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Table des Matières

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Table des Matières

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Chère lectrice,

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6.

7.

8.

9. - Quatre mois plus tard…


3/210

10.
© 2008, Lindsay Armstrong. © 2010, Traduc-
tion française : Harlequin S.A.
83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013
PARIS — Tél. : 01 42 16 63 63
978-2-280-81743-1
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
THE BILLIONAIRE BOSS’S INNOCENT BRIDE
Traduction française de
FRANÇOISE PINTO-MAÏA
ARLEQUIN®
est une marque déposée du Groupe Harlequin
et Azur ® est une marque déposée d’Harlequin S.A.
Toute représentation ou reproduction, par quelque
procédé que ce soit, constituerait
une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et
suivants du Code pénal.
Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47
www.harlequin.fr
Chère lectrice,
Ce mois-ci, j’ai le plaisir de vous emmener en Inde, sur
les pas de Keira, l’héroïne de L’ivresse du désir (n° 2965).
L'Inde... Une destination exotique et romantique par excel-
lence. Comme Keira, laissez-vous envoûter par l’atmo-
sphère magique de ce pays, par son étonnant mélange de
tradition et de modernité, ses palais splendides… C’est
dans ce cadre idyllique que la jeune femme va découvrir la
passion la plus brûlante — et l’amour le plus profond —,
sous les traits d’un beau séducteur indien, homme d’af-
faires richissime mais aussi fils de maharajah. Penny
Jordan, l’auteur du roman, nous livre ici une magnifique
histoire d’amour que vous n’oublierez pas.
Je vous invite aussi à lire la suite de votre trilogie de
Lynne Graham (Passion pour un milliardaire, n° 2973) et
celle de votre série, « Le royaume des Karedes » (Le play-
boy du désert, n° 2974). Dans ce dernier roman, vous dé-
couvrirez l’étonnant destin d’Eleni, une jeune femme d’ori-
gine modeste qui va faire une incroyable et bouleversante
rencontre, celle du cheik Kaliq Al’Farisi, un des princes les
plus puissants de Calista — l’île rivale d’Aristos.
Et bien sûr, vous retrouverez ce mois-ci d’autres romans
passionnants, écrits par des auteurs que vous appréciez,
7/210

comme Melanie Milburne, Sarah Morgan, Trish Morey,


Sara Craven...
Bonne lecture !
La responsable de collection
Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa
couverture, nous vous signalons qu’il est en vente ir-
régulière. Il est considéré comme « invendu » et
l’éditeur comme l’auteur n’ont reçu aucun paiement
pour ce livre « détérioré ».
1.
La matinée était particulièrement froide lorsque Alexan-
dra Hill arriva chez elle. Après les vacances au ski qu’elle
venait de passer avec ses amis dans les montagnes de
Nouvelle-Zélande, elle ne s’attendait pas à affronter une
température aussi rigoureuse en rentrant à Brisbane. C’était
certainement la journée la plus froide jamais enregistrée
pour un mois de mai ! Finalement, elle était ravie d’avoir
gardé son anorak et son écharpe !
En descendant du taxi qui la ramenait de l’aéroport, elle
eut la surprise de découvrir, devant la porte de sa maison de
Springhill, son patron qui l’attendait.
— Alexandra ! Dieu soit loué ! s’exclama Simon Well-
ford en la prenant dans ses bras. Ta voisine ne savait pas si
tu rentrais aujourd’hui ou demain. J’ai besoin de toi. J’ai
absolument besoin de toi !
Le sachant marié et heureux en ménage, elle commença
par se dégager de cette étreinte intempestive.
— Ecoute, Simon. Je suis toujours en vacances…
— Je sais, l’interrompit-il. Mais je te revaudrai cela, je te
le promets !
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Alexandra soupira. Elle travaillait dans l’agence de tra-


duction de Simon comme interprète et elle était habituée à
son impulsivité.
— Quelle est l’urgence cette fois ? s’enquit-elle.
— Urgence n’est pas le mot, objecta-t-il. Il s’agit de la
Goodwin Minerals Company, c’est donc plutôt une magni-
fique opportunité !
— Je ne connais pas cette société, je ne comprends pas
ce que tu veux dire.
Simon eut un claquement de langue impatient.
— C’est une énorme entreprise, au premier rang de l’ex-
ploitation des gisements d’opale. Ils tentent de s’implanter
en Chine et ont entamé des négociations, ici, à Brisbane,
avec un consortium chinois. Leur interprète de mandarin
est malade et ils cherchent un remplaçant.
Alexandra ouvrit sa porte et déposa sa valise à roulettes
dans le vestibule.
— Un interprète sur site ?
— Ecoute, Alexandra… Je sais que, jusqu’ici, tu n’as
travaillé pour moi que par téléphone, mais tu es très douée.
— Il s’agit d’industrie minière, fit-elle remarquer. Donc
de termes techniques.
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— Non. C’est en fait une mission très relationnelle, qui


se déroule en général au cours de réceptions. Ils souhaitent
s’assurer que tu es à l’aise dans ce genre d’occasions…
— Tu leur as dit que je ne mangeais pas les petits pois
avec un couteau ? termina Alexandra, avant d’éclater de ri-
re devant l’expression blessée de son patron.
— Je leur ai précisé que tu étais issue d’une famille de
diplomates. Cela les a apparemment rassurés, répondit-il
prudemment.
Par contre, Simon Wellford aurait émis quelques
réserves quant à la capacité d’Alexandra à tenir ce rôle. Ses
manières ou sa pratique du mandarin n’étaient pas en
cause, bien sûr, c’était la façon dont elle s’habillait qui l’in-
quiétait quelque peu.
Il ne l’avait jamais vue porter autre chose que des jeans
et des sweaters, agrémentés d’écharpes colorées dont elle
aimait s’affubler. Sous une chevelure apparemment in-
domptable, les lunettes qu’elle arborait n’ajoutaient rien à
son charme.
Un vrai bas-bleu ! Jusque-là, sa tenue vestimentaire
n’avait pas posé de problème : elle n’était pas au contact du
public. En revanche, avec un client aussi important que
Goodwin Minerals, elle serait amenée à s’intégrer dans un
milieu élégant.
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Il décida de remettre à plus tard ce problème, l’important


était de décrocher cette mission et le temps pressait.
— Saute dans ma voiture, Alexandra, commanda-t-il.
Nous avons un entretien chez Goodwin dans vingt minutes.
Alexandra le regarda avec stupéfaction.
— Simon… Tu plaisantes ! Je viens à peine d’arriver !
Laisse-moi au moins le temps de prendre une douche et de
me changer. De plus, je ne suis même pas sûre de vouloir
accepter cette mission !
— Alexandra. Je t’en supplie !
Simon marcha jusqu’à sa voiture garée le long du trottoir
et ouvrit la portière côté passager.
— Non, attends ! s’écria la jeune femme. Ne me dis pas
que tu t’es engagé auprès de Goodwin Minerals, sans
même savoir si je rentrais aujourd’hui et si j’accepterais ?
— Je sais, dit-il en haussant les épaules. Cela semble un
peu…
— Cela te ressemble tout à fait, veux-tu dire, corrigea-t-
elle d’un air las.
— Les grands hommes savent saisir les opportunités.
Gagner la clientèle de Goodwin nous amènerait beaucoup
de travail et apporterait une jolie renommée à l’agence
Wellford. Et…
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Il marqua une pause avant d’ajouter :


— Rosanna est enceinte.
Alexandra ouvrit de grands yeux à cette nouvelle.
L’épouse de Simon attendait donc leur premier enfant !
L’avenir et le succès de l’agence s’avéraient donc d’autant
plus importants.
Le regard adouci, elle esquissa un sourire radieux.
— Pourquoi n’as-tu pas commencé par là ? Oh ! Simon.
C’est une merveilleuse nouvelle !

Une fois à l’intérieur de la voiture, Alexandra releva


cependant certains problèmes concernant leur rendez-vous
professionnel.
— Comment vais-je expliquer la façon dont je suis
habillée ?
Simon coula un regard dans sa direction.
— Dis-leur la vérité : tu rentres des sports d’hiver. Nous
aurons affaire à une certaine Margaret Winston, la
secrétaire de Max Goodwin.
— Max Goodwin ?
— Le P.-D.G. de Goodwin Minerals. Ne me dis pas que
tu n’as jamais entendu parler de lui ?
14/210

— Mais non, je t’assure, avoua Alexandra, agrippée à


l’accoudoir, alors que son patron se forçait un chemin dans
la circulation. Es-tu vraiment obligé de conduire si vite ?
— Je ne veux pas être en retard. Goodwin est un homme
très puissant et…
— Attention!
L’avertissement d’Alexandra arriva trop tard. Un camion
de livraison venait de s’arrêter brusquement devant eux et,
malgré un freinage désespéré, Simon ne put éviter la
collision.
Il se mit à jurer et se tourna vers sa passagère.
— Alexandra, tu vas bien ?
— Ça va. Un peu secouée, c’est tout. Et toi ?
— Pareil… Mais je crains que notre rendez-vous ne soit
fichu maintenant.
Il laissa échapper un soupir découragé en voyant le
chauffeur du camion se diriger vers eux.
— Nous sommes encore loin ? demanda Alexandra.
— A un pâté de maisons, mais…
— Je peux me rendre seule au rendez-vous, décida-t-elle
rapidement. Quel nom m’as-tu donné ?
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— Margaret Winston. Le rendez-vous est prévu dans


l’immeuble Goodwin, au prochain carrefour, sur la gauche,
quinzième étage. Alexandra, si nous obtenons ce contrat, je
te revaudrai cela, termina Simon avec reconnaissance.
— Je ferai de mon mieux, patron ! lança-t-elle en des-
cendant de voiture.

Alexandra était à bout de souffle lorsqu’elle parvint


devant l’immeuble de la Goodwin Company. Elle y fut ac-
cueillie, comme prévu, par Margaret Winston. La cin-
quantaine élégante dans son tailleur vert olive, ses cheveux
bruns joliment coiffés, celle-ci l’introduisit dans le bureau
de son patron.
D’immenses baies vitrées donnaient sur la Brisbane
River et le célèbre Storey Bridge. Une moquette bleu roi
couvrait le sol et de magnifiques esquisses du Brisbane
d’autrefois ornaient les murs. Derrière un large bureau qui
trônait au centre de la pièce, se tenait Max Goodwin, aussi
imposant que le décor.
En écoutant Simon, elle s’était imaginé, sans raison par-
ticulière, devoir rencontrer un magnat d’un âge certain, au
visage glabre et sévère.
Max Goodwin ne ressemblait en rien à cette image. Agé
d’environ trente-cinq ans, il jouissait d’un physique plutôt
16/210

avantageux : les yeux d’un bleu remarquable, les cheveux


bruns, les traits sculptés mettaient en valeur une bouche
mince et ciselée.
Dans son costume bleu marine d’une coupe impeccable,
il était bien loin de l’image de l’homme vieillissant qu’elle
s’était représentée, mais donnait une impression d’autorité
peu commune, pensa Alexandra. Ses yeux d’un bleu pro-
fond étaient pénétrants. Cet homme savait ce qu’il
voulait… et devait l’obtenir.
Ce sentiment qu’il ne ressemblait en rien à celui qu’elle
avait pensé rencontrer se confirma quand, après les présent-
ations, il lança d’une voix irritée :
— Oh, pour l’amour du ciel ! Margaret…
— M. Goodwin, coupa la secrétaire, devançant ses re-
proches, il s’agit d’une urgence et je n’ai pu joindre per-
sonne d’autre. M. Wellford m’a assuré que Mlle Hill était
extrêmement compétente.
— C’est bien possible, maugréa Max Goodwin, mais on
lui donne dix-huit ans et elle a l’air échappée d’un couvent!
Alexandra s’éclaircit la gorge.
— J’ai vingt et un ans, monsieur, et, si je peux me per-
mettre cette question, vous jugez toujours les gens sur leur
aspect ?
17/210

A cet instant, entra un Chinois qui se présenta sous le


nom de M. Li, de l’équipe des interprètes. Il s’adressa im-
médiatement à Alexandra et entama une conversation en
mandarin, puis la salua en inclinant le buste et se tourna
vers Max Goodwin.
— Elle parle le mandarin couramment, monsieur Good-
win : la langue est très correcte et relevée.
Dans le silence vibrant de tension qui suivit ce com-
mentaire, Max Goodwin toisa de nouveau la jeune femme.
Peut-être un peu plus de dix-huit ans, concéda-t-il, mais
sans maquillage, mal coiffée, des cheveux châtains qui
s’échappaient en tous sens de l’élastique qui les retenait…
Affublée de lunettes à monture d’acier, chaussée de bottes
fourrées, empaquetée dans des vêtements informes, elle
n’avait même pas l’air soigné, ce qui était le minimum
qu’il exigeait.
A moins que… Il l’observa plus attentivement. Cela
n’était peut-être pas totalement impossible… Elle était
plutôt grande, avait des mains fines et élégantes, un teint
clair. Et ses yeux…
— Voulez-vous ôter vos lunettes un instant ? lui
demanda-t-il.
Alexandra lui jeta un regard surpris et s’exécuta.
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Max Goodwin approuva de la tête. Elle avait des yeux


noisette, mordorés, fascinants…
— Merci, Margaret. Je vais conduire personnellement
cet entretien, et merci à vous, monsieur Li. Veuillez vous
asseoir, mademoiselle Hill, dit-il en lui indiquant le coin
salon.
Alexandra prit place dans un fauteuil capitonné et Max
Goodwin vint s’asseoir face à elle sur un canapé.
— J’aimerais connaître votre parcours et savoir com-
ment vous en êtes arrivée à parler le mandarin.
— Mon père appartenait au corps diplomatique, expliqua
Alexandra. J’ai vécu ce que l’on peut appeler une enfance
nomade et j’ai appris le chinois à Pékin, où nous sommes
restés cinq ans.
— Je vois, répondit-il pensivement. Et vous désirez faire
une carrière d’interprète ?
— Pas vraiment, mais c’est un bon moyen d’entretenir
mes compétences. En fait, je songe, moi aussi, à embrasser
une carrière diplomatique, je viens de terminer mes études
de langues.
Il se passa une main dans les cheveux, avant d’annoncer
:
19/210

— Cela vous ennuierait si je vous demandais de changer


de look ?
Alexandra le dévisagea, médusée. Dans le silence qui se
prolongeait, elle remarqua la cravate grise à pois marine
qu’il portait et la petite cicatrice à la pointe de son sourcil
gauche. Mais ce n’était guère le moment de faire ce genre
de constatations saugrenues !
— Pensez-vous que je n’ai pas le physique de l’emploi?
— Croyez-vous vraiment incarner la fonction ? la coupa-
t-il.
Il se mit à énumérer le programme des réceptions : cock-
tails, déjeuners, journée au golf, croisière sur le fleuve, dîn-
er dansant…
— Ecoutez, monsieur Goodwin, l’interrompit-elle, je
pense que nous perdons notre temps. Je ne possède ni la
garde-robe appropriée pour ce genre d’événements, ni la
classe nécessaire pour les porter. Etre interprète est une
chose, ce que vous me demandez en est une autre.
— Je fournirai les tenues. Vous pourriez les garder
ensuite.
— C’est gentil à vous, mais non, merci.
— Cela n’a rien à voir avec la gentillesse, s’impatienta-t-
il. Cette dépense professionnelle passerait dans les frais
20/210

généraux. Ce n’est pas comme si je vous demandais des


services… spécifiques en retour, n’est-ce pas ?
— Certainement pas ! dit Alexandra sèchement.
Il sourit brusquement, une lueur d’ironie au fond des
yeux.
— Alors, pourquoi ne pas les garder ?
Alexandra se tortilla nerveusement les mains.
— Cela me mettrait mal à l’aise. Je me sentirais achetée.
Max Goodwin leva les yeux au plafond.
— Vous n’aurez qu’à me rendre ces tenues, dans ce cas.
Je suis sûr que je trouverai quelqu’un qui les appréciera.
— Je préfère nettement cette solution, commenta Alex-
andra. Mais si je comprends bien, vous ne me jugez pas
suffisamment représentative pour cette mission.
— Il ne s’agit pas de cela, mais, pour être honnête, j’ai
besoin que vous ayez d’autres atouts que votre compétence
en langues pour prendre au sérieux votre candidature. Une
certaine dose de sophistication serait sans doute un plus.
Alexandra se mordit la lèvre. Elle mourait d’envie de re-
fuser cette mission. Trop de choses la choquaient chez Max
Goodwin et, en premier lieu, son incroyable arrogance.
Pourtant, cela serait une véritable jouissance de pouvoir se
mesurer à lui et de lui prouver que, contrairement à ce qu’il
21/210

semblait croire, elle ne serait pas pour lui une source


d’embarras.
A contrecœur, elle baissa les yeux pour observer sa
tenue. Elle n’avait jusqu’ici pas eu l’occasion d’expliquer
son allure échevelée ni son accoutrement et, par fierté, elle
refusait maintenant de se justifier.
Donner à Max Goodwin une leçon, quelle tentation ! De
plus, Simon et son agence attendaient beaucoup de ce con-
trat, sans parler du bébé…
— Je pense que je vais accepter, déclara Alexandra.
Même si j’ai quitté le couvent depuis peu et que…
Une lueur d’étonnement passa dans le regard de son
interlocuteur.
— Vous étiez religieuse ?
— Non, simple pensionnaire. Mes parents sont morts,
lorsque j’avais dix-sept ans. Je suis restée au couvent, car la
mère Supérieure était une parente de mon père et la seule
famille qui me restait. Elle est décédée l’an dernier.
— Ah, je comprends. J’allais dire : ceci explique cela.
— Cela explique probablement que je sois une fille or-
dinaire, habituée à une vie simple et au travail. Ce qui ne
veut pas dire qu’on ait le droit de m’imposer n’importe
quoi.
22/210

Il prit le temps d’apprécier cette réponse.


— Vous vous demandez si je pourrais être tenté de
profiter de vous, mademoiselle Hill ?
— Aucun danger ! déclara Alexandra d’un ton serein.
J’imagine que je ne suis pas du tout le genre de femmes
que vous fréquentez. De plus, pour ce que j’en sais, vous
pourriez aussi bien être marié et avoir une douzaine
d’enfants…
Elle marqua une pause en constatant que, pour une rais-
on inconnue, Max Goodwin avait tressailli à cette
remarque.
— Je ne suis pas marié, déclara-t-il. Par simple curiosité,
comment imaginez-vous mon genre de femme ?
Alexandra ébaucha un geste évasif.
— Oh… Très belles, très mondaines et très
sophistiquées.
Il esquissa une moue, sans toutefois réfuter ce jugement.
— Si vous ne craignez pas d’être harcelée, de quoi avez-
vous peur ?
— J’ai l’impression que vous parvenez toujours à vos
fins, déclara Alexandra d’une voix à la fois suave et
résolue.
23/210

Elle ôta ses lunettes et les essuya avec un coin de son


écharpe.
Max songea qu’il n’avait jamais vu d’yeux aussi
fascinants. Etait-ce son imagination qui lui jouait des tours
ou… était-il vraiment sous le charme de ce regard ?
C’était absurde, se reprit-il. C’était sa maîtrise de la
langue chinoise qui l’impressionnait. Pourtant…
— Avez-vous jamais essayé de porter des verres de con-
tact ? s’entendit-il demander.
Alexandra écarquilla les yeux à ce brusque changement
de sujet. Elle avait soudain l’impression que l’entretien
prenait un tour trop personnel. Sans doute une de ses idées
ridicules.
— Je possède des lentilles de contact, mais je préfère
porter des lunettes, répondit-elle, légèrement intriguée.
— Vous devriez essayer de vous y habituer, lui
conseilla-t-il avant de se lever. Très bien, nous allons or-
ganiser cela.
Il alla jusqu’à son bureau et pressa un bouton d’appel.
Margaret Winston arriva peu après. Elle ne vit mani-
festement aucun inconvénient à prendre Alexandra en main
et lui conseilla un magasin de luxe qui assistait les clients
dans le choix d’une garde-robe, de cosmétiques coordonnés
24/210

; ils avaient même un salon de coiffure. Elle se proposa de


leur téléphoner aussitôt pour obtenir un rendez-vous.
— Merci, Margaret. Je voudrais briefer Mlle Hill.
Trouvez-moi un moment aujourd’hui, voulez-vous ?
— Je crains que ce ne soit possible qu’après la fer-
meture, monsieur Goodwin, répondit Margaret, visiblement
prise de court. Le seul moment de liberté dont vous dis-
posez se situe entre 18 et 19 heures.
— Cela vous convient-il, mademoiselle ? dit-il en se
tournant vers Alexandra.
— Où dois-je me présenter ?
— J’ai un appartement au dernier étage de cet immeuble.
Utilisez la sonnette privée et annoncez-vous. Margaret
préviendra mon personnel de votre venue.
Il lui tendit la main, lui signifiant ainsi que l’entretien
était terminé.
Au lieu de répondre à son geste, Alexandra demanda :
— Me briefer ?
Max Goodwin abaissa son bras.
— Oui, je dois vous donner toutes les instructions con-
cernant ces négociations, précisa-t-il. Vous n’aurez pas
seulement à traduire des propos mondains : la plupart des
conversations professionnelles importantes se déroulent
25/210

hors de la salle de conférences. J’aimerais donc que vous


soyez au courant de l’enjeu de ces transactions.
Il leva un sourcil moqueur.
— Est-ce clair maintenant ?
Alexandra haussa les épaules.
— Je ne faisais que poser la question.
— Vous ne vous êtes donc pas demandé si j’avais
quelque chose d’autre en tête ?
Alexandra sourit.
— Si vous aviez connu la mère Supérieure de mon
couvent, vous sauriez que « appartement privé » et « après
l’heure de fermeture » sont des choses que des jeunes filles
raisonnables doivent éviter à tout prix. Une suspicion qui
m’a marquée, mais que j’ai surmontée. Donc, je serai là.
Elle lui tendit la main, sans apercevoir le discret sourire
approbateur de Margaret Winston.
Quand il lui serra la main, Alexandra fut frappée par la
fascination que cet homme était capable d’exercer. Même
arrogant et incroyablement autoritaire, il restait séduisant,
ses larges épaules et sa silhouette élancée mises en valeur
par son costume superbement taillé. Etait-ce son magnét-
isme qui la perturbait ? En dépit de ses yeux bleus et de sa
mise soignée, elle le croyait tout à fait capable de jeter une
26/210

femme en travers de la selle de son cheval et de partir au


galop…
Assez de sottises ! se reprit-elle aussitôt.
Pourtant, elle était incapable de repousser sa fantastique
énergie. Malgré son discours policé, elle gardait l’étrange
impression que leurs propos avaient dépassé la barrière
professionnelle. Peut-être était-ce la raison de sa légère
réticence à l’idée de ce rendez-vous dans son appartement ?
En retirant sa main, elle constata avec un léger trouble
qu’ils étaient de taille presque égale et qu’elle lui arrivait
juste un peu au-dessus de l’épaule.
2.
A l’heure dite, Alexandra arrivait dans le hall de l’im-
meuble Goodwin, chargée d’une quantité de sacs. Elle
déclina son identité au portier qui la conduisit vers l’ascen-
seur adéquat.
— Au trente-cinquième étage, madame.
Alexandra pressa le bouton et se raidit dans l’attente de
l’inévitable nausée : elle ne supportait pas les ascenseurs !
La traversée se déroula cependant fort bien et, dès son ar-
rivée à l’étage, elle déboucha directement dans l’apparte-
ment en terrasse de Max Goodwin.
Un homme d’une quarantaine d’années l’accueillit.
— Mlle Hill, je crois ? s’enquit-il aimablement. Je suis
Jake Frost, l’intendant de Max. Je crains qu’il ne soit en re-
tard de quelques minutes. Si vous voulez bien attendre dans
le salon, puis-je vous offrir un verre ? Débarrassez-vous
donc de vos sacs.
— Merci, dit Alexandra, qui lui remit également sa veste
et son écharpe. Je prendrai volontiers un jus de fruits, je
suis épuisée par cette course dans les magasins.
28/210

— Vous semblez avoir dévalisé leurs stocks, fit re-


marquer gentiment Jake Frost.
— Oui, mais ce n’est pas pour moi. Enfin, je veux dire…
ces articles me sont destinés, mais ne m’appartiennent pas
vraiment et je les rendrai. Ne croyez pas que je sois hor-
riblement dépensière, mais comme une présentation impec-
cable est exigée…
Intrigué, Jake Frost se mit à observer la nouvelle inter-
prète d’un regard moins professionnel. Elle était charmante
et n’avait rien de commun avec les femmes que Max Good-
win avait l’habitude de…
Allons, pas de confusion… Alexandra Hill était là pour
affaires. Avec un sourire sincère, il déclara :
— Ce serait dommage de ne pas profiter un peu de ces
articles.
Quelques minutes plus tard, un grand verre de jus de
fruits glacé à la main, Alexandra admirait le panorama
spectaculaire qu’offrait le logement de Max Goodwin : sur
le fleuve et la ville, le jour tombait et les lumières com-
mençaient à s’allumer çà et là.
Le salon dans lequel elle se trouvait était spacieux, d’un
style contemporain, avec sa moquette vert émeraude, ses
canapés en velours pêche et les tables basses en émail noir.
Un magnifique meuble chinois occupait tout un pan de mur
29/210

; accrochée à la meilleure place, une immense toile ab-


straite attirait l’œil.
— Bonsoir, Alexandra, lança une voix derrière elle.
Alexandra se détourna. Max Goodwin entrait dans la
pièce. Il venait apparemment de prendre une douche et
avait troqué son costume contre un jean et un pull. Il se di-
rigea vers le bar et se servit une bière.
— Asseyez-vous, l’invita-t-il.
Jake entra à cet instant.
— J’ai téléphoné pour prévenir que vous auriez un peu
de retard, Max. Le vin vous attend dans un sac isotherme et
les fleurs sont arrivées. Si vous n’avez plus besoin de mes
services, je vais rentrer.
— D’accord, Jake, au revoir, lança Max avant de se
tourner vers la jeune femme. Comment s’est passé votre
après-midi?
— Très bien. Mais si vous êtes en retard, peut-être
pourrions-nous reporter ce briefing ?
— Non, ce n’est pas si grave, je préfère prendre le temps
d’apprécier ce verre.
— Je ne voudrais pas vous retenir pour votre… rendez-
vous.
Il prit un air amusé.
30/210

— Inutile de prendre cet air réprobateur, mon rendez-


vous consiste en une visite à ma grand-mère, actuellement
dans une maison de repos. Le vin et les fleurs lui
remonteront peut-être le moral.
— Oh !
Alexandra ôta ses lunettes et entreprit de les essuyer
pour se donner une contenance. N’avait-elle pas jugé Max
Goodwin sur les apparences en le prenant pour un don Juan
invétéré ?
— Je suis désolée si je vous ai parue réprobatrice,
s’excusa-t-elle en souriant. Je… En fait, je vous prenais
pour un séducteur. Je n’en ai absolument aucune preuve,
bien sûr, et je retire ce que j’ai dit.
Max resta muet un long moment.
Finalement, Alexandra consulta sa montre.
— Pouvons-nous commencer le briefing ? suggéra-t-elle.
Il y avait une ombre de gravité dans son regard, mainten-
ant qu’elle avait remis ses lunettes, nota-t-il.
— Merci d’avoir révisé votre opinion à mon sujet,
déclara-t-il en se ressaisissant. Personnellement, je ne me
considère pas comme un play-boy, bien que les définitions
de ce terme puissent varier. Mais ce n’est peut-être pas une
bonne idée d’entamer ce genre de discussion.
31/210

Un éclair railleur traversa son regard.


— Pour être franc, peu de personnes osent me désap-
prouver en face. Je considère donc votre intervention
comme une expérience salutaire. Cela dit, passons aux
choses sérieuses.
Quand il eut fini de parler, Alexandra avait une idée as-
sez précise des négociations qu’il allait entreprendre et de
leur importance pour la Goodwin Minerals Company. Ce
serait une formidable avancée si celle-ci réussissait son in-
cursion sur le marché chinois.
Max termina son verre.
— Je vais devoir partir. Merci de m’avoir accordé votre
temps.
Il se leva et prit le sac isotherme qui attendait sur le bar,
ainsi qu’un superbe bouquet de gerberas, de marguerites et
d’asparagus.
Une fois dans l’entrée, tandis qu’Alexandra récupérait
ses sacs et sa veste, il déclara avec humour :
— J’espère que vous n’êtes pas garée trop loin,
Alexandra.
— Je n’ai pas de voiture, répondit-elle en pénétrant dans
l’ascenseur. En fait, je ne conduis pas.
32/210

Il la contempla d’un air si surpris qu’Alexandra eut envie


de rire.
— Mais comment vous déplacez-vous ?
— Je prends le bus. J’ai aussi une bicyclette et, très oc-
casionnellement, je prends un taxi.
— Où habitez-vous ?
Alexandra le renseigna.
— C’est sur mon chemin, dit-il avant de presser le
bouton du sous-sol. Je vous raccompagne.
— Vraiment, ce n’est pas nécessaire, monsieur
Goodwin, protesta-t-elle. J’ai l’habitude…
— Alexandra, laissez-moi vous donner un conseil : ne
discutez jamais avec moi, surtout quand je suis de bonne
humeur, parce que cela risque alors de ne pas durer.
— De plus, ajouta-t-il en remarquant ses sacs, vous avez
apparemment fait une razzia dans les magasins. Vous pour-
riez être dévalisée, on ne sait jamais.
— Vous vous moquez de ce qui pourrait m’arriver, du
moment qu’on ne touche pas aux achats, c’est cela ?
— Exactement, ironisa-t-il. Mais assez bavardé, allons-y
!
33/210

Alexandra n’eut d’autre choix que de le suivre, tandis


qu’il traversait le parking souterrain en direction d’une ru-
tilante Bentley marine.
Oubliant sa colère, la jeune femme s’exclama,
admirative :
— Je ne connais pas grand-chose aux voitures, mais elle
est vraiment magnifique !
— Oui, c’est une beauté, n’est-ce pas ? Belle, mondaine
et très sophistiquée. Si c’était une femme, je serais tenté de
l’épouser.
Alexandra ne put s’empêcher de rire. Il déverrouilla le
coffre pour y déposer leurs sacs, puis lui ouvrit la portière.
Alexandra s’installa dans l’élégant habitacle, tout en cuir
crème et bois de noyer.
— Est-ce une décision volontaire de ne pas conduire ?
s’enquit Max tandis que la voiture remontait la rampe. Une
conviction écologique ?
Alexandra ébaucha une moue.
— J’aimerais vous répondre que oui. Mais c’est avant
tout une décision pratique. Je n’ai pas de garage.
— Quelle est votre situation financière ?
— Mes parents m’ont laissé un petit pécule, l’informa
Alexandra en regardant les rues défiler. Après l’accident
34/210

qui leur a coûté la vie, la mère Supérieure du couvent a été


désignée en tant que tutrice. Mes études ont ainsi été
payées et il m’est resté suffisamment d’argent pour acheter
un petit pavillon. Donc, je suis assez riche, même si je n’ai
pas de voiture, acheva-t-elle avec un sourire joyeux.
Max Goodwin remarqua l’éclat un peu trop vif de ses
prunelles. Elle essayait tant bien que mal de dissimuler sa
tristesse.
— Bravo pour votre débrouillardise, dit-il seulement.
C’est ici ?
Il gara la Bentley dans une rue bordée de maisons
mitoyennes.
— Merci beaucoup. Je vous reverrai donc au cocktail
demain après-midi ? demanda Alexandra.
— Oui. Avez-vous quelque chose de prévu demain
matin ? Peut-être désirez-vous voir la salle de conférences
et rencontrer les autres interprètes ?
— Cela me plairait effectivement, mais il se trouve que
j’ai toutes sortes de rendez-vous dans la matinée : coiffeur,
manucure, esthéticienne.
Max se tourna vers elle. Il avait ouvert sa portière et le
plafonnier était allumé.
35/210

— N’en faites pas… plus qu’il n’en faut, lui conseilla-t-


il.
Son regard bleu s’attarda sur le visage de celle qu’il
venait d’engager. Elle était rafraîchissante, pensa-t-il.
Alexandra réprima un sourire.
— Je n’ai pas l’intention de ressembler à Cendrillon,
rassurez-vous. En fait, j’ai freiné les dépenses.
Max se rendit compte qu’elle retournait la situation et
que loin d’être accablée par sa demande de changer de
physionomie, elle allait jusqu’à se moquer de lui.
— Expliquez-vous, s’enquit-il d’un ton brusque.
— Je n’ai cessé de rappeler à Mme Winston et aux
vendeurs que je ne devais pas éclipser vos invités. Je tiens à
préciser que vous ne payez que les vêtements.
Il se rembrunit.
— Pourquoi faites-vous cela ?
Elle haussa les épaules.
— C’est important pour moi : une question d’orgueil.
Les soins esthétiques sont quelque chose de très personnel
et je vous prie de ne pas en discuter, monsieur Goodwin.
Max laissa échapper un rire involontaire en voyant Alex-
andra dresser le menton.
36/210

— Très bien. Si nous sortions vos affaires ?


Il les porta lui-même dans la courte allée qui menait à la
porte d’entrée du pavillon.
— Donnez-moi votre clé que j’ouvre votre porte.
— Je… Elle se trouve probablement sous ce pot de
fleurs, dit-elle en lui indiquant un pot de lavande.
— Je n’arrive pas à le croire, répondit-il en posant les
sacs pour soulever le pot. C’est le premier endroit où un
cambrioleur irait regarder. Quoique cela ne lui servirait pas
à grand-chose ce soir : elle n’y est pas.
Il se redressa et contempla la douzaine de plantes en pot
groupées près de la porte.
— Où dois-je chercher votre clé maintenant ? Sous le ba-
silic, la menthe, le persil ?…
— Je la change de place chaque fois, coupa-t-elle
nerveusement. J’ai pris cette habitude parce que je perds
tout le temps mes clés. Oh ! Attendez.
Alexandra se frappa le front.
— Je rentrais de voyage. Donc, elles doivent encore être
dans mon sac.
Elle se mit à fouiller dans son sac à main, gagnée par
l’exaspération et, finalement, en renversa le contenu sur le
banc.
37/210

— Combien de fois par jour devez-vous faire cela ? s’en-


quit Max.
— Pas si souvent. Tout cela est votre faute aussi. Ah !
Les voilà.
Max haussa les sourcils de surprise.
— Ma faute ? Je ne vois pas…
Alexandra l’interrompit pour lui raconter la folle journée
qu’elle avait passée, uniquement parce qu’il avait eu besoin
immédiatement d’un interprète de mandarin.
— Est-ce si étonnant que je me sente un peu
désorganisée ? termina-t-elle, avant de se rendre compte
qu’il riait silencieusement. Ce n’est pas drôle, vous savez.
— Oh ! Si, dit-il en ouvrant la porte d’entrée pour elle.
Où est l’interrupteur ?
— Juste à droite, mais vous n’avez pas besoin de…
— Je n’ai pas l’intention d’entrer chez vous, Alexandra,
dit-il, non sans ironie. Ceci au cas où votre mère Supérieure
vous observerait de là-haut et… Je suis désolé,
s’interrompit-il brusquement en voyant qu’elle changeait
d’expression. Oubliez ce que je viens de dire. Bon, je vous
reverrai demain après-midi. Merci d’avoir supporté…
toutes les difficultés de cette journée !
38/210

Juste avant de s’éloigner, il la contempla d’un œil aigu,


puis lui toucha la joue d’un geste familier et retourna vers
sa voiture.
En démarrant, Max se surprit à penser que, s’il avait été
libre, il aurait aimé emmener sa nouvelle interprète dîner en
ville. Quelque chose lui disait qu’elle apprécierait son en-
droit favori : une auberge sans prétention, confortable, où
l’on servait les meilleurs plateaux de fruits de mer de Bris-
bane. Il songea qu’il n’avait d’ailleurs pas emmené une
femme là-bas depuis longtemps, même s’il ne manquait pas
de candidates pour l’escorter. Il participait à de nombreuses
réceptions avec, chaque fois, une femme très élégante et
parfumée à son bras. Mais il avait soudain la curieuse im-
pression que tout cela était… superficiel.
Cela l’amena à se demander si la façon dont Alexandra
Hill semblait l’attirer ne prouvait pas qu’il était fatigué des
mondanités ou des femmes sophistiquées, pour reprendre
les propos de cette dernière ?
Il fronça les sourcils, ces pensées le ramenaient directe-
ment à une femme en particulier, belle, mondaine et soph-
istiquée justement… Et au souci qu’elle lui causait.

Alexandra était encore stupéfaite en refermant sa porte


sur la nuit pluvieuse. Au moment où il l’avait si scru-
puleusement observée, une sensation bizarre l’avait
39/210

traversée, comme si un frisson chargé d’électricité passait


entre eux.
Du bout des doigts, elle tâta la joue qu’il avait touchée et
respira profondément en évoquant la présence magnétique
de son nouvel employeur. Sa haute taille, le bleu profond
de ses yeux, les petits plis qui soulignaient son regard
chaque fois qu’il riait, ses larges épaules…
Brusquement, elle secoua la tête. Inutile de rêver ! se
rabroua-t-elle.
Elle avait décoré sa maison avec des objets et des grav-
ures du monde entier rassemblés au cours des voyages de
sa jeunesse. A l’époque, son père était consul et elle avait
mené une vie merveilleuse, se remémora-t-elle.
Tout s’était effondré lorsque ses parents avaient trouvé la
mort dans un accident de train, très loin de chez eux. Elle-
même se serait sans doute trouvée à bord du train fatal s’ils
n’avaient décidé de l’envoyer en Australie pour terminer sa
scolarité. Cette décision lui avait sauvé la vie, et ce choix,
difficile à accepter à l’époque, s’était révélé sage. Alexan-
dra s’était fait des amis durables, ce qui n’avait pas été pos-
sible au cours de son enfance nomade.
Elle avait eu aussi la présence rassurante de la cousine de
son père, la mère Supérieure du couvent où elle avait été
élève.
40/210

Mais pour une enfant unique, la disparition de ses par-


ents avait été une terrible épreuve et Alexandra en souffrait
encore dans ses moments de solitude. Cette tragédie l’avait
insidieusement amenée à avoir peur de s’attacher à
quelqu’un. La crainte que l’objet de son amour lui soit ar-
raché ne cessait de la hanter.
C’était la raison pour laquelle à vingt et un ans elle était
célibataire. Elle se demanda s’il en serait toujours ainsi.
Elle avait tout de même eu la chance d’hériter d’une
belle somme qui lui avait permis de payer ses études et,
plus tard, d’acheter cette maison. Elle avait pu ainsi tirer un
trait sur l’époque du couvent, même si cette période n’avait
pas été pénible.
Pendant ses études universitaires, elle avait été acceptée
comme membre laïc de la communauté et, en échange,
avait aidé les jeunes pensionnaires. Elle savait s’y prendre
avec les enfants, surtout ceux qui supportaient mal d’être
loin de leur famille.
Quel changement lorsqu’elle s’était retrouvée seule dans
sa maison ! Heureusement, elle avait la chance d’avoir une
voisine très sympathique, Patti, une veuve dynamique qui
était en retraite, et dont Alexandra appréciait beaucoup la
compagnie. Chacune s’occupait du jardin et du courrier de
l’autre en cas d’absence.
41/210

Alexandra posa les clés sur la table du salon, ses sacs sur
le canapé et entreprit d’allumer quelques lampes.
Dans la lumière tamisée, la pièce apparut, reposante et
douillette avec son tapis et ses coussins exotiques. Elle ôta
ses bottes et se dirigea vers la salle de bains. Elle prit une
douche, puis pieds nus se rendit dans la cuisine. Elle se pré-
para du thé et un sandwich et emporta le tout dans sa
chambre, puis entreprit de vider sur le lit le contenu des
sacs.
En contemplant la pile de vêtements, elle pensa avec une
pointe d’ironie que même si elle avait freiné Margaret Win-
ston dans les dépenses, les tenues étaient superbes.
La jeune femme avait sous les yeux des tenues taillées
dans les plus jolies matières : soie, crêpe, laine et lin, ainsi
que deux paires d’escarpins.
Elle se rembrunit soudain. Ces vêtements somptueux
étaient si différents de son style habituel. Saurait-elle les
porter avec élégance ?
Une autre pensée, plus étrange celle-là, la frappa. Com-
ment Max Goodwin la considérerait-il dans ces tenues
raffinées ?
A son grand étonnement, elle sentit son pouls s’accélérer
à cette question et dut inspirer profondément pour se
42/210

calmer. Elle devait se montrer strictement professionnelle


dans ses relations avec lui, se rappela-t-elle.

Le lendemain, Alexandra avait un programme chargé.


Elle devait se rendre à l’appartement de Max Goodwin à 17
h 30 pour le cocktail et avait toute une série de rendez-vous
auparavant. De plus, sur son répondeur, un message de Si-
mon Wellford lui demandait de passer le voir.
Juste avant de sortir de chez elle, elle reçut la brève vis-
ite de sa voisine, Patti.
— Bonjour, Alexandra. Ecoute, je ne vais pas le nier,
commença celle-ci d’un ton quelque peu théâtral, je suis
dévorée de curiosité ! Qui est l’homme séduisant qui t’a re-
conduite hier soir, en Bentley, s’il vous plaît ?
Alexandra se mit à rire avant d’expliquer :
— Le patron pour qui je remplis une mission temporaire.
Inutile de te mettre des idées en tête.
Patti laissa échapper un soupir de regret avant de sourire
malicieusement.
— Eh ! On ne sait jamais…

A midi, Alexandra se regarda dans le miroir du salon de


coiffure, légèrement incrédule.
43/210

Ses cheveux avaient été rafraîchis et harmonieusement


coiffés, ses cils teints, ses ongles manucurés.
Sa nouvelle coiffure surtout la surprenait. Plus de
cheveux ternes ou envahissants ; quelques mèches blondes
rehaussaient leur couleur et leur tendance à boucler
naturellement avait été accentuée.
— Cela vous plaît ? s’enquit M. Roger, le coiffeur.
Alexandra bougea la tête et sa chevelure flotta autour
d’elle avec élégance.
— Je n’arrive pas à y croire ! Mais je ne saurai pas leur
garder ce style.
— Oh ! Mais si, répondit le coiffeur, piqué. Tout est
dans la coupe et vous pourrez les porter comme vous
voulez. Mary ?
Par-dessus son épaule, il appela l’esthéticienne.
— A vous pour le maquillage. Surtout, soignez les yeux.
Ils sont magnifiques !

Simon laissa tomber son stylo en la voyant.


— Oh ! Seigneur. Je veux dire…
— C’est bon, coupa Alexandra en souriant, j’ai eu moi-
même un choc. Quand je pense que je me bats avec mes
cheveux depuis des années alors que tout ce dont j’avais
44/210

besoin était un nouveau style et quelques mèches colorées.


Remarque, cela a coûté une petite fortune.
— Ce n’est pas seulement tes cheveux, dit-il en la dévis-
ageant. Mais ton maquillage… Et le fait que tu ne portes
plus de lunettes. C’est extraordinaire. Mais tu as toujours le
même style vestimentaire.
— Ah, ce sera différent cet après-midi. Pourquoi
désirais-tu me voir ?
Simon ouvrit un dossier.
— Goodwin Minerals a faxé le contrat. Il y a une clause
de confidentialité. J’ai demandé à notre avocat de vérifier
le document et il ne voit aucun problème. Bien sûr, tout ce
que tu entendras pendant ces négociations devra rester
confidentiel.
Il lui tendit un stylo et Alexandra signa le document.
— Ils ont aussi faxé le programme des événements
auxquels tu seras tenue d’assister, poursuivit-il.
— Un cocktail, ce soir, un déjeuner à Sovereign Islands
demain, puis trois jours de relâche avant une journée de
golf à Sanctuary Cove, une excursion sur le fleuve, une
journée aux courses et, pour finir, un dîner dansant à…
Sovereign Islands de nouveau, énuméra Alexandra. Oui, je
suis au courant. Je crois que je vais apprécier cette pause de
45/210

trois jours après le déjeuner de demain. En fait, pourquoi à


Sovereign Islands ?
— C’est au large de la Gold Coast. Goodwin possède
une villa là-bas, imagine plutôt un palais, expliqua Simon
avec ironie.
Il ouvrit un tiroir et en sortit un badge doré qu’il lui
tendit. Le nom d’Alexandra et le logo de la société y étaien
artistement inscrits.
Alexandra le rangea dans son sac.
— Bon… Eh bien, bonne chance, déclara-t-il d’un air
grave. Tu sais que cette mission d’interprétariat est import-
ante et qu’elle peut nous apporter beaucoup de travail?
— Simon, c’est au moins la dixième fois que tu me
poses la question. Oui, j’en ai conscience et je me
débrouillerai parfaitement. Maintenant, il est temps que j’y
aille…
— Comment est-il, ce Max Goodwin ?
Alexandra réfléchit un instant.
— Je dirais… très intelligent, habitué à agir comme il
l’entend et très riche.
— Je n’en ai jamais douté, commenta Simon. Il vient
d’une famille très fortunée : sa grand-mère est la fille d’un
comte italien, et sa sœur est mariée à un aristocrate anglais.
46/210

La rumeur circule en ville qu’il a un fils dont il ne soupçon-


nait même pas l’existence.
Alexandra, qui avait atteint la porte, se tourna vers son
employeur d’un air stupéfait. Simon Wellford avait une
sœur, Cilla, qui avait épousé un homme issu de la haute so-
ciété. Aussi était-il au courant de tous les potins sur les
célébrités.
— Il ne connaissait pas son existence ? répéta-t-elle, mé-
dusée. Comment est-ce possible ?
Simon haussa les épaules.
— Il y a eu quelques femmes dans la vie de Max Good-
win. En tout cas, le bruit court que cette nouvelle ne l’a
guère ravi, et le mot est faible.
Alexandra se rassit, stupéfaite.
— Comment peut-on ne pas se réjouir d’avoir un enfant?
— Je n’ai pas de réponse, Alexandra. Cilla ne connaît
pas d’autres détails. Et si j’étais toi, je ne poserais pas la
question à l’intéressé, dit-il en ébauchant une moue.
— C’est évident, voyons.
— Je te dis cela, parce que j’ai le sentiment que tu es…
une bonne âme. Un peu trop peut-être.
— Pas du tout. Enfin, si, se corrigea Alexandra. Mais je
ne suis pas du genre à me mêler de ce qui ne me regarde
47/210

pas. Cette histoire ne me concerne en rien, même si je ne


peux pas comprendre une telle attitude.
— Désolé de t’en avoir parlé, mais que cela n’affecte pas
tes rapports avec Goodwin, commanda-t-il. C’est tout ce
que je te demande.
— Cela n’arrivera pas, promit Alexandra. Je resterai très
professionnelle.

17 h 30. Alexandra déboucha de l’ascenseur privé de


l’immeuble Goodwin et écarquilla les yeux devant le spec-
tacle qui s’offrait à elle.
La veille, les rideaux fermés cachaient le toit-terrasse.
Cette fois, ils étaient tirés et elle découvrit la piscine illu-
minée : un véritable décor de comédies musicales s’offrait
à son regard émerveillé ! Une pirogue flottait sur l’eau, une
petite plage sablonneuse avait été aménagée, entourée de
véritables palmiers et de buissons d’hibiscus. Les serveurs
portaient sarongs et pagnes hawaïens et une musique douce
en sourdine renforçait l’ambiance tropicale. Les buffets et
les boissons étaient posés sur des tables couvertes de
chaume et ornées de fleurs de frangipanier. On se serait
vraiment cru sur une île du Pacifique !
Alexandra se détourna et vit Margaret Winston juste der-
rière elle.
48/210

— C’est magnifique ! s’extasia-t-elle.


Margaret sourit modestement.
— Nous faisons de notre mieux. Mais laissez-moi vous
regarder.
Alexandra portait un chemisier orné de sequins, sur un
bustier et une jupe noirs. Ses longues jambes étaient
gainées de soie et elle avait enfilé des escarpins en daim.
Avant que Margaret ait eu le temps de donner son opin-
ion, Max Goodwin arriva à leur hauteur.
Il enveloppa Alexandra d’un regard rapide, étouffa une
exclamation et, se tournant vers sa secrétaire, lança d’un
ton réprobateur :
— Oh ! Pour l’amour du ciel, Margaret ! Qu’avez-vous
fait?
3.
Alexandra se figea, soudain glacée.
La voyant incapable de proférer un mot, Margaret Win-
ston vint à son secours.
— Mais, monsieur Goodwin, elle est très jolie comme
cela!
— Jolie ? maugréa son patron. Elle est…
Il n’eut pas l’occasion d’achever, sortant de son
hébétude, Alexandra tourna les talons et se mit à courir
vers le hall.
Max Goodwin la rattrapa devant l’ascenseur.
— Si vous me laissiez finir ! assena-t-il en la saisissant
par le bras. J’allais dire que vous étiez absolument
magnifique!
La tête haute, Alexandra le jaugea avec méfiance.
— Vous essayez de me rassurer ! Laissez-moi partir.
— Non, venez avec moi.
Raffermissant la pression sur son bras, il entraîna la
jeune femme vers une pièce à l’écart, un petit salon tendu
de vert, confortable et accueillant.
50/210

— Je le pensais sérieusement, affirma-t-il après avoir


refermé la porte derrière eux.
— Alors, pourquoi aviez-vous l’air furieux ? se défendit
Alexandra. Cela n’a aucun sens !
Il la relâcha et fourra les mains au fond de ses poches.
— Parce que la dernière chose dont j’ai besoin en ce mo-
ment, c’est d’une interprète qui vole la vedette ! Qui plus
est, je n’ai aucune envie qu’on nous croit intimes.
Le visage d’Alexandra s’empourpra, mais elle parvint à
répliquer :
— Aucun risque de ce côté-là !
— Ma chère…
Max recula et laissa errer sur elle son regard bleu
sombre.
— Croyez-moi, cette pensée me viendrait à l’esprit si je
vous voyais avec un autre homme. Vous êtes si fine et si
élégante. Le noir vous sied parfaitement et fait ressortir
votre teint délicat. Vos yeux sont étonnants, presque verts
aujourd’hui. Et vos jambes… J’en ai rarement vu d’aussi
jolies. Comment diable se fait-il que vous ayez eu cette…
apparence hier matin ?
51/210

— Je vous rappelle que je rentrais des sports d’hiver ! ré-


pondit Alexandra, butée. Il n’empêche que je ne sais pas si
je dois vous croire.
— Je n’ai pas l’habitude de mentir.
Alexandra secoua la tête, désorientée.
— Mais c’est vous qui avez insisté pour que j’aie le
physique de l’emploi. Vous aviez peur d’être embarrassé
par mon apparence.
— C’est vrai, je l’avoue. Et j’étais convaincu que mes
critiques ne feraient pas beaucoup de différence, que vous
vous moquiez éperdument de ce que je pensais.
Alexandra sentit de nouveau le feu lui monter aux joues.
Mon Dieu ! Que répondre à cela ?
— Je croyais m’être totalement trompée, tenta-t-elle
d’expliquer. Que ce nouveau look ne m’allait pas du tout.
— Non. C’est exactement le contraire.
Alexandra demeura muette et se contenta de l’observer.
Même si elle n’y connaissait pas grand-chose en matière de
vêtements masculins, son costume anthracite était à n’en
pas douter du sur-mesure. Il portait une chemise blanche à
fines rayures et une cravate à motifs émeraude. Des
boutons de manchettes en or brillaient à ses poignets.
Ajouté à cela, son air de beau ténébreux…
52/210

C’était plutôt lui qui raflerait tous les suffrages, ce soir.


Pourquoi donc n’était-il pas encore marié ? Il devait avoir
dans les trente-cinq ans déjà. Et pourquoi le fait de découv-
rir qu’il avait un enfant ne le ravissait-il pas, pour repren-
dre l’expression de Simon ?
— Mademoiselle Hill ?
Emergeant de sa rêverie, Alexandra tressaillit.
— Désolée. Vous disiez ?
— Rien, mais vous me regardiez comme si j’étais… A
vrai dire, je ne sais pas trop. Peu recommandable ? Ou ap-
partenant à une espèce qui vous est totalement inconnue ?
Alexandra laissa échapper un petit rire involontaire.
— Cela se pourrait. Ecoutez, voulez-vous que je file
chez moi pour me changer ?
Il la regarda d’un œil légèrement désapprobateur, comme
s’il avait envie d’en découdre avec elle sur ce « Cela se
pourrait ». Il consulta sa montre et secoua la tête.
— Pas le temps. Il faudra faire avec. Je vous demande
seulement d’ignorer les marques d’admiration excessive
que l’on vous témoignera.
— Monsieur Goodwin, coupa Alexandra, je ne suis ni
sotte ni impressionnable !
53/210

— Non, mais vous n’êtes sans doute jamais apparue en


public comme si vous vous prépariez à faire la couverture
de Vogue! Les invités se demanderont si je couche avec
vous en plus de vous employer, c’est dans la nature hu-
maine ! l’avertit-il, irrité. Et vous disiez que vous aviez fre-
iné Margaret ?
Alexandra acquiesça.
— Il y avait une jupe beaucoup plus courte pour aller
avec ce top…
— Et elle voulait vous la faire acheter ?
Alexandra sentit la situation devenir périlleuse.
— Je ne m’en souviens pas. En fait, j’ai essayé un
nombre incalculable de vêtements. Est-ce si important ?
— Non, répondit brièvement Max Goodwin tout en se
demandant à quel jeu sa secrétaire jouait.
Cherchait-elle à lui coller cette femme dans les bras ?
Alexandra Hill n’était pas seulement d’une beauté
étonnante, admit-il soudain, elle était différente, étonnam-
ment rafraîchissante et naturelle. En d’autres circonstances,
il aurait été curieux de faire sa connaissance un jour où ses
jolies jambes, ses yeux splendides et son corps mince et sé-
duisant auraient eu plus d’importance que sa maîtrise du
mandarin…
54/210

Max interrompit brutalement le cours de ses pensées, Al-


exandra s’exclamait :
— Oh ! J’allais oublier…
Ouvrant sa pochette de soirée, elle en sortit le badge de
Simon.
— Ceci devrait me rendre service, dit-elle en l’ac-
crochant à son chemisier. Maintenant, j’ai plus l’allure
d’une employée, non ?
Max ne répondit pas.

***

Alexandra se rendit compte avec soulagement que le


cocktail était moins formel que le reste du programme an-
noncé. Il rassemblait une foule animée où se mêlaient des
hommes d’affaires chinois et les directeurs de Goodwin
Minerals, accompagnés le plus souvent de leurs élégantes
épouses. Le décor paradisiaque enchantait les invités et
l’ambiance était décontractée. Elle n’eut aucun discours de
bienvenue à traduire, et encore moins de conversations
commerciales. Il s’agissait surtout de faire les
présentations.
Elle avait reçu la consigne de ne pas quitter Max Good-
win qui tenait à accueillir personnellement chaque convive.
55/210

Elle dut convenir qu’il avait raison sur un point : elle at-
tirait l’attention. Les hommes notamment semblaient impa-
tients de faire sa connaissance et étaient visiblement éton-
nés d’apprendre qu’elle travaillait.
Alexandra réussit à parer à ces imprévus aussi poliment
et brièvement que possible, et s’en tint strictement à son
rôle d’interprète.
Un léger incident faillit cependant la désarçonner, quand
un jeune homme du nom de Paul O’Hara se présenta à elle.
Il était étudiant en gestion, actuellement stagiaire dans le
bureau de Max Goodwin, lui apprit-il.
— Et accessoirement, mon cousin ! précisa Max en
souriant.
Paul avait environ vingt-cinq ans. Blond, des yeux gris
rieurs, il était joli garçon et adressa à Alexandra un regard
où l’admiration n’était que trop visible.
Max venait de se détourner quand le regard de Paul nav-
igua de son cousin à Alexandra. Une lueur intriguée y bril-
lait, comme une interrogation.
Alexandra s’empourpra et entrouvrit les lèvres, légère-
ment suffoquée. Non, elle n’était pas la propriété de Max
Goodwin ! Mais comment réfuter pareil soupçon au beau
milieu d’un cocktail, alors qu’elle travaillait ? Mon Dieu !
C’était exactement la situation que Max avait prévue.
56/210

Redressant fièrement le menton, elle tourna carrément le


dos au jeune homme. Après quoi, il lui fallut un effort de
volonté pour se concentrer de nouveau.
Au bout de deux heures, les invités prirent congé et Al-
exandra laissa échapper un soupir.
— Vous avez été excellente, mademoiselle Hill. Je vous
félicite, déclara Max en souriant. Mais vous devez être
fatiguée.
— J’ai l’impression d’avoir été passée à la moulinette,
avoua-t-elle.
— Dans ce cas, allez dans le salon vert. Je vous apporte
un remontant.
Alexandra hésita cependant.
— Je ferais mieux de rentrer chez moi.
— Dans un moment.
Arrêtant une serveuse chargée d’un plateau, il prit deux
coupes de champagne.
— Après vous, commanda-t-il à Alexandra.
Elle n’eut d’autre choix que de faire ce qu’il demandait.
Une fois dans le petit salon, elle prit place sur un canapé et
ôta ses escarpins avec un soulagement non dissimulé.
57/210

— Désolée…, dit-elle en acceptant la coupe qu’il lui


tendait. Les chaussures neuves ! C’était une très belle fête.
J’imagine que la remise en ordre prendra du temps.
— Margaret et Jake s’en chargent, répondit-il en s’in-
stallant dans un fauteuil en face d’elle. Ils dirigent les
opérations comme des généraux sur un champ de bataille !
Tout est prévu. Ils passeront la nuit à l’étage au-dessous.
Alexandra porta le verre à ses lèvres et savoura une gor-
gée glacée.
— Cela fait du bien, merci.
— J’espère bien. C’est un champagne exceptionnel.
Dans votre couvent, on ne vous a pas prévenue contre l’al-
cool et les situations dangereuses qu’il peut engendrer ?
demanda-t-il avec ironie.
— Si, bien sûr, et j’y goûte très rarement. Mais je dois
tenir cette hérédité de mon père qui était amateur de bons
crus.
Max Goodwin l’observa avec acuité.
— Vous avez… Comment dire ? Un calme inné, Alexan-
dra. J’imagine que cela vient aussi de votre habitude de
vivre au contact du corps diplomatique.
— C’est possible. Dois-je comprendre que j’ai réussi le
test de ce soir ?
58/210

— Certainement.
Il se leva, ôta sa veste et s’étira.
— Demain, nous avons un déjeuner d’affaires au bord de
la Gold Coast, j’y ai une maison. Vous aurez ensuite trois
jours de battement, durant lesquels les négociations pren-
dront un tour sérieux. Ce sera le rôle des autres interprètes.
Je… Qu’y a-t-il ? demanda-t-il soudain.
Alexandra se raidit, s’intimant l’ordre d’arrêter de rougir
comme une adolescente effarouchée. La vue de Max Good-
win étirant ses muscles la troublait au plus haut point. Son
torse puissant se profilant sous la fine étoffe de sa chemise,
son ventre plat, son parfum viril et enivrant assaillaient ses
sens. Une représentation mentale de Max Goodwin, nu et
hâlé, traversa son esprit…
— Rien, je…, balbutia-t-elle.
La bouche sèche, elle reprit :
— Je… Je n’avais pas encore pensé au moyen de me
rendre sur la Gold Coast, improvisa-t-elle.
Elle se leva, impatiente de s’en aller tout à coup.
— Je vous emmènerai là-bas et vous reconduirai chez
vous après le repas, proposa Max. Etes-vous sûre que tout
va bien ?
— Oui, absolument.
59/210

Alexandra prit une gorgée de champagne pour se récon-


forter, en espérant qu’elle n’allait pas se mettre à suffoquer.
Elle releva la tête, leurs regards s’accrochèrent et elle se
sentit piégée, incapable de s’arracher à la fascination des
yeux de cet homme, d’un bleu profond comme l’océan.
Son pouls s’affola.
« Vous mentez, Miss Hill », se dit Max en observant la
petite veine qui battait rapidement à la base de sa gorge
claire.
Il abaissa le regard sur la délicieuse silhouette longiligne
qui l’avait tant étonné et, à sa grande surprise, se sentit
émoustillé…
A sa grande surprise ? Non, admit-il. Cette fille était
belle à damner un saint, elle ressemblait à un papillon qui
venait d’émerger de sa chrysalide. Quel homme n’aurait eu
envie d’enfouir ses doigts dans ses cheveux, de respirer le
parfum de sa peau ? Pourtant, elle était différente des
femmes séduisantes et stéréotypées qui l’attiraient
habituellement. Sa personnalité était un étonnant mélange
de talent, d’intelligence et d’humour. Il s’agissait d’une
femme indépendante qui ne craignait pas de lui faire re-
marquer les erreurs qu’il commettait.
Elle l’intriguait, suscitait en lui un désir impérieux : la
prendre dans ses bras par surprise, faire taire ses protesta-
tions en l’embrassant et… attendre sa réaction.
60/210

Il était incapable de prédire ce qui suivrait. Cette femme


est une énigme, songea-t-il, fourrant ses mains dans ses
poches pour s’empêcher de passer à l’action. Il ne pouvait
pas se permettre de la toucher à ce stade…
Bon sang ! A quoi pensait-il ? Etait-il devenu fou ?
Aussi, pourquoi le regardait-elle ainsi, les lèvres en-
trouvertes, avec une lueur étonnée au fond de ses beaux
yeux noisette? Une émotion teintait son regard, comme si
elle partageait cette attirance inattendue, et que l’air s’élec-
trisait entre eux…
Un coup frappé à la porte rompit le charme. Margaret
passa la tête dans l’entrebâillement
— Monsieur Goodwin, il y a un problème. C’est assez
urgent.
Alexandra réagit enfin et dit vivement :
— Je m’en vais.
— Pas question, commanda Max. Terminez votre verre.
Pendant ce temps, je vais prendre des dispositions pour que
l’on vous ramène chez vous. Allons-y, Margaret.
Il sortit et referma la porte derrière eux.
Restée seule, Alexandra laissa échapper un profond
soupir et se laissa tomber sur le sofa. Elle porta ses mains à
ses joues brûlantes.
61/210

Mon Dieu ! Qu’est-ce qui lui avait pris ? Jamais elle


n’avait déshabillé un homme en imagination ! S’emparant
de sa coupe de champagne, elle en avala les deux tiers
d’une longue gorgée.
Max Goodwin la décontenançait : il ébranlait ses sens,
déstabilisait ses pensées. Elle ne pouvait laisser les choses
aller plus loin, décréta-t-elle. A quoi avait-il songé en l’étu-
diant si scrupuleusement ? Etait-il attiré par elle ? Non, cer-
tainement pas.
Pourtant, pendant quelques instants, ils avaient été
comme enfermés dans une bulle sensuelle qui avait oblitéré
le monde autour d’eux. Etait-ce encore son imagination qui
lui jouait des tours ?
Alexandra fixa les profondeurs du salon, songeant aux
hommes qu’elle avait eu l’occasion de rencontrer. Elle en
avait admiré certains, sans jamais tomber amoureuse.
Ce soir, Paul O’Hara lui avait paru charmant. Pourquoi
s’était-il aussitôt imaginé qu’elle et Max Goodwin avaient
une aventure sentimentale ?
Fermant les yeux, elle se demanda si on allait ou non la
ramener rapidement chez elle.
Etait-ce le champagne qu’elle avait bu trop vite ou la fa-
tigue qui l’accablait après ces deux heures de concentration
intense ? Elle s’assoupit…
62/210

Elle se réveilla, l’esprit confus. Seule, une lampe éclair-


ait le salon. Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’elle
avait dormi… deux heures! Plus étrange encore, elle était
étendue sur le canapé, la tête sur un oreiller, et un plaid la
couvrait.
Alexandra se dressa, horrifiée. Mon Dieu ! Qui avait dé-
cidé de la laisser dormir ici, au lieu de la renvoyer chez elle
?
Elle chercha à tâtons son sac, l’ouvrit et s’empara de son
téléphone portable. Elle allait appeler un taxi et s’éclipser
sans bruit.
Elle se leva et, ses chaussures à la main, gagna douce-
ment le hall faiblement éclairé. Il n’y avait aucun bruit dans
l’appartement.
Elle appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur, puis
commença à composer le numéro de la compagnie de taxis.
Elle s’aperçut alors qu’aucun signal lumineux
n’apparaissait au-dessus des portes de l’ascenseur.
Annulant son appel téléphonique, elle pressa de nouveau
le bouton. Toujours rien.
Oh ! Mon Dieu ! L’ascenseur était verrouillé. Il fallait
sans doute une carte magnétique pour le faire fonctionner.
Que faire maintenant ? Si Max Goodwin était allé se
coucher, elle n’oserait certainement pas aller le réveiller !
63/210

Pouvait-elle prévenir Jake ? Mais Max avait dit que son in-
tendant et Margaret Winston passeraient la nuit « à l’étage
du dessous ». L’appartement était-il un duplex, avec des
chambres à l’étage inférieur ? Dans ce cas, il devait y avoir
un escalier intérieur…
Mais aucune autre porte ne s’ouvrait dans le hall.
Sur la pointe des pieds, elle se rendit dans le salon prin-
cipal, cherchant désespérément une issue. En vain. Dépitée,
elle revint sur ses pas, songeant qu’il ne lui restait plus qu’à
passer la nuit dans le salon vert !
Quelques minutes plus tard, Alexandra était de nouveau
étendue sur le canapé, le plaid remonté sur elle, mais incap-
able de se rendormir.
Se relevant, elle alla éteindre la lampe, espérant que
l’obscurité l’aiderait à trouver le sommeil. Mais cela
semblait impossible !
Elle songeait au ridicule de sa situation et au moyen de
sortir de l’appartement de Max Goodwin quand elle en-
tendit du bruit : d’abord l’ouverture des portes de l’ascen-
seur, puis des voix.
Elle se figea. Elle avait laissé la porte du salon en-
trouverte et les paroles de Max Goodwin lui parvinrent
nettement.
64/210

— Ecoute, Cathy, disait-il d’une voix dure, il y a un


mois tu as décidé de m’informer que j’avais un fils de six
ans dont j’ignorais l’existence…
— Max, attends une minute, coupa une voix de femme.
J’ai aussi tenté de t’expliquer comment j’en étais arrivée là.
— Oh ! Bien sûr, répondit-il, caustique. Tu n’étais même
pas sûre de savoir qui était le père, et quand tu as fini par te
convaincre que c’était mon enfant, tu as décidé arbitraire-
ment, que, puisque nous n’étions pas faits l’un pour l’autre,
tu l’élèverais seule, sans même m’en parler !
La femme qu’il appelait Cathy haussa le ton.
— Tu sais aussi bien que moi que s’il y a une chose que
nous savons faire, à part nous aimer, c’est nous détester !
— Cela ne m’enlevait pas le droit de savoir ! répondit-il,
farouche. Et maintenant, tu veux me le laisser, alors que je
suis un parfait inconnu pour lui ! Te rends-tu compte à quel
point il va être affecté ? Tu peux sûrement compter sur
quelqu’un d’autre, non ?
— Ma mère a toujours été là et a été merveilleuse, mais
elle entre à l’hôpital et j’ai besoin d’être auprès d’elle. Et la
nourrice m’a donné sa démission. Mais, Max…
La voix de Cathy changea de nouveau, devenant rauque
et tendue.
65/210

— D’une façon ou d’une autre, nous devions rompre la


glace, et tôt ou tard il fallait que tu le rencontres. Nicky est
un enfant qui s’adapte très facilement et je lui ai toujours
dit que son père était un homme merveilleux. Et il a Nemo
pour lui tenir compagnie.
Alexandra se mordit la lèvre tout en assimilant cette con-
versation, dont elle commençait à entrevoir le sens. Elle en-
tendit alors Max Goodwin jurer de façon très explicite.
N’y tenant plus, elle se leva d’un bond et, sans prendre la
peine d’enfiler ses chaussures, sortit en courant de la pièce
pour manifester sa présence.
Saisi par son irruption, le couple recula, effrayé.
— Je… Je suis désolée, bégaya-t-elle.
Mais Max Goodwin ne l’entendait pas de cette oreille.
— Qu’est-ce que vous fichez ici, vous ? tonna-t-il.
Quant à la jeune femme nommée Cathy, l’une des plus
belles femmes qu’Alexandra eût jamais vues, elle murmura
:
— Sans ses chaussures ? Je me le demande. Mais tu as
toujours eu très bon goût en ce qui concerne les femmes,
Max.
Comme Alexandra la fixait avec incrédulité, Margaret
déboucha de l’ascenseur, la mine exténuée.
66/210

— Tout va bien, il dort, annonça-t-elle aussitôt. Mais je


viens de me souvenir de Mlle Hill. Elle avait l’air si fa-
tiguée que je l’ai laissée dormir. Je n’ai pas eu l’occasion
de vous en avertir, monsieur Goodwin. Et quand vous et
Mlle Spencer, dit-elle en désignant Cathy, avez décidé de
monter ici, j’ai pensé que je devais intervenir…

Le lendemain à 11 heures, Alexandra attendait, rongée


de nervosité, devant la porte du bureau de Max Goodwin.
La veille, c’était Margaret qui lui avait appelé un taxi.
Une Margaret très perturbée qui avait même perdu de sa lé-
gendaire discrétion pour fulminer à voix basse :
— Comment a-t-elle osé venir avec le petit ? Je n’ar-
rivais pas à le croire ! Et il ne veut pas se séparer de Nemo.
En prononçant ces derniers mots, la brave secrétaire
avait une expression emplie de désarroi et d’appréhension.
Bien sûr, Alexandra s’était abstenue de demander des
explications. Les événements de la veille avaient été suffis-
amment dramatiques. Mais le fait que le petit garçon ne
veuille pas être séparé de son poisson rouge était-il si grave
? Pour le reste, ou du moins ce qu’elle en avait saisi, Alex-
andra partageait le sentiment de Margaret. Comment une
mère pouvait-elle agir ainsi ?
67/210

Elle n’avait aucune idée de ce qui s’était passé après son


départ, mais s’était plus ou moins attendue à recevoir un
coup de téléphone ce matin, mettant fin à son contrat. Elle
ne se sentait pas fautive d’avoir surpris une conversation
personnelle, mais cela les mettait, Max Goodwin et elle,
dans une situation délicate.
Comment savoir s’il ne la blâmait pas ? Il n’avait pas dit
grand-chose avant qu’elle ne quitte l’appartement, mais son
expression était menaçante.
Alexandra inspecta sa tenue. Elle portait un ensemble
pantalon en lin marron, un chemisier de soie fauve et des
chaussures à hauts talons assorties. Son badge était épinglé
sur le revers de sa veste. Ses cheveux étaient soigneuse-
ment coiffés, car elle avait profité de l’offre de M. Roger
de se faire recoiffer avant chaque réception et, comme
Mary, l’esthéticienne, était disponible, Alexandra s’était
aussi fait maquiller.
La séance avait été relaxante, et elle avait vraiment bien
besoin de se détendre, pensa-t-elle. Elle avait eu du mal à
s’endormir et il lui avait été difficile de chasser de son es-
prit le souvenir du ravissant visage de Cathy Spencer…
La jeune femme devait avoir à peine trente ans. Ses
longs cheveux noirs encadraient un visage en forme de
cœur, ses yeux bleus étaient plus clairs que ceux de Max
Goodwin, avec de longs cils recourbés, et sa bouche
68/210

pulpeuse et provocante. Jamais on n’aurait pensé qu’elle


était mère, tant sa taille était fine.
Ce qui frappait le plus chez elle, ce qu’aucune descrip-
tion n’aurait su rendre, c’était la passion, la force vive qui
animait cette femme.
Décidément, cette journée avait été riche en émotions.
Pas étonnant qu’elle n’eût pas trouvé le sommeil, pensa
Alexandra.
Le charme et la sensualité dévastatrice de Max Goodwin
l’avaient frappée de plein fouet dans le salon vert. Elle
avait été à deux doigts de penser qu’il était fasciné par
elle…
Comment pourrait-elle y croire maintenant ? Aucune
femme ne pouvait concurrencer Cathy Spencer, même si la
relation qu’elle entretenait avec Max mêlait amour et haine.
De plus, elle était la mère de son fils.
Alexandra revint brusquement à la réalité, au moment où
la porte du sanctuaire s’ouvrait. Max Goodwin apparut, ac-
compagné d’un petit garçon.
Alexandra resta médusée : on ne pouvait douter de
l’identité du père. Le gamin avait les mêmes cheveux très
noirs, les yeux d’un bleu profond. Déjà grand pour son âge,
il portait un pantalon et un pull bleu. Il tenait une laisse at-
tachée au cou d’une boule de poils grise, tachetée de noir :
69/210

un chiot bouvier australien qui ne devait pas avoir plus de


trois ou quatre mois.
L’animal dressa les oreilles, s’avança vers Alexandra et
se mit à aboyer.
— Nemo, appela l’enfant. Arrête ! C’est très impoli.
Ainsi, c’était Nemo, pensa la jeune femme avec un petit
rire intérieur. Une créature remuante et pleine de malice, à
n’en pas douter, pas étonnant que Margaret eût l’air si
anxieuse.
— Ravie de te connaître, Nemo, dit-elle en se penchant
vers le chien. Je dois dire que tu ne ressembles pas du tout
au poisson-clown dont j’ai entendu parler.
Elle caressa l’animal et fut récompensée par plusieurs
coups de langue frénétiques. Alexandra félicita le jeune
maître. Son chien était adorable, lui dit-elle.
— Il n’a jamais ressemblé à un poisson-clown, expliqua
le garçon. Je voulais seulement qu’il ait un nom original.
Enchanté, je m’appelle Nicholas. Vous êtes ma nouvelle
nourrice?
Alexandra leva les yeux vers Max Goodwin qui n’avait
pas encore dit un mot, absorbé par la scène entre le petit
garçon, le chien et Alexandra. Cette fois, cependant, il
intervint :
70/210

— Non, Nicky. C’est mon interprète. Je t’ai parlé de la


réception d’aujourd’hui ?
Le petit garçon acquiesça et Max expliqua :
— Elle va venir avec nous. Je te présente Alexandra.
A cet instant, Margaret sortit de son bureau, chargée
d’un panier.
— Tenez, monsieur Goodwin. Pour transporter Nemo en
voiture. C’est imperméable, au cas où…
Max Goodwin la remercia.
— Alors, où est ma nouvelle nourrice ? demanda Nicky.
— Pour le moment, Mme Mills, l’employée de maison
de la villa, sera très contente de s’occuper de toi. Jake sera
là aussi. Tu le connais déjà ?
— Oui, répondit l’enfant d’une petite voix sans timbre.
Est-ce que ma maman a dit quand elle reviendrait ?
— Dès que possible, Nicky, dit Max. Je…
Mais le petit garçon ne le laissa pas terminer.
— Tu ne pourrais pas être ma nourrice, s’il te plaît, Al-
exandra ? Tu aimes déjà mon chien et lui aussi il t’aime
bien.
Une larme roula sur la joue de Nicky.
71/210

Dans le silence qui suivit, Alexandra se surprit à entret-


enir des pensées peu charitables pour les mères qui imposa-
ient de telles épreuves à leurs enfants !
— Nicky, dit-elle très doucement en glissant sa main
dans celle du petit garçon. J’aimerais bien, mais j’ai un
travail à faire, tu comprends ? Et donc…
— Nous pourrions… combiner les deux, intervint Max.
Vous avez trois jours de libres à partir de demain. Avez-
vous prévu quelque chose d’important que vous ne pouvez
annuler ?
— C'est-à-dire... Non, mais…
— Vous serait-il impossible de passer ces trois jours à
Sovereign Islands avec Nicky ? Le séjour là-bas est très
agréable.
Alexandra s’apprêtait à répondre, quand Max consulta sa
montre.
— Nous avons juste le temps de passer chez vous pour
que vous puissiez préparer un sac de voyage.
Il se tourna vers Nicky :
— Elle ne pourra pas être avec toi tout le temps, mais un
peu quand même. Cela te convient ?
— Génial ! s’exclama joyeusement Nicky.
72/210

Nemo se mit à aboyer comme pour se mêler à la joie de


son petit maître.
Alexandra demeura immobile, fixant Max Goodwin avec
incrédulité.
— Vous n’allez pas les décevoir maintenant, mademois-
elle Hill ? lui dit-il en souriant.
Alexandra fulminait intérieurement. Les mots « chantage
» et « manipulation » lui vinrent aux lèvres, mais elle se re-
prit à temps.
— Non, convint-elle avec effort.
4.
Au large de la Gold Coast, dans le célèbre lagon du
Broadwater, les Sovereign Islands étaient sans doute l’une
des adresses les plus prestigieuses au monde. De fabuleuses
villas se dressaient le long des canaux, au sein d’un paradis
de plages blanches et de mangroves aux arbres majestueux.
On se sentait bien loin des gratte-ciel et des luxueuses
boutiques de Gold Coast City…, pensa Alexandra.
Le trajet durait un peu moins d’une heure. A cause de la
présence de Nicky, la conversation entre elle et Max était
limitée et porta essentiellement sur le déjeuner d’affaires
qui les attendait. Nemo, fort heureusement, dormit pendant
la majeure partie du voyage.
Nicky les informa que le chiot rongeait encore les chaus-
sures et s’oubliait occasionnellement, mais qu’il faisait des
progrès.
Max Goodwin assimila cette information sans faire de
commentaire, mais le regard qu’il lui coula donna à Alex-
andra une forte envie de rire, malgré son irritation.
Voilà pourquoi le petit garçon l’avait choisie comme
baby-sitter, se dit Alexandra en levant les yeux au ciel.
74/210

Nemo serait une vraie calamité pour toute autre nourrice,


alors qu’elle aimait les chiens.
Située au nord de l’île, la luxueuse villa Goodwin
ressemblait beaucoup à une maison toscane avec ses deux
étages, son toit de tuiles rouges et ses murs ocre. Une fois
franchie la porte d’entrée flanquée de colonnes, la Bentley
stoppa dans l’allée semi-circulaire et un voiturier en veste
rouge vint à leur rencontre.
— Voici Stan, annonça Max.
Ils sortirent de la voiture et Max salua son employé, av-
ant de lui remettre les clés de la Bentley.
— J’en prendrai le plus grand soin, Patron, assura celui-
ci.
Il n’avait pas l’air surpris de la présence du petit garçon
et Alexandra devina que le personnel avait été mis au cour-
ant. Elle gravit les marches du perron à la suite de Max et
de son fils.
Le hall d’entrée frais et sombre traversait la vaste de-
meure jusqu’à une belle terrasse ensoleillée. Il n’y avait en-
core aucun convive, et une femme donnait des instructions
à quelques serveurs. Jake Frost l’assistait autour de deux
longues tables dressées si somptueusement qu’Alexandra
écarquilla les yeux. Outre le magnifique service en porcel-
aine, la verrerie en cristal et les couteaux à manche d’ébène
75/210

rehaussé d’or, des compositions de pensées et de violettes


marquaient chaque place. Une véritable œuvre d’art…
Le décor, lui aussi, était magique : la terrasse était en-
tourée d’orangers et de citronniers en pots entre lesquels on
découvrait le fabuleux panorama du lagon aux eaux
étincelantes.
Un seul mot de Nicky résuma l’impression générale.
— Woaw ! s’écria-t-il.
— Jeune homme, dit Jake, nous t’avons préparé une sur-
prise : des hamburgers pour le déjeuner et ton DVD favori.
Bonjour, mademoiselle Hill.
Au moment où Jake s’éloignait, suivi de Nicky et du chi-
ot, le petit garçon se détourna et agita le bras en direction
d’Alexandra.
— N’oublie pas, Alexandra, tu es ma nourrice.
Jake se retourna et regarda son employeur d’un air
perplexe.
— Petit changement de programme, expliqua Max. Je
n’ai pas eu le temps de vous mettre au courant. Alexandra
va nous aider pour Nicky. Elle restera donc quelques jours
ici. Ses bagages sont dans le coffre.
76/210

Dès qu’ils eurent disparu à l’intérieur de la villa, la jeune


femme se tourna vers son employeur mais Max la devança
et prit la parole.
— J’apprécie profondément que vous ayez accepté cette
nouvelle tâche par gentillesse, Alexandra.
— Vous ne m’avez pas vraiment laissé le choix,
répondit-elle sèchement. Ecoutez, je comprends votre…
dilemme…
— Vous pouvez dire « ma situation familiale désastreuse
». Le terme me semble plus approprié.
— Si vous le souhaitez, mais cela ne me regarde pas et je
n’apprécie pas d’être manipulée… Qu’y a-t-il ? demanda-t-
elle soudain en le voyant regarder quelque chose derrière
elle.
— Les invités arrivent.

Max Goodwin siégeait à l’une des tables, Alexandra


auprès de lui. Son vice-président avec M. Li pour interprète
avait pris place à la seconde. Paul O’Hara était placé en
face d’Alexandra et ne pouvait cacher son admiration
chaque fois que son regard accrochait celui de la jeune
femme.
Le déjeuner était à la hauteur du décor. On servit du
saumon aux câpres avec du champagne, puis du gigot. Un
77/210

plateau de fromages, puis de fondantes Pavlovas aux fruits


de la passion terminaient le repas.
Les discours furent brefs et, ceux-ci terminés, Alexandra
traduisit les conversations. Elle trébucha légèrement au
début, déstabilisée par les événements de ces derniers jours.
Quand les invités prirent congé, elle se rangea juste der-
rière Max, qui saluait chacun d’eux. Le dernier convive
étranger parti, il ne restait plus que Paul O’Hara et Alexan-
dra se détourna avec le sentiment d’avoir accompli sa mis-
sion. Un peu trop vivement sans doute, car elle perdit
l’équilibre sur ses hauts talons et se tordit la cheville. Elle
poussa un cri.
Max la rattrapa immédiatement et la souleva dans ses
bras.
— Nous parlerons plus tard, Paul, lança-t-il par-dessus
son épaule.
— Vraiment, ce n’est pas nécessaire…, protesta
Alexandra.
— Laissez-moi faire, lui conseilla-t-il, l’emmenant dans
un salon confortable en chintz rose, dont les persiennes
étaient baissées.
Il y régnait une fraîcheur bienfaisante et un parfum de
roses embaumait l’air. Max la déposa dans un fauteuil.
Ôtant sa veste, il prit place sur un tabouret et, soulevant
78/210

doucement la cheville de la jeune femme, retira l’escarpin


avec d’infinies précautions.
— C’est douloureux ?
— Cela ira, répondit Alexandra en serrant les dents.
— Alexandra, je vous dois des explications. J’avoue que
depuis hier je suis complètement perturbé… Pouvez-vous
ôter votre bas ? demanda-t-il sans transition. A moins que
vous ne portiez un collant ?
— Non, je peux le retirer.
Il haussa un sourcil surpris.
— Vous ne me semblez pas du genre à porter un porte-
jarretelles.
— Et vous avez entièrement raison, répondit Alexandra
d’un ton de défi. Je porte des mi-bas qui s’arrêtent au-des-
sus du genou !
— Ah ! C’est sûrement très pratique, mais…
— Pas terriblement séduisant ? termina-t-elle en relevant
la jambe de son pantalon pour faire glisser son bas. Aïe!
— Laissez-moi faire.
Adroitement, Max libéra sa cheville meurtrie. Alexandra
soupira, ses doigts virils étaient frais sur sa peau. Ils enta-
maient un délicat massage et leur mouvement avait quelque
79/210

chose de fascinant, songea-t-elle, sentant la douleur


s’atténuer.
Peu à peu, elle se trouva aux prises avec un sentiment
d’irréalité totale. Elle était irritée par cet homme dont elle
supportait mal l’extrême arrogance, mais les soins qu’il lui
prodiguait induisaient une sorte de charme, il n’était pas
difficile d’imaginer ses longs doigts explorant son corps, y
insufflant une sensualité torride. A cette pensée, un long
frisson se propagea dans son corps.
Refusant de s’attarder sur cette réaction perturbante, elle
demanda :
— Pourquoi perturbé ? Vous étiez au courant pour Nicky
depuis un mois… Je suis désolée, mais je n’ai pas pu
m’empêcher d’entendre votre conversation et…
Elle se tut brusquement. Elle ne pouvait quand même pas
ajouter que tout le monde ou presque était au courant !
Max prit un air grave et Alexandra pensa qu’il ne répon-
drait pas.
— Je ne voulais pas le croire au début, admit-t-il enfin.
Je n’avais pas revu Cathy depuis plus de six ans. Elle était
partie vivre à l’autre bout du pays, à Perth.
Il cessa de masser la cheville d’Alexandra et planta son
regard bleu dans celui de la jeune femme.
80/210

— Pourtant, les résultats du test étaient incontestables.


J’étais fou de colère contre Cathy, mais fou de joie à cette
idée : un fils!… Je voulais prendre l’avion immédiatement
mais Cathy m’en a dissuadé en m’assurant que Nicky
devait s’habituer à l’idée d’avoir un père. Bref, elle récla-
mait plus de temps alors que j’étais sur des charbons
ardents !
Tout en assimilant ces informations, Alexandra songea
que Cathy n’était peut-être pas une si mauvaise mère…
— Et… maintenant ? demanda-t-elle doucement.
— Comme je vous l’ai dit, j’ai l’impression d’avoir reçu
un coup de poing en pleine poitrine. Les premiers mots que
Nicky m’a dits hier soir, c’est : « Tu es vraiment mon père
? Je ne croyais pas que j’en avais un. » Maintenant, répéta
Max, les traits crispés, je n’aurai de repos que lorsqu’il
saura que j’existe réellement dans sa vie et qu’il peut
compter sur moi.
Il avait prononcé ces paroles très doucement, mais Alex-
andra perçut sa résolution inébranlable et en fut émue.
— Voilà pourquoi, dit Max en recommençant à masser
la cheville de la jeune femme, je suis prêt à tout tenter pour
que cette relation fonctionne. Et vous, Alexandra…
Il la regarda pensivement.
81/210

— Vous semblez avoir un don pour vous occuper des en-


fants. D’où tenez-vous cela ?
— Il y avait des jeunes pensionnaires au couvent. Ils
venaient de loin et avaient le mal du pays. J’aimais les
distraire, répondit-elle simplement.
— Cela vous semble si difficile de m’aider à m’occuper
de Nicky ? Vous sentez-vous rabaissée par rapport à votre
rôle d’interprète ?
Alexandra secoua vigoureusement la tête.
— Oh ! Non, bien sûr que non. C’est seulement votre
façon de me manipuler qui m’a déplu.
— Il fallait que je réfléchisse très vite, que je prenne une
décision dans l’instant, murmura-t-il. Je vous présente mes
excuses.
— Je les accepte. Il y a cependant une chose qui me
gêne, insista-t-elle. Il risque de s’attacher à moi, ce ne
serait pas bon pour lui.
— J’en suis conscient. Mais lorsque sa grand-mère sera
sortie de l’hôpital, sa mère sera de nouveau disponible et
Nicky et moi aurons eu le temps de mieux nous connaître.
Alexandra ne pouvait qu’en convenir. Doucement, elle
écarta son pied.
82/210

— Merci. Ma cheville va mieux, je pense qu’avec un sac


de glace tout ira bien… Non, je ne vois aucun inconvénient
à vous aider pour Nicky, du moment que vous comprenez
que je ne peux vous rendre service plus de quelques jours.
Max Goodwin la dévisagea avec attention.
— Je vous en remercie. Mais vous dites cela avec une
telle conviction que je me pose quelques questions.
Alexandra ébaucha un geste évasif.
— C’est seulement que la situation a pris des propor-
tions… qui n’étaient pas prévues.
Il se leva et alla jusqu’à la fenêtre, les mains dans les
poches.
— Je suppose que vous vous demandez comment cette
histoire déplorable a pu arriver ?
— Non, je vous assure.
Elle n’avait pas l’intention de connaître les détails de sa
relation apparemment douloureuse avec la mère de Nicky.
Malgré tout, elle risqua :
— N’y a-t-il aucune chance pour que vous et Cathy met-
tiez vos griefs de côté… pour le bien de Nicky ?
Il fit volte-face. Ses traits s’étaient durcis.
83/210

— Cathy a raison. Entre elle et moi, c’était le paradis ou


l’enfer. Il n’y avait pas de place pour les compromis. Il s’en
est fallu de peu que je ne connaisse pas mon fils. Croyez-
vous qu’il me soit facile de lui pardonner cela ?
Alexandra se leva à son tour et pesa sur son pied avec
précaution. Ce n’était pas si pénible après tout.
— Si je peux me le permettre, monsieur Goodwin, là
n’est pas la question. Ce qui importe à présent est de savoir
ce qui est le mieux pour votre fils. Maintenant, si vous
voulez bien m’excuser, je vais aller m’occuper de lui.
Comme elle atteignait la porte, Max reprit la parole.
— Que fuyez-vous, Alexandra ?
La question était si étrange qu’elle se détourna. Il avait
mystérieusement deviné ses émotions, et elle se sentait
désarçonnée.
— Qu’entendez-vous par là ?
— J’ai l’impression que vous avez hâte de sortir de cette
pièce, dit-il pensivement.
— Non… Pas du tout. Tout va bien. Enfin, j’aimerais me
changer et peut-être boire une tasse de thé.
Il l’étudia avec acuité. Ses cheveux clairs et bouclés en-
cadraient avec légèreté son visage, son tailleur pantalon
84/210

élégant et sobre lui allait à ravir. Elle tenait ses chaussures


à la main, une expression de crainte inscrite sur ses traits…
Eprouvait-elle du dégoût pour sa situation ? Ce ne serait
pas surprenant de la part d’une jeune fille élevée chez des
religieuses. Pourtant elle était très mature, bien qu’il l’eût
prise pour une adolescente au premier regard, cette matur-
ité était sans doute moins évidente dans le domaine de sa
vie amoureuse. Avait-elle connu l’extase dans les bras d’un
homme ? Ses beaux yeux avaient-ils jamais chaviré de
plaisir ?
Seigneur ! Pourquoi se posait-il de telles questions ?
Etait-ce la réaction instinctive d’un homme normalement
constitué ou ressentait-il vraiment le désir de savoir ce qui
faisait fonctionner cette femme ?
— Très bien, dit-il d’un ton abrupt. Je vais demander à
Mme Mills de vous montrer votre chambre. Je vais emmen-
er Nicky — et le chien ! — à la plage. Profitez-en pour
vous reposer et garder votre pied allongé.

L’employée de maison mena la jeune femme dans sa


chambre et lui apporta du thé et un sac de glace pour sa
cheville.
La chambre d’amis était délicieuse, découvrit Alexandra.
Les murs d’un jaune doux étaient percés de trois hautes
85/210

fenêtres, le mobilier était de bois blond. De part et d’autre


du grand lit, orné de coussins de soie pastel, s’étalait un
tapis de laine et, sur la commode, trônait un vase de tulipes
rose pâle. Une belle salle de bains en marbre communiquait
avec la chambre.
Une autre porte de communication menait à une
chambre, où Alexandra constata que l’on avait déposé les
affaires de Nicky.
Elle prit une douche rapide, puis enfila un jean et un
pull. Délaissant ses verres de contact, elle mit ses lunettes
et, avec un soupir de soulagement, s’installa dans une ber-
gère devant le panorama de la lagune. Un yacht voguait sur
l’eau transparente et lisse du chenal, naviguant vers le nord.
Il n’y avait pas un souffle de vent.
Elle se servit une tasse de thé et se mit à réfléchir. Com-
ment Max Goodwin avait-il pu deviner ainsi ses pensées ?
Car c’était la vérité : elle fuyait : la puissante attirance
qu’elle ressentait pour lui menaçait de la submerger… Elle
le connaissait pourtant à peine… Une partie d’elle-même
semblait se moquer de ces questions et aspirait à connaître
l’essence même de cet homme.
Ce n’était pas seulement son physique qui l’attirait, elle
devait admettre qu’elle se plaisait en sa compagnie. Le
simple fait d’avoir été assise auprès de lui à table avait été
suffisant pour lui faire oublier son irritation d’avoir été
86/210

manipulée. Même lorsqu’elle avait été occupée à traduire,


elle avait savouré cette expérience et avait admiré sa viva-
cité d’esprit et son charisme indéniable. Elle n’avait d’ail-
leurs pas été la seule.
Bien sûr, elle n’était pas non plus insensible à son
physique : elle aimait ses longues mains, sa façon de
pencher la tête de côté en soutenant sa mâchoire quand il
réfléchissait. Pourquoi ce geste l’affectait-il au point
qu’elle sentait chaque fois un frisson lui parcourir l’échine
?
Au cours de leur dernier tête-à-tête, la caresse de ses
doigts virils sur sa cheville avait suscité en elle un bouquet
de sensations, une floraison de sentiments, comme autant
de promesses d’un désir inouï.
Cela ne lui était jamais arrivé, se dit Alexandra. Elle
n’avait jamais eu de relation vraiment sérieuse avec un
homme et en était venue à douter d’elle-même, de sa capa-
cité à éprouver des sentiments.
Elle pensa soudain à Paul O’Hara. Difficile de ne pas se
sentir flattée par son admiration muette, d’autant qu’il
s’était montré charmant et spirituel pendant le déjeuner. Il
semblait y avoir une réelle complicité entre Max et lui.
Sans aller jusque-là, Alexandra se contentait de l’apprécier.
Mais il y avait eu aussi de l’inquiétude dans le regard
qu’il avait posé sur elle.
87/210

Alexandra s’immobilisa en songeant que Paul devait


connaître mieux que quiconque les liens qui avaient uni
Max et Cathy.
Le couple avait cependant été séparé pendant plus de six
ans et Max avait dit qu’il y avait longtemps qu’il n’avait
pas pensé à elle. D’un autre côté, il ne s’était pas marié dur-
ant ces six années. Y avait-il une femme importante dans sa
vie ? Si oui, elle aurait dû être présente à ces fêtes organ-
isées en l’honneur de la délégation chinoise…
Elle secoua la tête en soupirant. Max Goodwin n’était
pas pour elle…
En dehors de ces instants fugitifs où elle avait cru perce-
voir quelque chose entre eux, il n’avait rien laissé paraître
qui pût ressembler à cette fièvre étrange, cette soif inextin-
guible qui s’emparaient d’elle en sa présence…
Alexandra ne put s’empêcher de sourire devant les méta-
phores qui lui venaient à l’esprit.
Elle reposa sa tasse en entendant des pas dans le couloir.
Nicky et Nemo rentraient de la plage. Elle allait devoir se
montrer prudente avec l’enfant maintenant, ne pas se laiss-
er prendre par les sentiments… comme avec le père !

Alexandra ne revit Max qu’au dîner.


88/210

Elle n’avait pas prévu ce tête-à-tête, mais quand elle


avait averti Mme Mills qu’elle prendrait son repas avec le
reste du personnel, celle-ci avait répondu que M. Goodwin
avait commandé le dîner à 19 h 30 en compagnie de Mlle
Hill.
Tous deux se trouvaient donc attablés sur la terrasse,
dont l’auvent était baissé pour les protéger de la fraîcheur
du soir. Des photophores éclairaient les marches qui des-
cendaient vers la jetée et les lumières se reflétaient dans
l’eau d’un bleu profond. Ils savouraient un dîner raffiné.
Du reste, se dit Alexandra, on ne devait servir que des mets
fins dans cette maison.
— Comment vous êtes-vous débrouillée avec Nicky ?
demanda Max.
— Très bien. Nous avons dessiné et colorié. Il est doué
pour les activités artistiques. Nous avons aussi joué à
quelques jeux de société et cela a duré jusqu’à l’heure de
son dîner.
Alexandra sourit soudain en expliquant :
— Il réclamait du poisson pané, au grand dam de votre
employée de maison, mais finalement, il a apprécié le pois-
son frais et les frites maison qu’elle lui a servis. Son an-
cienne nourrice, à moins que ce ne soit sa grand-mère ou sa
mère, lui a inculqué une bonne hygiène de vie. A 19
89/210

heures, après avoir fait une promenade avec Nemo, Nicky


s’est mis au lit sans faire d’histoire.
Après une courte pause, Alexandra ajouta :
— Il vous appelle Max.
Max Goodwin opina pensivement. Disparus les vête-
ments élégants. Elle avait retrouvé son style décontracté.
Plus de maquillage non plus, mais elle n’avait pas repris
son ancienne coiffure indomptable et terne. En revanche,
elle s’était hâtée de remettre ses lunettes. Pourtant, sans
l’épaisseur des vêtements qu’elle avait portés lors de leur
premier entretien, sa taille fine était évidente et attirait le
regard. Il se surprit même à penser que c’était dommage de
cacher de si belles jambes sous un jean.
— Oui, répondit-il enfin. C’est moi qui le lui ai suggéré,
car c’est un peu difficile pour lui de dire Papa.
— Vous vous entendez bien, on dirait ?
— C’est fou ce qu’il me ressemble sur certains points.
— Cela n’a rien de surprenant, dit-elle en lui jetant un
regard malicieux. Sur lesquels ?
Max regarda au loin vers le ponton qu’éclairaient les
puissants photophores aux flammes orangées.
— Il ne fait pas facilement confiance, répondit-il enfin.
— Pensez-vous qu’elle… que sa mère… ?
90/210

Alexandra s’interrompit soudain et baissa les yeux.


— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il, reportant son attention sur
elle. Continuez.
— Non, rien, murmura-t-elle avant de repousser son as-
siette. C’était délicieux, mais je me passerai de dessert, si
vous le permettez.
— Pour l’amour du ciel, Alexandra ! lança-t-il en re-
posant son verre vide d’un geste sec.
— Ecoutez, cela ne me regarde absolument pas…
— Vous me l’avez déjà dit. Seulement, vous la rem-
placez pratiquement en ce moment et nous venons de pass-
er plusieurs heures, vous et moi, côte à côte.
Alexandra leva les yeux et nota qu’il l’observait avec
une étincelle d’ironie au fond de son regard bleu.
Elle prit une légère inspiration avant de risquer :
— Oh ! Très bien. Je me demandais seulement comment
elle expliquait votre absence à Nicky tout en lui disant que
vous étiez un homme formidable.
— Je n’en ai pas la moindre idée.
Il soupira et ferma brièvement les yeux.
— Cathy était — elle est encore probablement — une
femme chimérique. Une Shéhérazade artiste-peintre
91/210

capable de changer votre existence en une vie de plaisir ou


de souffrance. Elle va et vient entre vous et son art, suivant
sa fantaisie. Elle est impossible à retenir, mais peut être ir-
résistible. Elle a dû inventer une histoire pour Nicky. Ce
qu’elle n’a peut-être pas pris en compte, c’est…
Il se tut et haussa les épaules.
— Que Nicky n’est pas aussi crédule, n’est-ce pas ?
acheva Alexandra.
Un silence suivit sa déclaration, seulement troublé par le
clapotis de l’eau du chenal et un bruit confus de vaisselle
venant de la cuisine. Bientôt, l’arôme du café flotta dans
l’air.
— Vous êtes très perspicace pour une fille de vingt et un
ans qui sort d’un pensionnat religieux.
Alexandra le regarda avec une lueur de dédain.
— Je ne ramènerai pas tout au fait que j’ai fréquenté un
couvent, dit-elle. J’ai aussi beaucoup lu et mes parents
m’ont donné une éducation saine, assez pour que je sache
que les relations humaines sont aussi complexes
qu’infinies. Si vous me permettez de vous donner mon
opinion, monsieur Goodwin, il n’est pas besoin de vous
côtoyer longtemps pour se rendre compte que votre seuil de
tolérance est plutôt limité quand vous n’obtenez pas ce que
vous voulez !
92/210

— Je vous remercie, dit-il courtoisement. Vous mourriez


d’envie de vous libérer, n’est-ce pas ? Bel exemple de
solidarité féminine ! Vous me collez dans le rôle du
méchant en dépit de votre sacro-sainte éducation !
L’employée de maison choisit ce moment pour débar-
rasser les plats et apporter un saladier de fruits et le café.
En attendant, Alexandra réfléchit aux paroles de Max. Non,
elle ne lui donnait pas le mauvais rôle, simplement elle
était persuadée qu’il y avait toujours deux versions d’une
même histoire. Quant à la solidarité féminine, elle ne s’y
adonnait pas systématiquement.
Refusant de s’expliquer, elle se contenta de hausser les
épaules et choisit une grappe de raisin dans le saladier.
Max se passa une main dans les cheveux d’un geste vif
et impatient.
Alexandra sentit un sourire incongru trembler sur ses
lèvres.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, fit Max d’une
voix coupante.
— Non. C’est juste que… Vous pensez que je mourais
d’envie de vous dire vos quatre vérités. Eh bien, moi, je
ressens en vous un besoin urgent de crier : « Ah ! Les
femmes. »
93/210

Il la regarda d’un air sombre, puis un semblant de sourire


étira légèrement ses lèvres.
— Vous avez raison.
Mais cette trace d’humour disparut aussitôt.
Posant sa serviette, Alexandra se demandait comment
quitter la table sans paraître grossière quand Max prit la pa-
role le premier.
— Avez-vous déjà été amoureuse ? s’enquit-il soudain
en plongeant son regard dans le sien.
Alexandra écarquilla les yeux.
— Non, répondit-elle en détournant aussitôt le regard.
Pourquoi avait-elle dit cela d’une voix si triste ? se
reprocha-t-elle aussitôt.
— Ou connu un état approchant ? insista-t-il.
A contrecœur, elle releva la tête vers lui.
— Pas vraiment. Mais pourquoi tenez-vous à le savoir?
Il l’observa avec attention pendant un long moment av-
ant de déclarer :
— Alors, vous devriez peut-être penser que même une
bonne éducation ne vous prépare pas aux hauts et aux bas,
et encore moins aux mystères d’une relation amoureuse.
94/210

Alexandra ne trouva rien à répondre. Finalement, ce fut


Max qui se leva.
— J’ai du travail qui m’attend, mais surtout faites
comme chez vous. Il y a la télévision et des livres dans la
bibliothèque, si le cœur vous en dit. Bonsoir.
Là-dessus, il disparut à l’intérieur de la villa.
Restée seule, Alexandra se sentit profondément
déprimée. Il s’était exprimé d’un ton neutre, songea-t-elle,
mais ses traits et son regard assombri avaient révélé une
tension intérieure, un douloureux tumulte qu’elle imputait
à… Cathy Spencer.
Le cœur serré, elle quitta à son tour la terrasse.

Réfugié dans son bureau, Max se servit un cognac, puis


s’assit à sa table de travail et se mit à réfléchir à sa conver-
sation avec Alexandra. Il repensa aux hauts et aux bas qu’il
avait connus avec Cathy et aux blessures que cette relation
lui avait laissées. Pendant les six années qui avaient suivi
leur séparation, il ne s’était autorisé aucune liaison
sérieuse, même s’il s’était dit et répété qu’il était guéri de
leur histoire.
Bizarre que la preuve lui en soit finalement fournie par
une jeune fille qui ne semblait cependant pas être son genre
de femme. Pourtant, en l’espace de quelques jours, elle
95/210

avait réussi à percer son armure et à prendre place dans sa


vie. Et dans son cœur ?
Cela expliquerait le bonheur qu’il éprouvait à l’idée
qu’elle vivait sous le même toit que lui, ainsi que le fait
qu’il appréciait autant l’affection qui la liait à Nicky, ce fils
qui l’avait si vite conquis. Il était bien forcé de reconnaître
son impatience de dîner en tête à tête avec Alexandra, de
tout apprendre sur elle. Il ne pouvait nier non plus qu’elle
le troublait physiquement.
Il but une gorgée de cognac et s’adossa dans son
fauteuil, les mains croisées sur la nuque. Il avait été agacé
qu’elle prenne le parti de Cathy. C’était la démonstration
qu’Alexandra Hill n’était pas une femme pour lui, ou
plutôt, qu’il n’était pas un homme pour elle. Cette jeune
fille sortait à peine d’une jeunesse très protégée et jugeait
qu’il avait un passé plutôt sombre. Elle n’était encore ja-
mais tombée amoureuse. Plutôt qu’un homme aussi dés-
abusé que lui, ne méritait-elle pas un jeune homme de son
âge, auprès de qui elle s’épanouirait et croquerait la vie à
belles dents ?
Il se rembrunit soudain.
Oh ! Pourquoi Alexandra arrivait-elle précisément main-
tenant, alors qu’il semblait que la seule façon de résoudre
le problème que posait Nicky soit d’épouser sa mère ?
5.
Les trois jours suivants furent relativement paisibles.
Max s’était rendu à Brisbane avec Jake Frost, Alexandra et
Nicky en profitèrent pour explorer les îles, se baigner, aller
jusqu’à la plage de Paradise Point et pêcher depuis le pon-
ton. Nicky aimait aussi jouer avec Nemo dans le magni-
fique jardin clos qui entourait la piscine à la villa.
C’était un petit garçon comme les autres, pensa Alexan-
dra, parfois aussi obstiné que son père.
Mme Mills avait un petit-fils du même âge que Nicky et
les deux garçons s’entendaient à merveille.
Max rentrait l’après-midi vers 16 heures, mais dès que
Nicky était couché, il repartait pour Brisbane.
Le troisième jour cependant, il arriva plus tôt et annonça
à son fils qu’il passerait la nuit à la villa, et qu’Alexandra
travaillerait auprès de la délégation chinoise le lendemain.
Il atténua cette mauvaise nouvelle en les invitant tous deux
à une promenade en mer.
Stan, le voiturier, amena le hors-bord le long de la jetée.
Alexandra était tentée de laisser Max et Nicky partir seuls
pour cette expédition, mais le petit garçon ne voulait se
97/210

séparer ni de Nemo ni d’elle et elle fut obligée de les


accompagner.
— C’est exactement ce que je redoutais, murmura-t-elle
à Max au moment où ils embarquaient. Qu’il s’attache à
moi.
— Il est peut-être un peu nerveux, la rassura Max.
Nicky, es-tu déjà monté dans un bateau ?
— Non, répondit craintivement le petit garçon. Est-ce
qu’il va chavirer si je m’appuie sur le côté ?
— Non, regarde.
Max fit une démonstration et Nicky parut soulagé.
— De toute façon, nous porterons les gilets de
sauvetage, déclara Max.
— Et Nemo ?
— Désolé, je n’ai pas de gilet pour chiens, dit Max en
souriant. Nous attacherons sa laisse à la rambarde.
Quelques minutes plus tard, l’embarcation s’éloignait à
petite vitesse de la jetée. Au bout d’une demi-heure, Nicky
avait lâché la main d’Alexandra qu’il serrait très fort et alla
se poster à la barre auprès de Max. Celui-ci le laissa piloter
et le gamin semblait s’amuser follement.
Alexandra caressait Nemo, calme pour une fois, et con-
templait le père et le fils. Elle admirait et approuvait la
98/210

méthode d’éducation que Max appliquait à Nicky. Il n’était


ni directif ni autoritaire, il préférait éveiller son intérêt. La
veille, sur la plage, elle avait remarqué avec quelle admira-
tion Nicky regardait son père, occupé à lui apprendre à
manier un cerf-volant. Nicky n’avait d’ailleurs pas été le
seul à l’admirer, pensa-t-elle, mais ses raisons étaient bien
différentes. La vue de ce corps athlétique lui avait causé un
délicieux frisson…
En rentrant de leur excursion en mer, Nicky tout souriant
découvrit qu’une autre surprise l’attendait à la villa : un
dîner-barbecue.
Stan avait allumé le barbecue sur la pelouse et Mme
Mills avait apporté les victuailles.
— Steak, saucisses ou fruits de mer ? dit Max au petit
garçon.
— Une saucisse, sur du pain avec de la sauce tomate.
— Tu n’es pas difficile à contenter, commenta son père
en souriant. Et vous, Alexandra ?
Alexandra choisit un steak et du poisson. Ils se mirent à
bavarder de tout et de rien, installés dans des fauteuils de
jardin. Peu à peu, la nuit les enveloppait. Le vent était
tombé.
99/210

Nicky manifesta des signes de fatigue assez tôt ce soir-


là, et ne protesta pas lorsque Mme Mills proposa de l’em-
mener se coucher.
— Merci, c’était super, dit-il à Max.
— Le plaisir était pour moi, Nicky. Bonne nuit.
— Bonne nuit…
Le petit garçon hésita et Alexandra retint son souffle,
sentant qu’il cherchait un nom à donner à Max. Finalement,
il répéta :
— Bonne nuit.
Dès qu’il fut rentré à l’intérieur avec Mme Mills, Alex-
andra s’adressa à Max :
— Je crois qu’il n’est pas loin de vous appeler Papa.
— Il n’aura pas mis beaucoup de temps, s’étonna-t-il.
« Non, pensa Alexandra. Mais il ne m’en aura pas fallu
beaucoup à moi non plus pour… »
Interrompant vivement le fil de ses pensées, elle répondit
:
— C’est parce que vous lui faites une forte impression.
Comment se passent vos négociations ?
Il ébaucha un sourire teinté d’amertume.
100/210

— Nous en sommes au stade ardu des ruses et des


chausse-trappes, menés avec une politesse implacable, bien
entendu. Demain, cette journée au golf de Sanctuary Cove
devrait être une détente bienvenue.
Alexandra se demanda pourquoi il paraissait si
sceptique, mais ne dit rien.
— Vous jouez au golf ? s’enquit-il.
— Oui, mon père était un excellent golfeur et m’a
initiée, mais je n’ai pas pratiqué depuis des siècles.
Puis, le regardant d’un air soupçonneux :
— Je ne suis pas censée participer demain, j’espère?
— Non. Vous pourrez conduire le buggy. Seuls les
hommes joueront et je vais détester cela.
— Dans ce cas, pourquoi… ? commença Alexandra,
intriguée.
— Comme votre père, je suis un passionné. Ce que
j’aime avant tout, c’est me concentrer exclusivement sur
mon jeu. Ce tournoi de golf est au programme parce qu’il a
été demandé par les industriels chinois et je ne vais pas m’y
soustraire.
Alexandra l’observa. Il portait une tenue décontractée et,
avec ses cheveux ébouriffés, était loin de l’image du puis-
sant homme d’affaires. Elle pouvait aisément l’imaginer
101/210

sur un green, exécutant un swing dans un style impeccable


et un putt parfait.
— Comment vous détendez-vous ? demanda Alexandra
par curiosité.
— Du vin, des femmes et des chansons !
Comme Alexandra détournait les yeux, il se mit à rire.
— Mais vous êtes parfaitement en sécurité avec moi,
Alexandra.
— Vous dites cela avec une telle conviction, répondit-
elle, irritée.
— Je pensais que cela vous rassurerait, se défendit-il.
— Je n’ai rien contre le fait d’être rassurée, mais par
pitié ne me traitez pas comme si j’étais la dernière femme
désirable au monde !
— Ce n’était pas du tout mon intention. Je vous ai même
fait remarquer que la plupart des hommes vous trouvaient
très attirante…
— Vous l’avez fait de façon très équivoque, si je me
souviens bien, coupa-t-elle.
Max se redressa soudain.
— Ecoutez, je ne cesse de m’excuser. Qu’est-ce qu’il
vous faut d’autre ?
102/210

Alexandra prit conscience qu’elle venait de se ri-


diculiser, voire de se trahir. Elle sentit la colère la déserter
tout à coup.
— Je suis désolée, balbutia-t-elle. Mes paroles étaient
peut-être ambiguës, il n’y avait rien de personnel derrière.
— Rien ?
— Rien que ma vanité, concéda Alexandra.
Il sourit. Elle paraissait si jeune, si troublée et si inno-
cente ! Elle était sans doute la seule femme dépourvue de
vanité qu’il connaisse.
Quant à sa boutade « vin-femmes-chansons », elle
n’aurait pu être plus éloignée de la vérité. Il s’accordait un
verre le soir, de temps à autre, en écoutant un morceau de
musique, et n’avait que rarement une femme dans ses bras
pour lui faire oublier le stress insensé du monde des
affaires.
Imaginait-il Alexandra dans ce rôle ?
Oui, elle surtout. Comme il serait émouvant de l’initier
aux gestes de l’amour, de voir le désir éclore dans ses
beaux yeux et d’éveiller lentement toutes les zones de son
corps au plaisir !…
Les mâchoires contractées, il se força à se concentrer sur
sa dernière remarque.
103/210

— Je comprends parfaitement. Désolé, je ne savais pas


que vous le prendriez ainsi. Pour revenir à votre question,
j’aime me détendre en allant à la pêche. J’ai même un en-
droit favori, où je me rends de temps en temps. Cela s’ap-
pelle Seisia, peu de gens le connaissent.
Alexandra, qui venait d’écouter ses excuses avec
soulagement, se redressa vivement.
— Le port de Bamaga, au cap d’York ?
Max acquiesça, surpris.
— Vous connaissez cet endroit ?
— Oui, j’y ai passé des vacances avec mes parents. En
plus d’être un golfeur chevronné, mon père aimait beauc-
oup la pêche. J’ai adoré ce séjour. Nous avons campé, puis
sommes redescendus vers Cairns en cargo. Mais…
Elle le dévisagea avec perplexité, elle avait du mal à
imaginer Max Goodwin à Seisia. Qu’y avait-il dans ce lieu
si rude pour attirer un homme comme lui ?
— Oh ! Je comprends, reprit-elle. Vous louez probable-
ment un de ces bateaux de pêche qui coûtent horriblement
cher. A moins que vous n’en possédiez un ?
— Pas du tout. Mais vous avez raison, j’en loue un.
Comment avez-vous pêché ?
104/210

— Depuis la jetée ou au bord de la plage et nous avons


remonté la Jardine River. C’était si beau, si loin de tout, dit
Alexandra en fermant les yeux. Je n’oublierai jamais les
couleurs du crépuscule.
— Une palette de bleus, n’est-ce pas ?
Elle rouvrit les paupières.
— Oui, violet, lilas et bleu ardoise. Absolument
magique!
Une toux discrète se fit entendre derrière eux. Ils se re-
tournèrent et aperçurent Paul O’Hara.
— Salut, Max ! Mme Mills m’a dit que je te trouverais
ici. Bonsoir, mademoiselle Hill.
— Paul, viens te joindre à nous, l’invita Max. Que fais-
tu par ici ?
Le jeune homme prit place.
— J’ai réservé une chambre à l’hôtel Hyatt à Sanctuary
Cove plutôt que de faire la route depuis Brisbane demain
matin. J’ai pensé que je pourrais passer te voir et te mettre
au courant des derniers développements des négociations.
Je ne m’attendais pas à…
Il hésita.
105/210

— A trouver Alexandra ici ? répliqua Max. Elle remplit


une autre mission pour moi. Alors, comment cela se passe-
t-il ?
Alexandra choisit ce moment pour s’éclipser.
— Si vous voulez bien m’excuser, je vais vous laisser
parler affaires.
— Surtout, ne partez pas à cause de moi, mademoiselle
Hill, dit Paul avec une ardeur qui lui valut un regard suspi-
cieux de la part de son cousin.
— C’est gentil à vous, Paul, dit Alexandra qui le trouvait
charmant et aurait aimé bavarder avec lui en d’autres cir-
constances, mais j’ai un bon livre qui m’attend. Bonne
soirée !

Nicky était profondément endormi, Nemo blotti contre


lui. Elle laissa la veilleuse allumée sur la table de nuit.
Au passage, elle contempla une petite peinture aux
couleurs vibrantes qui représentait un rivage, avec deux
oiseaux au premier plan. Le tableau était signé C. Spencer.
Quand elle l’avait remarqué pour la première fois, elle avait
interrogé Mme Mills.
— Je l’ai récupéré dans un placard, avait expliqué la
gouvernante. Je me souviens qu’elle l’avait donné à M.
106/210

Goodwin en lui disant de ne pas s’en séparer, parce qu’un


jour il aurait beaucoup de valeur. Il l’avait promis en riant.
Mme Mills avait soupiré.
— Ils étaient si bien ensemble à cette époque. Peut-être
ne voyais-je que le bon côté des choses. Pourtant, je ne
peux m’empêcher d’espérer qu’ils reviendront l’un vers
l’autre, surtout maintenant qu’il y a Nicky. C’est ce qu’ils
devraient faire, à mon avis.
Revenant au présent, Alexandra contempla de nouveau
le petit garçon endormi. Bien qu’il ressemblât beaucoup à
Max, elle retrouvait en lui certains traits de sa mère et elle
eut soudain le cœur serré en l’imaginant tiraillé entre son
père et sa mère.
Réfugiée dans sa chambre, elle prit une douche et se mit
au lit avec son roman. Finalement, elle le trouva moins cap-
tivant qu’elle ne l’avait pensé et bientôt, se sentit gagnée
par le sommeil. Pourtant, une fois sa lampe de chevet
éteinte, elle fut incapable de fermer l’œil. Des souvenirs
tristes l’assaillaient. Ceux de Seisia…
« Non, ne va pas là-bas. Reste dans le présent »…
Mais dans la villa silencieuse, rien ne vint la distraire de
ses réminiscences douloureuses. Elle se mit à respirer diffi-
cilement et bondit immédiatement hors du lit. Ses pensées
107/210

devenaient chaotiques. Vite ! S’occuper, bouger, surtout ne


pas se laisser piéger…
Avec des gestes saccadés, elle récupéra ses lunettes,
sortit de la chambre et descendit dans la cuisine.
Oh, mon Dieu ! Où était cet interrupteur ?
Il lui fallait absolument un sac en papier dans lequel elle
pourrait souffler, mais n’avait aucune idée de l’endroit où
ils se trouvaient. De plus en plus oppressée, elle battit l’air
de ses bras, dans un effort désespéré pour recouvrer son
souffle.
La lumière jaillit soudain, révélant la cuisine étincelante,
et Max entra.
— Alexandra ? dit-il avec incrédulité. Qu’est-ce qui ne
va pas ?
— Impossible… de respirer, haleta-t-elle. Un sac…
Donnez-moi un sac en papier…
— Une crise d’asthme ? demanda-t-il vivement.
— Non. Panique…
— Une attaque de panique ? Comment… ? Peu importe.
Il la prit dans ses bras.
108/210

— Calmez-vous, Alexandra. Personne ne viendra vous


faire de mal. Détendez-vous, conseilla-t-il tandis qu’elle
cherchait à se libérer.
— Un sac… ! bégaya-t-elle.
— J’ignore où ils sont, si jamais il y en a, répondit-il en
lui massant doucement le dos.
Alexandra tentait désespérément de remplir ses poumons
d’air, sa poitrine se soulevait et s’affaissait de façon an-
archique. Le massage de Max fit cependant son effet,
tandis qu’elle prenait conscience de la chaleur et de la pro-
tection de ses bras autour d’elle. Au bout de quelques
minutes, elle ferma les yeux, rassurée enfin, et quand elle
les rouvrit, Max l’observait avec un mélange de soulage-
ment et de surprise.
— Tout va bien ?
Elle acquiesça en s’appuyant contre lui.
— Oui, merci, murmura-t-elle.
Il la souleva dans ses bras et elle n’eut pas la force de
protester.
— Nous avons tous les deux besoin d’un cognac, dit-il
en se dirigeant vers la bibliothèque.
Quelques minutes plus tard, installée sur le sofa, Alexan-
dra buvait en soupirant une gorgée de liquide ambré.
109/210

— Qu’est-ce qui a provoqué cette crise ? l’interrogea-t-il


doucement.
— Les souvenirs de Seisia, répondit-elle d’une voix sac-
cadée. Ce sont les dernières vacances que j’ai passées avec
mes parents. Ils ont trouvé la mort deux semaines plus tard.
Il acquiesça gravement.
— Et vous avez toujours des crises à cause de ce deuil?
— Il y a longtemps que je n’avais pas eu ces symptômes.
Je n’avais encore jamais rencontré quelqu’un qui connais-
sait Seisia, c’est ce qui a tout déclenché.
Il demeura pensif, puis s’assit auprès d’elle et lui prit la
main.
— Avez-vous des amis proches, Alexandra ?
— Bien sûr. Je suis allée skier avec six d’entre eux et j’ai
ma voisine, Patti. Nous nous entendons très bien toutes les
deux, au point que nous avons même envisagé d’avoir un
chien en commun.
— Un chien en commun ? répéta-t-il, perplexe.
Alexandra expliqua en souriant.
— Elle aime les chiens, moi aussi. Elle travaille la nuit et
moi le jour. Donc, cela nous a semblé une bonne idée, mais
nous ne nous sommes pas encore décidées…
110/210

Se rendant compte qu’elle babillait, elle reprit plus


sérieusement :
— Ecoutez, ne vous inquiétez pas pour moi.
— Comment pourrais-je ne pas m’inquiéter pour vous ?
déclara-t-il avec une pointe d’irritation. Avez-vous consulté
un médecin ?
Alexandra acquiesça avant d’ajouter sans réfléchir :
— Il y a sans doute trop de stress dans ma vie en ce
moment.
— L’interprétariat?
Alexandra se mordit la lèvre. L’interprétariat n’était rien
en comparaison de ce qu’elle traversait à cause de lui, mais
il n’était pas censé le savoir.
— Ce n’est pas aussi facile qu’il y paraît, vous savez,
improvisa-t-elle faute de mieux.
— Je n’ai jamais pensé que cela l’était. Rien d’autre?
Elle secoua la tête en guise de réponse. Max la dévis-
ageait avec attention comme pour sonder sa sincérité et elle
nota de nouveau la petite cicatrice qu’il portait près de la
tempe.
— Très bien, dit-il. Finissez votre cognac. Pensez-vous
que vous allez pouvoir dormir ? Voulez-vous rester encore
un peu ?
111/210

— Non, merci. Cela ira très bien.


— Mais rien ne presse.
Il s’empara de la télécommande et alluma la télévision.
— Voyons ce qui passe à cette heure. Un vieux film.
Audrey Hepburn et Cary Grant, cela vous intéresserait?
— C’est un classique que j’adore, approuva-t-elle.
— Alors, regardons-le ensemble. Il ne nous manque que
du pop-corn, malheureusement je suis sûr qu’il n’y en a pas
dans la maison.
Alexandra appréciait le film… et la compagnie de Max.
Elle avait vu les deux tiers de « Charade » quand les émo-
tions de la soirée eurent raison d’elle et, incapable de rester
éveillée, elle s’endormit sur le sofa.
Elle ne sut pas qu’il était resté longtemps immobile, à la
regarder, après avoir glissé un oreiller sous sa nuque et
l’avoir recouverte d’un plaid.
Max réfléchissait. Alexandra n’aurait pu prédire les con-
séquences que ces réflexions entraîneraient. Pour comble,
Nicky se réveilla avec une forte fièvre le lendemain matin.

— Je pense qu’il a la varicelle, annonça-t-elle à Max en


arrivant dans la salle où l’on servait le petit déjeuner.
112/210

Elle s’était déjà habillée pour passer la journée sur le


green, un pantalon kaki et un pull écossais, quand Nicky
s’était éveillé.
Max aussi était déjà prêt. En pantalon bleu marine et
polo bleu ciel, il se versait une tasse de café.
— Quoi ? Vous êtes sûre ?
— Mme Mills a appelé le médecin. Nicky a de la tem-
pérature et quelques boutons qui le démangent. Cela expli-
querait aussi le fait qu’il se soit soudain senti si fatigué en
début de soirée hier. Il refuse que je m’éloigne de lui. Je ne
sais pas comment nous allons gérer cela.
Max hocha la tête, l’air soucieux.
— Je monte le voir, dit-il. Comment vous sentez-vous,
Alexandra ?
— Très bien, merci. Je m’excuse de m’être endormie sur
votre canapé… une fois de plus, répondit-elle en ébauchant
une moue contrite.
Max nota ses cheveux attachés et les cernes bleutés sous
ses yeux, mais s’abstint de tout commentaire.
— Montons le voir ensemble, décida-t-il d’un ton abrupt.
— Attendez. Avez-vous eu la varicelle ?
La question l’arrêta net.
113/210

— Impossible de me souvenir.
— Y a-t-il un moyen de vérifier ? Votre mère pourrait
sûrement vous le dire. Sinon, vous risquez de l’attraper
maintenant…
Max croisa les bras et la contempla avec irritation.
— Vous avez encore beaucoup de bonnes nouvelles
comme celle-là à m’annoncer, mademoiselle Hill ?
— Je suis désolée, mais mieux vaut être prévenu.
L’instant d’après, elle constata avec soulagement que ces
conseils n’avaient pas été vains. Max sortait son téléphone
portable de sa poche.
— Ma sœur Olivia doit savoir cela, l’informa-t-il. Ma
mère est décédée l’an dernier.
— Oh ! Je suis désolée…
— Merci. Livy ? Max à l’appareil…
Il raccrocha une minute plus tard.
— Vous serez contente d’apprendre que j’ai eu cette
fichue maladie. Ma chère sœur s’en souvient encore ! Il
paraît que j’étais impossible, tandis qu’elle était une mal-
ade modèle. Toujours la même chanson ! grommela-t-il.
Avez-vous eu la varicelle ?
114/210

— Oui, répondit Alexandra avec un sourire malicieux, et


il se trouve que j’étais moi aussi une malade modèle. C’est
peut-être un truc de filles ?
— Ah ! La sacro-sainte solidarité féminine ! Après vous,
mademoiselle Hill.
— Merci, monsieur Goodwin, dit Alexandra, amusée, en
le précédant.

Une heure plus tard, Alexandra rejoignit Max dans son


bureau, ainsi qu’il le lui avait demandé. Nicky dormait à
présent et le médecin avait confirmé le diagnostic.
La petite pièce ovale était éclairée de hautes fenêtres ; en
son centre trônait un bureau en chêne ciré.
— Asseyez-vous, Alexandra. J’ai prévenu mes collabor-
ateurs que je ne participerai pas au tournoi de golf,
annonça-t-il. J’ai aussi trouvé un interprète pour vous rem-
placer jusqu’à la fin des négociations.
Alexandra écarquilla les yeux, alarmée.
— Vous voulez dire… Pour toutes les autres réceptions
prévues ? Mais Simon va me tuer !
Comme il semblait ne pas comprendre, elle précisa :
115/210

— Mon patron à l’agence de traduction. Il était fou de


joie en décrochant cette mission. Il pensait que cela nous
apporterait d’autres contrats.
— Il n’y a aucune raison pour que cela change, décréta
Max. L’interprète que vous avez remplacé au pied levé est
guéri et prêt à reprendre le travail plus tôt que prévu.
Mais… J’ai une proposition à vous faire. Venez travailler
pour moi, Alexandra.
6.
Alexandra le fixa, éberluée.
— Comme nurse ? demanda-t-elle enfin.
— Non, comme assistante, rectifia Max. Ce qui con-
sisterait surtout à garder Nicky dans l’immédiat, je l’avoue,
mais les négociations actuelles s’avérant fructueuses…
— Je ne comprends pas. Vous parliez d’un marchandage
ardu…
Max se pencha par-dessus son bureau.
— C’est toujours le cas, Alexandra. Mais je n’aurais pas
entrepris ces tractations si je n’avais été sûr de gagner.
Ses traits s’étaient durcis. Un instant, l’image de
l’homme d’affaires brillant et implacable s’imposa à l’es-
prit de la jeune femme.
— Une fois les pourparlers terminés, poursuivit-il, je
serai amené à me rendre souvent en Chine, de sorte qu’un
interprète permanent et compétent me sera très utile.
— Et vous avez pensé à… moi ? s’étonna Alexandra,
décontenancée.
117/210

— Bien sûr, acquiesça-t-il, amusé. Qu’y a-t-il de si


surprenant?
Alexandra prit une profonde inspiration pour se ressaisir.
— C’est que… je ne m’attendais pas à une telle
proposition.
— Vous feriez partie de mon personnel et vous résider-
iez ici, reprit-il, surveillant sa réaction tandis qu’il énonçait
ses conditions. Pas seulement à cause de Nicky, j’ai l’inten-
tion de travailler davantage depuis la villa.
— Mais Nicky va rentrer chez sa mère. A moins… qu’il
n’y ait un changement ? risqua-t-elle.
— Justement, sa mère a téléphoné hier soir, répondit
Max, les traits insondables. L’opération de la grand-mère
de Nicky s’est très bien déroulée, mais Cathy a besoin de
passer encore deux jours auprès d’elle. J’ai fait suspendre
les pourparlers avec les Chinois jusque-là. De toute façon,
mon fils passera du temps avec moi désormais.
Alexandra demeura plongée dans ses pensées.
— Pour combien de temps voulez-vous m’employer ?
demanda-t-elle au bout d’un silence.
— Pour aussi longtemps que vous désirerez rester à mon
service, dit-il avant de mentionner un salaire qu’Alexandra
jugea extrêmement généreux.
118/210

Cependant, elle s’efforça de se concentrer sur les autres


aspects de cette offre inattendue.
— Est-ce à cause de ce qui est arrivé hier soir que vous
me faites cette proposition ? demanda-t-elle sans détour.
Max se frotta le menton pensivement. Que dirait-elle s’il
lui répondait par l’affirmative ? S’il lui avouait qu’il était
convaincu qu’une fois revenu à une relation strictement
professionnelle, l’attirance passagère qu’il avait pour elle
s’estomperait ?
Le plus sage serait de couper les ponts purement et sim-
plement, mais il ne pouvait s’y résoudre, et pas seulement à
cause de Nicky. Après ce qu’il avait vu la veille au soir, il
se sentait un devoir de protection envers cette jeune femme
qui souffrait d’attaques de panique et était seule au monde.
— Alexandra, je n’aimerais pas vous voir de nouveau
dans l’état où vous étiez hier, biaisa-t-il, mais c’est plutôt
aux avantages de ce poste que je pense. Si vous rêvez
d’embrasser une carrière diplomatique, une expérience
dans l’industrie minière et le commerce international, ainsi
que les contacts que vous nouerez, pourraient se révéler ex-
trêmement précieux.
Evidemment, elle ne pouvait lui donner tort sur ce point.
Cette expérience serait un formidable atout et lui ouvrirait
beaucoup plus de portes que les traductions qu’elle faisait
pour Simon.
119/210

— Mais si j’abandonne mon travail à l’agence…,


commença-t-elle, soudain saisie d’inquiétude.
— J’offrirai une compensation à Wellford, dit Max.
— Vous avez dit que je ferais partie de votre personnel
de maison. Quel sera mon emploi du temps ?
— A peu près le même que celui de ces trois derniers
jours, quand Nicky sera ici. Sinon, vous pourrez vous ab-
senter quand je n’aurai pas besoin de vos services d’inter-
prète. La villa sera votre résidence de fonction, si vous
préférez.
Alexandra se détendit quelque peu.
— En somme, c’est un emploi un peu difficile à définir,
non ?
— Je ne voudrais pas rédiger l’annonce pour recruter un
candidat, convint Max en souriant. Mais dès le moment où
vous avez été adoptée par Nicky…
— Mon destin a été décidé ? termina Alexandra.
Max hocha la tête.
Sans prendre la peine de réfléchir davantage par peur
d’être tentée de refuser, Alexandra s’entendit dire très vite :
— Ma réponse est oui.
120/210

— Bravo, jeune fille, dit Max en souriant brièvement.


Reste un point à régler : quand je recevrai Nicky pour des
périodes longues et que vous devrez m’accompagner, il
faudra une personne de confiance pour vous remplacer.
Avez-vous quelqu’un en tête ?
Alexandra se mordilla pensivement la lèvre.
— La fille de Mme Mills ? Son mari est militaire et en
mission à l’étranger. Son fils Bradley joue souvent avec
Nicky et c’est une femme agréable, qui a le sens des re-
sponsabilités. Mme Mills aurait ainsi moins de travail…
— C’est bon, vous m’avez convaincu, Alexandra.
Souhaitez-vous rentrer chez vous prendre quelques affaires
? Stan peut vous conduire à Brisbane.
— Maintenant ? Et Nicky ?
— Mme Mills et moi allons l’occuper pendant quelques
heures.
Alexandra avait du mal à croire à ce qui lui arrivait.
— Je pars tout de suite. Merci d’avoir pensé à moi pour
ce poste, monsieur Goodwin, dit-elle, émue.
— Le plaisir est pour moi, Alexandra, murmura Max.
Il la regarda sortir puis, accoudé au bureau, le menton
dans une main, tâcha d’analyser la situation.
121/210

Il avait plutôt bien mené cette affaire, se félicita-t-il.


Néanmoins, quelque chose le tourmentait, il n’aurait su dire
quoi. En fait, il se sentait différent. Etait-ce parce qu’il
avait à présent des responsabilités familiales ?
Son regard tomba sur le bloc-notes où était inscrit le nom
de Cathy barré d’un trait nerveux. La veille, il avait pris
son appel dans le bureau, après le départ de Paul. Il fallait
qu’ils parviennent à un arrangement à l’amiable pour que
Nicky reçoive la meilleure part de chacun de ses parents.
Oui, c’était primordial.
Il était étonné par la profondeur des sentiments qui l’at-
tachaient à ce petit bonhomme qu’il connaissait à peine.
Dès le moment où il avait posé les yeux sur Nicky, qui
physiquement était son reflet, il avait été ébranlé dans tout
son être.
« Cet enfant qui s’efforce d’être brave dans cette épreuve
est ma chair et mon sang… »
Etait-ce si surprenant qu’il se sente différent ? s’interrog-
ea Max. Il entrevoyait aussi une quantité de problèmes à
venir. Si Cathy se mariait, par exemple, comment réagirait-
il à l’idée qu’un autre homme soit impliqué dans l’éduca-
tion de son fils ?
D’un geste brusque, il arracha la feuille du bloc et la jeta
à la corbeille.
122/210

Bien sûr, il existait une solution pour éviter qu’une telle


situation se présente. Que lui-même épouse Cathy…

Alexandra avait pris place à l’arrière d’une Mercedes qui


roulait en direction de Brisbane. Elle et Stan avaient bav-
ardé quelque temps, mais celui-ci se concentrait à présent
sur sa conduite et elle s’abîma dans ses pensées.
Cette attaque de panique lui donnait à réfléchir. C’était
arrivé parce qu’elle ne maîtrisait plus le cours de sa vie.
Elle s’était plu à croire qu’elle était tombée amoureuse de
Max Goodwin et ses sentiments l’avaient rendue mal-
heureuse. Certains souvenirs aussi…
D’habitude, elle savait comment contrer ses émotions : «
Pense à l’avenir, ne regarde jamais en arrière. Donne-toi
des buts », lui avait conseillé la mère Supérieure au
couvent. Son précepte s’était révélé utile.
Jusqu’ici, elle n’avait pas eu de véritables buts dans la
vie. Travailler pour Simon Wellford n’avait pas représenté
un défi suffisant. Ce matin, elle venait de saisir sa chance.
C’était la réponse parfaite à sa résolution de mener sa vie
différemment, de relever des défis… Si seulement elle ne
devait pas cette chance à Max Goodwin.
Il lui serait impossible de se tenir physiquement à dis-
tance de lui maintenant. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle
123/210

ne pouvait pas se soustraire mentalement à sa présence, du


moins, pourrait-elle essayer, se dit-elle avec ironie.
N’était-ce pas en soi un autre défi ? Cela ne servait à rien
de désirer un homme qui ne pouvait lui appartenir, un
homme qui devait faire sa vie avec la mère de son fils.
Mieux valait oublier ce rêve, c’était juste une question de
volonté…
Elle regarda par la vitre. La circulation était dense sur
l’autoroute du Pacifique. Le ciel s’était couvert.
En arrivant, elle se rendit directement chez Patti qui,
heureusement, se trouvait chez elle. Alexandra lui demanda
d’arroser ses plantes et de relever son courrier en son ab-
sence puis, de retour chez elle, elle commença à faire ses
bagages. Vêtements, livres, CD favoris…
Un instant, son regard se perdit dans le vague. L’assist-
ante de Max Goodwin… C’était à peine croyable ! Elle
avait l’impression de vivre un rêve, mais…
« Pas de mais, Alexandra Hill ! s’intima-t-elle en se res-
saisissant. Tâche de t’accommoder de la situation ! »
Sur le chemin du retour, elle demanda à Stan de s’arrêter
devant un grand magasin, et fit quelques achats.
Quand elle rentra à Sovereign Islands, son employeur et
Mme Mills la gratifièrent d’un sourire chaleureux. Mais ce
124/210

n’était rien en comparaison de l’accueil que Nicky lui


réserva : il se jeta dans ses bras et même Nemo lui fit fête.
— Oh, là là ! Assez, dit-elle en riant. Nicky, je t’ai ap-
porté quelques surprises : un puzzle, de la pâte à modeler et
un livre sur les bateaux. Par quoi allons-nous commencer ?
Ah ! J’oubliais. Voici un os en caoutchouc pour Nemo.
— Nicky a été sage ? demanda-t-elle un peu plus tard,
tandis qu’elle et Max prenaient un déjeuner tardif.
Max soupira.
— Il était surtout perdu, et triste, répondit-il. Visible-
ment, je ne suis pas à la hauteur.
— Il est malade, avança Alexandra avec bon sens. Et
Rome ne s’est pas faite en un jour.
— Une nouvelle leçon de sagesse ? dit-il sur le ton de la
dérision, décidément, vous n’êtes jamais à court.
— Je sais, répondit joyeusement Alexandra.
— Plus sérieusement, reprit Max. Comment se fait-il que
Nicky vous ait adoptée aussi vite ?
— Je pense qu’il n’est pas habitué aux hommes s’il vit
avec sa mère et sa grand-mère. Ne vous inquiétez pas, cela
viendra, il faut juste un peu de patience.
Max l’observa sans répondre.
125/210

Elle avait l’air différente et il se demanda à quoi cela


tenait. Elle avait troqué son pull écossais pour un haut en
coton et avait une trace de pâte à modeler sur la manche.
Ses cheveux étaient relevés et elle portait de nouveau ses
lunettes. Elle était jeune, pleine de vitalité, et il était diffi-
cile de retrouver en elle la jeune femme qui avait suffoqué
la nuit dernière.
— Ai-je dit quelque chose de maladroit ? s’enquit-elle à
cet instant.
— Non, pourquoi ? dit Max en mettant un terme à son
examen.
— Vous me regardiez comme si… je ne sais pas, mais
c’était un peu dérangeant.
— Vous m’en voyez désolé, s’excusa-t-il en prenant la
cafetière. Tant que j’y pense, Nicky et vous n’aurez pas
l’occasion de me voir beaucoup ces prochains jours, en fait,
probablement pas du tout. J’ai déjà pris plus de congés que
je ne devais.
— Cela n’est pas grave, répondit Alexandra d’un ton
serein.
Max Goodwin accusa le coup. Etait-elle obligée d’être
contente de son absence ?
— Dans ce cas… Je pars maintenant, annonça-t-il assez
sèchement.
126/210

— Je croyais que le tournoi de golf n’était pas terminé ?


fit-elle remarquer, un peu surprise.
— J’arriverai juste à temps pour remettre le trophée, dit-
il en se levant.
Son expression demeurait froide. Cette constatation
poussa Alexandra à demander :
— Je vous ai froissé ?
— Quelle raison aurais-je d’être froissé ? Nous maîtris-
ons parfaitement la situation, non ?
— C’était juste une impression…
Elle s’interrompit en voyant Mme Mills entrer.
— Excusez-moi, monsieur Goodwin. Nicky est réveillé
et réclame Alexandra.
— Je vais m’occuper de lui, dit Alexandra en se levant
aussitôt.
Elle eut le temps de voir le visage de Max s’adoucir dur-
ant une fraction de seconde.
— Merci, murmura-t-il.
Alexandra monta l’escalier en proie à une certaine ap-
préhension. Qu’est-ce qui rendait Max Goodwin aussi
soucieux ? Quelque chose qu’elle avait dit et qui avait été
127/210

mal interprété ? Bah, les états d’âme de son employeur ne


la concernaient nullement.
Elle ouvrit la porte de la chambre de Nicky.

Quelques minutes plus tard, Max engagea la Bentley sur


le pont qui reliait Sovereign Islands au continent et prit la
direction de Sanctuary Cove. Pourquoi diable était-il irrité
? s’interrogea-t-il en conduisant. N’avait-il pas la situation
complètement en main ?
Non, sans doute, puisqu’il ne parvenait pas à chasser ce
désenchantement qui l’accablait.
Son personnel en fit bientôt les frais.

Les jours qui suivirent ne furent pas particulièrement fa-


ciles pour Alexandra. Soigner Nicky et l’occuper re-
quéraient une bonne dose de patience et d’ingéniosité, mais
au moins, l’activité l’empêchait de trop penser.
Peta, la mère de Bradley, avait accepté avec joie de la re-
mplacer auprès de Nicky quand ce serait nécessaire, de ce
côté-là, au moins, tout s’arrangeait. Le retour de Jake Frost
à Sovereign Islands lui rappela que le dîner dansant qui
devait clore les négociations se tiendrait à la villa.
128/210

La veille de l’événement, Jake la convoqua dans la


cuisine avec Mme Mills et Stan pour une réunion d’inform-
ation. A l’aide d’un panneau d’affichage, il passa en revue
les moindres détails : entreprise de nettoyage, fleuriste,
décorations, traiteur, orchestre…
Tous se mirent à sourire quand il annonça :
— Dernier point : enfant et chien.
Mme Mills prit alors la parole :
— Jake, nous interdirons l’accès à l’aile réservée aux in-
vités. De toute façon, Nicky est couché à 19 heures et les
convives n’arrivent qu’une demi-heure plus tard.
— Et en cas de problème, je suis là, renchérit Alexandra.
— J’allais y venir, mademoiselle Hill, dit Jake. M.
Goodwin a demandé à ce que vous assistiez au dîner
dansant.
— Je ne comprends pas. Il manque encore un interprète
? s’enquit-elle, surprise.
— Pas que je sache, répondit l’intendant.
— Alors, je ne veux pas…
— Mademoiselle Hill, Alexandra, si je puis me per-
mettre, je ne crois pas que le moment soit bien choisi pour
s’opposer à M. Goodwin.
129/210

— Ce qui veut dire en clair qu’il est d’une humeur ex-


écrable et qu’il vaut mieux marcher sur la pointe des pieds,
intervint Stan.
Comme Jake lui jetait un regard noir, il leva les mains en
signe d’apaisement.
— Attendez ! Je ne veux surtout pas créer de malen-
tendu. M. Goodwin est un bon employeur et je ne voudrais
pas travailler pour quelqu’un d’autre. Admettez cependant
qu’il lui arrive, même si c’est rare, de nous remettre en
place par quelques mots bien sentis, voire d’un seul regard.
Un silence suivit la description de Stan et Alexandra en
conclut qu’elle était juste. Puis Jake s’adressa de nouveau à
elle.
— Cette invitation est sûrement en rapport avec votre
nouveau statut d’assistante. Du reste, c’est Margaret qui
m’a prévenu. Donc, tout est déjà décidé.
— Oh ! Très bien, laissa tomber la jeune femme.
— Une dernière chose, les avertit Jake. Lady Olivia
McPherson sera présente, avec Sir Michael naturellement.
Alexandra se souvint vaguement de ce nom et nota que
Stan et Mme Mills s’étaient raidis.
— Sa sœur, n’est-ce pas ? risqua-t-elle.
130/210

— C’est exact, dit Jake. Maintenant, mettons-nous tous


au travail pour que cette soirée soit parfaite.
— Comment est-elle ? Sa sœur, je veux dire? demanda
Alexandra à la gouvernante une fois la réunion terminée.
— Eh bien… Je dirais qu’elle est exigeante, répondit
prudemment Mme Mills. Oh ! Une femme, très belle et
pleine de tempérament, mais… Pas la personne la plus fa-
cile à vivre.
— On dirait qu’elle ressemble beaucoup à son frère,
commenta la jeune femme en souriant. Oh ! Comme j’aim-
erais ne pas assister à cette soirée ! dit-elle plus sérieuse-
ment. Il y a une différence entre travailler comme interprète
dans ce milieu guindé et y être invitée.
— Vous vous en sortirez très bien, Alexandra, dit la
gouvernante d’un ton encourageant. En fait, vous êtes une
vraie bouffée d’air frais comparée à…
La brave femme se tut et haussa les épaules.
— Comparée à quoi ? Je vous en prie, continuez.
— A certaines femmes superficielles et gâtées que nous
avons pu voir ici. Bon, je dois dresser des listes, sinon je
risque d’oublier quelque chose.
Sur une impulsion, Alexandra la serra brièvement dans
ses bras.
131/210

— Madame Mills, vous êtes une perle. Que ferions-nous


sans vous ?

***

Le lendemain soir, à 18 heures, Alexandra monta se pré-


parer dans sa chambre. La robe qu’elle avait choisie était
de soie noire, avec un bustier garni d’un rucher de crêpe et
une jupe longue et fendue. Un boléro ajusté complétait le
tout.
Elle enfila une paire d’escarpins noirs à petits talons et
s’examina dans le miroir, se rappelant l’enthousiasme de
Margaret pour cette tenue.
Elle eut cependant l’impression qu’il lui manquait
quelque chose.
Elle était satisfaite de son maquillage et de ses boucles
blondes très sages, mais… Peut-être fallait-il un accessoire
pour rehausser sa coiffure ? Oui, une fleur…
Mme Mills et Stan lui vinrent en aide, Stan en allant
cueillir un magnifique gardénia blanc et la gouvernante en
le fixant à l’aide d’un petit peigne de nacre.
— Là, fit Mme Mills en se reculant. Vous êtes ravis-
sante, Alexandra !
— Une vraie beauté ! renchérit Stan.
132/210

Alexandra les remercia en riant et alla voir Nicky.


— Woaw ! s’écria le petit garçon. Comme tu es belle !
Tu es sûre que je ne peux pas aller à la fête avec toi ?
Nicky se sentait beaucoup mieux, même s’il avait tou-
jours le visage et le corps constellés de taches rouges.
— Je suis désolée, Nicky, lui dit-elle affectueusement.
Mais si tu as envie de voir les décorations…
Il accepta avec joie.
7.
La villa était littéralement transformée.
Une fois de plus, la réception aurait lieu sur la vaste ter-
rasse, où l’on avait installé de petites tables autour d’une
piste de danse illuminée, surmontée d’un dais de guirlandes
rouges. L’orchestre, formé de quatre musiciens en tenue de
soirée, répétait doucement. Une cascade de lumières trouait
la nuit jusqu’à la jetée.
Alexandra guidait Nicky par la main. Au bout d’un mo-
ment, ils rentrèrent dans le hall et s’assirent sur les marches
de l’escalier, d’où l’on pouvait admirer le magnifique
décor.
— On dirait un château comme dans les contes ! s’extas-
ia Nicky. Est-ce que mon papa sera là ce soir ?
— Oui, mais je ne sais pas à quelle heure il va arriver.
Elle se détourna en entendant du bruit au-dessus de leurs
têtes. Peta qui venait d’arriver avec Brad les prévint en
souriant qu’elle était prête à prendre le relais.
— Nicky, si tu as assez vu les installations, je crois que
Peta a apporté un DVD pour Brad et toi.
134/210

— Génial ! lança le petit garçon en bondissant sur ses


pieds. Bonne nuit, Alexandra !
Il l’embrassa et allait monter, quand il se retourna.
— Tu veux bien dire bonsoir à papa pour moi ?
— Bien sûr, promit-elle, la gorge serrée.
Alexandra demeura un moment pensive après le départ
de Nicky. Brusquement, elle sursauta en voyant Max
Goodwin émerger de l’ombre et s’avancer jusqu’au pied
l’escalier.
— Oh !… Je ne savais pas que vous étiez là, balbutia-t-
elle.
— Je m’en doutais, dit Max en la saluant d’un signe de
tête.
Alexandra retint son souffle, car elle ne l’avait encore ja-
mais vu ainsi. Ce n’était pas seulement son habit de soirée
qui le rendait différent, ni même cette expression d’impa-
tience qu’elle lui connaissait déjà. Une dureté nouvelle
avait envahi son regard et une aura menaçante émanait de
lui.
Ce n’est pas le moment de s’opposer à M. Goodwin…,
avait dit Jake Frost. Au souvenir de cet avertissement, Al-
exandra tressaillit involontairement, et c’est avec une joie
quelque peu forcée qu’elle s’exclama :
135/210

— Alors, vous avez entendu ? Il vous a appelé… Papa !


— J’ai entendu, confirma Max. C’est vous qui lui avez
appris ce mot ?
— Non ! Oh, non, je vous assure. En revanche, je crois
que le petit-fils de Mme Mills y est pour quelque chose.
Lui non plus n’a pas souvent l’occasion de voir son père,
mais il parle beaucoup de lui. Et, d’après Brad, il est diffi-
cile à égaler puisqu’il conduit un char d’assaut et porte un
vrai pistolet !
Alexandra se tut, consciente que ses efforts pour
détendre l’atmosphère étaient vains.
L’expression de Max finit pourtant par se radoucir.
— Je monte lui dire bonsoir.
Exhalant un soupir de soulagement, elle se leva pour le
laisser passer. Mais comme il arrivait à sa hauteur, elle ne
put s’empêcher de demander :
— Pourquoi m’accusez-vous de l’avoir entraîné ? Il me
semble vous avoir dit clairement qu’il ne fallait pas précip-
iter ces choses-là.
Il s’arrêta sur la marche au-dessous d’elle et leurs re-
gards s’accrochèrent. Alexandra remarqua ce qui lui avait
échappé jusque-là : même s’il le cachait bien, Max Good-
win était exténué.
136/210

— Exact, chère mademoiselle Hill, c’est l’un des sages


conseils que vous m’avez donnés. Mais il se trouve que je
suis d’humeur exécrable, et dans ces moments-là, j’ai tend-
ance à être cynique, méfiant, voire carrément odieux!
— C’est ce qu’on m’a dit…, laissa-t-elle échapper avant
de se mordre la lèvre.
— Mon personnel ? releva-t-il. Ils ont raison.
— Est-ce à cause des négociations ? Tout est tombé à
l’eau ? demanda-t-elle avec inquiétude.
— Non, c’est conclu et signé, dit-il en la regardant de la
tête aux pieds.
Il nota le gardénia dans ses cheveux, ses beaux yeux
noisette qui valaient tous les joyaux, son cou gracile et nac-
ré, son décolleté, sa taille de sylphide, la jupe fendue qui
découvrait sa jambe…
— Alors, pourquoi… ? commença Alexandra. Oh, non !
Ne me dites pas que je ne suis pas habillée comme il faut.
C’est la tenue que j’aurais portée si je travaillais, expliqua-
t-elle gauchement. Ne sachant pas à quel titre je devais as-
sister à cette réception…
— Mademoiselle Hill, vous êtes très bien habillée.
Max prononça ces mots avec une ironie manifeste afin
de dissimuler son désir de lui ôter ses vêtements, un à un,
137/210

dans l’intimité d’une chambre, de libérer ce corps si fémin-


in et de lui donner du plaisir…
Il s’éclaircit la gorge.
— Considérez-vous comme invitée, même si un inter-
prète supplémentaire ne sera pas superflu. Acceptez-vous
de me rendre ce service ?
— Bien sûr. Aucun problème.
— Et en ce qui concerne mon humeur, mademoiselle
Hill, même si j’étais sûr d’en connaître la raison, vous
seriez la dernière personne à qui j’en parlerais.
Sans autre forme de procès, il gravit l’escalier, la laissant
hébétée et blessée.
Elle ne pouvait se douter qu’il hésita quelques minutes
avant d’entrer dans la chambre de son fils, ni qu’il avait fait
le trajet depuis Brisbane en compagnie de son cousin, Paul
O’Hara, qui lui avait donné l’impression d’être très épris de
la jeune femme.
Paul était un garçon charmant, probablement celui qui
convenait à une jeune fille ayant mené jusque-là une vie
protégée, se dit Max. Ils étaient presque du même âge et, à
l’inverse de lui-même, son cousin ne traînait pas d’histoire
pesante dans son passé amoureux.
Alors, pourquoi était-il aussi irrité ?
138/210

Au dîner, Alexandra se trouva placée auprès de Sir Mi-


chael McPherson et face à l’épouse de celui-ci, Lady
Olivia.
Olivia Goodwin-McPherson était bien telle que l’avait
décrite Mme Mills, belle et dotée d’un tempérament bien
trempé.
Prenant sa coupe de champagne d’une main ornée d’un
énorme saphir cerné de diamants, elle déclara à l’adresse
d’Alexandra :
— Je ne crois pas vous avoir déjà rencontrée. Etes-vous
une amie de Max ?
— Non, je travaille pour lui.
Une expression de surprise polie se peignit sur les traits
de Lady Olivia.
— Dans quel domaine ?
— Je suis la nurse de Nicky et, comme je parle couram-
ment le chinois, je suis également l’interprète personnelle
et l’assistante de M. Goodwin.
— Seigneur ! s’exclama Sir Michael. Rien que cela ?
— C’est une plaisanterie, j’imagine ? renchérit son
épouse.
139/210

— Je suis très sérieuse, au contraire, répondit Alexandra,


tandis qu’on servait les huîtres.
— Mais il ne m’en a rien dit !
— Livy, enfin ! Depuis quand Max consulte-t-il qui que
ce soit ? intervint Sir Michael. Il a toujours fait ce qu’il
voulait, tu le sais !
Olivia soupira.
— Reconnais qu’il aurait quand même pu me demander
mon avis au sujet de Nicky. Quand je pense que je n’ai pas
encore été autorisée à le rencontrer !
— Max vient seulement de faire sa connaissance, fit re-
marquer son mari.
— La seule chose qu’il ait à faire dans ces circonstances,
c’est d’épouser Cathy. Admets qu’ils étaient extrêmement
proches et…
— Olivia !
Alexandra approuva en silence cet avertissement. La
conversation devenait en effet trop personnelle, même si
les convives chinois à leur table ne comprenaient pas un
mot d’anglais.
En observant la sœur de Max, Alexandra constata que
celle-ci était en proie à une émotion sincère. Visiblement,
elle s’inquiétait pour son frère et pour son neveu.
140/210

Pour détendre l’atmosphère orageuse, elle s’inclina vers


l’invité chinois assis auprès d’elle et, avec habileté, réussit
à faire participer toute la tablée. Les McPherson purent
évoquer un voyage qu’ils avaient fait en Chine et échanger
des impressions avec les autres convives.
Les musiciens jouaient des morceaux classiques en
sourdine, et le dîner fin, arrosé des meilleurs crus australi-
ens, contribua à l’ambiance festive.
Le repas terminé, on servit de nouveau du champagne et
ce fut l’heure des discours et des félicitations.
Quelqu’un qui ne le connaissait pas aurait dit de Max
Goodwin qu’il était tout à fait à l’aise et charmant, pensa
Alexandra en regardant Max s’acquitter de sa tâche. Elle
nota cependant que sa sœur l’observait, le front soucieux.
Une fois ces formalités achevées, l’orchestre passa à une
musique plus rythmée et les couples se dirigèrent vers la
piste de danse.
Alexandra décida de profiter de ce moment pour
s’éclipser. Elle sentait se profiler un mal de tête, et
quelques minutes de solitude dans un coin tranquille lui
parurent une bonne idée.
Elle déboucha sur la pelouse et prit l’allée qui menait au
jardin clos, mais s’arrêta net en entendant des pas derrière
141/210

elle. Prenant une profonde inspiration, elle se détourna et


vit… Paul O’Hara.
Il était séduisant dans son smoking, mais son regard gris
était grave.
— Je vous en prie, ne partez pas, Alexandra… Vous per-
mettez que je vous appelle Alexandra ? déclara-t-il.
— Oui. Qu’y a-t-il, Paul ? dit-elle, se sentant soudain
mal à l’aise.
— Pardonnez-moi si je vous embarrasse, mais quand je
vous ai rencontrée la première fois, j’ai été totalement
abasourdi. Jusque-là, je ne croyais pas au coup de foudre…
Il s’arrêta, confus. Il était sincère, pensa Alexandra. Et
attendrissant.
— Ecoutez, Paul. Je…
Alexandra soupira.
— Vous ne partagez pas mes sentiments ? termina-t-il.
Je sais. Quand je suis passé l’autre soir et que je vous ai
vue avec Max…
Il haussa les épaules d’un air fataliste.
Alexandra se figea, en se rappelant l’arrivée impromptue
de Paul O’Hara et ce qu’il avait surpris à ce moment-là.
Elle était émue à cause des souvenirs de Seisia, mais
pouvait-elle dire sincèrement qu’il n’y avait eu que cela ?
142/210

— Alexandra, déclara Paul doucement, avez-vous songé


que Nicky n’est pas un enfant ordinaire ? Il est l’unique
héritier d’une immense fortune, ce qui peut créer toutes
sortes de problèmes. Pour sa garde, sa sécurité, sans compt-
er les manipulations auxquelles il pourrait être soumis…
— Je vois où vous voulez en venir. La meilleure chose
pour lui serait que Max et Cathy se marient. Je le sais
depuis le début.
— Ils formaient un couple merveilleux, confirma Paul.
Mais cela ne regarde qu’eux. Je voulais seulement vous
dire…
Ses yeux gris cherchèrent à capter l’attention de la jeune
femme.
— Si vous avez besoin d’un ami dévoué, je suis là.
Touchée, Alexandra se haussa sur la pointe des pieds et
déposa un rapide baiser sur la joue de Paul.
— Merci… Merci beaucoup, murmura-t-elle.
Paul tenta de lui enlacer la taille, elle s’écarta et prit la
fuite le long du sentier qui menait au jardin. Quand elle y
pénétra, elle respira profondément l’air de la nuit,
délicieusement parfumé des senteurs de jasmin et de
chèvrefeuille, et crut percevoir de nouveau un bruit derrière
elle. Quelqu’un ouvrait le portillon d’accès. Elle pivota sur
143/210

ses talons, craignant que Paul ne l’eût suivie. Mais ce fut


Max qui apparut.
Aussitôt, elle sentit son cœur battre la chamade. Il était si
grand, si beau ! Il dégageait toujours cette aura menaçante
qui le rendait inaccessible.
— Vous n’auriez pas dû fuir Paul, Alexandra.
Elle le contempla, médusée.
— Vous… Vous avez entendu ?
Max secoua la tête.
— Seulement la fin de votre conversation, quand il vous
offrait son amitié. Mais il faudrait être aveugle pour ne pas
deviner qu’il aimerait vous offrir beaucoup plus que cela.
C’est un jeune homme bien sous tous rapports, qu’avez-
vous contre lui ?
Alexandra sentit une sourde irritation l’envahir. Max
Goodwin était bien la dernière personne de qui elle
souhaitait recevoir des conseils sur sa vie amoureuse, si
tant est qu’elle en eût une ! Etait-ce sa faute si Paul O’Hara
ne la faisait pas vibrer ?
Au moment où elle ouvrait la bouche, le tumulte in-
térieur qu’elle endurait depuis des jours, cette vérité qu’elle
dissimulait furent soudain impossibles à endiguer.
— Ce que j’ai contre lui ? Il est différent de vous !
144/210

Atterrée par ce cri du cœur, les joues en feu, elle se lança


dans un flot de paroles pour tenter de se justifier.
— Je ne vais pas vous empoisonner avec mes sentiments
! Je suis parfaitement consciente que des années-lumière
nous séparent vous et moi dans… dans ce domaine.
Le regard chargé d’incrédulité, Max ne répondit pas
immédiatement.
— Des années-lumière ? dit-il enfin d’une voix grave.
Non, Alexandra. Ceci vous aidera peut-être à comprendre
quelle femme désirable vous êtes, une fois pour toutes et
certainement pas la dernière…
Il l’enlaça et Alexandra se figea dans l’anse de ses bras.
Le regard brûlant de Max glissait le long de sa gorge vers
ses seins qui se soulevaient de plus en plus vite. Elle sentit
leurs pointes se dresser spontanément et un frisson volup-
tueux la parcourut. Elle se mit à désirer le contact du corps
ferme et puissant de Max, des visions érotiques lui traver-
sèrent l’esprit. Ils se dénudaient lentement, Max l’abreuvait
de caresses, auxquelles elle répondait amoureusement, telle
une amante docile…
Elle fixa la petite cicatrice près de son sourcil gauche,
elle mourait d’envie de la caresser et, par-dessus tout, elle
attendait son baiser.
145/210

N’y tenant plus, Alexandra effleura du doigt la marque


qui la troublait tant. La tension électrique entre eux parut
monter d’un cran. Max dut le percevoir, car ses mains se
resserrèrent autour de la taille de la jeune femme, juste av-
ant qu’il ne se penche vers ses lèvres…
Leur baiser fut plus intense que tout ce dont Alexandra
avait pu rêver. La pression de sa bouche virile et chaude
l’embrasa. La joie qui l’emplissait à sentir sous ses doigts
la magnifique carrure de Max, à goûter la douceur de ses
lèvres, l’enivrait autant que la certitude d’être, entre les
bras de cet homme qu’elle aimait, à un endroit unique,
incomparable.
Tous les obstacles entre eux s’évanouirent, comme s’ils
n’avaient jamais existé. En même temps naissait en elle une
confiance toute neuve. Oui, elle pouvait être à la hauteur de
cette bouillante sensualité qu’il exhalait.
Il se redressa brusquement et elle pensa qu’il allait pro-
noncer quelque mot tendre et intime qui scellerait le début
de leur amour.
Au lieu de quoi, il la contempla avec une expression tor-
turée, avant de fermer brièvement les yeux, puis douce-
ment, écarta la jeune femme.
— Je suis désolé, dit-il. Je n’aurais jamais dû.
146/210

Alexandra eut la sensation d’être abandonnée sur une


terre glacée. Ses yeux se voilèrent d’incompréhension.
— Oh ! Non, ne dites pas cela, je vous en prie…
Max soupira.
— Alexandra, j’ai une vie compliquée, vous le savez
sans doute mieux que quiconque. C’est ce qui nous sépare,
ces années-lumière dont vous parliez. Aucun homme re-
sponsable n’accepterait en conscience de vous faire porter
un tel fardeau. Vous avez toute la vie devant vous, chère
Alexandra, et quand vous aurez trouvé quelqu’un à aimer,
dont vous aurez des enfants, vous n’aurez plus jamais envie
de vous isoler au fond d’un parc, comme ce soir.
Elle se préparait à protester et il secoua la tête.
— Non, Alexandra. Vous aurez toujours mon affection
et je n’oublierai jamais ce que vous avez fait pour Nicky.
Du reste, vous êtes si jolie ce soir que je ne suis certaine-
ment pas le seul à avoir désiré vous embrasser.
Au choc de ce rejet brutal s’ajoutait l’impact de ces pa-
roles terribles. Des larmes silencieuses roulèrent sur les
joues d’Alexandra, sans qu’elle trouvât la force de les
retenir.
Max n’eut pas le temps de la rassurer davantage cepend-
ant, car Margaret Winston fit irruption.
147/210

— Ah ! Monsieur Goodwin, vous voilà. Je vous cherche


depuis un bon moment. On commence à remarquer votre
absence et… Alexandra ? Mon Dieu ! Qu’avez-vous ?
— Margaret, pouvez-vous prendre soin d’elle ? déclara
Max. Alexandra… a besoin d’aide. J’y vais.
S’adressant à la jeune femme, il ajouta très bas :
— Surtout, ne prenez aucune décision. Je vais tout ar-
ranger. Bonne nuit, chère Alexandra.
Là-dessus, il s’éloigna à grands pas.

Au matin, la villa avait presque retrouvé son aspect nor-


mal. L’équipe de nettoyage commandée par Jake était à
pied d’œuvre depuis l’aube.
Alexandra prenait le thé dans le parc, en compagnie de
Margaret. Nicky et Brad construisaient une cabane avec
l’aide de Stan et ne semblaient pas avoir besoin d’elle.
— Alexandra, comment vous sentez-vous ?
C’était la centième fois au moins que Margaret lui posait
cette question. Réprimant un léger soupir, Alexandra ré-
pondit une fois de plus :
— Très bien, je vous assure. Je ne sais pas ce qui m’a
pris hier soir, mais c’est passé. Ne vous sentez pas
148/210

coupable de rentrer à Brisbane. Je suis sûre que M. Good-


win a plus besoin de vous que moi.
— C'est-à-dire... Il y a encore des détails à régler, dit la
secrétaire en hésitant. M. Goodwin tient à accompagner lui-
même la délégation à l’aéroport cet après-midi et deux con-
férences de presse sont prévues demain.
Elle se leva, mais hésita de nouveau.
— Vraiment, vous en êtes sûre ?
Alexandra se leva à son tour et l’embrassa sur les deux
joues.
— Merci. Vous avez été si gentille.
Restée seule, Alexandra repensa à la nuit dernière. Mar-
garet l’avait raccompagnée jusqu’à sa chambre et lui avait
apporté une tasse de chocolat. Après s’être assurée qu’il ne
s’agissait pas d’un problème de santé, la secrétaire n’avait
pas cherché à en savoir davantage.
Elle avait probablement deviné, se dit Alexandra.
Aucune femme ne s’y tromperait : elle venait d’être em-
brassée et était en larmes !
Elle avait pourtant réussi ce matin à cacher à Margaret
qu’elle était encore sous le choc. Jamais elle ne pourrait
oublier ce baiser. Rien qu’à cette évocation, son pouls
149/210

s’affolait et elle retrouvait les sensations physiques qu’elle


avait éprouvées, ainsi que cette joie inouïe, inédite…
Avant le terrible plongeon au fond du gouffre.
Qu’allait-elle faire maintenant ? Il avait dit qu’il se
chargeait de « tout arranger », mais n’avait-elle pas intérêt
à prendre elle-même les choses en main ?
Devait-elle rester et réprimer ses sentiments ? Ne garder
que le plaisir d’être auprès de lui et lui permettre de rece-
voir Nicky ? Non, c’était s’exposer à la souffrance. Max
désirait-il toujours sa présence maintenant qu’il l’avait
avertie qu’une relation entre eux était inconcevable ? Sans
doute pas.
Mais comment partir ? Elle ne pouvait pas abandonner
Nicky.

— Alexandra, appela Mme Mills en secouant la jeune


femme très tôt le lendemain matin. Mlle Spencer est ici et
j’ai peur qu’elle ne veuille emmener Nicky. Stan essaye de
joindre M. Goodwin à Brisbane, mais personne n’a réussi à
le trouver pour le moment. Voulez-vous descendre lui
parler ?
Alexandra se redressa en sursaut.
— Répétez-moi cela ! balbutia-t-elle, incrédule. Non, j’ai
compris, mais… Que vais-je lui dire ? Si elle a décidé
150/210

d’emmener son fils, de quel droit pourrions-nous l’en


empêcher ?
— Vous ne croyez pas que, pour le bien de Nicky, il faut
que Mlle Spencer et M. Goodwin en parlent d’abord ?
Nicky devrait au moins pouvoir dire au revoir à son père…
Le petit dort toujours. Vous êtes l’assistante de M. Good-
win, n’est-ce pas ? la pressa anxieusement la gouvernante.
— C’est juste.
— J’ai introduit Mlle Spencer dans le salon rose et je re-
descends lui offrir du café. Je vous en prie, Alexandra,
c’est une situation si délicate pour moi.
Alexandra repoussa les couvertures.
— Le temps de prendre une douche et j’arrive.

Au moment où Alexandra pénétra dans le salon rose,


Cathy Spencer se détourna de la fenêtre. Les yeux plissés,
elle regarda le jean, le pull vert et les cheveux mouillés
d’Alexandra.
— L’assistante, d’après Mme Mills ! commenta-t-elle
d’un ton acide. J’aurais dû me douter que votre statut
était… beaucoup plus personnel. Vous êtes Mlle… Hill,
n’est-ce pas ?
151/210

Malgré ces paroles méprisantes, Alexandra remarqua


que Cathy Spencer était différente de la jeune femme
qu’elle avait rencontrée dans l’appartement de Max Good-
win, à Brisbane. Il lui manquait la sophistication, ainsi que
la passion qui l’avait animée alors. Elle paraissait fatiguée,
tendue, et était habillée de vêtements sombres. Ses longs
cheveux bruns étaient simplement noués sur sa nuque.
— Mademoiselle Spencer, ce n’est pas du tout une af-
faire personnelle comme vous semblez le croire, répondit
Alexandra. Il se trouve que Nicky s’est tout de suite attaché
à moi après que vous l’avez laissé à un père qu’il n’avait
jamais vu. Tout est parti de là.
Au grand étonnement d’Alexandra, Cathy se cacha le
visage dans ses mains, visiblement bouleversée.
— Oh !… Je ne voulais pas vous faire pleurer. Je suis
désolée, s’empressa de dire Alexandra, décontenancée.
Jetant un regard autour d’elle, elle remarqua le plateau
que Mme Mills avait apporté.
— Venez prendre un café, l’invita-t-elle.
Cathy releva la tête et s’essuya les yeux.
— Excusez-moi, déclara-t-elle d’une voix tremblante.
Mais la raison pour laquelle je suis ici, c’est que… ma
mère est morte hier.
152/210

— Oh, mon Dieu ! s’exclama Alexandra, horrifiée.


J’avais cru comprendre que l’opération avait totalement
réussi ! Asseyez-vous, je vous prie.
La jeune femme accepta et Alexandra lui servit une tasse
de café.
— Oui, tout s’était bien déroulé d’abord. Mais elle a eu
un infarctus que les médecins n’avaient absolument pas
prévu.
— Je sais ce que vous devez ressentir et je suis pro-
fondément désolée.
— Merci. Nicky l’aimait tendrement lui aussi et elle
s’occupait tellement bien de lui. Mieux que moi, en fait. Je
regrette de ne pas lui avoir assez dit combien je l’aimais.
En même temps, je n’arrête pas de me demander si elle n’a
pas eu une sorte de pressentiment. Elle a tant insisté pour
que je contacte Max au sujet de Nicky… Elle me le répétait
sans cesse, mais je n’aime pas qu’on me dicte ma conduite.
Il y a un mois environ, elle m’a menacée de le lui dire elle-
même, si je ne me décidais pas. C’est ce qui me fait penser
qu’elle sentait qu’il lui arriverait malheur. Finalement, j’ai
accepté de parler à Max, et personne, absolument personne,
ne peut comprendre à quel point cela m’a coûté. Je me de-
mandais comment Max et moi réagirions une fois mis en
présence, ce que Nicky éprouverait…
Sa voix se brisa et elle ferma brièvement les yeux.
153/210

— Comment Max et Nicky s’entendent-ils ? demanda-t-


elle enfin.
— De mieux en mieux, lui assura Alexandra.
Cathy but son café à petites gorgées, puis reposa sa tasse
d’un geste décidé. Alexandra retint son souffle, s’attendant
à devoir la dissuader d’emmener son fils, mais Cathy la
surprit.
— Savez-vous comment je me suis retrouvée dans cette
situation ?… D’abord, quel est votre prénom ?
Alexandra le lui dit et Cathy continua :
— Alexandra, donc, j’ai absolument besoin de parler à
quelqu’un, de faire comprendre que je ne suis pas la femme
sans cœur que l’on décrit. Honnêtement, je ne savais pas
que mon enfant était celui de Max !
Alexandra sentit qu’elle aurait à entendre toute l’histoire,
qu’elle le voulût ou non, et ne put s’empêcher de penser
aux remarques de Max au sujet de son ex-maîtresse. Une
femme chimérique, impossible à vivre…
— C’était vers la fin de notre relation, évoqua Cathy.
Nous ne communiquions plus qu’en nous disputant. Max
voulait que l’on se marie. Il désirait une épouse conform-
iste qui illuminerait son foyer, qui serait toujours dispon-
ible et ferait ce qu’on attendait d’elle en toutes circon-
stances. Mais je ne suis pas ce genre de femme. Je suis un
154/210

esprit libre et je n’avais aucune envie d’être happée par la


machine que représente l’empire Goodwin. Après une
soirée orageuse, je suis partie et suis tombée dans les bras
d’un ami. Nous avons vécu une aventure de deux semaines.
Je ne savais plus trop où j’en étais… Puis je me suis rendu
compte que j’étais enceinte. Mon… ami pouvait être le
père de l’enfant, mais je n’ai pas pensé que ce pouvait être
Max ! J’avais arrêté de prendre la pilule alors que nous
étions encore ensemble, parce qu’elle me rendait malade,
mais j’étais persuadée qu’il fallait laisser passer un peu de
temps avant de pouvoir concevoir. Je n’ai pas réalisé que
mon cycle était devenu irrégulier.
— Mais… votre ami ? commença Alexandra sans oser
poursuivre.
— Il n’a jamais su que j’étais enceinte. Oh ! Il était char-
mant et m’a aidée à recoller les morceaux de ma vie, mais
j’avais autant envie de me lier à lui que d’épouser cet
empire ! dit-elle en embrassant d’un geste éloquent la villa.
Je n’ai pas eu le cœur d’avorter, parce que je crois trop à la
vie pour la supprimer, et parce que ce bébé que j’attendais
était une partie de moi. Le sort a voulu que Nicky devienne
un Max en miniature !
— Il vous ressemble aussi beaucoup sur un point. Il ad-
ore dessiner et peindre. Je n’ai jamais vu un enfant de six
ans développer de tels dons.
155/210

Les beaux yeux bleus de Cathy Spencer se mirent à


briller.
Alexandra reprit :
— Quand avez-vous su qui était son père ?
Le regard de son interlocutrice s’assombrit.
— A sa naissance, Nicky ressemblait à mon père, que je
n’ai pas connu, car il est mort avant ma naissance. Puis, j’ai
trouvé qu’il tenait de moi. Il avait les cheveux bruns, les
yeux bleus, ce qui ne désignait pas nécessairement Max
comme son géniteur. Mais en grandissant, il ressemblait de
plus en plus à Max.
— Pourquoi n’avez-vous pas averti M. Goodwin à ce
moment-là ? risqua Alexandra.
Cathy se tordit nerveusement les mains.
— J’avais le sentiment que ce serait donner à Max un
moyen de contrôler ma vie. Mais ce n’est pas la seule rais-
on. J’aime mon fils et je pensais que le mieux pour lui était
que je l’élève seule plutôt que de lui imposer… un père et
une mère qui…
Elle esquissa un geste éloquent.
Un long silence s’ensuivit.
156/210

Que répondre à cela ? se demanda Alexandra. Ou plutôt,


que répondrait-elle, si elle n’avait pas elle-même des rap-
ports aussi compliqués avec Max Goodwin ?
La seule pensée qui lui vint à l’esprit fut qu’elle n’avait
pas sa place dans cette histoire. Si Max avait ressenti
quelque chose pour elle, ce n’était qu’une émotion très
brève. Comment l’étincelle s’était-elle produite, à supposer
qu’elle ait jamais existé ? Alexandra s’était glissée dans sa
vie en même temps que Nicky, il avait manifesté de l’in-
quiétude pour elle.
Comment pourrait-il y avoir plus que de la gratitude ou
de l’affection de sa part ? Elle n’était qu’une figurante dans
ce scénario dramatique et, si elle avait un peu de bon sens,
elle cesserait même de jouer ce rôle, se dit-elle.
Il n’y avait qu’une réponse possible à la question impli-
cite de Cathy Spencer.
— Vous vous rendrez compte que M. Goodwin a aussi à
cœur les intérêts de Nicky. Et… Pardonnez-moi d’être si
directe, mais si deux personnes ne peuvent trouver un ter-
rain d’entente pour que l’enfant qu’ils ont eu ensemble soit
heureux, aimé et qu’il ait une vie stable, alors ces deux
êtres sont de purs égoïstes !
8.
Cathy était encore médusée par ces paroles quand Mme
Mills entra, un téléphone à la main.
— M. Goodwin souhaite vous parler, mademoiselle
Spencer, dit-elle en lui tendant l’appareil.
— Nous allons vous laisser seule, dit Alexandra en se
levant.
— Merci, répondit Cathy d’un air absent, avant de porter
le téléphone à son oreille.
— Max ?
Alexandra n’entendit pas la suite.
— Où était-il ? demanda-t-elle à Mme Mills quand elles
se retrouvèrent dans la cuisine.
— Il faisait son jogging. Il n’avait prévenu personne et
n’avait pas pris son téléphone. Veut-elle emmener Nicky ?
s’enquit la gouvernante avec anxiété.
— Je ne le pense pas, déclara prudemment la jeune
femme. A mon avis, elle ne veut que son bien. Elle vient de
perdre sa mère et elle est très fragile.
Mme Mills laissa échapper un soupir douloureux.
158/210

— Ils formaient un si beau couple… S’ils veulent


vraiment ce qui est le mieux pour Nicky, peut-être vont-ils
régulariser la situation. C’est ce qu’ils devraient faire en
tout cas.
« Si j’entends cela encore une fois, je vais hurler ! »
songea Alexandra. S’ils étaient si bien ensemble, comment
en étaient-ils arrivés à un tel gâchis ? Et quelles chances un
mariage avait-il d’y survivre ?
Immédiatement, elle se reprit. Bien sûr que c’était ce
qu’ils devaient faire. Etait-ce trop leur demander de
renouer pour le bien de Nicky ? Ils avaient changé l’un et
l’autre en l’espace de six ans et…
— Alexandra ?
Elle se détourna et vit Cathy sur le seuil de la cuisine lui
tendre le téléphone.
— Max veut vous parler.
Décidément, rien ne lui serait épargné, songea
douloureusement Alexandra.
— Allô ? balbutia-t-elle, l’esprit en déroute.
— Alexandra ? Comment allez-vous ?
— Bien. Merci.
159/210

— Cathy va rester quelques jours à la villa, pour que


nous puissions mettre cartes sur table, elle et moi, annonça-
t-il. Je serai là dans l’après-midi et…
— Monsieur Goodwin, coupa-t-elle, puis-je rentrer chez
moi ? Vous n’avez pas besoin de mes services pour Nicky
et j’aimerais vraiment… avoir un peu de temps libre.
Il parut hésiter.
— D’accord. Passez-moi Mme Mills pour que je puisse
organiser cela. Je vous tiendrai au courant et… Alexandra ?
— Oui ?
— Merci pour tout.
— Oh !… De rien, répondit-elle avant de mettre le télé-
phone dans les mains de la gouvernante.

***

Ce fut un chauffeur de Goodwin Minerals qui la con-


duisit à Brisbane. Max avait-il ordonné à Stan de rester à la
villa de crainte que Cathy ne prenne la fuite avec Nicky ?
Quoi qu’il en soit, il avait envoyé un autre de ses em-
ployés. Après avoir échangé quelques politesses avec ce
dernier, Alexandra retourna à ses pensées, tandis que la
voiture filait sur l’autoroute en direction du nord, sous un
ciel couvert.
160/210

Son esprit était étrangement paralysé. Elle était capable


de penser à Nicky et à sa mère qui avaient agité la main au
moment où elle partait, à l’adieu ému de Mme Mills qui
avait murmuré : Vous êtes si bonne, Alexandra…
En revanche, elle ne pouvait orienter ses pensées sur
elle-même, ni sur ce qu’elle allait faire maintenant. Dans
cet état d’esprit, elle ne s’aperçut pas immédiatement
qu’elle était arrivée.
— C’est bien l’adresse, madame ? demanda le chauffeur.
— Oui… Merci beaucoup.
Il lui ouvrit la portière.
— Voulez-vous que je rentre vos bagages à l’intérieur?
— Jusqu’à la porte d’entrée, merci.
Dix minutes plus tard, Alexandra était assise sur le banc
devant sa maison, le contenu de son sac éparpillé auprès
d’elle. Impossible de retrouver sa clé ! Elle avait soulevé
tous les pots de fleurs, sans résultat. Pour comble, Patti qui
avait un double de sa clé n’était pas chez elle !
Encore heureux qu’il ne pleuve pas ! pensa-t-elle, irritée.
Mais le ciel était de plus en plus sombre.
La frustration et les émotions intenses qu’elle avait accu-
mulées ces dernières heures eurent raison d’elle et elle se
laissa aller à pleurer.
161/210

Elle ne remarqua pas la Bentley bleu marine qui vint se


garer le long du trottoir. Ce ne fut que quand Max Goodwin
s’arrêta devant elle qu’Alexandra se rendit compte qu’elle
n’était pas seule.
Levant les yeux, elle s’exclama :
— Monsieur Goodwin ? Que faites-vous ici ?
Se levant d’un bond, elle se mit à parler à toute vitesse.
— Vous n’allez pas me croire, mais finalement cela ne
vous étonnera pas… Je ne trouve pas ma clé et ma voisine
est sortie.
Max mit la main dans la poche de sa veste et en retira
son téléphone portable. Il composa un numéro.
— Margaret, dit-il, j’ai besoin d’un serrurier
immédiatement.
Il donna l’adresse de Spring Hill et, après avoir remercié
sa secrétaire, coupa la communication.
— Merci…, bégaya Alexandra. Mais je ne comprends
toujours pas ce que vous faites ici.
Il la couva du regard, notant le jean délavé, la veste de
velours clair et la belle écharpe à motifs cachemire. Elle
n’était pas maquillée, mais ses cheveux, libres et rebelles,
avaient un charme fou. N’importe quel homme aurait eu
envie d’y enfouir les doigts et de les caresser.
162/210

— Nous devons parler, Alexandra, répondit-il en s’ar-


rachant à sa contemplation.
— Vraiment ? Je veux dire, je n’ai rien contre le fait de
parler avec vous…
Elle s’interrompit en voyant une camionnette s’arrêter
juste derrière la Bentley. Une inscription en grosses lettres
rouges indiquait : Serrurier.
— Ça alors ! Je sais que vous n’avez qu’à claquer des
doigts pour que l’on accoure. Mais à cette vitesse-là,
c’est… à peine croyable !
Max haussa les sourcils à la vue du van.
— C’est le savoir-faire de Margaret, et rien d’autre,
rectifia-t-il. Quand même, je reconnais qu’elle est d’une ef-
ficacité surprenante.
Le serrurier leur expliqua qu’il venait de faire une inter-
vention dans le quartier lorsqu’il avait reçu l’appel dans
son véhicule. Il ne lui fallut pas longtemps pour déver-
rouiller la porte d’Alexandra.
Une fois celui-ci parti, elle se tourna vers Max.
— Vous ne devriez pas déjà être en route pour la villa?
— Tout à l’heure. Après vous, Alexandra.
163/210

Il prit ses bagages. Alexandra rassembla le contenu de


son sac à main et le précéda à l’intérieur. A cet instant, il se
mit à pleuvoir.
Déposant les valises dans le vestibule, Max referma la
porte.
— L’orage menaçait depuis ce matin.
Alexandra en convint et alluma quelques lampes dans le
salon. La pièce devint aussitôt accueillante et intime, tandis
que la pluie battante martelait les vitres.
D’un coup d’œil, Max embrassa les tentures, les coussins
exotiques, les plantes vertes. Du doigt, il caressa une
statuette en malachite sur la bibliothèque.
— C’est tout à fait vous, ce décor, Alexandra,
commenta-t-il.
— Merci, répondit-elle. Comme cela a l’air d’un compli-
ment, je le prends comme tel.
— C’était effectivement un compliment… à une jeune
femme infiniment précieuse. Mais…
Max se tut. Se raidissant, Alexandra termina pour lui :
— Mais si vous épousez Cathy, vous n’aurez plus besoin
de mes services…
— Qui a dit que j’allais l’épouser ?
164/210

— Tous ceux à qui j’ai parlé ces derniers jours.


— C’est-à-dire ma sœur, mon cousin, mon employée de
maison. Et je parie que ma secrétaire s’est mise de la partie
! railla-t-il avec une moue caractéristique.
— Là, vous vous trompez.
Voyant qu’il l’observait avec attention, elle demanda :
— C’est ce que vous allez faire ?
— Epouser Cathy ?
Il parut réfléchir et Alexandra songea qu’elle n’avait ja-
mais vu de traits aussi sculptés, de bouche aussi fermement
dessinée ou d’émotions aussi bien maîtrisées.
— Je ne sais pas encore, mais vous pouvez être tran-
quille, j’ai la ferme intention de trouver un terrain d’entente
pour que Nicky ait une vie stable, se sente aimé et heureux.
Je ne serai pas un pur égoïste.
Alexandra s’empourpra en reconnaissant ses propres
paroles.
— Elle vous a répété… ? Je n’aurais pas dû dire cela,
murmura-t-elle, mortifiée.
— Il fallait que quelqu’un le fasse.
— Alors… Bonne chance. Je vous souhaite vraiment
d’être heureux. Mais… Mon emploi d’assistante n’est plus
165/210

possible, n’est-ce pas ? s’enquit-elle en détournant les


yeux.
— Alexandra, regardez-moi, dit-il doucement.
Oh ! Qu’il ne rende pas les choses plus douloureuses !
pria-t-elle, le cœur déchiré.
Pourtant, elle obéit bravement.
— Non, nous ne pouvons pas travailler ensemble,
confirma-t-il. Mais il existe une alternative.
Elle haussa les sourcils, intriguée.
— Le consul chinois à Brisbane recherche un interprète
de mandarin de nationalité australienne, résidant en Aus-
tralie. C’est M. Li qui m’en a parlé, car il a été très impres-
sionné par votre prestation. Le poste offre beaucoup de
contacts avec le public et est donc plus intéressant que ce
que vous faisiez chez Wellford. C’est tout indiqué pour
quelqu’un qui rêve de faire carrière dans la diplomatie.
Surprise, Alexandra ne sut que répondre.
— Comment diable avez-vous eu le temps d’arranger
tout cela ? demanda-t-elle enfin, incapable de penser à
quelque chose de plus sensé.
— J’ai longuement réfléchi hier matin et j’avais
justement un rendez-vous avec M. Li dans la journée…
166/210

— Hier ? répéta Alexandra. C’est donc avant l’arrivée de


Cathy que vous avez décidé de… ?
Elle laissa sa question en suspens, trop bouleversée pour
achever.
— Oui, Alexandra. C’était avant, dit Max doucement.
Encore une fois, nous deux c’était impossible.
Paroles sans appel même si, au regard qu’il lui adressait,
Alexandra sut qu’il se détestait de les prononcer. Parce
qu’il avait pitié d’elle ? Oh, non ! Pas cela…
— Alexandra ? Ce poste vous intéresse ?
Elle se détourna, le temps de respirer profondément et de
refouler ses larmes, puis vint s’asseoir sur le sofa.
— Oui, tout à fait. Vous croyez que… que j’ai une
chance de l’obtenir ?
— Avez-vous quelque chose d’autre en vue ?
— Je pourrai toujours retourner travailler chez Simon,
répondit-elle, haussant les épaules.
— Simon Wellford recevra beaucoup de contrats de la
part de Goodwin Minerals désormais.
Alexandra comprit l’implication de ses paroles. Si elle
retrouvait son emploi à l’agence, elle serait trop proche de
lui et souffrirait encore.
167/210

— Je suis contente qu’il n’ait pas perdu au change,


répondit-elle prudemment. Non, je n’ai rien d’autre en vue.
Donc, merci beaucoup, je vais y réfléchir sérieusement.
Max sortit une enveloppe de la poche intérieure de sa
veste et la plaça sur la bibliothèque.
— Tous les renseignements sont là. J’ai aussi quelque
chose d’autre pour vous qui ne devrait pas tarder à arriver,
dit-il en consultant sa montre.
— Oh ! J’aimerais que vous ne fassiez plus rien pour
moi, répondit Alexandra d’un ton presque suppliant.
— Attendez au moins de voir de quoi il s’agit.
— Non, je dois m’en sortir seule maintenant, répliqua-t-
elle plus fermement. C’est aussi une question d’orgueil. Ne
me demandez pas de m’expliquer là-dessus. C’est ainsi.
Puis, comme frappée par une idée soudaine, elle
s’exclama :
— Vous n’avez pas amené… Paul, n’est-ce pas ?
A ces mots, Max eut un geste impulsif et, pendant
quelques secondes, Alexandra pensa qu’il allait la serrer
dans ses bras. Mais il se calma immédiatement.
— Non, il ne s’agit pas de Paul. En fait, il a quitté Good-
win Minerals. Il était prévu qu’il aille étudier aux Etats-
168/210

Unis pendant un an. Il n’a fait… qu’avancer son départ.


Mais je vous ai tout de même amené un compagnon.
Elle s’apprêtait à protester de nouveau quand on frappa à
la porte. Max alla ouvrir aussitôt. Sur le seuil, Alexandra
reconnut le chauffeur qui l’avait ramenée de Sovereign
Islands.
— Je suis désolé, monsieur, s’excusa celui-ci. La pluie a
ralenti la circulation. Enfin, la voici.
Sur quoi, il déposa à terre une boule de fourrure blanche
et bouclée.
— Lady McPherson m’a chargé de vous dire un grand
merci pour Josie. Et voici tout ce qu’il faut pour elle, dit-il
en tendant un sac.
— Merci, c’est parfait.
Le chauffeur salua et Max referma la porte.
Alexandra s’était levée et le regardait, médusée.
— Un chien ? dit-elle, incrédule.
— A quoi vous attendiez-vous ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas, mais certainement pas à cela.
Le petit chien regardait autour de lui. Après avoir toisé
Max d’un œil prudent, il se mit à trottiner vers la jeune
femme.
169/210

— Josie est un bichon frisé. Les chiens favoris des mon-


arques français, vous pouvez faire confiance à Olivia pour
savoir cela, l’informa-t-il avec un sourire ironique. Ils sont
doux, d’un tempérament joyeux. Josie a neuf mois et est
parfaitement éduquée.
Josie s’assit devant Alexandra. Les yeux mordorés et
tendres qu’elle leva vers la jeune femme auraient fait fon-
dre le cœur le plus dur.
— Mais, pourquoi ?… balbutia Alexandra.
— Livy et Michael partagent leur temps entre l’Australie
et l’Angleterre, expliqua Max. Cette fois, ils doivent re-
tourner à Londres pour deux ans au moins. Livy m’a confié
il y a environ une semaine qu’ils cherchaient un bon foyer
pour Josie. J’ai constaté combien vous aimiez les chiens et,
si je me rappelle bien, vous et votre voisine souhaitiez en
adopter un. Alors, j’ai pensé à vous. On dirait qu’elle
préfère les femmes aux hommes d’ailleurs.
Si Alexandra avait eu du mal à contenir ses émotions
jusque-là, ce n’était rien comparé à l’élan d’amour et de
chagrin qui la submergea à cet instant. Max était un homme
attentionné, qui l’embrasait de désir… et il ne serait jamais
pour elle.
Josie posa une patte sur son genou et Alexandra aurait
juré qu’il y avait une supplique dans ses beaux yeux bruns.
170/210

Se penchant, elle caressa la fourrure bouclée de la chienne


qui ferma les yeux de ravissement.
— Oh ! Quel amour ! Comment pourrais-je dire non ?
Merci, dit Alexandra d’une voix émue. Elle est magnifique.
Oh, là là ! Si je ne fais pas attention, je vais devenir aussi
gâteuse que Nicky avec Nemo.
Max sourit sans répondre, et elle sut qu’il ne lui restait
plus qu’une chose à faire.
— Monsieur Goodwin, à moins que vous ayez d’autres
surprises en réserve, je pense qu’il est temps… de se dire
au revoir.
Elle lui tendit la main. Au lieu de la serrer, Max étudia
son visage, cet air de bravoure, ses beaux cheveux, cette
silhouette de sirène qui l’avait si agréablement surpris, les
yeux fascinants derrière leurs lunettes, sa pâleur enfin qui
trahissait ses efforts pour rester maîtresse d’elle-même.
— Alexandra, dit-il dans un soupir, vous vous remettrez
de cette peine de cœur. Vous êtes si jeune, si belle, si
fraîche… et trop raisonnable pour ne pas faire une croix
dessus et aller de l’avant.
— Vous croyez ? murmura-t-elle avant de se reprendre.
Ecoutez, encore une fois merci pour tout et… Oui, j’y ar-
riverai. Je regrette seulement…
Elle se mordit la lèvre.
171/210

— Vous regrettez quoi ? la pressa-t-il. Alexandra !


— J’aurais aimé vous donner quelque chose moi aussi.
Je sais, c’est ridicule, dit-elle en soupirant.
Le regard de Max s’adoucit.
— Non, pas du tout. En fait, vous m’avez déjà donné
beaucoup : la sagesse, au moment où j’en attendais le
moins. Prenez soin de vous, Alexandra.
— Vous aussi, monsieur Goodwin. Vous aussi.
Max hésita une seconde encore, puis tourna les talons et
sortit.
Alexandra demeura immobile. Dès que la porte se fut
refermée, elle vacilla comme un jeune arbre au milieu
d’une tempête et éclata en sanglots. Quand elle sentit Josie
se frotter contre ses jambes, elle la prit dans ses bras et
pleura en la serrant contre elle.
— Désolée, ma mignonne. Jamais je n’aurais cru
éprouver tant de chagrin pour un homme. J’espère qu’il a
raison et que cela passera.
Une terrible angoisse l’étreignit et elle renversa la tête en
arrière.
— Oh ! Pourvu qu’il ait raison…
9.

Quatre mois plus tard…


Alexandra menait une vie bien remplie. Son travail au
consulat en tant qu’assistante de l’officier de liaison la
comblait, il requérait des déplacements et la mettait au con-
tact du public.
Elle avait dû acquérir une nouvelle garde-robe et, même
si celle-ci n’était pas comparable à celle que Max Goodwin
lui avait fournie, et qu’elle avait laissée à la villa, Alexan-
dra ne ressemblait plus à la jeune fille mal fagotée d’avant.
Comme elle l’avait prévu, sa voisine Patti avait été en-
chantée en découvrant Josie. La petite chienne s’était vite
adaptée à ce double mode de vie et, pour Alexandra, elle
avait été une bouée de sauvetage. Le soir, elle ne rentrait
plus dans une maison vide, et le week-end, elle aimait faire
un tour en vélo, avec Josie sur le porte-bagages.
Le vide que Max avait laissé dans sa vie avait été si
grand qu’elle avait eu l’impression de perdre une partie
d’elle-même. Nicky, Mme Mills, Margaret, et même Stan
et Jake lui manquaient aussi, car à eux tous ils avaient été
173/210

pour elle une seconde famille pendant ces quelques


semaines.
Mais c’était Max qui hantait ses rêves, Max dont le
souvenir continuait de la faire chavirer. Un jour, elle avait
cru l’apercevoir devant elle dans un escalator. Le cœur bat-
tant à tout rompre, elle s’était frayé un chemin à travers la
foule pour parvenir jusqu’à cet homme grand et brun, et
tout à coup la souffrance l’avait submergée comme au
premier jour. Oh ! Le voir, lui dire bonjour…
Ce n’était pas lui.
Bravement, elle avait surmonté cette déception, comme
la solitude et le désespoir du début.
Les semaines passant, elle s’était préparée à lire dans la
presse que Max Goodwin avait épousé Cathy Spencer. S’il
l’avait fait, aucune publicité n’avait entouré l’événement.
Elle s’était dit que Simon devait être au courant par sa
sœur, mais à quoi bon l’interroger ? Si Max n’avait pas
épousé Cathy, il n’était pas revenu vers elle pour autant.
Au fil des mois, l’hiver céda la place au printemps puis à
l’été et elle se sentit mieux.
Au consulat, elle s’efforçait d’être enjouée et personne
ne soupçonnait que cette bonne humeur n’était qu’une
façade. Elle avait aussi commencé à prendre des leçons de
conduite pour pouvoir disposer d’une voiture de fonction.
174/210

C’est d’ailleurs ainsi, lors d’un cours de conduite, qu’elle


emboutit la voiture de Simon Wellford. Elle manœuvrait
pour sortir d’une place de stationnement, quand son mon-
iteur lui cria de freiner. Elle obtempéra. Trop tard ! Le
véhicule de l’auto-école percuta la voiture qu’elle n’avait
pas vue arriver.
Une demi-heure plus tard, à la demande de Simon, Alex-
andra buvait un cognac dans un bar tout proche pour se re-
mettre de ses émotions.
— Ne t’en fais pas, la consola son ancien patron. Tout le
monde est assuré, personne n’a été blessé et les voitures
n’ont pas beaucoup souffert.
— Non, il n’y a que ma réputation, répondit Alexandra
en soupirant. Quel moniteur voudra me donner des leçons
maintenant ?
— Tu te souviens que j’ai eu un petit accident moi aussi
le jour où je t’emmenais passer un entretien chez Goodwin
? Pourtant, j’avais mon permis depuis des années.
— Oui, je me rappelle ! Mon Dieu, quelle journée !
— As-tu revu Max Goodwin récemment ? s’enquit
Simon.
Alexandra secoua la tête et avala une nouvelle gorgée de
cognac.
175/210

— Il a été vraiment sympathique de me commander des


travaux par la suite, évoqua Simon. Mais j’ai été vexé qu’il
t’ait aiguillée vers le consulat plutôt que chez moi. Au fait,
tu ne devais pas travailler pour lui ?
— Ce projet a été abandonné, murmura seulement
Alexandra.
Simon la dévisagea avec curiosité. Elle portait une robe
beige et une petite veste ajustée élégante et était ravissante
avec sa coiffure sage et un maquillage discret. Elle ne por-
tait pas ses lunettes et ses yeux n’en paraissaient que plus
beaux. Il la trouvait différente, plus mûre tout à coup. Elle
avait aussi perdu son humour, son franc-parler. Pourquoi ?
— Et toi ? As-tu des contacts avec lui ? demanda-t-elle.
— Non, tout se passe par le biais de son personnel.
D’après Cilla, il semble se tenir en retrait depuis quelque
temps. Elle s’attendait à ce qu’on annonce son mariage
avec Cathy Spencer, l’artiste-peintre. Tu as probablement
entendu parler d’elle, elle est aussi la mère de son fils, dont
je t’avais parlé. Mais il ne l’a pas épousée.
Le cœur d’Alexandra manqua un battement.
— Et devine…, reprit Simon. Rosanna attend des
jumeaux !
176/210

Alexandra, qui avait désespérément besoin qu’il


changeât de sujet, se sentit exagérément heureuse de cette
nouvelle et posa une foule de questions à Simon.
Il la déposa ensuite chez elle.
— Josie, murmura Alexandra en ramenant la chienne de
chez Patti. Je risque de ne pas être de bonne compagnie ce
soir. J’ai toujours su qu’il n’était pas pour moi, mais quand
cesserai-je de souffrir à cause de lui ?

Trois semaines plus tard, par un samedi ensoleillé, Alex-


andra emmena Josie dans un parc le long de la Brisbane
River. Elle avait emporté un pique-nique et s’installa sur un
banc à l’ombre. Elle avait revêtu un short en jean, des bas-
kets et un petit haut rose, ses cheveux étaient relevés en
queue-de-cheval.
Le ciel était d’un bleu pur, des enfants jouaient entre les
parterres, des bateaux passaient sur le fleuve… Alexandra
ressentit un profond bien-être.
Elle sortit son pique-nique et la boisson fraîche de son
sac, ainsi qu’un os pour Josie. Elle déballait les sandwichs
quand des jambes d’homme vêtues d’un jean entrèrent dans
son champ de vision.
Elle releva la tête.
— Vous?…, s’exclama-t-elle, le souffle coupé
177/210

— Oui, moi, acquiesça Max Goodwin en s’asseyant


auprès d’elle.
Aussitôt, Josie retroussa les babines, révélant ses crocs
pointus.
— Je vois que rien n’a changé, dit Max en souriant. Elle
en veut toujours aux hommes. Comment allez-vous,
Alexandra ?
Sous le choc, la jeune femme fut d’abord incapable de
proférer un mot.
— Je… Je vais bien, merci, répondit-elle enfin. Quelle
coïncidence de vous rencontrer ici ! Est-ce que Nicky… ?
Instinctivement, elle regarda autour d’elle.
— Non, il est avec sa mère. Vous serez contente d’ap-
prendre qu’il partage son temps entre elle et moi et qu’il en
est parfaitement heureux.
— Vous n’avez pas…, commença-t-elle avant d’hésiter.
— Non, je n’ai pas épousé Cathy. Nous sommes
parvenus à un accord. Notre priorité à tous les deux, c’est
Nicky. A partir de là, le reste s’est mis en place de lui-
même. Chacun vit de son côté, mais sur ce point nous
sommes unis.
— Je suis si contente. Sincèrement, dit Alexandra. Puis-
je vous offrir un sandwich ?
178/210

— Avec plaisir, merci, répondit-il avant de faire son


choix. J’aimerais savoir comment vous vous en sortez,
Alexandra.
Max Goodwin avait changé en quatre mois et demi,
constata-t-elle dans un état second. Certes, il était toujours
séduisant, mais semblait avoir perdu de sa vitalité. Son re-
gard d’un bleu intense était… las. Une fois déjà, elle l’avait
vu dans cet état. Bien sûr, cela n’ôtait rien à son charme.
Etre près de lui, lui parler, respirer le même air que lui,
c’était comme arriver dans une oasis au milieu du désert ou
sortir de l’hiver. Oui, c’était exactement cela.
Qu’allait-il découler de cette rencontre impromptue ?
Une nouvelle bataille à mener contre elle-même ? Pouvait-
elle espérer autre chose ? Cinq mois s’étaient écoulés et pas
une seule fois il n’avait essayé de la contacter. Il était plus
que probable qu’elle se retrouverait seule après cette entre-
vue. Inutile donc de lui montrer à quel point il l’affectait
encore.
— Alexandra ?
Laissant là ses réflexions, elle ébaucha un sourire
d’excuse.
— Désolée, j’étais perdue dans le passé. Mais vous aviez
raison, je vais bien. Faire pour la première fois une expéri-
ence telle que celle-là m’avait rendue trop vulnérable, je
pense.
179/210

— C’était juste un béguin ?


Elle acquiesça.
— Et dont je suis tout à fait remise, assura-t-elle avec
entrain.
Plus sérieusement, elle ajouta :
— Je dois vous remercier pour votre tact. Vous aviez vu
juste en me donnant Josie et un nouvel emploi.
— Y a-t-il quelqu’un dans votre vie, Alexandra ?
— Je n’en suis pas encore là, admit-elle. A vingt et un
ans, j’ai le temps et cela viendra. En attendant, je vais bi-
entôt partir en vacances à Pékin et je peaufine mon CV
pour entrer dans le corps diplomatique. Comment vont
Margaret et Mme Mills ? Elles me manquent, dit-elle avec
chaleur.
— Tout le monde va bien.
— Et votre percée sur le marché chinois ?
— C’est bien parti.
Il la dévisagea avec attention.
— Pas d’autre crise de panique ?
— Aucune. Je suis en pleine forme, parvint-elle à répon-
dre d’un ton dégagé.
180/210

— Cela se voit, murmura-t-il en notant sa tenue légère.


Vous avez toujours les plus belles jambes de Brisbane.
Alexandra se mit à rire.
— Si je me souviens bien, vous étiez plutôt contrarié à
cause de mes jambes. Cela fait du bien d’en rire
maintenant.
Max passa une main dans ses cheveux de jais.
— Oui, écoutez… Je ne peux vous offrir de vous ramen-
er chez vous puisque vous êtes en vélo, dit-il en désignant
la bicyclette appuyée contre un arbre. J’ai eu beaucoup de
plaisir à vous revoir, Alexandra.
— Moi aussi ! dit-elle avec enthousiasme.
Il se leva lentement.
— Merci pour le sandwich. Ah ! J’allais oublier… Nicky
vous embrasse. Il m’a demandé de vous le dire si jamais je
vous rencontrais.
— Oh ! Transmettez-lui toute mon affection, répondit-
elle. Bien… Au revoir, monsieur Goodwin.
Max lui toucha les cheveux.
— Au revoir, Alexandra.
Elle le regarda s’éloigner et se sentit au bord de l’évan-
ouissement. Elle avait joué la comédie du courage, mais
181/210

tout n’avait été que mensonges. Son cœur battait la cha-


made et l’émotion lui étreignait la gorge. Tandis qu’elle le
suivait des yeux, quelque chose l’intrigua. Max Goodwin
n’était pas tout à fait le même, elle n’aurait su dire
pourquoi…
Le pique-nique ne l’attirait plus, elle plia bagages, appela
Josie et prit le chemin du retour.
Le soir, elle regardait la télévision, Josie sur les genoux,
quand on frappa à la porte.
— C’est moi ! cria Patti en entrant. Il t’a trouvée
finalement ?
Alexandra saisit la télécommande et éteignit le poste.
— Qui cela ?
— Ton ex-patron. L’homme à la Bentley… Max
Goodwin.
Alexandra la regarda, médusée.
— Oui… Mais… J’ignorais qu’il me cherchait…
— Si, je t’assure. Je lui ai dit que tu allais à New Farm
Park.
— Moi qui pensais que c’était un hasard, dit Alexandra
d’une voix désincarnée. Il ne m’a rien dit.
Patti s’installa en face d’elle.
182/210

— Ecoute, tu en vois beaucoup d’hommes de sa classe


qui se promènent au parc sans enfants, ni chien ?
— Tu as raison. En fait, cela m’a intriguée au début,
mais…
— Il a été malade ? demanda encore Patti.
Alexandra la regarda avec surprise.
— Je l’ai trouvé changé moi aussi. Qu’est-ce qui te fait
penser cela ?
Sa voisine haussa les épaules.
— J’étais infirmière, alors, j’ai un sixième sens.
Une fois son amie partie, Alexandra se mit à réfléchir.
Pourquoi Max Goodwin avait-il cherché à la voir ? S’il
avait voulu se renseigner sur elle, il aurait pu interroger M.
Li. Pourquoi venir la trouver après avoir tout fait pour
rompre définitivement avec elle ? Cela n’avait aucun sens.
A moins que…
Mais il n’aurait pas attendu près de cinq mois ! Quel
était son problème ? Elle était sûre que quelque chose n’al-
lait pas. Il n’y avait pas d’avenir pour eux, mais cela ne
l’empêchait pas de se faire du souci à son sujet.
Que faire ? Chasser cette inquiétude lui éviterait de souf-
frir évidemment, mais c’était aussi la solution la plus lâche.
183/210

La voix désincarnée de Jake qui lui parvint dans l’In-


terphone l’informa que Max Goodwin n’était pas à son ap-
partement et que toute demande de renseignements était à
formuler auprès de son bureau.
Ce qui n’était malheureusement pas possible un di-
manche matin ! pesta Alexandra. En revanche, elle pouvait
prendre un train pour la Gold Coast et, à la gare de Helens-
vale, monter dans un bus ou un taxi pour Sovereign Islands.
Si Max Goodwin n’était pas là-bas non plus? Si Mme
Mills et Stan avaient congé ce dimanche ? Bien sûr, elle
avait le numéro de téléphone de la villa, mais tous les ap-
pels étaient filtrés.
« Cesse de te poser des questions, s’adjura-t-elle. Ou tu
finiras par ne plus vouloir prendre de risques. »
Le trajet en train depuis la gare centrale de Brisbane prit
plus d’une heure. Ensuite, il n’y avait pas de bus et Alexan-
dra prit un taxi jusqu’à Paradise Point et décida de passer le
pont à pied. Cette promenade, Nicky et elle l’avaient faite
ensemble à plusieurs reprises. Comme il faisait beau, il y
avait beaucoup d’embarcations sur l’eau du lagon. On voy-
ait des pêcheurs sur la plage, et des gens pique-niquaient.
Cependant, des nuages sombres s’accumulaient vers le
sud, annonçant que cette belle journée pourrait bien finir
par un orage. Au nord, s’étendaient les mangroves et les
184/210

casuarinas qu’elle voyait par la fenêtre de sa chambre à la


villa…
Alexandra soupira. La sueur commençait à couler le long
de son dos. Néanmoins, elle se remit en marche.
Une demi-heure plus tard, elle retraversait le pont. Elle
n’avait trouvé personne à la villa et était en proie à un
mélange d’amertume, de découragement et de frustration
qui lui donnait envie de pleurer. A cela se mêlait de la
crainte : les nuages noirs et bouillonnants étaient mainten-
ant traversés d’éclairs et leur masse se dirigeait droit sur
elle.
Alexandra pressa le pas. Faute de mieux, le petit centre
commercial de Paradise Point lui offrirait un abri, se dit-
elle. Si du moins elle l’atteignait à temps !
Préoccupée par cette question, elle ne prêta pas attention
à la voiture qui la croisa, au moment où les premières
gouttes de pluie se mettaient à tomber. Elle se détourna
seulement en entendant un crissement de pneus. Le
véhicule, une Bentley bleu marine, faisait marche arrière.
Parvenu à sa hauteur, Max Goodwin se pencha pour ouvrir
la portière côté passager.
Le cœur d’Alexandra fit un bond dans sa poitrine, elle
avait passé des heures à réfléchir à cette rencontre mais se
trouva prise au dépourvu. Elle demeura paralysée sur le
trottoir sous la pluie qui redoublait.
185/210

— Alexandra, montez ! commanda-t-il. Je crois que la


grêle ne va pas tarder.
Ces dernières paroles la firent réagir et elle monta en
hâte.
— Que faites-vous là par ce temps ? demanda Max en
enclenchant la première.
— En fait, je… Oh !
Alexandra n’eut pas le temps d’élaborer une réponse.
L’orage éclata avec une telle violence qu’il était impossible
de distinguer la route.
Max étouffa un juron et actionna les essuie-glaces. Peu
après, la Bentley remontait l’allée qui menait à la villa. Il
commanda l’ouverture des portes du garage et la voiture
s’y engouffra au moment précis où la grêle se mettait à
tomber.
Ils rejoignirent la cuisine par un escalier intérieur et se
campèrent côte à côte devant la fenêtre. Le bruit était as-
sourdissant ; des grêlons énormes criblaient le parc, la jetée
et le bras de mer au-delà.
Au bout de cinq minutes, le vacarme cessa brusquement,
bien que la pluie continuât de tomber.
— Vous avez eu de la chance, dit Max.
— Oui, merci de vous être arrêté.
186/210

Il enveloppa d’un regard ses vêtements humides, ses


cheveux emmêlés, ses pieds chaussés de sandales.
— Et qu’aurais-je fait d’autre ? Alexandra, pourquoi
êtes-vous ici ? demanda-t-il doucement.
Un fol instant, peut-être parce qu’elle n’était pas per-
suadée qu’il était content de la voir, elle fut tentée de ré-
pondre que c’était par hasard qu’elle se trouvait sur le pont.
Mais elle n’aurait pu soutenir longtemps un tel mensonge.
Elle le dévisagea longuement et, de nouveau, retrouva en
lui ce changement indéfinissable. Etait-ce dû à un problème
de santé ou à sa relation difficile avec Cathy Spencer, qu’il
n’avait pas cessé d’aimer ?
— J’étais inquiète à votre sujet, avoua-t-elle timidement.
Max ne manifesta d’abord aucune réaction. Puis, s’ap-
puyant contre le mur, les bras croisés, il demanda :
— C’est pour cela que vous avez fait tout ce chemin ?
Pourquoi vous inquiéter pour moi ?
Son visage semblait taillé dans la pierre et ses yeux ne
trahissaient rien. Des émotions parfaitement maîtrisées, ob-
serva Alexandra en se rappelant qu’elle s’était fait cette
réflexion. Seulement, il semblait plus insondable encore en
cet instant.
187/210

— Parce que je sens que quelque chose ne va pas,


répondit-elle.
— Hier…, commença-t-il.
— Hier, il me paraissait important de vous prouver que
tout allait bien et que je ne suis pas là pour revenir là-des-
sus, lui assura-t-elle. Je sais que nous n’avons pas d’avenir
ensemble et je l’ai accepté. Seulement, je pensais que je
pourrais peut-être vous aider à mon tour ?
— M’aider ? Si seulement vous saviez !
Alexandra se figea devant ce ton froid et dur qui la ra-
menait à cette nuit du dîner dansant quand, dans l’escalier,
il lui avait dit qu’elle serait la dernière personne à qui il
confierait ses soucis.
C’en fut trop. Sur une impulsion, elle courut vers la porte
qu’elle ouvrit à la volée avant de se précipiter dehors, sans
se soucier de la pluie, consciente seulement qu’elle ne
méritait pas d’être traitée de façon si blessante.
Max la rattrapa alors qu’elle atteignait l’extrémité de la
villa.
— Alexandra, bon sang ! Qu’est-ce qui vous prend ?
Comme elle s’esquivait, il courut de nouveau vers elle et
lui agrippa la taille à deux mains. A sa grande surprise, Al-
exandra l’entendit gémir de douleur.
188/210

Elle s’immobilisa. Oh, mon Dieu ! Son visage était liv-


ide et ses mâchoires contractées.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle. Qu’est-ce qui ne va pas?
— Mon dos… Et aussi toute ma vie…
— Quoi ? Votre dos ? Que s’est-il passé ? bégaya-t-elle.
— Si vous voulez bien rentrer, je vous expliquerai…
— Je croyais que vous étiez en colère pour me parler sur
ce ton ! protesta-t-elle, tandis que la pluie ruisselait sur ses
joues.
— C’est faux. Alexandra, nous sommes trempés. Je vous
en prie, rentrons.
— Mme Mills va nous tuer si nous faisons des flaques
partout!
— Passons par la buanderie pour nous sécher. Nous
monterons ensuite nous changer, commanda-t-il en la pren-
ant par la main.
— Je n’ai pas de vêtements de rechange, fit-elle valoir
quand ils furent devant la porte de la buanderie.
— Oh ! Si. Votre garde-robe est toujours là. Alexandra
le regarda avec surprise.
— Je pensais que vous aviez donné ces vêtements.
Max secoua la tête.
189/210

— Aucun risque.
Elle tentait toujours de comprendre ce que cette réponse
impliquait en prenant sa douche. De retour dans sa
chambre, elle retrouva effectivement toutes ses tenues, tell-
es qu’elle les avait laissées cinq mois plus tôt et enfila l’en-
semble le moins formel, pantalon marine, chemisier tur-
quoise et espadrilles assorties.
Max se trouvait dans la cuisine quand elle redescendit. Il
avait troqué son jean et sa chemise pour une tenue de sport
et ses cheveux étaient humides. Il remplissait deux verres
de vin et avait posé sur la table un plateau de petits canapés
que Mme Mills avait dû préparer à son intention.
Il leva les yeux quand elle parut sur le seuil.
— Si nous allions dans la bibliothèque ? suggéra-t-il.
— Ici, ce sera très bien, dit Alexandra en prenant une
chaise.
Il prit place en face d’elle.
— Alexandra, j’ai eu un accident stupide il y a trois
mois. Je suis tombé d’une échelle et je me suis brisé un
disque intervertébral, entre autres.
— Oh, mon Dieu ! s’exclama-t-elle, horrifiée.
— Je jouais au cricket avec Nicky. J’ai grimpé pour
récupérer une balle dans la gouttière. Nemo a débouché sur
190/210

la terrasse comme un fou, a percuté l’échelle et je suis


tombé, raconta-t-il. J’ai dû subir plusieurs opérations. On
craignait que je ne puisse remarcher…
Alexandra avait peine à contenir son émotion.
— Je… Je ne savais pas, balbutia-t-elle, atterrée. Pour-
quoi n’en a-t-on pas parlé dans les journaux ?
— J’ai tenu au secret pour la bonne marche de mes af-
faires, la moindre rumeur pouvait déstabiliser les marchés.
Heureusement, j’étais encore capable de prendre les
décisions.
Ainsi, la sœur de Simon avait eu raison, songea Alexan-
dra. Il avait été forcé de se tenir en retrait.
— Je suis profondément désolée, dit-elle. La douleur va-
t-elle bientôt disparaître ?
— Les médecins m’affirment que ce n’est plus qu’une
question de temps. Dans six semaines, je devrais être défin-
itivement soulagé et bouger tout à fait normalement.
— Oh ! Tant mieux. Même si j’étais loin d’imaginer ce
qui vous est arrivé, je me doutais que quelque chose n’allait
pas. J’ai pensé que Cathy Spencer y était pour quelque
chose.
Il la dévisagea avec attention.
— Comment cela ?
191/210

Alexandra but une gorgée de vin en regrettant de tout


son cœur d’avoir fait ce commentaire. Elle le connaissait
assez pour savoir qu’il ne la lâcherait pas tant qu’il n’aurait
pas obtenu de réponse.
Les yeux baissés, elle balbutia :
— Eh bien… Vous n’avez pas réussi à la convaincre de
vous épouser et vous l’aimez toujours, je suppose ?…
Un long silence suivit sa déclaration. Alexandra se rendit
compte que la pluie avait cessé.
— J’aurais pu épouser Cathy. C’est même elle qui le
souhaitait.
A ces mots, Alexandra faillit s’étrangler.
— Qu’est-ce que vous dites ?
Max laissa échapper un soupir.
— Vous ne comprenez pas ? Je ne peux pas vous en
blâmer, Alexandra. Moi-même, j’ai compris trop tard que
je ne voulais épouser personne d’autre… que vous.
La jeune femme vacilla sous le choc. Elle se sentit de-
venir affreusement pâle.
— Ce n’est pas possible !… Vous avez tout fait pour
m’éloigner… et m’ôter mes illusions. Vous…
192/210

— Alexandra, intervint Max. Je me suis persuadé que je


n’étais pas l’homme qu’il vous fallait, parce que j’ai une
vie trop compliquée, que c’était trop facile d’oublier mes
soucis en vous faisant l’amour.
Voyant qu’elle entrouvrait les lèvres de stupéfaction, il
ajouta :
— Ne soyez pas si surprise. Je vous ai tout de même
embrassée.
— Je ne l’ai pas oublié, dit-elle dans un souffle. Mais je
pensais que c’était juste une impulsion… De la gratitude et
peut-être de l’affection qui auraient un peu débordé.
Il ébaucha un sourire désabusé.
— Non. Et ce n’était pas non plus la première fois que je
pensais à vous de cette façon. Gratitude, affection… Je me
suis dit la même chose à l’époque, mais…
Il contourna la table et vint s’asseoir tout près d’elle.
— Alexandra, je vous ai embrassée, parce que je ne
pouvais pas m’en empêcher. Ensuite j’ai pris conscience
que je devais m’éloigner avant que vous ne soyez blessée.
Je ne savais pas comment assumer ma paternité sans
épouser la mère de Nicky, et faire en sorte que ce mariage
tienne vaille que vaille. Ce que j’ignorais, c’est ce que j’al-
lais ressentir après votre départ.
193/210

Ses derniers mots étaient si peu audibles qu’elle dut


tendre l’oreille. Il reprit :
— Je me suis réveillé un matin et j’ai pensé : si je ne la
vois plus jamais me sourire si spontanément, alors ma vie
ne vaut pas la peine d’être vécue. Une foule de détails
m’est revenue à l’esprit. Je me rappelais chacune de vos
paroles, votre contact délicieux entre mes bras… Je m’in-
quiétais, parce que, au cas où vous auriez de nouvelles
crises de panique, je n’étais pas là pour vous aider. Je ne
pouvais entrer dans le salon vert à Brisbane sans penser à
vous. Ici, c’était la même chose. Mme Mills m’a demandé
ce qu’elle devait faire des vêtements que vous aviez laissés,
je lui ai dit de ne pas y toucher. Parfois, j’entrais dans votre
chambre pour les regarder et je touchais la première robe,
celle que vous portiez lors du cocktail, et je pensais à vos
jambes divines, à vos yeux... Vous vous souvenez de notre
premier entretien ?
Trop émue pour parler, Alexandra acquiesça d’un signe
de tête.
— Quand je vous ai demandé d’ôter vos lunettes ? C’est
à ce moment-là que je vous ai vue autrement, Alexandra.
Vos yeux étaient si beaux qu’ils exerçaient sur moi un
pouvoir étrange qui n’a cessé d’opérer depuis. J’ai décidé
de me tenir à distance, et, oui, d’aller jusqu’à organiser
votre vie pour vous aider à guérir de l’attirance que vous
194/210

aviez pour moi. Mais je ne pouvais chasser votre image de


mon esprit. Je suis devenu irascible, exécrable, et personne
n’en connaissait la raison.
Leurs regards se rivèrent et Alexandra sentit l’espoir
frémir en elle. Mais tant de questions accaparaient encore
son esprit.
— Mais… Que faites-vous de Cathy ?
— Cathy était très déprimée quand elle a suggéré que
nous nous mariions, à cause de la disparition de sa mère.
Dans cet état d’esprit, elle s’est persuadée que nous pouvi-
ons surmonter nos incompatibilités et… s’est employée à
faire revivre notre ancienne passion.
Alexandra l’écoutait, le cœur atrocement douloureux.
— Seulement, c’était impossible, reprit Max. Et elle a
vite compris pourquoi.
Elle le regarda d’un œil interrogateur :
— Oui, vous, Alexandra, poursuivit-il. Cathy n’est pas
stupide, elle a réagi avec élégance. Elle m’a dit : heureuse-
ment, c’est quelqu’un que Nicky apprécie, et a fait des con-
cessions généreuses concernant l’éducation de Nicky. Elle
s’est définitivement fixée à Brisbane. Même si cela l’ar-
range aussi, cela signifie que je n’aurai pas à prendre l’avi-
on pour les anniversaires, les réunions à l’école, etc.
195/210

— J’espère qu’elle rencontrera quelqu’un, dit Alexandra


tout bas.
— Oui, je l’espère aussi. Quant à Nicky, il a l’air de me
faire confiance et de m’aimer déjà. Nous faisions beaucoup
d’activités ensemble avant l’accident, et même après, il
m’apportait ses jeux à l’hôpital et nous avons commencé à
construire des modèles réduits.
— Si seulement j’avais su, regretta Alexandra. Je veux
dire, au sujet de l’accident.
— J’ai voulu vous contacter tant de fois, avoua Max.
Mais chaque fois j’étais saisi de doutes. Serais-je capable
de remarcher ? De votre côté, n’était-ce pas qu’une amour-
ette passagère ? D’après M. Li, tout allait bien pour vous.
— Je m’interrogeais sur ce point, murmura-t-elle.
— Savoir si je prenais de vos nouvelles ? Oui, et je m’at-
tendais à entendre que vous étiez déprimée. Mais ce n’était
pas du tout ce qu’on me disait. Alexandra… N’était-ce
vraiment qu’une simple amourette, vous et moi ? Ou était-
ce… plus que cela ?
Alexandra tressaillit d’émotion. Une joie infiniment pré-
cieuse l’envahit.
— Beaucoup plus, dit-elle avec fougue. Après la mort
des miens, mes parents, puis la mère Supérieure, je refusais
toute relation sérieuse, de peur que cet amour me soit
196/210

enlevé. J’ai donc été pétrifiée en découvrant l’ampleur des


sentiments que j’avais pour vous. Hier encore, c’est cette
peur qui m’a fait prononcer les paroles que je vous ai dites.
Ensuite, j’ai pris conscience que je ne cherchais qu’à me
protéger, que j’étais lâche.
Elle vit l’expression bouleversée de Max.
— Hier, dit-il d’une voix saccadée, mon pire cauchemar
semblait se réaliser. Je n’étais plus rien pour vous.
— Hier, et tant d’autres jours avant, j’ai vécu un
cauchemar sans vous.
Il plongea son regard dans le sien comme s’il ne pouvait
croire ce qu’il entendait.
— Alexandra, vous êtes sûre ?
— Absolument, répondit-elle gravement. Bien qu’un
point m’inquiète encore.
— Lequel ?
Elle esquissa un sourire aussi radieux qu’inattendu.
— Vous ne semblez guère pressé de me toucher.
Une étincelle de surprise brilla dans les yeux bleus, bi-
entôt remplacée par la flamme de l’amour.
— Oh, Alexandra !… Si vous saviez! dit-il en riant avant
de l’enlacer avec fougue.
197/210

— Bien installée ?
Alexandra acquiesça en souriant. Ils étaient blottis
tendrement l’un contre l’autre sur le sofa de la bibliothèque
après s’être embrassés avec passion.
— Oui. Oh ! Oui, murmura-t-elle, la joue contre l’épaule
de l’homme qu’elle aimait. Max, j’ai encore une question à
te poser. Pourquoi es-tu venu hier?
— C’était mon anniversaire. Soudain il m’a paru urgent
de découvrir si ma vie valait encore la peine d’être vécue
ou…
— Alors, joyeux anniversaire, l’interrompit-elle douce-
ment. Et aujourd’hui ? Est-ce le premier jour de notre vie…
ensemble ?
Les lèvres de Max effleurèrent ses cheveux.
— Oui, mon ange. Quand veux-tu m’épouser ? Oh, flûte
!
Elle se redressa.
— Pourquoi « flûte » ?
— Parce que je ne suis pas apte à me marier avant six
semaines, bougonna-t-il, vivement contrarié.
— Ce n’est pas grave. D’ailleurs, peut-être vaut-il mieux
prendre son temps.
198/210

Doucement, il caressa ses lèvres du bout du doigt.


— Alexandra, promets-moi de me dire si jamais je vais
trop vite pour toi.
— Tu es inquiet, parce que j’ai été élevée dans un
couvent?
— J’avoue que je me suis posé la question. Le sexe
t’intimide peut-être.
La jeune femme se mit à rire brusquement.
— Me croiras-tu si je te dis que je t’ai déshabillé men-
talement à notre troisième rencontre seulement ? C’était
dans le salon vert et ce fantasme m’a fait l’effet d’un
choc…
— Je regrette de ne pas l’avoir su, la taquina-t-il.
— J’avais déjà bien du mal à maîtriser cette émotion
sans cela ! Sexuellement je ne suis pas expérimentée, mais
cela ne veut pas dire que je sois intimidée. Le jour où je me
suis tordu la cheville, j’étais folle de désir pour toi.
Il la serra contre lui avec passion.
— Comment ai-je pu douter de toi ? murmura-t-il,
émerveillé.
— Ne t’en veux pas. Moi aussi, je m’étais convaincue
que je ne t’intéressais pas, que je m’étais fait des illusions.
199/210

— C’était tout le contraire. J’ai même un fantasme,


plusieurs en fait, à ton sujet. L’un d’eux est d’enfouir mes
doigts dans tes cheveux, dit-il en joignant le geste à la
parole.
— Et les autres ? demanda Alexandra d’un air malicieux.
Il la regarda pensivement.
— J’attendrai peut-être le bon moment pour t’en parler,
dit-il avant de l’embrasser tendrement. Maintenant,
comment allons-nous endurer les six semaines à venir ?
— Avec plein de tendresse et de petits baisers ? suggéra-
t-elle en se lovant davantage contre lui. Pour ma part, je
resterais comme cela pendant des heures.
— Alexandra, dit-il d’une voix rauque, je n’arrive pas à
croire à ce qui nous arrive.
Doucement, elle s’écarta de ses bras pour s’agenouiller
devant lui.
— Max, dit-elle, les yeux pleins d’amour. Ces paroles-là,
je n’ai jamais pensé les dire à quelqu’un d’autre.
Un sourire naquit sur ses lèvres, un de ces sourires que
Max aimait tant.
— J’ai finalement réussi à vous appeler Max, monsieur
Goodwin, cela doit sûrement vouloir dire quelque chose.
200/210

Il prononça son nom dans un souffle, puis l’attira dans


ses bras comme si jamais plus il ne voulait la laisser partir.
10.
En apprenant la nouvelle, Margaret Winston serra Alex-
andra dans ses bras et l’embrassa sur les deux joues.
— Je savais que vous étiez celle qu’il fallait à M. Good-
win, Alexandra ! s’exclama-t-elle joyeusement. Je l’ai su
tout de suite !
Tandis qu’Alexandra écarquillait les yeux de surprise,
Max déclara :
— Je m’en doutais. J’ai eu la nette impression que,
quand Alexandra est apparue si belle au cocktail, vous y
étiez pour quelque chose, Margaret !
— C’est juste. Dès que j’ai vu sa silhouette élancée, j’ai
décidé d’en tirer le meilleur parti, même si Alexandra était
récalcitrante. Ce qui m’a surtout impressionnée, c’est la
façon dont elle vous tenait tête, monsieurGoodwin. C’est
comme cela que j’aimerais vous traiter, Patron ! dit la
secrétaire avec humour.
Ce soir-là, Max emmena Alexandra dîner à Sanctuary
Cove. En regardant les bateaux ancrés dans la marina, Al-
exandra se sentait heureuse et chérie, le diamant qui ornait
son doigt brillait d’un feu bleuté sous la lueur des
lampadaires.
202/210

— Je ne suis pas exactement ce que l’on dit de moi,


déclara soudain Max.
— C’est-à-dire un patron intraitable? insinua malicieuse-
ment Alexandra. Je te donnerai mon avis dans dix ans
quand je serai soit usée soit épanouie !
Il emprisonna son visage dans ses mains et l’embrassa.
— Alexandra, tu es splendide en ce moment, ma chérie.
Elle lui sourit.
— Grâce à toi, Max…
Il fut assailli par un puissant désir de l’inonder de baisers
brûlants. Par égard pour son dos qui le faisait souffrir mal-
gré le corset et pour les honnêtes citoyens de Sanctuary
Cove, il préféra prendre le parti de l’humour.
— Donc, je ne suis pas si mauvais que cela, claironna-t-
il.
— Tu peux te montrer terrible, mais tu sais aussi être ad-
orable, et Margaret se sacrifierait pour toi. Si tu es rassuré,
pouvons-nous rentrer à la villa ?
Il haussa un sourcil ironique.
— Voilà une suggestion qui en dit long. Aurais-tu une
idée derrière la tête ?
203/210

— Oui, murmura Alexandra en s’empourprant. J’ai très


envie que tu m’embrasses. Mais… en privé.
— J’allais justement vous le proposer, mademoiselle
Hill, répondit-il en déposant un baiser léger sur ses lèvres.

Les retrouvailles avec Nicky furent un moment de bon-


heur. Le petit garçon se jeta dans les bras d’Alexandra et
lui fit promettre sur-le-champ de ne plus jamais partir,
parce qu’il n’avait pas du tout aimé cela, expliqua-t-il, et
Nemo non plus.
— Mon Dieu ! Comme tu as grandi, Nemo ! s’exclama
Alexandra en le caressant.
— Oui, répondit Nicky. Et il connaît plein de tours main-
tenant. Regarde !
Pointant un pistolet imaginaire vers l’animal, Nicky cria
:
— Bang ! Bang !
Aussitôt, Nemo se coucha sur le dos et fit le mort.
— Oh ! Je suis très impressionnée, le félicita Alexandra
en riant aux larmes.
— C’est Papa qui l’a entraîné à faire ce tour-là, annonça
alors le petit garçon avec fierté.
204/210

Alexandra prévoyait que sa rencontre avec Cathy serait


autrement plus ardue. Celle-ci pourtant ne fut pas si
pénible.
— Je devrais avoir envie de vous arracher les yeux,
déclara Cathy d’entrée de jeu. Mais il existe des personnes
sincères qui n’inspirent pas la colère. Je me demande ce qui
a poussé Max à admettre enfin qu’il ne pouvait vivre sans
vous.
— C’était son anniversaire, biaisa Alexandra. Comment
allez-vous, Cathy ? J’espère que vous ne m’en voulez pas
de vous avoir parlé comme je l’ai fait la dernière fois que
nous nous sommes vues ?
— Non, la mort de ma mère, puis vos paroles m’ont
amenée à reconsidérer mes priorités. Je dois dire que Max
n’a jamais cherché à utiliser Nicky comme une arme entre
nous et n’a pas essayé de l’éloigner de moi. Nicky est
heureux avec chacun de nous.
Alexandra remarqua qu’elle était inquiète.
— Cathy, je n’essaierai pas de prendre votre place
auprès de Nicky. Jamais, je vous le promets.
Après un instant d’hésitation, Cathy posa une main sur
celle d’Alexandra.
— Merci.
205/210

Alexandra avait démissionné de son travail au consulat,


car l’idée d’être séparés leur était intolérable à tous les
deux. Mais vivre ensemble, à la villa ou à l’appartement de
Brisbane, et ne pas partager le même lit, imposait aussi ses
contraintes.
Un soir que, tendrement blottis l’un contre l’autre, ils
écoutaient de la musique dans la bibliothèque, Alexandra
discerna une certaine tension entre eux. Son impression fut
confirmée quand Max se leva brusquement et annonça qu’il
sortait prendre l’air.
Si le désir de Max était aussi violent que celui qui l’ani-
mait, elle, il aurait été naturel de faire l’amour, se dit-elle.
Ils étaient fiancés et leur mariage aurait lieu dans trois se-
maines. Seulement, Max portait toujours un corset et les
médecins lui avaient interdit certaines activités, dont les
rapports sexuels.
Oh ! Si seulement elle n’était pas si inexpérimentée…,
pensa-t-elle. Il y avait d’autres moyens de faire l’amour.
Résolument, elle se leva et alla rejoindre Max. Il se
tenait au bout de la jetée, regardant l’eau sombre et les lu-
mières intermittentes du chenal.
Arrivée à sa hauteur, Alexandra glissa doucement un
bras autour de sa taille.
— Max…
206/210

Sa voix était un peu rauque et mal assurée, mais elle


insista :
— Y a-t-il quelque chose que je puisse faire… pour te
soulager ? Je sais comment tu dois te sentir.
Elle perçut qu’il se raidissait, comme pris au dépourvu
par cette offre. Puis d’un bras, il lui entoura les épaules.
— Ma chérie, je te remercie. Mais non, nous vivrons ce
moment ensemble et je veux qu’il soit beau, unique pour
toi. C’est pourquoi j’attendrai, dit-il en déposant un baiser
sur ses cheveux.

Le jour du mariage arriva enfin.


Max était libéré de son corset. Son état avait été jugé
normal et il ne souffrait plus d’aucune douleur.
La villa avait été transformée pour l’occasion. Une jolie
tonnelle recouverte de mimosas avait été installée sur la
terrasse.
La mariée portait un long fourreau blanc que recouvrait
un paletot délicatement brodé. Son voile en dentelle an-
cienne lui venait de la grand-mère de Max. La vieille dame
était présente et avait déjà recommandé à Alexandra de ne
pas tarder à fonder une famille.
207/210

Mme Mills était là aussi, ainsi que Jake et Stan, et Mar-


garet qui souriait de bonheur. Simon était venu avec sa
femme, Rosanna, qui avait préféré laisser leurs jumeaux
âgés de trois semaines à leurs grands-parents. M. Li figurait
aussi au nombre des invités.
Patti avait amené Josie. Alexandra lui avait donné la
petite chienne, la gorge un peu serrée.
Cathy assistait à la cérémonie et Nicky, tout fier, tenait le
voile d’Alexandra quand elle entra dans l’église au bras de
Sir Michael.
Jamais elle n’oublierait le moment où Max, déjà en place
devant l’autel, s’était détourné pour la voir remonter la nef
vers lui. Il y avait eu une lueur d’émerveillement dans son
regard. Quand elle était arrivée auprès de lui, il avait relevé
son voile et, les yeux remplis d’amour, s’était penché pour
l’embrasser.
Quand ils redescendirent l’allée centrale, mari et femme
désormais, Olivia, Mme Mills, Margaret et Patti ne purent
retenir une larme.
La réception qui suivit se déroula comme dans un rêve
pour Alexandra, et tout le monde s’accorda à dire que
c’était une noce magnifique.
208/210

Le jeune couple passa la nuit de noces dans l’apparte-


ment de Brisbane, car il devait s’envoler pour une longue
lune de miel le lendemain.
Couchée dans la chambre de Max, Alexandra s’agita et
sourit.
— Qu’y a-t-il, mon amour ? demanda Max en faisant
courir ses doigts le long du corps rassasié de sa jeune
épouse.
— Je suis en train de penser que nous avons dû laisser
toute une file de vêtements depuis l’ascenseur !
— Oui, mais peu importe. Nous sommes seuls.
Puis s’appuyant sur un coude, il la regarda intensément.
— Dis-moi comment c’était. As-tu été heureuse ? Alex-
andra repensa à leur nuit d’amour et tressaillit.
— Honnêtement?
— Oui, Alexandra, honnêtement, la pressa-t-il, quelque
peu alarmé.
— C'était... torride, inouï et tendre à la fois, et merveil-
leusement beau… Tout ce que j’avais imaginé, en plus in-
finiment précieux, répondit-elle, les yeux brillant de larmes
sous l’effet de l’émotion.
Il se détendit et l’attira contre lui.
209/210

— C’était nous deux, ma délicieuse Alexandra. Tu es si


belle ! Maintenant, je sais que je peux mourir heureux.
Alexandra se redressa.
— Je te le défends !
Il la renversa sur les oreillers en riant.
— Que veux-tu dire au juste ? s’enquit-elle, un peu
calmée.
— C’était l’un de mes fantasmes : te faire crier d’un
plaisir que tu n’avais jamais connu et voir tes beaux yeux
fixés sur moi. C’est arrivé. Tu veux savoir quelque chose?
Sans attendre sa réponse, Max enchaîna :
— De toute ma vie, je n’ai été aussi apaisé. Je n’ai ja-
mais ressenti autant de plaisir, de fierté, de confiance en
l’avenir et… autant d’amour.
Alexandra se lova contre lui.
— Pour moi aussi, c’est comme un miracle. Oh ! Je
t’aime, Max.
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