se sentait animé d’émotions fortes et
violentes qu’il ne pouvait nier.
— En outre, il réside le problème de
votre relation avec lady Isobel, ajouta le
vieil homme d’un ton grave.
— Certes.
Il s’agissait assurément du sujet qui le
préoccupait le plus, et le détournait de
son rôle de chef.
— Elle est jolie, et la première fois
que je vous ai vu l’observer, j’ai su que
vous seriez incapable de lui résister.
Dirk haussa les épaules.
— C’est vrai.
Il ne pouvait prétendre le contraire,
puisque son oncle avait aperçu la veuve
dans son lit, mais il ne comptait pas non
plus tout lui confesser.
— Quand vous aviez quinze ans, nous
sommes tous passés voir les MacKenzie à
Dornie.
— Oui, je m’en souviens bien,
répondit-il.
— Il demeure quelque chose que vous
ignorez.
Conall gratta sa barbe grise, comme
embarrassé de ce qu’il avait à dévoiler.
— Votre père souhaitait que cela reste
un secret pour vous, poursuivit-il. L’objet
principal de cette visite n’était pas que
votre mère voie son amie.
— Qu’était-ce donc ? demanda son
neveu qui s’impatientait de le voir
tergiverser.
— Griff voulait arranger des
fiançailles entre vous et la fille
MacKenzie.
Le nouveau seigneur fut submergé
d’une violente confusion.
— Comment ?
— Oui, lady Isobel est la promise en
question.
— Je n’ai jamais été fiancé à qui que
ce soit. Mon père me l’aurait dit.
— En effet. C’est celui de cette jeune
femme qui a refusé l’union.
Dirk sourcilla, ne sachant s’il
souhaitait vraiment en connaître la raison.
Cette révélation était un tel choc pour lui,
qu’un millier de questions assiégeaient
son esprit.
— Il n’a pas fourni de motif valable
pour ce rejet, précisa Conall. Seulement
qu’Isobel était trop jeune, et que sa
femme désirait attendre qu’elle mûrisse
un peu pour prendre une décision si
capitale. Bien entendu, les filles de
meneur voient leur mariage arrangé bien
avant d’avoir treize ans, mais cette
créature était gâtée et protégée. À n’en
pas douter, sa mère voulait qu’elle
choisisse elle-même son époux.
Il haussa les épaules et reprit :
— Quoi qu’il en soit, cette question ne
s’est plus posée l’année suivante, lorsque
tout le monde vous a cru mort. Mais
aujourd’hui, cette fille est ici, et vous
semblez apprécier sa compagnie, ce qui
me fait penser… Voilà une bien étrange
chose que le destin. Et peut-être Griff
connaissait-il un élément ignoré de nous
autres.
Dirk en resta presque sans voix. Il
secoua la tête, s’efforçant de remettre un
peu d’ordre dans le chaos qui y régnait.
Un obstacle persistait.
— Elle est fiancée à un autre.
— Certes, mais j’estimais que vous
aviez le droit d’être informé. Votre père
n’a confié qu’à deux autres personnes à
part moi ce qu’il avait prévu vous
concernant. Il a été déçu lorsque le laird a
décliné cette proposition. Les MacKenzie
sont un peu plus riches que notre famille,
peut-être est-ce en partie la raison. Ou
bien souhaitaient-ils contracter quelque
autre alliance.
— Je suis content que vous me l’ayez
dit.
Son premier réflexe était de se sentir
offensé ou blessé face à ce refus de la
part du père d’Isobel. Mais à treize et
quinze ans, les deux adolescents étaient
alors trop jeunes pour se soucier de tout
cela. Il était possible qu’à l’époque, le
chef MacKenzie n’ait pas vu en ce fils
MacKay un bon futur époux. Même si
l’intéressé se demandait comment l’on
était en mesure de juger ce genre de
dispositions avant qu’un garçon soit
devenu adulte. Il était plus probable que
ce clan n’ait guère eu besoin d’une telle
union avec celui du guerrier, puisqu’ils
étaient déjà alliés.
— Je suis entièrement en faveur du fait
qu’un homme choisisse lui-même sa
fiancée, déclara Conall en souriant.
— Comme vous l’avez fait ?
— Oui. Votre tante est une femme
remarquable. Nous sommes heureux
depuis de nombreuses années. Je veux
cela pour vous aussi, ainsi que Griff le
souhaitait. Si Isobel est votre élue, battez-
vous pour elle.
— J’en ai l’intention.
En effet, comment pouvait-il renoncer à
elle désormais ? Ce n’était plus
envisageable.
— Mais je déteste l’idée d’avoir
entraîné tout mon clan dans une bataille
personnelle, poursuivit-il.
— Tout combat que vous menez est
aussi le nôtre, affirma son oncle d’un ton
zélé. Nous ne vous abandonnerons pas.
Vous avez bien fait de protéger cette dame
de la canaille qui la torturait, et de
l’avoir secourue des éléments déchaînés.
Dirk hocha la tête.
— Je vais devoir l’épouser. C’est
indiscutable.
— Est-ce une épreuve pour vous ?
s’étonna Conall en arquant les sourcils.
MacKay avait envie de sourire, mais
s’efforça d’afficher un air grave.
— Non, mais je vais avoir besoin de la
permission de son frère. Il pourrait me
considérer comme un hors-la-loi et
refuser ma proposition. Je lui aurais
volontiers envoyé une missive pour
l’informer de l’endroit où se trouvait sa
sœur, mais je craignais que l’on ne
retienne le messager pendant qu’il
traversait le territoire des MacLeod, et
que la lettre ne soit lue. Je voulais à tout
prix éviter qu’ils sachent où elle se
cache. Mais c’est à présent le cas. Ils
seront sûrement là d’ici quelques jours.
— Qu’ils viennent ! Nous ne laisserons
pas notre protégée à la merci de ces
fripouilles.
Isobel se tenait devant l’entrée de la
bibliothèque, submergée de déception.
Elle avait entendu les propos tenus par
Dirk à l’intérieur de la pièce. Il s’estimait
dans l’obligation de l’épouser. Comme si
on l’y forçait ? Elle n’avait jamais voulu
lui donner l’impression d’être piégé ni
d’être contraint à quelque engagement. Et
elle ne le ferait jamais. Elle retournerait
simplement chez son frère ou sa tante. Si
Dirk n’avait pas le choix en la matière, il
mépriserait ce mariage, et elle-même,
n’est-ce pas ?
Conall ouvrit la porte. Surprise, la
jeune veuve sursauta en reculant.
Il lui adressa un large sourire et une
révérence appliquée.
— Lady Isobel.
Il s’éloigna d’un bon pas dans le
couloir en sifflant.
Vêtu de son armure de cuir, le guerrier
observa sa compagne avec suspicion dans
l’embrasure.
— Je ne puis vous épouser, déclara-t-
elle fermement, malgré le nœud qui lui
serrait la gorge.
Puis elle fit volte-face pour partir.
Il l’attrapa par le poignet, l’attira dans
la bibliothèque et referma derrière lui.
— Vous ne devriez pas écouter les
conversations des autres, ma chère.
— Je l’ai fait sans le vouloir, rétorqua-
t-elle sèchement.
Elle détourna le regard, essayant de
dissimuler ses émotions sous un épais
manteau d’indifférence.
— Aiden m’a dit vous avoir vu vous
diriger ici, ajouta-t-elle, j’avais donc
envisagé de passer un moment avec vous.
Elle avait partagé une si profonde
intimité avec lui la veille, et il n’avait pas
eu une minute de libre à lui consacrer ce
jour-là au-delà d’une brève salutation.
— Puis, reprit-elle, j’ai entendu des
voix à l’intérieur.
Elle dégagea brusquement sa main,
saisissant par la même occasion une
délicieuse bouffée de l’odeur masculine
émanant de MacKay – un mélange de cuir,
de chevaux et de nature fraîche – et
menaçant sa résolution.
— Vous parliez de moi avec votre
oncle, j’avais donc le droit de tendre
l’oreille.
— Damnation, marmonna-t-il dans sa
barbe.
— Personne ne vous met le couteau
sous la gorge, l’assura-t-elle,
bouillonnante d’irritation. Alors je vous
en prie, ne vous sentez pas contraint par
quiconque de m’épouser au seul motif que
nous avons… partagé une couche.
— Taisez-vous, murmura-t-il.
Faisant fi de cette réponse, elle
poursuivit, résolue à livrer le fond de ses
pensées : — Au moins, mon premier mari
désirait sincèrement me prendre pour
femme. Il n’avait pas le sentiment d’y être
obligé.
— Mais je veux vous épouser,
confessa-t-il, la transperçant de ses yeux
bleus.
Elle l’étudia, s’efforçant de discerner
la vérité, et ce qu’il était susceptible
d’éprouver.
— Mais ce ne sera pas facile d’y
parvenir, affirma-t-il. Avec les MacLeod,
les MacKenzie… Sans compter le
problème des Murray.
Il paraissait assurément moins
qu’enthousiaste à l’idée de se marier
avec elle.
— Comment cela ?
— Les Murray et mon père ont signé un
contrat stipulant que leur fille, lady
Seona, s’unirait au prochain chef
MacKay.
— J’en suis informée, mais elle ne
vous accordera pas sa main.
— Vraiment ? s’étonna-t-il en haussant
légèrement les sourcils.
Elle secoua la tête.
— Elle sait ce qui s’est passé entre
nous. Nous sommes amies. Par ailleurs,
elle est éprise de quelqu’un d’autre,
même si elle refusera de l’admettre.
— Qui donc ?
— Keegan.
— Hum. Je vois.
— Ne lui en soufflez pas un mot,
précisa-t-elle d’un ton sérieux.
— Je garderai cela pour moi, dit-il,
presque en souriant.
Il était si adorable à cet instant précis,
avec ses bras musclés croisés sur sa large
poitrine et ses yeux bleus rayonnants
d’une plaisante expression. Elle avait
envie de l’embrasser, mais il aurait
certainement vu ce geste comme une
manipulation.
— Je dois prendre congé, annonça-t-
elle.
— Les MacLeod seront bientôt là.
Haldane et les hommes qu’il a fait sortir
du donjon sont allés chez eux. Envoyés
par Maighread.
Elle espéra avec ferveur que le clan de
Dirk ne la livrerait pas à ses ennemis afin
d’éviter la guerre.
— Je ne partirai pas avec eux.
— Bien sûr que non. Je ne vous le
demanderais jamais. Ils essaieront peut-
être de prendre le château d’assaut et de
vous enlever de force, ajouta-t-il en
plissant les yeux. Je les abattrai tous s’ils
en font même la tentative.
Un frisson intempestif la traversa
devant la véhémence de son compagnon
et l’étincelle de passion qu’il laissait
paraître. Peut-être tenait-il vraiment à
elle, même s’il ne savait encore comment
le formuler. Il était, après tout, un homme
de combat habitué à dissimuler ses
sentiments.
— Je vous remercie de me protéger.
Il lui répondit par un petit hochement
de tête, le regard plus sombre à mesure
qu’il l’observait avec intensité. Elle
connaissait cette expression et s’en
languissait. Mais elle devait s’interdire
de succomber de nouveau. Il avait
l’impression qu’elle le forçait à
l’épouser. Elle ne voulait cela pour rien
au monde. Peut-être la soupçonnerait-il
également, comme Maighread l’avait
suggéré, de se servir de lui pour éviter de
se marier avec MacLeod. Il se tromperait
là encore. Elle ne souhaitait l’utiliser
d’aucune façon.
— Que direz-vous à Torrin ? demanda-
t-elle.
Il se crispa et sourcilla plus vivement.
Il était plus effrayant qu’à l’accoutumée
avec sa tenue de bataille en cuir riveté
d’acier et toutes ses armes.
— Je lui dirai qu’il n’est qu’un crétin
de ne pas vous avoir mise à l’abri de sa
fripouille de cadet.
— Je regrette que nous n’ayons pu
envoyer une missive à mon frère.
Cyrus aurait peut-être pu arranger tout
cela puisque au départ, il était
responsable de la fâcheuse situation dans
laquelle sa sœur se retrouvait.
— Moi aussi, mais cela comportait
trop de risques.
— Je ne veux pas que vous entamiez un
conflit à cause de moi. J’en mourrais s’il
vous arrivait quoi que ce soit. Vous
m’avez secourue et aidée. Maintenant,
tout votre clan et vous-même serez
menacés par ma faute.
Des larmes lui brûlèrent les yeux.
— Vous n’avez rien à craindre à ce
sujet. Il se trouve que je suis un bon
guerrier, la rassura-t-il avec désinvolture.
— Je le sais, mais…
Elle hocha la tête, accablée de
remords, puis baissa le regard sur ses
mains agitées d’angoisse.
— Je vous avais dit que vous auriez dû
me laisser où vous m’aviez découverte.
Regardez, maintenant. Je vous ai mis en
danger.
Il se dirigea vers elle, à côté de la
porte, et lui leva le menton. Elle ferma
vivement les paupières, déplorant qu’il la
voie pleurer. Du pouce, il lui caressa la
joue, capturant ses larmes.
— Chut, murmura-t-il en lui
embrassant le front, puis furtivement les
lèvres. Nous aurons l’avantage.
— Ne passez pas le mur d’enceinte.
Promettez-le-moi.
Il lui adressa l’ébauche d’un sourire.
— Je ne puis jurer une telle chose,
jeune fille. Je ferai ce qui s’impose pour
vous protéger ainsi que tous les habitants
de Dunnakeil. Si MacLeod attaque, nous
riposterons.

Après avoir été éjecté par le satané


cheval de Dirk, Haldane avait ordonné
que deux de ses hommes montent
ensemble, pour récupérer l’une de leurs
bêtes.
— McMurdo, lança-t-il au légendaire
bandit grisonnant qui chevauchait auprès
de lui.
— Oui, répondit ce dernier d’un ton
bourru.
Marques, cicatrices et rides altéraient
son visage, mais ces défauts lui donnaient
simplement du caractère. Haldane aurait
aimé assister à toutes les aventures
auxquelles cet individu avait pris part
durant toutes ces années.
— J’apprécie votre aide, déclara le
jeune homme. Si je deviens chef des
MacKay, soyez assuré que cette tombe
achetée à mon père demeurera la vôtre.
Ce vieux dur à cuire chérissait sa
crypte plus que tout au monde, même si le
cadet de Dirk ignorait totalement
pourquoi. Celui-ci était bien trop occupé
à vivre pour se soucier de sa sépulture.
Mais il accomplirait tout ce qui se
révélerait nécessaire pour que McMurdo
exécute ses volontés.
Le vieux bandit l’étudia d’un œil acéré
comme une sombre lame.
— Je vous remercie.
Il était de ceux que Haldane ne
souhaitait pas contrarier, et l’avoir de son
côté équivalait à posséder une arme
secrète.
— Si Dirk reste chef, je doute qu’il
vous autorise à être enterré là-bas. Il vous
voit comme un hors-la-loi, tandis que je
vous considère comme une personne
pleine de ressource et brillante.
— Je suis disposé à faire mon possible
pour l’évincer, mais il est fort, rusé, et
soutenu par nombre de membres au sein
de son clan.
Ces paroles étaient avisées et
réfléchies. Le jeune rebelle tenta de se
refréner et d’adopter la même attitude.
— C’est vrai. Mais si vous l’éliminez,
comme ma mère vous a déjà payé pour le
faire, vous obtiendrez ce que vous voulez.
Je m’en assurerai.
— Dans ce cas, je le tuerai, annonça
McMurdo avec un calme funeste.
À l’évidence, commettre un meurtre ne
l’émouvait pas une seconde.
— Quand nous arriverons à Munrick,
je suis certain que MacLeod enverra une
large troupe récupérer sa promise,
déclara Haldane. Ce qui nous permettra
de pénétrer dans Dunnakeil, et si mon
frère ne meurt pas de la main de son
rival, vous aurez un bon angle de vue
pour l’abattre.
— Je trépigne d’impatience. Ce bâtard
m’a menacé pour la dernière fois.
Une demi-heure plus tard, ils
aperçurent Munrick Castle au loin, perché
sur un petit promontoire au-dessus d’un
lac. Haldane esquissa un sourire,
savourant presque sa victoire. Il allait
devenir le prochain lord MacKay, et
épouser Seona Murray.
Chapitre 23

Dès que Dirk eut trouvé la jeune bonne,


Anne MacFarlane, qui était entrée dans la
chambre de Maighread la veille au soir, il
la fit escorter jusqu’à la bibliothèque où
les anciens, ainsi que Conall, Keegan et
lui-même étaient assis autour d’une table.
Vu sa pâleur et ses yeux écarquillés qui
se dirigeaient en tous sens, elle était assez
effrayée. Le guerrier s’en réjouissait, car
il avait besoin de savoir la vérité.
— Anne, lady MacKay vous a-t-elle
chargée de porter une missive à son fils
Haldane ? l’interrogea-t-il.
Elle sembla avoir cessé de respirer un
instant, tout en regardant fixement ses
pieds. Il espéra qu’elle n’allait pas
s’évanouir.
— Si vous ne me répondez pas en toute
honnêteté, vous serez emprisonnée au
donjon.
Il détestait menacer une femme, mais la
sécurité des siens dépendait des
informations qu’elle lui révélerait.
— Oui, admit-elle. Elle m’a ordonné
de n’en parler à personne. Si elle
découvre que je vous l’ai avoué, elle me
congédiera.
— Si vous vous montrez loyale envers
mon clan et moi, je vous engagerai. Si
vous êtes une traîtresse, vous serez traitée
comme telle. Par ailleurs, ma belle-mère
n’aura pas besoin de domestiques. Elle
est en état d’arrestation, et se verra
bientôt escortée à Thurso pour son
procès.
— Oh.
— Vous n’avez donc rien à perdre en
nous dévoilant tous les détails. Que
racontait cette lettre ?
— Je ne sais pas lire, milord. Mais
lady MacKay a précisé de ne la montrer à
personne et de la glisser à l’un de ses
gardes. Je devais dire à celui-ci de lui
faire franchir les murs du château, de
trouver Haldane et de la lui donner.
— Et vous l’avez fait ?
— Oui.
Au grand regret de Dirk.
— Comme vous le savez, cela a coûté
la vie à deux de nos sentinelles.
Les yeux de la servante s’emplirent de
larmes.
— Je suis désolée. J’ignorais ce que
contenait la missive, et pourquoi ma
maîtresse souhaitait que je la livre. Elle
m’a embauchée pour que j’exécute ses
volontés, et c’était ce que je faisais.
— Si vous ne voulez pas finir au
cachot, vous allez nous confesser tout ce
que vous savez sur lady MacKay et ses
complots sournois.
— Elle répétait que si Aiden refusait
d’être chef, Haldane s’en chargerait. Elle
y veillerait.
Il aurait dû deviner qu’elle
n’abandonnerait jamais.
— Où a-t-elle envoyé ses sbires quand
ils se sont dirigés au sud ? A-t-elle
évoqué le nom des MacLeod ?
— Il y a quelques jours, je l’ai
entendue chuchoter à son plus jeune fils
que s’il lui arrivait quoi que ce soit, il
devrait chevaucher au sud jusqu’à ce
clan, et prévenir ses membres qu’Isobel
MacKenzie était retenue en otage ici.
Dirk acquiesça. Il n’en attendait pas
moins d’elle, mais il était bon d’en avoir
la confirmation.
— Et il lui fallait aussi leur préciser de
venir avec grand renfort d’hommes pour
l’aider à arracher Dunnakeil des griffes
de l’imposteur.
— Je vois.
Torrin consentirait-il à assister
Haldane dans l’assaut du château ? Pas
s’il était intelligent, mais ce seigneur
voulait peut-être désespérément retrouver
sa belle fiancée. Il arriverait sans aucun
doute accompagné de tous les guerriers
les plus robustes de son clan.
Dirk fit enfermer la domestique dans
une chambre isolée, afin qu’elle ne puisse
avoir aucun contact avec Maighread. Puis
il fit halte devant les quartiers de cette
dernière.
— Faites venir lady MacKay dans la
bibliothèque, ordonna-t-il aux deux
gardiens de la conspiratrice. Ligotez-lui
d’abord les mains devant elle.
— Oui, milord.
Un quart d’heure plus tard, ils
l’escortèrent dans la pièce indiquée.
Dirk, Conall, Keegan et les anciens se
tenaient toujours assis autour de la table.
Ils avaient laissé une place libre pour sa
belle-mère, entièrement vêtue du noir de
veuvage. Son regard vert fulminait d’une
rage inhabituelle, mais ses cheveux gris et
ses nombreuses rides rappelaient au
guerrier qu’elle n’était qu’une créature
mortelle, et non quelque démone éternelle
qui l’avait torturé et s’était mis en tête de
le tuer depuis qu’il était un petit garçon.
— Comment osez-vous m’emprisonner
sous mon propre toit ? fulmina-t-elle.
Esquivant la question, il alla droit au
but.
— Deux meurtres supplémentaires
pèsent sur votre conscience. Des
MacKay. Les gardes.
— Je n’ai tué personne.
Elle parlait cette fois de façon moins
moralisatrice, et semblait davantage sur
le point d’exploser de rage.
— Je doute que Haldane soit assez
brillant pour élaborer un tel complot, et
organiser de plus une évasion du donjon.
— Vous n’avez aucune preuve, ricana-
t-elle.
Il lui adressa un sourire forcé.
— Nous avons des témoins.
— Qui ? Aiden ? Il est trop naïf pour
savoir quoi que ce soit.
— Non, pas lui. Peu importe comment
nous en avons été informés. Vous avez
envoyé Haldane chez les MacLeod. Il est
à peine croyable que vous puissiez ainsi
trahir la fille de votre meilleure amie.
— Isobel MacKenzie n’a rien de
commun avec sa mère. Ce n’est qu’une
vulgaire traînée.
La fureur planta ses griffes dans les
entrailles de Dirk, le crispa et lui donna
envie de dégainer son glaive.
— Si vous étiez un homme, je vous
mettrais à terre pour cette offense,
gronda-t-il.
— Je me doutais que vous étiez épris
d’elle – une femme tout bonnement
mariée à un autre. Votre bêtise a-t-elle
des limites ? Maintenant, vous allez
devoir expliquer à MacLeod pourquoi
vous lui avez ravi sa fiancée.
Il renâcla.
— Mon clan sait que je ne l’ai pas
enlevée. C’est tout ce qui importe.
Les anciens acquiescèrent, observant
Maighread avec suspicion.
— Eh bien, maintenant que vous avez
couché avec cette fille, il est peu
probable que MacLeod veuille d’elle,
railla-t-elle d’un ton malveillant.
— Mal lui en prendrait, car il ne l’aura
pas, affirma-t-il.
— J’espère que lui et les siens
réduiront ce donjon en cendres ! Cela
empêcherait au moins un imposteur de
s’en emparer.
Nolan MacLeod était à table dans la
grande salle de Munrick, dégustant un
ragoût de venaison en compagnie de son
aîné Torrin – le chef du clan –, ainsi que
de leurs convives, les MacKenzie. Cyrus,
le frère d’Isobel, lui faisait penser à un
ténébreux seigneur de guerre qui
n’hésiterait pas à couper la tête de qui
que ce soit. Le jeune homme préférait
donc ne pas froisser ce bâtard.
Torrin avait envoyé une missive à
Cyrus l’informant que sa sœur avait
disparu après s’être enfuie avec déraison
en pleine tempête de neige. MacKenzie
était entré dans une colère noire, exigeant
des explications dès son arrivée la veille,
avec le reste de ses frères et quelques
membres de son clan. Pourquoi n’avait-
on pas pris soin de sa cadette durant son
séjour ? Où se trouvait-elle ? Pourquoi
les MacLeod ne s’étaient-ils pas lancés à
sa recherche ? Torrin s’en voulait, mais
ignorait totalement ce qui s’était déroulé,
étant absent à ce moment-là.
Nolan ne comprenait pas pourquoi son
aîné avait autorisé ces gens à entrer. Eût-
il été seul à décider, il les aurait laissés
geler derrière l’enceinte.
Pour l’heure, personne ne lui prêtait
attention, ce dont il se réjouissait. Il
devait garder profil bas, l’endroit
grouillant de ces maudits invités. Par
chance, personne d’autre que lui parmi
les siens ne connaissait la raison qu’avait
eue Isobel de s’échapper. Il sourit
intérieurement. Nul n’apprendrait jamais
ce qui s’était passé. Dommage pour sa
voluptueuse beauté, mais la veuve était
sûrement morte. Elle seule était à blâmer,
pour avoir frappé le jeune homme au
crâne avant de s’enfuir et de braver les
éléments déchaînés.
Un garde se rua dans la pièce et
s’approcha du centre de la grande table
où le chef avait pris place.
— Il y a dix membres du clan MacKay
à l’entrée du château, milord.
— Que veulent-ils ? interrogea Torrin
en posant son verre de bière.
— S’entretenir avec vous, le fiancé
d’Isobel MacKenzie. Ils prétendent
savoir où elle est.
— Par tous les saints ! s’exclama
Cyrus en quittant brusquement sa chaise
pour bondir de l’estrade et contourner la
table. Où est-elle ? questionna-t-il avec
autorité.
La sentinelle recula de deux pas.
— Je l’ignore, chef. Devons-nous leur
ouvrir les portes ?
L’homme darda ses yeux vers
MacLeod.
— J’arrive, dit celui-ci.
Il descendit à son tour la marche,
attrapa son manteau de laine et suivit
Cyrus qui traversait la grande salle à
vives enjambées.
Ils avaient retrouvé Isobel ? Après
avoir enfilé son tartan, Nolan suivit son
frère. Il sentit son estomac se nouer
douloureusement d’effroi. Si la fugitive
était en vie et bien portante, elle pourrait
révéler à MacKenzie, Torrin et tous les
autres ce qu’il avait tenté de lui faire.
Maudite créature ! Pourquoi le froid
n’avait-il pu l’achever ?
Ce serait la parole de cette fille contre
la sienne. Le meneur des MacLeod
croirait son cadet plutôt que sa promise,
il n’en doutait pas.
En même temps, Nolan fut parcouru
d’excitation à l’idée de revoir cette
femme au regard sombre. Elle l’avait
envoûté avec son allure attirante et ses
courbes généreuses. Il ne pouvait la
chasser de son esprit. Il avait toujours
envie d’elle, même s’il était tenté de
l’étrangler pour la blessure qu’elle lui
avait infligée.
Si elle le dénonçait, il n’aurait d’autre
choix que se débarrasser d’elle.
Au-dehors, entre les murs d’enceinte,
les deux chefs se dirigèrent vers la herse
donnant sur l’étroit bras du lac, dans le
sifflement d’une pluie mêlée de grésil.
Des gardes portaient torches et lanternes.
— Qui êtes-vous ? demanda Torrin au
jeune homme châtain qui se tenait à la tête
du groupe de visiteurs posté derrière les
barreaux de fer.
— Haldane MacKay, fils de lord Griff
MacKay, que Dieu ait son âme.
— Il est mort ? s’enquit Cyrus.
— Oui, il y a plus d’un mois de cela.
— Je suis désolé de l’entendre. Vous
savez où se trouve ma sœur ?
— S’il s’agit d’Isobel MacKenzie, oui.
Dirk MacKay l’a prise en otage.
Le silence régna un instant tandis que
les deux lairds échangeaient des
froncements de sourcils.
— Celui que vous évoquez n’est plus
de ce monde, déclara Torrin. Et ce depuis
plus de dix ans.
— Certes, répondit Haldane. Son
ravisseur est un imposteur qui clame
porter ce nom. Il s’est emparé du clan et
du château, et a fait enfermer ma mère.
Par ailleurs, il retient lady Isobel contre
son gré. Il l’a maltraitée et a tenté
d’abuser d’elle.
— C’est un scandale ! s’écria Cyrus.
Qui est-il réellement ?
— Nous l’ignorons.
— Je tuerai ce bâtard, quelle que soit
son identité, marmonna Torrin.
— Et je vous y aiderai, ajouta l’autre
chef.
Le cadet de Dirk esquissa un sourire
sournois, et Nolan se demanda ce qu’il
manigançait. Se trouvait-il quelque vérité
dans ses propos ?
L’un des soldats MacLeod prit la
parole.
— Un MacKay accompagné de quatre
personnes est passé par ici il y a deux
semaines de cela.
— Qui voyageait avec lui ? exigea de
savoir son meneur.
— Une femme qu’il a présentée comme
son épouse, un dénommé MacInnis, et
deux domestiques. Il a déclaré devoir se
hâter, car son père était mourant.
— C’est lui. Son ami s’appelle bien
MacInnis, confirma Haldane.
Torrin grommela un chapelet de jurons,
puis interrogea la sentinelle.
— Avez-vous examiné celle qu’il
prétendait être sa conjointe ?
— Non, il neigeait. Par ce mauvais
temps, elle était enroulée dans des
couvertures en laine pour rester au chaud.
— S’il s’agissait bien d’Isobel,
pourquoi n’a-t-elle rien dit, ni n’a-t-elle
sollicité du secours auprès de l’un des
gardiens MacLeod si elle était
effectivement prisonnière de cet individu
? demanda Cyrus en plissant les yeux vers
son hôte.
— C’est ce que j’aimerais savoir, mais
je n’étais pas là, gronda ce dernier.
— Elle avait une raison de s’enfuir de
Munrick. Ma sœur n’est pas une
écervelée. Elle ne serait jamais partie
d’ici en pleine tempête à moins de se
sentir en danger. Je veux que votre clan et
vous-même me disiez la vérité, ordonna-
t-il.
Crispé de rage contenue, Torrin se
tourna et posa le regard sur son cadet.
— Que s’est-il passé pendant que
j’étais absent, mon frère ? Vous étiez
censé veiller sur le clan ainsi que sur ma
fiancée.
Un éclair de frayeur glaçante traversa
le jeune homme. Personne ne pouvait le
soupçonner.
— Rien à ma connaissance. Elle a
simplement disparu une nuit. Nous avons
pensé qu’elle s’était ravisée à propos de
votre mariage.
— Non, il devait y avoir un motif,
insista Cyrus, ses yeux si perçants et si
sombrement démoniaques qu’ils
incitèrent Nolan à se recroqueviller. Elle
a consenti à épouser Torrin. Elle ne
changerait pas d’avis aussi facilement. Il
s’est produit un incident ici.
— Que nous cachez-vous ? questionna
l’aîné avec autorité.
— Je vous ai dit tout ce dont j’avais
connaissance.
Reste calme, s’intima-t-il.
Les deux seigneurs le dévisagèrent
d’un air mauvais quelques instants de
plus ; il transpira de tout son être, en
dépit du vent frais.
Le meneur des MacLeod fit volte-face
vers Haldane.
— Qui vous accompagne ?
— Mes amis, en majorité des MacKay,
ainsi que deux gardes de ma mère.
— Si vous laissez vos armes à la
porte, vous pouvez demeurer ici cette
nuit, annonça Torrin. Nous nous mettrons
en route dès demain matin pour secourir
lady Isobel.

Le ciel était couvert, et le vent mordant


fouettait Dunnakeil à une cadence
soutenue deux jours plus tard, lorsque le
son strident de cornemuses appelant à la
bataille du haut de la tour de garde avertit
les MacKay qu’il se déroulait quelque
chose d’anormal.
Dirk sortit des écuries à grands pas.
Ses compagnons savaient quoi faire à
l’arrivée des MacLeod. Il les y préparait
depuis plus d’une semaine. Ils se
rassemblèrent dans la cour intérieure,
tous équipés d’armures et d’armes.
— Halte ! hurla l’une de ses sentinelles
du haut de la tour.
Il se précipita pour aller voir combien
d’individus étaient arrivés et vérifier si
un assaut avait été lancé.
Lorsqu’il eut atteint les grilles, il
n’aperçut que deux hommes lourdement
armés, environ du même âge que lui,
vêtus de protections de tartan et de
manteaux de laine. Il ne les avait pas vus
depuis plus de douze ans, mais les
reconnaissait. Celui qui avait les cheveux
foncés était le frère d’Isobel, Cyrus
MacKenzie, et l’autre, plus châtain, était
le fiancé de cette dernière, Torrin
MacLeod.
— Nous sommes ici pour voir Dirk
MacKay, déclara le premier au soldat,
avant de river son regard sur l’intéressé.
Qu’avez-vous fait à ma sœur, fripouille ?
Portant un petit bouclier devant lui – au
cas où l’on déciderait de le gratifier
d’une flèche ou d’un coup de feu – et un
glaive au poing, le maître des lieux
s’approcha de l’entrée, rejoint par ses
gardes personnels, Erskine et Keegan.
— Elle est saine et sauve. Et bien plus
en sécurité qu’elle ne l’était parmi les
MacLeod.
Il dévisagea le chef de ceux-ci d’un
œil noir.
— Que voulez-vous dire ? exigea de
savoir Cyrus.
— Demandez-le à son cadet, Nolan.
— Qu’a-t-il donc fait ? s’enquit Torrin.
— Il a tenté de violer Isobel, annonça
Dirk.
— Comment ? Quelle vermine, fulmina
MacKenzie, semblant sur le point de
massacrer Torrin à la place de son petit
frère. Comment avez-vous pu laisser cela
se produire ? Je vous faisais confiance
pour prendre soin de ma sœur.
— J’ignorais tout de cet incident,
répondit lord MacLeod, avant de tourner
les yeux vers MacKay en les plissant.
Comment l’avez-vous découvert ?
— Nolan ne vous a-t-il pas expliqué
qu’elle avait quitté Munrick en pleine
tempête de neige ?
— Certes, mais il a prétendu ne pas
savoir pourquoi.
Le guerrier renâcla.
— Bien entendu. Il ne souhaite pas que
vous appreniez sa tentative de viol sur
votre future épouse.
Torrin fronça les sourcils, l’air
grandement troublé, et observa avec
fureur par-dessus son épaule à l’endroit
où ses hommes étaient rassemblés.
— Êtes-vous venu avec lui ?
questionna le maître des lieux.
— Oui, ce bâtard est ici, il attend avec
les autres, siffla Cyrus, les dents serrées.
Et je vais le tuer.
— Gardez votre calme, intervint
sèchement l’aîné de l’agresseur. Nous
n’avons aucune preuve de tout ceci.
— Je n’en ai pas besoin ! Si ma sœur
l’affirme, c’est donc vrai.
— Nous n’avons pas encore eu
l’occasion de l’interroger. La question
est… Comment MacKay a-t-il eu vent de
tout cela ? s’étonna Torrin avec
suspicion, ses yeux verts et perçants rivés
sur Dirk.
— Je traversais Assynt avec un ami
pour retourner chez moi. C’est alors que
nous avons rencontré lady Isobel et sa
bonne sur le chemin. La neige tombait
abondamment et le vent était froid. Nous
les avons aidés à trouver refuge pour la
nuit, puis les avons mises à l’abri ici
jusqu’à ce que la mer soit de nouveau
navigable. Mon plan était de partir vers
le sud pour vous la ramener sur une
galère, MacKenzie, afin de la tenir à
distance de Nolan MacLeod.
Il jeta un regard noir à l’aîné de celui-
ci.
— Je vais m’entretenir avec cette
canaille immédiatement, lança Cyrus qui
dégaina son épée commençant à repartir
d’où il venait.
— C’est moi qui vais lui parler, dit
Torrin en suivant l’autre chef. Il s’agit de
mon frère. Je m’en occupe.
Il s’éloigna à grands pas vifs vers le
champ où deux dizaines d’hommes
patientaient.
Environ la moitié d’entre eux étaient
les prisonniers MacKay en fuite, avec
Haldane à leur tête – tous perchés sur des
chevaux volés.
— Pfff, souffla Cyrus en retournant se
poster devant la herse, mais sans cesser
de dévisager MacLeod d’un œil noir. S’il
laisse partir ce bâtard…, grommela-t-il,
les mâchoires crispées.
— Souhaiteriez-vous entrer pour
discuter ? proposa Dirk, ravi de pouvoir
parler avec le frère d’Isobel à l’écart de
Torrin. Vous pourrez voir votre sœur et
vérifier par vous-même qu’elle va bien.
— J’apprécierais cela, acquiesça
l’aîné de la fugitive en rengainant son
glaive.
— Ouvrez les grilles uniquement à lord
MacKenzie, ordonna le guerrier. À
personne d’autre.
Il permettait même à son invité de
conserver ses armes. Ce dernier ne
tenterait sûrement rien, seul contre
plusieurs dizaines d’adversaires.
En pénétrant dans la grande salle, ils
tombèrent face à face avec la jeune
veuve. La voir provoquait toujours un
sursaut de désir chez Dirk.
— Isobel. Par tous les saints !
Cyrus l’attira à lui pour une vigoureuse
accolade, puis lui agrippa les épaules, la
tint à bout de bras, et la regarda d’un air
sévère.
— Vous m’avez fait peur en
disparaissant de la sorte. Êtes-vous
blessée ?
— Non, plus maintenant. Merci, mon
frère, répondit-elle en souriant.
— « Plus maintenant » ? Que voulez-
vous dire ? exigea-t-il de savoir. Vous
étiez-vous fait mal ?
— Seulement au doigt. Le chef
MacKay vous a-t-il raconté ce qui s’était
produit ?
Le regard envoûtant de la fugitive se
riva sur le guerrier, faisant voler en éclats
les pensées de celui-ci. Il ne l’avait pas
touchée depuis plusieurs jours, et se
languissait d’elle un peu plus chaque jour.
— Oui, en partie. Je veux m’entretenir
avec vous deux en privé. Je désire
connaître tous les détails. Ce Nolan
MacLeod est une méprisable vermine.
— Allons dans la bibliothèque, dit
Dirk en faisant signe à sa compagne de
les précéder.
Elle ouvrit le chemin et dès qu’ils
furent tous trois dans la pièce, son
sauveur ferma la porte.
— Comment avez-vous su où j’étais ?
demanda-t-elle à son frère tandis qu’ils
s’asseyaient à la table.
— Pendant que Torrin était à Lairg, son
cadet, Nolan, a apparemment envoyé un
messager pour l’informer que vous aviez
disparu. Le chef MacLeod m’a
immédiatement fait parvenir une missive
d’où il était, m’expliquant que vous vous
étiez enfuie au cours d’une tempête de
neige et qu’avec un peu de chance, vous
parviendriez à me rejoindre à Dornie. Je
me suis mis en route vers le nord avec
nos frères et mes hommes, espérant vous
croiser sur le trajet avant que vous ne
succombiez aux éléments déchaînés. Je ne
vous avais toujours pas retrouvée au
moment où j’ai atteint Munrick. J’étais là-
bas quand Haldane MacKay est arrivé
pour nous révéler que vous étiez ici.
— Oh, lâcha Isobel d’un air réellement
contrit. Je suis désolée de vous avoir
plongé dans de tels tourments.
— Ne vous sentez pas coupable de tout
cela. Je voulais simplement vous
retrouver saine et sauve, et grâce à
MacKay, c’est le cas. À présent, je veux
savoir ce que ce Nolan MacLeod vous a
fait.
Elle lui livra les mêmes détails qu’elle
avait fournis à Dirk durant leur voyage
pour arriver là, sur la tentative de viol et
la lutte qui s’était ensuivie. Son
détestable agresseur lui avait cassé le
doigt, et elle l’avait assommé avec un
pichet en grès.
— Bien joué, ma sœur. Je peine à
croire que j’aie fait confiance à ces
bâtards, déclara Cyrus en se calant le dos
dans son fauteuil.
— Je ne peux plus épouser Torrin
MacLeod, désormais. Vous devez le
savoir.
— Bien sûr que non. Tant que son frère
est en vie, il représenterait un danger
pour vous.
Le guerrier se sentit submergé de
soulagement. Maintenant, il ne lui restait
plus qu’à obtenir la permission de
MacKenzie d’épouser la jeune femme.
Celui-ci consentirait-il à cet arrangement
?
— Je vous remercie de votre
compréhension, dit-elle.
— Laissez-moi examiner votre doigt
cassé.
Elle le tendit à son aîné. Elle avait
remis son attelle, remarqua Dirk, après
qu’il lui avait sévèrement reproché de ne
pas la porter lorsqu’elle l’aidait à
prendre son bain. Oh ! Il devait chasser
cette scène de son esprit, ou il finirait tout
dur à un moment fort peu opportun.
— Qui vous l’a redressé ? s’enquit
Cyrus.
— Lord MacKay et son ami, lord
Rebbinglen, ont effectué un travail
remarquable dessus. Il guérit très bien.
Elle regarda furtivement son amant,
avec des yeux d’un charme aussi
ténébreux et aussi tentateur qu’une sirène.
Même si cela s’était révélé affreusement
difficile, il avait tout fait pour garder le
plus possible ses distances vis-à-vis
d’elle les jours précédents. Il avait
besoin de s’assurer qu’elle était
exclusivement sienne avant qu’ils ne
cèdent trop souvent à l’envie de se
retrouver sous les draps. Il apparaissait
bien trop facile de devenir dépendant de
cette créature et de la désirer cinq fois
par jour.
— Vous a-t-on fait mal de quelque
autre façon ? interrogea Cyrus.
— J’avais une contusion sur le visage
et une bosse derrière la tête après m’être
défendue contre Nolan, mais rien de très
douloureux.
— Quel bâtard, marmonna son aîné
avant de se tourner vers leur hôte. Je vous
remercie, chef MacKay, d’avoir aidé ma
sœur.
À son initiative, ils échangèrent une
poignée de main.
— Tout le plaisir était pour moi. Et je
vous en prie, appelez-moi Dirk. Si vous
voulez bien nous laisser un moment en
privé, milady, ajouta-t-il à l’intention
d’Isobel.
Elle lui adressa un regard méfiant et
acéré.
— Très bien.
Elle se retira en fermant derrière elle.
Allait-elle tendre l’oreille sur le seuil
comme elle l’avait fait quand son
compagnon s’était entretenu avec Conall
? Il se glissa jusqu’à la porte et l’ouvrit ;
la jeune femme se trouvait à quelques
pieds de là, tout comme Erskine qui
montait la garde pour lui. Il observa sa
protégée d’un air insistant. Elle leva les
yeux au ciel et disparut dans le petit
couloir qui menait à la grande salle.
— Ne la laissez pas s’approcher de
cette entrée, murmura-t-il à sa sentinelle.
Je ne veux pas qu’elle vienne nous
espionner.
— Oui, chef.
Il ferma et rejoignit Cyrus à la table.
— J’ai quelque chose à vous
demander, annonça-t-il, saisi d’une
soudaine audace.
Il n’avait jamais fait cela auparavant,
ni vu quiconque effectuer une requête si
solennelle. Il espérait qu’il s’y prendrait
convenablement.
— Oui, qu’est-ce donc ?
— Je voudrais…, commença-t-il en
s’éclaircissant la voix. Je sollicite votre
permission d’épouser lady Isobel.
Chapitre 24

— Pardon ? s’étonna Cyrus tandis qu’il


fronçait les sourcils, arborant ainsi
l’expression d’un redoutable seigneur de
guerre. Vous voulez vous marier avec
Isobel ?
— Oui, répondit Dirk avec le besoin
pressant de bondir de son siège pour
arpenter la bibliothèque. Si ses
fiançailles avec MacLeod sont rompues,
je souhaiterais l’épouser.
— Pourquoi ? demanda le frère de la
jeune lady d’une voix dure.
— Eh bien… Pour plusieurs raisons.
Le guerrier sentit son estomac se nouer
et espéra ne pas en perdre la parole.
— Votre sœur est la plus belle créature
sur laquelle mes yeux se soient posés,
reprit-il. Je suis chef depuis peu, et les
anciens de mon clan me tracassent déjà
pour que je trouve une femme.
Il s’agissait là de deux motifs valables
– des moins importants qui lui venaient à
l’esprit, mais il ne pouvait tout
simplement lâcher qu’il avait déjà couché
avec elle et commençait à en tomber
amoureux. Ou pire encore, qu’elle portait
peut-être son enfant. Aucun aîné ne
souhaitait entendre cela.
Cyrus observa son hôte d’un air
perspicace.
— Je sais qu’elle est veuve, mais
l’avez-vous compromise ?
Diable, était-ce si évident ?
— Pour être honnête, oui, admit-il,
honteux de n’avoir su se maîtriser en
présence de sa compagne, mais à la fois
incapable de regretter leurs fabuleuses
relations intimes. J’espère que vous ne
m’en tiendrez pas rigueur.
MacKenzie serra les mâchoires et son
expression se durcit.
— Que je sois maudit si ce n’est pas
une calamité d’avoir une cadette de toute
beauté, grommela-t-il.
— Je vous prie d’excuser mon manque
de retenue. Mais elle compte… vraiment
beaucoup pour moi.
— Je vois cela. Et vous l’avez bien
protégée, ajouta MacKenzie en l’étudiant.
Vous savez, ce Haldane – votre frère – a
clamé que vous étiez un imposteur. Je me
rappelle avoir entendu que vous aviez été
victime d’un accident mortel il y a
plusieurs années. Mais vous êtes le Dirk
dont je me souviens. Que s’est-il passé ?
Le guerrier lui expliqua comment il
avait dû quitter Durness douze ans plus
tôt, et pour quelles raisons.
— Votre belle-mère essaie toujours de
vous supprimer ?
— Oui. Je suppose que c’est dans ce
dessein qu’elle a envoyé son fils chez les
MacLeod. Dans l’espoir qu’ils me
puniraient durement pour avoir secouru
Isobel, si on leur affirmait que je l’avais
enlevée ou prise en otage.
— Ces gens feraient mieux de ne pas
vous dire un seul mot, ou ce sera à moi
qu’ils devront en répondre, gronda Cyrus.
Je risque tout de même d’embrocher ce
vermisseau de Nolan. Tout homme qui
blesse une femme, ou tente de la prendre
de force ne vaut pas mieux que la boue
qui souille mes semelles.
— Nous nous rejoignons sur ce point.
— Je pense que nous sommes d’accord
sur beaucoup de choses. Je m’estimerai
honoré de vous avoir pour beau-frère.
Il tendit la main pour serrer
chaleureusement celle de Dirk.
Ce dernier éprouva une satisfaction au-
delà de toute mesure.
— Je vous remercie, il en est de même
pour moi. Je prendrai soin de votre sœur
et la protégerai au péril de ma propre vie.
— Vous êtes un homme bon, MacKay,
répliqua MacKenzie en hochant la tête.
Elle aura besoin de votre protection.
Cette jeune fille s’attire plus de
mésaventures que les sales garnements du
village.
Dirk sourit.
— J’aimerais m’entretenir avec elle un
instant pour voir si elle consent à cet
arrangement, poursuivit l’aîné de
l’intéressée. Je suis certain que ce sera le
cas, compte tenu de ce regard de biche
qu’elle vous a adressé. Je devrai ensuite
régler cette affaire avec les MacLeod.
Le guerrier acquiesça.
— Je la fais venir ici tout de suite.
Il ouvrit la porte et s’engagea dans le
couloir.
— Chef, l’interpella Erskine. MacLeod
demande à entrer. Il souhaite vous parler
sur-le-champ ainsi qu’à lord MacKenzie
à propos de son frère.
— Vos hommes et vous-même seriez-
vous disposés à m’aider à capturer nos
prisonniers en fuite, y compris Haldane et
McMurdo ? demanda Dirk à Cyrus tandis
qu’ils traversaient l’enceinte. Ce sont
tous des meurtriers et des voleurs de
chevaux.
— Certes, j’en serai ravi, et ce Nolan
peut faire partie du lot, pour ce que cela
m’importe.
— Je préférerais étrangler ce bâtard,
marmonna le guerrier, se remémorant de
nouveau le doigt cassé d’Isobel, sa
contusion et la vive douleur qu’elle avait
endurée.
— Je vous assisterai dans cette tâche,
ajouta le frère de la fugitive en esquissant
un sourire mauvais. Mais nous devons
d’abord savoir à quel sujet MacLeod veut
s’entretenir avec nous, et découvrir ce
qu’il compte faire concernant son cadet.
S’approchant de la herse, Dirk vit que
Torrin attendait là, seul, l’air morose et
les épaules raides.
— Eh, qu’aviez-vous à nous dire ?
lança-t-il.
— J’ai parlé à Nolan.
— Qu’a répondu ce couard ?
interrogea Cyrus.
— Qu’il n’a jamais touché lady Isobel
et se déclare insulté que je l’accuse d’un
tel méfait.
— C’est faux, rétorqua Dirk.
Son visiteur lui adressa un œil noir.
— Je sais qu’il s’agit de votre frère,
poursuivit-il, mais c’est un menteur, un
serpent tapi dans l’herbe. Il a cassé le
doigt à Isobel et lui a infligé une
meurtrissure au visage. J’ai constaté cela
de mes propres yeux, comme mon ami
Rebbinglen, ainsi que deux domestiques.
Nous avons dû lui redresser le majeur. Si
elle n’avait pas assommé Nolan avec ce
pichet en grès, il l’aurait violée.
— Il dit vrai, confirma MacKenzie. Ma
sœur aussi.
— Faites-le venir ici pour discuter
avec nous, exigea Dirk. Ou nous irons le
trouver.
Torrin fit signe à un homme brun et
barbu qui se tenait à quelque cent yards
de là et ressemblait vaguement à son
cadet. MacKay n’avait pas vu ce dernier
depuis de longues années, et ne pouvait
être sûr de rien.
L’individu les avait observés jusque-
là, mais tourna alors le dos et feignit
d’examiner la selle de sa monture, faisant
fi des sommations de son aîné.
— Maudit soit-il, grommela Torrin. Je
ne doute pas une seconde qu’il ait
commis ce dont lady Isobel l’accuse. Je
n’aurais jamais dû lui faire confiance. Il y
a de cela un an environ, je l’ai attrapé un
jour en train de gifler sa femme. Je l’ai
envoyé à terre pour cela, mais il n’en a
visiblement tiré aucune leçon. Il se
comporte de façon suspecte. Si votre
sœur veut toujours de moi, j’aimerais la
prendre pour épouse. Je chasserai Nolan.
Je souhaite qu’elle se sente en sécurité.
— Je ne puis y consentir, MacLeod,
répondit Cyrus. Vous semblez être un
homme bon, mais je n’ai pas la certitude
qu’elle sera hors de danger à Munrick.
Les fiançailles sont rompues. Détruisez le
contrat.
— Quoi ? Jamais ! Je refuse,
s’insurgea l’autre chef, s’empourprant.
Vous avez signé cet accord, et j’entends
que vous vous y conformiez.
Sans les barreaux de la herse qui les
séparaient, MacLeod aurait sauté à la
gorge de Cyrus.
— Je n’en ai cure ! tonna ce dernier.
Vous n’avez pas protégé Isobel. Elle
aurait pu se faire violer et tuer sous votre
propre toit.
Torrin le foudroya du regard en
plissant ses yeux verts, les mâchoires
serrées.
— J’exige un dédommagement. Je veux
les trois cents hectares. Notre clan en a
besoin pour les cultures. Nous possédons
très peu de terres arables à Assynt. Vous
l’avez constaté. Nous n’avons rien
d’autre que des montagnes de granit.
Cyrus secoua la tête en signe de
dénégation.
— Cela représente la majorité de la
dot de ma sœur. Comment pensez-vous
que je puisse lui arranger un autre
mariage si elle n’a plus de biens ?
— Je n’en ai pas besoin, intervint
calmement Dirk.
Torrin le transperça de son regard
aiguisé.
— Quoi ? Vous la confiez à ce…
— Pesez soigneusement vos mots,
MacLeod, l’avertit le guerrier.
Le rival de celui-ci marmonna une
série de jurons et fit les cent pas devant la
grille.
— Oui. Vous avez laissé passer votre
chance, déclara Cyrus d’un ton dénué de
remords. MacKay l’a sauvée d’une
tempête de neige et gardée sous sa
protection depuis lors. Il a fait bien plus
que vous n’en avez été capable.
— J’aurais agi si j’avais été là,
l’interrompit sèchement Torrin.
MacKenzie regarda son futur beau-
frère.
— Vous désirez une épouse sans
possessions ? s’étonna-t-il d’une voix
sceptique.
Le guerrier haussa les épaules.
— Les terres ne m’importent guère.
Je veux simplement Isobel. Il garderait
cette réflexion pour lui, ou les autres
hommes pourraient l’estimer stupide de
renoncer à ce qui était vraisemblablement
un bien de valeur.
— Elles sont sûrement situées trop au
sud, précisa-t-il.
Il pensa que ce motif constituerait une
bonne excuse, même s’il lui fallait peut-
être accorder davantage d’intérêt à ces
sols. Un supplément d’avoine ou de
pâturage pour le bétail profiterait sans
aucun doute à son clan.
— Je vous céderai la moitié du terrain
à titre d’indemnité, MacLeod. Rien de
plus. MacKay recevra l’autre portion
quand il épousera ma cadette, annonça
Cyrus avant de tourner les yeux vers Dirk.
L’été venu, vous recevrez également une
galère neuve. Je ne consentirai pas à ce
que ma sœur se marie sans dot décente.
Cela porterait à croire que les
MacKenzie sont de véritables avares.
Le maître des lieux sourit.
— Je vous remercie. C’est très
généreux de votre part, dit-il en lui
serrant la main.
— Et vous, MacLeod ? s’enquit Cyrus.
Êtes-vous satisfait de cet arrangement, ou
envisagez-vous de dérober la moitié de
mon cheptel ?
— Cela me convient, répondit Torrin
d’un air mêlant l’agacement à la
déception. Mon frère est le seul à blâmer
pour avoir fait perdre à notre clan la
moitié des terres. Je réglerai cela avec
lui.
Il jeta un coup d’œil mauvais vers
l’endroit d’où Nolan les observait, posté
à côté de sa bête.
— Je veux aussi lui dire deux mots,
intervint MacKenzie.
— Tout comme moi, ajouta Dirk. Et si
vous ordonnez à votre troupe de se tenir
au repos, aucun conflit n’éclatera
aujourd’hui.
— Très bien.
MacLeod repartit en direction de ses
hommes qui attendaient à cheval. Le
guerrier se méfiait encore d’eux. Mais il
avait plus de trois dizaines de gardes et
compagnons armés des deux côtés des
grilles. Si leurs visiteurs amorçaient le
moindre affrontement, ils se verraient
surpassés en nombre.
Dès que la herse fut ouverte, Cyrus
sortit pour parler aux membres de son
clan. Quelques-uns mirent pied à terre,
puis escortèrent calmement leur chef en
direction des MacLeod.
Bon sang, Dirk avait envie d’étrangler
Nolan. Mieux valait ne pas s’approcher
de celui-ci, ou il ne pourrait peut-être pas
s’empêcher de le faire, ce qui
déclencherait un sanglant affrontement.
Lorsque Torrin parut avoir informé ses
hommes qu’il ne régnait aucun différend,
MacKay fit signe à Keegan, Erskine et
cinq autres gardes de venir lui porter
renfort.
— Allons chercher nos prisonniers – y
compris mon petit frère – et récupérer les
montures qu’ils nous ont volées.
Avant qu’ils n’aient atteint le groupe,
Nolan bondit sur son animal et disparut
au galop, au mépris des sommations de
son aîné et des vigoureux efforts de trois
membres de son propre clan pour le
retenir.
Haldane et ses amis étaient restés à
cheval, et lorsqu’ils virent Dirk et sa
cohorte avancer vers eux, ils s’enfuirent,
accompagnés de McMurdo. Sans les
MacLeod et les MacKenzie, les hors-la-
loi se voyaient désavantagés en nombre.
Cyrus cria un ordre, et ceux de ses
hommes qui étaient encore en selle les
prirent en chasse.
Torrin et lui expliquèrent à leurs
troupes ce que Nolan avait fait et
pourquoi il s’était échappé.
— Il n’est plus le bienvenu à Munrick !
lança son aîné assez fort pour que tout le
monde entende.
Puis il s’approcha du guerrier qui se
tenait à côté de son futur beau-frère.
— Il ne fait plus partie de ma famille,
marmonna-t-il, arborant une expression
affligée qui toutefois n’effaçait pas sa
colère.
Quelques minutes plus tard, le groupe
qui avait poursuivi les criminels reparut,
bredouille.
Après avoir placé tout leur équipement
d’attaque dans l’armurerie, à l’exception
de leurs petits sgian dubhs, les
MacKenzie et les MacLeod pénétrèrent
dans la grande salle de Dunnakeil. Dirk
se réjouissait d’avoir deux clans aussi
forts comme alliés. Et leurs lairds
semblaient être honorables.
Le maître des lieux s’entretint avec sa
gouvernante et lui demanda d’avertir la
cuisinière qu’elle devrait préparer assez
de nourriture pour contenter leurs invités.
Même s’il désirait parler avec sa
promise, il lui fallait se concerter avec
les deux meneurs, ainsi que les autres
membres des trois clans, afin
d’officialiser leurs alliances, et rendre
compte de leurs accords sur papier. Peut-
être se ligueraient-ils également pour
capturer les hors-la-loi.

Isobel était installée à la table


d’honneur avec des convives issus des
différents clans. Par chance, Jessie et
Seona se trouvaient à ses côtés. Dirk se
joignit aux autres chefs ainsi que Rebbie
à plusieurs places d’elle. Même si leurs
yeux s’étaient croisés à quelques reprises
et qu’il lui avait adressé un vague sourire
énigmatique, son amant lui avait à peine
dit deux mots depuis qu’ils s’étaient
entretenus avec Cyrus dans la
bibliothèque. Quel sujet avait-il abordé
en privé avec son frère ? Elle ne
parvenait pas à voir l’un ou l’autre en
aparté pour poser la question. Chacun
avait été occupé toute la journée par ses
affaires et autres négociations.
Après que la grouse eut été servie,
l’aîné de la jeune femme se mit debout et
leva sa chope de bière.
— Je voudrais trinquer, annonça-t-il
d’une voix impérieuse.
Les dizaines de personnes présentes
dans la grande salle se turent.
Probablement un geste en l’honneur de
leurs trois clans qui renouvelaient leurs
alliances, pensa la veuve.
Son frère lui jeta un coup d’œil.
— Au chef MacKay et à ma sœur, lady
Isobel, à l’aube de leur mariage.
Quoi ? Elle ignorait si elle devait s’en
trouver choquée, exaltée ou troublée. Ou
les trois à la fois. Pourquoi aucun des
deux hommes ne lui en avait parlé ?
Typique de la part de Cyrus de la laisser
dans l’ignorance, mais Dirk ? Il aurait pu
au moins prendre un bref moment pour
l’informer qu’il allait l’épouser.
Certains retinrent leur souffle, et
d’autres émirent en chœur un cri tapageur
avant qu’ils n’avalent tous une généreuse
gorgée.
Isobel garda les lèvres scellées.
Stupéfaite, elle observa furtivement son
compagnon puis son aîné à plusieurs
reprises. Comment avaient-ils pu arranger
tout cela sans la prévenir ? Elle voulait
convoler avec le guerrier, bien entendu,
mais lui n’en savait rien. Personne ne lui
avait même demandé ce qu’elle ressentait
vis-à-vis de cette situation.
— Oh, Isobel, souffla Jessie, assise
auprès d’elle, avant de l’attirer contre
elle pour une affectueuse étreinte.
Comment avez-vous pu me dissimuler un
tel secret ? Je suis ravie que nous
devenions belles-sœurs.
Seona, installée de l’autre côté de la
future mariée, sourit et la prit à son tour
dans ses bras.
— Félicitations.
— Je vous remercie toutes les deux,
murmura-t-elle, ne sachant que dire
d’autre.
Elle était contrariée par ces hommes
qui pensaient si peu à elle qu’ils l’avaient
esquivée toute la journée alors qu’ils
organisaient sa propre existence.
— Merci, chef MacKenzie, lança Dirk.
Et je vous suis reconnaissant pour
l’honneur que j’ai d’épouser votre
adorable sœur.
Il adressa à celle-ci un petit sourire, ou
était-ce un rictus satisfait ? Croyait-il
qu’elle apprécierait cette surprise ?
Rebbie le gratifia d’une tape sur
l’épaule et lui serra la main. D’autres
femmes MacKay se rassemblèrent autour
d’Isobel pour la congratuler et lui
souhaiter la bienvenue dans leur clan.
Elle descendit de l’estrade pour recevoir
leurs bons vœux. Aiden s’avança pour
l’accueillir en tant que nouveau membre
de la famille.
La foule autour d’elle et Jessie se
dispersa, et avant qu’elle n’en prenne
conscience, Torrin MacLeod se tenait
devant elle. S’ils se trouvaient à la même
table, elle était toutefois parvenue à
éviter de croiser son regard ou de
s’adresser à lui au cours du repas. Mais à
présent, elle ne pouvait s’y soustraire.
Il esquissa une révérence.
— Milady, dit-il en arborant une
expression amicale qui la surprit.
Elle s’inclina.
— Lord Torrin.
— Je désire vous féliciter ainsi que
Dirk pour vos noces à venir. Je voudrais
également vous présenter mes excuses
pour ce qui s’est produit à Munrick. Si
j’avais su quel genre de canaille était
mon frère, je ne vous aurais jamais
laissée sous sa garde.
Elle fronça les sourcils, s’efforçant de
discerner quelque sournoiserie dans la
bienveillance que son beau visage
affichait.
— Merci, je ne vous en tiens pas
rigueur.
Elle ne trouvait rien d’autre à
répondre. Cependant, il la mettait fort mal
à l’aise. Après tout, elle avait envisagé
de l’épouser, mais désormais, elle n’y
était plus contrainte, Dieu merci.
— J’en suis heureux. Je vous souhaite
beaucoup de bonheur, répliqua-t-il.
Ses yeux verts semblaient sincères,
mais il les détourna rapidement d’elle. Il
étudiait intensément Jessie, qui se tenait à
côté de son amie.
— Nous n’avons pas été présentés, dit-
il.
— Oh. Voici lady Jessie MacKay, la
cadette de Dirk, annonça-t-elle, puis elle
esquissa un geste vers lui. Et voici lord
Torrin MacLeod, chef du clan MacLeod.
— Je suis enchanté de vous rencontrer,
milady.
Il lui tendit la main, attendant qu’elle y
place la sienne. Lorsqu’elle le fit, il se
plia dans une élégante révérence et
embrassa les doigts de la jeune femme.
Même si elle ne souriait pas, Jessie
s’empourpra tout en s’inclinant.
— C’est un honneur de faire votre
connaissance, milord.
Elle se dégagea en hâte et joignit ses
mains devant elle.
— La cadette de Dirk, hmm ? répéta-t-
il. Je n’aurais jamais supposé qu’il avait
une sœur aussi ravissante.
L’ancienne fugitive se mordit la lèvre
pour réprimer un ricanement, tandis que
sa compagne se contentait de rougir plus
vivement.
— Je vous remercie, milord.
La veuve fit aller et venir son regard
entre Jessie et Torrin, tentant de deviner
ce qui se déroulait. À l’évidence,
MacLeod trouvait cette créature
incroyablement séduisante avec ses
cheveux de cuivre et ses yeux bleu ciel. Il
lui prêtait bien plus d’intérêt qu’il n’en
avait jamais témoigné à Isobel lorsqu’ils
étaient fiancés. Mais la sœur du guerrier
paraissait extrêmement tendue.
— Je vous prie de m’excuser, dit-elle
dans une autre révérence. Je dois aller
voir si la cuisinière a préparé les tartes.
Torrin l’observa en sourcillant tandis
qu’elle quittait prestement la pièce, puis
reporta son attention vers la future
mariée.
Celle-ci haussa les épaules.
— Ne comptez pas me reprendre lady
MacKenzie, annonça Dirk en plaçant son
bras autour de sa bien-aimée dans un
geste protecteur.
Elle sentit son corps entier s’embraser
et se délectait de la manière dont la main
chaude de son promis la caressait. Il
esquissa un léger sourire.
— Oh, non, le rassura son ancien rival.
Je vous souhaite à tous deux un mariage
heureux.
Il lui serra la main et s’éloigna d’un
pas nonchalant.
— Pfff. Il a bien accepté que je lui
ravisse sa fiancée, déclara MacKay.
Elle lui adressa un rictus crispé,
encore contrariée et troublée qu’il ne lui
ait pas parlé de leur union. Être la future
mariée et l’une des dernières informées
se révélait dégradant.
— Pourrais-je vous dire un mot ?
murmura-t-il, son souffle chaud
chatouillant l’oreille de la jeune femme.
— Certes.
Il allait donc aborder le sujet avec elle,
maintenant que tout le monde savait ?
Elle suivit le geste de Dirk l’invitant à
le précéder vers le couloir qui menait à la
bibliothèque. Cette pièce était sûrement
celle qu’il préférait.
Lorsqu’ils furent à l’intérieur, il ferma
la porte.
— Êtes-vous à nouveau en colère
contre moi ? s’enquit-il. Je n’ai pu
m’empêcher de remarquer les regards
furieux que vous m’avez décochés quand
Cyrus a fait son annonce.
— Vous auriez pu au moins me
prévenir.
— Quoi ?
Était-il vraiment bête à ce point ? Elle
poussa un soupir exaspéré.
— Il est humiliant d’apprendre, en
même temps que le reste de votre clan,
nos noces à venir. Ni vous ni mon frère
n’avez consacré une minute de votre
temps à m’informer de vos accords.
Il sourcilla.
— Je suis désolé. Je pensais que vous
apprécieriez.
— Quoi donc ? Que personne n’ait pris
la peine de me demander qui je voulais
épouser ?
Il la regarda longuement d’un air
sombre.
— Je ne suis pas stupide, Isobel, et
Cyrus non plus. Nous sommes tous deux
conscients que vous préférez m’épouser
plutôt que Torrin.
Elle se mordit la lèvre, refusant de le
regarder. Soit, il avait raison. La question
n’était pas là. Elle supposa qu’elle devait
s’estimer reconnaissante envers son frère
de ne pas accorder sa main à un vieux
grincheux desséché cette fois-ci.
Il l’attira à lui.
— Isobel ? Regardez-moi, dit-il en lui
soulevant le menton.
S’appliquant à rester courroucée
malgré la bonne humeur de son
compagnon, elle riva les yeux sur le
menton mal rasé de celui-ci, mais la vue
de ses lèvres sensuelles finit par la
déconcentrer. Elle avait envie de leur
contact sur elle.
— Votre frère allait vous faire venir ici
pour entendre votre opinion sur le sujet,
expliqua-t-il. Mais nous avons dû sortir
régler nos différends avec les MacLeod.
Elle haussa les épaules.
— Il ne se soucie guère de mon avis.
Pas plus que vous.
— C’est faux. Mais vous avez raison
sur un point. En ce qui concerne le
mariage, j’ai négligé de faire ma demande
à la principale intéressée, admit-il en
posant un genou à terre. Lady Isobel, me
ferez-vous l’honneur de devenir mon
épouse ?
Tandis qu’elle se plongeait dans son
regard intense, brillant et empli d’espoir,
des larmes montèrent aux yeux de la jeune
femme.
— Êtes-vous certain de ne pas vous y
sentir obligé ? interrogea-t-elle, malgré le
nœud qui se formait dans sa gorge.
— Avez-vous perdu l’esprit ?
s’étonna-t-il en se relevant pour lui
essuyer ses larmes du bout du pouce. Je
ne pense qu’à cela.
Reportant son attention sur la main de
sa promise, il en embrassa les phalanges
et lui glissa un anneau au doigt.
Elle prit une vive inspiration en
examinant, effarée, le saphir bleu foncé
qui l’ornait. Un tourbillon d’allégresse
s’empara d’elle, décuplant ses larmes.
— Oh, Dirk. Où vous l’êtes-vous
procuré cette bague ?
— Elle appartenait à ma mère,
répondit-il dans un sourire, en remuant le
bijou sur l’annulaire de sa fiancée. Elle
est un peu grande, mais nous la ferons
mettre à votre taille.
— Elle est ravissante. Je vous
remercie.
— Le plaisir est pour moi.
Il l’embrassa sur le front.
Même si elle aimait ce geste
affectueux, elle avait faim d’une autre
sorte de baisers pour sceller leurs
fiançailles.
— Me pardonnez-vous ? demanda-t-il.
— Oui. Si vous promettez de ne plus
me laisser ainsi dans l’ignorance.
Il hésita, comme méditant sur la
question.
— Je le promets. S’il s’agit d’un sujet
vous concernant, je m’assurerai de vous
en informer la première.
Elle n’appréciait pas la pause qu’il
avait marquée avant de répondre.
— En êtes-vous certain ?
— Bien sûr. Ne me faites-vous pas
confiance ?
— Si. Mais vous devez vous souvenir
de ne pas me traiter comme un meuble ou
un mouton comme le fait mon frère.
Dirk émit un gloussement.
— Vous trouvez ça drôle ? s’offusqua-
t-elle. Que diriez-vous si les femmes
décidaient de votre avenir ?
— Je vous prie de m’excuser. Cela m’a
amusé simplement parce qu’il pourrait
s’écouler mille ans, je ne vous traiterais
jamais tel « un meuble ou un mouton ».
Il renâcla comme si l’idée lui avait
paru ridicule.
— Non, reprit-il, vous êtes… la
personne la plus importante à mes yeux.
Il paraissait sincère, voire passionné.
Elle sentit une profonde chaleur
déferler dans sa poitrine, pensant qu’il
tentait de lui dire qu’il tenait à elle, peut-
être même qu’il l’aimait, mais elle ne
pouvait en avoir la certitude. Elle ne
voulait guère lui donner l’impression de
le pousser à quoi que ce soit, y compris à
exprimer ce qu’il éprouvait.
— Et vous êtes celle qui compte le
plus pour moi, répondit-elle.
Il continua de la contempler, ses yeux
azur affichant l’envie, le besoin, le désir,
le bonheur et une dizaine d’autres
émotions.
Quel homme obstiné, pourquoi ne
l’embrassait-il donc pas ?
Vaincue par son impatience, elle
chuchota :
— Puis-je vous offrir un baiser ?
— Isobel, gémit-il doucement, les
dents serrées. Vous savez ce que cela
déclenche entre nous.
— Tout à fait.
Un brasier de passion, exactement ce
qu’elle souhaitait plus que tout à cet
instant précis.
— Vous m’avez manqué ces derniers
jours. Je ne vous ai presque pas vu. Je
crois que vous m’évitiez.
— Je m’échinais à me maîtriser, et
vous savez pertinemment que je ne
pourrai pas me contenter de vos lèvres,
confessa-t-il.
— Moi non plus.
Il sourcilla, l’air encore plus excité et
plus frustré.
— Mais nous le devons. Nous avons
une salle remplie d’invités, dont une
partie sont de votre famille et de votre
clan.
Elle haussa les épaules.
— Cyrus a approuvé nos fiançailles.
Qu’aurait-il à dire ? S’il découvre que
nous avons partagé une couche, il exigera
seulement de réduire le délai de notre
mariage. Par ailleurs, nous pouvons nous
barricader, et personne n’entrera.
Dirk fit un pas vers elle, se pencha et
effleura la bouche de sa promise avec la
sienne. Elle en fut parcourue tout entière
de délicieux et sensuels frissons.
— Damnation ! Vous anéantissez ma
volonté, murmura-t-il, avant de capturer
les lèvres de la jeune femme dans l’un de
ces baisers dévastateurs dont il était si
expert.
Il lui enlaça la taille pour l’attirer plus
près de lui. Elle glissa ses bras autour de
son cou et s’y agrippa. Il l’embrassa
profondément, avec intensité, sa bouche
aussi enivrante que le vin doux et épicé
dont il avait le goût. Après ce moment
d’abandon au plaisir charnel, il s’écarta
et la lâcha, semblant s’efforcer de
redevenir maître de lui-même.
Trouvant la barre appuyée contre
l’embrasure, Isobel la souleva pour la
mettre dans les supports. À présent,
personne ne pouvait pénétrer dans la
pièce.
— Que faites-vous ? lui demanda-t-il.
— Je pense que vous le savez,
rétorqua-t-elle en lui adressant un sourire
espiègle. Je vous prends de force.
Chapitre 25

— Me violer ? s’étonna-t-il, ébauchant


un sourire en coin. Dans la bibliothèque ?
Vous êtes vraiment folle.
— En effet.
Elle avança lentement vers lui,
appréciant la surprise amusée qui se lisait
sur son beau visage.
— Nous ne pouvons pas faire cela,
protesta-t-il, les yeux encore assombris et
mi-clos après leur brûlant baiser.
— Je ne suis pas de votre avis. Nul ne
nous en empêche, et personne n’en saura
rien.
— Écoutez.
Il tourna la tête pour regarder fixement
la porte.
La musique du céilidh avait commencé
à retentir, et quelqu’un chantait un air
entraînant. On tapait du pied et on
frappait dans les mains.
Elle prit un air hilare.
— Cela couvrira le bruit que nous
ferons.
Il exhala une expiration hachée et
adressa à sa compagne un regard
accusateur.
— Je me pensais fort, mais je ne puis
vous résister.
— Cela ne s’impose plus maintenant
que nous sommes fiancés.
Elle détacha la broche qui tenait en
place l’écharpe en tartan sur l’épaule de
Dirk, puis lui défit son pourpoint. Après
qu’elle les eut déposés sur la table, il
passa violemment sa chemise par-dessus
sa tête, et la jeta vers le tas de vêtements.
Elle se délecta de la vue qu’offraient les
magnifiques muscles saillants de son
torse et son ventre aux fermes
ondulations, baissant les yeux jusqu’à ses
culottes en daim qui laissaient peu de
place à l’imagination. Son désir se
dessinait clairement sous l’étoffe.
Comme il était appétissant.
Elle s’avança, se saisit avec audace de
la ficelle de cuir et tira dessus pour
défaire l’habit, révélant ainsi l’étroit
sillon de poils sur son bas-ventre qui
menait vers de fascinantes parties
intimes.
— Isobel, dit-il d’un ton qui la mettait
en garde.
— Oui ?
Elle esquissa un petit sourire joueur, et
fit courir ses doigts le long de son
membre raide et brûlant.
Il gémit et lui attrapa le poignet pour
l’éloigner.
— Vilaine fille, siffla-t-il d’un ton
provocant avant de l’attirer à lui pour
l’embrasser.
D’une seule main, il lui maintint les
poings derrière le dos.
— Hmm.
Dieux du ciel ! Que faisait-il ? Il ne
l’avait jamais maîtrisée de cette façon,
mais il sembla qu’elle n’en était que plus
excitée. Comme s’il s’emparait de sa
personne, la possédait.
Gardant la bouche d’Isobel occupée
par un baiser délicieusement sensuel, il
lui dégrafa la broche qu’elle avait sur la
poitrine, puis sa ceinture, permettant ainsi
à son arisaid de tomber à ses pieds.
Après l’avoir débarrassée du reste de sa
tenue, il dénoua le lacet qui tenait sa
blouse en place et fit descendre celle-ci
pour exposer ses seins.
Elle suffoqua sous l’effet de
l’excitation qui la traversa. L’air frais de
la pièce lui taquina la peau. Dirk pencha
sa compagne en arrière et aspira l’un des
tétons pointés dans sa bouche chaude. Les
mouvements de langue et de lèvres qu’il
déchaîna sur elle étaient si grisants
qu’elle ne parvenait plus à réfléchir.
— Oh, Dirk. Oui.
Après qu’il lui eut suçoté et stimulé
l’autre mamelon durant quelques instants,
il la lâcha, se dirigea vers un fauteuil et
s’y affaissa.
— Allez, jeune fille. Ne me faites pas
attendre.
À quel jeu se prêtait-il ? S’agrippant à
un siège devant la table, elle pouvait à
peine tenir debout ou trouver ses mots
pour élaborer des phrases cohérentes
pendant que ses esprits lui revenaient.
Elle observa son compagnon et ce
sourire espiègle qu’il arborait.
— Oh, je vois. Maintenant que nous
sommes fiancés, vous pensez me donner
des ordres, n’est-ce pas ?
Elle avança d’un pas nonchalant vers
lui.
— Oui.
Elle adorait ce petit rictus mutin.
— Asseyez-vous sur moi, dit-il.
Elle se percha de côté sur ses cuisses
dures comme le marbre, se pencha et lui
déposa une innocente bise sur les lèvres.
Il lui passa les doigts dans les cheveux,
l’attira encore plus près, et, à coups de
langue impudiques, transforma leur baiser
en un délice torride et scandaleux. Elle
avait perdu le cours de ses pensées au
bout de quelques secondes. Elle voulait
simplement le savourer tout entier.
— Levez-vous un instant, lui murmura-
t-il contre ses lèvres, les mains sur sa
taille.
Elle s’exécuta, et il lui remonta alors
ses jupons jusqu’en haut des mollets, et
l’attira en avant dans une position
différente, à califourchon sur lui. Quelle
attitude débauchée et honteuse ! D’une
choquante séduction. Elle se rapprocha,
sentant sa virilité durcie sous ses
vêtements.
Il fouilla sous les épaisseurs d’étoffe et
la blouse, puis fit monter ses mains
calleuses et chaudes sur les genoux de sa
compagne pour les poser vers l’extérieur
des cuisses de celle-ci tandis qu’il lui
dévorait la bouche.
Il poussa un gémissement.
— Vous êtes la tentation incarnée.
Elle tira de nouveau sur les lacets de
cuir des culottes de Dirk pour les
desserrer. Rassemblant tout son courage
et espérant qu’il ne l’en empêcherait pas
derechef, elle y fourra la main.
Lorsqu’elle toucha sa chair embrasée et
ferme, le guerrier siffla entre ses dents.
Elle enroula ses doigts autour de son
attribut, et le serra. Comme il était soyeux
et dur à la fois.
Il geignit.
— Essayez-vous de me faire perdre la
maîtrise de moi-même ?
— Oui.
— Après vous, ma chère.
Il fit fureter sa main entre les jambes
de la jeune femme et lui écarta les petites
lèvres. Y glissant un doigt, il trouva sa
moiteur et la répandit, décrivant des
cercles autour d’une partie d’Isobel
incroyablement sensible et excitée.
— Oh, Dirk, susurra-t-elle, le souffle
court.
Il savait exactement quel point magique
caresser pour la rendre folle de désir.
— Diable, comme c’est bon de vous
toucher, gronda-t-il.
Elle arqua le dos, s’efforçant de se
presser plus encore contre lui. De son
autre bras autour des reins de sa
compagne, il attira celle-ci plus près et
lui titilla cette portion de chair délicate
du bout de ses doigts humides. Oh, dieux
du ciel, il la faisait brûler d’envie. Elle
remua les hanches, tout en serrant son
membre dressé et en tirant dessus, tentant
de montrer à son partenaire ce qu’elle
voulait.
— Par tous les saints, jeune fille !
marmonna-t-il, les mâchoires crispées,
avant de la surprendre en la soulevant
pour l’allonger sur le dos à même le bois
dur du sol.
— Oui, prenez-moi.
Elle ne se souciait guère de la façon ni
de l’endroit, elle le voulait simplement
sans plus attendre.
Il repoussa plus haut ses jupons, lui
déploya les cuisses et se pencha comme
pour examiner son antre le plus secret à
la lueur des bougies.
— Qu’êtes-vous en train de… ?
Mais il la toucha alors avec… sa
langue ?
— Grands dieux ! Dirk ? Que… ?
Elle essaya de protester, mais ses
propos fondirent en gémissements. Tout
ce qu’elle savait, c’était qu’il
l’embrassait et la léchait à l’endroit le
plus sulfureux de son corps, parcourant et
pénétrant ses replis intimes avec la
langue. Elle sentit sa passion
s’enflammer, des frissons ardents
l’envahir, lui couper le souffle, la faire
onduler et attiser son désir.
Elle s’entendit crier, et tenta de
s’arrêter, se mordant le doigt. Elle courba
le dos et poussa ses hanches contre son
compagnon qui les tenait fermement et la
dévorait.
Dieux du ciel, qu’était-il en train de
faire, à plonger ainsi sa langue en elle ? Il
geignait, paraissant apprécier autant
qu’elle. Elle n’avait jamais supposé
qu’un acte si licencieux ou qu’une telle
extase charnelle puisse exister. Oh,
Seigneur, il léchait ce point particulier, le
foyer de sensations si intenses qu’elles en
devenaient presque insoutenables. Ces
vifs et nombreux fourmillements se
mêlèrent pour tournoyer toujours plus
vite, puis une explosion de plaisir
fracassant se produisit en elle, la
consumant durant plusieurs longues
secondes.
Lorsqu’elle reprit conscience, hors
d’haleine, son corps tout entier
bourdonnant comme après avoir été
frappé par la foudre, elle eut l’impression
de voler. Mais il s’agissait simplement de
Dirk qui la relevait pour l’installer de
nouveau sur ses genoux. Les jambes
toujours écartées, elle resta agrippée au
cou de son amant et laissa tomber sa tête
sur l’épaule de celui-ci, s’appliquant à
respirer et trouver un sens à ces
stupéfiantes émotions. Certes, il l’avait
déjà menée à l’orgasme auparavant, la
petite mort, mais l’intensité la surprenait
chaque fois. Surtout ce jour-là. Il était
parvenu de quelque façon à lui faire
presque perdre l’esprit par l’excitation et
la jouissance sexuelles.
— Hmm, lui rugit-il doucement à
l’oreille. Vous avez la chair sucrée,
Isobel.
— Vous êtes fou de me… lécher à un
tel endroit.
Il émit un gémissement hilare.
— Soit, traitez-moi de dément, mais je
crois que je vous dégusterai toutes les
nuits en dessert.
Elle trembla à la simple idée de
savourer un délice d’une telle sensualité
chaque soir.
— Êtes-vous prête à me recevoir ?
Il la souleva et plaça son membre
dressé juste en dessous d’elle. Le bout
soyeux effleurait l’antre de sa promise,
qui fut prise d’une soudaine et cruelle
envie de le sentir s’introduire
profondément en elle.
— Oui. Maintenant.
Elle s’affaissa brusquement sur lui et il
sursauta, la pénétrant d’un pouce ou deux.
Elle suffoqua, ayant oublié combien la
virilité du guerrier se révélait imposante,
mais chaque seconde qui s’écoulait était
plus agréable que la précédente. Il remua,
allant et venant par petites poussées, mais
s’enfonçant progressivement un peu plus.
Il serra vigoureusement les mâchoires, et
dévisagea Isobel d’un regard hébété et
enténébré par la passion. Cet homme
comptait parmi les fougueux. Elle tortilla
des hanches, le comprimant tandis qu’elle
fondait sur lui. Toujours plus loin, il se
glissait en elle.
Il gronda en atteignant les entrailles de
sa bien-aimée. Là, en ce point parfait, il
s’immobilisa, et la regarda dans les yeux
en lui déposant doucement de petits
baisers sur les lèvres.
Tous ses muscles se contractèrent,
caressant le ferme membre sur toute sa
longueur.
Dirk siffla un chapelet de jurons en
gaélique, se retira légèrement puis
s’introduisit. Il s’extirpa brutalement du
fauteuil et, un bras derrière le postérieur
d’Isobel, porta celle-ci à l’autre bout de
la pièce.
— Damnation, Isobel, vous me dérobez
tout mon bon sens, dit-il d’une voix
râpeuse.
Elle eut de nouveau l’impression de
voler un instant, puis sentit l’étagère à
livres s’enfoncer dans son dos. Il
s’élança en elle, dans un premier temps
avec douceur, mais avec ensuite
davantage de puissance et de rapidité.
Les mâchoires serrées, le regard
ténébreux, il ressemblait à un redoutable
guerrier déterminé à s’emparer de chaque
once de sa partenaire, et plus encore.
Elle hurla.
Il s’interrompit.
— Est-ce que je vous fais mal ?
— Non. Encore… J’en veux encore,
murmura-t-elle.
Éprouver la puissance du corps tendu
de son compagnon tandis qu’il la tenait en
l’air ne fit qu’attiser son excitation. Le
regard sauvage et déterminé, Dirk
poursuivit ses pénétrations, rapides et
approfondies.
— Oui, susurra-t-elle, le souffle court.
C’est cela… que je voulais.
Elle accueillait les baisers sensuels
dont il l’avait gratifiée tout comme elle
l’acceptait en son antre.
Il glissa une main entre leurs deux
corps, et de son pouce frotta cette petite
protubérance de chair si sensible, en
décrivant des cercles humides qui la
faisaient souffrir et se tordre, pour
atteindre une fois de plus les cimes du
plaisir.
Les picotements augmentèrent
vivement, convergeant sur elle. Elle
s’arqua et se raidit d’impatience. Elle
perdit haleine et le plaisir se fracassa en
elle, telle une vague qui l’écrasait, avant
de l’emporter. Elle tenta de crier, mais il
lui couvrit la bouche avec la sienne. Elle
chevauchait son amant, prenant avec
enthousiasme tout ce qu’il lui donnerait.
Sa vigoureuse virilité se révélait sans
pitié. La volupté se répandit en elle,
parcourant ses membres jusque dans ses
doigts et ses orteils, puis ricocha,
rebondissant et la saisissant derechef là
où elle enserrait Dirk, cherchant
désespérément à le retenir pour toujours
en ce même endroit. Il était sien. Elle ne
savait rien d’autre. Il lui appartenait et
elle ne le lâcherait pas. Jamais.
Il plongea au tréfonds de sa partenaire,
et y demeura avant de pousser un
grondement. La submergeant de sa
chaleur, il s’agita contre elle à deux
autres reprises. Il la maintint fermement
un long moment, son souffle haché contre
l’oreille d’Isobel.
Marmonnant une grossièreté, il se
retira lentement et reposa sa compagne.
Mais elle avait les genoux si faibles
qu’elle ne tenait pas sur ses pieds. Il la
prit dans ses bras, la souleva, puis se
laissa glisser contre le mur jusqu’à terre.
— Damnation, murmura-t-il, à bout de
souffle.
Assis là, se dévisageant à un pouce
l’un de l’autre, ils s’efforcèrent de
reprendre une respiration normale.
Il baissa les yeux, et elle prit
conscience que ses jupons étaient relevés
au-dessus de ses hanches. Il pouvait sans
aucun doute apercevoir ses parties
intimes qui devaient rester cachées, mais
elle ne s’en trouvait nullement honteuse.
Il y avait posé la bouche ; à l’évidence, il
appréciait donc cet endroit de son corps.
Il connaissait tous ses secrets et quoi
qu’il en soit, il la voulait.
Après qu’il eut étudié ses portions de
chair scandaleusement nues, y compris
ses seins, durant quelques minutes, il
serra vivement les mâchoires, le muscle
de sa joue tressautant d’une manière que
la jeune femme trouvait si délicieusement
excitante. Leurs regards se croisèrent, et
celui du guerrier s’assombrit de nouveau.
— Vous êtes…, commença-t-il en
secouant la tête. Il n’y a pas de mots,
chuchota-t-il.
— Vous n’en avez pas besoin.
Elle savait exactement ce qu’il
ressentait en scrutant simplement ses yeux
expressifs. Elle lui passa les bras autour
du cou, en l’embrassant dans un abandon
d’une douce passion.
On frappa à la porte.
— Vous êtes demandés dans la grande
salle.
Cette voix était celle de Rebbie.

Autour de midi, Maighread avait


ouvert les volets de sa chambre pour
tenter d’apercevoir ce qui se déroulait
au-dehors. Elle avait entendu quelques
hurlements, mais n’avait perçu aucun
bruit de bataille. Par la fenêtre, elle avait
distingué un grand nombre d’hommes sur
leurs montures à quelque distance du
château. Il ne pouvait s’agir que des
MacLeod venant reprendre Isobel, non ?
Elle avait attendu… et attendu encore.
Cependant, aucun son de glaives
entrechoqués ni de râles d’agonie ne
retentit. Une poignée de chevaux s’étaient
éloignés au galop, leurs sabots claquant
sur le sol gelé. Après cela, au crépuscule,
les grondements de conversations lui
étaient parvenus de l’enceinte et la salle
principale.
Que se passait-il ? Pourquoi les
MacLeod n’attaquaient-ils pas Dirk et ses
hommes ?
Pour sûr, envoyer Haldane jusqu’à
Munrick n’avait pu se révéler vain.
D’ailleurs, où se trouvait-il ?
Elle frappa à sa propre porte de
l’intérieur. Son bâtard de beau-fils avait
ordonné que l’on fasse poser un verrou
supplémentaire de l’autre côté.
— Que voulez-vous ? s’enquit l’un des
gardes dans le couloir.
Quel irrespectueux goujat ! Elle
veillerait à ce qu’il soit chassé des terres
MacKay lorsqu’elle serait libre.
— Je dois m’entretenir avec ma bonne
au sujet d’une délicate affaire féminine,
répondit-elle d’un ton soumis.
— Faites-m’en part, et je lui
transmettrai.
Maudit individu ! Elle n’était guère
habituée à ce que l’on rejette ses
injonctions. Dirk en était l’unique
responsable.
Elle fit les cent pas devant la
cheminée. Elle devait découvrir d’une
façon ou d’une autre ce qui se produisait.
Environ une heure plus tard, elle
sursauta en entendant le vantail grincer.
Elle fit volte-face. L’un des domestiques
déposa un plateau par terre dans l’entrée
de la pièce. Elle se précipita vers lui,
mais il claqua la porte et la serrure
cliqueta.
— Gardien ? appela-t-elle en frappant
de nouveau. Gardien ! Je souhaite parler
à mon fils, Aiden. Envoyez-le-moi.
Sa requête fut accueillie par le silence.
Sales vermines ! On ne l’avait jamais
traitée si horriblement de toute sa vie.
MacKay le paierait cher !
— Vous m’entendez ? s’égosilla-t-elle
en martelant le vantail. Demandez qu’il
vienne immédiatement !
Une forte musique provenant de la
grande salle fit vibrer le sol en bois de sa
chambre. Au lieu de se battre, ces satanés
clans assistaient à un céilidh. Elle grinça
des dents. Comment osaient-ils faire la
fête alors qu’elle était prisonnière sous
son propre toit ? Enfin, pas le sien, mais
celui de son garçon. Son domicile était à
Tongue, et le chaleureux manoir lui
manquait atrocement.
Malgré la flambée dans l’âtre, elle
devait porter plusieurs couches de laine
pour avoir chaud dans cette cellule. Non
seulement elle était gelée, mais il lui
fallait s’occuper elle-même du feu. Cet
abruti de Dirk était allé jusqu’à refuser
qu’une servante ravive les braises pour
elle.
Si elle pouvait au moins alerter le clan
Gordon, ce bâtard et ses partisans s’en
verraient fort marris. Le neveu de
Maighread ferait pleuvoir les feux de
l’enfer sur ces traîtres.
Faisant une fois encore résonner son
poing sur la porte, elle cria :
— Ouvrez !
Elle pourrait mourir là et personne
n’en saurait rien, pas même ses fils. Ses
yeux s’embuèrent de larmes.
Une musique familière flottait dans la
grande salle. C’était Aiden qui jouait !
Elle ne parvenait pas à croire que son
propre enfant lui avait tourné le dos. Ne
comprenait-il pas qu’elle accomplissait
tout cela pour lui ? Pour qu’il reçoive un
héritage. À présent, il n’aurait rien à
l’exception de ce que Dirk déciderait de
lui donner. Au lieu d’être chef, il
deviendrait à peine plus qu’un
domestique. Elle imagina le sombre
avenir de son aîné, et en eut l’estomac
noué.
Et qu’advenait-il de Haldane ? Où se
trouvait-il ? Elle priait pour qu’il n’ait
pas fini au cachot. Il était plus résistant
que son frère et elle savait qu’il
supporterait l’emprisonnement, mais
MacKay n’avait aucun droit d’enfermer
l’un ou l’autre des garçons de Maighread.
Son cadet serait le nouveau meneur. Il
était petit-fils de comte. Il méritait ce
titre. Elle devait lui faire parvenir un
message. Il pourrait assurément l’aider à
sortir de cette geôle.
Elle rédigea une missive sur un petit
bout de papier qu’elle avait trouvé dans
son vieux bureau. Dieu merci, elle avait
exigé que le précepteur apprenne à lire au
jeune homme, même si celui-ci avait
déployé force opposition et paresse. Elle
ignorait à quel moment elle lui
transmettrait la lettre, mais elle la fourra
dans la poche fixée à sa taille.
Elle s’endormit dans le fauteuil devant
la cheminée. La pièce était plongée dans
l’obscurité quand des coups ténus et
rapides à la porte la réveillèrent. Elle se
leva, de douloureuses courbatures aux
articulations, et se dirigea d’un pas
nonchalant vers l’entrée. Tout était calme,
aucune musique ne s’échappait de la
grande salle. À l’évidence, il était minuit
passé.
— Oui ? lança-t-elle.
— Milady, répondit une voix, guère
plus qu’un murmure appuyé.
— Est-ce vous, Una ?
Grâce au ciel, elle avait eu la
prévoyance d’emmener deux bonnes de
Tongue, car Anne avait disparu, ou l’avait
abandonnée.
— Oui, acquiesça la servante.
— Où sont les gardes ?
— Il n’y en a qu’un ici, et il dort.
Sa maîtresse fut traversée d’un accès
d’allégresse.
— Prenez-lui ses clés et déverrouillez
cette porte.
Après un long moment, Una dit :
— Je ne trouve rien. Si je le fouille, il
va forcément se réveiller.
Maighread marmonna un juron qu’elle
avait entendu son époux prononcer des
milliers de fois.
— Où est Haldane ? L’avez-vous vu ?
— Non, mais des hommes ricanaient
de la façon dont il avait détalé comme un
lâche avec certains de ceux qu’ils
désignent comme des « hors-la-loi ».
Qu’ils aillent tous au diable ! Son fils
n’était pas un couard, ni un criminel.
— Qu’en est-il des MacLeod ?
s’enquit-elle. Sont-ils furieux contre Dirk
pour avoir retenu lady Isobel en otage ?
— Non. Ils semblaient tous être les
meilleurs amis du monde, à rire, dîner et
boire ensemble. Durant le souper, lord
MacKenzie a annoncé que sa sœur et
MacKay allaient se marier.
— Dieux du ciel ! Et le clan de son
ancien fiancé accepte cela ?
— Oui.
Cyrus avait dû arranger la situation et
apaiser Torrin de quelque manière,
détruisant ainsi les plans de Maighread.
— J’ai besoin que vous remettiez
discrètement une missive à mon cadet.
Pouvez-vous faire cela pour moi ?
— Certes, milady, si je le vois.
— Vous devez partir le chercher. Nos
vies mêmes en dépendent. Y compris la
vôtre, affirma la sorcière en lui glissant le
bout de papier plié sous la porte. La
voici. Portez-la à mon fils. Connaissez-
vous Levina, l’aide-cuisinière ?
— Oui.
— Je veux que vous lui passiez un
message de ma part. Dites-lui que
j’ordonne de prendre les mesures dont
nous avons discuté il y a quelques jours.
— Très bien. Ce sera tout, milady ?
— Oui.
Elle n’avait pas souhaité en arriver là,
mais elle n’avait pas d’autre choix. Dirk
lui avait forcé la main.
Chapitre 26

Le lendemain matin, après leur petit


déjeuner, Cyrus dit à Isobel qu’il
souhaitait lui parler dans la bibliothèque.
Elle jeta un coup d’œil à Dirk, curieuse
de savoir pourquoi il n’y était pas convié.
Il adressa à sa fiancée un petit sourire qui
lui rappela leur torride tête-à-tête dans
cette même pièce la veille. On avait
ensuite sollicité leur présence dans la
grande salle pour partager une danse avec
leurs clans. MacKay avait affirmé ne pas
aimer ce genre d’exercice, mais s’y était
brillamment prêté.
Une fois dans la bibliothèque, le chef
MacKenzie et sa sœur s’assirent à la
table.
— Que pensez-vous de votre promis ?
lui demanda-t-il.
Pourquoi lui posait-il cette question ?
L’accord avait déjà été signé et scellé.
Elle savait comment était son frère –
autoritaire et dominateur. Il en aurait fait
peu de cas si elle avait protesté. Bien
entendu, elle n’allait pas s’opposer à une
union avec Dirk. Bien au contraire. Elle
brûlait d’impatience de l’épouser.
Elle s’efforça de faire montre de
réserve, réfléchissant aux propos que son
aîné prendrait au sérieux. Elle ne voulait
pas qu’il la considère comme une jeune
fille frivole, même si elle avait la nette
impression d’en être une depuis le soir
précédent où son compagnon lui avait
demandé sa main avant de lui faire
l’amour. Oh ! Elle fut prise d’un soudain
besoin de s’éventer.
— Lord MacKay est un homme bon,
déclara-t-elle. Un gentleman protecteur,
obligeant et honorable ; ainsi qu’un
meneur fort et courageux. Apprécié de…
tous.
Cyrus haussa un sourcil.
— Vraiment ?
— Bien sûr.
Comment pouvait-il douter de ses
paroles ? À l’évidence, il la mettait à
l’épreuve de quelque manière.
Il se cala dans son siège, et croisa les
bras sur sa large poitrine.
— Hier, il a admis vous avoir séduite.
Elle s’empourpra violemment.
— Je vois.
Était-ce une raison pour Cyrus de
condamner le guerrier ? Ils avaient
semblé être amis au cours des deux repas.
— Il n’est pas à blâmer. La tentation
était mutuelle.
— Vous l’avez incité à la faute ?
l’interrogea-t-il d’une voix forte, les yeux
écarquillés.
— Non, pas exactement, se défendit-
elle en hâte, espérant qu’il ne la jugeait
pas licencieuse.
Enfin, peut-être l’avait-elle provoqué
en se jetant quasiment sur lui dans son
bain… et la veille dans cette pièce.
— Je le trouve… gentil, répondit-elle.
— « Gentil » ? répéta-t-il en renâclant.
— Et beau. Je l’apprécie beaucoup.
— Ah. Nous en venons enfin à quelque
chose. Vous voulez donc vous marier
avec lui, eh ?
— Bien sûr. Vous ne lui avez pas dit
qu’il y était contraint, n’est-ce pas ?
Cela représentait sa plus grande
crainte.
— Non. Il a sollicité votre main. Il
vous trouve ravissante et vous porte de
l’affection. Il semble être un individu
honorable. C’est suffisant. Vous trouver
un époux décent a relevé du cauchemar,
Isobel.
— Je sais. Mais vous avez fait le
mauvais choix la première fois.
Elle le lui avait déjà dit.
— J’en suis désolé, mais cela
garantissait une alliance importante entre
clans. La proposition d’un comte auprès
d’une fille de baron n’est pas une
occasion sur laquelle on crache, quel que
soit l’âge du prétendant.
— Très bien. J’ai rempli mon devoir
envers les miens.
Le passé était le passé, et elle désirait
l’oublier. Cette union aurait pu se révéler
autrement plus effroyable, et elle se
félicitait de s’en être facilement dégagée.
— Maintenant, vous pourrez jouir de
ce fichu mariage d’amour dont vous
m’avez rebattu les oreilles depuis vos
quinze ans, grommela-t-il.
« Mariage d’amour ». Certes. Elle
était amoureuse de Dirk. Si seulement il
ressentait la même chose, à présent…
Peut-être était-ce le cas, mais il ne s’en
était jamais ouvert.
— À n’en pas douter, vous êtes éprise
de cet homme, ajouta-t-il. Il est temps.
Elle haussa les épaules, impuissante
quant au fait de n’avoir pu développer le
moindre sentiment pour un fiancé du bon
rang des années plus tôt. Elle l’aurait fait
si son sauveur s’était trouvé dans les
parages.
— Un jour, vous regretterez de ne pas
avoir connu une telle union, déclara-t-
elle.
— Pfff. Je n’ai pas le temps ni la
patience pour pareilles sottises. Quoi
qu’il en soit, puisque vous consentez à
épouser cet homme, je vous verrai mariée
avant de partir d’ici.
Une excitation mêlée de panique la
traversa.
— Je dois convoler avec lui si tôt que
cela ?
— Oui, demain si possible.
— Vous plaisantez, je suppose.
— Pourquoi pas ? Nous sommes tous
là, vos frères, à l’exception de Dermott,
et une partie de votre clan, ainsi que les
MacKay. Je n’offrirai pas la possibilité à
MacLeod de vous ravir.
— Il n’a aucun intérêt à le faire.
Non, il avait reporté son attention sur
une certaine dame à la chevelure de feu.
— Eh bien, qui sait ? Un autre bâtard
pourrait surgir et tenter de vous enlever
sous le nez de votre fiancé. Je ne veux
pas devoir ratisser le pays une fois de
plus, en m’inquiétant de découvrir si vous
êtes toujours en vie. Dès que vous aurez
épousé Dirk, il vous protégera bien.
— Assurément.
Par ailleurs, après leur union, il serait
sien pour la vie. Au lieu de partager des
moments volés de passion, elle pourrait
dormir chaque soir dans le lit du guerrier.
Il était spacieux et chaleureux, et elle
avait aimé se blottir auprès de son amant
la nuit qu’elle y avait passée. Un frisson
étourdissant la parcourut et dessina un
sourire sur ses lèvres.
Cyrus l’observa avec perspicacité,
puis sourcilla.
— En effet, il vous faut convoler le
plus vite possible, jeune fille. Occupez-
vous des préparatifs et je parlerai avec
votre promis.
Il sortit à grandes enjambées, tandis
qu’elle bondissait de son fauteuil pour
monter l’escalier en courant jusqu’à sa
chambre. Elle fit irruption dans la pièce
et trouva sa bonne en train de faire son lit.
Cette dernière suffoqua et pivota
brusquement vers elle.
— Dieux du ciel, mon petit ! Vous
m’avez fait la peur de ma vie.
— Beitris ! Je me marie demain !
Isobel, Jessie et les domestiques
passèrent le reste de la journée à
organiser une cérémonie d’hiver mordant.
Le temps manquait pour confectionner une
nouvelle robe à la mariée, qui ne
souhaitait pas non plus porter celle
qu’elle avait prévue pour épouser Torrin.
Sa future belle-sœur et Seona l’aidèrent à
assembler les éléments de différentes
tenues pour créer une parure nuptiale
unique. Parmi ces vêtements se trouvait
un plaid que la mère de la jeune veuve
avait mis pour ses propres noces plus de
trente ans auparavant.
— Nous pourrions nous unir ici même,
dans la salle principale, proposa Dirk à
sa fiancée lors du souper ce soir-là.
— Je préférerais l’église. Bien qu’il
fasse trop froid pour tenir la célébration
dehors sur les marches, comme le veut la
tradition, le révérend a dit que puisque
vous étiez chef, il serait agréable pour
tout le monde qu’elle se déroule à
l’intérieur. Étant donné que la tombe de
votre père s’y trouve, je pense qu’il en
aurait été honoré.
Il acquiesça, son regard bleu azur se
voilant d’une légère mélancolie.
— Il nous accompagnera par l’esprit,
mais je regrette qu’il ne puisse être
vraiment présent.
— Comme moi, avec mes parents. Ma
mère parlait toujours d’assister à mon
mariage.
Des larmes lui piquèrent les yeux.
Dirk lui leva la main pour en
embrasser le dos en la dévisageant un
long moment.
Il se tourna subitement vers Aiden qui
était assis à son autre côté.
— Mon cher, connaissez-vous la
ballade intitulée The Laird ’o Logie ?
Son frère fronça les sourcils.
— Non. Je n’en ai pas le souvenir.
La jeune femme sourit à son bien-aimé
et essuya les larmes qui lui troublaient
encore la vue. Il était si adorable de se
rappeler qu’elle voulait entendre jouer ce
morceau à ses noces. Elle avait envie de
couvrir sa belle figure chérie de baisers,
mais se refréna et lui pressa la main à la
place.
— Il s’agit d’un air des Lowlands,
précisa-t-elle à Aiden, se remémorant que
l’un des ménestrels que son père avait
employés lorsqu’elle était enfant venait
de Falkirk.
— Peut-être qu’Isobel pourrait vous
l’apprendre, suggéra Dirk. C’est sa
chanson préférée. Si vous la connaissez à
temps, j’aimerais beaucoup que vous
l’interprétiez à notre cérémonie.
Les yeux de son puîné s’illuminèrent.
— Oui. J’en serais enchanté.
— Elle peut vous la jouer sur sa flûte.
— J’ignorais que vous étiez
musicienne, lady Isobel, s’étonna le
garçon, son excitation perceptible dans sa
voix.
— Très modestement. Vous avez en
revanche un talent inouï, et j’ai hâte de
vous entendre à l’œuvre.
Elle se sentit derechef saisie de
vertige. Elle mourait d’impatience d’être
au lendemain, le jour où elle épouserait
l’homme de ses rêves. Elle avait envie de
sautiller dans tous les sens et d’enlacer
son promis. Au lieu de cela, elle se
surprit à bondir sur son siège et sourire
comme une idiote.
Dirk l’observait du coin de l’œil, un
éclat d’amusement égayant son
expression. Il arborait un air espiègle,
comme s’il avait eu l’intention de
l’embrasser, mais s’obligea à détourner
plutôt son attention vers les convives
présents dans la grande salle. Elle savait
qu’il ne s’engagerait pas dans des
démonstrations d’affection en public,
mais dès qu’ils se retrouveraient en
privé, il rattraperait cette retenue avec de
délicieux et envoûtants baisers.
Elle sirota son vin tandis que l’on
servait les tartes sucrées. Elle se
demanda si son fiancé avait donné pour
instructions à la cuisinière d’en servir
chaque soir parce qu’elle aimait tant ces
douceurs. L’échanson du maître des lieux
en avait déjà tranché les bords pour les
goûter et s’assurer qu’elles ne
présentaient aucun danger à la
consommation.
Un domestique apparut à l’épaule de
Dirk.
— Milord, maître Keegan souhaiterait
vous voir au-dehors. Trois hors-la-loi ont
été capturés et amenés ici.
— Je reviens tout de suite.
Il embrassa à nouveau la main
d’Isobel, se leva de son siège puis, muni
de son épais manteau en laine, suivit le
serviteur à l’extérieur. Erskine, Rebbie,
Cyrus et Torrin lui emboîtèrent le pas.
Elle se demanda lesquels parmi les
bandits avaient été attrapés. Elle espérait
que Nolan en fasse partie. Essayant de
chasser cette canaille de son esprit en
faveur d’agréables pensées, comme Dirk
et leur union, elle mordit avec délectation
dans sa pâtisserie. Hmm… Celle-ci était
aux mûres, l’une de ses préférées. À dire
vrai, elle aimait toutes les tartes.
— J’ai hâte d’apprendre la nouvelle
ballade. La joueriez-vous ici dans cette
salle pour l’assemblée ? l’interrogea
Aiden, en mettant prestement son dernier
morceau de gâteau dans sa bouche.
— Oh, non, répondit-elle en secouant
catégoriquement la tête. Je suis vraiment
une amatrice. Je crains que mes aptitudes
ne soient pas suffisantes pour cela, mais
je serai ravie de l’exécuter en privé pour
vous sur ma flûte.
Il acquiesça en jetant un coup d’œil au
tranchoir en bois de son aîné.
— Vous savez, il ne mangera pas son
dessert.
Elle opina du chef, ne parvenant
toujours pas à comprendre comment son
bien-aimé pouvait résister aux sucreries.
— Il serait déplorable de le gâcher,
confirma-t-elle en souriant, sachant à quel
point le jeune homme appréciait ce plat.
— En réalité, je suis déjà rassasié,
mais…, dit-il en coupant la pâtisserie en
deux avec son couteau. Une moitié pour
vous et l’autre pour moi.
Il mordit dans sa portion avec force
enthousiasme.
— Je vous remercie. Au fait, combien
de temps vous faudra-t-il pour connaître
cette chanson ? s’enquit-elle.
— Deux heures.
— Vraiment ? Aussi vite ?
Il confirma d’un hochement de tête.
Elle était fascinée par ses capacités
musicales.
Quelqu’un appela Aiden de l’autre
bout de la pièce. Il esquissa un signe de
la main.
— Si vous voulez bien m’excuser, lady
Isobel, le barde veut que j’interprète un
air.
— Certes, allez-y.
Il quitta précipitamment son siège et
traversa la pièce en sautillant comme un
grand chiot.
Après avoir fini sa tarte, elle étudia la
part qui restait sur le plateau de Dirk. Si
elle continuait à manger ainsi des gâteaux,
elle finirait potelée. Mais si elle portait
déjà le bébé du guerrier, elle le serait de
toute façon.
Regardant furtivement autour d’elle
pour s’assurer que personne n’assistait à
sa gloutonnerie, elle prit cette moitié de
douceur et mordit dedans. Hmm…
Quelques instants plus tard, Aiden
jouait au violon Griogal Cridhe, une
ballade gaélique, jolie quoique
mélancolique.
Même si personne ne chantait, elle
connaissait les paroles évoquant une
femme qui pleurait la perte de son amour,
Gregor, membre du clan prestigieux mais
critiqué des MacGregor. Cette histoire
combinée avec les tonalités poignantes et
tragiques lui firent monter les larmes aux
yeux.
Soudain assoiffée et submergée de
chaleur, elle but d’un trait son vin et
reporta son attention sur son futur beau-
frère.
La musique s’interrompit et le jeune
homme s’agrippa à la table près de lui.
Lâchant le violon, il se plaqua les bras
sur l’estomac et tomba à genoux.
— Dieux du ciel !
Elle bondit sur ses pieds. Que lui
arrivait-il ? Des hommes s’assemblèrent
autour de lui, essayant de l’aider.
Isobel descendit de l’estrade. Elle
voulait aller chercher la guérisseuse.
Mais il lui sembla qu’une ombre lui
voilait la vue, la lueur des bougies
s’atténuant subitement. Elle se retint à un
dossier de chaise, tourna la tête en
clignant des paupières, mais ce qui
l’entourait restait flou et brumeux.
Par tous les saints ! Qu’avait-elle ?
Un sifflement perçant lui assaillit les
oreilles. Elle les couvrit pour se
préserver de cet horrible bruit, mais il
persistait. Retentissait-il dans son crâne ?
Elle fut prise de nausée, puis d’un haut-
le-cœur, comme si quelqu’un lui avait mis
les mains autour du cou pour l’étrangler.
Elle tomba elle aussi à genoux.

Dirk se trouvait dans le donjon,


interrogeant et enfermant trois membres
du groupe de hors-la-loi de Haldane,
quand un domestique fit irruption.
— Milord, c’est lady Isobel et maître
Aiden ! Ils sont tombés malades.
Que diable… ?
— Chargez-vous de nos affaires ici, dit
le guerrier à Cyrus et Rebbie.
Il suivit le jeune serviteur dans
l’escalier qui menait hors des lieux.
— Que s’est-il passé ? questionna-t-il
en criant pour se faire entendre dans le
vent glacial qui tourbillonnait dans
l’enceinte.
— Nous l’ignorons, milord. Ils ont tous
deux été terrassés par quelque
mystérieuse affection. Leurs visages sont
devenus rouges, gonflés et brûlants. Ils
sont agités et ne tiennent pas debout.
— Seigneur !
Les deux personnes qu’il aimait le plus
au monde. Comment pouvaient-elles être
souffrantes en même temps ?
— Où est la guérisseuse ? demanda-t-
il.
— À l’intérieur, elle tente de les aider.
Le chef monta les marches en hâte pour
pénétrer dans la tour. Le désordre régnait
dans la salle principale.
Il progressa péniblement dans la foule
emplissant la vaste et bruyante pièce. Il
repéra d’abord Isobel, gisant au sol près
de la table d’honneur. Elle se débattait en
tous sens, la figure en feu. Jessie et
quelques autres femmes étaient
agenouillées à côté d’elle, tentant de lui
porter assistance.
— Que diable s’est-il produit ?
s’enquit-il, accroupi pour prendre sa
fiancée dans ses bras.
Le corps entier de celle-ci dégageait
une chaleur alarmante.
— Nannag parle de poison, répondit sa
sœur d’une voix tendue, au bord des
larmes – et de l’hystérie, semblait-il.
Du poison ?
La peur le transperça. Le visage de
Maighread lui vint soudain à l’esprit.
Serait-elle parvenue à les atteindre ainsi,
de sa chambre où elle était emprisonnée ?
Il jeta un coup d’œil à l’autre bout de la
pièce vers les gens qui entouraient Aiden.
Aurait-elle empoisonné son propre fils,
celui-là même pour lequel elle était
disposée à tuer ? Cela n’avait aucun sens.
— Où est Nannag ? demanda-t-il.
— Là, l’informa Jessie en pointant
l’intéressée du doigt.
La vieillarde s’approcha, accompagnée
de deux servantes qui portaient des
pichets en grès.
— Faites-lui boire cela, ordonna-t-elle
en tendant l’une des carafes à la cadette
de Dirk.
— Qu’est-ce que c’est ? l’interrogea
ce dernier.
— Du vinaigre mélangé à de l’eau
chaude. Cette mixture la fera vomir et
expulser le poison.
— En êtes-vous certaine ?
Il ne voulait rien entreprendre qui
aurait empiré son état.
— Oui, quelqu’un a réussi d’une
manière ou d’une autre à se procurer de
la belladone, annonça la guérisseuse.
Qui utiliserait cette plante à part son
affreuse belle-mère ? Maudite créature !
Comment avait-elle réussi à attaquer
uniquement Isobel et Aiden, parmi cette
assemblée ? Pourquoi s’en prendre à son
enfant et à la fille de sa meilleure amie ?
L’échanson de Dirk avait goûté la
nourriture de son maître, mais également
celle des deux victimes. Peut-être avait-il
mangé une portion sans poison, ou trop
petite pour le rendre malade.
— Donnez aussi du vinaigre à mon
frère, ordonna le guerrier, tournant les
yeux vers celui-ci et s’apercevant après
dispersion de la foule qu’il était dans la
même condition que la jeune femme.
Nannag et l’une des domestiques
s’écartèrent tandis que MacKay relevait
la tête de sa fiancée. Elle divaguait et
agitait les mains.
— Isobel, buvez ceci.
Il approcha le pichet de sa bouche,
mais elle s’en détournait frénétiquement
en s’agrippant la gorge.
— Jessie, dit-il, faites-lui avaler cela
pendant que je la maîtrise.
Sa cadette acquiesça, la figure baignée
de larmes. Elle les essuya et versa de
l’eau vinaigrée dans une tasse.
— Buvez, ma chère. Cela vous fera du
bien, reprit-il.
Il lui maintint les bras et lui immobilisa
la tête contre son épaule. Par tous les
saints, il ne pouvait pas la perdre. Il lui
avait dit la vérité – elle était pour lui la
personne la plus importante au monde. Il
ne s’était jamais senti aussi proche de
quiconque, et la voulait à ses côtés pour
le restant de ses jours.
Elle trembla de tout son être. Ses yeux
d’ordinaire marron foncé étaient à présent
presque complètement noirs, et son
visage était écarlate. Mais il fut surtout
terrifié par sa respiration hachée et
suffocante.
— Ne la laissez pas s’étouffer.
Jessie secoua la tête tandis qu’elle
faisait soigneusement ingurgiter à leur
compagne la chaude mixture.
Isobel avala une gorgée en se
détournant, frénétique et grimaçante.
— Dirk, souffla-t-elle d’une voix
éraillée. Trop de bruit.
Elle essaya de porter ses mains à ses
oreilles.
— Donnez-lui encore du vinaigre, dit-
il à sa sœur, le cœur battant la chamade.
Chaque seconde qu’Isobel passait avec
le poison en elle la mettait davantage en
danger.
— Son estomac doit être purgé,
déclara-t-il.
— Oui, répondit sa cadette, approchant
la tasse aux lèvres de la malade, qui tenta
de nouveau de l’esquiver.
— Damnation, buvez, lui ordonna-t-il
d’une voix sévère, mais basse. Je ne puis
vous perdre.
Elle secoua la tête, accepta le remède,
manifestant cette fois un véritable effort
pour avaler l’ignoble liquide.
— C’est ça, prenez-en une bonne
rasade, jeune fille. Vous devez vomir
pour vous débarrasser du poison.
Il entendait déjà Aiden régurgiter
derrière lui. Dieu merci. Une lueur
d’espoir l’anima.
— Nous nous marions demain, n’est-ce
pas ? demanda-t-il à sa promise, priant
que ce soit encore possible.
L’idée d’être privé d’elle à jamais un
jour avant qu’elle ne devienne sa femme
lui brisa le cœur.
Elle acquiesça, fébrilement, puis
chuchota :
— Mariage.
— Eh bien, vous devez vider cette
tasse pour aller mieux.
Elle consentit à boire davantage de
cette horrible potion tandis que Jessie la
lui administrait. Elle manqua de
s’étouffer et commença à tousser. Dirk la
pencha en avant, au-dessus du sol et à
l’écart de ses vêtements, escomptant
qu’elle vomirait dans la minute. Il ne
souhaitait pas devoir lui enfoncer son
doigt dans la bouche.
Elle eut un haut-le-cœur et son fiancé
l’inclina plus encore. Elle secoua la tête
et se mit à sangloter.
— Par tous les saints, vous devez
régurgiter, maintenant.
Diable, il n’avait jamais eu à sommer
qui que ce soit de rendre ainsi son repas.
Mais elle finit par le faire. Son estomac
se souleva, puis elle recracha l’eau
vinaigrée avec la moitié de son dîner.
Assisté de Jessie, MacKay la soutint
tandis qu’elle se plaquait les mains sur le
ventre. Il lui stabilisa la tête ; elle avait
encore le front brûlant de fièvre.
Un autre haut-le-cœur la tourmenta, et
elle régurgita de nouveau à deux reprises.
— C’est bien. Faites sortir tout le
poison, ma chère, dit-il, le soulagement
l’aidant à se détendre légèrement.
— Que s’est-il donc passé ici ? lui
demanda Cyrus, s’accroupissant au
niveau de son coude.
— Isobel et mon frère ont été
empoisonnés à la belladone. Ce devait
être dans la nourriture. Pourriez-vous
aller vous assurer qu’aucun membre du
personnel de cuisine ne quitte les lieux ?
— Oui, bien sûr. Va-t-elle s’en sortir ?
s’enquit MacKenzie en observant sa sœur
avec grande inquiétude.
— Je l’espère, dès que tout son
organisme sera délivré de cette plante. Il
serait peut-être avisé que Rebbie et vous-
même interrogiez les domestiques.
— En effet.
Cyrus s’éloigna d’un pas vif. Dirk
connaissait cet homme. Il avait besoin de
faire quelque chose, d’agir en période de
crise.
— Comment vous sentez-vous ?
demanda-t-il à sa fiancée.
Elle répondit seulement par un
mouvement de tête.
— Apportez-lui de l’eau fraîche,
Jessie, pour qu’elle se rince la bouche.
— Avez-vous mal à l’estomac ?
— Non, articula-t-elle d’une voix
râpeuse.
— La nausée a-t-elle disparu ?
Elle acquiesça.
Il la souleva dans ses bras, priant
qu’elle ait vidé ses intestins de la totalité
de la substance létale. Il l’installa sur une
chaise et sa cadette lui donna un verre
d’eau.
Il se retourna pour vérifier l’état
d’Aiden. Sa peau habituellement pâle
était aussi rouge que celle de la jeune
veuve à ce moment précis.
— Comment va mon frère ? lança-t-il à
ceux qui aidaient ce dernier.
— Un petit peu mieux, annonça
Nannag, qui s’approcha pour toucher le
front de la malade.
— De la belladone, disiez-vous ?
questionna-t-il.
— Oui. J’en ai déjà vu les effets, il y a
des années de cela. Deux enfants en
avaient mangé quelques baies. Le plus
jeune n’a pas survécu.
Bon sang ! Une nouvelle vague d’effroi
déferla violemment dans tout son être, lui
faisant prendre conscience combien il
était près de la perdre.
— Vont-ils en réchapper ?
Il pria en silence, de toutes ses forces,
que ce soit le cas.
— Je l’espère, répondit la guérisseuse,
hochant brièvement la tête de telle
manière que son fichu rouge voleta sur
ses boucles blanches. Puisqu’ils ont
purgé leurs estomacs. Mais leurs corps
ont absorbé une partie du poison avant
que nous ayons été en mesure de le faire
sortir.
— Existe-t-il une herbe ou quoi que ce
soit que vous puissiez leur donner pour
aider à la guérison ?
Elle secoua la tête d’un air triste.
— Non, mon garçon. Nous avons fait
tout ce qui était en notre pouvoir.
Il jeta un coup d’œil à sa fiancée,
assise sur la chaise, appuyée contre
Jessie. Elle semblait presque
inconsciente. Il sentit une douloureuse
angoisse nouer son estomac.
Si Maighread était responsable de tout
cela, il la tuerait.
— Je vais emmener Isobel dans sa
chambre, annonça-t-il. Voudrez-vous bien
monter dans quelques instants pour
l’examiner de nouveau ?
— Certes, répondit la vieillarde.
— Allons, ma chère.
Il se pencha, la prit dans ses bras,
regrettant de ne pas être déjà son époux
afin de pouvoir l’emmener dans ses
propres appartements.
Elle s’agrippa faiblement au col de
Dirk et posa la tête sur son épaule. Des
larmes ruisselaient de ses paupières
closes.
— Oh. Ne pleurez pas, jeune fille,
murmura-t-il.
Gravir l’étroit escalier en colimaçon
en la portant ne se révéla guère aisé. Une
fois dans la chambre, il l’étendit sur le lit
et la couvrit.
Beitris se précipita vers eux.
— Que lui est-il arrivé ?
Dirk lui expliqua la situation.
— Oh, dieux du ciel, s’exclama-t-elle.
Elle éclata en sanglots, puis toucha le
front de sa maîtresse.
— Elle est brûlante, constata la
servante.
— Oui.
— Je vais lui rafraîchir le visage.
Elle se précipita pour aller verser de
l’eau d’un pichet dans un bol.
Le guerrier se pencha pour embrasser
Isobel sur la tempe.
— Je vous remercie, chuchota-t-elle
d’une voix éraillée.
— Vous allez vous en sortir, mon ange.
N’est-ce pas ? Promettez-le-moi.
— Je vous le promets, souffla-t-elle.
Il voulait s’allonger à côté d’elle et la
tenir toute la nuit, en lui susurrant des
mots rassurants dans l’oreille. La
convaincre chaque instant qu’elle devait
guérir, mais sa cadette fit alors irruption
avec Nannag et une domestique.
— Nous allons aider Beitris à la
déshabiller et la baigner, dit Jessie, afin
qu’elle puisse se reposer
confortablement. Vous pourriez revenir
dans un quart d’heure.
Il voulut leur faire jurer de prendre
grand soin d’elle et de l’avertir
immédiatement de la moindre évolution,
mais il lui fallait rester calme. Il leur
adressa un hochement de tête, s’efforçant
de quitter la pièce pour aller voir
comment se portait Aiden.
Le garçon dormait dans sa chambre,
tandis que quelques membres du clan et
autres serviteurs gardaient un œil sur lui.
Le guerrier prit place dans un fauteuil à
côté du lit et toucha le front de son cadet.
Celui-ci était brûlant de fièvre, mais
respirait avec vigueur.
— Passez-lui la figure à l’eau froide,
ordonna le chef à l’une des bonnes.
— Oui, milord.
— Nous pensons avoir trouvé qui a
mis la belladone dans la tarte qu’Isobel et
Aiden ont partagée, annonça Cyrus de
l’embrasure de la porte.
La tarte ? Dirk se leva.
— Prévenez-moi sur-le-champ s’il se
produit le moindre changement
concernant mon frère.
Plusieurs personnes présentes
acquiescèrent.
Il rejoignit MacKenzie dans le couloir.
— Qui ? demanda-t-il d’une voix
posée.
— Une jeune domestique nommée
Deidre Murtagh. Elle refuse d’avouer.
— Où est-elle ? Je veux l’interroger.
— Je vous emmène la voir.
Dirk le suivit, et ils descendirent deux
volées de marches. Le poison se trouvait
donc dans la tarte ? C’était la première
fois qu’il entendait parler d’une telle
chose. Maighread devait se cacher
derrière tout cela.
Dans la cuisine voûtée du rez-de-
chaussée, Keegan et d’autres surveillaient
l’entrée afin que nul parmi la vingtaine
d’employés qui préparaient ou servaient
les repas ne puisse sortir.
— Est-ce que tout le monde est là ?
lança le maître des lieux, aussitôt
submergé de chaleur dans cette pièce
étouffante avec ses fours et son imposante
cheminée.
Tous les domestiques, livides, le
dévisagèrent sans prononcer un mot. Que
leur arrivait-il ? Que dissimulaient-ils ?
— Voici la personne au comportement
suspect, annonça Rebbie en désignant une
fille de vingt ans à peine aux yeux gonflés
et bordés de rouge.
— Avez-vous empoisonné la tarte ?
demanda MacKay.
Elle secoua la tête, les joues baignées
de larmes fraîches.
— Non, milord. Ce n’est pas moi qui
ai mis le poison, et je ne savais pas ce
qu’il y avait dedans. Levina m’a dit de
vous apporter ce gâteau et de le placer
devant vous en personne. Vous seul
deviez l’avoir parce qu’il était plus gros,
spécialement préparé en l’honneur du
nouveau chef.
— Damnation, gronda celui-ci.
Sa belle-mère était à l’origine de tout
cela, en tentant de l’intoxiquer.
— Qui est cette femme, et où se
trouve-t-elle ? poursuivit-il.
— Levina Gordon, indiqua le cuisinier.
Pourquoi ce nom lui était-il familier ?
Un visage surgit dans son esprit.
— Je me souviens d’elle.
Il s’agissait de la pâtissière qui était
venue à Dunnakeil avec Maighread
lorsque cette dernière avait épousé Griff.
Bien entendu, elle demeurait fidèle à sa
maîtresse. Elles étaient membres du
même clan.
— Où est-elle ?
Il scruta les lieux, mais ne la vit pas.
— Je ne l’ai pas revue depuis qu’elle
m’a envoyée servir la tarte, répondit la
jeune bonne.
— Quelqu’un l’a-t-il aperçue ?
Le reste du personnel secoua la tête en
signe de dénégation.
— Keegan, voudriez-vous prendre une
demi-douzaine d’hommes avec vous pour
aller la chercher au village ou ailleurs, si
besoin est ? Savez-vous à quoi elle
ressemble ?
— Oui. Nous la retrouverons.
— Vous autres, restez ici jusqu’à ce
que nous ayons le fin mot de cette
histoire, commanda Dirk aux serviteurs.
Je vais interroger ma belle-mère de ce
pas, ajouta-t-il à l’intention de MacInnis
et Cyrus. Avec ou sans preuve, je sais
qu’elle a manigancé tout cela.
Accompagnés d’une poignée
d’individus, ils grimpèrent les deux
escaliers en colimaçon qui menaient à la
chambre où la criminelle était enfermée.
— Est-elle entrée en contact avec
quiconque depuis hier ? s’enquit le
guerrier auprès des deux gardes postés
devant la porte de la prisonnière.
— Non. Pas quand j’étais présent,
affirma l’un d’eux.
L’autre secoua la tête. Comment diable
avait-elle organisé cela, à moins d’avoir
tout élaboré avant sa détention ?
— Déverrouillez l’entrée, ordonna
MacKay, plus que prêt à affronter cette
sorcière.
Il espérait pouvoir se maîtriser, et que
sa fureur ne vaincrait pas son bon sens.
Dès que la sentinelle eut ouvert, il
entra dans la pièce avec son escorte.
Maighread se tenait devant la cheminée.
Elle le dévisagea en écarquillant les
yeux. Était-elle surprise de le voir en vie
?
— Que voulez-vous, sale fripouille ?
cracha-t-elle.
— Vous avez empoisonné votre propre
fils, affirma-t-il dans l’intention de la
désarçonner.
Il voulait lui arracher une confession.
— Quoi ?
Elle devint blême, vacilla en avant
comme si elle allait s’évanouir, et
s’agrippa au dossier du fauteuil devant
l’âtre.
— Aiden ou Haldane ? demanda-t-elle.
Il étudia le regard ébahi et la bouche
bée qu’elle affichait. Comme il était
curieux qu’elle ne réfute même pas l’acte
criminel.
— Lequel ? exigea-t-elle de savoir.
— Aiden.
— Est-il mort ? suffoqua-t-elle.
— À votre avis ? Avez-vous ordonné à
Levina Gordon de placer une quantité
suffisante de belladone dans ma tarte pour
tuer un adulte ?
— Espèce de bâtard, gronda-t-elle en
se jetant sur lui.
De sa main s’échappa le scintillement
d’un poignard.
Chapitre 27

Tandis qu’elle chargeait Dirk, l’instinct


guerrier de celui-ci l’incita à bondir en
première ligne comme au champ de
bataille lorsque l’ennemi l’assaillait ;
mais il n’eut pas le temps de dégainer son
glaive.
Relevant que sa belle-mère tenait une
dague, il lui attrapa instinctivement le
poignet et le tordit, orientant ainsi la lame
vers elle. Atterrissant violemment contre
lui, elle sentit l’arme pénétrer avec
profondeur sa poitrine. Elle hurla telle
une banshee 5, ses yeux vert sombre
débordants de malveillance et de défi,
comme si elle avait pu le tuer de son seul
regard.
Leurs mains se couvrirent d’un sang
chaud et glissant, et la seconde qui suivit,
elle s’affaissa contre lui, la respiration
hachée, mais superficielle.
— Je vous maudis, dit-elle d’une voix
éraillée. Avec mon dernier souffle, je
vous maudis pour l’éternité.
— Vous n’en avez pas les moyens ! lui
cria-t-il à la figure, déterminé à ce
qu’elle l’entende. Vous n’exercez aucun
pouvoir sur moi, sorcière.
Il la lâcha et la laissa s’écrouler par
terre, le couteau encore enfoncé dans sa
poitrine. Étant donné l’endroit où elle
était logée, la lame avait manqué le cœur,
mais devait avoir grièvement atteint les
organes vitaux, car Maighread fut
inconsciente quelques instants à peine…
avant de s’éteindre.
— Bon débarras, grommela Cyrus.
Dirk se contenta de reprendre haleine
et de se calmer après l’accès de panique
combiné à son instinct de combattant qui
s’était emparé de lui, l’incitant à agir sans
délai. Il inspira vivement.
— Certes.
Il la dévisagea, quasiment incapable de
croire que la personne acharnée à vouloir
le tuer durant presque toute son existence
était morte. Il se trouvait à présent délivré
de cette influence maléfique. À jamais.
— Elle a eu ce qu’elle méritait,
commenta Rebbie en posant une main sur
l’épaule de son ami. C’était une
meurtrière. La seule raison pour laquelle
elle n’a pas éliminé davantage de gens
réside dans le fait qu’elle n’était pas
extrêmement douée pour le crime.
— Ce n’est pas faute d’avoir essayé,
marmonna Dirk, regrettant qu’elle n’ait
pas péri des années auparavant, ce qui
l’aurait empêchée d’empoisonner Isobel
et Aiden.
À présent, il priait simplement pour
qu’ils guérissent.

Perché au bord du lit, le guerrier


observait le visage rouge et assoupi de sa
compagne au petit matin. La faible lueur
d’une unique bougie sortait sa chambre de
la noirceur nocturne. Beitris ronflait sur
son grabat devant la cheminée, mais Dirk
ne parvenait pas à dormir. Sa vie entière
était en jeu, tout comme celle de sa bien-
aimée.
La regarder s’agiter avec frénésie et
gémir durant les dernières heures lui avait
presque arraché le cœur. Il aurait préféré
souffrir à sa place.
Je vous aime.
Et s’il n’avait jamais plus la
possibilité de lui dire ces mots pendant
qu’elle était pleinement éveillée et lucide
? Il prenait maintenant conscience
qu’entendre cette phrase des lèvres de sa
promise constituait son désir le plus
fervent. Lui tenant la main, il en caressa
la paume du bout du pouce, appréciant sa
chaleur soyeuse.
Elle devait survivre ; il le fallait, tout
simplement. Mais si l’inverse se
produisait ?
Seigneur, l’envisager lui coupait
presque le souffle.
— Non. Vous devez guérir, mon ange,
murmura-t-il en pressant son front sur la
main de sa fiancée.
Elle se tortilla et maugréa dans son
sommeil, puis marmonna des propos qu’il
ne put déchiffrer.
Il mourait d’envie de la voir sourire et
rire de nouveau, d’écouter les
chuchotements taquins et espiègles
qu’elle lui glissait à l’oreille. Il ne se
figurait rien de mieux que passer le
restant de ses jours avec elle.
Il comprenait à présent pourquoi toutes
ces tragiques ballades amoureuses
contenaient tant de peine et de tristesse.
La seule idée de la perdre le ravageait.
Plutôt mourir.
Elle remuait sans répit en gémissant,
semblant lutter contre quelqu’un.
— Revenez-moi, Isobel, souffla-t-il en
lui touchant délicatement le visage de son
autre main, caressant sa peau lisse et
fiévreuse. Restez avec moi.
Elle captura les doigts de Dirk et les
tint jalousement contre sa joue. Calmée,
elle s’assoupit paisiblement, en respirant
avec profondeur et régularité.
Il prononça une prière de remerciement
et plaida pour la survie de la jeune
femme.
Les yeux fermés, il tenta de se
représenter ce que ce serait de l’épouser,
de sceller leurs vœux par un baiser
devant tout le monde, en la déclarant
sienne pour l’éternité.
— Comment va-t-elle ? chuchota-t-on
derrière lui quelque temps plus tard.
Il se tourna et aperçut Rebbie dont la
tête dépassait dans l’embrasure de la
porte.
— Jusque-là, elle a dormi. Est-ce déjà
l’aube ?
Aucune lumière ne filtrait par la
fenêtre.
— Il doit être 6 heures. Vous êtes-vous
reposé ?
— Non, je n’ai pas sommeil.
Il devait s’assurer que sa fiancée allait
vraiment mieux avant de s’autoriser à
sombrer dans les bras de Morphée. Il ne
pouvait la perdre.
Son ami sourcilla.
— Vous avez l’air épuisé.
— Cela n’importe guère. La seule
priorité est qu’Isobel et Aiden guérissent
complètement.
— Je suis certain que ce sera le cas.
— Comment va mon frère ?
— Il dort tranquillement.
Dirk hocha la tête.
— Dieu merci.
Après le lever du soleil, Jessie,
Nannag, et quelques servantes
effectuèrent des allées et venues pour
surveiller l’état de la malade tandis
qu’elle était plongée dans un profond
sommeil, apportant également du
porridge, des gâteaux d’avoine et autre
nourriture au guerrier. Il avait l’estomac
trop noué pour manger plus que quelques
bouchées.
Autour de midi, ne restaient plus que le
chef et sa bien-aimée dans la pièce
redevenue silencieuse. La malade ouvrit
les paupières et scruta la chambre.
Dirk retint son souffle, constatant
qu’elle avait recouvré son teint habituel,
après avoir arboré les dernières heures
un rouge écarlate.
— Comment vous sentez-vous ?
demanda-t-il en allant s’asseoir au bord
du lit.
— Mieux.
Elle le regarda d’une expression
plaisante, les yeux encore légèrement
noirs, mais ayant presque repris leur
aspect normal.
Il poussa un soupir, se déchargeant
ainsi d’une part de l’angoisse qui crispait
ses muscles.
— Vous rappelez-vous ce qui s’est
passé ?
Elle sourcilla.
— J’en ai quelques réminiscences,
quoique floues et confuses. J’ai fait des
cauchemars des plus étranges.
— Maighread a empoisonné la tarte
qu’Aiden et vous avez partagée,
expliqua-t-il en s’efforçant de garder un
air neutre.
Même si les agissements de sa belle-
mère l’avaient fait enrager au-delà du
sens commun, après la mort de celle-ci,
la colère du guerrier s’était tarie. À
présent, il ne ressentait plus guère que du
soulagement, puisque Isobel s’était
réveillée, et que les comptes-rendus sur
la santé d’Aiden se révélaient
encourageants.
La jeune femme prit une vive
inspiration.
— Par tous les saints ! Quelle harpie
maléfique. Je me souviens de vous avoir
entendu parler d’un empoisonnement hier
soir, mais j’ignorais qui l’avait commis.
Elle tentait encore de vous tuer, n’est-ce
pas ? C’était votre tarte que nous avons
mangé.
— Oui.
Devait-il lui annoncer sur-le-champ
que Maighread n’était plus de ce monde,
ou attendre ? Il ne voulait pas la
bouleverser juste après sa maladie.
Elle secoua la tête, le regard inquiet.
— Je revois votre frère tomber par
terre alors qu’il interprétait un morceau
de musique. Comment va-t-il ?
— Selon le dernier rapport que j’en ai
eu, il dormait à poings fermés. J’ose
espérer qu’il a commencé à bouger, à
l’heure qu’il est.
— La peste soit de cette sorcière.
L’avez-vous arrêtée ?
Il étudia Isobel, et les marques
violettes qu’elle avait sous les yeux,
tâchant d’évaluer si elle supporterait
d’entendre la nouvelle. Elle le
découvrirait bien assez tôt, et son futur
époux avait besoin d’être celui qui l’en
informerait.
— Maighread est morte.
Sa promise en demeura bouche bée.
— Mo chreach ! Vraiment ?
— Oui. Elle a couru vers moi armée
d’une dague, avec l’intention de me
poignarder. Mon instinct a gouverné mes
actes. J’ai saisi le poignet de ma belle-
mère, et la lame s’est enfoncée dans sa
propre poitrine.
— Bien, répondit-elle en expirant
longuement. Je m’en réjouis. Elle a déjà
essayé de vous tuer à de trop nombreuses
reprises.
— Certes. Elle ne peut plus faire de
mal à aucun de nous deux, désormais.
Il lui embrassa la jointure des doigts,
heureux que cet événement ne l’ait pas
perturbée, et semble même plutôt
l’apaiser.
— L’a-t-on appris à Aiden ? s’enquit-
elle d’une voix plus douce.
Dirk secoua la tête en signe de
dénégation.
— Je ne lui en ai pas encore parlé. Il
était très malade et plongé dans le
sommeil.
— J’espère que vous le lui annoncerez
avec délicatesse. C’est une personne si
dévouée.
— Oui.
Tout comme elle. Il parvenait à peine à
contenir la joie que cette guérison lui
procurait, mais le cachait bien. Il n’avait
jamais été enclin à afficher ses émotions.
— Combien de temps ai-je dormi ?
demanda-t-elle, en lui pressant les doigts.
— Depuis hier soir, autour de neuf
heures.
Elle ébaucha un faible sourire.
— Êtes-vous resté assis là toute la nuit
à me regarder ?
Il s’empourpra au ton sarcastique
qu’elle avait employé, même s’il ignorait
pourquoi. À dire vrai, il était plus qu’aux
anges de voir ses prières exaucées et de
constater qu’elle se sente assez en forme
pour le taquiner de nouveau.
— Je devais m’assurer que vous alliez
bien, rétorqua-t-il d’une voix plus
râpeuse qu’il ne l’avait voulu.
Elle lui leva la main, en embrassa le
dos, puis la porta à sa joue.
— Vous êtes un trésor, murmura-t-elle,
les yeux embués.
Bon sang, il espérait qu’elle ne
pleurerait pas, ou il risquait de
s’effondrer lui aussi.
— Et vous êtes mon trésor, jeune fille.
— Dirk ?
— Oui ?
— Je vous aime.
Ses paroles conjuguées à son petit
sourire illuminèrent les sombres recoins
du cœur de son promis.
À peine capable de respirer, il la prit
dans ses bras.
— Et je vous aime, lui susurra-t-il à
l’oreille.
Mais même ces propos lui paraissaient
inappropriés.
— Vous êtes toute ma vie, ajouta-t-il,
espérant lui exprimer combien elle
comptait pour lui. Et vous m’avez fait une
peur bleue, Isobel.
— Je suis désolée.
Elle serra ses bras autour de lui.
Il lui embrassa le front, les yeux et les
joues. Par tous les saints, comme il la
chérissait.
Elle émit un petit gloussement et des
larmes ruisselèrent sur sa figure.
Il s’écarta de quelques pouces.
— Ne pleurez pas. Que vous arrive-t-il
?
— Vous m’aimez, souffla-t-elle, la
gorge manifestement nouée.
— Bien sûr, mais ce n’est pas une
raison pour vous mettre dans cet état, dit-
il en lui passant le pouce sur le visage
pour essuyer les traces de son émoi.
— Je craignais que ce ne soit pas le
cas, confessa-t-elle.
Il l’observa dans un haussement de
sourcils insistant.
— Comment pourrait-il en être
autrement ? Vous avez envoûté mon esprit
et volé mon cœur.
Elle sourit.
— J’aimerais tant que nous nous
mariions aujourd’hui.
— Moi aussi, mais nous allons peut-
être devoir attendre encore un jour ou
deux qu’Aiden et vous-même soyez
complètement remis.
— Oh, milady, vous êtes réveillée !
s’exclama Beitris en se précipitant dans
la pièce. Dieu soit loué.
Dirk lâcha sa compagne pour se lever
et faire les cent pas.
La bonne s’agita autour de sa maîtresse
quelques instants, regonflant les oreillers,
lui demandant comment elle se sentait et
si elle avait faim.
Après qu’elle se fut ruée hors des lieux
en quête de porridge d’avoine, Isobel
déclara : — Je suis tellement contente
que vous n’aimiez pas les tartes.
Il étudia ses yeux ténébreux, sachant
précisément ce qu’elle pensait.
— Si vous en aviez été friand,
poursuivit-elle, vous auriez mangé une
dose de poison deux fois plus importante
que moi, et vous y auriez peut-être
succombé.
Son regard scintilla de larmes
naissantes.
Il se rassit en face d’elle sur le
matelas, et l’embrassa sur le front.
— Chut. C’est fini.
Elle sécha sa figure, acquiesça, puis
esquissa un sourire ironique.
— Je crois que je n’apprécierai plus
autant ces gâteaux, à l’avenir.
Il en doutait. Par ailleurs, elle n’avait
pas à s’inquiéter. Il allait congédier
quiconque associé à Maighread. De plus,
il porterait plainte contre Levina pour
tentative de meurtre.
— Peut-être devriez-vous vérifier
comment va Aiden pendant que Beitris
m’aide à prendre mon bain et à me
coiffer. Je souhaite avoir l’air plus
présentable, dit-elle dans une vaine
tentative de passer ses doigts à travers
l’enchevêtrement de ses cheveux bruns.
Je dois faire peur.
— Vous êtes magnifique.
Elle l’était sincèrement. Il n’existait
rien de plus séduisant que son sourire,
dont elle gratifiait à présent son bien-
aimé.
— Je vous remercie d’être resté auprès
de moi et de m’avoir tant aidée cette nuit.
— Vous vous en souvenez ? demanda-t-
il.
— Bien sûr. Vous avez déployé
beaucoup de gentillesse et m’avez
prodigué un grand réconfort.
Dirk détestait que son visage
s’enflamme.
— Vous rougissez de nouveau ?
s’étonna-t-elle dans un rictus espiègle.
— Non. Avez-vous froid ?
Il se leva et se dirigea vers la
cheminée. Muni du tisonnier, il attisa les
braises, puis y ajouta une brique de
tourbe.
— Même si personne ne le devinerait,
vous êtes l’homme le plus doux que je
connaisse.
— Pfff. Inutile que cela s’ébruite au-
delà de cette pièce. Surtout pas jusqu’aux
oreilles de Rebbie.
Il reposa la tige de fer sur le côté de
l’âtre, et marcha vers la fenêtre sans
pouvoir s’empêcher de jeter un coup
d’œil à sa fiancée. Celle-ci lui adressa un
sourire rayonnant, dont il se délecta.
À l’apparition de Beitris avec un bol
fumant de porridge d’avoine fort dilué,
Dirk sut qu’il s’agissait du moment
opportun pour lui de quitter la scène,
pendant qu’Isobel mangeait, se lavait et
se faisait brosser les cheveux. Il mourait
d’envie de l’embrasser avant de se
retirer, mais craignit que la bonne ne s’en
offusque au point de perdre connaissance
et de renverser le plat.
Résolu à revenir une demi-heure plus
tard, il se hâta vers la chambre d’Aiden.
Celui-ci se réveillait seulement. Le
grincement de la porte qui s’ouvrait
l’avait probablement fait sursauter.
Le guerrier esquissa un signe de tête à
l’intention de son oncle qui se tenait au
chevet du malade.
— Comment vous sentez-vous, mon
frère ? s’enquit-il en prenant l’autre
fauteuil.
Aiden balaya les mèches qui lui
couvraient les yeux.
— Mieux que la nuit dernière. Que
diable s’est-il produit ?
— Vous rappelez-vous la tarte que
vous avez partagée avec Isobel ? Sur mon
tranchoir ?
Son puîné acquiesça.
— Eh bien… Votre mère a ordonné à la
pâtissière de l’empoisonner pour essayer
une fois encore de me faire disparaître.
— Par tous les saints ! Comment a-t-
elle pu commettre un acte aussi ignoble ?
s’indigna-t-il, l’air frénétique, en
regardant à tour de rôle son aîné puis
Conall. Je dois lui parler.
Il repoussa les draps.
— Aiden, dit Dirk en secouant la tête.
Maighread est morte.
Le garçon écarquilla les yeux, bouche
bée, rappelant ainsi à son frère
l’apparence qu’il avait étant petit.
— Quoi ? Comment ? s’enquit-il à voix
basse.
— Elle m’a chargé avec une dague hier
soir, lorsque je l’ai affrontée au sujet de
la tarte.
Il détestait devoir lui annoncer ces
nouvelles. Même si le jeune homme
savait qu’elle était une meurtrière, il
aimait sa mère malgré tout.
— Je suis navré pour vous, reprit-il. Je
n’ai jamais voulu vous blesser.
— Je ne suis pas affligé, déclara Aiden
dans un haussement de sourcils troublé.
Tant qu’elle aurait été en vie, elle n’aurait
eu de cesse de vous supprimer. Vous avez
fait ce que vous deviez.
MacKay hocha la tête.
— Je vous remercie de votre
compréhension.
— Comment va lady Isobel ? S’est-elle
trouvée aussi mal en point que moi ?
— Oui. Si l’un de vous deux avait
mangé le gâteau en entier, il serait
probablement décédé. Je ne parviens
vraiment pas à m’imaginer vous perdre,
ni l’un ni l’autre.
Il louait le ciel d’avoir encore son
frère et celle qu’il allait épouser.
— Vous êtes le meilleur des frères, et
bien qu’il nous ait rendus malades, je me
réjouis que nous ayons mangé ce dessert à
votre place. Il aurait pu vous tuer.
Cette émotion réchauffa le cœur du
guerrier. Il était bon de se trouver de
nouveau en famille.
— J’aurais préféré que personne ne
consomme cette pâtisserie, déclara-t-il.
— Certes. Mère était folle. Le fait de
me chérir ne constituait pas une raison
suffisante pour s’en prendre à la vie
d’autres individus pour mon bien. Je vous
assure ne jamais avoir voulu cela.
— Je sais.
— Haldane a-t-il déjà été informé de
sa mort ?
Dirk agita la tête en signe de
dénégation.
— Aucun de nous ne l’a vu depuis
plusieurs jours. Les trois hors-la-loi qui
ont été amenés ici faisaient partie de ses
amis – capturés alors qu’ils étaient
retournés chez leurs parents pour
s’approvisionner.
— Je crains qu’il ne continue d’attenter
à vos jours, mon cher, en s’imaginant
qu’il peut reprendre le titre de chef. Peut-
être voudra-t-il même venger la
disparition de notre mère.

Trois jours plus tard, on avait poussé


les tables de la salle principale contre les
murs et décoré l’imposante cheminée de
bruyère séchée, de rubans et autres
rameaux de plantes persistantes… Du
moins, c’était ce qu’avait dit Jessie à
Isobel. Cette dernière n’était pas encore
descendue dans la pièce ce matin-là,
puisqu’elle se mariait dans les heures qui
suivaient.
Une tempête de neige fouettait Durness
– tout était blanc et balayé de rafales à la
fenêtre –, et l’on avait pris la décision de
ne pas tenir la cérémonie à l’église.
Même si les deux malades étaient presque
entièrement remis, Dirk refusait de laisser
sa fiancée ou son frère sortir avant que le
temps ne s’améliore.
Vêtue de ses atours nuptiaux, la jeune
femme trépignait en attendant le signal
pour descendre l’escalier. Le bruit des
rires et des festivités lui annonçait que les
clans se réjouissaient d’entamer sans
tarder la célébration.
Entendant des pas, elle jeta un coup
d’œil par la porte et aperçut son aîné
dans un élégant tartan ceinturé bleu foncé,
blanc et vert, qui marchait dans le
couloir. Jessie et Beitris ajustèrent son
voile et son écharpe, puis sa belle-sœur
lui tendit un petit bouquet de bruyère
séchée mêlée de feuillage.
— Êtes-vous prête pour votre mariage,
ma chère ? lui demanda son frère.
— Oui, plus que prête.
Elle avait lutté toute la matinée contre
la tentation de se ruer en bas des marches
pour retrouver Dirk. Elle n’avait pas eu
l’autorisation de le voir de toute la
journée.
Cyrus lui offrit son coude.
— Je regrette que papa et maman ne
puissent être présents aujourd’hui, dit-il
tandis qu’ils cheminaient dans le couloir.
Ils seraient si heureux pour vous, car vous
avez trouvé ce qu’eux-mêmes
partageaient.
— Oui. Cessez cela ou vous allez me
faire pleurer.
Des larmes lui piquaient déjà les yeux,
et son fiancé détestait la voir dans cet
état.
Il émit un petit rire.
— Très bien. Ce jour ne sera consacré
qu’à la joie.
— En effet.
Lorsqu’ils eurent descendu l’escalier
en colimaçon, l’un derrière l’autre, elle
se tint de nouveau à ses côtés, et ils se
mirent en route vers la salle principale.
Aiden jouait une jolie ballade à la flûte
tandis qu’ils s’engageaient dans une allée
parmi les dizaines de convives issus des
trois clans.
De sa place, devant l’immense
cheminée, où il attendait avec le
révérend, le guerrier souriait ; il était si
beau dans son tartan ceinturé bleu et noir,
avec son élégant pourpoint foncé, et
toutes ces petites touches qui finissaient
sa tenue. Relevant combien il avait l’air
heureux, elle eut envie de courir se jeter
dans ses bras. Elle se contenta de
marcher sagement au côté de son frère, en
esquissant un sourire si large qu’elle en
avait mal aux joues. Des larmes de joie
menaçaient de couler, mais elle les
maîtrisa.
Rebbie, planté près de son ami, lui
donna un furtif coup de coude dans les
côtes, mais la jeune femme se réjouit de
constater que son promis gardait les yeux
rivés sur elle, en lui adressant une
expression encore plus rayonnante.
Cyrus confia sa sœur à Dirk ; ce
dernier saisit alors la main de sa bien-
aimée pour l’embrasser.
Il la distrayait tant qu’elle avait du mal
à se concentrer sur les paroles du pasteur.
Elle savait seulement qu’elle voulait
devenir son épouse et le chérir pour
l’éternité. Après qu’ils eurent prononcé
leurs vœux et que le révérend MacMahon
les eut déclarés mari et femme, le
guerrier attira Isobel à lui et l’embrassa
longuement, d’une manière qui réduisit
délicieusement les sens de celle-ci en
esclavage. Pouvait-elle le traîner jusqu’à
son lit, à présent ?
Elle lui passa les bras autour du cou,
et, entre deux baisers, chuchota : — Je
vous aime.
— Je vous aime aussi, jeune fille, lui
murmura-t-il, avant de la soulever pour la
faire tournoyer.
Le vertige qu’elle éprouvait déjà n’en
fut que plus intense. Elle éclata de rire.
Une tumultueuse acclamation jaillit de
l’assemblée, ainsi que quelques sifflets
grivois. Aiden interpréta un air joyeux et
entraînant au violon. Tout le monde les
félicita, leur serra la main et les étreignit.
Un court moment plus tard, Jessie lui
désigna la table d’honneur décorée. Les
autres furent regroupées et agencées de
façon que la fête puisse débuter.
Le révérend prononça les grâces, puis
le premier plat fut servi. Aiden
commença à jouer The Laird o’ Logie.
Isobel saisit la main de Dirk, les larmes
aux yeux.
Il se pencha pour souffler à son oreille
:
— Chut, jeune fille. Ne pleurez pas.
— Vous êtes mon rêve devenu réalité,
répondit-elle à voix basse.
Il l’embrassa ; elle se mit alors à
sangloter, tant elle était heureuse.
5 Créature féminine issue des légendes celtiques qui
annoncerait par ses hurlements une mort à venir. (NdT)
Épilogue

Environ trois semaines plus tard, le


temps s’était légèrement calmé à Durness,
même s’il faisait encore froid. Les
MacKenzie et les MacLeod partirent juste
avant l’aube pour regagner leurs
domaines, à de nombreux miles au sud.
Dirk, Isobel et plusieurs membres du clan
MacKay leur avaient fait leurs adieux
après le petit déjeuner.
Le guerrier monta l’escalier en suivant
son épouse, conscient qu’elle était triste
de voir ses frères la quitter. Il n’aimait
pas les larmes qui embuaient ses yeux ; il
avait tenté de la consoler en plaçant un
bras autour de ses épaules pendant qu’ils
regardaient ses proches passer les grilles
à cheval. Il se réjouissait d’avoir eu
l’occasion de faire plus ample
connaissance avec eux. Il ne se trouvait
parmi ces gens que des hommes
respectables.
— Nous leur rendrons visite en été,
déclara-t-il en haut des marches, tandis
qu’il plaçait à son coude le bras de sa
femme.
— Cela me plairait beaucoup. Ou peut-
être au printemps, puis en automne.
Elle esquissa un sourire empli
d’espoir.
— Éventuellement. Je suis certain que
Torrin nous hébergerait une nuit à
Munrick au cours de notre trajet si nous
en effectuons la moitié par les terres.
Elle frissonna.
— Ce château me fait froid dans le
dos, mais si vous ne vous éloignez pas de
moi une seule minute, je n’y verrai pas
vraiment d’inconvénient.
— Je ne vous lâcherai pas une
seconde, jeune fille. Jamais. Et
certainement pas avec les MacLeod dans
les environs.
— Bien.
Elle sourit.
Dirk avait pardonné à Torrin de ne pas
avoir été présent à Munrick pour protéger
Isobel, mais il ne s’imaginait guère
devenir un ami intime de ce seigneur, qui
se révélait trop prétentieux et trop
désinvolte sur nombre de sujets. Son
frère, Nolan, n’avait pas reparu. Il était
probablement retourné à la forteresse
familiale.
Haldane et McMurdo n’avaient pas non
plus montré leurs têtes de voleurs depuis
leur fuite. MacKay avait envoyé des
équipes de recherche pour arrêter ces
deux vermines ainsi que le reste des hors-
la-loi, mais ils avaient dû quitter la
région. Ils reviendraient sans aucun doute
au printemps. Il ne pouvait imaginer le
meurtrier abandonner ainsi sa chère
tombe dans l’église, ni Haldane renoncer
à devenir le chef du clan.
— Vous ne croirez jamais ce que
Torrin m’a demandé hier soir, dit-il en
fermant la porte de leur chambre
lorsqu’ils furent à l’intérieur.
— Quoi donc ? s’enquit-elle, les yeux
écarquillés de curiosité.
— Si je consentais à envisager un
mariage à l’essai entre Jessie et lui.
— Quoi ? Non ! suffoqua-t-elle en
esquissant un rictus choqué. Le faible
qu’il avait pour elle était évident, mais
elle voulait l’éviter à tout prix. En avez-
vous parlé à votre sœur ?
— Pas encore. J’ai dit à MacLeod que
j’y réfléchirais et lui donnerais ma
réponse cet été. En réalité, je ne suis pas
certain de lui faire confiance.
— Votre cadette a déjà été engagée
dans ce genre d’union provisoire durant
un an et un jour, observa-t-elle en
grimaçant. L’expérience n’a pas été
plaisante.
— Vraiment ? Je l’ignorais.
Comment avait-il pu passer à côté
d’une information aussi cruciale
concernant Jessie ?
— Oui, vous devrez l’interroger à ce
propos.
— Je n’y manquerai pas, mais pour
l’instant, j’ai l’intention de remettre mon
épouse au lit, annonça-t-il en dégrafant la
broche qui maintenait l’arisaid d’Isobel.
Ma jolie femme, si délectable, si nue.
Il lui déposa un baiser dans le cou,
savourant la douceur de sa peau.
— Oh, souffla-t-elle, tirant sur les
vêtements de Dirk jusqu’à ce qu’il ait
envie de les arracher lui-même.
Ils se retrouvèrent bien vite dans le
plus simple appareil. Il la souleva et se
rallongea sur son large matelas. Il adorait
la sensation du poids plume de sa
conjointe sur lui, de sa chair soyeuse qui
se frottait contre son corps. Lui encadrant
le visage de ses mains, elle l’embrassa
avec profondeur et intensité, faisant jouer
sa langue avec celle de son mari. Il était
l’homme le plus chanceux au monde
d’avoir une épouse qu’il chérissait plus
que tout, voire au-delà de l’entendement.
Il la fit basculer afin de se retrouver
au-dessus d’Isobel. Il baissa les yeux sur
elle dans la lueur des bougies, à peine
capable de croire qu’elle était là, avec
lui, et qu’ils étaient mariés.
— J’ai toujours su que vous étiez
spéciale, dès l’instant où je vous ai
rencontrée, il y a douze ans, déclara-t-il.
Nous étions trop jeunes à l’époque, mais
vos yeux ténébreux m’ensorcelaient
exactement comme aujourd’hui.
Elle sourit.
— J’ignorais que vous étiez si beau
parleur, mon guerrier, mon magnifique et
brave époux.
— Vous m’inspirez.
— J’avoue n’avoir jamais oublié non
plus la première fois que je vous ai vu.
Votre regard bleu et perçant m’a hantée.
Vous ai-je dit ce matin que je vous aimais
? chuchota-t-elle.
— Oui, mais je dois l’entendre de
nouveau, autant de fois que vous en aurez
envie, répondit-il en souriant.
— Je vous aime.
Lorsqu’elle prononçait ces mots, une
puissante et brûlante sensation mêlant
désir et émotion fracassait
immanquablement la poitrine de son mari.
— Et je vous aime, ma gente dame, ma
femme, murmura-t-il contre ses lèvres,
avant de l’embrasser.
Note de l’auteure

Donald McMurdo était un réel


malfaiteur issu des ténèbres de l’histoire,
un bandit de grand chemin ayant vécu
dans la région de Durness au début du
XVIIe siècle. Il aurait tué dix-huit
personnes, et noyé certaines d’entre elles
en les jetant dans Smoo Cave. Il mourut
en 1623 et fut enterré à Balnakeil Church,
exactement comme il l’avait demandé. Il
fut dit qu’il avait payé 1 000 livres pour
cette sépulture.
J’ai modifié une date pour qu’elle
corresponde à mon récit. Balnakeil
Church a été reconstruite et achevée en
1619. Un édifice bien plus ancien se
trouvait antérieurement sur ce site.
Balnakeil est un terme gaélique signifiant
la « baie de l’église ».
REMERCIEMENTS

Un grand merci à Sharron Gunn pour


son expertise en Highlands. Ainsi qu’à
Terry, Judy, Dana, Vanessa, Derek,
Donna, Eliza et Andrea.
Vonda Sinclair aime par-dessus tout
explorer l’Écosse, d’Édimbourg aux
terres sauvages de la côte nord. C’est
sans doute ce qui lui inspire ces héros au
kilt sexy en diable et ces jeunes filles au
caractère bien trempé qui leur font perdre
la tête. Ses romans lui ont valu de
nombreuses récompenses : EPIC Award,
Laurie Award, et une place en finale du
Golden Heart. Elle vit dans les montagnes
de Caroline du Nord avec son
merveilleux mari, toujours prêt à
l’encourager. Elle est peut-être en ce
moment même en train d’inventer une
autre saga écossaise…
Du même auteur, chez Milady :

Aventuriers des Highlands :


1. Le Guerrier sauvage
2. Le Guerrier indomptable
3. Le Guerrier intrépide

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Milady est un label des éditions
Bragelonne
Titre original : My Brave Highlander
Copyright © 2012 Vonda Sinclair
Tous droits réservés.
Initialement publié par Smashwords.

© Bragelonne 2015, pour la présente


traduction
Photographies de couverture : © The
Killion Group, Inc/ © Shutterstock
L’œuvre présente sur le fichier que
vous venez d’acquérir est protégée par le
droit d’auteur. Toute copie ou utilisation
autre que personnelle constituera une
contrefaçon et sera susceptible
d’entraîner des poursuites civiles et
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ISBN : 978-2-8205-2254-2

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E-mail : info@milady.fr
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Couverture
Titre
Dédicace
Chapitre premier
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Épilogue
Note de l’auteure
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