Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Sara Wood
Chapitre 1
Moins d'une heure plus tard, sa valise était prête, son avion réservé et sa
Mercedes l'attendait dans la cour. Dévalant les larges marches du palazzo, il
ne put s'empêcher de penser qu'enfin son cauchemar prenait fin. D'un geste
de la main, il remercia le maître d'hôtel éberlué, avant de démarrer et de
lancer la voiture dans les ruelles sinueuses, sans un regard pour la
spectaculaire baie d'Amalfi qu'il laissait derrière lui. Comment allait-il
supporter ces heures qui le séparaient encore de son fils chéri ? Il avait
l'impression que s'il laissait libre cours à son soulagement, il allait exploser.
Il avait envie de crier, de rire, de pleurer... Leo était vivant !
peine !
**
Car malgré la fatigue, Verity devait reconnaître qu'elle n'avait jamais été
aussi heureuse de toute sa vie.
Quand elle fut sortie de la chambre, la jeune femme dut s'arrêter un instant.
Elle avait la sensation qu'elle aurait été incapable du moindre effort, même
si sa vie en dépendait. Rien d'étonnant, à vrai dire, si on considérait que Leo
ne la lâchait pas d'une semelle aussitôt qu'il était réveillé. Elle ne pouvait
faire un mouvement sans qu'il ne s'accroche littéralement à sa jambe,
refusant de la laisser s'éloigner d'un pas sans lui. Et elle n'avait pas le coeur
de le repousser, comprenant trop bien son désarroi : sa mère, Linda, n'était-
elle pas morte depuis seulement deux mois ?
Le père de Leo étant décédé lui aussi, elle allait surement adopter l'enfant.
Officiellement, elle serait bientôt sa mère.
Chapitre 2
Vittore n'avait pas l'habitude qu'on lui résiste et ce contretemps qui retardait
ses retrouvailles avec son fils le mettait hors de lui. Néanmoins, il
obtempéra et sortit son passeport de la poche intérieure de sa veste en
cachemire et le tendit à l'inconnue sans mot dire. Son expression déterminée
et la lueur froide de ses yeux auraient fait reculer les plus courageux.
À travers la grille, Verity prit le document. Il n'y avait aucun doute possible,
pourtant elle ne put s'empêcher de protester faiblement :
— Morte ? Oui.
— Je veux voir mon fils. Tout de suite, ajouta-t-il d'un ton irrité.
Assumant une pose guerrière, elle mit ses mains sur ses hanches.
Décidément, elle avait un corps superbe, ne put-il s'empêcher de remarquer.
En d'autres circonstances, ç'aurait été le corps de ses rêves. Mais pour
l'instant, il avait des préoccupations plus importantes.
Imaginant soudain le pire, Vittore retint son souffle. Se pourrait-il que son
fils ait de nouveau disparu ? Il devait en avoir le coeur net, car l'incertitude
le rendait fou.
La jeune femme avait visiblement été ébranlée par cet éclat, ses épaules
s'affaissèrent légèrement, comme si elle admettait sa défaite. Encore
hésitante cependant, elle se mordit la lèvre avant de répondre :
Croyait-elle qu'il était aveugle ? L'espace d'un instant, pourtant, il oublia ses
propres préoccupations pour s'enquérir de ce qui s'était passé.
— C'était moi. Imaginez ma stupeur quand j'ai entendu votre nom. J'en suis
tombée à la renverse dans la piscine. Et nager quand on est empêtrée dans
une robe longue n'est pas une mince affaire. Comme pour l'inviter à juger
par lui-même, elle écarta les bras. Vittore ne put alors s'empêcher de
remarquer que le vêtement collait telle une seconde peau à son corps
splendide. Pris soudain d'un léger vertige, il se passa une main dans les
cheveux. Il ressentait sans doute le contrecoup de sa journée harassante. Ce
ne pouvait quand même pas être la vision - certes spectaculaire - de cette
femme qui lui faisait tourner la tête ?
— J'avoue que je n'ai jamais essayé, mais je vous crois sur parole, répliqua-
t-il. Vous prétendez donc que c'est entièrement ma faute si vous êtes
mouillée ?
— Je n'ai pas le choix ! Je ne veux pas courir le risque que vous enleviez
Leo pendant que je serai en train de me changer.
plus accommodante que cette créature obstinée... dotée d'un corps de rêve !
Maintenant qu'elle était partie, Vittore avait l'impression d'avoir subi le
passage d'un ouragan ! Trop de choses s'entrechoquaient dans son esprit :
l'effet stupéfiant que Verity provoquait en lui, ajouté à l'idée bouleversante
que son fils dormait à quelques mètres seulement de là...
Per amor del cielo ! Que lui arrivait-il ? Comment pouvait-il se laisser
distraire en un moment pareil par des pensées lascives ? Il devait convenir
que Verity était très belle. Et que sa bouche semblait avoir été créée pour
embrasser. De plus, elle semblait sincèrement se préoccuper du bien-être de
son fils. À cette pensée, Vittore ne put retenir un sourire désabusé. Pas
étonnant qu'elle lui ait fait si forte impression, dans l'état de fébrilité où il se
trouvait ! Une fois qu'il aurait vu Leo, il reprendrait le contrôle de ses
émotions. Bon sang, il fallait qu'elle se dépêche ! Il avait encore des
bagages à faire, un avion à attraper, car il ne souhaitait qu'une chose,
ramener son enfant chez lui, en Italie.
Le coeur battant à tout rompre, elle songea que jamais cet homme
n'accepterait de repartir sans son fils, même si elle lui expliquait que
l'enfant avait désespérément besoin d'elle.
À l'idée de perdre Leo, elle fut saisie d'un moment de panique. Jamais elle
n'avait envisagé cette éventualité, sinon elle ne se serait pas aussi totalement
attachée à l'enfant. Et elle n'aurait pas laissé Leo dépendre autant d'elle. À
Mon Dieu ! Quel dilemme ! D'autant plus que l'arrivée inattendue de Vittore
avait ébranlé ses certitudes. De toute évidence, Linda avait menti au sujet
de la mort de son mari. Pourquoi ? Qu'avait-il bien pu faire pour que sa
femme veuille définitivement couper les ponts avec lui ? Linda avait
évoqué la totale indifférence de son mari à son égard et ses infidélités
répétées...
Comme pour vérifier s'il s'agissait bien du même homme, Verity regarda de
nouveau par la fenêtre. Elle avait pu se rendre compte par elle-même du
charme sensuel de Vittore. À sa grande confusion, elle s'était sentie faiblir
sous l'intensité de son regard brûlant. Nul doute qu'il savait user du pouvoir
de ses yeux pour arriver à ses fins. Pourtant, plus que leur couleur d'un brun
profond, ce qui avait frappé Verity était la multitude de sentiments qu'elle y
avait lus : la colère, le désir... mais aussi la tendresse quand il prononçait le
nom de son fils... Il semblait résolu à récupérer Leo. Toutefois, Verity
n'arrivait pas à deviner quelle était sa motivation : s'agissait-il seulement
d'un désir tout masculin d'avoir un héritier mâle... ou aimait-il sincèrement
l'enfant ?
Les rares fois où elles s'étaient vues, Linda lui avait fièrement décrit la
fortune de son mari et leur train de vie fastueux. Verity savait que Vittore
dirigeait une entreprise de textile aux multiples filiales internationales. Au
demeurant, même si elle n'avait pas su qui il était, elle aurait deviné qu'il
devait être très riche, car la coupe parfaite de ses vêtements dénotait qu'ils
provenaient de chez un grand couturier. En outre, une évidente assurance
émanait de toute sa personne et l'on sentait que cet homme avait l'habitude
d'être obéi. Oui, il représentait sans conteste le séducteur italien dans toute
sa splendeur. Bien sûr, Verity reconnaissait que son charme ne devait rien à
son costume impeccable et à ses chaussures cousues main. Il était
objectivement d'une beauté à couper le souffle. Revenant à son neveu, elle
songea avec abattement qu'elle ne pourrait jamais lui offrir le niveau de vie
qu'il connaîtrait auprès de son père. Il ne faisait aucun doute qu'un jour Leo
reprendrait les rênes de l'entreprise. De quel droit le priverait-elle de ce
destin ?
Mais une petite voix lui soufflait une question insidieuse : en vivant avec
Vittore, son neveu serait-il entouré de tout l'amour dont il aurait besoin ?
Quelle femme jouerait le rôle d'une mère auprès du petit garçon ? Ne
risquait-il pas d'assister au défilé des innombrables maîtresses de Vittore ?
Hélas, elle ne voyait pas comment changer la donne. Elle ne pouvait tout de
même pas se barricader et soutenir un siège pour défendre les intérêts de
son neveu ! Il fallait être réaliste ! Sa seule chance était de convaincre
Vittore que Leo avait encore besoin d'elle pour le moment.
Sur le chemin de la salle de bains, elle s'arrêta dans la nursery, espérant que
la vue de l'enfant paisiblement endormi lui insufflerait assez de courage
pour affronter son père.
Après une douche rapide, elle enfila sa robe turquoise. Elle s'apprêtait à
mettre ses sandales quand le carillon du portail retentit furieusement.
Apparemment Vittore s'impatientait et semblait décidé à appuyer sur la
sonnerie jusqu'à
ce qu'elle lui ouvre, au risque de réveiller Leo ! Tant pis pour les chaussures
! songea-t-elle en dévalant l'escalier. Quand elle fut enfin parvenue à la
porte d'entrée, elle appuya sur la commande ouvrant le portail, non sans
maudire l'homme qui voulait lui enlever ce qu'elle avait de plus cher au
monde. Chapitre 3
— Oui ?
— Bien sûr que si ! C'est pour cette raison que je suis venu !
— Vous voulez dire que vous allez le réveiller, le sortir de son lit puis
l'installer dans votre voiture et partir ?
s'écria-t-elle, horrifiée.
— Je n'en sais rien. Mais je dois avant tout penser à Leo. Je suis
responsable de lui.
— Non ! Vous n'avez entendu que des mensonges. Et vous allez m'écouter,
même si je dois pour cela vous attacher et vous bâillonner !
Lentement, Vittore croisa les bras, sans se départir de son air furieux.
Curieusement cependant, Verity eut la nette impression que sa colère n'était
pas dirigée contre elle, c'était plutôt l'expression d'une souffrance longtemps
enfouie. Instinctivement, elle eut un élan de compassion qui n'échappa pas à
son interlocuteur. Il se radoucit aussitôt.
— Bien sûr que c'est vrai ! s'exclama Vittore, outré qu'elle puisse mettre sa
parole en doute. Croyez-vous que j'éprouve un plaisir pervers à me rappeler
l'enfer que j'ai vécu à cause de votre soeur ?
Ne sachant pas où elle mettait les pieds, Verity aurait préféré ne pas insister.
Il fallait cependant qu'elle éclaircisse cette histoire, sinon comment
pourrait-elle confier Leo à un homme dont l'attitude avait poussé Linda à un
acte aussi désespéré ? Relevant la tête, elle déclara :
— Vous ne ferez pas un pas de plus avant de m'avoir expliqué les raisons
qui ont pu motiver le geste de ma soeur.
— J'ai peur... Leo n'est qu'un bébé, Vittore, et il sera terrorisé si vous
l'emmenez de cette façon. Vous devez comprendre que vos retrouvailles
risquent d'être différentes de ce que vous imaginiez.
D'un geste machinal, il frotta doucement l'endroit que ses mains avaient
meurtri, mais Verity sentait qu'il avait la tête ailleurs. Heureusement pour
elle ! Ainsi il n'avait pas pu remarquer le frisson qui l'avait parcourue. Mais
pourquoi fallait-il que ses nerfs la lâchent justement au moment où elle
aurait eu besoin de tout son sang-froid ? Si elle continuait à se conduire de
façon aussi incohérente, jamais il ne prendrait ses appréhensions au sérieux.
Il penserait qu'il avait affaire à une hystérique qui dramatisait inutilement la
situation.
Une expression de pure béatitude se peignit sur ses traits à présent apaisés.
Timidement, il tendit la main pour toucher le bord du berceau. La tendresse
de cette scène émut Verity aux larmes. C'était la première fois que cet
homme voyait son fils depuis plus d'un an et il le contemplait comme s'il
voulait s'imprégner du moindre détail de ses traits, comme s'il craignait de
le perdre de nouveau. Le coeur de Verity se serra et les larmes lui montèrent
aux yeux, car en cet instant, elle eut l'intuition que Vittore aimait son fils de
toute son âme.
Elle avait voulu se convaincre que cet homme n'était qu'un séducteur
égocentrique n'ayant que faire d'un enfant... Mais si tel avait été le cas, il ne
serait jamais parti à la recherche de son fils et il ne serait pas non plus
tombé
Pourtant, il faudrait bien lui expliquer que Leo était encore beaucoup trop
fragile émotionnellement pour se passer d'elle.
— Il est encore plus beau que dans mes souvenirs... Et il a tellement grandi
!
La voix brisée par l'émotion, Vittore n'essayait même pas de cacher son
trouble quand il la rejoignit dans le couloir. En silence, ils descendirent
l'escalier. Une fois qu'ils furent dans le salon, elle demanda :
— Je vous sers quelque chose ?
— Je suppose que c'est vous qui vous êtes occupée de Leo ? commença-t-il.
Je vous en serai éternellement reconnaissant. Et je vous dédommagerai
largement pour le mal que vous vous êtes donné.
— Que vous le vouliez ou non, je vous suis reconnaissant d'avoir pris soin
de mon fils, insista-t-il avec un sourire.
— À cause de moi ?
— À cause de ce que vous allez faire. Vous ne pouvez pas partir avec lui.
— Ah... Je serais curieux de savoir ce que Linda vous a raconté sur mon
compte.
— Vous l'avez trompée, lança Verity d'un ton accusateur. Plus d'une fois !
Et vous la négligiez, ainsi que Leo, préférant vous consacrer à vos
maîtresses, notamment une certaine Bianca... En bref, je sais quel genre de
père et de mari vous étiez.
— Je vois.
— C'est pour ces raisons que vous me jugez indigne de m'occuper de Leo ?
— Entre autres...
Elle retint à temps le geste impulsif de compassion qui faillit la pousser vers
son beau-frère. Il fallait qu'il se rende compte des conséquences
dramatiques de son comportement égoïste. Pourtant, malgré sa volonté de
se montrer ferme, elle ne put retenir le tremblement dans sa voix lorsqu'elle
reprit son récit.
— Qui disait... ?
— Je n'en sais rien, répondit Verity avec honnêteté. Elle devait être au bout
du rouleau. Elle n'était pas parvenue à surmonter votre attitude
inqualifiable...
— Mon attitude ? Je vous rappelle que c'est elle qui m'a quitté, et ce un an
avant son suicide ! N'y aurait-il pas d'autres explications à son geste, d'après
vous ?
— Eh bien, elle était criblée de dettes, avoua-t-elle à contrecoeur. J'imagine
que ça n'a pas été facile pour elle. J'ai trouvé des dizaines de factures
impayées dans ses tiroirs : celle de l'institut de beauté, du masseur, du club
de gym... Et puis il y a le prêt pour la maison. Elle n'avait pas pu payer les
traites depuis quelques mois. Sa situation financière était vraiment
catastrophique.
Quel monstre ! songea Verity. En réalité, c'était lui qui, d'une certaine façon,
avait acculé sa femme à cette fin misérable !
— Non !
— Au moins, vous ne vous en cachez pas. D'après moi, cela en dit long sur
votre compte et je ne crois pas que vous changerez de comportement de
sitôt... Voilà qui nous amène à Leo...
— Non. Lorsqu'on a retrouvé Linda sans vie dans un pub voisin, Leo était à
la maison, gardé par une babysitter. Vous ne pensez pas qu'elle aurait laissé
son bébé tout seul, quand même ?
— Il ne doit pas rester un instant de plus dans cet endroit chargé de mauvais
souvenirs, déclara Vittore, péremptoire.
Il se dirigea vers la porte. Sous le choc, elle mit quelques secondes avant de
bondir à son tour de son siège afin de le rattraper avant qu'il ne sorte du
salon. Le dos appuyé contre le lourd battant d'acajou et les bras écartés, elle
lui barra le passage.
Comme s'il voulait l'écarter, il attrapa ses bras. Dans un geste désespéré,
Verity saisit les revers de sa veste pour éviter qu'il ne la pousse. Les yeux de
Vittore lançaient des éclairs et elle sentit contre ses mains la chaleur qui
émanait de lui. Malgré le trouble qu'elle ressentait au contact des muscles
tendus de son torse viril, elle avait décidé de s'accrocher à lui jusqu'à ce
qu'il l'écoute.
— Son mal n'est pas physique, mais émotionnel. Il souffre d'anxiété. C'est
sérieux.
— Expliquez-vous.
Dieu merci, il la croyait ! se dit-elle tandis qu'elle laissait glisser ses mains
le long de sa poitrine et reculait d'un pas. Il allait l'écouter, et parce qu'il
aimait Leo, il ne le laisserait pas souffrir.
— D'accord.
— C'était la première fois qu'elle venait et il dormait déjà quand elle est
arrivée. Quoi qu'il en soit, Leo a des problèmes. Vous devez comprendre,
Vittore, qu'il est pratiquement toujours accroché à moi. Quand il se sent en
sécurité, il accepte de me lâcher pour jouer à quelques pas de moi, mais les
inconnus lui font peur et je ne peux m'éloigner de quelques mètres sans qu'il
me suive.
— Il hurle.
— Quel gâchis !
— Oui. Je suppose que si vous aviez été là, c'est à vous qu'il se serait
accroché. Mais vous étiez absent. Et le fait est que vous ne pouvez pas
l'emmener tant qu'il se trouvera dans cet état, ce serait trop cruel. À son
étonnement, un sourire éclaira le visage de Vittore.
— Vous savez, en général, je m'entends très bien avec les enfants. Je pense
qu'après une heure ou deux avec moi, Leo sera complètement rassuré.
Toutefois, pour vous faire plaisir, j'accepte d'attendre demain pour partir. Je
resterai ici cette nuit, cependant, car moi non plus, je ne veux pas courir le
risque que vous l'enleviez sous mon nez.
— Ce n'est pas si loin, et vous pourrez lui rendre visite, dit-il doucement.
Vous êtes sa tante, et nous vous accueillerons toujours avec plaisir.
D'ailleurs, je suis sûr que ma mère sera ravie de vous rencontrer. Tapotant
son bras d'un geste compatissant, il continua :
— Dès demain, vous pourrez reprendre une vie normale. J'imagine que
vous avez mis toutes vos activités en veilleuse depuis deux mois.
Verity était bien trop abasourdie pour pouvoir protester. Dans les yeux
qu'elle leva vers lui, il vit briller des larmes qu'elle ne parvenait plus à
retenir.
Elle sentit Vittore se raidir, puis continuer d'une voix impersonnelle qui ne
souffrait pas de réplique.
Dans quelques heures, la lumière de sa vie serait partie. Elle s'imaginait très
nettement la scène qui aurait lieu le lendemain : Leo hurlant tandis qu'on les
séparait, son petit visage crispé et terrifié... Pourvu qu'il ne subisse pas un
choc émotionnel irréparable !
Chapitre 4
Aussi, quelle ne fut pas sa surprise quand, quelques minutes plus tard, un
bruit le tira de sa torpeur et, qu'ouvrant les yeux, il la vit devant lui.
Le souffle court, il s'assit dans son lit, mais quelque chose d'insolite dans les
mouvements de la jeune femme l'empêcha de lui parler.
— Verity...
Quand la jeune femme se roula en boule par terre à côté du berceau, comme
si elle allait dormir là, Vittore crut comprendre la raison de sa venue : elle
voulait veiller sur Leo. Se méfiait-elle à ce point de lui ?
Fasciné, il promena son regard sur le corps étendu à même le sol : la douce
courbe de son bras, sur lequel retombait sa chevelure luxuriante l'émut
profondément. La ligne de ses cuisses fuselées, en revanche provoqua en lui
une réaction sans équivoque, et qui n'avait rien à voir avec la tendresse.
— Verity !
En entendant la voix de la jeune femme, son soulagement fut tel qu'il crut
que son coeur allait s'arrêter de battre. Il était cependant encore tellement
bouleversé par la succession d'émotions qu'il venait d'éprouver en si peu de
temps, qu'il dut s'appuyer contre une colonne du hall pour reprendre
complètement ses esprits. Levant les yeux, il aperçut Verity qui se tenait
devant ce qui semblait être la porte de la cuisine. Elle aussi paraissait
troublée, et Vittore se rappela soudain qu'il ne portait que son caleçon. La
vue de sa quasi-nudité la laissait apparemment sans voix et il dut s'avouer
que son désarroi lui donnait encore plus de charme. Soudain, un sanglot
étouffé attira son attention vers Leo, qui se cachait derrière Verity. Avec un
pincement de tendresse et de bonheur, il aperçut son fils dont les yeux d'un
bleu profond brillaient de larmes.
— Ce n'est rien, chéri, murmura Verity d'une voix très douce, en caressant
tendrement la chevelure blonde de l'enfant. Ce n'est qu'un petit raffut de
rien du tout... On pensait que c'était un gros nounours qui venait déjeuner
avec nous, n'est-ce pas ? Et on a bien ri !
Leo fit clairement comprendre par sa mimique qu'il n'appréciait pas cette
intrusion. Vittore fut néanmoins reconnaissant à Verity d'avoir essayé de
dérider le petit garçon.
— Jamais je n'aurais fait une chose pareille, vous aviez ma parole, répliqua-
t-elle à mi-voix en se gardant de laisser transparaître sa colère.
Tout en parlant, elle avait pris Leo dans ses bras pour le bercer doucement.
Puis elle retourna dans la cuisine et Vittore put l'entendre chantonner une
comptine à mi-voix. Visiblement rassuré, Leo laissa échapper un petit rire
ravi. C'était son fils ! se dit Vittore. Il aurait voulu l'embrasser, mais il avait
tout gâché par sa maladresse. Commençant à comprendre que les choses se
révéleraient plus difficiles que prévues, il entra à son tour dans la cuisine.
Verity tentait, par son entrain, de chasser l'angoisse de l'enfant et Vittore dut
se contenter de les observer avec envie.
Verity ne pouvait croire que Vittore se soit montré aussi maladroit ! Il avait
lui-même ruiné toutes ses chances de renouer connaissance avec son fils
dans des conditions favorables. Ses craintes avaient été confirmées : il
n'avait aucune idée des difficultés qui l'attendaient.
Surprise par sa question, elle cligna des yeux. En fait sa nuit avait été plutôt
mauvaise, hantée par des rêves bizarres, et elle s'était réveillée tout
endolorie, avec l'impression d'avoir dormi sur du béton... Mais cela ne le
regardait pas. Aussi se contenta-t-elle de hocher la tête avant de reporter son
attention sur le petit garçon.
— Alors, mon chéri, que dirais-tu si nous prenions notre petit déjeuner,
maintenant ? demanda-t-elle au bambin. Tu vas t'asseoir bien sagement
dans ta chaise... Je resterai près de toi, tu vois ? Voilà, ça c'est un gentil
garçon... Et on va manger ensemble, d'accord ? Une cuillère pour toi, une
cuillère pour moi... Ensuite, sur le même ton enjoué, elle s'adressa à Vittore.
— Asseyez-vous.
Non sans pousser un soupir exaspéré, Vittore quitta la pièce tandis que Leo
le suivait d'un regard curieux, bien qu'inquiet.
À présent, il plongeait ses yeux sombres dans les siens, et lui aussi semblait
s'étonner du courant puissant qui passait entre eux. Verity doutait cependant
que son esprit fut aussi chamboulé que le sien... Ce fut lui pourtant qui
baissa les paupières le premier.
Elle le vit prendre une profonde inspiration avant de se tourner vers son fils.
Troublée par la tendresse qui se lisait sur le visage de Vittore, Verity eut un
pincement au coeur quand Leo, effrayé par son père, se mit à pleurer en
cachant son visage contre sa poitrine. Machinalement, elle caressa la petite
tête blonde et tenta de le réconforter :
Sans le quitter des yeux, Verity serra un peu plus l'enfant contre elle et
commença à le bercer. Quand il se fut calmé, elle s'adressa à son père :
Voyant Vittore serrer les lèvres, Verity éprouva un élan de sympathie pour
lui. Ça devait être terrible d'être considéré comme un étranger par son
propre enfant.
— Je vous avais prévenu. Vous n'allez pas l'emmener tant qu'il sera comme
ça, n'est-ce pas ?
**
Traversant la grande cuisine, une semaine plus tard, Vittore était prêt à
laisser exploser sa frustration. Avec la rigueur d'un automate, il rassembla
les divers ingrédients nécessaires à la préparation du dîner. Cuisiner était la
seule chose qu'il pouvait faire pour aider un peu Verity.
Pour ne pas montrer son chagrin, Vittore baissa la tête. De son côté, il avait
tout essayé pour amadouer son fils. Mais ses efforts s'étaient invariablement
soldés par des larmes. Chaque fois que Verity faisait seulement mine de
s'éloigner, c'étaient des cris et des pleurs déchirants. Vittore souffrait le
martyre d'assister impuissant à la détresse de son petit garçon.
— J'ai vu un médecin. Tout ce qu'il m'a dit, c'est que Leo avait besoin
d'amour et de sécurité... Et que je n'avais qu'à revenir dans trois mois si la
situation n'avait pas évolué.
Avec précaution, il déposa la volaille dans une assiette, la nappa d'une sauce
parfumée, ajouta des légumes, puis la posa devant Verity.
Au rappel de ce qu'avait été son premier contact avec une machine à laver,
Vittore rit à son tour. Depuis cet épisode, Verity lui avait strictement interdit
de s'approcher de la corbeille de linge.
apprendre à cuisiner.
Quand elle passa une main dans sa lourde chevelure pour la rejeter en
arrière, Vittore admira la grâce de ce geste machinal. Décidément, elle était
adorable ! S'il avait suivi son instinct, il l'aurait prise dans ses bras
immédiatement. D'un baiser passionné, il l'aurait tirée de sa torpeur...
Un soir, elle s'était même roulée en boule au pied du lit pour y rester une
demi-heure. Pour Vittore, ç'avait été
Il devait agir s'il ne voulait pas devenir fou ! Côtoyer Leo chaque jour sans
pouvoir le toucher lui brisait le coeur. Et le désir incontrôlable qu'il
éprouvait pour Verity n'arrangeait en rien les choses. Cependant, depuis
quelques heures, un plan se dessinait dans son esprit et lui rendait peu à peu
son optimisme. S'il parvenait à convaincre Verity de l'accompagner en
Italie, la situation s'arrangerait, il en était certain. Levant les yeux, il
observa la jeune femme qui grignotait lentement une lamelle de poivron
grillé, les yeux perdus dans le vague. Quand elle eut avalé le dernier
morceau, elle lécha distraitement le bout de ses doigts. Surprenant ce geste
chargé de sensualité involontaire, Vittore sentit une vague puissante de désir
le submerger. À cet instant, les yeux violets de Verity rencontrèrent les siens
et il vit qu'elle rougissait. Elle était incontestablement aussi consciente que
lui de la tension sexuelle qui régnait entre eux. Apparemment, elle n'aimait
pas ce qui lui arrivait, et elle luttait de toutes ses forces contre son désir.
Aucune importance, se dit Vittore. Il la ferait aisément changer d'avis, il
avait assez d'expérience pour savoir qu'une attirance sexuelle pouvait
balayer les réticences les plus farouches.
Il savait qu'elle allait d'abord refuser le plan qu'il avait concocté. Mais elle
finirait pas se rendre à ses raisons, car c'était la meilleure solution : ainsi
leurs deux principales préoccupations communes - Leo et ce désir
réciproque qui les dévorait - seraient résolues.
Il nota avec satisfaction qu'elle goûtait du bout des lèvres la tarte aux poires.
Elle était indéniablement troublée, et Vittore dut reconnaître que lui-même
n'avait jamais connu un tel sentiment d'excitation mêlé d'impatience. Quand
elle s'arrêta complètement de manger, regardant son assiette d'un air
désemparé, il lui demanda d'une voix rauque :
— Ça ne te plaît pas ?
— Rien.
Verity ne releva pas la tête. Ses traits trahissaient son embarras lorsqu'elle
reposa sa fourchette.
— Il n'y a pas de quoi avoir honte, nous sommes tous les deux adultes,
Verity.
Elle lui lança un regard interloqué, mais Vittore n'avait pas manqué de
remarquer que sa respiration s'était accélérée, et cette réponse lui suffit. À la
douce lueur des bougies, elle avait l'air si vulnérable. Incapable de retenir la
passion brûlante qui bouillonnait en lui, il saisit la main de Verity. Pendant
un long moment, ils se dévisagèrent comme si c'était la première fois qu'ils
se voyaient.
Si elle l'avait voulu, elle aurait pu retirer sa main et annoncer qu'elle tombait
de fatigue. Mais quand Vittore la souleva de sa chaise pour l'attirer dans ses
bras, elle ne lui opposa pas la moindre résistance. Prenant son visage entre
ses mains, Vittore s'empara de ses lèvres en un baiser passionné. Subjuguée
par la douceur de sa bouche virile, Verity s'abandonna à la vague de
sensualité qui l'assaillait. Bientôt, cependant, elle aspira à plus d'audace.
Comme s'il n'avait attendu que ce signal, son compagnon la plaqua contre le
mur et approfondit son baiser, tout en couvrant son corps de caresses
langoureuses.
Enhardi par cette requête, Vittore baissa les bretelles de sa robe. Lorsqu'il
libéra ses seins, elle oublia toute pudeur, et poussant un soupir de
satisfaction, elle se cambra vers lui, la tête rejetée en arrière. Jamais elle
n'avait été
aussi fière d'être une femme, et elle crut qu'elle allait mourir de bonheur
quand les lèvres de Vittore se refermèrent sur la pointe dressée d'un sein
pour la taquiner du bout de la langue.
Chapitre 5
En réponse à son ton suppliant, Verity sentit la main de Vittore glisser sous
sa robe pour effleurer la peau satinée de son entrejambe. À ce contact, une
vague de chaleur remonta jusqu'au creux de son ventre. Elle prit alors la tête
de son compagnon entre ses mains et attira son visage contre le sien pour
l'embrasser fougueusement. Le besoin lancinant qui la tenaillait ne fit que
s'amplifier.
Un flot de paroles italiennes lui répondit tandis qu'il faisait glisser sa culotte
de dentelle sur ses cuisses. Paradoxalement, ce furent ces intonations
chantantes qui la dégrisèrent. Soudain, elle se rendit compte qu'elle était
dans les bras de Vittore - le séducteur qui avait trompé sa soeur de façon
éhontée - le dernier homme au monde à
— Verity... ?
Horrifiée à l'idée de ce qu'elle avait été sur le point de faire, elle se dégagea
brusquement de son étreinte, mais ses jambes encore flageolantes ne
l'auraient pas portée si Vittore ne l'avait rattrapée par la taille in extremis.
Elle ouvrit la bouche pour parler lorsqu'elle s'aperçut que sa poitrine était
complètement dénudée. Virant à
Elle fit un pas hésitant sur le côté, et s'apercevant qu'elle tenait à peu près
sur ses jambes, elle se dirigea vers la chaise la plus proche pour s'y laisser
tomber.
— Je ne sais pas ce qui m'a pris, murmura-t-elle. Je crois que j'ai un peu
perdu la tête.
— Pourquoi as-tu mis fin à notre étreinte ? demanda-t-il d'une voix rauque.
Qu'était-il en train de suggérer ? Qu'il était prêt à passer deux ou trois nuits
avec elle ? Pourtant, sa proposition, au lieu de la scandaliser, éveilla
immédiatement ses sens. Furieuse d'être trahie par son propre corps, Verity
détourna la tête et tenta de se lever. D'un geste impérieux, Vittore l'obligea à
se rasseoir.
— Oh !
— Je ne te retiens pas.
— Pas si tu viens avec nous. Nous pourrions partir ce soir, pendant qu'il
dort, ainsi il ne se rendra compte de rien.
— Quoi ? Mais...
— J'ai tout arrangé. Il ne reste plus qu'à faire vos valises. Un chauffeur doit
venir nous prendre dans une heure pour nous conduire à l'aéroport. Nous
serons à Naples en un rien de temps.
— Verity...
Au fond, elle était bouleversée qu'il ait pu envisager cette solution avec un
tel sang-froid. Elle aurait préféré
— Certainement !
Cet aveu brutal ralluma aussitôt les braises de son propre désir qu'elle avait
eu la naïveté de croire éteintes. Elle parvint malgré tout à continuer :
Cette description le fit éclater de rire et la fureur de Verity monta d'un cran.
— À vrai dire, reprit Vittore quand il eut recouvré son calme, j'ai moi-même
été pris de court par ce qui vient de se passer. J'avais prévu de te faire part
de mon idée, puis je me suis retrouvé à te caresser et... Il eut un geste
désinvolte qui exprimait son incapacité à fournir de meilleures explications
à ses actes.
— En fait, depuis que je t'ai rencontrée, j'ai perdu toute maîtrise de moi-
même, avoua-t-il avec une candeur désarmante. Et puis, tu as fait preuve
d'un enthousiasme communicatif.
Verity sentit ses joues s'enflammer. Certes, elle avait répondu à ses avances,
mais seul un goujat aurait eu la grossièreté de le lui rappeler.
— Moi, en tout cas, j'ai repris mes esprits à temps. Et je me suis souvenue
quel genre d'homme tu étais.
— Vraiment ?
— C'est un euphémisme !
Bien sûr que si, dut admettre Verity intérieurement. D'autant qu'elle se
souvenait que Linda mentait souvent quand elles étaient enfants. Mais pour
rien au monde elle n'aurait avoué ses soupçons à Vittore, aussi lui opposa-t-
elle un silence buté.
— Elle t'a raconté que j'étais mort, continua-t-il. Pourquoi n'aurait-elle pas
menti sur le reste ? Peut-être que je suis un coureur de jupons... mais peut-
être que non. Ta seule preuve dans ce domaine, ce sont les dires d'une
menteuse invétérée. Franchement, Verity, peux-tu affirmer en toute
honnêteté que je suis un mauvais père ?
— Parce que Leo est encore trop fragile pour que je puisse prendre ce
risque ! Qu'est-ce qui me garantit qu'une fois que nous serons en Italie, tu
n'utiliseras pas la loi italienne pour m'empêcher de le voir ?
— Je ne suis pas fou, Verity. Je sais que pour l'instant, tu es essentielle à son
bonheur et à sa santé. Viens avec nous. Découvre par toi-même qui je suis
réellement.
— Je t'empêcherai de l'emmener !
— Tu ne pourras pas.
rompre la barrière qui existe entre mon fils et moi. Admets qu'il a autant
besoin d'un père que d'une mère... Et puis, une fois que Leo sera
parfaitement à l'aise avec moi, tu pourras retourner en Angleterre, retrouver
ton travail et tes amis.
— Peut-être... Mais j'en doute. Je sens que cette maison est une des
principales causes de son anxiété. Chaque fois qu'une porte s'ouvre, il
s'inquiète, et chaque bruit inhabituel le fait sursauter.
— Je pourrais déménager...
En une fraction de seconde, Vittore fut auprès d'elle et lui massait le tibia.
— Calme-toi, voyons.
Derechef, elle leva la main mais cette fois, il enlaça ses doigts dans les siens
tout en la fixant intensément.
— Tôt ou tard nous ferons l'amour, murmura-t-il d'une voix rauque qui
éveilla aussitôt le désir qui couvait en elle. J'ai envie de toi, Verity, comme
je n'ai jamais eu envie d'aucune femme. Puis, il se pencha vers elle. Voulant
lui montrer qu'elle n'était pas son jouet, Verity serra les dents, mais au lieu
de forcer cette barrière dérisoire, il entreprit d'effleurer ses lèvres avec une
douceur incroyable jusqu'à ce qu'elle les entrouvre d'elle-même pour
l'embrasser avec fougue.
Plus encore que par la moue ironique de Vittore, Verity fut exaspérée par le
pincement de jalousie qu'elle éprouva. Pour lui, le sexe n'était qu'un jeu, et
il avait apparemment décidé qu'elle serait sa prochaine «partenaire». Bien
décidée à ne pas lui faciliter la tâche, elle monta résolument à l'étage. Qu'il
ne se réjouisse pas trop tôt, pensa-t-elle en se dirigeant vers sa chambre.
Brusquement, elle eut une illumination : elle allait utiliser son arrogance
contre lui ! Pivotant sur ses talons, elle fut surprise de se trouver nez à nez
avec Vittore. Elle ne se laissa cependant pas démonter.
— Laquelle ?
— Là, bien sûr, tu pourras venir lui rendre visite aussi souvent que tu
voudras.
— Très bien.
Comme Verity l'avait prévu, il avait accepté ses conditions sans hésiter, ne
doutant pas un instant qu'il réussirait.
— Ça te dirait de parier ?
— Je suis impatient de passer quelque temps avec toi. C'est une perspective
très... excitante. Verity, quant à elle, ne pouvait s'empêcher d'éprouver une
certaine inquiétude. Les événements s'étaient enchaînés à une telle vitesse
qu'elle craignait d'avoir oublié un point important.
— Il reste un problème, Vittore, dit-elle. Que se passera-t-il si nous nous
apercevons que l'état de Leo empire en Italie ?
Comme touché par une flèche, Vittore tressaillit et fit un pas en arrière.
Quand il eut reculé, Verity se sentit un peu moins opprimée par sa présence
et elle put respirer plus librement.
— Je vais faire les bagages. Mais ne sois pas trop optimiste : ton plan ne
marchera pas forcément. Sur cette remarque cinglante, elle entra dans sa
chambre. Derrière l'air bravache qu'elle affichait à l'intention de Vittore, elle
n'en menait pas large. Malgré les promesses qu'il lui avait faites, elle se
méfiait de lui, et l'idée de partir en sa compagnie n'avait rien de rassurant.
Surtout qu'elle entraînait le petit Leo avec elle. Chapitre 6
Un murmure contre son oreille la tira de son sommeil, moins de trois heures
plus tard. Ouvrant les yeux, elle aperçut le visage de Vittore tout près du
sien. Elle eut un mouvement de recul qui n'échappa pas à son compagnon
tandis qu'il se redressait.
fait.
Cette réflexion le fit rire. Mais quand il se pencha sur le petit siège renforcé
où se trouvait Leo, son expression changea, laissant place à une grande
douceur. Chaque, fois qu'elle surprenait Vittore ainsi, Verity se sentait
fondre.
— En fait, Naples n'est pas très éloigné d'Amalfi, où nous nous rendons,
mais les nombreux virages sur la route ralentissent considérablement le
trajet. J'espère que tu t'y plairas... Tu verras, ta vie sera plus facile, mes
employés te déchargeront des tâches quotidiennes et tu n'auras qu'à
t'occuper de Leo.
Dans la lumière blafarde du petit matin, elle discernait les pins parasols
dont la haute silhouette se découpait sur la mer rose dans l'aube naissante.
— Les virages ne me font pas peur. C'est juste que je n'ai jamais vu un
endroit aussi magnifique !
En attendant, elle reporta son attention sur la petite ville dont les maisons
semblaient accrochées à la montagne. Dans le port, des barques
dodelinaient doucement au gré des vagues, tandis que d'autres étaient halées
sur la berge. Saisie d'une envie soudaine de goûter l'air marin, Verity ouvrit
la fenêtre et laissa la brise, à laquelle se mêlait le parfum des orangers,
caresser son visage.
— Il n'y a pas si longtemps, il n'existait que des sentiers pour les mulets et
on accédait à Amalfi par la mer. C'est pourquoi les remparts se trouvaient
sur le port. Tiens, regarde, tu peux voir une ancienne porte !
— Je pense que les pirates sarrasins aimaient ce genre de défi. Et ils étaient
assez forts pour partir à l'assaut de nos collines.
Après être passée sous une arche de pierre, la voiture roulait maintenant au
pas dans des ruelles étroites. Qu'estce qui avait pu pousser Linda à quitter
un endroit aussi paradisiaque ? se demanda-t-elle tandis qu'un frisson
d'appréhension parcourait son corps.
Ils venaient de déboucher sur une petite place, et Vittore lui désigna l'église
du XIIIème siècle dont ils avaient entendu le son des cloches quelques
minutes plus tôt.
Dans une autre ruelle, Verity remarqua plusieurs bijouteries et une boutique
élégante qui ne semblait vendre que des articles de soie.
chaque fois par leur violence. Pourquoi diable Vittore la mettait-il toujours
dans cet état ?
— Mais...
— Il n'y a pas de «mais» ! insista Vittore. Ma dette à ton égard est immense.
D'ailleurs, je voudrais te verser un salaire.
— En fait, elle est merveilleuse. Mais elle ne ressemble pas à l'idée qu'on se
fait d'une mère... Contrairement à
toi. Tu as toutes les qualités pour devenir une femme et une mère parfaites.
— C'est vrai qu'il nous arrive d'exagérer, admit Vittore. Mais je pensais
sincèrement ce que j'ai dit.
Elle chercha alors à se débarrasser des idées dangereuses qui lui traversaient
l'esprit. «Il cherche à te séduire, c'est tout !» se morigéna-t-elle. Et à en
juger par les battements erratiques de son pouls, il fallait avouer qu'il s'y
prenait très bien.
Trop étonnée par le spectacle qui s'offrait à ses yeux, Verity ne fit aucun
commentaire. Elle découvrait, émerveillée, des jardins magnifiques,
regorgeant de fleurs et de plantes exotiques : des bananiers aux larges
feuilles côtoyaient des rhododendrons tandis que les lauriers roses
immenses se mêlaient aux palmiers et aux mimosas. Et de tous côtés, des
rosiers grimpants partaient à l'assaut des murets dans un désordre splendide.
Devant ce chatoiement de couleurs éclatantes, on ne savait plus où donner
de la tête. Les papillons eux-mêmes virevoltaient joyeusement dans cette
profusion de teintes et de parfums.
— Ça ne ressemble en rien aux jardins à l'italienne qu'on voit dans les livres
! s'exclama Verity quand elle fut remise de sa stupéfaction.
— Après quoi ?
— Cela veut dire «se pavaner», expliqua Vittore sans prendre la peine de
cacher son exaspération, comme s'il en avait assez de tout devoir lui
expliquer. En fin d'après-midi, on se promène sur le port, on s'observe les
uns les autres... On regarde qui porte quoi et qui sort avec qui...
Une fois qu'elle fut parvenue à le lui enfiler, elle appuya affectueusement un
doigt sur son petit nez. Leo se mit à rire, puis il se retourna vers la fenêtre et
jeta un regard perplexe au dehors. Vittore était sur la terrasse.
Le petit garçon observa attentivement son père qui buvait son café, mordant
de temps en temps dans un croissant. Le coeur battant, Verity surveillait la
scène dont elle comprenait toute l'importance. Rapidement, cependant, Leo
se détourna de la fenêtre et leva vers elle un regard angoissé.
Malgré les meubles anciens, qui auraient été à leur place dans un musée, il
se dégageait de la pièce une atmosphère chaleureuse. Peut-être cette
impression venait-elle des objets hétéroclites qui semblaient avoir été
oubliés ici et là ? Un chapeau de paille sur une table, un livre ouvert
abandonné par terre à côté d'un profond fauteuil, des journaux entassés sur
un guéridon...
— Sossoss ?
À ces mots, il battit joyeusement des mains. Ils étaient vraiment tout l'un
pour l'autre, songea Verity. Elle était le seul élément de stabilité dans sa
courte vie et quels que soient les droits de Vittore sur son fils, elle veillerait
à ce que ce dernier soit heureux.
Forte de cette résolution, elle sortit, mais dut s'arrêter un instant, éblouie par
le soleil. Quand ses yeux se furent habitués à la luminosité, elle aperçut
Vittore qui s'était levé à leur arrivée.
— Je pense qu'il va bien pour l'instant. La faim lui a fait oublier sa peur, et
il a surtout envie de déjeuner. Oh... Elle avait poussé un petit cri surpris, car
Leo avait lâché sa main pour désigner une fontaine, un peu en contrebas sur
une terrasse.
— Regarde, corrigea Verity, c'est de l'eau. Tu aimes l'eau, n'est-ce pas Leo ?
Chapitre 7
Mal à l'aise, Verity observa Vittore du coin de l'oeil. Il s'était levé pour
ouvrir le parasol, et elle pouvait voir le sourire ravi qui illuminait ses traits.
Quand il se rassit, leurs yeux se rencontrèrent.
— Il n'est pas intimidé, fit-il remarquer. J'ai l'impression que la maison lui
plaît.
Tous les deux savaient parfaitement ce que cela signifiait. Vittore allait
remporter son pari, et Verity perdrait ce qui lui tenait le plus à coeur. Il avait
toutes les raisons de se réjouir, songea-t-elle avant qu'une exclamation
joyeuse, provenant du salon, ne l'arrache à l'emprise de ses yeux sombres.
— Oh ! Tesoro mio !
Tournant la tête, Verity vit une femme rondelette, entièrement vêtue de noir
qui s'approchait d'eux en poussant un chariot chargé de nourriture. Ses yeux
mouillés de larmes étaient fixés sur Leo tandis qu'un flot de paroles
s'échappait de ses lèvres.
— Vous avez ramené notre bébé ! chuchota-t-elle quand elle relâcha un peu
son étreinte. Grâce à vous, il conte sourit de nouveau. Je dois vous
embrasser, et vous remercier ! Je vous apporte le petit déjeuner... Le bébé
est si mignon, vraiment adorable... et je sais, je ne dois pas l'effrayer,
j'attendrai...
— Oui, oui, je m'en vais... Je suis tellement heureuse ! Nous sommes tous si
heureux !
Quand elle fut partie, Verity songea que la gouvernante semblait très
attachée à Vittore. Ce genre d'affection ne s'achetait pas. Mais peut-être que
cette femme ignorait la véritable personnalité de son employeur ? Elle-
même, qu'en savait-elle ? Les récits de Linda ne correspondaient pas à ce
qu'elle avait découvert sur son beau-frère durant la semaine qu'ils avaient
passée ensemble. Pourtant, sa soeur n'avait pas pu inventer ces infidélités,
elle-même n'avaitelle pas vu de ses propres yeux les photos de ses
maîtresses dans le salon ?
— Non, caro, intervint Vittore doucement. Cette chaise est pour toi, Maria
l'a apportée spécialement. Puis, avant que le petit garçon puisse protester, il
l'installa dans la chaise haute et boucla le harnais de sécurité. Malgré la
fermeté de ses gestes, il ne s'était pas un instant départi de sa gentillesse. Et
quand Leo ouvrit la bouche pour crier, Vittore lui tendit une petite saucisse.
Mais ce n'était pas une raison pour qu'elle abandonne Leo du jour au
lendemain ! se reprit-elle. L'enfant n'était pas encore tiré d'affaire, et Vittore
se rendrait bientôt compte que ce ne serait pas toujours aussi facile que ce
matin. Après le petit déjeuner, elle resta avec Leo dans le jardin. Le petit
garçon jouait dans le bac à sable tandis qu'elle admirait la mer au loin.
Soudain, elle fut tirée de sa contemplation rêveuse par une main invisible
qui poussa une piscine gonflable sur la terrasse. Elle ne put s'empêcher de
rire en voyant un tuyau d'arrosage avancer comme un serpent et commencer
à la remplir.
Leo - trop absorbé à tamiser du sable - n'avait d'abord rien remarqué, mais
lorsqu'il leva la tête, il poussa un cri de surprise, et il se serait précipité vers
la piscine si Verity ne l'avait pas intercepté de justesse. En écho à son propre
rire, elle entendit celui de Vittore, derrière la haie d'où venait le tuyau. Puis,
une serviette de bain atterrit à leurs pieds. Amusée par le subterfuge, elle le
remercia, sans obtenir de réponse.
Mais avant que Vittore ne le prenne, une voix féminine le héla depuis la
terrasse. Tournant la tête, Verity aperçut une jeune femme grande et mince
dont l'abondante chevelure auburn luisait au soleil. Vêtue avec une élégante
simplicité, l'inconnue devait avoir le même âge qu'elle. Son teint mat et ses
yeux sombres étaient tellement spectaculaires qu'elle n'avait pas besoin de
maquillage. Dès que Vittore l'aperçut, la joie se peignit sur ses traits et il
oublia complètement son fils - soit-disant bienaimé pour aller au-devant de
la superbe créature.
— Bianca !
C'était donc la fameuse Bianca, se dit Verity. Elle entretenait déjà une
liaison avec Vittore quand Leo était nouveau-né, et apparemment, ils étaient
toujours très proches.
Ce soir-là, Verity se trouvait encore dans la nursery pour s'assurer que Leo
dormait bien, quand elle sentit la présence de Vittore et Bianca derrière elle.
Les nerfs tendus à craquer, elle resta immobile dans la pénombre qui
baignait la pièce.
Elle ne les avait pas vus de la journée, mais elle n'avait cessé d'imaginer à
quoi ils avaient occupé leur temps. Dévorée de jalousie, elle préférait ne pas
voir leurs visages de peur d'y lire la béatitude des amants comblés.
Vittore se pencha vers son fils et elle constata avec amertume qu'il le
couvait tendrement du regard. Il était vraiment un acteur exceptionnel.
Sans le quitter des yeux, Vittore invita Bianca à venir le voir de plus près.
C'était plus que Verity n'en put supporter. Sans se soucier de paraître
désagréable, elle leva la main.
— Il vaut mieux que vous n'approchiez pas, dit-elle à Bianca par-dessus son
épaule.
— Son premier sommeil est toujours très léger, et je ne veux pas qu'il soit
dérangé. S'il vous aperçoit en ouvrant les yeux, il va paniquer.
— Mais non !
— Tu sais bien que c'est vrai, répondit-il avec un sourire insupportable. À
cause de Bianca.
— Elle n'est pour rien dans la fin de mon mariage ! rétorqua Vittore très
calmement. Et je trouve que tu es injuste de la juger sans la connaître.
— Il dormait...
— Je sais. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai éloigné Bianca à midi.
Prise au dépourvu, Verity leva les yeux vers lui et vit qu'il la fixait
intensément.
Après avoir vérifié subrepticement l'état de son chignon, elle prit une
profonde inspiration, redressa fièrement les épaules et pénétra dans la salle
à manger.
À sa grande confusion, Verity découvrit une femme plus âgée que Vittore,
dont le visage bienveillant était parsemé de fines rides d'expression. Elle eut
aussitôt la certitude qu'il ne s'agissait pas d'une des maîtresses de Vittore.
Verity ne put retenir un sourire en voyant la tenue de l'inconnue. Avec sa
jupe orange et son caraco rouge, elle était pratiquement habillée comme
Verity ! Un sourire ravi se peignit également sur les traits de la femme
tandis qu'elle se levait pour lui souhaiter la bienvenue.
Sans savoir comment, Verity se retrouva l'instant d'après dans les bras de
l'inconnue qui la serrait affectueusement contre elle comme si elles étaient
les meilleures amies du monde.
— Il est aussi autoritaire que son père ! déclara-t-elle en prenant Verity par
le bras pour la conduire à table. Vous aimez les jardins ? continua-t-elle
lorsqu'elles se furent assises. Vittore a été conçu dans un jardin comme
celuici. Depuis cette époque, j'ai un faible pour ces arbres, et les étoiles
filantes... Et vous-même, quel type de jardin appréciez-vous ?
Cette fois, ce fut Maria qui, en apportant un plat de spaghetti aux fruits de
mer, empêcha Verity de parler. Lorsque la gouvernante eut rempli son
assiette, elle demanda :
Vittore depuis sa plus tendre enfance - leur mariage aurait scellé l'union de
deux empires industriels - mais Arturo est mort peu de temps avant la date
prévue pour leurs fiançailles. Deux mois plus tard, Vittore épousait votre
soeur... Je ne sais pas ce qui lui a pris, au demeurant..., ajouta-t-elle
ingénument. Ils n'avaient rien en commun !
Puis passant de nouveau du coq à l'âne, Honesty lui posa toutes sortes de
questions.
Selon toute apparence, il n'était pas très content des révélations de sa mère.
— J'ai cru comprendre que Bianca passait beaucoup de temps ici ? demanda
Verity.
Sans se laisser démonter par son ironie, Honesty lui répondit par un sourire.
Interloquée par ce qu'elle venait d'apprendre sur son compte, Verity le
dévisagea, incrédule. Elle ne parvenait pas à concevoir que Vittore ait pu
faire quelque chose d'aussi formidable. Toutes ses certitudes vacillaient : se
pouvait-il qu'en fin de compte, il ne soit pas le séducteur superficiel qu'elle
avait cru ?
— Je vois que nous nous entendrons bien ! déclara Honesty tandis que
Maria débarrassait les assiettes. Nous avons beaucoup de gouts en commun.
Et j'adore la couleur de vos cheveux. Ils sont vraiment magnifiques ! N'est-
ce pas Vittore ?
— Oui.
— Eh bien, c'est raté ! Elle est rouge comme une pivoine. Oh! Mon Dieu...
S'étant brusquement interrompue, elle se leva et jeta sa serviette sur la table.
— J'ai oublié d'arroser mes boutures ! Il faut absolument que je rentre chez
moi.
— Quoi ! s'exclama Vittore. C'est bien la peine de me faire une telle frayeur
! Je pensais que tu avais été piquée par une guêpe... Quant à tes boutures,
quelqu'un d'autre peut très bien s'en occuper.
la jeune femme. Vous, vous savez que les plantes sont comme les enfants...
qu'elles ont besoin d'attentions constantes. Sans s'arrêter de parler, elle se
dirigea vers la porte.
Vittore s'était levé et avait pris d'une main le plateau sur lequel étaient
posées deux tasses à expresso et une coupelle contenant des truffes au
chocolat.
Elle n'hésita qu'une fraction de seconde avant de prendre la main qu'il lui
tendait. Traversant lentement la pelouse, Verity songea que le ciel
ressemblait à un dais de velours parsemé d'étoiles scintillantes. Bientôt la
lune lui apparut à travers les arbres. Comme s'il était lui aussi ému par la
quiétude de cette nuit d'été, Vittore serra un peu plus sa main et Verity sentit
son coeur se gonfler d'émotion : elle avait l'impression qu'ils étaient
ensemble depuis toujours. C'était sans doute l'influence de ce cadre
romantique, se dit-elle. Ainsi que le plaisir de parler avec quelqu'un qui la
comprenait... À moins que ce ne soit plus prosaïquement l'effet des deux
verres de vin qu'elle avait bus ?
Vittore avait posé le plateau sur une petite table en fer forgé et lui tendit une
tasse de café. Verity la prit et huma avec délice l'odeur corsée qui s'en
dégageait, avant de boire une première gorgée. Lorsqu'elle releva la tête,
elle eut l'impression que Vittore s'était rapproché d'elle. À moins que ce ne
soit elle qui ait fait un pas vers lui ? Elle ne savait plus très bien...
— Je pourrais rester ici toute la nuit, murmura-t-il, mais il est tard... Après
le voyage et la journée que tu as passée à t'occuper de Leo, tu as besoin de
repos, sinon tu ne tiendras pas le coup bien longtemps. Verity était trop
étonnée pour protester et elle le suivit comme un automate à l'intérieur de la
maison. Au lieu de se réjouir qu'il ait su se montrer raisonnable, elle était
déçue qu'il n'ait pas insisté ! Curieuse réaction...
— Bonne nuit, répondit Verity d'une voix rauque avant de monter dans sa
chambre aussi rapidement que sa dignité lui permettait.
Une fois qu'elle eut refermé la porte, elle se déshabilla à la hâte, et sans
prendre la peine de mettre une chemise de nuit, se glissa dans son lit. La
fraîcheur des draps la rasséréna. Elle ne comprenait pas comment elle avait
pu être naïve au point de croire que Vittore la désirait. Pour lui, leur
complicité n'était qu'un moyen de gagner la confiance de Leo.
Furieuse de s'être laissée prendre au jeu, elle enfouit sa tête dans son
oreiller, et finit par sombrer dans un sommeil agité, peuplé d'images de
Vittore en train de lui faire l'amour.
Chapitre 8
Après une interminable douche froide, Vittore était enfin parvenu à calmer
le désir qui le consumait. Il prenait souvent des douches, ces temps-ci,
songea-t-il, désabusé.
Quand elle écarta le drap qui le couvrait, il était trop subjugué pour faire le
moindre geste. Il n'était même pas sûr d'être réveillé ! Pourtant, lorsqu'elle
s'assit à côté de lui et commença à le caresser voluptueusement, le frisson
délicieux qui le parcourut n'avait rien d'irréel !
D'abord, elle effleura son torse, avant de descendre vers son ventre où elle
s'attarda sur ses muscles tendus. Vittore ferma les yeux malgré lui. La voix
de la raison lui soufflait de faire cesser immédiatement cette torture, mais
quand elle entreprit de caresser doucement son sexe gonflé de désir, il ferma
les yeux. Il les rouvrit presque aussitôt. Car Verity se leva aussi
brusquement qu'elle était entrée, et quitta la chambre en trébuchant sur le
seuil. Un bruit sourd tira Vittore de son hébétude, et il se leva à son tour
pour l'empêcher de se blesser. Qui sait si elle n'allait pas tomber dans les
escaliers ?
Levant les bras, elle les noua autour de sa nuque, l'attirant contre son corps
nu. Sa tête tournait de plus en plus, mais cela ne le surprit pas : il ne l'avait
jamais désirée aussi ardemment qu'en cet instant.
Mais il se rendait compte lui-même que son refus sonnait plutôt comme une
supplique. Pour toute réponse, elle parsema son torse d'une pluie de baisers,
puis descendit vers son sexe dressé, sur lequel ses lèvres remplacèrent
bientôt ses mains.
Très doucement, elle le repoussa jusqu'à ce qu'il soit allongé sur le dos, dans
ce mouvement, son kimono s'ouvrit. S'allongeant sur lui, Verity s'empara de
ses lèvres et ils s'embrassèrent si longuement que Vittore eut l'impression
que leurs âmes communiquaient par ces baisers de plus en plus profonds.
Bientôt cependant, il oublia ses résolutions, et n'y tenant plus, il roula sur
lui-même, entraînant Verity avec lui. Lorsqu'il se trouva au-dessus d'elle, il
explora chaque parcelle de son corps avec ses lèvres, bien décidé à lui faire
perdre la tête.
— Oui !
Joignant le geste à la parole, Verity fit glisser ses mains le long du dos de
Vittore jusqu'à ses reins, et d'un geste sans équivoque, elle l'attira davantage
contre lui. Comment résister à cet appel ? se demanda Vittore tandis qu'il
venait se placer entre les cuisses de la jeune femme. Malgré la puissance de
son désir, il la pénétra pourtant très lentement, pour savourer chaque
seconde de cette intimité à laquelle il aspirait depuis si longtemps.
— Qu'est-ce que je dois faire ? chuchota Verity dans un souffle. J'ai envie
de bouger aussi... Mais je ne sais pas si... S'il te plaît, Vittore, apprends-moi.
— T'apprendre quoi... ?
Bon sang ! pensa-t-il en fermant les yeux. Malgré les mains fébriles de
Verity qui tentaient de le retenir, il s'arracha à leur étreinte et se laissa rouler
sur le côté. Étendu sur le ventre, il s'agrippa machinalement à des touffes
d'herbes, comme un noyé se rattachant à une planche de salut.
Quelques instants plus tard, il sentit la caresse de sa main si douce sur son
dos, ses fesses.
Ému par le ton inquiet de sa voix, il dut faire appel à toutes ses réserves de
volonté pour ne pas la reprendre dans ses bras et lui faire l'amour sur-le-
champ. D'un ton froid et impersonnel, il déclara :
— Je te raccompagne à ta chambre.
— Non.
Dans la pénombre, il vit que ses yeux se voilaient d'une brillance humide.
Pour toute réponse, il lui tendit la main pour l'aider à se relever. Puis il se
pencha pour ramasser le drap qu'il posa sur ses épaules. Quand elle fut enfin
couverte, il osa la regarder.
— Allons-y !
Vittore n'en croyait pas ses oreilles ! Comme il l'avait soupçonné, Verity
avait l'intention de rejeter l'entière responsabilité sur lui. Quel culot ! Mais
il n'allait pas se laisser faire.
— Bien sûr que si ! Tu es venue dans ma chambre, puis tu t'es assise sur
mon lit, entièrement nue.
— Je sais que tu mens ! Même en rêve, je n'aurais pas fait une chose
pareille ! Comment oses-tu suggérer...
— Tu vas peut-être prétendre que tu as encore eu une de tes crises de
somnambulisme ? l'interrompit-il sèchement.
— «Encore» ?
— Je me rendormais !
— Oui ! J'ai fini par me réveiller ! Mais cela n'empêche pas que tu as
profité de mon inexpérience...
— Parce que je n'ai pas plus confiance en toi que le contraire ! Je ne suis
pas aveugle : je sais que tu me désires. Tu veux peut-être préserver ta fierté
en inventant cette histoire de somnambulisme... Mais n'espère pas me la
faire avaler ! Moi aussi j'ai ma fierté, et je ne te laisserai pas dire que j'ai
profité de ton sommeil pour coucher avec toi !
Passant une main fébrile sur son front brûlant, elle hésitait à se rendormir,
de crainte d'avoir une nouvelle crise de somnambulisme. Elle ne
supporterait pas l'humiliation de se réveiller de nouveau nue dans les bras
de Vittore. Finalement, sentant qu'elle ne parviendrait pas à calmer son
agitation, elle sortit du lit, s'habilla rapidement et descendit sur la terrasse.
Comme elle l'avait espéré, l'air nocturne lui fit du bien et elle put enfin
envisager sa situation avec un semblant de sérénité.
Leo s'était habitué plus rapidement que prévu à son nouvel environnement,
dut-elle reconnaître. Mais il se montrait toujours distant avec son père.
Celui-ci avait compris qu'il l'amadouerait plus facilement si l'enfant sentait
une réelle complicité entre Verity et lui, et, en l'occurrence, quoi de plus
crédible que l'intimité de deux amants ?
Bien entendu, les arrière-pensées de Vittore n'excluaient pas qu'il lui porte
aussi un intérêt purement sexuel. La seule chose qui l'ait freiné dans ses
ardeurs était la pensée qu'elle puisse tomber enceinte, songea-t-elle en
pinçant les lèvres. Jusqu'à cet épisode, sa confiance était demeurée intacte,
d'après ses plans, Leo ne tarderait pas à se laisser approcher, lui faisant
gagner son pari.
— Papa.
N'en croyant pas ses oreilles, elle dévisagea le petit garçon sans pouvoir
faire un geste.
— Oui, c'est papa ! murmura-t-elle.
Quand il répéta encore une fois «papa» avec un sourire radieux, Verity crut
que son coeur allait se briser, mais elle aurait été incapable de dire si c'était
de tristesse ou de joie.
imaginer les cris d'excitation de Leo quand Vittore le porterait sur ses
épaules. Le souffle coupé, elle songea que son neveu deviendrait un
étranger pour elle, à qui elle rendrait visite une ou deux fois par an.
Ravalant des larmes de désespoir, elle se leva et se dirigea résolument vers
le bord de l'eau.
Il était assis dans un canapé, la tête entre les mains dans une attitude de
désarroi complet.
— Non.
Rapidement, elle le rejoignit, ses pieds nus ne faisant aucun bruit sur le
marbre. Une longue robe rouge couvrait son bikini blanc.
Très brièvement, elle vit l'éclat de ses prunelles sombres avant qu'il ne
baisse de nouveau les yeux.
— Je suis désolée, dit Verity en posant une main apaisante sur son épaule.
— Et Bianca ?
— Bianca m'a soutenue dans l'épreuve que j'ai traversée. C'est grâce à elle -
et à ma mère - que je n'ai pas perdu l'esprit. Oui, j'aime Bianca, mais
comme une soeur ! Et je n'ai jamais rien ressenti d'autre, même quand elle
me tenait dans ses bras pour me consoler de la disparition de mon fils.
— Non. Tout le monde pensait que nous allions finir par nous fiancer. Ce
n'est pas tout à fait pareil. Ni Bianca ni moi n'y avons jamais pensé.
Pourquoi penses-tu que tu me fais perdre la tête ? Je n'ai jamais désiré une
femme comme toi !
Abasourdie par cet aveu, Verity ne parvenait pas à le croire. C'était trop
invraisemblable !
À présent, Honesty ôtait les fleurs fanées d'une haie de rosiers, et Verity se
mit à l'imiter, profondément troublée par ces révélations.
qu'on supprime son enfant... Mais à partir de ce jour, sa vie a été un enfer.
Verity éprouva un haut-le-coeur en découvrant la perfidie de sa soeur. Linda
était une plus mauvaise mère encore que ce qu'elle avait soupçonné quand
elle avait découvert le petit Leo, apeuré et malingre. Mais Linda n'avait
peut-être pas menti sur toute la ligne, et Verity voulut s'en assurer.
Elle avait besoin d'en avoir la confirmation, même si une mère n'était peut-
être pas la personne la plus appropriée pour se renseigner dans ce domaine.
— Ça a dû être terrible pour votre fils, déclara Verity en posant une main
apaisante sur le bras tremblant d'Honesty.
— Surtout qu'il l'a appris de la manière la plus désagréable qui soit ! Leo
était tombé malade - rien de grave -, il a eu de la fièvre et Vittore est resté
près de lui toute la nuit. Le matin, Linda n'étant toujours pas rentrée à la
maison, il est parti à sa recherche. Il l'a retrouvée dans une chambre d'hôtel
avec un touriste aussi ivre qu'elle... Je vous passe les détails... Mais quand je
l'ai vu, il était blanc comme un linge. Le jour même, il a entamé une
procédure de divorce.
— Mais... Pourquoi Linda s'est-elle enfuie alors qu'elle pouvait obtenir la
moitié de sa fortune ? demanda Verity.
— Je n'en sais rien ! répondit Honesty. Tout ce que je sais, c'est que la
disparition soudaine de Leo a failli tuer mon fils !
Des larmes coulaient à présent sur les joues de Honesty, et c'est d'une voix
saccadée qu'elle continua :
présent que Leo est enfin revenu, c'est terrible de voir qu'il ne peut pas
l'approcher. Je ne peux plus supporter d'assister à ce spectacle, Verity... Je
n'en peux plus.
Bouleversée par les larmes de cette femme qui semblait si forte, Verity la
serra contre elle. Elle aussi pleurait à
— Aidez-le ! l'implora Honesty quand elle releva la tête. Leo et son père
ont besoin l'un de l'autre.
— Je sais.
Oh oui, elle le savait ! Le problème était qu'elle aussi avait besoin d'eux !
Une vibration contre sa hanche la fit soudain sursauter : le talkie-walkie
relié à la nursery qu'elle portait toujours sur elle l'avertit que Leo venait de
se réveiller.
— Je dois y aller.
— Bien sûr, dit Honesty. Faites ce que vous pouvez, je vous en prie.
— J'essaierai, promit Verity en posant un baiser sur la joue humide de sa
compagne. Lorsqu'elle eut sorti Leo de son lit, elle l'amena dans le jardin.
Tout en ressassant les paroles de Honesty dans son esprit, elle tentait de
dérider Leo qui se montrait particulièrement grognon. Une demi-heure plus
tard, Vittore apparut, affichant toujours un air morose. Leo lui jeta un bref
coup d'oeil avant de se précipiter dans les bras de Verity. Et le reste de la
journée se déroula à l'avenant. Leo fit deux crises de nerfs, se roula
plusieurs fois par terre dans des accès de rage, et le soir venu, Verity était
complètement épuisée. Durant tout ce temps, Vittore était resté en retrait et
n'avait pas prononcé une parole. Mais pour Verity, dont la sensibilité était
exacerbée, sa détresse était palpable.
— C'est une fête en son honneur ! rétorqua Vittore. Les villageois savent
qu'il a très peur des nouveaux visages. C'est justement pour cette raison
qu'ils ont organisé la fête ce soir. Ils se sont dit qu'il dormirait et qu'ils
pourraient le voir sans le perturber.
Verity devait avouer en son for intérieur qu'elle était touchée par la
délicatesse des villageois, pourtant elle ne pouvait se résoudre à prendre le
risque de terroriser Leo.
— Et s'il se réveille ?
— Alors, reste ici. Leo viendra avec moi, déclara-t-il sèchement avant de se
diriger vers la nursery.
Dans la nursery, elle prit une couverture dont elle enveloppa Leo qui
dormait paisiblement. Puis elle recommanda à Vittore de prendre le sac
avec les couches de rechange, au cas où. Lorsqu'il lui prit le bras pour
descendre les escaliers, son coeur battit plus vite, mais elle commençait à en
avoir l'habitude.
— Je voulais te prévenir que les villageois risquent d'être un peu sur leur
garde au début, dit-il.
— Ah bon ? Et pourquoi ?
— Non.
— Il faudra pourtant en passer par là, déclara Vittore. Si Leo voit que tu es
détendue avec les gens d'ici, ils lui feront moins peur... À moins, bien sûr,
que tu ne préfères le garder sous ton aile exclusivement.
— Tu sais bien que mon voeu le plus cher est qu'il soit à l'aise en
compagnie d'autres personnes que moi !
Ils étaient arrivés dans le hall, et Verity vit la lumière du lustre de cristal se
refléter dans les yeux bruns qui la fixaient avec une intensité dérangeante.
— Ne crois pas que ça me plaise plus qu'à toi, annonça-t-il. C'est pour les
villageois que je fais ça, pour leur montrer que l'héritier des Mantezzini est
revenu et qu'il va grandir ici.
Verity resta songeuse pendant que Vittore allait chercher la poussette. Elle
n'avait jamais vraiment pensé à tout ce que représentait l'héritage de Leo. Et
quand elle songeait à ce que serait la vie du petit garçon en Angleterre, un
frisson descendit le long de son dos. Avait-elle le droit de priver Leo de la
vie à laquelle sa naissance le destinait ?
Non. Et au contraire, elle ferait tout son possible pour que Leo se rapproche
de son père. Ce qui signifiait qu'elle allait être l'artisan de son propre
malheur : en fin de compte, elle perdrait Leo et Vittore. Luttant contre le
désespoir qui commençait à la gagner, Verity serra instinctivement Leo
contre elle. Chapitre 10
Lorsque Verity eut couché Leo dans le landau que Vittore était allé
chercher, Honesty se joignit à eux et ils se mirent en route. Le flot continu
de la conversation animée de la mère de Vittore les dispensa d'avoir à
parler. Maria les suivait à quelques pas, en compagnie d'un autre
domestique, tous les deux vêtus de leurs plus beaux habits. Aux abords du
village, Verity entendit la musique et des éclats de rire. Comme pour lui
insuffler du courage, Vittore posa un bras protecteur sur ses épaules.
— Ça va aller ? murmura-t-il.
Émue par sa sollicitude, elle songea que, pour un homme qui vivait une
situation personnelle très difficile, il déployait des trésors de compassion
pour les autres.
C'était déjà assez troublant qu'il la tienne par l'épaule, elle n'avait aucune
envie de danser cette valse langoureuse dans ses bras.
— Si !
— Mais, Leo...
— Tu ne crois pas si bien dire ! Je te préviens que tes pieds aussi vont
souffrir le martyre. Sa remarque le fit éclater de rire, et la chaleur de son
corps puissant se communiqua à Verity, qui parvint à se détendre un peu.
— Ferme les yeux, pense que tu fais ça pour la bonne cause, souffla-t-il
d'un ton moqueur.
— Bien sûr.
Avait-il deviné qu'elle était folle de lui ? se demanda alors Verity. Hélas,
elle ne gagnerait rien à l'aimer : il allait lui briser le coeur, voilà tout !
Flattée au fond d'elle-même d'avoir ainsi éveillé son désir, Verity parvint
cependant à prendre un ton détaché
La prenant par la main, Vittore la conduisit près de sa mère. Dès que Verity
s'approcha, plusieurs personnes se levèrent pour lui céder leur siège, et on
s'empressa de lui apporter un verre de citronnade. Tout le monde parlait à la
fois. Bercée par le flot incessant de paroles, elle observait la joyeuse
animation qui régnait sur la place avec curiosité. Les Italiens étaient des
gens merveilleusement gais et enthousiastes.
— La fête est très réussie, fit-elle remarquer à Honesty qui était assise à
côté d'elle. Selon son habitude, celle-ci était vêtue de façon non conformiste
et une fleur d'hibiscus orange ornait sa chevelure.
À son grand désespoir, elle se rendait compte qu'elle était de plus en plus
amoureuse de lui. Poussant un soupir, elle saisit la carafe de limoncello
pour se resservir un verre, quand Vittore lui saisit le bras.
— Mon Dieu !
— Je crois qu'il est temps que nous rentrions. La marche te fera du bien.
Viens, nous allons saluer tout le monde, puis nous reprendrons Leo.
Passant son bras autour de la taille de Verity, il l'entraîna avec lui. La jeune
femme ne s'était jamais sentie aussi entourée. Cet endroit était vraiment
idéal pour Leo, il y serait incontestablement l'objet de toutes les attentions.
Mais elle-même ne serait plus là... elle n'assisterait pas à l'épanouissement
du petit garçon au sein de cette communauté chaleureuse. Seigneur !
songea-t-elle en retenant des larmes amères, comme elle aurait voulu le voir
grandir.
— Ça ne va pas ?
Pour masquer son émotion, Verity répondit avec humour qu'elle n'avait
jamais été autant embrassée de toute sa vie.
— Même pas par ta mère ? demanda Vittore étonné.
— Par elle encore moins ! En fait, elle préférait Linda, elle ne me prenait
même pas dans ses bras pour me souhaiter bonne nuit !
Lâchant Verity, il alla saluer la jeune femme, ainsi que la ravissante blonde
qui l'accompagnait.
Pas étonnant, songea Verity avec amertume, il était bien trop occupé à
admirer son amie ! Mais elle se reprocha aussitôt sa mauvaise humeur. Que
reprochait-elle à Vittore, au fond ? D'être entouré d'une foule d'amis, d'être
trop parfait ? Comme si elle aurait préféré tomber amoureuse d'un homme
plus simple, moins spectaculaire.
— Moi aussi.
Tout en parlant, il la déposa sur son lit puis s'allongea à côté d'elle. Se
souvenant qu'il l'avait rejetée la dernière fois qu'ils s'étaient retrouvés dans
la même situation, Verity éprouva soudain un sentiment de panique.
Balbutiante, elle lui rappela qu'elle ne prenait aucun moyen de
contraception. Vittore la fit taire d'un léger baiser.
Elle sentait ses paupières s'alourdir, son corps tout entier s'alanguissait sous
la caresse brûlante des lèvres de Vittore. Une crainte lancinante la retint
cependant de s'abandonner complètement.
Quand l'extase la submergea enfin, elle crut qu'elle allait s'évanouir de joie.
Elle ne sut pas combien de temps elle était restée ainsi coupée de la réalité,
mais quand elle revint sur terre, elle réalisa que Vittore l'embrassait avec
une tendresse infinie.
— Prego.
Verity aurait voulu à son tour donner autant de plaisir à Vittore qu'elle en
avait reçu, mais elle craignait de se montrer maladroite. Avant qu'elle n'ait
pu entreprendre quoi que ce soit, cependant, Vittore coupa court à ses
tergiversations.
Surprise par ses propos incohérents, elle hocha néanmoins la tête en signe
d'affirmation. Elle sentait les larmes qui lui piquaient les yeux, et sa bouche
trembla sans qu'aucun son n'en puisse sortir.
— «Rester» ? répéta Verity qui n'était pas sûre d'avoir bien entendu. Tu
veux dire que je serai ta maîtresse ?
— Non.
Chapitre 11
Sans un mot, il obtempéra. Lorsqu'il eut refermé la porte derrière lui, Verity
resta de longues minutes immobile, les yeux perdus dans le vide, à ressasser
ce paradoxe : elle venait de refuser la proposition de mariage de l'homme
qu'elle aimait.
**
Vittore refusa d'abord le plan que Verity lui soumit, mais quand elle déclara
que c'était le seul moyen pour qu'elle puisse s'en aller au plus tôt, il finit par
l'accepter.
Vittore choisit le petit garçon d'un de ses amis anglais avec lequel il
s'entendait bien et qui jouait volontiers avec lui.
Le jour venu, Verity observait son neveu tandis que Vittore jouait à
«l'avion» avec le petit Max en le faisant tournoyer à bout de bras. Leo
mourait visiblement d'envie de faire de même. Il lui lança un regard auquel
elle répondit par un sourire encourageant, avant de regarder ostensiblement
Max et Vittore qui s'en donnaient à coeur joie. Quand Leo s'approcha
timidement, elle retint son souffle. Vittore arrêta progressivement de faire
tournoyer l'autre enfant, puis le posa par terre.
À cet instant, Vittore prit une profonde inspiration, puis il tendit les bras
pour inviter son fils à s'approcher davantage. Leo leva ses grands yeux vers
son père, il eut une seconde d'hésitation, mais l'envie de participer au jeu fut
plus forte et il se laissa à son tour balancer dans les airs en poussant des cris
de joie. Bouleversée par cette scène, Verity essuya subrepticement les
larmes qui l'aveuglaient. Elle ne resterait plus très longtemps à Amalfi,
songea-t-elle.
Quand «l'avion» ralentit, Vittore serra Leo dans ses bras, et cette fois, celui-
ci ne le repoussa pas. Préférant rester à l'écart de ces émouvantes
retrouvailles, Verity se contenta de les suivre du regard tandis qu'ils se
dirigeaient vers la balançoire en compagnie de Max.
Ça ne devait pas être facile pour Vittore de se consacrer aussi à Max, mais il
parvint à partager équitablement son attention entre les deux bambins. Le
coeur serré, Verity finit toutefois par rassembler assez de courage pour se
joindre à leur partie de cache-cache.
sans elle.
Il était temps qu'elle parte, songea Verity. Leo n'ayant plus besoin d'elle, le
mieux serait de disparaître rapidement, sans faire de vagues. Elle savait
qu'elle ne supporterait pas des adieux trop longs qui rendraient la séparation
encore plus pénible.
Le soir même, en plein milieu du dîner, elle prétexta une migraine pour
s'éclipser et aussitôt qu'elle fut dans sa chambre, elle commença à faire ses
valises.
Au fond de l'armoire, à l'endroit où elle les avait rangés, elle découvrit les
papiers de Linda que Vittore lui avait rendus.
Saisie d'une intuition subite, elle les parcourut jusqu'à ce qu'elle trouve une
enveloppe fermée. Après quelques secondes d'hésitation, elle l'ouvrit et
découvrit plusieurs petits cahiers. Il s'agissait du journal intime de Linda.
Avait-elle le droit de le lire ? se demanda-t-elle. Après un long moment
d'hésitation, elle ouvrit le premier carnet. Il lui apporterait peut-être la
réponse aux questions qu'elle se posait sur ce qu'avait été réellement la vie
conjugale de sa soeur.
Voyant son regard fixé sur ses valises, Verity comprit la cause de sa colère.
Après avoir passé en revue les étagères et le placard vides, il se tourna vers
elle, une expression dure sur son visage d'une pâleur inhabituelle.
— Et Leo ? Et ma mère ?
— Je t'accompagne.
Elle n'avait aucune envie de se retrouver en tête à tête avec lui durant le
long trajet vers l'aéroport. Vittore poussa un soupir et elle eut l'impression
qu'il était soudain extrêmement fatigué.
Vittore sembla choqué par l'indifférence avec laquelle elle avait prononcé
ces mots.
— Avant de partir, continua-t-elle, j'aimerais faire un tour dans le jardin. Tu
pourrais m'accompagner ? Il fait nuit et cela m'impressionne un peu.
— Vittore, murmura-t-elle, je sais qu'une jeune fille bien élevée ne doit pas
faire le premier pas, mais... À l'étonnement de Vittore, elle se rapprocha de
lui et tout en souriant, noua lentement les bras autour de ses épaules.
Vittore sentait sa tête qui tournait, et il balbutia, la voix brisée par l'émotion
:
— Mia adorata !
— Assez de paroles, déclara Verity en l'attirant avec elle sur l'herbe. Place
aux actes. Ils étaient allongés sous le mimosa et entre les branches, Verity
pouvait apercevoir la lune. Au moment où elle allait fermer les yeux pour
savourer la merveilleuse sensation d'intimité qui les enveloppait, une étoile
filante traversa le ciel.
Épilogue
Jetant un coup d'oeil sur sa droite, Verity constata avec satisfaction que la
grande tente dressée dans le jardin était invisible de la terrasse. Un sourire
étira ses lèvres quand elle entendit au milieu du brouhaha sa belle-mère
donner des instructions à tout le monde avec sa volubilité coutumière.
— Oh, Verity, tout va bien ? Les fleurs ont-elles été sorties ? Je pensais que
la table...
— Oui, Honesty ! C'est splendide ! répondit Verity qui avait compris depuis
des années que si on voulait placer un mot avec sa belle-mère, il ne fallait
pas hésiter à l'interrompre.
— Il n'a pas la moindre idée, la rassura Verity. Leo, caro, peux-tu indiquer
aux gens du village où ils peuvent s'installer en attendant l'arrivée de ton
père ?
Puis, apercevant sa soeur et son frère qui ne faisaient rien, il les appela
aussitôt pour qu'ils l'aident à recevoir les invités.
En suivant ses enfants du regard, Verity sentit son coeur se gonfler de fierté.
Leo, avec ses cheveux blonds ressemblait à un jeune dieu descendu tout
droit de l'Olympe. À seize ans, Isabella, grande et élancée, était sans doute
la plus jolie jeune fille de toute la côte amalfienne. Et enfin, Dante, âgé de
quinze ans seulement, qui avait hérité des traits et de la carrure de son père,
et dont la passion pour le jardinage faisait la joie de sa mère et de sa grand-
mère. Il avait même secondé Verity pour ses deux dernières réalisations
dans la région. La sonnerie annonçant l'arrivée de Vittore retentit, arrachant
Verity à sa contemplation. Le léger bourdonnement des conversations cessa
immédiatement, et tout le monde disparut comme par enchantement pour la
laisser accueillir seule son mari.
— C'est bizarre, fit remarquer Vittore, on dirait que des gens chantent...
Éclatant de rire, Verity s'éloigna pour laisser ses enfants et les autres invités
venir le féliciter. Discrètement, elle s'écarta de la foule exubérante et se
réfugia sous le mimosa à l'extrémité de la terrasse. Bercée par les
conversations animées et les rires, elle serra ses bras contre son corps,
comme pour se persuader que tout ceci n'était pas un rêve. Car elle était
immensément riche, et cela n'avait rien à voir avec la fortune de Vittore...
Son mari avait le pouvoir d'attirer l'amour et l'affection, et elle savourait
chaque jour la chance de faire partie de la vie de cet homme exceptionnel.