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Trompeuse Reputation (PDFDrive)
Trompeuse Reputation (PDFDrive)
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Prologue
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© 2008, Kate Hewitt. © 2010, Traduction
française : Harlequin S.A.
978-2-280-21583-1
COLLECTION AZUR
Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa
couverture, nous vous signalons qu’il est en vente
irrégulière. Il est considéré comme « invendu » et l’éditeur
comme l’auteur n’ont reçu aucun paiement pour ce livre «
détérioré ».
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
THE GREEK TYCOON'S RELUCTANT BRIDE
Traduction française de
LOUISE LAMBERSON
ARLEQUIN®
est une marque déposée du Groupe Harlequin
et Azur ® est une marque déposée d’Harlequin S.A.
Toute représentation ou reproduction, par quelque
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une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants
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Chère lectrice,
En ce mois de septembre, j’ai le plaisir de vous faire découvrir
notre nouvelle saga, « Les héritiers du désert ». Dans ces quatre
romans exceptionnels, vous retrouverez les ténébreux cheikhs de
Calista qui vous ont fait vibrer dans notre série « Le royaume des
Karedes ». Alors n’hésitez pas à vous plonger dans le premier
tome, La fiancée du cheikh, de Carol Marinelli (Azur n° 3044).
Ici, nous lèverons le voile sur les derniers secrets des Karedes en
vous révélant le sort du prince Zafir de Calista. Alors que tous le
croient disparu depuis de nombreuses années, nous le
retrouverons à la tête du royaume de Qusay, non loin des îles
d’Adamas. Pourra-t-il rester sur le trône alors qu’il vient de
découvrir qu’il n’a jamais été le véritable héritier de cette
couronne ? Un plaisir de lecture garanti !
Ne manquez pas également le début de notre nouvelle trilogie
de Lynne Graham, « Scandales et Passion ». Dans cette série,
vous ferez la rencontre de trois hommes richissimes qui verront
leur vie bouleversée par un instant de folie… Des histoires
passionnées qui ne vous laisseront pas insensible, j’en suis
certaine.
Enfin, n’oubliez pas tous les autres romans que j’ai choisis
pour vous ce mois-ci. Une sélection exceptionnelle pour vous
aider à reprendre pied en douceur alors que l’été se termine.
Je vous souhaite un merveilleux mois de septembre et une
bonne rentrée.
Très bonne lecture,
La responsable de collection
Prologue
Debout sur le pont de son yacht, amarré dans le port de
Microlimano, Edward Jameson baissa les yeux vers le gamin
malingre qui le regardait depuis le quai.
– Tu cherches quelqu’un ? lui demanda-t-il en grec.
– Non.
Il ne devait pas avoir beaucoup plus de douze ans, songea
Edward en l’observant. Vêtu d’une chemise trouée et d’un
pantalon trop court, il semblait avoir grandi trop vite et ne pas
manger à sa faim tous les jours.
– Veux-tu quelque chose, alors ? reprit-il doucement.
Après avoir inspiré à fond en bombant sa poitrine maigre,
l’enfant répondit :
– A vrai dire, j’avais envie de vous poser la même question.
– Ça alors ! s’exclama Edward en éclatant de rire devant le
culot du gamin.
– Oui. Je peux faire des tas de choses, répliqua celui-ci avec
assurance. Je peux laver votre bateau, porter des messages,
pomper l’eau de la cale… Et pour pas cher.
– Vraiment ? Mais dis-moi, ne devrais-tu pas être à l’école?
– C'est fini pour moi, tout ça, répondit le jeune garçon, sans
paraître éprouver une once de regret ou de culpabilité.
– Et pourquoi?
– Il faut que je fasse vivre ma famille, dit-il en haussant les
épaules.
En se rendant compte qu’il parlait sérieusement, Edward
réprima un rire incrédule.
– As-tu une grande famille ?
– Il y a ma mère et mes trois sœurs. La plus jeune est encore
un bébé.
Puis il croisa les bras en regardant Edward dans les yeux.
– Vous voulez m’embaucher ou pas ?
Edward n’avait aucune raison de faire travailler ce gamin. Il
était millionnaire et n’avait pas besoin d’employer quelqu’un au
rabais – et surtout pas un garçon aussi jeune et sans expérience.
Cependant, voyant la détermination farouche qui brillait au fond
de ses yeux, il hocha la tête et répondit lentement :
– Oui. Je crois bien que oui.
Le gamin lui adressa un sourire de triomphe en enfonçant les
mains dans ses poches et en relevant le menton.
– Je commence quand?
– Maintenant, ça t’irait?
– Sûr. Si vous avez vraiment besoin de moi.
– Oui, j’ai besoin de toi. Mais d’abord, comment t’appelles-
tu?
– Demos Atrikes.
Edward lui fit signe de monter à bord et, les yeux brillants, le
jeune garçon sauta sur le pont. Puis, trahissant son admiration, il
effleura doucement le parapet de bois luisant, avec une sorte de
respect. Mais, presque aussitôt, il laissa retomber sa main et la
renfonça dans sa poche de pantalon avant de lancer un regard
déterminé à Edward.
– Que voulez-vous que je fasse?
– Parle-moi un peu de ta famille, d’abord. Dois-tu vraiment
travailler ?
– Ils ont besoin de moi, répondit simplement Demos. C'est
pour ça que je suis là.
Edward approuva d’un signe de tête. Il savait quels étaient les
choix pour un gamin comme celui-là : les docks, l’usine ou bien
faire partie d’une bande.
– Je voudrais que tu nettoies le pont, dit-il. C'est possible?
– Je ferai tout ce que vous voudrez, répliqua Demos en le
toisant avec dédain.
Et il était sincère, songea Edward en le regardant se mettre au
travail. Après avoir jeté de l’eau sur le pont, il le frotta avec
minutie et obstination.
Sachant que Demos ne demandait que cela, Edward le fit
travailler toute la journée. Quand, le soir venu, il lui tendit
quelques billets, le jeune garçon les feuilleta d’un air à la fois
avide et connaisseur.
– Je reviens demain ? fit-il avec une légère nuance
d’incertitude dans la voix.
– Oui, je suis sûr que j’aurai encore besoin de toi.
Il trouverait bien quelque chose à lui faire faire…
Demos hocha la tête et sauta lestement sur le quai avant de
s’éloigner, pieds nus. Quelques riches yachtmen le suivirent des
yeux d’un air irrité, mais le gamin semblait suprêmement
indifférent à leurs regards méprisants.
Edward l’entendit même siffloter et, pendant un instant,
Demos ressembla à n’importe quel jeune Grec venu traîner sur
les quais pour admirer les bateaux.
Puis Edward regarda ses épaules maigres qu’il redressait
fièrement, ses vêtements usés et déchirés, et il comprit que ce
gamin était différent des autres.
1.
***
Assise sur une banquette recouverte de satin, dans une
boutique de la rue Tsakalof, Althea regardait Iolanthe essayer,
paire après paire, toutes les sandales à hauts talons que lui
présentait la vendeuse.
– Tout le monde en porte, à présent, dit-elle en se tournant
devant le miroir pour mieux se voir de profil.
Althea contempla les talons aiguilles d’une hauteur
vertigineuse.
– Elles me semblent très dangereuses pour danser.
– Pas pour une très bonne danseuse comme toi, répondit
Iolanthe au reflet d’Althea dans le miroir. Je t’ai vue avec
Angelos hier soir.
Au souvenir des mains se posant sur ses hanches pour la
serrer de près, Althea réprima une grimace de dégoût.
– Comme tous ceux qui étaient là.
– Il a raconté à tout le monde que tu avais plaqué le type avec
lequel tu es partie. C'est vrai ?
Maudit Angelos, songea Althea en haussant les épaules.
– Si tu ne veux pas que je ne te dise de mensonges, ne me
pose pas de questions.
– Avec qui es-tu partie ? Il avait l’air… vieux.
A ces mots, Althea éclata de rire.
– Oh, il l’est. Il a au moins trente ans ! répliqua Althea en
éclatant de rire.
– Je voulais dire « plus vieux que nous », protesta Iolanthe. De
toute façon, tu l’as quitté... ?
– Oui, au bout d’un moment. Bon, tu les achètes ces sandales,
ou pas ? J’ai faim et il y a un café juste en face.
– Alors, tu t’es remise avec Angelos ? insista Iolanthe en ôtant
les chaussures.
– Arrête, répliqua Althea avec ennui. Et allons manger.
Soudain, elle se sentait si lasse. Elle en avait assez de faire
semblant, assez de tout. Cette comédie durait depuis si
longtemps…
– Madame Atrikes ?
Althea se retourna vivement. « Madame Atrikes »…
L'homme à tout faire de Demos se tenait sur le seuil de la
cabine, souriant devant sa surprise.
– Vous n’avez pas encore l’habitude, hé ? fit-il. Voulez-vous
une tasse de café?
– Oui, s’il vous plaît, répondit Althea en souriant malgré elle.
Je ne connais même pas votre prénom.
– Feodore.
Althea le regarda avec plus d’attention. Apparemment, cet
homme avait vu et vécu beaucoup de choses.
– Comment avez-vous connu Demos ? demanda-t-elle.
– J’ai travaillé avec son père.
– Je sais qu’il est parti de la maison quand Demos était jeune.
Où est-il à présent?
– Il est mort.
Il y avait tant de choses dont Demos ne lui avait pas parlé.
– Pourquoi est-il parti?
Feodore lui lança un regard à la fois aimable et perspicace.
– Ne devriez-vous pas plutôt poser la question à Demos ?
– C'est plus facile de vous le demander à vous, répondit-elle
avec un sourire timide.
Feodore resta silencieux durant un long moment et Althea crut
qu’il ne lui répondrait pas.
– Il est bon, Demos, dit-il enfin. Son père est parti quand il
n'avait que douze ans, vous savez. C'est honteux. Il n'a jamais
écrit, ni envoyé d’argent. Rien.
– Que s’est-il passé après son départ?
– Demos est devenu responsable de toute la famille.
Althea essaya de se l’imaginer, à l’âge de douze ans, assumant
les responsabilités d’un homme.
– L'avez-vous aidé?
– Autant que je l’ai pu. Mais personne n’avait beaucoup
d’argent. Nous étions des pêcheurs et j’ai pris Demos sur mon
bateau. A la fin de la journée, il rentrait chez lui avec quelques
pièces.
Feodore sourit de nouveau, révélant des dents brunies par le
tabac.
– Mais il travaillait dur, il subvenait aux besoins de sa famille et
il s’est fait lui-même. Et, regardez, maintenant il m'emploie ! C'est
vraiment un homme bon.
Althea hocha la tête, la gorge serrée. Un homme bon. Oui, elle
le croyait. Demos avait été franc avec elle et à présent elle l’avait
déçu. C'était sa faute, elle avait cru pouvoir être ce qu’il voulait
qu’elle soit.
Pourrait-elle jamais l’être ? La question résonna dans son
esprit comme dans un espace vide.
Une heure plus tard, Demos accosta dans le petit port naturel
de l’île. Althea descendit du bateau et contempla la plage de
sable qui s’étendait au bas d’une promenade, bordée par des
restaurants et des échoppes.
Les quelques tables installées sur les terrasses étaient presque
toutes inoccupées. Deux vieilles femmes marchaient sur le
remblai, portant des paquets enveloppés dans du papier journal.
L'ambiance était tout à fait différente des autres îles envahies par
les touristes. Balayée par les vents, Kea semblait solitaire, belle.
– C'est la plus proche des Cyclades, pourtant il n’y a presque
aucun touriste, dit Demos qui l’avait rejointe. Il n’y a pas de ferry
depuis Athènes. Mais il y en aura probablement un jour.
– Et tu possèdes une villa ici ?
– Oui, juste là-bas, répondit-il avec un mouvement d’épaule
vers la gauche, à l’endroit où la rue bifurquait vers la falaise.
Nous pouvons y aller maintenant, nous changer et nous reposer,
puis nous sortirons dîner.
Ils s’avancèrent sur la promenade tandis que Feodore
chargeait les bagages dans un taxi. A un moment donné, ils
quittèrent la promenade pour s’engager dans une rue étroite qui
montait abruptement entre des maisons blanchies à la chaux.
Quand ils arrivèrent à destination, Althea fut agréablement
surprise. La rue s’élargissait en une petite cour ceinte de pots en
terre cuite débordant de bougainvillées, qui donnait directement
sur la villa de Demos. C'était une construction basse aux volets
peints en bleu vif, semblant presque avoir été construite dans la
roche.
Elle se retourna et contempla le panorama. La ville de Korissia
s’étendait au-dessous d’eux, nichée dans une baie. Au-delà, la
mer couleur d’émeraude s’étalait à l’infini.
Ce spectacle était incroyablement apaisant, et d’une simplicité
si gracieuse qu’elle sentit se déployer en elle une sensation
oubliée depuis longtemps – une détente joyeuse presque
enfantine.
– C'est beau, murmura-t-elle.
Demos lui lança un sourire fugace avant d’insérer la clé dans la
serrure.
– Oui, je l’ai choisie à cause de la vue.
Puis il ouvrit la porte et s’effaça pour la laisser passer. La villa
était confortablement décorée de meubles au luxe discret. Des
tapis tissés, de couleurs claires, recouvraient en partie les pavés
en terre cuite.
– Il n’y a personne ici ? demanda-t-elle.
– Une femme du village passe s’occuper du ménage une fois
par semaine.
Demos la regardait en souriant légèrement d’un air étrange.
– Et Feodore ?
– Après nous avoir amené nos bagages, il va retourner à
Athènes.
– Sur ton bateau ?
– Oui. Il reviendra nous chercher dans une semaine. Mais tu
dois être fatiguée, viens, je vais te montrer ta chambre.
– Ma chambre ? répéta-t-elle.
– Crois-tu que je vais te forcer ? demanda-t-il sans se
retourner, en montant les escaliers. Apparemment, tu as besoin
de temps afin de te sentir assez à l’aise pour partager mon lit.
Il s’arrêta devant une porte ouverte et la fit entrer dans une
chambre tapissée de teintes douces, entre le bleu et le vert.
– Mais quand tu seras prête, reprit-il d’une voix où perçait un
léger défi, je serai là.
– Demos… nous avons peut-être commis une erreur.
– A quoi fais-tu allusion ?
– A notre mariage. Je ne… Je ne suis pas la femme que tu
croyais.
– Dans ce cas, c’est moi qui ai fait une erreur et je suis prêt à
l’assumer. Mais cessons de parler de cela, dit-il en lui prenant
fermement le poignet. Tu es ma femme. Je ne vais pas fuir mes
responsabilités parce que tu portes un fardeau un peu plus lourd
que je ne le pensais.
Il avait probablement dit cela pour la rassurer, songea Althea,
mais ses paroles produisirent l’effet contraire. Elle n’était rien
d’autre qu’une charge pour Demos.
– Althea ? Tu es prête ?
Elle se redressa brusquement sur son lit et regarda sa montre.
Elle avait dormi trois heures. Le soleil était bas à présent, et elle
avait été si fatiguée qu’elle s’était assoupie en quelques minutes.
– Oui… J’arrive dans un instant.
Se levant, elle vit sa valise posée au pied de son lit. Demos
avait dû l’apporter pendant qu’elle dormait.
Quand elle descendit quelques minutes plus tard, il l’attendait
dans le salon, vêtu d’un polo gris décontracté et d’un pantalon
noir.
– On y va? demanda-t-il avec un léger sourire.
Après une seconde d’hésitation, elle prit la main qu’il lui
tendait.
Le soleil disparaissait juste à l’horizon quand ils sortirent de la
villa et descendirent la ruelle en pente raide. Lorsqu’ils arrivèrent
sur la promenade, le ciel se teintait de nuances violettes. Des
bateaux se balançaient doucement sur les eaux sombres, et les
tavernas avaient allumé les lanternes suspendues à leurs auvents.
Demos en choisit une située au milieu de la rue et, comme
Althea s’y était attendue, le patron vint l’accueillir avec de
grandes exclamations de surprise et de joie.
Quand Demos la présenta comme sa femme, une véritable
clameur retentit dans la taverna. Puis elle se retrouva à passer
de bras en bras, tout le monde l’embrassant sur les deux joues en
s’exclamant sur sa beauté et son charme.
Abasourdie, elle pouvait à peine respirer. Incapable de
regarder les visages, elle ne sentait que les mains, les souffles, les
bouches.
Soudain, elle vit des lumières danser devant ses yeux, comme
si elle allait s’évanouir. C'était ridicule, se dit-elle, ces gens étaient
gentils, ils lui voulaient du bien.
– Tu te sens bien ? lui murmura Demos à l’oreille.
Elle fit un effort suprême pour se ressaisir et hocha la tête.
– Oui, ça va.
Puis elle redressa les épaules et regarda les personnes qui
l’entouraient.
– Efkharisto. Efkharisto..., leur dit-elle en souriant.
Enfin, ils se retrouvèrent seuls à leur table et elle se laissa
tomber sur sa chaise avec soulagement.
– Je me suis sentie un peu submergée, dit-elle en cachant son
visage derrière le menu. Apparemment, tu es très connu ici. Et
tout le monde t’aime bien.
– J’ai acheté la villa dès que j’ai commencé à gagner un peu
d’argent, dit-il. Je les connais depuis longtemps.
Se sentant plus sûre d’elle, elle reposa le menu.
– Viens-tu souvent ici?
– Aussi souvent que je le peux. Je voulais même vivre sur l’île,
mais jusqu’à présent, le travail a rendu cette idée impossible.
– Pourtant, le trajet ne prend pas longtemps…
– C'est vrai.
– Mais les divertissements te manqueraient, c’est cela? Les
discothèques, les soirées…
– Autrefois, oui, approuva-t-il. Mais plus maintenant.
– Pourquoi ce changement?
– Parce que je suis marié, Althea, fit-il d’un ton impatient et
irrité. Nous sommes mariés.
Elle baissa de nouveau les yeux sur le menu.
– Le fait d’être mariés nous empêche-t-il de sortir?
– J’espère que tu ne comptes pas continuer à mener la même
vie à notre retour à Athènes. Et que tu cesseras de fréquenter
des gens comme Angelos Fotopoulos…
Elle laissa échapper un petit rire incrédule.
– Tu m’as proposé de m’épouser pour que je n’aie plus
affaire à Angelos. Crois-tu sincèrement que je désire le
fréquenter de nouveau?
Elle se pencha en avant.
– Serais-tu jaloux ? reprit-elle, de plus en plus incrédule.
– Non, répondit Demos avec une moue légèrement dégoûtée.
Mais je ne sais pas qui tu es vraiment.
– Non, en effet.
– Alors, dis-le-moi. Quelque chose a fait naître en toi une peur
des hommes. Du sexe. De moi.
– Non…
– Si. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu
fréquentais les discothèques avec tout ce que cela implique.
Pourquoi t’es-tu donnée à des types comme Angelos et te
refuses-tu à moi ?
Althea refoula une envie de pleurer. Des larmes lui montaient
aux yeux, constata-t-elle avec surprise.
– Tu ne comprends rien.
– Alors, explique-moi.
Sa gorge lui faisait mal, ses yeux la piquaient. Elle voulait
parler, mais ne savait pas quoi dire. Puis une main se referma sur
son épaule.
– Où avais-tu caché cette beauté?
Althea se raidit sous cette main ferme posée près de sa
clavicule. Elle vit la bouche de Demos se crisper et se tourna
pour voir un homme d’une cinquantaine d’année au sourire jovial
et aux petits yeux ronds.
– Salut, Esteban, dit calmement Demos. Je te présente ma
femme, Althea.
– Elle est vraiment jolie, répliqua Esteban en laissant errer son
regard sur elle.
Althea regarda Demos. Il ne semblait pas perturbé le moins du
monde.
– J’embrasse la mariée, fit Esteban en se penchant vers elle.
Althea se figea et sa vue se brouilla. Elle ne sentait plus que le
souffle brûlant de l’homme qui se penchait vers elle avec une
intention évidente. Et soudain, c’en fut trop.
Elle ne voulait pas être embrassée quand elle ne souhaitait pas
l’être. Elle ne pouvait pas se laisser toucher par cet étranger.
Cette pensée lui était insupportable. Elle ne se laisserait pas faire.
Avec un petit cri, elle s’écarta et entendit le murmure de
surprise qui traversa la taverna quand sa chaise se renversa.
Elle vit le regard de Demos se rétrécir, son expression devenir
terriblement dure, mais elle s’en moquait.
La cassure qu’elle avait méticuleusement ressoudée durant
toutes ces années s’était totalement fissurée. Elle sentait les
morceaux précautionneusement rassemblés se disloquer et elle ne
pouvait rien faire pour l’empêcher.
Elle n’avait plus qu’une chose à faire : fuir.
Elle se détourna et se dirigea vers la sortie en passant entre les
tables sans se soucier des chuchotements, des cris, du bruit de
verre cassé. Rien ne comptait plus sinon s’enfuir.
Sans se préoccuper de savoir si Demos ou Esteban la
suivaient, elle sortit du restaurant. Puis, dans la nuit éclairée par
les étoiles, elle se mit à courir le long de la promenade.
8.
Tout se brouillait dans son esprit tandis que, le souffle
saccadé, Althea gravissait la ruelle qui montait sur la colline.
Eclairée par une vieille lanterne, la villa de Demos surgit dans
l’obscurité et elle tourna bientôt la poignée en priant pour que la
porte ne fût pas verrouillée.
Heureusement, il n’en était rien… Une fois à l’intérieur, elle se
dirigea rapidement vers l’escalier sans réfléchir. Elle n’était que
sensations. Blessure, douleur, tristesse, désespoir. Colère.
Ses émotions déferlaient en elle avec une force terrible et elle
ne pouvait pas les endiguer. Pour une fois, elle ne le désirait
même pas.
Elle se retrouva dans la salle de bains attenante à sa chambre
et, après s’être débarrassée de ses vêtements, elle entra dans la
cabine de douche et ouvrit les robinets à fond. Elle avait besoin
de se nettoyer. De se purifier.
Debout sous le jet puissant, elle ferma les yeux. L'eau ruisselait
sur elle, apaisante.
Peu à peu, elle réussit à redevenir insensible. Ou presque.
Mais soudain, le rideau de la douche fut violemment tiré et elle se
couvrit désespérément le corps de ses mains. Demos était là, la
respiration irrégulière, le visage sombre et furieux.
– Qu’est-ce qui t’a pris, bon sang ? s’exclama-t-il.
– Va-t’en ! s’écria-t-elle d’une voix désespérée. Va-t’en, va-
t’en, va-t’en!
– Pourquoi t’es-tu enfuie du restaurant, Althea ? Qu’est-ce
que…
– Va-t’en ! cria-t-elle dans un sanglot, tout en se mettant à lui
frapper la poitrine avec ses poings.
A peine consciente de sa propre nudité, elle se moquait
éperdument de mouiller sa chemise. Un seul désir la possédait :
être seule. En sécurité.
Demos lui prit les poignets.
– Tu es ma femme…, commença-t-il.
– Eh bien, je ne veux pas l’être ! hurla-t-elle en essayant de le
repousser. Je ne veux rien de toi !
Il ne desserra pas son étreinte et cela décupla sa colère.
– Tu n’as pas le droit !
Une rage folle l’habitait, comme elle n’en avait jamais connu.
Une rage pure, puissante, dépouillée. Elle poussa de nouveau
contre sa poitrine, mais il resta inébranlable.
Puis soudain, au milieu de ce chaos, elle se rendit compte que
Demos ne se défendait pas. Il l’avait lâchée, l’abandonnant à sa
fureur.
Dans une sorte de brouillard confus, elle reçut un choc en
voyant l’expression désolée qui se lisait sur ses traits. Il pensait
qu’il méritait ce traitement, songea-t-elle. Il semblait se blâmer
lui-même. Comme si tout cela était sa faute.
D’une certaine façon, cela la rendit encore plus furieuse,
encore plus désespérée. Elle voulait qu’il réagisse.
Tout à coup, une partie d’elle-même surgit de sa hargne,
rationnelle et détachée. Comme un spectateur silencieux qui
aurait observé sa flambée de rage de l’extérieur.
Et subitement, elle se mit à pleurer. Elle n’avait plus pleuré
depuis la mort de sa mère. Une porte s’était refermée sur son
chagrin. Hermétiquement.
A présent, elle s’était rouverte brutalement. Elle avait explosé
sous la poussée et les larmes coulaient. Au début, elles roulèrent
silencieusement sur ses joues puis se firent plus abondantes,
intarissables. Althea n’avait plus aucun pouvoir sur les émotions
qui se déversaient d’elle à grands sanglots.
Elle se laissa glisser à genoux et s’enserra le corps de ses bras,
la tête baissée, ses cheveux mouillés sur son visage.
A peine consciente de la présence de Demos, elle continua à
pleurer jusqu’à ce que, peu à peu, ses sanglots s’arrêtent. Elle se
sentait épuisée. Apaisée.
Cependant, elle ne pouvait se résoudre à regarder Demos.
Elle se sentait incapable de supporter l’expression de son visage,
alors même qu’elle ignorait ce qu’il ressentait.
Elle eut seulement conscience qu’il se penchait au-dessus
d’elle et fermait les robinets de la douche. Puis elle sentit qu’il lui
posait une épaisse serviette sur les épaules avant de lui prendre la
main et de l’entraîner vers la chambre.
Une fois près du lit, il la sécha comme si elle était une enfant,
frottant ses membres nus avec des mouvements brusques.
Ensuite, il sortit brièvement avant de revenir avec l’une de ses
chemises en coton blanc. Après la lui avoir fait enfiler, il ouvrit le
lit et elle s’y allongea sans le regarder. Il remonta les couvertures
sur elle et quitta la pièce.
Althea ferma les yeux. Elle ne voulait plus penser à rien.
Au bout de quelques instants, elle entendit Demos monter
l’escalier, puis s’approcher dans le couloir. Il entra dans la
chambre et alluma une petite lampe posée sur le bureau avant de
venir déposer une tasse sur la table de chevet et de s’asseoir au
bord du lit.
Althea se redressa légèrement et prit la tasse de lait chaud.
– Merci, murmura-t-elle.
Demos resta silencieux, les épaules tendues, la mâchoire
contractée. Il attendait qu’elle lui parle. Qu’elle s’explique.
Il le méritait, songea-t-elle. Il l’exigeait et elle se rendit
compte qu’elle désirait être sincère. Il le fallait.
– Je t’ai dit, commença-t-elle lentement, que ma mère était
morte quand j’avais treize ans. Je l’aimais, bien sûr, mais je
n’étais pas très proche d’elle. Avec le recul, je pense qu’elle était
malheureuse dans son mariage.
Elle porta la tasse à ses lèvres et avala une gorgée de lait.
– Quand elle est morte, dans un accident de voiture, mon père
a été anéanti. Cela nous a rapprochés. A cette époque, nous
étions heureux ensemble.
Comme c’était douloureux de se rappeler ces mois paisibles,
après la douleur causée par la disparition de sa mère, songea-t-
elle.
– Tous les week-ends, il m’emmenait à la mer, nous
cherchions des morceaux de verre dépolis, j’en avais beaucoup,
de toutes les nuances de vert et de bleu.
Elle se racla nerveusement la gorge avant de continuer.
– Quelques mois après la mort de ma mère, mon père a dû
penser que nous vivions trop refermés sur nous-mêmes, alors il
s’est mis à inviter des collègues à dîner avec nous.
Elle se tut et reprit un peu de lait chaud pour se donner du
courage. Demos attendait sans rien dire.
– L'un de ces hommes m’aimait beaucoup, reprit-elle avec
précaution. Trop.
Toujours incapable de le regarder, elle entendit Demos
émettre une sorte de petit sifflement retenu.
– Mon père m’a demandé d’aller lui montrer notre belle
collection de verres dépolis. Dans ma chambre.
Pendant quelques instants, elle revécut ce moment, se rappela
la porte soigneusement refermée. Puis la voix brûlante dans son
oreille :
« Sois gentille, n’aie pas peur… »
Elle ferma les yeux, refoulant le flot de souvenirs. Puis elle
sentit la main de Demos se poser sur son épaule.
– Combien de temps ? demanda-t-il calmement.
– Jusqu’à ce que j’aie quinze ans, répondit-elle en gardant les
yeux fermés. Ensuite, mon père m’a envoyée en pension et là ça
a été mieux. Je ne revenais que pour les vacances scolaires.
– Et qu’est-il arrivé quand tu as eu quinze ans ?
– Je suppose que je ne l'ai plus intéressé. J'étais probablement
devenue trop grande. Du jour au lendemain, il s’est comporté
comme si rien ne s’était jamais passé.
Elle s’interrompit. Ce qu’elle retenait encore était le plus
atroce. Elle ne pouvait pas, elle ne pourrait jamais le laisser sortir
au grand jour.
– Il y a autre chose, fit-il en resserrant brièvement sa main sur
son épaule. Que s’est-il passé, Althea ?
– Rien ! s’écria-t-elle en repoussant sa main. Rien, rien…
Demos l’observait. Elle sentait sa colère et sa déception.
– Je t’ai tout dit ! insista-t-elle d’une voix où perçait son
impuissance. Que veux-tu de plus ?
– La vérité.
Il la força à se rallonger doucement.
– S'il te plaît, laisse-moi…, murmura-t-elle en refermant les
yeux tandis qu’une larme traîtresse roulait sur sa joue. Ne me
force pas à… à aller plus loin…
Mais elle sentait les mots monter à ses lèvres, se bousculer
pour les franchir. Ce secret trop lourd, elle savait que c’était avec
lui qu’elle allait le partager. Elle prit une profonde inspiration et se
lança.
– Quand cela… quand il s’est arrêté, j’ai été soulagée.
Incapable de le regarder, elle serra les paupières.
– Et déçue, chuchota-t-elle.
Elle se rappelait encore ce manque confus, ce dégoût éprouvé
envers ses propres sentiments, irrationnels.
– C'est comme cela que je suis devenue la femme que tu as
vue dans cette boîte de nuit, reprit-elle d’une voix soudain
dénuée de toute émotion. Celle des journaux à scandale.
Elle prit alors conscience que cette vérité, elle ne se l’était
jamais avouée à elle-même.
– Est-ce pour cela que tu mènes cette vie? demanda Demos
d’un ton neutre. Pour te punir, en quelque sorte?
– Aumoinslà,murmura-t-elle,j’ailecontrôledemoi-même. Et
c’est peut-être mon vrai moi.
– Tu crois ? répliqua-t-il en lui repoussant doucement une
mèche de cheveux derrière l’oreille. C'est l’image que tu
projettes, certes, mais non, ce n’est pas ce que tu es.
– Je suis désolée, chuchota-t-elle. Tu m’as épousée en
croyant que j’étais quelqu’un de totalement différent… Je… Je
croyais que je l’étais, moi aussi. Je croyais au moins pouvoir être
ce que tu désirais que je sois.
– Nous transportons tous un fardeau avec nous, Althea. J’ai
été injuste et arrogant de penser que tu n’en aurais pas.
Levant les yeux vers les siens, la jeune femme y découvrit de
la tendresse. Il tendit la main et lui effleura la joue.
– Je ne suis pas psychiatre, mais je peux néanmoins
comprendre quelque chose. Ces émotions contradictoires que tu
as ressenties, dans la situation que tu as vécue, sont normales. Tu
étais confuse, c’est certain, et traumatisée. Alors ensuite, tu as
forcément été…
Soudain, Althea sentit une vague de colère monter en elle.
– N’essaie pas d’analyser mon comportement, dit-elle
brusquement. Je ne suis pas ta patiente.
Une lueur cynique traversa le regard de Demos. C'était
exactement ce qu’elle était, comprit-elle avec un choc. Sa
patiente. Son problème.
Et sa femme. Elle se sentit soudain exténuée, vide, mais il y
avait une question qu’elle devait lui poser.
– Et toi ? Quel est ton fardeau, Demos ?
– Je crois que nous allons laisser cela pour une autre fois.
Visiblement, cela n’aurait servi à rien d’insister. Elle lissa la
couverture du bout des doigts, à peine capable de croire que cet
homme connaissait maintenant tous ses secrets.
Il se pencha et lui déposa un léger baiser sur le front.
– Merci de m’avoir parlé, dit-il calmement. Maintenant, je te
laisse dormir.
Puis il se dirigea vers la porte avant de disparaître.
A sa grande stupeur, Althea se rendit compte qu’elle aurait
voulu qu’il reste. Pour la première fois, elle aurait voulu ne pas
être seule.
Le lendemain matin, lorsqu’elle se réveilla, Althea vit que le
soleil était déjà haut dans le ciel. Allongée dans son lit, elle se
souvint de ce qui s’était passé la veille au soir. Et, à sa grande
surprise, elle se rendit compte qu’elle se sentait mieux.
Elle avait parlé et avait survécu. Cela voulait dire qu’elle
pouvait guérir. Qu’elle pouvait être forte, pas seulement pour
elle-même, mais pour Demos.
Cela prendrait du temps, il lui faudrait du courage, de la
patience. Mais peut-être possédait-elle les deux. Peut-être, se
dit-elle avec un frémissement d’espoir, pourrait-elle avoir un
avenir… avec Demos.
Elle se leva et se pencha sur son sac de voyage. Il lui fallait de
nouveaux vêtements. Désormais, elle ne se cacherait plus sous
des robes sexy et des sourires sensuels. Elle était déterminée à
être elle-même… Quoi qu’il arrive.
A cet instant, on frappa à la porte et elle se redressa.
– Entre, dit-elle.
Demos apparut, rasé de près, ses cheveux noirs encore
humides de la douche. Il la contempla longuement sans dire un
mot, comme s’il cherchait des signes. Il la traitait comme une
patiente, songea-t-elle avec une sensation désagréable.
– Je cherche quelque chose à me mettre, dit-elle.
– Tu as des vêtements, que je sache ?
– Je ne veux plus de ceux-ci.
– Nous pouvons aller en acheter en ville. Ils ne seront pas très
à la mode, bien sûr. Tu devras te contenter de ce que nous
trouverons.
– Très bien, répliqua-t-elle, blessée par sa froideur.
Puis il quitta de nouveau la chambre.
Après s’être douchée et avoir enfilé un jean et le T-shirt le plus
simple qu’elle possédait, elle alla le retrouver au rez-de-
chaussée.
– Que faisons-nous aujourd'hui ?
– Nous pourrions aller faire le tour de l’île.
Ils prirent leur petit déjeuner puis quittèrent la villa, sous les
rayons éblouissants du soleil.
Au lieu de s’engager dans la ruelle qui menait vers le port,
Demos en prit une autre, sur la droite, raide et étroite elle aussi,
qui serpentait sur la colline entre de hautes parois rocheuses.
Après un dernier lacet, ils arrivèrent sur une ancienne route
pavée. Devant leurs yeux s’étendaient collines et vallées.
Althea regarda les cultures en terrasses, dont chaque parcelle
était entourée par des murs en pierre. Au loin, elle aperçut des
maisons aux murs blanchis à la chaux qui semblaient s’accrocher
périlleusement au sommet de la montagne.
– C'est Ioulida, dit Demos en suivant son regard. Nous irons
jusque-là.
Ils s’avancèrent sur la route ombragée par des oliviers et des
figuiers.
– C'est très vert, remarqua Althea après qu’ils eurent marché
en silence pendant environ une demi-heure.
Des fleurs sauvages poussaient entre les pavés, et les champs
qui s’étendaient de part et d’autre étaient tapissés d’une herbe
luxuriante.
– Oui, c’est à cause des pluies hivernales. Mais dès
qu’arrivera juillet, tout sera aussi brun et sec que partout ailleurs.
Althea le regarda à la dérobée. Il marchait d’un pas régulier,
mais elle sentait en lui une tension qu’elle n’aimait pas. Elle aurait
voulu lui demander à quoi il pensait, mais se demandait dans le
même temps si elle voulait vraiment le savoir.
– Pourquoi as-tu acheté une villa ici ? s’enquit-elle plutôt.
J’aurais pensé que tu préférerais Mykonos ou Santorini, avec
leur vie nocturne…
Demos lui adressa un bref sourire.
– Apparemment, tu me connais aussi peu que je te connais.
Prononcée d’un ton neutre, cette remarque perça la bulle
d’optimisme qu’elle s’était autorisée. Elle s’arrêta et se tourna
vers lui.
– Eh bien, parle-moi de toi.
– J’ai acheté une villa ici parce que je voulais échapper aux
foules, aux discothèques. Je désirais un endroit tranquille où je
pourrais amener ma famille, même si je ne l’ai jamais fait.
– Tu veux parler de Brianna ?
Demos haussa les épaules sans répondre.
– Pourquoi ne les as-tu pas amenées ici, elle ou ta mère ?
continua-t-elle d’un ton égal.
– Ma mère a épousé Stavros, dit-il d’un ton crispé. Ils se sont
installés ensemble.
– Brianna et Stavros s’entendent bien ?
– Assez bien. Mais elle ne l’a jamais considéré comme son
père.
« Non, parce que c’est toi qu’elle a placé dans ce rôle »,
ajouta Althea en silence.
A présent, la route était devenue un sentier qui traversait les
cultures en terrasses. Tout en marchant à côté de Demos, elle
réfléchissait à elle-même, à ses propres limites.
Jamais elle ne s’était sentie capable d’aimer, et jamais elle ne
l’avait recherché. Elle avait évité les hommes, les engagements, la
sincérité. Parce que tout cela était trop difficile à supporter.
Mais maintenant, pouvait-elle aimer Demos ?
Après que cette pensée inattendue lui eut traversé l’esprit, une
autre, beaucoup moins agréable, la suivit.
Qu’elle puisse ou non aimer Demos, lui ne l’aimerait jamais.
Elle se rappela son sourire cynique le jour où il lui avait demandé
de l’épouser et ses considérations au sujet de l’amour.
« Oh si, j’y crois. Mais j’en ai soupé. »
Elle le comprenait à présent. Il avait été étouffé par l’amour et
les besoins de sa famille, de Brianna, par le fardeau de l’amour
et des responsabilités.
Profondément affectée, elle sentit tout espoir s’évanouir en
elle.
Un peu plus tard, ils arrivèrent à Ioulida, le village perché en
haut de la montagne. Là, ils déjeunèrent dans une petite taverna.
On avait l’impression d’avoir remonté le temps, songea Althea.
Des chèvres déambulaient tranquillement dans les rues pavées, et
une femme habillée tout en noir, aux joues rouges et brillantes, les
servit avec un sourire édenté.
***
– Il ne fait pas assez chaud pour nager, dit Demos un après-
midi, mais nous pourrions aller à la plage. Il y en a une, privée,
près de la villa.
Althea accepta volontiers et Demos la conduisit dans une
petite baie, cachée du port par un amas de roches. Les vagues
venaient mourir sur le rivage en un doux bruissement avant de
renaître. Dans le creux de quelques rochers disséminés çà et là,
des sortes d’étangs minuscules s’étaient créés, chauffés par le
soleil.
Elle ôta ses sandales et remonta les jambes de son jean avant
de mettre les pieds dans l’un de ces petits bassins.
– Fais attention, la prévint Demos, les anémones de mer
peuvent provoquer des brûlures.
Fascinée par ces plantes étranges, elle contempla les
tentacules orange vif flottant paresseusement dans l’eau.
– Je ferai attention, promit-elle avant de se pencher pour
ramasser une moule.
– Que fais-tu ? demanda Demos d’un ton légèrement amusé
en l’observant.
Elle passa le doigt le long de la coquille sombre aux reflets
bleus.
– Je la regarde, c’est tout.
– Quand tu travaillais sur ce bateau, t’es-tu découvert un
intérêt pour les coquillages ?
– Oui, pour la biologie marine, reconnut-elle avec un petit rire
gêné. Mais c’est juste un hobby.
Elle ne s'était jamais permis de rêver plus avant. Après avoir
reposé la moule dans l’eau, elle prit un autre coquillage, violet
hérissé de longues épines à bout rond.
– Sais-tu qu’autrefois ces coquillages étaient utilisés pour
teindre le tissu ? La teinte obtenue était la pourpre impériale –
mais cela sentait affreusement mauvais quand on les faisait
bouillir, dit-elle en le remettant dans l’eau.
– Vraiment? murmura Demos. Pourquoi as-tu quitté ce navire
scientifique ? Tu dois y avoir été heureuse, non ?
Althea refoula un signal d’alarme et haussa les épaules.
– Je te l’ai dit, je…
– Etait-ce à cause d’un homme ? l’interrompit-il.
– Oui.
– Que s’est-il passé?
Althea redressa le menton. Il voulait des explications, très
bien, il en aurait.
– Le capitaine du bateau…, commença-t-elle.
– Une autre figure de père ? la coupa Demos.
– N’essaye pas d’analyser mon comportement. Je te l’ai déjà
dit, je ne suis ni ta patiente ni ta sœur.
Il se contenta de hausser les épaules et elle reprit :
– Il s’est pris d’affection pour moi. Il s’est mis à le témoigner
physiquement par des gestes amicaux – probablement innocents.
– Probablement, murmura Demos d’un ton sceptique.
– J’ai pris peur, continua-t-elle sans tenir compte de sa
réaction. Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas faire la
différence entre les hommes honnêtes et les autres. Je ne me
sentais jamais en sécurité. Alors, je suis partie. Ensuite, je me suis
cachée.
– Et c’est pour cela que tu n’as jamais terminé tes études ?
– En fait, j’ai passé mon bac, par correspondance.
Demos parut très surpris.
– Mais alors, pourquoi n’es-tu pas allée à l’université ?
A l’entendre, cela paraissait si simple, songea Althea avec
amertume. Lui l’avait fait, alors pourquoi pas elle ? Elle n’avait
pas envie de lui expliquer qu’elle avait perdu la capacité de juger
les hommes, de se juger elle-même.
– Pourquoi me poses-tu toutes ces questions, demanda-t-elle,
les mains sur les hanches. J’ai fait mes choix. Je les assume.
Peut-être devrais-tu assumer les tiens.
Demos plissa le front.
– Que veux-tu dire?
– Tu te sens visiblement coupable de quelque chose, dit-elle
après avoir inspiré profondément. Je l’ai vu à la façon dont tu
parlais à Brianna. Que s’est-il passé pour que tu te sentes si
responsable d’elle? Comme si tu avais une dette… Et pourtant,
vu de l’extérieur, on dirait plutôt que c’est elle qui en a une
envers toi.
– Tu ne sais rien là-dessus.
– Alors, parle-m’en, répliqua-t-elle vivement. Comme cela je
pourrai comprendre. Je t’ai livré mes secrets, confie-moi les
tiens.
Demos resta silencieux pendant un long moment, puis il secoua
la tête.
– Je t’ai dit tout ce que tu dois savoir.
– Tu ne crois pas que j’ai besoin d’en savoir plus ? protesta-t-
elle. Je suis ta femme.
– Peut-être devrions-nous être mari et femme dans tous les
sens du terme pour pouvoir avancer, murmura-t-il d’une voix
sensuelle.
– Peut-être devrions-nous juste être sincères !
Une lueur intense brilla au fond des yeux gris de Demos.
– Alors, commençons par être sincères avec nos corps.
Althea laissa échapper un rire creux tandis que son cœur
battait la chamade.
– Oh ! De ce côté-là, ça fonctionnera, dit-elle d’un ton
railleur.
Le sexe ne résoudrait pas tout, elle le savait. Au contraire, il ne
ferait sans doute qu’empirer la situation.
– Envisages-tu de te donner à moi un jour, Althea ? demanda
tranquillement Demos. Une fois adulte, tu as connu d’autres
hommes, n’est-ce pas ?
La jeune femme contempla la surface de l’eau miroitant sous
les rayons du soleil.
– Oui, répondit-elle. Mais ça n’a jamais été agréable pour
moi.
– Cela ne me surprend pas, dit-il en s’approchant d’elle avant
de lui poser la main sur l’épaule.
Son geste avait été doux, mais ferme. Elle savait ce que voulait
Demos. Et elle avait presque envie de le lui donner.
– Avec des types comme Angelos, continua-t-il, je veux bien
croire que l’expérience n’a pas été fantastique.
– Je n'ai jamais couché avec lui, répliqua-t-elle en se
dégageant avant de se pencher de nouveau vers la mare. A vrai
dire, cela fait plusieurs années que je n’ai pas couché avec un
homme. J’ai essayé. Je pensais que cela me ferait du bien…
Elle refoula les souvenirs douloureux qui revenaient l’assaillir.
– Mais cela n’a pas marché, alors j’ai arrêté.
– Pourtant, tu as continué à sortir, à te comporter comme une
sorte de…
– Parce que ça, ça marchait ! l’interrompit-elle. Sais-tu
comment j’étais à douze ans ? J'avais une masse de cheveux
affreuse et de longues jambes toutes maigres, j’étais bien loin de
la puberté ou d’avoir l’allure d’une femme. Pourtant j’attirais
l’attention. Sur le bateau, je m’habillais et me comportais de la
façon la moins provocante possible, et pourtant…
Elle secoua la tête.
– Non, la seule façon de rester sauve a été de m’exhiber. Et
ensuite, ironiquement, de t’épouser.
– Tu es en sécurité avec moi, dit Demos d’une voix sourde.
– En sécurité par rapport à tous les hommes, sauf un !
Demos la saisit par les épaules et la força à se tourner vers lui.
– Tu es en sécurité avec moi, répéta-t-il. Tu t’es peut-être
crue en sécurité avant, tu t’es peut-être sentie maîtresse de toi-
même. Mais tu ne l’étais pas. Tu as été violée et utilisée, mais ce
qui se passera entre nous n’aura rien à voir avec tes expériences
passées.
Althea ne répondit pas et leva les yeux vers les siens, sombres
et farouchement déterminés. Elle se rendit compte qu’elle voulait
le croire. Elle voulait découvrir l’intimité, et l’amour, et les
savourer. Elle voulait sentir le contact d’un autre être humain, le
doux plaisir d’aimer et d’être aimée. Elle en avait assez d’être
seule, d’avoir peur, d’être à l’écart.
Mais cela semblait si impossible, si irréel.
Et de toute façon, Demos ne parlait pas d'amour.
Le soleil commençait à baisser à l’horizon, projetant de longs
rayons d’or sur la surface de l’eau.
– Cela peut être bon entre nous, Althea, continua Demos,
d’une voix à la fois douce et inflexible. Et cela le sera… ce soir.
9.
Le soleil s’était couché à présent, et les premières étoiles
scintillaient dans le ciel tandis qu’Althea faisait les cent pas dans
sa chambre, les nerfs à fleur de peau.
Oscillant entre la panique et le désir, elle se rendait compte
qu’elle voulait être désirée, qu’elle voulait découvrir si cela
pouvait être aussi bon que le lui avait promis Demos. C'était pour
cette raison qu’elle avait dit oui mais maintenant elle redoutait ce
qui allait se passer.
Quand elle avait accepté d’épouser Demos, elle avait cru
pouvoir lui donner ce qu’il désirait. Ce que tous les hommes
désiraient : son corps consentant.
Pourtant, il lui avait montré qu’il désirait plus que cela et elle ne
savait comment le lui offrir. Mais dans quelques instants, elle allait
le découvrir…
On frappa légèrement à la porte et, avant qu’elle ait prononcé
un mot, Demos entra dans la chambre.
Il avait passé une chemise blanche au col échancré et un
pantalon en lin clair. Il avait l’air détendu et, songea-t-elle en
sentant sa bouche devenir sèche, il était incroyablement attirant.
Lorsqu’il s’avança dans la pièce, elle vit qu’il portait une
bouteille de vin et deux verres.
– Tu veux me faire boire ? demanda-t-elle en frottant ses
mains moites sur son jean.
– Pas du tout, fit-il en posant la bouteille et les verres sur une
petite table installée près de la fenêtre.
Puis il sortit un tire-bouchon de sa poche.
– Mais un verre ou deux pourraient t’aider à te détendre, tu ne
crois pas ?
– Peut-être, admit-elle.
Pourtant, elle avait l’impression que même un magnum de
champagne ne diminuerait en rien la tension qui l’oppressait.
– J’ai envie que cela se passe bien, Althea, reprit-il d’un ton
légèrement amusé.
– Pour toi, murmura-t-elle.
– Non, répliqua-t-il en lui tendant un verre de vin. Pour nous
deux. Nous ne sommes plus au Moyen Age, les femmes ont le
droit d’éprouver du plaisir, et entre mari et femme…
– Ce n’est que du sexe, l’interrompit-elle avant de porter son
verre à ses lèvres. Après tout, nous ne sommes pas amoureux
l’un de l’autre.
– Non, en effet, approuva-t-il d’un air songeur avant de
prendre une gorgée de vin. Voudrais-tu que ce soit le cas ?
Althea crispa les doigts autour du pied de son verre.
– Tu as été très clair là-dessus, dit-elle. Tu as dit que tu avais
eu assez d’amour.
– Oui.
– Crois-tu que… que tu pourrais changer un jour?
Demos tourna la tête vers la fenêtre ouverte sur la nuit. Même
si elle ne pouvait voir l’expression de son visage, Althea le sentit
soudain tendu, lui aussi.
– Je ne sais pas, répondit-il enfin. Mais pour l’instant, nous
avons autre chose à faire.
Lorsqu’il se retourna vers elle, Althea le regarda avec
attention. Il n’était pas très différent des autres hommes, songea-
t-elle avec une pointe de déception. Doux, même charmant
quand il choisissait de l’être. Mais au fond, tout ce qu’il désirait –
comme tous les autres – c’était son corps.
Et soudain, elle comprit qu’elle voulait lui donner non
seulement son corps, mais tout son être. Etait-ce de l’amour ?
– Je devine tout ce que tu penses en regardant tes yeux,
murmura Demos en s’approchant d’elle avant de lui prendre son
verre des mains. Je me demande comment j’ai pu ne pas le faire
avant, je devais être aveugle.
– A quoi est-ce que je pense, alors ? le défia-t-elle.
– Tu penses que je suis comme tous les autres, comme tout
homme qui utilise une femme. Mais je te le promets, Althea, ce
ne sera pas comme ça entre nous.
– Comment pourrait-ce ne pas l’être ? chuchota-t-elle.
– Parce que tu contrôleras ce qui se passe.
Devant son air incrédule, il sourit.
– Nous irons lentement, aussi lentement que tu le voudras. Et
nous allons commencer tout de suite.
Voyant qu’elle se raidissait déjà, il enlaça ses doigts aux siens.
– Allongeons-nous sur le lit, dit-il doucement.
Le corps affreusement tendu, elle le suivit et s’étendit sur le
couvre-lit. Il s’installa à côté d’elle en plaçant un bras au-dessus
de sa tête, tandis que l’autre restait libre. Il semblait détendu, sûr
de lui.
Doucement, il lui posa la main sur le ventre. A ce contact, elle
sentit ses muscles se contracter. Il garda sa main là, souriant
légèrement.
– Comment te sens-tu ?
Malade de peur, songea-t-elle. Cependant, un soupçon
d’autre chose se mêlait à la peur, même si ce n’était pas tout à
fait du plaisir.
– Ça va, murmura-t-elle.
Il fit remonter sa main et son pouce vint effleurer la pointe de
son sein. Elle se raidit de nouveau.
– Et maintenant?
– Tu me rends nerveuse, avoua-t-elle.
– Très bien, j’arrête, dit-il en ôtant sa main.
– A ce rythme-là, cela va nous prendre toute la nuit, fit-elle
avec un petit rire gêné.
– Nous avons toute la nuit.
– Je préférerais que cela se passe rapidement.
– Je sais. Mais je ne veux pas que ton corps, Althea. Je veux
ton esprit. Ton âme. Tout ton être.
– C'est beaucoup me demander.
– Je sais, dit-il de nouveau.
Elle se rendit compte que son pouce était revenu caresser son
sein. Elle sentit un minuscule bourgeon de plaisir se déployer en
elle et retint son souffle.
– Bien sûr, continua Demos d’un air songeur, tu peux me
toucher, toi aussi.
– Je ne sais pas comment faire.
– Nous allons commencer en douceur.
Il lui prit la main et dénoua doucement son poing serré avant
de la poser sur son torse. Sous sa paume, elle sentit le contact
ferme de ses muscles et son cœur qui battait fort. Ce n’était pas
désagréable, songea-t-elle.
A vrai dire, c’était même plutôt agréable. Prudemment, elle
souleva son autre main et la plaça elle aussi sur ses pectoraux.
Demos sourit.
Ses doigts continuaient à lui caresser le sein à travers son
chemisier, faisant naître en elle de petites vagues de plaisir.
C'était bon, se dit-elle en sentant un léger vertige lui monter à la
tête, cependant, elle aurait été heureuse d’arrêter.
Elle leva les yeux vers lui. A présent, il souriait
langoureusement, mais son regard restait très sérieux.
– Et si je te demandais d’arrêter maintenant?
– Je le ferais, répondit-il.
– Et si je te demandais de partir?
Les yeux sombres, scrutateurs, il répliqua :
– Veux-tu que je m’en aille ?
– Non.
– Veux-tu que je continue?
– Oui, murmura-t-elle.
Il se remit à caresser son sein, faisant naître une sensation
voluptueuse au plus profond de son être. La sensation était si
forte, si pure, qu’Althea laissa échapper un gémissement. Ses
propres doigts se refermèrent sur les boutons de sa chemise et
elle se rendit compte qu’elle avait envie de toucher sa peau. Pour
la première fois de sa vie, elle avait envie de toucher un homme.
– Aimerais-tu m’enlever ma chemise ? demanda-t-il à voix
basse, devinant son désir.
– Peut-être.
Il sourit, attendant.
– Oui, corrigea-t-elle.
Il s’écarta légèrement afin qu’elle puisse mieux accéder aux
boutons. Les doigts tremblants, elle les défit un à un.
Demos se dégagea bientôt de sa chemise et Althea contempla
sa poitrine avant d’effleurer la cicatrice claire.
Puis, avec un courage qu’elle ne se serait jamais soupçonné,
elle se pencha pour embrasser la cicatrice, laissant ses lèvres
glisser sur la peau soyeuse. Demos poussa un petit gémissement.
– C'est bon.
Elle releva la tête et le regarda dans les yeux.
– J’ai encore peur.
Demos lui repoussa une mèche de cheveux derrière l’oreille.
– Ne t’inquiète pas. Nous avons tout notre temps. En fait, il
n’y a que moi qui ai ôté un vêtement.
– C'est vrai, murmura-t-elle.
Il glissa la main sous son chemisier et la posa sur son nombril.
Sa paume était délicieusement chaude.
– Nous pourrions peut-être remédier à cela.
Mais Althea hésitait encore. C'était si différent, si étrange, si
nouveau, si… merveilleux.
Merveilleux. Elle était stupéfaite de ressentir les choses ainsi,
que Demos puisse la faire se sentir ainsi. Même si
l’émerveillement restait encore un peu teinté d’angoisse.
– D’accord, dit-elle. Mais je me déshabille moi-même.
Demos hocha la tête en silence en se rallongeant.
Les doigts légèrement tremblants, Althea commença à
déboutonner son chemisier. Elle vit les yeux de Demos
s’assombrir, mais la preuve de son désir ne l’effrayait plus à
présent. Au contraire, cela l’enhardissait.
Une fois les boutons défaits, elle se débarrassa du chemisier.
– Voilà.
Elle portait un soutien-gorge très simple en coton blanc, acheté
en ville. Elle n’avait pas des seins très volumineux, songea-t-elle
en souriant timidement à Demos.
– Tu es belle, dit-il en la caressant du regard.
Puis il lui tira doucement la main et elle s’étendit de nouveau à
côté de lui.
– Tu es très patient, dit-elle avec un petit rire tremblant.
– Cela en vaut la peine.
– Comment peux-tu en être aussi certain ?
Demos avait recommencé à la caresser, en de doux
mouvements qui la détendaient et la faisaient palpiter de désir.
Elle pouvait à peine croire ces nouvelles sensations qui la
parcouraient, inondant ses sens.
– Je le sais, dit-il. Il s’est passé quelque chose entre nous dès
le premier instant où nous nous sommes regardés. Et maintenant,
ce quelque chose éclot pleinement.
– Tu crois ? chuchota-t-elle.
Pour toute réponse, il baissa la tête et sa bouche vint taquiner
l’un de ses tétons à travers la fine couche de tissu. Althea poussa
un petit cri. C'était si intime, si étrange. Si bon. Demos releva la
tête, les yeux étincelants.
– Tu aimes ?
– Oui…, répondit-elle d’une voix étouffée tandis qu’il
retournait à sa tâche exquise.
Elle ferma les yeux en glissant les doigts dans ses cheveux.
Soudain, elle se rendit compte qu’elle avait de nouveau envie de
le toucher, comme il la touchait, avec douceur et tendresse.
Jamais elle n’avait désiré cela auparavant. Elle n’y avait même
pas songé.
– Je voudrais… Je voudrais te toucher…
Il roula sur le côté en l’entraînant avec lui.
– J’attendais que tu me dises cela.
Etonnée par sa propre audace, elle se retrouva à moitié sur lui.
Elle passa doucement les doigts sur son torse avant de se
pencher pour l’embrasser, sa toison fine lui caressant les lèvres.
Demos poussa un gémissement sourd qui la fit frissonner.
Enhardie par sa réaction, elle l’embrassa de nouveau,
caressant sa peau avec sa langue, savourant son goût légèrement
salé, viril. Puis, enivrée par ses plaintes rauques, elle laissa sa
bouche descendre plus bas et ses doigts effleurèrent la boucle de
son ceinturon.
Relevant la tête, elle vit que Demos la regardait en souriant.
Elle fit glisser le ceinturon dans la boucle avant de s’arrêter.
Cela commençait à devenir dangereux.
– Tu veux que je fasse le reste ? murmura Demos.
Elle hocha la tête en silence et se cacha le visage derrière ses
cheveux. Il ouvrit sa braguette avant de faire glisser le pantalon
sur ses jambes. Ensuite, son caleçon prit le même chemin et
Althea se rendit compte qu’elle haletait.
– Je ne voulais pas…
– Je sais, fit-il avec un petit rire. Tu veux que je le renfile?
Althea rassembla tout son courage pour le regarder,
entièrement. Il était merveilleusement beau.
– Non, dit-elle après quelques instants. Ça va.
– Et si tu te déshabillais complètement, toi aussi?
– Ça s’accélère, tout à coup…, répliqua-t-elle en se mordant
la lèvre.
Demos rit de nouveau.
– Je dois t’avouer que moi, je trouve cela très lent. Mais
d’accord, reste comme tu es. Pour l’instant.
Elle déglutit péniblement. Elle n’avait plus vraiment
l’impression de maîtriser la situation. Au contraire…
– Althea ? dit-il doucement. N’aie pas peur.
Il était allongé sur le dos, nu, totalement à l’aise.
Elle laissa errer son regard sur lui, sur ses muscles fins et longs,
sa peau mate. Le désir jaillit de nouveau en elle, déferlant dans
toutes les fibres de son corps.
– Je vais peut-être enlever mes vêtements, chuchota-t-elle.
– Je peux t'aider ?
Involontairement, elle se crispa mais ne refusa pas.
Tout en souriant, Demos se mit à déboutonner son jean avant
de descendre lentement la fermeture Eclair, ses doigts effleurant à
peine sa peau. Alors qu’elle s’attendait à se sentir horriblement
exposée, Althea se rendit compte qu’il n’en était rien.
Ses yeux étaient emplis de tendresse, si bien qu’elle avait
l’impression d’être un véritable trésor. Elle n'avait jamais éprouvé
cette sensation et cela la réchauffait, comme si son regard était le
soleil même. Délicatement, il fit glisser le jean sur ses jambes
avant de le laisser tomber sur le plancher.
Sa culotte le rejoignit rapidement. Son soutien-gorge aussi.
Elle était nue.
Demos ne la toucha pas. Il se contenta de la regarder.
Instinctivement, elle ferma les yeux. Soudain, son corps se crispa
de nouveau, les souvenirs remontant à la surface.
– Non…, murmura Demos en lui effleurant les paupières.
Nous ne ferons rien que tu ne veuilles.
– Je veux arrêter, chuchota-t-elle.
S'attendant à ce qu’il réagisse vivement, peut-être même avec
colère, elle rouvrit les yeux. Il lui souriait.
– Si nous faisions une petite pause ? proposa-t-il en se
rallongeant à ses côtés.
– Je ne te facilite pas la tâche…, dit-elle en souriant malgré
elle.
– On peut dire ça comme ça, approuva-t-il avec une grimace
malicieuse.
Ils restèrent allongés ainsi tranquillement, bercés par le doux
murmure lointain des vagues et le son de leur propre respiration.
Peu à peu, elle sentit la panique et la peur refluer. A présent, elle
était certaine que Demos ne ferait vraiment rien qui l’incommode.
Doucement, elle posa de nouveau la main sur sa poitrine,
sentant le battement régulier de son cœur sous sa paume.
Il enroula les doigts autour des siens et les garda là, sur son
cœur.
– Tu es prête ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête.
Il caressa lentement ses seins, son ventre, le haut de ses
cuisses. Lorsque ses doigts s’immiscèrent lentement au cœur de
sa féminité, elle tressaillit.
– C'est agréable ? demanda-t-il d’une voix rauque.
– Oui, murmura-t-elle.
Elle en voulait plus. Beaucoup plus. Jamais elle n’avait ressenti
cela auparavant.
D’un doigt léger, il frôla le bourgeon de chair où palpitait son
désir et elle se mit à haleter. Avec une douceur exquise, il le
caressa et elle laissa échapper un gémissement. Aussitôt, il
s’arrêta.
– C'est bon ? demanda-t-il.
Elle ne put que hocher la tête en silence.
Tout en souriant, il continua à lui prodiguer des caresses de
plus en plus intimes, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle se mette
à onduler des hanches sous ses mains, stupéfaite et submergée
par les sensations qu’il faisait naître en elle.
A présent, elle n’avait plus peur. Elle était en sécurité.
Des larmes lui montèrent aux yeux et elle ne se soucia pas de
les refouler. Elle les laissa glisser sur ses joues. C'étaient de
bonnes larmes. Apaisantes.
Demos leva la main et lui essuya la joue avec son pouce. Puis
il baissa la tête et prit possession de sa bouche.
– Ça va? fit-il de nouveau après avoir relevé la tête.
– Ce n’est plus la peine de me le demander, murmura-t-elle.
Il sourit avant de l’embrasser de nouveau, profondément, avec
une ardeur qui liait son âme à la sienne.
Althea cessa de résister, elle voulait se donner à lui,
entièrement. Elle voulait se perdre dans la volupté et le plaisir – et
se trouver enfin.
Et elle se trouva. Les morceaux éparpillés et perdus de son
être furent réunis en un tout quand Demos vint en elle, emplissant
son corps et son cœur, son esprit et son âme. Elle cria et il prit sa
bouche en un baiser qui unissait son cœur au sien.
Pour toujours.