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PSYCHOMOTRICITÉ :

ENTRE THÉORIE
ET PRATIQUE
| Sous la direction de
| Catherine Potel
3° édition actualisée

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PSYCHOMOTRICITÉ :
ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Sous la direction
de Catherine Potel

3e édition actualisée
EDITIONS IN PRESS
12, rue du Texel - 75014 Paris
Tél. : 01 43 35 40 32
Fax : 01 43 21 05 00
www.inpress.fr

Maquette 3e édition :
FACOMPO

PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE


ISBN 978-2-84835-190-2
© 2000 ÉDITIONS IN PRESS (1e édition)
© 2008 ÉDITIONS IN PRESS (2e édition)
© 2010 ÉDITIONS IN PRESS
Toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle, faite sans le consentement des
auteurs, ou de leurs ayants droit ou ayants cause, est illicite (loi du 11 mars 1957, alinéa Ier
de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,
constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.
SOMMAIRE

Avant-propos à la troisième édition... 11


Avant-propos à la deuxième édition... 13
EE etat clans La Borlrenentre cine aber 15
Jean-José Baranes
EN ÉCOOUS DONT ne n ane esmd ne UNE NT 17
Catherine Potel

I. PERSPECTIVES THÉORIQUES
1. Psychomotricité : une motricité ludique en relation.....................…. 23
Fabien Joly
2. Psychomotricité et motricité psychique .….................................... 43
Albert Ciccone
3. Réflexions actuelles sur la spécificité du soin psychomoteur 51
Denise Liotard
4. De l'appropriation de concepts à l’individualisation
de la prise en charge en psychomotricité..…....................................... 65
Pascal Bourger

Il. DIVERSITÉ DES PRATIQUES PSYCHOMOTRICES


1. Quand on ouvre nos mains. ou aspects d’une pratique psychomotrice
en service de réanimation pédiatrique 83
Patrick Blossier
PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

2. Intervention des psychomotriciens en crèche et en centre de protection


maternelle et infantile (PMI) : originalité de la prévention précoce ……… 105
Isabelle Blanco et Sylvie Gouel-Barbulesco
3. Le toucher : du corps touché aux jeux de l'imaginaire ..…...............…. 123
Catherine Potel
4. Éveil de sens : La stimulation psychomotrice auprès d'enfants
en phase d'éveil de Coma ER RES R 149
Jean-Paul Villion
5. « Je bouge, tu bouges, nous bougeons…. Pan! T'es mort ».
Hyperactivité :Perspectives thérapeutiques en psychomotricité 173
Catherine Potel
6. La dimension du corps et/ou les indications de prises en charge
en psychomotricité dans une consultation médico- AAA (CMP)
DOUT Enfants cessent NN NRRION SLE SORPNOUM 191
Sylvie Gouel-Barbulesco
7. Hydrothérapie avec les adolescents psychotiques en hôpital de jour. 203
Dorota Chadzynski
8. Le corps à l'adolescence. Des médiations corporelles
pour les adolescents : de la danse à la relaxation... 215
Catherine Potel
9. Le jeu d'improvisation en clown : quand il s’agit de jouer
avec ce que l’on est. et de jouer à jouer ! 7... 249
Orianne Legrand
10. Quand la voix prend corps pour se faire entendre .....................….. 271
Pascale Poirier
11. Psychomotricité et personnes âgées... 1e 289
Franck Pitteri
Les auteurs

Isabelle Blanco
est psychomotricienne, diplômée d’État (DE) en 1984 de Paris VI, CHU Pitié-
Salpétrière. Depuis 1984, elle est psychomotricienne pour les services de PMI,
crèches, ASE. Elle est détachée depuis janvier 1999 à l’unité d’accueil mère-enfant
de Saint-Denis, service de pédopsychiatrie du professeur Coen. Formation continue
en pédopsychiatrie, de 1984 à 1992 : collaboration entre les équipes de PMI du 93,
l'Inserm, et le Laboratoire de psychopathologie de la famille (Bobigny) pour une
recherche-action-formation sur les interactions mère-enfant et la prévention de la
maltraitance. Publications : « Psychomotricité en PMI », en collaboration avec
C. Pesci, V. de Béarn, I. Devannes, Expansion scientifique française, 1991 ; «Réflexion
sur la construction du bilan psychomoteur des jeunes enfants », en collaboration
avec D. Dupoux-Turlan, M. Busquet, V. Loussert, Thérapie psychomotrice-SNUP-
Actes des journées annuelles de thérapie psychomotrice, Cahors, 1996.

Patrick Blossier
est psychomotricien, DE, diplômé en 1983 de la faculté Pitié-Salpêtrière à Paris. Il
a travaillé en IME et en MAS pendant dix ans, puis en libéral. Entré dans le service
de pédopsychiatrie du Pr D. Marcelli, au Centre hospitalier Henri Laborit de Poitiers
(SUPEA) en 1993, il est enseignant vacataire à l’Institut régional du travail social de
Poitiers (IRTS), à l’école d’orthophonie du CHU de Poitiers et fait des vacations dans
le service de néonatalogie du CHU de Poitiers. Il est également formateur au sein du
CERF à Niort et à l’ISRP (École supérieure de rééducation psychomotrice à Paris).
Ses publications : en collaboration avec le Dr J.-L. Nouvel: Nouvel J.-L., Blossier P.,
« Psychomotricité et prévention auprès de deux jeunes enfants broncho-dysplasiques »,
in Entretiens de psychomotricité, Paris, ESF, 1994; en collaboration avec le
‘Pr D. Marcelli et A. Paget : Marcelli D., Paget A., Blossier P., « Les origines du travail
de pensée entre mère et bébé », in Psychiatrie de l’enfant et de l'adolescent, 39-T,
6 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

5-40, 1996 ; « Dialogue à fleur de peau », in Enfance et Psy, Érès, 1999 ;


« Psychomotricité et nouveau-né hospitalisé : quels soins ? », in La prise en charge
psychomotrice du nourrisson et du jeune enfant, coordonné par J. Rivière, coll.
Psychomotricité, Solal, 2000 ; « T’empêche tout le monde de dormir », in Enfances
et Psy, La Nuit, Érès, 2001 ; Groupes et psychomotricité. Le corps en jeu, sous la
direction de P. Blossier, coll. Psychomotricité, Solal, Marseille, 2002.

Pascal Bourger
est psychomotricien diplômé d’État et cadre de santé ;formation complémentaire
en thérapie de groupe, relaxation et thérapie familiale psychanalytique. Activité
clinique : Psychomotricien en secteur de psychiatrie infanto-juvénile depuis douze
ans après huit ans d'expérience conjointe avec la psychiatrie adulte. Son exercice
professionnel se répartit entre un centre médico-psychologique, un hôpital de jour,
un centre d’accueil pour la santé des adolescents (CASA) et une unité d’hospitali-
sation pour adolescents. Activité de formation : Coordinateur de l’enseignement en
3e année d'étude de psychomotricité à l’IRSP, cours en IFSI et école de sage-femme,
enseignement de psychomotricité à l’université Saint Joseph de Berouth. Secrétaire
de l’ Association de recherche en psychiatrie et psychanalyse de l’enfant (ARPPE),
Secrétaire général adjoint de la Fédération Française des psychomotriciens (FFP),
Vice-Président du Forum Européen de la Psychomotricité (FEP).

Dorota Chadzynski
est psychomotricienne en hôpital de jour pour adolescents et en libéral à Paris. Dans
sa pratique, elle fait référence à l’approche corporelle des psychoses enseignée par
Georges Pous, psychanalyste et kinésithérapeute. Diplômée du DU Bilan sensori-moteur
André Bullinger, elle est formatrice en ce qui concerne cette approche et chargée de
cours à l'UFR Pitié- Salpêtrière. Psychologue clinicienne, graphothérapeute au
Groupement professionnel international des graphothérapeutes cliniciens (GPIGC).
Parmi ses publications : « De l’hydrothérapie avec l’adolescent psychotique », in
Pratiques en santé mentale Paris, Fédération d’aide à la santé mentale Croix Marine,
n° 4,nov. 1999, p. 22-25 ; « Enfant de pierre, enfant de chair », in Actes du XIVe Colloque
international de thérapie psychomotrice, Paris, 2001, p. 153-157 ; « L'hydrothérapie
d’une adolescente en hôpital de jour », in Évolutions psychomotrices, vol. 17,n° 69,
Paris, 2005, p. 133-139.

Albert Ciccone
est psychologue clinicien, psychanalyste, professeur de psychopathologie et de
psychologie clinique à l’université Lyon II. Après une formation initiale et une
pratique de psychomotricien, il a été enseignant pendant plusieurs années à l’École
de psychomotricité de Lyon (université Lyon I).
Ses principaux ouvrages : L'observation clinique, Paris, Dunod, 1998 ; La transmission
psychique inconsciente, Paris, Dunod, 1999 ;Naissance à la vie psychique, avec
M. Lhopital, Paris, Dunod, 2001 ; Psychanalyse du lien tyrannique, sous la direction
de A. Ciccone, Paris, Dunod, 2003 ; Le bébé et le temps, sous la direction de
A. Ciccone et D. Mellier, Paris, Dunod, 2007 ; Cliniques du sujet handicapé, sous
LES AUTEURS 7

la direction de À. Ciccone, S. Korff-Sausse, S. Missonnier. R. Scelles, Ramonville-


Saint-Agne, Erès, 2007.

Sylvie Gouel-Barbulesco
est psychomotricienne, diplômée d’État, en 1987, école de la Pitié-Salpétrière,
Paris VI, titulaire d’une maîtrise de psychologie clinique de Paris V, Sorbonne. Elle
est psychomotricienne titulaire à l’intersecteur de pédopsychiatrie du Centre hospi-
talier Sainte-Anne, Paris XIVe. Expérience diversifiée auprès de la petite enfance
(maternité, pédiatrie, néo-natologie, crèche et PMD) ; formations complémentaires
en relaxation (Wintrebert, Bergès, Orlic).

Fabien Joly
est psychologue clinicien, psychanalyste, psychomotricien et docteur en
Psychopathologie fondamentale et psychanalyse (université Paris vi Denis Diderot).
Coordinateur du Centre ressources autismes de Bourgogne (CHU Dijon).
Psychanalyste-psychothérapeute en libéral à Dijon et psychothérapeute au CAMPS
Acodège de Dijon. Membre titulaire (conseil scientifique) de la SFPEADA (Société
française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées),
membre de la CIPPA, président et membre fondateur de l’association Corps et
Psyché, membre du conseil scientifique de l'ANCRA, membre correspondant de
PREAUT, membre du conseil scientifique du CIRSAM et ancien vice-président et
membre fondateur du CERPP. Auteurs de nombreux ouvrages, articles et commu-
nications scientifiques (plus de 250 références).
Direction d'ouvrages : L'enfant hyperactif.… De quoi s'agit-il ? Pourquoi s’agitent-ils ?,
Paris, Éditions du Papyrus, 2008 ; Sa Majesté le Bébé, Ramonville-Saint-Agne,
Éditions Érès, 2007 ;avec B. Touati et M.C. Laznik, Langage, voix et parole dans
l'autisme, Paris, PUF, Le Fil rouge, 2007 ; L'hyperactivité en débat, Ramonville-Saint-
Agne, Éditions Érès, 2005 ;Jouer… Le jeu dans le développement, la pathologie et
la thérapeutique, Paris, Éditions In Press, 2003 ;L'angoisse dans l'autisme et les
états post-autistiques, Villeneuve-d’Ascq, Éditions du Septentrion, 1999.
Articles scientifiques ou chapitres d'ouvrages : « Le sens des thérapeutiques psycho-
motrices en psychiatrie de l’enfant », Neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent
(rapport introductif), 2007, vol. 55, n° 2, p. 73-86 ; « Jouer seul, jouer en groupe.
interlocuteur transitionnel et travail du jouer », in J.-B. Chapelier, P. Privat et coll.:
Jouer en groupe, Toulouse, Érès, 2005 ;« Notre corps n’est rien sans le corps de
l’autre », Thérapie psychomotrice, 2003, n° 134, p. 40-58 ; « À propos du paradigme
autistique : apports de la psychomotricité », in F. Giromini et coll.: Corps et psychiatrie,
Paris, S.B. Publications, 2002 ; « Un jour, on jouera. “pour de jouer” ! Une séance
de jeu dans un groupe d'enfants psychotiques », Enfance et Psy, 2001,n° 15,p. 87-94;
« Le travail du jouer et ses déclinaisons (psychothérapies, psychodrame, psycho-
motricité) », Thérapie psychomotrice, 2000, n° 124, p. 4-41 ; « Apports cliniques et
théoriques des thérapeutiques psychomotrices à la compréhension et au traitement
de l’autisme infantile », Thérapie psychomotrice, 1998, n° 114-115, p. 74-93;
« Angoisses psychotiques et images du corps », Neuropsychiatr. enfant adolesc.,
1996, vol. 44, n° 11, p. 581-590 ; « Figures contemporaines et formes limites des
8 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

instabilités chez l’enfant », in Sztulmann, Bourguignon et coll. : Les formes contem-


poraines du malaise dans la civilisation, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail,
1996, p. 73-101 ; « Réflexions sur les thérapeutiques psychomotrices (1re et 2e parties) »,
Le journal de pédiatrie et de puériculture (EMC), 1995, n° 7, p. 433-437 et n° 8,
p. 496-501 ; « Place des thérapeutiques psychomotrices dans le cadre du soin aux
psychoses infantiles » et « Le travail du jouer dans la médiation psychomotrice »,
in Calza, Contant et coll.: Abrégé de psychomotricité, Paris, Masson, Abrégés de
médecine 1re éd., 1993, p. 108-117 et p. 126-133, « Le paradigme du jouer dans les
thérapies à médiations », Thérapie psychomotrice, 1993, n° 98, p. 42-63 ; « Le sujet et
la dynamique des images du corps », Thérapie psychomotrice 1993, n° 99, p. 48-71.

Orianne Legrand
est psychomotricienne diplômée d’État depuis 2003. Elle a suivi ses études à l’Institut
supérieur de rééducation psychomotrice et de relaxation psychosomatique de Paris.
Elle est titulaire du diplôme universitaire Situations de handicap (approches neuro-
psychologique et clinique), délivré par l’université Paris VII Denis Diderot. Elle s’est
formée aux niveaux d'évolution motrice et a obtenu le Certificat de perfectionnement
en développement de l’enfant et en infirmité motrice cérébrale, à l’APETREIMC.
Pendant trois ans et demi, elle a exercé auprès d’enfants et d’adolescents polyhan-
dicapés. Aujourd’hui, elle travaille auprès d’enfants et d’adolescents en Centre
médico-psychopédagogique, à Aubervilliers. Elle continue l’accompagnement des
bébés et de leurs parents dans l’eau, débuté en 2004. Depuis 2007, elle propose la
formation Vivre l’eau aux étudiants de l’ISRP.

Denise Liotard
est psychomotricienne (École de Lyon) psychologue clinicienne et cadre de santé.
Elle exerce en hôpital gériatrique et dans différents organismes de formation. Elle
est chargée d'enseignement en psychomotricité, ITR Lyon I. Auteur de : Dessin et
psychomotricité chez la personne âgée, Masson, Paris, 1990 ; « La personne âgée :
du comportement à l’acte imaginé », in Abrégé de psychomotricité, Masson, 1993 ;
«“Le vilain petit canard” : entre somatique et psychisme, des passages mystérieux »
in Actes du XIIIe colloque SITP, Vernazobres-Greco, Paris, 1997.

Franck Pitteri
est psychomotricien DE, Institut supérieur de rééducation psychomotrice, Paris,
cadre de santé, titulaire d’une maîtrise de Gestion des établissements de soins et de
prévention. Il est psychomotricien en service de psychiatrie adulte, 17e secteur de
Versailles et 29e secteur de Paris. Il exerce en cabinet libéral à Paris, est coordinateur
pédagogique et Erasmus à l’ISRP, enseignant, formateur. Il participe à l'élaboration
d’un programme européen de formation en psychomotricité dans le cadre du Forum
européen de la psychomotricité. Approches spécifiques : relaxation, yoga, méthode
Vittoz.
Ses publications : « La relation tonus-émotion comme moyen de prise de conscience
de soi », Évolutions psychomotrices, n° 17, 1992:« Quelques indications pratiques
sur l’utilisation en psychomotricité de la respiration chez l’adulte », Évolutions
LES AUTEURS 9

psychomotrices, n° 36, 1997 ;« Au sujet de l’inscription corporelle de l’agression »,


Université d’été de l'Organisation internationale de psychomotricité, Paris , Juillet 1997;
« Utilisation du mouvement imaginé dans les troubles de la commande motrice et de
la régulation du mouvement », Université d'été de l’ Organisation internationale de
psychomotricité, Paris, juillet 1999 ;« Le bilan psychomoteur », Évolutions psycho-
motrices, Vol. 15, n° 62, 2003 ; « Recherche d'organisations psychomotrices chez les
auteurs d’infractions sexuelles », Journée de psychomotricité, Bichat, septembre 2006 :
« Place de la psychomotricité dans une consultation spécialisée pour auteurs d’infrac-
tions sexuelles », cycle de conférences de l APCOEF, Hôpital Saint-Anne, Paris XIIIe,
octobre 2006 ; « Défaut de représentation mentale et psychomotricité chez des AIS »,
Congrès international francophone sur l’agression sexuelle (CIFAS), Paris, 13 au
15 septembre 2007.

Pascale Poirier
est psychomotricienne, diplômée de l’école de psychomotricité de Lyon (1982),
formée à différentes approches de la voix et du chant (Roy Art Theater, yoga et voix,
improvisations vocales). Elle exerce actuellement en centre médico-psychologique
(Saint-Cyr au Mont d’or 69) — prises en charge groupales ou individuelles auprès
d'enfants et d'adolescents —, et intervient en institution auprès d’adultes : animation
d’un groupe d'expression vocale à visée thérapeutique.
Chargée d'enseignement en psychomotricité ISTR, département Psychomotricité
Lyon I, formatrice dans le domaine de la médiation vocale à l’ISRP et auprès de
diverses associations de psychomotriciens.

Catherine Potel
est psychomotricienne, diplômée de l’École de psychomotricité de Lyon (1981).
Thérapeute en relaxation analytique (méthode Sapir), elle est membre de l’AREFFS
(Association de recherche, d’étude et de formation pour la fonction soignante). Elle
travaille actuellement en CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) à Paris, avec
des enfants et des adolescents, et en cabinet privé à Bagneux (92). Elle est fondatrice
et responsable de l'association Vivre l’eau. Elle enseigne à l’Institut supérieur de
rééducation psychomotrice et à l’Institut de formation en psychomotricité de la
Salpétrière. Elle est membre du comité de rédaction de la revue Évolutions psycho-
motrices et de la revue Enfances et Psy. Elle a reçu le prix Sapir 2003.
Ses publications: Du trop de corps au pas de corps, en collaboration avec
Mme Descargues, Actes du congrès de psychomotricité, 1999 ;« Le cas Hubert »,
dans La question psychotique à l'adolescence, sous la direction de J.-J. Baranes,
Paris, Dunod, 1991 ;« Ne nous appelez plus bébés nageurs », Évolutions psycho-
motrices, 1999, n° 46; Le corps et l’eau : une médiation en psychomotricité,
Ramonville-Saint-Agne, Éditions Érès, 1999 ;« Avec la danse, à la recherche de son
image », Enfance et Psy, 1999, dossier n° 6, « Cultures et médiations » ; Les bébés
et les parents dans l'eau, coll. Mille et un bébés, Ramonville-Saint-Agne, Éditions
Érès, 2000 ;Psychomotricité. Entre théorie et pratique, sous la direction de C. Potel,
coll. Psycho, Paris, In Press, 2000 ; « Intérêt des groupes de psychomotricité pour
des adolescents en hôpital de jour », Le corps en jeu, coll. Psychomotricité, Solal,
10 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Marseille, 2002 ; Corps brûlant, corps adolescent. Des thérapies à médiation corpo-
relle pour les adolescents ?, coll. L’ailleurs du corps, Ramonville-Saint-Agne, Éditions.
Érès, 2006 ; « Je bouge, tu bouges, nous bougeons... Pan! t’es mort », Thérapie
psychomotrice et recherches. Controverses, 2006, n° 148 ; « Des thérapies à médiation
corporelle pour les adolescents. Un exemple: la relaxation », Neuropsychiatrie de
l'enfance et de l'adolescence, 2007 ; « Psychomotricité, reflet d’une société en chan-
gement », n° spécial de la revue CREAI Provence-Côte d'Azur et Corse. Dossier
« Les métiers de l’action sociale et médico-sociale : contributions à une réflexion »,
2007; Psychomotricité : un métier du présent et de l'avenir, à paraître chez Érès,
2008.

Jean-Paul Villion
est psychomotricien diplômé d’État depuis 1982. Il travaille au Centre de rééducation
fonctionnelle Pomponiana, à Hyères, auprès d’enfants en éveil de coma et d’adultes
atteints de maladies évolutives. Il exerce également sa profession en libéral. Il s’est
formé à l’éthologie auprès de B. Cyrulnick, à la faculté de Toulon. Spécialisé dans
le travail aquatique, il intervient comme formateur à Laforge-Formation et à
Adéquatis, ainsi que dans différentes structures professionnelles (École d’aide
médico-psychologique, Institut de formation des psychomotriciens). Il a collaboré
avec C. Potel à la Formation professionnelle continue sur les pratiques aquatiques
de l’ISRP, ainsi qu’à un cycle d'enseignement pratique à l’École de psychomotricité
de Naples.
Avant-propos à la troisième édition

10 ans après.

La vie passe. Les livres vivent, survivent, s’épuisent, revivent. Celui-là


va être pour la troisième fois réédité. Et j’en suis heureuse.
Je remercie les Éditions In Press, et avant tout France Perrot qui, par son
travail de titan, témoigne de nouveau de sa foi dans les livres et dans la trans-
mission.
Je remercie les lecteurs qui restent fidèles à ce besoin de partager : des
expériences, des émotions, la richesse d’un métier qui nous demande tant
d’énergie mais qui nous donne aussi tant de passion.
Je remercie enfin les auteurs de cet ouvrage qui ont eu à cœur de parta-
ger leurs réflexions théorico-cliniques, de façon authentique et rigoureuse.

10 ans.
La psychomotricité est en plein essor dans une société en crise. Cela ne
peut que nous faire réfléchir. Retour au corps, retour à la sensorialité, retour
à l’essence du présent, retour à la vraie valeur de l’espace et du temps.
Retour aussi à une certaine forme de bon sens. Le corps, non pas oublié
mais dont le rôle a été minimisé dans les théorisations des 100 dernières
années sur l’humain, a retrouvé une place importante. Le corps dans ses trois
fonctions : corps réel, corps imaginaire, corps représenté.
On semble redécouvrir, à l’heure de la plus grande technologie, l’im-
portance et le rôle de la sensorialité dans les ancrages identitaires du sujet
humain. Cette redécouverte est sans doute suffisamment vitale pour que,
dans tous les secteurs médicaux et psychologiques, on assiste à une explo-
_sion de la demande de psychomotriciens.
12 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

L’envers de la médaille, il y en a toujours un, est une irrésistible ascen-


sion du besoin de maîtrise (le corps se maîtrise toujours mieux que la pensée)
et d’objectivation, qui nous font parfois regretter le temps où nous pouvions
nous laisser aller à imaginer, rêver, associer librement dans nos équipes de
soin.
Mais plutôt que de regarder en arrière et de nous figer dans des visions
rétrogrades et réactionnaires, prenons les choses à bras le corps et continuons
à avancer en nous appuyant sur les nouvelles données et recherches de la
science, tout en restant fidèles à nos propres ancrages originaires : corps et
psyché sont et resteront toujours indissociables !

Catherine Potel
Le 10 juin 2010
Avant-propos à la deuxième édition

7 ans après.

7 ans après. Que s’est-il passé depuis la première édition de cet ouvrage
en 2000 ?
7 ans dans une vie c’est peu et c’est beaucoup. Pour un ouvrage, c’est
peu et c’est. beaucoup. Pendant 7 ans, il s’est passé des choses importantes
pour notre profession. Quelques points, en vrac:
— Augmentation des quotas dans les écoles.
— Mise en place de plusieurs D.U. (entre autres de recherche) en psycho-
motricité.
— Premières rencontres (enfin !) inter-écoles françaises de psychomotricité.
— Mise en place d’un master commun psychomotricité, orthophonie, kiné-
sithérapie, pour lequel Françoise Giromini et son équipe (Anne Gatecel,
Yolande Fradet Vallée, Agnès Servant) ont beaucoup œuvré.
— Développement de plus en plus important du champ d’exercice libéral.
— Créations de poste dans des secteurs de plus en plus variés, notamment
en gériatrie, en néonatalité, dans le domaine de l’adolescence, et dans les
services médicaux hospitaliers les plus variés.
— Nouvelles avancées dans l’articulation et la création des différentes
formations en psychomotricité au sein de l’Europe (programme Érasmus
entre autres). Pascal Bourger et Franck Pitteri sont depuis des années très
engagés dans ces actions européennes.
— Des techniques de bilan de plus en plus affinées, apportant aux jeunes
psychomotriciens de nouveaux outils d'évaluation et d’investigation psycho-
motrices spécifiques. On soulignera le développement d’une formation au
bilan sensorimoteur de André Bullinger (Dorota Chadzinski en est l’une des
formatrices référentes) ainsi que l’apport des travaux de Jean-Michel Albaret
et son équipe.
14 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

— Enfin, des étudiants de plus en plus nombreux, futurs psychomotriciens


engagés dans la recherche, si l’on en croit des thèmes de mémoire de plus
en plus audacieux et originaux.

La psychomotricité, en 7 ans, a continué à évoluer à un rythme accéléré.


En 7 ans, elle a pris d’autres couleurs. L'intérêt pour les neurosciences
s’est confirmé. Les thérapies comportementales en psychomotricité se sont
affirmées. La recherche dans les secteurs pédagogiques ou rééducatifs (logi-
comathématiques par exemple) s’est développée. Ce qui n'empêche en rien
les « psychothérapeutes » en psychomotricité d'orientation théorique psycha-
nalytique de continuer à devenir de plus en plus reconnus et pertinents dans
la prise en charge psychocorporelle des patients.
Tous les auteurs de cet ouvrage collectif que j’ai eu le plaisir de diriger
ont pris 7 ans ! 7 ans de vie, mais aussi 7 ans de travail et d’expériences nouvelles.
Si nous avons tous pris quelques rides, leurs textes restent néanmoins toujours
d’actualité ! Cette nouvelle édition m’a donné l’occasion de surcroît d’en
intégrer trois nouveaux :
— Un article sur l’hyperactivité, l’un des symptômes majeurs chez les
enfants d'aujourd'hui, symptôme qui nous fait tous beaucoup réfléchir.
— Fabien Joly m'a fait le plaisir de répondre présent à ma demande. Étant
donné la grande richesse de ses théorisations, les étudiants à qui est destiné
cet ouvrage ne pourront qu’en être ravis. Les professionnels aussi, je l’espère !
— Enfin, Orianne Legrand, toute jeune psychomotricienne diplômée depuis
peu, témoigne, par la qualité et la rigueur de son écriture clinique, d’une
transmission bien assurée. Nous pouvons avoir confiance dans les généra-
tions futures de psychomotriciens. Le flambeau est d’ores et déjà repris.
Cette nouvelle édition de Psychomotricité : entre théorie et pratique, est
pour moi une nouvelle occasion de continuer à affirmer que la psychomotricité
est une belle profession, une profession à part entière, dont nous pouvons être
fiers, pour peu que nous continuions à affiner ses axes d’intervention et ses
voies de théorisation. Pour peu que nous continuions à travailler et à élaborer
nos pratiques. Pour peu que nous poursuivions le mouvement amorcé ces
dernières années, mouvement d’ouverture à la diversité et à la richesse des
points de vue. Malgré tout, il nous faut rester vigilant afin que notre axe de
travail continue à garder essentiels dans notre réflexion ce croisement et cette
articulation corps psyché, fil conducteur difficile à tenir malgré tout, qui
témoigne de toute la complexité de la construction et de l’identité d’un sujet
humain « humanisé ».

Catherine Potel
Préface
JEAN-JOSÉ BARANES*

Paul, 9 ans, vient d'apprendre que sa psychomotricienne, qu’il rencontre


tous les mercredis, attend un bébé et que les séances vont devoir s’inter-
rompre quelque temps de ce fait. Il exprime sa surprise dans ses mimiques,
montre ensuite de diverses façons qu'il a bien l’intention de continuer avec
elle, à son retour, les «travaux » de construction qu’ils ont en cours, puis il
reprend le jeu de ballon commencé la fois précédente, qui simule une partie
de basket acharnée. Mais cette fois-ci, il y introduit une variante non négli-
geable : un grand bâton trouvé dans les jouets, avec lequel il se met à frapper
de plus en plus fort le ballon de basket dans un jeu que sa psychomotricienne
accompagne sans faire de commentaire interprétatif d’aucune sorte, jusqu’à
la fin de la séance qui survient sans qu’on soit jamais sorti du registre d’un
jeu symbolique, même si sa charge imaginaire, comme on peut le supposer,
est des plus fortes.
Cette courte séquence dans le déroulement d’une prise en charge en
psychomotricité d’un enfant obèse, dont le tableau clinique initial alliait une
grave inhibition corporelle et intellectuelle et des raptus agressifs en classe
et dans le milieu familial, n’est pas décrite dans l’ouvrage qu’on va lire.
Pourtant, dans sa simplicité, elle condense une série de problématiques qui
forment le tissage de celui-ci.
En effet, le lecteur, s’il ne trouvera ici ni recettes techniques, ni études
statistiques ou autres échelles d’évaluation à prétention objective, ne pourra

(*) Jean-José Baranes est psychiatre, psychanalyste, membre de la Société psychanalytique


de Paris, ancien professeur associé de l’université René Descartes-Paris V, ex-médecin
directeur de l’hôpital de jour pour adolescents du centre Étienne Marcel. Il a publié chez
Dunod (ouvrages collectifs) : Figures et modalités du négatif, 1989 ; La question psychia-
trique à l'adolescence, 1991 ; Transmission de la vie psychique entre les générations,
1993. Il est l’auteur de nombreux articles.
16 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

pas ne pas être frappé par la très grande cohérence qui lie ensemble des
pratiques extrêmement différentes les unes des autres, et dont le récit est fait
ici avec un grand bonheur d'écriture par des praticiens inégalement familiers
de l’écriture et de la publication. Les textes se déroulent à la lecture à la
manière d’un morceau de musique dont les échappées, les reprises, les tempi
ne font jamais dissonance, si par contre leur diversité ouvre sur celle du
champ de la psychomotricité aujourd’hui et sur une série d’harmoniques
nourrie de cette diversité même.
L’axe fort affirmé par les auteurs, ou plus exactement celui qui se dégage
pour le lecteur à travers ces contributions, est celui d’une spécificité du
champ de la psychomotricité, discipline de création assez récente et dont
la situation d’entre deux, entre le corps et la psyché, entre l’éducation corpo-
relle, l'expression par et dans le corps, et la thérapie trouvait quelquefois sa
résolution dans un activisme technologique défensif. Ici, rien de semblable,
rien qui ressemble non plus à la défense et illustration d’une école de pensée.
Bien au contraire, les auteurs de cet ouvrage collectif animé par Catherine
Potel nous montrent à travers le cheminement qui est le leur, fait d’inventions
et de bricolages, la fécondité potentielle de cette position d’intermédiaire, et
plus précisément de celle de médiateur ou passeur entre corps et psyché — on
sait le grand succès rencontré par le terme de médiation corporelle — dès lors
qu’elle se met au service de la symbolisation et de l’appropriation subjective,
par un sujet, de son corps et de son histoire. Et ceci dans des situations aussi
variées que de la néo-natalité, celle des réveils de comas, des adolescents
psychotiques ou états limites, pour ne pas parler des adultes en situation de
marginalité et de détresse corporelle et narcissique ou des personnes âgées.
Si j'ai pris le parti de brouiller un peu les cartes en introduisant cette
brève préface par l’exposé d’une courte séquence qui pourrait être celle
d’une psychothérapie d’enfant, c’est justement pour souligner les paradoxes
rencontrés par une pratique qui s’affirme clairement située dans le champ
du soin et de la relation, et qui nous montre dans cet ouvrage sa capacité à
forger les outils de sa théorisation, en demeurant délibérément dans l’écart
théorico-pratique — seule position féconde à mes yeux — à partir des apports
des disciplines voisines, et notamment de la psychanalyse. Anzieu, Winnicott,
pour ne citer que ceux-là, sont des psychanalystes qu’on trouvera souvent
cités ici. Mais loin d’être le lieu d’une application conceptuelle forcée qui
ne serait qu’un cache-misère, cet ouvrage nous montre la richesse d’une
expérience du corps, celle du psychomotricien, qui ouvre à de multiples
champs dont la psychopathologie contemporaine — et la psychanalyse
d’ailleurs — nous montrent l’importance, dans une société et une culture où
les ancrages symbolisants sont à refonder et à reforger de manière urgente.
Introduction
CATHERINE POTEL

Depuis une trentaine d’années, la psychomotricité est devenue une profes-


sion à part entière, en constant mouvement tant dans ses modes d’approche
que dans ses recherches de théorisation. Cette évolution est la conséquence
des changements mêmes de notre société, notamment quant à la place du
corps dans cette société, et les nouveaux secteurs d’intervention qui en décou-
lent. L'évolution des thérapeutiques a également défini de nouveaux champs
d’implication pour les psychomotriciens qui ont eu à inventer, s’adapter,
créer des modalités de fonctionnement dynamiques pour intervenir de façon
spécifique et féconde auprès des patients. Cette évolution s’est bien sûr
accompagnée d’une maturité de la part des psychomotriciens. Maturité que
nous pouvons apprécier tant dans la reconnaissance de la profession auprès
des instances diverses, que dans les écrits et réflexions qui objectivent nos
cheminements de pensées. Ce qui n’exclut en rien une remise en question
fréquente et judicieuse qui témoigne d’une recherche vivante.
Psychomotricité. Les deux termes conjoints psycho et motricité impli-
quent une articulation fondamentale entre le corps et la psyché. Quand nous
écoutons des étudiants, ou anciens étudiants, retrouver le fil conducteur qui
les a amenés à choisir la psychomotricité comme future profession, ce qui
nous frappe et qui revient régulièrement dans leur motivation est ce désir de
réunir l’expressivité du corps et «l’esprit, le mental, la psyché ». Autre intérêt
commun qu’on retrouve fréquemment chez les jeunes psychomotriciens :
celui de la créativité au profit de l’expression humaine (cette créativité si
_chère à Winnicott). Nous avons bien là, dans ces trois paramètres, corps,
psychisme, créativité, les clés de voûte de la psychomotricité, que sous-tend
un autre désir, celui du soin.
18 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Ce désir bien légitime à notre époque de nous occuper du corps en n’igno-


rant rien de l’activité psychique qui se parle à travers le langage corporel
pourrait témoigner cependant d’une certaine ambivalence, voire d’une méga-
lomanie de la part du psychomotricien. On pourrait penser qu’il veut être
partout, ou ne sait pas faire un choix. Le psychologue, lui, s'occupe très clai-
rement des «choses de la tête » ; le médecin, du corps malade ; l’orthophoniste,
du langage; le kinésithérapeute, du corps dans sa fonctionnalité... Cette
vision caricaturale et simplificatrice ne représente-t-elle pas cependant ce
qui se dit, dans les institutions au sens large, sur les fonctions des uns et des
autres ? Le psychomotricien, lui, est certes reconnu comme celui qui s’occupe
du corps, mais les variations autour de cette définition sont multiples et variées.
Image maternelle et maternante de la relation psychomotrice, image sportive
et dynamique, image réparatrice, versant rééducatif, image du créatif... ceci
à titre d’exemples non exhaustifs !

Fonder sa pratique et la pensée de cette pratique sur des tentatives de mise


en lien corps-psyché peut être une idée périlleuse, car c’est prendre le risque
d’être souvent insatisfait, perdu, ou mal à l’aise pour définir vraiment un
domaine d'intervention. Mais si nous nous penchons un peu plus attenti-
vement sur cette idée, la complexité même — si elle renvoie aux origines de
la psychomotricité, à mi-chemin entre des pratiques sportives, éducatives,
artistiques et thérapeutiques — ne souligne-t-elle pas là un statut paradoxal
du corps qui est à la fois nous-mêmes et médiateur de l’être que nous sommes ?
Le psychomotricien prend «à bras-le-corps » ce double aspect du corps. Cette
position, certes mégalomaniaque mais en même temps tellement vivante
parce que au cœur même de la problématique de la vie humaine, a des impli-
cations que nous ne pouvons pas ignorer. Les aspects positifs en sont la
grande capacité du psychomotricien à s’adapter aux différentes pathologies
rencontrées et à développer des médiations de travail - médiations qui
s’appuient sur des techniques, mais qui ne se satisfont pas d’elles seules —
qui lui demandent une écoute, une disponibilité et une créativité indispensables.
Les aspects négatifs en sont le risque d’éclatement des pratiques et des
réflexions, le risque de perdre le fil de notre spécificité.
Comment, à partir de cette position intermédiaire, garder notre cap ? Et
profiter des avantages qu’elle nous donne, à savoir ne jamais être trop sûr et
rester des découvreurs, des inventeurs dans nos «bricolages » qui sont avant
tout des voies de passage et d’accès à la symbolisation pour les patients.

Si nous revenons aux origines de notre profession, à ses débuts la psycho-


motricité s’adressait avant tout aux enfants, dans une optique essentiellement
éducative puis rééducative. Il y avait là une évidence. Premier mode
INTRODUCTION 19

d'expression de l’enfant, le jeu, quand il était soutenu, écouté, décodé et


stimulé par l’aduite, devenait le canal privilégié pour favoriser la maturation
de l'enfant. Au travers de ces activités ludiques, c’était l'expression du COTpS
et sa fonctionnalité qui intéressaient particulièrement le psychomotricien.
Peu à peu, il s’est avéré que le langage corporel n’était pas l’apanage de
l'enfant seulement, mais qu’il pouvait constituer également un mode de
relation privilégié chez les adolescents ou les adultes pour qui les mots
n'étaient pas ou n'étaient plus la voie royale de communication.
Parallèlement, l'intérêt nouveau pour le corps et son langage a suscité de
nombreuses réflexions et de nombreux écrits, dans des domaines différents,
notamment chez les psychanalystes. Ces réflexions et théorisations ont
rencontré les préoccupations et observations des psychomotriciens, qui ont
ajouté à leurs premiers buts rééducatifs, des motivations de travail plus théra-
peutiques, à savoir l’écoute de ce langage subtil de l’infraverbal.
De fil en aiguille, le champ d'intervention en psychomotricité s’est élargi,
diversifié. Cette nouvelle prise en compte du langage corporel, et ce à tout âge,
a favorisé des mutations dans les orientations des soins, préventifs, médicaux
ou psychologiques :
— En psychiatrie, les pratiques à médiation corporelle ont pris une place
qu'elles n’avaient pas avant, devenant moins occupationnelles et plus
soignantes dans leurs objectifs.
— La prévention s’est développée et de plus en plus de psychomotriciens
ont été appelés à intervenir dans les crèches, les pouponnières, les centres
de guidance.
— Les secteurs médicaux, telles les maternités et en particulier les services
de néo-natalité et de pédiatrie, ressentent actuellement le besoin de créer de
nouvelles formes d’approche et d’accompagnement, dont la psychomotricité
fait partie.
— La gériatrie fait appel de plus en plus aux psychomotriciens dans le
suivi des personnes âgées.

Même si nous pensons que les créations et les ouvertures ne se font pas
assez rapidement, il est cependant important de pointer cette évolution.
Mais la constatation du développement et de la diversification du champ
de la psychomotricité nous fait nous poser la question de la spécificité du
psychomotricien. Se définit-elle par une formation de base dispensée par les
écoles, par un champ théorique unique, une technique-méthode de soin, une
certaine conception du corps et de son langage, ou bien encore par une façon
de théoriser des pratiques différentes certes mais complémentaires et surtout
adaptées aux patients ?
20 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

En d’autres termes, quels points communs entre le psychomotricien qui


s’occupe de nourrissons, et celui qui travaille avec des personnes âgées, des
adolescents, ou des adultes ?

Si cet ouvrage ne s’adresse pas exclusivement aux étudiants en psycho-


motricité, j’ai cependant eu en tête en le construisant certaines critiques de
ceux-ci, notamment en ce qui concerne la grande diversité des médiations
psychomotrices (de l’eau au cirque en passant par la terre et la danse !), la
diversité des points de vue des psychomotriciens et notamment leur choix
entre rééducation et thérapie.
Cette diversité est-elle synonyme d’éclatement, de morcellement ? Est-elle
signe d’une impossible ou illusoire identité ? Ou est-elle révélatrice au
contraire d’une richesse et d’une inventivité ?
Les psychomotriciens qui ont participé à la réalisation de cet ouvrage vien-
nent de toutes les régions de la France et ont eu des formations de différentes
écoles. Ils vont nous faire partager ce qui vient du terreau même de leur
clinique. Tout en ne se connaissant pas, ils partagent une certaine conception
de leur position professionnelle qui se dégagera au fil de la lecture, puisqu'il
n'y à pas de clinique qui ne soit orientée par des préconceptions théoriques.
Certains articles développent des arguments théoriques offrant un étayage
possible pour penser notre travail au plus près du corps tant dans ses fonctions
d’enveloppe que dans ses fonctions d’expression et de médiateur. D’autres
sont plus particulièrement consacrés à des expériences cliniques extrêmement
différentes les unes des autres, puisqu'il s’agit de nourrissons, d’enfants,
d'adolescents, d’adultes, ou de personnes âgées. Ces pratiques s’appuient
sur des médiations choisies en fonction des pathologies, du cadre de soins
et de ses axes.
Notre propos au cours de cet ouvrage ne sera donc pas de présenter ici
une doctrine ou un courant d’idées ou de pratiques, mais plutôt de laisser
parler la diversité clinique, sans avoir pour autant la prétention de recouvrir
l’étendue du domaine d’application de la psychomotricité (un ouvrage n’y
suffirait pas).
Laissons-nous surprendre et ne présumons pas, sans avoir lu, de ce que
nous allons trouver au fil de ces réflexions et témoignages cliniques.
PREMIÈRE PARTIE

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Psychomotricité :
une motricité ludique en relation
FABIEN JOLY!

1. Des origines à aujourd’hui

1.1. Aux origines

Chacun connaît les formules originaires inscrites par nos maîtres sur « la
déclaration de naissance » de la psychomotricité comme pratique théra-
peutique para-psychiatrique.… Pour définir la spécificité du rejeton psycho-
motricité, il s'agirait d'appréhender le « corps-en-relation » selon le père
fondateur Julian de Ajuriaguerra [1] [2], d’évoquer une « motricité en relation »
selon les termes de Bernard Jolivet [13] [14], de mesurer ce qu’engage le
« fonctionnement des fonctions » pris dans la relation à l’autre selon Jean
Bergès [5] [6]...
On pourrait se demander s’il y a encore à revenir sur ces formules origi-
naires et identitaires — près d’un demi-siècle plus loin ! — et à bégayer mal
ce que tous ceux-là ont déjà dit mieux que je ne saurais le faire aujourd’hui,
pour appréhender une spécificité psychomotrice, qui selon toute vraisemblance
et au regard de son implantation dans le milieu sanitaire et médico-social
n’a plus guère à être défendue et encore moins recherchée. Et pourtant!
Pourtant, je prônerai ici que ce retour « emprunté » sur les traces de nos
maîtres n’est peut-être pas de trop aujourd’hui, et que derrière l’indéniable
implantation sociale d’un corps professionnel il existe encore un flou identi-
_ taire « adolescent » dans quoi la spécificité praxique de l’objet psychomoteur
peut se perdre et s’oublier ;d’autant plus que les praticiens de la discipline
psychomotrice méconnaissent trop souvent leurs origines et leur déclaration
de naissance.
24 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

En effet, la psychomotricité, aujourd’hui plus mature qu’il y a cinquante


ans, et ayant indéniablement gagné d’importants terrains d’expériences
et de pratiques professionnelles, cette psychomotricité surfant sur le
contexte actuel et l’impérialisme envahissant d’un pseudo-scientisme et
d’un pragmatisme anglo-saxons (méconnaissant radicalement l’objet
psychomoteur), entame actuellement un virage identitaire que je ne crois
pas sans risques.

1.2. Le « psychomoteur » au risque du tout « neuromoteur »


De fait, il y a une amnésie sidérante qui fait que beaucoup aujourd’hui
comprennent la psychomotricité comme une neuro-psychologie du dévelop-
pement des différents secteurs de la sphère corporelle du côté du neuromoteur.
Et il y a, de ce point de vue, quelque chose de bien singulier (qui en d’autres
lieux pourrait être amusant) de lire successivement Julian de Ajuriaguerra
montrer [2] que les troubles psychomoteurs tels qu’ils les a définis et inventés
sont : « différenciés des troubles neuromoteurs » « ne répondant pas à une
lésion en foyer donnant les syndromes neurologiques classiques » ; et d’en-
chaîner par la lecture de Jean-Michel Albaret [4] à côté de beaucoup d’autres !)
qui déclare tout de go dans un article de la prestigieuse E.M.C. qui se veut
générique de définitions et de consensus proclamer quant à lui que: les
troubles psychomoteurs sont « des troubles neuro-développementaux ». Et
cet auteur de ne plus citer aucun des découvreurs de la psychomotricité, mais
préférentiellement les seules références neuro-cognitives et développementales
internationales actuelles qui ignorent absolument le point de vue de la psycho-
motricité ; et qui derrière les acrostiches THADA, TAC, TOP, etc. effacent
radicalement toute référence aux troubles psychomoteurs et aux éclairages
préalables de ces questions ; de telle manière qu’il ne sera plus jamais question
des « instabilités psychomotrices » ou des « dyspraxies », et encore moins
de convoquer (fût-ce pour le discuter) l'héritage monumental des savoirs et
des savoir-faire psychomoteurs dans ce domaine.
Force nous est de constater de même, du côté des jeunes psychiatres pres-
cripteurs, une méconnaissance totale de l’identité de la psychomotricité et
une traduction approximative du côté d’une rééducation comportementale
ou d’une réadaptation symptomatique des troubles de la sphère psychomotrice
et développementale. Obligation de mesurer, de surcroît, du côté de la
recherche internationale un déficit total de représentations de l’objet psycho-
moteur dans le « meilleur » (?) des cas rabattu sur le neuromoteur et les enjeux
instrumentaux dans une lecture neurocognitive des troubles des fonctions
corporelles, praxiques, attentionnelles et idéo-motrices, dans le pire totalement
effacé ou ignoré.
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 25

Qu'on ne se méprenne pas trop sur mon sentiment: il y a des apports majeurs
(c’est peu de le dire) des neuro-sciences et du cognitivisme ou d’autres
approches développementales, et un très grand sérieux dans les travaux de
J.-M. Albaret et de nombre de collègues plus « fondamentalistes » que moi
mon propos et mon inquiétude résident ailleurs. Je ne crois nullement qu’il
s’agit de psychomotricité dans ces perspectives hautement respectables et
qui intéresseront par ailleurs le développementaliste naturel qu’est le psycho-
motricien ! Je crois juste qu’en l’ignorant — ou plus grave en le sachant — à
vouloir tirer la psychomotricité de ce seul côté-là, s’ensuit (ou s’ensuivra
bientôt) un effet de dissolution et d’attaque en règle de la spécificité psycho-
motrice et plus loin du corps des psychomotriciens ! Et je ferais volontiers
remarquer que, partout où le rabattement du psychomoteur sur le neuromoteur
ou le cognitivo-développemental a œuvré, l’objet de la psychomotricité s’est
trouvé destitué et dissous : qu’on regarde la totale disparition des perspectives
psychomotrices au Canada alors qu’une authentique et importante école
représentait ce mouvement dans les années 70/80.
La véritable question est que l’un ne se rabat pas sur l’autre : le trouble
psychomoteur n’est en aucune manière un désordre neuromoteur du côté
d’un équipement défaillant et d’une fonction à redresser.

1.3. Un nouage entre le faire et l’éprouvé


Et il s’agit donc de revenir encore une fois (au risque de radoter !) sur
l’idée que le carrefour psychomoteur est le nouage exact d’une expérience
du corps et de la motricité, d’un faire et d’un éprouvé, dans le partage ludique
et relationnel avec l’autre et avec le monde ; se faisant d’un nouage complexe
de l’exercice de sa motricité et de ses fonctions dans le plaisir partagé d’un
investissement qui vaut de l'implication d’un sujet psychique et historicisé.
Et de redire ainsi à ma manière empruntée (maladroite et prise sur la référence
à nos maîtres) que la psychomotricité est toujours une motricité ludique
en relation. sinon à n'être qu’une motricité mécanique et neuro-cognitive.
Illustrons cette spécificité psychomotrice d’une très modeste vignette
clinique assez récente.
Le petit « Jess » a 19 mois quand je le rencontre pour la première fois
avec.ses parents à ma consultation du Centre Ressources Autismes de
Bourgogne pour un dépistage d’éventuel « bébé à risque autistique ».
Les parents témoignent de beaucoup de choses d’une grande finesse
concernant le comportement de leur fils et son tout premier développement ;
autant d’observations qu’ils rassemblent au regard de leurs inquiétudes sur
l’éventuel autisme de leur petit bonhomme... L'histoire leur donnera malheu-
reusement raison de leurs inquiétudes au sujet de l’autisme de Jess, mais je
26 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

ne peux développer ici cette clinique de l’évaluation précoce des destins


autistiques. Je voudrais m’arrêter sur un point plus modeste qui m'est resté
comme un étonnement au regard de deux remarques cliniques très éclairantes
fournies par ces parents.
Leur petit garçon a eu un début de vie extrêmement douloureux surchargé
d’opérations, d’hospitalisations et de surcharges somatiques d’importance
dont un des effets a été une hypotonie considérable et un retard postural,
tonique et praxique très envahissant..… ce qui va justifier à un moment du parcours
en CAMSP d’une double prise en charge parallèle en psychomotricité et en
kinésithérapie. Après quelque temps de travail, ils rencontrent, pour faire le
point, et successivement les deux professionnels. Les parents disent en
souriant, au professionnel que je suis aussi, qu’ils n’entendent que peu la
différence exacte entre le travail du kiné et celui de la psychomot’ ; puis 1ls
en viennent plus sûrement à dire leur totale incompréhension d’entendre de
l’un — c’est le kiné — que l’évolution de Jess est très bonne et la récupération
tonique et praxique est presque totale et de bon aloi, alors que l’autre — la
psychomotricienne — insiste sur son désarroi et sa très grande inquiétude
pour Jess et son évolution sur le plan psychomoteur. Très grand écart incom-
préhensible et douloureux pour eux, formulé par des spécialistes contigus
du corps de l’enfant et abordant tous deux la question tonique... En vérité
nous allons vite comprendre que l’un parle de la fonction tonique et praxique
« abîmée » des traumatismes somatiques précoces et progressivement réédu-
quée et récupérée, potentiellement utilisable fonctionnellement ; pendant que
l’autre « zoome » sur l’utilisation investie, affectée, ludique et exploratoire
dans la relation à l’autre et au monde qui reste sinistrée chez Jess et qui lui
fait craindre un tableau autistique sévère !
Un peu plus tard dans l’entretien, à une des premières questions du CHAT
(questionnaire diagnostic de dépistage des troubles autistiques précoces):
— est-ce que votre enfant aime qu'on le balance ou qu’on le fasse rebondir
sur les genoux ? — les parents répondent ainsi : « ah OUT! Oui... Il aime ça…
Enfin non NON, pas vraiment, il ne joue pas à “à dada” comme sa sœur le
faisait ; ce n’est pas un jeu de “à dada” vous savez, d’ailleurs ce n’est pas un
jeu... Ce qu'aime Jess c’est qu'on le secoue violemment... Ne vous méprenez
pas (ajoutent-ils un peu effondrés) Mais c'est le mouvement brusque et
saccadé, très raide, qui lui plaît quand il est sur nous. » ; pas un jeu avec
eux de la surprise et du « à dada » interactif, pourrait-on ajouter. Un exercice
moteur et sensoriel sans aucun doute, mais aucunement un jeu psychomoteur.
Voici selon moi, dans ces deux vignettes, l’exacte définition du « psycho-
moteur » dans son écart avec le neuro- ou le sensori-moteur, et plus loin,
dans le cas de Jess, des signes psychomoteurs d’une dérive autistique.
Le psychomoteur comme motricité ludique en relation qui relève bien de
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 27

l'investissement déployé dans la rencontre avec l’autre et sur l’espace du jeu,


créatif et affecté, des fonctions motrices, toniques, posturales, praxiques, etc.
Nous allons donc modestement revenir ici sur cette définition.

2. Corps et psyché: une articulation fondamentale

2.1. Le psychomotricien: un interlocuteur transitionnel

Il nous faut rappeler quelques points historiques princeps relatifs à la


perspective psychomotrice et à son histoire ; à ce que j’appelle pour ma part
[151 [16] le « carrefour » ou « le nouage psychomoteur ».
L'acte de naissance et le vertex même de la perspective psychomotrice
signent, en vérité, la complexité du lieu de l’enfant et son corps en dévelop-
pement. De cette complexité originaire un double constat s’impose très vite :
quel débit d'invention et de fécondité, mais quel prix à payer d’incertitudes
et de déchirements simplificateurs.
Sur ces sources originaires complexes, un corps professionnel va pourtant,
en écho des débats et des paradoxes internes, être construit d’une reconnais-
sance politique et administrative. De cette histoire tiraillée, une position
clinique et para-psychiatrique va, selon moi, se déduire et s’imposer : celle
de soignant à part entière dans l’équipe psychiatrique pluridisciplinaire, de
thérapeute « à médiation », ou encore d’interlocuteur transitionnel (cf. Joly
[201 [21] [22)).
L'histoire, c’est aussi les balbutiements d’un tiraillement : le trait d’union
et la notion carrefour elle-même. Du psycho-moteur à « la » psychomotricité,
en un seul mot et sans trait d’union. Il semble, pour le dire vite, que la chute du
trait d’union et la substantivation témoignent d’un nouage intime et permanent,
d’une dialectique structurante, et mieux d’une consubstantialité essentielle de
l'habitation corporelle et de l’exercice investi des fonctions instrumentales,
toniques, praxiques et sensori-motrices, dans le développement, dans l’histoire
du sujet, et dans la relation « psychisée » et toujours affectée et pulsionnalisée
à l’autre. Cet enjeu — dit ici maladroitement du « trait d’union » — redouble
on l’aura compris quelques éléments du projet thérapeutique des pratiques
soignantes de psychomotricité historiquement (et malheureusement) posés
du côté de l’opposition rééducation/thérapie. Chaque option apparaissant
plutôt comme une réduction de la complexité évoquée plus haut, quand c’est
le carrefour psychomoteur lui-même, et le nouage intime du corps, de ses
fonctions, et de la psyché, de la relation et de l’histoire, qu’il s’agit pourtant
d’appréhender dans le mouvement même du se-faisant développemental.
RPM/ou TPM, la « relation » contre « l’instrumental », c’est de ce point de
28 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

vue toujours un mauvais procès, un faux débat, qui ampute l’objet même de
leur nouage, et maltraite la richesse d’une identité plurielle et les invariants
d’une spécificité pourtant longuement mûrie…
Les thérapeutiques psychomorrices disent, selon moi, toujours — comme
le concept de psychomotricité lui-même — et quelle que soit l’accentuation
plus techniciste, plus directive ou plus relationnelle propre à chaque profes-
sionnel, la centration sur le symptôme ou ailleurs sur la globalité de l’êrre
psychomoteur :la mise en jeu ludique et dans la relation du corps et de ses
enjeux narcissiques et identificatoires, du corps dans sa globalité rela-
tionnelle et dans son lien à la vie psychique, comme dans l'exercice de ses
fonctions instrumentales et cognitives, dans son rapport au monde autant
affectif que cognitif et praxique, à la fois équipemental, intra-psychique
et nécessairement inter-subjectif!
L'option psychothérapeutique des pratiques de la psychomotricité a été
ouverte par Julian de Ajuriaguerra lui-même dès l’origine de la psychomo-
tricité. Et la dimension thérapeutique de ces praxis psychomotrices s’inscrit
dans une visée alors assez bien définie : l’importance de la mobilisation du
fond moteur dans l’expérience du corps-en-relation propre au dispositif
soignant de psychomotricité, permettant un remaniement de la personnalité,
une réassurance narcissique, un assouplissement des défenses, à travers une
dynamique identificatoire essentielle. « Le but n’est pas moteur, mais la possi-
bilité de sentir le corps comme objet total dans le mécanisme de la relation »,
disait Ajuriaguerra. À quoi nous rajouterons : le but n’est pas l’exercice exem-
plaire et performant de l’acte ou de la fonction, mais bien plus l’investissement
harmonieux d’un sujet fonctionnel, l’expérience ludique habitée d’un étre
psychomoteur. Si ces diverses pratiques thérapeutiques ne sont pas directement
interprétatives (dans le transfert et au sens psychanalytique du terme), si elles
sont appelées par une dysharmonie des fonctions, voire des troubles instru-
mentaux spécifiques, comme autant de points d’appel ; elles visent toujours
un remaniement global de cet être psychomoteur et in fine (dixit Ajuriaguerra
lui-même) sont: « de fait, des activités psychothérapiques au cours desquelles
les thérapeutes peuvent interpréter les vécus successifs et les changements
de relation avec autrui ou le monde extérieur sur le plan des résistances » [2].
Ces propos de Ajuriaguerra, souvent omis voire totalement oubliés, sont
pourtant assez clairs, voire saisissants de déterminisme !

2.2. Positions théoriques


Bernard Jolivet, Jean Bergès ou encore Danièle Flagey, Roger Misès,
René Diatkine et Serge Lebovici vont, dans cet héritage, et chacun de leur
côté, préciser et prolonger l’option définie originairement par Ajuriaguerra.
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 29

Jolivet [13] [14] définira la ligne de crête non-interprétative et pourtant


authentiquement psychothérapique où la psychomotricité — « motricité en
relation » selon cet auteur — vise à l’appropriation de certaines modalités
relationnelles relativement aux défaillances et aux ratés des interactions et
du développement précoce. Bergès [5] [6] précisera, quant à lui avec force,
que la pratique psychomotrice consiste à donner une place au sujet plutôt
qu’à rééduquer un quelconque symptôme fonctionnel. Et D. Flagey [11] [12]
approfondira, pour sa part, le lien étroit entre les défaillances instrumentales
et les fragilités de l’organisation narcissique de l’enfant en développement
(avec pauvreté de l'élaboration mentale) ;en préconisant en réponse des
thérapies psychomotrices permettant un réinvestissement narcissique autant
qu’objectal dans l’exercice même de l’activité du corps « en relation », avec
reprise de la mentalisation, déplacement des investissements agressifs en
circuit court vers des processus d’identification et de symbolisations par le
détour du jeu. Ceci conduisant à penser l’efficace des thérapeutiques psycho-
motrices comme espace transitionnel élargi, comme aire transitionnelle
renouant la dynamique somato-psychique chère à Winnicott.
René Diatkine [10] s’interroge, voire se montre même très réservé
(évoquant parfois des contre-indications) sur la prise en charge technique et
rééducative de la pratique psychomotrice en indication directe de nombre
de troubles dits psychomoteurs, plutôt entendus selon cet auteur comme symp-
tômes. Et il préférait comprendre, quant à lui, la spécificité et l’efficacité des
pratiques de psychomotricité du côté de la dynamique identificatoire propre
à l’exercice psychomoteur ludique partagé, à l'expérience d’un faire ensemble,
d’un partage de jeux, et se faisant au rétablissement de la tendance perdue
à l’introjection, à une considérable re-narcissisation, et à une modification
sensible de l’équilibre économique, identitaire et symbolique du sujet.
Serge Lebovici [23] propose, quant à lui, de considérer les indications
thérapeutiques de psychomotricité en invoquant, sur un mode certes méta-
phorique mais extraordinairement profond et convaincant, deux situations
développementales fondamentales auxquelles il pense dans son travail de
consultation au lieu et au temps d’une indication différentielle et d’une
« adresse » vers la psychomotricité : le jeu de l’enfant à la bobine d’une part,
et l’acquisition et l’investissement de la marche de l’autre. Ces deux registres
développementaux exemplaires illustrent, en effet, au mieux le passage obligé
par l'expérience psychomotrice, c’est-à-dire ludique, motrice et relationnelle,
appelant des registres inextricablement liés (voire encore mieux interdé-
pendants) par lesquels s’intriquent le jeu de l’infans et le contre-jeu de l'adulte
(porteur et soutien d’une illusion anticipatrice, d’un désir, d’un plaisir partagé
et d’une activité de rêverie et de symbolisation parallèle) l'identification et
la contre-identification de l’un et l’autre des partenaires du jeu. Une expérience
30 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

psychomotrice sur fond de quoi s’alimentent les processus d’appropriation


subjective du monde, des objets, de l’autre et de soi-même, et à partir de
laquelle les processus de pré-symbolisation et de symbolisation se vectorisent ;
en même temps que se nouent, dans l’exercice même de ces séquences psycho-
motrices, les enjeux cognitifs, praxiques et instrumentaux, les dimensions
sociales-affectives et relationnelles de « l’être au monde », et les exigences
spécifiques de croissance et de travail psychiques, dans une intrication étroite
de ces différents registres et de leurs lignes développementales respectives,
au lieu même de ce que j'appelle le « carrefour psychomoteur ». Deux
séquences — la bobine et la marche —, qu’en conclusion, Lebovici disait qu’elles
illustraient très précisément ce que — en tant que psychiatre — il attendait de
l’envoi en psychomotricité : à savoir d’introduire (ou de ré-introduire),
d'organiser (ou de ré-organiser), cette relation fondamentale, symbolique et
structurante telle qu’elle s’image dans le jeu simple de la bobine ou pour
l’exemple de la marche: là où l’exercice de la motricité spécifie le déve-
loppement mental personnel de l’enfant, quand celui-ci s’intègre et s’étaye
au plus près sur l’expérience du corps et sur son intrication intime et inter-
active avec le fonctionnement d’un partenaire ludique.
Cette expérience d’un « être ensemble », d’un « faire » et surtout d’un
« jouer-avec » renvoie comme en écho ce type de processus développe-
mentaux aux processus thérapeutiques mis en jeu dans les pratiques psycho-
motrices (cf. Joly [20])...
Pointons encore que, dans les mêmes années, l’équipe de Misès (R. Misès,
E. Gilbert, G. Segur à la fondation Vallée) [26] [27] élabore des perspectives
extrêmement proches, complémentaires et très convaincantes. Que l’on
mesure les termes anciens proposés dès 1971 par R. Misès et son équipe de
psychomotriciennes : « La thérapie psychomotrice ne vise pas principalement
à réduire les troubles d’une fonction altérée dans sa dimension instrumentale » ;
cette thérapie — poursuivent nos aînés — vise plutôt « à rendre l'enfant capable
d'assumer son corps dans ses dimensions pulsionnelles et narcissiques et pour
tout dire dans sa dimension symbolique » (ibid., p.434). Cette thérapeutique
originale — fondée sur des expériences du corps en relation, du corps expressif
et ludique — tente dans un accompagnement spécifique impliqué/impliquant
et transformateur de donner à l’enfant — je cite toujours — « les moyens de
la prise en charge de son corps et l'aménagement de la distance à travers
la découverte, l’éprouvé et la saisie ludique d’un matériel qui permette la
manipulation des objets et la maîtrise des échanges ». Misès en concluait quant
à lui: «on ne saurait méconnaître l'apport de techniques structurantes mettant
en jeu des échanges profonds à travers le langage du corps et permettant au
sujet des mouvements identificatoires très positifs ». J'ajoute, quant à moi,
dans ce droit fil de pensées, que la spécificité de cette authentique thérapie
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 31

à médiation corporelle se voit ainsi fondée sur l'invitation et l'engagement


dans (et à) l’interaction corporelle, à l’éprouvé d’un « corps-en-relation »
(cf. l'importance du cadre de la salle et des objets médiateurs proposés) et
Sur l’accompagnement transformateur ludique et symbolisant de l'articulation
essentielle du corps et de la psyché.

3. Organisation psychomotrice, troubles psychomoteurs

Un point de saisie essentiel de cette motricité ludique en relation apparaît


dans la conjonction, comme écrasée en cet endroit du « corps en relation »,
des trois étages ajuriaguerriens évoqués et déployés dans le texte fondateur
d’Aju. [2]: // l’organisation psychomotrice dans le développement précoce,
2/ les troubles psychomoteurs dans le champ de la psychopathologie et plus
loin ce que j'appelle la vision psychomotrice des grandes entités morbides,
3/ la perspective thérapeutique enfin d’une praxis médiatisées par le corps
et l’exercice de la psychomotricité comme entreprise soignante.
Différenciant (après Ajuriaguerra donc [2], et après Bergès [5] [6] et quelques
autres) les froubles moteurs où neuro-moteurs et neuro-développementaux
d’une part, de ce que d’autre part nous appelons spécifiquement les troubles
« psychomoteurs » ; nous sommes obligés de rappeler et de repréciser rapide-
ment quelques données concernant l’idée même de ces troubles psychomoteurs.
La notion de « trouble psychomoteur » est donc créée par Julian de
Ajuriaguerra dans le même temps et le même mouvement (cela passe trop
souvent inaperçu alors qu’elles sont consubstantielles) que celles
d’« organisation psychomotrice » et que celle induite de « thérapeutiques
psychomotrices » [2].
De la dernière — « les thérapeutiques psychomotrices », il dira que préfé-
rable à celle discutable — ne serait l’usage — de « rééducation psychomotrice »
elle indique la perspective psychothérapique globale d’une attendue modi-
fication du corps en relation, du « corps en tant que système relationnel et
d'orientation » dans le monde et dans le rapport aux objets et aux autres
partenaires psychiques...
De la seconde — « l’organisation psychomotrice » — il précisera que: si
la psychomotricité est « trop souvent confondue avec la motricité » avec
l'exercice des fonctions et des systèmes neurologiques superposés ([21 p.426),
a contrario l’organisation psychomotrice telle qu’il l’a définie ne peut se
comprendre qu’au regard de son développement, et en tenant compte de
l’histoire des fonctions et de leurs fonctionnements, de leur investissement
et de leur épanouissement, ou ailleurs de leurs avatars. De ce point de vue,
« l'objectif et le subjectif de l'action qui se déroule ne sont pas des réalités
32 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

séparées », l'acte est « vécu » il est « appétence » « prise de contact » « domi-


nation ou destruction » « motivation » rappellera-t-1l.

3.1. L'organisation psychomotrice


Reprise sur le plan développemental, cette organisation psychomotrice est
d’abord la « première charpente motrice » (organisation tonique de fond) prise
inévitablement dans le rapport à l’autre du dialogue tonique, puis l’organisa-
tion plus développée du plan moteur dans l’investissement et l’exploration
du monde et des objets (sous-tendu en permanence par le rapport à l’autre
psychique) ; l’automatisation enfin des acquis et des maftrises corporelles
dans le plein épanouissement du jeune sujet. À chacun de ses endroits
« tonus et motricité participent à l’organisation relationnelle », créent la
relation en même temps qu’ils en sont le résultat incarné.
Prolongées plus tard par Jean Bergès [6]: l’organisation et la structuration
psychomotrices — sur fond de l’équipement neuro-biologique de base (qui
peut d’évidence être lui-même défaillant, handicapé, entravé, dévié..….) — vont
se comprendre comme la rencontre de ce potentiel de fond avec l’histoire et
l’environnement, la « soumission » dira même Bergès, de ce potentiel de
fond à des logiques psychiques, relationnelles et évènementielles d’inves-
tissement, d'expérience, et d'environnement relationnel. Au bout de quoi, la
structuration psychomotrice sera inévitablement un sang mêlé plus ou moins
harmonieux ou dysharmonique. Le fonctionnement de cette organisation
psychomotrice au regard de la spécificité psychique et symbolique du sujet
humain sera en dernière analyse toujours repris dans une « inscription symbo-
lique de la fonction ». Et à chaque étage de cette trajectoire se spécifiera,
depuis le terreau neuro-moteur, ce qu’est la spécificité de l’organisation
psychomotrice agie et que nous appelons quant à nous [15] re] « l’être
psychomoteur ».
André Bullinger et son « école » de pensée [7] [28] sont de ce DH de vue
et, plus récemment, des plus explicites : éclairant dans la lignée wallonienne,
piagétienne et ajuriaguerrienne des points centraux du développement des
fonctions (perceptives, praxiques, neuro-motrices, toniques et posturales)
qu’ils nomment avec écart et pertinence le « sensori-moteur » dans le déve-
loppement, selon un angle de vue qu’ils décrivent comme « instrumental »,
pour pouvoir garder ailleurs dans le sens clinique aigu d’André Bullinger,
et à un autre niveau d’analyse, le « psychomoteur ».
La formation de la conduite, c’est-à-dire de l’exercice des fonctions, s’ins-
crit alors, de ce point de vue « psychomoteur », et au-delà de son exercice
proprement fonctionnel, dans le champ relationnel du plaisir et de l’investis-
sement. Et la spécificité psychomotrice serait, de ce point de vue, la fonction
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 33

sensori-motrice et instrumentale déployée dans le développement, dès lors


qu’elle n’est actualisée que dans le champ relationnel du psychomoteur (à
savoir du psychique, de l’historique voire du pulsionnel) [28].

3.2. Le trouble psychomoteur


Revenons à présent à la première des trois notions — Le « trouble psycho-
moteur » — Sur laquelle je voulais m’arrêter. Ajuriaguerra re-dira avec force,
en conséquence de ses précisions sur l’organisation psychomotrice, et dans
une définition pour le moins originale et paradoxale que:
« 1°) les syndromes psychomoteurs ne répondent pas à une lésion en foyer
donnant les syndromes neurologiques classiques ;
2°) ils sont plus ou moins automatiques, plus ou moins motivés, plus ou
moins subis plus ou moins voulus ;
3°) liés aux affects mais attachés au soma par leur fluence à travers la
voie finale commune, ils ne présentent pas pour cela uniquement des carac-
téristiques de dérèglement d'un système défini ;
4°) persistants ou labiles dans leur forme, mais variables dans leurs
expressions ; ils restent chez un même individu intimement liés aux afférences
et aux situations ;
5°) ils ont souvent un caractère expressionnel caricatural, et gardent
des caractères primitifs quoique modifiés par l’évolution ultérieure qui les
rapprochent de phases primitives de contact ou de répulsion, de passivité
ou d’agression. Parfois ils n’ont même plus la forme du mouvement primaire
mais seulement la valeur d’un symbole.
Les troubles psychomoteurs — conclut-il — dans leur ensemble oscillent
entre le neurologique et le psychiatrique, entre le vécu plus ou moins voulu
et le vécu plus ou moins subi, entre la personnalité totale plus ou moins
présente, et la vie plus ou moins jouée » ([2] pp. 433-434).

En cet endroit donc, et derrière l’appréhension de ces troubles psycho-


moteurs sont visées des difficultés certes de la sphère et des fonctions
sensorimotrices, mais plus essentiellement on l’aura compris des troubles
développementaux autant qu’inter-relationnels du fonctionnement de ces
fonctions, de la motricité entendue dans la relation à l’autre (cf. Ajuriaguerra
[1] [2] ou Jolivet [14]); avec la juste mesure de toutes les incidences plus
ou moins fixées et plus ou moins invalidantes de ces fonctions dans la sphère
instrumentale et praxique, mais aussi dans l’économie narcissique-identitaire
du sujet, et le plus souvent du côté d’une dysharmonie d’évolution et d’une
pathologie qu’on dirait aujourd’hui narcissique ou « limite ».
34 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

De ce point de vue encore, et si l’on est obligé de rappeler l’essentialité


d’une sémiologie du corps et des différents secteurs de la psychomotricité en
développement (avec bilans, tests et grilles d'observations affinées), il nous
faut dire dans le même temps que dans ce registre des troubles psychomo-
teurs : la sémiologie ne suffit pas (cf. Joly [15] [171). Dire plus loin que le trouble
psychomoteur, dans sa définition même, ne relève pas de la sémiologie, de
la récolte de signes à re-dresser ou à rééduquer, mais renvoie plus justement
à une interprétation de ces signes dans la relation à soi, à l’autre et au monde,
c’est-à-dire relève authentiquement d’une psychopathologie (processuelle
et intersubjective) et d’une lecture impliquée du thérapeute. L’appréhension
d’un trouble psychomoteur ne renvoie pas à une photographie arrêtée mais
à un film déroulé dans le temps et dans une interaction affective et historicisée.
Elle se fait sous le regard impliqué de l’examinateur, et s’entend dans le
discours encadrant le comportement, plus que dans la seule mesure « brute »
de ce dit comportement. Un même trouble apparent (au plan descriptif et
sémiologique) peut de ce point de vue être et/ou ne pas être un trouble
« psychomoteur ». Il faut, pour le spécifier, une analyse psychopathologique
différencielle, au regard des enjeux historiques, relationnels et psycho-affectifs
qui s’y attachent.
Ce n’est pas les avatars de la fonction qui intéressent la psychomotricité,
mais bien plus justement les aléas du fonctionnement de la fonction... Jean
Bergès nous l’a longuement enseigné: « le symptôme moteur ou fonctionnel
est systématique », « il est l'effet d’une perturbation de la structure du
système nerveux central ou de la fonction », « il se distribue sur les voies
de l’anatomie, il a un aspect non seulement inattendu et scandaleux mais
limité et organisé ». « Le symptôme psychomoteur lui n’intéresse pas la
Jonction, il intéresse le fonctionnement, |] le fonctionnement sous le regard
de l’examinateur [...] et le symptôme psychomoteur prend du sens dans le
discours qui le décrit [...] c’est l'inscription du langage dans le corps de
l'enfant » [6].

3.3. La sémiologie ne suffit pas


Je soutiendrais ici — de ce rappel de la notion de trouble psychomoteur -
que la juste compréhension de cette symptomatologie proposée par Julian
de Ajuriaguerra déborde de loin le seul listing des troubles singuliers de la
corporéité.… Se dégagent, en vérité, une lecture et une authentique vision
psychomotrice des grandes entités morbides, et un élément d’une pathologie
développementale complexe à revisiter d'urgence pour poser, selon moi, les
bases d’une psychopathologie clinique au Xx1e siècle.
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 35

Parce que nombre de ces grandes entités cliniques [psychoses, psycho-


somatique de l’enfant, dysharmonies d’évolutions pathologies limites, narcis-
siques, et autres troubles globaux du développement, autismes et troubles
apparentés, troubles des conduites, hyperactivités et troubles attentionnels,
troubles cognitifs praxiques et instrumentaux, etc.] intègrent (sans qu’on le
dise toujours, ni qu’on s’y intéresse vraiment) des singularités de la psycho-
motricité qui sont autant de mal-être du patient et de « verrous » à sa bonne
évolution ;mais relèvent surtout dans tous les cas d’un semblable nouage
des lignes d'équipements du côté des fonctions cognitives, instrumentales
et motrices avec l’histoire et l’épaisseur psychique du sujet pris dans la relation
aux autres. Qu'à chacune de ces entités psychopathologiques une vision
psychomotrice permet ainsi de reconsidérer le nouage princeps qui fait l'être
psychomoteur bien loin des réductions partisanes de la seule logique neuro-
cognitive ou de la seule écoute inconsciente.
Plus loin encore, parce que le vertex proposé par cette approche peut nous
aider à reconsidérer entièrement certains syndromes psychopathologiques
d'envergure. Là où nous sommes trop souvent prisonniers de lectures univoques
et partielles de la symptomatologie d’un enfant, de ses compétences, de son
comportement ou de la compréhension de son fonctionnement, la vision
psychomotrice intègre les deux faces de la fonction et de ses avatars, et du
fonctionnement affecté et historicisé de cette fonction dans le lien à l’autre.
La perspective psychomotrice est étroitement liée — cela serait l’objet
d’un article en soi — à la problématique des dysharmonies évolutives, des
pathologies « limites » au sens de Misès, et des troubles instrumentaux de
la sphère narcissique. Je me contenterais, pour ma part simplement ici et
pour ne pas alourdir le propos, de souligner deux perspectives actuelles,
brûlantes et selon moi exemplaires d’un authentique abord psychomoteur de
(et dans l’appréhension psychiatrique habituelle de) grandes entités morbides
ou de son évitement :je veux parler ici des deux paradigmes essentiels que
sont l'autisme infantile et ses troubles apparentés d’une part, et les tableaux
d'hyperactivité avec déficits attentionnels de l’autre: les fameuses « insta-
bilités » de l'enfant.

4, En guise de conclusion
Le sens des thérapeutiques psychomotrices [15] c’est la juste mesure
| d’une perspective clinique et technique, voire d’un dispositif thérapeutique,
ou mieux encore d’une praxis. C’est même en cet endroit pratique, clinique
et technique, qu’est habituellement seulement assis le praticien de la psycho-
motricité. Venons-y en guise de conclusion!
36 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

4.1. Les invariants

Je crois 2 que quelle que soit la diversité des techniques, des médiations,
des savoir-faire et des pratiques qui se revendiquent de « la » psychomotricité
(dans un étonnant singulier puisqu'il s’agit d’un authentique kaléidoscope),
il existe néanmoins quelques invariants génériques aux dispositifs thérapeu-
tiques de psychomotricité : une spécificité vraie de l’abord psychomoteur ; et,
se faisant, une spécificité de ses indications différentielles (positives et néga-
tives) qui se dégagent de la bonne compréhension de l’originalité de cet
abord psychomoteur.
Cette spécificité praxique de la psychomotricité ne réside pas comme on
l’a crue trop longtemps — en s’embourbant quelque peu dans des clivages
intra-professionnels — dans la mise en tension différentielle [avec la nécessité
induite de choisir son camp] entre:
a) d’une part, rééducation techniciste ciblée sur un symptôme à « redres-
ser », ou sur une lecture neuro-psycho-développementale des fonctions
psychomotrices à « entraîner », et
b) d’autre part, psychothérapie ludique et médiatisée utilisant, à la diffé-
rence de l’expérience de la cure analytique, la mise en jeu du corps, de
l'expression corporelle agie.

Si ces deux grands courants de pensées co-existent en psychomotricité


(ce qui est d’ailleurs plutôt une force et une richesse après tout extraordinaires),
ils ne se rassemblent en tant que perspectives psychomotrices authentiques
que a) dans un projet de soin toujours centré sur l’implication (à tout le moins
la disponibilité d’implication et de participation étayante) du thérapeute, et
b) autour d’expériences singulières du corps-en-relation, du sujet face au
monde, aux objets, et à l’autre et aux autres. Cette « expérience psychomo-
trice » [19] [211], cet exercice de la psychomotricité (qu’il soit non directif étayé
sur une proposition de jeu libre ou très cadré dans un programme rééducatif)
renvoient toujours en dernière analyse à l’expérience d’une motricité ludique
et de la mise en situation de cet exercice corporel en relation avec l’autre. Il
existe en effet, à bien y regarder, dans la palette des praxis psychomotrices
quelques invariants très spécifiques que l’on peut repérer autour de l’expérience
motrice partagée et de ses enjeux identificatoires, des symbolisations qui
s’en déduisent dans le travail du jouer et dans la double dynamique identifi-
catoire tendue entre soi et l’autre et entre corps et psyché ; mais que l’on
retrouve aussi du côté de la position thérapeutique spécifique d’interlocuteur
transitionnel du psychomotricien [19] [20], et dans le projet thérapeutique
induit du côté de la relance d’une bonne habitation corporelle, des relances des
liens corps psyché et du plaisir du fonctionnement de la sphère psychomotrice.
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 37

4.2. Le plaisir du fonctionnement

Le plaisir du fonctionnement dans l'expérience d’un corps en jeu, en


relation et dans le lien éprouvé à l’autre, voici donc la représentation-but
d’un processus thérapeutique en psychomotricité. Les symbolisations
primaires (au sens de Baranes ou de Roussillon) ou concrètes (cf. D. Flagey)
et la valence « expérientielle » et identificatoire de ces pratiques semblent à
cet égard déterminantes.
J'ai, pour ma part, tenté (depuis plusieurs années) de modéliser ces théra-
peutiques psychomotrices en psychiatrie de l’enfant, et ce triptyque spéci-
fique (position, cadre et processus) autour d’un paradigme technique et théo-
rico-clinique qu'est à mes yeux le modèle du « travail du jouer » et en
l'occurrence du « jouer-avec » (cf. Joly [15] [19] [20] [22]). Toute pratique
dite psychomotrice renvoyant toujours en dernière analyse à une expérience
motrice ludique partagée étayée à ces trois endroits 1/ du cadre et des objets
médiateurs, 2/ de la position thérapeutique du praticien et 3/ des processus
de changement induits par cet exercice, sur le modèle du « jouer-avec ».
Ce paradigme me semble avoir plusieurs mérites pour penser l’origina-
lité des thérapeutiques psychomotrices.

4.3. Jouer!

Le substantif « Jouer » tend évidemment à dire le travail psychique,


psychomoteur, cognitif, social et interactif complexe et multidimensionnel
qui opère, dans toute conduite ludique, le processus même du jeu en train
de se « jouer », le se-faisant du jeu, de la création (voire de la récréation)
ludique. Et ce néologisme me semble répondre à la pénurie des mots pour
dire, en français, la complexité (trop longtemps méconnue) de l’activité de
jeu, du cheminement processuel de tout jeu, en quoi et par quoi il est créa-
tif et élaboratif. Je rappelle qu’en anglais on différencie le game (jeu réglé,
jeu sportif, jeu de société), le play (jeu spontané, jeu imaginaire et symbo-
lique), le gamble (jeu de hasard ou jeu à risque), et le playing en insistant
alors précisément, avec ce suffixe « ing », sur le processus de création et de
transformation ludique en train de se faire.
Le carrefour psychomoteur du jouer, ensuite. L'enfant qui joue met,
dans le même temps et le même mouvement, en travail sa curiosité et ses
apprentissages cognitifs, sa sensori-motricité et le plaisir bien tempéré de
son corps-en-relation, autant que sa vie pulsionnelle, affective et représenta-
tionnelle selon les logiques propres à sa topique subjective et à son économie
personnelle, et encore à l’appel relationnel de l’objet, à la dynamique inter-
subjective voire groupale ou sociale des objets psychiques qui l’encadrent,
38 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

et au maniement des objets concrets, véritables médium malléables du jouer


et de la symbolisation. « Jouer c’est faire » proclamait Winnicott. Et ce
« carrefour ludique » doit, en effet, être pleinement agi (dans l’interaction
avec l’autre ou l’autre en soi) pour soutenir un véritable processus de symbo-
lisation : une symbolisation primaire plus fondée sur la présence, sur l’acte
et l’éprouvé, que sur la mise en absence et la secondarisation propres à
d’autres niveaux de symbolisation comme le langage.
L’appréhension du modèle du jouer conduit, plus loin, au constat obligé,
d’une trajectoire développementale (complexe) du jeu. Ce complexe ludique
s'inscrit, en effet, inévitablement dans une trajectoire processuelle et multidi-
mensionnelle de croissance et de réorganisations successives :des premiers
balbutiements ludiques interactifs du nourrisson, jusqu'aux destins spécifiques
du jouer et de la transitionnalité à l’âge adulte, et bien sûr aussi (même si
c’est plus rarement traité) dans les processus de vieillissement ou de fin de
vie, en passant par les enjeux déterminants du jeu pendant la petite enfance,
la latence et l’adolescence. Et il n’est, selon moi, pas possible voire tout à
fait désastreux, soit de rabattre cette idée de développement sur une linéarité
simpliste et génétique faite de causalités directes et évolutives, soit de figer
toute expression ludique en image arrêtée à un seul moment donné de notre
parcours en faisant fi de ce développement... Je voudrais ainsi, avec cette
idée de trajectoire des jeux et du jouer, défendre et illustrer la complexité
d’un processus développemental d’épaississement ludique, de transformations
et de remaniements considérables de la capacité à jouer au décours du parcours
de subjectivation de chacun, de la croissance psychique, du développement
cognitif, psychomoteur, comme des diversifications sociales culturelles et
inter-relationnelles de chaque sujet.
Se déduit une vision complexe de la psychopathologie qui en observant les
conduites ludiques ou leurs avatars peut, pour une grande part, appréhender et
évaluer le fonctionnement psychique, cognitif et psychomoteur d’un patient
donné, mesurer sa souffrance et son organisation pathologique, autant que
la souplesse et l’épaisseur des parties « saines » et créatives de sa personnalité.
Depuis la faillite radicale autistique du jouer, les bizarreries du jeu psychotique,
les aléas ou la fragilité du jeu dans les pathologies limites et chez les enfants
instables, jusqu'aux jeux à risques et autres conduites extrêmes et dangereuses
de certains adolescents, ou aux véritables addictions de certains adultes
« passionnés » de jeux, on pourrait ainsi concevoir — et mieux spécifier — un
véritable spectre psychopathologique des avatars des conduites ludiques selon
les structures et les aléas des divers processus de vie chez tout un chacun.
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 39

4.4. Le travail du jouer


À toutes ces variations du jeu s’ajoute, enfin, une autre forme de décli-
naison au titre de l’utilisation thérapeutique de ce travail du jouer dans
la perspective de soutenir un véritable processus de changement dans les
différents dispositifs symbolisants que nous proposons à nos patients. Et si
du côté du soin psychiatrique, il va de soi que tout un chacun — d’évidence
chez l'enfant mais également chez l'adolescent, l'adulte ou la personne âgée —
s'intéresse aux (voire utilise très directement les) conduites ludiques comme
expression où comme vecteur de changement, doivent encore être sérieusement
étudiés les différents opérateurs thérapeutiques singuliers qui utilisent de
diverses manières ce jouer à différents niveaux de sa trajectoire :du jeu en
psychothérapie analytique, dans le psychodrame, dans les groupes théra-
peutiques, au jeu en psychomotricité. Nous retrouverons alors l’opposition
du « modèle du rêve » et du « modèle du jouer-avec » [20] entendus ici — à
partir des deux principales syntaxes psychiques — comme les deux principaux
paradigmes organisateurs des divers dispositifs thérapeutiques répertoriés
tout au long du spectre des multiples entreprises psychothérapiques. Et l’on
s’apercevra que dans une perspective authentiquement psychothérapeutique
le processus même du « jouer-avec » tendu entre corps et psyché et entre soi
et l’autre est bien une marque spécifique de l’approche psychomotrice.
Le sens des thérapeutiques psychomortrices [15] entendues ici autour du
paradigme d’une « mofricité ludique en relation » réengage ainsi une réflexion
de fond sur l’histoire de cette perspective psychomotrice et de cette notion de
psychomotricité, une réélaboration de la question des troubles psychomoteurs
et plus loin de l’abord psychomoteur des grandes entités morbides, un appro-
fondissement de l’efficace et de la spécificité du dispositif thérapeutique propre
aux techniques de psychomotricité avec une réflexion concomitante sur les indi-
cations thérapeutiques différentielles de cet outil para-psychiatrique de soin.
Le sens de la psychomotricité c’est, de ce point de vue: la croisée agie
et expérientielle de l’équipement et de son investissement dans la relation à
soi, à l’autre psychique et au monde, et dans son développement historique ;là
où celui que j'appelle l'être psychomoteur témoigne d’un nouage essentiel,
investi et « incarné », des perspectives et des données psychologique, cogni-
tive et développementale, rencontrant son histoire subjective et sa spécificité
psychique et inter-subjective. Le sens de la psychomotricité, c’est bien l’expé-
rience du « corps en relation », le bon fonctionnement des fonctions dans leurs
colorations affectives, historiques et relationnelles ;ce qui laisse loin derrière
les réductions et oppositions caricaturales qui sévissent actuellement : du
tout organo-génétique au tout psycho-génétique, et/ou du tout rééducatif au
seulement psychothérapique.
40 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

La psychomotricité — motricité ludique en relation — apparaît ici comme


le « chaînon manquant » peut-être entre neuro-sciences et psychanalyse,
dans la juste et complexe appréhension de l’exercice du corps et des fonctions
en relation avec l’autre, l’affect, la pulsion. et l’histoire.

NOTES

1. Joly F., coordinateur du Centre Ressources AUTISMES de Bourgogne (CHU Dijon) —


CAMSP (Acodège) de Dijon — cabinet libéral : 9, rue Pierre Prudhon 21000 Dijon tél/fax
03.80.72.25 42. port. 06.60.40.05.97. e-mail : fabien-joly @club-internet.fr - membre titu-
laire (conseil scientifique) de la S.F.P.E.A.D.A. — membre du conseil scientifique de
l'A.N.C.R.A. — membre de la CIPPA — membre correspondant de PréAUT.
LD Et l’expérience personnelle d’une quinzaine d’années d’exercice de la psychomotricité,
redoublée aujourd’hui d’une expérience, indirecte mais au fond plus élargie, de supervisions
de collègues psychomotriciens, voire de recherche dans le champ de la psychomotricité, me
confortent toujours plus avant dans cette hypothèse.

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PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 41

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Psychomotricité
et motricité psychique
ALBERT CICCONE

Le champ de pratiques en psychomotricité est très vaste. Les contributions


à cet ouvrage le montrent. Cependant, et ces différentes contributions le
montrent aussi, les théories de la pratique auxquelles ces différentes praxies
se réfèrent explicitement ou implicitement contiennent des modèles ou des
énoncés suffisamment consensuels ou fédérateurs. Ces pratiques utilisent le
corps, l’activité corporelle plus ou moins codifiée, comme un médiateur dans
un travail qui vise toujours, au bout du compte, des effets psychothérapeutiques,
c’est-à-dire des effets de changement ou de développement quant à l’état
d’esprit des patients, quant à leur subjectivité, ou quant aux processus
psychiques qui caractérisent leur état de souffrance.
Je vais dans ce chapitre rappeler quelques-uns de ces énoncés consensuels
et fédérateurs, et je vais souligner la pertinence de ces pratiques. J’en indi-
querai aussi les limites. Il existe bien sûr d’autres types de pratique se référant
à d’autres modèles qui contiennent, par exemple, la représentation d’un corps
plus fonctionnel. Mes réflexions les concerneront aussi — bien que d’une
manière plus marginale — dans la mesure où elles intéressent l’expérience
subjective que le corps manifeste peut convoquer. Au-delà du jeu de mots
contenu dans le titre de ce chapitre, mon propos s’articule autour de deux
énoncés : le premier consiste à dire que la scène corporelle est un lieu de
transit de la réalité psychique ; le second est que /a réalité psychique se
construit à partir de l'expérience corporelle. Ainsi la psychomotricité est-elle
: le pendant, visible, observable, du mouvement des processus psychiques, de
la motricité psychique. Mais cette proposition n’affirme qu’un fait potentiel.
Elle ne vaut que si l’observateur prête une attention particulière aux événements
corporels qu’il observe, dans un cadre congruent, et en référence à un corpus
théorique cohérent et adéquat.
44 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Le corps comme lieu de transit de la réalité psychique


La conception du corps comme lieu de transit de la réalité psychique a
été largement développée par Freud. On peut même dire que la psychanalyse
est née à partir de l’idée qu’un lien existait entre événements corporels et
événements psychiques, et qu’il pouvait être dégagé grâce à une investi-
gation appropriée. En effet, la psychanalyse est née autour de la question de
l’hystérie, mettant en évidence la manière dont le symptôme corporel est
déterminé par un événement psychique, un traumatisme psychique que le
corps vient révéler, mettre en scène, et dont le symptôme rend compte. Le
symptôme corporel a donc un sens, et la fonction du symptôme est de main-
tenir caché le sens dont lui-même témoigne.
La notion la plus forte que l’on doit à Freud et à la psychanalyse est la
notion de réalité psychique. Freud a mis en évidence l’idée que le psychisme
est une réalité, que les événements psychiques ont valeur de réalité. Et l’on
peut penser que si la psychanalyse est née à partir de l’hystérie, c’est parce
qu'il fallait partir d’un contexte où le psychisme avait suffisamment de corps,
suffisamment de concrétude, avant de pouvoir construire et penser une réalité
psychique concrète, un monde psychique suffisamment réel.
L'hystérie a conduit Freud à considérer le processus de conversion,
processus par lequel un événement psychique est dérivé dans le corps, se
traduit par un événement corporel. On se souvient de la manière dont Freud
modélise ce processus : une pensée ou une représentation se présente au moi;
celle-ci est inconciliable avec le moi qui n’en veut donc rien savoir; le moi
refoule alors l’idée ou la représentation ; si la représentation peut être refoulée,
la charge affective qui accompagne la représentation ne le peut pas et connaît
un autre destin ; la solution hystérique voit l’affect converti en un processus
ou symptôme corporel. D’autres destins sont possibles : la connexion de
l’affect à une autre représentation d’apparence anodine (solution obses-
sionnelle ou phobique), ou bien le rejet tout à la fois de la représentation, de
l’affect, et de la réalité qui y est attachée — autrement dit le clivage et le déni
(solution psychotique).
Outre le modèle de l’hystérie, tout le champ de la psychosomatique s’est
déployé autour de cette idée d’un lien entre événements psychiques et événe-
ments corporels. La conception psychosomatique est issue du modèle de
l’hystérie, même si elle s’en distingue. Certains exemples de troubles hysté-
riques donnés par Freud l’ont conduit à formuler des énoncés que l’on pourrait
considérer comme fondateurs du point de vue psychosomatique. Il s’agit
d'exemples où existe une réelle maladie somatique et où, comme le dit Freud,
la névrose s'empare de la maladie somatique. La maladie est ici une des
formes de ce que Freud appelle la «complaisance somatique » (pour qu’une
PSYCHOMOTRICITÉ ET MOTRICITÉ PSYCHIQUE 45

conversion ait lieu, une complaisance du corps est nécessaire : aptitude


,

prédisposition.….).
Le point de vue psychosomatique affirme, en général, le non-sens du Symp-
tôme corporel en tant que tel : si le corps est un instrument pour l’hystérique,
il est une victime pour le psychosomatique. Le trouble psychosomatique voit
un dysfonctionnement ou une maladie corporels réels déterminés en partie
par des éléments psychologiques. Certains psychosomaticiens ont cependant
mis en évidence la manière dont le symptôme psychosomatique lui-même
peut aussi avoir du sens, le corps étant conçu comme un véritable théâtre dans
lequel se joue un scénario qui souffre de ne pouvoir être symbolisé. On peut
dire, en effet, que l'événement corporel traduit une faillite dans le processus
de symbolisation. Mais s’il rend compte d’un échec de la symbolisation, il
est fondamental de souligner que l’événement corporel représente en même
temps une fentative de symbolisation. Le corps est lui-même le théâtre d’une
symbolisation en souffrance. Il est même une modalité première et primordiale
de symbolisation.
Après ces quelques brefs rappels concernant l’hystérie et la psychoso-
matique, je vais souligner les propos de Freud lorsqu'il décrit les fantasmes
hystériques et leurs rapports à la bisexualité. Freud conçoit la crise hysté-
rique comme dramatisant une scène à deux protagonistes. L'observation du
comportement de la patiente pendant la crise hystérique conduit Freud à la
formulation suivante : tout se passe comme si l’hystérique mettait en scène,
dans la crise, la situation d’un homme violentant une femme ; d’une main la
patiente arrache sa robe (en tant qu’homme), et de l’autre elle la retient serrée
contre elle (en tant que femme). Ces considérations introduisent les travaux
modernes dans lesquels le corps est conçu comme lieu de transit de la réalité
psychique, comme scène sur laquelle peut se déployer la conflictualité
psychique, autrement dit comme scène pour la symbolisation, et comme
cadre à la symbolisation.
J'ai parlé des conceptions psychosomatiques. On peut rappeler aussi, par
exemple, les travaux de Geneviève Haag qui mettent en lumière ce qu’elle
appelle l’«identification intracorporelle ». Ces termes décrivent le procédé
par lequel l’enfant, le bébé, rejoue dans son corps, à travers l’articulation
des différents segments de son corps, des interrelations qu’il a vécues avec
un ou des membres de son entourage. Par exemple, lorsqu'un bébé qui vient
d’être nourri et qui est tenu dans les bras maternels joue avec ses mains, se
-prend les mains l’une dans l’autre, entoure le pouce d’une main avec l’autre,
tout se passe comme s’il rejouait avec ses mains l’enveloppement maternel
sécurisant, contenant. Une main représente la mère, l’autre main ou le pouce
représentent le bébé porté, enveloppé. De même, lorsque le bébé écarte brus-
quement les bras ou les jambes au moment où la mère s'éloigne, tout se passe
46 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

comme si un côté du bébé représentait la mère qui part, et l’autre côté le bébé
abandonné, ou, lorsque les membres se rassemblent, le bébé qui tente de
retenir la mère.
Ces considérations résultent d’une observation fine et attentive du bébé,
de ses attitudes, de ses comportements, des interactions avec ses partenaires.
On peut ainsi signaler tout le courant actuel d’observation psychanalytique
du bébé selon la méthode d’Esther Bick.
Les observations fines réalisées dans ce contexte mettent en évidence la
manière dont les expériences corporelles, décrites dans leurs détails, fondent
les états émotionnels et psychiques naissants. Le courant interactionniste,
lui aussi actuel, visant l’observation des interactions précoces, s’attache aussi
à décoder les vécus subjectifs du bébé et de ses partenaires, à partir de leurs
corrélats comportementaux, interactifs. Bref, l’éthologie, la psychologie du
développement, ainsi que la psychanalyse, ont largement mis en évidence
et développé l’idée selon laquelle le corps — par la sensorialité, la motricité,
le comportement — traduit des événements subjectifs, des actes de pensée,
et l’idée selon laquelle l’expérience corporelle — sensorielle, motrice, compor-
tementale — est un préalable à l’émergence de la pensée.

L'acte comme modalité de symbolisation


Ainsi, si l’acte est souvent opposé à la pensée (avec les notions de passage
à l’acte, d’acting, de conduite addictive, etc..), il convient de réhabiliter l’agir,
de lui reconnaître sa pleine valeur symboligène. Si l’agir est une modalité
d'évacuation des expériences émotionnelles incontenables, irreprésentables,
il est aussi une modalité de symbolisation, une tentative de symbolisation
de ce qui ne peut se symboliser par l’activité de pensée, autrement dit les
expériences traumatiques. Par ailleurs, l’agir est aussi le moyen par lequel
se psychisent les expériences, même non traumatiques, se symbolisent ces
expériences et se développe la vie mentale.
J'ai parlé plus haut des identifications intracorporelles, processus par
lesquels le bébé rejoue dans son corps, de lui à lui, des scénarios inter-
relationnels vécus avec des objets de son environnement. Cela définit l’au-
toérotisme. Toutes les conduites autoérotiques sont des mises en actes, dans
le corps et par le corps, de relations intersubjectives que l’autoérotisme intra-
psychise. Par l’autoérotisme, le sujet intériorise les expériences inter-
subjectives, il construit des objets psychiques, il construit sa subjectivité.
L’autoérotisme est donc un jeu de soi à soi.
Et toutes les activités de jeu, tous les actes de jeu, reposent sur un processus
de symbolisation, et produisent des symboles. On peut rappeler la manière
PSYCHOMOTRICITÉ ET MOTRICITÉ PSYCHIQUE 47

dont Winnicott a défini le jeu, qu’il conçoit comme une thérapie en soi. Le
jeu, qui se déploie dans un espace dit «transitionnel » (ni dedans, ni dehors),
voit la réalité interne transiter par la réalité externe, pour se donner à repré-
senter, et pour se transformer avant d’être réintériorisée. L'acte de jeu est
ainsi un acte de symbolisation. L'enfant emprunte des fragments de réalité
externe pour extérioriser et vivre un échantillon de rêve potentiel. Par la mise
au-dehors, le jeu symbolise un événement du dedans.
Mais le jeu est aussi symboligène par ce qu’il permet comme intériori-
sation d'expériences de rencontre avec l’altérité, avec la réalité extérieure.
Par exemple : un enfant subit une visite médicale ; de retour chez lui, il joue
au docteur. Par le jeu, l’enfant atténue la dimension traumatique de l’expé-
rience et intériorise l’expérience. On peut dire que toute expérience de
rencontre avec une altérité, avec la réalité qui impose une altérité, est une
expérience traumatique. C’est un microtraumatisme qui blesse le narcis-
sisme. L'autre est toujours une blessure pour le soi, pour le narcissisme. Et
le jeu est une manière de fabriquer du soi à partir de cette expérience d’alté-
rité. Le jeu produit donc du narcissisme secondaire.
René Roussillon, à partir entre autres des conceptions de Winnicott, a très
bien démontré aussi la manière dont l’agir est symboligène, à travers sa
conception de la «symbolisation primaire». La symbolisation primaire est
une modalité d’appropriation des expériences, des éprouvés, par une activité
de liaison entre des traces mnésiques perceptives et des représentations de
chose (la symbolisation secondaire décrivant l’activité de liaison entre des
représentations de chose et des représentations de mot). La symbolisation
primaire se déploie chez l’enfant essentiellement dans le jeu (autoérotique
ou intersubjectif) et chez l’adulte dans le rêve. Le jeu est donc pour l’enfant
un moyen de symboliser, un moyen de représenter, et la représentation est
pour l’enfant un moyen d’agir : l’enfant représente (et joue) ce qu’il ne peut
pas être, ce qu’il ne peut pas agir en réalité.
L'acte n’est donc pas opposable à la pensée. Mais la question qui se pose
est celle de savoir comment l’acte est réalisé. Il y a des manières d’agir qui
produisent de la pensée, et des manières d’agir qui évitent la pensée : par
exemple, l’autoérotisme peut se transformer en autosensualité autistique qui
écrase toute forme de pensée. Il y a des manières d’agir qui sont un jeu, et
des manières d’agir qui empêchent le jeu : cela lorsque le jeu est envahi par
l'excitation pulsionnelle (Winnicott avait bien souligné combien l’excitation
_pulsionnelle constituait la plus grande menace pour le jeu et pour le moi).
La même remarque peut être faite pour la parole : la parole peut soutenir
une activité de symbolisation ou bien empêcher la symbolisation. La parole
peut construire des pensées, transmettre des pensées ;elle peut tout aussi
bien n’être qu’un acte visant à évacuer des non-pensées, à se débarrasser
48 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

d’un embarras. Le langage, d’ailleurs, a toujours une double fonction : la


première est de transmettre des contenus (c’est ce qui se réalise par la méta-
phorisation) ; la seconde fonction est d’exercer une action, d’agir sur l’autre,
de faire éprouver concrètement quelque chose à l’interlocuteur (c’est ce que
produit la rhétorique, par exemple, ou la manière de dire, qui concerne les
aspects non verbaux, infraverbaux du langage).
Donc l’agir, tout comme la parole, soutient les processus de symbolisation,
mais peut aussi éviter la symbolisation. Une activité de soin psychique ne
suppose donc pas une abstinence corporelle au profit d’une relation de parole
(la psychanalyse des enfants, d’ailleurs, comme celle de patients psychotiques
ou borderline, ne peut pas promouvoir une absence totale d’interaction
comportementale : le psychanalyste s’engage corporellement dans la relation,
dans les interactions, dans les jeux, même s’il le fait avec circonspection et
réflexion), elle suppose le maintien d’une activité de pensée quelle que soit
la forme praxique de la pratique. Il est vrai cependant que lorsque la pratique
freine l’engagement corporel, lorsqu'elle retient un «trop de corps », l’activité
de pensée potentielle s’en trouve facilitée. Mais la retenue du corps ne suffit
pas pour que la pensée se déploie.
L'activité de pensée suppose un en-creux, un vide, une dépressivité, une
disponibilité à l’expérience, afin de pouvoir se laisser toucher, se laisser
surprendre, et développer une compréhension de l’expérience. L’agir tout
comme la parole peuvent venir défensivement boucher ce trou, opacifier cet
espace d’attente et d’attention, et de ce fait éteindre toute possibilité de mise
en pensées, autrement dit de création psychique.
L'activité de pensée, si elle est potentiellement favorisée ou empêchée
par le cadre externe, s’appuie essentiellement et avant tout sur un cadre
interne. Le même acte, selon le cadre interne auquel il est référé, sera créateur
sur le plan psychique ou bien désorganisateur. Il en est ainsi, par exemple,
du toucher — très largement utilisé dans les pratiques à médiation corporelle.
S1 le toucher est essentiel au développement psychique, en ce qu’il produit
comme satisfaction narcissique, comme sentiment de soi, comme image du
corps, etc., on sait qu’un certain interdit du toucher est aussi, à un certain
moment, fondamental. Le toucher comme étayage est organisateur ; le toucher
comme interaction pulsionnelle est désorganisateur (je rappelais plus haut
les propos de Winnicott selon lesquels la pulsion est la principale menace
au jeu). L’interdit du toucher, dans les pratiques soignantes, concerne non
pas le toucher comme étayage, mais le toucher comme interaction pulsionnelle.
Le premier est dans le cadre, le second est hors cadre. Mais tout le problème
est celui de la distinction des deux : pour le soignant dont le cadre interne
doit établir ce discernement, et pour le patient qui sera facilement conduit à
prendre l’un pour l’autre. Le maniement du toucher, si l’on peut dire, requiert
PSYCHOMOTRICITÉ ET MOTRICITÉ PSYCHIQUE 49

beaucoup de précautions, beaucoup d'attention en particulier aux éléments


transférentiels (ce que le patient projette dans la situation, la manière dont
il interprète la situation) et contre-transférentiels (ce que le soignant projette,
éprouve, et en particulier la jouissance potentielle qui peut infiltrer sa relation
au patient).

Conclusion

En conclusion, on peut dire que la psychomotricité, si on l’observe dans


cette perspective, rend potentiellement compte, témoigne des processus
psychiques, de la motricité des processus psychiques. Les psychomotriciens
sont à une place privilégiée pour observer ces processus, à condition qu’ils
occupent une position d'observation attentive. Celle-ci suppose une mise en
suspens non pas de l’agir, mais de la compréhension, du désir de compré-
hension immédiate, afin d’éprouver suffisamment la teneur émotionnelle de
la situation et d’en repérer suffisamment les indices. Cette observation atten-
tive suppose également un travail de décodage, pour construire une compré-
hension. Ce travail, qui n’est rien d’autre qu’un travail de pensée, nécessite
un certain nombre de conditions. Certaines concernent le cadre interne du
praticien, tel que j'en parlais plus haut. D’autres concernent le cadre externe :
le cadre formel de la pratique, qui peut plus ou moins soutenir, infléchir
l’activité de pensée ; mais aussi les cadres dans lesquels le praticien va pouvoir
penser sa pratique. Ceux-ci définissent en particulier les espaces dits de super-
vision, d'élaboration de la pratique.
La recherche explicite ou implicite d’effets psychothérapeutiques, tels
que j'en parlais au début de ce chapitre, suppose chez le praticien une activité
de pensée à partir de sa pratique et sur sa pratique. Et il est difficile de penser
tout seul. La pensée se déploie à partir d’une relation à un autre, et d’une
relation de parole dans laquelle la parole, qui est adressée à l’autre mais qui,
au bout du compte, est adressée à soi, conduit à une compréhension dès lors
que par cet autre a pu transiter le mouvement de réflexion, de transformation,
de représentation (la pratique psychanalytique, d’ailleurs, n’est fondée sur
rien d’autre qu’un tel supposé). La pensée d’une expérience se développe à
partir du partage de l’expérience avec un (ou plusieurs) autre(s). C’est ce qui
se réalise dans les espaces, nécessaires, de supervision ou d’élaboration de
. la pratique.
Et l’on peut dire, d’ailleurs, que ce livre est aussi l’occasion d’un partage,
et ainsi peut-être d’une avancée, souhaitons-le, dans la pensée des pratiques
psychomotrices.
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Réflexions actuelles sur la spécificité
du soin psychomoteur
DENISE LIOTARD

«Le corps peut, par les seules lois de sa nature, beaucoup de choses qui causent
à son âme de l’étonnement… si le corps est inerte, l’âme est en même temps
privée d'aptitude à penser.»
Spinoza, L'Éthique.

Du nourrisson à l’adulte, de l’adolescent à l’âgé, en quoi le psychomo-


tricien se caractérise-t-il dans sa pratique de soignant ? Qu'est-ce qui, de la
relation thérapeutique et/ou de la médiation corporelle, rend son approche
efficace, en dehors de tout pragmatisme? Tel est l’axe de recherche que je
me suis fixé au sein de cet ouvrage.
Pour cela je prendrai appui sur des connaissances théoriques, tout en ques-
tionnant les connaissances tirées de ma pratique, sachant que leurs étendues
restent partielles, relatives et limitées. « La part de connaissance que nous
pouvons prélever sur ce que nous effectuons reste infime par définition !.»
Cette phrase me paraît d’autant plus pertinente dans nos praxies, variées et
référées à des courants théoriques différents, dans la mesure où notre champ
d’expériences et d’observations est le corps en relation. Or, «si le corps fait
l’objet de savoirs qui s’enseignent, tous les discours sur le corps sont battus
en brèche par l’expérience que tout un chacun a de son propre corps. Et cette
expérience échappe à la parole dans la plupart des cas. Elle est tributaire de
‘nos sens et non plus de notre intelligence. Et nos sens nous illusionnent, mais
nous ne le savons pas. Le corps ne peut être à la fois le sujet d’une expé-
rience et l’objet d’une observation2.»
52 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Praticiens et chercheurs d’une psychomotricité actuelle, acceptons cette


part de difficultés, de limites, d’erreurs, de divergences pour éclaircir ce qui,
au travers de résultats thérapeutiques surprenants, inattendus, peut apparaître
encore, parfois, pour d’autres que nous, pour de la magie.
Avant de nous intéresser à la psychomotricité, ayons dans un premier
temps la curiosité de plonger aux origines de la psychothérapie actuelle avec
les «praticiens d’un avant-Freud », inventeurs modernes de la relation théra-
peutique. Si désormais nombre de soignants se préoccupe de la dite relation,
n’oublions pas les propos de Balint pour lequel il importait de ne plus se
contenter d’une médecine à une seule personne, celle du soignant, mais 1l
fallait tenir compte du rôle de la relation entre les personnalités du soignant
et du soigné, quelle que soit la maladie. « Pour qu'il y ait relation, il faut
toujours qu’il y ait interaction de deux subjectivités. On pourrait dire qu’il
y ait rencontre de deux désirs : celui de soigner et celui de guérir3.»

1. De Mesmer à Freud, premier détour historique


Jusqu'à l’arrivée de Mesmer à Paris en 1778, les phénomènes tels les
possessions, exorcismes, guérisons miraculeuses sont considérés comme
relevant d’une influence divine ou maléfique.
Médecin, Mesmer affirme qu’il existe une énergie spécifique qui relie les
êtres humains entre eux et qu’il appelle le « fluide magnétique ». Il est alors
possible à un sujet de provoquer des modifications psychiques et somatiques
importantes chez un autre sujet par l’intermédiaire de ce fluide. Avec la
théorie du magnétisme animal et sa méthode au travers de laquelle il soumet
le sujet à un ensemble de manipulations corporelles, Mesmer cherche des
effets curatifs en visant une meilleure régulation du fluide ;une mauvaise
répartition de ce dernier dans l’organisme étant pour lui à l’origine de la
plupart des maladies.
À l’aube de la Révolution, dans les milieux scientifiques, notamment chez
les médecins, cette vision théorico-pratique entraîne oppositions, controverses
et expertises de la part de |’ Académie des sciences. Celle-ci mettra en relief
le rôle de l’imagination et celui du facteur psychologique dans les phénomènes
magnétiques tout comme l’écrivait déjà Paracelse (1490-1541), précurseur
de Mesmer : « Supprimez l’imagination et la confiance, et vous n’obtiendrez
rien. Que l’objet de votre croyance soit vrai ou imaginaire, vous obtiendrez
le même résultat4. »
Sans entrer dans les détails et les développements de cette période, rete-
nons seulement que, pour la première fois, les phénomènes relationnels sont
définis comme objets d'investigation dans une relation thérapeutique.
RÉFLEXIONS ACTUELLES SUR LA SPÉCIFICITÉ DU SOIN PSYCHOMOTEUR 53

Contrairement à Mesmer qui valorisait la crise convulsive du patient,


Puységur et ses disciples enrichissent cette relation de la communication
verbale comme procédé thérapeutique. Bientôt l'hypothèse même du fluide
deviendra superflue, au profit de la seule volonté de guérir le malade.
L'efficacité du médecin reposera sur une attitude faite de cordialité et d’amour.
La relation restera malgré tout une relation à sens unique, les mouvements
affectifs des magnétisés n’étant pas encore mentionnés dans le processus
thérapeutique.
Un élève de Puységur retiendra plus particulièrement notre intérêt. Il
s’agit de J.-P. Deleuze celui que R. Roussillon appelle le «magnétiseur-
miroir ». R. Roussillon, fait de J.-P. Deleuze le précurseur du cadre théra-
peutique, dans la mesure où, pour permettre au traitement d’opérer, ce dernier
a instauré un ensemble de données constantes, aussi régulièrement repro-
duites que possible, ce cadre formel se doublant d’un cadre contractuel muet,
implicite, ceci afin de fixer les règles intersubjectives du rapport dans lequel
magnétisé et magnétiseur vont s'engager et se maintenir dans un état parti-
culier. Or pour que cet état particulier se maintienne encore faut-il établir le
contact, le rapport, en dehors de tout effort de volonté ou de raison, c’est là
que nous voyons apparaître chez le magnétiseur des propriétés corporelles
et psychiques fondamentales.
«Le magnétiseur sera comme le miroir de l’autre à condition d’avoir pu
se mettre lui-même dans un état d’absence à soi-même, d’avoir pu s’épurer,
se purifier de ses propres préjugés et attentes pour atteindre l’idéal d’une
pure réceptivité, se faire miroir neutre mais “sympathique” du somnambule.
L'état somnambulique est un état partagé dans lequel mal, souffrance et voies
thérapeutiques seront mis en commun dans une réflexivité 1ssue de la “sympa-
thie”. Les “procédés” de magnétisation ne seront que des moyens de se mettre
en phase avec le magnétisé, des moyens d’actualiser corporellement, de
rendre sensible, perceptible, l’identification des deux protagonistes, de
permettre au magnétiseur d’ajuster son état interne pour lui permettre de
devenir miroir, reflet de celui du somnambule et ainsi d’assurer un “étiage
affectif” suffisants.»
Notons encore que les magnétiseurs développaient leur capacité diagnos-
tique sur leur capacité d’identification corporelle, se basant souvent sur leurs
propres expériences antérieures de magnétisés. «Concentration flottante »,
capacité de sympathie, identification psychique mais surtout corporelle,
_ autant de concepts qui nous permettent d’évoquer quelques aspects de notre
pratique.
Contemporain de Deleuze, l’abbé Faria, considéré comme le véritable décou-
vreur de l’hypnose et de la suggestion, précurseur de l”École de Nancy, décrit
quant à lui l’analgésie par l'hypnose, la relaxation, les massages thérapeutiques,
54 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

la psychothérapie par la parole… Lui succéderont Liébault, Bernheim, Braïd,


Azam, Breuer, Charcot qui permettra que l’hypnose soit reconnue comme
objet de recherche scientifique. L’aboutissement de ce processus sera bien
évidemment la découverte de la psychanalyse par Freud.
Par ce rapide retour aux sources de la psychothérapie j’ai cherché à mettre
en évidence la place inaugurale, centrale du corps, ainsi que son rôle dans
l’évolution des procédés thérapeutiques, jusqu’à le voir disparaître dans
l’expression de sa motricité, de sa gestualité. « C’est l’abbé Faria qui
commencera le lent dégagement du psychisme à partir de son enveloppe
corporelle et qui commencera à opérer la mutation théorique qui préfigurera
la constitution de la psyché comme concept efficace du champ thérapeutique.
La représentation s’agit avant de pouvoir commencer à être pensée, comme
telle, dans son efficace propre ; elle s’inscrit dans le corporel avant de pouvoir,
en passant par le défilé de sa concrétisation sensorielle, être pensée comme
problématique psychique 6. »
Si dans un premier mouvement la psychanalyse s’est éloignée du corps,
devenu le grand absent des cures analytiques, 1l fait un retour de plus en plus
manifeste par sa présence dans les ouvrages de psychanalyse. Quant à la
psychomotricité, plus tardivement, elle a fait du corps, dans sa double polarité
d'impression et d'expression, un objet-médiateur pour contribuer au processus
de subjectivation, comme nous allons le voir. Nous savons bien que nos deux
pratiques n’ont rien de comparable même si, à travers la théorie psychana-
lytique et certains de ses concepts, les psychomotriciens cherchent à donner
une assise théorique à leur activité. «Contrairement à la psychanalyse qui
suppose toujours que l’étayage ait eu lieu et que le corps imaginaire se soit
constitué en prenant appui sur le corps réel, la psychomotricité s’attaque à
l'articulation du corps réel et du corps imaginaire 7.»

2. Naissance de la relation thérapeutique


en psychomotricité, survol historique
«I fallait être enfant plutôt que précepteur ; je le laissai donc jouer et je
jJouai avec lui», écrivait Itard.
Aurions-nous la tentation de voir en 1799, avec la première rééducation,
celle de Victor l’enfant sauvage de l’Aveyron, conduite par Itard, empreint
de la philosophie de Condillac, une préfiguration de la rééducation psycho-
motrice à venir, voire de la thérapie ?
En 1959, J. de Ajuriaguerra préfère le terme de «thérapeutiques psycho-
motrices » à celui de Rééducation Psycho-Motrice apparu avec Guilmain en
RÉFLEXIONS ACTUELLES SUR LA SPÉCIFICITÉ DU SOIN PSYCHOMOTEUR 55

1935, et qu’il considère comme «plus douteux », dans la mesure où ce premier


courant, dans les années 1960, sous le sigle de RPM, se caractérise par des
aspects essentiellement rééducatif, technique et pédagogique. Il s’inscrit dans
une perspective mécaniciste, normative, de rééducation des troubles instru-
mentaux en lien avec l’examen psychomoteur de l’enfant.
Pétri de neurologie, de psychiatrie, de psychologie génétique et de péda-
gogie, le rééducateur sait, connaît, propose. « En tout état de cause, les tech-
niques de rééducation psychomotrice, en mettant l’accent sur les troubles
instrumentaux qu’il faut réduire, placent involontairement la rééducation sous
le signe du surmoi corporel, instance à laquelle incombe la tâche d’organiser
l’espace et le temps suivant les normes socioculturelles, mais au détriment
de la subjectivité. Ce qui fait alors problème n’est pas l’apprentissage en soi,
mais toute la dynamique interne qui sous-tend l’apprentissage et qui se déter-
mine par rapport à l’activité du rêve. Tout se passe alors comme si la pression
exercée de l’extérieur au nom d’une norme évolutive était le prétexte d’exclure
encore davantage un imaginaire déjà problématique 8. »
C’est alors que la phénoménologie et la psychanalyse viendront déposer
en plein centre de la psychomotricité la question de la relation en même
temps qu'un statut du corps différent. Parallèlement à ce que J. Le Camus
appelle le psychotropisme des techniques du corps, se développe un soma-
totropisme des techniques verbales ; c’est le temps où la psychanalyse se
préoccupe du corps au travers de la relaxation, sous l’impulsion de certains
chefs de file, Ajuriaguerra, Bergès, Sapir.…
Un mouvement de professionnels se démarque des techniques rééducatives
pour s’ouvrir à une dimension relationnelle, intersubjective, médiatisée. Ces
professionnels, «en s’engageant dans le “jouer avec” au travers de la mise
en jeu de diverses médiations expressives comme modalités thérapeutiques,
permettent de défendre, puis d’imposer l’orientation psychothérapeutique
des médiations psychomotrices et corporelles » ?.
En 1971, pour Misès et ses collaborateurs « la thérapie psychomotrice ne
vise pas principalement à réduire les troubles d’une fonction altérée dans sa
dimension instrumentale, elle vise plutôt à rendre l’enfant capable d'assumer
son corps dans ses dimensions pulsionnelles et narcissiques, et pour tout dire
dans sa dimension symbolique » 10.
«Les mots tiennent au corps et le corps tient aux mots. C’est cette épissure
qui rend possible que la thérapie psychomotrice soit une psychothérapie »,
disait J. Bergès en février 1996 au congrès genevois : «Les psychothérapies
à médiation corporelle » où la psychomotricité avait une place de choix.
56 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

2.1. De la relation à l'implication


Avec ce second courant, la dimension relationnelle du soin psychomoteur
apparaît clairement et la spécificité de l’approche en psychomotricité va se
caractériser par l'implication active, corporelle et motrice du psychomotricien.
Partenaire d'échanges ludiques, son corps devient un soutien, un contenant,
un étayage, un miroir pour le sujet en devenir. L'accompagnement théra-
peutique se faisant au travers d’une écoute corporelle et verbale, au travers
d’un dialogue tonique qui inclut la parole, la mise en sens, la mise en mots.
Ceci dans un climat sécurisant, bienveillant, respectueux, chaleureux où les
deux protagonistes sont affectés par ce qui se vit au travers de cette rencontre
singulière.
Seule, cette implication corporelle permet d’aborder le champ de l’ar-
chaïque caractérisé par ce que «J. Oury nomme, d’après F. Ponge, la “fabrique
du pré” — du préverbal, du préreprésentatif, du présubjectif, du prémoïque,
du préspéculaire ..…» Pour les psychomotriciens formés à cette approche du
soin, celle-ci répondant parfaitement aux exigences du travail avec les psycho-
tiques, nombreux s’aventurèrent dès cette époque dans ces zones difficiles,
à la limite du langage, floues, incertaines, faites souvent de chaos, de turbu-
lences, de doute, de confusion, d’étrangeté. « Le problème thérapeutique est
de rencontrer l’autre en un site d’émergence du sujet, lieu d’une différen-
ciation par laquelle il s’arrache à ce qui devient du même coup le Réel. Travail
à la limite du Réel, où l’on approche en particulier ce qu’on peut bien appeler
le réel du corps, c’est-à-dire un corps non symbolisé, non imaginé, non repré-
senté sinon dans les constructions théoriques des thérapeutes : je pense ici
en premier lieu au concept freudien de pulsion, dont Freud faisait justement
un concept-limite, assurant le passage de la frontière entre corporel et
psychique 11.»
Faisant suite à ces «aventures-limites », nous assistons ces dernières
années à l’avancée de la clinique psychomotrice dans des services comme
la néonatalogie, la pédiatrie, mais aussi la gériatrie, les soins palliatifs.
La confrontation à des situations extrêmes, comme peuvent l’être celle
de la dépendance vitale à l’ Autre et celle des régressions vertigineuses amènent
les psychomotriciens à développer d’autres approches thérapeutiques que je
nomme des «pratiques de l’extrême », ne serait-ce que pour qualifier certaines
de mes thérapies. « La présence du thérapeute, sa disponibilité intérieure sont
indissociables de sa capacité à penser; cette attitude nous évoque de frap-
pantes analogies avec l’attitude de la mère, captant à travers le peau à peau
avec son nourrisson les appels, besoins, angoisses, satisfactions. Dans ce
réel corps à corps, parfois seule alternative possible dans les moments de
grande régression, ou de restauration narcissique, le psychomotricien offrira
RÉFLEXIONS ACTUELLES SUR LA SPÉCIFICITÉ DU SOIN PSYCHOMOTEUR 57

un contenant corporel pour suppléer aux défaillances du Moi-peau, il verba-


lisera les échanges pour donner sens, établir des liens; en même temps qu’il
sera garant du cadre thérapeutique 12.»
De la relation à l'implication, cet investissement permet le passage du
mouvement déshabité au message, de la clinique du comportement à la
clinique de l'interaction, jusqu’à la clinique de l’intersubjectivité.

2.2. Les particularités de la rencontre en psychomotricité


«Il y a un moment où il faudra bien partager, il faut se mettre dans le
coup avec le malade, il faut y aller, il faut partager son état. S’agit-il d’une
espèce de sympathie ou d’empathie ou d’identification ? Quand même c’est
sûrement plus compliqué ce que nous sentons… » Pour m'avoir accompagnée
lors de certaines aventures thérapeutiques, cette phrase de G. Deleuze me
paraît intéressante à relever au travers de l’interrogation qu’elle nous pose :
Qu'établissons-nous donc de si fondamental pour le sujet en devenir ?
Cette relation thérapeutique très particulière entre le psychomotricien et
le sujet est une rencontre de l’ordre de l’intime. Un corps à corps symbolique
et asymétrique où les qualités du regard, les tonalités de la voix, la musicalité
des paroles, le toucher, les odeurs, les couleurs, les gestes et mouvements,
le tonus, la bienveillance, la réceptivité de l’un et/ou l’autre des protago-
nistes, les paroles souvent métaphoriques, induisent une influence, une rela-
tion transférentielle et une relation contre-transférentielle particulières, dans
la mesure où ce qui se passe dans le corps se passe dans une relation implicite
à l’autre.
Dès le premier entretien nous sommes sensibles à l’ensemble de ces
signes, nous en sommes des observateurs, des lecteurs et décodeurs assidus,
tout simplement pour rentrer en relation au lieu où le patient, quels que soient
son âge, ses symptômes, se trouve. Un de nos rôles est bien de favoriser
l'établissement de cette relation qui nous engage corporellement et affecti-
vement et qui comporte l’existence de niveaux très archaïques. « De même
que l’enfant éduque sa mère à devenir son éducatrice, de même le patient
apprend peu à peu au thérapeute les voies par lesquelles il ne peut pas ne pas
passer sous peine d’inefficacité. Si des analyses ou des thérapies échouent
— et comment ne pas reconnaître que c’est souvent le cas — c’est que le psycha-
nalyste ou le psychothérapeute n’ont pas pu recevoir et entendre les messages
émis en secret par l’analysant ou le patient et qu’ils ont été incapables de
” prendre la position qui en découlait. La raison est que recevoir et entendre
ne sont pas ici des mots qui relèvent du registre de l’intelligence et de la
volonté; ils requièrent la possibilité de devenir pour telle personne l’inter-
locuteur, en prenant soin de retirer à ce mot son sens étymologique. Ouvrir
58 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

à tout patient possible l'éventualité d’un changement supposerait que l’ani-


malité humaine du thérapeute puisse répondre à toutes les formes existantes
d’animalité humaine. Or chaque thérapeute, quelle que soit l’ampleur de son
champ relationnel, reste limité par son appartenance à un réseau particulier
et, en conséquence, par le caractère restreint de son aptitude à se modifier
sous la pression du non-familier. Si le thérapeute pensait pouvoir dire à la
suite de Térence : “Rien de ce qui est humain ne m’est étranger”, il risquerait
fort de verser dans la mégalomanie 13.»

2.3. L’indispensable empathie


Ce niveau d’échange thérapeutique et de communication nous amène à
mentionner la notion d’empathie, si importante pour Kohut, Malher, Masud
Khan, Milner, Searles, Winnicott, et bien d’autres... Indispensable pour
comprendre autrui, cette notion s’appuie sur le vécu corporel et sensible du
thérapeute qui accueille cet «envahissement» du patient, tout en le recon-
naissant comme bien séparé de lui. Ainsi passons-nous de l’empathie fusion-
nelle à l’empathie différenciatrice. « L'accent mis aujourd’hui sur l’empathie
traduit le retour manifeste, encore qu’implicite, de ce que Freud voulait
exclure avec l’hypnose et qui, en fait, n’avait jamais disparu du rapport affec-
if entre l’analyste et son patient 14.»
En plus de nos formations universitaires, personnelles, de nos expériences
qui contribuent à notre identité, ce sont avant tout nos qualités humaines,
nos individualités, nos corporéités, qui nous permettent de trouver les voies
de la rencontre, pour cela nos intuitions nous guident en même temps que nos
trouvailles, nos erreurs, nos tâtonnements, nos assurances. Toute cette errance
et cette créativité seront référées dans l’après-coup à nos cadres théoriques
pour penser notre clinique. Le plus difficile, mais non moins nécessaire, étant
de rendre compte verbalement de ce qui se passe dans ces aventures limites,
extrêmes, qui nous impliquent tant.

3. De la relation à la médiation corporelle

3.1. L'importance du mouvement pour se sentir être

Avec l’avancée de mon expérience clinique, si la qualité de la relation


thérapeutique me paraît primordiale et essentielle, si l’intérêt porté à l’histoire
de vie du patient et de ses conflits reste incontournable, elle n’est pas disso-
ciable de la richesse du travail au niveau du corps propre. Rappelons que,
pour Merleau-Ponty, le corps propre désigne le corps dans son allure, sa
RÉFLEXIONS ACTUELLES SUR LA SPÉCIFICITÉ DU SOIN PSYCHOMOTEUR 59

stature, sa forme spatiale et rend compte de l’intime du vécu corporel:c’est


ce que l’on ressent du dedans, comme une unité synthétique de l'expérience.
À regarder de plus près ma pratique, éminemment RSR en arrière-
fond de cet écrit, je repère que dans les temps où le corps s’éprouve sur un
fond qui va de l’indifférenciation à la différenciation et vice versa, où il se
délie, où il se met en action, le verbe se fluidifie, la mémoire se ranime.
Justesse retrouvée des expressions, finesse des ressentis, métamorphose des
mimogestualités, apparition des rêves. À l’origine de ce changement, je
crois pouvoir repérer l’esquisse d’un mouvement que je capte, amplifie, rends
perceptible ou même provoque, tandis que les patients expérimentent et
investissent le soutien physique et psychique de l’objet-thérapeute, que je
leur offre. Une lueur d’espoir se glisse au milieu de leur désespérance et de
leur absence de projet. Quelque chose est à nouveau possible, à laquelle ils
ne croyaient plus. C’est ainsi que je peux traduire ce déclic qui leur permet
de se sentir à nouveau exister.
Mais que serait un mouvement qui ne serait que décharge motrice ? Que
vaudrait une parole désincarnée ? Pour que ce mouvement puisse devenir
ouverture et/ou déclic encore faut-il qu’il se fasse sous le regard du thérapeute
et dans la verbalisation. Notre activité d’observation, notre intérêt pour le
corps propre de nos patients et pour ce qui s’y passe, notre propre activité
musculaire dans le soutien, la mobilisation de leur corps réel, tout comme
dans les échanges ludiques, leur permettent de construire ce qui dans le
narcissisme est positif ; c’est-à-dire l’aller et le retour de la hbido du Moi
vers l’autre et de l’autre vers le Moi ainsi que l’écrit M.-L. Roux.
Donner une place au corps, à la sensorialité et à la motricité, c’est permettre
de stimuler des traces mnésiques difficilement accessibles au seul langage ;
à travers les dires du thérapeute, le patient peut laisser émerger les mots qui
situent les failles, déficiences, confits, blessures du corps. Prendre soin maté-
riellement du corps d’autrui, c’est, en lui donnant existence, lui permettre
des possibilités évolutives et favoriser des éprouvés corporels «pertinents ».
Ceci sous notre regard respectueux, chaleureux, surpris, c’est peut-être, là,
que nous pouvons.émettre la possibilité de toucher au sentiment d'existence
du sujet et de pouvoir le renforcer. Dans notre éprouvé du moment s’actua-
lisent des tas de moments de notre histoire ; ce vécu, véritable matière première
du psychisme, est multi-sensoriel, multi-pulsionnel, multi-temporel
(R. Roussillon, 1999).
C’est ainsi que les sensations, puis perceptions librement retrouvées,
| ressenties et/ou que nous induisons par le mouvement, la respiration, le son,
la relaxation, le toucher, permettent au sujet de reprendre contact avec son
corps et de le sentir de plus en plus vivant. Par là, nous visons une meilleure
unité du corps propre. Sous la plume de Goethe, Faust s’interroge : « Au
60 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

commencement était le verbe. Mais voilà que je m’arrête, je ne peux pas


estimer le verbe autant, je dois le traduire autrement, bien que je sois convaincu
de l’esprit. Il est écrit : au commencement était le sens. Cela devrait être :
au commencement était la force. Mais cela ne suffit pas : au commencement
était l’action.» Dans Totem et tabou, Freud n’a-t-il pas écrit : « Au commen-
cement était l’acte » ?

3.2. Du «senti au vu» ou la richesse du travail en miroir

En thérapie, trouver des «systèmes d’accordage », c’est retrouver l’im-


portance de ce premier miroir mimo-gesto-postural — celui que la mère cherche
à mettre en place au début de la vie pour entrer en communication avec son
enfant, lui suggérant ainsi le sentiment qu’elle partage sa vie affective. Ainsi
le psychomotricien sollicite l'établissement de cette communication d’avant
le langage à jamais présente dans nos relations et qui s’apparente de très près
à la relation hypnotique (Chertok, 1965). «L'enfant depuis qu’il est bébé se
constitue la représentation qu’il a de lui-même en étant sous le regard de
l’autre, et en même temps en miroir par rapport à l’autre. C’est le même
espace qui unit et sépare, qui permet que se constitue et l’identité, au sens
de se sentir d’abord identique à un autre, et l’altérité... On passe du senti
au vu, le corps de l’autre est un corps vu qui aide à unifier son propre corps.
L'enfant (j’ajouterais toute personne) peut alors unifier sa mosaïque interne
par rapport au corps de l’autre utilisé comme miroir 15.» À condition que le
psychomotricien, comme partenaire de jeux ait auparavant joué ce rôle d’ob-
jet-malléable (R. Roussillon, 1991), comme nous le rappelle M. Berger.
Adéquation des postures, travail en face-à-face, ou côte-à-côte, cela permet
de constituer et/ou de développer une meilleure unité du patient en lui donnant
la possibilité d'intégrer certaines zones clivées de lui-même. C’est là qu’in-
dépendamment des âges, le travail en miroir, spécifique de certaines séances
de thérapie psychomotrice, prend toute son importance. « Véritable travail
en miroir qui permet à la fois les processus d’identification au corps du théra-
peute et de différenciation par les perceptions des limites de l’enveloppe
corporelle. Travail qui aide la personne à enrichir ses productions gestuelles,
à trouver d’autres manières de vivre son corps, plus souples, plus adaptées
tout en se distanciant de son corps de malade 16,» Le psychomotricien devient
le «miroir narcissique » du sujet. Tout ce travail aide le patient à prendre
conscience de son identité, le corps lui servant de repère, de limite entre
l'intérieur et l'extérieur. Plus vivant, le patient expérimente aussi son corps
comme un contenant capable de gérer les excitations psychiques et corporelles,
les affects, les fantasmes, les pulsions.
RÉFLEXIONS ACTUELLES SUR LA SPÉCIFICITÉ DU SOIN PSYCHOMOTEUR 61

4. Comme perspectives futures


L'établissement d’une première relation empathique et la médiation
corporelle créent ce qui va être nécessaire à l’évolution du processus théra-
peutique et de la thérapie. Toujours singulière, la rencontre privilégiera tantôt
un élargissement de la conscience verbale, tantôt un élargissement de la
conscience corporelle. Cet ensemble provoque une relation transférentielle
particulière, spécifique, où le psychomotricien remplit des fonctions maternelles
indispensables à la (re)mise en route d’un psychisme défaillant : fonction de
holding, handling, pare-excitation, contenant, étayage. Avant d’être un tech-
nicien du corps, il importe que le psychomotricien soit un objet-thérapeute
suffisamment souple, «malléable », confiant dans sa capacité à accompagner
l’autre, pariant que l’aventure aura du sens, tout en lui offrant un espace pour
se soigner.
La psychomotricité traversée de courants, d’idées, d’échanges, d’expé-
riences, a su trouver ce qui fait aujourd’hui sa spécificité, sa légitimité et fait
entendre sa différence.
S1 notre dette est grande envers la psychanalyse vers laquelle nous nous
sommes tournés, curieux et fascinés, afin de répondre aux questionnements
de nos pratiques débutantes, hésitantes, afin de leur apporter le sérieux d’une
assise théorique que nous ne pouvions avoir faute d’une pratique trop jeune,
n’est-1l pas gratifiant pour nous, aujourd’hui, d’observer la place que prennent
le corps et la motricité dans le discours analytique ? II me semble que c’est
là un petit clin d’œil encourageant pour poursuivre ce travail de conceptua-
lisation et de différenciation qui nous appartient, que nous partageons avec
d’autres praticiens, chercheurs, collègues.
Plus assurés dans notre identité professionnelle, 11 me paraît opportun
aussi de nous poser la question de l’héritage de cette période d’avant-Freud
et de l’hypnose, cela pour des raisons multiples.
La première, que nous partageons avec l’hypnose, est le fait de vivre une
relation particulière avec les patients. À l’image de M. Jourdain, qu’établis-
sons-nous parfois à notre insu, si ce n’est une relation hypnotique, fond de la
communication humaine ? Tant il est vrai que nous nous investissons à des
niveaux très archaïques où nous portons l’autre du regard, de la voix, du toucher
mais aussi avec l’aide de tout notre corps, dans un jeu permanent de la distance
à trouver, jusqu’à ce que renforcé dans son narcissisme, restructuré dans son
image du corps, il (re)trouve sa place de sujet et son autonomie ?
= La seconde raison est que dans notre travail nous visons cette articulation
entre le somatique et le psychique, or le passage de l’un à l’autre reste une
énigme toujours à découvrir. Nous pourrions imaginer que les travaux sur
62 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

l'hypnose, redécouverte depuis une vingtaine d’années, puissent justement


nous intéresser pour mieux comprendre ces mécanismes, parallèlement à la
recherche dans d’autres disciplines.
La troisième raison réside dans la filiation entre hypnose et relaxation.
En effet, il me paraît difficile de pratiquer la relaxation sans avoir de curiosité
pour l'hypnose. Voilà pourquoi, à mon sens, cette question méritait d’être
posée au risque d’étonner, tout comme je fus surprise le jour où ce rappro-
chement s’est imposé à moi.
À la suite de ceux qui nous ont précédé, si par nos résultats nous recon-
naissons la pertinence de notre approche thérapeutique pour certains troubles,
certains âges, certaines personnalités, nous sommes toujours tentés de nous
questionner sur ce qui a véritablement provoqué l’évolution.
Entre illusion et désillusion, notre chance est d’avoir réintroduit le corps,
comme lieu de la rencontre possible et voie d’accès à la psyché. «Le fonda-
mental d’une relation se situe non pas au niveau des représentations, mais
des signes que peut produire un corps l7.»

NOTES

1. Roustang F., /nfluence, Minuit, 1990, p 173.


2. Herffray C., « L’æœil et le corps », Actes de la 4e journée de l’ARAGP, Lyon, 1984.
3. Zarifian E., Laforce de guérir, Odile Jacob, Paris, 1999, p. 126.
4. Chertok L., 1965, L'hypnose, PBP, Paris, 1989, p. 20.
5. Roussillon R., Du baquet de Mesmer au « baquet » de S. Freud, PUF, Paris, 1992, p. 74.
6. Roussillon R., Du baquet de Mesmer au « baquet» de S. Freud, PUF, Paris, 1992, p. 74.
7. Sami-Ali, Corps réel Corps imaginaire, Dunod, Paris, 1977, p. 87.
8. Sami-Ali, Corps réel Corps imaginaire, Dunod, 1977, p. 86.
9 Joly F., Place des thérapeutiques psychomotrices dans le cadre du soin aux psychoses de
l'enfant, in Abrégé de Psychomotricité, Masson, 1993, p. 114.
10. Joly F., Place des thérapeutiques psychomotrices dans le cadre du soin aux psychoses de
l’enfant, in Abrégé de Psychomotricité, Masson, 1993, p. 115.
11. Gentis R., Impliquer le corps. Pourquoi ? Comment ? Psycorps, vol. 2,1, 1997, p. 47.
12. Liotard D., La personne âgée : du comportement à l’acte imaginé, in Abrégé de
Psychomotricité, Masson, 1993, p. 188.
13. Roustang F., /nfluence, Minuit, Paris, 1990, p. 168.
14. Chertok L., L'hypnose, PBP, 1989, p. 238.
15. Berger M., L'enfant instable, Dunod, 1999, p. 104.
16. Liotard D., Dessin et psychomotricité chez la personne âgée, Masson, 1990, p. 77.
17. Roustang F., /nfluence, Minuit, Paris, 1990, p. 175.
RÉFLEXIONS ACTUELLES SUR LA SPÉCIFICITÉ DU SOIN PSYCHOMOTEUR 63

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De l'appropriation de concepts
à l’individualisation de la prise en charge
en psychomotricité
PASCAL BOURGER

1. Introduction

Ces quelques lignes n’ont pas la prétention de généraliser dans le domaine


de la prise en charge en psychomotricité, mais elles évoquent une certaine
représentation de cette profession. Par sa spécificité professionnelle, le psycho-
motricien envisage la problématique du patient tant sur le plan corporel que
psychique.
Cette profession se façonne au fil du temps par la personne qui l’exerce
mais également par sa conception et sa représentation générale. Ainsi les
premiers psychomotriciens peuvent avoir des difficultés à se reconnaître dans
les élaborations actuelles.
Nous tenterons de resituer les différents aspects de la psychomotricité
pour développer ensuite la prise en charge, au regard d’une pratique clinique
en psychiatrie infanto-juvénile.

2. Les différents aspects de la psychomotricité : définition


Les travaux de H. Wallon relatent plus particulièrement une approche
psychophysiologique de la psychomotricité. Ceux de J. de Ajuriaguerra ont
enrichi la théorie de l’émotion de Wallon, par l’apport de la psychanalyse,
élargissant le champ de la psychomotricité avec l’adjonction, de l’affectif et
du pulsionnel. Ainsi, la psychomotricité serait à lire comme un langage,
l'expérience du corps comme un dialogue (dialogue tonico-émotionnel entre
la mère et l’enfant avec toute la difficulté du décodage réciproque dans ces
échanges).
66 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Dans cette lignée, nous pouvons penser que l’élaboration du concept


actuel de la psychomotricité est à considérer sur des bases neurophysiologiques
modulées par des données psychologiques, voire psychanalytiques. |
Ainsi nous envisagerons le terme de psychomotricité sous quatre angles
différents :
1. évolutionnel ;
2. éducationnel;
3. rééducationnel ;
4. thérapeutique.

2.1. L'évolution psychomotrice


D'une part, nous pouvons considérer que le processus maturationnel de
chacun est inscrit dans son patrimoine génétique. Il n’est a priori pas soumis
à l’environnement. Il constitue en quelque sorte le domaine neuro-bio-physio-
logique de l’individu. Ce processus plutôt lié à la progression somatique est
défini par différentes lois de maturation telles que : les lois proximo-distale,
céphalo-caudale…
D'autre part, le processus développemental est en lien direct avec la mise
en place et l’évolution des relations et donc des liens et des rapports avec
l’entourage. Nous sommes ici dans le registre de l’évolution psychoaffective.
Tous les auteurs s’accordent à dire que nous ne pouvons envisager l’enfant
sur un plan maturationnel en dehors d’un contexte environnemental. Il nous
paraît donc impossible de dissocier le processus maturationnel du processus
développemental constituant l’ensemble de l’évolution psychomotrice de
l'enfant.

2.2. L'éducation psychomotrice


Évolution et apprentissage, loin de s’opposer, sont deux données indis-
sociables. Il est légitime de penser que l’expérience va retentir sur l’évolution
et l’accélérer. Inversement, les exemples ne manquent pas pour confirmer
que le défaut d'expérience peut retarder, voire bloquer l’évolution.
Se pose alors le problème du dosage, sachant qu’une sur-stimulation peut
avoir des effets aussi néfastes qu’une sous-stimulation.
La stimulation passe par des expériences motrices et psychiques envisa-
gées dans un registre d’engrammation, de construction Elle est largement
favorisée par un contexte de désir et de plaisir.
C’est à la mère que revient ce rôle de stimulateur. C’est elle qui assume
cette lourde tâche du dosage par la mise en œuvre adéquate de sa fonction
pare-excitatrice.
APPROPRIATION DES CONCEPTS ET INDIVIDUALISATION DE LA PRISE EN CHARGE 67

Mais ce sont également les professionnels de l’éducation précoce (éduca-


trices jeunes enfants, puéricultrices, auxiliaires de puériculture, psychomo-
triciens…) qui ont à assumer cette tâche de stimulations psychomotrices
adéquates par des apprentissages optimum.
C’est dans ce cadre que des professionnels attentifs pourront envisager
conjointement les dimensions de dépistage et de prévention.

2.3. La rééducation psychomotrice


Au sens restrictif, nous pourrions dire qu’elle se situe sur le versant de
reprendre, rétablir, remettre en forme avec des techniques précises et adaptées
à un problème. Dans cette perspective le travail est donc principalement
accès sur le trouble et son évolution.
Ainsi, les exercices proposés qui utilisent des techniques de réapprentissage
corporel, sont en relation directe avec le trouble ou tout au moins le champ
du trouble. Pour certains cas et dans certains contextes, cette prise en charge
peut être tout à fait appropriée.
Pour d’autres, plutôt que de résoudre le problème présenté par l’enfant,
il risque de l’enkyster. Sans réelle prise en compte du symptôme initial, sa
disparition peut conduire à l’émergence d’un autre par un phénomène de
déplacement.

2.4. La thérapie psychomotrice


Il s’agit d’une thérapie où le médiateur est le corps psychique articulé au
corps somatique. Dans ce domaine, nous considérons spécifiquement que la
psychomotricité de l’individu est un champ d’expression et de communication.
Ainsi, le psychomotricien propose aux patients un certain type de relation
dans lequel le médiateur est la psychomotricité en tant qu’association ou lien
entre le corps psychique et le corps somatique.
La thérapie psychomotrice est en quelque sorte une thérapie vectée par
le corps tant du patient que du thérapeute. Nous considérons donc le corps
comme un lieu d'expression et d'impression. Expression par ce que l’on peut
exprimer, montrer, extérioriser de son état interne et impression par ce que
l’on peut recevoir, intégrer et assimiler.
Dans cette perspective, le symptôme psychomoteur sera plutôt envisagé
dans un sens expressionnel.
68 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

2.5. Rééducation ou thérapie psychomotrice ?


Il serait tout à fait artificiel de situer une prise en charge en psychomo-
tricité exclusivement dans l’un ou l’autre de ces aspects. La distinction entre
ces deux approches — rééducation et thérapie psychomotrice — n’est pas aussi
claire que le discours le laisse paraître. Elle semble plus se situer au niveau
de la lecture du trouble psychomoteur.
Soit il est uniquement considéré comme une difficulté qui entrave le bon
développement de l’enfant, soit il représente un symptôme, un signe d’appel,
soit ce qui nous paraît plus judicieux, il a ces deux fonctions simultanément,
signe d’appel d’un mal-être interne, entravant par son expression les appren-
tissages et l’évolution de l’individu.
Surtout n'oublions pas que, quelle que soit l’orientation professionnelle
du psychomotricien, l’objectif est le même : le mieux-être de son patient.

3. La prise en charge en psychomotricité :


consultation de psychiatrie infanto-juvénile
Exposer des généralités quant à la prise en charge en psychomotricité
est une démarche délicate tant les pratiques psychomotrices sont diversifiées.
Les éléments qui suivent seront donc à référer plus particulièrement à une
pratique clinique en secteur de psychiatrie infanto-juvénile et plus précisément
en centre médico-psychologique. Il nous semble néanmoins que cette pratique
professionnelle n’est pas une exclusivité de lieu ou de personne.

3.1. Définition

Définissons la psychomotricité comme moyen permettant au corps de


s’exprimer, de communiquer tant sur un mode conscient qu’inconscient. Les
expériences et le vécu émotionnel du patient comme du psychomotricien
s’expriment dans leur corps depuis l’origine et s’expriment de façon inter-
active tout au long de la séance. Ces impressions (blocage tonique, hypertonie,
hypotonie, réactions de prestance, maladresses...) sont exprimées dans la
synchronie de la séance et elles viennent comme s’inscrire dans l’éprouvé
corporel du psychomotricien. Par ses exercices, ses jeux, ses paroles, il va
tenter de renvoyer au patient des éléments lui permettant une restructuration,
une harmonisation de son agi et de son image corporelle.
Il faut insister, lors de ces séquences corporelles interactives, sur l’im-
portance du langage qui vient soutenir l’expression du corps. La parole du
psychomotricien consiste à mettre des mots sur les mises en scène corporelles,
APPROPRIATION DES CONCEPTS ET INDIVIDUALISATION DE LA PRISE EN CHARGE 69

les émotions qui s’en dégagent et le besoin ou non d'utiliser son propre corps
dans l’action. Il s’agit là d’interprétations psychomotrices représentées par
un commentaire du vécu et de l’éprouvé corporel, ainsi que des scénarios
imaginaires joués dans l’ici-maintenant.

3.2. Le bilan psychomoteur de l’enfant


Dans notre clinique en centre de consultation de pédopsychiatrie, les
parents sur les conseils de l’institutrice, du médecin traitant, du psychologue
ou médecin scolaire, d’une instance éducative ou judiciaire ou, de leur propre
initiative, formulent une demande de rendez-vous auprès du secrétariat.
Avant toute prise en charge, le psychomotricien réalise un bilan psycho-
moteur sur indication médicale. Suivant le patient et le lieu d’exercice, les
modalités de ce bilan varient. Mais que ce soit par passation d’item, obser-
vation en activités spontanées ou autre, cette évaluation est indispensable
pour l'élaboration d’un projet de prise en charge.
C’est en quelque sorte grâce à cette capacité de projection du psycho-
motricien que le patient pourra être pensé dans une perspective évolutive.
Au plan économique, le bilan représente pour l’entreprise sa situation
active et passive à une date précise. À travers cette définition, on retrouve
les notions de l’estimation du positif, du négatif et les rapports entre eux, à
un moment donné.
On pourrait donc envisager le bilan psychomoteur comme l’évaluation
de la balance entre le «normal et le pathologique » dans le domaine de la
psychomotricité pour un patient donné à un moment donné.
En quelque sorte, ce serait repérer les conduites de souffrance, rechercher
leur source chez l’enfant, les parents, la fratrie et tenter d’évaluer leurs rôles
dans l’organisation psychopathologique de l’individu et dans le groupe familial,
mais également apprécier toutes les possibilités de l’enfant.
L’objectivité de l’établissement de cette balance doit prendre en compte
tous ces paramètres, permettant ainsi la lecture de ce que le patient donne à
voir dans cette situation particulière, c’est-à-dire l’équilibre psychomoteur
qui se crée en lui à un moment précis en présence du psychomotricien.
Dans notre expérience clinique, les patients pris en charge sont essen-
tiellement des enfants. Essentiellement, car nous considérons que la prise en
charge de l’enfant ne s’arrête pas à celle de l’enfant lui-même. Dans ses
nombreux écrits, D. W. Winnicott nous dit qu’un enfant n’existe pas sans sa
” mère et que l'évaluation et l’effort thérapeutique doivent porter sur l’ensemble
qu’ils forment sans ignorer le contexte parental, fraternel, scolaire et amical.
En tant que consultation de secteur, nous répondons à des sollicitations
multiples, où le symptôme, «élément déclenchant » la demande, est porté
70 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

généralement par l’enfant. Ce symptôme peut se situer dans le domaine de


la psychomotricité.
Si l’enfant extériorise, exprime sa souffrance psychique dans le champ
de la psychomotricité, par sa spécificité professionnelle, le psychomotricien
n'est-il pas le plus apte à l’entendre ?
Très souvent l’enfant est dépositaire d’un symptôme qui ne lui est pas
spécifique, il sera donc nécessaire de l’envisager dans une dynamique person-
nelle mais également familiale.
En centre de consultation, le psychomotricien voit dans la majorité des
cas le patient dans un deuxième temps.
Dans un premier temps, parents et enfants (sans impératif de présence)
rencontrent une ou plusieurs fois un pédopsychiatre pour des «premiers
entretiens ». Ces derniers permettent de saisir la demande. « Dans une situation
de groupe, il s’agit de découvrir qui se trouve en difficulté à tel moment
précis, or le membre malade de la famille ou du groupe social ne sera pas
forcément celui qui présente les symptômes qui ont attiré l’attention.…. »
(Winnicott, 1971,p. 11).
Afin d'élaborer un diagnostic et un éventuel projet thérapeutique, différents
examens peuvent être demandés par le médecin : en psychomotricité, en
orthophonie, en neurologie, en ophtalmologie, en ORL... Ainsi, avec les
éléments recueillis lors des premiers entretiens, un bilan psychomoteur peut
être envisagé.
Mais avant la passation d’items du bilan, comme celles de l’évaluation du
tonus, du temps, du schéma corporel... 1l nous importe de connaître l’histoire
psychomotrice de l’enfant. Sans entrer dans les détails de cet entretien en
présence de l’enfant et de ses accompagnants — parents, frères, sœurs, éduca-
teurs. 1l sera important de découvrir les grandes étapes du développement
psychomoteur de l’enfant. Une première partie de discussion libre permettra
de repérer la chronologie évoquée et de saisir l’importance et le vécu
émotionnel de certaines étapes. Dans un deuxième temps, nous tenterons
de les resituer dans une progression logique de développement. Ainsi un retard
psychomoteur constaté ne sera pas envisagé de la même façon s’il existe
depuis la naissance, s’il est apparu postérieurement, s’il est en régression, en
augmentation
L'analyse des données recueillies est indispensable à une amorce de
compréhension du problème présenté par l’enfant.
Le bilan psychomoteur va permettre d’affiner le projet thérapeutique. Mais
il peut également être demandé à titre consultatif pour écarter certains doutes
et/ou être un élément indispensable à la progression des premiers entretiens.
Il peut répondre en premier lieu à une demande parentale et rassurer la
démarche en pédopsychiatrie. Dans d’autres situations, les éléments recueillis
APPROPRIATION DES CONCEPTS ET INDIVIDUALISATION DE LA PRISE EN CHARGE 71

par le consultant sont assez significatifs pour justifier une thérapie psycho-
motrice, le bilan servira à la mise en place de celle-ci:
Dans l’un ou l’autre des cas, nous considérons que le bilan psychomoteur
fait partie d’un tout thérapeutique avec son pouvoir de diagnostic et d’obser-
vation, qui permet d’avoir un avis global tout en s'intéressant à un point
particulier.
En fait le bilan est considéré comme une évaluation des potentialités qui
permettra de repérer le niveau d’évolution.
Ce qui nous paraît important pour l'indication de prise en charge en
psychomotricité, c’est d’une part la souffrance dans le domaine de la psycho-
motricité et d’autre part la difficulté à l’élaboration psychique qui pousse le
patient à l’expression par le passage à l’acte et à l’agi.
N'oublions pas que la décision d’un suivi en psychomotricité peut être
étayée par l’apport d’information d’autres bilans : psychologique, neurolo-
gique, ophtalmologique…

3.3. Le cadre de la prise en charge en psychomotricité


L'élément primordial est le «cadre psychomoteur » que nous pouvons
envisager à deux niveaux. D'une part, le cadre physique ou dispositif qui est
représenté par l’aspect concret : les horaires, la fréquence, la durée, l’orga-
nisation, le lieu, le matériel... Tous ces éléments vont servir de support dans
le réel pour le cadre psychique. Celui-ci dépend pour beaucoup de la dispo-
nibilité psycho-corporelle du psychomotricien et de sa structure psychique.
Dans cette perspective, seront prises en compte les notions de contenant,
de capacité pare-excitatrice, d’élaboration psychique... Éléments que nous
rappellerons ultérieurement en développant la spécificité de la relation
psychomotrice.
Pour les enfants, notre approche sera essentiellement ludique et le matériel
utilisé leur sera familier favorisant l’expression du corps (balles, ballons,
cordes, cerceaux, poupées, matériel de construction, miroir, tableau.….).
On ne peut parler de matériel type pour les séances. Le psychomotricien
utilise un matériel qui favorise l’expression et la créativité, en ayant présent
à l’esprit que le «matériel » principal est le corps et son expressivité tant au
niveau du patient que du thérapeute.
Le matériel peut représenter, autant pour le patient que le psychomo-
tricien, un point d’ancrage dans la réalité. Mais on peut se retrouver incons-
ciemment dans une situation où, pour pallier notre propre angoisse face à
la pathologie, nous nous raccrochons au matériel, qui par son excès peut
devenir pour le patient source d’angoisse intense et source de déstabilisation.
À l'inverse, le défaut de matériel, d'éléments physiques qui permettent
72 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

l’ancrage dans le réel peut générer un état d’angoisse chez le patient. À


nouveau nous pouvons évoquer le dosage et la capacité pare-excitatrice du
psychomotricien.
Dans certains cas, la sensibilité et la formation spécifique du thérapeute,
l’âge et la pathologie du patient, induisent l’utilisation d’un matériel particulier.
Gardons à l’esprit que la prise en charge est un travail pour le patient au
cours duquel, grâce au support du matériel, il sera amené à utiliser le jeu
sensori-moteur et symbolique. Le psychomotricien tentera de décrypter le
langage corporel et d’en donner du sens pour entrer en relation avec le patient
tant par le corps que par les mots.
Cette approche psychomotrice n’est pas une méthode mais plutôt une
modalité thérapeutique, estimant que le mot méthode fait référence à une
notion de savoir et surtout de schéma d’apprentissage, voire de toute-puissance
du thérapeute. Au début d’une prise en charge, on ne sait pas grand chose et
si peu après. En se fondant sur des hypothèses, nous allons essayer d’aider
le patient à exprimer un malaise, en l’aidant à chercher, à avancer, par la
facilitation d’un mode d’expression particulier.
Faire vivre des émotions, faire ressentir, favoriser des reviviscences tonico-
émotionnelles, proposer des modèles identificatoires et des représentations
imaginaires et symboliques, laisser émerger les émotions réciproques repré-
sentent l’essentiel de notre travail. Notre pratique alternera en permanence entre
l'impression sorte d’engrammation de sensations et de vécus, de ressentis et
l’expression comme possibilité d’extériorisation,
Cela nous conduisant à dire que la thérapie psychomotrice est une thérapie
contenante et d’étayage qui va permettre au patient d’accéder à une élabo-
ration psychique, comme si le moi corporel servait d’appui à l’évolution du
moi psychique. L'élaboration de cette dynamique thérapeutique envisagée
dans une interaction entre le patient et le psychomotricien sera fonction de
l’évolution de la capacité interprétative du soignant.
Notre approche se fera essentiellement par le biais de la créativité, de
l'imaginaire, avec comme support le corps dans un cadre bien précis que
nous avons nommé précédemment : le cadre psychomoteur. Un cadre qui
garantit l’unité thérapeutique, tant au niveau du lieu, du temps, de l’écoute
que de l’étanchéité.
Le secret thérapeutique qui en découle est une garantie majeure pour
l’enfant. Position qui n’est pas à assimiler avec le fait de ne rien dire. Ici le
patient est un enfant, notre attitude vis-à-vis des parents, de la famille, des
instances éducatives voire administratives, doit favoriser la prise en charge
sans rompre le secret, en créant une coopération, une harmonisation de la
prise en charge. Perspective qui aide et soutient l’enfant face aux sollicitations
légitimes de ses parents Il est primordial de préserver un lieu pour l’enfant
APPROPRIATION DES CONCEPTS ET INDIVIDUALISATION DE LA PRISE EN CHARGE 73

et de mettre simultanément en place l’élément de «lien » entre l’intérieur et


l'extérieur du suivi.
Ainsi pouvons-nous considérer les parents comme des alliés de la prise
en Charge, il faut les concerner, les intéresser tout en respectant la confiden-
tialité de l’expression de l’enfant à notre égard.
L’écoute que nous proposons à l’enfant va lui permettre de s’exprimer
dans un cadre sécurisant, avec la certitude pour lui que ce qu’il dit et ce qu’il
donne à voir, sera reçu par l’autre. Se donner les moyens pour cette écoute
représente la disponibilité psycho-corporelle du psychomotricien.
L'organisation de la séance, le rythme et la durée de la prise en charge
sont des éléments qui permettent l’accès à la structuration temporelle. Nous
les établissons en fonction du besoin et des capacités d’activation psychique,
de mobilisation possible pendant et entre les séances.
Par leur permanence, leur stabilité et leur fiabilité ce lieu-espace et ce
matériel aident à la mise en place de la structuration spatiale de l’enfant.
Au regard de ces éléments nous pouvons dire que la prise en charge en
psychomotricité est une forme de thérapie s’adressant spécifiquement :
— au COrps ;
— à son intégration dans le temps et dans l’espace;
— à l’articulation somato-psychique;
— mais aussi à l’inconscient somatique du sujet, en remodelant son image
corporelle et permettant au patient d’accéder à une élaboration psychique.
Nous envisagerons la répétition de séquences corporelles comme une
accentuation du message que nous transmet le patient. Comme si ces moments
étaient à entendre en tant que reviviscence d’expériences émotionnelles
gravées dans le soma et son image. Comme si le patient tentait de nous faire
voir et entendre sa problématique. Lui permettre l’expression inconsciente
dans une production imaginaire peut favoriser un décodage, une élaboration,
une reconstruction et une harmonisation de son agi et de son image corporelle.
L'aide de professionnels extérieurs, favorisant la prise de conscience des
rapports à notre propre histoire, nous permettra de reprendre et d’analyser
les événements de la prise en charge sous des angles différents :
— que représentons-nous pour l’autre pour qu’il déclenche ce type de
comportement ?
— que pointe ce comportement dans notre constitution psychique interne ?
En thérapie psychomotrice, le mécanisme de défense usuel est la théorie,
sorte de rempart contre l’émergence de sensations et d’émotions. Par contre
développer une clinique, la travailler en l’étayant par la théorie est bien plus
favorable et engageant. Ainsi des temps de reprise et d’élaboration clinique
sont essentiels pour un travail de qualité.
74 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

3.4. Le symptôme psychomoteur


Il n’est pas ici question de la sémiologie psychomotrice, mais complétons
simplement des notions déjà évoquées au travers de la présentation des termes
de rééducation et de thérapie psychomotrice.
Notre approche situe le symptôme comme le trouble psychomoteur qui
représente le motif de la consultation. Nous le considérons comme l’ex-
pression corporelle d’un malaise psychique interne.
Ainsi nous appréhenderons le patient dans le champ de l’expression du
symptôme, qui représente un registre particulier de communication : celui
du langage du corps.
Notre orientation psychomotrice va permettre de ne pas envisager unique-
ment l’aspect du symptôme et d’essayer de l’enrayer par des exercices réédu-
catifs, mais conjointement de l’entendre comme élément d’un ensemble.
Nous tenterons de considérer simultanément le trouble lui-même au niveau
de sa valeur invalidante, l’origine et la cause qui le sous-tendent, sa fonction
et son sens pour l’individu et son milieu. En quelque sorte le symptôme
proprement dit n’aura qu’une valeur de signe d’appel.
En référence à la psychosomatique — où le trouble somatique sous-
tendu par une cause psychique peut dans bien des cas lorsqu'il est installé
se générer de lui-même —, en psychomotricité, il est important d’avoir une
démarche articulant le plan de l’expression du symptôme et celui de sa
genèse.

3.5. La relation psychomotrice : proche de la relation mère-enfant?


Sans reprendre les réflexions et travaux déjà réalisés et publiés quant aux
fonctions de la peau, du toucher, mais en nous appuyant sur des éléments
que nous avons cités ultérieurement, nous tenterons de montrer comment la
relation psychomotrice qui allie toucher — peau — tonus et émotion forme
une relation thérapeutique particulière entre le psychomotricien et son patient.
Ainsi se construit au fil du temps de la prise en charge une histoire tonico-
émotionelle.
Ne pourrait-on pas penser que le dialogue tonico-émotionnel qui existe
entre la mère et l’enfant serait à prendre en référence pour la mise en place,
puis l’analyse de la relation psychomotrice qui s’instaure progressivement
entre le psychomotricien et le patient ?
Le dialogue psychomoteur représente le centre et le pivot de la thérapie.
Quelle que soit la problématique du patient, notre manière d’être en relation
avec lui sera déterminante quant à l’efficience des propositions que nous
pourrons lui faire et donc de son traitement.
APPROPRIATION DES CONCEPTS ET INDIVIDUALISATION DE LA PRISE EN CHARGE 75

Dans notre pratique professionnelle où la relation à l’autre au niveau


psychique et somatique est au premier plan, nous ne pouvons faire abstraction
de notre personnalité, de nos émotions et donc de notre subjectivité.
Notre outil professionnel est souvent lié au cadre institutionnel dans lequel
nous exerçons. Dès que l’on intervient, même ponctuellement, dans une insti-
tution, on en fait partie. Dans bien des cas, ce cadre institutionnel répond à
notre personnalité et est assimilé et utilisé en fonction de notre évolution
personnelle.
Dans ce contexte essayons de saisir en quoi la relation psychomotrice
est-elle spécifique mais tellement proche de la relation mère-enfant ?
Comme le dit Wallon, le jeu du corps est un incessant déroulement et
s’adapte à la situation sous la forme d’attitude posturale. Le jeu complexe
de la tonicité globale et locale des gestes répétés exprime l’attirance ou la
répulsion, le don ou le refus, le malaise ou le plaisir.
Dans l’organisation motrice, la composante tonico-émotionnelle primaire
joue donc un rôle fondamental ; sa désorganisation peut troubler l’action elle-
même et tout particulièrement l’investissement du monde des objets. Un
désordre tonico-postural peut désorganiser tout le mécanisme de la mani-
pulation, décaler la constitution de l’objet et troubler la réalité du sujet et
son emprise sur le réel.
Dans le cadre d’une structure de soins, le psychomotricien est le thérapeute
qui saura communiquer le plus adéquatement avec le patient dans ce champ
d’expression de la souffrance.
Dans un premier temps, grâce au bilan psychomoteur nous explorons le
trouble psychomoteur qui fait l’objet de la demande de consultation. Mais
c’est une lecture individualisée de ce trouble qui va nous permettre une
amorce de réflexion sur la genèse et la fonction de celui-ci. Notre réflexion
sur cette lecture particulière du corps considère que la spécificité clinique
du psychomotricien n’est pas dans une quantification d’un trouble qui ferait
abstraction des notions d’émotionalité et de ressentir autant pour le patient
que pour le psychomotricien. Ainsi, en rapport au bilan psychomoteur,
nous devons avoir constamment à l’esprit cette phrase de Mazet et Houzel
dans leur ouvrage Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (1993) : «c'est
plus la compréhension du sens du résultat que le résultat lui-même qui
importe ».
Le projet thérapeutique du psychomotricien s’efforcera de prendre en
compte, non seulement le trouble dans son extériorisation mais également,
les éléments qui le sous-tendent et son inscription dans l’histoire du patient,
tant familiale, scolaire, que sociale.
En consultation, le psychomotricien reçoit une personne qui souffre et
qui attend de son interlocuteur qu’il l’entende dans le champ de l’expression
76 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

de sa souffrance. Quelle que soit l’orientation théorique du psychomotricien


un élément de sa spécificité sera dans l’existence et la qualité de sa capacité
contenante vis-à-vis du patient.
Tous les auteurs, en des termes différents, s’accordent à dire que la mère
a une grande capacité à être en relation avec son jeune enfant. Mieux que
tout autre, elle sait entendre et décrypter son discours infraverbal et y mettre
suffisamment de sens et d'émotion pour que s’instaure progressivement un
véritable dialogue.

La capacité contenante du psychomotricien, directement en lien avec


des notions d'impression et d’expression, semble très proche de la fonction
contenante de la mère.
Cette capacité d'impression au sens d’être un réceptacle pour l’autre, sans
craindre d’être détruit, dépend largement de notre possibilité d’imprégnation
par l’autre. Un peu à l’image des enveloppes d’un oignon qui représenteraient
les différents niveaux de protection de notre noyau psychique, protections
qui pourront ou non être franchies en fonction de notre évolution.
Notre expression face au patient serait la capacité à émettre par l’ex-
pressivité de notre corps et des mots qu’on utilise. Émission qui tentera de
prendre en compte ce qui est de nous et ce qui est de la représentation que
l’on a de l’autre.
En thérapie psychomotrice où le langage du corps est au premier plan ces
termes d’expression et d'impression sont bien entendus envisagés tant au
niveau psychique que somatique.
Ainsi notre faculté d’impression-expression sera fonction non seulement
de notre disponibilité psychique, de notre état tonique mais également de
notre histoire tonico-psychique. Un corps et un psychisme «hypertendus »
ou complètement perméables ne permettent pas une attitude d’écoute, d’im-
prégnation favorable à l’élaboration d’une expression. Il est donc important
de travailler notre capacité à l’imprégnation élaboratrice.
Le patient exprime sa souffrance par le langage du corps. C’est au travers
de ce qui est émis et de ce qui est reçu par les corps en présence que se mettra
en place un réel échange tonico-émotionel entre le psychomotricien et le
patient. Échange qui se construira au fil du temps dans l’élaboration de ce
couple impression-expression.
En ce sens la finalité de la thérapie psychomotrice va permettre le passage
de l’éprouvé corporel au ressenti. Dans cette dimension d’échange tonico-
émotionnel, ces notions d’impression et d'expression s’adressent donc autant
au psychomotricien qu’au patient. En fait, c’est la nature de notre structure
psychomotrice qui nous permet plus ou moins la prise de conscience et
l’exploitation du lien très étroit entre tonus et émotion.
APPROPRIATION DES CONCEPTS ET INDIVIDUALISATION DE LA PRISE EN CHARGE
77

Un autre élément à prendre en compte dans la mise en place de la relation


psychomotrice est la fonction pare-stimulatrice. Là aussi, on trouve un
rapport très étroit avec une des fonctions maternelles : la fonction pare-exci-
tatrice de la mère.
Le psychomotricien utilise dans ses prises en charge un matériel (propo-
sitions corporelles et/ou objets employés) qui favorise l'expression psycho-
motrice du patient par sa familiarité et sa diversité. Ce matériel, sorte de cata-
lyseur de la relation, est plus utilisé comme un médiateur, visant à créer un
espace thérapeutique transitionnel nécessaire en thérapie psychomotrice.
Notre objectif est de permettre au patient de revivre, dans un cadre bien
précis de la séance de psychomotricité, des ressentis corporels antérieurs.
Ainsi, notre préoccupation est dans la mise à disposition et le dosage du
matériel. Quel matériel proposer ? Comment l’introduire dans la séance et
comment s’y référer ?
Problématique que l’on rencontre couramment chez les mères en peine
de références et de repères maternels quant à la stimulation de leur enfant.
Tous ces éléments nous conduisent à penser que c’est le questionnement
permanent de notre pratique qui nous fera tendre vers le «psychomotricien
suffisamment soignant » par analogie à l’expression « Mother good enough »
de Winnicott.

4, L'approche psychomotrice en cothérapie :


une expérience qualitative originale
Notre pratique psychomotrice avec des jeunes enfants nous a conduit
rapidement à proposer une modalité thérapeutique qui permet d’allier, le plus
favorablement possible, la prise en charge des difficultés psychomotrices de
l’enfant (motif de la consultation), la souffrance des parents et les difficultés
relationnelles avec l’enfant.
Les jeunes enfants porteurs d’un trouble repéré principalement dans la
sphère physique ne viennent jamais en consultation de pédopsychiatrie en
première instance. Ces enfants à problèmes plus ou moins importants ont
bien souvent un long parcours hospitalier dans différents services de médecine
somatique avant de nous être adressés. Leur venue représente fréquemment
la dernière orientation envisageable par les somaticiens, ce domaine n’étant
pas envisageable par les parents.
Face à cette souffrance familiale, aux difficultés relationnelles mère-
enfant et aux problèmes de l’enfant, nous proposons de grouper en un même
espace-temps toutes les prises en charge. Nous recevons l’enfant et sa mère
et/ou son père ou d’autres membres de la famille, en couple thérapeutique,
78 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

psychanalyste et psychomotricien. La spécificité professionnelle des deux


soignants permet d’avoir une écoute multidirectionnelle de ce qui nous est
dit et montré.
Même chez les parents avertis, venir consulter en pédopsychiatrie est
inquiétant. Notre expérience a prouvé que de proposer de rencontrer un
psychomotricien rassure la famille et est facilitateur de la relation.
D'autre part, ce travail en cothérapie permet de minimiser, voire d’éviter
les clivages thérapeutiques.
Impliquer les parents dans la prise en charge de l’enfant suppose un suivi
des parents. Si parents et enfants sont vus par des professionnels de spécificité
différente, quelle que soit la dynamique de l’équipe, il est très difficile, pour
de multiples raisons, de faire en sorte que ces prises en charge constituent
réellement un tout thérapeutique. C’est-à-dire de considérer la prise en charge
des individus mais également les relations qui les unissent, particulièrement
au regard des jeunes enfants.
Cette association professionnelle permet d’une part de répondre à la
demande manifeste des parents, la prise en charge du trouble psychomoteur,
tout en leur donnant la possibilité au fil des rencontres d’avoir un espace
d’écoute «personnel » de leur souffrance et de travailler sur la relation qui
unit adultes et enfant.
Ainsi être à deux soignants dans un même espace-temps thérapeutique
permet d’être plus disponible pour l’un et/ou pour l’autre maïs aussi pour
les relations qu'ils entretiennent.
Il n’est pas évident pour des parents de penser que la prise en charge des
problèmes de leur enfant nécessite leur participation active.
Ce sont des parents blessés narcissiquement par la problématique de leur
enfant. Ils ont beaucoup de difficultés à parler d’eux, de leurs émotions, de
leur ressenti. Pour les parents, penser qu’il puisse y avoir une relation entre
leur état psychique et les difficultés de leur enfant est souvent insupportable.
Il est donc souhaitable de prendre en compte cette souffrance, cette douleur
même cachée des parents.
En fait, 1l nous faudra persuader les parents que nous avons besoin de
leur aide pour aider leur enfant.
C’est spécifiquement ce type de proposition thérapeutique qui facilite
l’émergence d’un questionnement jusque-là refoulé qui sera entendu et
proposé à la réflexion.
Les propositions du psychomotricien faites à l’enfant sous le regard des
parents et du cothérapeute génèrent un matériel très riche qu’il est souhaitable
d'élaborer dans les meilleures conditions.
APPROPRIATION DES CONCEPTS ET INDIVIDUALISATION DE LA PRISE EN CHARGE 79

La prise en charge de l’enfant par le psychomotricien permet l'émergence


d’un lien entre son corps psychique et son corps somatique, le passage de
l’éprouvé corporel au ressenti.
Le cothérapeute, à l’écoute des interactions et des projections à l’œuvre
dans l’ici et maintenant des séances, favorise un travail d'élaboration
psychique des parents. L'élaboration de leurs angoisses, de leur souffrance
narcissique, de leurs difficultés face à leur enfant, va leur permettre peu à peu
d'accéder à de nouvelles représentations de ce dernier et à d’autres modalités
d'échange.
N'oublions pas que le travail en couple thérapeutique nécessite de la part
des cothérapeutes, même s’ils sont de spécificité professionnelle différente,
d’avoir le même cadre de référence interne et de pouvoir travailler en complé-
mentarité.
Au regard de tous les fantasmes, projections, identifications dont fait
l’objet ce couple autant pour les patients que pour l'institution, il est important
que les deux personnes soient en accord au niveau de la structure de la pensée
et du domaine de l'élaboration. Ainsi, quelle que soit sa nature, le matériel
recueilli pourra être exploité dans un registre commun.
Cette cohérence de pensée à une référence commune facilite grandement
les échanges inter thérapeutes autant pendant la séance qu’en dehors. On se
rend compte, au fil des prises en charge, qu’elle génère une stabilité qui
permet un renforcement de l’étayage proposé aux patients et aux relations
qui les unissent.
Ce dont nous sommes persuadé, c’est que ce type de prise en charge
précoce permet d’éviter la fixation ou l’aggravation des troubles psycho-
moteurs et relationnels. Il favorise efficacement la reprise d’un processus de
développement psychomoteur, intellectuel, psychoaffectif et relationnel.

5, Conclusion
Nous pourrions. conclure en espérant que ces quelques lignes ne soient
pas ressenties comme l'expression d’une pratique stricte et définie mais
qu’elle puisse représenter pour de nombreux psychomotriciens un écho à leur
mode de travail. Que l’impression suscitée par cette lecture puisse proposer
des pistes de réflexions et d'élaboration. Favoriser l’évolution de la pratique
psychomotrice, c’est bien évidemment permettre à de nombreux patients de
‘bénéficier d’une prise en charge de plus en plus adaptée et individualisée à
leur problématique.
” Être interpellé et démuni en début de prise en charge est une attitude à
préserverà l’égard de notre pratique professionnelle. Et c'est le questionne-
80 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

ment permanent de notre clinique qui nous permettra d’avancer et d’adapter


notre pratique aux bouleversements de la société.
Pour ne pas rompre ce continuum de l’élaboration de la pratique psycho-
motrice, espérons donc que chacune de nos questions permette l'émergence
d’une autre.

BIBLIOGRAPHIE
AJURIAGUERRA J. de, MARCHELLI D., Psychopathologie de l'enfant, Paris,
Masson, 1982.
BLANCHARD B., BOURGER P, « D'un corps mort à un corps animé ou les effets
de la psychomotricité au cours de la petite enfance sur les séquelles d’un accident
néo-natal », Entretiens de Psychomotricité, Paris, Expansion Scientifique
Française, 1991.
BOURGER P, «À propos de l'entretien du bilan psychomoteur», Évolutions
psychomobtrices, vol. 7, n° 28, Paris, Fédération européenne de psychomotricité,
1995.
MAZET P,, HOUZEL D., Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, Paris, Maloine,
3e édition, 1993.
WINNICOTT D. W., De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Payot, 1969.
WINNICOTT D. W., La consultation thérapeutique et l'enfant, Paris, Gallimard,
1971.
SECONDE PARTIE

DIVERSITÉ DES PRATIQUES


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ART 1 Mat: de x
Quand on ouvre nos mains.
ou aspects d’une pratique psychomotrice
en service de réanimation pédiatrique

PATRICK BLOSSIER

Quand on ouvre nos mains


Suffit de rien dix fois rien
Suffit d’une ou deux secondes
A peine un geste, un autre monde
Quand on ouvre nos mains.
J.-J. Goldman

1. Introduction

Très doucement, une main démesurée par rapport au corps de l’enfant se


pose sur lui et le recouvre presque dans certains cas. Après y avoir déposé
de l’huile, elle se dirige en premier lieu vers le thorax, puis glisse vers les
bras. D'un seul coup, toutes les impressions, les sensations qui définissent
la vie sont là. Le cœur bat sous les doigts, on sent les carotides, l’abdomen,
le thorax se soulève. La chaleur de la peau se dégage. On peut difficilement
imaginer, si on ne l’a pas « goûtée », la douceur de la peau, sa finesse. On
sent très vite tout l’intérieur. Quelquefois, l’enfant réagit immédiatement
et ne bouge pas. On a l’impression qu’il se sent contenu, comme apaisé.
Son visage se détend. Il sourit. Les paroles qui lui sont adressées viennent
_ ponctuer le geste. Dix minutes se sont écoulées, les stimulations tactiles
sont terminées.
Voilà en quelques mots ce que je peux ressentir, en tant que psychomo-
tricien, lorsque je vais régulièrement «stimuler » des enfants prématurés,
84 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

hospitalisés en service de réanimation pédiatrique. Cette description peut


paraître au premier abord un peu choquante et éloignée de la détresse des
nouveau-nés hospitalisés dans ces services d’urgence. Je vais essayer au
contraire, dans cet article, de montrer que cette «stimulation par le toucher »
est véritablement un acte thérapeutique, qui fait partie du champ de compétence
d’un psychomotricien.
Après avoir décrit le cadre de mon intervention, la population abordée et la
technique employée, j’essaierai de démontrer en quoi ce travail et la spécificité
de cette approche sont bénéfiques aux enfants hospitalisés.
Les cas cliniques, issus de sept années d’expérience, me permettront
d'illustrer ce travail et de réfléchir aux possibilités d'intervention non seule-
ment sur l’enfant, mais aussi auprès des parents, en les associant aux soins et
en essayant de les restaurer dans leurs compétences parentales.

2. Présentation du cadre d'intervention

Comment un psychomotricien peut-il travailler dans un service de réani-


mation ?
Pour ma part, j'ai la chance d’appartenir à un service universitaire dont
la particularité est d’avoir une activité dite de « psychiatrie de liaison ». C’est
dans ce cadre que j’interviens en réanimation, au sein d’une équipe pluri-
disciplinaire composée d’un médecin pédopsychiatre, d’une psychologue et
d’un psychomotricien.
Je peux suivre un enfant à l’origine hospitalisé en réanimation, à domicile,
puis éventuellement en consultation. Le suivi de l’enfant peut ainsi s’inscrire
dans la durée.

2.1. Le SUPEA
Le Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
(SUPEA), dirigé par le professeur Marcelli, fait partie de l’Intersecteur Nord
du département de la Vienne. Deux axes de travail y sont privilégiés.
La première vocation du service est d’être une structure de soins et de
prévention.
On y trouve toutes les consultations habituellement faites dans un CMP.
Entre autres, celles pour nourrissons et psychothérapies mère/enfant, groupes
«mère/bébé », consultations et psychothérapies pour enfants et adolescents,
groupes thérapeutiques, psychodrame.…
La psychomotricité s’inscrit dans ce cadre de consultations (du bébé à
l'adolescent), en individuel ou en groupe. Les enfants et les adolescents me
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 85

sont adressés principalement par les médecins pédopsychiatres, les psycho-


logues du service, les médecins de ville, les orthophonistes, les enseignants
ou encore par les pédiatres du CHU.
— Les consultations de bébés sont le plus souvent motivées par une suspi-
cion de retard du développement psychomoteur pour différentes raisons :
hospitalisations longues, difficultés psychoaffectives, pathologies neurolo-
giques, ou difficultés dans les interactions mère/enfant.
— Les motifs principaux des consultations d’enfants concernent en majorité
des enfants dits instables (à 70 % des garçons), ou inhibés, en difficulté
scolaire, ou dyslexiques, etc., ou peuvent être simplement des demandes de
bilan psychomoteur.
— Les consultations pour adolescents concernent principalement des
demandes de prise en charge en relaxation, de jeunes souffrant d’anorexie
mentale ou de bégaiement ou plus couramment de troubles du sommeil.

L'autre vocation est d’être tournée vers ce que l’on appelle la psychiatrie
de liaison avec :
— en collaboration avec le CHU, des consultations en service de maternité,
de réanimation pédiatrique, de néonatalogie, ou de pédiatrie;
- — une collaboration avec les services sociaux tels que la PMI (Protection
maternelle et infantile), l’ASE (Aide sociale à l’enfance), la justice, des inter-
ventions en crèches et haltes-garderies.… :
— l’existence d’un centre spécialisé de prévention et de lutte contre la
toxicomanie (ISATIS) avec la mise en place de permanences d’écoute dans
les collèges et lycées.

En tant que service universitaire, la formation et l’enseignement ainsi que


la recherche sont privilégiés. De nombreux séminaires dont une formation
en psychomotricité y sont dispensés.

2.2. Le service de réanimation pédiatrique

+ Les locaux
Le service se situe au sein du centre hospitalier universitaire. Avec la
modernisation du service, il y a quelques années, une réflexion a été entreprise
sur le cadre et les conditions d’hospitalisation des enfants. Cette restructuration
a permis de créer deux secteurs, l’un logistique (salle de réunions, réserve
* de matériels), l’autre d’hospitalisation comprenant douze chambres, une salle
technique et un sas d’entrée pour les parents.
86 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

+ L'organisation des soins


Pas moins d’une quarantaine de personnes (médecins, infirmières, puéri-
cultrices, auxiliaires, agents de service) travaillent ici. Avec l’accord du
médecin, une infirmière, une puéricultrice ou une auxiliaire prend en charge
plusieurs enfants et en devient la référente sur plusieurs jours. La sécurité
est optimale, adaptée avec asepsie rigoureuse (port des blouses de box, lavage
des mains), mais avec le désir d’améliorer la qualité des soins par différents
travaux de recherches. La chambre de l’enfant sera personnalisée et les parents
sont invités à y apporter des jouets, peluches ou un magnétophone.
+ L'accueil des parents
La présence des parents est possible à tout moment de la journée ou de
la nuit. Les parents sont invités dans la mesure du possible à participer aux
soins de leur enfant. Une salle des parents a été créée et aménagée de façon
à permettre un séjour même long. Un couloir de visite permet à la famille
élargie de rencontrer l’enfant hospitalisé. Certains parents reçoivent une
éducation technique à des soins spécifiques, dans la perspective par exemple
du retour à domicile d’un enfant trachéotomisé, ventilé ou alimenté artifi-
ciellement. (Apprentissage selon un protocole et une planification des soins
et des actes élaborés par le personnel.)
Ainsi, tout au long de l’hospitalisation, les parents sont accompagnés par
l’équipe soignante, et peuvent bénéficier de la présence supplémentaire d’un
pédopsychiatre, d’une psychologue et d’un psychomotricien.

3. Psychomotricité auprès d’enfants prématurés


Dans le service de réanimation, en 1995, près de 71 % des enfants hospi-
talisés étaient atteints de troubles respiratoires à différentes classes de gravité
(détresses respiratoires transitoires ou majeures, asthmes, infections diverses).
Sur 289 enfants reçus, cette année, 86 étaient prématurés, 73 des
nouveau-nés |.

3.1. La prématurité
Elle est définie par une naissance survenant avant 37 semaines d’amé-
norrhée (36 semaines révolues) ou un poids de naissance inférieur à 2,5 kg.
Il faut signaler qu’à l’heure actuelle la limite inférieure pour parler de
naissance a été fixée à un terme de 22 semaines ou un poids de 500 g.
(Poissonet, 1997). Selon une expertise de l'INSERM, 9000 enfants, consi-
dérés comme de grands prématurés, naissent chaque année avant 33 semaines
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 87

d’âge gestationnel, ce qui représente 1,2 % des naissances. Ce taux augmente


depuis quelques années alors que celui de la prématurité générale demeure
stable (Abstract pédiatrie, n° 115, 1997).

3.2. Marion

Marion est née au terme présumé de 27 semaines d'aménorrhée et 3 jours.


L'accouchement s’est effectué par césarienne parce qu’une pré-éclampsie2
sévère avait été décelée. L'indice d’APGAR3 est de 1 à une minute et de
huit à cinq minutes.
Elle est hypotrophe et pèse 470 g (!). Pendant plusieurs semaines, Marion,
qui mesure 29 cm, sera gavée par sonde nasale, intubée, ventilée. Son physique
est impressionnant de petitesse. Sa peau est rouge. Souffrant de dysplasie
broncho-pulmonaire, elle bénéficie d’une ventilation artificielle qui fait
vibrer son petit thorax.
À la demande du pédopsychiatre du service, j’interviens deux fois par
semaine. Je n’ai rencontré les parents de Marion qu’une seule fois. Ils avaient
parfaitement compris combien leur présence était importante auprès de leur
enfant, mais leurs visites, pour raisons professionnelles, en soirée, ne me
permettaient pas de les rencontrer et de les associer aux soins de leur enfant.
Aussi, c’est par l’intermédiaire d’un cahier que nous communiquions.
L’étendue des zones de peau accessibles aux stimulations tactiles était
très variable d’une séance à l’autre. Elle se faisait en fonction des zones
douloureuses dont elle se plaignait. Progressivement, son état de santé s’amé-
liorant, j'ai pu accéder à des zones plus étendues. Marion a pris du poids.
Elle pèse 800 g. Elle répond bien au traitement visant à réduire sa broncho-
dysplasie. Sa saturation en oxygène augmente tous les jours.
Chose étonnante, le personnel me signale qu’elle a parfaitement appris à
se servir des alarmes des appareils qui entourent son lit. Et semble-t-il pour
faire venir un soignant près d’elle comme le ferait avec ses pleurs un bébé
affamé pour faire venir sa maman près de lui. Ces alarmes sont très sensibles
à la moindre modification physiologique, par exemple à une chute du rythme
cardiaque ou une diminution de la saturation en oxygène. Ils sont également
sensibles à des gestes brusques. Mais il est toujours surprenant de constater
que les enfants apprennent à se servir des alarmes, c’est-à-dire qu’ils pour-
raient déjà en quelque sorte utiliser leurs corps. En ont-ils déjà la capacité ?
Est-ce un acte conscient de leur part ? Ce qui est évident, c’est la réaction
‘immédiate qu’elle va provoquer chez le personnel soignant, qui va venir
auprès de l’enfant.
Après plusieurs semaines, les stimulations tactiles se font dorénavant sur
des membres libres de tout appareillage et je peux accéder à son dos. La
88 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

seule zone qui reste douloureuse semble être son pied droit et j’observe
souvent, à cet endroit, un mouvement de retrait. Hormis cette zone sensible,
elle semble apprécier le contact et se laisse manipuler avec plaisir.
La semaine suivante, je suis stupéfait des changements physiques de
Marion : elle a grossi, grandi, sa peau est beaucoup plus rosée. Sur le plan
médical, elle n’est plus ni intubée, ni gavée. Elle n’a plus besoin d’un apport
important en oxygène. L’interne me confirme que son alimentation par voie
orale se passe bien.
En début d’année, une étape importante est franchie : elle est transférée
en néonatalogie.
Le seul objectif désormais est la prise de poids et de permettre au système
pulmonaire de Marion de se développer et d’être suffisamment indépendant.
Quelques jours avant sa sortie je rencontre les parents et nous décidons de la
poursuite de la prise en charge à domicile. J’insiste sur l’importance de cette
pratique et sur la relation qu’ils ont avec leur fille, afin que chacun puisse
trouver ses repères, son rythme de vie après quatre longs mois de séparation.

3.3. Prématurité et développement psychomoteur


La prise en charge de ces enfants en psychomotricité apparaît primordiale
quand on mesure l’impact de cette grande prématurité, qui demeure à l’origine
de 30 % des séquelles psychomotrices et sensorielles majeures observées dans
la petite enfance.
Bergès ef al. (1969), en décrivant le «syndrome tardif de l’ancien préma-
turé », ont démontré les risques de troubles du développement attachés à
une naissance prématurée. Ces auteurs se sont aperçus que, si les retards du
développement psychomoteur s’atténuent vers l’âge de cinq ans, il subsiste
néanmoins des troubles des fonctions praxiques, gnosiques et du schéma
corporel. Par ailleurs, ils concluent que le devenir psychologique de ces
enfants à durée égale d’hospitalisation, et cela me semble très important,
dépend des conditions sociales et affectives du milieu. (D. Mellier, 1999).
Notre pratique psychomotrice basée sur la relation n’en prend que plus
d'importance.
L'équipe de D. Mellier (1994) aboutit près de trente ans plus tard à la
même conclusion : «en examinant une population d’enfants prématurés de
six ans nés avant 33 semaines et normalement scolarisés en CP, les scores à
des échelles étalonnées de langage, de mémoire etc., sont statistiquement
inférieurs mais restent dans la normale » comparés aux enfants nés à terme.
«Les conclusions de ces recherches, confortées par les changements
sociaux liés à la politique d’humanisation des hôpitaux et l’intérêt pour la
mère et l’enfant, ont facilité l’innovation et la réflexion sur l'intervention
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 89

préventive précoce par stimulations. Elles ont insisté sur les méfaits de l’iso-
lement social et sensoriel du bébé prématuré dont il devenait nécessaire
d’adoucir l’état d'abandon et le dénuement de son milieu.» (op. cit).

3.4. Prématurité et environnement hospitalier


Les descriptions récentes de l’univers des enfants prématurés concordent
toutes pour souligner que leur environnement est d’une part surstimulant. La
répétition des soins, le non-respect du rythme de l’enfant, la lumière plus ou
moins constante, la multiplicité des intervenants et des visages différents,
les bruits de l’incubateur et de l’activité du service en sont quelques exemples.
Les soins sont nombreux et peuvent être douloureux.
Ce milieu peut aussi apparaître comme sous-stimulant car «il propose
moins de changements de position, de portage, de sons, de paroles et impose
aux bébés des contraintes posturales liées aux soins (membres attachés, tête
fixe) » (D. Oriot, 1999).
Une des principales difficultés que rencontrent les services de réanimation
est de trouver une posture pour l’enfant qui lui permette le plus grand confort
tout en évitant qu'il ne se détechnique. Si on a encore recours aux attaches
au niveau des pieds et des mains, une solution semble être le port de
«moufles », sorte de gants qui entourent la main de l’enfant. Cela a une
grande importance, nous le verrons, si l’enfant doit faire un long séjour dans
le service. En effet, les conséquences d’un alitement prolongé peuvent se
révéler plus tard néfastes pour le développement psychomoteur de l’enfant.

3.5. Prématuré et seul ?

Si le personnel du service est nombreux, comme dans un milieu collectif,


un bébé est toujours en danger d’être psychiquement seul, même s’il n’est que
rarement physiquement isolé. Dans ces conditions, il risque de développer ce
qu’E. Pikler (1975) a appelé «le nouveau syndrome d’hospitalisme » avec
ses effets invalidants.
On se souvient des études de Spitz sur l’hospitalisme et des effets des
carences de soins maternels sur ces enfants. À l’époque, des tableaux cliniques
dramatiques ont été décrits avec état de repli sur soi, perte de contact, marasme,
stéréotypies. G. Appel, dans son article «le bébé seul», nous met en garde
sur des troubles moins spectaculaires, plus difficiles à cerner, mais tout autant
alarmants, pour une bonne santé psychique de l’enfant.
En voici quelques exemples :
— Je refus du regard;
— les troubles du tonus ;
90 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

— Je refuge dans le sommeil ;


— enfant accroché à son pouce en bouche, sans aucune succion ni plaisir
apparent;
— une trop grande facilité de contacts superficiels mais indifférenciés, le
fait d’être porté paraissant plus important que la personne qui porte.
— Ja pauvreté des attitudes exploratoires tournées vers l’adulte (G. Appel,
1987).
Ces signes qui font appel au regard, au tonus, à la posture, au contact sont
particulièrement intéressants pour nous et interrogent les bases mêmes de la
psychomotricité.

3.6. La prise en compte de la douleur


Autre domaine qui va intéresser le psychomotricien, c’est la prise en compte
de la douleur. A. Gauvain-Piquard a démontré la précocité de la perception
de la douleur et la compétence des enfants prématurés pour signaler une zone
corporelle douloureuse (A. Gauvain-Piquard, 1992). Elle a aussi théorisé
autour des effets de la douleur physique sur le développement psychique de
l’enfant. Selon elle, lorsque la douleur est légère, on assiste à un surinves-
tissement de la zone douloureuse. Lorsqu'elle est forte, à un désinvestissement
du monde extérieur. L’enfant est pris dans la douleur et le monde extérieur
n'a plus d'impact sur lui. Dans le cas où la douleur deviendrait envahissante,
surviendrait un désinvestissement de la zone douloureuse. Enfin, lorsque la
douleur devient torturante, cela semble provoquer une implosion de l’appareil
psychique (A. Gauvain-Piquard, 1997).
Une nouvelle fois, l’enfant fera appel à ses ressources corporelles, toniques,
posturales, pour nous informer. C’est par les cris, l’hypertonie, le retrait actif
de la zone concernée, ou une tachycardie, que l’enfant s’exprimera. Notre
formation est directement sollicitée (P. Blossier, 1998).
«Sans doute est-ce parce que l’expression de la douleur chez l’enfant fait
violence à l’adulte, fût-il soignant, qu’il reste encore difficile d’en prendre
acte dès les premiers signes » (D. Brun, 1998).

3.7. Relation parents/enfant prématuré


Dans la plupart des cas d’enfants que j’ai rencontrés, le nouveau-né, en
détresse respiratoire, avait été transporté d’urgence dès sa naissance dans le
service de réanimation. Le choc affectif que constitue cette naissance est
souvent doublé d’une inquiétude quant aux risques de séquelles, d’anormalité,
de mortalité, de fragilité de cet enfant. Le narcissisme parental est ébranlé.
Les parents peuvent se sentir responsables de la prématurité de leur enfant,
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 91

confirmant les craintes de ne pas être capables d’être des parents, et déve-
lopper un sentiment de culpabilité. C. Druon affirme que « dans tous les cas,
le bébé et sa famille vivent une épreuve. On se trouve dans une situation à
risque, pour les uns et les autres. Le risque majeur est celui du non établis-
sement d’un lien très précoce entre mère et bébé, parce qu’il y a eu rupture ».
(C. Druon, 1994)
Prévention des troubles du développement psychomoteur, maintien du
lien mère/enfant, dépistage des signes de souffrance psychique ou physique,
les arguments ne manquent donc pas pour faire intervenir un psychomotricien
en réanimation pédiatrique.

4. L'intervention psychomotrice

4.1. Indications

L’indication est en général posée par le pédopsychiatre ou la psychologue


du service, en accord avec l’équipe pédiatrique. Elle peut aussi être suggérée
par les infirmières du service, familières de cette approche.
Tous les enfants pourraient en bénéficier mais elle concerne en priorité :
a) des enfants le plus souvent prématurés, qui, en raison de leur patho-
logie associée, risquent de rester longtemps hospitalisés avec toutes les consé-
quences que cela entraîne :
— au point de vue de l’enfant avec retard du développement ou risque de
souffrance psychique (le bébé seul),
— au point de vue des parents avec risque de fragilisation du lien
mère/enfant. J’illustrerai ce cas de figure, par l’histoire de Maud ;
b) des enfants dont les parents sont dans des situations sociales ou
psychoaffectives défavorisées, ne leur permettant pas d’assurer une présence
régulière auprès de leur enfant ou une interaction adaptée. Les bébés dits
«de la défaillance parentale », qu’elle soit sociale ou relève d’une pathologie
mentale, sont des enfants fragiles et vulnérables ;
c) des enfants dont les parents résident loin de l'hôpital (celui-ci étant
un centre régional qui couvre une grande région géographique). Ceux-ci
souffrent de la séparation parentale ou risquent quelquefois l'abandon. (Pour
illustrer ce cas de figure, je vous présenterai l’histoire de Mathilde.)

4.2. Histoire de Maud

” Premier enfant d’un jeune couple, Maud est née à 39 semaines et 3 jours.
Très vite les difficultés commencent.
92 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Son coefficient d’APGAR est coté à 8 à une minute et n’est plus que de
1 à cinq minutes. Elle est alors réanimée, oxygénée au masque, intubée. .
Dans les premières 48 heures, on observe une amélioration rapide de son
état de santé. Sa détresse respiratoire s’améliore. Elle est extubée (on lui
retire sa canule). Elle va présenter de nombreuses désaturations en oxygène
secondaires à des apnées. Elle est réintubée en urgence. Ces événements se
répétant et des apnées profondes apparaissant en période de sommeil, elle
sera placée sous ventilation assistée au 8e jour de son hospitalisation.
Elle est alors dirigée vers un hôpital parisien pour examens
complémentaires. Un syndrome déjà suspecté va être confirmé. Il s’agit du
syndrome d’Ondine ou SHACC6. De retour dans le service, une trachéotomie
est pratiquée.

4.2.1. Prise en charge en psychomotricité


Compte tenu du temps potentiel d’hospitalisation que Maud risquait de
passer en réanimation, et afin de prévenir tout risque de retard de dévelop-
pement psychomoteur, l’indication en psychomotricité est posée. À l’époque,
il a semblé important à toute l’équipe que ce jeune couple, déjà motivé par
cette approche, puisse en bénéficier. Cela permettrait de maintenir les liens
parent/enfant et de les accompagner. Nous avons donc proposé à Maud, en
présence des parents, des stimulations tactiles puis psychomotrices. Je les
rencontrais deux fois par semaine.

4.2.2. Stimulations tactiles


Les premières séances, Maud est intubée, ventilée, nourrie par sonde.
C’est à peine si l’on peut apercevoir son visage entre les sparadraps.
Elle a un très bon contact visuel, esquisse quelques sourires. Elle est immo-
bilisée, tête sur le côté, bras le long du corps par des liens de contention. Ses
parents, constamment présents, lui libèrent les mains tout en la surveillant,
pour qu’elle puisse faire quelques mouvements.
Is sont particulièrement intéressés par les stimulations tactiles. D'ailleurs,
ce sont des gestes qu’ils font naturellement, de façon moins standardisée,
mais avec beaucoup de plaisir. Ils sont très demandeurs de conseils, parfois
trop empressés et nous interrogent souvent sur la durée idéale, leur fréquence,
à quel moment les pratiquer. Il est souvent nécessaire de repréciser le cadre
de cette pratique pour ne pas tomber dans l’hyper-stimulation. Ces moments
sont aussi souvent l’occasion pour les parents d’exprimer leurs soucis quant
à la santé de Maud ou leurs revendications, leurs espoirs, leurs méconten-
tements par rapport au service ou au psychomotricien. Les parents ont
énormément investi les séances et deviendront au cours de la prise en charge
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 93

de plus en plus exigeants sur la régularité, les horaires de passage. Tout


retard devient source d’angoisse. |
À quatre mois, Maud présente une forte hypotonie axiale avec quasi-impos-
sibilité de tenir sa tête. Elle tend les mains vers un objet qu’elle manipule et
suit du regard une personne qui se déplace dans la pièce. Lors des stimulations
tactiles, 1l est difficile de maintenir son attention. Elle semble toujours en
mouvement. Au toucher, on peut sentir une certaine détente musculaire, mais
si on retire ses mains, elle se remet en mouvement. C’est peut-être sa manière
de communiquer, Maud ne pouvant émettre de sons depuis sa trachéotomie.

4.2.3. Stimulations psychomotrices


Avec l’autorisation du pédiatre, nous pouvons commencer les stimulations
psychomotrices (techniques de H. et M. P. Herren, 1980). J’ai choisi de les
faire avec un matériel très simple, qui pourra facilement être à la disposition
des parents. Ce sont de grandes serviettes où l’on peut allonger l’enfant. Tour
à tour, la serviette se transforme en berceau, hamac, ascenseur ou en petit
train. Ce sont essentiellement les stimulations vestibulaires et proprioceptives
qui sont visées. Cette activité est enrichie du plaisir mutuel que prennent les
parents à faire sourire leur enfant et à devenir actifs dans le soin. Maud
semble au départ un peu inquiète par les nouvelles postures découvertes,
elle qui jusqu'alors n’a véritablement connu que la position allongée. Elle
est encore très fatigable et l’on doit veiller à ne pas faire trop durer les
séances. Petit à petit, nous introduisons de nouvelles positions avec le début
du retournement, puis du passage de la position allongée à assise auquel
Maud participe activement.

4.2.4. Bilan psychomoteur


L'état de santé de Maud s’améliorant, il est désormais possible de lui faire
passer un Brunet-Lézine révisé.
Cela nous permettra :
— d’une part de situer Maud dans son développement psychomoteur, en
établissant un bilan de ses compétences. Seul les items du langage seront
plus difficiles à mettre en évidence du fait de sa trachéotomie;
— de mesurer les effets de l’hospitalisation ;
— de faire le point sur notre action thérapeutique et de nous guider dans
_le projet de soin.
La première séance se passera avec la maman. Elle doit être écourtée,
Maud se fatiguant très vite, les conditions de passation ne sont plus réunies.
Un nouveau bilan ne sera possible que trois semaines plus tard, Maud ayant
contracté un virus. :
94 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Lorsque les conditions de test sont plus favorables, Maud est âgée de
7 mois et 11 jours. ;
C’est dans le domaine des coordinations qu’elle se montre la moins perfor-
mante (QD ou quotient de développement de 73,8 pour un AD ou âge de
développement de 5 mois et 14 jours). Elle peut soulever par l’anse une tasse
retournée, enlever un cube de la table à sa vue. Par contre, elle ne peut encore
tenir deux cubes, l’un dans chaque main et regarder le troisième. La pince
n’est pas assez fine pour saisir une pastille en ratissant.
Au niveau postural, elle obtient un QD de 83, un AD de 6 mois 7 jours.
Allongée, elle se débarrasse de la serviette posée sur sa tête. Elle se soulève
jusqu’à la position assise si on exerce une traction sur ses avant-bras.

Les domaines du langage et de la socialisation sont équivalents. Elle


obtient un QD de 90, un AD de 7 mois, résultats normaux pour son âge.
Elle réagit à certains mots familiers (niveau 8 mois), participe activement
au jeu de «coucou » ou s’amuse àjeter des jouets (7 mois).
Au total, elle obtient un score global de 62 points soit un QD de 83, un
AD de 6 mois 6 jours, pour un âge réel de 7 mois 11 jours. Compte tenu des
conditions du bilan et de l’hospitalisation, les résultats de Maud sont donc
très encourageants.

4.2.5. Prise en charge à domicile


Au bout de neuf mois d’hospitalisation, le retour à domicile est effectué.
Bien sûr 1l ne peut se faire que dans des conditions de sécurité totale. Maud
est maintenant autonome sur le plan respiratoire et a une nutrition entérale
complète. Les parents ont reçu une éducation progressive à tous les gestes
et actes indispensables à la survie de l’enfant. Les premiers moments sont
difficiles pour les parents. Il faut faire face à une prise en charge à domicile
d’un enfant ventilé, veiller à une possible surinfection ORL ou bronchique,
fréquente à cet âge, mais qui entraîne des risques accrus en raison de la mala-
die.
La psychomotricité se poursuit à domicile, à raison d’une séance hebdo-
madaire. Les parents ont obtenu toutes les garanties pour inscrire leur fille
au sein d’une halte-garderie pour quelques heures dans la semaine, ce qui
leur permet de «souffler ».

4.3. Un enfant sans ses parents : histoire de Mathilde


Mathilde est née au terme présumé de 32 semaines d'aménorrhée. Outre
une dysplasie broncho-pulmonaire, elle est atteinte d’un syndrome poly-
malformatif. Ce syndrome dit de «Pierre Robin » associe : une fente palatine,
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 95

une microglossie (petitesse de la langue), une glossoptose (refoulement en


arrière de la langue dont la base fait basculer l’épiglotte et rétrécit le pharynx),
des troubles respiratoires.
Elle a d’autre part été opérée d’une sténose du pylore et du canal artériel.
Elle présente également une malformation du crâne.
Mathilde est intubée dès la naissance et alimentée par sonde gastrique.
Ses parents vivent à plus d’une centaine de kilomètres de l'hôpital. Ils
sont dans une situation sociale très défavorisée. Je n’ai jamais pu les
rencontrer.

4.3.1. Prise en charge en psychomotricité


Le pédopsychiatre du service m’a demandé de prendre en charge Mathilde
pour prévenir des troubles du développement, car elle était déjà en réani-
mation depuis deux mois et son séjour risquait de se prolonger.
Le projet thérapeutique s’appuie sur les stimulations tactiles dans un
premier temps, puis sur les stimulations psychomotrices lorsqu'il sera
possible de la mobiliser. Comme pour les autres enfants, mon intervention
sera bihebdomadaire.
De nombreuses fois, m'est revenue cette question posée par ma stagiaire :
doit-on s'occuper d’enfants qui n’ont pas la possibilité de voir leurs parents ?
Question qui mérite discussion. Chaque service semble y répondre de
manière différente. En fait, n’a-t-on pas peur d’établir un lien avec l’enfant
quand on sait pertinemment qu’il sera de nouveau soumis à des ruptures ?
Comme premier élément de réponse, je citerai C. Druon. En accord avec
elle, il me semble fondamental d’insister sur la valeur de l’établissement
d’un lien avec l’enfant. Pour elle, «on ne saurait trop insister sur la valeur
du lien dans la relation comme vecteur d’évolution la moins invalidante
possible » (C. Druon, 1994).
Pour ma part, le choix était fait : il fallait s’occuper de Mathilde. Mais je
pense que cela ne peut se faire sans une équipe pluridisciplinaire et surtout
la possibilité de prendre du recul sur ce que l’on fait par l’intermédiaire, par
exemple, de réunions d’analyse de la pratique.
Si l’on adopte une démarche prudente et claire il me semble, à part contre-
indication médicale, que tout enfant doit pouvoir bénéficier de cette approche.

La première fois que j’ai rencontré Mathilde, un électroencéphalogramme


était prévu, ce qui a écourté la séance. De nombreuses fois où je tentais de
l’approcher, elle avait toujours de nombreux examens ou, tout simplement,
dormait. Pour ma part, j'essaie de toujours respecter le sommeil de l’enfant
qui contre-indique la séance.
96 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Ce n’est que deux mois plus tard que j’ai pu réellement entrer en relation
avec Mathilde et lui proposer les stimulations tactiles. L’interaction visuelle
est bonne et se maintient tout au long de la séance. Sur le plan moteur, une
hypotonie axiale rend toute mobilisation difficile.
J'apprends par une infirmière que ses parents bien qu’éloignés prennent
de ses nouvelles par téléphone régulièrement. Mais ils se montrent discrets
auprès de leur enfant, ce qui pose problème pour l’apprentissage des actes
indispensables qu’ils devront savoir effectuer si Mathilde rentre un jour
chez elle.
Lors d’une séance, à mon arrivée, Mathilde est très encombrée et cyano-
sée. À une simple palpation de son bras, elle réagit vivement comme si elle
ressentait une douleur très importante. Tout en lui parlant, et lui prenant la main,
elle réussit à s’apaiser et à s'endormir. Son visage retrouve une teinte plus rosée.
Son état respiratoire s’améliorant, Mathilde est enfin extubée. Cela semble
la transformer, sa motricité spontanée étant plus grande. De la main, elle
peut maintenant toucher sa tête, ses cheveux, son visage. Ces observations
sont confirmées par la puéricultrice référente de l’enfant. L'équipe trouve
Mathilde plus active, et initiatrice dans la relation. Son importante hypotonie
axiale persiste, elle ne parvient pas encore à tenir sa tête. Seule la manœuvre
de retournement est possible, et elle devient plus active et participante.
À l’âge de 5 mois, Mathilde sort de réanimation et sera transférée dans
le service de pédiatrie nourrissons. Elle y sera soignée pour une infection
respiratoire virale.

4.3.2. Bilan psychomoteur (Passation du Brunet-Lézine)


Mathilde est âgée de 5 mois, mais en âge corrigé de 3 mois.
Au niveau visuel, elle ne peut suivre un objet ou une personne qu’autour
de 90 degrés. Au-delà, les objets sortent de son champ visuel. Elle ne tourne
pas la tête vers la gauche en raison de sa malformation crânienne. Elle n’attrape
pas d’objet (anneau, clochette.….). Elle peut saisir un cube au toucher et le
garder en main. Elle ne maintient pas sa tête quand on lui prend les mains
pour l’amener en position assise.
Au niveau postural, maintenue en position assise, elle ne maintient sa tête
qu’un court instant. Sa tête se pose en avant.
On obtient donc pour Mathilde un âge de développement d’1 mois 9 jours
pour un âge réel de 3 mois.
Il faut garder à l’esprit qu’une telle passation de test se fait dans des condi-
tions d’hospitalisation prolongée. D'autre part tous les items concernant le
langage pénalisent Mathilde extubée depuis peu. Ces cinq mois d’alitement
ont eu des répercussions sur sa posture et son tonus. De plus, elle semble
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 97.

souffrir d’un érythème fessier. C’est pourquoi une nouvelle passation est
programmée quelques semaines plus tard.

Mathilde sera transférée quelques jours plus tard au Centre Hospitalier


de la ville d’où sont originaires ses parents.

5. Les stimulations tactiles

Quels sont donc les bénéfices et les objectifs des stimulations tactiles ?
En tout premier lieu, c’est bien de la peau dont il s’agit de parler.

5.1. La peau comme première relation


Pour Julian de Ajuriaguerra, «la peau, avec sa texture et son odeur n’est
pas seulement lieu d’échange entre le corps de la mère et de l’enfant, elle
est également enveloppe contenante, membrane frontière et membrane protec-
trice » (Ajuriaguerra, 1989).
À. Montagu, dans son ouvrage La peau et le toucher (Montagu, 1979)
insiste sur l’importance de la peau en tant qu’organe déterminant dans le
développement du comportement humain. Pour Ortega et Gasset (cités par
Montagu) la forme décisive de notre relation aux choses est le toucher. Le
toucher et le contact sont les éléments les plus décisifs que nous utilisons
pour définir les structures de notre monde. Le toucher est différent des autres
sens car il implique toujours la présence conjointe et inséparable du corps
que l’on touche et de notre propre corps avec lequel nous touchons.
Contrairement à la vue et à l’ouïe, le toucher nous fait ressentir les choses à
l’intérieur de nous-même. Mais Ajuriaguerra précise que «par rapport à la
peau comme première relation, la notion de toucher n’est pas suffisante.
C’est l’ensemble complexe peau à peau et contact corporel à travers les vête-
ments, proprioceptivité, échanges de postures, communication gestuelle et
verbale, qui a un sens » (Ajuriaguerra, ibid.).

5.2. Quelques recherches faites sur les stimulations tactiles

Des auteurs comme Field (1986), Scafidi (1986,1990,1993) ont beaucoup


étudié les résultats des expériences de stimulations tactiles sur le nouveau-
né prématuré. Ils utilisent des stimulations tactiles et kinesthésiques à l’aide
de massages en imprimant chez 40 prématurés de 30 à 31 semaines des
mouvements passifs aux membres sur trois périodes quotidiennes de quinze
minutes pendant dix jours. Le critère de jugement essentiel est le gain pondé-
98 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

ral quotidien. L'apport calorique dans le groupe stimulé n’est pas différent
de celui du groupe témoin alors que le gain pondéral journalier est augmenté
de 47 %. De plus, les bébés sont éveillés et actifs durant de plus longues
périodes. Cette observation les a surpris car ils pensaient que les massages,
facilitant l’endormissement, augmentaient le temps de sommeil. Les bébés
massés montrent de meilleures performances aux items d’habituation, d’orien-
tation, d’activité motrice et de régulation de l’état d’éveil, à l'examen néo-
natal de Brazelton. Enfin, ils subissent une hospitalisation en moyenne d’une
durée inférieure de 6 jours à celle du groupe contrôle, ce qui représente une
économie de 3000 dollars par enfant (T. Field, 1994).
On a établi que, chez l’enfant, la stimulation cutanée précoce exerce une
influence tout à fait bénéfique sur le système immunologique en ayant des
conséquences importantes sur la résistance aux infections et autres maladies
(Im, 1992).
Plus récemment, T. Field, dans un article paru en 1995, et intitulé «Massage
therapy for infants and children », expose les résultats d’une étude encore
non publiée. Elle a comparé l’effet des massages et du bercement chez des
bébés nés à termes normaux, de mères adolescentes. Les bébés étudiés sont
âgés de 1 à 3 mois. L'analyse des effets immédiats est significative, en faveur
du massage qui augmente le temps d’éveil actif sur vingt-quatre heures,
abaisse quantitativement les cris du bébé. Ces bébés ont un taux salivaire de
cortisol plus bas pendant le massage probablement en relation avec un niveau
de stress inférieur. À long terme, les bébés massés ont pris plus de poids, ont
fait plus de progrès dans les domaines de la sociabilité, de l’émotionnalité,
de la capacité à s’auto-apaiser. Ils ont de meilleures capacités en interaction
face à face (Maggioli, 1998).
Sur le plan psychomoteur, les stimulations tactiles ont un effet bénéfique
sur la construction du schéma corporel et de l’image du corps. En effet, pour
ces enfants hospitalisés, l’image du corps et le schéma corporel sont direc-
tement sollicités d’autant que ces enfants subissent toute sorte d’agressions
(souvent indispensables et vitales). Par le toucher, ils peuvent découvrir des
sensations de plaisir et de bien-être restructurantes, permettant progressivement
une construction et une représentation unifiée du corps. En fait, «Masser le
corps d’un enfant, c’est s’en rapprocher tout en lui faisant sentir de la distance »
(P. Coutable, 1993).
L'investissement relationnel des infirmières et des puéricultrices, ainsi
que la présence parentale jouent ici un rôle complémentaire de premier plan.
«Dans notre propos, il ne s’agit donc pas de vouloir prétendre à une exclu-
sivité d'ordre professionnel, mais d’y assurer une grande qualité d'approche
dans la mesure où le travail avec les tout-petits est un véritable pari sur l’avenir.
D'ailleurs comment prétendre à cette exclusivité, alors que justement on
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 99

s'adresse là à ce sens commun qu'est la peau d’un être en devenir ? »


(P. Coutable, ibid.).
Par son aspect psycho-relationnel, les stimulations tactiles pratiquées par
le psychomotricien, puis les parents, vont permettre de favoriser l'attachement
parent/enfant par l’instauration de relations affectives chaleureuses. Elles
permettront également de développer un sentiment de compétence parentale,
visiblement ébranlé, comme nous l’avons vu, au cours d’une naissance aussi
catastrophique. Brazelton (cité par Ajuriaguerra), décrivant chez les préma-
turés les cinq étapes du processus d’attachement entre ces enfants et leurs
parents, mentionne que les parents, à la 4e étape, se considèrent vraiment
comme des parents, quand ils le touchent (selon une progression : effleurer,
poser la main sur, caresser) (Ajuriaguerra, op. cit.).
«Le vécu de la maladie de l’enfant par les parents est important pour sa
réinsertion et son avenir dans la famille. Mais on peut aussi se demander
quelle trace ce passé hospitalier laisse-t-il sur l’enfant ? Quelle empreinte
corporelle ? Le psychomotricien travaille au niveau du corps signifiant et
inclut la mère dans ce dialogue corporel. L'enfant réinvestit différemment
son Corps à travers un regard nouveau porté sur lui. Dans le même temps,
les parents reprennent confiance en leur enfant et eux-mêmes.» (A.E. Alba,
1990.)

5.3. Pratique et technique utilisée


Les stimulations tactiles sont dispensées dans un ordre précis : thorax,
membres supérieurs l’un après l’autre, abdomen, membres inférieurs, le dos
et enfin le visage.
Nous avons vu qu’en pratique il est rare, en réanimation, de pouvoir stimu-
ler tout le corps. Les zones privilégiées de contact sont en rapport avec leur
accessibilité, en respect aussi des manifestations de douleur ou de retrait.
Très souvent, je me limite aux extrémités : mains, pieds, visage si l'enfant
le permet. Cette localisation n’est pas le fruit du hasard. Ces points sont en
effet très importants car ainsi nous imitons les premiers contacts spontanés
des mères avec leurs nourrissons. C’est ce que M. Robin a démontré dans
son étude sur la localisation des premiers contacts tactiles maternels qui sont
le plus souvent doublés d’une exploration visuelle (M. Robin, 1980).
Au fil des séances, en rapport avec l’état de santé de l’enfant et en fonction
de ses réactions, les stimulations seront étendues au thorax puis au dos.
L’attention du praticien est fixée sur le nourrisson, les échanges de regard
sont soutenus. Les exercices sont effectués dans un bain de parole (aspect
plurimodal ou intermodal au sens de D. Stern) (Stern, 1989).
100 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Le toucher doit être lent et appuyé, ce n’est pas une caresse. Le contact
n’est jamais interrompu pendant toute la durée de l’exercice, sauf si l’enfant
montre des signes de souffrance ou d’inconfort. Il est pratiqué deux fois par
semaine, et dure environ 15 minutes. Il sera complété dans certains cas de
mobilisations passives. Le sommeil est toujours respecté.

Souplesse et adaptation : ce sont les deux qualités qui me semblent requises


pour travailler dans ces services. Quelquefois, on peut avoir l’impression
que l’on est en train de faire du «bricolage » dans la prise en charge
(C. Filhioux, 1999). En effet, de nombreux imprévus peuvent survenir au
cours de la séance. Il faut donc savoir s’effacer et laisser la priorité aux soins
d'urgence.

Les stimulations tactiles sont proposées aux parents. Il est important d’ex-
pliquer que cela n’a aucun caractère obligatoire. Très souvent, j’ai remarqué
que l’un des deux parents plutôt réticent au départ, pour de multiples raisons
(j'ai les mains moites, je pourrai lui faire mal, je n’aime pas le contact de
l’huile, c’est pas pour moi..….), sera aidé par l’autre qui, prenant beaucoup de
plaisir à le faire, incitera son compagnon à faire de même.
Lorsque ce sont les parents qui touchent leur enfant, leur toucher sur le
corps de l’enfant est peu commenté et souvent non interprété. Par contre, la
réponse de l’enfant l’est et cela de manière implicite ou explicite. Elle va donc
modifier au fur et à mesure leur manière d’entrer en contact et en relation
avec lui.
C’est pourquoi la première séance avec les parents sera capitale et souvent
conditionnera les séances suivantes.
Observations possibles au cours des séances :
— observation de la relation mère/enfant et leur mode de dialogue tonique
(quand les parents sont présents) ;
— mode de portage, attitudes, messages verbaux échangés ;
— réactions toniques, posturales, mode de communication, réactions tonico-
émotionnelles et sensori-motrices du bébé.
«Les analyses des compétences interactives des nourrissons et leur forme
d’attachement à leur mère peuvent manifester bien souvent des signes avant-
coureurs de développement pathologique et ceci d’autant plus que ces jeunes
enfants sont de par leur naissance soumis à des risques importants »
(Abecassis, 1997).

5.4, Un bébé actif dans le soin

[ne faudrait pas croire que l’enfant est entièrement passif pendant le soin.
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 101

Bien au contraire, c’est lui qui dirige ! Si on sait l'écouter, c’est lui qui
permet ou non le soin et l’accessibilité à des zones de peau. Si le toucher ne
lui convient pas, ou s’il a mal, ou si tout simplement il est fatigué, c’est son
corps, ses pleurs, ses mimiques ou son état physiologique du moment qui y
réagit, par exemple par une diminution des saturations en oxygène et cela
se traduira et s’annoncera par les alarmes.

6. En forme de conclusion.

Dans l’urgence que représente la naissance d’un enfant grand prématuré,


se préoccuper des liens qui uniront l’enfant à ses parents peut paraître acces-
soire. Si nous faisons cette démarche, cela suppose que les parents n’aient pas
trop de mal à tisser des liens affectifs avec ce nourrisson qui ne correspond
pas toujours au bébé idéal qu'ils attendaient. Pour que ses liens se tissent
harmonieusement, 11 me semble nécessaire que les partenaires partagent le
bonheur d’être ensemble. Alors que proposer à ces enfants et ces parents
fragilisés par cette toute nouvelle histoire déjà difficile ?
L'approche psychomotrice est un des éléments de réponse. Si nous pensons
que la pratique décrite dans cet article fait partie intégrante du champ de compé-
tence de la psychomotricité, ce n’est pas en terme de stimulations précoces du
corps instrumental de l’enfant, mais plutôt dans un essai de création d’une
relation humanisante. Du plus grand prématuré au plus âgé des vieillards,
cette création me semble fondamentale dans toute relation de soin.
Mon vœu le plus cher est que davantage de services fassent appel aux
psychomotriciens et qu’ainsi davantage de praticiens se forment à cette
pratique, en se mettant au service de ces enfants et de leurs familles. Puisse
cet article les y aider. Quand on ouvre nos mains.

NOTES

1. Rapport d’activité du service 1995.


2. Pré-éclampsie (ibid.). État caractérisé par une série d’accès consistant en convulsions
toniques, puis cloniques avec suspension de la conscience et offrant la plus grande analo-
gie avec l’épilepsie. Elle peut survenir dans les trois derniers mois de la grossesse, au
moment de l’accouchement ou dans les suites de couches.
3. Indice d’APGAR : on calcule pour tout nouveau-né l’indice d’APGAR en tenant compte
des cinq items suivants :
— le cœur (il faut plus de 100 battements par minute) ;
— la respiration (il faut la présence d’un cri);
102 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

— Ja couleur de la peau (le nouveau-né est normalement rosé) ;


— le tonus;
— la réactivité à une stimulation désagréable.
Il s’agit donc d’apprécier l’état de santé du nouveau-né à une minute, cinq minutes et dix
minutes après la naissance. Pour chaque item, on note 0 s’il n’y a rien, 1 s’il y a eu ébauche
de réponse, 2 pour une réponse complète.
On considère qu’il n’y a aucun problème lorsque la note obtenue ou le coefficient est
supérieur à 7. Entre 4 et 7, on peut diagnostiquer une souffrance fœtale modérée. Il faut
alors en rechercher la cause et la traiter. Si le coefficient est inférieur à 4, la souffrance
est aiguë. Un traitement immédiat en réanimation pédiatrique est nécessaire. Si le coef-
ficient ne dépasse pas 2, on considère le nouveau-né en état de mort apparente.
Hypotrophie du nourrisson (Garnier, Delamare, 1989). Type classique caractérisé par le
retard dans le développement du poids et de la taille des nourrissons, le retard de la taille
étant inférieur à celui du poids.
Dysplasie broncho-pulmonaire : il s’agit d’une maladie due à une dysmaturité du système
broncho-pulmonaire nécessitant une ventilation continue qui se prolonge sur plusieurs
mois, voire des années (Nouvel. J.-L., Blossier P., 1994).
Le syndrome d’Ondine ou SHACC. C’est l’appellation communément utilisée pour
nommer le Syndrome d’Hypoventilation Alvéolaire Centrale Congénitale. Chez les
personnes atteintes à ce jour, la commande centrale de la respiration située dans le tronc
cérébral est défaillante. « Dans les cas les plus typiques, ces enfants ont une ventilation
normale à l’éveil (ils n’ont pas de signe de détresse respiratoire, pas de signe de lutte et
respirent régulièrement) mais hypoventilent dès qu’ils s’endorment. Les poumons fonc-
tionnent mais la personne ne peut respirer seule. La certitude diagnostique et la caracté-
risation du profil évolutif ne peuvent être acquises qu’en faisant une polysomnographie
de longue durée » (Beaufñils F., Trang-pham H., Gaultier C., 1998). Dans tous les cas, les
personnes atteintes doivent être reliées à un respirateur.
Le syndrome d’Ondine est une pathologie rare, incurable, qui fait partie des maladies
dites «orphelines ». Une trentaine de cas ont été recensés en France et en moyenne deux
à trois cas apparaissent chaque année.
Malgré ce lourd handicap, la plupart des enfants peuvent mener une vie quasiment normale,
en période de veille et en étant suivis de manière adéquate. Tous ont subi une trachéotomie.
Le plus souvent, ces enfants sortent de l’hôpital après un long séjour en réanimation qui
peut durer un an, voire davantage. Avant de reprendre leur enfant, les parents doivent être
formés aux soins, actionner le respirateur, assurer les soins de trachéotomie, gérer des
traitements lourds et de fréquents examens médicaux. Les enfants ont besoin de soins
préventifs de kinésithérapie respiratoire, d’orthophonie. La psychomotricité est indis-
pensable. En effet, la plupart des études « font état de complications neurologiques à type
de convulsions et surtout de retards psychomoteurs plus ou moins sévères chez plus de
50 % des patients » (ibid.).
Source : Association française du syndrome d’Ondine.
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 103

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Intervention des psychomotriciens
en creche et en centre de protection
maternelle et infantile (PMI)
Originalité de la prévention précoce

ISABELLE BLANCO ET SYLVIE GOUEL-BARBULESCO

1. Historique et cadre de travail


Depuis le Moyen Âge, dans le monde occidental, l’aide aux indigents,
aux pauvres s’est développée. Les hospices recevaient ainsi des filles seules
avec enfants, des malades.
Il fallut attendre 1892 pour que se crée la première consultation de nourris-
sons, spécifique afin d’isoler les petits de la population tout venant à risque de
maladies contagieuses. Les notions de protection de l’enfance et de prévention
émergeaient peu à peu, mais n'étaient pas généralisées à tout le pays.
C’est après guerre, sur le constat terrifiant du taux de mortalité infantile
(11 % en moyenne nationale, 25 % dans certains départements) que se met
en place, par l’Ordonnance du 2 novembre 1945, une surveillance sanitaire
des enfants : la PMI est créée par le gouvernement provisoire de la République
(Charles de Gaulle). Chaque département a pour obligation d’organiser des
consultations de nourrissons, d’enfants ainsi que la surveillance médicale
des futures mères, ouvertes à toutes les catégories socioprofessionnelles.
La priorité fut donc, au début, médicale, hygiénique et préventive.
C’est en 1978 que les premières psychomotriciennes sont intervenues
dans les crèches départementales de la Seine-Saint-Denis, puis en centres de
Protection maternelle et infantile depuis 1984.
Parallèlement dès 1981 ,elles mirent en place des formations intra-muros
pour le personnel des crèches, puis des PMI et participèrent depuis 1992 à
la formation des assistantes maternelles.
” À la fin des années 1970, émergeait dans le milieu hospitalier une réflexion
sur l’installation «au tapis » des très jeunes enfants sortis de leur lit, favorisant
106 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

une liberté de mouvements. Les adultes avaient alors une part d'intervention
active sur le corps de l’enfant. Ce fut le courant autour de «l’éveil du bébé »
(cf. Janine Levy et autres [1]).
Grâce aux innovations du Dr de Chambrun, cette volonté de «libérer les
bébés », de mieux les éveiller, aboutit à l’application de cette «gymnastique »
par des éducatrices et à la création des premiers postes en psychomotricité.
Ainsi, entre 1974 et 1982, six psychomotriciennes vacataires arrivèrent, ce
qui était exceptionnel à l’époque.
Pendant toute cette période la façon de penser l’accueil des enfants et
celui des parents, le profil de poste des auxiliaires de puériculture, des
éducatrices, la perception des besoins des enfants, évoluèrent considéra-
blement. Ce fut une révolution dans la manière de concevoir la place de
l’enfant.
Inspirées par ces travaux précurseurs, mandatées pour l’éveil des enfants
«bien portants », l'échange avec les équipes et la vie auprès des enfants firent
très vite évoluer notre profil de poste : éveil, observation, compréhension
des besoins moteurs, intellectuels, affectifs... nous avons peu à peu échangé
avec les équipes sur des enfants qui exprimaient des difficultés corporelles,
des difficultés de communication... un mal-être.
Notre évolution théorique s’est enrichie des travaux sur la « motricité
libérée » des enfants placés au sol, laissés libre d’évoluer dans les meilleures
conditions (vêtements confortables, pieds nus) (cf. E. Pickler [2] et
A. Grenier [3]).
Depuis les années 1980 se sont développés les travaux sur les interactions
précoces entre le bébé et ses différents partenaires, les subtilités de ces
moments d'échanges, l’ajustage et la synchronie, l’accordage dans les regards
et les émotions (travaux de M. Soule, S. Lebovici, D. Stern, B. Cramer..
et coll.).
Précédemment depuis les années 1940 se développaient les travaux sur
l’observation de l’enfant dans différentes situations en famille (E. Bick),
entre pairs. et ces méthodes d’observation devinrent de véritables outils
de travail pour les professionnels de la petite enfance. Quelques années plus
tard, la vidéo se développait mettant la technique au service de l’observation
et de la compréhension de phénomènes imperceptibles dans un vécu direct.
Notre arrivée en PMI se fit ainsi, à l’occasion d’une Recherche action
formation, menée conjointement par l'UFR de psychopathologie de la faculté
de Bobigny (S. Lebovici et coll.). L'objectif était de mieux comprendre et
prévenir les risques de maltraitance ou de négligence grave.
Nos outils principaux étaient : le travail en salle d’attente (cf. M. Soulé
et Coll. [4]), des grilles d’observation sur les interactions parents/enfants, la
visite à domicile et la prise en charge individuelle.
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 107

Cette recherche sur plusieurs années imprégna profondément notre façon


de travailler en PMI.
Au cours de cette recherche, nous avions à utiliser, conjointement aux
autres membres de l’équipe, des grilles d’observation pour l'évaluation des
interactions mère/enfant (cf. [9]).
Pour les enfants du groupe «traité », à qui il était proposé des mesures
spécifiques, il pouvait nous être demandé un bilan psychomoteur et une prise
en charge en présence des parents.
Quand la recherche prit fin, nos postes furent maintenus en PMI. Puis
vers 1994, le nombre de postes en PMI s’élargit.
Les années 1980 furent ainsi fondatrices, pour notre groupe, d’un cadre
théorico-clinique qui allait en s’enrichissant. Les années d'échanges avec
les équipes (et les relations de plus en plus affinées avec nos responsables)
ont permis un positionnement progressif de notre groupe professionnel au
sein de l’administration qui nous employait.
Cela a abouti en 1992 (création du Cadre d’emploi des rééducateurs terri-
toriaux dans la fonction publique territoriale — Décret n° 92-863 portant statut
particulier du Cadre d'emploi des rééducateurs territoriaux) à l’officialisation
de notre profil de poste au sein des services crèches et PMI et aux premières
titularisations, quinze ans après les premières offres de vacations.
À l’heure actuelle, une convention a été signée entre le service de Protection
maternelle et infantile et tous les autres centres extérieurs (municipaux, CPAM,
Croix-Rouge, associatifs...) pour une même ville créant ainsi des circons-
criptions (une ou plusieurs villes) pour lesquelles nous sommes référentes.
Nous sommes actuellement une douzaine de psychomotriciennes dont
huit à plein-temps.

2. Travail en crèche
Nous intervenons tant auprès des enfants que du personnel, aussi bien
dans des temps communs que séparés.
Nous participons au projet global du fonctionnement de la crèche :

2.1. Auprès des enfants


Nous proposons à tous les enfants des situations motrices, des jeux
moteurs, sensoriels et expressifs adaptés à l’âge de l’enfant et que chacun
s’approprie à son rythme. Nous laissons libre cours à la créativité et aux
initiatives des enfants pour faire évoluer le jeu. Par l'aménagement d’un
espace et d’un cadre de jeu, nous mettons l’enfant en situation d’agir de
108 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

découvrir le matériel, de mettre en jeu ou non sa motricité. À travers ces


différentes activités, nous visons à enrichir chez l’enfant le développement
de son schéma corporel, sa motricité globale dynamique, son équilibre, sa
motricité fine, son habilité et son expression.
Nous sommes particulièrement attentives, de par notre formation, à
l'expression d’un tonus harmonieux et d’une aisance motrice, ainsi que la
mise en place des repères temporels et spatiaux.
Ce travail s’effectue en collaboration avec le personnel sur l’organisation,
le déroulement et l’observation de ces moments d’échanges.
Nous pouvons nous rendre avec un petit groupe d’enfants, leurs auxiliaires
et/ou leurs éducatrices, dans la «salle de psychomotricité » lorsque celle-ci
existe, ou bien aménager un espace temporaire hors section (hall d’entrée,
jardin, couloir.), ou bien rester au sein même de la section.
Nous respectons le mode de participation de chaque enfant à l’activité,
qu’elle soit active ou dans l’observation.
Ce sont des moments privilégiés pour observer les enfants et penser à
d’autres temps de soutien plus spécifiques pour certains d’entre eux.
Nous tenons aussi à être présents activement lors des moments rituels de
la journée, tels les repas, les changes, les couchers, l’adaptation, les sorties.
et ce dans le but d’une meilleure compréhension de la vie quotidienne de la
crèche, et pour saisir l’enfant dans sa globalité.

2.2. Auprès du personnel


Le travail avec le personnel s’effectue à travers les échanges quotidiens et
les réunions institutionnelles autour des activités psychomotrices proposées
afin d’en expliquer les objectifs.
Nous souhaitons que l’équipe puisse se les réapproprier et les recréer
quand nous ne sommes pas là. En cela, nous sommes dans un processus de
formation interactive avec l’équipe. Nous contribuons ainsi à redonner une
certaine énergie professionnelle à un personnel quelquefois lassé.
Parallèlement à un souci actuel de la société concernant le respect de son
corps, la gestion du stress, et un certain confort personnel, nous sommes
attentives à introduire dans notre travail la dimension du confort corporel de
l’enfant conjointement à celui de l’adulte.
Par exemple :
— l’adulte qui donne un biberon à un bébé doit être confortablement installé
dans un siège adapté,
— réfléchir aux postures utilisées lorsqu'un adulte dépose un enfant au sol,
dans une qualité de portage et d'installation rassurante pour l’enfant.
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 109

2.3. Auprès des parents


En tant que membre de l’équipe (constituée d’une directrice puéricultrice,
d’un médecin pédiatre, d’une secrétaire, d’un(e) psychologue, d’une psycho-
motricienne, d’éducatrices, d’auxiliaires de puériculture, d’une lingère, d’une
cuisinière), nous participons aux rencontres avec les parents, qu’elles soient
générales ou à thème. Cela permet d'amener des éléments de réflexion avec
notre regard, de nous présenter et de rester disponibles si les familles ont
besoin de nous rencontrer.

2.4. Dépistage précoce et prévention des troubles psychomoteurs


La gestualité et la motricité étant le mode privilégié des jeunes enfants
pour exprimer leurs émotions, nous sommes fréquemment interpellées pour
des enfants qui inquiètent.
En relation avec l’équipe et à la demande du médecin de crèche, nous
observons plus finement l’enfant, ce qui pourra aboutir, avec l’accord des
parents, à la passation d’un bilan psychomoteur à la crèche ou dans le centre
de PMI le plus proche. Avec l’organisation du service des crèches (58 crèches
départementales), ce travail de dépistage nous a été demandé dans certaines
crèches où une psychomotricienne n’intervenait pas régulièrement : un travail
dit «de secteur », avec interventions ponctuelles en direction d’un enfant, a
ainsi été créé. Dans ce cadre de l’accueil d’enfants porteurs de handicaps,
nous participons aux réunions organisées avec « l’instance de Médiation et
de Recours », groupe de soutien départemental pour les équipes accueillant
ces enfants et nous participons à leur accueil dans les crèches.

2.5. Contacts avec l’extérieur

Il nous arrive fréquemment d’être en lien avec des structures extérieures


de soin (hôpitaux, CAMSP, CESAP, CMPP, médecins de ville, kinésithéra-
peutes, orthophonistes…) pour la cohérence du suivi de l'enfant.

2.6. Exemples cliniques : Lucie et Carole

2.6.1. Lucie
Lucie est une petite fille pour laquelle la crèche a interpellé l’équipe des
psychomotriciennes. Lucie « porte » une histoire familiale lourde, elle est la
troisième d’une fratrie de trois filles. La fille aînée est décédée de mort subite
à l’âge de 3 mois. Les raisons de ce décès ont été expliquées par une maladie
génétique dont les deux parents sont porteurs sains.
110 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

La deuxième fille est née un an et demi plus tard. Elle n’est pas porteuse
du gène, son développement s’est déroulé normalement, elle a fréquentéla
crèche. Lucie est née quatre ans plus tard, elle est hétérozygote et donc
porteuse saine de la maladie génétique.
Le développement psychomoteur et psychoaffectif de cette fillette a été
source d’inquiétudes dès son plus jeune âge. Elle a été l’objet de nombreuses
consultations médicales spécialisées et d’une surmédicalisation.
Le terme d’autisme a été évoqué à son égard par l’équipe de la crèche.
Lorsque je rencontre Lucie, pour la première fois, elle a 11 mois, elle est
dans la section des bébés. Elle me regarde de ses yeux bleus intenses, et me
sourit. Toutefois, dès que je veux la solliciter, Lucie refuse et ferme les yeux.
Elle présente un fond hypotonique, avec une répartition du tonus peu
harmonieuse.
Elle n’a pas acquis la position assise, mais lorsqu’on la met assise, elle
garde longtemps cette position et ne cherche pas à en changer. Elle attrape
les objets, qu’elle observe avec intérêt. La pince fine n’est pas acquise. Je note
un retard psychomoteur certain ainsi qu’un trouble de la communication.
Toutefois, elle semble être dans une période dynamique de progrès, base sur
laquelle je vais m’appuyer.
La famille a fait une démarche au CMPP voisin où elle est reçue par un
médecin psychiatre consultant, et où Lucie bénéficie d’une prise en charge
mère/enfant en psychomotricité une fois par semaine.
Je viendrais régulièrement rencontrer Lucie au sein de sa section de
crèche, afin de mener avec les auxiliaires qui s’en occupent et avec son
éducatrice de référence une observation de son comportement, et un soutien
de l’équipe.
À 14 mois, Lucie est plus tonique. Nous observons que la maman la porte
le visage tourné vers l’extérieur pour les premières fois.
Le retournement dos/ventre est acquis. Lucie se met debout. Elle bouge
très peu, refuse qu’on la touche ou que l’on s’approche trop près d’elle, sinon
elle pleure. Toutefois, elle peut se montrer très câline à d’autres moments.
Quelques stéréotypies apparaissent au niveau des mains.
Lors du repas, elle s’active, gazouille, saisit sa cuillère pour manger, dit
non de la tête.
Lucie fait ses premiers pas seule à 26 mois. Elle tord parfois ses pieds
par terre, ne voulant pas les poser entièrement en contact avec le sol. Elle
dit «maman», joue au «coucou», et profite mieux de la dynamique de la
crèche. Elle est bien acceptée des autres enfants.
Actuellement, elle a 3 ans, elle est dans la section des grands, elle a obtenu
une dérogation pour rester une année supplémentaire à la crèche (réunion
avec l’Instance de médiation et de recours).
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 111

Au CMPP, en plus de la prise en charge hebdomadaire en psychomotricité,


elle bénéficie d’un groupe thérapeutique. Des consultations avec le médecin
sont également proposées aux parents.
Parallèlement aux progrès dans son développement psychomoteur, une
organisation psychotique semble se préciser (déambulations dans la pièce,
stéréotypies, elle joue avec sa salive), et le décalage avec les autres enfants
se creuse.
+ Quel a été le cadre institutionnel pour ce travail de secteur?
Le principal axe est le soutien, l’étayage de l’équipe pour l’accompa-
gnement dans l’accueil de Lucie à la crèche.
Je suis à la disposition du personnel pour parler des jeux adaptés pour
elle, tenter de répondre aux interrogations concernant son comportement,
noter ses progrès, affirmer que Lucie a sa place à la crèche, et expliquer le
lien entre le psychisme et le développement moteur. Nous avons pu ainsi
constater que c’est son organisation psychique qui a entraîné le retard psycho-
moteur et non le contraire.
Lucie n’est pas une «handicapée moteur ». Le but de mes interventions
est de susciter chez elle l’envie de bouger, l’appétence à jouer, le plaisir de
progresser dans son corps et dans la communication. Il fallait la stimuler tout
en respectant, ses défenses et l’arrêter dans ses stéréotypies.
Nous avons privilégié les pieds nus afin de solliciter le contact au sol et
la sensorialité, quand elle acceptait.
J'interviens volontairement à distance auprès d’elle et ne viens qu’une
fois tous les quinze jours étant donné, d’une part son opposition, d’autre part
pour préserver le lien quotidien tissé avec son éducatrice et les auxiliaires
de la section, et surtout pour laisser le CMPP dans son rôle thérapeutique et
transférentiel auprès d’elle. |
Nous sommes d’ailleurs attentifs, dans le but de la globalité de la prise
en charge de cet enfant, à organiser au sein de la crèche, en présence de la
directrice, du médecin et de la psychologue de la crèche, des rencontres
régulières avec l’équipe du CMPP (environ deux fois par an), et à mettre en
commun nos observations et nos projets.

2.6.2. Carole
Une demande de secteur arrive au groupe des psychomotriciennes. Une
directrice de crèche et son équipe signalent l’inquiétude qu’ils ont pour
Carole, 20 mois. Elle présente des gros troubles d’équilibre, une non-acqui-
sition de la marche, elle se tient debout et se déplace avec appui de façon
très prudente. Elle a peur d’être bousculée par les autres enfants.
112 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Quand je la rencontre pour la première fois, elle était isolée, se proté-


geant dans un coin, très présente aux autres, observant ce qui se passait autour
d’elle, se déplaçant sur les fesses quand elle en avait envie. C’est une petite
fille assez tranquille, plutôt ronde. Quand je me présente à elle, je suis frappée
par la qualité et la richesse de ses mimiques. De plus, répondant à une de
mes sollicitations, elle me montre de son index une de ses oreilles. Carole
ne voulait pas que je l’approche trop vite. J’ai demandé à l’équipe d'observer
son comportement dans différentes situations (jeux, fatigabilité, équilibre et
qualité du langage). Carole avait un retard de langage. Quelquefois quelques
mots isolés étaient exprimés. Nous avons pris du temps avec l’équipe pour
confronter nos observations. Nous posons alors l’hypothèse d’une hypo-
acousie. Le médecin de la crèche effectue alors un test sonore («Moati »)
moyennement concluant. Après une rencontre avec les parents qui n’étaient pas
très inquiets, le médecin de la crèche oriente l’enfant vers une consultation
ORL. Il est découvert des tympans cicatriciels suite à des otites. Carole a de
l’eau derrières les tympans altérant son équilibre et son audition. «Elle entend
comme dans une piscine.» Une intervention chirurgicale est programmée deux
semaines plus tard pour ponctionner le liquide. Une semaine après l’inter-
vention, Carole descend de sa poussette et marche seule. Nous convenons,
avec l’équipe et les parents, de continuer une aide psychomotrice à la crèche,
car Carole doit se réapproprier son corps, travailler son équilibre et s’adapter
au groupe.
Elle a été coopérante dans ce projet, tout en exprimant aussi ses moments
de fatigue ou de refus. J’ai sollicité Carole soit seule, soit avec d’autres enfants,
et en l’espace de deux mois elle a récupéré un niveau psychomoteur et une
aisance corporelle satisfaisante. Le langage s’est mis en place parallèlement.
Ce travail de secteur a rassuré l’équipe quant à sa propre capacité à dépister
des difficultés chez un enfant.
Ce travail d'observation et d’une prise en charge précoce a aussi permis
à Carole de montrer ses réelles compétences.

3. Travail en PMI

Les travaux sur la spécificité du développement de l’enfant (croissance,


développement neuro-moteur, puis psychologique et cognitif) se sont multi-
pliés récemment ainsi que le champ psychanalytique et son application au
monde de la petite enfance.
Dans la même mouvance, la compréhension des phénomènes culturels
dans les interactions précoces (travaux d’ethnopsychiatrie) nous ont aidé à
recevoir les populations migrantes.
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 113

C’est sur la base de ces réflexions théoriques que le travail s’est Organisé
sur le département de la Seine-Saint-Denis.
La double interrogation en psychomotricité du tout petit concerne à la
fois l’exploration de son développement neuro-moteur, l'harmonie de ce
développement et l’investissement libidinal du corps.
L'évaluation des compétences de l’enfant, ses possibilités sensorielles
motrices et relationnelles, l'évaluation de ses difficultés nous permettent
d’ajuster le projet de travail.

3.1. Orientation du travail selon différents modes

La force du travail en PMI réside dans la précocité d’intervention d’obser-


vation que nous proposons aux familles, dans un lien facilement abordable.
Notre travail s'organise donc selon différents modes d’intervention :
— Observation, accueil en salle d’attente au moment de consultations médi-
cales, lieu privilégié pour regarder vivre l’enfant et sa mère, avec ses pairs.
Il arrive fréquemment que le médecin nous appelle alors dans le cabinet
médical pour nous présenter une famille afin de nous orienter l’enfant.
— Temps de prise en charge de la PMI, mais aussi parfois à domicile quand
cela est nécessaire (ex. : suivi de prématuré).
— Réunions avec l’Équipe de la PMI à la fois pour le fonctionnement géné-
ral, mais aussi dans le cadre de réunion « Enfant en danger » par rapport
aux enfants que nous suivons. L'accueil des familles au cours des consul-
tations permet à chacun d’entre nous de percevoir l’enfant et sa famille
dans différentes situations. Nous pouvons en reparler, ajuster ainsi le
projet d’accueil, de prévention, de soins, d’accompagnement des parents.
— Lorsque l’enfant est porteur d’un handicap avéré, l’orientation vers des
structures plus adaptées peut prendre plusieurs mois (mise en confiance
de la famille, reconnaissance du handicap de l’enfant et disponibilité des
établissements).
— Étant donné les listes d’attente (parfois un an et demi) dans les structures
d’accueil ou de soins (CAMSP, hôpitaux de jour, SSAD), nous assurons
alors la prise en charge afin de ne pas laisser les enfants sans soin, les
familles livrées à elles-mêmes, démunies face au handicap.
— Il nous arrive de participer à des réunions pluri-professionnelles et de
rencontrer les différents partenaires sur la ville quand cela est souhaitable
pour le suivi des enfants (médecins de ville, services sociaux, école, assis-
tantes maternelles, crèches, CMP, sages femmes, hôpitaux.….).
— Depuis peu de temps, une réflexion est menée sur le suivi médical et les
soins aux enfants placés par l’Aide sociale à l'enfance dans des familles
d’accueil. Des bilans nous ont été demandés et des suivis de plus en plus
PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

fréquents s’organisent aux domiciles des assistantes maternelles ou en


PMI. Nous sommes amenées aussi à rencontrer les parents.

3.2. Pour quel type de troubles sommes-nous appelées?

3.2.1. Chez le tout petit


Perturbation du tonus musculaire (hypotonie ou hypertonie).
Les manques de stimulations et d’éveil.
Les états d’excitation, les états d’irritabilité, les pleurs excessifs.
Les troubles du rythme du sommeil.
Les troubles sensoriels et moteurs.
Le suivi de prématurité.
Les fœtopathies et troubles associés, les suivis d’enfants porteurs de handi-
cap (IMC, neuro, génétique, transitoire..….).
Les perturbations dans l’installation des interactions.
Les troubles de la communication chez l’enfant.
Les difficultés de portage et de contenance chez la mère.
Mais aussi pour les mères fragiles et carencées, un travail d’étayage et
de soutien pour elles afin qu’elles puissent en retour contenir leurs
enfants.

9.2.2. Vers un an
Vers un an, dans la continuité ou non des signes précédents :
Les retards psychomoteurs (station assise, station debout..….).
L’inhibition ou l’irritabilité.

3.2.3. Chez l'enfant plus âgé


Les capacités d’adaptation face aux besoins de l’enfant (besoins affectifs,
moteurs...).
Les difficultés de distanciation mère/enfant.
Inhibition ou instabilité.
Les limites et notions éducatives posées à l’enfant face à ce qui se joue
autour de l’agressivité, des violences corporelles.
Les troubles de l’équilibre, de coordination, les difficultés de mise en
place des bases de l’espace et du temps.
Les difficultés d'adaptation scolaires et processus cognitifs perturbés en
rapport avec le développement de l’image du corps.
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 115

3.2.4. Pour des enfants porteurs de handicap lourd


Pour des enfants porteurs de handicap lourd, précocement révélés, notre
travail consiste à une prise en charge la plus précoce possible dans la pers-
pective d’une orientation rapide vers des services de soins.

3.2.5. Un travail de soutien aux femmes est proposé


Certaines d’entre nous participent à des accueils mère/enfant organisés
en PMI en dehors des temps de consultations.
Des temps individuels de travail corporel, connaissance de leur corps,
détente, relaxation sont ouverts pour des femmes présentant des états de
déprime, d'abandon corporel ou maltraitant leurs enfants.
Notre spécificité en PMI est de travailler avec l’enfant et sa famille «au
tapis » : nous tenons particulièrement à proposer ce travail à la hauteur de
l'enfant : dans le concret de sa réalité corporelle ; dans une rencontre
parent/enfant focalisée sur les potentialités du petit.
Pointer les compétences psychomotrices de l’enfant, ses progrès, verba-
liser ses émotions permet de porter un autre regard sur lui. Nous tentons de
soutenir les parents par cette guidance précoce.

3.3. Cas cliniques en PMI : la famille B et Kamel

3.3.1. La famille B
Je rencontre Madame B et ses deux jumelles de 3 ans à la demande de la
psychologue de la PMI qui effectue, depuis un an, un travail de psychothé-
rapie pour les deux enfants nées prématurément, présentant toutes deux des
troubles psychotiques. Une des deux est plus touchée.La mère est reçue
seule par la psychologue une fois toutes les trois semaines.
Nous mettons ainsi en place une prise en charge conjointe psycho-
logue/psychomotricité pour recevoir cette mère et ses enfants.
Madame B est une femme très attachante, coquette soignée, extrêmement
bavarde et envahissante dans sa parole, ne laissant pratiquement aucun champ
d’expression à qui que ce soit. Elle a un énorme besoin de s’exprimer face à
toutes les angoisses qu’elle ressent de l’évolution de ses enfants, de son vécu.
Madame B a mis énormément de temps (rendez-vous manqués dans diffé-
rentes institutions, fuite en avant) avant qu’une relation de confiance puisse
enfin se nouer à la PMI, qu’un travail thérapeutique s’engage. Au fil des
semaines, la confiance de Madame B à mon égard s’est installée.
Face à la logorrhée de cette femme, à ses angoisses et à sa demande de
soutien personnel qui augmentent, nous lui proposons un travail corporel,
puis un travail de relaxation psychomotrice afin de lui offrir :
116 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

— un temps protégé qu’elle prendrait pour elle;


— un temps où elle va bouger, être à l'écoute de ses ressentis;
— un travail autour de ses plaintes corporelles, de sa fatigue dont elle
témoigne continuellement.
Elle se montra très ambivalente à cette proposition prétextant la charge
de travail à la maison. Un jour, elle se décida, après la première séance, à
venir tous les quinze jours.
Nous débutons alors le travail par des mouvements, des étirements, debout.
Malgré son tonus actif très élevé habituellement, elle soufflait beaucoup
trouvant cela difficile, se plaignant de douleurs. Elle exécutait ses exercices
très vite, riant d’elle-même, mais témoignant d’une séance à l’autre du bien-
être que cela lui procurait.
Peu à peu, nous avons cheminé vers un travail d'installation confortable
pour elle, au sol, afin de l’amener vers un apaisement et un travail de relaxation
psychomotrice. Elle s’est saisie de ces propositions se plaignant du peu de
bien-être au quotidien par rapport à ce qu’elle commençait à découvrir en
séance. Ses plaintes corporelles se sont multipliées : maux dé dos, de ventre,
difficulté à respirer, inquiétude, peur de la maladie.
Parallèlement à ce travail autour de l’installation, elle a pris mieux soin
d’elle à la maison, s’est souciée d’organiser des moments de détente (prendre
des bains, se mettre dans un fauteuil bien installée...) de prendre conscience
de sa respiration, souvent bloquée. Pendant ces temps passés ensemble, sa
parole était toujours envahissante, mais elle commença à « prendre du recul »
sur ce phénomène.
Puis nous avons abordé aussi des mobilisations, des « gantages », des
étirements doux, des massages de mains, des temps silencieux (fugaces), la
verbalisation sur ce qu’elle ressentait étant au début très difficile.
Nous avons constaté avec la psychologue, au cours des séances avec les
enfants, des modifications de son comportement et un niveau de réflexion et
d'élaboration qui évoluait. Elle commençait à se taire, se contenir, respecter
le temps des enfants, ne pas projeter sans cesse ses angoisses.
Ainsi le cadre thérapeutique mis en place et le travail corporel centré sur
elle lui ont permis de construire un début d’intériorité, d’apaiser certaines
angoisses et de laisser une empreinte, base de sécurité hebdomadaire.
Nous avons fait attention avec cette femme « débordante » de construire
un cadre cohérent et sûr :
— des horaires et des dates bien repérés : ouverture d’un carnet;
— une régularité des séances;
— des ritualisations d’installation dans les séances;
— une cohérence de discours entre la psychologue et moi.
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE ile

Peu à peu la parole s’incarnait davantage, elle se tenait plus tranquille. Il


m'est arrivé fréquemment lors des séances communes avec les enfants de
me tenir assez proche d’elle, l’encourageant de mon regard à ne pas intervenir,
à des moments où ses filles commençaient à s'exprimer plus librement.
Nous avons eu de nombreux moments d'échanges avec la psychologue
pour mieux analyser les degrés d’interactions, de transfert et contre-transfert
qui se jouaient entre nous cinq et tenir le projet de travail. La psychologue
l’accompagnait dans ce qu’elle vivait par rapport aux enfants.
Elle a commencé en séance de relaxation à faire des liens entre ce qu’elle
ressentait et certains vécus émotionnels douloureux (liés à sa culture, à la
mort de son père, à l’hospitalisation de ses filles prématurées.….), puis
Madame B a pu aller consulter pour elle-même le médecin malgré son refus
initial, afin de se faire suivre médicalement.
Au cours de ce travail qui a duré de nombreux mois, étayé par le travail
corporel, sa parole a pris corps. D’un travail d’enracinement en relation
psychomotrice, elle a fait des liens sur son propre enracinement dans la vie,
un travail de renaissance à elle-même, et à ses propres enfants (au fil des
mois, les filles ont énormément changé accédant à un processus de séparation,
d’individuation, émergeant de leurs troubles).
Le fait d’avoir posé notre regard sur elle aussi, de l’avoir contenue, lui a
permis de pouvoir laisser le droit aux autres d’exister, naître à une vraie
parole, la sienne et celle de ses enfants, ancrée dans le corps et ses émotions.

3.3.2. Kamel
Kamel m'est adressé par le médecin de la PMI, il a alors 7 mois. Kamel
inquiète par son hypertonicité, un éveil permanent (il ne dort que par période
de 15 minutes), des troubles importants du sommeil, un état d’excitation. Il
est né à terme, bien-portant. C’est un premier enfant. À un mois et demi, il
est perçu comme très éveillé. Il a un traitement anti-reflux.
Quand je reçois la mère la première fois, et que nous nous installons tous
les trois sur le tapis, Kamel ne supporte pas d’être au sol (idem au domicile).
Il a constamment besoin d’être dans les bras de sa mère, érigé, explorant tout
du regard très vif, en alerte permanente, raide sur ses jambes, plutôt joyeux.
La mère se plaint d’être fatiguée car l’enfant la réveille deux à trois fois
par nuit pour téter le sein. Il a un rythme de nouveau-né, tête très souvent
dans la journée. Malgré les plaintes de la mère, je ressens chez elle et son
fils un grand bonheur à se retrouver ainsi jour et nuit. Il ne s’endort qu’au
sein et ne supporte pas quand sa mère tente de l’endormir seul dans son lit.
L appartement étant très petit, Kamel peut percevoir tous les déplacements
de sa mère.
118 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Afin de mieux comprendre le rythme de vie de ce bébé et ce qui entoure


les moments de sommeil, nous avons établi avec la mère une feuille de rythme
des journées et des nuits de Kamel. Ce support nous a permis de démarrer
la réflexion avec la mère et de commencer à saisir les relations du bébé au
sein de sa famille, son installation concrète pendant les moments de sommeil.
Au cours de ce premier rendez-vous qui avait lieu en fin de matinée,
Kamel se montra très excité, extrêmement sensible au moindre bruit, au
moindre mouvement ambiant et en même temps il semblait très fatigué.
Peu à peu, en baissant les seuils de stimulation dans la salle (rideaux tirés,
installation calme de la mère afin d’abaisser son tonus), ceci l’amena vers
un niveau d'interaction gestuelle, vocale. plus calme. Cette mère avait
perdu confiance en elle dans sa capacité à apaiser son enfant, elle ne se sentait
plus compétente. Très peu de temps après, Kamel s’endort dans les bras de
sa mère alors qu’il ne dormait jamais le matin.
Puis le père arrive, pour rejoindre sa femme, entre dans la salle de façon
tonitruante, très excité et commence à stimuler son fils qui se réveille immé-
diatement et se dresse soudainement reprenant son état d’excitation antérieur.
Au travers de la prise en charge de cet enfant, 1l fallut ainsi travailler avec
les deux parents ensemble, mais aussi avec la mère seule, sur différents points :
— les particularités sensorielles de Kamel dont les seuils de réactions aux
stimuli auditifs, visuels, kinesthésiques, étaient particulièrement bas, et
mieux repérer ses signes de fatigue;
— il était important que les parents prennent conscience de cela pour leur
enfant afin de mieux adapter l’environnement sensoriel au quotidien, et
qu'ils jouent ainsi leur rôle de pare-excitation;
— la prise de conscience de l’excitabilité de leur enfant venait aussi inter-
roger le dialogue tonique instauré entre ce bébé et ses parents ; le père
notamment se montrant très excitant, assez immature et peu à l’écoute
des besoins de son fils. Ainsi que d’autres membres de la famille paternelle
qui intervenaient beaucoup auprès de l’enfant à l’encontre de l’avis de
sa mère ;
— il fallut aussi accompagner les parents vers un autre regard sur leur enfant :
prendre du plaisir à l’observer au sol (peu à peu Kamel avait accepté cette
position), le laisser évoluer au sol sans sollicitations corporelles perma-
nentes et faire respecter l’enfant au sein de la famille;
— j'eus à faire avec Kamel un travail de mobilisations douces, de régula-
tion tonique car il se montrait particulièrement raide de tous les muscles
postérieurs. Peu à peu, 1l parvint à se détendre et à accepter de jouer, de
découvrir tranquillement les mouvements au sol, les jouets sans être dans
une attente relationnelle excessive. De mon côté, il était nécessaire d’offrir
à la mère un étayage afin qu’elle accepte de voir son fils prendre un peu
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 119

d'autonomie par rapport à elle. et de pouvoir reproduire ces moments,


seule à la maison avec lui;
— dans un registre plus psychologique, il fallut comprendre l’enjeu que
représentait Kamel pour la mère, le père et les grands-parents paternels
(la famille de Madame étant au pays). Tous les week-ends passés chez
les grands-parents allaient à l’encontre du respect du rythme de l’enfant,
du respect de ses besoins et d’une grande souffrance de la mère à ne pas
pouvoir protéger son enfant. Son mari n’osait pas intervenir face à sa
famille. ce qu’il put faire peu à peu.
La mère, très isolée et psychologiquement fragile, refusait un accompa-
gnement par la psychologue du centre de PMI.
En plusieurs semaines, la situation évolua favorablement, Kamel était
beaucoup moins excité, jouait seul, développant sa motricité et ses compé-
tences. Avec l’aide du médecin et grâce au travail de prise de conscience de
la mère, Kamel évolua aussi dans ses rythmes alimentaires et l’introduction
d’une alimentation solide en plus du sein fut possible (ce que souhaitait la
mère mais que Kamel refusait jusqu’à présent).
Il a pu retrouver un rythme de vie adapté à son âge dans la journée, se
détendre. Les réveils nocturnes perduraient encore, avec moins de fréquence
et d'intensité quand la mère annonça son déménagement.
Ainsi, au travers de ce travail, les parents ont pu cheminer vers un autre
regard sur leur enfant, une meilleure connaissance des besoins fondamentaux,
apprendre à y répondre et toucher du doigt la place que Kamel prenait dans
la dynamique familiale.

3.4. Réflexions
Il se tisse des liens particuliers quand on reçoit un enfant avec sa mère,
ou une femme pour un travail corporel.
— La mère présente son enfant à une autre femme. Quand l’alliance théra-
peutique est faite, nous prenons une place symboliquement maternante.
La relation s'inscrit dans le transgénérationnel.
— En prenant soin du confort corporel de l’enfant, mais aussi de celui de la
mère, un double étayage se fait : celui de l’enfant, sollicité d’une autre
façon, sous le regard de sa mère. Nous l’invitons à découvrir ses capacités ;
celui de la mère, qui en ce lieu peut trouver le temps d’être proche de ses
ressentis, trouver le soutien pour les exprimer (pour elle-même et par
‘rapport à son enfant). De l’archaïque des sensations à la représentation,
une autre façon d’être elle-même et d’être avec son enfant se tisse, narcis-
siquement plus solide.
120 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Le travail de relaxation et le travail corporel proposés aux mères en diffi-


culté, leur permettent de trouver en elles des ressources pour devenir mère
à leur tour.

4, Travail de formation

4.1. Intra-muros

Nous organisons, quatre fois par an, une semaine de formation «intra-muros »
pour les personnels des crèches et des PMI. Bien que ces stages soient ouverts
à tous les corps professionnels, les auxiliaires et éducatrices de crèche sont
majoritaires.
Les stages se déroulent sur une semaine avec une introduction le vendredi
après-midi précédent, et pour certains stages une journée de rappel (2 à 3 mois
plus tard).
Nous sommes deux psychomotriciennes par journée et cinq sur la semaine.
Nous recevons une quinzaine de stagiaires.
Les thèmes abordés sont les suivants :
— la psychomotricité et le développement de l’enfant;
— le jeu et les activités ludiques au regard du développement psychomoteur ;
— l'observation de l’enfant et les signes d’alerte corporels et comporte-
mentaux.
Notre objectif est :
— d'enrichir la formation de base du personnel de crèche, à propos de ses
besoins fondamentaux;
— d’aménager la vie en collectivité;
— d’enrichir le travail d'observation au regard des communications non
verbales.
Nous tenons particulièrement, du fait de notre formation de psychomotri-
cienne, à solliciter les stagiaires sur le double registre de la réflexion théorique
et sur des mises en situations pratiques de jeux corporels, sensoriels, ludiques
et créatifs (dont de la relaxation), à leur niveau d’adulte.
Notre objectif, au travers de «ces pratiques », est de réveiller en elles des
sensations, un vécu, afin de développer une meilleure compréhension des
enfants, une véritable empathie pour les petits dont elles s’occupent.
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 121

4.2. Assistantes maternelles

Depuis 1997, les assistantes maternelles agréées par le Service de PMI


ont l'obligation
, . .
d’être formées (5 ans d’exercice professionnel minimum).
A / , . . Pad

Nous participons donc à ces sessions de formation.

4.3. Journées pédagogiques


Les équipes de crèche nous invitent régulièrement à travailler avec elles
lors de leurs « journées pédagogiques » où l’établissement est fermé aux
familles.
Les thèmes abordés peuvent être :
— l’aménagement de l’espace;
— le développement de l’enfant et ses besoins ;
— les communications non verbales ;
— les phénomènes de perception dans la communication ;
— les rythmes de vie.

4.4, Détachement

En tant que fonctionnaires des Collectivités publiques territoriales, nous


sommes autorisées à dispenser des formations ponctuelles en direction
d’élèves des écoles paramédicales et sociales : infirmières, puéricultrices,
auxiliaires de puériculture, éducatrices…
Le fait d’être formatrice dans notre champ de compétence nous oblige à
une prise de recul par rapport «au terrain », à une élaboration théorique et
clinique. qui ne peut s’enrichir que de notre pratique au quotidien auprès
des enfants et de leurs familles.

5. Conclusion
Notre profil de poste sur le service des crèches et de Protection maternelle
et infantile offre une grande diversité d’actions et d’interventions, de
rencontres avec de nombreuses familles et différents milieux professionnels.
Le fil conducteur reste le développement de l’enfant et son bien-être.
Il est à souhaiter que ce que nous avons développé depuis une vingtaine
d’années en collaboration avec les services qui nous emploient puisse ouvrir
à la réflexion pour la création et le développement de postes en psychomotricité.
122 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

BIBLIOGRAPHIE
LEVY J., L'éveil du tout-petit —- Gymnastique du premier âge, Seuil,1972.
PICKLER E., Se mouvoir en liberté dès le premier âge, Stock, 1979.
GRENIER et DEZOTEUX A.-M., «Prévention de la mauvaise insertion fami-
liale des nouveau-nés à risques de séquelles neurologiques hospitalisés dans
les unités de soins intensifs», Évolutions psychomotrices 1, 1989.
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ESF, 1985. 12e journée scientifique du centre de Guidance infantile de l’ins-
titut de puériculture de Paris.
LEBOVICI S. et STOLERU S. , L'enfant, la mère et le psychanalyste, Païdos
Centurion — Les interactions précoces, 1983.
ATHANASSIOU C. et JOUVET, L'enfant et la crèche, Collection «L'Enfant »,
Cesura, Lyon, 1987.
MOZERE L., Le printemps des crèches, Éd. L'Harmattan, 1992.
œ GORDON C. et POMARES, « Rôle de la psychomotricité en crèche ».
PESCI C., BLANCO I., DEVANNES I. et BEARN V. de, Psychomotricité en
PMI, Entretiens de psychomotricité - Expansion scientifique française, 1991.
Entretiens de Bichat.
Le toucher
Du corps touché aux jeux de l'imaginaire

CATHERINE POTEL

Sans doute mon expérience de travail auprès des nourrissons n’est-elle


pas étrangère à l’attention particulière que je porte au toucher, tant d’un point
de vue technique pour celui qui l’utilise comme outil de soins, que du point
de vue de ses effets dans la construction de l’identité humaine. Je veux dire
par là que le toucher, dont le psychomotricien a une certaine maîtrise du fait
de son intervention «à même le corps », m’amène à une réflexion qui concerne
autant un certain savoir-faire, que la prise en compte de cet engagement rela-
tionnel particulier que le toucher entraîne, tant du côté du thérapeute que du
côté du patient. Si j’ai choisi le mot effet (j'aurai pu aussi bien employer
«répercussions » ou « impact»), c’est qu’il me semble assez bien introduire
la difficulté que nous rencontrons souvent à nous définir en tant que «théra-
peute de la relation » alors même que certains choix de médiations nous
entraînent vers la rééducation ou la stimulation, qui sont des pratiques de la
psychomotricité mais ne constituent pas son champ exclusif. Le terme effet
(dont la définition est «ce qui est produit par une cause » et qui vient du latin
efficere qui veut dire «réaliser, exécuter ») implique une certaine «matérialité »,
une réalité causale dont découle un certain résultat. Quand nous touchons le
corps d’un patient, il y a effet direct, notamment sur le plan de la tonicité,
dans l’immédiateté de l’échange corporel. Or, et c’est ce que je vais tenter
de développer ici, il serait restrictif de considérer cette seule immédiateté
des effets du toucher. Sa portée symbolique, certes moins facile à percevoir
ou à évaluer, est au moins aussi importante, dépasse le registre de la commu-
nication corporelle qui se situe dans un «ici et maintenant » et l’inscrit dans
celui de la relation à soi et à un autre. Relation à laquelle le psychomotricien
attache la plus grande importance puisque ses intentions thérapeutiques
124 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

dépassent la fonctionnalité corporelle pour un but plus large : la construction


du sujet dans son identité corporelle et psychique. |
Si nous revenons au nourrisson, point de départ de ma réflexion, nous
pouvons faire une première remarque concernant le lien, à l’origine de la
vie, entre toucher et portage. Toute relation au nourrisson est toucher, contact.
Le toucher est alors indissociable du portage. Le corps tout entier est impliqué.
Un nourrisson a besoin qu’on le porte, qu’on le touche, qu’on lui parle, qu’on
lui donne à manger et à boire, sinon il meurt. Ce sont les conditions dans
lesquelles s’effectuent ces soins, qui vont être décisives pour son être en
devenir, en relation au monde. Plus tard, quand l’enfant grandit, le toucher
se dissocie du portage physique (puisque l’enfant a acquis une autonomie
notamment de déplacement), mais n’en perd pas pour autant sa qualité de
contenance psychique. Par exemple, pour l’enfant qui a mal, c’est autant le
bisou'et les bras qui entourent que le médicament donné qui le soignent. Le
contact est alors la traduction corporelle de la permanence d’une relation
maternante rassurante, consolatrice, protectrice et contenante.
L'impact du portage maternel dans la construction de l’enfant en tant que
sujet, si fondamental dans les premiers mois de la vie, les premières années,
n’est plus à démontrer. De nombreux auteurs tels Winnicott ou Anzieu, pour
ne citer qu'eux, ont considérablement enrichi notre connaissance quant aux
conséquences de l’attention maternelle envers le nourrisson, dans la consti-
tution de son identité. Et tous ceux qui comme moi ont une pratique avec les
bébés peuvent en mesurer au quotidien toute l’importance. Cette attention
maternelle — c’est-à-dire la façon dont la mère touche son enfant, le porte,
lui donne les soins corporels, est à l’écoute de ses besoins — est le fruit d’un
ajustement corporel et sensoriel de la mère, permanent et évolutif avec le
développement et la maturation de l’enfant.
Or, ce qui paraît si naturel à la mère l’est beaucoup moins pour celui qui
est extérieur à la relation mère/enfant. Quand, jeune adolescente, je fis pour
la première fois du baby-sitting, quelle ne fut ma panique quand je constatai
que rien de ce que j’inventais n’était efficace pour calmer le bébé dont j'avais
la garde ! Plus tard, jeune professionnelle, quand je rencontrai de nouveau
le monde des bébés, j’éprouvai encore peurs et craintes pour toucher les
bébés, tellement la fragilité apparente des tout-petits et leurs réactions au
moindre contact sensoriel m’impressionnaient. À la piscine !, les étudiants
stagiaires, s’ils vont très naturellement jouer avec les enfants de 2 ou 3 ans,
expriment les mêmes appréhensions quand il s’agit de prendre dans leurs
bras un tout-petit de 3 mois. Cette réaction bien normale n’est que l’expres-
sion de la perception (et du respect) de cette sphère fusionnelle qui entoure
la mère et son nourrisson. Porter et toucher un bébé — cette chose naturelle
pour une mère en bonne santé psychique — est affaire délicate, qui demande
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 125

une grande subtilité, tant dans nos sensations, nos perceptions, que dans nos
attitudes corporelles.
Mais cette subtilité du dialogue corporel ne concerne pas que la relation
aux bébés. Toucher l’autre est dans tous les cas un acte toujours complexe,
qui engage profondément. Chacun ne rencontre-t-il pas dans sa pratique des
situations qui parfois le surprennent, le déconcertent, le mettent en difficulté
quand justement il lui faut toucher le corps de l’autre et quel que soit cet
autre ? Qu'est-ce qui entre alors en jeu ?
Quand Mélusine (8 ans) commence à pouvoir investir sans trop d’an-
goisse ma présence, c’est directement à mon corps qu’elle s’adresse, comme
si cette connaissance corporelle était nécessaire à la reconnaissance d’un
autre et d'elle-même différente de cet autre. Et c’est de ce corps à corps
parfois difficile à accepter — il ne le serait pas tant si Mélusine avait le corps
de l’image qu’elle a encore d’elle-même, un bébé — que naît une relation où
le jeu vient relayer le besoin de contact, où les mots viennent symboliser le
désir et l’inscrire dans un temps présent et passé : «Si j'étais encore un
bébé ! »
Ceux qui travaillent avec des enfants ou des adultes psychotiques, autistes,
ou ayant des handicaps associés, sont confrontés au problème que pose une
proximité corporelle souvent obligée qui semble entretenir un lien de dépen-
dance ou une régression, aux dépens d’un projet visant l’autonomie. Dans
ces pathologies lourdes, on retrouve cette indissociation du toucher-porter,
le portage physique (par exemple dans l’eau, pour la toilette.) faisant partie
intégrante de la relation soignant/soigné. Cela met à mal certaines équipes,
dans des frictions relatives à des projets qui ont du mal à s’harmoniser.
Certains sont plutôt favorables à accompagner la régression (au risque d’être
trop dans le nursing), d’autres œuvrent pour un projet plus volontariste (au
risque de techniques conditionnantes et parfois déshumanisantes). Certains
plaident pour l’impact d’une dynamique relationnelle, d’autres pour des atti-
tudes plus contraignantes et éducatives. Bref, les avis très partagés suscitent
les tensions et animent les débats !
Sans forcément s’arrêter à des pathologies aussi lourdes, sans doute beau-
coup partageront-ils avec moi cette idée que le toucher est toujours proche
d’un «portage», si on considère sa valeur thérapeutique symbolique et
symboligène. Toucher, c’est en quelque sorte « porter l’autre » vers une
connaissance ou une reconnaissance de lui-même en tant que sujet. Quand
un psychomotricien touche un patient, même s’il est très attentif à la tech-
nique, il ne peut ignorer cette charge symbolique inconsciente, émotionnelle,
qui est à l’œuvre. On peut se demander si un certain «surinvestissement »
de la technicité du toucher ne trahit pas l’angoisse devant la mobilisation de
l’archaïque que j’évoque ici.
126 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Soulignons maintenant certains aspects importants du toucher :

— Le toucher dans la culture. Le toucher prend une valeur et un sens


différent selon les cultures. Dans certaines civilisations, il s’intègre naturel-
lement à la communication. Dans d’autres, il est au contraire objet de tabou
et d’interdit. Le toucher est affaire de symbole et il représente, dans la commu-
nication, des choses très différentes, selon que l’on appartient à une culture
ou à une autre.
— Le toucher aux différents âges de la vie. Le toucher est différemment
ressenti et utilisé selon l’âge. Pour le petit enfant, c’est le mode relationnel
le plus naturel, tant dans le refus que dans la spontanéité du contact. L'enfant,
en grandissant, acquiert le sens de la distance d’avec le corps de l’autre, les
mots prenant une place assez vite privilégiée dans notre mode de commu-
nication occidentale. Chez l’adolescent, le toucher est associé à une sexualité
naissante. La gêne du toucher, notamment vis-à-vis des parents, apparaît, de
façon quasi phobique quelques fois. Chez l’adulte, le toucher est fortement
influencé par la culture à laquelle il appartient, par les relations de couple
qu'il établit. Sa communication à l’autre, intégrant ou non le toucher, est
souvent en écho de la façon dont il a été lui-même touché, enfant (notamment
dans son rapport, en tant que parent, à ses enfants).
— Le toucher est lié aux sentiments. Quand on aime, on se rapproche.
Le rapproché corporel est une conséquence naturelle des sentiments d’amour.
Mais 1l joue aussi un rôle dans la haine, l’agressivité, la violence. L’agression
commence souvent par un contact, ou du moins par une réduction de la
distance entre les corps, qui menace car il y a là franchissement d’une barrière.
On peut parler d’enveloppe corporelle «extensive », qui maintient la distance,
qui garantit le minimum d’espace vital, et qui ne s’arrête pas seulement à la
peau mais comprend aussi ce volume d’air entre la peau et les corps étrangers,
qui protège. Le toucher traverse l’espace de protection et introduit une relation
d'intimité.
— Le toucher a une valeur sexuée et le reconnaître est fondamental. II
vectorise, véhicule, l’identité sexuée de chacun. Il est forcément tributaire
ou attribut de cette dimension qui définit l’humain, qui détermine l’identité
du sujet. Selon qu’on est une femme ou un homme, un garçon ou une fille,
on ne touche pas pareil, on ne ressent pas pareil.
— Le toucher est toujours réciproque. Il n’y a pas de toucher sans réci-
procité. La forme grammaticale du verbe toucher introduit le rôle actif de
celui qui touche. Mais, simultanément, et c’est en cela que l’action de toucher
est complexe, la bipolarité « activité-passivité » est présente. Je touche et je
suis touchée dans le même temps.
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 127

Cela nous amène à préciser les différentes couleurs, selon le contexte,


que va prendre le toucher quand il est posé comme acte de soin. Dans certaines
professions médicales, le toucher est inhérent aux soins physiques : en kiné-
sithérapie, en médecine, en chirurgie, le toucher est médiatisé par la dimension
même du soin au corps. L’acceptation par le malade de ce toucher passe par
la reconnaissance de ce soin et de celui qui le dispense. On peut dire également
que le soigné se met dans une certaine disposition, celle de la réceptivité,
voire de la passivité, de son corps. Ce qui ne veut pas dire que cette situation
soit exempte de toute répercussion psychique. Cependant, celle-ci est au
second plan des préoccupations du soignant. Et le soigné a peu l’occasion
de parler de ses éprouvés.
La situation est différente si la fonction du soignant — et c’est le cas pour
le psychomotricien — l’amène à s’intéresser au champ de la communication
non verbale. C’est alors la relation qui est le vecteur privilégié du soin. Et
plus la relation est archaïque, plus le passage par le corps et son langage est
importante. Le toucher intervient souvent là où il n’y a pas encore de mots.
Nous arrivons donc à une deuxième remarque : pour le psychomotricien, le
toucher est contenu dans une technique, maïs ne se limite pas à un acte pure-
ment technique. C’est peut-être ce qui est parfois le plus difficile à assumer
dans la définition subjective et objective de notre profession. Le psycho-
motricien pose comme hypothèse que le toucher est là pour faire advenir les
mots, pour aider à l’accession du registre symbolique. Utilisé comme moyen
de construction de deux espaces corporels différents, 11 va être vecteur de
symbolisation dans la reconnaissance de l’identité du sujet. Mais pour cela
il faut certaines conditions dont l’ensemble constitue le cadre thérapeutique.
Le cadre thérapeutique, référence essentielle, c’est bien sûr la formu-
lation des conditions, l'énoncé du travail qui va se faire ensemble, la prise
en compte de l'institution (prise dans son sens le plus large) qui limite la
fusion, la relation exclusive. Sans oublier le cadre théorique auquel on se
réfère.
C’est aussi le cadre psychique interne du thérapeute, c’est-à-dire la perma-
nence en lui de l’interdit de l’inceste. La garantie d’une sécurité «psychique »
portée par le thérapeute, aussi importante pour lui que pour le patient, va
limiter, éviter les effets de séduction qui pourraient naître d’un rapproché
corporel. Du toucher peut naître une érotisation, c’est-à-dire une excitation,
une émotion trop forte pour rester contenue et permettre au travail psychique
- de se faire. Le rôle de pare-excitation du thérapeute est fondamental. Et c’est
parce qu’il est attentif à ce qu’il est lui-même et à ce qu’il ressent en tant
qu'être humain porteur de valeurs symboliques qui sont, entre autres, ses
ancrages dans la loi œdipienne, qu’il peut prétendre à cet objectif. Tout comme
la mère qui touche son enfant, et qui ne le noie pas dans une fusion-confusion,
128 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

parce qu’elle est elle-même inscrite dans une triangulation symbolique


œdipienne.
Nous pouvons ici rappeler certaines règles essentielles qui garantissent
au toucher sa valeur de médiation symboligène :
— Le contact avec l’autre est une chose subtile, à manier avec précaution,
et ne concerne que certaines parties du corps. Il est évident que les parties
sexuelles ne sont jamais touchées. Le toucher, pour le thérapeute, ne peut
être confondu avec le « donner satisfaction ». Ce qui bien sûr n’interdit pas
le plaisir à toucher ou à être touché.
— Le corps de l’autre, comme son propre corps, ne peut être pris en otage.
Le toucher peut facilement devenir pouvoir, emprise que l’on exerce sur
autrui. Notre fonction de soignant ne nous protège pas obligatoirement des
pièges de la manipulation (manipuler ou être manipulé).

Parler du toucher, c’est donc forcément s’ouvrir à une réflexion beaucoup


plus large sur les interdits, les frontières et les limites entre soi et l’autre, la
symbolisation, la parole qui garantit l’existence, et enfin les sentiments. Nos
émotions sont particulièrement sollicitées quand nous rencontrons un être
dans une relation de peau, une relation faite d’intuition. Le sens figuré de
l’expression «être touché » introduit la dimension de l’émotion. Je suis émue,
je suis touchée. Il y a là un lien direct au corps, aux émotions du corps et du
cœur. Cette réciprocité nous intéresse au plus haut point quand le toucher
est au cœur même de la relation thérapeutique.

Les deux enfants dont je vais parler sont suivis dans un établissement
spécialisé (un EMP, externat médico-pédagogique 2) et souffrent de psychose
infantile. Malgré leur grande différence, dans un cas comme dans l’autre, on
constate la même difficulté à jouer, à se raconter, à s’exprimer. Le champ de
leur imaginaire est barré du fait même de leur difficulté à symboliser et à se
construire. Cette difficulté de représentation les enferme dans l’angoisse,
une angoisse souvent collée au corps qui a du mal à trouver une issue dans
des activités d’expression, dans le jeu. Pour eux, la médiation corporelle va
être d’autant plus importante que c’est leur corps qui parle une souffrance
indicible.
Dans le premier cas, le toucher est intégré à une technique précise (la
relaxation), médiatisé et codifié par le dispositif mis en place. L'enfant,
comme le thérapeute, le repère comme un temps particulier de la séance,
l’associant au plaisir et à la détente. Il est une aide à la prise de conscience
de l’intérieur et de l’extérieur du corps, des limites corporelles. Nous sommes
déjà dans un terrain d’échange et d’élaboration. (Il s’agit pour cet enfant
d’une fin de parcours institutionnel, après quatre ans de prise en charge.)
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 129

Le deuxième cas évoque un mode de relation essentiellement infra-


verbal, le toucher étant le premier moyen de communication. Il est moins
repérable «techniquement ». Il est contact corporel, conséquence de la
qualité relationnelle que l'enfant instaure dans sa recherche archaïque de
fusion.

1. Quand la représentation est une souffrance


Grégoire a 10 ans au moment du travail qui va être exposé. C’est un bel enfant
métis, d’origine antillaise. Il a été orienté en institution spécialisée (EMP) à l’âge
de 7 ans, après un parcours scolaire maintenu jusqu’en CEI , compte tenu de ses
difficultés d'apprentissage et de relation avec les autres enfants de sa classe. Un
travail individuel de relaxation lui est proposé, où la mobilisation corporelle
segmentaire est suivie par un temps de parole ou de dessin. Par l’expérience du
toucher dans la relaxation et la verbalisation de ses sensations, Grégoire va peu
à peu prendre conscience de ses limites corporelles et trouver un plaisir à dessiner,
représenter, inventer des histoires, raconter « quelque chose ». Chemin non sans
écueil puisqu'il lui faudra traverser des moments d’intenses émotions, vivre
dans son corps des sanglots muets exprimant toute sa souffrance enfouie.
Émotions qui me laissent moi-même déroutée et face à des questions souvent
sans réponse.

Notre première rencontre :


À son arrivée à l’EMP, je fais passer à Grégoire un bilan psychomoteur.
Celui-ci ne révèle pas de difficultés majeures si ce n’est une grande agitation
motrice qui se manifeste par des plaintes corporelles, des écroulements
fréquents au sol et un besoin constant de se rassurer dans le reflet que lui
renvoie le miroir. La structuration du schéma corporel est bonne. Par contre,
Grégoire a du mal à se repérer dans l’espace et les notions de base sont incer-
taines, voire confuses. La représentation du corps dans le dessin est en grand
décalage avec son âge réel et ses capacités motrices et mentales. Le dessin
du bonhomme est celui d’un enfant de 3 ans, témoignant d’une image corpo-
relle très régressée. En fin d’entretien, je lui demande ce qui était difficile
pour lui à l’école :
G.: «C'est parce que la chose dans ma tête m’empêche de travailler.
Moi : — La chose ? Quelle chose ?
G.: — Oui, c’est un secret.»

Je le saurai par la suite, cette chose terrible dont parle Grégoire est une
chose ronde qui le poursuit en proférant des injures, qui l’habite, le tourmente,
le persécute, l'empêche de penser.
130 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Quelques éléments de son histoire :


Avant de continuer sur le travail corporel entrepris avec Grégoire, revenons
sur quelques éléments de son histoire.
Grégoire est le deuxième enfant d’un couple d’origine antillaise. Son
frère aîné est beaucoup plus âgé que lui.
La grossesse est difficile et la maman dira à propos de la naissance de cet
enfant : «Il avait 35 % de chances de naître.» C’est une femme déprimée qui
reporte toute son anxiété sur l’enfant, dans une relation fusionnelle et projec-
tive. Grégoire est l’objet de son angoisse permanente, elle l’entoure de ses
propres préoccupations souvent infiltrées de pensées magiques empruntées à
sa culture. Le père, quant à lui, participe peu à l’éducation des enfants. Il
semble que dans cette relation entre la mère et son bébé, inscrite dès le départ
sous le sceau de l’angoisse, ce père n’ait pas trouvé de ressource en lui pour
faire tiers. La mère se plaint beaucoup de l’insuffisance de son intervention
ainsi que de son éthylisme. Dès son entrée à l’école maternelle, Grégoire
montre des difficultés d'adaptation. Il est nerveux, agité, fait des crises de
nerfs. La mère le décrit ainsi : «Il est malade des nerfs, c’est comme s’il
avait un double en lui : un bon et un méchant.»
Quand Grégoire a 7 ans, le frère aîné (majeur) est victime d’un accident
impressionnant puisqu'il est touché à la tête par une balle perdue, tirée par
un voisin rendu fou par le bruit de la cité. Cet accident perturbe toute la
famille y compris Grégoire qui semble reprendre à son compte l’accident de
son frère sur un mode délirant : La chose ronde.
En classe, Grégoire est en grande souffrance. Il montre des blocages de
plus en plus importants dans les apprentissages, ne peut plus produire de
traces écrites, et son agitation permanente empêche toute concentration. Des
phases de régression alternent avec des crises où il semble perdre la maîtrise
de son corps. Toutes ses capacités et son intelligence sont entravées par une
angoisse intense.
La souffrance de Grégoire nécessite une structure soignante. À 8 ans il
est admis à l'EMP (externat médico-pédagogique). Après trois ans de prises
en charge diversifiées tant sur le plan scolaire que psychologique, l’évolution
de cet enfant est favorable, ses attitudes interprétatives ont disparu, ses progrès
dans les apprentissages sont importants. Persistent une fragilité narcissique,
une grande vulnérabilité, et peu d’évolution dans tout ce qui concerne les
activités graphiques d’expression.

La prise en charge :
Depuis son entrée à l’'EMP, j'ai souvent eu l’occasion de travailler avec
Grégoire, dans des médiations différentes en groupe. L’un des accrochages
relationnels entre lui et moi s’est fait à l’occasion du groupe piscine. Grégoire
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 131

était terrorisé par l’eau et, au bout de deux ans, a appris à maîtriser sa peur,
à trouver du plaisir dans l’eau, tant pour jouer, que pour apprendre à nager
et à plonger. Il est très fier de ses progrès. C’est une valorisation narcissique
importante pour lui.
La prise en charge en psychomotricité va évoluer vers un travail individuel
en relaxation étant donné la grande agitation de Grégoire et sa demande de
moments calmes. Cette agitation est-elle l’expression d’un état d’angoisse latent
qui trouve ainsi sa résolution illusoire ? Permet-elle à Grégoire d'échapper ainsi
au monde des pensées jugées trop «dangereuses » ? La perte de la maîtrise
de son corps dans des moments de débordement provoque-t-elle une angoisse
si intense que toute activité de représentation en est paralysée ?
Toujours est-il que Grégoire, dans ce cadre très contenant présentifié par
la salle et la relation duelle, sollicite ces moments de détente où il peut ne
plus bouger, «se reposer » comme il le dit lui-même. Malgré son plaisir à
être allongé, Grégoire est tendu et se plaint fréquemment de douleurs muscu-
laires. Son visage est crispé, il a du mal à fermer les yeux. Quand je mobilise
ses bras, ses jambes, 1l a tendance à anticiper le mouvement. Par contre un
sourire de bien-être apparaît à ce contact. Cette régression autorisée lui est
bénéfique. Après la relaxation, 1l est capable de traduire verbalement et de
manière assez fine ce qu’il a ressenti. Le contraste est frappant entre la mise
en mots de ses sensations corporelles d’une part, et la pauvreté de la repré-
sentation graphique d’autre part (dessin n° 1).
S’il ne refuse pas ce temps de dessin que je lui propose, il ne l’investit
pas pour autant. Aucune marque d’éléments affectifs, de ce vivant corporel
qu'il exprime dans ses mots. Un jour pourtant, il décide de ne plus dessiner
ses bonhommes les bras en l’air mais toutes ses tentatives se soldent par un
échec. Cette incapacité à réaliser ce qu’il désire le plonge dans un désarroi
proche de l’angoisse. La séance se termine et Grégoire, de retour en classe,
éclate en sanglots. Les pleurs ne cesseront qu’à l’heure du repas. Je suis
informée de sa grande détresse par son institutrice, et en reparle à Grégoire
la semaine suivante.
Moi : «Tu avais beaucoup de chagrin la dernière fois.
G : — Oui, j'arrive pas à faire les bras pas en l’air. Mon bonhomme, on dirait
un épouvantail. On dirait qu’il va s'envoler. C’est pas un oiseau pourtant !»

Par le biais de multiples situations alliant le ressenti sensoriel (quand


. je le touche) et la représentation de son propre corps, un nouvel espace
de jeu et d'échange va progressivement se créer entre nous. Le dessin va
cesser d’être vécu comme dangereux. Il devient terrain d’expérience et de
découverte.
132 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Dessin n° 1
Le dessin du bonhomme est schématique et immuable : un rond pour la tête
et cinq traits pour le corps et les membres. Aucun élément du visage, à part
les yeux, n’est représenté. Les extrémités du corps (jambes) vont chercher
la limite de la feuille. Seulement alors, peuvent être dessinés les pieds.

Jusqu’à présent, Grégoire était toujours très désorganisé dans l’espace de


la feuille. Quelle que soit la place qu’occupe son dessin, les jambes de son
bonhomme ne peuvent se terminer que lorsque le crayon rencontre le bout
de la feuille comme butée incontournable, cela créant une disproportion entre
le haut et le bas du corps, ce dont Grégoire se rend compte sans pour autant
trouver de solution satisfaisante. De même, il lui est impossible de dessiner
des contours, définir un dedans et un dehors, donner une épaisseur (dessins
Cp 2 jeà are dE

Pendant la relaxation, j'utiliserai différents moyens pour l’amener à


ressentir ses limites corporelles, son enveloppe :
— la mobilisation segmentaire.
— le contact d’une balle que je fais rouler sur son corps en lui demandant
de nommer, yeux fermés, les parties du corps concernées.
— lors d’une séance, je lui propose de s’allonger sur une grande feuille de
papier. Je tracerai au crayon ses contours. La silhouette ainsi dessinée
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 133

Dessin n° 2
Ici, Grégoire tente de se représenter allongé, en relaxation (tête sur le coussin
vert). Je suis dessinée à côté de lui. La tentative de différenciation par les deux
orientations différentes des corps (moi debout, lui allongé) échoue puisque
. mon personnage se retrouve, les pieds dans le ventre de celui qui est allongé.
Néanmoins ceci témoigne d’une véritable démarche dans la représentation.

Dessin n° 3
Le dessin se perd dans l’espace de la feuille. Cependant on peut remarquer
une plus juste proportion des segments corporels entre eux. Le triangle du
buste n’est toujours pas fermé et se prolonge encore une fois par les jambes
qui se terminent à la limite de la feuille.
134 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

impressionne beaucoup Grégoire qui n’imaginait pas être aussi grand. Il a


l’idée de découper tout autour, puis de colorier l’intérieur aux couleurs de
ses vêtements. Nous l’accrochons ensuite au mur.
— à partir d’un modelage qu’il réalise avec mon aide, Grégoire va faire
l’expérience du volume, de l’épaisseur nécessaire à donner au corps pour
que la figurine tienne debout (dessins n° 4 et n°5).

Ces différentes manipulations concrètes sont encore directement reliées


au corps et aux éprouvés dus à la motricité manuelle : pétrissage de la pâte
à modeler, découpage, modelage. Elles sont cependant des ponts vers un
début d’auto-représentation et permettent à Grégoire de dépasser le stade de
cette «projection du corps » et d’accéder à une symbolisation possible :
— en prenant conscience des limites de son corps.
— en s’interrogeant sur les notions de contenant, contenu, pour pouvoir
dessiner les vêtements par exemple.
— en appréhendant les notions de forme, de positions corporelles.
— en affrontant sa panique et son sentiment de nullité sans avoir à se réfu-
gier derrière un «je ne sais pas faire » stérile et insatisfaisant.

Grégoire, malgré ses difficultés qui l’amènent à rencontrer en lui-même


du désespoir, du chagrin, de la colère, va également trouver plaisir et intérêt
à cette recherche. Plaisir qui prend racine dans cette relation accompagnante
et contenante que suppose la relaxation. Il devient confiant, se détend beau-
coup plus, les plaintes corporelles sont moins systématiques, 1l peut fermer
les yeux, est moins dans un besoin de maîtrise lors de la mobilisation.
L’accession à la notion de volume et d’épaisseur va prendre corps dans
un projet nouveau : créer une petite bande dessinée. Le dessin est devenu
chose possible même si encore difficile et Grégoire aime inventer des histoires.

Histoire de Monsieur Ridicule

Monsieur Ridicule est un inventeur fou qui invente des choses ridicules pour
être plus grand et plus fort, comme par exemple un GROS crayon pour être bon
à l’école.
Critique par Grégoire de son héros : «II ferait mieux de faire de vraies inventions
intelligentes. Il est fou celui-là.»

Les dessins sont réalisés dans l’après-coup d’un jeu avec des personnages
que Grégoire a construits et qu’il anime comme des marionnettes. L'histoire
racontée est très longue et va de rebondissements en rebondissements. Sur
la feuille de papier, elle se réduit à quelques phrases et se transforme, mais
paradoxalement les personnages prennent une identité différenciée, ce qui
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE
135

Dessin n° 4
Ici on sent que Grégoire sent quelque chose d’un «plein corporel » mais
encore non limité. Il entoure de couleur les traits qui représentent bras et
jambes. Par contre, un rond fermé apparaît pour le ventre, ainsi que le sourire
du visage.

Dessin n° 5
Le personnage devient plus structuré et harmonieux. Grégoire cherche à
figurer les pieds. On voit particulièrement dans cette recherche difficile
combien il est question pour lui de ses limites corporelles. Le pied se prolonge
par une ligne horizontale, ce qui est un progrès puisqu'il n’a plus besoin de
la ligne inférieure de la feuille.
136 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

n’est pas le cas au départ. Un troisième personnage apparaît, le petit Pierre,


qui montre une complicité avec Monsieur Ridicule. Ils se racontent des secrets
dans le dos de l’inventeur fou. Une bagarre s’ensuit entre Monsieur Ridicule
et l'inventeur fou. Les personnages sont animés, en mouvement, ils ont un
visage, une consistance, des caractéristiques propres. Grégoire est heureux
et très fier de lui.

Une deuxième histoire va s’organiser autour d’un texte que Grégoire me


dicte. Les dessins seront réalisés paragraphe par paragraphe.
Le texte est restitué tel que Grégoire me l’a dicté.

La famille Cornichon (dessin n° 6)


Le petit garçon demande à sa maman de lui acheter un jouet : une petite voiture.
La maman dit (dessin n°7 ):
«Je ne peux pas te l’acheter, je n’ai pas beaucoup d’argent.»
Après il pleure (dessin n° 8).
Il demande à son papa de lui acheter un jouet : un avion (dessin n° 9).
Le père est d’accord pour lui acheter l’avion. Le petit garçon est content (dessin
n° 10).
Mais la maman dit au garçon (dessin n° 11):
«Mais tu es trop grand pour jouer à ça. J’ai pas beaucoup d’argent mais quand
même quand j’en aurai je pourrai te l’acheter à Noël» (dessins n° 12 et n° 13).

Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur le contenu même de l’histoire,


entre autres sur la position des deux parents face au petit garçon et leur riva-
lité pointée par Grégoire, ainsi que la réaction de la mère qui a pour effet
d’annuler la décision du père de contenter son fils. Sans doute y a-t-il là
matière à réflexion sur la problématique familiale dans cette lecture que nous
en donne Grégoire. Elle éclaire les conflits et les brouillages qui le gênent
dans ses mouvements d’élaboration et de structuration, notamment dans sa
difficulté à se défusionner de sa mère pour accéder à la position de fils de
son père. Néanmoins, le dessin final réunit la famille.
On remarquera au passage que les trois personnages sont dessinés en
volume, en mouvement, et leurs émotions sont clairement représentées, ce
qui contraste grandement avec les premiers dessins.
De mon point de vue de psychomotricienne, ce qui m'intéresse surtout, c’est
cette nouvelle capacité de l’enfant à utiliser les dessins pour «se » raconter, de
les organiser en tenant compte du rythme du récit et de l’espace « feuille
blanche ». Je ne veux pas dire, bien sûr, que le sens du contenu de l’histoire
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 137

m'indiffère, surtout quand elle fait référence aussi directement à l’histoire


même de Grégoire. Je n’en fais cependant pas un matériel à interprétation,
l’organisation et la structuration spatio-temporelle dont il fait preuve me
paraissent à elle seules largement suffisantes pour pouvoir dire que Grégoire
exprime là quelque chose d’important pour lui, qu’il est capable de traduire,
de structurer en pensées, et de transformer dans le champ de son imaginaire.

Chaque séquence va donner l’occasion à Grégoire de s’interroger :


— Qui est en scène ?
— Qui parle ?
— Quelle place pour chacun des personnages sur la feuille ?
— Quelles caractéristiques vont déterminer l’identité de chacun ?
— Comment exprimer l’émotion qui les anime aux différents moments de
l’histoire ?

Ce garçon qui ne pouvait arrêter son trait que lorsqu'il se heurtait aux
limites de la feuille — à l’image même de son agitation qui cesse quand il
rencontre l'épuisement corporel — montre l’évolution de son fonctionnement.
La discontinuité de la bande dessinée et le récit dans des scènes successives
sont rendus possibles par l'expérience de la continuité et des limites corporelles.
Autrement dit, les cadrages des dessins successifs viennent lorsque Grégoire
est plus assuré de son espace corporel propre et de son cadre interne.
Je terminerai par le grand plaisir de Grégoire à avoir pu dessiner le père
«Magnifique » (ce sont ses mots), chose non anodine quand on sait la place
de son père dans la famille, ainsi que son envie de montrer ce qu’il a pu
réaliser aux personnes de l’institution qui lui sont chères, notamment son
institutrice.

Commentaires

Ce parcours avec Grégoire, qui n’est que l’un des aspects de son évolution
dans le cadre intime d’une relation thérapeutique, montre le passage d’un
vécu sensoriel (par le toucher de la relaxation) à une représentation symbolique
(graphisme et récits inventés). Les éprouvés corporels, en s'exprimant et en
se médiatisant de différentes façons, ne restent pas dans la seule sphère du
corps mais sont matière à transformation dans la sphère de l’imaginaire et
du fantasme.
| Nous allons voir maintenant comment, chez une enfant beaucoup plus
régressée, ce passage est fortement compromis par des angoisses archaïques
corporelles de dévoration, de démantèlement, d’anéantisation. C’est alors le
sentiment même de l’identité et de l’existence qui est en péril.
138 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Dessin n° 6

Dessin n° 7

Dessin n° 9
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE
139

Dessin n° 11

Dessin n° 12 Dessin n° 13

Des 0 70,7, 10 11, 12713.


Chaque dessin mériterait son commentaire. On peut évoquer l’évolution des per-
sonnages tant dans les différents rapports entre eux mis en éclairage (dessinés seul
ou en relation), que dans leurs émotions traduites au niveau des traits du visage,
leurs mouvements, les effets de perspective (par exemple dans le dessin n° 7 ou
n° 11), les différences de vêtement qui marquent la féminité ou la masculinité…
On voit donc très clairement à travers ces quelques dessins les progrès dans la
représentation de Grégoire, progrès qui se font en parallèle avec le sens que les
choses prennent pour lui.
140 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

2. Quand le sentiment d'exister est en souffrance


Mélusine, toute blonde, la peau diaphane, comme transparente, donne cette
impression toute particulière de n'être jamais sortie dehors, de ne s’être jamais
frottée aux choses, aux objets, au monde. Elle ne marche pas, elle glisse à petits
pas sur le sol, sans jamais pouvoir s’appuyer réellement. Ses mains agitées d’un
tremblement incessant, jamais ne saisissent, jamais ne prennent. Mélusine ne
joue pas. Elle cache constamment ses yeux, comme si la lumière trop violente
d’un regard pouvait la brûler. Quand elle s’approche de moi, elle semble se fondre
dans mon corps, les limites entre nous n’existent plus. À travers l’histoire
commune entre Mélusine et moi, nous verrons en quoi et comment ce mode
d'approche corporel et relationnel — parce qu’il va aux fondements mêmes de
l'identité — est l’un des abords thérapeutiques fondamentaux pour ces enfants
psychotiques dont la symptomatologie lourde prend parfois l’allure de retraits
autistiques.
Pour accueillir leur étrangeté corporelle. Pour les accompagner dans un espace
d'échange, quand le jeu est encore inexistant, quand la rencontre avec un autre
est trop brûlante ou ne peut s’établir que sur un mode fusionnel annulant les
limites corporelles entre l’un et l’autre.

Quelques éléments de son histoire :


Mélusine, que j’ai surnommée ainsi en raison de sa blondeur et de son
évanescence corporelle, est une petite fille de 8 ans quand je la rencontre.
Elle est admise à l’EMP à la suite d’une scolarité tellement difficile qu’im-
possible à poursuivre sans une prise en charge dans un établissement
spécialisé.
Mélusine est l’aînée, elle a une petite sœur. Son père est un homme d’af-
faires, très souvent en déplacement. Sa mère reste à la maison pour s’occuper
de ses enfants. C’est une femme très déprimée. La dépression aurait
commencé alors qu’elle attendait Mélusine. Celle-ci est née à l’étranger, ses
parents vivant là-bas pour raison de travail. La petite fille a été gardée par
de nombreuses nourrices. Il semblerait que cette non-permanence des soins
du bébé ainsi que la dépression maternelle aient eu des conséquences drama-
tiques sur le développement psychoaffectif du bébé, qui a accumulé des
retards de plus en plus importants. Les parents, soucieux de l’état de Mélusine,
se sont décidés à revenir en France pour faire suivre la petite fille.
Le diagnostic porté sur cette enfant oscille entre névrose grave et psychose.
En m'appuyant sur ce que j'ai ressenti dans cette relation à Mélusine, je
décrirai quant à moi un fonctionnement non homogène, tantôt teinté de
psychose fusionnelle, tantôt s'exprimant par des traits quasi autistiques. Et
il est aussi vrai que, parfois, des lueurs dans ce fonctionnement opaque me
font espérer pour elle des processus plus névrotiques.
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 141

La prise en charge :
Mélusine est une petite fille transparente, qui ne fait pas de bruit. Quand
elle parle, sa voix est chevrotante, souvent inaudible. Sa corporéité, c’est-à-
dire la manière dont elle investit son corps, montre une réelle souffrance. Elle
paraît vite apeurée. Tous ses mouvements sont ralentis, ses gestes tremblants.
Quand elle arrive dans la salle de psychomotricité, elle s’assoit sous l’ins-
trument de musique protégé par une couverture et voile son visage avec celle-
ci : « Je suis cachée. » Sa voix, habituellement monocorde, trahit une certaine
excitation qui laisse penser qu’il se passe quelque chose d’important pour
elle. Je saisis la perche qu’elle me tend et tente de jouer avec elle à cache-
cache. Mais Mélusine ne joue pas. Ce qui pourrait apparaître comme une
incitation à jouer va vite se révéler sans issue. Se cacher pour elle, c’est
couvrir Son visage et notamment ses yeux, avec ses mains ou avec un quel-
conque objet. Le reste de son corps ne compte pas. Dans ce jeu qu’elle semble
instaurer, 1l n’y a pas de réversibilité non plus. Si je prends l’initiative de me
cacher derrière la porte du placard, et si j’attends ses réactions en la sollicitant
pour venir me trouver, j'ai pour seule réponse le silence. Rien ne se passe,
sauf le temps. Je me risque à glisser un œil et vois Mélusine en grande contem-
plation devant mes pieds. Je n’existe plus pour elle, ou plus exactement je
me sens réduite à cette partie de mon corps restée visible. Il semblerait que
la permanence des objets et de la présence d’autrui n’est pas encore intégrée
chez cette petite fille de 8 ans.
Par contre, quand elle regarde mes pieds, j’allais dire «en mon absence »,
Mélusine ne cache plus ses yeux. Se pourrait-il que l’attraction du regard de
celui qui est en face et l’excitation produite soient si intenses et brûlantes
que, pour s’en défendre et ne plus s’y perdre, Mélusine n’ait d’autres moyens
que de se couper de lui ? Comme la main qui fait écran à un soleil trop fort ?
Les avis des uns et des autres, qui la connaissent dans d’autres situations,
divergent. Certains voient en elle une petite fille très inhibée, paniquée dans
une relation individuelle, d’autres partagent avec moi le même sentiment
d’étrangeté devant certaines de ses conduites et devant la forme particulière
de ses angoisses.
Ces questions m’entraînent bien au-delà de la simple question de la motri-
cité de Mélusine, cette motricité qu’elle investit d’ailleurs fort peu, comme
si elle n’avait jamais trouvé occasion de toucher, manipuler, découvrir l’espace
et sentir son corps. Son dos est voûté, ses yeux de porcelaine ne traduisent
” aucun sourire ni joie, sa posture préférée est un enroulement sur elle-même.
Son corps parle son repliement psychique. Tous les repères qu’elle semble
pourtant avoir quand il s’agit d’une connaissance à restituer en dehors d’un
contexte situationnel ne lui sont d’aucune utilité dans la relation à l’autre.
Comment créer du jeu avec Mélusine ?
142 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Comment l’amener à se sentir exister dans un corps vivant et rassurant ?


Comment lui donner les moyens de son autonomie corporelle et
psychique ?
Les questions que me pose cette enfant sont multiples.
Si j’introduis un objet, par exemple un ballon, Mélusine reste figée, le ballon
dans les mains, incapable de le lancer. Elle ne peut réaliser cette opération
apparemment simple mais complexe sur le plan psychique :
— lancer le ballon, c’est sentir que l’objet peut se décoller du corps sans
entraîner une partie du corps ;
— l'acte de lancer suppose qu’on a intégré la distance entre soi et l’autre,
c’est-à-dire que l’on est bien séparé de l’autre. Le ballon fait alors office de
médiateur qui va relier les deux personnes, en présence mais différenciées.
Mélusine annule la distance entre nous en traversant la pièce et cherche
mes mains pour me donner le ballon.
Il faut bien comprendre que cette petite fille n’est pas «handicapée » dans
sa motricité fonctionnelle. Il s’agit, ici, d’une impossibilité psychique majeure
pour elle de se vivre dans un corps qui lui appartient et qu’elle pourrait maîtri-
ser. Elle est encore en deçà de toutes ces étapes que franchissent généralement
les jeunes enfants, étapes qui leur permettent de gagner jour après jour une
nouvelle autonomie : s’habiller, mettre ses chaussettes, se regarder dans la
glace et se faire des grimaces, lancer des jouets, les rattraper, les cacher pour
mieux les retrouver, jouer à cache-cache... Tous ces jeux sensori-moteurs
des deux premières années qui vont précéder l’émergence des jeux plus
symboliques du «faire semblant».
Malgré le peu de réponses de Mélusine, ce qui est à certain moment déses-
pérant, j'ai toujours plaisir à la retrouver chaque semaine. Ce qui n’est pas
toujours le cas quand on s’occupe d’enfants aussi emmurés, et ce malgré
toute notre bonne volonté de thérapeute. Avec Mélusine, j’ai toujours espoir
qu'il va se passer quelque chose.
Effectivement, il y a changement, mais ce changement va beaucoup me
déconcerter. Mélusine veut que je rentre avec elle sous la couverture.
Maintenant, elle ne se voile plus les yeux et commence à s’intéresser à mon
corps. Elle me touche, prend mes mains, les pose sur son visage. Elle presse
son visage contre mon ventre ou contre mes mains, comme si elle voulait
entrer en moi. Son toucher est comme une caresse, sa main effleure sans
jamais s’appuyer. Je suis émue mais aussi atteinte. Je me sens sans repère
quant à ce travail qui s’est engagé, j'ai l’impression que la situation en indi-
viduel ne fait que renforcer un système relationnel fusionnel. Et j’ai peur
d’une certaine érotisation de la relation dans cette recherche du contact
par Mélusine (vu son excitation qui contraste avec son apathie habituelle),
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 143

érotisation que nous rencontrons souvent chez les enfants autistes. Faut-il
continuer? Dans ces moments de doute, que nous traversons souvent dans
ces prises en charge difficiles, la seule façon à mon avis de n’être pas piégés
par une relation trop fusionnelle est de pouvoir en parler. Mettre des mots
pour tenter de symboliser en nous-mêmes ce qui, chez l’enfant, se vit de
tellement régressif et d’archaïque, que ça l'empêche de grandir. C’est ce que
Je fais. Je parle beaucoup de Mélusine, dans l’équipe au cours de réunion de
synthèse, ou en dehors. Cela m'aide.
J'accepte ces contacts, cette chaleur qu’elle recherche, la berce, la tiens
contre moi. Mélusine va pouvoir alors dire son désir d’être un bébé. Peu de
temps après, elle commence à s’opposer. Elle qui auparavant terminait toutes
ses phrases par «oui, oui, moi aussi » va explorer le «Non». Non à la fin de
la séance qui déjà se termine, non au ballon proposé, non pour remettre ses
chaussures... Exactement comme un tout-petit pourrait le faire. J’entends
ce non comme un progrès, un début de décollement et de séparation.
L’agressivité pointe son nez également. Mélusine dit qu’elle veut me manger,
me couper en morceaux, m'attacher, m’aspirer, me mettre en prison. Et faire
des bêtises.

La deuxième année va marquer un changement dans la prise en charge


en psychomotricité de Mélusine. De ce début d’opposition évoqué précé-
demment, va naître un dégagement possible par l’investissement nouveau
d’objets intermédiaires qui vont favoriser une distance. C’est d’abord un
petit éléphant que Mélusine trouve et retrouve dans le placard, séances après
séances. Les mots, dans ce début d’organisation de jeu symbolique, vont
prendre une place privilégiée et soulager le corps de ses tentatives d’ex-
pression régressive. Mélusine, plutôt que de s’enrouler sur elle-même et de
se lover contre moi, utilise le bébé éléphant et raconte ses expériences
douloureuses et heureuses, son apprentissage de la marche, ses peurs de
tomber, ce sommeil qui l’envahit et dont il sort si difficilement, sa peur de
la sorcière qui veut le manger. Dans le récit, d’une séance à l’autre, Mélusine
respecte une chronologie et une logique dans le temps, éléments jusque-là
inexistants. Cependant, au travers de ces histoires mises en scène par
Mélusine, des ratés dans la représentation montrent que l’expérience du
COrpsS et l’activité de représentation ne sont pas encore clairement diffé-
renciées. De temps à autre, l’éléphant et Mélusine se confondent. Par
‘exemple, elle utilise une marionnette, la sorcière, qui tente d’arracher la
trompe de l’éléphant. Tout d’un coup, c’est Mélusine elle-même qui risque
d’avoir les doigts arrachés. Il y a là comme un télescopage des deux plans,
imaginaire et réalité, et ce qui était un jeu devient, dans un fonctionnement
mental en «équation symbolique » 3, une menace quasi réelle pour son intégrité
144 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

corporelle. Pour s’amuser des monstres qui font peur et dévorent, il faut
avoir un certain sentiment de sécurité intérieure. Et Mélusine est encore
loin de se vivre dans un corps unifié et solide et ses tentatives pour élaborer
ses terreurs s’accompagnent d’angoisses que je tente, par ma présence, de
calmer.
Ses jeux se diversifient. C’est elle qui va chercher dans le placard les
balles, le ballon, qu’elle peut maintenant lancer et attraper. Quand elle inaugure
une expérience motrice nouvelle, elle s’appuie souvent sur ce bébé éléphant,
qu’elle place à côté d’elle, qui a appris à marcher, à sauter. «II peut apprendre
maintenant, il est grand », me dira-t-elle. Il est comme un double, à la fois
elle et non elle. De même, elle joue à prendre ma place, ma chaise, tente
d’enfiler mon maillot de bain trouvé dans un panier sous mon bureau.
S’amorce dans ces nouvelles expériences une différenciation entre elle et
moi, entre mon corps et son corps. Mélusine commence à jouer et à faire
semblant, avec un plaisir évident.

Après cette phase d’ouverture, Mélusine retombe dans ces trous qui la
ferment à toute expression vivante. À la suite d’une période de vacances,
nous retrouvons une petite fille en retrait, souffrante. De nouveau, elle se
cache, sa voix est inaudible en début de séance. Il me faut chaque fois la
«ranimer psychiquement ». Un jour, son éducatrice me prévient que Mélusine
semble malade. Elle l’a trouvée dans les toilettes, du caca plein les mains et
sous les ongles. À son retour dans la classe, Mélusine s’est allongée sur le
tapis de la classe et est restée ainsi prostrée, sans réaction. Je prends Mélusine
fermement par la main. Dans ma salle, elle se love contre moi, prend mes
mains qu’elle plaque contre ses yeux, et j'entends une petite voix me dire
que c'était génial de jouer avec son pipi. Elle a joué avec ses fesses, elle s’est
grattée. Et puis B. l’a grondée, et elle a pleuré. Les séances suivantes, Mélusine
va beaucoup parler de B. qui la gronde, passant de l’évocation de son éduca-
trice à qui elle est très attachée, à maman qui la gronde aussi. Elle aimerait
rester à la maison avec sa sœur et maman, et puis elle n’a pas envie de lire,
n1 d’aller à l’école. Après ces moments de paroles rares, Mélusine peut aller
chercher un jeu.
Elle va ensuite être absente. Il s’est passé quelque chose de grave. Elle a
été hospitalisée pour constipation et menace d’occlusion. Ce symptôme
corporel n’est pas nouveau, montrant une fois de plus combien Mélusine,
dans cette peur d’aller aux toilettes qu’elle tente de vaincre en se retenant,
ne peut pas encore maîtriser, sans angoisse, ce qui entre et ce qui sort d’elle.
Chez ces enfants, qui oscillent entre psychose et autisme, on retrouve souvent
des manifestations corporelles symptomatiques qui illustrent de façon remar-
quable ce trouble tout à fait fondamental de la représentation d’un extérieur
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 145

et d’un intérieur. « L’être


A
humain, dit Denys Ribas, psychanalyste, a besoin
d'investir ses trous, ses orifices, le plaisir quand ça entre quand ça sort... Ça
nous occupe toute notre existence. Or l’érotisation des orifices n’est possible
que si on a un intérieur et un extérieur. Sans cela, ce n’est plus un orifice ,

c’est une déchirure 4.»


Mélusine a toujours connu de longues périodes de constipation, allant
parfois même jusqu’à faire caca dans le lit de ses parents. Agressivité, besoin
d’être tellement rassurée quant à ses sensations intérieures angoissantes ?
Les interprétations divergent et partagent une fois de plus l’équipe. À la suite
de l’hospitalisation, la petite fille redevient comme je l’ai connue au départ,
prostrée, enroulée comme dans une coquille de protection. À la différence
près — notable — qu’elle continue à me parler, collée à moi, comme si cette
proximité de corps la protégeait et permettait les mots. Des mots très crus :
« Je Suis un gros tas,je vais crever ».
Cette capacité à dire, qui n’a pas disparu malgré l’état catastrophique
dans lequel se trouve Mélusine, permet que, pendant les séances, ses états
de prostration peuvent céder quelque peu. Par exemple, avant une visite à
l'hôpital qui l’inquiète beaucoup, Mélusine va jouer au docteur qui me fait
des piqûres, et me soigne. Ce jeu semble la tranquilliser.
En fin d’année, Mélusine fait un dessin quelle veut pour la première fois
signer de son nom.
Les grandes vacances arrivent. J’annonce à Mélusine mon prochain départ
de l’institution. Elle ne manifeste aucune réaction apparente. Je suis triste
de la quitter, mon émotion étant à la mesure de mon attachement pour elle,
attachement qui bien souvent m’a renvoyé à des sentiments connus en tant
que maman : inquiétude, souci, espoir.

Commentaires
Sans être autiste, Mélusine utilise à certains moments difficilement repé-
rables pour ceux qui s’occupent d’elle des moyens de défense quasi autistiques.
Ces moyens de défense essentiellement corporels sont censés la protéger de
l'angoisse et de la menace d’anéantissement. Ils ont pour conséquence de la
mettre en danger vital sur le plan somatique, et en danger psychique car
bloquant toutes ses facultés d’adaptation, d'apprentissage, et de communi-
cation. Cependant, dans cette relation individuelle en psychomotricité, elle
. va pouvoir tout doucement sortir de sa carapace, établir une communication
essentiellement non verbale, dans le toucher, le contact, puis utiliser un objet
qui prend peu à peu une place de médiateur, qui la représente, dont elle se
sert pour «se raconter » en quelque sorte. Malheureusement, tout cela est
encore bien fragile, comme le montrent les retombées catastrophiques que
146 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

j'ai décrites. Malgré tout, le retrait qui accompagne sa terrible détresse n’efface
pas sa nouvelle capacité à dire ce qu’elle ressent. Cela laisse espérer pour
elle une porte vers la symbolisation.

Conclusion

Dans ces deux vignettes cliniques, le toucher occupe une place privilégiée.
Pour Grégoire, être touché lui permet de se calmer, de se sentir entier, de ressen-
tir les limites de son corps, et d’explorer deux espaces-temps différents :
— celui de la sensation et des éprouvés corporels;
— celui de l’élaboration, qui se fait en deux temps. Le temps des mots et
le temps du dessin qui l’amène à une dimension essentielle chez tout enfant :
l’accès à sa créativité imaginaire.

Tout n’est plus pris dans du corporel «brut». Les deux espaces dedans
dehors se construisent et s’organisent.
Pour Mélusine, cela est d’autant plus flagrant qu’elle part de bien plus
loin ! Beaucoup plus malade, les moments de régression qu’elle vit en séance
sont émotionnellement forts, tant pour elle que pour moi. J’ai parlé de mes
questionnements et de mes doutes quant à la pertinence d’une telle prise en
charge. Mes seuls repères sont mon intuition qu’une telle régression — « auto-
risée » et balisée en quelque sorte par le tiers symbolique que représente l’ins-
titution — peut être l’occasion d’un mouvement psychique autre. Et c’est
effectivement ce qui se passe, quand au bout d’un an Mélusine s’ouvre à
d’autres jeux et à d’autres moyens d’expression que celui de se lover comme
un nourrisson dans la couverture, contre moi.
Les enfants comme Mélusine ou Grégoire nous ramènent sans cesse à la
question de nos choix pour eux : chercher à les tirer vers le haut en inventant
des activités de type éducatif et groupal qui nous paraissent stucturantes pour
eux, ou bien aller les chercher là où 1ls sont et les accompagner. Et c’est bien
pour cela que la prise en charge institutionnelle est intéressante. Tout l’intérêt
de la diversité des fonctions professionnelles réside dans l’articulation entre
membres d’une équipe qui permet à chacun de « jouer ses cartes », de donner
à l’enfant des repères différents et complémentaires, et de faire jouer l’al-
ternance continuité (vie quotidienne) — discontinuité (prises en charge spéci-
fiques) importante pour le travail de séparation que l’enfant a à faire afin de
construire son identité et d’accéder à la capacité d’être seul. Notre « filet
de sécurité », c’est notre parole qui circule et qui fait lien.
Les pathologies complexes de ces enfants nous confrontent à des difficul-
tés, entre autres celle de ne pouvoir évaluer de façon franche leur évolution,
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 147

tellement leur sensibilité à des éléments internes et externes, parfois incom-


préhensibles pour nous, est grande. Dans l’entreprise qui est la nôtre de les
aider à grandir et à franchir des étapes, il nous faut bien souvent supporter
de ne pas comprendre, de ne pas savoir, tout en gardant nos propres capacités
à penser et à imaginer pour eux du changement. L'enfant psychotique est
aux prises avec un enfermement qui concerne autant ses affects, ses émotions
que ses modes d'apprentissage, sa relation à lui, aux autres. Ses tentatives
de compréhension du monde qui l’entoure butent contre cet enfermement
qui tout en même temps le rassure, le tient prisonnier, le protège, tisse une
toile serrée qui l’assure de sa victoire et de sa lutte contre l’angoisse et les
changements internes et externes. Dans notre rencontre avec l’enfant psycho-
tique, nous sommes souvent confrontés à notre propre impuissance pour faire
changer les choses et l’aider à trouver des ouvertures, des voies d’accès à la
représentation et à l’élaboration. Pour ne pas rester enfermés ensemble dans
des impasses, des tourbillons répétitifs, nous avons à inventer, innover, trouver
des chemins de traverse. Cette créativité mise à mal par la psychose, tant
chez l’enfant que chez le thérapeute, est pourtant la seule voie possible, avec
la condition indispensable d’élaborer et de théoriser notre pratique.

NOTES

1. Dans le cadre de l’association Vivre l’eau nous accueillons des stagiaires. Une formation
est dispensée aux étudiants, et concerne le travail d'accompagnement en piscine pour les
psychomotriciens.
. EMP École de Chaillot. Paris VIII.
3. H.Segal. Notes sur la formation des symboles, Paris, PUF, 1957.
D. Ribas. «L'eau, la peau et la psyché ». paru dans Évolutions psychomotrices, n° 11,
cop 1991
5. D. W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 1983.
PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

BIBLIOGRAPHIE
POTEL C., Le corps et l'eau. Une médiation en psychomotricité, Ramonville Saint-
Agne, Érès, 1999.
POTEL C., Bébés et parents dans l’eau, Ramonville Saint-Agne, Érès, 1999.
RIBAS D., Un cri obscur. L'énigme des enfants autistes, Paris, Calmann-Lévy,
1992.
RIBAS D., « L'eau, la peau et la psyché », Paris, Évolutions psychomotrices n° 11,
1991.
SEGAL H., Notes sur la formation des symboles, Paris, PUF, 1957.
TUSTIN F, Le trou noir de la psyché. Paris, Seuil, 1989.
WINNICOTT D. W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque
Payot, 1983.
Éveil de sens
La stimulation psychomotrice auprès d'enfants
en phase d’éveil de coma

JEAN-PAUL VILLION

Les structures dans lesquelles nous intervenons marquent évidemment


notre travail du sceau de leur tradition médicale et de leur clinique.
Le centre de rééducation fonctionnelle Pomponiana-Olbia fait partie de
ces lieux médicaux où la reconstruction, la récupération, la réadaptation, la
«réparation » sont autant de promesses implicites qui ne pourront pas toujours
être tenues mais que l'institution engage malgré tout envers les personnes
accueillies. Chaque intervenant se trouve ainsi en devoir d’apporter sa pierre,
par sa technicité, son savoir, son expérience, à l’œuvre commune. Recensant
les déficits pour objectiver tel syndrome neurologique ou telle anomalie
anatomique, nous tentons, ensuite, de faire fonctionner à nouveau ce corps en
le mobilisant et en le stimulant. L'entreprise ambitieuse est louable, couronnée
la plupart du temps de succès ; il arrive aussi qu’elle se heurte aux situations
les plus critiques du point de vue des dysfonctionnements, notamment lors-
qu'ils ont pour origine un traumatisme crânien grave.
Choisir alors, comme je le fais, d'évoquer le suivi des enfants plongés
dans le coma à la suite d’un accident pour illustrer mon travail de psycho-
motricien, ne procède pas du hasard mais bien d’une nécessité. Nécessité de
partager une expérience très singulière (parfois à haut risque) et de la soumettre
à la critique ou à la réflexion d’autres praticiens.
Cette singularité tient d’abord à la gravité des tableaux, à la complexité
. des signes cliniques, mais surtout à l’histoire de chacun de ces enfants et de
leur famille, subitement frappés par le drame. À chaque nouvelle rencontre
nous sommes tous renvoyés à la relative précarité de nos existences et à...
nos propres angoisses de mort.
150 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

L'aspect très médicalisé de la structure apparaît, dans le cas du trauma-


tisme crânien grave, à son paroxysme, mettant en exergue les techniques de
soins et de surveillance médicale, ainsi que la nécessaire pluridisciplinarité
de la prise en charge. Cette pluridisciplinarité devant répondre de la façon la
plus adaptée possible à la multitude des besoins du patient donne à l’approche
psychomotrice une place particulière.
À côté des autres «techniciens du corps », le psychomotricien tente la
recherche du sujet perdu dans une expérience aussi déstructurante qu’aliénante
que peut être le coma. L'aventure a valeur de défi et doit donc s’étayer sur
un support théorique suffisamment consistant pour tenter d’élaborer un
projet thérapeutique. Enfin ce travail doit pouvoir être réalisé avec l’indis-
pensable recul permettant l’accompagnement le plus approprié de cet enfant
souffrant.
Leslie, François, Kamel, Stéphane, et tant d’autres sont arrivés au centre
dans un état de coma, après avoir passé un nombre important de jours dans
un service de réanimation. Ils sont alors autonomes sur le plan de la venti-
lation mais nécessitent la plupart du temps d’être alimentés par sonde nasale
Ou gastrique.
La surveillance et le bilan d’entrée mobilisent infirmière et médecin. Ce
dernier va décider du type d’installation à proposer au patient ainsi que des
différentes prises en charge thérapeutiques. Il va coordonner les soins et
animer les réunions de synthèse.
La kinésithérapie sera prescrite pour la mobilisation ou le nursing arti-
culaire si important à mettre en œuvre le plus tôt possible.
L’ergothérapeute sera, elle, dans un premier temps sollicitée pour
aménager l’installation dans le lit (coussins de toutes sortes pour éviter
les déformations.…). L’orthophoniste sera chargée d’établir si possible la
communication et de commencer la stimulation de la déglutition qui
permettrait l’ablation des sondes de gavage.
La psychologue prendra contact avec l’enfant et la famille pleine d’espoir
d’être dans un centre où la rééducation va enfin permettre à l’enfant de rede-
venir ce qu'il était.
Le psychomotricien sera à son tour convié au chevet de ce patient pour un
contact corporel qui se veut différent puisqu'il n’a pas pour objet d’entretenir
une quelconque fonctionnalité.
Toute une équipe paramédicale et médicale va s’animer autour de cet
enfant blessé dont on ne sait pas encore ce qu’il perçoit et comprend de la
situation. Une sorte d’émulation va poindre entre tous les intervenants, de
l’aide soignante au rééducateur, pour accéder le plus vite possible à la parcelle
de conscience qui ferait passer ce corps du statut «d”’objet de soins » à celui
de sujet.
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 151

Cette soudaine multiplication des interventions va conforter chez les


parents l’immense espoir qui naquit en réanimation à l’ouverture des yeux
de leur enfant : il se situe bien à présent du côté de la vie.
Mélange d'angoisse et d’allégresse, d’espoir et de doute, de douceur et de
colère. Toutes les émotions se bousculent aussi violemment que rapidement
chez eux.
Mais qu’en est-il de ce traumatisme crânien avant que d’être également
un traumatisme familial ? Comment peut-on le décrire, le définir ? Et
comment aborder l’enfant dans cette situation toujours unique avec nos
outils professionnels, théoriques et humains ?

1. Le traumatisme crânien

1.1. Données chiffrées

Les accidents de la voie publique sont responsables d’un grand nombre


de traumatismes crâniens graves chez l’enfant. Dans les pays européens, le
traumatisme crânien est la cause la plus fréquente de mortalité avant l’âge de
quinze ans. En France on compte chaque année dix mille morts par accidents
(86 % des causes de décès), trois à cinq mille accidentés survivent avec des
séquelles plus ou moins importantes.
Pour éclaircir cette notion, je propose cette définition donnée par le
Professeur Kermann : «On considère comme traumatisé crânien tout patient,
qui à la suite d’une agression mécanique directe ou indirecte présente une
fracture du crâne et/ou des troubles de la conscience ou des signes traduisant
une souffrance cérébrale diffuse ou localisée, d’apparition immédiate ou
retardée. Et c’est en général lors des trois ou quatre premiers Jours que se
manifeste la majorité des complications, que se définit l’attitude thérapeu-
tique, que se forme le pronostic (60 % des décès surviennent au cours de
cette période). »

1.2. Le coma

Les conséquences de ce traumatisme peuvent être de deux ordres. Tantôt


il existe une explosion paroxystique de conduites anarchiques, tantôt une
inhibition complète ou un coma. Ce dernier peut être défini comme «un trouble
de la vigilance, c’est-à-dire de l’éveil cortical ou sous-cortical, impliquant
une lésion ou un dysfonctionnement de la formation réticulaire activatrice
ascendante du tronc cérébral » 1. Il se mesure grâce à des échelles d’évaluation
dont celle de Glasgow qui est utilisée de façon préférentielle : elle repose
152 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

sur 3 items — l’ouverture des yeux, la réponse motrice à la douleur, et la


réponse verbale — cotés (respectivement selon 4,6 et 5 niveaux) et fournissant
un score allant de 3 à 15 (15 étant le niveau de réponse le plus élevé, 7 étant
un score charnière en dessous duquel se situe l’état de coma grave).
La durée et la profondeur de ce coma sont deux facteurs essentiels quant
au pronostic ; l’âge du sujet étant également primordial puisque plus l’enfant
est jeune, plus les séquelles seront sévères. Il est utile de rappeler qu’un score
de 5 ou plus entraîne pratiquement 100 % de chances de bonne récupération
chez l’enfant, alors qu’un score de 3 ou 4 est suivi d’un décès ou d’un état
végétatif dans 17 à 60 % des cas. On considère ainsi que le score prédictif,
critères à 24 heures, est de 5 ou plus, alors qu’il serait de 8 ou plus chez
l’adulte. Quant à la durée du coma, elle augure d’un pronostic qui va d’une
bonne récupération à un handicap modéré à 1 an, si elle est inférieure à
3 mois. D’une façon plus globale, la plupart des études montrent, toujours
chez l’enfant, que la récupération peut s’étaler jusqu’à une période de 5 ans.
Le rappel de ces quelques données permet de resituer le contexte drama-
tique dans lequel se trouvent précipités le sujet et toute sa famille. Il permet
d'introduire également le moment où l’enfant sera accueilli, au sortir de la
réanimation, en centre de rééducation.

1.3. La phase d'éveil


Vient donc la phase d’éveil inaugurée par l’ouverture des yeux et qui va
se dérouler selon diverses modalités réactionnelles.

— L'état végétatif
est un état clinique qui associe la présence d’un rythme
veille-sommeil à une ouverture spontanée des yeux maïs sans suivi oculaire
et sans aucune forme de communication. Le patient est autonome sur le plan
végétatif et respire sans assistance.
Ainsi Kamel, Aurélien, Leslie sont restés le regard perdu dans les limbes
pendant quelques semaines avant de nous donner le premier signe qui
permettra la communication.

— Le mutisme akinétique est un état associant l’absence de mouvements


à l'ouverture des yeux et à l’orientation du regard sur sollicitation verbale
mais sans aucune communication.
C’est le cas de Mathieu ou d’Anthony qui parviendront ensuite à trouver
les moyens de communiquer par des mouvements de paupières puis avec
quelques mots.

— Le syndrome confusionnel est décrit lui comme une régression psycho-


logique, motrice, affective, alimentaire. associée à des phases de somnolence
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 153

alternées avec des phases d’agitation, de troubles ducomportement (hyper-


phagie, compulsivité, tendance à tout porter à la bouche...)
Ce type de réaction caractériserait plutôt François dont l’agitation allait
faire place à une irrésistible obstination dans son désir de récupérer toutes
ses capacités mais aussi à un sentiment de grande détresse existentielle par
la suite.

Nous pouvons nous interroger d’ailleurs sur l'installation de tel état ou de


tel autre en fonction de la localisation et de l’étendue des atteintes neurolo-
giques, mais également en fonction de la personnalité ainsi que du contexte
dans lequel le patient se trouve. Ne pourrait-il pas s’agir de mode de défense
spécifique reflétant une certaine structure psychique ? Cette hypothèse n’est
évidemment pas vérifiable mais mérite à mon avis une réflexion qui pourrait
s'étendre aux modes de récupération et aux séquelles neuro-psychologiques…

2. Les séquelles du traumatisme crânien


Elles sont d’ordre neuro-psychologiques, neuro-orthopédiques, motrices,
sensorielles, souvent combinées entre elles formant le tableau clinique
complexe de chaque patient.

Les troubles neuro-psychologiques sont constitués par :


— le syndrome frontal;
— les troubles mnésiques;
— les troubles du comportement et de l’affect;
— la lenteur;
— les troubles gnosiques ou praxiques, difficultés spatio-temporelles ;
—. les troubles de la communication ;
— Ja diminution de l’efficience intellectuelle;
— troubles de l’image du corps.
Les troubles neuro-orthopédiques, par :
— les rétractions articulaires;
— la spasticité;
— les rétractions tendineuses ;
— les para-ostéo-arthropathies.
Les séquelles motrices, par :
— l’hémi-, tri-, quadri-, monoplégie ;
— le syndrome cérébelleux, ataxie, dysmétrie… ;
— les lésions périphériques ;
— les séquelles de type dyskinésie.
154 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Les troubles sensoriels, par :

— oculaires, auditifs principalement.


Ces troubles nécessitent une évaluation précise et une prise en charge
adaptée réalisée par les différents thérapeutes qui vont soutenir le processus
de récupération.
L’estimation des dommages neuro-psychologiques est souvent extrêmement
difficile à réaliser au cours de cette phase qui débute et qui peut se révéler
très longue dans certains cas. Si nous parvenons à objectiver rapidement des
déficits moteurs et les troubles neuro-orthopédiques, il faudra parfois attendre
des mois avant de constater un syndrome frontal ou des troubles gnosiques
et praxiques très invalidants.
Il me semble important ici de décrire plus précisément les perturbations
auxquelles nous sommes tous confrontés dans l’institution qui mobilisent
plus spécifiquement l’orthophoniste, le psychologue, l’ergothérapeute et le
psychomotricien.

2.1. Syndrome frontal


J’aborderai tout d’abord une entité très souvent évoquée autour de la
personne cérébro-lésée mais somme toute assez imprécise : le syndrome frontal.
Il survient au cours de lésions de l’aire préfrontale. Il est présent dans 70 %
des traumatismes crâniens et affecte plusieurs domaines. Il se manifeste par
le manque d'initiative sur le plan verbal avec un langage peu informatif et
parcimonieux. Sur le plan moteur, cela peut se présenter comme une akinésie
avec des mouvements spontanés rares, et parfois une négligence motrice
d’un hémi-corps. Lorsque l’atteinte est bilatérale, le tableau est celui d’un
mutisme akinétique, donc d’une immobilité complète avec conservation
éventuellement de la poursuite oculaire. )
L'absence et la perturbation de la stratégie sont également décrites sur le
plan verbal avec les phénomènes de pallilalie qui correspondent à la répétition
des mêmes mots ou phrases et de persévération qui rendent impossible l’inhi-
bition du discours antérieur.
Sur le plan moteur le patient reste fixé dans une attitude ou sur un geste.
Il y a une incapacité à enchaîner des gestes de la vie courante. La marche,
plus tard dans l’évolution, est rendue impossible, par la perte de ces enchaî-
nements avec un renforcement tonique des membres inférieurs comme s’ils
étaient aimantés au sol.
Sur le plan oculo-moteur, la perte de l’exploration du regard ne permet
plus au patient d’appréhender l’ensemble de l’espace. Il se fixe sur un élément
de son champ visuel et ne peut s’en détacher.
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 155

Sur le plan du comportement, l’inadaptation apparaît également dans tous


les domaines. L'utilisation des objets peut se faire de façon automatique et
systématique dès qu’ils tombent sous la main du patient. L'imitation des
gestes d’autrui se déclenche spontanément et sans consigne. Enfin, par rapport
aux consignes, il est incapable d’en intégrer plusieurs et de rester concentré
sur sa tâche. Toutes les stimulations extérieures affluent et entraînent une
adhésivité très caractéristique.
Les comportements alimentaires (boulimie) et urinaires (mictions
fréquentes non contrôlées) sont aussi affectés, et il existe parfois une desin-
hibition des comportements sexuels (chez les adolescents et adultes) avec
érotisation des relations et grossièreté langagière. Le patient est dans ce
tableau, hyper-actif, faisant des calembours puérils, racontant des histoires
«abracadabrantes ». Ces éléments constituent la «Moria», sorte de bonne
humeur permanente sans limites comportementales.

À l'inverse, il existe pour certains une inhibition, une inertie et une indif-
férence affective laissant le sujet dans un état de tristesse et d’isolement très
frappant.
= Nous le voyons, ce syndrome frontal peut constituer un handicap majeur,
souvent mal identifié et surtout mal supporté par l’entourage. Il influe sur
grand nombre d’activités et sur l’adaptation du sujet au milieu social. Il est
loin cependant d’expliquer toutes les manifestations comportementales.

2.2. Troubles mnésiques


D’autres troubles neuro-psychologiques très importants affectent la
mémoire dans ses différentes formes réalisant des amnésies antérogrades ou
rétrogrades. L’amnésie post-traumatique, elle, apparaît constante. Elle ne permet
plus au sujet de se remémorer l’accident et donc d’avoir le fil conducteur de
son histoire. Elle contribue bien évidemment à la désorientation et s’explique
par la suspension de l’activité neuronale au cours de la commotion. Le lobe
temporal du cerveau a un rôle majeur dans les processus de mémorisation,
alors sa compression par œdème ou son atteinte directe par impact engendrent
des troubles mnésiques.

L'on sait par ailleurs que le traumatisme crânien s'accompagne toujours


d’un traumatisme psychique qui influe sur le fonctionnement de la mémoire
par lé biais des facteurs émotionnels. Cette amnésie post-traumatique
peut être transitoire ou durable. Elle est antérograde dans sa forme (le sujet
est incapable de retenir des informations nouvelles, d’un moment à l’autre)
mais aussi rétrograde (avec oubli des mois, voire des années précédant le
156 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

traumatisme). Elle prend fin lorsque le patient est de nouveau orienté, et


qu’il retrouve une continuité dans sa mémorisation, lorsqu'il se souvient
entre autres de ce qu’il a fait la veille.
Le travail rééducatif dans ce domaine concerne l’ensemble de l’équipe
paramédicale bien évidemment mais plus spécifiquement l’orthophoniste.

2.3. Perturbations de l'orientation temporelle et spatiale


Les autres perturbations intéressent l’orientation temporelle et spatiale :
le schéma corporel et l’image du corps ainsi que les praxies.
Ce domaine me concerne plus particulièrement sans pour autant repré-
senter une «exclusivité thérapeutique ».
Le coma puis la défaillance stratégique, dans l’exploration du regard et
dans l’analyse perceptive, les troubles mnésiques et les autres dysfonction-
nements neuro-psychologiques abolissent les notions de temps et d’espace.
Et même si nous ne pouvons pas parler d’un no man's land où règne l’in-
temporalité, le coma, en privant le sujet de toute vie de relation, ne lui permet
plus la gestion du temps et de l’espace. Il vit à ses rythmes propres, anar-
chiques, et sans accord avec le rythme d’autrui. Son espace de référence
constitué par le corps propre est, en phase d’éveil, tellement morcelé, qu’il
ne lui donne pas la possibilité de structurer l’espace environnant qui lui est
inconnu et étrange.
Cette perte des repères corporels est pour moi le point essentiel et la base
d’une réflexion sur les modalités d’intervention du psychomotricien auprès
des traumatisés crâniens.

2.4. Schéma corporel et image du corps


Comment aborder ces troubles spécifiques de la reconnaissance du corps et
de son utilisation, regroupés sous l’étiquette de «troubles du schéma corporel»,
en éludant l’aspect libidinal et psychoaffectif de ce même corps, que l’on
retrouve dans le concept d’image du corps ? Ces deux notions fondamentales
méritent d’être ici rappelées.

— Le schéma corporel est défini, à l’origine, comme une structure neuro-


logique vers où les données tactiles, kinesthésiques et optiques convergent
pour permettre la connaissance du corps.
L'association de la perception et de la motricité s’opère par expériences
successives pour donner à l’enfant la maîtrise progressive de ses mouvements.
Ce schéma corporel est identique dans sa constitution pour toute l’espèce
humaine et il se réfère au corps réel.
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 157

— Cette notion est complétée par celle de l’image du corps «dont les
éléments ne se situent pas seulement dans le champ de la perception ; ils ont
aussi leurs développements parallèles dans le champ libidinal et affectif » 2.
C’est en effet dans les échanges affectifs avec son entourage que le COrps
de l’enfant, par l’intermédiaire du langage verbal et gestuel et des mimiques -)

va entrer dans le symbolisme.


C’est par cette inscription symbolique que le sujet se constitue un corps
imaginaire, fait de représentations. Cette image du corps synthétise nos
expériences émotionnelles interhumaines vécues à travers les sensations
érogènes électives, archaïques ou actuelles. Elle est propre à chaque individu,
insérée dans son histoire libidinale, elle porte en elle à chaque moment la
mémoire inconsciente de tout le vécu relationnel du sujet et, en même temps ,

elle anime la relation vécue au moment présent.


Notre image du corps est à la fois portée par le schéma corporel et croisée
avec lui pour entrer en communication avec les autres. Nous agissons par
l’intermédiaire du schéma corporel en fonction des nécessités relationnelles
du moment.
Ainsi, l’image inconsciente du corps se constitue chez l’enfant au cours
de ses premières années de vie grâce au langage de sa mère et de son père;
grâce notamment aux interdits opposés à la satisfaction inconditionnelle du
désir que Dolto nomme les «castrations » ; celles-ci se succèdent au cours
du développement. Symboliquement distillées, elles permettront une super-
position d’images archaïques et actuelles, constituant l’image dynamique du
corps... «lieu d’intégration en activité des zones de ce corps investies par
des échanges structurants et créatifs actuels 3 ».
Sous l'éclairage théorique de F. Dolto nous percevons bien l’articulation
de ces deux notions différentes dont elle dit encore : «Le schéma corporel est
en partie inconscient mais aussi préconscient et conscient, tandis que l’image
du corps est éminemment inconsciente. elle est l’incarnation symbolique
inconsciente du sujet désirant. »

C'est à cette articulation entre les données neurophysiologiques (schéma


corporel) et psychique (image inconsciente du corps) que je suis confronté
dans ma pratique de psychomotricien.
L’atteinte de la zone corticale de l’hémisphère droit que l’on appelle le
carrefour pariéto-temporo-occipital, qui est une zone associative importante,
provoque des perturbations dans la reconnaissance, l’utilisation, et la repré-
sentation posturale du corps. Mais cette zone semble concentrer également
les engrammes constitutifs de la connaissance du monde qui nous entoure,
des objets explorés et manipulés à partir de notre motricité. L'expérience
de notre corps se prolonge tout naturellement dans d’autres expériences
158 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

extra-corporelles : celles que contracte notre corps avec les objets et les lieux
qui nous entourent. Les études anatomo-cliniques permettent de différencier
les zones cérébrales où se localisent les engrammes responsables de notre
«savoir » corporel.
Ainsi la connaissance verbale de notre corps se localise schématiquement
dans la région pariétale de l'hémisphère gauche. Les connaissances compor-
tementales et relationnelles semblent, elles, reposer sur une zone plus étendue
car elles deviennent très perturbées en cas de lésion des lobes frontaux4.

2.5. La dimension psychologique du traumatisme


L'aspect topographique des lésions éventuelles ne permet pas de rendre
compte totalement des troubles ou réactions observées quotidiennement chez
nos jeunes patients. Cette cassure, cette rupture soudaine dans la vie du sujet
S’inscrit dans une histoire propre, à un âge déterminé et à une étape de son
développement (physique, psychomoteur, psychique). Le traumatisme crânien
apparaît dans un contexte où la personnalité de l’individu, sa place au sein
de la famille et du groupe social détermineront également les modalités de
réaction et d’adaptation post-traumatiques. Cette hypothèse permet de réin-
troduire dans l’analyse globale de la situation la dimension psychologique
du traumatisme et de la réaction à celui-ci.
En d’autres termes quel sort peut subir l’image inconsciente du corps
après une blessure aussi brutale que douloureuse, et après cette sidération
comateuse qui annihile toute vie de relation ? Quel rapport dialectique existe-
t-il entre le corps imaginaire et le corps réel meurtri, du traumatisé crânien ?
L'hypothèse du traumatisme crânien comme castration non symbolisable,
adressée au corps réel pourrait être une piste de réflexion pour percevoir sous
un autre jour les troubles du comportement et de la personnalité de certains
patients.
Certains praticiens au contact de personnes cérébro-lésées n’hésitent pas à
parler de la sidération du «Moi > du comateux, établissant au niveau psychique
l’équivalence constatée aux niveaux physiologique et neurologique.
J.-C. Colombel et R. M. Palem$ abordent ainsi les aspects psychopatho-
logiques des réactions au traumatisme crânien en commençant par élargir
cette notion de sidération à la structure même de la personnalité du sujet. Ils
se réfèrent à Freud et au «Moi, métaphore du corps » ; ou encore «Le Moi
est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement une entité de surface mais
il est lui-même la projection d’une surface6.» Car dans la phase immédiate
qui suit le traumatisme crânien grave, nous disent-ils, le corps n’est abordé
que dans ses aspects biologique, physiologique, neurologique : dans la main-
tenance du fonctionnement de base puisqu'il n’y a plus d’accès au sujet. Dès
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 159

lors la projection d’une surface ne peut se faire que d’une manière archaïque,
manipulatoire, posturale, alimentaire ou sensorielle mais non verbale.
C’est une période de régression à un stade où l’individu est dépendant
d’autrui pour la satisfaction de tous ses besoins. Le sujet n’est objet que de
soins puisqu'il n’y a plus l'émergence de désir.
Cette période n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du «Moi-peau »
décrite par Anzieu où la peau remplit trois fonctions primordiales :
1. C’est le sac qui contient et retient le bon et le plein que l’allaitement,
les soins, le bain de paroles y ont accumulés.
2. La peau est l'interface qui marque la limite avec le dehors et maintient
celui-ci à l’extérieur, c’est la barrière qui protège de la pénétration par les
avidités et les agressions en provenance des autres, êtres ou objets.
3. La peau est enfin un lien et un moyen primaire de communication avec
autrui.
Le parallèle avec l’état du nourrisson permet à Colombel et Palem de risquer
le renvoi à une phrase de Winnicott pour illustrer cette sidération possible du
moi du traumatisé crânien. « Le Moi se fonde sur un moi corporel, mais c’est
seulement lorsque tout se passe bien que la personne du nourrisson commence
à se rattacher au corps et aux fonctions corporelles, la peau étant la membrane-
frontière.7» Ainsi, énoncent-ils qu’il y a bien quelque chose d’incertain à
ne pas manquer dans «cette aube archaïque de la sensorialité » dont le corps
est sûrement le lieu réel, mais peut-être aussi le « point d’appel vers un éveil
fantasmatique ».…
Il est à noter ici que la frontière Moi — Non-Moi déjà anéantie au cours du
choc, par les fractures et par les plaies, est encore malmenée par les techniques
de réanimation, qui prennent en charge le fonctionnement physiologique du
corps (respirateur, monitoring, sonde gastrique et urinaire, trachéotomie.…).
Après cette phase de sidération de durée variable, les premiers signes de
la reprise de la conscience apparaissent. C’est la phase d’adaptation au trau-
matisme.
C'est au début de la phase d’éveil que le travail de stimulation doit
commencer d’une façon structurée et adaptée à la montée de la conscience,
à l'émergence de la conscience du corps, encore à la dérive d’un temps et
d’un espace démantelés.
Tous les efforts vont converger, non plus pour la survie de l’individu, mais
vers sa récupération qui commence au corps primaire, biologique, anatomique,
puis au corps imaginaire et aux représentations dont le discours témoignera
ultérieurement.
160 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

3. La stimulation psychomotrice
Dans le champ de la psychomotricité l’approche du corps de l’enfant
traumatisé crânien est orientée par deux éléments principaux :
— le premier part du constat clinique de l’archaïsme des réactions de l’enfant
en phase d’éveil et de l'émergence, chronologiquement semblable au
développement de l’enfant sain, des étapes de la récupération.
— le second se rapporte à l’aspect de confusion totale dans lequel l’enfant
paraît se débattre, et où le corps semble «désarticulé » et morcelé dans
les prémices de l’éveil.

3.1. Repères théoriques


L'aspect régressif et la perte de repères, voire de l’unité corporelle, me
conduisent à émettre l’hypothèse d’un retour à une image archaïque du corps.
Là encore le versant neurologique avec l’activité réflexe renforcée, les
hypertonies périphériques et l’hypotonie axiale, la posture d’enroulement,
l’absence de balayage oculaire, les rythmes désorganisés (veille-sommeil),
l’incontinence, le nourrissage par sonde réalisant un véritable cordon « para-
ombilical », l'absence de langage, les réactions émotionnelles exacerbées…
tout concourt à cette identification illusoire au jeune enfant, avec en filigrane
le désir inconscient d’un retour à la normale après une «re-naissance ».
En évitant ce piège qui constituerait à faire fi de toute l’histoire du sujet
(avant son accident), il me semble essentiel de prendre appui sur la senso-
rialité primitive de la peau pour tenter de redonner au sujet cette enveloppe
constitutive de son être, en tant que sujet désirant et communiquant. En
d’autres termes, je considère qu’il faille passer par des contacts, des touchers,
des massages soutenus par le langage pour espérer aider l’enfant à émerger
de cette torpeur qu'est le coma.
«Toute fonction psychique se développe par appui sur une fonction corpo-
relle dont elle transpose le fonctionnement sur le plan mental 8.»
Partant de ce principe freudien énoncé par D. Anzieu, je vais fonder ma
pratique de psychomotricien sur un type d'intervention sur le corps réel de
l'enfant pour contribuer à faire céder cette sidération somato-psychique.
Cette théorie de la genèse d’une des instances de la personnalité du sujet
(le Moi) s'appuie sur le primat du tactile dans la vie de relation. La consti-
tution de ce Moi-peau ne peut s’effectuer de manière satisfaisante que dans
un bain relationnel «suffisamment bon » (Winnicott) fait d’échange peau à
peau, de mimiques et de mots. L'appareil psychique va ensuite fonctionner
différemment avec l'accès à la pensée, lorsque le Moi-psychique sera détaché
du Moi-corporel et qu’il s’articulera autrement avec lui.
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 161

Mais il est nécessaire que la première étape (fonctionnement en Moi-peau)


ait été suffisamment structurée et acquise pour qu’elle soit dépassée au
moment où l’enfant renoncera aux seuls plaisirs de peau et de main par l’ap-
parition de l’interdit du toucher. Ce sera donc l’interdit, la Loi, qui feront
renoncer l'enfant à la fusion, aux plaisirs du sein, des bras, du lit de sa mère…
Le nécessaire passage du Moi-peau au Moi-pensant, dans l’évolution du
sujet, n’en provoque pas pour autant sa destruction ou sa disparition totale.
Celui-ci subsiste en arrière-plan du fonctionnement de la pensée. En effet,
«les communications primaires tactiles refoulées ne sont pas détruites (sauf
cas pathologique), elles sont enregistrées comme toile de fond sur laquelle
viennent s'inscrire des systèmes de correspondances intersensorielles : elles
constituent un espace psychique premier, dans lequel peuvent s’emboîter
d’autres espaces sensoriels et moteurs ; elles fournissent une surface imaginaire
où disposer les produits des opérations ultérieures de la pensée9 ».

C’est bien sur cette «toile de fond » que nous, psychomotriciens, tentons
d'intervenir pour certaines pathologies. Les effets recherchés par des stimu-
lations tactiles, mais aussi des échanges tonico-posturaux, sont à envisager
dans les cas des éveils de coma comme des éléments de restauration ou de
compensation de ce Moi-corporel défaillant. C’est du moins l’hypothèse qui
sous-tend mon intervention «dans une perspective dialectique réel-imaginaire,
ouvrant le champ du sensoriel, du biologique comme point de départ d’un
étayage psychique 10».

3.2. Illustration dans la pratique


Mon travail suivant ces lignes théoriques s’oriente depuis plusieurs années
déjà sur un accompagnement thérapeutique en piscine que les médecins de
l'institut Pomponiana m'ont permis de réaliser, en m’accordant leur confiance.
Le choix du milieu aquatique s’est fait pour plusieurs raisons qui tiennent
à mon expérience personnelle, aux qualités propres de l’eau et bien sûr aux
troubles et lésions des enfants ou adolescents en phase d’éveil du coma. Le
travail prend une forme et des objectifs différents selon le niveau d'éveil et les
atteintes de chaque enfant et se coordonne aux autres approches et stimulations.
J’illustrerai donc cet exposé par deux cas tirés de ma pratique.

3.2.1. L'eau : «espace de travail»


Ce sont avant tout les propriétés de l’eau qui m’ont incité à choisir cet
‘espace de travail. Cela a pu se concrétiser par l’existence de deux balnéo-
thérapies dans l'établissement, dont la température de l’eau et de l’air permet
d’y accompagner des enfants inactifs.
162 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

+ Les propriétés de l’eau |


— La température est un des premiers paramètres à prendre en compte.
L'eau est ici à 33 °C et l’air à 30 °C. Cela me permet de travailler toute l’année
dans l’eau avec des enfants en phase d’éveil qui n’ont aucune motricité volon-
taire. Le faible écart entre l’extérieur et l’intérieur évite l’alternance trop
brusque entre le chaud et le froid.
Cette température facilite également une atténuation du tonus musculaire
et la détente.

— Le second élément qui tient à la consistance de l’eau, à sa fluidité est


sa capacité d’enveloppement de tout le corps donnant les contours formels,
les limites entre l’extérieur et l’intérieur du corps, permettant de repréciser
les orifices et l’étanchéité de la peau. C’est d’ailleurs comme le rappelle
Anne-Luidgi Duggan !1 cette fluidité qui renvoie le plus à l’ambivalence
porteuse de plaisir ou d'angoisse selon son état.
C’est aussi cette propriété qui renvoie le plus précisément à la maintenance,
à la contenance et à l’intersensorialité du Moi-peau.

— Ensuite c’est sa densité qui apparaît importante par la pression qu’elle


exerce sur chaque centimètre carré de la peau, elle va impliquer toutes les
cellules sensorielles et les voies de la sensibilité qui aboutissent dans le tronc
cérébral et plus précisément dans le système réticulaire activateur ascendant,
responsable de l’état d'éveil. C’est donc un élément de stimulation primordial
pour les enfants comateux.

— La diminution de la pesanteur va permettre tout d’abord tous les portages,


sans difficulté. Puis ce seront les déplacements horizontaux et verticaux
retrouvés ainsi pour la première fois depuis l’accident.

— La modification des équilibres constituera dans l’évolution une stimu-


lation très importante dans les phénomènes d’adaptation et de régulation
toniques.

— La résistance opposée à chaque mouvement en souligne la direction,


la puissance et le tonus sous-jacent. Toutes les sensations proprioceptives
(tendineuses, musculaire...) sont exacerbées.

— L'amplitude du mouvement est elle-même accentuée du fait du dépla-


cement de la masse liquide qui porte, soutient et accompagne le geste, lui
donnant de «l’épaisseur ».

— La flottaison que l’eau va autoriser va favoriser la conscience du poids de


chaque partie du corps. Elle va ouvrir la première autonomie de déplacement
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 163

sans risque de tomber, de se cogner, d’être à nouveau «percuté » comme ce


peut être le cas en milieu aérien. Cette faculté retrouvée va déclencher les
phénomènes d'exploration de l’espace et d'action sur son environnement
(rechercher des objets, remplir/vider les objets, aller vers autrui..…).

Cet espace d’autonomie retrouvée (grâce à la confiance en sa capacité


de ne pas être submergé) va ensuite autoriser l'émergence des jeux symbo-
liques aquatiques. Cette phase n’est malheureusement pas toujours atteinte
mais elle revêt un caractère particulièrement intéressant dans le processus
thérapeutique.

+ Eau et sensorialité fœtale


Mais revenons à une autre caractéristique du milieu aquatique moins
évidente de prime abord, qui est celle de la propagation des ondes sous forme
de vibrations tactiles. C’est un phénomène qui se trouve être à l’origine de
sensation de plaisir ou de déplaisir, selon le vécu de chacun, sans être préa-
lablement identifié ou reconnu.
Et je pense que s’il existe une liaison possible avec le milieu aquatique
utérin c’est dans ce registre de la sensorialité primitive qu’il faut en émettre
l'hypothèse. Il ne s’agit évidemment pas ici de comparer l’enfant dans le
coma, au fœtus dans le ventre maternel, mais de rappeler les modalités de
notre sensorialité à ce stade et d’envisager les empreintes qu’elles pourraient
laisser dans notre organisation ultérieure.
Boris Cyrulnick, qui enseigne l’éthologie sur les rivages de la Méditerranée
où je travaille moi-même, instille cette théorie d’une sensorialité fœtale
responsable de la contagion émotionnelle entre la mère et le fœtus mais aussi
d’une mémorisation des informations et d’une vie mentale faite de premières
représentations… l
La qualité des capteurs actuels permet d’observer in utéro les modalités
de cette sensorialité. Ainsi le micro-cinéma ou l’échographie en trois dimen-
sions nous facilitent la visite de ce monde «paradoxalement mal connu ».
Dans le registre des vibrations, nous pouvons observer lorsque la mère parle
que la structure physique de sa parole se transforme en toucher stimulant le
fœtus et déclenchant un comportement exploratoire avec ses mains et sa
bouche.
Les hautes fréquences de sa vocalise sont arrêtées par la substance mater-
nelle. Seules passent les basses fréquences caressant le corps du fœtus. Les
sons graves sont en effet bien transportés par la matière maternelle ; ils
. viennent vibrer contre la bouche qui est la partie du corps la plus sensible.
L’oreille et l’audition entrent en scène également très précocement selon
certains scientifiques qui définissent une perception active dès la 27e semaine.
164 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Le bébé percevrait alors une organisation sonore structurée, lui permettant


de s’ajuster comportementalement.
L'autre forme de toucher est constituée par les mouvements, les variations
de postures de la mère qui impriment contre le dos du fœtus des frottements,
des vibrations qui l’incitent à changer lui-même de position. Cette «bous-
culade tactile imposée par les rythmes maternels » demande au bébé une
synchronisation, voire une adaptation posturale.
Au cours du sommeil paradoxal de la mère, le relâchement musculaire
provoque également une modification de l’espace utérin et donc une dimi-
nution de la stimulation tactile provoquant à son tour l’hypotonie du fœtus.
Le toucher postural est utilisé d’ailleurs en «haptonomie » pour déplacer
le bébé, l’inviter affectivement à se tourner en positionnant les mains sur le
ventre de la mère. Cette modification de pression, de chaleur, agit par conta-
gion sur toute l’écologie utérine et sur le fœtus lui-même.
Il existerait donc deux types de toucher 12 :
— «le toucher postural, où la peau du dos et de la nuque mettrait le fœtus
en interaction avec les grands mouvements, et les grandes émotions de
la mère. Toutes les mères témoignent des gambades du fœtus quand elles
pleurent ou sont émues.…. »;
— le toucher par l’oreille et la bouche grâce aux vibrations graves de la voix
maternelle. «Celui-ci devient fonctionnel dès les premières semaines
alors que l’embryon flotte encore, en état d’apesanteur, comme un tout
petit cosmonaute dans son univers utérin. »
Des mouvements commencent à apparaître à l’échographie comme la
flexion/extension du tronc, la rotation de la tête, les étirements, les bâille-
ments, la succion du pouce, en réponse aux stimulations sonores : bruits aigus
qui font sursauter et phonèmes graves qui font explorer. Non seulement, le
fœtus réagit au «toucher vocal » mais il boit littéralement les paroles de la
mère en déglutissant le liquide amniotique (3 à 4 litres par jour) parfumé par
les émotions qu’elle éprouve. À l’âge de 26 semaines, des comportements
différents s’obtiennent chez les fœtus en réaction à ces stimulations.
Certains vont être très actifs, gambadeurs, d’autres très calmes, d’autres
encore vont être très «suceurs» montrant ainsi qu’il y aurait des aptitudes
différentes à traiter de façon préférentielle des informations sensorielles, et
de s’y familiariser par mémorisation de courte durée et y répondre par des
explorations motrices.
Les autres sens fonctionnent également : vision, odorat et goût (avec les
parfums du liquide amniotique selon ce qu’inhale la mère). Cela constitue une
sensorialité non spécialisée, encore «amodale » presque informe puisque l’on
peut facilement passer d’un mode sensoriel à un autre nous rappelle Cyrulnick.
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE
165

Cette incartade théorique un peu sommaire dans‘le domaine de l’étho-


logie me ramène aux observations que j’ai pu mener dans l’eau avec les
enfants, dont l’éveil cortical commençait par des représentations issues de
sensations à nouveau identifiées.

3.2.2. Le cadre de ma pratique


Au sein du centre de rééducation, la kinésithérapie constitue le pôle de
référence des patients et des médecins. Le nombre de kinésithérapeutes, la
superficie des salles et la qualité des installations en attestent.
Parmi ces lieux de rééducation, la salle de balnéothérapie d’abord repré-
sente un espace très particulier où l’on expose au regard des autres tout son
corps et pas seulement la partie «à soigner ».
Le dénuement partiel en fait déjà un lieu à part. L’angoisse ou le plaisir
lié à l’eau constitue un second élément à prendre en compte. Le travail fonc-
tionnel de reprise de l’appui au sol, allégé d’une partie de son poids, les
mobilisations, les hydro-massages en constituent l’élément technique.
C’est dans ce lieu très spécifique à la rééducation fonctionnelle que ma
pratique s’est immiscée presque «clandestinement » au tout début, à des
horaires où le bassin était déserté par le Kinésithérapeute et les patients. Par
la suite, l’acceptation ou plutôt la tolérance m'a laissé la possibilité de systé-
matiser mes interventions et de proposer à chaque enfant traumatisé crânien
le nécessitant un travail d'accompagnement et de stimulation psychomotrice
en piscine.
La présentation de ce lieu lors de la première séance revêt une impor-
tance considérable tans les informations sensorielles sont multiples et
nouvelles pour ces enfants. L’odeur particulière du chlore, la chaleur, la
lumière diffusée par quelques spots et par de trop rares vitres, l’acoustique
particulière de cette pièce lambrissée : tout l’environnement sera détaillé
avant que d’aborder le déshabillage de l’enfant et sa nudité partielle. Le port
d’une couche sous la culotte en latex, la présence de pansements étanches
sur les plaies vont être également énoncés. Ensuite l’accompagnement dans
le bassin aussi bien physique que verbal sera entrepris au rythme des réactions
de l’enfant. L’échange peau à peau et tonico-postural commence à s'installer
pour guider mes gestes et mes mots, me permettant de proposer un type de
porter, une position, un déplacement ou un toucher particuliers. L'absence
de langage et parfois la pauvreté de la mimique mettent au premier plan ce
type de communication non verbale à laquelle nous sommes sensibles en
tant que psychomotriciens. C’est dans ce registre que ma spécificité prend
corps, car c’est par et grâce au décodage des informations transmises que le
sujet va peut-être reconnaître sa capacité à émettre du sens.
166 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Cet accompagnement ne se situe pas forcément dans le «faire-faire »


rééducatif mais alterne l’écoute avec le mouvement, la parole avec le silence,
le contact corporel et la sensation de flotter seul sous mon regard attentif.
L’exploration des différentes postures, des modes de déplacement, des mobi-
lisations douces, les massages affleurants ne sont que des moyens d’accéder
à un autre type de relation avec l’autre et jamais, pour moi, un but en soi. Le
progrès fonctionnel n’est pas recherché en tant que tel par réalisation d’un
programme rééducatif. Il apparaît pour permettre la réalisation d’un désir
que le sujet a pu manifester dans et par la relation qui nous lie.
Plus tard, l’accession à l’autonomie est un objectif convoité par ces jeunes
patients qui ne recherchent plus le corps à corps qu’au travers des jeux symbo-
liques. Les brassards, bouées, tapis, sont alors utilisés pour favoriser cette
autonomie de déplacement et d’exploration de l’espace. À ce stade, les règles
sont formulées à savoir :
— qu'ils peuvent tout faire dans le cadre du jeu défini tant que leurs actes
ne compromettent ni leur sécurité n1 celle des autres.
— ils doivent donc respecter les autres personnes sur le plan physique et sur
le plan verbal ; la parole étant soulignée comme essentielle dans ce cadre
au moment de la séance.
Un élément important est la présence des parents au bord du bassin lors-
qu'ils le désirent. Le projet de les faire participer à l’accompagnement dans
l’eau de leur enfant n’a pas encore abouti pour des problèmes d’organisation
mais il sera prochainement réalisable.

3.2.3. Deux situations cliniques


Afin d'illustrer mon propos, je vais présenter deux cas issus de ma pratique.
+ Stéphane
Stéphane est un enfant qui a été à 11 anset demi victime d’un accident
de la route à bord d’une automobile. Dans un coma d’emblée gravissime
(Glasgow à 5) il arrive à l’Institut 20 jours après son traumatisme dans un
coma côté à 8 sans signe de communication, même au niveau du regard.
Sur le plan neuro-moteur les bras sont en triple flexion de façon inter-
mittente avec flexion du poignet et des doigts. Les jambes, elles, sont hyper-
toniques en permanence en triple extension. Stéphane ne contrôle ni sa tête
ni Son tronc.
Il s’alimente par gastrostomie. Il présente de plus un syndrome fébrile
persistant à 38 °C sans étiologie précise qui retardera d’un mois la prise en
charge en balnéothérapie. Je viens le voir dans sa chambre durant cette
période, m'entretenant avec son père et/ou sa mère pour connaître exactement
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE
167

son environnement, ses goûts, la constitution de la famille, ses objets privi-


légiés. Ce sera l’occasion de rappeler les raisons de sa présence dans ce lieu
qu’il ne connaît pas et, bien sûr, l’objet de ma visite. Ensuite intervient le
toucher au niveau des bras, accompagné de la verbalisation quant à leur état
tonique, leur position, leur degré de chaleur et de moiteur. Il y à ainsi une
extension progressive de ce toucher à tout le corps puis une mobilisation de
chaque segment en fonction de la liberté articulaire et de la spasticité du
groupe musculaire.
Une fois obtenu un relâchement minimum, je guide le mouvement vers
l'exploration du corps propre, du visage, du membre opposé ou du tronc.
L'utilisation des photos familiales, des objets personnels complète ce travail
au niveau du corps pour redonner sens à son histoire. Les jours et les heures
sont stipulés à chaque intervention en associant la proximité d’un événement
marquant de la journée (toilette/repas/visite).
Ce qui frappe au contact de Stéphane, ce sont tout d’abord ses yeux grands
ouverts comme un appel vers quelque chose qui lui échappe à lui-même.
Ensuite c’est la crispation des mâchoires (trismus), la respiration qui mobilise
tout le haut du corps dans un mouvement péniblement accompli. Puis ce sont
les bras complètement fixés en flexion (comme pour éviter un nouveau choc)
qui contrastent avec l’hypotonie de la tête et du dos.
À l'annonce des séances en piscine 1l est très fréquent que les parents
insistent sur le plaisir que leur enfant éprouvait, avant l’accident, à être dans
l’eau. Il y a souvent un enthousiasme démesuré, quelquefois une inquiétude,
le plus souvent, un espoir de réparation dont l’eau est mythiquement porteuse.
Je proposerai aux parents de Stéphane d’assister, sur le bord du bassin, à
nos premières séances. C’est souvent un moment très fort sur le plan émotion-
nel pour eux, tant la vision de leur enfant se baignant est à la fois rassurante
mais aussi trompeuse. En effet, Stéphane paraît plus détendu, il présente une
nouvelle attitude lorsque je le place dans une posture qui s’approche de la
verticale. Ce n’est plus cette position grabataire dans laquelle ils ont trouvé
leur enfant en réanimation puis au centre. Ce changement formel, momen-
tanément possible, ainsi que les modifications dans la perception des zones
du corps qui sont immergées, peuvent conduire à l'illusion réparatrice mira-
culeuse de l’eau.
En effet, du bord du bassin, les mouvements de l’eau et le reflet à la surface
viennent masquer les déformations, les cicatrices, et le fait d’avoir en perma-
nence une couche… (celle-ci est recouverte par la culotte étanche en latex).
Stéphane est descendu dans le bassin par la table de transfert recouverte
du tapis flottant. Avant d'atteindre l’eau, je lui fais percevoir la température
de l’eau sur ses bras, sa poitrine, son ventre puis sur ses jambes, en faisant
couler un peu d’eau et en passant ma main mouillée sur tout le corps (le
168 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

visage n’est abordé que lorsque ce contact est accepté). Ce préliminaire


devient un rituel au fil des séances. Il s’accompagne de mots signifiant mon
contact et réintroduisant le nom de chaque partie du corps parcouru. Une
fois dans l’eau mais partiellement immergé sur le tapis, je lui soutiens la tête
pour instaurer la confiance nécessaire dans ce milieu qui peut être vécu
comme dangereux. Ce n’est qu’une fois cette confiance installée et perçue
au travers de son tonus, de son regard et de sa mimique que je porte Stéphane
dans mes bras en trouvant les endroits de son corps qui permettent le maintien
le plus confortable et son équilibre vertical. L’extrême tension de ses jambes,
la rétroversion du bassin et la différence de masse entre le bas du corps et le
tronc m’imposent des déplacements assez rapides dans le bassin. Ce type de
massage de tout le corps par déplacement m’autorise à diminuer le soutien,
ne maintenant plus que la nuque et orientant la tête pour qu’il voie tout ce
qu'il y a dans le bassin.
L'usage de «frites » sous les jambes est indispensable en statique pour
lui faire sentir sa flottaison tout en réduisant les surfaces d’appuis. Placée au
niveau du creux des genoux, elle va influer sur la flexion du genou et libérer
la tension au niveau des cuisses.
Plus tard dans la continuité des séances, un coussin ou une bouée sous la
nuque complète cette possibilité de flotter librement. Je peux alors guider ses
mouvements au niveau de l’épaule, du coude, du poignet et de la main, en
facilitant par la lenteur du déploiement le relâchement partiel des fléchisseurs.
Ce travail très lent et très précaire (la moindre stimulation nociceptive, visuelle,
auditive, relationnelle va annihiler cette petite liberté de mouvement) va
permettre d’explorer les régions du corps accessibles à son propre toucher :
son visage, l’autre bras, son ventre, le haut de sa jambe. La recherche des
postures impossibles à tenir actuellement hors de l’eau va être entreprise
assez facilement grâce à la relative apesanteur et à la modification tonique
que l’eau permet.
Ainsi, Stéphane va se tenir assis sur mon genou en étant maintenu au
niveau des aisselles et de sa tête qu’il ne peut et ne pourra pas contrôler
jusqu’à ce jour. La position verticale ainsi proposée et soutenue va l’autoriser
à regarder l’espace environnant et les personnes autour de lui sous un angle
perdu depuis son accident. Ce travail de repérage spatial à partir de la posture
est un élément très important dans l’eau. Il induit un corps à corps propice
à la communication d’informations toniques très importantes dans notre rela-
tion et stimule l’exploration et la poursuite oculaire. Il incite Stéphane à
ressentir les muscles de la nuque et du cou qui lui permettraient de tenir sa
tête puis ensuite le tronc.
Ce type de stimulation tonico-posturale, sensorielle et relationnelle dure
depuis deux ans maintenant et montre ses limites puisque Stéphane n’a pas
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 169

fait d’acquisition posturale et n’a pas les moyens de communiquer autrement.


Son corps se déforme inexorablement et la souffrance devient constante.
Le travail dans l’eau reste cependant trois fois par semaine l’occasion
d’un réel plaisir lui permettant, durant une heure complète, de se détendre
totalement.

+ François
François est âgé de 12 ans lorsqu'il est victime d’un accident de voiture
dans lequel son grand-père décède. Lui est hospitalisé dans un coma grave
(Glasgow à 5) avec des troubles neurovégétatifs majeurs, une hypertonie
généralisée et des fractures de la clavicule, de l’ethmoïde et des dents. Il
arrive à Pomponiana un mois après son accident les bras en triple flexion,
les jambes en triple extension, sans signe de communication. Le programme
de stimulation, d'éveil et de rééducation est mis en place quotidiennement
avec de la kinésithérapie, de l’ergothérapie pour le réapprentissage des gestes
de la vie quotidienne, de l’orthophonie pour la restauration mnésique et du
langage, de la psychomotricité et un accompagnement sur le plan psycho-
logique dès le début pour lui et sa famille.
Son éveil se déroulera sur deux mois jusqu’à ce qu’il communique à haute
voix et qu'il se déplace seul, qu'il soit continent et surtout qu’il exprime ses
désirs.
Le travail dans l’eau commence par des portages en position horizontale
et, dès la première séance, François cherche à se redresser, d’abord assis sur
un tapis, puis debout tenu en esquissant ses premiers pas.
L’eau a été pour lui le moyen de retrouver très vite cette verticalité qui
le rendit beaucoup plus calme. C’est en effet un enfant très agité qui après
quelques jours dans le service arrache sa sonde nasale régulièrement, pleure,
bouge la tête en fixant le plafond. Les séances de balnéothérapie vont inau-
gurer le retour à un comportement beaucoup plus adapté. Son premier sourire,
alors que son visage était fermé, apparaît en séance après un jeu de ballon…
Très vite il va regagner son autonomie, avec obstination et témérité. Les
apnées vont être recherchées systématiquement alors qu’il inhale régulière-
ment de l’eau, ce qui, rapporté au discours de sa mère qui me le présentait
comme un enfant prenant beaucoup de risques auparavant, m'inquiète de
plus en plus. Des moments de détente sont proposés et acceptés maintenant
qu'il parvient à verbaliser ce qu’il ressent.
Plus tard les jeux qu’il met en place avec un autre enfant sont assez agres-
sifs : il contrôle mal son impulsivité et ne retient pas ses coups. Les rappels
de la règle ne suffisent pas toujours et je dois intervenir d’une façon plus
autoritaire pour interrompre ses accès de violence.
170 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

François devient très revendicatif avec ses parents et exprime toute sa


rancœur envers son grand-père, responsable de l’accident.
La récupération de François compte tenu de la gravité de son traumatisme
est exceptionnelle même sur le plan cognitif et de la mémoire. Il semble prêt
à reprendre le niveau scolaire qu’il suivait avant son accident. Les difficultés
relationnelles au sein de la famille préexistaient ;elles n’ont pris que plus
d’ampleur. François retournera chez lui quelques mois plus tard et traversera
plusieurs épisodes critiques, exprimant même un désir de mourir qui nécessi-
tera une hospitalisation en service de psychiatrie.
Le relatif succès du travail rééducatif est à considérer avec circonspection
compte tenu de la suite de l’histoire. L'accompagnement n’a pas été semble-
t-il suffisant pour permettre à François de retrouver une place acceptable au
sein de la famille. Le bouleversement dû à cet accident a fait voler en éclats
l'équilibre précaire qui avait été trouvé pas à pas.

4. Conclusion

Ces deux histoires qu’il est bien difficile de condenser, tant le travail
se fait au jour le jour, viennent témoigner de la complexité des situations
thérapeutiques.
En conclusion, plusieurs types de difficultés sont à évoquer :
— Les difficultés liées à l’émotion que ne manque pas de susciter chaque
histoire et qui peut envahir tout le champ de la relation avec le sujet blessé
si on ne parvient pas à identifier ce qui se joue en nous-même. Le risque est
grand pour chacun de succomber à la contagion émotionnelle et de perdre
ainsi toute possibilité d’écoute de la souffrance de l’autre puisque l’on souffre
soi-même par identification ou projection. Seul un travail sur soi ou dans un
groupe de parole peut à mon sens permettre d’éviter ce processus trop humain.
— Les difficultés liées à la précarité de l’état de santé de ces enfants (les
encombrements bronchiques, l’hypertension artérielle, la mauvaise thermo-
régulation, le risque épileptique) qui demande une attention et une présence
sans faille lorsque nous sommes dans le bassin. C’est parfois un pari risqué
que de «tremper dans ces affaires-là » et de «se mouiller ainsi » ! Mais pour
les enfants (comme pour moi-même) la prise de risque permet le plus souvent
une évolution.
— Et lorsque nous sommes confrontés, comme cela arrive parfois, à l’ab-
sence de signe d'éveil sur des périodes très longues, le risque de l’inefficacité
et de l’impuissance à être thérapeute peut poindre. Le travail de régulation en
équipe peut permettre alors d’éviter ce sentiment que chaque thérapeute a
vécu au cours de son parcours professionnel.
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 171

Mon expérience n’est finalement qu’une déclinaison particulière de l’exer-


cice de beaucoup d’autres psychomotriciens travaillant auprès d’enfants qui
souffrent de troubles très différents. Notre façon d'observer, de communiquer
et d’écouter nous permet, au-delà même des techniques, d’apporter à la
personne une possibilité de se retrouver en tant que sujet. Car ce qui est en
question après un traumatisme, c’est bien cette place perdue. En effet, dans
le cas du traumatisme crânien et du coma le monde ou la connaissance que
le sujet en a grâce à son expérience corporelle n’a plus de sens. Son corps
ne lui permet plus de valider les acquis antérieurs et il n’est donc plus capable
de s'identifier lui-même en l’absence de tous ses repères. Cette situation de
non sens ne peut être dépassée que par la remise en mouvement du corps et
par les mots venant symboliser le vécu. Le thérapeute doit être celui qui
apporte du sens par l’expérience qu'il va faire vivre à cette personne. Le choix
du milieu aquatique offre ce cadre facilitateur et prometteur qui autorise le
retour à la sensorialité multi-modale et au mouvement dans un «bain langa-
gier » chargé de faire sens.

NOTES

Docteur Boucand, Conférence sur le traumatisme crânien, Giens, 1995.


P. Schilder, L'image du corps, trad. Gantheret et Truffert, Gallimard, 1968.
F. Dolto, L'image inconsciente du corps, Paris, Seuil, 1984.
J. Barbizet et Ph. Duizabo, Neuropsychologie, Paris, Masson, 1977.
J.-C. Colombel et RM. Palem, Autour du traumatisé crânien.
S. Freud, «Le Moi et le Ça», Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1951.
D.W. Winnicott, Jeu et Réalité, Paris, Gallimard, 1975.
D. Anzieu, Le Moi-Peau, Paris, Dunod, 1985.
D. Anzieu, op. cit., p 153.
A. Calza et M. Contant, L'unité psychosomatique en psychomotricité, Paris, Masson,
mi==;.
1990.
11. «La promesse de l’eau, psychothérapies et handicaps », Bastia.
12. B.Cyrulnick, Les nourritures affectives, Paris, Odile Jacob, 1993.
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« Je bouge, tu bouges, nous bougeons…
Pan! T'es mort »'
Hyperactivité :Perspectives thérapeutiques en psychomotricité…

CATHERINE POTEL

1. Introduction

Il y a une vingtaine d’années, la dyslexie était l’objet de tous les débats


enflammés et passionnés. Elle a cédé la place à d’autres symptômes : préco-
cité, dyspraxie, hyperactivité. L’hyperactivité est donc actuellement une
vedette des médias et des sites internet.
« Votre enfant est hyperactif. Que faire ? Quelle solution ? »
« Vous pensez que votre enfant est hyperactif ? N'attendez pas. »
« Hyperactivité, agressivité : futurs candidats à la délinquance ! », etc.
L’hyperactivité préoccupe : les parents, les psys, les neuropsy, et les.
psychomotriciens.
Elle provoque des levées de boucliers. Les théories s’affrontent : les psys
sont trop psys, les neuros sont trop neuros. Les réponses et les causes se cher-
chent pour les uns, dans le déséquilibre parental, pour les autres, dans le
cerveau. Et, malheureusement, ces réflexions sont le plus souvent aux antipodes
les unes des autres, plutôt que de se vouloir complémentaires. Les adultes
se bagarrent, eux-mêmes pris dans une hyperactivité stérile, et les enfants
continuent à s’agiter dans tous les sens.
L'hyperactivité est-elle donc un symptôme à l’image de notre société
contemporaine ?

2. Qu'est-ce que l’activité ?


Tout d’abord, pour commencer, je vous propose de nous arrêter un instant
sur le terme d’« activité » avant de nous engager plus avant dans notre réflexion.
174 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Le petit Robert nous donne comme définition stricto sensu:


Activité: Faculté d'agir, de produire un effet.
Plus loin: Qualité d'une personne active, dynamisme, énergie, vitalité,
vivacité.
Une troisième définition qui retiendra toute notre attention: Ensemble
des actes coordonnés et des travaux de l'être humain.
Gardons en tête ce terme de coordonné, particulièrement pertinent pour
ce qui nous intéresse ICI.

3. Caractéristiques de l’activité humaine


L'activité est l’une des caractéristiques du vivant. Tout organisme vivant
(micro-organismes, plantes, légumes, animaux, humains) doit témoigner
d’une certaine activité pour assurer sa survie. La non-activité correspond le
plus souvent à la non-vie ou encore à la mort.
Chez les humains, les activités sont multiples et variées : activités végé-
tatives, neurovégétatives, activités des organes, activité corticale, activité
sensorielle, activité gestuelle, manuelle, locomotrice, mentale, intellectuelle,
activité créatrice, sans oublier l’activité psychique qui a pour but de faire le
lien, d’assurer une continuité, une cohérence entre toutes ces activités. De
cette cohérence, dépendra pour l'individu son adaptation à la réalité, sociale,
environnementale, adaptation qui elle-même dépend du sentiment d’exister
et d’être, en tant que sujet à part entière.
Le Petit Robert, toujours lui, rajoute:
Activité : Ensemble des phénomènes psychiques et physiologiques corres-
pondant aux actes de l'être vivant, relevant de la volonté, des tendances, des
habitudes, de l'instinct.
S'il existe un système hiérarchique entre toutes ces activités, le système
n’est cependant pas pyramidal. Toutes ces activités sont nécessaires et complé-
mentaires pour assurer une certaine qualité de présence au monde et à soi.
Il peut y avoir des failles, des arrêts, des ruptures, et nous voyons alors surgir
des symptômes ou des syndromes, qui témoignent d’une souffrance, d’une
douleur, d’une lésion, d’un dérèglement physique ou psychique, ou encore
(et c’est très souvent le cas) les deux associés.

4, L'activité chez l’enfant

Chez l'enfant, l’activité est en cela très spécifique et particulière qu’elle


est fondamentalement liée au développement et à la maturité/maturation
de l’enfant. Je vais me limiter ici aux activités motrices, sensorimotrices,
HYPERACTIVITÉ : PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ...
175

psychomotrices, laissant aux autres spécialistes le $oin d’approfondir les


autres registres (activités corticales, neurologiques, etc.) si fondamentales
bien sûr dans la construction du nourrisson, du bébé et de l’enfant.
Chez un enfant qui évolue sans problème majeur particulier, on voit une
progression constante de son activité psychomotrice.
Chez un nourrisson, le sensoriel est ce qui est le plus prégnant. Le bébé
est Soumis à une quantité de micro-évènements (internes et externes) qui
vont éveiller ses sens, stimuler son système perceptif, nourrir son appétence
à la curiosité. Dans ces micro-évènements, j’inclus autant la faim, la soif
— c’est-à-dire les besoins biologiques — que les petites poussières qui volent
dans un rayon de lumière, le vent qui joue dans les branches et caresse la
peau, la pétillance d’une goutte d’eau sur le visage, la chaleur des bras d’une
maman, un bruit qui fait sursauter… Dans les premiers temps, le nourrisson
subit et éprouve ces informations sensorielles, qu’elles soient du domaine
visuel, tactile, auditif, gustatif, olfactif. Dans un second temps, et ce assez
rapidement, sa perception va entraîner des réponses motrices. C’est ce qu’on
appelle communément la sensorimotricité. André Bullinger, après Wallon et
Piaget, a consacré ses recherches sur le développement sensori-moteur de
façon extrêmement intéressante et pointue. On pourrait citer, entre autres
auteurs, Yvette Hatwell et ses recherches sur la perception de l’espace, ou
encore Alain Berthoz (le sens du mouvement).
Le bébé éprouve, il ressent, il vibre par sa peau, son odorat, son regard,
il réagit à tout l’espace qui l’entoure et le stimule, et son hyper réactivité à
la relation humaine l’engage très vite dans des interactions dynamiques.
L'enfant devient de plus en plus actif. En fait, au terme d’actif, je préférerais
le terme d’acteur. En effet, dire que l’enfant devient de plus en plus actif peut
prêter à confusion. Il pourrait nous laisser supposer, par les évidences trom-
peuses du langage, qu'auparavant l’enfant était passif. Or le couple des
contraires actif/passif, ici, n’est pas de mise. Dans la réceptivité du bébé, il
y a déjà toute une activité du sensori-corporel qui a permis d’emmagasiner,
d’imprimer, de s’imprégner des sensations kinesthésiques, proprioceptives,
kinétiques. Il est démontré d’ailleurs que ces traces perceptivo-sensorielles
remontent déjà à la vie intra-utérine.
L'enfant devient donc de plus en plus acteur de sa vie d’enfant, dans une
activité qui lui fait investir comme autre moyen de satisfaction que celle de
ses besoins vitaux le plaisir du geste, du mouvement, de l’action, pour des
choses aussi gratuites que celles d’attraper le petit bout de papier collé sur
le tapis (et bien sûr le porter à la bouche), se retourner alors qu'on est allongé
sur le dos, pour voir autre chose que le plafond, pousser sur ses bras pour
libérer sa nuque, redresser et tourner sa tête vers la musique d’une voix bien
connue, etc. !Ces nouvelles activités motrices et musculaires lui permettent
176 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

de maîtriser quelque chose de l’univers qui l’entoure et de faire des décou-


vertes. Cet investissement nourrit sa curiosité, qui elle-même le pousse à
découvrir d’autres schèmes moteurs, non sans avoir auparavant assuré cette
maîtrise dans des jeux mille fois répétés pour mieux les intégrer. Piaget parlait
de réactions circulaires.
L'ouverture au monde naît de cette maîtrise de l’enfant, qui va ainsi
construire son axe, assurer ses coordinations, libérer ses membres supérieurs,
exercer ses appuis plantaires, tonifier la musculature de ses jambes. La verti-
calisation et l’acquisition de la marche naissent du croisement entre désir
d’investir l’espace et fonctions du corps qui trouvent leur pleine expansion
dans les expériences exploratoires de l’enfant. Pour autant, cela n’est pas
suffisant. Le désir d'exploration du bébé naît de sa curiosité, certes. Elle naît
aussi de la possibilité pour lui d’entreprendre un chemin vers la différenciation,
le dé fusionnement et l’autonomie.

5. Le concept d'objet transitionnel


Les expériences concrètes de l’enfant, essentiellement corporelles, vont être
à l’origine de ce que D. D. Winnicott a appelé les phénomènes transitionnels.
Les concepts d’objet transitionnel, de phénomènes transitionnels, puis
d’espace transitionnel, sont absolument liés et resteront indissociables de ce
qui se passe dans et à travers le corps et l’expérience.
Le bébé a besoin de faire de vraies expériences pour se construire et pour
construire un espace intermédiaire entre lui et ce premier objet d’attachement
extrême qu'est sa mère. Un espace qui se construit sans arrachement, ni indif-
férence, un espace qui transforme la perte en bénéfice — il y a toujours une
certaine perte à se séparer pour devenir un —, en expérience de créativité et
d'autonomie. |

6. L'espace de jeu: un espace potentiel


Les premières petites coordinations du nourrisson le surprennent puis
lui permettent de supporter de plus longs moments de solitude. Ce peu de
temps à suçoter, à découvrir le mouvement de ses doigts — qui sont en fait
les premiers jeux de l’enfant — est un gain considérable pour la vie psychique
future du bébé: premières expériences d’auto-satisfaction, de création
authentique. De lui-même, le bébé a trouvé un moyen de se contenter, et
en quelque sorte, de remplacer sa mère. C’est une première marche vers
la différenciation.
HYPERACTIVITÉ : PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ... 177

Ces phénomènes transitionnels matérialisent et jalonnent le chemin que


le petit enfant fait entre l’état de fusion et d’indifférenciation dans lequel il
est, à l’origine — et dont il peut vivre les bons effets vitaux — à l’état où il
devient peu à peu en relation avec son premier objet d’amour, et avec son
environnement tout entier, en tant qu'être séparé et différencié.
Ces expériences sensorielles où l’enfant va trouver son pouce, ses doigts
— qui font partie de lui sans qu’il le sache mais qu’il va pouvoir s’approprier
de façon de plus en plus autonome — vont inaugurer toutes ses expérimen-
tations ultérieures, desquelles vont découler ensuite toutes ses acquisitions,
organisatrices de son sentiment « d’être soi ». Le pouce, les premiers
gazouillis, les petits bruitages de gorge font partie de ces phénomènes tran-
sitionnels, qui ont pour effet de calmer l’enfant au moment par exemple de
s’endormir (on peut imaginer facilement le lien entre gazouillis, chant, voix,
puis langage).
À partir de ces expériences de tous les jours, que l’enfant a « trouvées
créées », va se dessiner un espace de jeu potentiel entre sa mère et lui, entre
le monde et lui. C’est dans cet interstice-là qui inaugure la séparation et la
différenciation, que l’enfant va commencer à jouer et à construire le monde
qui l’entoure, dans l'illusion que c’est lui qui le crée, ce qui est fondamental.
Cette création n’est possible que si elle se vit dans et par de vraies expériences
sensori-motrices, kinesthésiques…
Jouer, c’est faire. Jouer, c’est faire dans la réalité.

7. L'hyperactivité chez un enfant non « hyperactif »


Nous sommes donc arrivés à l’idée que l’activité de l’enfant est avant
tout un jeu. En tout cas, il est important qu’elle le devienne. Pour que ce jeu
existe, il faut qu’il y ait un éveil, de la curiosité, du désir et une interaction
entre perception, sensation et action.
Si nous revenons à cet enfant que nous évoquions précédemment et dont
le développement se passe sans heurt ni accroc, les moments d’activité intense
(il faut observer les jeux de l’enfant pour voir de quelle attention soutenue ils
sont l’objet) alternent avec des phases de repos. Cette alternance activité/repos
est essentielle, tant au niveau du corps qu’au niveau du travail psychique.
Moments de sieste pour les plus jeunes. Pour les plus grands, moments
d’arrêt, d'interruption, de vide, qui correspondent au célèbre « Je m'ennuie »
que connaissent bien tous les parents. On ne dira jamais assez combien il est
important que les enfants connaissent l’ennui, ces petits moments de dépres-
sion d’où surgissent une idée, un nouvel essor vers d’autres contrées imagi-
naires, d’autres découvertes et inventions.
178 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Ces temps d’arrêt sont des temps de ressources et de repos, « organisateur »


de rythme et de scansion, qui inscrivent l’enfant dans une temporalité de bon
aloi.
Cependant, tous les enfants, même les plus calmes, connaissent des
moments d’agitation extrême, d’hyperactivité, ces moments où on a l’im-
pression que rien ne les arrêtera, quand ils ne cessent plus de parler ni de
bouger. Quand ils nous assurent par exemple qu’il n’est vraiment pas l’heure
d’aller se coucher et quand ils font tout pour faire reculer le moment fatidique
de la séparation, celle qui vient avec la nuit.
Parfois cette hyperactivité momentanée peut surgir dans certaines situations
particulières, un événement, une relation. Ce comportement hyperactif occa-
sionnel est alors tout à fait réactionnel et normal.
Observons un enfant dans les premiers apprentissages de la lecture. Il
se concentre en partie, le regard fixé sur sa page, le doigt suit la ligne. Image
du parfait petit lecteur. Si nous observons le reste de son corps, c’est un vrai
festival de mouvements les plus variés. Les jambes se balancent, se croisent
dans des entrechats vertigineux, le bassin est en équilibre instable et tangue
tel un navire en dérive, la colonne vertébrale se tord dans une danse effrénée,
la posture utilise avec brio et créativité tous les points d’appui possibles
inimaginables. Cet enfant ferait pâlir d’envie les plus grands danseurs de
samba !
Que dit le corps de cet enfant ? On peut supposer que la charge anxiogène,
qui naît de la situation d’apprentissage de la lecture, est compensée par ces
mouvements du corps. Le corps vient à la rescousse d’une tête qui se doit
de rester froide pour poursuivre sa course vers le savoir. La dissociation
pensée/mouvement évite chez cet enfant la chute vertigineuse d’une trop
grande angoisse tétanisante. Il s’auto-calme. Un peu comme le bébé qui a
appris à se bercer lui-même ou à sucer son pouce pour attendre. Quand un
adulte, à côté de l’enfant, trouve le moyen, par une voix calme, une position
du corps tranquille, ou une autorité bien tempérée.…, bref offre la contenance
nécessaire, à ce moment-là, on voit l’enfant se tranquilliser sans plus avoir
besoin de recourir à cette auto-sensorialité, qui reste malgré tout très inadaptée
pour l’exercice de la lecture. Il est alors contenu dans la relation à l’adulte.
Apprendre à se concentrer est histoire de contenance, et ceci prend du temps
dans la vie d’un enfant.
Parfois l’hyperactivité réactionnelle naît d’une situation trop excitante,
que l’enfant ne peut ni élaborer ni intégrer.
Voici l’exemple de Cécile, 5 ans qui vient à la piscine avec sa maman
tous les samedis. Il ne s’agit pas du tout d’un travail thérapeutique mais d’une
activité de loisir.
HYPERACTIVITÉ : PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ... 179

Cécile a 5 ans. Cécile est « un vrai poisson dans l’eau ». Pour elle, aucun problème,
elle passe son temps à évoluer sous l’eau avec un plaisir évident. Sauf qu’elle
vomit à la fin de chaque séance, ce dont je ne m'aperçois pas tout de suite. Un
jour que je la vois vomir, je m'inquiète et demande à la maman ce qu’il se passe.
La mère, pas du tout paniquée, m’apprend que les vomissements sont pratiquement
systématiques, en fin de séance tous les samedis, sur le chemin du retour ou à la
maison. Je suis étonnée de la banalisation dans le discours maternel, de ce fait pour
le moins curieux et pas du tout « normal ». Les séances suivantes, je m'occupe un
peu plus de Cécile et je constate que cette petite fille, par ailleurs très à l’aise
dans sa motricité aquatique, ne protège pas l’intérieur de son corps. Bouche
ouverte, elle boit et ne peut imaginer faire autrement. Elle est dans l’eau et l’eau
est dans elle. Par ailleurs, les relations dans le bassin entre sa maman et elle sont
toujours d’une qualité très tonique. C’est l’excitation qui mène la danse, et cette
maman, très chaleureuse et vivante, ne cherche pas du tout à canaliser sa fille.
Elle se laisse entraîner par l’activité débordante de Cécile. Il faut dire qu’elle
vient d’avoir un deuxième enfant et ces temps de jeu dans l’eau avec sa grande
sont de précieuses retrouvailles, sans doute très déculpabilisantes pour elle.
En accord avec elles deux, je propose des situations de détente, pour montrer à
Cécile une autre utilisation de l’eau possible, souffler, être portée, glisser... Par
la relaxation, Cécile découvre un autre plaisir à être dans l’eau, plaisir moins
actif et plus sensoriel, situations qui vont l’aider à appréhender autrement la
profondeur, et de ce fait à mieux faire la différence entre l’intérieur de son corps
et l’intérieur de l’eau, et par conséquent mieux maîtriser pour mieux se protéger.
Elle va ensuite pouvoir adapter sa respiration en fonction des situations. Les
vomissements cessent.

Nous voyons dans ce petit exemple combien l’hyperactivité réactionnelle


et occasionnelle, qui se répète néanmoins chaque samedi, prend tout son sens
dans le contexte de l’arrivée d’un bébé dans cette famille. Arrivée qui boule-
verse toutes les places — provoquant une culpabilité chez la maman vis-à-vis
de sa grande fille pour qui elle a moins de temps — et une excitation chez
celle-ci dans ce milieu aquatique qui favorise à la fois les mouvements régres-
sifs et demande une grande maîtrise corporelle. Très vite, l'intervention, ici
pédagogique, d’un tiers amène apaisement et élaboration de ces émotions.
Pas de grand discours, mais des situations corporelles adaptées de relaxation
et de jeu pour apprendre à Cécile à se détendre, à souffler ou fermer sa bouche
quand elle est sous l’eau.
— Le portage par la maman de Cécile dans des glissés et mouvements très
relaxants répond au besoin de régression et de sécurité affective réclamée
par la petite fille, dans cette situation où elle a perdu sa place d’enfant unique
dans le cœur de sa mère.
_ La maîtrise de la respiration s’adapte à ses capacités de 5 ans et tient
compte de ses acquisitions et intégration de son schéma corporel.
180 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

— Enfin, l'intervention d’un tiers dénoue une situation émotionnelle intense


pour les uns et pour les autres, mais non pathologique qui s’enkystait néan-
moins et se résolvait par un symptôme non anodin: les vomissements.
Donc, chez l’enfant, l’activité est une chose normale, bonne pour la psyché.
Et un enfant qui va bien peut parfois être remuant, excité, agité, ce qui ne veut
pas dire qu’il soit hyperactif. Alain Braconnier (pédopsychiatre et psychana-
lyste spécialiste de l’enfance et de l’adolescence) mettait en garde aux derniers
entretiens de Bichat contre les diagnostics trop rapides d’hyperactivité. Je
cite : « L’agitation de l’enfant est normale. Le terme d’hyperactivité est de
plus en plus souvent employé au sujet de ces enfants agités, ce qui pousse
parfois à tort à considérer leur comportement remuant comme une pathologie. »
Il ajoute qu’actuellement, on demande très tôt aux enfants d’être calmes et
l'intolérance à leur agitation croît. De plus, l’enfant est très stimulé et les
modes d’éducation ont changé. Parfois la pente « psy » du tout comprendre
entraîne chez les parents une réelle difficulté à assumer leur autorité et à dire
Non. Quand ceci se double d’un rapport de plus en plus narcissique à l’enfant,
les problèmes commencent.

8. L'hyperactivité pathologique: l'enfant hyperactif


Nous arrivons maintenant au point névralgique. Quand l’hyperactivité
n’est plus seulement un débordement lié à un événement précis ou à un
moment de la journée. Quand elle décrit le fonctionnement d’un enfant
aux prises avec une agitation sans scansion ni arrêt. Quand le temps n’existe
pas, quand la roue tourne sans jamais s’arrêter, sauf par épuisement du
moteur.
L'hyperactivité est alors un comportement symptomatique qui s'inscrit
dans une pathologie de la personnalité. Toujours selon A. Braconnier, cela
concerne environ 5 % de ces enfants vus en consultation pour « hyperactivité »,
et le comportement hyperactif révèle alors un véritable trouble, qu’on appelle
« trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité ». Elle s’accompagne
de difficultés de concentration, d’oublis fréquents, d’effervescence.. Le
diagnostic ne se pose qu'avec la plus grande prudence, et doit tenir compte
de ces différents symptômes dans la durée.
Quand on est dans l’hyper, on est du côté du trop, de l’excès, de l’exagéré,
du non contenu dans des bornes, du hors-cadre, du non bordé, du dé bordé.
Ça dépasse.
L'exemple clinique qui suit est emprunté à ma pratique en CMPP, et va
nous faire mieux appréhender les modalités d’un travail en thérapie psycho-
motrice ainsi que les perspectives d’une telle prise en charge.
HYPERACTIVITÉ :PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ... 181

Victor est un enfant de 6 ans que je vois pour la première fois pour un
bilan psychomoteur et un suivi éventuel. Comme notre médecin directeur
est aussi prudente qu’ Alain Braconnier et considère avant tout l'enfant dans
son dynamisme psychique, et ses symptômes comme l’un des éléments d’un
tout et signe du mal-être de l'enfant, Victor ne m'est pas adressé avec l'étiquette
«hyperactif ». Mais son comportement en dit long sur son énergie débordante
et effervescente.
Mes collègues psychologues connaissent Victor depuis quelque temps et
ce sont elles qui ont pensé à une médiation corporelle en individuel pour cet
enfant. Il est inscrit dans leur groupe thérapeutique et son comportement
rend extrêmement difficile son intégration dans le groupe. Il occupe tout le
terrain, bouge constamment, déballe tout, est agressif avec les autres.
Par ailleurs, c’est un enfant en grande difficulté scolaire, qui ne peut suivre
le rythme de la classe, qui manifeste de grandes difficultés sur le plan
graphique et pour qui l’accès à la lecture pose un réel problème. Sur le plan
relationnel, il a très peu de copains et ses relations vis-à-vis d’eux sont très
agressives, voire violentes. Cette violence, il peut en être à l’origine ou en
être la victime. D'où cette première idée d’une indication d’un travail théra-
peutique en groupe.
Je vais vite abandonner la poursuite du bilan psychomoteur, commencée
lors de notre première rencontre, devant le mutisme de l’enfant, sa fermeture,
son agitation dévastatrice et son hermétisme face aux consignes. Je noterai
en conclusion de mon évaluation psychomotrice :
« L’agitation de Victor l’empêche de se concentrer et de répondre aux
consignes de façon continue. La tension et l’excitation touchent à leur
paroxysme dans toutes les épreuves où le corps est globalement engagé. Les
manifestations d'opposition alternent avec des comportements très régressifs.
L'adaptation tonique est impossible et l’équilibre difficile à garder (par contre,
il sait très bien faire du vélo). La latéralité est homogène à droite, sans que
Victor ait pour autant intégré les repères spatio-temporels de son âge. Le
langage est peu utilisé dans la communication. L’agitation psychomotrice
semble symptomatique d’un chaos interne et d’une pulsionnalité à fleur de
peau, dont les décharges motrices et impulsives témoignent. L’indication
d’une thérapie à médiation corporelle est à privilégier pour ce petit garçon
qui doit être en grande difficulté pour trouver en lui les moyens de répondre
aux demandes scolaires malgré une intelligence vive. »
La scène qui suit est donc notre deuxième rencontre.

Victor arrive dans la salle de psychomotricité, sans un mot. J’ai à peine le temps
de lui dire bonjour que d’emblée, il se jette sur les matelas et s’enfouit sous les
coussins. Je verbalise ce que je ressens : « les coussins et les matelas comme un
182 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

abri, une maison » et joins l’action à la parole. Je commence à dresser les matelas
les uns contre les autres, ce qui intéresse Victor. Il m'aide aussitôt. La cabane
vacille, puis enfin tient debout. Victoire ! Victor entre et m’invite à entrer avec
lui, tout ceci avec le strict minimum d’échange verbal.
Le calme ne dure que quelques instants. Un monstre vient nous dévorer. Un cata-
clysme s’abat sur moi. Victor s’est rué sur les murs de matelas qui m’entourent.
Il se jette dessus sans aucune inhibition ni perception de son poids. « Attention ! »
Je crie, en même temps que je protège ma tête de mes bras. Si j'allais recevoir
un mauvais coup ? La maison de paille du petit cochon me revient en mémoire.
Je suis le petit cochon, le loup va me dévorer. Je raconte ce qui me vient en tête.
Un peu d’arrêt. Victor rit. Plaisir du jeu à cet instant seulement. Un peu de distance,
une histoire naît dans les mots. Je m'aperçois alors que Victor sait très bien parler,
ce dont je n’étais plus du tout convaincue. En fin de séance au moment de nous
séparer, Victor enfin intègre l’abri-maison et se couche en chien de fusil tout en
suçant son pouce. Mais il entend dans le couloir son frère et ses grands-parents.
Il leur crie d’entrer. Ce qu’ils s’empressent de faire, peu arrêtés par une porte
fermée !

Si nous analysons cette séance, deux choses nous frappent d’emblée :


— Aucun mot ne s’échange, au point que je crois Victor mutique.
— Il n’y a aucun espace ni temps intermédiaire. Victor s’est immédiate-
ment Jeté dans l’espace de ma salle, sans aucun lien avec moi n1 bonjour, ni
temps de latence qui caractérise généralement le temps des retrouvailles.
Cette immédiateté tue dans l’œuf ce qui a besoin de se créer. Aucune
ébauche de lien n’est possible. Ceci a pour conséquence de me jeter moi-
même dans l’immédiateté d’un jeu proposé, pour tenter de canaliser ce qui
n’est autrement que de l’acte pur sans aucune transitionnalité.
— Une autre observation importante : la place du corps, omniprésente.
Aucune inhibition, aucune protection ni pour lui (en se jetant il aurait pu se
faire mal) ni pour moi. Quant à l’intentionnalité de l’acte agressif, je n’en
suis pas convaincue. Quand Victor se jette ainsi, il ne cherche pas, à mon
avis, à me faire mal. Il met en scène son état intérieur. La nouveauté de la
situation est une situation anxiogène et plutôt que de l’aborder avec un mini-
mum d’expression et de communication dans un échange verbal d’appri-
voisement mutuel, Victor se jette dedans.
Les mots racontés à partir de l’histoire du petit cochon et du loup viennent
arrêter les mouvements de Victor, retiennent son attention et son regard (il
me regarde lui parlant, ce qu’il n’a pas encore fait) et enfin ouvrent sur ses
premiers mots, une ébauche de dialogue.
— Enfin, le mouvement régressif qui clôt la séance et qui semble être les
prémices d’un lien thérapeutique est immédiatement coupé par l’excitation
en réponse au bruit de sa grand-mère et de sa sœur. Je suis subjuguée de voir
HYPERACTIVITÉ : PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ... 183

à quel point les espaces intérieurs extérieurs sont peu construits et les cloisons
matérielles et symboliques si peu étanches, chez un enfant non-psychotique
et encore moins déficitaire.
Mais poursuivons :

Deux séances après, mêmes matelas, même maison. À la différence près que
Victor vient avec moi dedans. Un peu de calme dans toute cette agitation ! Mais
inexorablement, soit Victor se transforme en monstre et fait tomber les murs ,
soit la maison s'écroule lamentablement d’elle-même.
J'ai instauré des règles dont le rappel est à chaque fois nécessaire. Les « On ne
se fait pas mal, on n’abîme rien » scandent régulièrement la séance. Mince succès,
pas de casse. Mais chaque semaine, tout est à recommencer. Le péril nous guette.
Victor est toujours aussi silencieux. J’ai peine à imaginer qu’il est en CP et qu'il
suit une scolarité, certes rendue difficile par son agitation incessante, mais néan-
moins normale.
Quelques séances passent, il découvre les raquettes. Des parties de tennis suivent,
ouvrant sur un échange à deux plus direct, par contre toujours aussi corporel.
Mais là aussi, j'ai peur, non plus pour moi, mais pour tout ce qui m’entoure : les
lampes, les fenêtres, les objets de mon bureau. Ce n’est pas la maladresse de
Victor qui m'inquiète (il est au contraire très adroit), ce sont ses accès toujours
imprévisibles de violence impulsive, de débordement pulsionnel. II me regarde
alors fixement avec une rage meurtrière dans les yeux.

Victor commence à s’apprivoiser, on pourrait dire ça. L’impulsivité n’est


plus aussi galopante, quelques règles et interdits viennent structurer le jeu
et contenir la motricité débordante. Ma salle est petite et, malgré les incon-
vénients qui en découlent, je suis pour une fois très satisfaite de cette situation
spatiale. Je me sens aidée par des murs qui m’offrent le secours de leur limite
et de leur proximité. Une ébauche de relation et de jeu ensemble s’installe.
L’expulsion agressive d’une motricité débridée, jusque-là sans véritable objet,
devient un tant soit peu adressée. Victor me regarde, m’en veut, est en rage,
et dans le même temps commence à pouvoir me dire bonjour et me parler.
L’excitation corporelle commence à se transformer en pulsion agressive, ce
qui est un peu plus élaboré pour le fonctionnement psychique de Victor. Il
y a quelqu'un, là, qui reçoit et qui contient, dans l’espace thérapeutique.
Quelques mots sur la situation familiale et l’histoire de Victor. Victor
est né après le décès in utero d’un bébé de quelques mois. Il a un grand
frère.
Sa petite enfance est marquée par la grande anxiété et la dépression de
sa mère, consécutive à la fausse-couche précédant la naissance de Victor,
qu’elle a vécue comme une tragédie. Quand elle a attendu Victor, il y a eu
une suspicion de grossesse à risque. Il lui a été annoncé que son bébé risquait
d’être mal formé. En fait, Victor naît un mois avant terme.
184 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

La famille de Victor (élargie à la génération grand-parentale) fait partie


de ces familles fusionnelles qui ne font pas un pas sans les uns ni les autres.
La figure centrale en est la mère.
La vie à la maison n’est pas simple. Les parents décrivent des scènes
incroyables :Impossible de l’arrêter. Victor saute, crapahute, bouge tout le
temps, joue au foot dans la maison au risque de tout casser, fait du trampo-
line sur le lit. Un jour, il est tombé et s’est ouvert le front en tombant sur le
carrelage. On se demande comment il ne se blesse pas plus souvent !
Par ailleurs, Victor n’a aucun problème de sommeil. Le soir, littéralement
épuisé, il se jette sur son lit et s’endort en trois temps trois mouvements.
Jamais de rêve ni de cauchemars ne viennent parasiter son sommeil.
Les devoirs demandent une énergie folle :la maman me raconte qu’elle
est obligée de courir derrière Victor dans les escaliers ou autour de la table,
pour l’attraper et le faire asseoir. La course à pied est le seul moyen qu’elle
a trouvé pour contenir son fils ! Ses mots n’ont aucune prise. Par ailleurs, la
maman entretient avec Victor une grande proximité corporelle, ce qui est
problématique à l’âge de 6-7 ans, quand on construit sa pudeuret son intimité.
Elle se plaint par ailleurs de la grande immaturité de son mari qui ne l’aide
pas beaucoup à faire régner l’ordre.
La prise en charge se poursuit, s'appuyant sur des entretiens réguliers
avec les parents. Ceux-ci s'engagent et me font relativement confiance.
Victor est suivi parallèlement en privé par une orthophoniste avec qui nous
avons quelques échanges, nous assurant que nous sommes bien toutes les
deux sur la même longueur d’onde, ce qui aide le travail. Les parents sont
également vus en consultation, de façon épisodique, par le médecin consul-
tant du CMPP.
Les progrès à l’école se constatent.

Le temps passe, un mois, deux mois. Les paroles viennent peu à peu. C’est un
bonjour, un sourire.
Victor veut dessiner, lui qui n’avait jamais voulu esquisser un seul trait. Pour la
première fois, 1l me fait part de son sentiment de nullité :« Je ne sais pas faire. »
Les séances prennent alors une tout autre tournure. Ses investissements se diver-
sifient. Son agitation cesse. Il commence à construire des tours en kapla. Ces
Jeux de construction demandent une adresse, un équilibre, une coordination
globale du corps, une attention et une grande concentration. Il est très fier de lui.
Ses progrès d'écriture se confirment devant moi, car il ose me montrer ce qu’il
sait faire. Le temps assis sur le tapis ou au bureau devient autre chose qu’un
carcan. Je reste alors proche de lui. Victor commence dans ses dessins à projeter
un univers fantasmatique. Rêver devient possible, inventer, imaginer. Le cauche-
mar permanent cède la place, peu à peu, à une rêverie commune. Il a fallu du
temps !
HYPERACTIVITÉ: PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ... 185

Victor a testé dans la réalité la solidité du cadre, et la mienne par la même


occasion. Vais-je tenir ?Tout un vécu interne d’angoisse catastrophique est
projeté sur la scène du jeu et se vit à même le corps. Aucune distance. Il faut
bouger, bouger, bouger jusqu’à épuisement. Par l'intensité de ce que j'éprouve
à chaque séance — que j’appréhende, il est vrai, car j’en sors à chaque fois
épuisée — je n’ai aucun mal à imaginer ce que peut vivre cet enfant, qui, pour
échapper à la menace de destruction, s’agite, s’active, s’épuise et épuise son
monde. Le cadre a résisté, les murs n’ont pas lâché, les lampes n’ont pas
éclaté. J’ai résisté moi aussi, j’ai survécu, je suis solide. Victor se met à jouer,
dessiner, éprouver, découvrir, investir ce temps à deux d’une tout autre
manière.

9. Perspectives thérapeutiques en psychomotricité


L'histoire de Victor nous fait entrer de plain-pied dans l’hyperactivité
telle qu’elle est décrite dans les cas les plus lourds, celle de ces enfants pour
qui parfois les médecins ne trouvent d’autre solution que la prise de médi-
caments ou les investigations du cerveau (skanner ou IRM). Sans rien trouver
le plus souvent, puisque dans un cas comme celui précédemment décrit,
l’origine de la pathologie comportementale de Victor se situe non dans une
histoire organique ou déficiente, mais dans une histoire marquée par la mort,
la peur, la fusion, l’indifférenciation et la confusion des places, père, mère,
enfant. Victor secoue le système familial comme un prunier, de même qu’il
agite son corps en tout sens. Pour exister ? Pour ne pas mourir ? Pour échapper
à la menace du silence ?
Mon travail de psychomotricienne, avec des enfants comme Victor, va
donc se faire à différents niveaux et pourrait se définir dans ses grandes lignes
ainsi :
— Contenir la débauche de mouvements et de gestes.
— Protéger l’enfant de ses actes pulsionnels sans limites.
— Instaurer des limites entre le dedans et le dehors, limites à la fois suffi-
samment étanches mais aussi suffisamment souples. Quand je parle de limites
« dedans-dehors », je fais autant référence aux composantes spatiales de
l’environnement qu’à leur portée symbolique.
Chez ces enfants, cette limite « dedans-dehors » est loin d’être constituée,
tant au niveau de leur corps qu’au niveau des espaces sociaux. Tout leur entre
dedans, comme tout sort d’eux sans aucune digestion. L’impulsivité du
mouvement traduit en direct les états émotionnels, sans qu’ils aient pu être
digérés par un quelconque travail psychique.
186 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

— Transformer en jeu ce qui n’était jusque-là qu’explosion et expulsion.


Jouer n’est pas donné à tout le monde. Dans le cas de Victor, on voit bien
qu’il y a peu de jeu, peu de créativité. La mise en scène du « jouer » ne
remplit pas sa fonction de transformation et d’élaboration. Pour être plus
simple, le « faire semblant » ou le « c’est comme si... » n’est pas encore là.
Les formes apparentes du jeu cachent le plus souvent un vide de contenu
imaginaire ou un trop-plein d’excitation dont l’enfant ne sait que faire. Et la
pulsion destructrice est au premier plan. Quand je transmets à Victor mes
émotions face à la catastrophe qu’il me fait vivre ainsi que mon association :
le conte des trois petits cochons, je nourris son imaginaire d’une représen-
tation. Il s’arrête alors et écoute, attentif.
— Relier l'expérience concrète de la situation vécue auparavant (écroule-
ment de la maison) avec les mots — qui sont des mots connectés à l’émotion
et à l’éprouvé — fait office d'expérience transitionnelle à par entière.
L’hyperactivité est souvent un défaut de transitionnalité. Les connexions
entre imaginaire, représentation, vécu émotionnel et réalité externe ne se
sont, pour ainsi dire, jamais constituées. La motricité ne peut jouer son rôle
dans des activités organisées et symboliques, non parce que l’enfant n’est
pas capable de coordonner son geste ou son mouvement (contrairement au
handicap), mais parce qu’il est en manque de représentations qui permettent
de lier les choses ensemble, par une représentation langagière secondarisée
(verbale ou graphique). Ici, la motricité a une fonction d’urgence: exprimer
l’état interne sous risque d’imploser.
— Enfin, réintroduire du sensoriel là où il n’y a que mouvement, pour
éviter de sentir.
Rodolphe a très peur de l’eau mais sa peur ne se traduit ni par un retrait, ni par
une inhibition motrice. Au contraire, il saute dans l’eau, remonte, saute encore,
remonte, et ainsi de suite sans jamais s’arrêter. Ses sauts ont pour particularité
d’être dans une diagonale, vers le bord, et non dans une traversée horizontale, à
la conquête de l’espace. En effet, simultanément, il saute du bord vers l’eau,
mais en plein saut, son corps se retourne, ce qui nous fait craindre à chaque fois,
qu'il se fracasse la tête, tellement celle-ci frôle le bord du bassin. Cette activité
est incessante, stéréotypée, répétitive.
Ce comportement compulsif et sans limite m’apparaît comme une activité
auto-calmante et auto-érotique, sans aucun effet d'intégration, l'équivalent des
balancements qui animent Rodolphe quand il est en échec, en classe. Cette
hyperactivité motrice est comme un surinvestissement de l’activité musculaire
au détriment des sensations de peau. Rodolphe est par ailleurs un petit garçon
qui souffre depuis longtemps d’un eczéma sur toute la surface de son corps 2.

Chez cet enfant carencé, dont j’ai longuement parlé dans un précédent
ouvrage, son hyperactivité surgit dans des moments d'angoisse extrême, quand
HYPERACTIVITÉ : PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ 187

il est débordé par ses affects, sans pouvoir ni les maîtriser ni les élaborer, ni
les partager avec quelqu'un qui pourrait les contenir et le rassurer. Dans le
cadre de cette prise en charge institutionnelle (Rodolphe est intégré dans un
EMP), le projet est de proposer à cet enfant de 10 ans une médiation théra-
peutique spécifique : un groupe, une piscine. Sans revenir sur les détails de
ce travail au long cours, et en le résumant très rapidement, il s’avère que
Rodolphe va pouvoir revivre des expériences régressives en même temps
que très valorisantes pour lui, puisque d’une relation individuelle avec son
éducatrice dans l’eau — travail qui permet les portés, les éprouvés corporels de
peau, le laisser aller, etc. autrement impossibles dans toute autre situation —
il va pouvoir acquérir une véritable maîtrise et une coordination dans l’eau,
dans la profondeur de l’eau, apprendre à nager, à plonger, et passer son brevet
de 50 mètres dans une « vraie piscine » avec un « vrai maître nageur ». Il
recevra un vrai diplôme.
J'emprunterai à Denys Ribas cette citation particulièrement intéressante,
qui ouvre sur d’autres perspectives de travail corporel avec ces enfants hyper-
actifs :« L'investissement de la musculature en lui-même, si on oublie la
peau, peut représenter une maîtrise artificielle qui n’est ni vivante ni fondée
sur un plaisir de fonctionnement et sur une enveloppe. Le corps, support de
l'identité, comme support de plaisir de fonctionnement, peut alors au contraire
devenir un corps défensif qui forme une carapace dure. »
Il n’est bien évidemment pas toujours simple d’amener un enfant à se
poser, à éprouver, à ressentir et à se détendre. Dans le cas de Rodolphe, un
travail en institution permet des investissements différents et des recours à
différentes médiations thérapeutiques, médiations que nous inventons et
adaptons pour répondre au mieux à notre projet pour cet enfant.
Pour un enfant scolarisé qui vient en CMPP ou en privé, comment faire ?
Quels sont nos moyens ? Suffit-il de décider d’un travail en relaxation ?

Laurent a 7 ans. C’est un grand garçon costaud, qui depuis la maternelle consterne
ses parents. Il est suivi depuis l’âge de 3 ans en CMPP, il a déjà beaucoup progressé
mais l’entrée au CP a ravivé les angoisses de Laurent, ainsi que celles de ses
parents.

Je rencontre Laurent et sa famille, en privé. Laurent est un enfant « éruc-


teur ». Si son agitation n’est pas aussi extravagante que celle de Victor, elle
se manifeste par des lâchages de gros mots intempestifs, des bruits de gorge,
des pets qui, bien évidemment, le font éclater de rire. Laurent, en présence
de ses parents dans les entretiens, va très loin dans la provocation agressive,
allant même jusqu’à me menacer d’un bâton qu’il brandit comme une épée
sous mon nez. Le père de Laurent ne réagit en rien à ces manifestations exces-
sives de son fils, riant même parfois de ses grossièretés. La même attitude
188 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

complaisante chez le père et chez la mère se retrouve à chaque entretien,


alors que, dans le même temps, ils se plaignent des mauvais résultats scolaires
de leur fils ainsi que de ses trop fréquentes bagarres dans la cour de récréa-
tion. Ils oscillent tous deux entre un « ras-le-bol » agressif et une passivité
complaisante sans limites. Ils cherchent à obtenir le statut de dyspraxique
ou d’hyperactif pour obtenir à l’école un suivi individuel pour leur fils. La
psychologue scolaire, avec qui je suis régulièrement en correspondance, n’est
pas d’accord et pense que ceci serait néfaste pour Laurent. Être ainsi marqué
du côté du « handicap », alors qu’il est capable de progrès réels, nuiraït à son
évolution, selon elle. Je suis du même avis. Par la suite, les parents obtien-
dront la passation d’un scanner pour leur fils, dont les résultats seront bien
évidemment négatifs.
Laurent a rapidement compris le rôle d’un lieu comme la salle de psycho-
motricité. Plus avancé que Victor dans ses jeux, il amène assez vite un contenu
fantasmatique qu’il joue et rejoue toujours avec la même ardeur. C’est le jeu
du voleur et du gardien. Il est le voleur, je suis le gardien. Le voleur est en
prison (un tunnel en tissu) et profite du sommeil du gardien pour s’échapper
et voler le trésor. Le contenu manifeste est limpide. Ce qui va m’intéresser
ici est la passion avec laquelle Laurent va jouer et rejouer la même scène,
puis le renversement de situation quand il prend mon rôle, celui du gardien
chargé du maintien de l’ordre et du respect des lois. Parallèlement à ces
séances, l’évolution de Laurent est très favorable à l’école, et reste fluctuante
à la maison.

Ce jour-là, Laurent arrive très pressé de commencer. Il a pensé qu’il ferait aujour-
d’hui le gardien. Je m'installe dans la peau du voleur.
Le gardien dort. Je cherche à m’assurer de la qualité et de la profondeur de son
sommeil. Je m’avance très doucement, et touche les bras et les jambes de mon
gardien. Vraiment, c’est un sommeil très profond ! Mais je veux m'en assurer
vraiment. Alors je commence à mobiliser les articulations de l’épaule, du coude,
du poignet, des genoux, de la cheville, tout en commentant tout haut: » Mais
oui, il dort bien, quelle chance, on dirait même qu’il est mort. C’est incroyable. »
Je vois un sourire radieux illuminer le visage de Laurent qui n’en ouvre cependant
pas les yeux et continue à jouer son personnage. Puis bien sûr, je m’en vais voler
le trésor, et ce qui doit arriver arrive: je suis surprise la main dans le sac, et remise
en prison illico presto !

Ainsi, dans cette situation d’une portée hautement symbolique dans la


problématique de Laurent — contenu pré-œdipien avec une représentation
des interdits et de la loi — une séance de relaxation se vit en bonne et due
forme. Ce garçon, intouchable et violent, dans une hyperactivité quotidienne
et une agitation débordante (lui aussi n’a aucun problème de sommeil, il
HYPERACTIVITÉ :PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ...
189

s’écroule tous les soirs) s’autorise à régresser un peu êt éprouver la détente


tonique, musculaire. Le sourire témoigne du bien-être que le relâchement
lui procure. Il témoigne aussi de ses capacités à « faire semblant ». Mes mots
sur la mort éventuelle du gardien, tellement il est sans mouvement, sont sans
doute pour l’enfant d’un grand soulagement. Il peut donc ne pas bouger, se
laisser aller, et rester sensible et bien vivant ? Les mots viennent donner une
représentation là où n’y avait qu’angoisse irreprésentable.
Il faut dire qu’à la naissance de Laurent sa maman a été très déprimée,
avec des idées suicidaires. Dépression qui a nécessité un traitement médi-
camenteux. Difficile pour un nourrisson d’avoir une maman déprimée et
envahie par l’idée de mort alors qu’elle vient de donner la vie.
Ce jeu a duré plusieurs séances avec le même plaisir lors du moment de
détente.

« Dis, tu referas comme tu as fait, tu sais quand je fais semblant que je suis
mort ? »

10. Pour conclure

Le cadre spécifique de la thérapie psychomotrice va jouer pleinement son


rôle face à ces enfants qui n’ont trouvé d’autres moyens d’expression d’eux-
mêmes qu’une hyperactivité qui tourne à vide.
Ce cadre est avant tout un cadre matériel :un lieu, un espace, un temps,
des repères spatio-temporels. À cette matérialité du cadre, on y ajoute un
certain nombre de règles qui vont border, limiter, contenir, maintenir un
climat de sécurité. Les interdits ne sont pas absents des règles: interdit de
se faire mal, de faire mal, de casser pour de vrai, etc.
Et bien sûr, dans ce cadre, un thérapeute, une personne, qui va présentifier
le cadre, le rendre vivant, tout à la fois malléable, souple et solide. Je fais
référence ici au concept de médium malléable décrit par Marion Milner et
approfondi par R. Roussillon.
Enfin, il y a le projet qu’on a: celui de donner l’occasion au patient d’ex-
primer un monde interne trop chaotique et envahissant pour prendre d’autre
forme que celle d’une excitation corporelle. Projet aussi de permettre à
l’enfant de construire un espace intérieur moins poreux, moins perméable à
toute excitation et tension externe. En quelque sorte se construire une inté-
riorité psychique.
Les problématiques des limites, parfaitement illustrées dans le symptôme
d’hyperactivité, si souvent présentes dans les difficultés de construction iden-
titaire, vont se projeter sur la scène thérapeutique, dans cet espace où il est
190 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

question de faire, de bouger, de jouer, de s’exprimer. L’hyperactivité qui


empêche certes de mettre à profit intelligence et pensée, remplit sa fonction
de symptôme, ici en l’occurrence celle de projeter à l’extérieur ce qui de
l’intérieur est insupportable, in coordonnable, inarticulable. À nous, théra-
peutes, de trouver des moyens pour permettre à l'enfant de trouver d’autres
formes d’expressions symboliques plus élaborées, plus secondarisées.

NOTES

1° Ce texte a fait l’objet d’une première publication dans la revue Thérapie psychomotrice
et recherche, « Controverses », N° 148, 2006. Publié avec l’aimable autorisation de la
revue Thérapie psychomotrice.
[ee] C. Potel, Le corps et l'eau. Une médiation en psychomotricité, Érès, Ramonville Saint
Agne, 1999.

BIBLIOGRAPHIE
BERTHOZ A. Le sens du mouvement, Odile Jacob, Sciences, Paris, 1996.
BULLINGER À., Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars, un
parcours de recherche, Ramonville-saint-Agne, Érès, coll. la vie de l’enfant, 2004.
CLAUDON P, Enfants hyperactifs, enfants instables. Se repérer, comprendre,
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logie et la thérapeutique. Paris, Editions In Press, 2003.
POTEL C., Revue Enfances et psy, Érès, dossier « L'enfant et ses espaces »,
n° 33, 2006.
RIBAS D. « L'eau, la peau et la psyché ». Évolutions psychomotrices n° 11, 1991,
WINNICOTT D. W., Jeu et réalité, l'espace potentiel. Paris, Gallimard, 1975.
La dimension du corps
elou les indications de prises en charge en psychomotricité
dans une consultation médico-psychologique (CMP)
pour enfants

SYLVIE GOUEL-BARBULESCO

Les indications en psychomotricité en CMP sont nombreuses et évoluent.


Elles ne répondent pas toujours à des symptômes psychomoteurs clairement
étiquetés, tel un retard de développement psychomoteur, une instabilité
psychomotrice simple, mais englobent aussi des problématiques plus globales
et moins classiques.
Les enfants pour lesquels on pense aide en psychomotricité ont tous au
moins un symptôme qui touche le corps, et pour lequel une médiation autour
de jeux moteurs ou de techniques corporelles telle la relaxation est envisagée.
La psychomotricité est un mode d’approche original qui permet de nous
adapter à de nouvelles demandes, de créer de nouvelles formes d’aides, de
faire preuve d’imagination pour innover des groupes, afin de faire face aux
prises en charge qui deviennent souvent intensives et multiples.
Je vais tenter, dans cet article, de décrire d’abord le cadre institutionnel
de cette consultation de secteur, puis, en m’appuyant sur des études cliniques,
d’expliciter les indications et les objectifs thérapeutiques des prises en charge
en psychomotricité. Cette seconde partie se scindera également en deux : les
suivis individuels avec d’une part les indications dites «classiques », et d’autre
part les autres indications, ainsi que les suivis en groupe.

1. La place d’un psychomotricien en CMP


Cette consultation pour enfants, de 0 à 13 ans, appartient au service de
psychiatrie infanto-juvénile d’un hôpital parisien. Elle est située à l'extérieur
192 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

de l'hôpital, mais non éloignée de celui-ci, au rez-de-chaussée d’un immeuble


de quartier.
Les différents troubles pour lesquels les patients consultent sont les
suivants : difficultés psychologiques, troubles du développement et de la
personnalité du nourrisson à l’adolescence, troubles des apprentissages et
de l'intelligence, difficulté d'intégration scolaire, difficultés familiales, symp-
tomatologies psychiatriques. L'unité du CMP est une consultation de secteur,
ce qui sous-entend un travail de liaison avec les services de l’enfance de l’ar-
rondissement : PMI, ASE, Éducation nationale, Justice, structures de soin
associatives (hôpitaux de jour, unités de soins, placement familial. .…).
Les soins ont lieu en ambulatoire. L'équipe est pluridisciplinaire : pédo-
psychiatres, psychologues, assistantes sociales, secrétaires, orthophonistes,
psychomotriciennes, éducateurs spécialisés. Les parents qui font la démarche
pour leur enfant ont un premier rendez-vous, seuls, avec une assistante sociale.
Ce premier entretien permet d’évaluer la demande, de faire connaissance et
de présenter le fonctionnement de la consultation. La famille est ensuite
reçue, avec leur enfant, par un consultant : médecin ou psychologue. Ce
consultant restera le référent de la famille tout au long de la prise en charge
institutionnelle de l’enfant. Le consultant recevra régulièrement la famille
plus ou moins intensément selon les cas, 11 pourra demander des évaluations
complémentaires éventuelles : bilan psychologique, bilan psychomoteur,
bilan orthophonique, bilan logico-mathématique. Un bilan psychomoteur est
prescrit lorsqu'une symptomatologie corporelle est existante. Nous pouvons
aussi, simplement, donner un avis. En pratique, dans la majorité des cas, une
prise en charge en psychomotricité fait suite au bilan psychomoteur. Cette
première rencontre avec l’enfant est tant une observation de son niveau de
développement psychomoteur, qu’une évaluation d’une possibilité de pouvoir
engager un travail d’aide autour d’un projet thérapeutique. Il nous arrive
qu’à l’issue du bilan nous pensons qu’un autre mode de prise en charge soit
plus adapté, nous en discutons alors avec le consultant ou en synthèse d’équipe.
Nous pouvons également effectuer un bilan qui servira d'évaluation pour une
orientation dans une structure spécialisée. Ce bilan dont la passation varie
de une à deux séances d’une heure environ, avec rencontre des parents, est
un premier contact primordial avec l’enfant. Il s’instaure déjà une relation
de transfert et de lien thérapeutique. L'enfant connaît déjà le CMP, mais
découvre pour la première fois la salle de psychomotricité. Il investit le lieu,
le matériel qui lui semble généralement attractif. Son corps est d’emblée en
mouvement et en relation.
INDICATIONS DE PRISES EN CHARGE EN PSYCHOMOTRICITÉ EN CMP 193

2. Études cliniques

2.1. Les prises en charge individuelles

2.1.1. Les indications psychomotrices « classiques »

* Tom : un exemple de prise en charge en individuel «classique »


Tom est un petit garçon actuellement en grande section de maternelle,
âgé de 5 ans et demi, qui présente un retard global, une immaturité, des diffi-
cultés dans sa motricité tant dynamique que fine. On note une motricité
globale peu déliée, une maladresse, une mauvaise connaissance de son corps,
une difficulté à choisir sa latéralité, un graphisme malaisé et hypertonique,
des repères spatio-temporels imprécis. Tom est arrivé au CMP alors qu’il
était en fin de petite section de maternelle, signalé par l’école pour un retard
de langage et un comportement trop «bébé ». Après quelques consultations
avec un médecin consultant de l’équipe, nous rencontrons ensemble Tom,
l’orthophoniste et moi-même, en vue de son intégration dans un groupe pour
petits. Cette première approche nous apparaît intéressante pour permettre à
Tom de prendre sa place auprès d’autres enfants, et de mieux s’exprimer.
Tom est le deuxième d’une fratrie de quatre garçons, il a un frère de deux
ans son aîné et deux frères jumeaux de trois ans de moins que lui. Sa problé-
matique est de trouver une place à lui dans sa famille, tantôt il est relégué
avec le grand, tantôt avec les petits. Lorsque nous rencontrons Tom et sa mère
pour la première fois, Tom est en moyenne section. Madame nous apparaît
débordée, plutôt chaleureuse dans sa relation avec son fils, mais peu conte-
nante à cause de son anxiété. Tom, seul, est participant. Son retard de langage
est réel, toutefois il emploie le «je», il construit des phrases correctes et est
bien dans l’échange avec nous. Au niveau psychomoteur, on note une imma-
turité particulièrement pour la motricité fine avec de nombreuses syncinésies,
une maladresse pour les encastrements et le découpage, la tenue du crayon
est hypertonique et le tracé peu délié. Sa dominance latérale n’est pas encore
fixée, il confond la droite et la gauche, il n’a pas encore fait le choix de sa
main pour le graphisme. Il se montre extrêmement sensible et gêné par le
regard de l’autre, il baisse les yeux et rentre sa tête dans les épaules. Il
viendra régulièrement pendant une petite année au groupe. Lorsque j’effectue,
en septembre suivant, un bilan psychomoteur, il entre en grande section de
maternelle. Tom est un garçon plus sûr de lui, s’affirmant tant par une attitude
corporelle plus droite que par un langage plus riche. Par contre, les difficultés
psychomotrices restent au premier plan, importantes et globales. Nous envi-
sageons dès lors une prise en charge en psychomotricité en individuel. Deux
194 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

séances par semaine auraient été bénéfiques, mais trop difficiles à organiser
pour la maman. Tom viendra donc régulièrement une fois par semaine, et se
poursuivra parallèlement un travail de consultations médicales thérapeu-
tiques avec la famille. Tom veut progresser, il utilise l’espace de la salle ainsi
que tout le matériel qui est mis à sa disposition : ballons, cerceaux, quilles,
instruments de musique, jeux de construction, puzzles, feutres, peinture, pâte
à modeler. Cet espace thérapeutique de jeu a comme objectif une plus
grande autonomie gestuelle, afin que Tom, tout en étant contenu corporel-
lement, puisse acquérir des repères de base plus solides et aborder avec plus
de maturité les apprentissages scolaires.
Ce type de prise en charge en psychomotricité correspond aux suivis
«classiques », en ce sens qu’il renvoie directement aux champs d’application
de la psychomotricité d’après le décret de compétence du 6 mai 1983, ou
nomenclature des actes, dont voici la liste :
°_ bilan psychomoteur;
°_ stimulation psychomotrice ;
*_ éducation psychomotrice précoce;
*_ rééducation des troubles psychomoteurs tels que :
— troubles de la maturation et de la régulation tonique,
— troubles du schéma corporel,
— troubles de la latéralité,
— troubles des apprentissages scolaires,
— troubles de l’organisation spatio-temporelle,
— troubles tonico-émotionnels,
— troubles de la graphomotricité,
— maladresses motrices et gestuelles,
— instabilité et inhibition psychomotrices,
— troubles praxiques,
— dysharmonies et retards psychomoteurs,
— débilité motrice.

La spécificité étant la médiation corporelle, les techniques sont d’ap-


proche corporelle : expression corporelle, éducation gestuelle, activités ryth-
miques, expression plastique, activités de jeu, d’équilibration, de coordination,
de repérage spatio-temporel, d'éveil moteur et sensoriel, les techniques de
relaxation.
Le psychomotricien tente une action globale en utilisant toutes les possi-
bilités de mouvement du corps, d’action, de détente, d’expression et de
relation.
INDICATIONS DE PRISES EN CHARGE EN PSYCHOMOTRICITÉ EN CMP 195

2.1.2. Les autres indications en psychomotricité

+ Une préparation à un travail de thérapie ultérieur : Alex


Certains enfants nous sont adressés en psychomotricité comme première
étape préparatoire à un travail de psychothérapie ultérieur dont ils ont besoin,
mais pour lequel ils ne sont pas prêts. Tel est le cas d’Alex qui ne pouvait
pas mettre en mots ce qu’il ressentait.
Nous avons pensé qu’une médiation où le corporel et le inoteur, et non
les mots, étaient au premier plan lui serait plus profitable. Alex et ses parents
ont consulté sur les conseils de l’école au moment de l’entrée au CP, du fait
de l’importance des troubles du comportement et de l’agitation d'Alex. La
situation familiale est tendue : divorce en cours, déménagement récent, état
dépressif grave de la mère suite au décès accidentel d’un membre très proche
de sa famille et dont elle n’a pas réussi à parler à ses enfants. Lors du bilan
psychomoteur (Alex a 6 ans et demi), il se montre calme et coopérant durant
toute la passation. C’est sa tristesse qui me frappe. Sa motricité dynamique
est satisfaisante, 1l est à l’aise dans son corps, il peut suivre plusieurs cadences
rythmées, s’arrêter net au signal. Les coordinations sont bonnes. Sa motricité
fine est également adaptée, il reste assis au bureau, concentré et habile de
ses mains. Sa latéralité se situe à gauche. Son graphisme est appliqué. La
tenue du feutre est parfois maladroite avec un pouce très mobile. Les notions
spatio-temporelles sont globalement satisfaisantes.
Une prise en charge en individuel en psychomotricité est décidée pour
permettre, dans une relation de confiance, et autour de jeux corporels, d’abor-
der une relation thérapeutique où le langage n’est pas prioritaire. En effet,
le recours à la verbalisation était pour Alex très difficile. Alex vient très régu-
lièrement, avec plaisir, établissant une relation de qualité, montrant son imagi-
nation et son envie de participer. Après un temps utilisé à des jeux moteurs
très dynamiques (lancers de ballons, jeux de quilles..), Alex construit un
jeu plus statique et plus calme. La relaxation est possible et appréciée d’Alex.
Il demande également de l’aide pour détendre sa main et améliorer son geste
graphique. L’excitation d’Alex a toujours été canalisée en séance, il ne déborde
pas du cadre qui lui est fixé. À l’école, l'agitation, la provocation et la diffi-
culté à apprendre sont toujours d’actualité. Alex passe quand même en CE,
car il a appris à lire et à écrire. Toutefois, il redoublera son CEI à cause des
._ difficultés de comportement. Il changera deux fois d’école, chaque fois rejeté
par le milieu scolaire. Actuellement, il est en CE2, je continue à le suivre
une fois par semaine, parallèlement à la mise en place d’un après-midi en
plus de soin en CATTP (Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel).
Nous avons rencontré, comme chaque année, son institutrice et l’équipe
196 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

scolaire. Pour la première fois, malgré certaines provocations de sa part, Alex


a sa place dans la classe, il est reconnu et peut montrer ses bonnes acquisitions
scolaires. Ce que souligne encore la maîtresse, c’est la difficulté d’Alex de
parler de lui, d’exprimer quelque chose de personnel : «II ne manifeste aucun
sentiment, ni envie, ni plaisir, ni souci. Il parle très peu.» Nous retrouvons
ici la principale raison de sa venue en psychomotricité : ce ne sont pas ses
difficultés psychomotrices qui sont à l’origine de l’indication, mais plus une
relation où les affects, les angoisses passent par le corps et s’expriment par
une agitation, une agressivité ou un repli sur soi. C’est en mobilisant ce corps
qu’Alex peut progressivement verbaliser ce qu’il ressent. II me parle en
séance de ce à quoi il est confronté à l’extérieur. Nous atteignons l’objectif
de cette première étape qui était de passer par une médiation corporelle.
Cette symptomatologie de grande difficulté à exprimer un sentiment est
très prégnante chez la maman, qui poursuit un travail personnel de thérapie en
privé, et des consultations avec le médecin du CMP. Le rôle de la dépression
est central dans cette histoire. Cette rétention de la parole a laissé place à la
possibilité de verbalisation, tant du côté de la mère que du fils. On peut penser
qu'un travail de psychothérapie pour Alex, impossible au départ, pourrait
être envisagé.
En psychomotricité, on peut parfois se situer dans cette «préparation à »
une thérapie. Toutefois, j’ai souvent remarqué que cette question de thérapie
évoquée à l’initiale ne se pose plus forcément après un traitement en psycho-
motricité. En effet, nous faisons le choix d’une autre médiation : la psycho-
motricité qui est une aide thérapeutique à part entière. L'enfant progresse
dans ce cadre, les mouvements transférentiels sont actifs, le projet théra-
peutique évolue, et l’indication de thérapie n’est plus envisagée.

+ Une indication de psychomotricité comme mode de traitement .


de l’énurésie : Théo
Voici un autre exemple pour lequel un travail corporel de relaxation a
aidé ce jeune garçon à estomper, voire à faire disparaître son symptôme.
Théo a 8 ans lorsqu'il vient consulter avec ses parents. C’est une démarche
personnelle, il souffre d’une énurésie nocturne primaire. Des bilans médicaux
ont été faits et ont exclu toute origine organique. C’est un enfant de bon
contact, témoignant d’une efficience intellectuelle supérieure à la moyenne.
Ses résultats scolaires sont excellents. C’est un enfant anxieux, hypersensible.
Après une période de consultations familiales thérapeutiques, la consultante
pense à un travail en psychomotricité du fait de la difficulté d’association de
Théo, et de sa peur du vide. Je reçois Théo en bilan psychomoteur alors qu’il
commence son CM, et qu'il est âgé de 9 ans. Il est attachant et il me frappe
INDICATIONS DE PRISES EN CHARGE-EN PSYCHOMOTRICITÉ EN CMP 107

par sa finesse d’esprit. Ses acquisitions psychomotfices sont bonnes, ses


coordinations également. Il est appliqué, il s'exprime avec un excellent niveau
de langage. Ses repères spatio-temporels sont bien organisés. Nous terminons
le bilan par un temps de relaxation. Bien qu’il montre une légère réticence
au départ, Théo y participe très finement : «c’est comme à la musique avant
de chanter ». Il peut comparer différentes sensations de détente, percevoir si
son bras droit se détend mieux que le gauche, il a une bonne visualisation
de son corps et peut mettre des mots justes sur ce qu’il ressent. Nous décidons
d’un suivi hebdomadaire en relaxation pour aider Théo, d’une part à mieux
maîtriser son corps, et d’autre part pour pouvoir exprimer sa souffrance, et
ceci parallèlement à un travail de consultations avec le consultant de la
famille. Je note un réel décalage entre la maturité intellectuelle de Théo et
sa maturité affective. Après un accompagnement avec la mère et des encou-
ragements de ma part, Théo viendra seul après l’école, et repartira seul par
le bus chez lui. Il investira d’emblée la prise en charge. Le fait de venir seul
lui procure une grande fierté, bien que cela lui demande un gros effort. Il
aura du mal à partir, voulant rester plus longtemps, sans l’exprimer vérita-
blement. Il aura besoin que je l’aide à partir, et que je sois dans une relation
très contenante et rassurante. Les séances se déroulent ainsi : après un temps
de retrouvailles, il choisit un jeu, soit moteur, soit statique (jeu de société,
dessin.….), puis nous terminons la séance par un temps de relaxation allongée
(points d’appui au sol, contractions/décontractions, visualisation, mouvements
et manipulations, respirations, étirements...). Après cette relaxation, nous
réservons un temps à la verbalisation de ce qu’il a ressenti. C’est un moment
privilégié durant lequel Théo peut se confier, il parle de son énurésie, de ses
progrès, de ses angoisses. C’est ainsi qu’il a pu exprimer sa tristesse de savoir
son père parti à l'étranger régulièrement pour des raisons professionnelles.
Il a peur également que ses parents se séparent. En quelques mois, alors que
Théo peut mettre des mots sur ses sensations corporelles, et aussi sur ce qui
le soucie, le symptôme énurétique tend à disparaître.
La relaxation a aidé à une meilleure prise de conscience du corps. Le vécu
corporel a laissé place aux mots. C’est parce qu’il a pu mettre des mots sur
ses angoisses que l’énurésie s’est tue.

e Un autre type de prise en charge en psychomotricité,


un suivi mère/enfant : Léa
Léa a 4 ans, elle est en moyenne section de maternelle lorsqu’elle vient
pour la première fois.
Elle est signalée par l’école comme extrêmement réservée tant au niveau
de la parole que de son investissement corporel : «Elle n’a pas ouvert la
198 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

bouche depuis la rentrée, ni avec l’institutrice, ni avec les autres enfants.»


Elle témoigne de comportements phobiques à la cantine, et au moment de
la peinture où elle veut toujours mettre le même tablier.
Le père est en déplacement professionnel toute la semaine et de fait absent
du domicile. La mère a une histoire familiale lourde, particulièrement dans
une relation passée très conflictuelle avec sa propre mère, encore très chargée
émotionnellement.
Lors du bilan psychomoteur, Léa restera collée à sa mère durant toute la
séance. Tout ce que je lui propose (dessin, ballon, cubes, tambourin) est
refusé. Elle finira par accepter un puzzle, et guidera la main de sa mère pour
le reconstituer sans toucher directement les pièces. Elle restera silencieuse,
le pouce dans la bouche, figée contre sa mère. Nous convenons d’un nouveau
rendez-vous la semaine suivante avec comme objectif que Léa reste un
moment, seule avec moi. Léa acquiesce, elle a été très attentive à toutes les
paroles échangées entre sa mère et moi à son sujet, ainsi qu’aux sollicitations
verbales que j’ai pu lui transmettre. À la seconde séance de bilan, sa mère
restera toute la séance avec sa fille, mais une véritable distanciation corporelle
s'effectuera entre elles deux. J’apprends que Léa avait remarqué le jeu des
quilles dans le placard la dernière fois et en avait parlé à sa mère. Je m’'em-
presse de sortir ce jeu, Léa montrera un plaisir à jouer et à se mouvoir, et ce
dans un réel échange. Je l’entends plusieurs fois chuchoter «c’est à toi».
Elle accepte de jouer ensuite au ballon. Les repères spatiaux de base sont
intégrés. Elle sourit.
Une prise en charge hebdomadaire en psychomotricité est décidée. Le
projet thérapeutique est de favoriser chez cette petite fille une plus grande
aisance motrice et verbale dans une meilleure expression de soi ainsi qu’une
autonomie corporelle. Léa viendra très régulièrement. Il faudra deux séances,
avec insistance active de ma part, pour accepter de se séparer un petit moment
de sa mère et de venir seule avec moi. Nous décidons d’organiser les séances
ainsi : la première partie Léa et moi seules, puis Madame nous rejoint pour
la fin de séance. J'apprends ainsi que Léa a voulu fermement que ses parents
lui achètent un vélo, et qu’elle s’est mise à en faire avec plaisir et aisance !
Elle a demandé également à sa mère de rester au goûter à l’école. Son attitude
se transforme alors, elle joue avec les autres enfants de son âge, se met à
parler aux adultes uniquement dans la cour de récréation. Petit à petit, Léa
manifestera son envie de rester seule toute la séance avec moi, ce que la mère
acceptera Comme une progression positive. Léa, après plusieurs mois pendant
lesquels elle ne peut s'exprimer qu’en chuchotant, me parlera «normalement »
avec un niveau de langage excellent. Elle s’épanouit également corporellement.
L'école note les progrès. Madame me dira en fin d’année scolaire : «Léa est
métamorphosée, elle profite enfin de son enfance », cela étant à relier avec
INDICATIONS DE PRISES EN CHARGE EN PSYCHOMOTRICITÉ EN CMP 199

sa propre enfance douloureuse. Des consultations thérapeutiques ont lieu


avec les parents, parallèlement.
Cette prise en charge mère/enfant en psychomotricité a permis à cette
fillette de s’exprimer corporellement et verbalement, et de témoigner d’un
développement psychomoteur tout à fait satisfaisant.

+ Un travail de relaxation pour une mère : Mme C.


Je citerai un dernier exemple de prise en charge originale : celle de Mme C.,
maman suivie en relaxation et dont la fille est prise en charge en orthophonie.
Mne C. a consulté pour sa fille lorsque celle-ci avait 6 ans et demi pour
comportement opposant, agitation et difficulté de concentration. Mme C. a
été enceinte alors qu’elle ne le souhaitait pas, les relations avec le père de
sa fille ont toujours été conflictuelles, elle garde vis-à-vis de lui un sentiment
de haine et de vengeance. Elle élève sa fille seule, avec l’aide de sa propre
mère avec qui elle entretient une relation fusionnelle. La petite est suivie
depuis deux ans par l’orthophoniste, elle a actuellement 9 ans et progresse
régulièrement.
C’est en entendant le médecin consultant échanger avec l’orthophoniste
au sujet de cette famille qu’il m’est venu l’idée de recevoir Mme C. pour elle,
dans le cadre d’un travail corporel de relaxation. L'équipe a soutenu cette
indication car la relation entre cette fillette et sa mère est compliquée.
Mme C. se montre très exigeante vis-à-vis de la scolarité, elle s’agite beaucoup
dans la salle d’attente et parle à la place de sa fille, la dévalorisant, ayant de
grandes difficultés à mettre de la distance entre sa fille et elle. Elle accapare
beaucoup l’orthophoniste dans des débordements verbaux, écourtant de ce
fait le temps de la séance de sa fille. Nous imaginons une relaxation pour
cette maman afin de lui donner un espace et un temps pour elle, et dégager
ainsi sa fille de son emprise. Cette séance ne serait pas pour parler de sa fille
(ce qu’elle fait avec le médecin consultant) mais un espace pour elle, pour
la contenir, calmer son exaltation, mettre des limites en se concentrant sur
elle-même. Le but est qu’elle puisse investir son corps et sa féminité, qu’elle
prenne soin d’elle.
Me C. n’a pas été réticente à cette proposition, elle s’est montrée curieuse
par ce mode d’approche. Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois,
l’accrochage a été rapide. Elle a pu investir cet espace thérapeutique et se
” libérer un horaire dans la journée par rapport à son travail.
Nous avons différencié les deux rendez-vous : Mme C. accompagne sa
fille chez l’orthophoniste et revient me voir un autre jour de la semaine. Nous
avons utilisé des exercices de prise de conscience du corps de type Orlic!,
travaillé le poids du corps, la respiration. Nous faisons quelques mouvements
200 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

d’assouplissement et d’étirement du dos, puis la relaxation se fait allongée


en ressentant les différents points d’appui au sol, avec des mouvements de
contraction/décontraction, des visualisations, des manipulations activo-
passives, et des verbalisations. Mme C. se sent lourde, assaillie par les bruits
extérieurs. Elle perçoit bien son corps, et comprend qu’une détente corporelle
est nécessaire avant tout étirement. Elle dit que ce travail lui fait du bien.
Toutefois, le fait de ne pas être toujours en alerte, de se relâcher et de ne pas
tout maîtriser ne lui est pas forcément d’emblée agréable. Elle ressent des
effets positifs à retardement chez elle. Elle note nos séances, afin de reprendre
quelques exercices, seule. Au travail, on la trouve plus calme. Il lui arrive
d’évoquer sa fille, dans des termes plutôt positifs. Mme C. pense plus à elle,
elle aimerait perdre du poids et s’inscrire à une activité sportive. Cette
démarche serait une bonne évolution de notre travail en psychomotricité.

2.2. Les prises en charge en groupe


Il existe plusieurs groupes au CMP, dont deux auxquels je participe.
Le «groupe Psychomotricité/Langage » est un groupe plutôt classique
dans son fonctionnement et ses indications, tandis que le « groupe Jeux » est
plus en marge.

2.2.1. Le «groupe Psychomotricité / Langage »


Le «groupe Psychomotricité /Langage » est co-animé par une psycho-
motricienne et une orthophoniste. Cette collaboration fait articuler le corps
et les mots. Nos rôles spécifiques à chacune sont clairement repérés tant
auprès des enfants qu’auprès des parents. Le groupe a lieu dans la salle de
psychomotricité une heure par semaine, en après-midi, sur un temps scolaire.
Nous recevons quatre à cinq enfants d’âge primaire de 6 à 9 ans qui témoignent
de difficultés d’apprentissage à l’école. Les indications sont les suivantes :
retard global des acquisitions, immaturité, manque de repères dans l’espace
et dans le temps. Tous les enfants que nous avons actuellement dans le groupe
ont redoublé leur CP.
La séance du groupe se découpe en plusieurs temps : un temps de paroles
et d'échanges, c’est le moment des retrouvailles. Nous organisons ensemble
la suite en partageant la séance entre des activités motrices et langagières.
Les jeux moteurs ou corporels peuvent être des parcours, des jeux de ballon,
des mimes, de l’expression corporelle, des grands dessins collectifs au sol…
Nous avons le souci de nous référer aux repérages de base espace/temps. La
consigne est collective. Les propositions personnelles et la créativité de
chacun sont bienvenues. Nous proposons également un temps de relaxation,
INDICATIONS DE PRISES EN CHARGE EN PSYCHOMOTRICITÉ EN CMP 201

en position assise ou allongée. Nous utilisons, soit une médiation verbale,


soit un objet médiateur, telle une balle qui touche les différentes parties du
COrps que nous nommons au fur et à mesure. Les jeux axés sur le langage
oral et écrit se font autour d’une table. Nous utilisons des jeux éducatifs tels
lotos, dominos, puzzles, ainsi que des situations pédagogiques et des exercices
ludiques autour de la lecture et de l'écriture.
Comme dans tout groupe, les enfants ne doivent pas casser le matériel ni
se faire mal. Ils doivent s’écouter et respecter l’autre dans sa différence.
Les liens avec les écoles où sont scolarisés les enfants sont serrés : nous
rencontrons régulièrement les institutrices, directeurs et psychologues
scolaires.

2.2.2. Le «groupe Jeux»


Le « groupe Jeux » est co-animé par une éducatrice spécialisée et une
psychomotricienne. Il a lieu une heure par semaine, le mercredi après-midi.
Nous recevons 4 à 5 enfants de 5 à 8 ans. Ce sont des enfants qui arrivent
au groupe souvent lorsqu'ils sont à la charnière école maternelle/école
primaire. Ce ne sont pas les difficultés d’apprentissage qui sont au premier
plan, les acquisitions scolaires ne posent généralement pas de problème.
Nous avons d’ailleurs très peu de lien avec les écoles, le groupe se déroule
volontairement le mercredi afin de dégager un espace de jeu en dehors de
toute contrainte scolaire. L'identité professionnelle de chacune dans ce groupe
est moins repérée par les parents. Nous sommes «co-thérapeutes ». C’est
plus dans le regard que la psychomotricienne pose sur l’enfant que sur ce
qu’elle propose, que sa spécificité apparaît. Ce qui caractérise ces enfants,
c’est la difficulté à intégrer des règles, des interdits et des limites. Ces enfants
ont fréquemment subi la séparation de leurs parents, voire une violence conju-
gale. Étant donné le contexte de destruction familiale, nous leur proposons
à travers ce groupe un modèle d’identification. Ces enfants ont besoin
d’adultes pour se structurer. Nous leur proposons de se confronter à un groupe
avec des règles établies au préalable, de partager des jeux avec d’autres
enfants. L'objectif est de jouer tous ensemble, en se respectant les uns les
autres, ce qui n’est jamais facile. Les jeux utilisés sont toujours les mêmes,
afin de maintenir un cadre contenant et stable : des jeux de construction de
type Légo, Méccano, k-nex, pâte à modeler. En tant qu’adultes, nous parti-
cipons activement à cette activité en les aidant à inventer et à mettre en scène
une situation, afin qu’ils puissent à leur tour imaginer et se structurer. Nous
sommes dans une écoute attentive des difficultés personnelles que les enfants
peuvent nous transmettre.
202 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Nous prenons des notes écrites après chaque séance, et nous avons égale-
ment un temps de réflexion et de supervision avec une psychologue-psycha-
nalyste de l’équipe toutes les trois semaines.
Ces deux groupes, auxquels je me réfère, sont donc différents de par leur
cadre de travail. Toutes les familles, dont les enfants participent à ces deux
groupes, sont reçues fréquemment en consultation par le médecin référent.

3. Conclusion

Le psychomotricien en CMP peut donc être amenée à répondre à de


nouvelles demandes et à innover des modes de prises en charge originaux, que
ce soit pour des suivis individuels ou collectifs. Ces ouvertures appartiennent
aux compétences du psychomotricien, car la technicité propre à la psycho-
motricité reste présente et l’enfant est toujours abordé dans une globalité
corps/psychisme.
Imaginer de nouveaux types d’intervention se pense et s’organise en
équipe. Par exemple, un groupe de réflexion et de travail concernant la toute
petite enfance est mis en place au CMP, ce qui nécessite des contacts réguliers
et une collaboration étroite avec les crèches et les PMT les plus proches. Nous
intervenons également ponctuellement à la pouponnière du secteur pour
certains enfants placés qui ont besoin d’un soin dans une structure comme
la nôtre.
Voici un aperçu de ce qui existe actuellement, nous pourrions certainement
imaginer et créer de nouvelles ouvertures thérapeutiques…

NOTE

1. M.L.Orlic., Méthode de rééducation psycho-motrice. L'Éducation Gestuelle, Ed. ESF,


1978.
Hydrothérapie avec les adolescents
psychotiques en hôpital de jour
DOROTA CHADZYNSKI

1. Introduction

L’hydrothérapie est une technique de soins, presque toujours réalisée en


institution, où elle s’inscrit alors en complément d’autres prises en charge.
Elle représente rarement la seule «thérapie » de l’adolescent. Au contraire,
elle permet de faire au patient un bout de chemin vers une amélioration, lui
rendant alors plus accessibles d’autres techniques, dont certaines formes de
psychothérapies individuelles d’inspiration psychanalytique. Les indications
sont variables, mais nous retrouvons chez ces adolescents psychotiques un
niveau de demande très précaire.
Cette approche thérapeutique ramène d’emblée la relation sur le niveau
d’échanges archaïques, celui de la construction du Moi corporel, du «premier
sentiment d’enveloppe », défaillant chez l’adolescent psychotique.
Ce sont souvent des patients qui expriment leur angoisse de façon brute,
sans possibilité de récupération où il est difficile de repérer la demande et
d’y répondre verbalement. D’autres, par leurs manifestations corporelles
archaïques (catatonie, agitation, automutilation, dystonies d’attitudes etc.),
expriment plus clairement leur besoin d’être pris en charge d’une manière
proche et rassurante mais pas trop intrusive. Chez eux la qualité du contact
est profondément entamée et le dialogue quasi impossible. Le brouillage du
discours entre le patient et le thérapeute vient de l’absence ou au contraire
de l’abondance des paroles.
La question du ressenti corporel est fondamentale dans le traitement de la
psychose, fondamentale à condition de savoir que les sensations corporelles
n’ont de sens pour un individu qu’intégrées dans son vécu comme signes de
204 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

son existence autonome permettant la relation aux autres. Cela, ce n’est pas
la sensation seule qui le permettra mais la sensation reconnue, chargée de
sens grâce à l’échange patient-thérapeute.
La carence ou la non-adaptation des soins maternels peut provoquer de
graves troubles de la corporéité et par la suite de la personnalité. Or, le rôle
de la peau, des stimulations cutanées et des échanges émotionnels est décisif
dans l’instauration des liens précoces car il permet l’élaboration d’un espace
psychique et corporel personnel. Nous proposons au jeune de vivre un contact
corporel très proche, sur toute la surface du corps, comme c’est le cas dans
la relation mère/enfant, l’analogie s’arrêtant là, car physiquement nous avons
affaire à des adolescents et le psychomotricien n’est en aucun cas le substitut
maternel. Ce contact ne leur est pas apporté par notre peau mais par l’eau
qui sert d’intermédiaire. Il ne s’agit pas pour nous de combler les manques
ni les carences mais plutôt d’aider ces jeunes à en prendre conscience, à les
accepter ou à les aborder autrement.
Ce type d'expériences est à vivre dans un milieu enveloppant qui servirait
de médiateur entre le jeune et le thérapeute. Ce milieu privilégié est l’eau.

2. Pourquoi l’eau ?
L’eau sensibilise la peau souvent « anesthésiée » des patients psychotiques,
réveille les sensations qui sous-tendent le système perception-conscience, et
qui fournissent la possibilité d’établir un espace psychique. L’eau, partenaire
symbolique, servira de médiateur pour aborder les adolescents les plus
emmurés. L’hydrothérapie, en tant qu’approche corporelle, est plus spéci-
fique aux troubles psychotiques pour lesquels elle recrée une unité corporelle
en cause dans cette pathologie. Elle est prescrite pour faire du bien au corps
de ces jeunes, les aider à se faire du bien. L’eau servira d’enveloppe, de conte-
nant pour ce corps morcelé, mais elle sera également source de plaisir sensuel
(tous les sens seront sollicités), cela permettra au jeune d’investir son corps
qui ne sera plus tant vécu dans la souffrance. Ces sensations apaisantes ou
dérangeantes, présentes et perceptibles, peuvent être parlées et reliées à des
sensations archaïques avec leur cortège de plaisir et déplaisir.
L’eau, en tant qu’espace transitionnel, permet d’éviter le «peau à peau»,
contact parfois risqué pour l’adolescent car chargé d’affectivité ou d’angoisse,
qui peut être érotisé, ou renforcer un sentiment de fusion, ou être interprété
comme tentative de noyade et d’intrusion. Le toucher ne doit être ni trop
léger, ce qui évoquerait des caresses, ni trop appuyé.
L'hydrothérapie permet à l’adolescent d'acquérir le contrôle de son corps,
d’obtenir une structuration de son schéma corporel à travers la mobilisation
HYDROTHÉRAPIE AVEC LES ADOLESCENTS PSYCHOTIQUES EN HÔPITAL DE JOUR 205

passive et active et une intégration de son unité, réduisant le vécu de morcel-


lement et valorisant l’image qu’il a de son corps. Elle permet également de
reconnaître sa peau comme frontière entre le Moi et le monde extérieur,
comme enveloppe contenante et comme surface sensible et lieu d’inscription
des liens qui vont se tisser le long des séances. Par le biais de l’hydrothérapie
nous travaillons les sensations kinesthésiques mais aussi les sensations de peau.
Les sensations kinesthésiques proviennent essentiellement des propriétés
physiques de l’eau : le corps flotte, les articulations sont libérées et tout
mouvement dans l’eau nécessite un surplus de force pour être réalisé malgré
l’état de pseudo-apesanteur. L’adolescent prend peut-être plus conscience
de ce corps qu'il peut et doit commander lui-même. Les sensations corporelles
sont procurées grâce à la chaleur de l’eau et aux hydromassages possibles.
La peau se trouve directement touchée, sa réalité physique nous paraît alors
peut-être plus difficile à réfuter.

3. La symbolique de l’eau et son utilisation


à des fins thérapeutiques
L’eau, à travers les âges, a toujours été une source de guérison et reste
très chargée symboliquement. Elle est profondément attachée à l’origine de
la vie dans la plupart des religions.
Elle est souvent comparée au liquide amniotique. Les premiers instants
de la vie se passent dans l’eau, dans le ventre de la mère. L’eau représente-
rait-elle donc le point de départ de la vie, l’origine, l’archétype de l’existence,
notre mère première ? Mère idéale, bonne ou mauvaise ? L’eau est le symbole
de l’esprit encore inconscient, des puissances informes de l’âme, des moti-
vations secrètes et inconnues. Les eaux calmes signifient la paix et l’ordre,
mais l’eau peut également devenir ravageuse et engloutir. Elle engendre en
nous des sentiments ambivalents. L’eau représente symboliquement le corps
de la mère qui «porte et berce ».
À ce sujet G. Bachelard déclare : « L'eau est un monde à elle seule. Elle
est puissamment investie par l’imaginaire, à la fois source de fascination et
d’angoisses fondamentales. La moindre évocation de l’eau est chargée
d’affectivité, de peur, de fantasmes.» Cette dualité symbolique de l’eau est
souvent reprise dans la mythologie.
Le bain, quant à lui, déjà dans les temps d’Asclépiade (médecin grec)
offrait une double fonction. Il y avait les bains de propreté qui se prenaient
dans les cuves plates et les bains thérapeutiques qui étaient des bains par
immersion. Le premier faisait déjà fonction de soins et de purification. Il
correspondait à un bain rituel car le nettoyage de la peau, à l’époque, avait
206 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

une valeur symbolique et permettait de purifier l’esprit. En ordonnant aux


malades de laver leur peau, les prêtres médecins de l’époque soignaient la
maladie visible et en même temps le trouble moral ou psychique caché. Ils
associaient déjà peau et psychisme.
Au xxe siècle, Sivadon introduit l’hydrothérapie qui aurait sur l’orga-
nisme une action stimulante, excitante et tonique (bains froids) et une action
antalgique et sédative (bains chauds). Les malades mentaux sont concernés
par cette thérapeutique.

4, Pourquoi l’hydrothérapie
chez les adolescents psychotiques ?
L’hydrothérapie est un chemin privilégié pour aborder — sans trop d’enva-
hissement dépressif pour l’adulte — les archaïsmes de fonctionnement de ces
adolescents, dans une grande dépendance à l’adulte.
Mon choix s’est orienté plus spécifiquement sur l’utilisation de l’eau à
des fins thérapeutiques avant tout parce que la rencontre avec l’eau dans mon
enfance fut une expérience intense et passionnée.
Cet élément a été pour moi un espace de liberté et de découverte de ressen-
tis corporels nouveaux, de jeux avec les peurs, un territoire réel et imaginaire
où se sont Jouées et rejouées pour moi les possibilités d’accès à tant d’interdits.
L'eau a été particulièrement mon territoire d’aventure construit par mon
histoire personnelle. Son calme puissant et profond ou son élémentarité terrible
m'ont toujours fascinée, apaisée et ont nourri mon imagination.
Ainsi, lorsque je me suis trouvée, jeune psychomotricienne, démunie,
face aux singularités du fonctionnement des patients psychotiques (enfants
et adolescents), l’eau m’a été d’un grand secours. ,
Le symbolisme maternel chargé mais surtout l’ambivalence de cet élément
et sa capacité à procurer la sensation de l’unité du corps m’ont convaincue
de la mise en place d’un travail en bain thérapeutique dans une baignoire
d’abord, avec les enfants, puis dans le bassin avec les adolescents de l’hôpital
de jour. Ce projet s’est enrichi au fil des années de ma rencontre avec G. Pous,
psychanalyste clinicien de la psychose pratiquant les massages et les enve-
loppements humides auprès de ses patients. Sa double formation (car il était
kinésithérapeute d’origine) a ouvert un champ clinique original et efficace
pour le traitement de cette affection. Ma formation en psychothérapie de
relaxation, en massage thérapeutique et en eutonie adaptée au milieu aquatique
a complété mon approche à travers l’hydrothérapie.
HYDROTHÉRAPIE AVEC LES ADOLESCENTS PSYCHOTIQUES EN HÔPITAL DE JOUR 207

5. L’adolescent et la psychose
Pour comprendre l'intérêt de l'approche en hydrothérapie que je me
propose de décrire, il me paraît important d'exposer en tout premier lieu les
difficultés de ces patients. Les jeunes admis à l’hôpital de jour où j’exerce 1
sont presque toujours entrés précocement dans la maladie mentale. Ces
adolescents souffrent d’une absence d'autonomie psychique accompagnée
d’une difficulté à utiliser un potentiel intellectuel souvent intact, de diffi-
cultés ou de l’impossibilité d’avoir des liens relationnels. Ils vivent souvent
des ruptures familiales et avec leur classe d'âge.
J. de Ajuriaguerra a défini le noyau structurel psychotique qui empêche
l'individu malade de jouir de tous ses sens, d’abord à cause de l’existence
d’une angoisse primaire d’anéantissement, de morcellement, d’engloutissement
impliquant la dissolution ou la destruction complète de l’individu. L’adolescent
s'attache à des rituels pour maintenir cette angoisse à distance.
Dans mon approche de l’adolescent, je reste sensible au «dialogue
tonique » qui s’instaure et je dois souligner qu’habituellement, le psycho-
motricien accorde une attention toute particulière à ses ressentis corporels,
aux changements de son propre tonus musculaire, à sa capacité ou non d’être
disponible corporellement au contact du patient, à son toucher, et comme
dans toute relation thérapeutique, à la qualité de sa présence, à sa fatigue, à
sa vitalité et aux modulations de celles-ci pendant la séance.
Bien sûr, le corps dans la psychose prend une place essentielle, cependant
son rapport à la psyché n’a pas moins d’importance, mais avec ce type de
patients, le langage ne suffit pas. Il est nécessaire de donner aux adolescents
la possibilité d’éprouver leur corps, de découvrir les sensations qui le traversent,
de le toucher, de le regarder, d’en sentir la réalité.
Les adolescents psychotiques nous livrent souvent des vécus surprenants
de leurs perceptions et sensations. Tantôt le corps dans son entier, ou en
partie, n’est pas perçu et cet état est accompagné d’une angoisse sidérante,
pouvant aller jusqu’à l’agression ou l’automutilation, afin de retrouver «une
sensation qui donne la preuve d’une vie physique ».
Le patient a besoin de se faire mal pour se sentir vivre. Dans le vécu plus
banal.de chacun, nous avons tous eu des moments où nous avions eu besoin de
«nous pincer la peau » pour croire à la réalité de notre ressenti. La redécouverte
de la perception du corps ou d’une partie du corps permet de remplacer une
sensation de vide angoissant qui aspire tous les autres investissements possibles
et appauvrit la personnalité.
208 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

6. Le cadre de l’hydrothérapie
chez les adolescents psychotiques
Aborder un adolescent psychotique demande une bonne articulation entre
tous les membres de l'institution. Il est impératif pour un psychomotricien
de comprendre les versants pratiques et théoriques de son approche pour les
transmettre efficacement à l’équipe, afin que la psychomotricité s’articule
au mieux dans le projet thérapeutique de chaque patient.
L’hydrothérapie a lieu dans une salle réservée à cet effet. Elle comporte
une petite pièce servant de vestiaire avec une douche (obligatoire avant de
commencer la séance) et la salle principale avec le bassin. Il est de forme
triangulaire aux angles arrondis, facilitant la position allongée et ses parois
sont équipées de plusieurs jets d’eau. Les séances sont individuelles et l’in-
dication est posée à la suite du bilan psychomoteur qui fait partie des moda-
lités d’admission à l’hôpital de jour et est présenté à l’ensemble de l’équipe
lors de l’exposé du cas clinique. L’indication est portée après la discussion
avec le référent psychologue de l’adolescent.
Cette évaluation psychomotrice permet de repérer d’emblée une problé-
matique s’exprimant par le corps et de proposer une aide adéquate en veillant
à ce que ce travail s’articule le mieux possible aux autres soins individuels
et aux activités de groupe proposés au sein de l’institution.
Cette articulation, ainsi que par la suite l’évaluation du travail, s’effectue
lors des différentes réunions avec les autres membres de l’équipe.
Pour que le travail thérapeutique auprès d’adolescents si gravement pertur-
bés prenne un sens, nous mettons en place en dehors du temps institutionnel
des moments d’élaboration de notre pratique en contrôle ou en formation
continue.
Lors de la séance hebdomadaire et qui dure une heure, l’adolescent est
invité à entrer dans le bassin, alors que le psychomotricien reste en dehors.
Cela dans un souci de créer deux espaces « dehors et dedans » afin d’aborder
progressivement la problématique de la séparation et de la «bonne distance »
à trouver à partir de la différence d’espaces.
La température de l’eau élevée (34 °C) donne d’emblée une sensation de
chaleur très agréable sans être excessif. Les jets de massage peuvent être
réglés dans leur intensité. Leurs différentes localisations permettent d’avoir
des massages de toutes les parties du corps concernées. Cette possibilité qui
existe d’envoyer des jets dans un point précis du corps permet de parler du
premier intérêt de ce cadre de travail qui est celui d’aider les jeunes à éprouver
des sensations en se les appropriant, puisque justement leurs difficultés corpo-
relles concernent l’incapacité dans laquelle ils se trouvent souvent de tout
HYDROTHÉRAPIE AVEC LES ADOLESCENTS PSYCHOTIQUES EN HÔPITAL DE JOUR 209

simplement sentir ce qui vient de l’intérieur d'eux-mêmes, au contact avec


les autres ou en présence de différentes stimulations.
Nous avons par la suite ce qu’on appelle «les vagues », ce sont des bains
bouillonnants qui provoquent une tout autre dynamique, on y est bercé,
entouré, porté par l’eau en mouvement avec un bourdonnement entourant
également au niveau sonore, et cela permet souvent une première approche
de la détente.
Quand il est possible de toucher de plus près, je propose le portage, en
soutenant d’abord une partie du dos, ou la tête ou les deux, le temps que la
confiance s’instaure et que petit à petit le jeune arrive à se laisser aller, à se
laisser porter. Il peut arriver également que j’entre dans l’eau, maïs cela est
assez rare, on utilise ce fonctionnement surtout quand nous pouvons être
deux psychomotriciens avec un jeune, ce qui donne évidemment d’autres
possibilités dans le contact, dans le portage mutuel qui favorise un dialogue
tonique plus subtil et vécu dans la réciprocité.
Le jeune peut de cette façon sentir et moduler sa posture, son tonus, son
regard en fonction de ce qu’il ressent du corps du psychomotricien et du sien.
Bien évidemment, il est important de toujours faire part au patient de notre
degré de confort dans ses bras, par exemple : il arrive qu’il puisse y avoir
réciprocité du portage où la mise en jeu des corps remplace ou précède la
mise en mots. Le psychomotricien insiste sur les capacités du patient à modi-
fier ses appuis, valorise ses tentatives de détente, bref, est attentif à cette
interaction et adaptation au corps de l’autre. Le regard et les mimiques devien-
dront alors plus authentiques et plus en rapport avec les émotions liées à ce
type d’échange de proximité.
Le bassin est également un lieu de jeu où il est possible de jouer avec son
corps, de créer des situations ludiques, de retrouver parfois le plaisir du jeu,
du fonctionnement et de la découverte de l’activité sensori-motrice (nous
utilisons parfois le petit matériel flottant ou lesté, tapis, rondin en mousse,
coussin gonflable, balles, tuyaux, bulles de savon, etc.).
Nous utilisons dans certains cas les serviettes chaudes qui constituent un
enveloppement supplémentaire agréable au sortir de l’eau et qui font la tran-
sition vers la fin de la séance qui est parfois un moment de détente et de relaxa-
tion sur le tapis ou tout simplement le moment d’habillement et préparation
pour aller vers un dehors.

7. Fondement de ce type d’approche


Ce travail en bassin a une base théorique et clinique : cet usage de
l’hydrothérapie a montré qu’il était possible d'aborder par ce biais
quelques problématiques liées à l’expression de la psychose. Il est possible
210 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

de questionner lors de séances les limites corporelles et leurs contraintes,


l’organisation de l’espace (l'investissement du bassin, son exploration ou
pas), l'écoulement du temps (certains adolescents vérifient l'heure toutes les
minutes, pour les autres le temps c’est nous, etc.), la perception du dedans
et du dehors (souvent les adolescents cherchent à m’arroser pour diminuer
leur impression d’être séparé, en essayant de me mettre dans le «même bain »
des sensations, ainsi ils expriment leur peur devant une individualisation).
Cette séparation Moi — non Moi doit trouver un début d’ébauche. En effet,
le plus souvent, le jeune se trouve en maillot de bain, dans l’eau, dans un
espace restreint d’où une possibilité d'évolution motrice réduite mais par
moments libérée de l'attraction terrestre. Le psychomotricien, lui, reste habillé
(tenue décontractée), hors de l’eau (sauf dans le cas du portage), dans un
espace plus vaste et garde la possibilité de déplacement. Les sensations que
nous éprouvons alors l’un et l’autre doivent être différentes afin de rendre
possible ce mouvement de défusion d’avec l’adulte et ouvrir un espace entre
les corps.
La plupart de nos jeunes sont dans l’incapacité de fermer les yeux. D’une
part cette difficulté montre la non-acquisition de la «capacité à être seul en
présence de l’autre » ou celle de la «permanence de l’objet» avec la peur
que l’autre ne disparaisse à la fermeture des yeux. Nous avons pu constater
à cette occasion l’existence massive d’angoisses corporelles psychotiques
de dissolution (être emporté par le courant ou par le trou de vidange de l’eau),
de dépersonnalisation, de noyade. II convient de rassurer le jeune — lorsqu'il
arrive enfin à fermer les yeux — sur notre présence, en lui parlant ou en nous
manifestant physiquement par le fait de soutenir le coussin sur lequel repose
sa tête, ou en lui tenant la main.
Cela me permet de citer une autre difficulté souvent rencontrée, celle du
besoin impérieux de certains jeunes de satisfaire leur pulsion d’agrippement,
nécessaire à la constitution d’un attachement réussi à la mère.
[. Hermann, qui s’est intéressé dans ces recherches à l’existence d’un
instinct (il ne parle pas en termes de pulsion) de cramponnement chez tous
les mammifères, classe parmi les dérivés de cet instinct l’intérêt porté par
les bébés aux cheveux et aux objets qui rappellent, tel l’ours en peluche, les
fourrures, etc. Il est bien connu que, lorsqu'un petit enfant saisit un objet et
refuse de le lâcher, le seul moyen de lui permettre de s’en détacher est de lui
en procurer un autre aussi attrayant auquel s’accrocher. Dans le cas de nos
adolescents qui s’accrochent parfois sensoriellement à la lumière ou aux
ombres, ou tout simplement aux poignets du bassin, je leur propose, lorsqu'un
contact est accepté, de serrer ma main.
Parmi les manifestations pathologiques de cette pulsion, se ronger les
ongles, s’arracher les peaux, jusqu’à se blesser parfois, témoignent du conflit
HYDROTHÉRAPIE AVEC LES ADOLESCENTS PSYCHOTIQUES EN HÔPITAL DE JOUR 211

entre le désir de rester agrippé au corps de la mère et celui de s’en séparer.


Parfois, c’est un signe, de la non-constitution d’un Moi-peau suffisamment
contenant, problématique encore plus archaïque remontant à la constitution
de ce Moi-corporel.
Souvent, le vécu corporel est celui d’un objet inanimé, «une poupée
molle, une fée, un robot, un marteau ou une branche morte ». Face à de telles
sensations ou représentations, je réponds que, même si le jeune se sent mou
ou inanimé, il reste vivant, chaud et continue à respirer contrairement à ces
choses qu’il évoque.
Le bassin et son contenu réveillent souvent une problématique archaïque
de dévoration. Un adolescent s’y sent «comme dans une marmite en attendant
d’être mangé» et tout ce qu’il ressent de manière agréable, il l’évoque par
l'expression «c’est gourmand ».
Pour un autre, le bain bouillonnant est «comme une cocotte-minute»,
reflet saisissant de l’état intérieur dans lequel en effet il se trouve conti-
nuellement. L'eau «dans tous ses états » lui sera d’une grande aide pour
exprimer ses émotions et ses états d’âme. Il pourra « faire des vagues » sans
être exposé à la colère des siens qu’il pressent «apocalyptique ». L'eau est
ainsi un élément qui permet d'exprimer des sentiments agressifs sans crainte
de casser ou de mettre en morceaux.
Les images de vie côtoient les images de la mort ou de peur pour certains.

La relation — on peut l’imaginer, car nous travaillons avec les adoles-


cents qui n’en ont peut-être pas les caractéristiques psychiques maïs qui
physiquement le sont — devient par moments sexualisée ou érotisée en tant
que telle ou comme défense contre un vécu trop régressif. L’excitation peut
se manifester dans le surgissement d’éléments de la sexualité infantile
(roter, émettre des gaz, uriner, cracher, dire des gros mots, «en mettre
partout »).
Nous devons contenir ces manifestations en cherchant ensemble un sens
dans «ici et maintenant » et en posant clairement des limites à de telles explo-
sions, en nommant les orifices corporels, ce qui permettra de rendre moins
confuse la connaissance qu'ils ont de leur corps.
Nous serons vigilants également à la distance ou à la proximité tolérée
par le jeune et par nous. Nous devons nous-mêmes être au clair quant à nos
propres besoins d’être touchés, nos limites, notre place. Ainsi, nous allons
_ éviter de questionner l’adolescent sur son plaisir.
Vouloir savoir si ce qu’il vit «est agréable ou pas » ne devrait pas nous
importer, sauf si lui-même a envie d’en parler. Ce type de questions peut être
vécu comme une tentative de séduction de la part de l’adulte et mettre très
mal à l’aise le jeune.
212 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Une mauvaise connaissance du schéma corporel est responsable de craintes


d’intrusion souvent exprimées. Ces jeunes redoutent alors l’inondation de
l’intérieur de leur tête, du cerveau et expriment leur peur d’avoir les oreilles
dans l’eau. Nous allons les rassurer sur la non-communication de ces espaces
et allons contribuer à une meilleure connaissance de leur corps, par l’expé-
rimentation progressive. La notion du contenant et du contenu pourra être
abordée à l’occasion de ces peurs.
L'approche des appuis corporels dans l’eau sera l’occasion d’aborder leur
difficulté d’enroulement ou d’étirement. Ils ont besoin de s’assurer d’abord
d’avoir un solide appui pour leur dos afin de pouvoir explorer le reste de leur
motricité. Certains prennent immuablement la même position dans l’eau.
Sans les brusquer, en respectant et valorisant leur système de défense qu’ils
ont mis en place, nous tenterons petit à petit de leur proposer de lâcher
certaines tensions, d'ouvrir les mains, d’étirer les orteils, de bouger le bassin,
d’écarter les jambes, de poser la tête sur nos mains, d’abord pendant quelques
instants, puis de plus en plus longtemps.
Nous n’imaginons pas une progression dans ce travail sans cette prise de
risque pour le patient, et dans une moindre mesure pour le psychomotricien,
d’abandonner progressivement ses habitudes pour ressentir ce qui se passe
lorsqu'on se décide à être autrement. Ces découvertes sont faites d’abord en
notre présence rassurante mais ensuite il sera proposé au patient d’expéri-
menter ces nouvelles attitudes seul, chez lui, face à un miroir ou pas. Cette
possibilité de les vivre en absence du thérapeute (lorsque ça devient possible)
signe l’acquisition de la capacité naissante de pouvoir s’occuper de son corps,
de devenir «une bonne mère » pour soi-même, de considérer son corps comme
existant en dehors de l’autre avec ses besoins propres. Nous restons attentifs
à la qualité progressive de l’adaptation tonico-émotionnelle du jeune — surtout
lors d’un travail de «portage » mutuel dans l’eau, à ses capacités à se détendre,
aux signes d’anxiété, à sa fatigabilité, à sa meilleure connaissance du schéma
corporel qui se manifeste dans le choix plus diversifié de positions corporelles,
mouvements, gestes, à l’expression de son image du corps (le jeune commence
à se regarder dans la glace, se comparer à l’autre), à la qualité de la manipu-
lation des objets.

Tout ce qu’il pourra nous apprendre de son vécu corporel ou du manque


des sensations pendant la séance mais également ailleurs face aux autres,
dans des situations nouvelles, nous renseignera sur ses capacités à se repré-
senter, sur le degré de la conscience qu’il a de son existence individualisée
ou sur le niveau de son fonctionnement symbiotique.
Sa présentation et le soin ou pas qu’il apporte à son corps et ses habits
seront les objets précieux de notre préoccupation. Nous allons noter tous les
HYDROTHÉRAPIE AVEC LES ADOLESCENTS PSYCHOTIQUES EN HÔPITAL DE JOUR 213te]

changements et excentricités vestimentaires et leur ädaptation ou pas aux


conditions atmosphériques (vêtements chauds l’été et légers pendant l'hiver),
les efforts à soigner le maquillage, l’état de la peau et l’odeur qui peut être
bonne ou mauvaise (signe d’angoisse ou de manque d'hygiène), utilisation
d’un parfum ou d’un lait corporel.
Lors des séances, je n’insiste pas d’emblée sur les questions d’hygiène
car je connais trop bien l’importance des odeurs corporelles dans le maintien
d’une distance supportable et également la difficulté pour ces jeunes de rester
seuls à seuls avec leur corps pendant le temps de la douche.

8. Conclusion
Dans cette approche de la psychose, il ne s’agit pas, comme dit G. Pankow,
«de donner des soins que le patient n’a pas reçus quand 1l était encore bébé,
mais il s’agit de favoriser, donner des sensations corporelles tactiles et autres
qui le limitent dans son monde magique pour l’amener à une reconnaissance
des limites de son corps ». Le «bain de paroles » qui accompagne les gestes
du thérapeute favorise chez l’adolescent le passage du sensoriel au perceptif,
en ce qui concerne le vécu du corps propre. Chaque partie du corps sentie,
perçue est replacée dans le fonctionnement de la totalité du corps, ce qui
diminue les angoisses de morcellement. Pour finir je voudrais insister sur le
besoin qu’éprouvent souvent les patients psychotiques de se trouver «un
nid », «une tanière » où ils pourraient se sentir tranquilles et en sécurité. Le
bassin avec l’eau et la possibilité de se cacher, d’aller sous l’eau, donnent
satisfaction à ce besoin fondamental d’avoir un espace personnel, de jouer
avec l’absence et présence et parfois même la naissance. Après un long temps
de «nidification » au sein du bassin arrive la période de «l’exploration » de
son intérieur et ensuite du corps propre. La base de notre travail sera alors
le décodage des besoins thérapeutiques de ces jeunes, besoins qui se mani-
festent dans leur comportement et l’attitude «ici et maintenant ».

NOTE

1. Hôpital de jour de Bayen.


214 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

BIBLIOGRAPHIE
ANZIEU D. Le Moi-peau, Dunod, Paris, 1985.
BICK E., «L'expérience de la peau dans les relations d’objet précoces » in Les
écrits de M. Harris et E. Bick, Ed. du Hublot, Larmor-Plage, 1998.
CHADZYNSKI D., «De l’hydrothérapie avec l'adolescent psychotique » in Pratiques
en santé mentale, n° 4, Fédération d’aide à la santé mentale, Croix Marine,
novembre 1999.
DECHAUD FERBUS M., ROUX M.L., SACCOF, Les destins du corps, Ramonville-
Saint-Agne, Erès, 1994.
HERMANN !., Instinct filial, Denoël, Paris, 1972.
PANKOW G., L'homme et sa psychose, Paris, Aubier-Montaige, 1969.
PASCHE F., Le sens de la psychanalyse, Paris, PUF, 1968.
POUS G., Thérapies corporelles des psychoses, L'Harmattan, 1995.
WINNICOTT D. W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, Coll. Science de
l’homme, Paris, 1969.
Le corps à l’adolescence
Des médiations corporelles pour les adolescents :
de la danse à la relaxation

CATHERINE POTEL

L’adolescence est le temps des changements. Et le corps, pour l’adolescent,


est le lieu de ces changements.
_ Si j'ai intitulé cet article «Le corps à l’adolescence», c’est bien pour
introduire la particularité de cette période de la vie, marquée par une véritable
«révolution » corporelle qui signe la fin d’une époque, l’enfance, et l’entrée
dans une autre, celle de la vie d’adulte. Ainsi que la particularité de l’inter-
vention du psychomotricien qui va avoir à adapter sa pratique en fonction
de la singularité des adolescents.
Cette révolution corporelle à l’adolescence, ce sont bien sûr les chan-
gements pubertaires qui font que le corps de l’enfant va se transformer
progressivement. Si l'enfant a conquis son corps — l’ayant authentifié comme
sien en se dégageant par étapes du corps maternel —, l’adolescent, lui, doit
retrouver la familiarité qu’il avait de lui-même, dans un corps qui change
et qui le déconcerte par l’apparition de nouvelles sensations dues aux émois
d’une sexualité génitalisée naissante. Pour les filles, l’apparition des seins,
les rondeurs féminines, et enfin la venue des règles; pour les garçons, la
pilosité, la taille du pénis, les poussées de croissance, l’éjaculation. Autant
de transformations du corps qui peuvent être accueillies par les adolescents
comme des attributs valorisants. Mais qui peuvent aussi être source d’une
grande excitation, d’une inquiétude, voire de l’angoisse qui s’accompagnent
- d’un sentiment d’étrangeté : l’étrangeté d’être à la fois soi et un autre. Un
autre, certes inconnu en soi-même, mais reconnu de plus en plus semblable
au corps du parent du même sexe. Ce qui a pour effet de remettre au-devant
de la scène la problématique œdipienne, ses enjeux et ses conflits.
216 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

L’adolescence est donc bien plus qu’une étape maturative, c’est un boule-
versement, un chamboulement nécessaire et vital, qui peut mettre parfois en
péril le sentiment même de l’identité. Pour peu que l’enfant ait été — pour
une raison ou pour une autre — en difficulté dans sa construction identitaire
de sujet, à l’adolescence peuvent se reposer avec fracas les avatars d’un déve-
loppement fragilisé.
Cela est d’autant plus vrai pour les enfants qui se sont développés sur un
mode psychotique, et qui à l’adolescence, n’ont pas l’appui d’une assise
narcissique solidement établie — c’est-à-dire un sentiment d’exister en tant
que sujet, individualisé et séparé de l’autre — pour intégrer et élaborer ces
changements pubertaires. En ce cas, quels vont être les effets de l’adolescence
qui, comme je l’ai dit précédemment, est un véritable passage préparatoire
à la vie d’adulte ? Les transformations du corps, pour qu’elles puissent avoir
un rôle opérant dans la construction identitaire, nécessitent une activité
psychique intense.
Comment aider l’adolescent psychotique à intégrer et à élaborer psychi-
quement ces changements ? Comment faire pour que l’adolescence soit un
moment de vie fructueux, voire une relance pour le développement psychique ?
En d’autres termes, comment aider l’adolescent à une appropriation subjective
de son corps, dont dépendra l’intégration des changements dans son image
corporelle ? Image corporelle qui est une synthèse vivante des expériences
émotionnelles sur lesquelles se fonde la capacité d’être en relation avec soi
et avec les autres.
+ Les investissements corporels de l'adolescent
Nous l’avons dit, le corps occupe une place centrale à l’adolescence. Et
l’adolescent qui fonctionne bien va lui donner une place importante dans ses
préoccupations : il est l’objet d’un investissement, voire d’un surinvestissement
parfois, qui peut prendre des formes très différentes : ;
— investissement des vêtements, attributs narcissiques importants qui
marquent non seulement l’identité de celui qui les porte mais aussi son appar-
tenance à un groupe. Les vêtements sont vécus comme une enveloppe qui
sécurise, protège, distingue. Ils clament l’identité adolescente.
— investissement de l’expression corporelle : les adolescents vont choisir,
selon leur personnalité, des modes de « relation à leur corps » qui sont autant
de façons d’apprivoiser l’excitation résultant de la force pulsionnelle naissante.
Le sport, la danse, le roller, le théâtre… toutes ces activités que choisit l’ado-
lescent sont des moyens pour lui de canaliser son énergie, et de sublimer
c’est-à-dire transformer l’excitation en force créatrice. C’est, ici aussi, l’occa-
sion d’appartenir à de nouveaux groupes, réunis autour d’un objet d’intérêt
commun.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 217

— la fête : les temps de rencontre entre adolescents se ritualisent, dans des


«réunions » informelles ou formelles. Le corps va là aussi être l’enjeu de la
préoccupation adolescente, médiatisant les relations de séduction à l’autre.

À l’intérieur même de ces trois formes d'investissement corporel, un point


commun se dégage : l’appartenance au groupe. En effet, le groupe va prendre
une importance considérable pour les adolescents et ce, d’une tout autre
manière que pendant l’enfance. Il est un moyen pour eux, en se différenciant
des adultes, d'intégrer une nouvelle forme de socialisation, il est le biais par
lequel vont pouvoir «s’essayer » les nouveaux modes de relations, passion-
nelles, conflictuelles, amicales et amoureuses.
+ Qu'en est-il pour l’adolescent psychotique ?
La psychose enferme l’individu dans un système de dépendance et de
répétition, qui restreint sa capacité de penser et de se penser différent de l’autre.
Du coup, c’est toute sa liberté d’expression, d'élaboration et de création qui
est entravée. À l'adolescence, tous les moyens d'intégration des changements
corporels que j'ai cités (à titre d'exemple) ci-dessus ne vont donc pas pouvoir
être utilisés de façon « spontanée », comme le font les adolescents qui fonc-
tionnent bien. Quel va donc être le devenir de cette nouvelle énergie libidinale
qui devrait inscrire l’individu dans une sexualité adulte, par la découverte
d’un corps génital ?

1. Les médiations thérapeutiques


Une médiation thérapeutique est une proposition de rencontre autour d’un
objet d'investissement partageable et partagé. Elle se définit par : un lieu, un
temps, une personne qui la représente (le thérapeute), une activité (l’objet
d'intérêt). C’est, pour reprendre les termes de Winnicott, une zone tran-
sitionnelle intermédiaire entre soi et l’autre, une zone exploratoire de création
commune, dont les buts vont tendre vers la représentation symbolique des
affects et des éprouvés qui fait tant défaut au psychotique.
L'enjeu de toute médiation thérapeutique est donc «un aménagement
avec la réalité : réalité du corps, réalité de l’autre, réalité de l’objet? ».
Cela peut être autant la peinture, la sculpture, l’informatique, le théâtre,
les jeux d’expression, les activités sportives et corporelles. Le soignant est
impliqué dans son choix de médiation. De son investissement, de son intérêt
et de son plaisir dépendra le vivant de l’échange avec les patients.
218 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

1.1. Les enjeux des médiations corporelles thérapeutiques


Le psychomotricien, cela va sans dire, a pour intérêt central le corps et
son expression. Or, les médiations corporelles ont ceci de problématique
qu’elles engagent directement le corps qui, nous l’avons vu précédemment,
est une chose brûlante à l’adolescence. Problématique, pourquoi ? Parce qu'il
y a deux risques : l’infantilisation et la trop grande séduction. Dans notre
travail «à même le corps » nous sommes tout particulièrement confrontés à
la question de la distance, des appuis et des limites à donner, du toucher et
des contacts, le danger étant de se trouver trop proche des sources mêmes
de l’excitation et du sexuel. Le psychomotricien a la tâche difficile à faire
de proposer à la fois des excitations corporelles — le vivant corporel repose
toujours sur une quantité minimale d’excitation-énergie — tout en restant
vigilant quant au risque de débordement pulsionnel.
Il est à la fois celui qui propose un certain degré d’excitation, et celui qui
protège de l’excitation inélaborable. C’est ce rôle de pare-excitation qui va
contenir et maintenir le niveau de refoulement nécessaire pour que la médiation
reste une voie d’accès à la symbolisation et à la pensée. C’est à cette condition
seulement que proposer de «bouger son corps, le ressentir, s’exprimer par
lui, ou éprouver des sensations » peut devenir pour l’adolescent un plaisir et
un moyen d'intégration. Je reviens une fois de plus à ce que j'ai souligné dans
mon précédent article : s’intéresser au corps — dans sa motricité, sa tonicité,
sa fonctionnalité, son expression — c’est avant tout donner au patient les moyens
d'accéder à la représentation de son corps, dans une enveloppe contenante
d’un intérieur psychique. La sensation ne se suffit pas à elle-même. Le psycho-
motricien a à accompagner les mouvements d’intégration des éprouvés dans
le champ des émotions, des affects et des pensées. Travailler avec des adoles-
cents demande donc non seulement de s’intéresser à la construction du schéma
corporel, mais aussi à l’évolution de l’image corporelle. Cette distinction —
d’un côté la construction des données neuro-sensorielles et motrices, de l’autre
l'intégration conflictuelle du psyché-soma, de l’imaginaire et du symbolique-,
si elle n’est pas spécifique à l’adolescence, est particulièrement mise en éclai-
rage dans cette période de la vie où le corps occupe une place aussi centrale.
Les adolescents, même s’ils ne sont pas psychotiques, vivent en eux des
mouvements contradictoires : d’un côté, ce qui les rattache à l’enfance, et
de l’autre, l’attrait du grandir et de l’inconnu. Cette oscillation entre l’infantile,
l’archaïque, et le pensé du changement, a besoin d’être accompagnée et
entendue. C’est là que peut-être se situerait le mieux le champ des média-
tions corporelles : pouvoir entendre le dire corporel qui parle souvent de
façon bien plus claire que les mots, les tiraillements entre le petit et le grand
qui coexistent dans chaque adolescent.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 215

1.2. Quelles sont ces médiations corporelles?

À l'hôpital de jour pour adolescents dans lequel j’exerce3, Je propose


différentes façons de mettre en jeu le corps :
— un atelier de mise en scène corporelle (proche du mime), que j’anime
avec un collègue éducateur ;
— des petits groupes de psychomotricité (deux ou trois adolescents, géné-
ralement les plus jeunes) où sont travaillés plus particulièrement l’adresse,
la coordination, les jeux dynamiques, les notions d’espace, les rythmes.
Bref ce qui est de l’ordre d’une psychomotricité plus classique;
— la danse, toujours en groupe ;
— la relaxation, en groupe ou en individuel.
Dans ce bref canevas des propositions d’expression du corps, nous voyons
déjà l’importance donnée au groupe. Je reviendrai ultérieurement sur ce
point. Il m'arrive de suivre certains adolescents en individuel, sur demande
de l’adolescent, ou sur indication de l’équipe.
J'ai choisi de développer dans cet ouvrage les deux dispositifs de soins
que sont la danse et la relaxation. En effet, ces deux médiations, très différentes
dans leurs implications et leurs effets, m’apparaissent particulièrement bien
convenir (en cela elles sont donc spécifiques) à des adolescents qui sont
certes en deçà d’un fonctionnement «standard » vu leurs difficultés inhérentes
à leurs pathologies, mais n’en demeurent pas moins des adolescents.
Dans un premier temps, je vais tout d’abord mettre en parallèle ces deux
propositions thérapeutiques en insistant sur leurs points communs et sur leurs
différences. Dans un second temps, nous verrons les modalités de fonction-
nement de chacune, appuyées par des exemples cliniques.

2. Relaxation et danse : complémentarité et différences


Chacune de ces médiations se veut être une voie d’accès à la symbolisa-
tion des affects et des éprouvés, en passant par la sensation d’avoir un corps
et par la représentation de ce corps, c’est-à-dire son image corporelle. Mais
ces deux pratiques, techniquement différentes, vont engager le corps d’une
façon différente.
_ Danser, c’est se confronter aux sensations et aux émotions liées aux
. mouvements et aux gestes. L’intention donnée aux gestes dans la danse pour
exprimer quelque chose va donner l’occasion à l’adolescent de mieux connaître
son corps (en le contrôlant et en le maîtrisant) et de mieux le percevoir.
_ Au contraire, se relaxer, se détendre, c’est privilégier le ressenti dans
une mise en passivité et en immobilité du corps (immobilité n’étant pas bien
sûr synonyme de rigidité).
220 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

La danse privilégie donc l’activité volontaire et l’intention. La relaxation


favorise l’écoute des impressions liées au corps, impressions qui sont induites,
comme nous le verrons, par les inductions verbales ou par le contact.
Malgré ces différences de techniques et d’objectifs, il y a des points
communs intéressants à souligner. Toutes deux proposent :
— de mettre le corps au centre des préoccupations ;
— de considérer le corps dans sa relation à l’espace;
— de proposer des stimulations extérieures, que cela soit à travers la
musique et le rythme (pour la danse), la voix (inductions en relaxation), le
contact et le toucher (mobilisation pour la relaxation, échauffement par «auto-
massage » en danse). Ces interventions de l’extérieur sont des garants de la
réalité et de la présence des autres.
Considérons maintenant les différences entre ces deux médiations.

2.1. Rapport du corps à l’espace


Il existe un rapport étroit entre la conscience d’avoir un corps habité par
soi (espace intérieur) et l’investissement de l’espace. Le terme d’espace
renvoie à trois types d'expériences différentes et complémentaires : l’espace
de son corps (avoir un corps habité et investi), l’espace qui entoure le corps
et dans lequel le corps se déplace et prend sa place, et l’espace imaginaire.
En danse, ces trois espaces sont étroitement imbriqués et dépendants les
uns des autres. Ils sont forcément convoqués dans la proposition même de
danser et d’avoir une intentionnalité d’expression.
En relaxation, c’est surtout l’espace personnel — avoir un corps habité par
la sensation — qui va être sollicité directement. Si dans les inductions verbales
j'insiste sur la sensation de l’espace autour de soi, et l’espace occupé par le
corps, je n’interviens pas ou très peu, laissant chacun évoluer à son gré et à
son rythme. Ainsi, un adolescent avait l’habitude de prendre un tout petit
matelas, beaucoup trop petit pour lui, et se recroquevillait afin de pouvoir
placer ses bras et ses jambes. Peu à peu, il a pris conscience de sa grandeur
et de sa largeur, s’est déplié, et a fini par choisir un matelas adapté à sa taille,
ce qui était signe d’une évolution dans la conscience de soi. Je ne suis jamais
intervenue de façon directe.
En danse, au contraire, je vais, en début de chaque séance, demander à
chacun (en position debout ou allongée selon l’échauffement choisi) d'étendre
les bras puis de tourner autour de son axe (ce qui dessine un cercle), ceci
yeux ouverts puis fermés. Les adolescents sont alors attentifs aux obstacles
rencontrés sur ce tracé tout à la fois imaginaire et réel et peuvent ainsi rectifier
leur positionnement les uns par rapport aux autres, ou par rapport aux murs
de la salle auxquels spontanément ils se collent volontiers.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 221

«Habiter l’espace, c’est faire la preuve de son existence »


Cette phrase de Le Corbusier introduit très justement cette dimension du
rapport du corps à l’espace. Les adolescents psychotiques montrent bien
toute la difficulté d’habiter l’espace quand on n’a pas conscience d’avoir un
COrps à soi, ainsi que la complexité de gestes d’apparence fort simple — ouvrir
les bras, aller jusqu’au bout du déroulement d’un étirement — qui supposent
un investissement de l’espace et une affirmation de soi. La seule réalisation
motrice mécanique n’est pas suffisante. La plupart des adolescents avec
lesquels je travaille vivent dans un espace corporel étriqué, replié, sans arrêt
soumis à des tensions musculaires compensatrices infligées à leur corps
comme une blessure (et ceci sans raison organique aucune) : des épaules
penchées, des colonnes vertébrales déformées du fait de mauvaises postures
habituelles, des rétractions musculaires. et souvent des respirations bloquées,
conséquences mais à mon avis surtout causes de ces attitudes déformantes.
Prendre l’air, respirer dans sa cage thoracique, c’est affirmer son existence,
respirer pour soi : la respiration est en même temps une réalité et une vraie
métaphore du vécu psychotique.
Benoît est debout devant moi, les pieds tordus intriqués l’un dans l’autre dans
un équilibre suspendu quasi impossible, les avant-bras repliés sur les bras pour
ne pas toucher le mur, alors qu’il lui faudrait tout simplement se pousser d’un
pas pour être à son aise. Mais cela il n’en a pas encore l’idée.

2.2. La place des mots


Les mots prennent une grande place dans un travail corporel. Ils sont le
moyen privilégié pour mettre en lien les éprouvés et les affects. Dans ces
deux médiations, il va donc y avoir des échanges verbaux qui vont appuyer
les expériences corporelles, d’une façon très différente pour chacune d'elles.
En danse, les mots accompagnent le travail du corps. Je commente les
mouvements que je montre et ces indications verbales sont des appuis pour
la représentation mentale et la réalisation motrice. Un dialogue s’installe entre
nous lors d’un exercice ou d’une situation nouvelle, angoissante, rigolote,
inquiétante, périlleuse. Les mots sont les compagnons de tous les instants.
— Maintenant, j'ai chaud aux mains.
— J'arrive pas à tenir l’équilibre.
— C’est quoi la diagonale ?
— J’arrivais pas à faire ça avant, maintenant jy arrive.
Les relations qui se tissent sont autant imprégnées de ce qui se vit sur le
moment, de ce qui est dans les têtes qui amène bien loin du moment présent.
— Dis, est-ce que je t’énerve ?
— C’est bien ce que je fais, Catherine ?
222 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

— Je pense à D. avec qui je joue dans les couloirs, ça m’empêche.


Ilest parfois nécessaire d’interrompre la séance pour parler d’un problème
qui s’est passé au cours de la semaine, la veille ou le matin même... Pour
permettre de poser ses valises et de redevenir présent à ce qui se vit dans
l’ici et maintenant.

En relaxation, c’est très différent. Il y a les mots que je dis pour aider la
détente, c’est-à-dire les inductions. Puis il y a le temps de verbalisation, après
la reprise (fin de la relaxation) pour chacun des adolescents. Moments de
rêveries intérieures, écoute des sensations, verbalisation des éprouvés dans
l’après-coup du temps de détente, la relaxation est l’occasion pour l’ado-
lescent de mettre en mots ce qu’il a senti, éprouvé, pensé, alors qu’il était
allongé. C’est donc un vrai travail d'élaboration qui s’enrichit des associations,
celles de l’adolescent, les miennes, ou celles de l’éducatrice qui anime le groupe
avec mol.
Nous voyons donc que la parole est très présente dans ces deux médiations,
mais à une place et une fonction différente dans chacune d’elles.

2.3. Travail en groupe ou en individuel


J'ai évoqué l’importance du groupe à l’adolescence. Pour les adolescents
psychotiques, il en est de même, avec cependant des différences importantes,
notamment dans la capacité pour chacun des adolescents à gérer l’excitation
qui naît des effets de groupe.
De façon générale on peut dire qu’un groupe se constitue autour d’une
activité fantasmatique (imaginaire) partagée. Il est la somme d’une certaine
quantité d'énergie et s’équilibre grâce à des règles, implicites et explicites,
qui s’établissent entre chacun de ses membres et codifient d’une certaine
manière les relations. Sans ces règles, le groupe devient vite explosif. Cela
est d’autant plus vrai dans les groupes d’adolescents, «la bande ». Pour que
le groupe puisse remplir ses effets de contenant et de repérage dont l’ado-
lescent a besoin, les places de chacun vont se distribuer en fonction de la
personnalité de chacun : le leader, le modérateur, l’intellectuel, le souffre-
douleur, le comique. Cette distribution n’est ni fixe ni définitive. Elle évolue
dans le temps.
Chez les adolescents psychotiques, la difficulté qui existe en chacun d’être
en relation avec soi-même et avec l’autre, selon les symptômes qu’il présente,
vont renforcer les effets dévastateurs de l’excitation, le risque étant les débor-
dements et les passages à l’acte. Les échanges imaginaires et les règles qui
modèrent, qui organisent et aident à gérer les conflits, ont du mal à s'établir,
et la présence des adultes est souvent grandement nécessaire pour amener
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 223

une sécurité sans laquelle il est impossible d'exister. Il est cependant tout à
fait nécessaire pour l'adolescent, même psychotique, de pouvoir profiter de
la richesse des relations à l’intérieur d’un groupe qui, je le rappelle, offre
une diversité d’essais, de tentatives relationnelles, tant du côté des liens
homosexuels que du côté des liens hétérosexuels.
On peut même affirmer que, au sein de l'hôpital de jour, les effets théra-
peutiques du groupe jouent un grand rôle qu’on aurait tort de minimiser.
Benoît, adolescent post-autiste, met toute son énergie pour trouver les moyens
de s'intégrer à un petit groupe de copains, en tentant de comprendre comment
il peut faire, par exemple, pour les faire rire en inventant des blagues, et comment
il peut se faire aimer. Les discussions que nous avons ensemble à ce sujet sont
d’une richesse incroyable car ses questions résument tout ce qui fait l'humanité
des hommes : l’amour, le rire, la joie, la tristesse, l’agressivité, le chagrin, le lien
aux autres. Il faut dire que cet adolescent est arrivé avec pour seule référence
existentielle le système planétaire. C’était un petit prince, tombé d’une autre
planète, la tête encore dans les nuages, et qui n’avait qu’une seule idée : y retourner.

Il est donc bien évident que le travail en groupe à l’intérieur même des
médiations va être un levier thérapeutique important, la rencontre avec les
autres autour d’un même objet d’investissement et de plaisir ne pouvant
qu’enrichir les expériences relationnelles. Par contre, plus qu'ailleurs, le rôle
de l’adulte va être important et complexe.
Le nombre d’adolescents dans un groupe varie en fonction de la médiation :
il va de 3 à 8 pour la danse, de 2 à 4 pour la relaxation.
Je ne développerai pas ici le travail en relaxation individuelle dont le cadre
diffère légèrement mais que je pratique également en fonction des indications
au cas par cas : par exemple, adolescents qui viennent en temps partiel à
l'hôpital de jour, ou adolescents qui, après une prise en charge de plusieurs
années, demandent à poursuivre ce travail thérapeutique. Je peux cependant
signaler que ces indications individuelles s’adressent généralement à des
adolescents qui présentent une pathologie plus névrotique que psychotique.

2.4. Monintervention

Cette intervention va être différente selon que j’anime un groupe de danse


ou quand je propose un travail en relaxation.

_ En danse : mon implication est corporelle à part entière puisque je


danse avec les adolescents.
Pour eux, je suis repérée comme leur «prof de danse ». Je suis celle qui trans-
met un savoir, un modèle d’identification. Mes objectifs étant que l’adolescent
puisse trouver du plaisir à vivre dans un corps habité par lui et à s'exprimer en
224 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

se servant de son corps comme médiateur de son expression, je vais proposer


des situations qui vont nourrir son imaginaire corporel et enrichir la connais-
sance qu’il a de son corps. Je ne néglige donc pas l’aspect pédagogique et
technique, qui ouvre sur toutes les expériences sensori-motrices qui se font
habituellement en psychomotricité.
Et je suis «garante du cadre » que je propose, fonction qui contient en
même temps ce rôle de pare-excitant nécessaire pour que le groupe vive et
n’explose pas des tensions que parfois il génère, et ce rôle d’écoute qui permet
de démêler les nœuds et les fils interrelationnels. Écouter un groupe, c’est
avoir une écoute pour chacun tout en gardant en tête les intrications groupales,
les relations de dépendance, de cause à effets.
Ceci ne m'est possible que par l’importance donnée au travail de synthèse
au sein de l'institution, qui nous permet d’élaborer pour chacun des adolescents
ce qui se joue pour lui d’important, à partir de la mise en commun de chacune
des pratiques et réflexions cliniques de chaque intervenant. C’est la réunion
de toutes ces facettes que l’adolescent montre de lui-même dans les rencontres
avec les uns et les autres, qui nous donne une vision globale de ce qu’il est
et de qu’il vit.

— En relaxation : mon implication corporelle est bien sûr très différente,


pour une première raison évidente. Je ne suis pas moi-même en état de
relaxation. Je suis et à la fois en retrait et à la fois très présente, sur un mode
moins actif et dynamique qu’en danse.
D'abord, les adolescents me voient toujours à la même place. C’est ma
place. Comme ils ont la leur, mais eux sont allongés sur un matelas, alors
que je Suis assise Sur un COUSSIN.
J’ai deux types d’intervention, verbale et corporelle :
— corporelle : je mobilise,je touche, j’induis la sensation; |
— verbale : les inductions et le travail d’élaboration associative pendant
le temps de parole en fin de séance.
Ce qui caractérise mon implication dans le travail de relaxation est le travail
d'écoute et de relance psychique, à partir de la verbalisation des adolescents
de leurs ressentis qui font écho aux miens.

Certains adolescents participent à la danse, et à la relaxation, d’autres


seulement à la danse, d’autres encore vivent d’autres ateliers de psychomo-
tricité, font de la danse ou de la relaxation. Comme je l’ai laissé entendre,
même si ces cadres de médiations sont très différents, je reste la même
personne et j’incarne pour les adolescents celle qui s’intéresse à ce qu’ils vivent
dans leur corps. Si les cadres changent, la même permanence d’objectif reste :
donner aux adolescents les moyens de s’éprouver corporellement, de faire
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 225

des liens entre ce qu’ils ressentent et ce qu’ils engagent dans la rencontre


avec l’autre et les autres, de s’exprimer et d’aller à la découverte de leur
créativité personnelle dans leurs capacités d’expression, qu’elles soient du
domaine du corporel ou du domaine de la pensée. C’est bien d’une appro-
priation subjective de leur corps dont il s’agit avant tout.

3. La danse

Quand j’anime des groupes de danse à l’hôpital de jour, c’est autant mon
expérience de psychomotricienne que mon travail personnel en danse (que
je pratique depuis une vingtaine d’années, en fait depuis ma propre adoles-
cence) qui sont en jeu. Cette double expérience est ce qui me permet de
définir mes projets et de théoriser ma pratique, en gardant comme axe de
référence une intervention qui est avant tout du côté du thérapeutique. Je
suis psychomotricienne et non « danse-thérapeute », ce qui est un autre travail
et une autre formation, même si on peut y voir des points communs.

3.1. Les indications

Ce qui caractérise les adolescents à l’hôpital de jour, c’est leur grande


hétérogénéité. Cette hétérogénéité va donc se retrouver dans les groupes
danse. Il n’y a pas de groupe établi en fonction d’un niveau. Je pars de l’idée
qu’en chacun de nous sommeille un «danseur »S.
Trois temps d’atelier sont proposés, deux pendant la semaine et l’autre
le samedi. L’atelier du samedi est facultatif, c’est l’adolescent qui s’inscrit
s’il le souhaite, ce qui est tout à fait intéressant puisqu'il s’agit vraiment pour
lui de faire une démarche active (la présence le samedi n’est pas obligatoire).
Comme pour les autres médiations thérapeutiques, la danse fait partie des
dispositifs de soins qui peuvent sembler souhaitables à l’équipe pour l’ado-
lescent. Mais, il est bien évident que l’adolescent lui-même doit être partie
prenante d’un projet pour lui. On ne peut pas lui imposer de force ce qu'il
ne peut ou ne veut pas investir.
François refuse l’idée de faire de la danse. Il est pourtant très doué, a fait de la danse
classique plus jeune, et son père a été danseur professionnel. Est-ce justement cela
qui le bloque ? Nous n’insistons pas. Un an après, François, par l’intermédiaire de
son éducatrice référente, exprime son désir de participer au groupe danse.
Actuellement, il est l’un des adolescents les plus dynamiques du groupe, montrant
des capacités corporelles étonnantes qui existaient déjà mais dont il ne pouvait
pas se servir comme moyen d’expression, sans doute pris dans une histoire
complexe vis-à-vis de son père, lui-même danseur.
226 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Le plus souvent, ce sont les adolescents eux-mêmes qui expriment leur


désir de danse. Celui-ci peut avoir des origines très différentes pour chacun.
Cela peut être l’envie de faire quelque chose avec la copine, ou le copain.
Cela peut naître aussi du plaisir que l’adolescent a pris à voir le spectacle
que les autres ont fait et montré. L’envie peut naître aussi d’une idée lancée
par un adulte : «Ça serait bien pour toi de faire de la danse.» Souvent, les
idées font leur chemin. L’adolescent a entendu la perche qui lui a été tendue
et un jour il se sent prêt. «Ça lui a donné envie.»
La question du désir est fondamentale, et notre rôle de thérapeute est d’aider
à la découverte de nouveaux désirs, le désir étant ce qui va permettre le plaisir
de fonctionner. Dans la psychose, le désir est souvent fondu au désir de
l’autre. À nous d’entendre ce qui pourrait devenir pour l’adolescent psycho-
tique moyen d’expression d’un moi différencié, sujet.

3.2. Le temps de la séance


Trois temps reviennent systématiquement à chaque séance et suivent assez
classiquement le déroulement d’un cours de danse habituel :
— un temps d’échauffement ;
— un temps de déplacement et d’enchaînement ;
— un temps d’improvisation.

Ces trois temps sont comme des rituels qui inscrivent des repères, une
chronologie, une rythmicité nécessaire au travail corporel.

3.2.1. L'échauffement
Comme dans toutes pratiques corporelles le corps a besoin d’un temps
d’échauffement pour le mettre en forme et en condition, ne serait-ce que
pour éviter les accidents.
Pour moi, ce temps d’échauffement a une fonction supplémentaire : il est
l’occasion de faire connaissance avec son corps, de s’en occuper, d’y faire
attention, de le soigner. Sans forcément proposer les mêmes exercices, la
progression que je choisis est assez souvent identique.
Nous nous installons dans la pièce, nous nous étirons, et nous nous plaçons
(j'ai déjà évoqué le rapport du corps à l’espace et l’importance du placement).
C’est déjà là tout un travail que de s’installer et de sentir son espace, la place
qu’on occupe à côté des autres. Il y a ceux qui n’ont aucune conscience de
leur besoin d’espace pour étirer leurs bras, ceux qui se mettraient volontiers
«sous mon nez », ceux qui sont collés aux autres, ceux qui au contraire restent
immobiles et soudés au mur. C’est très intéressant de faire attention à cette
manière d'utiliser l’espace et de se situer par rapport aux autres et aux objets.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 227

Je me souviens de cet adolescent qui restait des heures debout contre la colonne
de la salle, comme si celle-ci le dessinait, lui donnait son propre relief, le repré-
sentait. Il était l’ombre de la colonne, ou son double. Ce même adolescent a mis
trois ans à pouvoir se reconnaître sur l'écran de télévision quandje montrais les
films pris pendant les séances. Ce jour-là a été comme une naissance. «C’est
moi », avait-il dit en se montrant du doigt sur l’écran. Il s’était enfin trouvé, dans
cette image de lui-même restée jusque-là comme abstraite.

Quand chacun a trouvé sa place, nous nous installons et nous «créons »


nos racines imaginaires. Cette idée d’enracinement dans la terre, dont découle
la solidité des appuis au sol, est fondamentale à deux points de vue. Corporel-
lement, avoir des appuis stables va aider à tenir son équilibre, cet équilibre
si souvent en défaut chez les psychotiques. Symboliquement, la terre, le sol,
les appuis sont les représentants de la réalité. La réalité étant ce qui nous relie
aux autres, au monde environnant, fonctionner en tenant compte de la réalité
est ce qui donne la vraie liberté de rêver et d’imaginer, sans être prisonnier
de ses fantasmes. Or l’étayage dans la réalité fait cruellement défaut au
psychotique, qui est en proie à des manifestations perceptives sensorielles
souvent angoissantes, «des sensations plus ou moins hallucinées qui portent
une forte charge affective de terreur, peur de se dissoudre, angoisse d’anéan-
tissement, solitude absolue qui renvoient forcément à des images très archaïques
non reconnues comme telles mais réveillées par le trauma pubertaire6 ».
Échauffer son corps, c’est le préparer au mouvement. C’est prendre
conscience de chacune des articulations qui relient les segments corporels
entre eux. Il est impressionnant de constater chez ces adolescents leur non-
connaissance, non seulement de leur corps mais aussi des possibilités de
leurs corps, sans que cela soit lié d’aucune sorte à un défaut d'intelligence,
à un défaut de structuration du schéma corporel, ou à une somatognosie
défectueuse. Il y a là quelque chose qui a à voir avec la non-intégration des
perceptions. Souvent, leur façon de bouger traduit un manque d’articulation
globale, le corps étant comme un bloc qui aurait besoin de se déplacer tout
ensemble pour exister. Je ne peux m'empêcher d’y voir comme une traduc-
tion corporelle de ce qui est si représentatif de la psychose : l'impossibilité
d’articuler, de lier les choses, les éléments, les pensées et les perceptions.
«Dans la psychose, les modalités défensives telles que le clivage, le déni,
voire le délire, témoignent d’une impossible liaison entre des expériences
qui affectent le sujet mais qui ne font pas sens pour lui et qui sont traitées
par lui dans une superposition d'événements qui ne font pas histoire 7».
Béatrice est dans l’incapacité totale de faire un rond avec sa tête. Ses yeux affolés
s’agitent dans tous les sens, on dirait que sa tête va se décrocher de son buste
tellement Béatrice semble incapable de maîtriser ce mouvement. Dessiner un
cercle avec une partie de son corps demande tout d’abord de savoir ce qu'est un
228 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

cercle (ce qui chez les adolescents ne pose pas de problème), puis de pouvoir
projeter dans un espace imaginaire un dessin fictif. Quand on le fait avec le doigt,
puis le bras, Béatrice n’a aucune difficulté. Par contre, s’il lui faut bouger la tête
indépendamment du buste, elle se sent perdue. Son regard ne peut se poser nulle
part, elle n’a plus de repère, et ses repères internes ne sont pas suffisants pour
lui permettre de détendre la nuque, libérer la tension. Paula, elle, a mis deux ans
avant de bouger sa nuque librement, la «dessouder » de son buste sans risque
(fantasmatique) de la perdre. Ces deux jeunes filles ont en commun une première
enfance difficile. Paula a connu des hospitalisations répétitives dues à des compli-
cations organiques après l’accouchement. Béatrice a eu une mère gravement
dépressive (après le décès d’un enfant mort avant sa naissance) et on peut imagi-
ner, au vu des difficultés qu’elle rencontre pour coordonner, rassembler et détendre
son corps, un bébé qui n’a pu avoir les réponses toniques et posturales adéquates
d’une mère disponible et donc n’a pu se construire que dans une certaine rigidité
défensive (cette jeune fille par ailleurs est intelligente et a un bon niveau scolaire
de 3e, ce qui donne une idée de ce que peut dire le corps de l’inélaborable et du
non représentable).

Quand je suis face à des difficultés de ce genre, les mots pour aider aux
mouvements ne suffisent pas. Je viens accompagner du toucher le mouvement,
prenant dans mes mains la tête (pour reprendre cet exemple) et donner ainsi
un soutien, un repère qui est à la fois un appui corporel, et un lien relationnel
qui rassure, qui empêche de se perdre.
Bouger ses articulations, faire un inventaire de tous les segments corporels,
voilà le corps chaud et «en forme ». J’entends ce terme dans ses deux sens :
en forme, on a fait circuler l’énergie. Et on a donné ou redonné une forme au
corps. Très souvent, sont associés à cet échauffement articulaire et segmentaire
des massages ou auto-massages (du dos, des bras, des mains, des jambes,
des pieds). S’occuper de soi est une bonne chose pour se connaître et prendre
conscience de son corps. Pour expliquer le massage, j’emploie des termes
comme : pétrir, malaxer, tapoter pour redynamiser. Les massages peuvent
se faire à deux, c’est aussi bien une façon de rencontrer l’autre en le percevant
que de faire un parallèle entre son propre corps et celui de l’autre. Dans ces
contacts, la dimension sexuelle n’est ni banalisée ni ignorée. Les rires fusent
ainsi que les réflexions : ça chatouille !
Mais ce qu’il y a de formidable dans une médiation comme celle-là, c’est
la possibilité d'intégrer ce qui désigne le sexuel, le cadre impliquant l’évidence
du non-incestueux et du non-transgressif. La socialisation la plus normale
s’ajoute au refoulement qu’impose la présence de tiers (le tiers étant repré-
senté par ma présence, le groupe, le cadre institutionnel, et par la médiation
même). Le toucher est autorisé, nécessaire, et du coup beaucoup moins
érotisé. Les mots, ici aussi, sont essentiels. Je nomme les parties du corps,
je peux dire «les fesses » sans que cela soit un «gros mot» puisque cette
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 229

partie corporelle permet par exemple de s'asseoir. On peut alors sentir ses
ischions, et puis le coccyx sur lequel il fait si mal de tomber. Je limite aussi
les zones que l’autre peut toucher, désignant ainsi un interdit qui respecte
l'intimité de chacun.

3.2.2. Les déplacements, les enchaînements


Nous abordons maintenant la partie dynamique du travail. C’est le moment
où l’apprentissage est le plus important. Pour apprendre un mouvement, il
faut d’abord le visualiser, le représenter dans l’espace, intégrer les parties
du corps en jeu, sentir les appuis nécessaires pour son équilibre, les chan-
gements d’appui s’il y a succession de mouvements (enchaînements), coor-
donner les différents segments et ensuite les différentes séquences, savoir où
poser son regard pour qu'il prenne toute sa fonction d’appui, sentir le rythme
du mouvement. Bref, c’est une somme de contraintes qu’il faut associer
entre elles pour pouvoir ensuite prendre plaisir à ce mouvement et le vivre
de l’intérieur, lui donner sa densité et son intentionnalité.
Les déplacements sont aussi l’occasion d’investir un espace plus large.
Jusqu'à présent nous nous sommes centrés sur le corps lui-même, en nous
intéressant aux sensations et aux perceptions, aux formes et aux articulations
et liaisons. Dans l’échauffement, c’est le corps proprioceptif dont il a été
beaucoup question. Dans le travail plus dynamique, c’est le corps, centre de
l’espace, organisateur de l’espace dans ses orientations et directions, qui va
nous intéresser directement.
Ce sont les espaces orientés et leurs corollaires contraires — devant, derrière,
gauche, droite, haut, bas — qui vont être investis non seulement dans la
connaissance mais aussi dans leurs investissements. Si je vais en haut, jy
vais vraiment avec tout mon corps. Toutes les parties de mon corps participent
à ce haut. Il y a une vraie intention — ni psychologique n1 de l’ordre du récit
— c’est mon corps qui s’ouvre au ciel. Le haut n’existe que dans son rapport
au bas, donc au sol, à la terre. Ce qui donne l’occasion de découvrir, de sentir
le lien entre ces deux directions traduites par les appuis du corps au sol et
son intérêt pour le haut. L'espace alors s’élargit. Là aussi, les jeux deviennent
possibles en dissociant les parties du corps : je regarde vers le bas, ma tête
suit, et mon bras va pointer vers le ciel pour décrocher une étoile.
Toutes ces images sont là pour donner aux adolescents des représentations
imaginaires qui vont leur permettre d’étirer leur corps, d’en prendre véritable-
ment possession en jouant. Car le jeu en danse est essentiel. Et la connaissance
technique l’est aussi dans la mesure où elle permet plus de liberté.
Chez nombre d’adolescents psychotiques, j’ai remarqué comme il leur
était difficile de s’orienter, non parce que la connaissance de leur corps leur
fait forcément défaut mais parce que leur corps n’est pas au centre de leur
230 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

existence, donc de l’espace dans lequel ils vivent. Là aussi, le corps dit très
bien les repérages impossibles quand on n’a pas conquis sa différence.
«Le centre est là où Je suis »
Cette phrase de Martha Graham, danseuse qui a été l’une des pionnières
de la danse contemporaine, résonne fort à mes oreilles parce qu’elle résume
assez bien l’essentiel de ma démarche auprès des adolescents de l’hôpital
de jour.
Roland connaît très bien sa droite de sa gauche, mais sitôt qu’il est en face de
moi, il se calque à mon propre corps, exactement de la même façon qu’il se colle
à moi en relaxation, ou est fixé à mes yeux dans un regard qui ignore le reste du
monde. Il est fusionné à moi (ou à quiconque en face de lui). Dans ce cas, il est
bien évident que sa droite et sa gauche ne signifient plus rien, puisqu'il n’est
plus lui-même. Tout le travail que je vais faire avec lui est de tenter d’introduire
de la distance, de l’écart. Au bout de quatre années à l’hôpital de jour, Roland
n’est plus figé dans le regard de l’autre, il arrive à danser pour lui, son allure de
robot empruntée aux «boys band » de la télé cède peu à peu. Il a conquis un peu
d'espace à lui.

Les déplacements dans l’espace vont prendre toute leur importance. Les
lignes médianes, diagonales, transversales, sont autant de chemins qui dessi-
nent un monde dans lequel on voyage. Nous jouons avec la géométrie : le
cercle, les carrés, les triangles, les rectangles. Autant de dessins tracés par
nos pas, dont le contour devient de plus en plus lisible, au fur et à mesure
que s’affine la représentation chez l’adolescent.
Le déplacement et le mouvement est une affaire de rythme également.
Nous allons explorer les rythmes binaires, ternaires, l’association des rythmes
entre eux, leur enchaînement. Pour cela, il m'arrive d’utiliser des instruments
de percussions comme le djembé, ou tout simplement les frappés de mains,
les claquements des doigts, de la langue dans le palais, les frappes des pieds
au sol comme si on jouait du tambour. Tout le corps participe à ce rythme,
il devient un corps musical.
Brice a un corps désarticulé. Des syncinésies buccales, brachiales et oro-chirales
parasitent tous ses mouvements. Je m'aperçois avec surprise qu’il a, par contre,
une très bonne organisation temporo-spatiale, qui malheureusement ne lui est
d'aucune utilité quand il s’agit de coordonner son corps. C’est en le voyant
organiser les déplacements des autres en tapant sur le «djembé » que j'ai l’idée
de faire de même pour lui. J’insiste alors sur la décomposition rythmique du
mouvement, notamment dans la course, et je vois alors Brice devenir harmonieux.
L'image me vient de ces pantins disloqués qui, quand on tire le fil qui les traverse,
se retrouvent tout droits et alignés. Pour Brice, c’est un peu la même chose. Le
rythme vient soutenir la perception de sa colonne vertébrale, et lui permet de
retrouver son alignement et la cohérence de sa verticalité.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 231

La musique est bien sûr essentielle, elle va déterminer un rythme, une


histoire implicite, une atmosphère. Je choisis des musiques de tous les horizons
pour nourrir l’imaginaire. Les adolescents amènent aussi leurs musiques, qui
peuvent être autant les tubes à la mode qu’ils écoutent habituellement que
des musiques qui parlent leur origine : arabe, africaine, israélienne. La
dimension culturelle qu’apporte la musique est importante dans la danse.
Autre moyen de donner des formes différentes au corps : les qualificatifs
«émotionnels ». Marcher triste, marcher joyeux, marcher fier, marcher tran-
quillement, marcher pressé. Courir à petits pas, courir à grand saut, sauter
vers le ciel, sauter en écrasant la terre. Ces images sont des aides à l’inten-
tionnalité et à l’ouverture vers d’autres expérimentations corporelles.

3.2.3. Le temps d'improvisation


Improviser, c’est «composer sur-le-champ et sans préparation ».
Dans ce temps de la séance, il n’y a plus de modèle à suivre. Par contre,
je propose :
— des thèmes qui découlent de ce que l’on a travaillé auparavant : alternance
de l’ouverture-fermeture, l’équilibre-déséquilibre, le haut-le bas, le rythme
lent ou rapide. ;
— des objets qui vont soutenir et organiser l’improvisation : une chaise,
un banc, un chapeau, un bâton, un cerceau.….. ;
— des tissus qui vont servir d’enveloppe (des tubes en jersey élastique),
des tissus fluides qui vont amplifier le geste et agrandir l’espace. ;
— des musiques suffisamment « parlantes » et imagées pour donner des
indications d’atmosphères ;
— des jeux de lumière et d’ombre. Se placer devant un mur blanc et voir
apparaître le dessin ombré de son bras, de ses jambes, de sa main qui se
déplace, est fascinant (mais parfois angoissant) pour l’adolescent qui a du
mal à se percevoir.
Les improvisations peuvent se faire aussi bien seul que à deux, voire à
plusieurs. C’est l’occasion pour l’adolescent de « voler de ses propres ailes »
et d’exprimer avec ses moyens corporels ce qu’il ressent sur le moment.
C’est aussi pour lui l’occasion de se produire devant les autres, d’être regardé,
parfois admiré et applaudi.
Après chaque improvisation, nous prenons un petit temps pour que chacun
puisse dire ce qu’il a ressenti, les images qui lui sont venues, les idées que
ça a fait surgir en lui. Ce temps de parole est important, autant pour celui qui
a dansé, que pour ceux qui ont regardé.
| Généralement, je n’improvise pas moi-même (sauf exception). Je tiens à
dégager les adolescents du modèle que je représente le reste de la séance et
à leur laisser une vraie liberté sans les imprégner de mes propres images. Par
232 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

contre, je demande à la stagiaire ou au stagiaire qui participe au groupe danse


(et bien sûr si il ou elle est d’accord) de participer au jeu d'improvisation ou
de soutenir tel adolescent en difficulté dans une improvisation à deux.
L'intervention d’un adulte qui ose se mettre en risque d’être vu et regardé,
sans chercher à faire du beau mais à être authentique, est très porteuse pour
les adolescents.
Chloé a très peur d’aller «sur scène ». Elle est très à l’aise dans tous les exercices
proposés, mais dès qu’elle doit se retrouver seule, exposée, elle n’ose plus, elle
se ferme, elle devient presque en colère. «Je suis nulle, je ne sais pas, je ne
comprends rien, jai mal au ventre.»
Je lui propose de venir avec elle et nous choisissons un jeu de miroir où elle doit
faire exactement pareil que moi. Chloé profite beaucoup de ce moment où elle
n’est pas abandonnée. Elle éprouve sans doute beaucoup de plaisir puisque la
séance d’après, c’est elle qui propose à la stagiaire de venir avec elle. Ce jour-là,
il s’agit d'inventer tout ce qu’on peut faire à partir d’un banc au milieu de la
salle. Chloé est à l’initiative du jeu et la stagiaire suit, en miroir, ce que Chloé
fait. Elles l’ont décidé ensemble dans les coulisses.
Il est intéressant de constater que Chloé reprend à son compte ma proposition
en s’identifiant à moi, et en projetant son propre personnage sur la stagiaire.

Chez les adolescents, ce moment d’improvisation est souvent un plaisir,


même si au début c’est difficile d’être tout seul devant les autres.
Cliniquement, c’est également une bonne indication quant aux difficultés de
l’adolescent. En effet, très schématiquement, on peut voir deux types de diffi-
cultés apparaître :
— celles qui ont à voir avec la complexité de la situation qui propose
d'exister seul, d’occuper l’espace et son corps sans être étayé par l’autre. Je
retrouve ces problématiques chez les adolescents qui souffrent de RÉYCAOSS
infantile et sont pris dans la fusionà l’autre.
— celles qui ont plusà voir avec une problématique névrotique. La situation
peut engendrer alors des inhibitions, des blocages, une peur du regard de
l’autre (banalement reconnue comme étant la timidité) ou au contraire un
grand plaisir dans l’exhibition. Ce sont ceux qui sont plus sur le versant de
l’adolescence (états limites, névrose grave, phobies..…).
L’improvisation est un temps qui demande beaucoup de mise en
confiance, et qui repose sur la relation entre les adolescents et les adultes,
et les relations au sein du groupe. Il n’y a jamais de forçage, et généralement,
J'introduis ce temps de façon naturelle, par exemple au milieu d’un exercice
de déplacement, ce qui dédramatise la situation et n’en fait en rien un moment
sacré et angoissant.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 233

En conclusion, pour terminer sur le déroulement des séances. je tiens à


rajouter ce que Je trouve nécessaire, fondamental : l'humour, le plaisir, la
gaieté qui existe à danser et à S’amuser. Je crois que c’est là, au fond, ce qui
garantit le plaisir de bouger avec son corps et le plaisir de se sentir vivre,
exister.

3.3. Le spectacle
Je n’avais jamais imaginé que je ferai un jour des spectacles dans le cadre
de mon travail de psychomotricienne. J'étais même plutôt épidermiquement
contre tout ce qui pouvait être « production devant d’autres » à partir du
moment où j'investissais le domaine du thérapeutique qui me semblait être
plus du côté de l’intime que du côté du «donner à voir». Mon changement
de point de vue est né d’une part de la demande même des adolescents qui
ont eu envie de montrer leur travail, d’autre part de mon désir de faire partager
et de laisser des traces plus durables de ces moments éphémères si magiques
parfois que vivent et font vivre au spectateur ces adolescents quand ils sortent
de l’état psychotique pour être dans l’expression et l'émotion.
Depuis, j'ai intégré dans les objectifs du groupe danse le projet de spectacle
qui est maintenant comme une «tradition », dans la vie institutionnelle.
Pourtant, la question se repose chaque année, et j'essaie de ne pas me
laisser enfermer dans une coutume qui peu à peu se viderait de son sens. Un
spectacle, une représentation, c’est une création qui demande beaucoup
d'énergie tant chez les adultes que chez les adolescents, cette énergie trouvant
son origine dans le désir. Si ce désir est émoussé par une quelconque habitude
ou une chronicité — ce qui nous menace toujours quand nous travaillons au
plus près de la psychose — il ne peut y avoir de vraie création. Et c’est cette
créativité qui concerne tous ceux qui participent au projet — et je suis bien sûr
autant concernée que les adolescents — qui va avoir des effets thérapeutiques.

3.3.1. Ces effets thérapeutiques, quels sont-ils ?


Participer à l'élaboration d’un projet de danse dans le but de le montrer
à d’autres repose tout d’abord sur l’existence d’un groupe qui a une cohésion.
J'ai déjà parlé de la difficulté de ces adolescents à vivre ensemble, à parler
ensemble. Un groupe n’est pas constitué par la seule réunion d'individus
ensemble. Un groupe est une entité qui porte en lui la présence d'individus
qui ont chacun une place reconnue. Cette question de la place est importante.
Quand nous partons sur l’idée de construire quelque chose ensemble, il va
se vivre une expérience pour chacun des adolescents : celle de sa place qui
est irremplaçable.
234 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

C’est bien là une des premières difficultés. Généralement, les adoles-


cents sont assez vite partants dans l’idée du projet, qui est généralement
amenée par les anciens, ceux qui étaient là l’année d’avant (il arrive souvent
que les adolescents viennent en danse deux ou trois ans de suite). Mais il
n’est pas suffisant d’avoir envie, il faut pouvoir investir cette envie dans la
durée.
Jérôme est absent trois samedis de suite, sans pouvoir rien dire sur ses absences.
La date de la représentation approche, et le groupe est angoissé par les absences
de Jérôme. Un matin, Jérôme revient. La parole circule, chacun donne son point
de vue et témoigne de la difficulté à poursuivre le travail chorégraphique dans
cette insécurité due à son absence répétitive et imprévisible.
«C’est pas pareil, on doit faire semblant, faire comme si tu étais là mais t’es
pas là.
— Et puis, si ça continue, moi j'arrête.
— C’est dommage,
j’en avais envie, mais je ne sais pas, le matin j'arrive plus à
venir. »
Jérôme fait vivre au groupe ce qu’il vit lui-même dans sa famille, c’est-à-dire
une discontinuité des liens et une insécurité fondamentale. Il est pris dans un
désir, inconscient, bien sûr, de détruire ce qui a été construit jusque-là.

Dans un cas comme celui-là, il est fondamental — pour rester fidèle au


projet thérapeutique qui est le mien — de permettre que les confits et les
projections s’élaborent pour chaque adolescent. Et donc de faire passer au
deuxième plan le projet même du spectacle, accepter l’idée qu’il ne se fasse
pas (ne pas en faire un objet narcissique et d’emprise «pour soi»), et travailler
au plus près de ce qui se vit dans le groupe. Ce qui n’est pas si facile et
demande une vigilance personnelle. La situation évoquée ci-dessus a pu
évoluer favorablement dans le sens où le groupe s’est reconstitué à partir des
paroles dites par chacun. Le tissage relationnel groupal a eu des effets porteurs
puisque Jérôme est revenu de son plein gré régulièrement et le spectacle a
pu avoir lieu. Mais la question s’est posée «en vrai» à quelques semaines
du jour J.
L'un des aspects les plus intéressants, outre les effets corporels et créatifs
directs, est justement cette appréhension du temps et de la durée, l’antici-
pation. Il n’est pas rare qu’un adolescent me dise : «Quand est-ce que c’est
le spectacle, la semaine prochaine ? » alors que rien n’a été encore commencé.
Sur un mode magique, le signifiant, le mot spectacle, se suffit à lui-même,
sans qu’il y ait de représentation du travail à effectuer, c’est-à-dire du contenu
d’un projet sous-jacent.
La construction d’une chorégraphie, semaine après semaine, la répétition
de chaque séquence qui vont s’ajouter à d’autres inventions puis à d’autres
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 235

encore, vont inscrire Ce qui se vit au présent dans une anticipation du futur,
c’est-à-dire le jour J, le jour du spectacle.
Relations dans le groupe, créativité mise en commun au service d’une
construction commune, rythmicité dans un temps qui articule présent et futur,
voilà une aventure qui commence. Mais comment se construit une chorégra-
phie avec des adolescents en hôpital de jour ?

3.3.2. Construction, improvisation, répétition, créativité


La danse s'inscrit dans une culture, une histoire, elle témoigne d’une
expression, d’un langage qui a existé de tout temps. J’emmène régulièrement
les adolescents voir des spectacles de danse. C’est important car c’est une
façon d’articuler leur travail dans un mouvement culturel qui dépasse l’indi-
viduel et qui concerne la société tout entière.
Voir des spectacles de danse aide à avoir des idées. Nous en discutons,
nous cherchons à trouver des points communs avec le travail des danseurs.
« Ils ont utilisé des tissus comme nous. Ils n’étaient pas tous sur scène au
même moment. Ils étaient ensemble, au même rythme.» Ces échanges intro-
duisent ou nourrissent l’idée de notre propre création.
Chaque année, je me demande si je vais avoir le courage et l’énergie de
rassembler, de réunir, de construire à partir de toutes ces choses éparses qui
se vivent dans les séances, qui existent en tant que telles, mais qui sont tellement
éloignées de ce qu’on peut imaginer classiquement comme étant de la danse.
En effet, sauf à de rares exceptions quand certains adolescents sont particu-
lièrement doués, harmonieux, j’ai plutôt affaire à des corps disgracieux, des
corps maladroits, une non-présence à soi-même. Mais, il y a des moments de
grâce formidable, qui n’ont plus rien à voir avec le savoir-faire, qui adviennent
par surprise et qui relancent ma «machine à créer et à penser » personnelle.
Les moments d'improvisation sont les clés de cette envie que j'ai évoquée
plus haut, et qui convoquent le désir de construire autour. Et c’est à partir de
l'improvisation, que nous allons tisser ce qui va devenir le spectacle.
En effet, il serait tout à fait inapproprié pour un travail, qui se veut théra-
peutique, d'apprendre aux adolescents ce qui viendrait de moi seule. L'idée
qui m’anime est tout à fait à l’opposé. C’est parce que la créativité de chacun
est explorée, exploitée et mise au service du groupe, qu’une telle entreprise
prend tout son sens. Mon rôle va être d’organiser, structurer, faire en sorte
” qu’il y ait une cohérence, coordonner et, avant tout autre chose, permettre
que cette créativité puisse s'exprimer. La construction de notre chorégraphie
ÿa se construire peu à peu, s’organiser, prendre une consistance, cheminer
pour aboutir à un tout qui sera l’histoire d’un travail de six mois, somme
d’une énergie et d’une vie émotionnelle intense. Car, et c’est sans doute le
236 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

plus important, quand l’adolescent a pu toucher quelque chose de l’émotion


et de l’expression, c’est alors que je me dis que j’ai gagné. J’ai gagné un
pari, celui d’avoir pu voir naître en eux le sentiment d’avoir un corps qui
leur appartient, qu’ils ont pu maîtriser, dont ils ont pu se servir pour dire ce
qu’ils sont, d’un corps vivant, en relation au monde. Et de les avoir vus beaux,
beaux de l’émotion qu’ils ont su faire naître chez les autres.

3.8.3. Le jour J
Le jour de la représentation approche. C’est demain, c’est aujourd’hui,
c’est dans une heure. La salle de spectacle est une vraie salle de spectacle,
avec une vraie régie et un régisseur qui règle les lumières. Nous n’avons pu
répéter que pendant une heure dans cette salle inconnue. Les repères sont
pris, l’espace de la salle est de nouveau conquis, les déplacements repérés,
les décors organisés, le matériel déposé dans les coulisses.
Le public arrive. Ce sont les adolescents des groupes, le directeur, les
consultants, les pédagogues, les éducateurs.
Avant de commencer, une dernière séance de détente et de respiration.
Maintenant, c’est presque le moment. «J’ai mal au cœur, j’ai envie de
vomir, jamais jy arriverai, comment Ça fait le noir, dis Catherine, tu crois
que ça va aller comme ça mon chapeau, et ma robe, elle est belle, est-ce que
je suis beau ? »
Voilà, ils sont rentrés sur scène, ça ne m’appartient plus, ils sont tout seuls
sans moi. Vont-ils y arriver? Qu'est-ce qui m'a pris de les lancer dans une
telle aventure? Vont-ils s’en sortir? « J’ai l’angoisse » pour eux. Mais non,
c’est superbe, je suis contente, ils ont l’air de prendre tellement plaisir! Ils
ont réussi, c'était encore mieux que d’habitude. Ils ont tout donné !
La salle applaudit, les copains les félicitent. Ils sont fiers. Ils ont bien
dansé. Je suis fière d’eux,je les embrasse. Il n’y a plus d’adolescent psycho-
tique, il n’y a plus de psychomotricienne. Il y a un groupe qui a aimé danser.

4, La relaxation

Au contraire de la danse, la relaxation va privilégier le ressenti du corps


dans la passivité et l’immobilité. Ce ne sont donc ni les mouvements ni les
gestes volontaires qui vont être mis en jeu, mais plutôt un mouvement intérieur,
l'exploration d’un monde interne, d’une rêverie, à partir d’inductions verbales
et tactiles.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 237

4.1. Les indications

Celles-ci sont généralement posées par l’équipe ou le consultant qui suit


l'adolescent. Mais il n’est pas rare que ce soit l’adolescent lui-même qui en
fasse la demande. En début d’année, les adolescents expriment leurs vœux
d'activités après un descriptif des ateliers proposés fait par chaque intervenant
ou par les adolescents qui y ont déjà participé. Ils parlent de la relaxation en
ces termes :
— En relaxation, on apprend à se calmer.
— On parle, on se détend, on dit quand on a rêvé.
— C’est pour mieux s'endormir le soir.
— Catherine nous masse, ça fait du bien, on est moins énervé.
— En relaxation, on sent son corps.
Quand la demande de relaxation vient de l’adolescent lui-même, ceci est
très intéressant car cela signe chez lui la prise de conscience d’un état corporel
en tension qui met en malaise et d’un besoin de changement pour remédier
à ce malaise.
Pendant très longtemps, il a été dit qu’il ne fallait surtout pas de relaxation
pour les psychotiques, surtout chez les adolescents, car cela risquait d’être
«dangereux » et entraîner soit une excitation trop grande, soit des états de
confusion. L'expérience prouve qu’il n’en est rien et qu’au contraire, un tel
dispositif de soin peut être une ouverture vers une intégration des éprouvés
et une intériorisation des affects. Mais pour cela, certaines précautions doivent
être prises, notamment une formation solide personnelle en relaxation, et un
cadre thérapeutique adapté et contenant.

4.2. Le cadre thérapeutique en relaxation

Je fonctionne différemment selon que j’ai affaire à un groupe ou à une


prise en charge individuelle.

4.2.1. En groupe
Ce sont de petits groupes de trois ou quatre adolescents. Nous sommes
deux à animer le groupe, ma collègue éducatrice et moi-même. J’anime les
séances, tant au niveau des inductions verbales et corporelles que dans la
‘relance associative lors de la verbalisation. Ma collègue a une position très
différente de la mienne. Sa présence est discrète, elle intervient peu sauf lors
du temps de verbalisation en fin de séance, si elle le désire ou si les adolescents
la sollicitent directement. De par sa fonction de référente sur le groupe, c’est
elle qui est le plus à même de faire des liens, si cela s’avère nécessaire, entre
238 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

ce qui se dit et ce qui se vit pour l’adolescent à ce moment-là, soit chez lui
soit dans la vie institutionnelle.
Clara est très déprimée ce jour-là. Elle a du mal à se concentrer et à sentir son
corps. Elle associe sur les retours à la maison. Elle est seule et attend, assise
sur le canapé, les yeux dans le vague, sans rien faire ne serait-ce même que
regarder la télévision. Ma collègue rappelle que sa maman à recommencé à
travailler et que ce changement doit être difficile à vivre pour Clara qui a toujours
été très (trop) accompagnée par ses parents et a eu rarement l’occasion de faire
l’expérience de la solitude. À ces mots Clara peut alors parler des difficultés à
la maison, notamment de la maladie de sa mère qui est, elle-même, gravement
dépressive.

Notre collaboration, dans cette répartition des fonctions, est enrichissante


tant pour l’élaboration de ce travail éclairée de nos deux points de vue que
pour les adolescents qui repèrent et utilisent bien nos rôles différents.

4.2.2. En individuel
Les indications sont, dans ce cadre, différentes. Il s’agit de « grands »
adolescents, moins régressés, et dont le fonctionnement mental relève plus
de la névrose que de la psychose.
Il leur est proposé un travail en relaxation, pour leur donner l’occasion
d’expérimenter d’une autre façon un corps souffrant ou désinvesti, et d’en
parler dans un cadre sécurisant.
Michel dit qu’il ne sent pas son corps. C’est comme s’il était transparent. Il
est d’accord pour faire de la relaxation, mais sans savoir vraiment si ça sert à
quelque chose de ressentir. Très longtemps, il parlera du temps qu’il met à sa
toilette, du temps qu’il n’arrive pas à gérer (il est toujours en retard), de sa
transpiration quand il a couru, du dégoût qu’il éprouve à l’idée de toucher le
matelas encore chaud de celui qui vient de partir, de l’angoisse réveillée par
le prochain départ en wagon couchette et la proximité du corps des autres dans
cette situation.

Certains ne viennent au centre que d’une façon partielle.


C’est le cas pour Géraldine, qui a abandonné le lycée et vit depuis deux ans sans
pouvoir sortir de chez elle. Elle est très phobique, n’accepte que très progressi-
vement certaines activités à l’hôpital de jour, à la condition que cela soit en indi-
viduel, sans contact avec d’autres adolescents. Elle ne supporte pas son corps,
qu'elle vit comme obèse et moche. Elle n’aime que son visage, et encore. !
Très souvent malade, elle se plaint de douleurs incessantes au bras, douleurs
fluctuantes sans raison organique. En relaxation, c’est l’occasion pour elle de
retrouver des images, des sensations qu’elle relie à des éléments de son histoire
plus ou moins récents. Par ailleurs elle est suivie en psychothérapie.
LE CORPS À L'ANOLESCENCE 239

Dans ce cadre, la relaxation est un point fixe de la prise en charge de ces


adolescents qui peut se poursuivre parfois même après leur sortie du centre
de jour (ils sont alors en postcure), s’il s’avère être un ancrage rassurant.
Charlie demande à continuer la relaxation, alors qu’il a recommencé à aller au
collège en 3e. Pour lui, c’est la possibilité de se détendre et de relâcher la pression
que suppose la reprise dans un cycle normal, après trois années passées à l'hôpital
de jour. C’est aussi la possibilité pour lui de garder un lien, de s’appuyer sur une
relation thérapeutique encore nécessaire.

4.3. Descriptif d’une séance


Que l’adolescent soit seul ou avec d’autres, une séance se passe de la
même façon. C’est la dynamique de la séance qui change et qui donne un
caractère très différent aux échanges.

4.3.1. Le temps d'installation


L’adolescent choisit sa place dans la pièce. Il prend ce qui lui est nécessaire
pour être confortablement installé : un matelas, un coussin pour mettre sous
la tête (plus ou moins mou ou dur), une couverture s’il le souhaite. Cette
installation est totalement libre. Quand il s’agit d’un groupe, chacun utilise
l’espace en fonction des autres et en laissant de la place pour les autres. Il y
a les adolescents qui se placent tout près de mot, d’autres près de leur copain
ou copine, d’autres encore seuls dans un coin.

Serge s’installe une «cabane » tout au fond du petit couloir de la salle. Il se love
sous les couvertures, bien protégé, en sécurité. Cette maison, il ne la laissera
qu’au bout d’un certain temps, quand il aura acquis, semble-t-il, un sentiment
de sécurité intérieure qui ne sera plus dépendant des conditions extérieures.
Clara, elle, aurait tendance, comme partout ailleurs, à tout gérer. Elle attribue à
chacun matelas, couverture, coussin, sans que les autres y trouvent à redire. Ceci
est tellement serviable et apparemment sympathique qu’elle deviendrait la
maîtresse de maison si je n’y prenais pas garde. Mettre en évidence ce fonc-
tionnement lui permet de formuler sa crainte d’être seule et son besoin de faire
comme moi, OU comme Édith, son éducatrice. Il serait d’ailleurs plus juste de
dire «être moi ou être Édith », car le « faire comme » suppose une conscience de
l'emprunt identitaire, ce qui n’est pas tout à fait le cas ici. Cette identification
adhésive à l’adulte masque sa difficulté à exister pour elle, différenciée de l’autre
(notamment sa mère).

Ilest fréquent que chacun trouve une place dans la salle qu’il va reprendre
chaque fois.
240 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

4,3.2. Les inductions verbales


L’induction de début de relaxation est une invite, une proposition à se
mettre dans un certain état psycho-corporel pour pouvoir se détendre et se
ressentir différemment. Les mots sont importants, ainsi que la voix, sa tonalité,
son timbre, sa mélodie, qui vont créer une atmosphère propice à la relaxation,
voire un certain niveau de régression.

« Vous prenez le temps de vous installer, de vous sentir confortable. Vous


vous posez. Vous sentez l’espace autour de vous, votre place dans la salle,
votre place à côté des autres, votre espace sur le matelas. Vous sentez votre
corps. Vous sentez le poids de votre corps sur le matelas, sur le sol. Vous
sentez vos appuis. Les appuis de chaque partie du corps qui touche le matelas
ou qui touche le sol.»
Ces quelques mots, souvent les mêmes, ne sont que la verbalisation de
ce moment d'installation qui précède l’immobilité et la détente. Mais ils
introduisent une notion importante : le rapport entre corps et espace, en
partant de l’espace extérieur pour en arriver à l’espace corporel individuel.
Les mots en quelque sorte dessinent une figure en circonvolution autour d’un
point central : le corps. Sont signifiées également la place, l’existence et la
proximité des autres.
Pour les adolescents qui commencent la relaxation, je fais ensuite un
inventaire segmentaire, précisant les zones de contact et d’appui de chaque
partie du corps, puis en privilégiant une zone particulière différente à chaque
séance. Cet inventaire n’est plus nécessaire quand l’adolescent a pris l’habi-
tude de se détendre et acquis une certaine autonomie dans sa relaxation.
J'induis alors plutôt l’idée d’un espace intérieur, espace de rêverie, qui va
naître de la sensation de détente.
«Je laisse venir les sensations, je laisse circuler les pensées qui viennent.»
Il est bien évident que mes mots, même s’ils correspondent à un certain
canevas méthodologique, répondent contre-transférentiellement aussi à ce
que je ressens du groupe ou de l’adolescent. Une rigidité technique n’aurait
aucun sens dans un travail autour de la sensation, qui est autant à l’œuvre
chez celui qui se relaxe que chez le relaxateur.
L’induction verbale va ensuite laisser place au silence, puis à la mobili-
sation corporelle.

4.3.3. Le toucher, la mobilisation


Toucher et mobilisation sont d’autres inductions. J'entends par toucher
un contact, une pression, dont la qualité peut être variable : plus ou moins
doux, caressant, léger, soutenu... La mobilisation est un contact qui
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 241

s'accompagne du porté du segment corporel et de son mouvement (sensation


de l’articulation).
Toucher et mobilisation peuvent être induits par l'induction verbale précé-
dente. Ou par mon ressenti dans la rencontre avec le corps de l’adolescent
quand je viens le toucher.
L’adolescent, lui-même, peut demander (quand il a l’habitude de ce travail)
à être mobilisé là où il sent des tensions. C’est une étape importante, car il
y a alors une prise de conscience nécessaire des états corporels, et une diffé-
renciation entre les différentes zones corporelles. D’autant plus importante
quand on sait que les adolescents dont je m'occupe ont généralement une
conscience «en bloc » de leur corps.
Il peut n’y avoir aucun contact. Cela aussi peut être une étape marquante
en fin de relaxation. L’adolescent est alors capable de se détendre seul, et
d’habiter en quelque sorte un espace intérieur sans éprouver la crainte d’être
abandonné.
Il se peut qu’un adolescent exprime sa crainte d’être touché. Je respecte
alors son désir et n’impose jamais une mobilisation. Le toucher, parce que
Je travaille avec des adolescents, demande beaucoup d’intuition et d’attention.
En effet la dimension «excitante » du toucher peut érotiser la relation, ce qui
irait dans le sens contraire d’une relation thérapeutique rassurante et symbo-
ligène. Par contre, je ne pense pas qu’il faille éviter le toucher. Il peut être
au contraire l’occasion pour l’adolescent de faire l’expérience d’un plaisir
à sentir sans en être forcément débordé.
Nous voyons, par tous ces cas de figure, qu’il n’y a pas de règles précises
pour laisser libre cours à ce qui vient, dans l’ici et maintenant.

Lucien n’ose pas me dire qu’il a peur d’être touché. C’est à ma collègue qu’il
peut formuler cette crainte et ce, en dehors de la séance. Celle-ci m’en fait part
et je respecte donc la distance demandée. Au fil des séances, à plusieurs reprises,
Lucien va évoquer ses inquiétudes face au toucher, notamment quand certains
adolescents le «titillent » (c’est son expression). En fait, dans la réalité de la vie
de groupe, ce serait plutôt le cas inverse qui se produit. Il est souvent repris par
les éducateurs, car il ne peut être en relation avec un autre adolescent sans avoir
un contact corporel, d'apparence anodine mais qui en fait inscrit la relation dans
un certain climat d’homosexualité mal supporté par ses copains. L'arrivée d’un
nouveau dans le groupe de relaxation relance pour Lucien la question du toucher
possible et permis en relaxation. Un travail d'élaboration extrêmement intéressant
va alors se faire chez cet adolescent qui peut, au bout de quelque temps, formuler
sa surprise quand je le touche — ça lui fait du bien et même ça le fait Sourire —
puis les différences de ressenti entre un toucher qui l’excite et un toucher qui le
calme et l’apaise comme en relaxation.
242 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Édouard, lui, peut verbaliser sa crainte d’être violé. Dans la vie de tous les jours,
il est sans cesse en train de toucher l’autre, fille ou garçon, adolescents ou adultes,
dans une attitude de provocation insupportable qui n’a d’égale que son angoisse à
être lui-même l’objet d’une intrusion corporelle. Toute relation devient sexualisée,
érotisée.
Hélène vit très mal le manque de contact. Elle se sent abandonnée, lâchée. On
peut supposer que ce sentiment a à voir avec l’abandon qu'elle a vécu, bébé,
puis la vie à l’orphelinat dans des conditions sans doute difficiles. Si je ne la
touche pas, elle se sent comme transparente, sans consistance. Mais si je la touche,
elle ne me quitte pas du regard dans une adhésivité affective proche de l’avidité.
Dans les deux cas, il y a toujours du trop (trop d’absence, trop de présence).
Romuald est un garçon démantibulé, morcelé, dans tous les sens du terme. Sa
folie est difficile à vivre au quotidien. Il est violent, et sa violence est à la mesure
d’une autodestruction quasi permanente, qui le conduit à se mettre répétitivement
en danger. On ne compte plus ses accidents corporels, ses blessures infligées par
lui ou par les autres tellement il s’offre en victime complaisante. La douleur
semble être la seule sensation qui lui donne le sentiment d’exister. En relaxation,
il se sent bien. Les sensations éprouvées quand je le touche le calment et lui «donnent
forme ». Quand je le mobilise, il sourit de bien-être comme un nourrisson qui peut
enfin s’apaiser dans les bras de sa mère, après avoir connu l’expérience de déman-
tèlement occasionné par le manque, le besoin (la faim, la soif, l’attente..….). J’ai
l'impression de le remodeler.

Nous verrons comment s’élaborent, lors du temps de verbalisation, ces


différents vécus corporels qui, nous le voyons bien, traduisent les fantasmes
et le mode de relation à leur corps et au monde de chacun des adolescents.

4.3.4. Le temps de reprise


La relaxation dure entre 5 minutes et 20-25 minutes. Ce temps est dépen-
dant de la possibilité, pour chacun, de rester allongé, en silence. Dans cette
expérience, c’est bien la capacité à être seul, en présence de quelqu'un, qui
est en jeu (Winnicott). Pour la majorité des adolescents — en tout cas, c’est
ce que je constate — c’est seulement après la mobilisation qu’ils entrent vrai-
ment dans la détente. Il n’est pas rare que certains s’endorment. Ce qui m’a
longtemps posé question. Le sommeil alors est-il une fuite ? Ou bien peut-il
être considéré au contraire comme un progrès, un lâchage bénéfique du besoin
de contrôle. Ici aussi, il n’y a pas de réponse généralisante.

Samy, qui au début avait beaucoup de mal à rester allongé, s’endort maintenant
systématiquement. Il en est désolé, il a l’impression d’avoir raté quelque chose,
surtout s’il n’a pas senti si je suis venue le mobiliser ou non. S’il ne s’endort pas,
il peut alors être très proche d’une activité d’élaboration. Il aime l'impression
d’avoir pensé. S’il dort, il n’en garde aucun souvenir. Ça lui échappe.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 243

Grégoire, lui, suit des yeux le moindre de mes mouvements. Il a besoin de ce


contrôle permanent et de cette maîtrise de la situation. Peu à peu, il relâche son
attention. Sans toutefois pouvoir encore fermer les yeux, il se laisse aller à une
rêverie plus intérieure. Unjour, il s'endort profondément et se réveille en sursaut
au son de ma voix. Il se sent très coupable. Chez cet adolescent, dans un état
d’agitation perpétuelle qui a des effets désastreux tant sur le groupe que sur lui-
même, cet endormissement qu’il va vivre à chaque séance pendant quelques
temps est un «progrès » qui témoigne d’une détente à la fois tonique et psychique.
Il se permet d’avoir confiance et de régresser.
Au contraire, Nathalie craint de s’endormir. Si cela lui arrivait, je risquerai de
l'oublier et de partir en la laissant seule. Son angoisse s’origine, dit-elle, dans
un souvenir d'enfance traumatisant : elle s’est retrouvée, seule avec ses sœurs,
en pleine nuit, enfermée dans l’appartement, sans ses parents.

4.3.5, La verbalisation
Ce temps dé verbalisation va permettre que s’élaborent les éprouvés, les
sensations, les rêveries et les pensées. Chacun à son tour va prendre la parole.
La capacité de dire et d'exprimer des ressentis est très différente selon chaque
adolescent.
Certains, plus psychotiques, s’enferment dans une répétition monotone,
montrant par là même combien il est difficile pour eux d’accéder à une inté-
riorisation et une élaboration des affects et des sensations.
«C'était bien, j'ai senti la chaleur, le matelas était confortable, le coussin
était mou sous ma tête, je me suis bien reposé. J’ai senti quand tu es venue
me toucher.»
L'accent ici est mis sur tout ce qui n’est pas le corps, mais sur ce qui
accueille le corps : l’enveloppement externe (matière, matériel d'appui, ma
main qui touche).
L'impression de s’être bien reposé contraste souvent avec ce que je peux
constater : un corps qui bouge, des changements de positions incessants.
Certains adolescents sont traversés par ce qui se passe à l’extérieur (par
exemple les bruits), et montrent alors la fragilité de leur enveloppe protectrice.
C’est déjà une étape quand ils commencent à percevoir leur difficulté à se
concentrer, parce que, dans la pièce d’à côté, des gens parlent, par exemple.
Il y a là un début de différenciation dedans-dehors.

Édouard, dont j’ai déjà parlé précédemment, est totalement envahi par tous les
bruits du dehors, qui le mettent en rage et en fureur. Si par mégarde quelqu'un
entre dans la pièce, il est prêt à jeter n’importe quel objet sur l’intrus.… ou sur
la porte qui se referme. Une hypersensorialité et une hypersensibilité à l’autre
et à son environnement se traduisent par la violence projetée sur l’autre (entre
autres l’intrusion sans arrêt mise en acte) et montrent qu’il n’a pas pu se construire
244 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

une enveloppe corporelle contenante et pare-excitante. Après avoir mis en mots


ensemble cette souffrance, et retrouver en quelque sorte le chemin d’un sens à
son agressivité, il arrive un jour avec deux feuilles, une pour chaque porte de la
salle, sur lesquelles il a écrit :
«Ne pas déranger, on est en relaxation.»
Par ce moyen, dont il a l'initiative, il protège symboliquement ce qui se passe à
l’intérieur. Ce qui est déjà beaucoup plus élaboré que les coups, les objets projetés,
ou les fréquents parasitages qu’Édouard a coutume de produire, utilisant alors
le groupe comme scène de projection d’un intérieur psychique dévasté.

D'autres adolescents, par contre, ont accès plus facilement à une rêverie
fantasmatique, reliée au vécu corporel pendant la relaxation. De la difficulté
à se détendre, ils enchaînent sur leur difficulté le soir à s’endormir, la peur
des cauchemars. D’autres encore évoquent des souvenirs, quand ils étaient
petits. Ce qu’ils vivent dans le moment de la séance peut être directement
relié à des événements de leur vie quotidienne qui les perturbent, les excitent,
les attristent.. Le vécu corporel est un pont qui relie alors aux émotions.
Samy a beaucoup de mal à se détendre. Il ne dort plus, comme 1l ne dort plus le
soir à la maison. Il évoque séance après séance son anxiété à l’idée de son prochain
départ du centre et de son avenir.

Certains adolescents, dont la pathologie est plus de l’ordre de la névrose,


font un vrai travail de liaison entre ce qu’ils ressentent dans leur corps, les
idées qui les traversent, les souvenirs qui reviennent et qui les font penser

Géraldine évoque les cours de danse classique qu’elle a suivis étant enfant. Elle
relate l'expérience des pointes, le plaisir de se suspendre, dressée sur ses chaussons
qu'elle adorait parce qu’ils avaient une jolie couleur dorée, le sentiment de fierté
dans la sensation de sa verticalité. Pas un moment elle ne fait référence «direc-
tement » à ce qu’elle a ressenti en relaxation. Or, j’ai ce jour-là induit et mobilisé
une région du corps particulièrement investie dans l’accès et la tenue de la verti-
calité, c’est-à-dire le bassin, centre du corps, là où se loge le centre de gravité.
Je lui fais part de mes remarques, proposant un lien entre la sensation et les
pensées qui lui sont venues. Ça l’intéresse beaucoup, et elle associe peu après
sur les douleurs lombaires qu’elle ressent souvent, et sur ce qui a sonné l’arrêt
de la danse : à 10 ans, son corps s’est transformé, alors que les autres restaient
très fines. Elle est devenue grosse.

Ce temps de verbalisation est la continuité du dialogue tonique et émotion-


nel qui s’est noué lors de la mobilisation et du temps de silence et d’immo-
bilité corporelle. Il engage de ma part une écoute autant corporelle, infra-
verbale, qu’une écoute du «dire » conscient et inconscient. Je suis moi-même
«mobilisée » par ce qui se passe au niveau du groupe (s’il s’agit d’un groupe)
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 245

ou pour chacun des adolescents. Le travail psychique que J'engage est un


travail de relance de la pensée et des affects, dans la mise en lien entre le
vécu du corps «sensoriel » et les mots, qui sont vecteurs d’une symbolisation
d’une représentation possible.

5. Conclusion
Serge, avant de s’allonger pour sa séance de relaxation, colle son matelas au mur.
Il dit ensuite qu'il a été énervé parce que ses pieds sont sortis du matelas. Le
matelas dont l’épaisseur est de 10 cm est posé à même le sol, il suffirait donc à
Serge de soulever un peu ses pieds pour retrouver son confort. Or, il n’a pas idée
de bouger pour rétablir son équilibre. Qu’exprime donc le mot «énervé» dans
la bouche de Serge ?
Ce que ressent ici cet adolescent dépasse sans doute la seule objectivité matérielle.
Je comprends, en l’écoutant, que le haut de son corps — qui lui, était «bien mis
à plat» — est éprouvé, dans le déséquilibre de la posture, comme dissocié de ses
jambes. Celles-ci lui paraissent très loin de lui et comme basculées dans un trou.
Le sentiment d’avoir un corps en deux morceaux, dont l’un est «dans le vide»,
traduit l’angoisse qu'il qualifie par le mot «énervement ». Je lui rappelle son
besoin ce jour-là de se serrer contre le mur. «C’est pour m’appuyer et ne pas
tomber. » Et 1l parle alors du métro et de sa peur de sortir du wagon et de tomber
sur les rails. Ce qui n’est pas sans lien avec un élément de l’actualité de sa vie :
il part bientôt dans une famille d’accueil pour un séjour dit de rupture. Ce qui
produit en lui une certaine excitation liée au prochain départ, accompagnée d’un
sentiment d’angoisse due à la séparation d’avec sa famille. Comment vont-ils
survivre ?
Cet exemple emprunté ici au cadre de la relaxation — mais j'aurai pu aussi
bien en choisir d’autres dans le cadre de la danse — cet exemple, donc, me
semble bien souligner les deux aspects du travail corporel développés dans
ce texte — la prise en compte du corps et de sa subjectivité — ainsi que la parti-
cularité du vécu adolescent, qui plus est quand l’adolescent est psychotique,
c’est-à-dire quand le corps et la sensation ont valeur d’équivalent symbolique
et associatif (ce qui n’est bien sûr pas propre à la psychose). L’adolescent
peut difficilement mettre en mots ce qu'il éprouve comme sentiments,
émotions, éprouvés. Il le met en «corps ». À nous de l’aider à créer un écart
entre le vécu rivé au corps et l’affect qui parle à travers lui. Cet écart, on
pourrait le nommer : espace de pensée.
Mais pour cela, il est nécessaire de ne pas s’arrêter à la seule activité
musculaire et tonique et tenter de comprendre ce qui s’exprime à travers la
sensation. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, être attentif à l’angoisse du vide
qui surgit, un vide qui peut s’originer dans l’impression de dissociation du
246 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

corps, n’est aucunement « donner une interprétation » mais écouter-décrypter


ce qui est réellement éprouvé, qui n’est ni évident ni allant de soi, et se donner
par là moyen «d’orienter» le travail de la séance. Ce que je fais, et qui amène
Serge à parler de la prochaine séparation.
Par cette mise en parallèle de deux médiations corporelles bien diffé-
rentes, danse et relaxation, j’ai voulu dégager cet aspect bien spécifique du
travail du corps pour lequel, me semble-t-il, le psychomotricien est particu-
lièrement bien outillé, de par ses formations pratiques et théoriques.
En ce qui me concerne, le travail de psychomotricité tel qu’il a été exposé
ici est issu d’une pratique de plusieurs années au sein d’un hôpital de jour
dont le cadre théorique se réfère à la psychanalyse8. Il est issu également
d’expériences de formation personnelle en danse et en relaxation?. Et, tout
au long de ces années, la question qui a été cruciale pour moi, dans le sens
du «petit moteur interne qui relance la réflexion », a été la suivante : Comment
me nourrir des concepts psychanalytiques, qui ont toujours été un éclairage
théorique riche pour ma pratique — sans perdre pour autant le fil qui m'était
et m'est toujours infiniment précieux, à savoir un travail au plus près du corps
et en approfondissant au contraire cette clinique spécifique d’une médiation
corporelle ? En d’autres termes, comment définir les termes d’une relation
fondée sur le dialogue corporel à partir d’une conception théorico-clinique
qui, à son origine, met le corps entre parenthèses ?
Comme je l’ai dit en introduction de mon propos, j’ai eu à adapter — ce
que nous faisons tous — en fonction des adolescents et de leurs difficultés
spécifiques, une technique psychomotrice qui m'avait été transmise (dans
mes études) et telle que j’avais pu la pratiquer dans d’autres établissements
avec des patients autrement plus régressés ou avec des enfants. II m’a fallu
en «créer » les modalités qui me permettaient d’être tout à la fois dans un
accompagnement thérapeutique, voire parfois éducatif ou rééducatif, du corps
de l’adolescent face à des difficultés, sans négliger toute la valeur inconsciente
du rapport à soi et à l’autre qui passe par le corps.
Les deux polarités du travail en psychomotricité qui sont représentées ici
— d’un côté le travail de socialisation et le plaisir de l’expression du corps, de
l’autre la dimension de portage et de holding — sont pour moi complémentaires
sans entrer en contradiction. Le psychomotricien, parce qu’il s’intéresse à la
double fonction du corps — corps en tant qu’enveloppe contenante sensible
d’un intérieur psychique 10 et corps médiateur de l’expression du sujet — est
amené à un double niveau d’écoute sans forcément en être déchiré ou devoir
faire un choix au détriment d’un autre. Ce double niveau d’écoute découle
de l’intégration des deux registres corporel et psychique, dont le terme de
psychomotricité témoigne. Ce qui implique de la part du psychomotricien
une double formation, théorique et corporelle. Le bien-fondé des médiations
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 247

corporelles n’est plus à prouver à l’heure actuelle. Par contre, s’il existe une
urgence, à mon avis elle se situe au niveau de l’élaboration théorique de
celles-ci. Cette élaboration nous aidera sans aucun doute à défendre l’idée
que le psychomotricien n’a pas seulement pour rôle de «faire bouger » le
corps des patients, ce qui réduirait sa fonction aux seuls buts rééducatifs. II
a un rôle essentiel à jouer dans l’accès vers la symbolisation des affects et
des éprouvés, qui passent souvent massivement par la voie du corporel.

NOTES

1. EF. Dolto, L'image inconsciente du corps, Seuil, Paris, 1998.


Le] MA. Descargues Véry, Psychanalyste, Intervention avril 1994 au département formation-
recherche du Centre Etienne Marcel.
3. Hôpital de jour du Centre Étienne Marcel.
Je rends hommage aux danseurs avec qui j’ai travaillé, en particulier : Isaac Alvarez,
Véronique Malbéki, James Sylla de l’association Wallaye, M. C. Georgiou,.…
5. C. Potel. Art. dans la revue Enfance et Psy n° 6 : « Avec la danse, à la recherche de son
image », dossier « Cultures et médiations », mars 1999.
Op. cit., MA. Descargues Véry.
Op. cit., M.A. Descargues Véry.
J.J. Baranes et coll., La question psychotique à l'adolescence, Dunod, Paris, 1991.
om00
iQ Pour la relaxation, un travail avec F. Desobeau, puis une formation de type Sapir (RIV).
Pour la danse, je l’ai déjà souligné, l'influence de mes différents formateurs danseurs
s’est conjuguée à ma connaissance clinique des adolescents.
10. D. Anzieu, Le Moi Peau, Dunod, Paris, 1985 ; Les enveloppes psychiques, Dunod. Paris,
1988.

BIBLIOGRAPHIE
ANZIEU D., Le Moi peau. Dunod, Paris, 1985.
ANZIEU D., Les enveloppes psychiques, Dunod, 1988.
Sous la direction de J. J. BARANES, La question psychotique à l'adolescence,
Paris, Dunod, 1991.
Collectif BARANES J. J., CAHN R., DIATKINE R., JEAMMET P, JEANGIRARD C.,
RACAMIER PC., SIGG B.W., « Psychanalyse, adolescence et psychose ». Paris,
Payot, 1986.
DESCARGUE-WÉRY M.A., «L'institution thérapeutique, cadre de vie, cadre de
soins» dans La question psychotique à l'adolescence, 1991.
KESTEMBERG E., «L'identité et l'identification chez les adolescents », Psychiatrie
de l'enfant, 5-2, V, 1962.
248 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

POTEL C., Corps brûlant corps adolescent, des thérapies à médiation corporelle
pour les adolescents ?, coll. L’ailleurs du corps, Érès, Ramonville Saint Agne,
2006.
RICHARD F, Les troubles psychiques à l'adolescence, Paris, Dunod, 1998.
VAYSSE J., La danse-thérapie. Histoire, techniques, théorie, Paris, Desclée de
Brouwer, 1997.

Articles de C. Potel sur l’adolescence


«Du trop de corps au pas de corps». en collaboration avec M.A. Descargues
dans Psychose. Psychomotricité. États limites, Actes du Congrès, Paris, 1990.
«Hubert en psychomotricité » dans La question psychotique à l'adolescence,
déjà cité ci-dessus.
«La danse comme médiation en thérapie psychomotrice» dans Évolutions psycho-
motrices, n° 27, 1995.
«Avec la danse, à la recherche de son image ». dans Enfances et Psy n° 6, dossier
Cultures, médiations, 1999.
« La danse : un sport, une médiation thérapeutique, un moyen d'expression ? »,
Journal des professionnels de l'enfance, 2001.
« Intérêt des groupes de psychomotricité pour des adolescents en hôpital de
jour », dans Le corps en jeu. coll. Psychomobtricité, Solal, Marseille, 2002.
« S'ilte plaît, apprends-moi à faire mes lacets », Enfances et Psy n° 20, dossier
«Le souci du corps », 2002.
« Le secret d'Héloïse », Enfances et psy n° 31, dossier «Les copains », 2006.
« Des thérapies à médiation corporelle pour les adolescents. Un exemple : La
relaxation », dans Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, 2007.
Le jeu d'improvisation en clown:
Quand il s’agit de jouer avec ce que l’on est.
et de jouer à jouer!

ORIANNE LEGRAND

1. Introduction

. Dans mon parcours, la rencontre du clown et de la psychomotricité résidait


dans le plaisir à participer à des stages de théâtre-clown2?ainsi que dans le
désir de partager avec des patients ce jeu, que j’« intuitionnais » comme
éminemment psychomoteur. Avec pour seul bagage du plaisir, du désir et de
l'intuition, il n’était pas raisonnable de passer le pas de la porte d’une salle
de psychomotricité avec un nez rouge... Heureusement, sur ce chemin peu
fréquenté, j'avais des prédécesseurs 3 ! Leurs écrits confortaient mon intuition
et m'ouvraient des pistes de recherches théoriques. Au cours d’un stage en
externat médico-pédagogique, je tombe nez à nez avec un groupe de clowns !
Un psychomotricien 4 et une éducatrice spécialisée proposent la médiation
du jeu d’improvisation en clown à cinq adolescents âgés de 12 à 14 ans. Ces
derniers présentent une déficience intellectuelle (légère ou moyenne) associée
à des troubles psycho-affectifs ou de la personnalité, ainsi que des difficultés
de construction identitaire. Face à leur problématique, il est légitime de nous
questionner sur le bien-fondé du choix de cette médiation thérapeutique :
comment cheminer vers « Soi »5 en prenant un détour par le masque, le
costume et le personnage du clown ? Nous retracerons les caractéristiques
de ce dernier et découvrirons combien le nez rouge — le plus petit masque
- du monde — dévoile celui qui le porte. Pour comprendre en quoi cette média-
tion relève d’une thérapeutique psychomotrice, nous assisterons au dérou-
lement d’une séance et suivrons l’évolution de Martin, un adolescent du
groupe. Nous insisterons, d’une part, sur le rôle des éprouvés corporels comme
essence du jeu et, d’autre part, sur l’effet thérapeutique du réfléchissement
250 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

de Soi dans le regard d’autrui. Nous envisagerons aussi les règles de ce jeu
de fiction et sa singularité. Enfin, nous nous interrogerons sur la précarité de
l’« aire transitionnelle » (D.W. Winnicott, 1975) particulièrement prégnante
en jeu d'improvisation en clown, puisque cette médiation comporte une
subtilité de la distinction entre jeu et réalité — entre une théâtralisation de
soi et soi. En effet, comment est-il possible de jouer avec ses éprouvés corpo-
rels, émotionnels et relationnels tout en « décollant » dans l’imaginaire sous
l'impulsion du clown et sans pour autant qu’il y ait de confusion entre soi
et ce personnage décalé ?

2. Martin

2.1. Quelques éléments d’anamnèse


Martin a 13 ans lorsque je le rencontre. Il est né avec un bec de lièvre
fermé et une malformation de l’urètre aggravée par une micro-verge dont il
souffre depuis l’enfance. Une maladie génétique rare est diagnostiquée tardi-
vement. Elle associe au tableau clinique précédent une déficience intellectuelle
moyenne, un retard psychomoteur global, un retard de parole et de langage,
une jovialité (!) et une obésité, qu’il « prend en charge » en suivant un régime
amincissant. Il est opéré de sa malformation de l’urèêtre, afin de résoudre ses
difficultés de miction. L’énurésie et l’encoprésie occasionnelle ainsi que
l'instabilité et l’immaturité psycho-affective (toute-puissance, intolérance à
la frustration) régressent. À son entrée dans l’adolescence, la problématique
du corps et de l’identité sexuée se trouve au cœur de ses préoccupations. Ses
tentatives d’élaboration en psychothérapie individuelle ayant été peu
probantes, l'indication d’une thérapie psychomotrice est posée par l’équipe
pluridisciplinaire.

2.2. L'examen psychomoteur

Martin est de bon contact. Il fait spontanément les efforts nécessaires


d’articulation pour que je le comprenne. Il se montre exigeant avec lui-même
et aborde l’examen psychomoteur comme une compétition déterminante à
ses yeux. Néanmoins derrière le masque d’une surestimation de lui-même,
il redoute l’échec. Certes, Martin est « pataud » et présente des difficultés
tonico-émotionnelles mais il manifeste surtout un vécu corporel angoissant
localisé autour des « orifices » comme la bouche, les narines, les oreilles, le
nombril et les yeux. Leur nomination ou leur désignation sur moi suffisent
à déclencher une vive réaction. Il exprime son dégoût par des onomatopées
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 251

de type « beurk! bah! », des mimiques de répulsion et une attitude corporelle


de défense. Lorsque je lui demande de me montrer où se trouvent ses yeux,
l'angoisse apparaît plus vive et il me dit: « Je ne peux pas les toucher sinon
après je suis mort.»
Au total, Martin présente un retard psychomoteur hétérogène. Dans la
relation, des angoisses d’intrusion et de mort ainsi qu’une certaine fragilité
narcissique apparaissent. L'image du corps de Martin est dévalorisée et son
enveloppe psycho-corporelle manque de contenance. L’indication d’une
thérapie psychomotrice se révèle donc pertinente. Le groupe thérapeutique de
jeu d’improvisation en clown est envisagé dans le but de favoriser l’expressi-
vité et la créativité de Martin (à contre-pied de sa quête de performance), de
le revaloriser narcissiquement et de renforcer sa sécurité de base, afin qu’il
puisse regarder et être regardé dans le respect de ses défenses et dans le cadre
contenant et bienveillant des relations de groupe.

2.3. Notre première rencontre en séance de psychomotricité


par la médiation du jeu d'improvisation en clown
Martin est grand et fort pour son âge. Il se tient cambré, le torse bombé,
le menton relevé et les lèvres pincées : il a fière allure. Respirant dans la région
thoracique haute avec peu d’amplitude, il me donne l’impression d’être
constamment en apnée et d’habiter davantage son hémicorps supérieur qu’in-
férieur. Sa motricité témoigne de peu d’aisance et est parfois « robotisée ».
Bien qu’intimidé par ma présence — comme en attestent ses réactions de pres-
tance —, il s’assied à côté de moi. Il présente de légers tremblements et une
agitation posturale. Les rires masquant sa gêne s’ajoutent à sa bonne humeur
quasi constante inscrite sur son visage tel un masque jovial. Martin exprime
son malaise à regarder autrui soit en fuyant le regard (ses yeux se baladent de
droite à gauche dans leurs orbites ou en l’air) soit en riant sous cape. En revanche,
être regardé ne semble pas l’incommoder. Il prend plaisir à improviser en
clown face au groupe.

3. Qu'est-ce que le jeu d'improvisation en clown ?


C’est un jeu de fiction improvisé, masqué en clown et plus ou moins
‘costumé, au cours duquel le sujet — en interaction avec le public — théâtralise
ce qu’il vit concrètement dans l’ici et maintenant, l’exagère et le transforme
pour faire une embardée dans l’imaginaire, la poésie ou l’absurde. Les impro-
visations peuvent être jouées seul ou à plusieurs, sur un thème défini par le
directeur de jeu.
252 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Le désir de s’exprimer et de jouer prévaut sur toute recherche d’esthétisme


ou de qualité dans la représentation théâtrale. Il n’est pas question d’apprendre
à « faire » le clown mais plutôt de jouer et d’« être » clown à sa manière. Ce
jeu est une invitation à se dévoiler, à se laisser regarder tel que l’on est, voire
à s’accepter démuni avec nos contradictions et nos faiblesses inhérentes à la
nature humaine, ainsi que singulier avec nos extravagances et nos bizarreries.

3.1. Un jeu de fiction.


Le jeu de fiction absorbe totalement la personne avec « la conscience
d’être autrement que dans la vie courante » (J. Huizinga cité par R. Caillois,
1967, p. 32-33). La règle est de « faire semblant ». Le joueur, ses partenaires
et les spectateurs acceptent — dans un espace et un temps délimités — de parti-
ciper à une illusion (du latin in-lusio, entrer en jeu). « Le sujet joue à croire,
à se faire croire ou à faire croire aux autres qu'il est un autre que lui-même »
(R. Caillois, 1967, p. 61). Ici, un clown.

3.2... masqué en clown...


La bizarrerie du clown se perçoit d’emblée à travers les vêtements extra-
vagants, démodés, rapiécés, troués, mal coordonnés et mal ajustés qu’il porte.
Il affiche ainsi son non-conformisme, sa marginalité, son inadaptation, voire
un trouble du schéma corporel ! Son allure signe « un décalage social et
interne à la fois » (J.B. Bonange, 1999, p. 17). Le clown est maladroit :malgré
sa bonne volonté et son optimisme, il rate inévitablement ses entreprises. Il agit
fatalement à contresens. « Et pourtant, aux pires moments de son péril, le
clown réussira des prouesses inattendues » (J.B. Bonange, 1999, p.21).
Comme l’enfant, le clown est naïf, innocent, vulnérable, émouvant, atta-
chant, sensible, ouvert sur l’imaginaire et la poésie du monde. Il entretient
un rapport animiste, voire affectif avec les objets, qu’il détourne de leur usage
habituel au profit de son imagination. Dans sa relation sensible au monde,
il prête attention aux plus petits détails. Ainsi, quelque chose d’insignifiant
se transforme en une véritable aventure. Selon M. Soulé, le clown « n'a pas
dépassé la pensée magique. Il fait tout ce qui est interdit, montre un moi
infantile qui n’a rien refoulé » (cité par J.-B. Bonange, 1999, p. 19). Son
fonctionnement psychique obéit au principe de plaisir et ressemble à celui
d’un enfant de 3 ans.
Avide de liberté, le clown transgresse les interdits de manière astucieuse
et poétique et non en contestant de front le pouvoir. Nous lui pardonnons
son décalage et ses dérapages tant il suscite notre admiration face à ses
ressources créatives. Son humour chaleureux le dégage des jeux de pouvoir
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 253

habituels. Il inverse l’ordre social établi en ramenant chacun à la réalité de


sa condition humaine. De même, il passe par-delà les règles de bienséance
en brisant les apparences et les non-dits. Le clown est un personnage exalté
et excessif. Il est dans le « trop » de tout: trop de couleurs, trop de maladresses,
trop d'émotions. Cette démesure lui confère sa dimension grotesque et
absurde.

3.3. .… qui dévoile la personne.


D'après J.-B. Bonange, « le clown est personnalisé, identifié en référence
à l'acteur qui lui donne vie » (1999, p. 9). Voyons ce qu’il en est pour Martin.
D'une part, 1l ne reconnaît jamais son nez de clown, bien que ce dernier soit
identifiable par une gommette. D’autre part, Martin est le seul des adoles-
cents du groupe constitué depuis un an, qui ne se souvienne plus de son
« nom de clown », bien qu'il l’ait choisi et que ce nom — « Monsieur Méli-
Mélo » — soit éloquent. « Voilà un clown qui a un problème d'identité... »
me direz-vous ! Pourtant un personnage bien campé émane de sa personne.
Martin est un clown élégant. Il se costume toujours avec grand soin. Nous
apprécions d’être surpris par ses nouvelles tenues. Nous attendons — plein
d’excitation et de pétillements dans le regard — son entrée sur scène, même
s’il change davantage de couleurs que de style. Martin porte souvent une
veste cintrée à la taille et une monture de lunettes. Il n’y a que les montures
et non les verres, j'insiste ! Ainsi, il accentue spontanément sa cambrure tout
en amincissant sa taille et il attire inévitablement notre attention sur ses
yeux... à moins que ces lunettes ne lui servent de protection contre des
regards vécus comme trop intrusifs ou encore, qu’elles signent le résultat du
« transpercement » par ces regards ? Martin choisit donc un costume de clown
qui souligne la singularité de son être psycho-corporel.
Sur scène, il a tout du clown « intello » ! Il se gratte le crâne avec l’index
et regarde en l’air, comme s’il cogitait à ce qu’il pourrait faire. Il se tient en
équilibre sur un pied et, de temps en temps, il se frotte le mollet de l’autre
pied. Agacé par ces démangeaisons, il regarde derrière lui pour en déceler
l’origine. Ceci apparaît comme un rituel lui conférant de la contenance. Puis,
Martin change de jambe d’appui.. Il s’emmêle les pattes, les nouent, les
dénouent, les entortillent. Ses jambes semblent de trop ! Elles l’encombrent
Voilà Monsieur Méli-Mélo qui attend, bras croisés, que son partenaire entre
en interaction avec lui. Lorsqu'un autre clown — quel qu’il soit — amorce la
rencontre, Martin se montre souvent « grognon ». Apparemment, il ne souhaite
pas être importuné ! Sa manière de ronchonner contraste franchement avec
le masque jovial qu’il recouvre au quotidien. Martin a besoin de jouer et
rejouer ce personnage « grincheux ». Or je crains qu’il s’enferme dans ce rôle
254 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

en n'étant plus réceptif à l’état qui l’habite réellement. Le risque serait qu’il
ne se laisse plus surprendre.
Le clown peut jouer tous les rôles possibles compte tenu de l’imprévisibilité
de ce qui nous est donné de vivre sur scène comme dans la « vraie » vie. Ces
rôles ne sont pas choisis consciemment puisqu'ils émergent du corps à partir
d’un état tonique, d’une sensation, d’une posture, d’un mouvement, d’une
mimique ou d’une émotion. La personne en clown prend conscience de
l’éprouvé corporel prédominant, grâce à un état de réceptivité ténu. Sur scène,
elle se pose constamment la question « qu'est-ce que cela me fait ? ».
« Comment reçois-je le regard du public sur moi en clown ? Quelle image
me vient à l'esprit en étant dans cette posture ? Qu'est-ce que je ressens face
à cet autre clown ? À quoi me fait penser cet objet en l’examinant de plus
près, en le touchant ?… » À partir de cette prise de conscience, la personne
amplifie son vécu, le théâtralise pour le rendre visible et lisible à ses partenaires
de jeu comme aux spectateurs. Elle exagère aussi son vécu pour saisir le
moment où ça va « déraper » dans l’absurde, où ça va « ricocher » dans
l'imaginaire ou bien nous toucher de façon poétique. Le point de départ de
ce jeu se fonde sur ce qui anime réellement le sujet dans l’instant. Depuis
cet ancrage corporel, une porte sur l’imaginaire et la symbolisation s’ouvre.

3.4. … face à un public


En entrant sur scène, le clown prend le temps de se poser face au public.
Sa première action est de regarder yeux dans les yeux chaque spectateur et
de se laisser regarder. Par ces échanges de regards, une alliance se scelle : le
public assure le joueur de sa bienveillance et reconnaît assister à un jeu de
fiction, auquel il va participer par son imaginaire depuis son espace de réalité ;
le joueur, lui, est conscient de son masque, de son costume, du simulacre et,
en même temps, il est totalement relié à ses ressentis du moment. Réalité et
fiction dialoguent de toutes parts sans se confondre.
Le public détaille l’allure du clown. Il souligne du regard un trou dans la
veste, un chapeau trop large, un pantalon trop court, des mains qui s’emberli-
ficotent, une impatience dans les pieds, un tirage sur le vêtement. ou encore
capte un soupir, un raclement de gorge, un gargouillis… Sous le regard
d’autrui, les réactions de prestance ne manquent pas. Tant mieux ! Cela donne
du jeu à notre clown. La personne prend conscience de sa différence, de son
personnage et de sa bizarrerie, qui suscitent des états de honte, de désespoir,
de colère, de mépris, de fierté, de joie, de séduction, de plaisir. Bien avant
que les affects ne pointent, c’est une certaine expressivité du corps qui perce
sous le regard du public. L’excès du personnage va aider à la théâtralisation
du vécu authentique de la personne.
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 255

Puis, tout au long de l'improvisation, la règle du « regard public » va œuvrer


comme une respiration dans le jeu, où la personne conscientise ce qu’elle
donne à voir et représente sur scène. C’est un temps de suspension de la
fiction, où elle vérifie que le public adhère au simulacre. Par le regard, le
clown prend le public à témoin de ce qu’il vit. Il lui donne ses états d'âme.
Il lui montre ce que cela lui fait et comment il réagit à tous les imprévus que
lui réserve l’improvisation. En retour, le public influence involontairement
le jeu par ses réactions et ses regards, qui agissent comme un miroir…
Observons comment Martin embarque le public dans son imaginaire.
Monsieur Méli-Mélo est seul sur scène avec un parapluie replié, qu’il tient
entre ses mains. Intrigué par un bruit imperceptible qui viendrait de là-haut
— Si l’on suit bien son regard —, il tend l’oreille. Il lance un regard interro-
gateur au public puis, regarde et écoute à nouveau ce qui se passe là-haut.
Martin obtient l’attention de tous les spectateurs, qui se mettent eux aussi à
tendre l’oreille. Du silence émane un clapotis.. Dehors il pleut. Et comme
par magie, 1l pleut sur scène ;Monsieur Méli-Mélo ouvre son parapluie.
Martin suscite alors notre capacité à rêver avec poésie.
Ici, le public est constitué uniquement des participants au groupe: le direc-
teur de jeu (le psychomotricien) et les joueurs potentiels, qui sont les cinq
adolescents et les deux co-thérapeutes (l’éducatrice spécialisée et moi-même).

4, Invitation à une séance

4.1. L'état des lieux


La séance débute par un tour de parole où chacun peut brièvement partager
l’état dans lequel il arrive. On jette un coup d’œil à « l’état des lieux intérieurs ».
On fait le tour du propriétaire ! Si un adolescent ne se sent pas disponible
pour jouer, il décide avec le psychomotricien de son implication. Il peut
seulement participer à la préparation de l’état de jeu ou bien rester spectateur.

4.2. La préparation de l’état de jeu

Le psychomotricien propose aux adolescents d’enrichir leur expressivité


à travers des jeux d’exploration du corps, du regard, de la voix, des émotions
et de l’imaginaire. Il alterne entre des situations à tempo moteur rapide (favo-
risant le lâcher prise, voire la maladresse et l’absurde caractéristiques du
clown) et d’autres à tempo moteur lent (incitant à la prise de conscience et
à l’écoute de soi, de l’autre, de l’imaginaire).
256 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

4.2.1. Regarder
Dans un premier temps, la concentration sur le corps propre par le réveil
des sensations cœnesthésiques est privilégiée, afin d’amener les adolescents
à entrer en contact avec leur intériorité, à tourner leur regard vers le dedans.
Dans un second temps, le regard s’ouvre sur le monde avec curiosité tout
en restant relié à ses éprouvés corporels. Les exercices ludiques induisent
un rapport sensoriel au monde notamment en observant les moindres détails
du lieu ou en scrutant un objet sous tous les angles. Tout à coup, on entrevoit
le monde autrement : le regard est neuf, ébloui, émerveillé et parfois surpris.
Là, nous réalisons combien certains détails échappent à notre acuité ordinaire
mais pas à notre regard de clown ! ,
Dans un troisième temps, les propositions concernent l’ouverture à la
relation et à la création. Les jeux de regards et d’imitation facilitent le partage
d’une aire transitionnelle ainsi que l’instauration d’une relation bienveillante
et empathique. En regardant autrui, en l’imitant, en s’y identifiant, on ne peut
qu'être touché de l’intérieur par ce qu’il vit.

4.2.2. Imiter
Lors des premiers jeux d'imitation, les rôles du meneur et du suiveur sont
assignés. Le meneur amène de la lenteur et de la répétition dans sa gestualité,
afin que le suiveur puisse s’approprier son expressivité c’est-à-dire la tonicité,
la sensation, l'émotion et la représentation qui y sont liées. L'observation
attentive et l’écoute empathique entre les partenaires de jeu sont sollicitées.
Par la suite, les rôles ne sont plus attribués. Chaque membre du groupe peut
observer quelle relation 1l noue avec tel autre. Est-on meneur ou suiveur dans
telle relation ? Vit-on son rôle sereinement ou dans un rapport de force domi-
nant-dominé ? Un compromis tacite s’instaure-il sur une alternance des rôles ?
Ou bien les partenaires rencontrent-ils un état d’identification tel qu’ils ne
savent plus qui mène et qui suit ? Cette complicité est recherchée car elle
permet d'inventer une expressivité commune. Les joueurs parviennent à
créer ensemble cette harmonie en répétant « un quelque chose du corps »
qui, au départ, ne fait pas sens et peut même susciter le rire tant la situation
paraît absurde. Si l’empathie est totale, le rire est inclus dans l’imitation.

4.2.3, Répéter pour créer


La répétition permet aux adolescents d’habiter cet « informe “pas abouti”
des jeux du corps » (C. Potel, 2006, p. 47) et à la fois de se laisser toucher
par ce qu'ils entraperçoivent de leur expressivité à travers le miroir identi-
ficatoire du partenaire. Une représentation survient à la croisée de leurs
sensations intéroceptives et extéroceptives. Un sens est « trouvé-créé»
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 257

(D.W. Winnicott, 1975) à cet « informe corporel » princeps. La représenta-


tion transforme l’expressivité, qui elle-même se modifie sous l’effet de la
répétition, de l’amplification et de l’imitation comportant inexorablement
des « mutations », qui engendrent à leur tour d’autres images et ainsi de suite
à l'infini... comme une longue chaîne associative de signifiants que l’on
déroule. Corporéité et imaginaire dialoguent donc de soi à soi et de soi à
l’autre, puis s’étoffent comme une matière malléable6, pétrie et formée par
la répétition. Une création surgit de cette « répétition-symbolisation-trans-
formation » vécue dans une relation vivante à soi-même et à l’autre.

4.3. Les règles de l'improvisation


Après un temps de verbalisation de son vécu, le directeur de jeu annonce
les règles de l’improvisation : le thème et/ou la structure. Les thèmes sont
aussi variés que les situations de la vie : le baptême pour se trouver un nom
de clown, l'anniversaire de son meilleur ami (un objet !), le retour de vacances
mettant en scène comment c'était, gagner un voyage à la loterie et rêver
comment ce sera, partir à l’aventure, participer à un concours d’inventeurs,
donner une conférence, raconter un conte populaire en le réinventant à la
sauce clown, enquêter sur les lieux d’une affaire policière... Les structures
reflètent un type de relation entre les clowns: soit chacun est une indivi-
dualité à part entière, soit ils sont jumeaux (et vivent, agissent, réagissent de
façon identique aux événements), soit il y a un aîné et un cadet (un dominant,
qui mène le jeu et un dominé, qui essaie en vain de faire aussi bien).
« Le propre du clown n’est pas de jouer selon la règle mais avec elle, par
rapport à elle, en théâtralisant le potentiel de détournement ou de dépassement
que compte la règle » (J.B. Bonange, 1999, p. 19). Illustrons ce « jeu avec la
règle » à travers la structure de l’aîné et du cadet. Ces rôles-ci ne sont pas
préalablement définis et, au-delà du choix qui advient dans le jeu, chacun des
clowns peut témoigner combien il est contraignant ou plaisant de devoir en
assumer les conséquences. C’est le cas de Monsieur Méli-Mélo, qui s’impose
d’emblée comme l’aîné et de Madame Lilico, qui se retrouve être la cadette.
Celle-ci prend très à cœur sa tâche d’imiter Monsieur Méli-Mélo. Lui s’agace
d’autant de minutie de la part de Madame et « ne cache pas son jeu » !Il
montre clairement son intention de gentiment la taquiner en l’empêchant de
tenir sa consigne. Monsieur Méli-Mélo fait exprès des gestes minimes avec
ses doigts qu’il cache sous son menton. De plus, il veille à ce que Madame
Lilico reste bien derrière lui. Si elle essaie de lorgner sur ses doigts, il la
sème en accélérant le pas ! Un jeu clownesque s’instaure entre lui qui fuit et
elle qui le « colle », soucieuse de l’imiter parfaitement. Madame Lilico joue
la naïve :elle reste souriante, appliquée et persévérante face à un Monsieur
258 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Méli-Mélo d’autant plus énervé. Dans le public, on se demande lequel des


deux va flancher. Quand la tension dramatique est à son comble, Monsieur
Méli-Mélo joue pour son plus grand plaisir à franchement se mettre en colère.
Martin symbolise ainsi la rivalité qu’il recherche perpétuellement dans ses
relations et ceci, de manière clownesque puisqu’à défaut d’avoir réussi à
« piéger » sa partenaire, il s’est fait prendre à son propre jeu !
Si le clown transgresse d’une part, ce n’est pas par esprit de contradiction
mais par naïveté, taquinerie ou curiosité et d’autre part, il agit toujours à
visage découvert, en prenant le public à témoin et en considérant ses réactions.
Il a d’ailleurs plaisir à jouer avec un public qui retient son souffle. Grâce au
« regard public », le sujet sait s’il peut ou non jouer avec la règle. Il est
important de distinguer la transgression de la règle par le clown — ou du sujet
sous couvert du personnage et du jeu de fiction — de la transgression du cadre
thérapeutique par le patient. Les passages à l’acte sont proscrits comme se
faire mal, faire mal à l’autre, abîmer les accessoires ou le costume.

4.4, Le costume et le masque


Selon les dispositifs, le moment de se costumer peut être dissocié de celui
de se masquer. On se costume soit avant l’annonce du thème et de la structure
de l’improvisation, soit après, c’est-à-dire en urgence, juste avant d’entrer
sur scène. Le costume comprend au minimum un chapeau et une veste passée
par-dessus ses vêtements. Le passage de soi vers le clown est surtout intérieur.
La transformation est davantage le résultat d’une préparation à un état de jeu
que d’un déguisement.
Pourtant, en dehors du regard du public, lorsque la personne « chausse »
son nez rouge, il y a métamorphose. L'expression du visage change. Le regard
s'ouvre, les yeux s’écarquillent avec ce gros nez rouge au milieu de la figure.
Il est important que la personne ait conscience de son personnage, c’est pour-
quoi elle prend le temps de se regarder dans le miroir avant d’entrer sur scène.
Si elles sont plusieurs à improviser, les personnes en clown se regardent entre
elles. Elles entrent consciemment et « empathiquement » en relation.
À propos du plus petit masque au monde, il est une règle fondamentale :
il ne faut n1 en parler sur scène ni le toucher, sinon il se réduit à un vulgaire
bout de plastique rouge et le clown perd de sa magie. Tout manquement à
cette règle viendrait briser l'illusion théâtrale.

4.5. Jouer avec ce que l’on est

Nous allons approfondir comment contacter son Soi par le biais du


clown.
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 259

4.5.1. L'état de clown


| La personne entre sur scène débordante de son « état de clown ».Ilss’agit
d’un état intérieur de réceptivité, où tous les sens mis en éveil sont à l’affût
de ce qui se présente au dedans de soi comme au dehors. agrémenté d’une
adhésion inconditionnelle à tout ceci. Ajoutez-y une cuillérée d'ouverture
sur l'imaginaire, ainsi qu’une pincée de curiosité, d’émerveillement et de
surprise. Laissez bouillir. Ça y est, vous êtes prêts à « clowner » !
Bien qu’en « ébullition », vivante et présente, la personne arrive sur scène
dans un état qui consiste paradoxalement à « être sans qu’il y ait de but »
(D.W. Winnicott, 1975, p. 78) ! Quels que soient la structure ou le thème de
l'improvisation, elle n’a pas de projet de jeu:elle est « juste » disponible à
se laisser surprendre par elle-même en clown. Toutefois, cet état serein de
non-faire, de non-vouloir, de lâcher-prise confiant au cours duquel afflue à
notre conscience ce qui se vit en nous, est difficile à atteindre. Or en jeu
d'improvisation en clown, l’action authentique naît de cette manière d’être
au monde.
Le corps demeure la ressource essentielle de l’improvisation, afin de
s'établir en son « être » et ainsi éviter de se perdre dans du « paraître » (ou
« pare-être »). Comme le souligne D.W. Winnicott, « Le “je suis” doit
précéder le “je fais”, sinon le “je fais” n’a aucun sens pour l'individu »
(1975, p. 179). Autrement dit, 1l s’agit d’être congruent selon le terme
employé par C. R. Rogers (1998), c’est-à-dire d'exprimer une correspon-
dance exacte entre l’expérience que l’on vit, la prise de conscience qu’on en
a et la communication qu’on en fait à autrui — ici le public et le partenaire
de jeu —. Seulement, être ouvert et congruent c’est prendre un risque.
celui d’être soi-même.

4.5.2. Le corps, essence de l'improvisation


Comme nous l’avons vu précédemment, le sujet en clown se laisse regarder
par le public. Ce face-à-face est vécu soit comme gênant par les uns qui se
sentent démunis, dérisoires ou absurdes, soit comme plaisant par les autres
qui aiment se montrer et séduire. Le corps réagit tout autant aux regards par
des réactions de prestance, qu’au costume trop comme ceci, pas assez cela:
ça serre, ça boudine, ça tombe, ça cache, ça gratte, c’est doux, ça chatouille,
ça brille, ça flashe, ça grince, ça crisse… Tout un univers de sensations éclot
ainsi dans la conscience du sujet. Le nez rouge agit alors comme une loupe 7
sur nos éprouvés et notre être psychomoteur.
Le trac, la peur qu’il ne se passe rien sur scène ou d’un vide intérieur, de
n’être rien sans nos masques est légitime. Néanmoins en jeu d'improvisation
en clown, nous dépassons ces peurs en faisant l’expérience d’un corps vivant
260 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

et habité, qui instaure une confiance en soi et en la vie. Le corps devient la


source créative et créatrice de l’improvisation car ici, rien n’est planifié de
ce qui va se jouer sur scène. La première piste de jeu qui surgit est la bonne,
sinon le directeur de jeu annonce un « refus de jeu ». Tout ce qui jaillit de
soi est prétexte à jouer sans censure préalable. Le directeur de jeu est plus
particulièrement à l’affût des « actes manqués » ou des « lapsus » corporels,
c’est-à-dire de tous ces petits gestes anodins dont le joueur n’a pas conscience.
Il les lui renvoie verbalement pour qu’il en joue, aussi banal ou absurde que
cela paraisse. Le joueur développe au fil de son expérience une confiance en
cet « informe et insensé corporel » qui s'exprime, surprend et devient progres-
sivement acte créateur. Le jeu d’improvisation en clown donne « une chance
à l'expérience informe, aux pulsions créatives, motrices et sensorielles de
se manifester ; elles sont la trame du jeu » (D.W. Winnicott, 1975, p. 90).
L’imaginaire suscité par l’informe doit être agi et incarné sur scène. « Jouer
c'est faire » (D.W. Winnicott, 1975, p. 59) ! La personne en clown symbolise
tout ce qui est imaginaire et absent en le concrétisant pour le partager avec
le public. Passé, futur et conditionnel sont ainsi actualisés. La personne
dramatise son monde intérieur, au sens étymologique de mettre en acte.
L’expressivité du corps est centrale en jeu d’improvisation en clown et les
mots restent rares. Le clown utilise plus souvent un grommellement ou un
charabia ponctué d’un mot, qui vient soutenir l’action et en clarifier le sens.
Les qualités inhérentes au personnage du clown servent le processus
créateur en permettant à la personne de s’offrir la liberté de jouer « à faire
d’impossibles juxtapositions, à formuler d’invraisemblables hypothèses, à
rendre problématique le donné, à exprimer le ridicule, à traduire une forme
en une autre [.….] C’est de ce jeu spontané et de cette exploration que jaillit
une étincelle, une vision créatrice de la vie, nouvelle et significative » (C. Rogers,
1998, p. 236). L’étonnement face à ses propres ressources insoupçonnées induit :
le changement de regard sur soi-même comme sur les autres membres du
groupe et le changement de regard des autres — dont les thérapeutes — sur soi.
En thérapie, « le moment clef c’est celui où l'enfant se surprend lui-même »
(D.W. Winnicott, 1975, p. 72).

4,5,3. La révélation de Soi


Le clown permet de s’inventer une manière d’être décalée par rapport à
ce que nous tenons à tout prix à donner à voir de nous-même au quotidien
et qui ne reflète que les défenses instaurées pour colmater nos failles, nos
impuissances, nos doutes et nos peurs. L’espace-temps du jeu, le masque et
le costume autorisent une mise à nu de soi et une distanciation notamment
d’avec son Idéal du Moi, afin de laisser apparaître sa part de vulnérabilité et
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 261

de dérisoire. qui ne tue pas, au contraire ! Par le rire, ses faiblesses et ses
travers se transforment en force théâtrale. Ils s’en trouvent « dédramatisés »
et sublimés. Dans ce jeu, il s’agit de puiser dans le corps de quoi donner
chair à son Soi en se découvrant autrement plus authentique par rapport à ce
que l’on veut paraître. Le dispositif permet à cette authenticité de s’épanouir,
puisque tout ce qui est perçu est posé comme acte théâtral. Même « l’infime
corporel » a une existence aux yeux de tous. Ni le joueur — aidé par le direc-
teur de jeu — ni le public ne peuvent ignorer ou gommer ces traces corpo-
relles dessinées sur scène. La personne chemine ainsi vers l’acceptation de
tout son être aussi complexe et ambivalent soit-il. Le jeu d'improvisation en
clown est un chemin de découverte de son Soi, cet autre moi-même, le Vrai !
Le nez rouge démasque plus le vrai-soi qu’il ne le masque. Il protège et à la
fois libère le sujet dans son expressivité.

4.6. Le retour sur l'improvisation


Juste après l’improvisation, les personnes retirent leur costume et leur
masque en coulisse, puis viennent rejoindre le public pour symboliser avec
des mots, ce qui s’est joué sur scène. La verbalisation rend compte de la mise
à distance entre la réalité et le jeu. Le sujet retrace le déroulement de ses
actions. Il exprime son vécu, ses ressentis, ses émotions, ses relations à ses
partenaires et aux objets. Il parle de son imaginaire, qu’il est parvenu ou non
à faire exister dans la tête des spectateurs. Enfin, il témoigne du plaisir à
jouer ou des difficultés à entrer dans « l’état de clown ». La satisfaction ou
l’insatisfaction personnelles se mesurent en fonction du degré d’authenticité
de son propre jeu. « Le plaisir ou le déplaisir ne sont que le fruit de la
rencontre réussie ou ratée avec soi-même » (L. Sheleen, 1983, p. 20). Les
spectateurs peuvent ensuite prendre la parole. Les thérapeutes veillent à ce
qu'aucun jugement ne soit porté sur la qualité de l’improvisation ou sur les
personnes. En ce sens, les applaudissements marquent davantage la fin de
l'illusion théâtrale qu’un jugement de valeur.

5, La fonction de miroir des regards, des mots et des corps


En précisant le rôle de chacun des thérapeutes du groupe, nous envisa-
gerons leur fonction de miroir au côté du public et des autres partenaires de
jeu.
262 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

5.1. Le thérapeute directeur de jeu


Le psychomotricien est le garant du projet et du cadre thérapeutique dans
ses fonctions contenante, limitative et permissive. Il gère les relations au sein
du groupe, anime et assure le bon déroulement spatio-temporel de la séance.
Il délimite clairement les temps de jeu et de retour à la réalité. Le directeur
de jeu s’adresse soit à la personne en train de jouer en l’interpellant par son
« nom de clown », soit à la personne elle-même en la nommant par son prénom,
s’il fait référence à une règle du jeu. Il est symboliquement le référent au
réel.
Son implication auprès des patients passe davantage par un holding verbal
et psychique que corporel. Au cours de l’improvisation et si c’est nécessaire,
il reflète en mots ce que la personne en clown donne à voir de ses émotions,
à imaginer de ses postures, à rêver de ses mouvements. Il l’informe sur ce
que son expressivité suscite comme représentations chez les spectateurs, afin
qu’elle en soit consciente. Le psychomotricien aide aussi le patient à clarifier
son jeu, ses intentions et sa communication avec le partenaire. Il « méta-
communique » 8 sur les échanges verbaux et infra-verbaux entre les prota-
gonistes, afin de potentialiser leur relation. Il accompagne le patient vers
l'harmonisation de ses différents niveaux de communication. Il le conduit à
s’accorder avec lui-même pour mieux s’accorder avec autrui.
Lorsqu'il revêt le rôle de « Monsieur Loyal » — en se plaçant juste à la
frontière de la scène, l’espace de la fiction — 1l donne la réplique aux clowns,
il gère la relation entre les clowns et entre les clowns et le public. II facilite
ainsi l'émergence du jeu. Le psychomotricien peut tout aussi bien poser un
« arrêt de jeu » c’est-à-dire que les patients se tournent dos au public, retirent
leur nez et, écoutent ses indications. L'arrêt de jeu est utilisé à titre exceptionnel
notamment lorsque le jeu est menacé.

5.2. Le co-thérapeute en clown


Le rôle du co-thérapeute est de s’impliquer dans le jeu et d’étayer psycho-
corporellement le patient. D.W. Winnicott précise que les patients « jouent
beaucoup plus facilement quand l’autre personne se sent capable et libre de
prendre plaisir au jeu » (1975, p. 64). Néanmoins le jeu du co-thérapeute
doit rester à la mesure de celui des patients. Cette adaptation est nécessaire,
afin de ne pas inhiber leur potentiel d’expressivité.
En clown, le psychomotricien se rend disponible psychiquement et corpo-
rellement pour recevoir l'expression du patient avec empathie, cette « aptitude
sensorielle à percevoir les indices et les signaux émis par le corps de l’autre »
(B. Cyrulnik, 1997). Il accueille son corps signifiant et réfléchit ce que cet
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 263

être dit de lui, souvent à son propre insu. Il réfléchit l’expressivité du


patient tel un miroir aussi fidèle que possible, par son regard, l’imitation
ou sa réaction.
On retrouve ici la spécificité de la relation thérapeutique en psychomo-
tricité, qui passe par le corps contenant, étayant et médiateur du psychomo-
tricien, son vécu corporel et ce qui fait sens pour lui. La compréhension de
ce qui se joue psychiquement pour le patient nécessite l'élaboration de la
relation inter-subjective instaurée avec lui.

5.3. Miroir de l’être

Le public par ses réactions, le directeur de jeu par ses verbalisations, le


psychomotricien en clown par ses imitations agissent tous concomitamment
comme un miroir, qui renforce la prise de conscience de ce qui est en train
de se Jouer et qui informe le patient sur l’authenticité de ce qu’il théâtralise.
Tous assurent cette fonction d’étayage par le regard. Ils assistent en quelque
sorte le patient dans son jeu. « Si cette créativité est réfléchie en miroir, mais
seulement si elle est réfléchie, elle s'intègre à la personnalité individuelle et
organisée et, en fin de compte, c'est cette créativité qui permet à l'individu
d’être », nous dit D.W. Winnicott (1975, p. 90). La médiation du jeu d’im-
provisation en clown propose une mise en jeu de soi narcissisante de par
le plaisir que retire le sujet à être regardé dans son authenticité, avec ses
fragilités et sans être jugé. Cette expérience est semblable au moment où le
bébé fait l’expérience du miroir de son être dans les yeux de sa mère
(D.W. Winnicott, 1975). Être « reflété » ainsi renforce la cohérence de l'être,
la perception d’unité et de globalité de soi, et procure le sentiment d’exister,
le sentiment de son identité.

5.4, Regarder et être regardé pour Martin


Voici trois vignettes cliniques, qui relatent l’évolution de Martin au fil
des séances de psychomotricité.
La proposition consiste à marcher dans la salle et, lorsque deux personnes
se croisent, elles se rencontrent sans se parler ni se toucher. La consigne
contraint donc les joueurs à s’interpeller du regard. Dès que Martin croise
l’éducatrice, il rapproche son visage du sien et tape des mains devant son
nez.Il capte l’attention de l’éducatrice ainsi que son regard, mais suffisamment
peu de temps pour qu’il puisse supporter l° interaction. En effet, Martin oblige
l’éducatriceà fermer les yeux faceà cette intrusion dans son espace personnel,
face à ce surprenant claquement de mains et cette vision brouillée dueà la
proximité des visages. Il est intéressant d'observer comment il respecte la
264 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

consigne tout en transgressant la distance interpersonnelle dans le seul but


de se protéger. Par cette entrée en relation empreinte d’agressivité, Martin
nous dit à nouveau la manière dont il vit lui-même le regard de l’autre.
Lors d’une improvisation, le psychomotricien indique à Martin de regarder
son partenaire ou bien de franchement jouer à l’ignorer, afin de dépasser un
état d’entre deux qui pourrait évoluer vers un refus de jeu de sa part. Monsieur
Méli-Mélo se raidit. Il prend une grande inspiration par la bouche puis bloque
sa respiration. Tout son corps se fige sauf sa tête qu’il tourne lentement vers
son partenaire en disant d’une voix tremblotante mais avec le sourire « Oh
non, non, non. ». Monsieur Méli-Mélo semble se donner du courage !
Aussitôt qu’il croise le regard de l’autre clown, ses yeux fuient en sens inverse
alors qu’il reste tout aussi figé dans sa posture, le visage tourné vers le parte-
naire,! C’est clownesque d’apercevoir uniquement ses yeux bouger pour
jouer à regarder et à échapper au regard de l’autre.
Durant la préparation à l’état de jeu, il m'arrive d’instaurer un jeu avec
Martin lui permettant de détourner le regard quand il le souhaite. Ainsi, nous
nous regardons de loin, nous avançons l’un vers l’autre et, quand nous nous
croisons, nous feignons de nous ignorer. Nous nous regardons seulement du
coin de l’œil. Prenant plaisir à ce jeu, nous en venons à nous surprendre et à
ne plus détourner le regard. Progressivement, nous parvenons à nous regarder
de plus en plus près et de plus en plus longtemps.
Martin est conscient de son évolution. Il aime nous faire remarquer qu’il a
porté attention à son partenaire et au public en les regardant. Nous l’encoura-
geons en ce sens. Par ailleurs, Martin nous surprend par sa créativité, sa façon
de détourner les consignes tout en restant dans le jeu.

6. Déploiement et fragilité de l’aire transitionnelle


en jeu d'improvisation en clown
Nous allons analyser une spécificité du jeu d’improvisation en clown qui
est de « jouer à jouer » et que je conçois comme une prouesse à l’élargisse-
ment de l’aire transitionnelle. Puis, nous nous interrogerons sur ce qui, au
contraire, vient détruire le jeu.

6.1. Le jeu dans le jeu

Le clown regarde le public et lui montre son plaisir à jouer à « faire


semblant » tel un enfant, à construire un monde imaginaire, à jouer un rôle,
à imiter où à s'identifier à autrui. D’un coup d'œil, il vérifie que le public
adhère bien à son implicite « on dirait que je serai un/une.….d’accord ? » « Ce
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 265

monde qu'il construit devant nous, il ne veut pas que nous y croyions vraiment,
parce que lui-même n'y croit qu'à moitié... et même, disons-le, il n y croit
pas du tout. Ce à quoi nous devons croire, c’est à la manière dont il vit
cette construction fragile » (B. Sylvander, 1984, p. 13). Le clown comme
l'enfant ne croit pas en la réalité de son jeu symbolique et passe avec une
fluidité étonnante du monde de la fiction à celui de la réalité et inversement.
À la fin de l'improvisation, le clown fait le bilan de toutes les péripéties qu'il
vient de traverser et donne au public l’état dans lequel il en sort !Il avoue
que « c'était pour de faux » ainsi que son plaisir ou sa peur de s’être mis
dans la peau de tel ou tel personnage. Il admet la fragilité de l'illusion qu’il
a tenté de construire sous nos yeux en la détruisant et en redevenant éminem-
ment concret. Ainsi, le clown revient toujours à la réalité de ce qu’il est et
de ce qui est. C’est ce jeu avec la réalité et l’imaginaire qui est clownesque.
L’humanité du clown vient en partie de l’aveu sur la précarité de l’espace
transitionnel auquel il œuvre.
« Le jeu dans le jeu » consiste aussi à prendre conscience des enjeux rela-
tionnels, qui transparaissent dans la difficulté à jouer entre partenaires et à
communiquer, puis à livrer ces difficultés sur scène en les théâtralisant. Martin
procède à « un jeu dans le jeu » lorsqu'il joue sa difficulté à regarder autrui
ou encore sa recherche perpétuelle de rivalité.

6.2. Quand jouer est déjoué


Selon D.W. Winnicott, l’aire transitionnelle où le jeu, la créativité et le
Soi s’épanouissent, est fragile. Cette précarité se révèle d’autant plus prégnante
en jeu d'improvisation en clown que:
— les frontières entre jeu et réalité comme entre la personne et le person-
nage sont subtiles, puisque le substrat de l’improvisation émerge des éprou-
vés corporels et des affects du sujet dans la relation présente,
— les aller-retours entre la fiction et la réalité, que ce soit dans « le jeu
dans le jeu » ou dans « le jeu avec la règle », sont fréquents,
— le personnage du clown par ses caractéristiques peut évoquer la folie.

Sur scène, se déploie une illusion entre rêve et réalité. Cette aire transi-
tionnelle entre soi, le public et son partenaire devient une voie privilégiée
d'expression symbolique — consciente et inconsciente — de ses fantasmes,
_ de ses désirs, de ses conflits psychiques et de l’angoisse qui y est liée. Ainsi
symbolisés et personnifiés dans la réalité extérieure, la personne peut mieux
les maîtriser et les apaiser. Toutefois, l’excitation pulsionnelle peut à tout
moment menacer le jeu en débordant la capacité du Moi à contenir l'expérience.
D.W. Winnicott affirme que « le jeu est toujours à même de se muer en
266 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

quelque chose d’effrayant » (1975, p.71). Les pulsions sexuelles, destructrices


ou agressives peuvent faire irruption dans le réel et induire un passage à
l'acte, qui anéantit le jeu. Le cadre thérapeutique, le thérapeute directeur de
jeu et les co-thérapeutes en clown étaient la contenance psycho-corporelle
nécessaire pour que le sujet épanouisse son jeu et sa personnalité en toute
sécurité. En revanche, le personnage du clown pourrait être vecteur d’exci-
tation et de débordement en tout genre. Il deviendrait d’autant plus menaçant
si son étrangeté était assimilée à la personnalité du sujet. Le jeu et l’identité du
sujet sont ébranlés si les membres du groupe ne respectent pas la convention
établie du « faire comme si » et donc, s’ils prennent pour vrai ce qui est joué.
Pour éviter toutes confusions, le jeu doit rester une activité séparée de la vie
courante suivie d’un retour à la condition ordinaire. La médiation du jeu
d'improvisation en clown répond à cette nécessité grâce:
— au masque, au costume et au nom de clown, qui distinguent la personne
du personnage,
— à l’espace de la fiction — où jouent les clowns — clairement défini et
dissocié de l’espace de la réalité — où se situent le directeur de jeu, le
public et où la parole sur son propre jeu est partagée,
— au temps de verbalisation où la personne pose des mots sur son « état
de jeu », son personnage et son jeu,
— au cadre thérapeutique lui-même, qui situe spatio-temporellement la
médiation dans la vie de chacun et engage tous les participants au respect
de la « confidentialité » : on ne doit pas parler de ce qui se vit ici aux
autres enfants ou adolescents de l’établissement,
— aux règles du jeu, dont celle du « regard public », qui relie le joueur
tout au long de l’improvisation à la réalité. « Le jeu dans le jeu » avec
l’aveu du «c’est pour de faux! » permet à la personne en clown de se
réassurer en situant clairement son jeu surréaliste et absurde en dehors
de la réalité du monde réel et de la réalité de son monde intérieur.
Toutes ces dispositions — qu’elles tiennent du cadre thérapeutique ou de
la médiation — doivent canaliser de manière positive et constructive l’impro-
visation libre avec le personnage du clown, qui est exubérant et plein de
fantaisie incontrôlée. Au début, Martin a été confronté à cette confusion
angoissante entre personne et personnage. Lorsqu’il ne comprenait pas les
intentions de jeu de ses partenaires ou bien, lorsqu'il craignait de les voir virer
dans le burlesque, 1l faisait le signe qui veut dire « tu es fou ». Or, juger autrui
de « fou » empêche toute possibilité de communication et rompt le principe
fondamental du simulacre. Étoffant progressivement son aire transitionnelle,
Martin s’est de plus en plus sécurisé face au lâcher-prise des membres du
groupe et surtout, face à sa propre potentialité à jouer avec l’imaginaire.
LE JEU D’IMPROVISATION EN CLOWN 267

7. Conclusion

Loin d’être ridiculisés et infantilisés par cette médiation psychomotrice,


les adolescents sont accompagnés dans leur quête identitaire, dans leur besoin
de s'identifier et de s’individualiser, dans leur désir de transgresser (ici, de
façon sublimée), ainsi que vers l'élargissement de leur espace potentiel en
passant par les ressources du corps. Ce corps pétillant de sensations devient
une matière vivante que le joueur pétrit à tour de répétitions, d’amplifications
et de transformations surprenantes. Dans le double réfléchissement de son
corps dans son psychisme et de son expressivité dans les regards du partenaire
et du public, des représentations communes se partagent. Du dialogue de ces
miroirs intérieur et extérieurs, un imaginaire se modèle. Le clown concrétise
et actualise cet imaginaire par une mise en acte symbolique voire symboligène.
Les représentations et les mots prennent corps et le corps prend sens en jeu
d'improvisation en clown comme dans tout processus soignant en psycho-
motricité. Ce jeu engage l’être dans sa globalité psychomotrice et favorise
le renouement avec un corps plaisir, nécessaire à la revalorisation du narcis-
sisme et de l’image du corps. Si au début Martin recherchait la mécanique,
la complexité et la maîtrise du mouvement par la suite, il lâche prise au point
d’avoir plaisir à bouger son corps et notamment son bassin — zone porteuse de
son histoire et de ses difficultés d’identité sexuée. Ses mouvements deviennent
plus harmonieux et sa respiration plus ample. Son expressivité se libère et
plus particulièrement sa voix. Sa sécurité de base s’étant renforcée, Martin
s’ouvre et se montre plus authentique. Il instaure des relations plus empreintes
d’empathie que de rivalité ou de défense face à son angoisse d’intrusion. Le
jeu d’improvisation en clown apporte la sécurité intérieure et la confiance
en soi nécessaires, afin de permettre à notre être de se sentir réel? et à notre
être en devenir de s’inventer et d’agir pour advenir, alors même qu’à l’ado-
lescence ce sont le corps et toute la vie psycho-affective qui se remanient.
D.W. Winnicott évoque la créativité comme nous pourrions parler de
l’état de clown: c’est « la coloration de toute une attitude face à la réalité
extérieure. Il s’agit avant tout d’un mode créatif de perception qui donne à
l'individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue » (1975, p.91).
Une touche de rouge sur le nez ouvre à cette manière d’être au monde pleine
de curiosité, d’émerveillement, d'enthousiasme et d’humour. Le clown ravive
. les couleurs de nos états d’être et notre feu intérieur. Il potentialise notre
humanité et restaure le Soi au sein de son habitacle — le corps, ce « chez soi-en
soi » gratifiant —, où l’on peut se recueillir sous le regard bienveillant d’autrui,
afin de s’accepter avec sa part de vulnérabilité en en jouant et en en riant.
268 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

NOTES

L'expérience théorico-clinique relatée ici est tirée du mémoire présenté en vue de l’ob-
tention du Diplôme d’État de psychomotricité en juin 2003 et intitulé Quand il s’agit
de jouer avec ce que l’on est. le jeu d'improvisation en clown. Réflexion sur une
médiation psychomotrice et l'implication psycho-corporelle du psychomotricien, ainsi
que d’une intervention à la journée d'Études du 28.06.2007 au CMPP Gabriel Péri
d’Aubervilliers.
Je remercie les personnes et les compagnies qui m'ont accompagnée dans mon parcours
de clown: C. Mongodin, F. Calderara, le Bataclown, Clownanbule, Institut National
d’Expression, de Création, d’Art et Thérapie.
M.-F. Zerolo, psychomotricienne qui a proposé la médiation du clown à des adolescents
d’un institut médico-professionnel (Le clown... un chemin possible en psychomotricité,
Thérapie Psychomotrice et Recherches n° 113, 1998).
C: Renard, psychomotricienne qui a été clown auprès d’enfants en crèche (Le rire et
l'enfant en crèche à travers le jeu et le clown, Mémoire présenté en vue de l'obtention
du Diplôme d’État de Psychomotricien, 1998).
Il s’agit de C. Chaye, psychomotricien et acteur-clown, que je remercie chaleureusement
pour le partage de sa pratique.
Le Self winnicottien.
Le corps deviendrait-il alors un « médium malléable » ? (M. Milner et R. Roussillon cités
par C. Potel, 2006, pp. 36-37).
C. Potel parle de « l'effet loupe de la médiation » (2006, p. 46).
La méta-communication est un terme issu des théories systémiques, qui recouvre un des
cinq principes de la communication. Il signifie la capacité de communiquer sur la commu-
nication en passant du contenu de l’échange à la qualité de la relation entretenue entre
les protagonistes. D’après Marcelli D. (1999) Enfance et psychopathologie, Paris :Masson.
(p. 19)
Au sens de D.W. Winnicott, « Se sentir réel, c'est plus qu'exister, c’est trouver un moyen
d'exister soi-même, pour se relier aux objets en tant que soi-même et pour avoir un soi
où se réfugier afin de se détendre » (1975, p.161).

BIBLIOGRAPHIE :
BONANGE J.-B., Le clown et sa fonction sociale : racines, signes et renouveau,
in Le Joker Document, n° 3 bis, Lombez, Le Bataclown, 1999.
CAILLOIS R., Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1967.
CYRULNIK B., L'ensorcellement du monde, Paris, Odile Jacob, 1997.
POTEL C., Corps brûlant, corps adolescent. Des thérapies à médiation corpo-
relles pour les adolescents ?, Ramonwille-Saint-Agne, Erès, Coll. L’ailleurs du
corps, 2006.
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 269

ROGERS Carl R., Le développement de la personne, Paris, Dunod, 1998.


SHELEEN L., Théâtre pour devenir. autre, Paris, E.PI, 1988.
SYLVANDER B., Rechercher son clown se trouver soi-même, in Le Joker
Document n° 1bis, pp. 10-22, Lombez, Le Bataclown, 1998.
WINNICOTT D. W., Jeu et Réalité. L'espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975.
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Quand la voix prend corps
pour se faire entendre
PASCALE POIRIER

«Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,


Et j'en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. »
A. de Musset

Psychomotricienne, formée au travail de la voix et du chant, j’anime


depuis plusieurs années un atelier d'expression vocale auprès d’adultes en
difficulté. Leurs difficultés de nature diverses traduisent une souffrance
psychique, un « mal-être » et ont pour dénominateur commun la rupture des
liens sociaux, la dépression et le risque suicidaire.
La voix, le chant comme source de rencontre avec soi-même et les autres ;
la voix, le chant comme expression de soi vers l’autre : j'aimerais vous faire
part de l’intérêt de cette pratique autour de la médiation vocale auprès de
personnes en souffrance.
Pour cela j’aborderai trois points :
— Le premier sera une réflexion sur la créativité, sur l’articulation entre
l’espace de création et l’espace thérapeutique. Je m’appuierai sur les travaux
de Winnicott : le jeu, la créativité.
— Le deuxième point éclairera en partie la place de la créativité au regard
de la problématique dépressive.
— Dans la troisième partie, je développerai plus précisément le travail
d’expression vocale en pointant ce que la voix peut mobiliser et mettre en
œuvre.
Mais auparavant, une présentation succincte de l'institution et de son
projet.
272 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

1. Le cadre institutionnel

Cet atelier d'expression vocale a lieu dans un centre social spécialisé,


dont la vocation est de lutter contre l’isolement et le suicide, situé dans le
cadre de la sectorisation psychiatrique, financé par la sécurité sociale avec
une mission de service public.
L'équipe est composée de secrétaires d’accueil, de psychologues, d’inter-
venants ayant une pratique artistique et une formation de thérapeute (art-théra-
peute, psychomotricien, psychologues), et d’un médecin psychiatre. Ce
dernier assure un travail de supervision et peut être amené à recevoir ponc-
tuellement une personne en grande difficulté pour laquelle une hospitalisation
est à envisager.
Le projet thérapeutique du centre s’articule autour de trois pôles :
— les entretiens psychologiques ;
— les groupes d’expression artistique à visée thérapeutique;
— les réunions institutionnelles qui rassemblent toute l’équipe.

Les entretiens psychologiques vont permettre un travail d’élaboration


dans le but de retrouver un état d’équilibre satisfaisant.
Les groupes d’expression artistique ont pour objectif d’ouvrir un espace
de création à travers différents médiateurs tels que l’expression corporelle,
vocale, le théâtre, la peinture, l’écriture afin de restaurer des capacités de
communication bien souvent défaillantes ou entravées. Les groupes sont hebdo-
madaires, semi-ouverts avec un maximum de douze participants. Après avoir
choisi un atelier, chacun s’engage à venir régulièrement sur une période assez
longue, généralement huit à neuf mois avec une durée maximale de deux ans.
Les absences motivées ou non seront plus ou moins fréquentes en fonction
des problématiques individuelles : pour certains une présence sans défaut
rompant un isolement quasi absolu, pour d’autres, enfermés dans leur douleur,
leur irrégularité témoigne de la violence qu’il y a à se dégager du repli sur
soi, pour venir dans un groupe. Tout cela est parlé à la fois ensemble et repris
individuellement en entretien. Ainsi, être attendu, nommé même lorsque l’on
est absent, savoir que le groupe s’est inquiété d’un plus ou moins long silence,
sont les marques d’une inscription sociale à minima : «Pour les gens du
groupe, j'existe », une relation avec les autres subsiste.
Le projet de soin s’appuie sur cette double approche singulière et groupale,
sur la synergie d’un travail d'élaboration personnel et d’un travail en groupe
avec une médiation artistique.
Proposer un espace d’expression et de création est une des réponses que
l'institution présente pour lutter contre l’isolement et la dépression.
Nous allons voir ce que sous-tend un tel choix.
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE 273

2. Espace de création-espace de symbolisation

2.1. Du jeu de l’enfant à l'expression chez l'adulte


Je pense que ces ateliers ont pour objectif de restaurer ou réintroduire
une capacité à jouer. C’est la façon dont j'envisage en particulier l’atelier
vocal. Un enfant qui joue est un enfant en bonne santé, qu’en est-il pour
l’adulte?
Que fait l'enfant quand il joue ? Il éprouve du plaisir, en cela il renforce
son narcissisme, il transforme ses éprouvés, il réaménage la réalité extérieure
et sa réalité intérieure, il cherche à maîtriser ses angoisses, il exprime ses
fantasmes, ses désirs.
Winnicott situe les expériences culturelles, artistiques dans le prolongement
du jeu de l’enfant.
C’est en jouant que l’enfant peut s’approprier les expériences plus ou
moins traumatiques qu’il subit, l’adulte dispose, entre autres, des activités
artistiques pour ce faire.
«C’est en jouant et seulement en jouant que l’individu, enfant ou adulte,
est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité tout entière 1.»
Lorsque Winnicott parle de la créativité c’est en lien avec la qualité de
la vie, la façon de vivre sa vie, la créativité « donne le sentiment que la vie
vaut la peine d’être vécue » 2.
Jouer, créer, inventer, sont les manifestations d’une vie que l’on prend en
main et donnent le sentiment d’exister.

2.2. Les ateliers d'expression artistique


Lorsque Winnicott parle d’aire transitionnelle, d'espace potentiel, il
souligne l’importance de l’expérience. C’est bien d’expérimentation dans
un groupe dont il est question, expérimentation au moyen d’un matériau
spécifique qui peut être la danse, l’écriture, la peinture, le théâtre ou la voix.
C’est en tout cas la palette qui est proposée dans l'institution où je travaille :
ce sont des médiateurs artistiques. :
Ces ateliers vont fonctionner comme un lieu et un temps pour explorer
et permettre que la créativité de chacun se déploie. Ce n’est pas l’appren-
tissage d’une technique qui est visée, mais l’expression de chacun venant se
_ concrétiser par la création de formes, d’objets, spécifiques à chaque médiateur.
C’est l'accès et/ou la restauration de la capacité à créer qui est recherché,
ainsi que l’instauration d’une aire de jeu.
Il s’agit d'inviter le groupe à mettre en œuvre, mettre en mouvement, à
mettre hors de soi, à faire exister, quelque chose qui devient saisissable,
274 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

palpable, audible, visible, transférant sur le matériau ce qui n’était pas repé-
rable ou pas encore porté à la conscience. C’est une mise en mouvement et
une mise en forme des émotions, des sensations inélaborées. C’est une trans-
cription des éprouvés qui ne sont pas encore reconnus. Ni interprétation du
résultat, ni valorisation de la production, ce qui va nous intéresser, c’est le
mouvement de création que cela suppose : passage du dedans vers le dehors,
la mise en route de processus de symbolisation et de subjectivation. Nous
sommes dans le registre de la symbolisation primaire, dans la fabrication de
représentation de choses (Anzieu) passant par la matérialité, la concrétude.
Les ateliers d'expression agissent à un double niveau : ils engagent le
corps et ses éprouvés; ils engagent une mise en actes, un passage par l’acte
qui n’est pas passage à l’acte. L'expression permet plus ou moins la trans-
formation de ce qui était contenu au-dedans de soi vers et dans un espace
au-dehors en une forme communicable et partageable. Il me semble que ce
travail sur l’expression est une façon de répondre à l’invitation de Winnicott :
«donner une chance à l’expérience informe, aux pulsions créatrices, motrices
et sensorielles de se manifester ; elles sont la trame du jeu 3».
Instaurer un espace d’expérience, un jeu d’expression, ne va pas de soi.
Le groupe, lorsqu'il est constitué, va servir de matrice. Par la tolérance, par
la diminution du jugement, par la cohésion du groupe, chaque participant aura
la possibilité de se réapproprier une expérience de malléabilité de l’environ-
nement, expérience qui a été en faillite lorsqu'il y a dépression.
Cette expression en groupe aura des propriétés transnarcissiques ainsi
nommées par À. Green : ce qui est exprimé par un des participants peut
toucher, affecter les autres membres du groupe. Ainsi s’établissent des inter-
relations, pour être avec les autres il faut un minimum d’identification.
À présent, je vais envisager l’intérêt plus spécifique qu’il y a à favoriser
l'instauration d’un espace d’expression et de création, au regard de la problé-
matique dépressive.

3. Créativité et dépression
Les personnes qui fréquentent le centre souffrent de dépression et d’isole-
ment. Pour certains, la dépression est installée depuis longtemps, pour d’autres,
elle s’est manifestée, on pourrait dire révélée lors d’une crise, d’une perte,
celle d’un proche, d’un emploi.
Nous avons tous à faire avec l’état dépressif4 à travers des pertes, des
ruptures, des changements, des deuils qui jalonnent la vie, mais chacun a
des moyens différents pour y faire face et nous ne sombrons pas tous dans
la dépression.
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE 275

La dépression est la problématique du deuil impossible. «La personnalité


dépressive nous paraît incapable de se dégager de la problématique de la pertes.»
La plupart des cliniciens qui se sont interrogés sur la dépression s’accor-
dent à penser qu’elle s’origine dans l’enfance.

3.1. Dépression et enfance


Chaque perte ou deuil fera écho à la première perte, celle de la mère, ce
moment où l’enfant réalise peu à peu qu’il est différent d’elle. Au cours de
son développement, l’enfant passe d’une position de toute-puissance — il est
dans l'illusion que le monde est créé par lui — à une position où il se rend
compte peu à peu de sa dépendance à l’autre.
Cela engendre de la souffrance, l’enfant fait l'expérience de la
« Hilflosigkeit » (Freud) : se sentir impuissant, incapable. Il éprouve un senti-
ment de détresse : «helplessness ». Il ressent également de l’hostilité envers
l’objet qui ne le satisfait plus. Il y a alors confit. Si la manifestation de cette
agressivité ne peut être tolérée par l’environnement ou par le sujet lui-même,
cette hostilité est retournée contre lui.
: «L’affect dépressif naît donc à cette époque charnière de la vie, lors du
dépassement de la toute-puissance, de la fusion, au moment de la séparation
pour devenir lui-même 6.» Lorsque ce passage est mal élaboré, en particulier
lorsque l’environnement maternel n’est pas suffisamment soutenant, gratifiant,
s’installe alors une certaine vulnérabilité, ce que nous retrouvons chez la
personne dépressive.
Pour faire face à la perte qu’il rencontre dans ses expériences de séparation,
de désillusions qui est «perte de l’omnipotence et non de l'illusion », nous
dit Haynal 7, l’enfant va chercher à recréer l’objet perdu par l’intermédiaire
d’images, de pensées, de langage. Pour dépasser l’expérience de sa
«Hilflosigkeit », l'enfant va investir de nouvelles modalités de plaisir et
d’autonomie et développer une capacité à restaurer l’objet perdu. Pour que
cela se produise, il est nécessaire que l’environnement de l’enfant favorise
et soutienne ces changements. C’est un passage capital car c’est ce qui permet
l’entrée dans le langage, la création de symboles et de représentations.
Rappelons que la phase de séparation, de désillusion commence très tôt, aux
alentours du troisième mois de l’enfant.

3.2. L'espace transitionnel : un lieu pour expérimenter


la séparation et la perte de l’objet
Winnicott désigne l’espace transitionnel comme étant le lieu où s’expé-
rimente et s’aménage la séparation entre l’enfant et sa mère. La transition,
276 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

le passage progressif de l’état de fusion à l’état de séparation s’opère dans


cette aire intermédiaire.
Pour cela, il est nécessaire que la mère facilite, autorise, investisse des
jeux, des échanges entre elle et son enfant. C’est elle qui introduit des objets
intermédiaires qui permettent l’acquisition de nouvelles aptitudes. Ces
nouvelles capacités ainsi développées sont sources à leur tour de narcissisme
et vont permettre de supporter la séparation.
Nous voyons là toute l’importance de l’aire transitionnelle, sans doute
faiblement investie chez le dépressif.
«La réaction dépressive de base serait donc une réponse particulière à une
situation douloureuse, accompagnée de sentiments d’incapacité à restaurer
une condition satisfaisante 8. »
Dans les ateliers d'expression artistique nous tentons de restaurer cette
aire intermédiaire où se déploie la créativité.

3.3. Dépression et vulnérabilité narcissique


Ce qui caractérise la personne dépressive, c’est la perte de l’estime de soi,
le sentiment d’être incapable, impuissant, mauvais, sans espoir. Un désespoir
qui peut conduire à un geste suicidaire. Il y a une vulnérabilité narcissique
chez le dépressif. Il n’a pas assez reçu de provision narcissique. Aussi, plus
que tout autre, il y a chez la personne dépressive un intense besoin de grati-
fication : besoin d’être aimé, soutenu, encouragé.
Le groupe, parce qu’il peut favoriser un étayage narcissique, est une
réponse possible à cette vulnérabilité.

3.4. Créativité et perte


«Au-delà de la capacité de préserver l’objet à l’intérieur de lui-même,
l’homme est poussé à le recréer à l’extérieur, parfois embelli, idéalisé pour
être sûr que le traumatisme de la perte est ‘“non-arrivé” 9.» Mnémosyme,
représentante de la mémoire, est la mère des neuf Muses, la mémoire, qui
permet de garder à l’intérieur, d’évoquer, de se souvenir.
G. Roheim (1943) parle de la culture comme d’une tentative désespérée
de l’homme, «un effort formidable d’un bébé qui a peur de rester dans
le noir ».
Nous venons de voir que la restauration de l’objet perdu pouvait s’accom-
plir en particulier dans l’aire intermédiaire où se déploie la créativité.
Ce travail d’expression autour d’une médiation artistique n’est pas un
travail d'élaboration qui permettrait de comprendre les origines de la douleur
psychique, mais, par le renforcement narcissique et par la création de
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE CT

symboles, formes partageables et communicables., cela peut permettre à


chacun de lutter contre la dépression et de se réinscrire dans une relation aux
autres.

4. L'atelier d'expression vocale


Le chant serait-il l'expression humaine la plus ancienne, celle qui porte
les émotions, les passions, l’invocation aux dieux. Chant de travail ou chant
religieux, berceuses ou lamentations, le chant accompagne les gestes, les
rituels, les événements de la vie. Il est ce qui amplifie la voix.
La voix nous dit l'humain, chacun est reconnaissable à sa voix. Je peux
entendre au son de la voix les émotions qui filtrent : peur, joie, tristesse ou
bien alors dans les voix monocordes, détimbrées, le déni de toute intimité,
la coupure d’avec son monde intérieur.
« Dans la voix, le souffle de la vie et le son des mots s’articulent en une
vibration unique qui dit le sujet vivant dans un rapport aux autres 10.»
C’est parce que la voix est intimement reliée au corps que cela intéresse
ma pratique de psychomotricienne. J’aimerais vous parler de ce qui se
travaille, se tisse, se déploie au cours d’un atelier d’expression s’adressant
à des personnes dépressives, suicidaires. Donner de la voix pour se faire
entendre serait une autre façon d’intituler cet atelier ou encore quête de sa
voix, quête de soi.

«pour ne plus être trahi par ma voix


pour me faire entendre
pour oser parler aux autres
pour me forcer à parler
le son de ma voix ne peut passer ma gorge
vaincre ma timidité
Me réconcilier avec ma voix. Elle m'a trahi

je n’aime pas ma voix


pour communiquer
pouvoir s’imposer face aux autres
je veux m'’affirmer
j'ai peur de ce qui va sortir
parole bloquée, parole étouffée »

Voici ce qu’expriment les participants à leur arrivée dans le groupe vocal.


D'autres ont peine à parler et à énoncer ce qu’ils recherchent. |
Cela pourrait se formuler ainsi : venir travailler sa voix pour pouvoir
parler. La voix est ici désignée comme objet à façonner afin de donner accès
278 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

à une parole qui s’imposerait à l’autre. Ou encore, venir travailler sa voix


pour ne plus être trahi, afin qu’elle ne révèle plus les émotions, qu’elle ne
laisse plus passer les débordements intérieurs. La voix est alors pointée
comme lieu de trahison de son intimité, la demande étant de vouloir maîtriser,
contrôler sa voix afin de faire barrage à ce qui viendrait du dedans de soi.
On peut repérer que les formulations sous-entendent la présence d’un
autre : recherche d’une voix pour parler et se faire entendre sans se dévoiler.
Ce qui est visé n’est pas le contenu de la parole mais l’effet qu’elle produit
sur l’autre. Il y a une demande portée par une plainte, celle de ne pas être
satisfait de sa voix, de ne pas être entendu.
Cela différencie le groupe d’expression d’un cours de chant où l’on vien-
drait se forger une belle voix bien que, comme le souligne J. Rondeleux,
«s’ilest possible de travailler techniquement sur la voix, les changements
réels n’opéreront qu'avec un changement psychologique 11.»

La voix a le statut particulier d’être prise dans le corps et substrat de la


parole. Il n’est pas possible de proférer une parole sans une voix, 1l n’y a pas
de voix s’il n’y a le corps 12. Or le parti pris que je prends dans l’animation
de cet atelier c’est de travailler la voix comme matière sonore, c’est-à-dire
en amont de la parole. Comme d’autres peignent, modèlent, sculptent, nous
allons, dans le groupe d’expression vocale, explorer les couleurs, le timbre,
les hauteurs, l’intensité de la voix, mais aussi des jeux de voix autour des
sons articulés, improvisations chantées.
S’exprimer par la voix n’est pas d’évidence. La matière à moduler est à
inventer et à produire en soi, directement. Il n’y a pas de toile, de pâte, sur
lesquelles agir, tracer. Il n’y a pas d’instrument intermédiaire. Cela invite
d'emblée à une certaine régression qui rejoint l’infantile en chacun : jeux de
bouche et de sons du tout-petit, ou bien fait craindre un débordement dans
l’insensé puisque le langage articulé est mis en grande partie de côté.
Régulièrement les participants s’assurent de l’hermétisme des fenêtres,
s’inquiétant d’être entendus et pris pour des fous. Aussi, je vais passer par
le biais de la voix chantée afin de proposer une forme plus référée sociale-
ment, de plus la voix chantée requiert un plus grand ancrage corporel.
Nous voyons là l'importance du cadre, c’est dans ce lieu et ce temps que
le jeu d’exploration vocale se réalise, dans le groupe qui contient et rassure.
Il est nécessaire que la confiance puisse se déployer. Cela se réalise peu à
peu avec la répétition des séances et la diminution du jugement.
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE
279

4.1. La voix s’arrime dans le corps

Donner de la voix est essentiellement un geste corporel. Si la voix est un


phénomène acoustique, elle est produite par un instrument : le COrps, traversé
par une énergie, l’air. «La mécanique vocale, qui est un instrument à vent,
est ainsi formée de trois parties :
— un soufflet : l'appareil respiratoire qui fournit l'énergie nécessaire au
son, sous forme d’un courant aérien;
— un générateur sonore : les cordes vocales ou pour les consonnes, la
langue, les lèvres, les dents qui transforment l’énergie aérienne en énergie
sonore;
— des résonateurs : le pharynx, la bouche qui amplifie le son 13.»
— des appuis corporels pour soutenir la colonne d’air : pieds, plancher
pelvien, côtes, dos, diaphragme.

4.1.1. La détente

Avant toute émission sonore, c’est la détente corporelle qui est conviée.
Premier étonnement, la délocalisation de la voix. Les participants s’atten-
daient à fournir leur effort dans la gorge, siège des cordes vocales ; c’est
ailleurs qu'il leur est proposé de porter leur attention : sur le corps en son
entier, dans une recherche de détente.
Dans la relaxation, le thérapeute autorise et favorise un investissement
narcissique du corps, corps dont on peut prendre soin, qui peut être source
de plaisir et de bien-être. Il y a là la possibilité d’une restauration narcissique
importante. Dans ce premier temps de groupe, les personnes sont allongées
dans une demi-obscurité, j’instaure un contact par ma voix, un bain sonore
porteur, enveloppant. Les mots pour guider la relaxation sont prononcés au
plus près de leur sensorialité de leur ancrage corporel. Ceci est valable pour
tout thérapeute en relaxation. Ce dispositif de détente passive induit une
situation qui réactualise des expériences primaires de maternage. Il s’instaure
un lien porté par une voix introduisant un corps à corps sans le toucher. Nous
sommes dans le registre du maternel, de l’oralité : une voix qui nourrit, qui
berce, qui entoure. Les difficultés, les résistances que les participants rencon-
trent sont en écho à ce qu’ils ont intériorisé au cours de leurs premières
expériences de soins dans leur petite enfance.
Dans les premiers temps du groupe, les participants connaissent une
grande difficulté à accéder à une certaine détente : impossibilité d'investir
des sensations corporelles, absence de ressenti, prédominance des pensées
obnubilantes comme un accrochage à quelque chose de connu de soi : son
«mal-être ».
280 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Les visages et les corps sont tendus, torturés, grimaçants de douleur, non
physiques, mais mentales ou à l’inverse visage impassible, inexpressif, hors
d’une inscription dans le temps.
Progressivement, il devient possible de localiser dans le corps les tensions,
puis au fur et à mesure d’entrer dans une certaine détente, de s'endormir
parfois pour certains. Il est toujours surprenant de voir, après le temps de
relaxation, combien les visages se sont transformés : il peut se lire non plus
la fixité ou la lutte, mais la fatigue, la tristesse, plus accessible, plus nuancée.
Je sollicite un temps d'échanges, à la fin de ce moment de détente, sur ce
qui a été ressenti, éprouvé : silences lourds, rétention de la parole, position
de repli sur soi, puis avec la répétition des séances, des échanges plus riches
et plus vivants s’installent même pour dire que cela ne fonctionne pas.
Un «dire » qui s’appuie sur des éprouvés, qui se teinte d’affects audibles
dans le ton de la voix.
Dans le décours de l’année, les participants trouvent comment aménager
leur position pour être le plus confortable possible, retrouvent la possibilité
pendant le temps du groupe de s’auto-materner, en quelque sorte, de prendre
soin d’eux.

4.1.2. Respiration
C’est également une invitation à laisser s’installer une respiration
costo-abdominale, souple et continue sans pour autant entrer dans un appren-
tissage mécanique d’une technique respiratoire. Invitation à un «laisser
faire », un «lâcher prise ».
La respiration peut être entendue comme une métaphore dans le corps de
la manière d’être en relation avec le monde extérieur. Elle est passage de dedans
vers le dehors et inversement : peur de se vider qui provoque la rétention, peur
de manquer d’air, respiration forcée dans l’exercice d’une maîtrise, respiration
à peine perceptible, à peine oser être là, comme pour passer inaperçu. Le
blocage des inspirs joue le rôle d’une carapace protectrice.
Les difficultés, résistances à laisser s’installer une respiration souple et
ample, témoignent des blocages-crispations dans les zones corporelles
concernées par le mouvement respiratoire (thorax, dos, ventre). Je rappelle
qu'il n’y a pas de technique mais une simple invitation à porter son attention
sur la respiration. Les changements, lorsqu'ils se produisent, s’opèrent dans
la détente.
Ce type de respiration, proche de celle du bébé quand il se repose, permet
d'installer une continuité de mouvement entre le bas et le haut du corps, entre
le devant et l'arrière, renforçant ainsi la perception d’un volume corporel unifié,
la perception de soi dans un corps vivant, en mouvement et dans son entier.
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE 281

4.2. Émettre des sons

4.2.1. Le corps résonne


Vient le moment de l'expression vocale : émettre des sons en appui sur
le corps et sur le souffle, recherche des résonances dans les différents lieux
de passage de la voix : pharynx, larynx, sensation de la colonne d’air dans
les poumons, au niveau du diaphragme.
Pour cela, nous retrouvons la position verticale, les appuis plantaires. Les
gestes corporels vont initier le geste vocal. M. Serres décrit avec la poésie
qui lui est propre, comment porter la voix hors du corps.
«La voix vole si les ailes du verbe vous poussent aux chevilles ;vous
reconnaîtrez que vous pouvez parler, chanter, incarner le verbe dans votre
corps, au bonheur des genoux et des métatarses..… La voix volante vient de
la terre par le corps-volcan. L'âme vente de plain-pied 14, »
Trouver les appuis de la voix dans le corps, appui en avant et en arrière,
voix de tête et thorax, cela permet un réinvestissement du corps comme
source de sensations et de plaisir. Geste corporel de par la mobilisation des
appuis mais aussi effets de vibration et de percussions sur le corps par la
transformation de l’air en son, il y aurait dans l’émission vocale et plus parti-
culièrement dans le fait de chanter une façon de réinvestir et peut-être de
restaurer l’enveloppe tactile corporelle.

4.2.2. L'improvisation vocale


Après l’exploration de sa palette vocale, nous allons vers des moments
d’improvisations collectives. La production d’un unisson fait vivre à la fois
une unité, un accord groupal renforçant ainsi l'illusion d’une communion
mais, à l’opposé, fait surgir le risque d’une fusion dans laquelle on pourrait
se perdre, signe d’une identité fragile.
Nous inventons, trouvons nos polyphonies, improvisations de chants où
les voix s’entrecroisent, dans leurs différences cette fois : graves et aigus,
sons tenus ou syncopés, mélodieux ou proches du cri ou de la voix parlée.
Ainsi, les voix se mêlent, s’affrontent dans une surenchère parfois, pour peu
à peu se conjuguer, s’articuler dans une production musicale groupale. Nous
passons du brouhaha à une harmonie qui s'établit grâce à l’établissement
d’une écoute mutuelle. Dans la profusion des voix, les personnes les plus
réservées se risquent à émettre des sons, s’autorisent à projeter leur voix, en
appui sur le groupe.
L'improvisation vocale va conduire le groupe à une recherche d’harmonie,
à trouver un rythme commun : expérience d’accordage qui conduisent à la
282 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

compréhension mutuelle et à la tolérance. Nous sommes dans l'illusion d’une


communion nécessaire pour que la confiance se rétablisse.
Ces jeux d’improvisation peuvent s’apparenter à une scène famuliale où
chacun tente de trouver une place, en opposition, en association, en couple
ou dans le silence.
Nous échangeons ensuite sur ce qui a été ressenti, entendu, perçu.

4.2.8. Petite ritournelle


Le groupe se sépare après avoir chanté une chanson faisant partie du
répertoire social (chanson d’enfance ou contemporaine), ou bien encore 1l
improvise sur un air tout simple, une petite ritournelle que chacun emportera,
un petit air de musique que chacun aura loisir de retrouver pour lui-même
dans sa solitude.

5, Voix et narcissisme

Par ces jeux vocaux, s’agirait-il, d’une certaine façon, de réactualiser


l’enveloppe sonore, celle qui s’est constituée dans les tout premiers temps
de l’enfance ?
D. Anzieu parle, dans un ouvrage sur le narcissisme, «de l’enveloppe
sonore du Soi, dans l’expérience du bain de sons, concomitante de celle de
l'allaitement... La combinaison de ces sons produit a) un espace-volume
commun permettant l’échange bilatéral (alors que l’allaitement et l’élimi-
nation opèrent une circulation à sens unique) ; b) une première image (spatio-
auditive) du corps propre ; c) un lien de réalisation fusionnelle avec la mère
(sans quoi la fusion imaginaire ne serait pas ultérieurement possible) 15».
La voix est réinvestie dans son ancrage corporel et devient source d’une
activité auto-érotique et narcissique, par le plaisir de s’entendre émettre des
sons. Ces jeux vocaux peuvent évoquer les premiers jeux exploratoires sonores
du tout-petit ou de l’enfant quand il accompagne son jeu d’une production
sonore faite de mots, de cris de sons modulés, véritable ligne musicale qui
suit toute la vitalité du jeu.
C’est une invitation à contacter l’enfant en chacun, et peut-être à réin-
venter, restaurer ces premières expériences de communication sonore entre
l'enfant et sa mère. «La mère, plus que d’enseigner la langue, tente de commu-
niquer par sa voix 16,» Ces jeux de voix échangées, ce plaisir à parler, mais
aussi à s'approcher au plus près de ce que l’enfant émet seront le soubassement
de l’investissement dans la parole, du plaisir à parler et, au-delà du plaisir
du partage affectif.
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE 283

En proposant ces jeux d’exploration, ce qui donc ést recherché, c’est le


réinvestissement pulsionnel et narcissique de la voix.
Voici ce que dit M.F. Castarède : «Toutes les activités artistiques font
appel à la sublimation, mais il existe une hiérarchie des arts, en fonction de
la qualité et de la précocité du narcissisme qui est impliqué. Assurément plus
proches de la sphère maternelle et des toutes premières ébauches du narcis-
sisme primaire seraient les arts du sonore 17.»

6. Transitionnalité et voix
Lorsque l'enfant gazouille, vocalise, il reproduit en lui les échanges qu’il
a eus avec sa mère, jeux de bouche auto-érotiques, réminiscence de l’expé-
rience partagée avec sa mère.
La voix est le premier lieu pour évoquer la mère, et au-delà la qualité de
leur échange, le plaisir et la créativité de ce partage, à condition bien sûr que
celle-ci ait nourri ces jeux de voix.
«La manipulation, que l’enfant peut faire à sa guise des «sons », et ce
plaisir conjugué qu’il prend à les faire entendre facilitent grandement leur
investissement transitionnel. La phonation est une décharge motrice qui
permet l’expulsion (agressive) sonore et réactive des traces mnésiques liées
aux mouvements libidinaux de l’allaitement et des soins maternels 18.»
Vocaliser, jouer avec les sons, retrouver ce plaisir de bouche et d’oreille,
permettraient, d’une certaine façon, de réactualiser ces premiers échanges
de l’enfant avec sa mère.
Réinvestir une palette vocale, les couleurs et les variations de la voix
serait une façon de réintroduire du jeu et de l’invention figurant, équivalant
du premier lien avec la mère : y aurait-il, dans cette exploration vocale, la
quête du lien avec l’objet perdu au travers de la voix : tentative de le re-créer ?
Rappelons combien dans la dépression il y a difficulté à métaboliser et
symboliser le lien mère-enfant.

7. Voix et émotion
Nous travaillons la voix dans sa valeur expressive. Il y a alors des affects
et des émotions. Joie, peur, triomphe, colère, surprise, vont ainsi se faire
entendre pour mieux s’appréhender, tel l'enfant recréant dans son jeu une
situation qu’il a subie et qu’il cherche à maîtriser en en devenant acteur
agissant. Au plus près du fredonnement, de la berceuse, la voix est tendresse,
mais au plus près du cri, de l’éclat, de la vocifération, elle est l'expression
de l'agressivité et de la colère qui se trouvent ainsi révélées.
284 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Il est possible de faire jouer des registres contraires : faiblesse/puissance,


douceur/agressivité, enveloppe/percussion, qui peuvent conduire à l’amorce
d’un accès à l’ambivalence et à sa reconnaissance. Rappelons que l’expression
de l’agressivité est très souvent inhibée chez la personne dépressive.
La voix nous donne accès à des émotions profondes. Le trop-plein
d’émotion s'exprime dans le cri, le son inarticulé qui échappe. Par le chant,
improvisé ou connu, c’est une tentative de transformer ce débordement en
une forme audible et recevable.

8. Voix et imaginaire
Dans ce jeu, un écart est introduit entre l’image de soi et une autre
perception de soi. Par l’amplification, les jeux d’écho, la dramatisation, c’est
un théâtre sonore qui prend place, ouverture à l’imaginaire, à la fantaisie.
Cela produit un décentrement, «c’est moi et pas moi», c’est la venue de
personnages intérieurs qui expriment une part de soi jusqu'alors dérobée,
camouflée, des images peuvent s’y associer, des souvenirs peuvent resurgir.

9, Donner de la voix pour se faire entendre


La voix est d’emblée prise dans l’appel. Au premier cri de l’enfant
nouveau-né, qui était une simple décharge motrice pour évacuer une tension
l’entourage donne une intention de communication. Le cri, dès le début, est
investi d’un pouvoir d’agir sur l’autre. « De cri pur qu’il était, il devient un
cri pour, pour quelque chose, pour quelqu'un 19.»
Donner de la voix est d’emblée appel, appel d’un autre, d’aide, de présence.
Dans les jeux de voix que nous explorons dans l’atelier, voix qui s’en-
trecroisent, rebondissent reprennent en écho, en chœur c’est une façon de
transformer, de jouer avec cet appel, de le déployer, de le faire entendre.

Lorsque l’affirmation de soi prend plus d’ampleur, cela devient se faire


entendre, même au prix de ne plus entendre l’autre. Ainsi, après une phase
d’inhibition, de grande retenue, lorsque le plaisir à donner de la voix se fait
plus grand, il y a une phase de jubilation à déployer sa voix, haut et fort sans
discontinuité, dans un plaisir évident à remplir l’espace.
Dans une improvisation collective à partir d’une note tenue (bourdon)
qui donnait une assise à cette production sonore, un des participants venait
de déployer son chant avec nuance et inventivité ;lors du temps d’échange
qui fait suite à chaque exercice, il se plaignit, et la colère était proche, du
sentiment de n’avoir pas été entendu. Il fut étonné des retours du groupe qui
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE 285

put lui préciser les moments et là qualité de son intervention. Pour lui, se
faire entendre équivalait fantasmatiquement à imposer silence aux autres. Il
nous relata par la suite les souvenirs douloureux d’une situation de son enfance
où il devait chanter face à un auditoire complètement indifférent.
Dans la mythologie, Narcisse et Echo sont présentés ensemble. Parce que
Narcisse n'entend pas sa demande d'amour, Echo dépérit, devient une voix
condamnée à répéter les dernières syllabes de celui qui parle, ayant perdu
tout discours personnel.
«Si le miroir sonore ou visuel ne renvoie au sujet que lui-même, c’est-à-
dire sa demande, sa détresse (Echo) ou sa quête d’idéal (Narcisse), le résultat
est la désunion pulsionnelle libérant les pulsions de mort en leur assurant un
primat économique sur les pulsions de vie 20.»

10. Conclusion

Bien souvent, à écouter tel ou tel participant dire son isolement et son
désarroi, sa détresse, il me vient en pensée : «à quoi bon ? » Je suis moi-même
prise dans un sentiment d’impuissance.
La «disparition » brutale d’un des membres du groupe, sans explication,
l’attente vaine qu’un autre pourra revenir, font vivre au groupe qui tente de se
constituer une enveloppe solide et vivante des attaques mortifères difficile-
ment métabolisables. Chaque début de groupe lorsque je suis confrontée aux
visages fermés, douloureux, à la lourdeur, la pesanteur qui émane de chacun,
je me demande comment le groupe parviendra à se dégager de cette emprise
morbide.
Le travail sur le souffle (et sa légèreté ?), sur les appuis corporels, l’invita-
tion au jeu et à l’expression permettent peu à peu la circulation d’un mouve-
ment, d’un son, et la transformation des affects. De l’unisson à la polyphonie
nous restaurons une aire de communication. Ce que je constate au fur et à
mesure du déroulement du groupe est l’investissement des échanges de
paroles pendant le groupe, comme après.
Chanter, moduler sa voix invitent à parler, les échanges deviennent de
plus en plus authentiques : partage d'émotions, évocation de sa détresse, de
son découragement, mais aussi de son plaisir et l’affirmation de ses désirs.
Se rendre compte que d’autres connaissent cela également. Reconstitution
‘d’un lien aux autres, alors que l’isolement régnait en maître jusque-là.
Les psychologues qui reçoivent les personnes en entretien témoignent
d’un changement dans la tonalité du discours, dégagement de la plainte
répétitive et tournant sur elle-même, vers une parole plus nuancée et plus
incisive.
286 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Je voudrais dire, en guise de conclusion, combien cette expérience groupale


autour de la voix et du chant peut être source de plaisir et de partage. Elle
met en contact avec des expressions profondes et sensibles de soi, parta-
geables avec d’autres. Expérience qui réengage la globalité de l'être.
Rousseau 21 nous dit : «Ce n’est ni la faim, ni la soif mais l’amour, la
haine, la pitié, la colère qui ont arraché (aux hommes) les premières voix...
Voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant
d’être simples et méthodiques.»
La voix vient du corps, c’est-à-dire du sensible en nous. La vive voix,
c’est le contraire de la lettre morte et de la langue de bois 22.
La voix que l’on donne à entendre n’est jamais saisissable, aucune emprise
sur elle, elle est toujours à recréer. Lorsque l’ancrage de la voix et du corps
se réalise, plus que jouissance, il y a réjouissance : ce moment éphémère
d’un accord entre ce qui est éprouvé et ce qui est exprimé.
Chanter à plusieurs, c’est se sentir vivant dans son corps en relation aux
autres, c’est exprimer sa voix dans sa singularité parmi les autres.
Ce travail à partir de la médiation vocale illustre la place primordiale
réservée à la mise en œuvre du tissage entre corps, affects et expression qui
ouvre à la symbolisation et au sentiment d’existence. Il témoigne également
de la place accordée au jeu, dans les pratiques psychomotrices quels que
soient le lieu et les modalités d’intervention des psychomotriciens, qu’ils
s'adressent à des adultes ou à des enfants.
Le travail de la voix ouvre nécessairement au silence et à l’écoute, l’autre
peut alors être entendu.

NOTES

1. Winnicott D., Jeu et Réalité, Gallimard, p. 76.


2. Ibid., p.96.
3. Winnicott D., op. cit., p. 90.
4. A. Haynal parle d’affect dépressif dans son livre Dépression et Créativité, Césura, 1987.
dc IDIdpr25
6. Haynal
A., op. cit., p. 16.
VIDA DAS"
8. Ibid., p.93.
9. Haynal
A. op. cit., p. 154.
Iee*: Le,. Vasse D. «La voix, le corps, la parole», La voix de l'intimité à l’espace public, Circé
Villa Gillet, cahier n° 6, mars 1998.
11. Rondeleux J., Trouver sa voix, Seuil, 1977, p.159:
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE 287

. Je me dégage volontairement de tout ce qui toucherait aux hallucinations auditives et à


la problématique des psychoses.
. J. Rondeleux, op. cit., p. 159.
. Serres M., Les cinq sens, coll. Pluriel poche, p. 423.
. Anzieu D., « L’enveloppe sonore du Soi», Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 13,
Gallimard, 1976,p. 173.
. Castarède M. F., La voix et ses sortilèges, Les Belles Lettres, 1987, p. 86.
. Castarède M. F,, op. cit., p. 202.
. Gori R., « Entre cri et langage : l’acte de parole » Psychanalyse et Langage, Dunod, 1977,
p. 87.
. Poizat M., «Jouir de la voix », La voix, de l'intimité à l’espace public, Villa Gillet Circé
cahier n° 6, p.61, 1998.
. Anzieu D., op. cit., p. 175.
. Rousseau J.-J., « Essais sur l’origine des langues », Paris, Aubier, 1973.
. Castarède M. EF, op. cit., p. 202.

BIBLIOGRAPHIE :
ANZIEU D., «L’enveloppe sonore du Soi», Nouvelle Revue de Psychanalyse,
n° 13, 1976, p. 161-179.
CASTARÈDE MF, La voix et ses sortilèges, Les Belles Lettres, 1987.
GORI R., «Entre cri et langage : l’acte de parole», Psychanalyse et Langage,
Paris, Dunod, 1977.
HAYNAL A., Dépression et créativité Césura, 1987.
RONDELEUX L.-J., Trouver sa voix Seuil, 1977.
WINNICOTT D., 1971, tr. fr., Jeu et réalité, Paris, Gallimard 1975.
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Psychomotricité et personnes âgées
FRANCK PITTERI

1. Vieillir

1.1. C’est quoi «un vieux » ?


Quand devient-on une personne âgée aux yeux des autres, et à ses propres
yeux ?
Les économistes définissent la personne âgée avec l’âge de la retraite et
celui-ci varie d’un pays à l’autre. Il évolue pour un même pays en fonction
des législations. En France on retient, depuis 1982, 60 ans pour l’âge de la
retraite (19, 20,6 et 21,1 % de la population respectivement en 1990, 2000
et au 1er janvier 2007). L'Organisation Mondiale de la Santé parle de jeunes
vieillards de 60 à 74 ans, puis de vieillards de 75 à 90 ans, et enfin de grands
vieillards au-delà de 90 ans. À 60 ans débute le troisième âge, tandis que le
quatrième âge est marqué par l’apparition d’une perte d’autonomie qui se
surajoute à la vieillesse. Ainsi, les limites sont fluctuantes et selon les périodes
et les individus, on peut appartenir à des catégories différentes.
En France, le nombre de personnes âgées bénéficiant de l’allocation
personnalisée d’autonomie (APA) en 2006 est de 1 008 000 dont 60 % vivent
à domicile et 40 % en établissements d'hébergement pour personnes âgées.
En 2006, sur les 5 millions de personnes de plus de 75 ans, on estime que
850000 sont atteintes d’un syndrome démentiel. L’incidence de la maladie
en France est évaluée à 1,3 millions de personnes en 2020 et à 2,1 millions
en 2040. D'autre part, le taux de suicide est plus important chez le sujet âgé
et touche tout particulièrement les hommes. En 2002, il atteint 60 pour 100000
chez les hommes de 75 à 84 ans et 124 pour 100 000 pour les sujets de 85 ans
et plus, contre 20 pour 100000 pour les femmes de 85 ans et plus.
290 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Sur le plan social, le sujet voit son statut modifié avec la retraite et l’écla-
tement de la cellule familiale. Les relations dans le couple doivent souvent
être réaménagées quand la retraite de l’un ou des deux amène l’homme et
la femme à vivre de nouveau dans le même espace toute la journée. La
personne âgée est confrontée à la maladie et à la mort dans l’entourage, au
décès des aînés qui amène le sujet à se retrouver en «première ligne ». Il doit
assumer le changement de regard que les autres portent sur lui. Pendant long-
temps, l’exclusion a été la règle.
Durant les quinze dernières années, un revirement s’est opéré. Les
personnes âgées sont souvent les piliers d’une solidarité familiale retrouvée
pour affronter les périodes de crise économique et de chômage. Sur le plan
matériel, si les revenus sont amoindris par la retraite, de nombreuses personnes
jouissent d’un pouvoir d’achat important du fait que tous les crédits d’habi-
tation et autres sont en général soldés, et que les revenus sont entièrement
consacrés à la consommation et à l’épargne. Les personnes âgées deviennent
des consommateurs aux revenus stables et garantis. L’accroissement de leur
nombre les fait devenir une cible non négligeable pour les entreprises et c’est
un nouveau marché des seniors qui apparaît. Il est courant maintenant de
voir des visages ridés dans les publicités, chose impensable dans les années
1970. Une presse spécialisée à vu le jour et 1l existe même des émissions
faites uniquement par des personnes âgées.

1.2. Se sentir vieux


Est-on vieux quand on n’arrive pas à suivre le petit-neveu en vélo ou
quand on renonce à un projet de voyage à cause de la fatigue ?
Quand, dans le miroir, ce visage-là nous est étranger et distant ?
Est-ce quand pour la première fois un voyageur nous laisse sa place dans
le bus et que nous répondons « non » ? Ou bien quand nous nous autorisons
à accepter?
Est-ce quand on se demande à quoi on va servir maintenant ?.….

1.3. La problématique du sujet âgé


et ses conséquences psychomotrices
La problématique du sujet âgé est complexe et très variable selon l’individu
et sa culture. Elle est à la fois organique, psychologique, affective, sociale,
culturelle, morale et spirituelle. Le sujet se confronte aux conséquences du
vieillissement biologique et aux pertes psychomotrices qu’il entraîne.
Tout d’abord il convient de rappeler que le phénomène d’involution n’est
pas propre à la vieillesse, et, sur le plan organique, il n’est pas une structure
qui ne soit touchée par le vieillissement.
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 291

1.3.1. Vieillir dans son corps


Au niveau du système nerveux, le vieillissement physiologique entraîne
des modifications de structures dont les plus caractéristiques sont la dégé-
nérescence neurofibrillaire et les plaques séniles. La plasticité neuronale et
l’aspécificité cérébrale jouent un rôle important dans la compensation des
pertes. Le ralentissement des fonctions végétatives a pour conséquence une
diminution des capacités adaptatives de l’organisme.
Le système neuromusculaire est lui également touché. On observe une
augmentation de la fatigabilité, et une atrophie musculaire, une hypertonie,
et une diminution de la force, des difficultés dans la motricité globale et fine.
Concernant le tonus de fond, les sujets de plus de 70 ans présentent des
paratonies de fond tellement fréquentes que de Ajuriaguerra (1970) les a
considérées comme quasi physiologiques. Cette caractéristique tonique condi-
tionne les projets thérapeutiques en relaxation. Il ne sera pas question ici de
rechercher une résolution musculaire complète du tonus de fond, mais essen-
tellement une meilleure régulation du tonus d’action et de la fonction tonico-
émotionnelle.
- L’altération de la proprioception retentit sur l’équilibre, l’équilibration et
la motricité fine.
Le squelette subit une diminution de la trame osseuse entraînant une
ostéoporose avec une augmentation du risque de chutes, de fractures, source
d'invalidité, voire de décès.
Les articulations deviennent moins mobiles et souvent douloureuses
(arthrose, perte d’élasticité ligamentaire et musculaire, lésions diverses.….).
Les fonctions sensorielles perdent toutes de leur efficacité à la fois sur le
plan de la sensibilité, de l’acuité et de la discrimination. Les coordinations
sensori-motrices et la mémoire sensorielle sont moins efficaces. L’altération
des fonctions sensorielles retentit sur la communication avec autrui.
La vue perd en sensibilité à la lumière, en acuité, en discrimination des
couleurs, dans l’appréciation de la profondeur, dans les capacités d’accom-
modation (presbytie), dans l'adaptation aux variations brusques d'éclairage.
Les déficits auditifs induisent une diminution du seuil de réception du
discours. Le langage devient difficile à «comprendre» sans être difficile à
«entendre ». Le sujet a des difficultés à percevoir plusieurs voix simultanément
et à différencier un bruit donné d’un bruit de fond. Il faudra tenir compte de
_ces éléments dans l’organisation des prises en charge, en particulier en groupe.
Au-delà de la dégradation qui touche chaque sens, c’est l’altération du
traitement simultané des afférences sensorielles qui perturbe l’individu. Au
lieu d’une intégration de deux sources sensorielles simultanées, il s’installe
une compétition entre les afférences. Une est choisie au détriment de l’autre.
292 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Cet appauvrissement influe d’une part sur les processus de mémorisation car
ils sont plus performants quand ils sont soumis à des informations pluri-
sensorielles, et d’autre part sur le maintien du schéma corporel.
La capacité de répondre aux multiples situations émotionnelles ou
physiques diminue, et le sujet est plus facilement déstabilisé devant des
stimuli imprévus qui exigent des réponses rapides.
Après avoir vu l’appauvrissement et la dégradation des structures nerveuses
ainsi que le ralentissement des conduites psychomotrices et le rétrécissement
du champ practo-gnosique qui en découlent, il devient clair que le schéma
corporel du vieillard peut être déstructuré, ce que confirmera la pratique.
L’apparence du corps est également profondément modifiée par ces altérations
physiologiques. La silhouette, la stature, le visage, la peau, la dynamique des
mouvements traduisent l’action de l’âge.
Les changements physiologiques s’avèrent extrêmement variables selon les
individus, tant dans leur apparition que dans leur intensité. Ils sont responsables
d’une grande partie des vécus négatifs : le ralentissement psychomoteur, la
perte de force, la fatigabilité, l’augmentation des temps de réaction, les diffi-
cultés d’adaptation aux situations de stress, les difficultés de communication
en groupe, et la dévalorisation de l’image du corps.

1.3.2. Vieillir dans sa tête


Sur le plan psychologique, le ralentissement demeure le phénomène le
plus caractéristique du vieillissement, mais la qualité du vieillir dépend de
la rapidité de la dégradation somatique et de la force de cohésion de la person-
nalité antérieure.
L’atteinte de l’autonomie psychologique (volonté d’exercer son pouvoir
de décider et son pouvoir d’agir) influe plus sur la santé mentale que la dégra-
dation de l’autonomie fonctionnelle. |

1.3.3. Les grandes fonctions cognitives se modifient avec l’action du temps


— Le pouvoir d’attention fléchit et il existe une régression de certaines
fonctions intellectuelles.
— La régression des compétences intellectuelles a été décrite comme un
désapprentissage assimilé à un retour en arrière. La personne âgée semble
bien retrouver dans cette période certains mécanismes cognitifs propres à
l'adolescence, voire à l'enfance. Mais cette régression n’est pas universelle,
elle peut se faire à différents degrés. La régression éventuelle n’est pas
homogène sur le plan cognitif, le processus de régression n’est pas linéaire
et irréversible.
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 2953

— Chez le sujet âgé, la mémoire subit une importante baisse d’efficacité


à rapprocher de la baisse de l'efficacité des organes des sens et du ralentis-
sement du fonctionnement du système nerveux.
— Dans l’espace réel, le sujet âgé peut voir ses repères totalement désta-
bilisés. Le sujet âgé renégocie perpétuellement sa relation à l’espace. On
observe successivement : une restriction de l’espace d’action, un balisage et
un repérage d’itinéraires, une compensation par l'habitude. Puis une assistance
devient obligatoire en dehors d’un espace restreint, enfin le sujet renonce
souvent à ses déplacements, poussé en cela par son désir de ne pas avoir à
demander ou déranger. Les prises en charge des troubles de l’orientation ou
de la structuration spatiales devront en tenir compte afin de stimuler le sujet
sur son niveau de compétence actuelle.
Mais l’espace est aussi une réalité symbolique qui reflète la structure sociale
globale : les normes, les valeurs, les rituels, les interdits, les rapports sociaux.
S1 des réalisations architecturales sont maintenant pensées autour des besoins
spécifiques du sujet âgé, les vieux sont encore souvent exilés dans un univers
déstructurant (architecture et urbanisme gigantesque et impersonnel), désta-
bilisant, incohérent où apparemment aucun échange inter-humain ne paraît
possible et où la parole ne trouve pas sa place.
L'espace est désinvesti parce que les objets qui lui donnaient une âme ont
disparu. Ce n’est qu’un espace du vide, et du deuil. II devient porteur d’une
insécurité qui semble réactiver des angoisses archaïques.

1.3.4. Évolution des comportements et du caractère


Le comportement et le caractère peuvent subir d’importantes
modifications.
Le désinvestissement affectif est très fréquent. L’individu est obligé de se
restructurer sans cesse et de réorganiser ses facultés intellectuelles, ce qui exige
un effort d'adaptation permanent. La personne âgée doit s’adapter en permanence
à son inadaptation progressive. Les comportements peuvent se rigidifier. La
résistance au changement, des traits hypochondriaques peuvent également être
considérés comme une forme d’adaptation due au vieillissement.

1.3.5. Conscient et inconscient


Sur le plan psychodynamique, le conflit intrapsychique le plus répandu
_ chez la personne âgée est lié à une problématique essentiellement narcissique
en rapport avec la régulation de l’estime de soi. Il existe un écart entre les
possibilités physiques et les investissements objectaux. Le sujet a tendance
à nier toute relation narcissique avec son COrps.
294 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

1.4. La mort

Que ce soit en institution ou en libéral, la question de la mort est toujours


présente dans les prises en charge de personnes âgées.
La grande majorité des patients admis en long séjour ne retourneront pas
chez eux et y finiront leurs jours. Il y a donc une confrontation régulière et
directe à la perte, au manque et la mort. À l’hôpital, le sujet a en permanence,
en regardant les autres patients, la vision chronologique de son état jusqu’au
décès. Pour les sujets qui n’y sont pas confrontés immédiatement, on note
que certaines personnes réclament avec véhémence leur disparition en y
pensant comme à une libération. Et pourtant, qu’un petit problème de santé
apparaisse, et elles suivent le traitement, parlent volontiers de guérison ou
de rétablissement. II semble que le sujet vérifie que l’on ne se soustrait pas
à cette relation d'accompagnement.
L'approche de la mort se manifeste par des signes annonciateurs physiques
et psychologiques. Le comportement du mourant peut traduire une inquiétude,
un tourment, une peur, une angoisse, un désarroi que le sujet peut verbaliser
ou qu’il exprime à travers une agitation insolite. Les calmants sont sans effet.
Ce qui est caractéristique, c’est que le sujet se présente sous un aspect que
l’équipe ne lui connaît pas, et cela souvent dans la foulée d’une amélioration
physiologique. Ces phénomènes sont éphémères. Quand ils s’arrêtent, la
mort survient la plupart du temps dans la semaine qui suit.
Kubler-Ross (1975) décrit, suite à l’observation de plusieurs centaines
de malades, les différents stades par lesquels passe le mourant : le choc, la
dénégation, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation, la déca-
thexis. Pour Kubler-Ross, le passage par tous ces stades, et dans cet ordre,
est indispensable pour arriver à l’acceptation du décès futur. Elle insiste sur
la nécessité de permettre au sujet de dire son angoisse, ses peurs, sa rage
contre le monde... Malgré la controverse, le modèle de Kubler-Ross a le
mérite de donner des repères simples, utilisables pour tenter de nommer des
conduites inexpliquées.
Le sujet peut avoir des attitudes variées face à la mort. La peur de la mort
peut être absente chez les vieillards. Le sujet peut avoir peur de sortir de
l'existence, d’affronter le «néant », de devenir cadavre, de perdre conscience.
Il peut avoir peur du moment même de la mort. L’angoisse de mort peut être
liée à la peur de la perte de notre identité avec la disparition de l’ego, à la
crainte de revivre la même angoisse que celle vécue dans la construction de
notre Moi (angoisse de morcellement), à la perte des limites de l’espace et
du temps.
À l'égard du défunt (Freud, éd. de 1963) l'entourage est animé par une
ambivalence sous la forme d’une alternance de sentiments hostiles (le mort
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 295

lui signifie sa propre mort à venir) et de sentiments d’amour par rapport au


mort (la mort est ressentie comme naturelle et n’altère pas les sentiments
d'amour), s’abstenant même de toute critique. Le mort est considéré comme
irremplaçable et il reste, pour l'entourage, à faire le deuil du rôle OCCupé par
le défunt.
La relation soignant-soigné en gériatrie passe par une relation corps âgé-
corps (plus) jeune. Le corps âgé peut blesser notre narcissisme. Le corps âgé
nous renvoie à notre «non toute-puissance ». Le mécanisme d'identification
ne peut se faire avec une personne âgée. Le corps âgé n’est pas porteur
d’image valorisante pouvant servir à l'élaboration d’un idéal. Dans le dialogue
tonico-émotionnel le soignant doit très vite intégrer ces perceptions d’une
peau souvent sèche qui n’adhère plus aux plans sous-jacents, à des muscles
flasques ou noueux, à des résistances toniques spécifiques, à l’odeur particu-
lière de certains patients, tout en restant dans une disponibilité relationnelle
favorisant l’empathie. Il doit intégrer dans la relation ce corps différent et qui
le renvoie pourtant à son propre devenir, pour accéder à ce qui est commun
aux deux sujets : l’échange, le partage sur le plan cognitif et émotionnel, le
plaisir corporel.
_ L'accompagnement au décès dans les milieux institutionnels est né du
déplacement du lieu de la mort. Avant la Deuxième Guerre mondiale, on
mourait entouré et assisté à son domicile. Les personnes nées au début du
siècle portent en elles cette image inconsciente d’une mort idéale. Mourir à
l’hôpital est toujours synonyme de solitude, voire d’abandon pour le malade,
de déshonneur, de dégradation pour la famille.
La préparation à la mort, c’est essentiellement la résolution de la peur de
la mort. L’entourage ne peut savoir ce qu’est la mort, mais il sait ce qu’est
la peur de mourir. Les bases de l’accompagnement des personnes en fin de
vie sont la relation avec la personne et son entourage familial d’une part, et
un traitement efficace de toutes les composantes de la douleur et des autres
symptômes : angoisse, dépression, nausées, troubles respiratoires, digestifs,
urinaires, cutanés, etc. L'accompagnement doit permettre aux patients et à
leur famille de vivre jusqu’à la limite de leurs possibilités. Sans dénier la
valeur d’un confort et d’une amélioration physique, le temps ainsi gagné sert
à clore le passé, à jouir du présent, et à assurer l’avenir de ceux qui restent.

2. La prise en charge psychomotrice du sujet âgé


Les patients âgés peuvent être suivis aussi bien en institution qu ’en cabinet
libéral. Les institutions les plus fréquentes sont les Établissements
d’'Hébergement pour Personnes  gées Dépendantes (EHPAD), les hôpitaux
296 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

de long séjour, les centres et hôpitaux de jours, les foyers. Nous sommes
également amenés à suivre des personnes âgées dans les structures de soins
psychiatriques : centres hospitaliers, hôpitaux de jour, centres médicaux
psychologiques y compris en visite à domicile, appartements thérapeutiques,
CATTP.
L'originalité du travail en gériatrie est la très grande diversité des patho-
logies rencontrées. Les indications concernent aussi bien les séquelles de
pathologies somatiques touchant les fonctions de relation (sensorialité,
communication, locomotion), que les troubles psychiatriques graves (dété-
rioration mentale, démence sénile, dépression, psychose.….), les troubles
neurologiques (hémiplégie, Parkinson, épilepsie, séquelles d’accidents vascu-
laires cérébraux), ou les conséquences de l’alcoolisme.
Du point de vue médical, les indications se définissent soit par une
demande de stimulation psychomotrice globale pour le maintien et la dyna-
misation des potentiels actuels, soit par rapport à des troubles. Ils portent
alors principalement sur le désinvestissement relationnel, l’aboulie, les états
tensionnels, les troubles de la régulation émotionnelle, l’anxiété et l’angoisse,
les plaintes somatiques envahissantes, les troubles praxiques, les troubles de
la marche et les phobies de la chute, les troubles spatio-temporels, la compen-
sation de déficits sensoriels, l’adaptation au handicap.

2.1. L'évaluation

L'évaluation est ici fondamentale. Elle vise autant à révéler les potentiels
qu’à identifier les déficits. Cependant, dans une institution, pratiquement
chaque pensionnaire présente des troubles psychomoteurs. Il faudra donc faire
un choix en fonction de la gêne occasionnée, des potentiels d'évolution, de
la motivation et des affinités.
Durant l’évaluation, il est indispensable de laisser le temps au sujet de
révéler ses potentiels. Parfois les temps de latence sont longs, et ne pas en
tenir compte c’est nier le sujet âgé dans une de ses spécificités. Certains sujets
peuvent mettre plus d’une minute pour répondre à une question. Ne pas leur
laisser ce temps, c’est nier leur réalité et leur potentiel et les considérer seule-
ment à travers les normes du sujet plus jeune.
L'évaluation doit être la plus complète possible. Elle reprend tout le bilan
psychomoteur, l’examen des praxies et des gnosies. Elle s’adapte bien sûr
aux handicaps du sujet.
Il est nécessaire de ne pas se fier aux apparences et de vraiment tester ce
que l’on veut évaluer. Certains sujets masquent de graves déficiences practo-
gnosiques derrière des réponses toutes faites, banales et qui s’appliquentà
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 297

n'importe quelle question. IL est également primordial de bien évaluer le


rapport que le sujet entretient vis-à-vis de son propre corps (déni, douleur,
exhibition, dévalorisation.….) et sa capacité proprioceptive.

* L'évaluation devra pouvoir répondre dans la mesure du possible à


ces questions| :
— De qui vient la demande de prise en charge ? Le sujet lui-même (rare
en institution mais pratiquement toujours en libéral), l’équipe, ia famille ? la
demande initiale est-elle la demande réelle?
— Quelle est la part de la demande du patient et celle de l’équipe ?La prise
en charge de ce patient met-elle l’équipe en difficulté ?
— La biographie de cette personne est-elle connue ? Il est fréquent, dans
certaines institutions à vocation plutôt sociale, d’avoir des dossiers de soins
vides et il n’est pas toujours possible d’obtenir des renseignements précis.
— Son parcours médical est-il connu ?
— Quels sont les autres thérapeutes qui interviennent auprès de ce patient ?
— Quels sont les domaines investis par cette personne actuellement et par
le passé ? Combien de fois ne découvre-t-on pas, derrière une attitude prostrée
ou un désinvestissement complet, une vie restée riche et active aussi long-
temps que possible.
— Quels sont ses potentiels actuels ? C’est sans doute un des points fonda-
mentaux de l’évaluation. Par exemple, résoudre les tensions musculaires
d’un membre pendant quelques instants avant qu’elles ne réapparaissent, ne
pas savoir nommer une perception mais être conscient qu’elle existe, avoir
des temps de latence très longs, prendre plaisir à réaliser un dessin au trait
imprécis et dont on n’identifie pas le sujet, ne pas savoir dessiner un carré
mais tracer un angle droit, se tromper dans des reproductions de structures
rythmiques mais rendre compte d’une différence de perception entre deux
structures. À chaque fois l'identification de ces potentiels permettra de
construire un projet thérapeutique accessible au patient.
— Les attentes de changements du patient sont-elles identifiées ? Ces
attentes sont souvent différentes de l’indication de prise en charge mais sont
une meilleure source de motivation du patient dans la prise en charge.
_ Existe-t-il des troubles du tonus ? Leur origine organique, émotionnelle
ou iatrogène peut-elle être différenciée ?
La relation à l’autre semble-t-elle harmonieuse ? Comment le sujet réagit-
_il à la proximité d’autrui, y a-t-il des réactions d’évitement, des réactions de
prestance ou de contenance, y a-t- il une peur du conflit ?
_ Existe-t-il des troubles de la perception du corps ? Peut-on dire s’ils
sont d’origine organique, psychique ou iatrogène ? Le schéma corporel est
souvent très pauvre. Les épreuves classiques de connaissance du corps propre,
298 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

d’imitation de geste de Berges-Lezine ou de dessin du personnage peuvent


être reprises. Mais il est nécessaire d’évaluer la capacité cénesthésique. Le
sujet ressent-il les différentes parties du corps quand on les énumère, ressent-
il autre chose que de la douleur, peut-il décrire ses perceptions, fait-il la diffé-
rence entre une perception de tension et de détente ? Le sujet peut avoir des
sentiments de dépersonnalisation, une perte d’identité corporelle, un sentiment
d’étrangeté. Il peut avoir des hallucinations corporelles, éprouver de la douleur,
être tout simplement stressé et tendu par peur de ne pas s’adapter à la vie
institutionnelle par exemple.
Madame $., parkinsonienne, se plaignait de sentir sa tête gonflée ainsi que ses
yeux. Elle percevait une véritable déformation angoissante de sa tête. La réponse
médicamenteuse, seule proposée, n’avait rien changé et elle avait arrêté d’en parler
«puisque ça ne sert à rien ». Le fait de trouver un interlocuteur qui donne de l’im-
portance à cette expression et qui suive l’évolution de ses éprouvés au cours des
différents exercices réalisés (relaxation par exemple) a fait changer la tonalité du
discours. Elle a continué à en parler, non pour se plaindre mais pour les décrire et
signaler leur évolution en fonction des événements ou des exercices qu’elle faisait.

— Existe-t-il des troubles de la représentation du corps et connaît-on


leur origine ? Le sujet peut dévaloriser son corps, exercer un déni du corps,
éprouver un dégoût de son corps ou bien présenter une dysmorphophobie.
Il peut être hypochondriaque, ou vivre dans un narcissisme exacerbé.
Madame B., 84 ans en long séjour, frappe son ventre avec son poing dès qu’un
borborygme se fait entendre. Toute sa journée s’organise autour de l’attente des
repas et de ses troubles intestinaux. Elle se plaint en permanence à l’équipe disant
qu’elle veut mourir, mais appelant le médecin au moindre dérangement. Durant
la prise en charge centrée sur la conscience du corps et la relaxation, la patiente
parle et reparle de sa souffrance dans un discours apparemment répétitif. Rien
ne semble avancer. Pourtant l’équipe signale qu’elle se plaint beaucoup moins
et qu’elle est plus investie dans le service.

— Existe-t-il des troubles caractériels ou de la personnalité ayant une


dimension psycho-corporelle ? Le sujet peut avoir des comportements
phobiques ayant une dimension corporelle (agoraphobie, claustrophobie...),
des perturbations des comportements alimentaires.
— Existe-t-il des difficultés dans l’expression des affects ? Les émotions
sont-elles labiles, le sujet est-il hypersensible, excité, sans affectivité, peut-il
parler de ses émotions ou bien a-t-il recours à des comportements inadaptés
ou à la somatisation ?
— Existe-t-il des comportements entraînant une souffrance psychique ou
physique, ou mettant le sujet en danger ? Y a-t-il des addictions, une auto-
agressivité ou des comportements d’automutilation ?
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 299

— Existe-t-il des troubles de la représentation, de la réalisation et de la


régulation du geste ?
— Existe-t-il une instabilité ou une inhibition psychomotrice ?
— Existe-t-il des troubles spatio-temporels ? Le sujet a-t-il des difficultés
à apprécier les distances ou les intervalles, a-t-il des difficultés d’orientation
spatiale ou temporelle, d'adaptation à l’espace, peut-il repérer ou retranscrire
des symboles concernant l’espace (plans, cartes). A-t-il des troubles spatio-
temporels liés à des troubles mnésiques ? Le récit biographique est-il cohérent
ou décousu ?
— Existe-t-il des troubles practo-gnosiques ?
— Quelle est la capacité de ce patient à faire face aux prises de conscience
et aux changements qu’un éventuel traitement en psychomotricité pourrait
lui faire entrevoir ? Si le fait de mieux ressentir son corps ou de communiquer
plus facilement fait apparaître des perceptions, des émotions ou des sentiments
très douloureux, quelle sera sa capacité à les assumer ?
— Le projet thérapeutique éventuel est-il clairement défini dans ses objectifs,
ses modalités ?
. — Le cadre thérapeutique (lieu, fréquence, durée des séances et de la prise
en charge) est-il défini ? Toute prise en charge qui démarre doit avoir une fin
prévue et convenue avec le patient, ou bien un temps de réévaluation du
projet doit être indiqué. Les projets thérapeutiques dont le terme n’est pas
fixé au départ peuvent angoisser le patient comme le soignant. Quand le
patient est vu en chambre, et que le projet n’est pas limité dans le temps, cela
génère des comportements d’évitement de la prise en charge (fatigue, absences
de la chambre) sans que le sujet puisse exprimer verbalement son désir
d’arrêter les séances.

Les troubles psychomoteurs rencontrés couvrent tout notre champ sémio-


logique. Parmi les plus caractéristiques chez la personne âgée, on peut retenir
les manifestations suivantes :
— troubles du schéma corporel ;
— déficit de l’investissement proprioceptif ;
— troubles de la régulation tonique ;
— difficultés de représentation (projet moteur) de réalisation ou de régu-
lation du geste ;
_ désinvestissement corporel entraînant une perte d'autonomie (importance
fondamentale de la marche) ou un déficit expressionnel ;
_ inhibition psychomotrice recouvrant états dépressifs, repli et aprag-
matisme avec demande de stimulation et de redynamisation ;
_ troubles mnésiques, désorientation temporo-spatiale, troubles practo-
enosiques en particulier dans les phases de début de démence ;
300 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

— troubles de l’image du corps ;


— troubles de la régulation émotionnelle.

2.2. La prise en charge


Lors de la prise en charge du sujet âgé, le cadre joue un rôle déterminant.
En plus des règles habituelles (unité de lieu et de temps) qui le déterminent,
il faut, dans le cas des personnes âgées en institution, veiller à ce que les
séances ne soient pas interrompues lorsqu'elles se réalisent dans la chambre
du patient. Un petit panneau sur la porte signalant notre séance en cours
évitera d’être interrompu au milieu d’un exercice par la distribution du goûter
ou du linge. D'autre part, il est à éviter de considérer le patient comme
toujours disponible sous prétexte qu’il est toujours là, et les rendez-vous
fixés doivent être tenus.
La psychomotricité peut se développer dans deux directions complémen-
taires : l’une est psychothérapeutique, l’autre est à prédominance rééducative.
Ces deux aspects sont présents en gériatrie, dans des proportions variant
selon chaque patient.

2.2.1. Aspect rééducatif des prises en charge


Les conséquences des pathologies organiques, et en particulier neurolo-
giques peuvent avantageusement bénéficier de rééducation psychomotrice.
Le travail se fonde essentiellement sur la plasticité neuronale, la visualisation
de projet moteur et la restructuration du schéma corporel.
On ne peut pas dire que l’exercice mental préserve des pathologies céré-
brales ou empêche la mort neuronale. On peut seulement dire que l’exercice
des fonctions cognitives augmente l’efficacité des synapses concernées.

— Les prises en charge des troubles de la marche, de l’équilibre et de


l’équilibration sont fréquentes en institution comme en libéral. La marche
peut être atteinte par un affaiblissement général, une pathologie particulière
(Maladie de Parkinson par exemple), ou suite à un alitement prolongé (fracture
du col du fémur et interventions chirurgicales diverses).
Dans les troubles de la marche, le schéma corporel doit être évalué finement
en ce qui concerne les membres inférieurs. Les tests habituels de reproduction
de postures concernent les membres supérieurs, or leur représentation dans
le schéma corporel est en général plus précise que celle des membres inférieurs.
I faudra ici évaluer la capacité de proprioception du sujet dans ses membres
inférieurs (nomination yeux fermés d’une région du corps touchée par le
psychomotricien, différenciation et reproduction de positions articulaires
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 301

induites par le thérapeute, différenciation cénesthésique entre pression faible,


pression forte, lourd, léger, tendu, relâché. etc.). Dans la majorité des cas,
le sujet qui fait une phobie des chutes ne ressent rien ou peu de chose de ses
membres inférieurs au repos.
La personne âgée phobique de la marche et vivant au domicile construit
une chaîne d'événements : chute — services d'urgence — hôpital — solitude —
mort. Il peut en résulter une véritable sidération du sujet devant le moindre
obstacle. La peur génère une motricité hypertonique, affaiblit les mécanismes
d'adaptation, restreint l’utilisation de l’espace, appauvrit les échanges, et de
ce fait participe activement aux mécanismes invalidants. L'investissement
de l’espace, qui s'était déjà limité avec la perte de force musculaire et la fati-
gabilité, va encore se rétrécir. Le sujet ira moins loin, dans moins d’endroits
et moins longtemps, en choisissant ses heures de sortie pour éviter les risques
de chute. L’autonomie dans la marche est perçue, à juste titre, comme la
garantie d’une autonomie dans la vie.
Le travail vise à renforcer et à structurer le schéma corporel tout en faisant
retrouver le goût du mouvement. Les exercices préliminaires peuvent tous
se faire assis ou allongé. Ils concernent la différenciation proprioceptive, la
mobilité articulaire, les coordinations et dissociations des membres inférieurs,
les coordinations occulo-podales. Puis on aborde les changements d’appuis,
en particulier le passage de la position assise à debout. La conscience de
l’axe corporel, de la verticalité, de la force musculaire est importante. Le
sujet a souvent besoin d’assistance pour se mettre debout. Les genoux ne
peuvent se mettre en extension, le bassin est repoussé en arrière de l’aplomb.
Le sujet doit peu à peu réapprendre comment mobiliser sa force musculaire.
La fixation d’un point d’appui par le regard (ce point peut être dans la pièce ou
bien le regard du thérapeute), la synchronisation de l’effort sur l’expiration, la
relaxation différentielle sont d’une grande aide.

— Les techniques de visualisation trouvent leur application dans les diffi-


cultés de commande et de régulation du mouvement, qu’elles soient d’origine
organique ou psychoaffective. Ce travail n’est pas spécifique à la personne
âgée, mais sa faible diffusion m’amène à en présenter certains détails.
Sur le plan pratique, la visualisation du corps demande de respecter
certaines étapes pour ne pas mettre le sujet en échec.
Une bonne connaissance de l’investissement psychoaffectif du corps
permettra de mieux comprendre les mécanismes de résistances auxquelles
le sujet se heurte quant il veut visualiser son corps. C’est l’intensité des
défenses dans la relation qui va déterminer l’orientation plus ou moins réédu-
cative ou thérapeutique de la prise en charge. Si les défenses sont trop impor-
tantes pour permettre l’accès à la cénesthésie et à la représentation de la partie
302 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

du corps (association d’un vécu très négatif à la partie du corps considérée,


refoulement, déni de cette partie du corps….), les entretiens thérapeutiques,
la verbalisation des vécus ou leur représentation et des approches psycho-
motrices globales sont nécessaires.
Lorsque le mouvement réel n’est pas possible (paralysies), il est préférable
de commencer le travail avec le côté sain.
Avant de demander au sujet de visualiser une partie du corps, on vérifie
la présence d’une cénesthésie consciente dans cette région (la cénesthésie
peut être faiblement différenciée, discontinue.….) et d’un schéma corporel
structuré (le sujet peut avoir une mauvaise perception de la taille, du volume,
de la position respective des différentes parties du corps entre elles...). Si
ce n’est pas le cas, il est nécessaire de développer la cénesthésie par toute
technique globale ou analytique permettant de renforcer la perception du
corps (le massage à visée proprioceptive, les mobilisations passives, les
activo-passifs, etc.). Le patient doit rester conscient de la partie du corps
touchée ou mobilisée pendant tout le temps de l’exercice. Pendant les touchers
thérapeutiques ou les mobilisations passives des extrémités, le patient regarde
et ressent, puis ferme les yeux, ressent et essaie de se représenter la partie
du corps concernée.
Le sujet doit être capable de visualiser une image mentale (en tant que
fonction), c’est-à-dire qu’il doit pouvoir créer un objet mental conscient, le
faire durer et y mettre fin quand il le souhaite, sans fatigabilité excessive.
Pour cela on a recours à la visualisation de courbes mentales ou d’objets
(méthode Vittoz). Le sujet capable de créer une image mentale n’arrive pas
nécessairement à se représenter une partie de son corps. Pour développer
cela, on demande au patient d'observer une partie du corps, de fermer les
yeux, et de se la représenter mentalement. L’étape suivante sera celle de
l’image du corps en mouvement.
On demandera ensuite au sujet d’associer une représentation mentale
d’une partie du corps et des perceptions de cette région du corps. Le sujet
regarde et ressent une partie du corps, puis ferme les yeux, la visualise et
associe mentalement les perceptions qui accompagnent cette image. Dans
un premier temps, la partie considérée est immobile, puis elle sera visualisée
et ressentie mentalement en mouvement.
Il est préférable de respecter cette progression pour faciliter l’accès à la
visualisation.
Si nécessaire on commence par le côté sain, et on transpose ensuite les
capacités acquises sur ce côté vers le côté porteur du symptôme.
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 303

La visualisation du mouvement va servir de support, dans le cadre de la


relation thérapeutique, à l'investissement corporel, à la revalorisation de
l’image du corps et au réinvestissement de l’espace.

Madame K., 68 ans est vue en CMP. Elle a été initialement suivie pour une
dépression, et revient consulter après avoir été renversée par une voiture. Elle a
subi une fracture du bassin qui reste douloureuse un an après. Au cours de séances,
elle parle un peu gênée d’une difficulté : elle a une légère incontinence urinaire
à l'effort. Elle ne peut plus porter de charges, ne se contrôle plus quand elle
tousse où quand elle rit. Une rééducation urodynamique n’a pas amélioré les
choses. Les premières séances sur ce thème mettent en avant une immense
angoisse de perdre le contrôle de soi, une crainte de dégager une mauvaise odeur ,

d’être mouillée en public, et de perdre le contrôle de sphincter anal.


«Ça fait du bien de pouvoir parler de tout ça, car en dehors d’ici ce ne sont pas
des choses que l’on peut dire.»
Cette patiente savait déjà ressentir son corps, se relaxer, quand ce travail est
entrepris. Nous commençons par aborder la cénesthésie de cette région. Ressentir
le bassin, les hanches, les fesses, le périnée et ses muscles, le sexe, l’anus. Elle
apprend à contracter lentement et consciemment ces différentes parties.
Progressivement, elle arrive à visualiser ces zones, à les ressentir en les visua-
lisant, à les mettre en mouvement mentalement. Les verbalisations permettent
de dédramatiser et d’accompagner la patiente face à ses réticences et ses tabous.
En quelques semaines, elle ressent un meilleur contrôle, puis elle arrivera à anti-
ciper les situations, afin de se préparer et d’éviter les fuites. Une de ses grandes
joies fut de ne plus craindre de soulever son petit-fils dans ses bras.

— Dans les troubles de la mémoire, il faut tenir compte de l’état psycho-


affectif et du type de lésion. La restauration fonctionnelle est d’autant meilleure
que la lésion évolue lentement. Le principe de compensation des zones céré-
brales lésées par les zones saines montre que l’exercice des fonctions peut
favoriser l’établissement de nouvelles connexions neuronales. Il existe un
phénomène d’innervation par bourgeonnement collatéral des fibres nerveuses
intactes. Les cellules gliales jouent un rôle majeur dans la survie et la réaf-
férentation des neurones et de leurs synapses corrélées à l’intensité de la
stimulation cérébrale. C’est-à-dire qu’elles jouent un rôle normal mais de
façon plus intense durant l’activation cérébrale. Un environnement stimulant
peut donc faciliter une réorganisation guidée par des stratégies rééducatives
appropriées compte tenu des ressources individuelles disponibles. Concernant
les lésions diffuses dans la maladie d'Alzheimer on peut escompter la réduc-
tion de la perte de déclin mais pas le maintien d’un plateau d’acquis préservé
dans le cas de lésions cérébrales stabilisées.
Chez ces patients, les mémoires les plus touchées sont la mémoire décla-
rative (capacité à apprendre des faits nouveaux ou des informations nouvelles),
la mémoire épisodique (mémoire des événements liés à la vie du sujet :
304 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

mémoire autobiographique, mémoire des tâches d’apprentissage….) et la


mémoire de travail (ou mémoire à court terme ou mémoire immédiate). La
mémoire la moins touchée est la mémoire procédurale (capacité à apprendre
de nouvelles habitudes ou habiletés). Cela est très important en prise en
charge psychomotrice.

2.2.2. Aspect thérapeutique des prises en charge


La thérapie psychomotrice de la personne âgée a été l’objet de quelques
controverses. Il est classiquement admis qu’une économie psychique stabi-
lisée à l’aide de défenses mises en place de longue date ne doit pas être touchée.
D'autre part certains avançaient que l’intervention était inutile puisqu'il n°y
avait pas de projet de vie. Ces arguments ne sont plus défendus actuellement.
On ne peut ignorer la demande des patients (et de l’équipe). Cette demande
est l’expression d’une souffrance qui elle-même se fonde en partie sur une
problématique liée au corps. Enfin il semble possible d'apporter un mieux-
être à des personnes âgées par le biais d’une thérapie à médiation corporelle
sans que les modifications d’organisation psychique soient déstabilisantes
pour le sujet. La thérapeutique doit viser l’investissement de positions défen-
sives moins coûteuses et plus efficaces, elle ne doit en aucun cas se proposer
et proposer de casser le symptôme.
La renarcissisation tient une place majeure dans la démarche thérapeutique.
Son but est de restaurer la possibilité d’une identification spéculaire nouvelle
afin de redonner une dynamique et un nouveau goût de vivre au sujet. Les
conditions favorables pour que la renarcissisation s’opère sont une relation
individuelle ou individualisée dans un groupe, une relation transférentielle,
la conviction d’être écouté et compris et une revalorisation permanente des
aspects positifs.
Elle passe par l’instauration d’une relation individuelle dans laquelle
chacun occupe une place et un rôle défini, connu et reconnu. Cette relation
se fonde sur un regard positif à l’égard de la personne âgée. Elle peut être
génératrice, pendant la séance, et pour les deux individus, de plaisir, de gaieté
ou de joie. Elle utilise la valorisation maximale des aspects positifs jouant
dans le sens du narcissisme originaire, et la dédramatisation (sans excès, sans
dénégation) des aspects négatifs de la réalité et de l’insatisfaction qui en
découle. Cette revalorisation ne se joue pas seulement à travers les mots,
mais aussi dans la congruence perçue par le patient entre notre discours et
notre attitude, comportement et communication non verbale.
La verbalisation de tout ce qui concerne le vécu corporel est fondamentale.
Il est au moins aussi important de tenir compte de ce que le patient fait de
son corps que de ce qu'il en dit. Elle renforce le lien entre vécu corporel,
structuration du schéma corporel et représentation.
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 305

La personne âgée peut facilement s’enfermer dans un discours de plainte


interminable et de souffrance. Sans dénier une souffrance possible, il importe
de veiller à ce que le discours recouvre comme régression ou comme angoisse.
Pourquoi le discours est-il si répétitif ? Cela veut-il dire que nous sommes
incapabies de comprendre sa souffrance ? La possibilité de verbaliser peut
lui permettre de sortir de cette aliénation somatique de la parole et de rejoindre
son corps que le discours hypocondriaque tend à repousser.
La verbalisation doit aussi permettre au sujet d’exprimer des désirs de
manière positive. L'expression des désirs n’est pas axée uniquement sur les
désirs matériels (ils sont évidemment pris en compte), mais aussi sur l’appro-
fondissement de désirs liés à l’expressivité de la personne, à sa volonté de
créer.

2.2.3. Les médiations psychomotrices


Le psychomotricien sera amené à utiliser un certain nombre de médiations
que l’on peut regrouper en deux familles : les médiations à prédominance de
réinvestissement corporel et celles favorisant l’expression du sujet.
— La relaxation tient une place importante dans notre pratique.
Elle permet de mettre en fonction le corps et l’imaginaire qui inclut le
corps dans des projets et des processus dynamiques. Car moins le corps est
le lieu d'échanges moins il s’intègre à la vie de l’individu et plus 1l est l’objet
de désinvestissement ou de surinvestissement inacceptables pour l’économie
personnelle. Elle intègre des données du connu et du vécu constituant un
moment et un lieu privilégié où se mêlent somatognosie et vécu personnel.
La relaxation permet des vécus corporels liés à des variations de tonus
musculaire. Cela modifie l’intérêt que le sujet âgé prête à son corps. La relaxa-
tion a des vertus préventives en stimulant le somatique, le psychique et l’af-
fectif, et en créant des liens entre ces différents plans. Or cette articulation
est souvent défaillante chez le sujet âgé.
Elle permet également de faire évoluer l’image du corps vers une position
plus satisfaisante narcissiquement et aide le sujet à communiquer avec l’ex-
térieur. Alors que le sujet vivait son corps à travers la limitation ou la douleur,
c’est-à-dire que les perceptions émanant de son corps avaient tendance à
l’isoler, en relaxation c’est la perception corporelle qui va servir de support
à la compréhension mutuelle avec le thérapeute. Le corps devient ainsi le
vecteur d’une relation privilégiée. Le patient va imaginer que, lorsqu'il
commente une perception de son corps, nous pouvons le comprendre car
nous pouvons vivre la même chose. À travers cette communauté de vécu, il
_ revalorise l’estime qu’il a de lui-même et retrouve suffisamment de capacité
d’expression pour éviter le recours à la somatisation.
306 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

_ Autour ou au cours de la relaxation, différents types de toucher peuvent


être mis en situation. Le toucher du sujet par lui-même pour confirmer une
perception, situer dans l'espace une zone du corps, procurer un sentiment de
réassurance. Il est à considérer comme une première étape d’un réinvestis-
sement du corps propre s’étayant sur un enrichissement proprioceptif et
tactile. C’est le regard du thérapeute qui lui donne un sens de revalorisation
narcissique. Le deuxième type de toucher est celui exécuté par le thérapeute.
Dans la mesure où il est accompagné d’une verbalisation adéquate, il est la
reconnaissance de l’autre en tant que sujet susceptible de vivre une perception
originale, propre à lui seul, digne d’intérêt puisqu'il est demandé au sujet de
la nommer à un tiers. L'évolution de cette perception dans le temps de la
séance et de la prise en charge sera suivie.
Ce que dit le patient de son corps en relaxation suit souvent l’évolution
de la connaissance de son corps propre ainsi qu’un investissement plus diffé-
rencié de celui-ci. La relaxation peut être l’occasion d’une réconciliation avec
le corps, en particulier quand une atteinte objective du corps est responsable
d’un état dépressif anxieux ou revendicateur. La relativisation des percep-
tions douloureuses par rapport aux autres perceptions cénesthésiques (qui
en général ont disparu de la conscience) permet d’atténuer l’effet de la symp-
tomatologie. Le patient est invité à fusionner dans une même réalité l’aspect
le plus objectif des modifications du tonus musculaire et le vécu empreint
d’affectivité personnelle.

— La dynamique de groupe est un outil très utile en psychomotricité


auprès de personnes âgées.
Des approches à visée de maîtrise corporelle peuvent être proposées. Elles
ont pour objectif d'améliorer la conscience corporelle, la mobilité articulaire,
l'équilibre, à stimuler et régulariser les grandes fonctions bio-physiologiques.
Chacun en fonction de sa formation, de son expérience pourra proposer une
technique qui lui est spécifique. Yoga, eutonie, tai-chi, Feldenkrais, gymnas-
tique douce, aquagym, piscine... Les principes communs à ces différentes
approches sont des séances structurées autour de mouvements, de postures,
d’activités qui se reproduisent régulièrement. L’attention est centrée sur la
conscience du corps, le mouvement conscient, la coordination entre le mouve-
ment et le souffle, et la relaxation différentielle. La dynamique de groupe y
joue un grand rôle. Bien sûr il faut toujours adapter les approches en tenant
compte de la fatigabilité physique et attentionnelle. Les déficits respiratoires
nécessitent des temps de pause, et des séances courtes (une demi-heure maxi-
mum). La mobilité articulaire réduite amène à décomposer les mouvements
ou postures classiques en une multitude de mouvements intermédiaires. Les
déficits sensoriels (visuels et auditifs) et proprioceptifs demandent la modi-
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 307

fication des consignes, de tenir compte de la disposition des patients par


rapport au thérapeute. Des troubles de l'équilibre imposent une grande Vigi-
lance. Toutes les mobilisations de l’axe vertébral (en particulier le cou)
doivent être faites lentement afin d'éviter l’hypotension orthostatique, les
déplacements vertébraux, et les microtraumatismes de la colonne vertébrale.
Les difficultés de compréhension des consignes verbales et les troubles
mnésiques amènent à se répéter, et à utiliser différents canaux s’adressant à
différentes formes de mémoires. Les difficultés d’orientation et de structu-
rations spatiales rendent impossibles, surtout au début, les mouvements trop
complexes sur le plan spatial.
Toutes ces adaptations permettent aussi de faire jouer la dynamique de
groupe en s'appuyant sur les commentaires des uns et des autres, les démons-
trations et les propositions des patients.
Sur le plan de l’organisation, la mise en place d’une séance d’un groupe
de personnes à mobilité réduite prend énormément de temps. Les temps de
transport peuvent prendre autant de temps que la séance elle-même. Le
psychomotricien est en général seul pour ces tâches.

— De très nombreuses médiations à dominante expressionnelle peuvent


être utilisées avec les personnes âgées. Citons le chant, la musique, la peinture
et l'expression graphique, le modelage, des ateliers théâtre, le mime.
Le support musical est utilisé pour plusieurs raisons.
Par la dimension de plaisir qu’il contient, il ne revêt pas l’aspect d’une
technique et est facilement accepté. De plus, il est utilisable par des sujets à
locomotion réduite.
L'aspect dynamogénique du rythme rend compte de l’influence de la
musique sur le système neuromusculaire. Les commentaires des patients
montrent que l’écoute musicale entraîne une stimulation de toutes les zones
corticales intervenant dans la sensorialité.
Le chant peut être valorisé. L’écoute musicale peut déboucher sur l’ex-
pression graphique soit à travers le dessin ou la composition de textes. Il est
très fréquent de rencontrer des patients n’ayant pas tenu un crayon depuis
plusieurs années. Ils invoquent des problèmes visuels ou de motricité. Le
dessin est lui en général abandonné depuis plus longtemps encore. La pratique
montre que parfois des patients peuvent réinvestir ces moyens d’expression
qu'ils pensaient à jamais inaccessibles.
Même chez des sujets gênés dans leur motricité, l’expression graphique
peut être investie et servir de support à un véritable travail d’expression et
. de renarcissisation.

Monsieur D.M., 80 ans, parkinsonien en maison de retraite, se déplace en fauteuil


en criant dans les couloirs «je vais mourir, je vais mourir». Ancien géomètre, il
308 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

avait une écriture calligraphiée comme on en trouve sur les cartes anciennes. Il
n’écrivait plus depuis trois ans environ à cause de sa micrographie. Il faisait de
l’aquarelle avant d’être malade. Malgré les tremblements et ses réticences, je lui
propose un jour de dessiner. Une première esquisse représente un chien au trait
tremblé et incertain. Pourtant l’ensemble est expressif, et le patient est finalement
content de ce qu’il a fait. La semaine suivante, je viens avec de la peinture. Tout
de suite, c’est la passion qui réapparaît. Monsieur D.M. se fait plaisir en mani-
pulant le pinceau, en choisissant ses couleurs même s’il peste contre ses gestes
imprécis. La fois suivante, il a déjà installé le matériel avant que j'arrive. Entre
les séances, il fait de l’aquarelle. Puis nous aborderons l’écriture. La micrographie
n'apparaît que dans la deuxième moitié de la ligne. Dans un long et patient travail,
il apprend à décomposer son écriture et à maîtriser ses impatiences. I finit par
écrire une lettre à un membre de sa famille, et même à la psychologue du service,
sans que j’intervienne. À chaque fois, il dit sa satisfaction d’avoir retrouvé l’usage
de l’écriture. À travers cette médiation, il retrouve de l’intérêt pour la relaxation,
la respiration et le contrôle tonique segmentaire. Dès qu’il sent son bras envahi
par l’hypertonie, il s’arrête, prend le temps d’écouter son corps, se détend et
ressaisit calmement son stylo.

Nous avons vu que, chez les personnes âgées, le vieillissement des organes
sensoriels amène un appauvrissement de la stimulation sensorielle, une diffi-
culté d’adaptation à l’environnement et peut favoriser les réactions de repli.
Il est fréquent de trouver un canal sensoriel totalement déficient.
À travers la stimulation sensorielle, les patients redécouvrent très vite
une dimension de plaisir. Elle est un excellent outil pour permettre un réin-
vestissement de l’environnement, aide à l’amélioration de la mémorisation
et favorise les états de détente et de déconnexion mentale. Ici encore la
méthode Vittoz sera très utile.
Le patient exerce ses cinq sens sur un objet et constate que certaines infor-
mations lui échappent habituellement. Nous pouvons utiliser aussi bien des
objets usuels qu’inhabituels, exercer un seul sens sur de nombreux objets,
repérer toutes les informations que peut nous donner un canal sensoriel (par
exemple pour l’ouïe : le timbre, la tessiture, le rythme, la distance, la vitesse,
l'éclat ou la matité d’un son. Suivre une stimulation qui diminue lentement
jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à percevoir). Le sujet essaiera de porter son
attention sur deux, trois canaux sensoriels en même temps. On associera
conscience proprioceptive et sensorialité, immobile, puis en mouvement.
Des séances ou des ateliers peuvent être organisés autour de thèmes : le
goût, les couleurs, les textures, les parfums.
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 309

2.2.4. Spécificité de la prise en charge en libéral


En libéral, la demande est essentiellement centrée sur un symptôme qui
remet en cause l’autonomie du sujet. Les troubles mis en avant le plus
fréquemment sont liés aux altérations des fonctions supérieures, au stress
lié aux difficultés d’adaptation, à l'équilibre et à la locomotion. Derrière
cette entrée en matière se cache souvent une problématique plus complexe
où se mêlent vieillissement, pathologies organiques, et difficultés
psychoaffectives.
La motivation de ces patients à rester valides et chez eux, ainsi que leur
engagement financier, confèrent à ces prises en charge un caractère plus
dynamique qu’en institution.
La présentation de ces patients est toujours soignée, tant dans la tenue,
la coiffure, le maquillage pour les femmes. Le contraste avec les personnes
âgées vues en institution est important dès l’abord.
Le motif de la consultation n’est jamais unique. Même si un symptôme
est d'emblée mis en avant, très vite la demande devient multiple. Les
demandes les plus fréquentes concernent les chutes et les phobies de la chute,
les troubles de la marche et de l’équilibre, la phobie des transports, le stress,
l’hyperémotivité, les états dépressifs, la tendance à la somatisation, les
migraines, l’angoisse, la fatigue, la douleur.
Les déficits sensoriels permettent tout de même une bonne adaptation à
la vie relationnelle. Le sommeil est en général irrégulier.
Il faut souligner l’association quasi systématique d’éléments fonctionnels
ou somatiques et d'éléments de vécu émotionnel. Cette demande initiale à
deux niveaux reste constante au cours de la prise en charge, même si leur
importance respective peut varier selon les périodes. Si on interroge le patient
sur ses attentes de changement, ce double registre se retrouve encore plus
systématiquement.

Sur le plan du schéma corporel, celui-ci reste assez bien structuré, mais
la cénesthésie consciente est peu développée et les sujets ont souvent tendance
à être absents de leur corps. Le rétablissement de ces potentiels sera toujours
un axe fondamental dans le projet thérapeutique.
Les compétences spatio-temporelles sont bien conservées. On retrouve
chez certains patients des manifestations d’impatience ou d’agitation. La
fatigabilité peut limiter l’activité. Chez tous on retrouve une dévalorisation
de l’image du corps avec souvent des dysmorphophobies.
L'accommodation au vieillissement se fait par l’adaptation au handicap,
” la maîtrise corporelle, mais aussi par l'humour, la sublimation du corps vieilli
dans la recherche du relationnel, de l’affection.
310 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE

Le rapport que ces patients ont à leur propre corps est un rapport de
recherche de maîtrise tout en composant «contre mauvaise fortune bon cœur »
avec les effets du vieillissement.
En même temps, les premières séances mettent toujours en avant une
grande facilité à vivre du bien-être et du plaisir corporel, c’est-à-dire à
retrouver une dimension où le sujet n’a pas d’âge.
Il est tout à fait notable de constater que la majorité de ces patients ont déjà
entrepris dans leur vie des psychothérapies à médiation verbale ou corporelle.
Il est très probable que cet engagement au cours de périodes antérieures,
dans l’introspection, la responsabilité face à ces troubles et la place accordée
au corps dans le processus morbide puis thérapeutique joue beaucoup dans
l’engagement dans un soin en libéral.
Comme nous l’avons signalé précédemment, les patients que j’ai pu rece-
voir en libéral présentent un tonus de fond différent de celui des personnes
âgées suivies en institution. Mais la recherche de la présence/absence de
paratonies de fond s’avère insuffisante. Il faut rechercher la capacité d’in-
hibition musculaire volontaire partielle, c’est-à-dire la capacité à réduire
consciemment son état tonique, même si les sujets n’arrivent pas au relâ-
chement complet, et donc que les paratonies persistent. Ces patients sont
capables de réduire leur tonus musculaire, même pour ceux qui ont des para-
tonies massives. On comprend bien que la motivation du patient pour le projet
thérapeutique puisse trouver ici un point d’accrochage. La conscience de
pouvoir faire varier consciemment son tonus est déjà une forme de réinves-
tissement corporel et ouvre la porte à une revalorisation de ses potentiels
corporels et de l’estime de soi.
Pour conclure, l’abord du sujet âgé en psychomotricité nous a permis de
considérer le corps sous un versant jusque-là éludé quand il s’agissait de
travailler auprès d’enfants. Si notre profession a de nouveaux champs de
compétence à développer auprès du sujet âgé en institution, très peu de choses
sont faites actuellement en psychomotricité auprès des sujets âgés sains ou
dans le domaine du maintien à domicile. Les soins psychomoteurs à domicile
pour personnes âgées en sont à leurs balbutiements. Il est certain que, dans le
domaine de la réadaptation au handicap par exemple, nous pourrions apporter
une aide réelle aux seniors. Regardons les services que nous sommes capables
de rendre à l’enfant hors institution et imaginons ce qu’il pourrait en être
pour le sujet âgé. La stimulation psychomotrice et la prévention (tellement
absente en France) sont totalement à créer et à faire prendre en compte par
les responsables de la santé.
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 311

NOTE

1e Ces éléments proviennent d’une recherche sur la mise en place d’un questionnaire adressé
à des médecins et permettant de poser l'indication de bilan psychomoteur chez l’adulte.
Ce travail non publié a été réalisé avec Véronique Ruiz, Fabienne Savary et Bruno Baube.

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Psychopathologie de l'adulte : 10 cas cliniques
sous la direction de François Marty
Psychopathologie de l'enfant
2e édition, Annie Birraux
Psychopathologie de l'enfant : 10 cas cliniques
sous la direction de François Marty
Statistique en psychologie
2e édition, Nathalie Rude et Olivier Retel

DANS LA COLLECTION CONCEPT-PSY

L’acquisition du langage par l’enfant


Josie Bernicot et Alain Bert-Erboul
Comprendre un texte - L'évaluation des processus cognitifs
Nathalie Blanc et Denis Brouillet
Le concept d’enveloppe psychique
2e édition, Didier Houzel
Émotion et cognition, quand l’émotion parle à la cognition
sous la direction de Nathalie Blanc
Enfants hyperactifs, enfants instables
Se repérer, comprendre, prévenir
Philippe Claudon
L'entretien en psychologie clinique
Nadine Proïa-Lelouey
La fonction paternelle
Jean-Claude Stoloff
Introduction à la psychologie cognitive ,
2e édition, Serge Nicolas, Valérie Gyselinck, Dorine Vergilino-Perez,
Karine Doré-Mazars
Les maladies de la mémoire
Serge Nicolas, Bérengère Guillery-Girard, Francis Eustache
La mélancolie et ses destins
Mélancolie et dépression
Anne Juranville
Les méthodes et la pratique en psychopathologie
et en psychologie clinique
Lydia Fernandez et Agnès Bonnet
Petit guide du jeune psy
Susann Heenen-Wolff et Isabelle Lafarge
Psychopathologie des addictions : 12 cas cliniques
sous la direction de Lydia Fernandez
Psychosomatique de l’enfant et de l’adulte
Jacquy Chemouni
+ Publicité et psychologie
Sous la direction de Nathalie Blanc et Julien Vidal
e La résilience
Se (re)construire après le traumatisme
Joëlle Lighezzolo et Claude de Tychey
+ Schizophrénie : l'annonce du diagnostic
Arnaud Cherrier et Jérôme Palazzolo
+ Letest de l’arbre
Un dessin pour comprendre et interpréter
2e édition, Lydia Fernandez
+ Test des contes et clinique infantile
Comprendre et analyser la personnalité de l'enfant normal
et dysharmonique, Claude de Tychey
+ Les thérapies comportementales et cognitives : manuel pratique
sous la direction de Jérôme Palazzolo
e La vie psychique
Origine, fonctionnement et évolution
Michèle Monjauze

DANS LA COLLECTION EXPLORATIONS PSYCHANALYTIQUES

+ Amour, haine et tyrannie dans la famille


sous la direction de Gérard Decherf, Anne-Marie Blanchard
et Elisabeth Darchis
+ Les contes et la psychanalyse
2e édition, sous la direction de Bianca Lechevalier, Gérard Poulouin,
Hélène Sybertz
e Corps en famille
sous la direction de Patrice Cuynet et André Mariage
+ Crises familiales : violence et reconstruction
Du rôle de la crise dans la structuration de la famille
sous la direction de Gérard Decherf, avec Elisabeth Darchis
e Le destin en psychanalyse
sous la direction de Riadh Ben Rejeb
e Facteurs de maladie, facteurs de guérison
Antonino Ferro, préface de Florence Guignard
e La fête de famille
sous la direction d’Alberto Eiguer, Christine Leprince
et Florence Baruch
+ Jouer... Le jeu dans le développement, la pathologie
et la thérapeutique
sous la direction de Fabien Joly
e Linguistique et psychanalyse
sous la direction de Michel Arrivé et Claudine Normand
e Le meurtre du fils
Violence et générations
Jacques Bril
Le paradoxe de Winnicott | |
Anne Clancier et Jeannine Kalmanovitch, préface de René Roussillon
La perversion dans l’art et la littérature
sous la direction d’Alberto Eiguer
La problématique alcoolique
2e édition, Michèle Monjauze, préface de Joyce McDougall
Psychanalyse multifamiliale
Les autres en nous et la découverte du vrai soi-même
Jorge E. Garcia Badaracco, prologue d'Otto F. Kernberg,
préface de Gilbert Diatkine
Psychopathologie transculturelle de l'enfant et de l'adolescent
Cliniques maghrébines
Riadh Ben Rejeb, préface de Daniel Widlôcher
D'un siècle à l’autre, la violence en héritage
Perspectives psychanalytiques et anthropologiques
Collège international de Psychanalyse et d’Anthropologie
Souffrances dans la famille
Thérapie familiale psychanalytique d'aujourd'hui
2e édition, Gérard Decherf avec Laurence Knera
et Elisabeth Darchis, préface de Serge Tisseron
Un théâtre intime : l'analyse
Jacques Bril, préface d'Anne Clancier
Temps et psychothérapie
sous la direction de Luc Michel et Jean-Nicolas Despland
Traitement psychanalytique mère-enfant
Une approche au long cours des psychoses de l’enfant
Bianca Lechevalier, préface de Bernard Golse
Trotsky et la psychanalyse
Jacquy Chemouni
Violences sexuelles
Le soin sous contrôle judiciaire
sous la direction d'André Ciavaldini
Le visage et la voix
sous la direction d’Annie Gutmann et Pierre Sullivan

DANS LA COLLECTION CHAMPS LIBRES

L’adolescence dans l’histoire de la psychanalyse


sous la direction de François Marty
Ce que souffrir veut dire
sous la direction de François Marty
Le consentement, Droit nouveau du patient ou imposture ?
sous la direction de Jean-Paul Caverni et Roland Gori
Transformer la violence ?
Traumatisme et symbolisation
sous la direction de François Marty
DANS LA COLLECTION DE LA SEPEA
(SOCIÈTE EUROPÉENNE POUR LA PSYCHANALYSE
DE L'ENFANT ET DE L'ADOLESCENT)

+ Actualité de la pensée de Bion


SOUS la direction de Florence Guignard et Thierry Bokanowski,
préface de Daniel Widlôcher
+ Curiosité et rêverie chez l’enfant
SOUS la direction d’Annette Fréjaville et François Sacco
+ Des images pour la pensée
SOUS la direction d’Annie Anzieu et Sesto Marcello Passone
+ Le nourrisson savant, une figure de l’infantile
sous la direction de Dominique J. Arnoux et Thierry Bokanowski
+ Le processus analytique chez l’enfant et l’adolescent
sous la direction d'Albert Louppe, Rémy Puyuelo et Eric Valentin
+ Psychanalyse de l'enfant et croissance psychique
sous la direction de François Sacco et Elsa Schmid-Kitsikis
+ La relation mère-fille, entre partage et clivage
sous la direction de Thierry Bokanowski et Florence Guignard
+ Traumatisme et contre-transfert
sous la direction d’Annie Anzieu et Christian Gérard

DANS LA COLLECTION ADOLESCENCE ET PSYCHANALYSE

+ L’adolescent difficile et ses parents


Kati Varga, préface de Rémy Puyuelo
° Corps malade et adolescence
Irina Adomnicai, préface de Catherine Chabert
e La dépression à l’adolescence
Dominique J. Arnoux, préface de Roger Misès
+ Entrer dans l'adolescence, le temps de la latence
François Kamel, préface de Paul Denis
° La famille de l’adolescent, le retour des ancêtres
Alberto Eiguer
+ La passion adolescente
Elsa Schmid-Kitsikis, préface de Jean Cournut
+ Maladie d’adolescence, travail clinique avec les adolescents
et leurs parents
Michel Vincent, préface de Rémy Puyuelo
e Violence et adolescence
Philippe Gutton
DANS LA COLLECTION UN PSYCHANALYSTE, UNE ŒUVRE

e Autour de l’œuvre de Raymond Cahn


Vers un nouvel espace psychanalytique
sous la direction de Madeleine Vermorel, Jacques Dufour
et Marie-Claude Bal
e Jacques Lacan
sous la direction de François Duparc
e Jean Guillaumin
sous la direction d'Henri Vermorel et de Jean-Baptiste Guillaumin
e Winnicott en 4 squiggles
sous la direction de François Duparc

HORS COLLECTION

+ Confiance et langage
sous la direction d’Eliane Allouch, Jean-François Chiantaretto,
Simon Harel et Jean-Pierre Pinel
e Freud et la métaphore ferroviaire
Jean-Jacques Barreau
e Histoires de fumeurs de joints
Pascal Hachet
e Joseph Conrad : le premier commandement
André Green
° Les nouvelles maternités, au creux du divan
sous la direction de François Duparc et Martine Pichon
° Peut-on encore communiquer avec ses ados ?
Pascal Hachet
+ La position dépressive au service de la vie
James Gammill, préface de Didier Houzel et Bianca Lechevalier
+ Pourquoi le cauchemar
Elisabeth Pradoura
+ La violence de l’image
sous la direction de Florian Houssier
Achevé d'imprimer en août 2010 par EMD S.A.S. (France)
Dépôt légal : août 2010
N° d’imprimeur : 23584
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PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Sous la direction de Catherine Potel
Préface de Jean-José Baranes

En l’espace de trente ans, la psychomotricité est devenue une profession


à part entière. On fait désormais appel aux psychomotriciens dans les
crèches, les maternités, les services de pédiatrie, de médecine générale, de
neurologie, mais aussi en psychiatrie ou en gériatrie...
En fondant sa pratique sur l'articulation entre corps et psyché, le
psychomotricien occupe une position « charnière », au cœur même de la
problématique de la vie humaine. Une situation privilégiée qui le conduit
à S'adapter aux différentes pathologies rencontrées et qui lui demande
une écoute, une créativité indispensables.
Mais cette position « intermédiaire » ne présente-t-elle pas néanmoins
un risque d'éclatement des pratiques et des réflexions ? Comment la
psychomotricité peut-elle garder sa spécificité, malgré la grande diversité
des pratiques ? Cet ouvrage a été conçu autour de ces interrogations. I]
réunit les contributions de psychomotriciens travaillant dans des secteurs
différents. Au travers des textes présentés, sont tour à tour rencontrés des
nourrissons, des enfants, des adolescents, des adultes et des personnes
âgées. Chaque auteur nous fait partager ce qui vient du « terreau » même
de sa clinique.
Cet ouvrage « laisse parler » la diversité de la clinique tout en proposant
une théorisation des pratiques.

Les auteurs : /sabelle Blanco, Patrick Blossier, Pascal Bourger, Dorota


Chadzynski, Albert Ciccone, Sylvie Gouel-Barbulesco, Fabien Joly, Oriann
Legrand, Denise Liotard, Franck Pitteri, Pascale Poirier, Catherine Pote,
Jean-Paul Villion.

ISBN 978-2-84835-190-2
23 € TTC - France OH
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www.inpress.fr LLL
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* EDITIONS IN PRESS °

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