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D’émouvantes retrouvailles

Sara Wood

Chapitre 1

Après avoir raccroché le téléphone, Vittore Mantezzini resta un long


moment immobile. Peu à peu, cependant, la nouvelle imprégna son esprit
avant d'emplir son coeur d'une émotion qui submergea tout sur son passage.

— Leo ! murmura-t-il, émerveillé. Mon fils !

L'émotion cédant rapidement la place à un besoin d'action, il se leva pour


sortir du bureau et jeter à la cantonade des ordres brefs.

Moins d'une heure plus tard, sa valise était prête, son avion réservé et sa
Mercedes l'attendait dans la cour. Dévalant les larges marches du palazzo, il
ne put s'empêcher de penser qu'enfin son cauchemar prenait fin. D'un geste
de la main, il remercia le maître d'hôtel éberlué, avant de démarrer et de
lancer la voiture dans les ruelles sinueuses, sans un regard pour la
spectaculaire baie d'Amalfi qu'il laissait derrière lui. Comment allait-il
supporter ces heures qui le séparaient encore de son fils chéri ? Il avait
l'impression que s'il laissait libre cours à son soulagement, il allait exploser.
Il avait envie de crier, de rire, de pleurer... Leo était vivant !

Sans se soucier le moins du monde de son apparence, il passa une main


dans ses cheveux qu'il ébouriffa d'un geste. La seule chose qui comptait
était la certitude que son fils adoré l'attendait à Londres. Le miracle pour
lequel il avait désespérément prié durant ces longues nuits sans sommeil se
réalisait enfin. Pour combler le vide que la disparition de son fils avait
laissé dans son existence, Vittore s'était littéralement abruti de travail. Mais
même un emploi du temps surchargé n'avait pu l'empêcher de compter les
mois, les semaines, les heures... Cette tragédie personnelle l'avait
transformé en reclus. L'homme heureux de vivre, compagnon apprécié

de ses nombreux amis comme de sa famille, s'était transformé du jour au


lendemain en un bourreau de travail qui passait le plus clair de son temps au
bureau.
Mais à présent, c'était fini.., bientôt, il serrerait son fils dans ses bras ! La
vie reprenait ses droits, et le bonheur qui l'assaillait constituait une émotion
si violente pour son coeur sevré de tendresse qu'il en éprouvait presque de
la douleur. Après le coup de fil providentiel de ce matin, il s'était arrêté
quelques instants dans la nursery. Personne n'était entré dans la pièce depuis
un peu plus d'un an. Depuis ce jour où Linda, son épouse anglaise, s'était
évanouie dans la nature en emmenant leur fils alors âgé de trois mois. Rien
n'avait bougé. Des paniers en osier regorgeaient de jouets avec lesquels Leo
n'avait jamais joué, et le berceau où des générations de petits Mantezzini
avaient passé leurs premiers mois, était désespérément vide au milieu de la
pièce.

Après avoir jeté un coup d'oeil au rétroviseur, il s'assombrit en se rappelant


soudain les circonstances qui lui rendaient son fils.

Il venait en effet d'apprendre par un banquier anglais que sa femme était


décédée deux mois auparavant, et que ses créanciers comptaient sur lui pour
régler les nombreuses dettes qu'elle avait contractées. Le destin prenait
parfois un cours surprenant. Si Linda n'avait pas contrefait la signature de
Vittore pour obtenir sa caution financière, il n'aurait sans doute jamais
retrouvé son fils. Pauvre Linda... Ce n'était pas par grandeur d'âme qu'il lui
pardonnait, pourtant. Dieu sait s'il l'avait vouée aux gémonies pour lui avoir
fait vivre un tel enfer, mais à

présent qu'il allait retrouver son enfant, il ne put s'empêcher de la plaindre.


Quelle tragédie, mourir à trente ans à

peine !

Brusquement, une pensée terrifiante lui traversa l'esprit : et si Leo ne se


trouvait pas dans la maison londonienne ? À cette pensée, il serra les
mâchoires jusqu'à avoir mal. Dio ! En fait, il ne savait pas ce qui était
advenu de l'enfant à la mort de Linda. Certes, songea-t-il pour se rassurer,
elle était partie en lui dérobant assez d'argent pour vivre confortablement
pendant des années, et la seule vente des bijoux qu'elle avait volé à la mère
de Vittore lui aurait suffi à payer une nurse. Il connaissait trop son manque
total d'instinct maternel pour imaginer une seconde qu'elle se serait occupée
du bébé elle-même. Il était donc probable que le petit garçon était gardé par
une personne compétente, en attendant que sa famille vienne le chercher.

Son visage s'assombrit cependant davantage quand il évoqua une


éventualité plus terrible encore : et si Leo, que sa mère avait considéré dès
sa naissance comme un fardeau, avait été placé dans un foyer ?

Laissant exploser sa frustration, il donna un coup de poing rageur sur le


volant. Santo cielo ! Il devait à tout prix se maîtriser ! Ce n'était pas le
moment d'avoir un accident sur cette route sinueuse qui requérait une
extrême vigilance. Ses yeux brillaient de détermination : rien ni personne ne
l'arrêterait cette fois, et il mettrait tous les moyens en oeuvre - légaux ou
non - pour récupérer son fils.

**

Épuisée et le corps engourdi par les courbatures, Verity se pencha pour


déposer un baiser sur la joue de l'enfant endormi. Au contact de la peau à la
douceur veloutée, elle oublia instantanément les heures éprouvantes qu'elle
venait de passer et une vague d'amour et de compassion l'envahit.

Quelle journée exténuante ! Pourtant, maintenant qu'il dormait


paisiblement, il était difficile de croire que cet enfant magnifique en était la
cause, songea-t-elle en souriant faiblement.

Car malgré la fatigue, Verity devait reconnaître qu'elle n'avait jamais été
aussi heureuse de toute sa vie.

— Cher Leo, petit démon, murmura-t-elle affectueusement en caressant sa


joue d'un doigt léger. Bonne nuit, et fais de beaux rêves, fripouille.

Quand elle fut sortie de la chambre, la jeune femme dut s'arrêter un instant.
Elle avait la sensation qu'elle aurait été incapable du moindre effort, même
si sa vie en dépendait. Rien d'étonnant, à vrai dire, si on considérait que Leo
ne la lâchait pas d'une semelle aussitôt qu'il était réveillé. Elle ne pouvait
faire un mouvement sans qu'il ne s'accroche littéralement à sa jambe,
refusant de la laisser s'éloigner d'un pas sans lui. Et elle n'avait pas le coeur
de le repousser, comprenant trop bien son désarroi : sa mère, Linda, n'était-
elle pas morte depuis seulement deux mois ?

Machinalement, elle repensa à sa propre enfance et une expression de


tristesse se peignit sur ses traits lorsqu'elle se remémora ses parents adoptifs
qui étaient aujourd'hui décédés. Ils lui avaient toujours préféré la belle
Linda, et pour Verity, il n'avait pas été facile de vivre dans l'ombre de sa
soeur. Devenues adultes, elles s'étaient perdues de vue, et ces dix dernières
années elles n'avaient échangé que d'impersonnelles cartes de voeux. La
mort tragique de Linda n'en avait pas moins été un choc pour Verity.
D'autant plus que dans une lettre rédigée avant de mourir, sa soeur lui avait
demandé de s'occuper de son neveu. Pourtant, malgré les conséquences que
cette charge avait eu sur sa vie professionnelle, sociale, et même sur sa
santé, Verity ne regrettait rien. Dès l'instant où elle avait pris le petit
orphelin dans ses bras, des sentiments puissants et contradictoires s'étaient
emparés d'elle. En effet, si l'enfant négligée qui sommeillait en elle était
heureuse d'avoir quelqu'un à qui prodiguer les réserves d'amour qu'elle avait
emmagasinées depuis des années, les cris incessants du petit Leo lui
rappelaient qu'elle n'avait pas la moindre expérience des bébés. Mais son
instinct maternel avait bien vite étouffé ses doutes, et elle avait su qu'elle
était prête à tous les sacrifices pour son neveu. Il avait désespérément
besoin d'elle, bien plus en réalité, qu'elle n'avait besoin de lui.

Lentement, Verity descendit les marches et sortit de la maison pour se


diriger vers la piscine. Là, elle se laissa tomber avec un soupir de
soulagement dans une chaise longue. Massant ses muscles endoloris, elle se
demandait comment un si petit enfant pouvait demander tant d'énergie.
Deux pâquerettes tombant sur ses genoux lui arrachèrent un petit rire. Cet
après-midi, Leo avait cueilli par poignées les petites fleurs de la pelouse
pour en orner sa longue chevelure. Le souvenir de ce moment privilégié fit
oublier à Verity sa fatigue. Peu à peu, la tension de ses muscles se relâcha et
elle envisagea avec délice le bain chaud qu'elle allait se faire couler. En
attendant, elle voulait profiter du splendide coucher de soleil.

Elle se surprit à savourer une étrange sensation de plénitude, comme si


jusqu'à présent - et ce, malgré ses nombreux amis - son existence avait été
vide. Se pouvait-il qu'un si petit être puisse donner un sens nouveau à sa vie
?

Le père de Leo étant décédé lui aussi, elle allait surement adopter l'enfant.
Officiellement, elle serait bientôt sa mère.

— Mon fils, s'entraîna-t-elle à dire à mi-voix. Je m'appelle Verity, et voici


mon fils, Leo. Jamais mots n'avaient résonné plus agréablement à son
oreille ! Et elle ne pouvait rien imaginer de plus doux que le sourire d'un
enfant qui vous adorait. Sauf peut-être celui d'un homme amoureux... Mais,
à vrai dire, elle ne l'avait jamais constaté par elle-même, car à vingt-trois
ans, elle n'avait toujours pas rencontré l'âme soeur, malgré les efforts
répétés de ses amis qui lui présentaient régulièrement des célibataires dont
le coeur était à prendre. Par acquit de conscience, elle jeta un regard à
l'écran de surveillance vidéo relié à la nursery, disposé non loin de là. Leo
dormait toujours aussi paisiblement. Elle ne se faisait guère d'illusion, sa
situation financière ne lui permettrait pas de maintenir un tel train de vie
bien longtemps. Il faudrait renoncer au système de surveillance si
sophistiqué et si pratique, aux palmiers en pots et à la piscine. Si elle ne
reprenait pas rapidement son activité

d'horticultrice-paysagiste, son neveu et elle se retrouveraient à la rue.

Mais comment parviendrait-elle à travailler si Leo refusait de se séparer


d'elle ne serait-ce qu'une minute ?

Espérant chasser de son esprit cette question angoissante, elle se leva et


s'approcha de la piscine. Elle trempa un pied hésitant dans le bassin. La
température de l'eau était agréable et le soleil couchant qui baignait le ciel
de sa lumière orange invitait à la baignade, cependant elle était consciente
qu'elle n'était pas en état de nager ce soir. Lorsque l'interphone portable
attaché à sa ceinture sonna, elle sursauta malgré elle. Il était déjà 9 heures,
qui pouvait bien venir si tard ? Ne se sentant pas le courage d'accueillir
l'intrus, elle voulut ignorer la sonnerie. Mais son visiteur ne semblait pas
décidé à repartir. De guerre lasse, elle appuya sur le bouton qui la mettait en
relation avec l'interphone en étouffant un soupir excédé.

— Qui est-ce ? demanda-t-elle d'un ton maussade.


— Vittore Mantezzini, répondit une voix aux intonations étrangères et au
timbre profond. Verity mit quelques secondes à se souvenir des
circonstances dans lesquelles elle avait déjà entendu ce nom, et lorsqu'elle
se rendit compte de qui était son interlocuteur, elle s'écria, horrifiée :

— Vittore ? Mais... vous êtes mort !

Désorientée par cette nouvelle inattendue, la jeune femme fit un pas


chancelant en arrière. Durant une fraction de seconde, elle crut qu'elle
pourrait rétablir son équilibre... hélas, elle se sentit basculer dans la piscine.
Les jambes empêtrées dans sa longue robe blanche, elle se débattit quelques
minutes avant de parvenir enfin à se hisser hors de l'eau. Elle resta alors
allongée au bord du bassin, à tousser et à reprendre son souffle. Elle finit
cependant par entendre au loin une voix d'homme qui appelait. Le mari de
Linda, sans doute, ou plutôt son veuf, corrigea-t-elle. À moins que ce ne
soit un imposteur ?

Au fond d'elle-même, elle savait pourquoi elle était réticente à accepter la


réalité : s'il était bien celui qu'il prétendait, il avait sans doute appris la mort
de Linda, et cela ne signifiait qu'une chose : il venait réclamer Leo. À cette
pensée, elle fut saisie de vertige. On ne pouvait pas lui enlever Leo ! C'était
un enfant fragile et craintif, qui avait vécu une situation terrible, d'ailleurs, il
commençait à peine à se laisser apprivoiser. Frémissant d'appréhension, elle
devinait que les dernières volontés de Linda ne pèseraient pas lourd face à
la demande légitime d'un père qui voulait reprendre son fils. Pire, elle
réalisa qu'elle-même n'aurait probablement aucun droit de regard sur
l'avenir de l'enfant.

Chapitre 2

«Calme-toi !» se sermonna Verity. Il ne fallait surtout pas céder à la


panique. Ce n'était peut-être qu'un individu sans scrupules qui avait lu les
pages nécrologiques et espérait lui soutirer un peu d'argent. Dans ce cas,
elle allait le remettre vertement à sa place, ne serait-ce que pour lui faire
payer la frayeur qu'il lui avait causée !

Ayant recouvré sa contenance, elle se mit debout et voulut ouvrir le portail


avec la télécommande, mais son bain forcé avait endommagé l'appareil.
— J'arrive ! s'écria-t-elle.

Entravée dans ses mouvements par sa robe mouillée, elle se dirigea à


contrecoeur vers le portail monumental de la propriété.

S'il s'agissait vraiment de Vittore, miraculeusement ressuscité d'entre les


morts, elle n'avait d'autre choix que de protéger son neveu de ce père
indigne. Et aucune loi ne l'en empêcherait ! Elle se sentait responsable de
Leo. Elle n'allait certainement pas le remettre entre les mains d'un homme
volage qui avait ignoré son existence jusqu'à ce jour. Pire, on pouvait même
considérer qu'il était indirectement la cause de l'état de son fils : n'étaient-ce
pas ses infidélités qui avaient provoqué l'effondrement de son mariage et la
fuite de Linda ? Maintenant Leo était d'une fragilité

émotionnelle telle qu'il ne pouvait certainement pas être arraché à la seule


personne en qui il avait confiance, pour être emmené loin de chez lui dans
un pays dont il ne comprenait même pas la langue !

Ayant contourné la maison, Verity l'aperçut enfin. De grande taille et vêtu


d'un costume parfaitement coupé, il faisait les cent pas en exigeant de sa
voix de stentor que quelqu'un vienne ouvrir le portail immédiatement !

Ébahi par l'apparition soudaine d'une femme aux courbes voluptueuses,


dont les boucles sombres balayaient les épaules bronzées, Vittore laissa
retomber le doigt qui appuyait sur la sonnette et s'immobilisa brusquement.
À ce qu'il pouvait en juger, elle était furieuse. Et dans sa colère elle ne
semblait guère se soucier du fait qu'une bretelle de sa longue robe blanche
avait glissé, laissant deviner une poitrine à la rondeur exquise. Tandis
qu'elle se dirigeait vers lui à grandes enjambées, Vittore déglutit
péniblement. La robe trempée de la jeune femme soulignait les courbes de
son corps sculptural, lui faisant songer à une déesse antique descendue de
son piédestal. Ou plutôt à Vénus surgie des eaux ! Le plus déconcertant
cependant, était la réaction typiquement masculine de son propre corps...
aussi lui fallut-il quelques secondes pour recouvrer ses esprits.

— Laissez-moi entrer, ordonna-t-il sans s'embarrasser de formules de


politesse. Il était résolu à faire preuve d'autorité pour montrer qu'il ne se
laisserait pas facilement impressionner par la mauvaise humeur de la jeune
femme.

— Je suis Vittore Mantezzini et j'exige que vous ouvriez cette porte.

— Vraiment ? Avez-vous une preuve de votre identité ?

Vittore n'avait pas l'habitude qu'on lui résiste et ce contretemps qui retardait
ses retrouvailles avec son fils le mettait hors de lui. Néanmoins, il
obtempéra et sortit son passeport de la poche intérieure de sa veste en
cachemire et le tendit à l'inconnue sans mot dire. Son expression déterminée
et la lueur froide de ses yeux auraient fait reculer les plus courageux.

À travers la grille, Verity prit le document. Il n'y avait aucun doute possible,
pourtant elle ne put s'empêcher de protester faiblement :

— Je pensais que vous étiez mort...

«Touchez-moi, et vous verrez que je suis bien vivant», faillit répondre


Vittore à son propre étonnement. Heureusement, il se reprit à temps, non
sans, cependant, sentir une vague de chaleur parcourir son corps. Que se
passait-il ? Tout à coup, il avait l'impression de revivre, de retrouver sa
force. Depuis combien de temps n'avait-il pas apprécié la tiédeur d'une
soirée d'été, ou le charme d'une femme séduisante ? Et pourquoi se laissait-
il si facilement distraire de son but par un joli visage ? Joli, seulement ?
Non, beau ! Pour être honnête, il devait même convenir que la beauté de
l'inconnue était unique. À moins que, tout à la joie d'avoir retrouvé la trace
de son fils, il ne voie les choses sous un jour particulier ?

— Linda vous a dit que j'étais mort ?

— Oui, répondit la jeune femme, sans parvenir à cacher qu'elle aurait


préféré que ce soit le cas. Elle m’a annoncé la nouvelle l'été dernier, en
même temps qu'elle m'a prévenue qu'elle revenait vivre en Angleterre.

— Elle vous a menti, répliqua-t-il sèchement. Comme vous pouvez le


constater, je suis bel et bien vivant.
— Si j'avais su, marmonna-t-elle, je vous aurai écrit... Oh !... Vous savez
que Linda est... ?

— Morte ? Oui.

D'un geste impatient, il refusa les condoléances que l'inconnue lui


présentait, sans se soucier de l'expression scandalisée que son indifférence
avait provoquée chez elle.

— Je veux voir mon fils. Tout de suite, ajouta-t-il d'un ton irrité.

— Il n'en est pas question.

Le défiant de ses yeux violets étincelants, la jeune femme rejeta la tête en


arrière. Des gouttes d'eau s'échappèrent de sa chevelure et le regard de
Vittore fut attiré par des petites fleurs blanches qui constellaient la crinière
sombre. Des marguerites. Très bohème !

Assumant une pose guerrière, elle mit ses mains sur ses hanches.
Décidément, elle avait un corps superbe, ne put-il s'empêcher de remarquer.
En d'autres circonstances, ç'aurait été le corps de ses rêves. Mais pour
l'instant, il avait des préoccupations plus importantes.

— Pourquoi ? s'enquit-il d'une voix menaçante.

— Parce que c'est impossible !

Imaginant soudain le pire, Vittore retint son souffle. Se pourrait-il que son
fils ait de nouveau disparu ? Il devait en avoir le coeur net, car l'incertitude
le rendait fou.

— Où est Leo, bon sang ?

— Il dort ! déclara Verity d'un ton péremptoire.

Leo était ici ! Dieu merci ! songea Vittore en poussant un soupir de


soulagement. Pendant un moment, il fut trop ému pour parler. Mais son
cerveau tournait à plein régime : il devait à tout prix convaincre cette
femme de lui ouvrir la porte.
— Je me fiche bien qu'il soit réveillé ou endormi ! commença-t-il d'une
voix que l'émotion rendait moins assurée. C'est mon fils. Et vous n'avez pas
le droit de m'empêcher de le voir, alors, ouvrez immédiatement cette porte !

La jeune femme avait visiblement été ébranlée par cet éclat, ses épaules
s'affaissèrent légèrement, comme si elle admettait sa défaite. Encore
hésitante cependant, elle se mordit la lèvre avant de répondre :

— Attendez, je dois me sécher. Je suis complètement trempée.

— J'avais remarqué, marmonna Vittore.

Croyait-elle qu'il était aveugle ? L'espace d'un instant, pourtant, il oublia ses
propres préoccupations pour s'enquérir de ce qui s'était passé.

— J'ai entendu un cri, tout à l'heure...

— C'était moi. Imaginez ma stupeur quand j'ai entendu votre nom. J'en suis
tombée à la renverse dans la piscine. Et nager quand on est empêtrée dans
une robe longue n'est pas une mince affaire. Comme pour l'inviter à juger
par lui-même, elle écarta les bras. Vittore ne put alors s'empêcher de
remarquer que le vêtement collait telle une seconde peau à son corps
splendide. Pris soudain d'un léger vertige, il se passa une main dans les
cheveux. Il ressentait sans doute le contrecoup de sa journée harassante. Ce
ne pouvait quand même pas être la vision - certes spectaculaire - de cette
femme qui lui faisait tourner la tête ?

— J'avoue que je n'ai jamais essayé, mais je vous crois sur parole, répliqua-
t-il. Vous prétendez donc que c'est entièrement ma faute si vous êtes
mouillée ?

Il n'avait pas voulu se montrer aussi sardonique, et il le regretta quand elle


le fusilla de son regard myosotis. Malédiction ! Un seul regard suffisait à le
secouer au plus profond de lui-même ! Quoi d'étonnant ? Après tout, une
telle vitalité émanait de la jeune femme, et ses propres émotions étaient à
fleur de peau...
— Parfaitement, c'est votre faute ! Vous allez donc attendre gentiment ici, le
temps que je me change.

— Enfin, c'est ridicule, pourquoi ne me laissez-vous pas entrer ? s'écria-t-il,


indigné.

— Je n'ai pas le choix ! Je ne veux pas courir le risque que vous enleviez
Leo pendant que je serai en train de me changer.

— «Enlever» ? Comment pourrais-je enlever un enfant qui est le mien ?


demanda Vittore d'une voix glaciale.

— Le vôtre ? Oh, mon Dieu ! Comment vous expliquer... ? murmura-t-elle


comme si elle comprenait enfin la raison de sa présence. En fait, je ne
cherche qu'à protéger Leo...

— De son propre père ? coupa Vittore, incrédule.

— Oui ! Écoutez, laissez-moi me changer, je vous promets que je ne serai


pas longue...

— Quoi ? Attendez, qui êtes-vous exactement ?

— Je suis Verity Fox, la soeur de Linda, et la tutrice de Leo. Je vous en prie,


je n'en ai pas pour longtemps. Sur ces mots, elle fit volte-face avant de
relever son encombrante robe, révélant ainsi de longues jambes bronzées,
puis elle partit en courant.

Fasciné, Vittore la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière la


maison. À ce moment seulement, il se rendit compte qu'elle l'avait planté là.

— Revenez ! cria-t-il. Verity, revenez immédiatement !

Ses cris se perdirent dans le vide. Décidément, il jouait de malchance. Une


nourrice ou une baby-sitter aurait été

plus accommodante que cette créature obstinée... dotée d'un corps de rêve !
Maintenant qu'elle était partie, Vittore avait l'impression d'avoir subi le
passage d'un ouragan ! Trop de choses s'entrechoquaient dans son esprit :
l'effet stupéfiant que Verity provoquait en lui, ajouté à l'idée bouleversante
que son fils dormait à quelques mètres seulement de là...

Patience ! se dit-il. Que lui importait d'attendre quelques minutes, quelques


heures même, puisqu'au bout du compte il allait revoir Leo ? Peu à peu
cependant, ses pensées prirent un autre cours et à présent, il imaginait la
jeune femme en train d'ôter sa robe...

Per amor del cielo ! Que lui arrivait-il ? Comment pouvait-il se laisser
distraire en un moment pareil par des pensées lascives ? Il devait convenir
que Verity était très belle. Et que sa bouche semblait avoir été créée pour
embrasser. De plus, elle semblait sincèrement se préoccuper du bien-être de
son fils. À cette pensée, Vittore ne put retenir un sourire désabusé. Pas
étonnant qu'elle lui ait fait si forte impression, dans l'état de fébrilité où il se
trouvait ! Une fois qu'il aurait vu Leo, il reprendrait le contrôle de ses
émotions. Bon sang, il fallait qu'elle se dépêche ! Il avait encore des
bagages à faire, un avion à attraper, car il ne souhaitait qu'une chose,
ramener son enfant chez lui, en Italie.

Dans sa chambre, Verity se déshabillait tout en jetant des coups d'oeil


anxieux par la fenêtre. Vittore Mantezzini faisait les cent pas devant le
portail. Un instant, elle le vit lever les yeux sur la grille, comme s'il
envisageait de l'escalader, puis il sembla se raviser et reprit son va-et-vient.

Le coeur battant à tout rompre, elle songea que jamais cet homme
n'accepterait de repartir sans son fils, même si elle lui expliquait que
l'enfant avait désespérément besoin d'elle.

À l'idée de perdre Leo, elle fut saisie d'un moment de panique. Jamais elle
n'avait envisagé cette éventualité, sinon elle ne se serait pas aussi totalement
attachée à l'enfant. Et elle n'aurait pas laissé Leo dépendre autant d'elle. À

présent, comment allait-elle se remettre d'une pareille séparation ? Et Leo,


si fragile, s'en remettrait-il ?

Mon Dieu ! Quel dilemme ! D'autant plus que l'arrivée inattendue de Vittore
avait ébranlé ses certitudes. De toute évidence, Linda avait menti au sujet
de la mort de son mari. Pourquoi ? Qu'avait-il bien pu faire pour que sa
femme veuille définitivement couper les ponts avec lui ? Linda avait
évoqué la totale indifférence de son mari à son égard et ses infidélités
répétées...

Comme pour vérifier s'il s'agissait bien du même homme, Verity regarda de
nouveau par la fenêtre. Elle avait pu se rendre compte par elle-même du
charme sensuel de Vittore. À sa grande confusion, elle s'était sentie faiblir
sous l'intensité de son regard brûlant. Nul doute qu'il savait user du pouvoir
de ses yeux pour arriver à ses fins. Pourtant, plus que leur couleur d'un brun
profond, ce qui avait frappé Verity était la multitude de sentiments qu'elle y
avait lus : la colère, le désir... mais aussi la tendresse quand il prononçait le
nom de son fils... Il semblait résolu à récupérer Leo. Toutefois, Verity
n'arrivait pas à deviner quelle était sa motivation : s'agissait-il seulement
d'un désir tout masculin d'avoir un héritier mâle... ou aimait-il sincèrement
l'enfant ?

Les rares fois où elles s'étaient vues, Linda lui avait fièrement décrit la
fortune de son mari et leur train de vie fastueux. Verity savait que Vittore
dirigeait une entreprise de textile aux multiples filiales internationales. Au
demeurant, même si elle n'avait pas su qui il était, elle aurait deviné qu'il
devait être très riche, car la coupe parfaite de ses vêtements dénotait qu'ils
provenaient de chez un grand couturier. En outre, une évidente assurance
émanait de toute sa personne et l'on sentait que cet homme avait l'habitude
d'être obéi. Oui, il représentait sans conteste le séducteur italien dans toute
sa splendeur. Bien sûr, Verity reconnaissait que son charme ne devait rien à
son costume impeccable et à ses chaussures cousues main. Il était
objectivement d'une beauté à couper le souffle. Revenant à son neveu, elle
songea avec abattement qu'elle ne pourrait jamais lui offrir le niveau de vie
qu'il connaîtrait auprès de son père. Il ne faisait aucun doute qu'un jour Leo
reprendrait les rênes de l'entreprise. De quel droit le priverait-elle de ce
destin ?

Mais une petite voix lui soufflait une question insidieuse : en vivant avec
Vittore, son neveu serait-il entouré de tout l'amour dont il aurait besoin ?
Quelle femme jouerait le rôle d'une mère auprès du petit garçon ? Ne
risquait-il pas d'assister au défilé des innombrables maîtresses de Vittore ?
Hélas, elle ne voyait pas comment changer la donne. Elle ne pouvait tout de
même pas se barricader et soutenir un siège pour défendre les intérêts de
son neveu ! Il fallait être réaliste ! Sa seule chance était de convaincre
Vittore que Leo avait encore besoin d'elle pour le moment.

Sur le chemin de la salle de bains, elle s'arrêta dans la nursery, espérant que
la vue de l'enfant paisiblement endormi lui insufflerait assez de courage
pour affronter son père.

— Oh, Leo... Je t'aime tant ! chuchota-t-elle en se penchant sur le berceau.


Puis, craignant de ne pouvoir retenir les sanglots qui lui serraient la gorge,
elle sortit précipitamment de la pièce.

Après une douche rapide, elle enfila sa robe turquoise. Elle s'apprêtait à
mettre ses sandales quand le carillon du portail retentit furieusement.
Apparemment Vittore s'impatientait et semblait décidé à appuyer sur la
sonnerie jusqu'à

ce qu'elle lui ouvre, au risque de réveiller Leo ! Tant pis pour les chaussures
! songea-t-elle en dévalant l'escalier. Quand elle fut enfin parvenue à la
porte d'entrée, elle appuya sur la commande ouvrant le portail, non sans
maudire l'homme qui voulait lui enlever ce qu'elle avait de plus cher au
monde. Chapitre 3

— Entrez, murmura Verity lorsque Vittore eut gravi le perron.

S'abstenant de tout commentaire, il voulut immédiatement voir son fils.

— Ne le réveillez surtout pas ! implora Verity d'une voix tremblante.

À cet instant, les yeux bruns s'assombrirent et elle sentit l'effort


considérable qu'il fit pour se contrôler. Ses lèvres sensuelles se crispèrent de
colère contenue.

— Écoutez, fit-il, tout ce que je vous demande est de m'indiquer le chemin.


Il est à l'étage ?
Sans attendre sa réponse, il grimpa les marches quatre à quatre. Verity se
lança aussitôt à sa suite, et à l'instant où il arriva sur le palier, elle saisit le
bras de son beau-frère.

Elle regretta aussitôt ce geste impulsif et retira brusquement sa main.


Vittore cependant s'était arrêté et la toisait d'un regard impénétrable.

— Oui ?

Cet homme, décidément, avait un étrange pouvoir sur elle ! Comment


expliquer, sinon, que les intonations chaudes de sa voix résonnent comme
une caresse à ses oreilles ? Sans doute un effet de son léger accent italien...
Quand elle parvint à reprendre un peu ses esprits, ce fut d'une voix
essoufflée qu'elle murmura :

— Promettez-moi de ne pas le réveiller.

— D'accord, répondit-il après avoir longuement scruté le visage éploré levé


vers lui. Mais comprenez que j'aie envie de le regarder après tout ce temps.

— Vous ne l'emmènerez pas avec vous ?

— Bien sûr que si ! C'est pour cette raison que je suis venu !

— Vous voulez dire que vous allez le réveiller, le sortir de son lit puis
l'installer dans votre voiture et partir ?

s'écria-t-elle, horrifiée.

— Vous me prenez pour un sauvage ?

— Je n'en sais rien. Mais je dois avant tout penser à Leo. Je suis
responsable de lui.

— Légalement ? fit Vittore. Avez-vous des papiers qui le prouvent ? Un


acte notarié ?

— N... Non..., admit-elle piteusement.


— J'en conclus donc que vous n'avez aucun droit sur lui.

— Le droit ? Quelle importance...

— Détrompez-vous, objecta Vittore. Et maintenant, laissez-moi vous dire


quelque chose : j'en ai assez de votre agressivité et de votre suspicion à mon
égard. Je suppose que Linda vous a donné sa version des faits... à présent,
vous allez entendre la mienne.

— C'est inutile, je sais tout de vous !

— Non ! Vous n'avez entendu que des mensonges. Et vous allez m'écouter,
même si je dois pour cela vous attacher et vous bâillonner !

Jugeant plus prudent d'obtempérer, Verity recula d'un pas.

— Allez-y, je vous écoute.

Lentement, Vittore croisa les bras, sans se départir de son air furieux.
Curieusement cependant, Verity eut la nette impression que sa colère n'était
pas dirigée contre elle, c'était plutôt l'expression d'une souffrance longtemps
enfouie. Instinctivement, elle eut un élan de compassion qui n'échappa pas à
son interlocuteur. Il se radoucit aussitôt.

— Il y a quatorze mois, commença-t-il, Linda a enlevé Leo. Je n'ai rien vu


venir. Quand je suis parti travailler le matin, il était là, et quand je suis
rentré le soir, il avait disparu, ainsi que sa mère et toutes leurs affaires. Je
n'avais pas la moindre idée de l'endroit où ils pouvaient se trouver. Et
jusqu'à aujourd'hui, je ne savais même pas si mon fils était encore en vie.

— Ça dû être terrible ! Je ne sais pas comment vous avez pu surmonter une


telle épreuve. Si ce que vous dites est vrai...

— Bien sûr que c'est vrai ! s'exclama Vittore, outré qu'elle puisse mettre sa
parole en doute. Croyez-vous que j'éprouve un plaisir pervers à me rappeler
l'enfer que j'ai vécu à cause de votre soeur ?

— Je n'en sais rien ! répliqua Verity avec véhémence. Je nage en pleine


confusion et je ne sais plus qui croire. Pourquoi Linda aurait-elle fait une
chose aussi cruelle ?

— Elle voulait me faire souffrir, m'infliger un coup dont je ne me remettrai


pas... et elle a réussi.

— Elle devait vraiment vous haïr !

— Je n'ai plus envie de parler d'elle, coupa-t-il sèchement.

Ne sachant pas où elle mettait les pieds, Verity aurait préféré ne pas insister.
Il fallait cependant qu'elle éclaircisse cette histoire, sinon comment
pourrait-elle confier Leo à un homme dont l'attitude avait poussé Linda à un
acte aussi désespéré ? Relevant la tête, elle déclara :

— Vous ne ferez pas un pas de plus avant de m'avoir expliqué les raisons
qui ont pu motiver le geste de ma soeur.

— Verity, là n'est pas la question... Par ailleurs, j'ai beaucoup de mal à me


rappeler mes bonnes manières, alors je vous en prie, dites-moi où se trouve
Leo.

— Mais vous allez l'emmener avec vous !

— Évidemment ! s'enflamma Vittore. Depuis le jour où mon fils m'a été


enlevé, j'ai prié pour que ce moment arrive.

Verity ne pouvait ignorer les accents poignants qui imprégnaient ses


paroles. De quel droit l'empêcherait-elle de voir son fils ? Mais à la pensée
de perdre Leo, elle chancela et elle aurait sans doute trébuché si deux bras
puissants ne l'avaient aussitôt retenue.

— Verity, que vous arrive-t-il ? demanda-t-il, perplexe.

— J'ai peur... Leo n'est qu'un bébé, Vittore, et il sera terrorisé si vous
l'emmenez de cette façon. Vous devez comprendre que vos retrouvailles
risquent d'être différentes de ce que vous imaginiez.

— Que voulez-vous dire ? Est-il malade ? demanda-t-il, sans se rendre


compte que ses mains serraient les bras de la jeune femme.
— Non, non, il va très bien...

Verity ne put retenir une grimace de douleur.

— Vous me faites mal !

— Pardonnez-moi, je ne me rendais pas compte de ce que je faisais, dit-il


en relâchant aussitôt son étreinte. L'espace d'un instant, j'ai craint le pire...

D'un geste machinal, il frotta doucement l'endroit que ses mains avaient
meurtri, mais Verity sentait qu'il avait la tête ailleurs. Heureusement pour
elle ! Ainsi il n'avait pas pu remarquer le frisson qui l'avait parcourue. Mais
pourquoi fallait-il que ses nerfs la lâchent justement au moment où elle
aurait eu besoin de tout son sang-froid ? Si elle continuait à se conduire de
façon aussi incohérente, jamais il ne prendrait ses appréhensions au sérieux.
Il penserait qu'il avait affaire à une hystérique qui dramatisait inutilement la
situation.

— Vous n'avez aucune inquiétude à vous faire de ce point de vue, assura-t-


elle enfin. Votre fils est magnifique... allez le voir, et nous parlerons ensuite.

— D'accord. Nous parlerons, puisque vous semblez y tenir. Mais je n'aurai


pas beaucoup de temps à vous accorder, un avion m'attend.

Soulagée qu'il accède à sa demande, Verity ne se laissa pas décourager par


la détermination de Vittore. Tant qu'il n'était pas dans l'avion avec Leo, il
restait un espoir de lui faire entendre raison. Du menton, elle lui désigna la
nursery :

— C'est sa chambre, chuchota-t-elle.

Vittore hésita quelques secondes sur le pas de la porte. Verity l'observa


tandis qu'il se tenait dans l'entrebâillement, immobile comme une statue.
Seules ses mains tremblaient imperceptiblement, trahissant son émotion.
Enfin, il redressa les épaules et entra dans la chambre plongée dans la
pénombre pour s'approcher lentement du lit où dormait son fils.
— Leo ! Piccolino, papa est là ! chuchota-t-il. Mon Dieu... comme tu es
beau !

Une expression de pure béatitude se peignit sur ses traits à présent apaisés.
Timidement, il tendit la main pour toucher le bord du berceau. La tendresse
de cette scène émut Verity aux larmes. C'était la première fois que cet
homme voyait son fils depuis plus d'un an et il le contemplait comme s'il
voulait s'imprégner du moindre détail de ses traits, comme s'il craignait de
le perdre de nouveau. Le coeur de Verity se serra et les larmes lui montèrent
aux yeux, car en cet instant, elle eut l'intuition que Vittore aimait son fils de
toute son âme.

Elle avait voulu se convaincre que cet homme n'était qu'un séducteur
égocentrique n'ayant que faire d'un enfant... Mais si tel avait été le cas, il ne
serait jamais parti à la recherche de son fils et il ne serait pas non plus
tombé

sous le charme du petit garçon endormi.

Pourtant, il faudrait bien lui expliquer que Leo était encore beaucoup trop
fragile émotionnellement pour se passer d'elle.

Doucement, Vittore s'agenouilla devant le berceau, et posa une main légère


sur le petit poing qui dépassait de la couverture. Instinctivement, Leo saisit
le doigt de son père et le serra dans sa main. Lorsque Verity entendit le
soupir déchirant que poussa Vittore, elle dut admettre que ce spectacle était
la chose la plus touchante qui lui ait été donné

de voir. C'était plus qu'elle n'en pouvait supporter, aussi se retira-t-elle


silencieusement de la pièce.

— Il est encore plus beau que dans mes souvenirs... Et il a tellement grandi
!

La voix brisée par l'émotion, Vittore n'essayait même pas de cacher son
trouble quand il la rejoignit dans le couloir. En silence, ils descendirent
l'escalier. Une fois qu'ils furent dans le salon, elle demanda :
— Je vous sers quelque chose ?

— Un whisky, s'il vous plaît.

Verity remplit généreusement deux verres, et la main tremblante, en tendit


un à Vittore. Elle s'aperçut qu'il tremblait, lui aussi. Surprise, elle leva
finalement les yeux et aussitôt, elle se sentit fondre. Jamais elle n'avait vu
un homme arborer une expression aussi extatique. Son sourire radieux le
rendait... absolument irrésistible. Mais si, pour l'instant, il se trouvait au
paradis, elle allait devoir le ramener sur terre, ce qu'elle s'apprêtait à lui
révéler serait un coup terrible.

— Vous feriez mieux de vous asseoir, annonça-t-elle alors.

Toute trace d'hostilité disparue, Vittore semblait prêt à écouter poliment sa


belle-soeur. Tranquillement, il s'assit dans le canapé et croisa ses longues
jambes.

— Je suppose que c'est vous qui vous êtes occupée de Leo ? commença-t-il.
Je vous en serai éternellement reconnaissant. Et je vous dédommagerai
largement pour le mal que vous vous êtes donné.

— Je ne veux pas de votre argent l'interrompit Verity. Ni de votre gratitude.


À l'idée de perdre Leo, elle oubliait toute retenue. Elle aurait voulu crier
qu'il lui laisse plutôt Leo. Mais en son for intérieur, la voix de la raison lui
soufflait qu'il était normal et juste que le petit garçon parte avec son père.
Apparemment trop heureux pour céder à la colère, son compagnon haussa
les épaules.

— Que vous le vouliez ou non, je vous suis reconnaissant d'avoir pris soin
de mon fils, insista-t-il avec un sourire.

— Peut-être serez-vous moins reconnaissant une fois que vous aurez


entendu ce que j'ai à vous dire... Intrigué, Vittore pencha légèrement la tête
de côté.

— Vous êtes fâchée ?


Gênée, elle baissa les yeux.

— Disons plutôt que je suis inquiète.

— À cause de moi ?

— À cause de ce que vous allez faire. Vous ne pouvez pas partir avec lui.

— Ah oui ? demanda-t-il sans se départir de son calme, visiblement peu


impressionné par sa véhémence.

— Vous n'êtes pas la personne dont il a besoin ! continua-t-elle en le fixant


droit dans les yeux. Le silence qui suivit était si pesant que Verity crut que
les battements de son coeur étaient plus sonores que le tic-tac de l'horloge
du hall. Au bout d'une minute qui parut une éternité à la jeune femme,
Vittore prit la parole.

— Ah... Je serais curieux de savoir ce que Linda vous a raconté sur mon
compte.

— Vous l'avez trompée, lança Verity d'un ton accusateur. Plus d'une fois !
Et vous la négligiez, ainsi que Leo, préférant vous consacrer à vos
maîtresses, notamment une certaine Bianca... En bref, je sais quel genre de
père et de mari vous étiez.

— Je vois.

Il semblait abasourdi par ses accusations, mais nullement décidé à les


réfuter. À vrai dire, Verity ne s'y était pas attendu.

— C'est pour ces raisons que vous me jugez indigne de m'occuper de Leo ?

— Entre autres...

— Hmm. Apparemment, la liste des reproches est longue... Si nous


éclaircissions un peu la situation ? D'abord, j'aimerais savoir comment
Linda est morte.
Comme si cela l'intéressait réellement ! songea Verity avec amertume. Pas
étonnant qu'il ait poussé Linda à

bout. Avec un personnage aussi cynique, il était inutile de prendre des


gants. Aussi déclara-t-elle sèchement :

— Elle a fait une overdose.

La nouvelle prit Vittore au dépourvu. Verity n'eut que le temps de lire la


surprise dans son expression hagarde, avant de le voir prendre sa tête entre
ses mains. Enfin, il semblait éprouver un sentiment de culpabilité !

Elle retint à temps le geste impulsif de compassion qui faillit la pousser vers
son beau-frère. Il fallait qu'il se rende compte des conséquences
dramatiques de son comportement égoïste. Pourtant, malgré sa volonté de
se montrer ferme, elle ne put retenir le tremblement dans sa voix lorsqu'elle
reprit son récit.

— Elle a laissé une lettre.

— Qui disait... ?

Il avait relevé la tête et Verity sentit sa gorge se serrer en voyant le chagrin


qui ternissait son regard. Elle n'arrivait pas à s'expliquer pourquoi la douleur
muette de cet homme qu'elle méprisait la bouleversait autant.

— Pas grand-chose. Elle me demandait de prendre soin de Leo... En


résumé, elle n'en pouvait plus, et n'avait plus le courage de vivre.

— Je ne peux pas le croire ! s'exclama-t-il. Comment a-t-elle pu abandonner


ainsi son enfant ?

— Je n'en sais rien, répondit Verity avec honnêteté. Elle devait être au bout
du rouleau. Elle n'était pas parvenue à surmonter votre attitude
inqualifiable...

— Mon attitude ? Je vous rappelle que c'est elle qui m'a quitté, et ce un an
avant son suicide ! N'y aurait-il pas d'autres explications à son geste, d'après
vous ?
— Eh bien, elle était criblée de dettes, avoua-t-elle à contrecoeur. J'imagine
que ça n'a pas été facile pour elle. J'ai trouvé des dizaines de factures
impayées dans ses tiroirs : celle de l'institut de beauté, du masseur, du club
de gym... Et puis il y a le prêt pour la maison. Elle n'avait pas pu payer les
traites depuis quelques mois. Sa situation financière était vraiment
catastrophique.

— Elle aurait pu venir me demander de l'aide... mais cela l'aurait obligée à


me laisser voir mon fils, n'est-ce pas ?

Quel monstre ! songea Verity. En réalité, c'était lui qui, d'une certaine façon,
avait acculé sa femme à cette fin misérable !

— Vous n'avez même pas honte !

— Non !

— Au moins, vous ne vous en cachez pas. D'après moi, cela en dit long sur
votre compte et je ne crois pas que vous changerez de comportement de
sitôt... Voilà qui nous amène à Leo...

— Parlons-en, de Leo ! Où se trouvait-il quand Linda a fait son overdose ?


Sans doute livré à lui-même ?

— Non. Lorsqu'on a retrouvé Linda sans vie dans un pub voisin, Leo était à
la maison, gardé par une babysitter. Vous ne pensez pas qu'elle aurait laissé
son bébé tout seul, quand même ?

— Ça n'aurait pas été la première fois !

— Vous vous obstinez à vouloir faire endosser le mauvais rôle à Linda,


n'est-ce pas ?

— Poursuivez votre histoire...

Redressant fièrement le menton, Verity aperçut la lueur cynique qui brillait


dans le regard de Vittore. Elle ne se laissa pas démonter pour autant.
— La police a trouvé mes coordonnées dans l'agenda de Linda. Quand ils
m'ont appelée, j'entendais un enfant hurler et, réalisant que c'était Leo, je
suis immédiatement venue ici. Ça m'a pris des heures pour le calmer... Et je
ne l'ai plus quitté depuis.

— Il ne doit pas rester un instant de plus dans cet endroit chargé de mauvais
souvenirs, déclara Vittore, péremptoire.

— Je ne vous laisserai pas l'emmener ! protesta Verity énergiquement.

Une expression impitoyable se peignait à présent sur les traits de Vittore,


confirmant à la jeune femme qu'elle ne s'était pas trompée sur son compte :
sous son charme sensuel se cachait une volonté de fer.

— Essayez donc de m'en empêcher ! dit-il en se levant.

Il se dirigea vers la porte. Sous le choc, elle mit quelques secondes avant de
bondir à son tour de son siège afin de le rattraper avant qu'il ne sorte du
salon. Le dos appuyé contre le lourd battant d'acajou et les bras écartés, elle
lui barra le passage.

— Je vous en prie, écoutez-moi, supplia-t-elle. Vous devez savoir pourquoi


Leo ne peut pas partir. Son désespoir ne sembla pas l'émouvoir, et les yeux
qui se posèrent sur elle ne reflétaient qu'une froide colère.

— Ne m'obligez pas à vous brutaliser, Verity, menaça-t-il. Écartez-vous, ou


je vous jure que je risque d'oublier que vous êtes une femme. J'ai attendu ce
moment trop longtemps.

Sa voix s'était voilée et il termina sa phrase dans un murmure.

— Vous ne pouvez imaginer comme j'ai souffert de son absence, continua-t-


il après s'être éclairci la gorge. On dit que les hommes n'aiment pas aussi
viscéralement leur enfant que les femmes... Je vous assure que c'est faux. À

présent, laissez-moi passer.

Comme s'il voulait l'écarter, il attrapa ses bras. Dans un geste désespéré,
Verity saisit les revers de sa veste pour éviter qu'il ne la pousse. Les yeux de
Vittore lançaient des éclairs et elle sentit contre ses mains la chaleur qui
émanait de lui. Malgré le trouble qu'elle ressentait au contact des muscles
tendus de son torse viril, elle avait décidé de s'accrocher à lui jusqu'à ce
qu'il l'écoute.

— Attendez, Vittore, Leo ne va pas bien !

— Il y a quelques minutes encore vous m'affirmiez le contraire !

— Son mal n'est pas physique, mais émotionnel. Il souffre d'anxiété. C'est
sérieux.

— Expliquez-vous.

Dieu merci, il la croyait ! se dit-elle tandis qu'elle laissait glisser ses mains
le long de sa poitrine et reculait d'un pas. Il allait l'écouter, et parce qu'il
aimait Leo, il ne le laisserait pas souffrir.

— Pouvons-nous nous asseoir ? demanda-t-elle d'une petite voix. Je suis si


fatiguée que je tiens à peine debout.

— D'accord.

Passant une main sous le bras de Verity, il la conduisit vers le sofa, où il


s'assit à son tour. La jeune femme ramena ses jambes sous elle, puis reprit
son verre de whisky sur la table basse et but une gorgée avant de
commencer.

— J'ignore ce qui s'est passé avant la mort de Linda, dit-elle, la voix


légèrement tremblante. Peut-être que Leo était complètement normal, peut-
être pas... Je n'ai trouvé personne dans le voisinage qui a pu me renseigner.

— Pas même la baby-sitter ? suggéra Vittore.

— C'était la première fois qu'elle venait et il dormait déjà quand elle est
arrivée. Quoi qu'il en soit, Leo a des problèmes. Vous devez comprendre,
Vittore, qu'il est pratiquement toujours accroché à moi. Quand il se sent en
sécurité, il accepte de me lâcher pour jouer à quelques pas de moi, mais les
inconnus lui font peur et je ne peux m'éloigner de quelques mètres sans qu'il
me suive.

— Que se passe-t-il quand il vous perd de vue ?

— Il hurle.

— C'est tout ? s'exclama Vittore.

Il secoua la tête, son expression laissant clairement comprendre qu'elle ne


savait pas comment s'y prendre avec les enfants.

— Quand un enfant fait un caprice, le meilleur moyen de lui faire entendre


raison est de ne pas lui céder !

— Il ne s'agit pas de caprices ! Vous vous en rendrez compte quand vous


l'entendrez. Il est terrorisé ! Chaque fois, ça me fend le coeur. Oh, je sais
que cela ne vous fait pas plaisir, et je suis désolée d'anéantir vos espoirs,
mais je suis persuadée que Leo sera extrêmement malheureux si je disparais
de son existence du jour au lendemain. Il a déjà

connu assez de chamboulements dans sa courte vie. Et lorsque Linda est


morte, il a perdu la seule personne qu'il connaissait réellement.

— Quel gâchis !

— Oui. Je suppose que si vous aviez été là, c'est à vous qu'il se serait
accroché. Mais vous étiez absent. Et le fait est que vous ne pouvez pas
l'emmener tant qu'il se trouvera dans cet état, ce serait trop cruel. À son
étonnement, un sourire éclaira le visage de Vittore.

— Vous savez, en général, je m'entends très bien avec les enfants. Je pense
qu'après une heure ou deux avec moi, Leo sera complètement rassuré.
Toutefois, pour vous faire plaisir, j'accepte d'attendre demain pour partir. Je
resterai ici cette nuit, cependant, car moi non plus, je ne veux pas courir le
risque que vous l'enleviez sous mon nez.

— Jamais je ne ferais une chose pareille ! protesta Verity.


— Ah oui ? Vous me semblez pourtant très impulsive, et surtout très
déterminée à m'empêcher de renouer avec mon fils. De plus, puis-je vous
rappeler que je suis ici chez moi ? Car en fin de compte, c'est moi qui vais
payer cette maison. C'est vous qui êtes mon invitée ! Demain matin vous
ferez les bagages de Leo, et après que j'aurai joué un petit moment avec lui,
je l'emmènerai en Italie avec moi. Par la même occasion, je vous
demanderai également de préparer les papiers de Linda afin que je puisse
régler ses affaires.

— Et s'il ne joue pas avec vous ?

— Nous partirons, un point c'est tout !

— Mais vous ne pouvez pas... ! s'exclama Verity, horrifiée. Si vous allez en


Italie, je ne le verrai plus jamais !

Elle s'imaginait déjà le petit garçon pleurant en vain, alors qu'elle se


trouverait à des milliers de kilomètres... À

cette idée, elle sentit un profond désespoir s'abattre sur elle.

Apparemment touché par son désarroi, Vittore entreprit de la rassurer.

— Ce n'est pas si loin, et vous pourrez lui rendre visite, dit-il doucement.
Vous êtes sa tante, et nous vous accueillerons toujours avec plaisir.
D'ailleurs, je suis sûr que ma mère sera ravie de vous rencontrer. Tapotant
son bras d'un geste compatissant, il continua :

— Dès demain, vous pourrez reprendre une vie normale. J'imagine que
vous avez mis toutes vos activités en veilleuse depuis deux mois.

Verity était bien trop abasourdie pour pouvoir protester. Dans les yeux
qu'elle leva vers lui, il vit briller des larmes qu'elle ne parvenait plus à
retenir.

— Ne pleurez pas, je vous en prie.

— Je ne pleure pas ! s'écria-t-elle sans souci de logique.


— Je comprends que ce soit difficile pour vous, murmura-t-il d'une voix
apaisante. Vous vous êtes occupée de lui pendant plusieurs semaines, et
vous vous êtes attachée à lui...

— «Attachée»... le mot est faible !

Elle sentit Vittore se raidir, puis continuer d'une voix impersonnelle qui ne
souffrait pas de réplique.

— À présent, excusez-moi, je vais chercher mon sac dans la voiture.

Sur ces mots, il se leva et se dirigea résolument vers la porte.

Laissant libre cours à sa détresse, Verity éclata en sanglots déchirants, qui


redoublaient chaque fois qu'elle repensait à la solitude dans laquelle son
neveu serait bientôt plongé.

Dans quelques heures, la lumière de sa vie serait partie. Elle s'imaginait très
nettement la scène qui aurait lieu le lendemain : Leo hurlant tandis qu'on les
séparait, son petit visage crispé et terrifié... Pourvu qu'il ne subisse pas un
choc émotionnel irréparable !

Chapitre 4

Dans un état euphorique, Vittore se déshabilla pour prendre une douche


rapide avant de se glisser entre les draps du lit de repos dans la chambre de
Leo. Pendant un long moment, il contempla son fils endormi.

— Dors, mon trésor, chuchota-t-il. À partir de maintenant, nous ne nous


quitterons plus. Leo avait besoin d'affection et de stabilité, et il les
trouverait auprès de lui, quoi qu'en pense Verity. Celle-ci, malgré ses
bonnes intentions, n'était pas la personne qui convenait pour s'occuper de
son neveu. Vittore avait remarqué qu'elle ne portait pas d'alliance, et il en
avait déduit qu'elle était célibataire. Elle ne s'était sans doute jamais
occupée d'un petit enfant auparavant.

— À demain, fiston, murmura-t-il encore avant de fermer les yeux.


Il ne parvint cependant pas à trouver le sommeil. La chaleur étouffante de la
nuit d'été était sans doute pour beaucoup dans son insomnie, sans parler de
la journée riche en événements qu'il venait de vivre... Quoi qu'il en soit, il
se retournait dans son lit, son esprit battant la campagne.

Il imaginait l'expression de sa mère quand il arriverait avec Leo.


Progressivement cependant, cette image s'estompa pour laisser la place au
visage passionné de la jeune femme qui avait juré de lui mettre des bâtons
dans les roues : Verity.

Aussi, quelle ne fut pas sa surprise quand, quelques minutes plus tard, un
bruit le tira de sa torpeur et, qu'ouvrant les yeux, il la vit devant lui.

Le souffle court, il s'assit dans son lit, mais quelque chose d'insolite dans les
mouvements de la jeune femme l'empêcha de lui parler.

Vêtue d'une chemise de nuit en mousseline de coton blanche qui dévoilait


ses épaules et la naissance de ses seins, elle se dirigeait lentement vers le
berceau. Pas une fois elle ne jeta un regard dans la direction de Vittore. Elle
ne pouvait pourtant ignorer sa présence, car une veilleuse éclairait
faiblement la pièce. À voir ses joues brillantes, il devina qu'elle avait pleuré.
Un sanglot s'échappa d'ailleurs de ses lèvres tremblantes.

Que faisait-elle dans cette chambre ? Était-elle venue plaider sa cause ? Ne


se rendait-elle pas compte que, vêtue de cette chemise de nuit presque
transparente, elle jouait avec le feu ? À moins, bien sûr, que ce ne soit
intentionnel ?

— Verity...

Il ne parvint pas davantage à attirer son attention.

Quand la jeune femme se roula en boule par terre à côté du berceau, comme
si elle allait dormir là, Vittore crut comprendre la raison de sa venue : elle
voulait veiller sur Leo. Se méfiait-elle à ce point de lui ?

Fasciné, il promena son regard sur le corps étendu à même le sol : la douce
courbe de son bras, sur lequel retombait sa chevelure luxuriante l'émut
profondément. La ligne de ses cuisses fuselées, en revanche provoqua en lui
une réaction sans équivoque, et qui n'avait rien à voir avec la tendresse.

Bon sang ! À quoi jouait-elle ? se demanda Vittore en contemplant le relief


vallonné de ses deux seins. Il prononça encore deux fois son nom, sans plus
de succès. Aux mouvements réguliers qui soulevaient sa poitrine, il comprit
qu'elle dormait profondément.

À court d'hypothèses pour expliquer ce curieux manège, Vittore ne put


résister plus longtemps, sortant de son lit, il s'approcha d'elle, le coeur
battant et le corps brûlant de désir.

— Verity, murmura-t-il en effleurant son visage d'une caresse.

Voyant qu'elle ne réagissait toujours pas, il s'enhardit et dessina du bout de


l'index la courbe de ses lèvres humides. Portant son doigt à sa bouche, il
sentit sur ses propres lèvres le goût salé des larmes. Lorsqu'il effleura le
bras, puis la main de la belle endormie, il sentit un pouls régulier battre sous
la peau douce du poignet.

Elle ne feignait pas le sommeil... Elle devait être somnambule, pensa


Vittore tandis qu'une vague de tendresse l'envahissait.

Il retourna prendre son oreiller et la courtepointe au pied de son lit pour


installer la jeune femme plus confortablement. Ce faisant, il caressa
délicatement son bras, savourant ce contact soyeux... Un sentiment
extraordinaire s'empara alors de lui, mêlant son exaltation au désir brut qui
faisait bouillir son sang dans ses veines. Étouffant un juron, il parvint à
réfréner l'impulsion qui le poussait à la prendre dans ses bras pour la couvrir
de baisers, avant de lui faire l'amour toute la nuit.

Malgré son trouble, il se recoucha donc sagement. Dans l'espoir de se


changer les idées, il énuméra mentalement le cours de ses actions en bourse,
puis chercha à se rappeler les formules mathématiques qu'il avait apprises
au collège. Bercé par les chiffres, il finit par sombrer dans le sommeil.
Quand il se réveilla le lendemain matin, il lui fallut quelques secondes pour
se souvenir de l'endroit où il se trouvait. Un coup d'oeil à sa montre lui
apprit qu'il était 6h30.
Roulant sur lui-même, il s'attendait à trouver Verity auprès du berceau...
Hélas, elle avait disparu et le lit de son fils était vide.

— Bon sang ! s'exclama-t-il.

En une fraction de seconde, il fut debout. Après avoir rapidement enfilé un


caleçon, il se rua hors de la chambre.

Dans le couloir, il avisa la chambre en face de la nursery et s'y précipita.


Comme l'indiquait la chemise de nuit négligemment jetée sur le lit défait,
c'était ici que dormait Verity. Parcourant la pièce du regard, il s'aperçut
soudain du désordre indescriptible qui y régnait. Mon Dieu ! songea-t-il
tandis qu'une sueur froide descendait le long de sa nuque. On aurait dit que
la jeune femme avait éparpillé ses affaires dans toute la pièce, comme si...
elle avait précipitamment fait ses bagages !

Le cauchemar n'allait pas se répéter, tout de même ? se dit-il en essayant de


se convaincre qu'elle n'avait pas pu partir avec Leo. Dévalant les marches
quatre à quatre, il arriva au rez-de-chaussée en quelques secondes. La
panique lui donnait des ailes et sa voix était chargée de désespoir quand il
cria :

— Verity !

— Qu'est-ce qui se passe ?

En entendant la voix de la jeune femme, son soulagement fut tel qu'il crut
que son coeur allait s'arrêter de battre. Il était cependant encore tellement
bouleversé par la succession d'émotions qu'il venait d'éprouver en si peu de
temps, qu'il dut s'appuyer contre une colonne du hall pour reprendre
complètement ses esprits. Levant les yeux, il aperçut Verity qui se tenait
devant ce qui semblait être la porte de la cuisine. Elle aussi paraissait
troublée, et Vittore se rappela soudain qu'il ne portait que son caleçon. La
vue de sa quasi-nudité la laissait apparemment sans voix et il dut s'avouer
que son désarroi lui donnait encore plus de charme. Soudain, un sanglot
étouffé attira son attention vers Leo, qui se cachait derrière Verity. Avec un
pincement de tendresse et de bonheur, il aperçut son fils dont les yeux d'un
bleu profond brillaient de larmes.
— Ce n'est rien, chéri, murmura Verity d'une voix très douce, en caressant
tendrement la chevelure blonde de l'enfant. Ce n'est qu'un petit raffut de
rien du tout... On pensait que c'était un gros nounours qui venait déjeuner
avec nous, n'est-ce pas ? Et on a bien ri !

Leo fit clairement comprendre par sa mimique qu'il n'appréciait pas cette
intrusion. Vittore fut néanmoins reconnaissant à Verity d'avoir essayé de
dérider le petit garçon.

— Je pensais que vous l'aviez enlevé, expliqua-t-il, encore haletant.

Indignée, elle le fusilla du regard.

— Jamais je n'aurais fait une chose pareille, vous aviez ma parole, répliqua-
t-elle à mi-voix en se gardant de laisser transparaître sa colère.

— Pardon, mais comme votre chambre ressemblait à un champ de bataille,


j'ai cru que vous aviez fait vos valises.

— Je suis désordonnée par nature, et en ce moment, je n'ai pas le temps de


ranger, répondit-elle sèchement avant de continuer d'un ton accusateur :
comment avez-vous pu vous conduire ainsi, Vittore ? Vous l'avez
bouleversé. C'est comme ça que vous comptez me convaincre que vous
saurez vous y prendre avec lui ?

Tout en parlant, elle avait pris Leo dans ses bras pour le bercer doucement.
Puis elle retourna dans la cuisine et Vittore put l'entendre chantonner une
comptine à mi-voix. Visiblement rassuré, Leo laissa échapper un petit rire
ravi. C'était son fils ! se dit Vittore. Il aurait voulu l'embrasser, mais il avait
tout gâché par sa maladresse. Commençant à comprendre que les choses se
révéleraient plus difficiles que prévues, il entra à son tour dans la cuisine.

Verity tentait, par son entrain, de chasser l'angoisse de l'enfant et Vittore dut
se contenter de les observer avec envie.

Verity ne pouvait croire que Vittore se soit montré aussi maladroit ! Il avait
lui-même ruiné toutes ses chances de renouer connaissance avec son fils
dans des conditions favorables. Ses craintes avaient été confirmées : il
n'avait aucune idée des difficultés qui l'attendaient.

— Vous avez bien dormi ? lui demanda-t-il d'un ton détaché.

Surprise par sa question, elle cligna des yeux. En fait sa nuit avait été plutôt
mauvaise, hantée par des rêves bizarres, et elle s'était réveillée tout
endolorie, avec l'impression d'avoir dormi sur du béton... Mais cela ne le
regardait pas. Aussi se contenta-t-elle de hocher la tête avant de reporter son
attention sur le petit garçon.

— Alors, mon chéri, que dirais-tu si nous prenions notre petit déjeuner,
maintenant ? demanda-t-elle au bambin. Tu vas t'asseoir bien sagement
dans ta chaise... Je resterai près de toi, tu vois ? Voilà, ça c'est un gentil
garçon... Et on va manger ensemble, d'accord ? Une cuillère pour toi, une
cuillère pour moi... Ensuite, sur le même ton enjoué, elle s'adressa à Vittore.

— Asseyez-vous.

Puis, comme si elle avait soudain compris qu'elle ne parviendrait pas à


déjeuner en face d'un homme à moitié

nu, elle reprit :

— Ou plutôt, non. Allez d'abord vous habiller.

Non sans pousser un soupir exaspéré, Vittore quitta la pièce tandis que Leo
le suivait d'un regard curieux, bien qu'inquiet.

Quand ils se retrouvèrent seuls, Verity redoubla d'enjouement, et grâce à


son enthousiasme, elle parvint à faire avaler au petit garçon une bonne
partie de son déjeuner avant le retour de son père. Heureusement, car dès
que l'enfant aperçut de nouveau Vittore, il commença à geindre et à tendre
les bras vers elle. Pour éviter qu'il ne se mette vraiment à crier, elle le prit
sur ses genoux et lui tendit son gobelet afin qu'il puisse boire. Levant à son
tour les yeux vers Vittore, elle eut l'impression de recevoir une décharge
électrique. Pourtant, il était simplement assis en face d'elle et regardait son
fils. Mais il était splendide, sa peau mate fraîchement rasée mettait ses yeux
bruns en valeur et tout son visage semblait rayonner. Verity eut néanmoins
le sentiment que ce qui la bouleversait si profondément n'avait rien à voir
avec son physique. Quelle ironie du destin ! C'était la première fois qu'un
homme l'attirait à ce point, et il fallait que ce soit celui qui voulait la séparer
de Leo !

À présent, il plongeait ses yeux sombres dans les siens, et lui aussi semblait
s'étonner du courant puissant qui passait entre eux. Verity doutait cependant
que son esprit fut aussi chamboulé que le sien... Ce fut lui pourtant qui
baissa les paupières le premier.

Elle le vit prendre une profonde inspiration avant de se tourner vers son fils.

— Ciao bambino ! dit-il tout doucement.

Troublée par la tendresse qui se lisait sur le visage de Vittore, Verity eut un
pincement au coeur quand Leo, effrayé par son père, se mit à pleurer en
cachant son visage contre sa poitrine. Machinalement, elle caressa la petite
tête blonde et tenta de le réconforter :

— C'est papa ! Bonjour papa ! dit-elle.

Puis, elle essaya de l'écarter un peu, mais aussitôt il s'accrocha


frénétiquement à elle, tirant sur la bretelle de sa robe.

— Posez-le ! ordonna alors Vittore.

Sans le quitter des yeux, Verity serra un peu plus l'enfant contre elle et
commença à le bercer. Quand il se fut calmé, elle s'adressa à son père :

— Si je l'avais posé, il se serait mis aussitôt à hurler tout en rampant jusqu'à


ce qu'il puisse s'agripper à moi de nouveau. Vous pouvez me croire, c'est un
spectacle qui vous serre le coeur. Contrairement à ce que vous semblez
penser, Leo n'est pas un enfant capricieux, il est profondément anxieux et il
a besoin d'amour. Pas d'une éducation stricte.

Voyant Vittore serrer les lèvres, Verity éprouva un élan de sympathie pour
lui. Ça devait être terrible d'être considéré comme un étranger par son
propre enfant.

— Les choses ne se passent pas comme je l'avais prévu, avoua-t-il d'une


voix brisée.

— Je vous avais prévenu. Vous n'allez pas l'emmener tant qu'il sera comme
ça, n'est-ce pas ?

— Non... Pourrais-je prendre un peu de café ?

— Bien sur ! Mais évitez les mouvements brusques.

Émue par son désarroi, elle ajouta :

— Laissez-lui un peu de temps...

— Combien ? Une heure, un jour ou une semaine ?

— Honnêtement, je n'en sais rien.

**

Traversant la grande cuisine, une semaine plus tard, Vittore était prêt à
laisser exploser sa frustration. Avec la rigueur d'un automate, il rassembla
les divers ingrédients nécessaires à la préparation du dîner. Cuisiner était la
seule chose qu'il pouvait faire pour aider un peu Verity.

Après avoir refermé le réfrigérateur, il se figea brusquement, frappé en


repensant à la terreur qu'il inspirait à son propre fils.

Dio ! La situation menaçait de devenir insoutenable. À l'heure qu'il était, le


petit garçon aurait dû être en train de rire et de courir à travers la maison.
Au lieu de quoi, Leo restait littéralement collé à Verity. Rageusement, il se
mit à éplucher des légumes, tout en essayant de ne pas penser à la détresse
de son fils. Chaque jour, il remerciait le ciel pour la présence de Verity. Il
lui était profondément reconnaissant de s'occuper aussi patiemment de son
fils au détriment de sa propre santé.
En entendant un bruit dans l'escalier, Vittore leva la tête. Il avait appris à
reconnaître le pas lourd de la jeune femme à la fin de la journée, qui
trahissait son extrême lassitude.

Quand elle apparut dans l'encadrement de la porte, il vit qu'elle tenait à


peine sur ses jambes. Elle n'en était pourtant pas moins belle, l'expression
vulnérable de son visage et les cernes sous ses yeux ne parvenant pas à faire
oublier la profondeur de son regard magnifique.

— Que dirais-tu d'un apéritif ?

— Bonne idée ! répliqua-t-elle en s'asseyant.

Puis, elle le regarda en silence remplir son verre.

— Ça a pris longtemps, ce soir, fit-il remarquer en allumant les bougies.

Il avait besoin d'occuper ses mains, sinon il se serait approché d'elle et


l'aurait enlacée pour lui donner - et surtout puiser - un peu de réconfort.
Mais il savait qu'il ne pourrait pas se contrôler et se satisfaire d'une étreinte,
alors il s'abstint.

Verity l'observait de ses grands yeux empreints de lassitude tout en sirotant


son vin. Quand elle reposa le verre de cristal, il vit ses lèvres humides qui
brillaient. Ignorant délibérément les battements rapides de son coeur,
Vittore entreprit de faire griller les poivrons.

— Il était très fatigué, mais il refusait obstinément de s'endormir, déclara la


jeune femme après avoir poussé un soupir à fendre l'âme. J'ai lu quatre
histoires, chanté toutes les berceuses que je connaissais... S'interrompant,
elle s'étira et laissa échapper un bâillement.

— Si je m'écoutais, j'irais me coucher tout de suite.

— Je sais... Il a été terrible aujourd'hui, n'est-ce pas ? Pauvre chou...

Pour ne pas montrer son chagrin, Vittore baissa la tête. De son côté, il avait
tout essayé pour amadouer son fils. Mais ses efforts s'étaient invariablement
soldés par des larmes. Chaque fois que Verity faisait seulement mine de
s'éloigner, c'étaient des cris et des pleurs déchirants. Vittore souffrait le
martyre d'assister impuissant à la détresse de son petit garçon.

— Je pense qu'il aurait besoin d'un psychologue, déclara-t-il.

— J'ai vu un médecin. Tout ce qu'il m'a dit, c'est que Leo avait besoin
d'amour et de sécurité... Et que je n'avais qu'à revenir dans trois mois si la
situation n'avait pas évolué.

— Nous en reparlerons. Le repas est prêt, en tout cas.

— Ça sent bon ! J'ai l'impression d'être en vacances au bord de la


Méditerranée. C'est vraiment très gentil de t'occuper si bien de moi.

Elle le gratifia d'un regard reconnaissant et Vittore ne put contrôler le léger


tremblement de sa main quand il saisit les morceaux de poulet avec une
fourchette.

— Prego, répondit-il machinalement avant de traduire : «je t'en prie».

Avec précaution, il déposa la volaille dans une assiette, la nappa d'une sauce
parfumée, ajouta des légumes, puis la posa devant Verity.

— Mmm ! s'exclama la jeune femme après avoir goûté une première


bouchée. Le poulet est divin ! Tendre à

souhait. C'est bizarre, je ne t'imaginais pas exactement en homme


d'intérieur. Vittore rit doucement, et ses lèvres se plissèrent en une moue de
dérision. À part pour la cuisine, il ne s'était pas révélé d'un grand secours en
ce qui concernait les tâches ménagères.

— Je ne me suis jamais occupé d'une maison, avoua-t-il.

— Tu fais les courses, lui rappela-t-elle en mordant à pleines dents dans un


petit pain croustillant. Et c'est merveilleux d'avoir autant de bonnes choses à
manger.

— J'aimerai pouvoir faire plus.


Si elle avait pu lire dans son esprit, elle se serait aperçue qu'il ne pensait
plus du tout aux tâches ménagères, se dit Vittore. En fait, il s'imaginait les
lèvres de la jeune femme effleurant son torse, ses doigts parcourant
fébrilement son corps...

Inconsciente du cours lascif qu'avaient pris les pensées de son compagnon,


Verity éclata d'un rire léger.

— Je préfère m'occuper moi-même de la lessive... Au moins, cela nous


évite de porter des vêtements roses et trop petits !

Au rappel de ce qu'avait été son premier contact avec une machine à laver,
Vittore rit à son tour. Depuis cet épisode, Verity lui avait strictement interdit
de s'approcher de la corbeille de linge.

— Je voulais te faire une surprise, expliqua-t-il pour se justifier.

— Tu as réussi ! dit-elle avant d'ajouter gentiment : je sais que tu souhaitais


m'aider. Ce n'est pas ta faute si tu as toujours eu des gens autour de toi pour
s'occuper de tout. Je me demande d'ailleurs comment tu as réussi à

apprendre à cuisiner.

— Grâce à notre gouvernante, Maria. Quand j'étais enfant, je passais des


heures dans la cuisine. C'était un endroit bruyant, animé, où se succédaient
sans cesse visiteurs et enfants... J'adorais ça ! Je rendais à Maria de menus
services, et en échange, elle m'a appris à cuisiner.

— Merci, Maria ! déclara Verity en levant son verre. Sinon je me serais


contentée d'un paquet de chips pour tout dîner.

Quand elle passa une main dans sa lourde chevelure pour la rejeter en
arrière, Vittore admira la grâce de ce geste machinal. Décidément, elle était
adorable ! S'il avait suivi son instinct, il l'aurait prise dans ses bras
immédiatement. D'un baiser passionné, il l'aurait tirée de sa torpeur...

Parvenant à se composer une expression sereine qui ne dévoilait pas la


nature de ses pensées, il reprit d'une voix calme :
— Tu as l'air de plus en plus épuisée.

— J'ai l'impression que les nuits ne me suffisent pas pour récupérer.

Vittore se garda de lui donner la clef de ce mystère : en effet, chaque nuit


elle venait, complètement endormie, se pencher sur le berceau de Leo.
Parfois, elle retournait aussitôt dans sa chambre. D'autres fois, elle
s'asseyait à côté

de Vittore, comme s'il n'était pas là.

Un soir, elle s'était même roulée en boule au pied du lit pour y rester une
demi-heure. Pour Vittore, ç'avait été

un véritable supplice de Tantale, de là voir étendue là, si près de lui.

Il devait agir s'il ne voulait pas devenir fou ! Côtoyer Leo chaque jour sans
pouvoir le toucher lui brisait le coeur. Et le désir incontrôlable qu'il
éprouvait pour Verity n'arrangeait en rien les choses. Cependant, depuis
quelques heures, un plan se dessinait dans son esprit et lui rendait peu à peu
son optimisme. S'il parvenait à convaincre Verity de l'accompagner en
Italie, la situation s'arrangerait, il en était certain. Levant les yeux, il
observa la jeune femme qui grignotait lentement une lamelle de poivron
grillé, les yeux perdus dans le vague. Quand elle eut avalé le dernier
morceau, elle lécha distraitement le bout de ses doigts. Surprenant ce geste
chargé de sensualité involontaire, Vittore sentit une vague puissante de désir
le submerger. À cet instant, les yeux violets de Verity rencontrèrent les siens
et il vit qu'elle rougissait. Elle était incontestablement aussi consciente que
lui de la tension sexuelle qui régnait entre eux. Apparemment, elle n'aimait
pas ce qui lui arrivait, et elle luttait de toutes ses forces contre son désir.
Aucune importance, se dit Vittore. Il la ferait aisément changer d'avis, il
avait assez d'expérience pour savoir qu'une attirance sexuelle pouvait
balayer les réticences les plus farouches.

Il savait qu'elle allait d'abord refuser le plan qu'il avait concocté. Mais elle
finirait pas se rendre à ses raisons, car c'était la meilleure solution : ainsi
leurs deux principales préoccupations communes - Leo et ce désir
réciproque qui les dévorait - seraient résolues.
Il nota avec satisfaction qu'elle goûtait du bout des lèvres la tarte aux poires.
Elle était indéniablement troublée, et Vittore dut reconnaître que lui-même
n'avait jamais connu un tel sentiment d'excitation mêlé d'impatience. Quand
elle s'arrêta complètement de manger, regardant son assiette d'un air
désemparé, il lui demanda d'une voix rauque :

— Ça ne te plaît pas ?

— C'est... délicieux, répondit-elle dans un souffle.

— Alors qu'est-ce qui ne va pas ?

— Rien.

Verity ne releva pas la tête. Ses traits trahissaient son embarras lorsqu'elle
reposa sa fourchette.

— Il n'y a pas de quoi avoir honte, nous sommes tous les deux adultes,
Verity.

— Je ne comprends pas ce que tu veux dire.

— Tu ressens la même chose que moi, répliqua-t-il d'une voix suave. Le


désir te coupe l'appétit et te fait perdre la tête... Je me trompe ?

Elle lui lança un regard interloqué, mais Vittore n'avait pas manqué de
remarquer que sa respiration s'était accélérée, et cette réponse lui suffit. À la
douce lueur des bougies, elle avait l'air si vulnérable. Incapable de retenir la
passion brûlante qui bouillonnait en lui, il saisit la main de Verity. Pendant
un long moment, ils se dévisagèrent comme si c'était la première fois qu'ils
se voyaient.

Attirant la main tremblante de la jeune femme à sa bouche, il l'effleura de


ses lèvres avant de happer son pouce avec une lenteur ensorcelante. Quand
il la libéra, il eut la satisfaction d'entendre le gémissement étouffé qui lui
échappa.

Verity, quant à elle, ne comprenait pas ce qui lui arrivait.


Elle était incapable de bouger ou de parler, et c'est tout juste si elle
parvenait à respirer. Elle ne pouvait nier, en revanche, que l'énergie
formidable qui émanait de Vittore lui communiquait un regain de vie, et une
joie inexplicables.

Si elle l'avait voulu, elle aurait pu retirer sa main et annoncer qu'elle tombait
de fatigue. Mais quand Vittore la souleva de sa chaise pour l'attirer dans ses
bras, elle ne lui opposa pas la moindre résistance. Prenant son visage entre
ses mains, Vittore s'empara de ses lèvres en un baiser passionné. Subjuguée
par la douceur de sa bouche virile, Verity s'abandonna à la vague de
sensualité qui l'assaillait. Bientôt, cependant, elle aspira à plus d'audace.

— Vittore..., balbutia-t-elle en nouant ses bras autour de son cou.

Comme s'il n'avait attendu que ce signal, son compagnon la plaqua contre le
mur et approfondit son baiser, tout en couvrant son corps de caresses
langoureuses.

Un appétit sensuel qu'elle n'avait jamais ressenti s'empara alors de Verity.


Agrippant frénétiquement les larges épaules de Vittore, elle murmura d'un
ton rauque :

— Fais-moi l'amour, je t'en prie.

Enhardi par cette requête, Vittore baissa les bretelles de sa robe. Lorsqu'il
libéra ses seins, elle oublia toute pudeur, et poussant un soupir de
satisfaction, elle se cambra vers lui, la tête rejetée en arrière. Jamais elle
n'avait été

aussi fière d'être une femme, et elle crut qu'elle allait mourir de bonheur
quand les lèvres de Vittore se refermèrent sur la pointe dressée d'un sein
pour la taquiner du bout de la langue.

Entraînée dans un tourbillon de sensations inconnues, elle entreprit à son


tour l'exploration du corps vigoureux qui hantait ses rêves. Soulevant la
chemise de son compagnon, elle put enfin goûter le grain de sa peau et
parcourir la puissante musculature de son torse viril.
Lorsqu'elle sentit contre son ventre la force du désir de Vittore, elle éprouva
un sentiment de triomphe et une chaleur délicieuse envahit ses veines. Elle
perdit la tête et elle ne reconnut pas sa voix qui gémissait :

— Fais-moi l'amour... je t'en prie, Vittore !

Chapitre 5

En réponse à son ton suppliant, Verity sentit la main de Vittore glisser sous
sa robe pour effleurer la peau satinée de son entrejambe. À ce contact, une
vague de chaleur remonta jusqu'au creux de son ventre. Elle prit alors la tête
de son compagnon entre ses mains et attira son visage contre le sien pour
l'embrasser fougueusement. Le besoin lancinant qui la tenaillait ne fit que
s'amplifier.

— Vittore, je t'en prie..., le supplia-t-elle de nouveau.

Un flot de paroles italiennes lui répondit tandis qu'il faisait glisser sa culotte
de dentelle sur ses cuisses. Paradoxalement, ce furent ces intonations
chantantes qui la dégrisèrent. Soudain, elle se rendit compte qu'elle était
dans les bras de Vittore - le séducteur qui avait trompé sa soeur de façon
éhontée - le dernier homme au monde à

qui elle aurait voulu faire don de sa virginité...

Ce dernier devait être à l'affût de ses moindres réactions, car il sentit


aussitôt sa tension.

— Verity... ?

Horrifiée à l'idée de ce qu'elle avait été sur le point de faire, elle se dégagea
brusquement de son étreinte, mais ses jambes encore flageolantes ne
l'auraient pas portée si Vittore ne l'avait rattrapée par la taille in extremis.
Elle ouvrit la bouche pour parler lorsqu'elle s'aperçut que sa poitrine était
complètement dénudée. Virant à

l'écarlate, elle ramena frénétiquement les bretelles de sa robe sur ses


épaules. Sa pudeur tant bien que mal préservée, elle dut encore lutter contre
le désir brûlant qui bouillonnait toujours dans ses veines.

— Je crois que... que j'ai bu trop de vin, balbutia-t-elle.

— À peine un verre, murmura-t-il d'une voix suave où perçait le sarcasme.

— Je n'ai pas l'habitude.

Elle fit un pas hésitant sur le côté, et s'apercevant qu'elle tenait à peu près
sur ses jambes, elle se dirigea vers la chaise la plus proche pour s'y laisser
tomber.

— Je ne sais pas ce qui m'a pris, murmura-t-elle. Je crois que j'ai un peu
perdu la tête.

— Pas assez, si tu veux mon avis.

Un sentiment de panique étreignit Verity quand elle le vit s'approcher, puis


s'accroupir devant elle et poser une main sur son genou.

— Pourquoi as-tu mis fin à notre étreinte ? demanda-t-il d'une voix rauque.

Serrant la mâchoire, elle s'efforça de rassembler ses idées tout en cachant


son trouble.

— Le bon sens a repris le dessus, répliqua-t-elle sèchement. Je n'aime pas


les aventures d'une nuit.

— Qui a parlé d'une seule nuit ?

Qu'était-il en train de suggérer ? Qu'il était prêt à passer deux ou trois nuits
avec elle ? Pourtant, sa proposition, au lieu de la scandaliser, éveilla
immédiatement ses sens. Furieuse d'être trahie par son propre corps, Verity
détourna la tête et tenta de se lever. D'un geste impérieux, Vittore l'obligea à
se rasseoir.

— Qu'est-ce qui te prend ? s'exclama-t-elle.


— Il y a des choses dont nous devons discuter. Je crois que j'ai trouvé une
solution pour Leo. Interloquée par ce brusque changement de sujet, Verity
fronça les sourcils.

— Que veux-tu dire ?

— J'ai eu une idée cet après-midi.

La main toujours posée sur son genou, il la caressait comme si c'était la


chose la plus naturelle au monde. Cette parfaite maîtrise de soi irritait Verity
qui en était totalement dépourvue au même moment. Dans un sursaut
d'amourpropre, elle réussit néanmoins à feindre l'indifférence.

— Sois plus clair ! demanda-t-elle, en repoussant la main de Vittore qui


s'aventurait maintenant un peu trop loin à son goût.

— Voilà... Je dois retourner en Italie, je ne peux pas continuer à diriger mon


entreprise par e-mails et téléphone.

— Oh !

Pourquoi diable éprouvait-elle une telle déception à cette nouvelle ?


N'avait-elle pas prié pour qu'il parte ?

Embarrassée par son ambivalence, elle reprit d'un ton sec :

— Je ne te retiens pas.

— Le problème, reprit Vittore doucement, c'est que je ne partirai pas sans


Leo. Et que Leo n'ira nulle part sans toi.

— Bref, nous sommes dans une impasse.

— Pas si tu viens avec nous. Nous pourrions partir ce soir, pendant qu'il
dort, ainsi il ne se rendra compte de rien.

— Quoi ? Mais...
— J'ai tout arrangé. Il ne reste plus qu'à faire vos valises. Un chauffeur doit
venir nous prendre dans une heure pour nous conduire à l'aéroport. Nous
serons à Naples en un rien de temps.

Elle vit un sourire ravi se dessiner sur ses lèvres.

— Tu admettras que c'est la solution idéale, conclut-il.

La solution idéale à quoi ? aurait-elle voulu rétorquer. Croyait-il réellement


qu'elle se laisserait aussi facilement manipuler ?

— Tout s'explique ! Tu as essayé de m'amadouer par ce dîner aux


chandelles arrosé de bon vin... Tu as voulu profiter de ma fatigue pour
m'embobiner.

— Verity...

— Et quel plan astucieux : m'occuper de Leo pendant la journée et de toi


pendant la nuit !

Au fond, elle était bouleversée qu'il ait pu envisager cette solution avec un
tel sang-froid. Elle aurait préféré

apprendre qu'il avait obéi à un désir irrésistible quand il l'avait embrassée,


et non à un plan bien pensé. Pas étonnant qu'il se soit remis si rapidement
de son refus.

— Verity ! Je n'avais pas l'intention de t'embobiner ! assura-t-il.

— Pourtant, tu m'aurais fait l'amour si...

— Certainement !

Cet aveu brutal ralluma aussitôt les braises de son propre désir qu'elle avait
eu la naïveté de croire éteintes. Elle parvint malgré tout à continuer :

— Et après ? Tu étais persuadé que, reconnaissante et subjuguée par ton


charme, je me jetterai à tes pieds pour attendre sagement tes ordres ?
— Ma foi, cette idée est assez plaisante...

— Tu es impossible ! s'écria-t-elle en se levant brusquement.

— Seulement honnête, corrigea-t-il. Verity, pourrais-tu considérer ma


proposition de façon rationnelle, s'il te plaît ? Comme je te l'ai dit, la voiture
sera là dans moins d'une heure et...

— Une heure ! Tu ne doutais pas de toi ! Combien de temps te donnais-tu ?


s'écria-t-elle, au comble de l'indignation. Dix minutes pour me faire l'amour,
plus dix minutes pour m'informer de tes projets ? Et pendant tout ce temps,
tu aurais gardé l'oeil rivé sur ta montre sous prétexte que le chauffeur allait
arriver d'un moment à l'autre ?

Cette description le fit éclater de rire et la fureur de Verity monta d'un cran.

— À vrai dire, reprit Vittore quand il eut recouvré son calme, j'ai moi-même
été pris de court par ce qui vient de se passer. J'avais prévu de te faire part
de mon idée, puis je me suis retrouvé à te caresser et... Il eut un geste
désinvolte qui exprimait son incapacité à fournir de meilleures explications
à ses actes.

— Tu veux me faire croire que tu ne savais plus ce que tu faisais ?

— En fait, depuis que je t'ai rencontrée, j'ai perdu toute maîtrise de moi-
même, avoua-t-il avec une candeur désarmante. Et puis, tu as fait preuve
d'un enthousiasme communicatif.

Verity sentit ses joues s'enflammer. Certes, elle avait répondu à ses avances,
mais seul un goujat aurait eu la grossièreté de le lui rappeler.

— Je suis désolée d'apprendre que mon «enthousiasme» a failli contrecarrer


tes projets.

— J'avoue que je les avais complètement oubliés à ce moment-là.

— Moi, en tout cas, j'ai repris mes esprits à temps. Et je me suis souvenue
quel genre d'homme tu étais.
— Vraiment ?

— Oui. Tu auras du mal à le croire, mais je n'ai aucune envie de me lancer


dans une aventure avec un Don Juan totalement dépourvu de moralité.

Sa diatribe sembla amuser Vittore au plus haut point, et le sourire aux


lèvres, il répondit :

— Dans ce cas, j'ai dû mal interpréter les signaux que tu émettais.

— Tu m'as surprise à un mauvais moment, dit-elle pour se justifier. J'étais


fatiguée et tu avais endormi ma méfiance avec ta mise en scène. Mais tu ne
me plais pas, Vittore. Je méprise les hommes superficiels qui utilisent les
femmes pour leur seul plaisir, puis les jettent comme si de rien n'était.

Pourquoi s'obstinait-elle à nier ce qu'elle éprouvait ? se demanda Vittore.


Même à présent, alors qu'elle lui lançait les pires horreurs à la tête, il
pouvait sentir que son corps de déesse frémissait à chacun de ses regards un
peu appuyés.

— Tu es d'une fatuité incroyable ! reprit-elle. Et tu peux faire une croix sur


ton plan.

— Tu refuses parce que tu as une mauvaise opinion de moi ?

— C'est un euphémisme !

— Mais tous les renseignements que tu possèdes sur mon compte te


viennent de Linda, fit-il remarquer. Tu ne veux pas prendre le temps de te
forger ta propre opinion ?

— C'est inutile. Je sais déjà que tu as essayé de me séduire...

— C'est vrai. Tu es belle, fascinante et j'ai appris à apprécier ta compagnie.


Ça fait une semaine que nous partageons une véritable intimité, et je ne suis
pas insensible à ton charme. Mais cela ne signifie pas que je cherche à

séduire systématiquement toutes les femmes que je rencontre, ou que j'aie


été infidèle pendant mon mariage.
— Tu as pourtant trompé Linda ! C'est elle qui me l'a dit.

— Il ne t'est jamais venu à l'idée qu'elle ait pu te mentir ?

Bien sûr que si, dut admettre Verity intérieurement. D'autant qu'elle se
souvenait que Linda mentait souvent quand elles étaient enfants. Mais pour
rien au monde elle n'aurait avoué ses soupçons à Vittore, aussi lui opposa-t-
elle un silence buté.

— Elle t'a raconté que j'étais mort, continua-t-il. Pourquoi n'aurait-elle pas
menti sur le reste ? Peut-être que je suis un coureur de jupons... mais peut-
être que non. Ta seule preuve dans ce domaine, ce sont les dires d'une
menteuse invétérée. Franchement, Verity, peux-tu affirmer en toute
honnêteté que je suis un mauvais père ?

— Tu es un homme très occupé, et je suppose que ton travail t'éloigne


souvent de la maison, répondit-elle, déstabilisée malgré tout par ses paroles.

— Mais tu ne peux pas en être sûre... Enfin Verity, si j'étais innocent ? Si


c'était moi, la victime ? J'aurais tout aussi bien pu adorer mon fils et lui
avoir consacré chaque minute de mon temps libre. Pourquoi ne me donnes-
tu pas une chance de te prouver que tu as tort, et que je saurai m'occuper de
Leo ?

— Parce que Leo est encore trop fragile pour que je puisse prendre ce
risque ! Qu'est-ce qui me garantit qu'une fois que nous serons en Italie, tu
n'utiliseras pas la loi italienne pour m'empêcher de le voir ?

— Je ne suis pas fou, Verity. Je sais que pour l'instant, tu es essentielle à son
bonheur et à sa santé. Viens avec nous. Découvre par toi-même qui je suis
réellement.

Ces paroles rendirent la jeune femme perplexe. Elle ne pouvait tout de


même pas lui dire qu'elle n'avait pas envie de mieux le connaître ! Sa
présence la bouleversait trop et elle ne pourrait résister indéfiniment à son
charme ravageur.
— Je ne peux pas quitter l'Angleterre comme ça ! Mes amis sont ici, et je
perdrais ma clientèle si je m'absente trop longtemps... Je ne peux pas partir !

— Même si Leo est en Italie ?

À ces mots, Vittore se leva et entreprit de rentrer les pans de sa chemise


dans son pantalon. Le souvenir de leur étreinte interrompue la troubla un
instant, mais elle se reprit bien vite.

— Je t'empêcherai de l'emmener !

— Tu ne pourras pas.

— Je suis sa tutrice, affirma-t-elle dans un sursaut d'énergie. C'est à moi de


déterminer ses déplacements, et si tu essaies de partir avec lui, j'appellerai
la police.

— Tu penses sérieusement que la police m'empêchera de prendre Leo ?


Écoute, je te donne le choix, Verity : soit tu restes ici, dans cette maison qui
va bientôt être mise en vente, soit tu viens avec nous en Italie. Tu n'as qu'à

considérer ça comme de longues vacances dans un endroit de rêve, tous


frais payés. J'ai besoin de toi pour parvenir à

rompre la barrière qui existe entre mon fils et moi. Admets qu'il a autant
besoin d'un père que d'une mère... Et puis, une fois que Leo sera
parfaitement à l'aise avec moi, tu pourras retourner en Angleterre, retrouver
ton travail et tes amis.

Vue comme cela, la situation paraissait si simple ! songea Verity tandis


qu'une boule se formait dans sa gorge. En réalité, elle savait qu'il voulait se
servir d'elle pour gagner l'affection de Leo. Ensuite, dès qu'elle aurait
accompli le rôle qu'il lui avait assigné, il n'hésiterait pas à la mettre dans le
premier avion en partance pour l'Angleterre ! Il avait un sacré culot !

— Et moi ? Qu'est-ce que j'y gagnerai ? demanda-t-elle sans prendre la


peine de cacher son hostilité.

— Plus de temps avec Leo, une existence confortable et peut-être... moi.


— Je savais qu'il y avait une entourloupe !

— Quoi qu'il arrive, tu seras largement dédommagée. La décision est entre


tes mains.

— Je n'ai pas le choix ! s'écria-t-elle. Tu le sais très bien et tu es un monstre


de vouloir m'arracher à tout ce que j'aime...

— Sauf à Leo, fit-il remarquer judicieusement. Et c'est temporaire, puisque


d'ici un mois ou deux tu pourras rentrer chez toi.

Verity eut l'impression décourageante de se retrouver à la case départ,


quand Vittore avait fait intrusion dans son existence, une semaine
auparavant. Il ne pouvait décidément pas admettre que la guérison de Leo
prendrait beaucoup plus de temps qu'un séjour de vacances. Et le
dépaysement qu'il allait subir n'arrangerait rien.

— Tu prends un gros risque en lui faisant faire ce voyage, l'avertit-elle.

— Peut-être... Mais j'en doute. Je sens que cette maison est une des
principales causes de son anxiété. Chaque fois qu'une porte s'ouvre, il
s'inquiète, et chaque bruit inhabituel le fait sursauter.

— Je pourrais déménager...

— Oui, en Italie ! Écoute-moi, Verity ! Je suis certain qu'il s'est passé


quelque chose ici, et nous ne saurons sans doute jamais quoi. Mais une
chose est sûre : Leo vient avec moi, dès ce soir ! L'heure tourne et je ne vais
pas rester à

discuter avec toi plus longtemps. Si tu décides de rester à Londres, libre à


toi. Quant à moi, je dois profiter de son sommeil pour voyager. À présent, je
te le demande pour la dernière fois : viens-tu avec nous, oui ou non ?

— Comment faire autrement ? Mais je te préviens : chez toi, je me


barricaderai chaque soir dans ma chambre pour échapper au droit de
cuissage !
Sa dernière remarque, au lieu d'irriter Vittore, sembla au contraire l'amuser
au plus haut point. Hors d'elle, Verity leva la main pour le gifler, hélas, il la
prit de vitesse et intercepta son geste. Sans se soucier de ses protestations, il
l'attira contre lui, ses lèvres s'emparant des siennes avec un art si consommé
qu'elle ne put s'empêcher de répondre à son baiser.

— Tu es irrésistible, Verity..., murmura-t-il. Pense au plaisir que nous


pourrions prendre ensemble !

Cette brève interruption permit à la jeune femme de recouvrer ses esprits. Il


fallait à tout prix se dégager de cette étreinte et s'éloigner de cet homme qui
lui faisait perdre tous ses moyens.

— Va au diable ! répondit-elle en reculant avec l'intention de se précipiter


au premier étage. Malheureusement, dans sa volonté de mettre une plus
grande distance entre eux, elle trébucha et tomba sur la première marche de
l'escalier.

En une fraction de seconde, Vittore fut auprès d'elle et lui massait le tibia.

— Calme-toi, voyons.

Imperceptiblement le massage se transforma en une caresse, et du mollet,


remonta derrière son genou pour effleurer sa cuisse. Lorsque Vittore ôta sa
main, Verity poussa un petit gémissement de frustration. À l'expression de
son compagnon, elle comprit qu'il ne lui avait pas échappé.

— Je te déteste ! dit-elle furieuse contre elle-même autant que contre cet


homme.

— J'adore la façon dont tu me le fais comprendre !

Derechef, elle leva la main mais cette fois, il enlaça ses doigts dans les siens
tout en la fixant intensément.

— Tôt ou tard nous ferons l'amour, murmura-t-il d'une voix rauque qui
éveilla aussitôt le désir qui couvait en elle. J'ai envie de toi, Verity, comme
je n'ai jamais eu envie d'aucune femme. Puis, il se pencha vers elle. Voulant
lui montrer qu'elle n'était pas son jouet, Verity serra les dents, mais au lieu
de forcer cette barrière dérisoire, il entreprit d'effleurer ses lèvres avec une
douceur incroyable jusqu'à ce qu'elle les entrouvre d'elle-même pour
l'embrasser avec fougue.

Il était indéniablement un amant remarquable, et si elle ne le repoussait pas


rapidement, elle allait bientôt se retrouver sur la liste de ses nombreuses
conquêtes. Et son amour-propre ne le supporterait pas. Ce rappel lui insuffla
suffisamment d'énergie pour s'arracher à son étreinte. Lorsqu'elle se fut
remise debout, elle le toisa avant de lui lancer :

— Je m'étonne que tu sois si catégorique... Tu as connu tellement de


femmes !

— J'ai une très bonne mémoire, rétorqua-t-il en se levant à son tour.

Plus encore que par la moue ironique de Vittore, Verity fut exaspérée par le
pincement de jalousie qu'elle éprouva. Pour lui, le sexe n'était qu'un jeu, et
il avait apparemment décidé qu'elle serait sa prochaine «partenaire». Bien
décidée à ne pas lui faciliter la tâche, elle monta résolument à l'étage. Qu'il
ne se réjouisse pas trop tôt, pensa-t-elle en se dirigeant vers sa chambre.

Brusquement, elle eut une illumination : elle allait utiliser son arrogance
contre lui ! Pivotant sur ses talons, elle fut surprise de se trouver nez à nez
avec Vittore. Elle ne se laissa cependant pas démonter.

— J'accepte de t'accompagner..., commença-t-elle, mais à une condition.

— Laquelle ?

— Voilà : je te donne six mois pour gagner la confiance de Leo. Si tu


échoues, je le ramènerai en Angleterre. Après un instant de silence, elle
ajouta :

— Là, bien sûr, tu pourras venir lui rendre visite aussi souvent que tu
voudras.

— Très bien.
Comme Verity l'avait prévu, il avait accepté ses conditions sans hésiter, ne
doutant pas un instant qu'il réussirait.

— Tu es très sûre de toi, fit-il remarquer d'un ton songeur.

— J'ai pu constater, pendant toute cette semaine, que l'attitude de Leo


n'avait pas changé d'un iota à ton égard... Je sais que c'est de moi dont il a
besoin, répondit-elle avec franchise.

— Ça te dirait de parier ?

— Je n'ai pas d'argent à miser, rétorqua-t-elle sèchement.

— Mais tu possèdes quelque chose que je veux.

Cherchant désespérément une repartie spirituelle qui cacherait son trouble,


Verity ne trouva rien à dire.

— Puisque tu es si sûre de ta victoire, la défia-t-il, accepte de parier.

— Pour quel enjeu ?

— Si je gagne la confiance de Leo avant six mois, tu accepteras de devenir


ma maîtresse, jusqu'à ce que je me lasse de toi.

— Tu plaisantes, j'espère ? Comment oses-tu me faire une proposition aussi


scandaleuse ?

— Elle te paraît peut-être choquante, admit-il en se rapprochant d'elle et en


posant une main de chaque côté de ses épaules, la maintenant prisonnière
contre la porte. Mais tu es tellement convaincue que cela n'arrivera pas...
que tu n'hésiteras pas à relever le pari.

Ne pouvant plus reculer, au propre comme au figuré, Verity détourna la tête.


Elle savait au fond d'elle-même ce que signifiait l'excitation étrange qui
s'était emparée d'elle : son corps, abandonnant toute velléité de lutte, était
près de succomber. Son cerveau voulait relever le défi, alors que chaque
parcelle de son être espérait qu'elle allait perdre... Bien sûr, il était
impossible que Vittore l'emporte. À quoi bon s'inquiéter, alors ?
À sa grande honte, cette pensée lui procura une sensation de
désappointement. Décidément, dans l'état de nerfs où elle était, elle allait se
retrouver dans le lit de Vittore sans même se rendre compte de ce qui lui
arrivait !

Sa faiblesse était sans doute à mettre sur le compte de son inexpérience, se


dit-elle. Jamais un homme aussi séduisant ne s'était intéressé à elle, il était
donc normal que cette attention la perturbe et lui fasse perdre son sangfroid.
Elle s'habituerait à son numéro de charme et il ne lui ferait bientôt plus
d'effet.

— Très bien, pari tenu ! répliqua-t-elle en relevant fièrement la tête. Mais je


ne veux pas de coups tordus.

— Qu'entends-tu par «coups tordus» ?

— Gâter Leo inconsidérément, être gentil avec moi pour t'attirer sa


sympathie. M'enivrer pour étouffer ma vigilance et ainsi pouvoir me sauter
dessus...

— Je ne «saute» sur personne, l'interrompit-il en riant. Reconnais au moins


que mes approches sont plus subtiles que ça.

— Promets-moi, insista-t-elle sans relever son ironie.

— Promis. Pas de poudre aphrodisiaque dans tes plats, pas de pétales de


roses sur ton oreiller, ni de vodka dans ton thé...

— Je ne plaisante pas ! Je sais que tu es capable de tout et je dois penser à


me protéger, ainsi que Leo. Elle était furieuse, mais surtout parce que l'idée
des pétales de roses lui plaisait énormément...

— Je suis impatient de passer quelque temps avec toi. C'est une perspective
très... excitante. Verity, quant à elle, ne pouvait s'empêcher d'éprouver une
certaine inquiétude. Les événements s'étaient enchaînés à une telle vitesse
qu'elle craignait d'avoir oublié un point important.
— Il reste un problème, Vittore, dit-elle. Que se passera-t-il si nous nous
apercevons que l'état de Leo empire en Italie ?

Comme touché par une flèche, Vittore tressaillit et fit un pas en arrière.
Quand il eut reculé, Verity se sentit un peu moins opprimée par sa présence
et elle put respirer plus librement.

— Dans ce cas, tu le ramèneras en Angleterre, concéda-t-il d'une voix


voilée. À contrecoeur, elle dut reconnaître qu'il semblait avoir un fond
d'honnêteté. Légèrement mal à l'aise de l'avoir si mal jugé, elle se frotta les
bras pour se donner une contenance avant de déclarer :

— Je vais faire les bagages. Mais ne sois pas trop optimiste : ton plan ne
marchera pas forcément. Sur cette remarque cinglante, elle entra dans sa
chambre. Derrière l'air bravache qu'elle affichait à l'intention de Vittore, elle
n'en menait pas large. Malgré les promesses qu'il lui avait faites, elle se
méfiait de lui, et l'idée de partir en sa compagnie n'avait rien de rassurant.
Surtout qu'elle entraînait le petit Leo avec elle. Chapitre 6

Pour marquer sa désapprobation, Verity avait décidé de faire la tête pendant


le voyage. Impassible, elle s'était installée à l'arrière de la limousine tandis
que le chauffeur attachait le siège d'enfant dans lequel dormait Leo. Avant
même d'arriver à l'aéroport, cependant, sa curiosité et son entrain naturel
avaient repris le dessus et elle observait avec intérêt l'efficacité avec
laquelle Vittore donnait les directives de leur départ par téléphone. Le
passage de la douane fut une simple formalité et ils se dirigèrent rapidement
vers le jet privé qui décolla aussitôt qu'ils furent installés. Après la journée -
et surtout la soirée - éprouvante qu'elle venait de vivre, Verity dormit
pendant toute la durée du vol.

Un murmure contre son oreille la tira de son sommeil, moins de trois heures
plus tard. Ouvrant les yeux, elle aperçut le visage de Vittore tout près du
sien. Elle eut un mouvement de recul qui n'échappa pas à son compagnon
tandis qu'il se redressait.

— Ne t'inquiète pas pour ta vertu ! déclara-t-il d'un ton sarcastique. Je


voulais simplement te prévenir que nous allions bientôt atterrir.
Encore tout ensommeillée, elle tâtonna à la recherche de la boucle de sa
ceinture de sécurité, mais Vittore l'avait devancée pour l'attacher. En cet
instant, sa présence si proche la troublait, encore plus que d'habitude. Il
s'était rasé, ce qui donna à Verity l'envie de caresser sa mâchoire volontaire
dont la peau semblait lisse comme du satin. Fermant les yeux malgré elle,
elle respira l'odeur de son eau de toilette. Le baiser léger qu'il posa sur ses
lèvres la réveilla tout à

fait.

— Excuse-moi, chuchota-t-il, je n'ai pas pu me retenir. Je suis tellement


heureux !

— Eh bien, trouve quelqu'un d'autre pour exprimer ta joie !

Cette réflexion le fit rire. Mais quand il se pencha sur le petit siège renforcé
où se trouvait Leo, son expression changea, laissant place à une grande
douceur. Chaque, fois qu'elle surprenait Vittore ainsi, Verity se sentait
fondre.

— Tu seras bientôt à la maison, Leo, murmura-t-il.

L'atterrissage à Naples se déroula sans incident. Sur le tarmac, un agent de


la douane vint à leur rencontre pour vérifier leurs passeports. Très
aimablement, il aida Vittore à fixer le siège de Leo à l'arrière de la
Mercedes garée à

quelques mètres de l'avion. Le petit garçon, paisiblement assoupi, ne se


réveilla pas. Les dés en étaient jetés, songea Verity avec une pointe
d'appréhension. Maintenant qu'ils étaient arrivés en Italie, elle dépendait
entièrement de Vittore : elle allait vivre sous son toit, elle aurait besoin de
son aide pour se faire comprendre, car elle ne parlait pas un mot d'italien...

— Quand arriverons-nous ? demanda-t-elle tandis qu'il faisait démarrer la


voiture.

— En fait, Naples n'est pas très éloigné d'Amalfi, où nous nous rendons,
mais les nombreux virages sur la route ralentissent considérablement le
trajet. J'espère que tu t'y plairas... Tu verras, ta vie sera plus facile, mes
employés te déchargeront des tâches quotidiennes et tu n'auras qu'à
t'occuper de Leo.

— Il va avoir peur s'il y a trop de gens !

— Mon personnel se montrera très discret, tu verras, la rassura-t-il


immédiatement. Pourtant, Verity imaginait bien le tableau : des domestiques
invisibles veilleraient à tout, comme dans un conte de fées ! C'était assez
séduisant, dut-elle admettre tout en se demandant comment elle se ferait à
cette vie de millionnaire.

En quittant Naples, ils prirent l'autoroute. Verity avait dû somnoler, car


lorsqu'elle regarda de nouveau par la vitre, elle s'aperçut que la route était
devenue une succession de virages en épingle à cheveux, à flanc de
montagne. Dans l'obscurité, les phares puissants de la voiture révélaient des
parois rocheuses et des précipices inquiétants. Apercevant parfois au loin la
lumière d'une habitation, elle se demandait qui pouvait bien être réveillé à
cette heure matinale. Sans doute un fermier, ou la mère d'un petit enfant.

— Tu ne m'empêcheras pas de m'occuper de Leo à ma manière, n'est-ce pas


? demanda-t-elle, soudain anxieuse.

— Pourquoi ne me fais-tu pas confiance ?

— Je n'y arrive pas.

— Je l'avais compris. Mais tu peux au moins essayer de te détendre, je ne


vais pas te mordre.

— Oh ! s'exclama-t-elle soudain, trop heureuse de changer de sujet. J'ai vu


la mer !

Dans la lumière blafarde du petit matin, elle discernait les pins parasols
dont la haute silhouette se découpait sur la mer rose dans l'aube naissante.

À présent, elle apercevait des coteaux parsemés de pins et d'oliviers qui


plongeaient en pentes raides dans la mer.
— Mon Dieu ! s'écria-t-elle en s'agrippant à son siège, au tournant d'un
virage encore plus serré que les autres. La sensation surprenante de se
trouver au-dessus du vide lui avait coupé le souffle.

— Je sais, c'est impressionnant. Mais ne t'inquiète pas, je roule très


prudemment, car j'ai un précieux chargement à bord, la rassura Vittore à qui
son geste n'avait pas échappé.

Complètement subjuguée par la vue spectaculaire, Verity tourna un regard


émerveillé vers Vittore. Elle hésitait cependant à lui confier qu'en fait elle
était plus excitée qu'affolée. Et le panorama époustouflant n'était pas seul en
cause...

— Les virages ne me font pas peur. C'est juste que je n'ai jamais vu un
endroit aussi magnifique !

— On dit que c'est la mer la plus bleue du monde. Nous ne pouvons


malheureusement pas nous arrêter pour admirer le paysage, car j'aimerais
arriver à la maison avant que Leo ne se réveille. Le bien-être de son fils
était apparemment la principale préoccupation de Vittore, et comme à
chaque fois qu'elle se faisait cette remarque, Verity ne parvenait pas à
comprendre l'obstination de Linda à l'écarter de son enfant. Elle devait
absolument découvrir la clef de ce mystère.

En attendant, elle reporta son attention sur la petite ville dont les maisons
semblaient accrochées à la montagne. Dans le port, des barques
dodelinaient doucement au gré des vagues, tandis que d'autres étaient halées
sur la berge. Saisie d'une envie soudaine de goûter l'air marin, Verity ouvrit
la fenêtre et laissa la brise, à laquelle se mêlait le parfum des orangers,
caresser son visage.

— C'est la cloche de San Lorenzo, déclara Vittore, tandis que le tintement


résonnait dans le calme matinal.

— C'est incroyablement pittoresque !

— Il n'y a pas si longtemps, il n'existait que des sentiers pour les mulets et
on accédait à Amalfi par la mer. C'est pourquoi les remparts se trouvaient
sur le port. Tiens, regarde, tu peux voir une ancienne porte !

— Il fallait être sacrément téméraire pour oser s'attaquer à ces coteaux !

— Je pense que les pirates sarrasins aimaient ce genre de défi. Et ils étaient
assez forts pour partir à l'assaut de nos collines.

Cette allusion conduisit Verity à se demander si Vittore avait abusé de sa


force physique contre Linda... Cela expliquerait pourquoi celle-ci s'était
enfuie. Mais elle rejeta rapidement cette idée, car si elle avait elle-même
éprouvé

la vigueur de son beau-frère quand il s'était laissé emporter par la passion,


elle avait également découvert qu'il savait faire preuve de tendresse.

Après être passée sous une arche de pierre, la voiture roulait maintenant au
pas dans des ruelles étroites. Qu'estce qui avait pu pousser Linda à quitter
un endroit aussi paradisiaque ? se demanda-t-elle tandis qu'un frisson
d'appréhension parcourait son corps.

Ils venaient de déboucher sur une petite place, et Vittore lui désigna l'église
du XIIIème siècle dont ils avaient entendu le son des cloches quelques
minutes plus tôt.

Dans une autre ruelle, Verity remarqua plusieurs bijouteries et une boutique
élégante qui ne semblait vendre que des articles de soie.

— Je ne m'attendais pas à trouver des boutiques de luxe, s'exclama-t-elle.

— Si tu aimes faire du shopping, tu trouveras des boutiques de tous les


grands couturiers, fit remarquer Vittore d'un ton où perçait le cynisme.

— Des couturiers, pour moi ? Tu plaisantes ? s'exclama-t-elle, amusée à


cette idée. Tu sais, Vittore, je m'habille très simplement. Et puis, avoua-t-
elle avec un haussement d'épaules fataliste, en ce moment, mon budget ne
me permet pas de m'offrir le superflu.

Elle se garda d'ajouter que, vu l'état désastreux de ses finances en ce


moment, elle ne pouvait même pas envisager le strict minimum ! Surtout
dans un endroit comme celui-ci.

— À ce propos, je vais devoir changer de l'argent, dit-elle.

— Ce n'est pas la peine, l'interrompit-il en posant brièvement une main sur


sa cuisse. Aussi bref que fut ce contact, il éveilla en elle les sensations
désormais familières qui la bouleversaient à

chaque fois par leur violence. Pourquoi diable Vittore la mettait-il toujours
dans cet état ?

— J'aimerai que tu arrêtes de me toucher, déclara-t-elle en espérant que sa


voix trahissait plus de colère que de faiblesse.

— Excuse-moi, je voulais seulement te rassurer. Tu n'as pas à t'en faire pour


l'argent. Tu as tout abandonné pour te consacrer à Leo, et je tiens à te
prouver ma reconnaissance. Je compte bien te dédommager financièrement
pour ce que tu as fait, et ce que tu feras encore.

— Mais...

— Il n'y a pas de «mais» ! insista Vittore. Ma dette à ton égard est immense.
D'ailleurs, je voudrais te verser un salaire.

Cette remarque la laissa quelques instants sans voix. Petit à petit,


cependant, elle parvint à se raisonner : sa situation financière était
catastrophique, et un peu d'argent lui permettrait de souffler financièrement.
De plus, si Vittore la considérait comme une employée, leurs relations
prendraient peut-être un tour moins personnel. Très bien, elle serait
officiellement la nurse de Leo. Baissant les yeux sur sa robe à grandes
fleurs qui lui arrivait à mi-mollet, avec ses longues boucles désordonnées,
elle pensa qu'elle avait plutôt l'air d'une bohémienne.

— D'accord ! déclara-t-elle avant d'être prise d'un fou rire.

— Qu'est-ce qui te fait rire ? demanda-t-il, intrigué.

— Je ne ressemble vraiment pas à une nurse anglaise ! Ta mère va avoir une


attaque.
— À ta place, je n'en serais pas si sûr. Attends de la rencontrer !

— Ah bon ? Elle est si terrible que ça ?

— En fait, elle est merveilleuse. Mais elle ne ressemble pas à l'idée qu'on se
fait d'une mère... Contrairement à

toi. Tu as toutes les qualités pour devenir une femme et une mère parfaites.

— On m'avait prévenue que les Italiens exagéraient terriblement ! répliqua


Verity sur le ton de la boutade afin de cacher le plaisir que lui avait causé
son compliment.

— C'est vrai qu'il nous arrive d'exagérer, admit Vittore. Mais je pensais
sincèrement ce que j'ai dit.

— Alors, tu me connais mal ! Je n'ai rien de la femme au foyer ! Je suis


désordonnée, je ne sais pas faire de gâteaux, le jardinage me passionne
beaucoup plus que le repassage, et l'idée d'échanger avec d'autres jeunes
mamans des considérations sur les progrès de notre progéniture me hérisse
le poil.

— C'est bien ce que je disais : tu es parfaite !

Subrepticement, Verity lui glissa un regard en coin. Il était toujours


concentré sur la route, mais ses traits s'étaient adoucis.

Elle chercha alors à se débarrasser des idées dangereuses qui lui traversaient
l'esprit. «Il cherche à te séduire, c'est tout !» se morigéna-t-elle. Et à en
juger par les battements erratiques de son pouls, il fallait avouer qu'il s'y
prenait très bien.

— Arrête de me faire du charme, l'avertit-elle. Ça ne prendra pas.

— Je ne fais qu'énoncer les faits. Tu es belle, chaleureuse et passionnée.


J'aime ta franchise, ton sens de l'humour et même ton honnêteté parfois
déconcertante. Je sens que je peux te faire confiance, un sentiment que je ne
croyais plus éprouver après le départ de Linda.
Émue plus qu'elle n'aurait voulu l'avouer par ce portrait flatteur, Verity
profita néanmoins de l'allusion à sa soeur pour demander ce qui s'était passé
entre eux.

Aussitôt, l'expression de son compagnon s'assombrit.

— Je n'ai pas envie d'en parler.

— Tu voulais que j'apprenne à mieux te connaître !

— En m'observant, pas en écoutant les ragots.

— Vittore ! Je te demande ta version des faits, pas des racontars !

— C'est le passé, alors oublions-le !

Impossible, songea Verity. Tant qu'elle ne saurait pas la vérité, elle ne


pourrait jamais lui faire entièrement confiance.

L'atmosphère dans la voiture avait changé et Vittore ne cachait pas sa


contrariété. Les lèvres serrées et les sourcils froncés, il désigna du menton
une grande demeure élégante surplombant la mer avec des terrasses qui
s'échelonnaient jusqu'à la plage.

— Voici ma maison, marmonna-t-il.

— Ça, une «maison» ? s'écria Verity. On dirait plutôt un palais !

— C'était effectivement un palais, répondit-il d'un ton morne, tout


enthousiasme ayant disparu de sa voix. Le Palazzo di Fiorenzi, construit par
les princes florentins au XVIIIème siècle pour leur résidence d'hiver.
Impressionnée à la fois par sa froideur, et par la magnificence du palazzo,
Verity se tut. Elle ne put s'empêcher de songer à la vie que Linda avait
menée dans cet endroit. Sa soeur avait bénéficié de tout ce que l'argent
pouvait offrir... et pourtant elle s'était enfuie. Une telle décision était plutôt
surprenante, car Linda adorait le luxe et les signes extérieurs de richesse.

Revenant à l'instant présent, ce fut avec une certaine appréhension que


Verity entendit les grilles monumentales se refermer sur eux.
— Je te ferai visiter la propriété plus tard, déclara Vittore. Il vaut mieux
mener Leo dans sa chambre avant qu'il se réveille. Ah, enfin, nous y voilà !
s'exclama-t-il une fois engagé sur le sentier qui menait vers la maison.
Bienvenue chez moi.

Verity l'entendit ajouter à mi-voix :

— Daverro ! C'est bon de revenir ici... avec mon fils.

Trop étonnée par le spectacle qui s'offrait à ses yeux, Verity ne fit aucun
commentaire. Elle découvrait, émerveillée, des jardins magnifiques,
regorgeant de fleurs et de plantes exotiques : des bananiers aux larges
feuilles côtoyaient des rhododendrons tandis que les lauriers roses
immenses se mêlaient aux palmiers et aux mimosas. Et de tous côtés, des
rosiers grimpants partaient à l'assaut des murets dans un désordre splendide.
Devant ce chatoiement de couleurs éclatantes, on ne savait plus où donner
de la tête. Les papillons eux-mêmes virevoltaient joyeusement dans cette
profusion de teintes et de parfums.

— Ça ne ressemble en rien aux jardins à l'italienne qu'on voit dans les livres
! s'exclama Verity quand elle fut remise de sa stupéfaction.

— C'est l'oeuvre de ma mère, grommela Vittore. Elle déteste les jardins


classiques.

— Je sens que ta mère va me plaire !

— Tu la rencontreras ce soir. Après le struscio.

— Après quoi ?

— Cela veut dire «se pavaner», expliqua Vittore sans prendre la peine de
cacher son exaspération, comme s'il en avait assez de tout devoir lui
expliquer. En fin d'après-midi, on se promène sur le port, on s'observe les
uns les autres... On regarde qui porte quoi et qui sort avec qui...

— Et ta mère fait de même ?


Surprise, Verity se dit qu'elle avait hâte de rencontrer cette femme, qui lui
semblait de plus en plus sympathique.

À cet instant, Vittore gara la voiture devant le perron. Sortant rapidement du


véhicule, il ouvrit la portière arrière pour détacher le siège auto où dormait
Leo.

— Tu comprendras quand tu la verras, dit-il.

Puis, il se dirigea vers la demeure. Le coeur battant d'une appréhension


qu'elle ne s'expliquait pas, Verity le suivit, portant le sac de l'enfant.

Après avoir traversé le hall dallé de marbre, ils grimpèrent un escalier


monumental éclairé par un énorme lustre de cristal. Au passage, Verity
aperçut une galerie de portraits d'ancêtres qui, de leurs cadres, suivirent leur
ascension du regard.

Dans ce décor impressionnant, Verity se sentait minuscule et elle s'imaginait


déjà la réaction de Leo : il allait sûrement détester cet endroit trop grand, et
elle allait devoir le consoler et calmer ses cris, ils ne resteraient pas
longtemps dans ce palais, au milieu de ces jardins magnifiques, dans moins
de quatre semaines, ils seraient de retour à Londres.

À son grand étonnement, cette perspective lui sapa complètement le moral.


Elle en éprouvait déjà un sentiment de perte, et tandis qu'elle suivait Vittore
le long du couloir de l'étage, elle réalisa à son grand désespoir que son
séduisant compagnon était la cause de sa mélancolie.

Elle ne pouvait nier qu'elle le désirait, tout en étant consciente qu'il


représentait le fruit défendu. Et cela empirait à chaque heure passée en sa
présence. Dire qu'elle avait espéré que son désir finirait par s'apaiser !
C'était loin d'être le cas...

En effet, elle ne devait jamais oublier qu'aux yeux de Vittore elle ne


représentait qu'un moyen de regagner l'amour de son fils.

— Voici la nursery, annonça-t-il avec un sourire.


— Juste à temps, fit-elle remarquer, il commence à se réveiller. Il faudra
acheter un lit plus grand que ce berceau...

— Je sais, mais je n'en ai pas encore eu l'occasion.

Verity comprit qu'il était aussi impatient qu'elle de découvrir la réaction de


Leo face à son nouvel environnement. Doucement, elle s'assit dans un
fauteuil à côté du berceau, l'enfant dans les bras.

— Tu ferais mieux de te mettre un peu à l'écart, conseilla-t-elle.

— Bien sûr, s'empressa d'approuver Vittore à mi-voix.

L'instant d'après, Leo s'agita puis ouvrit les yeux.

— Bonjour, mon chéri, murmura Verity.

Il commençait à pleurnicher, lorsque Verity vit soudain Vittore mettre en


marche un mobile composé d'animaux de la ferme.

La musique résonnait joyeusement dans le calme de la grande chambre et


Leo se tourna pour voir d'où elle venait. Un sourire radieux illumina son
petit visage puis il éclata de rire en tendant une main vers le mobile.
S'attendant à tout moment à l'entendre crier, Verity l'aida à se redresser, et
lui désigna en les nommant les animaux qui tournoyaient. À sa grande
surprise, le sourire de Leo s'élargit, rappelant de façon poignante celui de
Vittore.

— Allez, viens, je vais te changer, marmonna-t-elle en s'efforçant de cacher


son trouble. Lorsqu'elle leva la tête, elle s'aperçut que Vittore était parti.
Haussant les épaules, elle fit un rapide tour des lieux, puis décida de donner
un bain au petit garçon dans la salle de bains adjacente. Pendant une demi-
heure, il barbota joyeusement sans manifester le moindre signe de
contrariété. Quand elle le sortit de la baignoire pour le sécher, Verity fut
surprise qu'il n'ait toujours pas pleuré. Au contraire, il semblait plutôt se
plaire dans ce nouvel environnement et, aussitôt qu'elle le posa par terre, il
se mit à explorer les trésors de la chambre, le visage rayonnant de plaisir.
Quand elle réussit à l'attraper pour l'habiller, Verity repensa aux paroles de
Vittore, persuadé que le changement de décor serait bénéfique pour Leo...
L'attitude de son fils semblait lui donner raison, mais quel enfant n'aurait
pas été

enthousiasmé par cette chambre qui ressemblait à la caverne d'Ali Baba ?

— Hé, arrête de gigoter ! demanda-t-elle à Leo qui ne voulait pas lâcher la


petite voiture rouge avec laquelle il jouait alors qu'elle essayait de lui mettre
son T-shirt.

Une fois qu'elle fut parvenue à le lui enfiler, elle appuya affectueusement un
doigt sur son petit nez. Leo se mit à rire, puis il se retourna vers la fenêtre et
jeta un regard perplexe au dehors. Vittore était sur la terrasse.

— C'est papa, lui dit-elle.

Le petit garçon observa attentivement son père qui buvait son café, mordant
de temps en temps dans un croissant. Le coeur battant, Verity surveillait la
scène dont elle comprenait toute l'importance. Rapidement, cependant, Leo
se détourna de la fenêtre et leva vers elle un regard angoissé.

— Tout va bien, chéri, le rassura Verity. Je suis là... Tu as faim ?

Évidemment, Leo acquiesça, et ils s'empressèrent de gagner le rez-de-


chaussée. Là, après avoir ouvert en vain plusieurs portes, Verity finit par
pénétrer dans un vaste salon donnant sur la terrasse, au plafond très haut,
dont les murs étaient décorés de fresques.

Malgré les meubles anciens, qui auraient été à leur place dans un musée, il
se dégageait de la pièce une atmosphère chaleureuse. Peut-être cette
impression venait-elle des objets hétéroclites qui semblaient avoir été
oubliés ici et là ? Un chapeau de paille sur une table, un livre ouvert
abandonné par terre à côté d'un profond fauteuil, des journaux entassés sur
un guéridon...

Et partout, il y avait des photos. Verity ne put pas les regarder


attentivement, car Leo tirait sur sa jupe pour l'attirer dehors, elle parvint
toutefois à suffisamment ralentir le pas pour leur jeter un rapide coup d'oeil.
Il s'agissait de photos prises sur le vif : on pouvait voir Vittore donner son
bain à Leo, jouer avec lui, le nourrir au biberon...

Voilà qui donnait à réfléchir, songea Verity. N'était-ce pas la preuve, si


besoin était, que Vittore s'était activement occupé de son fils ? Tandis
qu'elle se dirigeait vers la porte-fenêtre, elle dut admettre aussi que
certaines photos l'avaient plus particulièrement bouleversée. Notamment
celles de Leo dans les bras de jeunes femmes ravissantes, qu'elle n'eut
malheureusement pas le loisir d'étudier de plus près. Elle espérait sans trop
y croire qu'il s'agissait de parentes. Mais elle savait bien quel genre
d'homme était Vittore : il adorait les femmes, et elles le lui rendaient bien.
D'ailleurs Verity était persuadée que, si Leo restait auprès de son père, il
verrait défiler bien des compagnes auprès de celui-ci.

Songeant aux conséquences désastreuses du comportement frivole de


Vittore sur le caractère fragile de Leo, elle serra instinctivement la main du
petit garçon.

Il leva alors un regard confiant sur elle et demanda :

— Sossoss ?

— Tu veux des saucisses ? On va voir si on peut en trouver.

À ces mots, il battit joyeusement des mains. Ils étaient vraiment tout l'un
pour l'autre, songea Verity. Elle était le seul élément de stabilité dans sa
courte vie et quels que soient les droits de Vittore sur son fils, elle veillerait
à ce que ce dernier soit heureux.

Forte de cette résolution, elle sortit, mais dut s'arrêter un instant, éblouie par
le soleil. Quand ses yeux se furent habitués à la luminosité, elle aperçut
Vittore qui s'était levé à leur arrivée.

— Je peux m'en aller, si tu penses que c'est préférable, proposa-t-il


calmement. Verity baissa les yeux pour guetter la réaction de Leo.

— Sossoss ? demanda l'enfant en se trémoussant.


— Tu ne penses donc qu'à manger ! s'exclama la jeune femme en riant.

Puis elle s'adressa à Vittore :

— Je pense qu'il va bien pour l'instant. La faim lui a fait oublier sa peur, et
il a surtout envie de déjeuner. Oh... Elle avait poussé un petit cri surpris, car
Leo avait lâché sa main pour désigner une fontaine, un peu en contrebas sur
une terrasse.

— Gade ! s'écria-t-il, émerveillé.

— Regarde, corrigea Verity, c'est de l'eau. Tu aimes l'eau, n'est-ce pas Leo ?

Sans plus attendre, le bambin se dirigea vers l'escalier qu'il entreprit de


descendre avec précaution. Lorsqu'il fut parvenu devant la fontaine, il fit
des clapotis avec ses petites mains.

Il s'était éloigné d'elle pour la première fois ! songea Verity avec


attendrissement. Bien vite, cependant, une idée germa dans son esprit,
douchant son enthousiasme. Certes, c'était un merveilleux progrès pour
Leo... mais s'il s'acclimatait si vite, qu'adviendrait-il d'elle ? Elle était
beaucoup moins sûre maintenant que Leo rejetterait son père, et elle ne
savait ce qui l'angoissait le plus : la perspective de perdre Leo ou celle de
devenir la maîtresse de Vittore... Elle se sentit blêmir. Qu'est-ce qui lui avait
pris, bon sang, d'accepter un marché aussi insensé ?

Chapitre 7

Mal à l'aise, Verity observa Vittore du coin de l'oeil. Il s'était levé pour
ouvrir le parasol, et elle pouvait voir le sourire ravi qui illuminait ses traits.
Quand il se rassit, leurs yeux se rencontrèrent.

— Il n'est pas intimidé, fit-il remarquer. J'ai l'impression que la maison lui
plaît.

— Oui, admit-elle à regret.

— Tu devrais te réjouir pour lui.


— C'est le cas !

Tous les deux savaient parfaitement ce que cela signifiait. Vittore allait
remporter son pari, et Verity perdrait ce qui lui tenait le plus à coeur. Il avait
toutes les raisons de se réjouir, songea-t-elle avant qu'une exclamation
joyeuse, provenant du salon, ne l'arrache à l'emprise de ses yeux sombres.

— Oh ! Tesoro mio !

Tournant la tête, Verity vit une femme rondelette, entièrement vêtue de noir
qui s'approchait d'eux en poussant un chariot chargé de nourriture. Ses yeux
mouillés de larmes étaient fixés sur Leo tandis qu'un flot de paroles
s'échappait de ses lèvres.

— Chut, Maria ! murmura Vittore en lui tendant un mouchoir. Calma,


calma !... Verity, je te présente Maria, ma gouvernante. Maria, voici Verity,
la soeur de Linda. C'est elle qui s'est occupée de Leo... Avant qu'elle n'ait pu
prononcer un mot, Verity se retrouva serrée contre la forte poitrine de
Maria, qui lui murmurait des grazie à n'en plus finir.

— Vous avez ramené notre bébé ! chuchota-t-elle quand elle relâcha un peu
son étreinte. Grâce à vous, il conte sourit de nouveau. Je dois vous
embrasser, et vous remercier ! Je vous apporte le petit déjeuner... Le bébé
est si mignon, vraiment adorable... et je sais, je ne dois pas l'effrayer,
j'attendrai...

— Maria ! l'avertit Vittore d'une voix douce mais ferme.

— Oui, oui, je m'en vais... Je suis tellement heureuse ! Nous sommes tous si
heureux !

Quand elle fut partie, Verity songea que la gouvernante semblait très
attachée à Vittore. Ce genre d'affection ne s'achetait pas. Mais peut-être que
cette femme ignorait la véritable personnalité de son employeur ? Elle-
même, qu'en savait-elle ? Les récits de Linda ne correspondaient pas à ce
qu'elle avait découvert sur son beau-frère durant la semaine qu'ils avaient
passée ensemble. Pourtant, sa soeur n'avait pas pu inventer ces infidélités,
elle-même n'avaitelle pas vu de ses propres yeux les photos de ses
maîtresses dans le salon ?

L'arrachant à ses réflexions, Vittore l'avertit du retour de Leo. L'enfant la


rejoignit en trottinant allègrement et quand il fut arrivé devant Verity, il
réclama des saucisses.

— Toi et tes saucisses ! le taquina-t-elle. D'accord, tu vas les avoir. Mais


assieds-toi d'abord sur cette chaise... Leo commença à se débattre pour
montrer qu'il voulait déjeuner sur les genoux de Verity.

— Non, caro, intervint Vittore doucement. Cette chaise est pour toi, Maria
l'a apportée spécialement. Puis, avant que le petit garçon puisse protester, il
l'installa dans la chaise haute et boucla le harnais de sécurité. Malgré la
fermeté de ses gestes, il ne s'était pas un instant départi de sa gentillesse. Et
quand Leo ouvrit la bouche pour crier, Vittore lui tendit une petite saucisse.

Verity pouvait voir les sentiments mitigés qui assaillaient l'enfant. Il ne


savait pas s'il devait marquer sa désapprobation ou manger son plat favori.
Une autre saucisse fut posée dans l'assiette devant lui, puis Vittore partit en
sifflotant vers la maison. La tentation était trop forte pour le petit gourmand,
et aussitôt que le responsable de son mécontentement fut hors de vue, il se
mit à manger de bon appétit.

Interloquée, Verity regarda Vittore s'éloigner et un doute s'insinua lentement


en elle : s'était-elle complètement trompée sur l'attitude à adopter vis-à-vis
de Leo ?

Mais ce n'était pas une raison pour qu'elle abandonne Leo du jour au
lendemain ! se reprit-elle. L'enfant n'était pas encore tiré d'affaire, et Vittore
se rendrait bientôt compte que ce ne serait pas toujours aussi facile que ce
matin. Après le petit déjeuner, elle resta avec Leo dans le jardin. Le petit
garçon jouait dans le bac à sable tandis qu'elle admirait la mer au loin.
Soudain, elle fut tirée de sa contemplation rêveuse par une main invisible
qui poussa une piscine gonflable sur la terrasse. Elle ne put s'empêcher de
rire en voyant un tuyau d'arrosage avancer comme un serpent et commencer
à la remplir.
Leo - trop absorbé à tamiser du sable - n'avait d'abord rien remarqué, mais
lorsqu'il leva la tête, il poussa un cri de surprise, et il se serait précipité vers
la piscine si Verity ne l'avait pas intercepté de justesse. En écho à son propre
rire, elle entendit celui de Vittore, derrière la haie d'où venait le tuyau. Puis,
une serviette de bain atterrit à leurs pieds. Amusée par le subterfuge, elle le
remercia, sans obtenir de réponse.

En fin de matinée, Leo se lassa enfin de barboter dans l'eau et d'éclabousser


les alentours, le voyant se frotter les yeux de fatigue, Verity le tira du bassin
gonflable et se mit à le sécher vigoureusement, et lorsqu'elle le prit dans ses
bras, il s'assoupit aussitôt. Ce fut le moment que choisit Vittore pour
apparaître avec un matelas qu'il déposa à

l'ombre d'un olivier.

— Je peux le porter ? demanda-t-il en posant un regard émerveillé sur son


fils endormi. Estimant qu'elle aurait eu mauvaise grâce de lui refuser, Verity
lui tendit le petit garçon, qui grommela dans son sommeil.

Mais avant que Vittore ne le prenne, une voix féminine le héla depuis la
terrasse. Tournant la tête, Verity aperçut une jeune femme grande et mince
dont l'abondante chevelure auburn luisait au soleil. Vêtue avec une élégante
simplicité, l'inconnue devait avoir le même âge qu'elle. Son teint mat et ses
yeux sombres étaient tellement spectaculaires qu'elle n'avait pas besoin de
maquillage. Dès que Vittore l'aperçut, la joie se peignit sur ses traits et il
oublia complètement son fils - soit-disant bienaimé pour aller au-devant de
la superbe créature.

— Bianca !

C'était donc la fameuse Bianca, se dit Verity. Elle entretenait déjà une
liaison avec Vittore quand Leo était nouveau-né, et apparemment, ils étaient
toujours très proches.

Regardant obstinément l'horizon pour ne pas assister aux retrouvailles des


deux amants, Verity bouillonnait intérieurement. Elle ne s'était pas trompée,
après tout ! Pour Vittore, ses maîtresses passeraient toujours avant Leo, quoi
qu'il dise. Son attitude en cet instant n'en était-elle pas la preuve flagrante ?
— Nous voilà revenus au point de départ, mon chéri, murmura Verity à
l'intention de l'enfant endormi. Rien que toi et moi !

S'asseyant près du petit garçon, sous l'olivier, elle repensa au calvaire


qu'avait dû endurer Linda. Vittore était un égoïste qui ne pensait qu'à son
plaisir ! Pas étonnant que sa soeur n'ait pas voulu lui confier son fils. Et dire
qu'ellemême avait failli coucher avec cet homme... Heureusement qu'elle
s'était reprise à temps, sinon elle aurait été

mortifiée de le voir suivre Bianca comme un toutou ! Elle s'allongea bientôt


sur le dos, contemplant le ciel bleu, furieuse d'être bouleversée à ce point
par l'attitude de Vittore.

Ce soir-là, Verity se trouvait encore dans la nursery pour s'assurer que Leo
dormait bien, quand elle sentit la présence de Vittore et Bianca derrière elle.
Les nerfs tendus à craquer, elle resta immobile dans la pénombre qui
baignait la pièce.

Elle ne les avait pas vus de la journée, mais elle n'avait cessé d'imaginer à
quoi ils avaient occupé leur temps. Dévorée de jalousie, elle préférait ne pas
voir leurs visages de peur d'y lire la béatitude des amants comblés.

— Che bello ! murmura une voix douce dans son dos.

Sans se retourner, Verity regarda sa montre. Il était presque 8 heures. Serait-


elle obligée de subir la présence de la maîtresse de Vittore au cours du dîner
?

— Verity, je te présente Bianca.

En entendant la voix chaude de Vittore prononcer ce nom honni, elle


sursauta. Pour se donner une contenance, et éviter de répondre, elle remonta
la couverture de Leo avant de tapoter inutilement son coussin.

— Bonsoir Verity, chuchota Bianca d'une voix douce.

— Chut ! Il ne faut pas faire de bruit, lança-t-elle, consciente cependant


d'agir comme une enfant irascible.
— Il dort ? demanda Vittore qu'elle n'avait pas entendu approcher.

— Depuis quelques minutes seulement.

Vittore se pencha vers son fils et elle constata avec amertume qu'il le
couvait tendrement du regard. Il était vraiment un acteur exceptionnel.

Sans le quitter des yeux, Vittore invita Bianca à venir le voir de plus près.
C'était plus que Verity n'en put supporter. Sans se soucier de paraître
désagréable, elle leva la main.

— Il vaut mieux que vous n'approchiez pas, dit-elle à Bianca par-dessus son
épaule.

— Je pensais qu'il dormait...

— Son premier sommeil est toujours très léger, et je ne veux pas qu'il soit
dérangé. S'il vous aperçoit en ouvrant les yeux, il va paniquer.

— Tu auras tout le temps de le voir très bientôt, intervint Vittore pour


consoler la jeune femme qui semblait déçue.

— Je pense qu'il vaut mieux le laisser maintenant, déclara-t-elle à mi-voix.

— Mais... je l'ai à peine vu aujourd'hui, protesta Vittore.

— Je suis désolée, intervint Bianca avec son sourire angélique. C'est ma


faute... Bianca ne put continuer car Vittore la prit par le bras pour l'entraîner
hors de la chambre. Près de la porte, ils parlèrent quelques instants en
italien, puis elle l'embrassa sur les deux joues avant de se retirer. Espérant
faire comprendre à Vittore qu'elle voulait qu'on la laisse en paix, Verity
entra dans la salle de bains. Quelques instants plus tard, cependant, il la
rejoignit alors qu'elle pliait avec un soin excessif les vêtements de Leo. Elle
était tellement furieuse qu'elle mit un certain temps pour remarquer que son
manège semblait amuser Vittore.

— Tu es contrariée, fit-il remarquer.

— Mais non !
— Tu sais bien que c'est vrai, répondit-il avec un sourire insupportable. À
cause de Bianca.

— Qui ? Ah... pourquoi m'embêterait-elle ?

— Je l'ignore, et c'est justement ce qui m'intrigue, répondit Vittore en


avançant d'un pas. Il était beaucoup trop proche, songea Verity qui esquissa
un mouvement pour s'en aller. Hélas, il fut plus rapide qu'elle. L'attirant
contre lui d'un geste ferme, il l'obligea à le regarder dans les yeux.

— Je voudrais te convaincre que Bianca n'a jamais été ma maîtresse...,


lâcha-t-il en soupirant. Comme pour appuyer ses dires, il lui caressa
doucement le bras, faisant naître une langueur délicieuse au plus profond
d'elle-même. Au prix d'un effort surhumain, elle parvint cependant à se
ressaisir et à répondre froidement à

son regard brillant.

— Je me fiche de ce que Bianca représente pour toi. Tout ce que je sais,


c'est qu'elle a brisé ton mariage... et je ne veux pas que Leo se retrouve sous
l'influence de ce genre de femme.

— Elle n'est pour rien dans la fin de mon mariage ! rétorqua Vittore très
calmement. Et je trouve que tu es injuste de la juger sans la connaître.

— Je pensais avoir été claire, pourtant : pas d'inconnus autour de Leo !

— Il dormait...

— Il venait de s'endormir, rectifia-t-elle, et il pouvait encore se réveiller.

— Je sais. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai éloigné Bianca à midi.
Prise au dépourvu, Verity leva les yeux vers lui et vit qu'il la fixait
intensément.

— J'en ai profité pour la mettre au courant du problème de Leo, continua-t-


il, puis nous avons expédié quelques affaires urgentes. Comme tu le sais, je
dois modifier mon emploi du temps et je me suis dit que le plus tôt serait le
mieux.
Verity se rendit compte qu'elle triturait nerveusement une paire de
chaussettes de Leo... Sans doute pour empêcher ses mains de se poser sur
les épaules de Vittore.

— Tu lui as parlé de notre petit arrangement ? demanda-t-elle


laconiquement.

— Le délai de six mois ? Ça peut rester entre nous, tu ne crois pas ?


murmura-t-il en effleurant sa joue du revers de la main.

Un frisson parcourut Verity, et lorsque son compagnon pencha la tête, elle


ferma les yeux pour échapper à la vision de ses lèvres sensuelles. Mais de
toute évidence, il n'avait pas eu l'intention de l'embrasser, car l'instant
d'après, il avait relâché son étreinte.

— Je vais te montrer ta chambre, qui est juste à côté de celle de Leo,


déclara-t-il d'un ton impersonnel. Quand tu te seras changée, nous dînerons.

Trop interloquée pour parler, elle le suivit. Repensant qu'elle avait de


nouveau été à deux doigts de lui succomber, elle se dit que Vittore avait
décidément un très grand pouvoir sur elle. En arrivant devant la salle à
manger, une demi-heure plus tard, Verity entendit le son d'une conversation
animée. Vittore et la splendide Bianca ne l'avaient apparemment pas
attendue pour s'amuser. Sachant qu'elle ne pourrait lutter à armes égales
contre l'élégance sophistiquée de Bianca, Verity avait volontairement choisi
des couleurs éclatantes. Une longue jupe safran et un corsage écarlate sans
manches composaient sa tenue.

Après avoir vérifié subrepticement l'état de son chignon, elle prit une
profonde inspiration, redressa fièrement les épaules et pénétra dans la salle
à manger.

La première chose qu'elle remarqua fut la splendeur de la pièce, avec ses


murs lambrissés et l'immense table d'acajou qui occupait son centre. Le
cristal des verres ainsi que l'argenterie scintillaient dans la lumière
vacillante des chandelles.
Ensuite seulement, elle aperçut Vittore qui s'était levé pour l'accueillir.
Agréablement surprise par la lueur de désir qui illuminait son regard, Verity
s'immobilisa. «Allons, se morigéna-t-elle, tu prends tes rêves pour des
réalités !» Ce regard brûlant devait en fait être destiné à la femme blonde
assise en face de lui et dont Verity ne voyait que le dos.

Encore une maîtresse ! Allait-il en exhiber une nouvelle chaque jour,


comme un magicien dans un cirque ? se demanda Verity, scandalisée.

— Oh ! s'écria la compagne de Vittore avant de se tourner vers elle.

À sa grande confusion, Verity découvrit une femme plus âgée que Vittore,
dont le visage bienveillant était parsemé de fines rides d'expression. Elle eut
aussitôt la certitude qu'il ne s'agissait pas d'une des maîtresses de Vittore.
Verity ne put retenir un sourire en voyant la tenue de l'inconnue. Avec sa
jupe orange et son caraco rouge, elle était pratiquement habillée comme
Verity ! Un sourire ravi se peignit également sur les traits de la femme
tandis qu'elle se levait pour lui souhaiter la bienvenue.

Sans savoir comment, Verity se retrouva l'instant d'après dans les bras de
l'inconnue qui la serrait affectueusement contre elle comme si elles étaient
les meilleures amies du monde.

— Maman..., commença Vittore.

— Oh, où ai-je la tête ! s'écria la femme dans un éclat de rire. Je suis la


mère de Vittore et je m'appelle Honesty. Un nom ridicule, n'est-ce pas ?
Mais je m'y suis habituée, depuis le temps. Et vous, vous devez être Verity !
Je suis si heureuse de vous rencontrer... Vittore, petit cachottier, tu ne
m'avais pas dit qu'elle était aussi belle. Je vous ai observée cet après-midi
tandis que vous jouiez avec le bébé dans le jardin : vous avez l'air de vous
entendre tellement bien avec lui ! Et je suis ravie que vous restiez quelques
mois avec nous, le temps que Leo s'habitue à son environnement.

Ne voulant pas que la mère de Vittore se fasse de fausses idées, Verity


ouvrit la bouche pour lui expliquer la situation, mais celle-ci reprit aussitôt
la parole :
— Et j'ai remarqué que vous vous intéressiez aux plantes...

— Maman ! l'interrompit Vittore.

Honesty éclata de rire et lança un sourire affectueux à son fils.

— Il est aussi autoritaire que son père ! déclara-t-elle en prenant Verity par
le bras pour la conduire à table. Vous aimez les jardins ? continua-t-elle
lorsqu'elles se furent assises. Vittore a été conçu dans un jardin comme
celuici. Depuis cette époque, j'ai un faible pour ces arbres, et les étoiles
filantes... Et vous-même, quel type de jardin appréciez-vous ?

— Maman ! Tu ne lui laisses même pas le temps de répondre ! murmura


Vittore en tapotant gentiment la main de sa mère.

— Il pense que seuls les Italiens sont passionnés, poursuivit Honesty en se


penchant vers la jeune femme. Mais nous savons que c'est faux, n'est-ce pas
?

Cette fois, ce fut Maria qui, en apportant un plat de spaghetti aux fruits de
mer, empêcha Verity de parler. Lorsque la gouvernante eut rempli son
assiette, elle demanda :

— Seriez-vous Anglaise, par hasard ?

— Oui. J'ai rencontré Arturo - le père de Vittore - au cours d'un reportage


que je faisais sur le monde de la mode. Et j'ai eu le coup de foudre pour cet
homme d'une intelligence et d'une bonté sans limites. Je ne me suis
d'ailleurs jamais remise de cette rencontre. Certains prétendent que le coup
de foudre n'existe pas... Eh bien, je peux vous dire que c'est faux ! Chaque
fois que je regardais Arturo, j'en avais les jambes coupées !

Cette description correspondait tellement à ce qu'elle-même éprouvait


quand Vittore s'approchait d'elle que Verity rougit violemment. Levant les
yeux vers l'intéressé, elle vit que son trouble ne lui avait pas échappé car un
sourire goguenard éclairait son visage.

— Demande à ma mère qui est Bianca, lui conseilla-t-il.


— C'est une fille adorable ! s'exclama aussitôt Honesty. Si loyale, si
consciencieuse ! Elle était destinée à

Vittore depuis sa plus tendre enfance - leur mariage aurait scellé l'union de
deux empires industriels - mais Arturo est mort peu de temps avant la date
prévue pour leurs fiançailles. Deux mois plus tard, Vittore épousait votre
soeur... Je ne sais pas ce qui lui a pris, au demeurant..., ajouta-t-elle
ingénument. Ils n'avaient rien en commun !

Puis passant de nouveau du coq à l'âne, Honesty lui posa toutes sortes de
questions.

— Tu devrais manger un peu, maman, déclara Vittore en fronçant les


sourcils, et laisser Verity placer quelques mots.

Selon toute apparence, il n'était pas très content des révélations de sa mère.

— J'ai cru comprendre que Bianca passait beaucoup de temps ici ? demanda
Verity.

— C'est sa seconde maison, confirma Honesty. Vittore et elle sont comme


les doigts de la main... Ils sont obligés de se voir souvent, parce que c'est
Bianca qui le remplace au bureau quand il s'occupe des enfants. L'image de
Vittore entouré d'une douzaine d'enfants illégitimes vint immédiatement à
l'esprit de Verity.

— Quels enfants ? demanda-t-elle faiblement.

— Vittore était inconsolable et tournait en rond quand Leo a disparu,


expliqua Honesty. Maria et moi avons dû

sérieusement le secouer pour l'arracher à la dépression qui le menaçait. Je


lui ai suggéré de s'occuper d'enfants qui avaient besoin d'aide, et il s'y est
mis ! Il a créé des centres d'accueil pour enfants handicapés dans le monde
entier. Vous devriez voir les progrès qu'ils font quand on leur prodigue les
soins appropriés ! C'est miraculeux... Et quel bonheur ! Oui je sais, Vittore,
je vais manger et laisser parler Verity...
— Tu penses que tu vas y arriver ? demanda son fils.

Sans se laisser démonter par son ironie, Honesty lui répondit par un sourire.
Interloquée par ce qu'elle venait d'apprendre sur son compte, Verity le
dévisagea, incrédule. Elle ne parvenait pas à concevoir que Vittore ait pu
faire quelque chose d'aussi formidable. Toutes ses certitudes vacillaient : se
pouvait-il qu'en fin de compte, il ne soit pas le séducteur superficiel qu'elle
avait cru ?

Bien sûr, rien n'empêchait qu'il soit à la fois un philanthrope et un coureur


de jupons ! Et qu'en était-il de Bianca ? Pouvait-elle se fier aux propos
d'Honesty ? Verity n'en était pas convaincue. Elle retournait encore ces
informations troublantes dans son esprit, quand elle se rendit compte que la
mère de Vittore attendait qu'elle parle. Verity lui sourit chaleureusement.

— Qu'est-ce que je pourrais vous dire sur moi... ? Pas grand-chose, en


réalité. Vous savez sans doute que j'ai été

adoptée. J'ai suivi des études d'horticulture et à présent je suis paysagiste.


Avant de tout abandonner pour m'occuper de Leo, j'avais une bonne
clientèle, même si mon travail était parfois répétitif... Comme pour tout, en
matière de jardinage, il y a des modes que je suis parfois obligée de suivre,
même si cela va à l'encontre de mes goûts personnels...

— Je vois que nous nous entendrons bien ! déclara Honesty tandis que
Maria débarrassait les assiettes. Nous avons beaucoup de gouts en commun.
Et j'adore la couleur de vos cheveux. Ils sont vraiment magnifiques ! N'est-
ce pas Vittore ?

— Oui.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? Où sont passées tes bonnes manières ? se récria


sa mère. Complimente-la, elle est superbe !

— Je ne veux pas la faire rougir, rétorqua Vittore sèchement.

— Eh bien, c'est raté ! Elle est rouge comme une pivoine. Oh! Mon Dieu...
S'étant brusquement interrompue, elle se leva et jeta sa serviette sur la table.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Vittore visiblement inquiet.

— J'ai oublié d'arroser mes boutures ! Il faut absolument que je rentre chez
moi.

— Quoi ! s'exclama Vittore. C'est bien la peine de me faire une telle frayeur
! Je pensais que tu avais été piquée par une guêpe... Quant à tes boutures,
quelqu'un d'autre peut très bien s'en occuper.

— Non ! Je dois absolument y aller. Vous me comprenez, n'est-ce pas,


Verity ? continua-t-elle en s'adressant à

la jeune femme. Vous, vous savez que les plantes sont comme les enfants...
qu'elles ont besoin d'attentions constantes. Sans s'arrêter de parler, elle se
dirigea vers la porte.

— Au revoir, chère Verity. À nous deux, nous allons faire quelques


changements dans le jardin, ça sera une surprise pour Vittore...

— Sois prudente au volant, conseilla ce dernier.

— Je ne peux pas me permettre d'avoir un accident maintenant, mon chéri,


alors que je n'ai même pas encore pu profiter de mon petit-fils ! Et inutile de
m'accompagner à la porte, je connais le chemin. Poussant un soupir, Vittore
retourna s'asseoir. Lorsqu'il se tourna vers Verity, elle put voir un sourire
attendri sur son visage.

— Cette chère maman... Tu n'as pas eu l'impression de passer sous un


rouleau compresseur ? ajouta-t-il malicieusement.

— Je ne m'attendais certainement pas à un tel ouragan, confirma Verity en


riant. Elle est merveilleuse.

— Je me doutais qu'elle te plairait. Tu vois qu'il ne faut jamais juger


quelqu'un sans le connaître. Une heure plus tard, Verity était parfaitement
détendue. Le dîner délicieux préparé par Maria avait grandement contribué
à son bien-être. Oubliant toutes les appréhensions qui avaient précédé sa
venue en ce lieu enchanteur, elle échangeait des points de vue à tous propos
avec son hôte. À plusieurs reprises, ses remarques le firent éclater de rire,
ce qui la ravit secrètement.

Quand Maria arriva avec le café, Verity la remercia pour le dîner.

— Vous êtes un vrai cordon bleu !

— C'est facile quand on cuisine pour ceux qu'on aime, répondit la


gouvernante. Appuyant ces paroles d'un sourire entendu, elle se pencha vers
Vittore, et à la grande surprise de Verity, lui posa familièrement un baiser
sur le front. Le maître de maison parut trouver cette marque d'affection tout
à fait normale et il lui rendit son sourire.

— Tu peux te retirer, Maria, lui dit-il. Ce n'est pas la peine de débarrasser


ce soir. Buena sera. Quand Maria leur eut souhaité bonne nuit, Verity la
suivit d'un regard songeur tandis que celle-ci sortait de la salle à manger.
Elle devait admettre que jusqu'à présent, aucun indice n'était venu étayer les
accusations de Linda à

l'encontre de Vittore. Elle imaginait mal des femmes aussi sympathiques


que Honesty et Maria accepter qu'un homme trompe son épouse. Pourtant,
se rappela-t-elle, Linda s'était enfuie... Il faudrait qu'elle demande à la mère
de Vittore de l'éclairer sur ce point puisque lui-même refusait d'en parler.
Au moins, elle aurait une réponse franche et directe !

songea-t-elle avec amusement.

Vittore s'était levé et avait pris d'une main le plateau sur lequel étaient
posées deux tasses à expresso et une coupelle contenant des truffes au
chocolat.

— Si nous prenions le café dehors ? proposa-t-il. Le parfum des daturas est


particulièrement agréable le soir.

— Comment pourrais-je refuser une offre aussi tentante ? Ce sont mes


fleurs préférées.
— Viens, murmura-t-il.

Elle n'hésita qu'une fraction de seconde avant de prendre la main qu'il lui
tendait. Traversant lentement la pelouse, Verity songea que le ciel
ressemblait à un dais de velours parsemé d'étoiles scintillantes. Bientôt la
lune lui apparut à travers les arbres. Comme s'il était lui aussi ému par la
quiétude de cette nuit d'été, Vittore serra un peu plus sa main et Verity sentit
son coeur se gonfler d'émotion : elle avait l'impression qu'ils étaient
ensemble depuis toujours. C'était sans doute l'influence de ce cadre
romantique, se dit-elle. Ainsi que le plaisir de parler avec quelqu'un qui la
comprenait... À moins que ce ne soit plus prosaïquement l'effet des deux
verres de vin qu'elle avait bus ?

Lorsqu'il eurent atteint l'extrémité de la terrasse, Verity resta bouche bée


devant le panorama de la baie d'Amalfi qui s'étendait sous ses yeux.
Emerveillée, elle s'enivrait du parfum entêtant des daturas, tandis que le
doux murmure des vagues s'échouant sur la plage se mêlait au chant des
cigales.

Vittore avait posé le plateau sur une petite table en fer forgé et lui tendit une
tasse de café. Verity la prit et huma avec délice l'odeur corsée qui s'en
dégageait, avant de boire une première gorgée. Lorsqu'elle releva la tête,
elle eut l'impression que Vittore s'était rapproché d'elle. À moins que ce ne
soit elle qui ait fait un pas vers lui ? Elle ne savait plus très bien...

À cet instant, il ôta la tasse de ses mains légèrement tremblantes. Lorsqu'il


se mit à caresser ses lèvres d'un doigt, elle les entrouvrit spontanément...
Vittore en profita alors pour déposer sensuellement une truffe en chocolat
dans sa bouche. Les paupières de Verity se fermèrent d'elles-mêmes et elle
dégusta sa bouchée au chocolat avec délectation. Quand elle rouvrit les
yeux, elle eut juste le temps de voir Vittore capturer sa bouche, faisant
naître en elle une vague de sensations bouleversantes.

Lorsqu'il interrompit son baiser, elle poussa un petit cri de frustration.

— Je pourrais rester ici toute la nuit, murmura-t-il, mais il est tard... Après
le voyage et la journée que tu as passée à t'occuper de Leo, tu as besoin de
repos, sinon tu ne tiendras pas le coup bien longtemps. Verity était trop
étonnée pour protester et elle le suivit comme un automate à l'intérieur de la
maison. Au lieu de se réjouir qu'il ait su se montrer raisonnable, elle était
déçue qu'il n'ait pas insisté ! Curieuse réaction...

— Bonne nuit, chuchota-t-il quand ils furent arrivés en bas de l'escalier.

— Bonne nuit, répondit Verity d'une voix rauque avant de monter dans sa
chambre aussi rapidement que sa dignité lui permettait.

Une fois qu'elle eut refermé la porte, elle se déshabilla à la hâte, et sans
prendre la peine de mettre une chemise de nuit, se glissa dans son lit. La
fraîcheur des draps la rasséréna. Elle ne comprenait pas comment elle avait
pu être naïve au point de croire que Vittore la désirait. Pour lui, leur
complicité n'était qu'un moyen de gagner la confiance de Leo.

Furieuse de s'être laissée prendre au jeu, elle enfouit sa tête dans son
oreiller, et finit par sombrer dans un sommeil agité, peuplé d'images de
Vittore en train de lui faire l'amour.

Chapitre 8

Après une interminable douche froide, Vittore était enfin parvenu à calmer
le désir qui le consumait. Il prenait souvent des douches, ces temps-ci,
songea-t-il, désabusé.

Rien ne parvenait cependant à supprimer les pensées qui se bousculaient


dans sa tête. Quand il se mit au lit, le souvenir du corps de Verity le hantait
encore.

Les yeux fixés au plafond, il tentait de se raisonner. Après ce qui s'était


passé avec Linda, il s'était juré de ne plus jamais se laisser piéger par une
femme. Mais Verity l'obsédait, nuit et jour. Une fois qu'il aurait assouvi ce
désir lancinant qui le minait, il pourrait se consacrer entièrement à son fils.
Quand Leo n'aurait plus peur de lui, Verity retournerait chez elle et tout
rentrerait dans l'ordre. Verity ! À la simple évocation de ce nom, son coeur
se mit à battre la chamade. Il était conscient que la perspective du départ de
la jeune femme le mettait dans tous ses états, mais il préférait croire que
c'était parce qu'il ne voulait pas qu'elle s'en aille avant d'avoir couché avec
lui.

Respirant profondément pendant de longues minutes, il réussit à recouvrer


son calme. Mais tout son corps se tendit lorsque la porte de sa chambre
s'ouvrit doucement pour laisser entrer... Verity. Il étouffa un juron : elle était
complètement nue, et elle se dirigeait vers son lit ! Immobile, Vittore la
regarda avancer, ne pouvant s'empêcher d'admirer la perfection de son corps
de déesse. Il pouvait enfin se repaître de ce qu'il n'avait fait que deviner
jusqu'à présent : ses seins fermes, sa taille fine, son ventre plat et le triangle
sombre en haut de ses cuisses fuselées.

Quand elle écarta le drap qui le couvrait, il était trop subjugué pour faire le
moindre geste. Il n'était même pas sûr d'être réveillé ! Pourtant, lorsqu'elle
s'assit à côté de lui et commença à le caresser voluptueusement, le frisson
délicieux qui le parcourut n'avait rien d'irréel !

D'abord, elle effleura son torse, avant de descendre vers son ventre où elle
s'attarda sur ses muscles tendus. Vittore ferma les yeux malgré lui. La voix
de la raison lui soufflait de faire cesser immédiatement cette torture, mais
quand elle entreprit de caresser doucement son sexe gonflé de désir, il ferma
les yeux. Il les rouvrit presque aussitôt. Car Verity se leva aussi
brusquement qu'elle était entrée, et quitta la chambre en trébuchant sur le
seuil. Un bruit sourd tira Vittore de son hébétude, et il se leva à son tour
pour l'empêcher de se blesser. Qui sait si elle n'allait pas tomber dans les
escaliers ?

Enfilant un kimono de soie, il attrapa un drap dont il avait l'intention de


couvrir Verity avant de la reconduire dans sa chambre. Il devait encore être
sous le coup du choc, car lui aussi trébucha en sortant de la chambre. Arrivé
au bas de l'escalier - que la jeune femme avait apparemment descendu sans
encombre - il l'aperçut, ses cheveux flottant sur les épaules, qui traversait en
courant le long couloir du rez-de-chaussée, puis la salle à manger, jusqu'à la
porte menant à la terrasse.

Juste avant qu'elle ne franchisse le seuil, Vittore eut le temps de débrancher


l'alarme, mais il ne s'arrêta pas pour reprendre son souffle, car Verity
poursuivait sa course, et il avait l'impression que ses pieds touchaient à
peine le sol tandis qu'elle se dirigeait vers le jardin.

Accélérant sa course, il parvint à la rattraper au moment où elle arrivait sur


la deuxième terrasse. Là, il s'arrêta pour l'observer, fasciné, peinant à
retrouver sa respiration devant ce spectacle hautement érotique. Elle avait
rejeté sa tête en arrière, et la brise caressait son corps baigné par la clarté
lunaire. Puis elle s'allongea sur l'herbe.

Il devait la ramener à la maison, s'admonesta Vittore, le souffle court. Avec


des mouvements maladroits qui trahissaient son trouble, il s'agenouilla près
d'elle et la saisit par les épaules pour la relever.

— Vittore, murmura-t-elle d'une voix languissante qui lui donna le vertige.

Levant les bras, elle les noua autour de sa nuque, l'attirant contre son corps
nu. Sa tête tournait de plus en plus, mais cela ne le surprit pas : il ne l'avait
jamais désirée aussi ardemment qu'en cet instant.

Tétanisé, il assistait impuissant à sa propre défaite, tandis que Verity


mordillait son épaule tout en glissant une main vers son membre viril.

— Non, protesta-t-il faiblement.

Mais il se rendait compte lui-même que son refus sonnait plutôt comme une
supplique. Pour toute réponse, elle parsema son torse d'une pluie de baisers,
puis descendit vers son sexe dressé, sur lequel ses lèvres remplacèrent
bientôt ses mains.

Vittore sentit le barrage de sa résistance céder et ses résolutions disparurent


dans les tréfonds de sa conscience. Laissant libre cours à la passion qu'il
contrôlait depuis des jours, il prit Verity dans ses bras, et l'attira tout contre
lui pour s'emparer de ses lèvres en un baiser fougueux.

Un frémissement de plaisir parcourut le corps de sa compagne, et elle


prononça son nom dans un soupir émouvant. Elle devait être réveillée, à
présent, songea-t-il soudain en découvrant les yeux d'un violet intense fixés
sur lui. L'impression d'avoir été manipulé qu'il éprouva brièvement fut
bientôt balayée par un sentiment de soulagement : Verity savait ce qu'elle
faisait ! Elle l'avait délibérément attiré dans le jardin pour le séduire.
Intrigué, il fixait toujours le visage de la jeune femme, sans faire un geste,
cependant. Si elle voulait faire l'amour, qu'elle prenne l'initiative ! Ainsi elle
ne pourrait pas l'accuser d'avoir abusé d'elle. Il eut cependant le plus grand
mal à se retenir quand ses seins frôlèrent son torse.

Très doucement, elle le repoussa jusqu'à ce qu'il soit allongé sur le dos, dans
ce mouvement, son kimono s'ouvrit. S'allongeant sur lui, Verity s'empara de
ses lèvres et ils s'embrassèrent si longuement que Vittore eut l'impression
que leurs âmes communiquaient par ces baisers de plus en plus profonds.
Bientôt cependant, il oublia ses résolutions, et n'y tenant plus, il roula sur
lui-même, entraînant Verity avec lui. Lorsqu'il se trouva au-dessus d'elle, il
explora chaque parcelle de son corps avec ses lèvres, bien décidé à lui faire
perdre la tête.

— Tu es sûre que c'est ce que tu veux ? murmura-t-il d'une voix haletante.

— Oui !

Joignant le geste à la parole, Verity fit glisser ses mains le long du dos de
Vittore jusqu'à ses reins, et d'un geste sans équivoque, elle l'attira davantage
contre lui. Comment résister à cet appel ? se demanda Vittore tandis qu'il
venait se placer entre les cuisses de la jeune femme. Malgré la puissance de
son désir, il la pénétra pourtant très lentement, pour savourer chaque
seconde de cette intimité à laquelle il aspirait depuis si longtemps.

— Qu'est-ce que je dois faire ? chuchota Verity dans un souffle. J'ai envie
de bouger aussi... Mais je ne sais pas si... S'il te plaît, Vittore, apprends-moi.

Vittore s'immobilisa, incertain d'avoir bien entendu. Levant la tête, il la


dévisagea avec incrédulité. Elle ne voulait quand même pas dire qu'elle était
vierge ?

— T'apprendre quoi... ?

Le regard incandescent qu'elle lui lança le bouleversa au plus profond de


lui-même.
— Je n'ai jamais été aussi loin..., avoua-t-elle, légèrement haletante.

Bon sang ! pensa-t-il en fermant les yeux. Malgré les mains fébriles de
Verity qui tentaient de le retenir, il s'arracha à leur étreinte et se laissa rouler
sur le côté. Étendu sur le ventre, il s'agrippa machinalement à des touffes
d'herbes, comme un noyé se rattachant à une planche de salut.

Quelques instants plus tard, il sentit la caresse de sa main si douce sur son
dos, ses fesses.

— Non ! grommela-t-il en s'écartant un peu plus.

Les doigts tremblants, il rabattit les pans de son peignoir et en resserra la


ceinture, sans cesser de tourner le dos à Verity.

— Que se passe-t-il, Vittore ?

Ému par le ton inquiet de sa voix, il dut faire appel à toutes ses réserves de
volonté pour ne pas la reprendre dans ses bras et lui faire l'amour sur-le-
champ. D'un ton froid et impersonnel, il déclara :

— Je te raccompagne à ta chambre.

— Quoi ? s'exclama-t-elle, visiblement choquée.

— Tu ne veux pas tomber enceinte ? continua Vittore en lui faisant


finalement face.

— Non.

Dans la pénombre, il vit que ses yeux se voilaient d'une brillance humide.

Pendant une fraction de seconde, il ne put s'empêcher d'imaginer Verity


portant un enfant de lui. Mais il se ressaisit aussitôt pour s'éloigner
davantage de la jeune femme. Doutant des réactions de son propre corps, il
estimait plus prudent de mettre la plus grande distance possible entre eux.

— Allons, nous ferions mieux de rentrer, conclut-il.


— Mon Dieu ! s'exclama-t-elle comme si elle venait seulement de réaliser
ce qui se passait. Qu'est-ce que je fais ici ?

Pour toute réponse, il lui tendit la main pour l'aider à se relever. Puis il se
pencha pour ramasser le drap qu'il posa sur ses épaules. Quand elle fut enfin
couverte, il osa la regarder.

— Allons-y !

— Pas avant que tu ne te sois expliqué ! s'écria-t-elle, furieuse. Comment


m'as-tu attirée ici ? Et pourquoi n'aije aucun vêtement ? Tu as mis quelque
chose dans le vin, ou dans la nourriture, c'est ça, hein ? C'est ainsi que tu
séduis les femmes qui te résistent ?

— Je n'ai pas besoin de ça pour coucher avec une femme! répliqua-t-il en


lui lançant un regard glacial.

— Comment me suis-je retrouvée toute nue dans le jardin ?

— Ne fais pas l'innocente ! Tu savais parfaitement ce que tu faisais quand


tu es entrée dans ma chambre.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne suis jamais allée dans ta chambre !

Vittore n'en croyait pas ses oreilles ! Comme il l'avait soupçonné, Verity
avait l'intention de rejeter l'entière responsabilité sur lui. Quel culot ! Mais
il n'allait pas se laisser faire.

— Bien sûr que si ! Tu es venue dans ma chambre, puis tu t'es assise sur
mon lit, entièrement nue.

— Tu inventes ! s'exclama-t-elle, scandalisée. Et après ? Je t'ai proposé une


promenade au clair de lune ?

— Non, murmura-t-il, un frisson le parcourant à ce simple souvenir. Tu


m'as caressé. Le rouge de la honte brûlant ses joues, elle s'écria :

— Je sais que tu mens ! Même en rêve, je n'aurais pas fait une chose
pareille ! Comment oses-tu suggérer...
— Tu vas peut-être prétendre que tu as encore eu une de tes crises de
somnambulisme ? l'interrompit-il sèchement.

Bouche bée, elle le dévisagea quelques instants avant de parvenir à parler.

— «Encore» ?

— Allons, tu as déjà dû te réveiller dans des endroits étranges et te


demander ce que tu faisais là ?

Il aurait juré que sa surprise n'était pas feinte.

— Je me souviens maintenant, fit-elle d'une toute petite voix qui le


bouleversa. Ça m'est arrivé en Angleterre, peu de temps avant ton arrivée.
Je me suis réveillée un matin, par terre à côté du berceau de Leo... Mais,
comment estu au courant ?

— Parce que tu es revenue plusieurs fois auprès de Leo quand je dormais


dans la nursery. Généralement tu retournais dans ta chambre à l'aube.

— Et toi... ? Que faisais-tu ?

— Je me rendormais !

Il se garda bien toutefois d'ajouter qu'il se retournait encore longtemps dans


le lit avant de trouver le sommeil.

— Je t'assure, Verity, que si j'avais profité de l'occasion... Si je t'avais fait


l'amour... Tu t'en serais souvenue.

— Oh, mais pourquoi n'as-tu rien dit ?

— Que voulais-tu que je fasse ? Que je te ligote à ton lit ?

Il regretta aussitôt sa remarque ironique car la vision de la jeune femme, se


prêtant à un jeu érotique, ses fins poignets liés par des foulards de soie aux
montants d'un lit, s'imposa à son esprit, le plongeant dans un trouble sans
équivoque.
Verity, quant à elle, semblait avoir recouvré ses esprits.

— Eh bien, c'est ce qui a dû se produire ce soir : je n'étais pas consciente de


mes actes... Mais cette fois-ci, tu as voulu profiter de la situation, Vittore !

— C'est faux ! Et inutile de te cacher derrière ton histoire de


somnambulisme, j'ai vu ton regard, Verity : tu étais consciente.

— Oui ! J'ai fini par me réveiller ! Mais cela n'empêche pas que tu as
profité de mon inexpérience...

— Arrête ! s'écria Vittore en la saisissant par les épaules. Si je ne m'étais


pas interrompu à temps, nous serions en train de faire l'amour en ce moment
même. Car c'est ce que tu voulais, non ? Quand tu m'as fait du charme et
que tu m'as entraîné ici.

— J'étais inconsciente ! se défendit-elle avec véhémence, tandis que des


larmes de désespoir perlaient à ses yeux. Tu sais que je suis somnambule,
pourquoi crois-tu que ce n'était pas le cas aujourd'hui ?

— Parce que je n'ai pas plus confiance en toi que le contraire ! Je ne suis
pas aveugle : je sais que tu me désires. Tu veux peut-être préserver ta fierté
en inventant cette histoire de somnambulisme... Mais n'espère pas me la
faire avaler ! Moi aussi j'ai ma fierté, et je ne te laisserai pas dire que j'ai
profité de ton sommeil pour coucher avec toi !

— Toi aussi tu me désires.

— Je ne le nie pas. Mais je ne te prendrai jamais contre ton gré. Je veux te


faire l'amour jusqu'à ce que tu en perdes la tête, et je veux que tu sois
consciente de chaque seconde de plaisir que nous partagerons. Vittore avait
prononcé ces paroles fiévreuses dans une sorte de transe qui fit trembler
Verity. Comment aurait-il pu prévoir l'émotion étrange qui remplaça sa rage
? Ému par la vulnérabilité de la jeune femme, il se pencha vers elle comme
s'il avait voulu effacer les larmes de son visage par ses baisers légers.
Malgré la tendresse de sa caresse, Verity restait figée dans ses bras.
— Laisse-toi aller, murmura-t-il avant de s'emparer de ses lèvres
frémissantes.

— Non ! s'écria-t-elle dans un sursaut d'énergie. Tu profites de mon


inexpérience pour me séduire, alors que tout ce qui t'intéresse, c'est
d'amadouer Leo grâce à moi. Mais tu peux faire une croix sur ton pari ! Je
sais à présent que tu n'es pas digne d'être son père. Et j'espère avoir la force
de le protéger contre ton influence néfaste. Redoutant de ne pouvoir
soutenir le regard de Vittore plus longtemps sans fondre en larmes, Verity
remonta le drap sur elle et lui tourna le dos.

Voyant avec quelles difficultés elle se dirigeait vers la maison, Vittore


poussa un profond soupir avant de la rattraper. Sans se soucier de ses
protestations, il la souleva dans ses bras et la porta jusqu'à sa chambre. Là,
il la déposa sur le lit, avant de chuchoter à son oreille :

— Je pourrais te faire l'amour tout de suite. Mais je ne le ferai pas car je ne


veux pas profiter de ta faiblesse. Vas-tu encore dire que ce sont les manières
d'un homme prêt à tout ?

Sur ces mots, il se redressa et quitta la pièce en claquant rageusement la


porte. Chapitre 9

Restée seule dans sa chambre, Verity tentait vainement de redevenir la


jeune femme raisonnable, maîtresse de ses sens et de ses émotions, qu'elle
était avant de rencontrer Vittore.

Passant une main fébrile sur son front brûlant, elle hésitait à se rendormir,
de crainte d'avoir une nouvelle crise de somnambulisme. Elle ne
supporterait pas l'humiliation de se réveiller de nouveau nue dans les bras
de Vittore. Finalement, sentant qu'elle ne parviendrait pas à calmer son
agitation, elle sortit du lit, s'habilla rapidement et descendit sur la terrasse.
Comme elle l'avait espéré, l'air nocturne lui fit du bien et elle put enfin
envisager sa situation avec un semblant de sérénité.

Leo s'était habitué plus rapidement que prévu à son nouvel environnement,
dut-elle reconnaître. Mais il se montrait toujours distant avec son père.
Celui-ci avait compris qu'il l'amadouerait plus facilement si l'enfant sentait
une réelle complicité entre Verity et lui, et, en l'occurrence, quoi de plus
crédible que l'intimité de deux amants ?

Bien entendu, les arrière-pensées de Vittore n'excluaient pas qu'il lui porte
aussi un intérêt purement sexuel. La seule chose qui l'ait freiné dans ses
ardeurs était la pensée qu'elle puisse tomber enceinte, songea-t-elle en
pinçant les lèvres. Jusqu'à cet épisode, sa confiance était demeurée intacte,
d'après ses plans, Leo ne tarderait pas à se laisser approcher, lui faisant
gagner son pari.

Heureusement, Verity avait recouvré la raison et elle allait l'empêcher de


faire souffrir Leo. Le lendemain matin, ils se rendirent tous les trois à la
plage que surplombait la propriété. Peut-être parce qu'il avait senti la
tension qui régnait entre Vittore et Verity, Leo se montra encore plus
possessif que d'habitude avec elle. La jeune femme ayant passé une partie
de la nuit précédente éveillée, ses réserves de patience furent rapidement
épuisées. Elle essaya de faire preuve de bonne humeur pour détendre son
neveu, mais la présence de Vittore, vêtu seulement d'un maillot de bain qui
ne laissait rien ignorer de son corps d'athlète, ne lui facilitait pas la tâche.

Quand il émergea du hangar à bateaux avec un petit canot pneumatique,


Verity et Leo le suivirent tous les deux du regard tandis qu'il se dirigeait
dans l'eau. Une fois qu'il se fut éloigné du bord à l'aide d'une pagaie, il
s'allongea en laissant ses mains et ses jambes retomber dans l'eau d'un bleu
incroyable.

— Gade ! s'exclama Leo avec envie.

— C'est un bateau, expliqua Verity.

Et au moment où elle s'y attendait le moins, Verity entendit Leo dire


distinctement :

— Papa.

N'en croyant pas ses oreilles, elle dévisagea le petit garçon sans pouvoir
faire un geste.
— Oui, c'est papa ! murmura-t-elle.

Quand il répéta encore une fois «papa» avec un sourire radieux, Verity crut
que son coeur allait se briser, mais elle aurait été incapable de dire si c'était
de tristesse ou de joie.

Elle sentit une vague d'émotion la submerger. Le moment était proche à


présent, où Leo ferait confiance à son père, elle en était sûre. N'était-ce pas
naturel ? Ils joueraient ensemble à des jeux de garçons, et elle pouvait déjà

imaginer les cris d'excitation de Leo quand Vittore le porterait sur ses
épaules. Le souffle coupé, elle songea que son neveu deviendrait un
étranger pour elle, à qui elle rendrait visite une ou deux fois par an.
Ravalant des larmes de désespoir, elle se leva et se dirigea résolument vers
le bord de l'eau.

— Il a dit «papa», annonça-t-elle laconiquement.

— Quoi ? demanda Vittore en soulevant ses lunettes de soleil.

Dans sa précipitation pour sortir de l'eau, il trébucha et s'étala de tout son


long sur le sable. Sa maladresse réjouissait visiblement Leo, car le petit
garçon éclata de rire. Lorsqu'elle l'entendit battre des mains, le coeur de
Verity se serra douloureusement. Fixant toujours du regard Vittore, elle le
vit se relever et son sourire ému lui causa une peine incroyable. Elle pouvait
également sentir l'appréhension qui tendait tout son corps quand il fit un pas
vers son fils qui se tenait à quelques mètres derrière elle.

— Leo ! Viens faire un tour dans le bateau de papa ! proposa-t-il.

Leo se contentant de le regarder sans faire un geste, Vittore s'accroupit pour


être à sa hauteur. À ce moment précis, Verity souhaita de tout son coeur que
Leo accepte de prendre la main de son père. Elle se retint toutefois
d'intervenir, sachant que le son de sa voix pouvait rappeler sa présence à
l'enfant.

— Vivi ! s'écria celui-ci, soudain saisi de panique.


Et il tendit les bras vers sa tante dans un geste implorant.

— Va dans le bateau avec papa, l'encouragea-t-elle doucement.

— Non, Vivi ! dit Leo, la voix entrecoupée de sanglots.

— C'est bon, intervint Vittore. Vas-y avec lui.

Bouleversée par la note de déception dans sa voix, elle voulut le consoler,


mais, à cet instant, il pivota sur ses talons, et retourna vers la maison.

Après le déjeuner, Verity profita de la sieste de Leo pour partir à la


recherche de Vittore. Maria, qui pétrissait du pain dans la cuisine, lui
indiqua qu'elle le trouverait dans le salon.

Il était assis dans un canapé, la tête entre les mains dans une attitude de
désarroi complet.

— Vittore, murmura-t-elle timidement.

— Tu viens remuer le couteau dans la plaie ?

— Non.

Rapidement, elle le rejoignit, ses pieds nus ne faisant aucun bruit sur le
marbre. Une longue robe rouge couvrait son bikini blanc.

— Je voulais vraiment qu'il aille vers toi, continua-t-elle. Ne me demande


pas pourquoi, c'est ainsi. Je ne supporte plus de voir qu'il te rejette.

Très brièvement, elle vit l'éclat de ses prunelles sombres avant qu'il ne
baisse de nouveau les yeux.

— Je ne sais plus quoi faire, marmonna-t-il avant de lui lancer un regard


vibrant de colère. Toute cette histoire avec Leo et toi me rend fou.

— Je suis désolée, dit Verity en posant une main apaisante sur son épaule.

— Ne me touche pas ! s'écria-t-il.


Puis il se leva d'un bond pour se poster devant l'a fenêtre, tournant le dos à
Verity.

— Comment te faire comprendre à quel point ton manque de confiance me


blesse ?

— Mais, Vittore, comment puis-je avoir confiance en toi ? murmura-t-elle.


Ta réputation...

— Quelle réputation ? s'exclama-t-il en lui faisant face. La seule réputation


que j'ai est celle d'un homme honorable. Quant à mes nombreuses
conquêtes féminines... Je n'ai pas touché une femme depuis que Leo a été
conçu. Après mon aventure avec Linda, j'avais décidé qu'on ne m'y
reprendrait plus !

— Et Bianca ?

— Bianca m'a soutenue dans l'épreuve que j'ai traversée. C'est grâce à elle -
et à ma mère - que je n'ai pas perdu l'esprit. Oui, j'aime Bianca, mais
comme une soeur ! Et je n'ai jamais rien ressenti d'autre, même quand elle
me tenait dans ses bras pour me consoler de la disparition de mon fils.

— Pourtant vous avez été fiancés, insista Verity.

— Non. Tout le monde pensait que nous allions finir par nous fiancer. Ce
n'est pas tout à fait pareil. Ni Bianca ni moi n'y avons jamais pensé.
Pourquoi penses-tu que tu me fais perdre la tête ? Je n'ai jamais désiré une
femme comme toi !

Abasourdie par cet aveu, Verity ne parvenait pas à le croire. C'était trop
invraisemblable !

— Je n'y peux rien ! Que veux-tu que je fasse ?

— Pour commencer, tu pourrais éviter de porter des robes fendues


jusqu'aux cuisses ! s'écria-t-il furieusement avant de sortir à grandes
enjambées de la pièce.
Verity ne savait pas s'il fallait rire ou pleurer. Plongée dans ses réflexions,
elle sortit sur la terrasse.

— Vittore est vraiment d'une humeur effroyable ! s'exclama Honesty en


apparaissant de derrière un if qu'elle était en train de tailler.

— Il est contrarié par l'attitude de Leo, expliqua-t-elle.

— Je sais ce qu'il doit éprouver. Moi qui ne suis que sa grand-mère, je


meurs d'impatience de le cajoler ! Et Vittore était un père si attentionné !

— Il n'était pas toujours au bureau, ou en voyage d'affaires ?

— Pas du tout, répondit Honesty. Au contraire ! Il s'était arrangé pour


travailler le soir, afin de pouvoir lui consacrer plus de temps.

Elle s'interrompit quelques instants, le temps de couper distraitement


quelques feuilles, puis elle reprit :

— Je pense que Linda n'avait aucun instinct maternel. Elle préférait


nettement la fréquentation des boîtes de nuit à celle d'un nourrisson. Vittore
savait bien que Leo n'aurait pas droit à beaucoup de tendresse de la part de
sa mère.

À présent, Honesty ôtait les fleurs fanées d'une haie de rosiers, et Verity se
mit à l'imiter, profondément troublée par ces révélations.

— Comment Vittore a-t-il réagi ?

— Je crois qu'en fait, il était content d'être débarrassé d'elle. Il n'aurait


jamais dû l'épouser. Je le lui ai d'ailleurs dit, mais il n'a rien voulu
entendre... Ces Italiens, et leur sens de l'honneur et de la famille ! À
l'époque, j'ai compris qu'elle lui faisait un chantage au mariage, Linda
n'avorterait pas s'il consentait à l'épouser.

— Quoi ? s'écria Verity, horrifiée.

— Eh oui, Linda savait comment obtenir ce qu'elle voulait, en l'occurrence,


la fortune de Vittore, déclara Honesty avec cynisme. En tout cas, son
chantage a marché, puisque Vittore l'a épousée. Jamais il n'aurait supporté

qu'on supprime son enfant... Mais à partir de ce jour, sa vie a été un enfer.
Verity éprouva un haut-le-coeur en découvrant la perfidie de sa soeur. Linda
était une plus mauvaise mère encore que ce qu'elle avait soupçonné quand
elle avait découvert le petit Leo, apeuré et malingre. Mais Linda n'avait
peut-être pas menti sur toute la ligne, et Verity voulut s'en assurer.

— J'imagine que Vittore a cherché du réconfort auprès d'autres femmes...

— Après sa mésaventure avec Linda, ça ne risquait pas ! répliqua Honesty.


Non, il a reporté toute son affection sur Leo. Et s'il avait besoin d'une oreille
attentive, Bianca et moi étions là. Quant à Linda, il s'est toujours montré
très gentil avec elle, estimant qu'il devait au moins ça à la mère de son fils,
de l'extérieur, leur mariage semblait parfait. D'un geste rageur, elle coupa
des tiges de cosmos qui dépassaient, et Verity se demanda comment le
jardin survivrait à ses attaques répétées.

— Vittore n'a jamais eu de maîtresses, alors..., dit-elle, songeuse.

Elle avait besoin d'en avoir la confirmation, même si une mère n'était peut-
être pas la personne la plus appropriée pour se renseigner dans ce domaine.

— Vittore, infidèle ? Non, il ne tomberait jamais si bas. Pour lui le mariage


est un contrat sacré qui ne souffre pas d'entaille. Linda, elle, ne partageait
pas cet avis... Elle avait besoin qu'on l'admire, qu'on s'occupe d'elle... et elle
est allée voir ailleurs.

— Ça a dû être terrible pour votre fils, déclara Verity en posant une main
apaisante sur le bras tremblant d'Honesty.

— Surtout qu'il l'a appris de la manière la plus désagréable qui soit ! Leo
était tombé malade - rien de grave -, il a eu de la fièvre et Vittore est resté
près de lui toute la nuit. Le matin, Linda n'étant toujours pas rentrée à la
maison, il est parti à sa recherche. Il l'a retrouvée dans une chambre d'hôtel
avec un touriste aussi ivre qu'elle... Je vous passe les détails... Mais quand je
l'ai vu, il était blanc comme un linge. Le jour même, il a entamé une
procédure de divorce.
— Mais... Pourquoi Linda s'est-elle enfuie alors qu'elle pouvait obtenir la
moitié de sa fortune ? demanda Verity.

— Je n'en sais rien ! répondit Honesty. Tout ce que je sais, c'est que la
disparition soudaine de Leo a failli tuer mon fils !

Des larmes coulaient à présent sur les joues de Honesty, et c'est d'une voix
saccadée qu'elle continua :

— Tout le monde ici aime énormément Vittore. Mais rien ne parvenait à le


détourner de sa peine. Seule Bianca, en faisant appel à sa générosité et en
l'impliquant dans un projet caritatif, a réussi à l'arracher à sa dépression. Et
à

présent que Leo est enfin revenu, c'est terrible de voir qu'il ne peut pas
l'approcher. Je ne peux plus supporter d'assister à ce spectacle, Verity... Je
n'en peux plus.

Bouleversée par les larmes de cette femme qui semblait si forte, Verity la
serra contre elle. Elle aussi pleurait à

présent, et elle se demandait si elle ne s'était pas complètement trompée sur


le compte de Vittore.

— Aidez-le ! l'implora Honesty quand elle releva la tête. Leo et son père
ont besoin l'un de l'autre.

— Je sais.

Oh oui, elle le savait ! Le problème était qu'elle aussi avait besoin d'eux !
Une vibration contre sa hanche la fit soudain sursauter : le talkie-walkie
relié à la nursery qu'elle portait toujours sur elle l'avertit que Leo venait de
se réveiller.

— Je dois y aller.

— Bien sûr, dit Honesty. Faites ce que vous pouvez, je vous en prie.
— J'essaierai, promit Verity en posant un baiser sur la joue humide de sa
compagne. Lorsqu'elle eut sorti Leo de son lit, elle l'amena dans le jardin.
Tout en ressassant les paroles de Honesty dans son esprit, elle tentait de
dérider Leo qui se montrait particulièrement grognon. Une demi-heure plus
tard, Vittore apparut, affichant toujours un air morose. Leo lui jeta un bref
coup d'oeil avant de se précipiter dans les bras de Verity. Et le reste de la
journée se déroula à l'avenant. Leo fit deux crises de nerfs, se roula
plusieurs fois par terre dans des accès de rage, et le soir venu, Verity était
complètement épuisée. Durant tout ce temps, Vittore était resté en retrait et
n'avait pas prononcé une parole. Mais pour Verity, dont la sensibilité était
exacerbée, sa détresse était palpable.

La nuit venait de tomber quand Leo s'endormit enfin. Quelle ne fut la


surprise de Verity quand elle rencontra Vittore, qui l'attendait devant la
nursery.

Il s'était changé pour le dîner, et portait à présent un costume de lin beige et


une chemise bleu clair. Elle remarqua qu'il s'était rasé et elle dut se retenir
de fermer les paupières pour humer le délicieux parfum de son eau de
toilette.

— Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-elle sans ambages.

— Je voulais m'excuser pour ma mauvaise humeur.

Au son de sa voix grave, Verity sentit ses muscles contractés se détendre


comme sous l'effet d'un massage. C'était une sensation si érotique qu'elle
n'osait pas le regarder dans les yeux de peur de trahir son émoi.

— Je sais que c'est dur pour toi, répondit-elle. À ta place, je deviendrais


folle... Quand elle leva enfin les yeux, elle vit que Vittore la dévisageait, un
léger sourire aux lèvres.

— Merci, tu as vraiment le chic pour me remonter le moral !

S'il avait su combien son abattement la bouleversait, il n'aurait certainement


pas plaisanté.
— Les gens du village ont organisé une fête pour le retour de Leo, déclara-
t-il à brûle-pourpoint, alors quand tu te seras changée, prends une
couverture et rejoins-moi avec Leo dans l'entrée. Abasourdie, Verity le
dévisagea comme s'il avait perdu la raison.

— C'est hors de question ! protesta-t-elle quand elle eut retrouvé sa voix. Tu


ne peux pas disposer de ton fils comme d'un vulgaire paquet !

L'expression fermée de Vittore ne présageait rien de bon.

— Il s'agit d'un événement exceptionnel, reprit-il. Tout le monde s'est donné


beaucoup de mal pour le préparer.

— Il n'est pas nécessaire que Leo ou moi y assistions.

— C'est une fête en son honneur ! rétorqua Vittore. Les villageois savent
qu'il a très peur des nouveaux visages. C'est justement pour cette raison
qu'ils ont organisé la fête ce soir. Ils se sont dit qu'il dormirait et qu'ils
pourraient le voir sans le perturber.

Verity devait avouer en son for intérieur qu'elle était touchée par la
délicatesse des villageois, pourtant elle ne pouvait se résoudre à prendre le
risque de terroriser Leo.

— Et s'il se réveille ?

— Tu sais qu'il dort toujours profondément... Mais par mesure de


précaution, je préférerais que tu nous accompagnes.

— Oh, Vittore, je me sens si fatiguée !

— Alors, reste ici. Leo viendra avec moi, déclara-t-il sèchement avant de se
diriger vers la nursery.

— Décidément, tu me mets toujours dans des situations impossibles !


s'exclama Verity, irritée d'être ainsi manipulée. Pourquoi n'as-tu pas refusé
l'invitation ?
— Ces gens ont assisté à son baptême, et à chacune de ses visites au village,
il était entouré. J'apprécie énormément leur affection et leur bonté. Ils m'ont
soutenu quand Leo a disparu, je ne vais pas les décevoir. Verity finit par
capituler.

— D'accord, dit-elle. Je vais prendre une douche et me changer, puis j'irai


chercher Leo. Devant son miroir, la jeune femme se donna le temps de
réfléchir à la tenue qu'elle allait porter. Finalement, elle se décida pour une
robe blanche très simple, mais dont le décolleté et la coupe mettaient en
valeur sa silhouette. Elle acheva sa toilette en rassemblant sa chevelure en
un chignon aérien, puis appliqua une touche de rouge sur ses lèvres. Quand
elle aperçut son reflet dans la glace, elle eut la surprise de voir ses yeux
briller d'une lueur fiévreuse qui n'était certainement pas due à la fatigue,
comme elle aurait voulu le prétendre. C'était l'idée de sortir avec Vittore qui
la troublait !

— Tu es superbe ! s'exclama Vittore quand il la vit.

À la fois embarrassée et flattée par la lueur ouvertement admirative de son


regard, elle déclara :

— Oh, ce n'est qu'une robe toute simple...

Dans la nursery, elle prit une couverture dont elle enveloppa Leo qui
dormait paisiblement. Puis elle recommanda à Vittore de prendre le sac
avec les couches de rechange, au cas où. Lorsqu'il lui prit le bras pour
descendre les escaliers, son coeur battit plus vite, mais elle commençait à en
avoir l'habitude.

— Je voulais te prévenir que les villageois risquent d'être un peu sur leur
garde au début, dit-il.

— Ah bon ? Et pourquoi ?

— Parce que tu es la soeur de Linda.

— Ils ne l'aimaient pas ?


Apparemment Linda semblait n'avoir laissé que des mauvais souvenirs.
Vittore hésita quelques secondes avant de répondre :

— Non.

— Mais moi, je ne suis pas Linda.

— Loin s'en faut ! Cependant, il va falloir en convaincre les habitants du


village.

— Comment comptes-tu t'y prendre ?

— Pour commencer, nous pourrions avoir l'air de bien nous entendre.

— Mauvaise idée, répondit-elle en haussant les épaules.

— Il faudra pourtant en passer par là, déclara Vittore. Si Leo voit que tu es
détendue avec les gens d'ici, ils lui feront moins peur... À moins, bien sûr,
que tu ne préfères le garder sous ton aile exclusivement.

— Tu sais bien que mon voeu le plus cher est qu'il soit à l'aise en
compagnie d'autres personnes que moi !

— Alors, faisons comme j'ai dit !

— Faut-il vraiment que je te regarde avec des yeux doux ? Et si je me


contentais de montrer que je m'occupe bien de Leo ?

Ils étaient arrivés dans le hall, et Verity vit la lumière du lustre de cristal se
refléter dans les yeux bruns qui la fixaient avec une intensité dérangeante.

— Ne crois pas que ça me plaise plus qu'à toi, annonça-t-il. C'est pour les
villageois que je fais ça, pour leur montrer que l'héritier des Mantezzini est
revenu et qu'il va grandir ici.

Secrètement blessée par sa froideur, elle voulut lui rendre la monnaie de sa


pièce.
— Ne sois pas si catégorique ! Il se peut très bien qu'il rentre en Angleterre
avec moi.

— C'est vrai, concéda-t-il. Mais ce soir, je veux que tu prennes en compte


les sentiments de ces gens simples, heureux de penser que tout est bien qui
finit bien. Et peut-être que tu comprendras que nous formons un tout : les
villageois, Leo et moi. Cette terre ne m'appartient pas, j'en suis seulement le
dépositaire, comme Leo le sera pour ses enfants.

Verity resta songeuse pendant que Vittore allait chercher la poussette. Elle
n'avait jamais vraiment pensé à tout ce que représentait l'héritage de Leo. Et
quand elle songeait à ce que serait la vie du petit garçon en Angleterre, un
frisson descendit le long de son dos. Avait-elle le droit de priver Leo de la
vie à laquelle sa naissance le destinait ?

Non. Et au contraire, elle ferait tout son possible pour que Leo se rapproche
de son père. Ce qui signifiait qu'elle allait être l'artisan de son propre
malheur : en fin de compte, elle perdrait Leo et Vittore. Luttant contre le
désespoir qui commençait à la gagner, Verity serra instinctivement Leo
contre elle. Chapitre 10

Lorsque Verity eut couché Leo dans le landau que Vittore était allé
chercher, Honesty se joignit à eux et ils se mirent en route. Le flot continu
de la conversation animée de la mère de Vittore les dispensa d'avoir à
parler. Maria les suivait à quelques pas, en compagnie d'un autre
domestique, tous les deux vêtus de leurs plus beaux habits. Aux abords du
village, Verity entendit la musique et des éclats de rire. Comme pour lui
insuffler du courage, Vittore posa un bras protecteur sur ses épaules.

— Ça va aller ? murmura-t-il.

— Je suis un peu nerveuse...

— Ils vont t'adorer ! assura-t-il. D'ailleurs, voici le comité d'accueil :


n'oublie pas de sourire !

Émue par sa sollicitude, elle songea que, pour un homme qui vivait une
situation personnelle très difficile, il déployait des trésors de compassion
pour les autres.

L'attitude chaleureuse de Vittore eut l'effet escompté. Aussitôt qu'elles les


aperçurent, les personnes qui étaient venues au-devant d'eux pour les
accueillir, serrèrent affectueusement Verity dans leurs bras, l'embrassèrent
en la remerciant d'avoir ramené leur piccolino padrone, avant de les
entraîner à travers les rues en escaliers. Des lampions multicolores et des
guirlandes décoraient la petite place où ils aboutirent. Un orchestre installé

sur une estrade attaqua un air au rythme assez lent.

— Ils veulent que nous dansions, déclara Vittore.

— Pas tout de suite, protesta-t-elle.

C'était déjà assez troublant qu'il la tienne par l'épaule, elle n'avait aucune
envie de danser cette valse langoureuse dans ses bras.

— Si !

— Mais, Leo...

— Tu ne seras qu'à quelques pas et Maria te fera signe immédiatement s'il


se réveille. Ne pouvant avouer les véritables raisons qui la retenaient, Verity
fut contrainte d'accepter cette danse. Tous ces gens charmants la
dévisageaient avec des sourires bienveillants et ç'aurait été faire preuve de
grossièreté de ne pas participer à leur fête.

Sentant qu'elle fléchissait, Vittore l'entraîna au centre de la place sous les


applaudissements de la foule.

— C'est que... je ne sais pas danser, dit Verity en rougissant.

— Laisse-toi guider et détends-toi, murmura-t-il à son oreille. On dirait que


tu vas affronter un peloton d'exécution !

— Tu ne crois pas si bien dire ! Je te préviens que tes pieds aussi vont
souffrir le martyre. Sa remarque le fit éclater de rire, et la chaleur de son
corps puissant se communiqua à Verity, qui parvint à se détendre un peu.
— Ferme les yeux, pense que tu fais ça pour la bonne cause, souffla-t-il
d'un ton moqueur.

— Aucune femme sensée ne fermerait les yeux dans tes bras.

Il commença à l'entraîner au rythme lent de la musique, rencontrant le


regard brillant dont il la couvait, Verity crut que ses jambes allaient faiblir.
Mais quand il la serra un peu plus contre son torse viril, elle ressentit un
grand bien-être.

— Tu as toujours les yeux ouverts ? la taquina Vittore en la faisant


tournoyer. Elle ne lui dit pas qu'elle avait de plus en plus de mal à ne pas les
fermer. Souriant béatement, elle appuya sa tête contre son épaule puissante.

— Ne t'emballe pas, Vittore, je ne fais ça que pour la galerie.

— Bien sûr.

Avait-il deviné qu'elle était folle de lui ? se demanda alors Verity. Hélas,
elle ne gagnerait rien à l'aimer : il allait lui briser le coeur, voilà tout !

Quand il la serra davantage contre lui, elle ne put résister et s'abandonna


avec délices à son étreinte. Il fit alors glisser sa main le long de son dos,
avant de s'arrêter dans le creux de ses reins, et Verity put bientôt sentir la
force de son désir pour elle.

— Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ? murmura-t-elle dans un


souffle.

— J'essaie de me montrer convaincant.

— Eh bien, je crois que le spectacle a assez duré... Recule un peu, tout le


monde nous regarde ! chuchota-t-elle.

— Vraiment ? demanda-t-il en distribuant des sourires à la ronde. J'ai


l'habitude et de toute façon, ils sont toujours au courant de tout ce qui se
passe.
Étrangement, ces paroles ne recelaient aucune critique, Vittore aimait ces
gens, et ils le lui rendaient bien.

— Tu as raison, finit-il par admettre, nous ferions mieux d'aller nous


asseoir. Pour ma part, j'aurais besoin d'une douche froide.

Flattée au fond d'elle-même d'avoir ainsi éveillé son désir, Verity parvint
cependant à prendre un ton détaché

pour dire qu'elle aimerait boire un verre.

La prenant par la main, Vittore la conduisit près de sa mère. Dès que Verity
s'approcha, plusieurs personnes se levèrent pour lui céder leur siège, et on
s'empressa de lui apporter un verre de citronnade. Tout le monde parlait à la
fois. Bercée par le flot incessant de paroles, elle observait la joyeuse
animation qui régnait sur la place avec curiosité. Les Italiens étaient des
gens merveilleusement gais et enthousiastes.

— La fête est très réussie, fit-elle remarquer à Honesty qui était assise à
côté d'elle. Selon son habitude, celle-ci était vêtue de façon non conformiste
et une fleur d'hibiscus orange ornait sa chevelure.

— Ils sont formidables, n'est-ce pas ? répondit-elle en désignant l'assemblée


du menton. Ces gens ont vraiment le sens de la famille. Cela explique
pourquoi ils ont eu tant de chagrin quand Linda a disparu en emmenant
Leo... Un murmure de protestation s'éleva du petit groupe qui les entourait.
Verity comprit qu'il avait été provoqué par l'évocation de Linda.

— Vous voyez ce que je veux dire ? continua Honesty. Ils la détestaient


parce que son comportement indigne était une insulte à l'honneur de la
famille.

Sur ces mots, elle se leva brusquement et déclara :

— Je vous laisse, ma chère. J'ai promis ce tango au percepteur, il danse


divinement !
Acceptant distraitement un autre verre de citronnade et une pâtisserie qu'on
lui offrait, Verity suivit quelques instants du regard Honesty et le digne
fonctionnaire, qui entamaient un tango langoureux. Machinalement, elle
chercha Vittore du regard. Il était en train de parler avec un prêtre et de
temps à autre, ils éclataient de rire. Elle devinait que les bonnes manières de
Vittore et son aisance étaient le fruit de son éducation, mais elles révélaient
aussi un homme avant tout soucieux des sentiments d'autrui. Il était trop
parfait pour être vrai ! pensa-t-elle. Il n'oubliait pas de venir de temps en
temps s'assurer si elle n'avait besoin de rien.

À son grand désespoir, elle se rendait compte qu'elle était de plus en plus
amoureuse de lui. Poussant un soupir, elle saisit la carafe de limoncello
pour se resservir un verre, quand Vittore lui saisit le bras.

— Verity ! dit-il, ce cocktail est à base de vodka !

— Mon Dieu !

— Je crois qu'il est temps que nous rentrions. La marche te fera du bien.
Viens, nous allons saluer tout le monde, puis nous reprendrons Leo.

Passant son bras autour de la taille de Verity, il l'entraîna avec lui. La jeune
femme ne s'était jamais sentie aussi entourée. Cet endroit était vraiment
idéal pour Leo, il y serait incontestablement l'objet de toutes les attentions.
Mais elle-même ne serait plus là... elle n'assisterait pas à l'épanouissement
du petit garçon au sein de cette communauté chaleureuse. Seigneur !
songea-t-elle en retenant des larmes amères, comme elle aurait voulu le voir
grandir.

— Tu es prête ? lui demanda Vittore en l'arrachant à ses pensées


déprimantes.

— Oui, parvint-elle à répondre faiblement.

— Ça ne va pas ?

Pour masquer son émotion, Verity répondit avec humour qu'elle n'avait
jamais été autant embrassée de toute sa vie.
— Même pas par ta mère ? demanda Vittore étonné.

— Par elle encore moins ! En fait, elle préférait Linda, elle ne me prenait
même pas dans ses bras pour me souhaiter bonne nuit !

— Je me demande comment tu es devenue une adulte aussi équilibrée, fit


remarquer Vittore, visiblement scandalisé par cette révélation.

— Tu me trouves équilibrée ? Parfois j'en doute moi-même...

Il s'apprêtait à lui répondre quand il fut interrompu par l'arrivée de Bianca.

— Oh, Vittore ! s'exclama-t-elle de sa voix sensuelle que Verity aurait


reconnue entre mille. Nous arrivons à

peine, et tu t'en vas déjà !

Lâchant Verity, il alla saluer la jeune femme, ainsi que la ravissante blonde
qui l'accompagnait.

— Tu viendras me raconter demain ce que j'ai manqué, lui dit-il. Et s'il te


plaît : surveille un peu ma mère, qu'elle n'épuise pas tous ses cavaliers.

— Tu peux compter sur moi ! Andiamo, Sofia ! s'exclama Bianca en riant,


avant d'entraîner son amie dans une salsa endiablée.

Voyant que Vittore était occupé, Verity commença à reprendre le chemin du


palazzo, la mort dans l'âme. Quelques instants plus tard, son compagnon la
rejoignit.

— Excuse-moi, je n'avais pas remarqué que tu étais partie.

Pas étonnant, songea Verity avec amertume, il était bien trop occupé à
admirer son amie ! Mais elle se reprocha aussitôt sa mauvaise humeur. Que
reprochait-elle à Vittore, au fond ? D'être entouré d'une foule d'amis, d'être
trop parfait ? Comme si elle aurait préféré tomber amoureuse d'un homme
plus simple, moins spectaculaire.

— Tu es sûre que ça ira? lui demanda-t-il quand ils furent rentrés.


Ils avaient couché Leo et se trouvaient à présent devant la chambre de
Verity. Elle aurait voulu affirmer qu'elle avait juste un peu trop bu, mais
l'émotion fut trop forte : elle sentit avec effarement que des larmes coulaient
sur ses joues.

— Je ne sais pas ce qui m'arrive, balbutia-t-elle. Je me sens si confuse...

— Moi aussi.

— Toi ? s'exclama-t-elle. On ne dirait pas !

— Pourtant, je perds la tête chaque fois que je me trouve près de toi,


murmura-t-il en effleurant ses bras d'une caresse.

L'effet conjugué des confidences et des caresses de Vittore déstabilisa


complètement Verity, sans savoir comment, elle se retrouva dans ses bras, et
leurs lèvres s'unirent bientôt en un baiser langoureux. Galvanisée par la
passion qui s'était emparée d'eux, elle sentit son propre désir s'éveiller, et,
emportée par un tourbillon de sensations, elle perdit peu à peu conscience
de la réalité.

Comme dans un songe, elle sentit que Vittore poussait la porte de la


chambre, avant de l'entraîner vers son lit. Les battements rapides du coeur
de son compagnon résonnaient contre sa poitrine... À moins que ce ne
soient les siens ?

— Arrête de nier tes sentiments ! lança-t-il d'une voix sourde. Laisse-toi


aller !

Tout en parlant, il la déposa sur son lit puis s'allongea à côté d'elle. Se
souvenant qu'il l'avait rejetée la dernière fois qu'ils s'étaient retrouvés dans
la même situation, Verity éprouva soudain un sentiment de panique.
Balbutiante, elle lui rappela qu'elle ne prenait aucun moyen de
contraception. Vittore la fit taire d'un léger baiser.

— Chut, murmura-t-il doucement en ôtant les épingles qui retenaient son


chignon. Je veux seulement te montrer ce qu'est le plaisir.
Voluptueusement, il fit glisser les bretelles de sa robe le long de ses épaules,
et quand sa bouche s'empara du bourgeon dressé de son sein, Verity s'arqua
instinctivement contre lui.

Elle sentait ses paupières s'alourdir, son corps tout entier s'alanguissait sous
la caresse brûlante des lèvres de Vittore. Une crainte lancinante la retint
cependant de s'abandonner complètement.

— Je ne veux pas que tu te serves de moi... gémit-elle.

— Verity ! protesta-t-il, fais-moi confiance !

Lorsque la main de Vittore descendit lentement vers son ventre, traçant au


passage des sillons de feu sur sa peau frémissante, elle cessa de protester.
Elle émit encore des petits gémissements étouffés quand il se rapprocha de
son triangle soyeux, puis s'abandonna complètement aux sensations
voluptueuses que son amant faisait naître en elle. Verity entendit au loin un
feu d'artifice - sans doute au village - dont l'explosion semblait faire écho à
la brûlure du désir qui la consumait. Elle se redressa alors, et,
frénétiquement, aida Vittore à lui ôter sa robe, lui-même se débarrassa
bientôt de sa chemise, et ils se retrouvèrent enlacés. Comme il était bon de
sentir la chaleur de son torse viril contre sa poitrine frémissante.

Toujours contre elle, Vittore se remit bientôt à la caresser, reprenant


l'exploration de la zone la plus sensible de son corps. Perdue dans un océan
de sensations exquises, Verity n'avait plus conscience que de la chaleur
moite qui pulsait au coeur de sa féminité.

Quand l'extase la submergea enfin, elle crut qu'elle allait s'évanouir de joie.
Elle ne sut pas combien de temps elle était restée ainsi coupée de la réalité,
mais quand elle revint sur terre, elle réalisa que Vittore l'embrassait avec
une tendresse infinie.

— Merci, murmura-t-elle en caressant rêveusement son visage.

— Prego.
Verity aurait voulu à son tour donner autant de plaisir à Vittore qu'elle en
avait reçu, mais elle craignait de se montrer maladroite. Avant qu'elle n'ait
pu entreprendre quoi que ce soit, cependant, Vittore coupa court à ses
tergiversations.

— Bonne nuit, Verity, dit-il en se levant.

Puis il enfila rapidement sa chemise, et sortit en évitant soigneusement de


croiser son regard. Elle n'avait eu que le temps d'entrevoir l'expression
indéchiffrable de son visage, qui la laissa perplexe. Si une langueur
délicieuse ne l'avait pas littéralement paralysée, elle l'aurait volontiers
rappelé, mais ses paupières se fermèrent d'elles-mêmes et elle sombra
aussitôt dans un profond sommeil.

Ce fut la curieuse sensation d'être observée qui l'éveilla aux premières


heures du jour. Scrutant la pénombre, elle s'aperçut que Vittore était assis
dans un fauteuil près du lit.

Elle pensa immédiatement qu'il était arrivé quelque chose à Leo.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d'un ton anxieux.

Vittore continuait à la dévisager en silence, et elle se demanda avec un


pincement d'appréhension ce qu'il manigançait derrière ses yeux noirs aux
profondeurs insondables.

— Vittore ! Arrête de me regarder comme ça ! s'écria-t-elle en ramenant le


drap sur sa poitrine pour se couvrir.

— J'ai enfin compris ce que je voulais réellement.

Sa voix ne laissait rien présager de bon. Tétanisée, elle le regarda se lever et


s'asseoir sur le bord du lit. De toute évidence, il avait deviné son inquiétude,
et il prit son visage entre ses mains.

— Verity, murmura-t-il en caressant doucement ses pommettes. Tu me


connais assez pour savoir que je ne te ferais jamais de mal...

Incapable de parler, elle se contenta d'acquiescer.


— J'ai envie de toi depuis la première fois où je t'ai vue, continua-t-il d'une
voix sourde. Et je pense que tu as ressenti la même chose pour moi... Dis-
moi, Leo te manquerait terriblement, si tu devais partir, n'est-ce pas ?

Surprise par ses propos incohérents, elle hocha néanmoins la tête en signe
d'affirmation. Elle sentait les larmes qui lui piquaient les yeux, et sa bouche
trembla sans qu'aucun son n'en puisse sortir.

— Mais tu pourrais rester, conclut Vittore.

— «Rester» ? répéta Verity qui n'était pas sûre d'avoir bien entendu. Tu
veux dire que je serai ta maîtresse ?

— Non.

Il essuya les larmes qui mouillaient à présent ses joues.

— Calme-toi, Verity, chuchota-t-il. Et écoute-moi avant de te mettre dans


cet état. Je veux que tu restes... Il se mordit la lèvre, comme si les paroles
qu'il s'apprêtait à prononcer lui coûtaient un effort considérable.

— Je veux que tu restes, et que tu deviennes ma femme.

Chapitre 11

Verity dévisagea Vittore, muette d'étonnement. S'il voulait l'épouser, c'était


uniquement pour garder Leo ! Elle savait qu'il était prêt à tout pour
reconquérir l'affection de son fils, mais de là à envisager une nouvelle fois
un mariage sans amour... ! Son expérience avec Linda ne lui avait-elle donc
rien appris ?

— N'y compte pas ! lui asséna-t-elle sèchement.

L'expression de Vittore, indéchiffrable un instant plus tôt, se fit soudain


menaçante. Verity ne lui laissa toutefois pas le temps de l'interrompre.

— Si je dois me marier un jour, ce sera par amour, déclara-t-elle. Je refuse


donc ta proposition et ton sacrifice, bien inutile au demeurant, puisque
j'avais de toute façon décidé qu'il valait mieux pour Leo qu'il reste avec toi.
Ne t'inquiète pas, je vais faire mon maximum pour partir au plus vite d'ici.

Elle fit une pause et soupira.

— En attendant, je voudrais que tu sortes de ma chambre, Vittore.

Sans un mot, il obtempéra. Lorsqu'il eut refermé la porte derrière lui, Verity
resta de longues minutes immobile, les yeux perdus dans le vide, à ressasser
ce paradoxe : elle venait de refuser la proposition de mariage de l'homme
qu'elle aimait.

Pour se convaincre qu'elle avait pris la bonne décision, elle se rappela


qu'elle ne voulait pas commettre la même erreur que Linda, qui avait cru
qu'il suffirait d'épouser Vittore pour être heureuse... Contrairement à sa
soeur, elle aimait trop cet homme pour accepter qu'il l'épouse uniquement
par intérêt.

**

Vittore refusa d'abord le plan que Verity lui soumit, mais quand elle déclara
que c'était le seul moyen pour qu'elle puisse s'en aller au plus tôt, il finit par
l'accepter.

Curieuse ironie du sort, ce projet correspondait exactement à celui que


Vittore lui avait proposé peu de temps auparavant : il consistait à jouer
devant l'enfant la comédie de leur bonne entente. La seule différence, aux
yeux de Verity, était qu'elle contrôlait la situation. Ou du moins l'espérait-
elle. En tout cas, dès que Leo n'était plus dans les parages, ils s'éloignaient
aussitôt l'un de l'autre et se battaient froid.

Maintenant, Leo appelait souvent Vittore «papa», et il ne se précipitait plus


dans les bras de Verity dès que son père apparaissait. Une ou deux fois, le
père et le fils avaient même joué ensemble dans le bac à sable alors que
Verity se tenait à une distance respectable.
Le miracle eut lieu lorsque Vittore - sur les conseils de Verity - invita un
enfant du voisinage à venir se joindre à

eux, dans l'espoir que la jalousie ferait peut-être réagir Leo.

Vittore choisit le petit garçon d'un de ses amis anglais avec lequel il
s'entendait bien et qui jouait volontiers avec lui.

Le jour venu, Verity observait son neveu tandis que Vittore jouait à
«l'avion» avec le petit Max en le faisant tournoyer à bout de bras. Leo
mourait visiblement d'envie de faire de même. Il lui lança un regard auquel
elle répondit par un sourire encourageant, avant de regarder ostensiblement
Max et Vittore qui s'en donnaient à coeur joie. Quand Leo s'approcha
timidement, elle retint son souffle. Vittore arrêta progressivement de faire
tournoyer l'autre enfant, puis le posa par terre.

— Moi ! dit Leo en fronçant les sourcils.

À cet instant, Vittore prit une profonde inspiration, puis il tendit les bras
pour inviter son fils à s'approcher davantage. Leo leva ses grands yeux vers
son père, il eut une seconde d'hésitation, mais l'envie de participer au jeu fut
plus forte et il se laissa à son tour balancer dans les airs en poussant des cris
de joie. Bouleversée par cette scène, Verity essuya subrepticement les
larmes qui l'aveuglaient. Elle ne resterait plus très longtemps à Amalfi,
songea-t-elle.

Quand «l'avion» ralentit, Vittore serra Leo dans ses bras, et cette fois, celui-
ci ne le repoussa pas. Préférant rester à l'écart de ces émouvantes
retrouvailles, Verity se contenta de les suivre du regard tandis qu'ils se
dirigeaient vers la balançoire en compagnie de Max.

Ça ne devait pas être facile pour Vittore de se consacrer aussi à Max, mais il
parvint à partager équitablement son attention entre les deux bambins. Le
coeur serré, Verity finit toutefois par rassembler assez de courage pour se
joindre à leur partie de cache-cache.

Au cours du dîner, ce soir-là, Vittore se montra très exubérant, ce qui ne


l'empêcha pas de remercier chaleureusement Verity pour son aide précieuse.
La jeune femme parvint à se montrer enjouée durant la majeure partie du
repas, mais au moment du dessert, ses réponses laconiques finirent par
décourager son hôte.

— Je suis désolée, déclara Verity brusquement, mais je suis épuisée : je vais


me coucher. Ce n'était qu'à moitié vrai. En réalité, il lui était de plus en plus
difficile de supporter ce tête-à-tête.

— Bien sûr, déclara-t-il en se levant courtoisement.

Il évita de la regarder et elle lui en fut reconnaissante. Légèrement


apathique, elle quitta la salle à manger et monta dans sa chambre. Comme
un automate, elle ôta ses vêtements, se brossa les dents et se démaquilla. À
quoi lui avaient servi le rouge à lèvres et le mascara, de toute façon ? se
demanda-t-elle avec dépit. Vittore se fichait complètement de son
apparence.

Elle était en sous-vêtements et sur le point de se mettre au lit, quand on


frappa à la porte.

— Oui ? fit-elle avec lassitude.

Sans attendre sa permission, Vittore entra dans la chambre. Un instant plus


tard, elle était dans ses bras, et il couvrait sa bouche de baisers fougueux
entrecoupés de paroles dont elle ne comprenait pas le sens mais qui ne lui
faisaient pas moins tourner la tête.

Puisant dans ses réserves d'amour-propre, elle parvint néanmoins à


s'arracher à son étreinte et à lui demander de quitter sa chambre.

— Tu ne comprends donc pas... ? commença Vittore.

— Si, je comprends parfaitement ! répliqua-t-elle, fulminante. Tu as vécu


une journée merveilleuse et tu voudrais la finir en beauté en couchant avec
moi ! Mais je ne suis pas d'accord, figure-toi... Trouve-toi une autre petite
amie... Demande à Bianca !

— Bianca ne s'intéresse pas aux hommes.


— Que veux-tu dire ?

— Je n'avais pas l'intention de t'en parler, grommela-t-il. Mais maintenant


que ça m'a échappé, autant tout te dire : elle est amoureuse de Sofia, et elles
vont bientôt vivre ensemble.

Puis, laissant Verity abasourdie par cette révélation, il quitta la chambre.


Les jours suivants se déroulèrent avec une lenteur insoutenable. Verity
n'avait pas grand-chose à faire. À

présent, c'était Vittore qui faisait la lecture à Leo au moment du coucher,


qui s'assurait que son fils avait assez chaud quand les journées se
rafraîchissaient, et qui inculquait patiemment les bonnes manières à l'enfant.
Au bout d'une dizaine de jours, Verity avait suggéré de s'éclipser pendant
une période assez longue, afin de voir qu'elle serait la réaction de Leo. Avec
un pincement au coeur, elle constata à son retour que Leo s'était bien
débrouillé

sans elle.

La seule chose qui lui permettait de surmonter la perspective douloureuse


de son départ, était la certitude que Leo ne manquerait pas d'affection à
Amalfi.

Le petit garçon s'épanouissait à vue d'oeil et son bonheur était


communicatif. Maintenant, il saluait timidement les gens qu'on lui
présentait, à la plus grande joie des villageois qui trouvaient toujours un
prétexte pour lui rendre visite. Tantôt c'était le boulanger qui lui apportait
une petite brioche, tantôt l'ébéniste venait lui offrir un petit oiseau en bois
sculpté, et chacun s'extasiait devant la bonne mine de l'enfant.

Il était temps qu'elle parte, songea Verity. Leo n'ayant plus besoin d'elle, le
mieux serait de disparaître rapidement, sans faire de vagues. Elle savait
qu'elle ne supporterait pas des adieux trop longs qui rendraient la séparation
encore plus pénible.

Le soir même, en plein milieu du dîner, elle prétexta une migraine pour
s'éclipser et aussitôt qu'elle fut dans sa chambre, elle commença à faire ses
valises.

Au fond de l'armoire, à l'endroit où elle les avait rangés, elle découvrit les
papiers de Linda que Vittore lui avait rendus.

Saisie d'une intuition subite, elle les parcourut jusqu'à ce qu'elle trouve une
enveloppe fermée. Après quelques secondes d'hésitation, elle l'ouvrit et
découvrit plusieurs petits cahiers. Il s'agissait du journal intime de Linda.
Avait-elle le droit de le lire ? se demanda-t-elle. Après un long moment
d'hésitation, elle ouvrit le premier carnet. Il lui apporterait peut-être la
réponse aux questions qu'elle se posait sur ce qu'avait été réellement la vie
conjugale de sa soeur.

Nerveusement, elle s'assit en tailleur à même le plancher, et commença à


lire. Au fur à mesure qu'elle tournait les pages, son coeur battait de plus en
plus vite. En effet, la duplicité de Linda s'étalait noir sur blanc sous ses
yeux. De son propre aveu, celle-ci avait séduit Vittore en s'inspirant «des
manières de sainte-nitouche de cette petite peste de Verity, qui lui attirent
toujours une foule d'admirateurs». Consternée, elle eut la confirmation des
accusations d'Honesty : l'odieux chantage au mariage, les infidélités
répétées... Quand elle survola les descriptions par le menu des nombreuses
aventures extra-conjugales de Linda, elle eut un haut-le-coeur. Le pire était
que sa soeur trouvait des justifications à son comportement inqualifiable :
elle cherchait auprès d'autres ce que Vittore refusait de lui donner, mais elle
n'était pas prête à abandonner le train de vie que lui procurait la situation de
son mari.

La lecture du cahier suivant bouleversa tellement Verity qu'elle n'entendit


pas le coup frappé à la porte, ce ne fut que lorsque Vittore toussota pour
signaler sa présence qu'elle leva la tête. Figé près de la porte, il affichait une
mine sévère qu'elle ne s'expliqua pas tout d'abord.

— On ne t'a jamais appris à frapper avant d'entrer ?

— Je l'ai fait, mais tu n'as pas répondu. Je m'inquiétais...

Voyant son regard fixé sur ses valises, Verity comprit la cause de sa colère.
Après avoir passé en revue les étagères et le placard vides, il se tourna vers
elle, une expression dure sur son visage d'une pâleur inhabituelle.

— Tu comptais filer comme Linda ? demanda-t-il d'un ton accusateur.

— Je viens de lire son journal, répondit Verity calmement. Tu ne m'avais


pas dit qu'elle était partie en emportant les bijoux de ta mère, en plus des
siens. Ni qu'elle avait vidé votre compte commun.

— Je n'ai pas envie de parler de Linda.

— Maintenant je sais ce qui s'est réellement passé. Tu t'es comporté d'une


façon irréprochable.

— Disons que j'avais un sens moral plus développé qu'elle... À propos,


pourrais-tu m'éclairer sur un point ?

Pourquoi s'est-elle enfuie alors qu'elle aurait pu demander la moitié de ma


fortune en divorçant ?

— Elle pensait qu'en Angleterre un de ses riches amants l'entretiendrait, elle


a donc préféré filer sans laisser d'adresse, sachant qu'elle te porterait un
coup terrible en t'enlevant ton fils... Elle voulait se venger de ton
indifférence.

— Et qu'est devenu cet amant ?

— Il l'a quittée avant même qu'elle n'emménage dans la maison de Londres.

Verity regarda Vittore à la dérobée, et apercevant son expression


tourmentée, elle préféra ne pas lui révéler que Leo avait sans doute été
gravement négligé par sa mère, qui le considérait comme un boulet. Verity
aimait trop Vittore pour lui faire de la peine. Il était heureux à présent, et il
méritait ce bonheur retrouvé. Avec l'intention de les brûler plus tard, elle
rangea les cahiers dans sa valise.

— Et voilà ! s'exclama-t-elle d'un ton faussement enjoué. Mes bagages sont


prêts. J'allais justement venir te dire au revoir.

— À quelle heure est ton avion ?


— Je n'ai pas encore de billet, je prendrai le premier vol disponible,
répondit-elle en haussant les épaules.

— Et Leo ? Et ma mère ?

— Tu leur diras au revoir de ma part...

Des larmes commençaient à embuer ses yeux, et Verity se maudit de ne pas


être capable de mieux contrôler ses émotions. Pour se donner une
contenance, elle baissa la tête et fouilla dans son sac tout en déclarant :

— Tu diras à ta mère que je passerai un de ces jours, et que nous pourrons


parler jardins autant qu'elle voudra. La mine renfrognée, Vittore fit un
mouvement en direction de la porte.

— Je t'accompagne.

— Non Je vais prendre un taxi.

Elle n'avait aucune envie de se retrouver en tête à tête avec lui durant le
long trajet vers l'aéroport. Vittore poussa un soupir et elle eut l'impression
qu'il était soudain extrêmement fatigué.

— Bon, comme tu voudras, dit-il enfin.

En voyant ses yeux sombres luisants de larmes, elle ne comprenait pas


pourquoi il semblait si triste, c'était elle qui avait toutes les raisons de
pleurer.

— Quand tu voudras lui rendre visite, téléphone-moi, je t'enverrai un billet


d'avion, reprit-il après quelques instants de silence embarrassé.

Puis, n'y tenant plus, il s'approcha de Verity et s'agenouilla à côté d'elle


avant de la prendre dans ses bras. La tête pressée contre son épaule, elle
pleura doucement et Vittore tenta de la réconforter en caressant ses
cheveux.

— Je m'occuperai bien de Leo, ne t'inquiète pas, murmura-t-il. Je t'enverrai


des photos, et une cassette vidéo, tu pourras suivre ses progrès, je pourrais
filmer ma mère, ça remplira bien une cassette entière... Verity n'avait pas le
coeur à rire, et elle se serra davantage contre lui, comme pour puiser à son
contact la force nécessaire pour partir.

— Promets-moi une chose, cependant, reprit-il plus sérieusement. Préviens-


moi lorsque tu décideras de revenir à Amalfi... Je ne veux pas être là quand
tu viendras rendre visite à Leo.

La requête de Vittore la surprit au point qu'elle s'arrêta de pleurer. Levant


ses immenses yeux violets sur lui, elle le dévisagea.

— Pourquoi donc ? balbutia-t-elle.

— Tu le sais parfaitement, grommela-t-il. Je ne pourrai pas supporter de


t'avoir si près de moi sans avoir le droit de te toucher. Certes, j'ai retrouvé
mon fils..., mais j'ai perdu la seule femme que j'aimerai jamais. Tu ne sais
donc pas que tu es toute ma vie, mon âme, amanda mia, fi desidero
tantissimo...

— Vittore ! Qu'est-ce que tu racontes ?

Choqué par son ton désinvolte, il fronça les sourcils.

— Tu sais, si je t'ai proposé ce pari scandaleux, c'est parce que j'étais


persuadé qu'une fois que nous aurions fait l'amour, tu partagerais mes
sentiments. Je commençais déjà à imaginer mon avenir avec Leo et toi...

— Et tu m'as demandée en mariage, murmura Verity.

Haussant les épaules, Vittore cessa de l'étreindre et se leva.

— Tu m'as dit que tu n'envisageais pas un mariage sans amour..., reprit-il


avec dignité. Et on ne peut pas forcer quelqu'un à vous aimer, n'est-ce pas ?

— C'est vrai, approuva-t-elle.

Vittore sembla choqué par l'indifférence avec laquelle elle avait prononcé
ces mots.
— Avant de partir, continua-t-elle, j'aimerais faire un tour dans le jardin. Tu
pourrais m'accompagner ? Il fait nuit et cela m'impressionne un peu.

— Tu ne veux pas d'abord voir Leo ?

— Non, allons dehors. Je lui dirai adieu ensuite.

Avec un terrible goût d'amertume dans la bouche, Vittore la suivit dans


l'escalier, la démarche de la jeune femme semblait plus légère que ces
dernières semaines, comme si l'idée de rentrer chez elle et de retrouver son
indépendance lui donnait des ailes. L'esprit embrouillé de pensées plus
déprimantes les unes que les autres, Vittore avançait comme un automate,
c'est à peine s'il remarqua qu'ils étaient dehors. Verity s'arrêta au bout du
jardin surplombant la baie éclairée par la lune.

— C'est merveilleux ! s'exclama-t-elle.

Vittore lui en voulut d'être si heureuse alors que lui-même souffrait le


martyre, il fut incapable de prononcer un mot. Lorsqu'elle posa la main sur
son bras, il fit brusquement un pas de côté. Son mouvement de recul ne
sembla pas la troubler.

— Vittore, murmura-t-elle, je sais qu'une jeune fille bien élevée ne doit pas
faire le premier pas, mais... À l'étonnement de Vittore, elle se rapprocha de
lui et tout en souriant, noua lentement les bras autour de ses épaules.

— Arrête ! supplia-t-il d'une voix rauque, furieux de sentir la réaction sans


équivoque de son propre corps.

— Je t'aime, chuchota Verity, les yeux brillants. Je t'aime tellement que je


vais devenir folle si tu ne m'embrasses pas immédiatement ! J'ai essayé de
ne pas tomber amoureuse de toi, parce que je pensais que tu allais me
renvoyer... Mais que puis-je faire quand l'homme le plus séduisant
d'Europe, le plus adorable, le plus gentil, me déclare sa flamme ?

— Tu disais que tu ne m'aimais pas, s'écria Vittore, incrédule.


— Ce que j'ai dit, corrigea-t-elle, c'est que je ne ferais jamais un mariage
sans amour. Et je pensais que tu ne voulais m'épouser que pour te
rapprocher de Leo. Maintenant que je connais tes sentiments, je serais ravie
que tu me répètes ta demande en mariage !

— Oh, Verity ! Je t'aime tellement ! Veux-tu m'épouser ?

— Oui, merci, répliqua-t-elle avec une modestie affectée. Et maintenant, si


nous faisions un bébé ?

Vittore sentait sa tête qui tournait, et il balbutia, la voix brisée par l'émotion
:

— Mia adorata !

— Assez de paroles, déclara Verity en l'attirant avec elle sur l'herbe. Place
aux actes. Ils étaient allongés sous le mimosa et entre les branches, Verity
pouvait apercevoir la lune. Au moment où elle allait fermer les yeux pour
savourer la merveilleuse sensation d'intimité qui les enveloppait, une étoile
filante traversa le ciel.

— Je souhaite une vie de bonheur à tous ceux que j'aime, chuchota-t-elle.

Épilogue

Jetant un coup d'oeil sur sa droite, Verity constata avec satisfaction que la
grande tente dressée dans le jardin était invisible de la terrasse. Un sourire
étira ses lèvres quand elle entendit au milieu du brouhaha sa belle-mère
donner des instructions à tout le monde avec sa volubilité coutumière.

En cette fin de journée, le palazzo bourdonnait d'une joyeuse excitation et


tous les invités s'empressaient de gagner les endroits qu'on leur avait
désigné pour se cacher.

— Oh, Verity, tout va bien ? Les fleurs ont-elles été sorties ? Je pensais que
la table...

— Oui, Honesty ! C'est splendide ! répondit Verity qui avait compris depuis
des années que si on voulait placer un mot avec sa belle-mère, il ne fallait
pas hésiter à l'interrompre.

— Vittore ne se doute de rien ? demanda Honesty avec inquiétude.

— Il n'a pas la moindre idée, la rassura Verity. Leo, caro, peux-tu indiquer
aux gens du village où ils peuvent s'installer en attendant l'arrivée de ton
père ?

— J'y vais ! répondit le grand jeune homme de dix-huit ans.

Puis, apercevant sa soeur et son frère qui ne faisaient rien, il les appela
aussitôt pour qu'ils l'aident à recevoir les invités.

En suivant ses enfants du regard, Verity sentit son coeur se gonfler de fierté.
Leo, avec ses cheveux blonds ressemblait à un jeune dieu descendu tout
droit de l'Olympe. À seize ans, Isabella, grande et élancée, était sans doute
la plus jolie jeune fille de toute la côte amalfienne. Et enfin, Dante, âgé de
quinze ans seulement, qui avait hérité des traits et de la carrure de son père,
et dont la passion pour le jardinage faisait la joie de sa mère et de sa grand-
mère. Il avait même secondé Verity pour ses deux dernières réalisations
dans la région. La sonnerie annonçant l'arrivée de Vittore retentit, arrachant
Verity à sa contemplation. Le léger bourdonnement des conversations cessa
immédiatement, et tout le monde disparut comme par enchantement pour la
laisser accueillir seule son mari.

— Comment s'est passée ta réunion ? s'enquit-elle innocemment, alors


qu'elle connaissait parfaitement la réponse.

— Tout ce chemin jusqu'à Naples pour rien ! répondit Vittore en fronçant


les sourcils. J'ai essayé de les joindre sur leur portable, mais personne ne
répondait, c'est vraiment curieux ! Bref, une journée de fichue !

— Tu es rentré maintenant, c'est le principal. Veux-tu boire un verre avant


le dîner ?

Il accepta son offre, sans parvenir cependant à cacher son désappointement.

— Les enfants ne sont pas là ?


— Ils doivent traîner quelque part dans la maison, répondit Verity
évasivement. Décidément, elle l'adorait ! songea-t-elle en riant sous cape. Il
ne s'offusquait pas que rien ne semble avoir été

prévu pour son anniversaire, pas même un cadeau ! Bientôt, cependant,


Verity estima que le suspens avait assez duré, et faisant mine d'éloigner des
moustiques imaginaires, elle agita négligemment le foulard de soie qu'elle
tenait à la main.

— C'est bizarre, fit remarquer Vittore, on dirait que des gens chantent...

Il se leva pour regarder dans la direction d'où provenait le chant, et son


visage s'illumina quand il aperçut le groupe qui avançait vers lui.

Bouleversé, il reconnut les visages familiers de ses amis, parmi lesquels se


trouvaient certains des enfants dont il avait pris l'éducation en charge alors
qu'ils étaient abandonnés de tous. À présent, c'étaient de jeunes adultes.
Malgré son émotion, il perçut un autre choeur provenant de la maison, et
lorsqu'il se tourna, il vit les villageois entourant ses enfants et sa mère qui
portaient une bannière «Joyeux cinquantième anniversaire».

— Espèce de cachottière ! s'exclama-t-il en se tournant vers Verity. Tu les


as tous fait venir, des quatre coins de la planète ? Comment te remercier... ?

Visiblement incapable d'exprimer ce qu'il ressentait par des mots, il prit sa


femme dans ses bras pour l'étreindre passionnément avant de l'embrasser.

— Nous voulions tous te montrer combien tu nous avais rendus heureux,


déclara Verity quand il lui permit enfin de parler. Et j'espère que tu te sens
en forme, car nous avons l'intention de faire la fête jusqu'à l'aube.

— Ne t'inquiète pas, je sens mes forces me revenir, murmura-t-il. D'ailleurs,


quand nos invités seront partis, je te le prouverai.

Éclatant de rire, Verity s'éloigna pour laisser ses enfants et les autres invités
venir le féliciter. Discrètement, elle s'écarta de la foule exubérante et se
réfugia sous le mimosa à l'extrémité de la terrasse. Bercée par les
conversations animées et les rires, elle serra ses bras contre son corps,
comme pour se persuader que tout ceci n'était pas un rêve. Car elle était
immensément riche, et cela n'avait rien à voir avec la fortune de Vittore...
Son mari avait le pouvoir d'attirer l'amour et l'affection, et elle savourait
chaque jour la chance de faire partie de la vie de cet homme exceptionnel.

Esquissant un sourire, Verity reprit alors le chemin de la maison pour se


rapprocher de tous ceux qu'elle aimait.

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