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Jean-Pierre MAURICE

Que cent fleurs


s’épanouissent…

Les Humanités créoles et l’école en Martinique

De la négritude à la créolisation

Editions J. VEZ
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Editions J. VEZ

Juin 2007

Tous droits réservés

ISBN

978-2-9529489-1-3

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Introduction

J’avais voulu prendre la parole et ouvrir le


débat sur les humanités créoles. C’était en 2003 -
déjà. Voici donc ma pierre à l’édifice.

Melting-pot ou société bloquée, qu’est donc


aujourd’hui la Martinique ?

Et surtout que serons-nous demain ? Des


hommes repliés sur leur passé ? Ou des citoyens
responsables s’ouvrant au monde sans mépris ni
pour eux-mêmes, ni pour les autres ?

J’ai fait un rêve : que, de tous côtés, nos


intellectuels s’épanouissent et se lèvent, prenant
eux aussi la parole.

Que cent fleurs s‘épanouissent...

Jean-Pierre MAURICE

Janvier 2005

SCHOELCHER. MARTINIQUE

jpm.web@wanadoo.fr

http:/www.pawol-martinique.com

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Chapitre 1

Les Humanités créoles

Chers amis, vous êtes sans doute comme moi


interrogés à propos d’un débat qui agite nos terres
martiniquaises : je veux parler des humanités
créoles.

De quoi s’agit-il ? En proposant ici, en Martinique,


un enseignement des humanités créoles, un
inspecteur de l’Education nationale a jeté un pavé
dans la mare, lançant ainsi un message très
explicite : il est temps d’adapter l’enseignement aux
réalités martiniquaises.

Il est certain que ce point de vue est juste en grande


partie, tout au moins en ce qui concerne l’identité
martiniquaise. Vivant loin de l’Europe, la Martinique
a ses rythmes propres, n’est-ce pas !

En ce qui concerne l’école cependant, puisque les


humanités créoles ont pour vocation d’y être
enseignées, l’affaire paraît moins assurée. La
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fonction de l’école étant aux antipodes de la simple
affirmation identitaire.

Poursuivant avec vous cette brève introduction à


propos des humanités créoles donc, je dirai que ces
deux mots, pris séparément, paraissent s’opposer.

Le premier, humanités, faisant référence à ce qui


est étude de la langue et de la littératures grecques
et latines, autrement dit à ce qui est le fondement
même de la civilisation européenne ; le second,
créoles désignant ce qui nous est plus
culturellement propre et proche -à nous qui vivons
au quotidien dans cette île des Amériques et du
bassin caribéen. Et pourtant, accolés, ces deux
mots “humanités créoles”, suggèrent une réalité
nouvelle, riche de promesses et résultant de la
fusion de ces deux éléments opposés.

Pour la clarté de mon propos, je présenterai ce bref


exposé en deux temps :

Dans un premier temps, j’entreprendrai de rappeler


dans quel contexte -pourquoi et comment- est
apparue cette revendication des humanités créoles.

Dans une second temps, je m’efforcerai de re-situer


le débat sur le plan de l’école et de la société.

En conclusion enfin, je tâcherai de considérer le


sujet sur les plans humain et philosophique.

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Chapitre 2

Une évidence et une nécessité

Pour commencer, je dirai que les humanités créoles


sont, pour l’histoire, une évidence et une nécessité.

Une évidence d’abord, dans cette région ultra


périphérique qu‘est la Martinique, une île éloignée
de l’Europe par la géographie : son environnement,
ses mentalités, tout y est différent.

Dans sa préface à son ouvrage bien connu intitulé


“De sel et d’azur (textes d’explication antillo-
guyanais)” paru à la librairie Hachette en 1969,
M. CORZANI écrivait “Ce recueil de textes s’adresse
à un public bien défini : les enfants des Antilles et de
Guyane. Son ambition est grande : il voudrait
montrer à ces enfants que les Antilles ont leurs
poètes, leurs romanciers, leurs conteurs, leurs
grands hommes. Il voudrait les rassurer en leur
prouvant que leurs pays, leurs coutumes, ont aussi
droit de cité dans l’immense trésor de la littérature. Il
voudrait leur mettre sous les yeux , transfigurés par
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la poésie, non plus uniquement des paysages
d’Europe gris et glacés, des frimas et des Noëls
calfeutrés, mais leur monde à eux...” Fin de citation.

De ce point de vue, il est de plus en plus évident


que les programmes scolaires doivent - ici comme
ailleurs- faire une place aux réalités locales.

Mais plus encore qu‘un évidence, les humanités


créoles sont une nécessité. J’en donnerai trois
raisons :

* La première, si bien illustrée par Aimé


CESAIRE et Frantz FANON qui ont mis à jour dans
leurs écrits, chacun à sa manière, l’aliénation à
laquelle conduit la négation de l’identité
martiniquaise.

* La seconde raison a été décrite par un


conservateur du musée canadien des civilisations,
Mauro PERESSINI. Mauro PERESSINI qui, dans
un passionnant article intitulé “les deux visages de
l’identité” et paru dans Le Courrier de l’UNESCO
présentait -dès 1993, bien avant le 11 septembre
2001- le monde actuel comme secoué par “l’essor
des particularismes culturels ou religieux,
l’affirmation des localismes et des régionalismes de
même que la revendication des identités culturelles,
ethniques, raciales ou nationales“.

* La troisième raison enfin, nous est livrée par


l’écrivain martiniquais Edouard GLISSANT, dans
une interview accordée au quotidien Le Figaro du 29
juillet 2002 : “L’identité antillaise est une identité

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souffrante, car elle a été en butte à toutes les
dénégations identitaires possibles...

L’identité antillaise identité créole est souffrante


parce qu’elle a toujours été mise en doute et en
interrogation par les puissances coloniales”.

Ainsi donc, l’identité martiniquaise si longtemps


niée, mise en doute, doit aujourd’hui s’affirmer,
comme les autres identités partout dans le monde,
et permettre à la Martinique de déterminer sa propre
place, de savoir qui elle est, d’où elle vient, où elle
va. De ce point de vue donc, les humanités créoles
apparaissent comme une évidente nécessité .

Nous voici donc au coeur du débat identitaire. Mais,


me direz-vous : “Et l’école dans tout cela ?“

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Chapitre 3

Et l’école ?

Abordant maintenant la deuxième partie de mon


propos, il me semble que, en Martinique comme
ailleurs, tous ceux qui travaillent sur l’école savent
que dans ce domaine, la bonne volonté ne suffit
pas : l’élève est un être complexe, qui se trouve au
carrefour de l’école certes, mais aussi de l’âge, de la
famille, de l’époque et de la société, l’échec scolaire
s’accompagnant également d’ennui, de rejet ou
même de révolte. Toutes raisons qui font qu’agir sur
un unique levier, fut-il celui de l’identité, ne sera en
aucune manière producteur à lui-seul d’amélioration
scolaire.

De plus, en y regardant bien, la question de


l‘introduction de la proximité dans les programmes
scolaires a été posée et pensée par l’institution
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scolaire, notamment dans les programmes
d’histoire-géographie qui font l’objet, depuis l’année
2000, d’une adaptation pour les enseignements
donnés dans les collèges et lycées des DOM (2) -je
cite :

“L’adaptation des programmes d’histoire et


géographie ne bouleverse pas l’architecture des
textes actuellement en vigueur dont elle maintient
l’essentiel des contenus. Les finalités de ces
programmes, qui veulent aider les élèves à
connaître et à comprendre le monde d’aujourd’hui,
reposent sur des valeurs universelles, celles des
droits de l’homme, de la démocratie et de la
République. Cependant, construits en métropole, ils
prennent prioritairement en compte son
environnement européen. Enseigner ces
programmes dans les Caraïbes... suppose que les
élèves apprennent à se situer localement et
régionalement et qu’ils soient conscients d’une
histoire qui ne se confond pas toujours avec celle de
la France… mais l’histoire et la géographie ne sont
réellement formatrices que si elles ne s’enferment
pas dans des territoires finis et des identités
closes.”.

Ainsi donc, l’école aurait également pour fonction


d’aider les élèves à connaître et à comprendre le
monde d’aujourd’hui, au moyen de programmes qui
reposent sur des valeurs universelles, celles des
droits de l’homme, de la démocratie et de la
République.

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Chapitre 4

Pour conclure

Alors, que faire, puisque nous voici arrivés au


moment de conclure ?

Ranger les humanités créoles au rayon des rêves


impossibles ? Sûrement pas !

Car cette démarche présente un double avantage :

Tout d’abord, celui d’avoir ouvert le débat, un débat


qui se prolongera sans aucun doute dans la cité, et
qui touche aux fondements même de l’école en
Martinique.

Et ensuite celui de rendre possible la marche de la


société et de l’école en Martinique vers une identité
apaisée. Allons donc : créole, bèlè, tour des yoles,
vie associative et culturelle, littérature... Et si l’école
n’était que l’un des nombreux lieux possibles où
l’identité martiniquaise peut se manifester ?

En 2002, lors d’un voyage au Canada, j’ai eu


l’occasion de visiter le musée canadien des
civilisations. Ravi et incrédule, j’y ai découvert des
scènes de la vie de toutes les composantes des
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groupes d’hommes et de femmes qui ont constitué
ce pays depuis le XIème siècle. Un superbe
exemple de recueil et de mise en valeur de l’histoire
humaine et de la culture d’un pays !

Plus près de nous, parmi les tenants de l’identité


martiniquaise, deux grands courants de pensée se
distinguent aujourd’hui : la créolité, et la créolisation.

* La créolité, c’est ce mouvement littéraire, apparu à


la fin des années 80, qui repose sur un ouvrage :
L’éloge de la créolité, écrit par trois Martiniquais :

Jean BERNABE, Patrick CHAMOISEAU et Raphaël


CONFIANT. C’est le fameux manifeste : “Ni
Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous
proclamons créoles”

* La créolisation, elle, est un concept plutôt différent


proposé par Edouard GLISSANT (je cite) :

“Quand j’ai proposé le concept de créolisation,


CHAMOISEAU et CONFIANT l’ont pris pour
développer le concept de créolité, mais je suis
absolument opposé à cette notion de créolité. La
créolisation, c’est un processus permanent... La
créolité, c’est arrêter là un mouvement à un endroit
et à un moment donné et définir ce qui se passe là.”.
Fin de citation.

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Selon moi, ces deux conceptions de l’identité
représentent assez bien le dilemme dans lequel se
trouve la société martiniquaise quand elle se
regarde dans le miroir : s’attacher à une vision du
passé ou se reconnaître dans les évolutions -
passées et présentes- de son histoire d’hier ... et
d’aujourd’hui.

Pour conclure, je rappellerai cette citation du


sociologue Dominique WOLTON (“le monde n’est
pas un village” : interview parue dans l’Express du
24/4/2003) :

“Si nous privilégions seulement les identités


culturelles, nous tombons dans le
communautarisme et les peuples continueront à
se massacrer au nom de leurs particularités. A
l’inverse, si nous croyons aveuglément à un
universalisme quasi naturel nous irons là aussi à
l’échec. Quand on coupe leurs racines, les
hommes deviennent fous. Il faut les deux :
penser l’universalisme à l’aune de la diversité
culturelle. Pour moi, c’est le grand défi du
XXIème siècle.”

C’est le grand défi du XXIème siècle.

Schoelcher, Octobre 2003. Jean-Pierre MAURICE

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Annexes

1) http://www.education.gouv.fr/bo/2000/8/ensel.htm

Ce texte a été écrit en 2003. D’abord présenté sous forme


de causerie, il a ensuite été édité sur Internet, sur le site
« Martinique Passion » http://martiniquepassion.ike-
m.net/ , puis il a fait l’objet de 2 publications, l’une en
auto-édition en 2005, l’autre sur le site in libro veritas
http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre5615.html

Il est également disponible sur le site « Humanités


créoles » : http://humanites-creoles.site.voila.fr/

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