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Ce qui, au départ, n’était qu’une simple exaltation cybernétique de sa volonté de

puissance était devenu pour Phoenix un mode de vie à part entière.


Quand il avait créé la Board Alpha, deux ans plus tôt, il ne se doutait pas jusqu’où
cela le mènerait. A l’époque, il avait quatorze ans. Il était un adolescent comme
les autres, quoique timide et formulant des pensées ou des goûts que peu de
gens osaient sérieusement envisager. Phienix aimait, selon ses propres mots,
« faire chier le monde » (il remplacera plus tard cette expression par « pwnage »,
un terme plus rigolo et moins choquant). Commettre des actes légèrement
délictueux, transgresser des lois et des règles, lui donnait un contentement
pimenté qu’il ne trouvait nulle part ailleurs. C’était une façon de s’exprimer, au-
delà des autres et de tout ce qui lui semblait d’une banalité affligeante. Au lieu
de tenir un blog et d’y raconter sa vie, ce dont tout le monde se moquait
éperdument bien qu’il se trouvât tout un chacun pour le faire, il préférait
s’adonner à son plaisir personnel.
Au début, il s’agissait seulement de transgresser les règles. Des lois, des
règlements impersonnels, ne pouvaient pas s’adresser à lui comme ils le feraient
à autrui. Jamais il n’aurait pu s’y résoudre. Une vie sans transgression lui
semblait aussi triste qu’un jour sans pain ; aucun stimulant, aucun plaisir mêlant
l’adrénaline à un orgueil rebelle… quel intérêt ? Au collège ou dans la rue,
Phoenix avait un goût prononcé pour « faire des conneries ». Le matin, quand il
allait en cours, l’esprit à moitié embrumé par le manque de sommeil et le goût
cartonneux des Corn Flakes en arrière-plan, rien ne lui donnait autant de bonne
humeur que le souvenir d’un acte illégal commis à l’endroit même où, en ce
moment, il passait.
Ce genre d’actes n’était pas criminel, ni même violent. Bien qu’ayant quelques
camarades de classe, parce qu’on est bien obligé d’en avoir pour ne pas rester
seul toute la journée, Phoenix était un solitaire et il savait ce qu’on vivait quand
on était le bouc émissaire d’une bande de petits sadiques. Par conséquent, il
mettait un point d’honneur à ne pas s’attaquer directement aux individus, mais à
la collectivité. Celle-ci, abstraite et réglementée, lui semblait poser un lourd poids
sur le dos de toute individualité. Lutter contre cette collectivité, c’était tout faire
pour s’émanciper. S’il défendait sa liberté en luttant (ou, du moins, sa propre
conception de la liberté), ce n’était pas contre les autres individus. Personne
n’est la collectivité. Par conséquent, s’il jetait un papier par terre ou faisait un tag
quelque part, personne ne pouvait entraver sa liberté en l’empêchant d’agir. Si
quelqu’un faisait cela, il incarnait la collectivité, s’auto-improvisait représentant
de l’abstraction qui réduisait tout le monde en esclavage ; et cela, Phoenix ne
pouvait pas le supporter. Cette morale hypocrite, où chacun prétendait faire le
bien en martyrisant des individus au nom du tout, lui paraissait profondément
inacceptable. C’est pourquoi il s’est mis, de fil en aiguille, à ne plus s’en prendre
à la collectivité abstraite mais directement à ses gardiens fidèles, c’est-à-dire aux
individus qui la défendaient (ou pouvaient potentiellement la défendre).

Derrière un ordinateur, « pwner » des gens était encore plus facile. Phoenix
passait une partie de son temps libre à tricher dans les jeux en ligne, perturber le
bon fonctionnement d’un forum… Tout était possible. Néanmoins, sur le web
comme dans la réalité, Phoenix était seul. Un loup solitaire face aux
communautés, aux collectivités. Il était faible, et n’importe quel être collectif un
peu remuant pouvait se débarrasser de lui d’une rebuffade si c’était possible. Sur
des serveurs de jeu, on l’avait expulsé par votekick d’innombrables fois. Sur les
forums, cela dépendait de la tactique qu’il utilisait. Dans tous les cas, il était trop
faible en restant seul. C’est pourquoi, quand quelqu’un le contacta par e-mail
pour le féliciter de son site (où il donnait des astuces pour embêter les gens), il
sauta sur l’occasion pour créer un forum. Phoenix n’était sûrement pas le seul à
avoir des goûts singuliers, d’autres pourraient sûrement le rejoindre. Unis avec
d’autres « pwneurs », il serait beaucoup plus fort. Et puis, de toute façon, tout le
monde aimait embêter son prochain. Tout le monde se comportait de manière
égoïste ; l’altruisme était-il autre chose qu’un masque, un cache-sexe, servant à
dissimuler honteusement ses velléités individualistes ? L’expérience lui montrait
chaque jour que non. A l’école, à la télévision, dans la rue, toute morale lui
semblait un fiel dominateur agissant sous les traits d’un angelot. Mais
quelquefois, l’angelot se fissurait, laissant apparaître sous sa carapace douce des
goûts similaires à ceux de Phoenix. Tout le monde aimait la même chose que lui ;
le bonheur des uns fait le malheur des autres ; seulement, et c’est là ce qui le
rendait, lui, Phoenix, incomparablement supérieur à n’importe quel clampin pris
au hasard, il assumait totalement ses inclinaisons. Au lieu de mentir à la société
et à lui-même, il était parfaitement conscient de ses goûts, de leur nature, et
n’avait aucun complexe pour les revendiquer. Néanmoins, proclamer
ouvertement ses envies de faire chier le monde pouvait se révéler dangereux, et
Phoenix évitait de trop se dévoiler sur ce terrain-là.

Quel que soit le domaine, on commence rarement par des actions très
complexes. Phoenix ne faisait pas exception à cela. Quand il était enfant, il avait
vaguement conscience, comme tout un chacun du reste, de l’aspect amusant et
enrichissant de la transgression. Les actes commis n’étaient pas très
dangereux : écrire sur les tables (une habitude qui ne le quitterait plus jamais),
faire pipi sous les urinoirs et retenir son rire quand quelqu’un se plaignait de
l’odeur… Un jour, en CM2, il fut surpris par sa maîtresse en train d’écrire son
prénom sur la table. Les grands yeux noirs de la maîtresse, d’habitude si doux, le
terrorisèrent ; elle l’humilia devant toute la classe, le désignant comme un
vandale et un petit voyou, avant de le coller une heure. Cela lui semblait abusif
et il s’en plaignit auprès d’autres adultes. Mais à chaque fois, on lui faisait
d’amères reproches, en rendant normal le comportement de la maîtresse.
L’enfant qu’il était comprit alors que mieux valait éviter de s’aventurer sur ce
terrain-là, et il laissa tomber le plaisir pimenté de la transgression, par crainte de
voir se répéter cette scène cruelle. Il n’osait même plus uriner à côté. En y
pensant, il repensait du même coup à la punition qui l’attendait si on le
surprenait de nouveau ; il revivait la scène, et le rouge lui brûlait les joues.
Une fois adolescent, Phoenix gagna plusieurs choses en même temps. Ses
hormones le poussaient à agir, à s’exprimer, lui donnant des envies d’action et
d’adrénaline. Du reste, son tempérament plutôt solitaire ne l’aidait pas à
découvrir cela avec autrui, et il retrouva ce terrain tout seul. Il y avait aussi
l’accès à Internet, une nouveauté pour lui, car ses parents venaient d’acheter un
ordinateur, ainsi que l’exemple de ses camarades de classe. Certains ne se
gênaient pas pour faire des graffitis, ni pour « embrouiller », comme ils le
disaient, d’autres élèves. Si les autres, même les moutons les plus moralistes et
les plus bêtes, se le permettaient, pourquoi pas lui ? Rempli de curiosité, Phoenix
revint sur le terrain de son enfance. Mais les années avaient passé, et ses envies
aussi. Elles s’étaient renouvelées, gonflées par les rêves et par les hormones.
Pourtant, à treize ans, Phoenix se sentait encore comme un enfant. Face aux
adultes, ou même aux autres ados, du moins à ceux d’entre eux qui
collaboraient, il était un petit garçon boudeur drapé dans son orgueil. Pour être
bien vu malgré tout, et éviter de finir bouc émissaire de sa classe, il assistait aux
discussions des autres pendant les récréations, y intervenait ; cela lui était,
néanmoins, très peu naturel, et il préférait de loin la compagnie de sa Game Boy
à la conversation rasoir des boutonneux qui l’entouraient.
Dans la rue, il se sentait plus libre ; les gens ne le connaissaient pas, chacun
communiquait avec lui-même et on ne s’embêtait pas avec les autres. Par
ailleurs, les gens étant des individus et non une incarnation diabolique du
collectif, ils le laissaient agir tranquillement. Du moins, c’est ce qu’il croyait.

Phoenix laissait toujours tomber ses papiers par terre, dans le simple but
d’agacer « les gens » en général, c’est-à-dire dans son esprit une abstraction et
non les individus marchant autour de lui. Pourtant, un jour, mal lui en prit.
C’était par une brumeuse matinée d’automne. Peinant sous le poids de son
cartable, Phoenix mangeait une barre de céréales, rattrapant ainsi le retard qu’il
avait pris dans son petit déjeuner. Comme souvent, il laissa négligemment
tomber l’emballage sur le bitume. Une main venue de nulle part lui saisit le bras.
Au bout de la main, un barbu aux épaules larges, enveloppé d’un manteau vert.
- Ramasse ce papier.
- Pardon ?
- Ramasse ce papier.
- Lâchez-moi !
- Pas avant que tu ne ramasses ce que tu as laissé tomber.
Phoenix tenta de dégager son bras. Peine perdue ; le barbu avait une poigne
impressionnante, ses doigts courts semblaient accrochés à son bras frêle.
D’ailleurs, cet adulte avait un regard si poignant que Phoenix n’osait pas bouger.
Soucieux de sauvegarder son honneur, il croisa les bras, fixa le barbu et lui dit
d’un ton boudeur :
- Je vais être en retard à cause de vous.
- Eh ! Ramasse le papier, mets-le à la poubelle, et tu pourras filer à l’école.
Le ton paternel de l’adulte était énervant. Pour qui se prenait-il ? De quel droit
cet inconnu venait-il briser sa routine, pour l’humilier qui plus est ? Phoenix ne
bougea pas d’un centimètre. Ils restèrent dix, vingt secondes immobiles. Puis le
barbu lui demanda dans quel collège il était. Phoenix donna le nom de son lycée ;
le barbu bondit :
- Quoi ? Mais c’est un lycée privé catholique ! Si tu ne ramasses pas ce papier, je
les appelle !
Terrorisé, l’adolescent ramassa l’emballage de sa barre de céréales. Le barbu lui
lâcha le bras, et il alla le jeter à la poubelle, quelques mètres plus loin. Après
quoi, humilié, il partit. Une frustration intense, terrible, bouillonnait en lui. Le
minuscule acte d’affirmation de soi, accompli au mauvais moment, devant la
mauvaise personne, lui avait valu le pire avilissement. Le barbu marcha vers lui ;
d’un ton conciliant, il dit :
- Eh bien, ce n’était pas si difficile, pas vrai ?
- Lâchez-moi, murmura Phoenix au bord des larmes. Vous avez tué mon honneur.
Il jeta au barbu un regard si noir, mêlé de fureur impuissante et du plus grand
mépris, qu’il ne put s’empêcher de frissonner dans son épais manteau vert. Si
Phoenix avait eu une arme sur lui à ce moment-là, il s’en serait servi à coup sûr.
Les conséquences auraient pu être graves mais Phoenix aurait gardé son
honneur intact. Là, il avait honteusement perdu la face.
Dans le métro qui l’emmenait au collège, sa tête bourdonnait de pensées
confuses. La veille, il s’était préparé pour un test de mathématiques, mais il ne
parvenait pas à se concentrer sur quoi que ce soit d’autre que sur ce qui venait
d’arriver. N’importe qui, pensait-il, pouvait faire usage d’autorité paternelle à son
égard, et ainsi se substituer à son père ; n’importe quel adulte pouvait lui donner
des ordres ; donc, il devait obéissance à tout le monde, et cela lui paraissait la
pire des injustices. Comme s’il n’eut été qu’un esclave, né pour satisfaire les
besoins pseudo-moraux du premier venu. L’équivalent enfantin et moral d’un
prostitué. Son orgueil ne pouvait pas le supporter. C’était le déshonneur le plus
total. Il perdait la face au point de ne plus en avoir. Mais sa faute, songeait-il,
était d’avoir dit la vérité. En effet, respectueux de la réalité des faits et peu doué
pour le mensonge, Phoenix avait spontanément donné le nom de son lycée à
l’adulte. Il lui avait fait une faveur, s’était comporté avec lui en homme civilisé. Et
qu’avait fait l’adulte ? Au lieu de le remercier pour son honnêteté, il s’en était
servi pour le menacer. Être honnête ne pouvait même pas constituer une qualité.
C’était comme se comporter en mouton face à des loups. Cela prouvait
également, bien sûr, l’iniquité de cette morale putréfiée qui prétendait
dégouliner sur sa vie privée. En étant honnête, il donnait à cette morale, non de
quoi être récompensé, mais le bâton pour se faire battre. Il en découlait
nécessairement que la morale fût négative, odieuse, et destructrice aussi bien
des libertés que de toute affirmation individuelle.
Ce jour-là, Phoenix comprit que la collectivité n’était pas la seule cible à prendre
pour ses méfaits. Les individus, eux aussi, devaient être ciblés. C’était eux qui
faisaient vivre la collectivité. Ils étaient ses chiens de garde et ses surveillants
inamicaux ; leur morale hypocrite n’était qu’un moyen de donner des ordres et
de réduire la liberté ; eux, davantage que l’abstraite collectivité, constituaient la
meilleure des cibles. Il n’était pas moins juste de les cibler, eux, qu’elle.
D’ailleurs, Phoenix s’en rendit compte très vite, c’était beaucoup plus rigolo.

Etant solitaire, et donc plutôt faible face à la collectivité (ou même face à un plus
grand que lui), il prenait garde à agir secrètement. Jamais il ne commettait
d’action d’éclat. Les toilettes constituaient son terrain favori ; il pouvait y faire à
peu près n’importe quoi, du moment qu’il agissait rapidement et au bon moment.
Ainsi, il mettait un point d’honneur à uriner à côté, vengeant chaque jour les
désirs frustrés du petit garçon qui était en lui.
(A ce sujet, il avait trouvé une astuce. Les distributeurs de papier-toilette étant
placés assez bas, il arrivait à faire pipi dedans, donnant ainsi un contact fatal au
prochain qui voudrait retirer du papier. Un jour, il s’était caché dans la cabine d’à
côté pour épier un nouvel arrivant. Le premier venu ne s’était pas servi du
papier, et il repartit sans encombre. Un autre, qui vint après, resta plus
longtemps ; après quoi un hurlement arriva aux oreilles de Phoenix… « Ah ! C’est
de la pisse ! Putain, c’est dégueulasse ! ». La main sur la bouche, Phoenix se
tordait de rire en essayant néanmoins de ne pas faire de bruit.)
Au fil des mois, il avait inventé une gamme d’actions variée, à commettre selon
l’occasion et l’humeur. Dessiner sur les murs avec un marker (malheureusement,
les agents de service effaçaient régulièrement ses tags) ; mettre un gâteau
marbré dans l’urinoir (pour cela, il le faisait à côté, dans une cabine, puis le
prenait dans un épais mouchoir et le jetait ni vu ni connu dans la pissotière) ;
mettre de l’eau dans les essuie-main électriques, qui s’étaient mis à ne plus
fonctionner après quelque jours de ce traitement… Cela, les agents de service ne
l’avaient jamais réparé. Ils avaient beau nettoyer, les toilettes devenaient de plus
en plus sales et Phoenix pouffait tout seul rien qu’à y penser. Il éprouvait une
certaine fierté, bien que ce ne soit pas le terme tout à fait exact, à l’idée de
modifier à lui tout seul l’état d’un lieu public. C’était une manière comme une
autre de laisser sa trace. Plus moralement incorrecte, certes, mais il y avait là le
plaisir pimenté et stimulant que Phoenix trouvait dans des actes habituellement
considérés comme négatifs. Modifier l’environnement de manière à causer du
déplaisir à autrui, non seulement lui permettait de laisser sa trace, mais aussi de
gagner du plaisir ; il faisait d’une pierre deux coups. A cette idée, Phoenix se
comparait sans peine à ces anciens dieux païens qui, au lieu d’être « tendre et
aimants » tout en envoyant hypocritement les gens en enfer, révélaient à leurs
fidèles tout ce qui les constituait et demandaient des sacrifices. Phoenix se
hissait, par ses actes, au rang de demi-dieu dans la foule ; il était le demi-dieu
des toilettes, et demandait en sacrifice la propreté du lieu, ainsi que quelques
exclamations de déplaisir de la part des gens qui rentraient dedans.
Mais être un demi-dieu de chiotte lui semblait ridicule et puéril. S’il voulait laisser
une trace un tantinet intéressante, il devait impérativement se hisser à un niveau
supérieur. Par ailleurs, l’expression de « demi-dieu » lui semblait prétentieuse,
stupide ; l’utiliser serait gonfler son ego à un point jamais vu encore, sans en tirer
d’avantage pour autant. Surtout s’il agissait dans les toilettes. Un endroit où les
gens évacuent leurs déchets ne lui convenait pas. N’importe qui était capable d’y
faire ce qu’il faisait. Un jour, il avait surpris un garçon en train de démouler un
cake dans un urinoir. Le garçon en question était un porteur de l’uniforme
casquette-basket-survêt, et lui avait hurlé « vas-y, casse-toi le nain ! » quand
Phoenix entrait dans les toilettes ce jour-là. Agir comme un de ces types, c’était
faire preuve d’arriération mentale. Il devait trouver mieux. Quelque chose digne
de ses rêves, de ses envies ; une action dans un endroit non cloisonné, et si
possible dressée contre des individus particuliers que contre une collectivité
abstraite qui ignorait sa présence en se bouchant le nez.
Cependant, agir au collège n’était pas simple. Phoenix était seul. Il lui arrivait
quelquefois d’agir dans la rue (les poubelles de l’immeuble à côté couvertes de
tags, c’était lui), mais souvent, il attendait avec impatience la fin des cours pour
rentrer chez lui et agir sérieusement. Son terrain d’action favori n’était autre
qu’Internet. Derrière un écran, embêter autrui était plus facile, moins risqué. On
prenait davantage de plaisir à constater les réactions. La bave impuissante des
gens derrière leur écran… Phoenix aimait jouer au « troll » sur les forums. Créer
des sujets pour que les gens s’y disputent, échangent des propos acerbes. Ou
simplement insulter les gens. Pour lui, ce n’était pas « faire chier le monde »,
comme on le lui reprochait, mais simplement mettre de l’ambiance sur le forum.
Qu’y avait-il de plus amusant que des gens qui se disputent ? Trouvant cela
normal, Phoenix ne venait pas sur ces forums en gâcheur de soirée mais en ami.
Il s’y était d’ailleurs fait quelques copains. Face à sa sympathie débordante,
mêlée d’envie de choses notoires et de phobie de l’autorité, les adminsn’avaient
d’autre réponse que les insultes et les bannissements. Encore une preuve de leur
hypocrisie. Leurs agissements étaient pires que les siens ; mais eux, en plus de
cela, se retranchaient derrière leur pseudo-morale et une vague obligation de
maintenir l’ordre sur les forums (ordre que, pourtant, il n’avait pas l’impression
de mettre en danger). A force d’être banni pour rien, Phoenix se mit à « troller »
consciemment. Quitte à se faire virer, autant le mériter, non ?
Le jeune homme s’intéressait aussi au piratage. Sur Internet, quel meilleur
moyen de « pwner » les gens ? Rien n’était si dévastateur qu’un hack bien
orchestré, le crash d’un forum ou d’un ordinateur. Phoenix traînait donc sur des
forums de pirates. Là aussi, l’hypocrisie régnait, la plupart des pirates prétendant
ne faire cela « que pour le challenge intellectuel », ce qui lui paraissait un cache-
sexe ridicule. Afin de ne pas se faire bannir, il tenait sa langue et respectait ce
code, en prétendant lui aussi être un white hat (pirate ne détruisant rien). Au
début, il piétinait ; l’aspect méthodique, complexe, des connexions et des
langages enchevêtrés lui était rédhibitoire ; pourtant, la chance lui sourit, car une
nouvelle faille particulièrement facile à exploiter apparut.
A cette époque, différents types de forums se partageaient le marché.
Programmer un forum étant long et fatiguant, la plupart des webmasters
faisaient appel à des scripts déjà tout programmés. Il n’y avait qu’à les installer
sur le serveur pour qu’ils fonctionnent. Différents scripts existaient, mais l’un
d’eux avait un succès particulièrement impressionnant : le phpBB. Programmé en
langage PHP, comme son nom l’indique, ce forum constituait un script aisé à
installer et à personnaliser. On trouvait beaucoup d’add-on pour phpBB.
Néanmoins, chaque médaille a son revers, et un script aussi populaire que phpBB
attirait les convoitises des découvreurs d’exploit. De nombreux pirates, confirmés
cette fois, analysaient minutieusement le code source du script pour y trouver
des failles. Selon leur nature et leur intensité, ces failles permettaient de poster
beaucoup de messages en même temps, de faire planter le forum, d’avoir accès
au panneau de contrôle réservé à l’administrateur…
Naturellement, les développeurs de phpBB suivaient de très près les découvertes
des pirates. Quand un pirate rendait public un exploit (script ou ensemble
d’instructions permettant d’exploiter la faille), ils s’empressaient de la corriger et
de mettre en ligne une version protégée de leur forum. Par la suite, ils ajouteront
à leur script un outil de mise à jour automatique, prévenant le webmestre des
updates disponible. Mais on n’en était pas encore là, et nombre de webmasters
prêtaient une attention toute relative aux mises à jour qui sortaient. De plus (et
cela sera supprimé par la suite), le numéro de version du forum était inscrit en
bas de la page. Il suffisait donc de regarder, voire simplement d’utiliser un
moteur de rechercher, pour trouver des forums à pirater.
Phoenix était un tout jeune pirate quand la faille des cookies apparut. La faille
était on ne peut plus simple à exploiter. Quand un membre du forum voulait
s’authentifier, il recevait un cookie, le plus souvent un numéro de série
correspondant à son compte et généré aléatoirement à l’ouverture de celui-ci. Ce
numéro de série restant dans la mémoire du navigateur, il permettait au membre
de rester connecté au forum en tant que membre, sans avoir à retaper son mot
de passe toutes les cinq secondes. Mais voilà ; le webmaster du forum,
possesseur du compte n°1 et détenteur des pouvoirs d’administration, avait lui
aussi un numéro de série… Ce numéro-là n’était pas déterminé aléatoirement.
Contrairement aux autres, il était prédéterminé. Ce qui signifie que tous les
webmasters utilisent le même numéro de série dans leur cookie. Et c’est là que
réside la faille ! Pour l’exploiter, il suffisait de trouver son propre cookie,
remplacer son numéro de série par celui par défaut du webmaster et hop ! En
revenant sur le forum, on était authentifié en tant qu’admin, avec accès au
panneau de contrôle et à l’intégralité des pouvoirs…
Phoenix n’avait jamais rien piraté. Il avait essayé, bien sûr, mais les failles qu’on
lui apprenait à exploiter étaient colmatées et les exploits qu’il trouvait ne
fonctionnaient pas. Ou alors, ils étaient d’une utilisation trop complexe pour lui.
Phoenix laissait alors tomber très rapidement, et passait à autre chose. Cette
fois, il tenta, le cœur tremblant d’émotion, sur un forum à peine connu qu’il avait
trouvé par hasard… et quand il ouvrit le navigateur, et qu’il se retrouva à la place
de l’administrateur, il exulta comme jamais auparavant. Ivre de joie destructrice,
il effaça tous les messages, tous les forums, et remplaça le titre par un pompeux
« H4ck3d by X-MagZ » (naturellement, il utilisait un pseudo, Phoenix, pour les
discussions officielles, et un autre pour les actions moins légales). Sur le forum de
hack où il officiait, il ouvrit un sujet pour célébrer son premier piratage réussi.
Manque de bol, les gens du forum faisaient preuve d’un puritanisme à toute
épreuve et on ne partageait pas sa joie ; il écopa d’insultes, de messages
agressifs, et finalement d’un bannissement. Un instant, l’hypocrisie l’avait quitté,
un peu trop… cela avait suffi pour le faire chasser de son forum préféré. Il en fut
amèrement déçu. Certes, il restait quelques copains du forum avec qui il pouvait
chatter, mais ce n’était plus la même chose.
Phoenix oublia vite sa déception quand il se rendit compte du nombre de forums
sur lequel marchait la faille des cookies. Il avait piraté son premier forum un
samedi matin. L’après-midi, il récidiva, sur le forum officiel du fan-club de « Buffy
contre les vampires » (Phoenix se demandait comment on pouvait être fan d’une
série télé bidon que tout le monde oublierait dans deux ans ; mais tout le monde,
il s’en rappelait bien, ne passait pas sa vie sur Internet). Cette fois, il laissa, en
plus du titre modifié, un petit message :

« 0wn3d by X-MagZ
Buffy ça craint, brûlez vos fictions en carton et redescendez sur terre !
Aux gars du forum M**** : votre hypocrisie de pseudos white hats incapables de
pirater quoi que ce soit, je m’en tape, vos règles ne sont pas les miennes ! Moi, je
n’ai pas besoin de bonne conscience à deux balles… L’histoire jugera, mes
amis 
Spéciale dédicace à Novarch, The Joker, Famine du 59, Inksterna et
SpiderPadawan88 »
SpiderPadawan88 n’était pas un copain de Phoenix, mais il avait écrit le fameux
tutorial, et c’était grâce à lui que le jeune homme savait maintenant pirater des
phpBB. Avec un peu de chance, il remarquerait la dédicace et tenterait de le
contacter. De toute façon, plus il y avait de pseudos dans la dédicace, plus cela
montrait l’étendue de ses relations, plus les personnes citées appréciaient leur
« dédicaceur » et mieux c’était pour lui. Novarch, il l’avait connu sur un forum
plus ancien. Il l’avait défendu lors d’une querelle avec un admin provocateur, ce
qui leur avait valu un bannissement à tous les deux, mais aussi une certaine
vision du piratage informatique, et par là des différentes attitudes à avoir avec
les gens. The Joker était un camarade de forum. S’y connaissant peu en hack, il
était néanmoins un blagueur invétéré, et avec Phoenix il avait rempli des pages
entières de leurs plaisanteries communes. Famine du 59, il ne le connaissait que
très peu, mais celui-ci piratait régulièrement des sites pour les effacer (en y
mettant, d’ailleurs, une très jolie bannière ornée d’une tête de mort) ; il s’y
connaissait, et Phoenix voulait s’en faire un ami, c’est pourquoi il lui dédiait son
piratage. Quant à Inksterna, c’était un camarade de forum comme The Joker mais
on l’avait plusieurs fois réprimandé, ce qui suffisait pour avoir de la sympathie à
son égard.
Novarch n’avait pas été mis en premier pour rien. C’était un vrai camarade. Lui
aussi, il aimait faire des blagues aux traces profondes. Enerver les gens, imaginer
leur face grimaçante quand ils voyaient leur forum ou leur ordinateur piraté,
voire faire des actions dans la vraie vie (du moins, il le prétendait), lui aussi
appréciait ce genre de choses. Il discutait souvent avec Phoenix sur MSN
Messenger.
Les jours qui suivirent ces deux premiers piratages, Phoenix s’en donna à cœur
joie. Il pénétra dans les panneaux de contrôle de plus d’une vingtaine de forums,
jusqu’à ressentir une certaine lassitude tant la procédure à suivre devenait
routinière. Certains forums étaient petits, d’autres plus grands ; certains morts,
d’autres hantés par une poignée d’habitués, d’autres encore très actifs ; tous,
sans exception, passaient à la moulinette dès lors que Phoenix avait débloqué le
compte administrateur. Il ridiculisa un forum de bikers, leur donna un rendez-
vous fantôme en banlieue parisienne (et rit aux éclats quand il apprit que ces
imbéciles étaient venus pour rien), détruisit le fan-club d’une quelconque godiche
de la chanson, afficha des images pornographiques sur un forum de piercings (il
fallait vraiment être un ado ridicule, superficiel et excessivement attaché à
l’apparence pour aimer les piercings, pensait Phoenix quand il effaça des milliers
de messages en dix secondes), obligea l’administrateur d’un forum breton à
mettre son site en travaux pendant deux semaines pour rétablir les sujets
effacés… Cette période ne dura que deux semaines mais Phoenix s’en
souviendra, par la suite, comme l’une des plus drôles de sa vie. Il se sentait
partout chez lui, comme la reine d’Angleterre, douée du pouvoir de s’approprier
n’importe quelle parcelle de son royaume si elle le voulait. Naturellement, la
reine avait une image à préserver, elle ne pouvait utiliser un tel pouvoir sans
déclencher les jets de bave des médias ; Phoenix, lui, se cachait derrière
plusieurs pseudos différents pour ne pas ameuter la police, et quand on essayait
de remonter à lui, on se heurtait inévitablement aux serveurs proxys qu’il utilisait
comme passerelle entre sa connexion et le Net. Sûrement, c’était petit et
lamentable comparé à la gloire dont il rêvait. Mais c’était indéniablement
amusant. Jamais il ne se lassait des récriminations des uns et des autres. Il
remplissait sa mission : diminuer la quantité de bonheur extérieur dans le
monde, et augmenter la sienne propre. Tout le monde possédait ce pouvoir-là
mais lui était seul à l’assumer consciemment. Et cela, on ne pourrait jamais le lui
enlever.

Au bout de deux jours, un magazine on-line en mal de scoop s’émut de la


recrudescence soudaine des piratages de forums. Sous des pseudos différents,
disait-il, des pirates s’en prenaient à divers forums, toujours de la même façon :
utilisation de la faille des cookies (qui était tout de même assez connue dans les
milieux de l’informatique), puis remplacement du titre par une phrase de genre
« h4ck3d by X-MagZ/Lil0pY/Inkt0merZ », sachant que les chiffres du premier mot
étaient toujours les mêmes. Un pirate informatique était sûrement en action
quelque part, et s’en prenait à toutes sortes d’endroits. Naturellement, les rares
forums où l’information fut citée traitèrent rapidement le pirate en question de
petit hacker, tout juste bon à utiliser des failles déjà connues plutôt que d’en
découvrir lui-même ; mais cela suffisait à gonfler l’ego de Phoenix, et il songeait
à la puissance que pouvait avoir un individu décidé. Même armé de peu de
connaissances, il suffisait de rafler le meilleur de celles-ci, et d’agir. Le principe
d’interactivité faisait le reste. Pour la première fois, Phoenix réalisait l’existence
de ce principe. Les actions des uns étaient toutes liées à l’existence des autres ;
dès qu’une personne agissait, de manière si minime que ce soit, l’action en
question avait nécessairement un effet sur la réalité qui l’entourait – et donc
également sur les gens vivant dans cette réalité. Phoenix en conclut que, pour
« pwner » les gens, autant sur Internet que dans la vraie vie, sa puissance était
quasi illimitée. Après tout, les attentats du 11 septembre montraient-ils autre
chose que cela ? Naturellement, ils appartenaient à un autre registre ; mais la
conclusion qu’on pouvait en tirer était la même.
L’après-midi, il en parla à Novarch, et celui-ci lui donna l’idée qui allait changer
son quotidien à tout jamais. Alors que Phoenix se plaignait des bannissements
injustifiés qui pleuvaient sur les forums, tout en parlant de ceux qu’il avait piraté,
Novarch répondit simplement :
- Et si on lançait notre propre forum ?
L’idée n’était pas mauvaise. Pourquoi tous les forums devraient-ils partager la
même vision du monde cloîtrée ? Pourquoi devrait-on, partout, avoir un dégoût
unanime pour des boucs émissaires aux goûts différents des autres ? Et surtout,
pourquoi Phoenix serait-il le seul, avec Novarch et quelques autres, à assumer
ses envies de pwnage ? Ils n’étaient sûrement pas les seuls à penser ainsi.
En quelques phrases, il esquissa avec Novarch l’idée d’une communauté. Là où
les gens qui aimaient embêter autrui trouveraient ce qu’ils voulaient : la
possibilité de trouver des camarades pour les épauler dans leurs actions. Ce
serait un contentement dans deux directions, jugées contradictoires, mais ici
réunies. L’amitié, la camaraderie – même virtuelle –, l’union dans une
communauté pour l’aspect constructif ; le pwnage des extérieurs, des gens
normaux et plus encore des débiles haineux pétris de bonnes paroles, pour
l’aspect corrosif. Pour autant, ces deux aspects seraient indissociables. Enfin un
endroit où on serait libre de faire chier les gens (Phoenix avait horreur de cette
expression, qu’il jugeait trop négative et pas assez joyeuse, mais il ne pouvait
s’empêcher de l’utiliser quelquefois) tout en connaissant l’amitié… Enfin,
connaître la possibilité de s’épanouir pleinement ; l’aspect sulfureux, et
moralement, politiquement, puritainement incorrect, du pwnage d’autrui, le
plaisir du fruit défendu ; ces deux choses jointes ensemble ! Ce serait un
équilibre qu’on n’aurait jamais vu ailleurs. On tirerait ses relations sociales dans
les deux directions, connaissant ainsi la totalité des plaisirs. Un contraire
entraînant l’autre. Et puis le plaisir indissociable, pour Phoenix, de diriger une
communauté. Certes, l’idée venait de Novarch, mais celui-ci préférait laisser la
création du forum à Phoenix, lui donnant la responsabilité technique de la chose
ainsi que la maîtrise de l’administration.

Ce fut ainsi que le jeune homme, après avoir piraté toutes sortes de forums,
ouvrit le sien propre. Il avait déjà ouvert un site auparavant ; on y trouvait des
articles sur le piratage, empruntés à droite et à gauche, des textes sur l’anarchie,
sur le nazisme, des astuces pour voler dans les magasins, ainsi qu’une liste
d’idées pour « faire chier le monde » (ayant écrit cette page avant l’invention du
terme « pwnage » il avait utilisé l’expression maudite). Mais le site n’offrait
aucune possibilité d’interaction, et attirait peu de visiteurs. Phoenix connaissant
moyennement les hébergeurs, il ouvrit le forum sur un site spécialisé en pages
personnelles. Ironie du sort, le forum était un phpBB – mais Phoenix consultait
souvent le forum officiel du script, afin d’être averti en cas de mise à jour
critique, il s’y était même inscrit. L’installation se fit rapidement et Phoenix ouvrit
différentes catégories. Un sous-forum pour se présenter, un autre pour discuter,
un troisième pour échanger des astuces de pwnage, un quatrième pour raconter
des anecdotes… Le tout sans fautes d’orthographes. C’était joliment organisé.
Novarch et lui se mirent d’accord pour baptiser le forum « Lord of Cynism ». Une
fois la configuration bouclée, Phoenix l’habilla d’un graphisme vert et noir inspiré
du film Matrix.
Il parvint, grâce à une publicité savamment orchestrée sur ses forums favoris et
auprès des quelques personnes qui s’y entendaient bien avec lui, à attirer une
dizaine de personnes. La moitié environ des inscrits se présenta, mais les
discussions avaient du mal à décoller. Phoenix afficha un règlement, auquel il
ajouta une courte explication du « principe de double direction », comme il
l’appelait, avec l’opposition communauté-amitié/extérieur-pwnage. Il mit aussi en
ligne un copier-coller de sa longue liste d’astuces pour « faire des blagues
pwnantes » (la même qui s’appelait auparavant « comment faire chier le
monde », et dont il avait enfin changé le nom). Novarch y ajouta une anecdote
croustillante de son cru. Phoenix se tordit de rire sur sa chaise de bureau en la
lisant :

« Au lycée, il y a une chose dont je me rends compte tout les jours, c’est l’état de
débilité profonde dans laquelle l’ennui peut nous plonger. J’en suis toujours
satisfait [ce mot sera remplacé par « stupéfait » quand Phoenix fera remarquer à
Novarch son étrangeté dans le contexte] après coup.
D’habitude, je suis un élève sérieux et attentif. Mais aujourd'hui, en cours de
langue, notre prof habituel n'était pas là. Au lieu de regagner nos foyers, comme
on l'aurait tous voulu, on a dû se coltiner un remplaçant dont le cours était
totalement ennuyeux. Le gars nous faisait réviser des trucs qu'on savait déjà, il
nous faisait faire des exercices du genre "répétez après moi" comme si on était
des gamins. Evidemment, je m'ennuyais. Cela a duré deux heures.
Le fait marquant de ce cours, ce n'est pas le prof lui-même, quoi qu'il soit le
déclencheur de l'histoire. On se faisait tous plus ou moins chier. La fille à côté de
moi s'ennuyait aussi, elle soupirait et a profité de ce que le prof parte au fond de
la classe pour sortir du cours (véridique !). Elle est revenue un peu plus tard,
prétextant un malaise. Pendant son absence, un pote à moi, assis juste devant
(j'étais au deuxième rang), a fait un dessin du prof avec son propre pénis enroulé
autour du cou. C'était tordant. Mais le fait marquant de ce cours ne réside pas là
non plus... où est-il ? Eh bien, il a été commis par votre serviteur, et je suis
chanceux de ne pas m'être fait griller !

Dès le début du cours, j'ai senti mes paupières devenir lourdes. Une intense
envie de dormir me saisissait, et j'ai dû lutter, l'espace de quelques minutes,
pour rester assis et les yeux bien ouverts. Comme je suis actuellement en cure
de désintoxication d’un certain forum grand public sur lequel je viens souvent
troller, quelques idées se sont fixées dans mon esprit à ce sujet. J'ai songé à
flooder le forum en question, à poster un tas de topics en caractères spéciaux
pour bien déformer les cadres, des trucs du genre. Même en sachant
parfaitement que ce genre d'action n'est pas une preuve d'intelligence et qu'il y
a des choses beaucoup plus intéressantes à faire, je n'ai pas pu m'empêcher d'y
penser. On voit les effets pervers des forums grand public : quand l'ennui
s'installe, ils reviennent au galop dans mon esprit ! Et c'est justement parce que
j'en ai marre de penser à des crétineries que je ne veux plus y aller, même si j'en
ressens parfois l'envie. Ces forums sont une véritable drogue. Mais revenons à
nos moutons.
Au bout d'un moment, j'ai essayé de suivre le cours, et j'ai arrêté de penser à
Internet. Le prof était tellement barbant que j'ai vite décroché. Mon pote assis
devant moi, qui s'ennuyait aussi, a commencé à me jeter des bouts de gomme.
Je n'avais rien de mou pour riposter, ce qui m’obligeait à reprendre les bouts qu'il
me jetait pour les lui renvoyer ! Il s’est montré compréhensif et a changé de
cible, en envoyant ses morceaux de gomme à une fille située un peu plus loin.
C'est en fouillant ma trousse, à la recherche de projectiles, que je suis tombé sur
mon paquet de cartouches d'encre. J'ai tout de suite songé à refaire un truc déjà
fait plusieurs fois auparavant : mettre la cartouche sous le barreau de ma chaise
et m'asseoir. Inutile de préciser que, vu la différence de poids entre moi et la
cartouche, celle-ci éclate et projette de l'encre partout.
C'était risqué : si le prof me voyait, j'étais bon pour me faire sortir du cours avant
de devoir nettoyer l'encre. Mais bon. Quand je m'ennuie vraiment, soit j'ai envie
de dormir, soit je commence à dégrader les objets qui m'entourent. Que voulez-
vous, on ne se refait pas. J'ai pris une cartouche d'encre et je l'ai mise sous le
barreau de ma chaise. Profitant de ce que le prof ait le dos tourné, je me suis
rassis, avant de me relever rapidement. La cartouche avait éclaté, répandant son
contenu partout devant elle !
Personne n'a rien vu.
Le plus drôle, dans l'histoire, c'est que mon pote assis devant laissait traîner sa
main dans le vide. Il s'est pris de l'encre sur la main ! Je vous jure que je n'ai pas
fait exprès de lui en mettre. Quand il l'a remarqué, il se demandait d'où venait
l'encre. Je lui ai donné le fin mot de l'histoire... Evidemment, je lui ai prêté mon
effaceur, histoire de nettoyer ses doigts tachés. En fait, il râlait parce que je lui
avais mis trois gouttes d'encre dessus. Fallait pas laisser pendouiller son bras
n'importe où !
Regardez la photo (Novarch en avait jointe une à son message) : j'ai mis deux
millilitres d'encre par terre, pas de quoi en faire un plat. De toute façon, les
femmes de ménage sont payées pour nettoyer nos merdes. Si personne ne
salissait quoi que ce soit, elles n'auraient pas de boulot. On pourrait presque dire
que j'ai fait un acte citoyen, puisqu'en salissant (à peine) le linoléum, je donne du
travail à un agent d'entretien. Je justifie son salaire !
Pour un peu, celui qui passe derrière moi pour nettoyer devrait me remercier :
sans moi, il pourrait ne pas avoir de boulot. De par mon action, je lui évite de
subir les affres du chômage. C'est ce qu'on appelle avoir un comportement
altruiste et citoyen. »

Malheureusement, certains visiteurs en provenance du site M***, où Phoenix


faisait de la publicité, furent choqués par son contenu. Un forum de boulets,
destiné à pourrir la vie des autres, ouvert par un mini-hacker de quatorze ans. Ce
gamin n’avait-il pas honte ? Pour qui se prenait-il ? Un membre s’inscrivit et
laissa un message moqueur à l’intention des quelques personnes venues discuter
normalement. Un autre écrivit quelques lignes à l’intention de Novarch :

« Tu te crois drôle ? Pauvre crétin, les femmes de ménage sont sous-payées et


elles font un boulot franchement dégoûtant. Tu dégrades encore plus leurs
conditions de travail en faisant ça. Tu crois qu’elles sont là pour passer derrière
toi ? Qu’elles existent uniquement pour toi ? C’est scandaleux de venir s’afficher
comme ça sur Internet. Genre je raconte les conneries que j’ai faites et j’en suis
fier, le vrai truc de boulet immature attardé, j’y crois pas. On devrait te couper ta
connexion. Ce serait un acte altruiste et citoyen. »

Ce à quoi l’intéressé répondit :

« Bêêê, bêêê, bêêê.


Pourquoi tu ne retournerais pas dans ton troupeau ? Fais gaffe, y’a le berger qui
t’attend, tu vas recevoir un coup de bâton si tu ne te presses pas. »

Le nouveau venu n’eut pas le temps de répondre - Phoenix était passé


entretemps - et il découvrit sans surprise qu’il était banni.
Pour se venger, il posta un message tout aussi incendiaire sur l’autre forum de
piratage. Quelques personnes le rejoignirent ; ulcérées par le contenu de Lord of
Cynism, elles demandèrent le bannissement de Phoenix. Celui-ci garda la tête
froide. Il leur répondit par un mépris poli, pointa leurs dérapages et leur ton
insultant. Mais les modérateurs, d’habitude prompts à faire respecter le
règlement du forum, agirent cette fois à son encontre. Plutôt que de recadrer les
énervés, et malgré leur impolitesse, ils se rangèrent du même côté qu’eux.
Phoenix rappela les règles, argua du fait que son forum ne contenait aucune
information illégale – en un sens, on pouvait même dire que Lord of Cynism était
plus légal que le forum de piratage, vu qu’on n’y donnait pas de programmes de
piratage réputés illégaux ; peine perdue. Les modérateurs, partiaux et bornés, se
mirent eux aussi à l’insulter. Sans aucune gêne. Ils ne ressentaient aucune honte
à violer eux-mêmes le règlement qu’ils étaient censés respecter. La situation
s’envenimait de message en message, Phoenix craignait de plus en plus le
bannissement, qui semblait inéluctable au vu de l’humiliation publique que les
puritains lui faisaient subir. Il supprima son compte de lui-même plutôt que
d’attendre la décision, très probablement inique et irréfléchie, que
l’administrateur prendrait à son encontre. Dans la soirée, le co-administrateur du
forum déclara qu’au vu du forum de Phoenix et de son contenu, celui-ci aurait été
banni de toute façon, et il remerciait la vigilance de tous les habitués qui avaient
su débusquer ce boulet.
Phoenix fut triste de ce départ précipité. Parmi les gens qui l’avaient insulté, il y
avait quelques types avec qui il discutait en toute amitié auparavant ; dans le
tas, Phoenix remarqua même un newbie qu’il avait aidé quelques jours avant. Et
voilà comment il le remerciait de son aide. Par des insultes et une demande de
ban’. Bien sûr, Phoenix s’attendait à ce que son forum en choque plus d’un, mais
il ne pensait pas que la bonne conscience des apprentis pirates se manifestât si
vivement. Quand on était attiré par le piratage, on l’était forcément, tout au
moins de manière latente, par l’idée de pwnage et de « faire chier le monde ». Le
contraire eût été une contradiction dans les termes. On ne piratait pas pour
répandre l’amour et la paix. Tous ces pirates en carton-pâte, ces imbéciles qui
justifiaient leurs goûts par un soi-disant « challenge intellectuel » que la plupart
d’entre eux ne pourraient jamais relever, auraient dû être attirés par l’exquise
manière dont Phoenix expliquait les siens. Pas de puritainement correct, un
forum unique et pionnier ; comment cela avait-il pu ne pas les attirer, et pire
encore, les rebuter ? La bonne conscience, baveuse et hypocrite, agissait encore
vivement dans leur esprit… Tout le monde n’était pas rebelle – réellement
rebelle, séparé du fonctionnement conscient de la société, membre d’une
certaine élite par l’esprit, et non pseudo-rebelle qui écoute du Marylin Manson
pour effrayer papa-maman. Comme un prophète, Phoenix devait cheminer pour
trouver des disciples, ou plutôt des camarades. Trouver les oreilles pour
l’entendre, les esprits pour agir et penser avec lui. L’amitié, la satisfaction des
désirs, le plaisir tantôt serein tantôt pimenté. Tel était son seul désir.
Pour oublier ses déceptions, Phoenix reprit une de ses activités favorites : la
triche dans les jeux multi-joueurs. Counter-Strike Source, un jeu de tir à la
première personne, s’y prêtait tout particulièrement. Nanti dès sa sortie d’une
certaine réputation en reprenant le même principe que Counter-Strike, peuplé
d’innombrables joueurs et doté d’un graphisme particulièrement poussé, il
plaisait à Phoenix pour des raisons multiples. Notamment le grand nombre de
cheats qu’on créait pour lui. Un cheat est un programme qui injecte dans le jeu
certains ajouts, permettant à son utilisateur de gagner à coup sûr : voir les
ennemis à travers les murs, viser leur tête automatiquement, tirer sans aucun
recul ni dispersion des balles… de tels programmes donnaient au joueur un
avantage si net qu’il était tout de suite repéré par les autres, à moins de régler
son cheat de manière à rester discret (et encore, un joueur aguerri pouvait
facilement surprendre un tricheur en surveillant de près son comportement).
Phoenix aimait utiliser ces programmes pour gâcher, purement et simplement,
les parties des joueurs normaux.
Il avait sa technique. D’abord, utiliser un cheat à jour (les cheats trop vieux étant
détectés par le programme anti-triche intégré au jeu, ce qui provoquait un
bannissement du compte et obligeait le joueur à racheter le jeu). Ensuite, trouver
un serveur sans admin, en comparant le nom du serveur et celui des joueurs – un
admin ayant souvent dans son pseudo un tag correspondant à son serveur. Une
fois cela fait, Phoenix s’y connectait. Il restait calme, quelques minutes, le temps
de voir s’il n’y avait vraiment aucun admin. Si cette absence semblait confirmée,
il commençait à jouer et faisait immédiatement étalage de sa puissance. Par
exemple, en se précipitant dans les zones de confrontation de la map (le niveau)
et en tuant immédiatement une ribambelle de joueurs adverses grâce à la visée
automatique. Les joueurs haïssant tout particulièrement les cheaters (dits
« cheateurs » sur les serveurs francophones), ils s’énervaient très vite ; Phoenix,
excité et amusé, continuait de plus belle. Cela durait jusqu’au départ des joueurs,
las de se faire tuer sans pouvoir jouer, ou à celui de Phoenix qui tentait
d’échapper au bannissement – les joueurs pouvant parfois, selon la configuration
du serveur, voter pour bannir un joueur en particulier. Dans ces moments-là,
Phoenix hurlait au micro, tuait encore et encore, prêtant l’oreille aux cris de rage
des uns et des autres. Il voyait les mouvements de chacun à travers les murs ; en
un clic, il gâchait la partie d’un type ; tout le monde s’énervait, s’étranglait de
consternation et de rage, quoi de plus amusant ?
Un seul problème surgissait. Au bout d’une heure ou deux, l’excitation se
dissolvait. Il se sentait alors barbouillé. Comme si le piment, le délicieux piment
du fruit défendu, une fois brisé par les enzymes de l’estomac, se transformait en
une bile amère. Une boule de plaquettes tièdes qui gonflait en lui et ballonnait
son fragile système digestif. Sûrement, pensait Phoenix, cela était-il dû à la haine
et à la rage de dizaines d’imbéciles venant se déposer en lui… Il se montrait
encore trop vulnérable, trop réceptif, trop semblable à ses proies. Avec
l’habitude, une carapace d’airain se formerait autour de ses parties sensibles, et
l’énervement qu’il provoquait ne pourrait plus que lui conférer du plaisir en
esprit, sans venir barbouiller son corps.
Aujourd’hui, d’autres choses lui pesaient également sur l’estomac. Un goût
d’échec, de défaite, ne demandant qu’à être lavé par la vengeance. Il jouait à
Counter-Strike pour oublier mais rien ne pouvait détourner son esprit de cela.
Même concentré sur le jeu, sur ses cheats, il ne parvenait pas à y fixer son
attention. Les gens du forum de piratage ne s’étaient pas contentés de le bannir ;
ils avaient également envoyé un e-mail de délation, en bonne et due forme, à
l’hébergeur du forum de Phoenix. Soucieux de son image de marque, l’hébergeur
avait fermé le forum sur l’heure. Phoenix avait même reçu un mail sardonique
dans lequel on lui disait, avec force ironie, que son forum serait aussitôt refermé
dès qu’il tenterait de le rouvrir. Ses idées s’étaient retournées contre lui. Ou
plutôt, on les avait retournées. Un groupe de gens s’en prenait à lui. Les lâches.
C’est parce qu’ils étaient plusieurs qu’ils osaient se comporter de manière si
cruelle – tout en se justifiant, bien sûr, par le souci moral le plus vigilant ; des
moutons, lâches et veules, qui ne méritaient que du mépris. Plusieurs contre un.
Phoenix avait cela en horreur.
Internet avait jusqu’ici été son atout, son terrain fétiche, son monde de liberté.
Aujourd’hui, on voulait l’y oppresser, lui mettre des chaînes, et on lui disait que
jamais il ne pourrait briser ses entraves, quoi qu’il fasse. Il ne pouvait rester sur
cet emprisonnement. Phoenix était tenu par un trop grand sens de l’honneur
pour accepter cela. Avant, il avait combattu pour lui-même, son propre plaisir, le
plus exclusif et le plus égoïste. Aujourd’hui, il se sentait porté par un élan
nouveau. C’est pour la liberté d’expression qu’il combattait. Non plus pour lui
mais pour tous. Il avait trouvé un concept abstrait auquel s’attacher. Ce concept-
là, celui de liberté d’expression, était beaucoup moins abstrait qu’il n’en avait
l’air. Au contraire, il se présentait à lui de manière on ne peut plus concrète. Haro
sur la morale, la moutonnerie et l’instinct bêlant du troupeau. On ne pouvait
supporter cela davantage. Une élite devait se réveiller. Une élite manifestant
pour la liberté, la franchise, la camaraderie, l’affirmation, toutes sortes de choses
ensevelies sous les mornes pensées du quotidien. L’élite, ce serait lui. Avec
Novarch et quelques autres, tout d’abord. Puis une communauté, à part entière.
Il en était convaincu. L’intuition inébranlable de ce futur s’imposait à lui. Mais il
devait la concrétiser, lui en donner les moyens. Pour cela, il ne pouvait
emprunter qu’un seul chemin : la réouverture du forum. Et cette fois, on ne le lui
fermerait pas. Phoenix quitta Counter-Strike et se mit aussitôt au travail.
Un hébergeur américain garantirait à son forum une certaine sécurité, sans
crainte des démarches liberticides du troupeau. La communauté se développerait
à l’abri de murailles virtuelles inviolables. On pouvait dire ce qu’on voulait des
Etats-Unis, mais on devait reconnaître que leur premier amendement, garant de
la liberté d’expression, était digne d’une vraie démocratie. Phoenix comparait
différents hébergeurs d’outre-Atlantique quand sa mère vint passer la tête par la
porte de sa chambre :
- Pierre, tu viens manger ?
- J’arrive !
Ils mangèrent un ragoût de pommes de terre en silence. La radio, branchée sur
France Culture, meublait la pièce nue. Depuis le temps, Phoenix ne faisait plus
très attention à ce qu’il mangeait, ni à ce qu’il y avait autour de lui. Ni les murs
blancs, ni les étagères de bois frêle sur lesquelles reposaient quelques bibelots
bon marché, ni le ragoût ne parvenaient à capter sa pensée. Il ne songeait qu’à
l’hébergeur qu’il allait prendre – et à la perspective d’un nouveau départ. Un
forum. Une communauté. Lui, Phoenix, en serait le chef. Quoi de meilleur ? Il
n’aurait donné sa place pour rien au monde. Après le repas, il fila dans sa
chambre pour continuer ses recherches. Il se décida pour un hébergeur doté
d’une grande bande passante et acceptant les sites en français. En un rien de
temps, il réinstalla le forum, remit la sauvegarde effectuée in extremis du
précédent forum juste avant sa fermeture. Mais il n’était pas satisfait. Une petite
voix lui soufflait aux oreilles ; ce n’était pas parfait, il pouvait faire mieux. Le
design du forum était basique, rudimentaire, pas très poussé. Et le nom ! « Lord
of cynism », quel intérêt ? Si c’était pour ressembler aux requins de la finance,
inutile de faire un forum. Il devait trouver mieux. Phoenix nota quelques idées,
pesa le pour et le contre, et choisit un nom qui devait rester le même jusqu’à la
fin : Board Alpha. La board – le forum – des gens dignes de la première lettre de
l’alphabet grec ; les meilleurs, une aristocratie élitiste capable de traiter d’elle-
même et des autres.
Phoenix avait quelques connaissances en matière de traitement d’images. Cela
restait rudimentaire. Pas de quoi faire un design complet, mais suffisamment
pour créer une bannière, une signature, un avatar… Le design, il le choisit sur un
site spécialisé. Un bel emballage noir, avec un texte orange et de fins traits
jaunes pour les cadres. Cela respirait l’élégance et la distinction. Mais il manquait
un header, une large bannière à mettre en haut du forum, au-dessus du menu
d’utilisateur et des forums eux-mêmes. Pour combler cette lacune, il chercha un
fond d’écran, dont il pourrait découper un morceau pour le mettre dans la
bannière du haut du forum. Son choix se porta sur un sublime dessin coloré,
représentant des gratte-ciel dans des tons bleu clair. Le dessin était
extrêmement lisse, presque brillant. Phoenix le transféra dans des tons orangés à
l’aide de Photoshop. Puis il en prit un morceau, long et fin, qu’il mit
horizontalement entre deux bandes noires de la même taille. Les trois bandes –
le dessin et les deux autres le prenant en sandwich – étaient séparées par deux
traits blancs très fins. Au-dessus du dessin, à gauche, Phoenix écrivit « Board
Alpha ». En-dessous, plus à droite, « En guerre pour un nouveau millénaire » avec
une police de caractères cursive très XIXème siècle. Quand Novarch vit le
nouveau site, et en particulier le design, il félicita Phoenix pour la qualité de son
travail. « C’est peu de chose », dit Phoenix avec une fausse modestie, « j’ai
seulement pris un dessin que j’ai ensuite traité sous Photoshop ».
- Tu as choisi un bon dessin. Ca change de tous ces pseudo-forums tout faits.
Maintenant, on fait quoi ?
- Je vais recontacter les autres membres, j’ai gardé leur adresse e-mail.
- Oui, mais je veux dire… Pour « pwner » les gens, comme tu dis. C’est ce genre
de choses qui nous permettra d’attirer des membres, et de nous faire connaître.
Il faut qu’on fasse des actions, et puis qu’on les signe sur la board, avant de les
montrer à droite et à gauche. Même si les gens nous rejettent à cause de ça, on
aura au moins de la notoriété. Faire parler de nous en mal vaut mieux que ne pas
faire parler de nous du tout. Et puis que voulons-nous, sinon faire chier tous ces
nazes et les faire réagir ?
- Tu as raison, répondit Phoenix, mais de quel genre d’actions parles-tu ? On peut
en faire en vrai, mais en parler sur Internet serait… comment dire… risqué. Ou
gamin.
- Je ne pensais pas à agir IRL, mais sur le web. Il faut qu’on cheat dans Counter-
Strike, qu’on en fasse baver à un maximum de joueurs, en n’oubliant pas de faire
un max de pub. Sur les forums, pareil, on doit troller (créer des polémiques, la
plupart du temps stériles, puis prendre un malin plaisir à voir les gens se
matraquer entre eux à coups de phrases et de mots) ou pirater.
- Pirater, c’est illégal.
- Et alors ?
- Et alors, cheater n’est pas illégal. Troller non plus. Si on pirate, on a beau être
sur un serveur américain, il suffit que quelqu’un porte plainte pour que la police
demande nos adresses IP à notre hébergeur. Ca m’étonnerait qu’il refuse.
- Tu as raison, convint Novarch. Même sans piratage, le terrain des forums et des
jeux vidéo est suffisamment vaste pour faire ce qu’on veut dessus.
Phoenix et Novarch se mirent d’accord sur un nouveau type de réalisation, qui
existait déjà, paraît-il, sur certains forums américains : la « rage ». Quand on
allait sur un forum ou sur un serveur pour troller ou cheater, on prenait des
captures d’écran de chaque phrase dite par quelqu’un d’énervé. A la fin, une fois
qu’on avait beaucoup de phrases, on les découpait toutes et on les mettait sur
une seule grosse image, souvent très longue, qui se lisait comme un tract
allongé. Format : mille pixels de large, cinq à huit mille de long (pour information,
la résolution d’un écran était de mille vingt quatre pixels de large sur sept cent
soixante huit de haut, ce qui montre la longueur de l’image).

Pour sa première « rage », à publier sur le forum, Phoenix alla répandre un lien
vers lemonparty.com (un site piège, où on voyait deux vieux homosexuels tous
nus en train de faire un soixante-neuf) sur un forum bien connu. Bien que ce
forum soit un haut lieu de trollage, à cause du grand nombre de gens qui s’y
rendaient et d’une modération calamiteuse, les réactions ne tardèrent pas.
Phoenix en garda la plupart sur sa « rage ». Sous une tranche de citron et
quelques mots en écriture cursive, un longue suite de réactions s’allongeait :

« Pros2 a dit :
Je sais c’est quoi ce site de merde alors casse-toi sale boulet t’es vmt une grosse
merde t’as pas ta place sur ce forum

Riverstate a dit :
Ahhhhhh c’est horrible ! 

Vizor a dit :
Pros, t’es pas obligé de parler aussi mal. Le type qui donne ce lien est un gros
boulet, mais si tu es vulgaire, tu ne vaux pas mieux que lui.

Pros2 a dit :
J’en ai rien à foutre… ras le cul des boulets… et puis phonix casse-toi t’es qu’un
gros pervers pour aimer ces merdes, j’espère que ton père est un pédophile qui
t’encule tous les soirs et qu’après il te séquestre dans sa cave et que ton grand-
père c’est un pédo aussi qui t’encule en même temps que ton père… allez bye le
boulet

Svetla a dit :
Pros, tu as quel âge pour parler comme ça ?

Vizor a dit :
Je crois qu’on a trouvé deux boulets à la fois. Personnellement, je vote pour un
bannissement de notre ami inculte Pros2.

Champign0n a dit :
Pros faut te calmer mon coco, sinon toi non plus tu n’as pas ta place sur un
forum !

YoussefBadboy a dit :
Cliquez pas ! Je fais une demande de ban !
Younlie a dit :
Oulà…

Clad56 a dit :
Alors les merdeux vous sucez ? :P

Nintendoman a dit :
Salut Younlie, ça va ?
T’as vu Phoenix, son site porno avec les vieux  »

Quand Phoenix postait son lien dans tous les topics, obstruant ainsi toutes les
discussions d’un même forum, les réactions gagnaient en intensité.

« Joueur-ami a dit :
Je pense que Phoenix a un Q.I. de 0,0001… C’est pathétique. Quel âge as-tu pour
troller comme ça ? Ca t’amuse de montrer tes trucs dégueulasse à tout le
monde ?

Nintendoman a dit :
Phoenix, t’es pas obligé de balancer ton lien partout. On l’a vu une fois, ça suffit.

Vanquish a dit :
Il faudrait faire un bla-bla « moins de 6 ans » pour les mecs comme lui…

Linkiboy a dit :
Dégage le gnome !

Nintendoman a dit :
Et puis, quand on va sur des sites pareils, on ne s’en vante pas, pervers !

Felee a dit :
Plus demeuré que ça, tu crèves.

Linkiboy : tu peux parler du tien phoenix le con !

Felee a dit :
Tu peux arrêter avec ton lien, s’il te plaît. C’est lourd et fatiguant. »

Phoenix obtint beaucoup d’autres réactions du même genre. Il en fit des captures
d’écran et les colla sur son image, avec le soin d’un greffier. Il n’y avait pas à
dire, certains forums étaient beaucoup plus faciles à énerver que d’autres. Sur le
sien, bien sûr, il en était tout autrement. Personne (à part Novarch et Inksterna)
n’était encore venu ou revenu dessus, mais il se tenait prêt à essuyer les
attaques de personnes « normales » voulant se venger de lui. Quand un nouveau
membre s’inscrivait sur le forum, il devait dire en quelques lignes pourquoi il
s’inscrivait, donner une adresse e-mail valide, et attendre que Phoenix valide lui-
même son inscription. Ce qui contribuait à l’image élitiste et secrète du forum.
Bien entendu, les messages – à l’exception du règlement et de quelques topics
généraux – n’étaient visibles que pour les membres. Un aspect élitiste, entouré
de mystère et donnant l’impression qu’il existe un réseau d’initiés auquel tout le
monde ne peut pas appartenir, attirait toujours des visiteurs. Curieux ou
intéressés. Ou, comme ce fut souvent le cas, voulant « punir » les forumeurs de
ne pas adhérer aux mêmes idées qu’eux.
Afin d’assurer un bon démarrage du forum, Phoenix fit une campagne de
publicité tapageuse, à base de spam et de bouche-à-oreille. L’objectif du spam
sur les forums grand public était de drainer tous ceux qu’on appelait
habituellement des boulets, ou du moins ceux d’entre eux qui avaient un
minimum de jugeote. Ni lui ni Novarch (bombardé co-administrateur) ne
toléraient la bêtise, symbole caractéristique du troupeau et de ses déchets. Un
bon membre de la board devait savoir écrire et ne pas avoir de références
stupides. Autrement dit, les rappeurs à casquette à l’envers écrivant en langage
SMS étaient bannis immédiatement. On pourrait penser que la les trolls
volontaires, ceux qui « mettaient l’ambiance » exprès en créant des foires
d’empoigne, étaient plus bêtes que la moyenne des gens. Au contraire, la plupart
d’entre eux se révélait plus sympathique, plus intelligente, quand on leur donnait
l’occasion de s’exprimer comme le faisait la board Alpha. Leur orthographe était
également meilleure. En quelques jours, Phoenix accueillit vingt nouveaux
membres sérieux (il ne comptait pas ceux qui essayaient de semer la zizanie
chez lui), tous venus de forums grand public où il avait fait de la pub. Après s’être
présentés, ils discutaient de tout et de rien, ou proposaient des idées de ownage.
Parmi eux, un certain Held, fan de Wagner et de musique classique en général. Il
attira rapidement l’attention de Phoenix quand celui-ci vit le contenu de ses posts
sur un forum consacré à la musique classique. Ce forum était le seul, avec la
board, où Held se montrait le plus courtois et sympathique possible. Sur les
autres forums, il avait déjà trollé de la manière la plus extrême possible.
Plusieurs fois, il avait fait la promotion du nazisme (ce qui lui avait valu, selon
certaines rumeurs, une plainte en justice ; mais il s’était servi d’un serveur proxy
et on ne l’avait jamais retrouvé), ainsi que de la pédophilie. Son côté jusqu’au-
boutiste plut immédiatement à Phoenix. Au bout d’un mois, Held était nommé
modérateur. Il retrouvait là un rôle qu’il déjà occupé auparavant. En effet, Held
avait une histoire singulière. Deux ans plus tôt, il modérait un forum de jeux
vidéo. Un jour, las de la modération et des innombrables cireurs de chaussures
qui passaient leur temps à le flatter en espérant avoir de ses faveurs, il
abandonna son post et rejoignit le côté qu’il avait combattu pendant si
longtemps : celui des « boulets », floodeurs et autres trolls. Held se rendit
compte qu’il était plus amusant de bordéliser un forum que de le surveiller.
Depuis, il trollait ici et là.

Les débuts de la Board Alpha furent longs et difficiles. Sur les forums où Phoenix
faisait sa publicité, ou sur ceux dont il avait été banni plus tôt, des topics
incendiaires fleurissaient à son sujet. On avait créé une pétition pour empêcher le
« rassemblement de boulets » qu’il occasionnerait ; l’immoralité la plus laide, la
plus sadique et la plus vile ne se cachait même plus pour parader ; il fallait agir !
Beaucoup de nouveaux membres de la Board venaient pour flooder, contredire,
semer le désordre, avant même que les membres sérieux n’aient pu se concerter
dans le but de mener une première véritable action. Phoenix avait beau surveiller
le forum à longueur de soirées et trier sur le volet les membres acceptés, nombre
de ceux-ci se comportaient comme s’ils eussent voulu simuler une invasion de
sauterelles. Il demanda à Novarch de l’aider mais celui-ci se montrait assez
lunatique, et ses venues sur le forum étaient très variables ; selon son humeur du
jour, il pouvait y passer la soirée comme ne pas s’y connecter du tout. Afin de
railler ses détracteurs, il fit plusieurs actions tout seul, dont il mit en ligne les
résultats sous forme de collage. Sa « rage » ayant pour thème le site Lemonparty
fut bientôt accompagnée d’autres réalisations du même genre. Phoenix rendait
publique certains collages, pour provoquer ses détracteurs tout en leur montrant
sa détermination. Personne ne lui enlèverait sa liberté. Même si le prix à payer
pour la garder était un nettoyage quotidien de la board et le bannissement d’un
bon nombre de membres.
Le rôle des membres sérieux s’avéra déterminants. Les alphans, comme il le
disait, l’encourageaient dans sa tâche. Held lui dit combien il admirait son idée ;
combien, jusqu’ici, les amateurs de conflits et de « phalènes pestilentielles »
étaient restés éparpillés et isolés ; aujourd’hui, grâce à lui, tous pourraient se
réunir et coordonner leurs actions, tels des aigles jouant à celui qui ramènerait le
plus de proies dans son nid… pour la première fois de sa vie, Phoenix eut le
sentiment qu’on s’intéressait à lui, et que cet intérêt était réel. Il n’y avait plus
d’intérêts de façade, de politesse fausse dictée par les conventions sociales. Pas
besoin ! Les alphans partageaient son intérêt. Eux aussi se mirent à faire des
« rages », à sauvegarder les réactions qu’ils provoquaient pour en faire des
collages. Chacun commentait les collages des autres, s’en amusait, en jouissait ;
tout cela créa une importante émulation. Certains collages furent publiés sur
d’autres forums. Sur ceux-là, on se montra moins choqué, parfois amusé. Un
sentiment d’indulgence s’installa ici ou là envers les alphans. Et chez eux, une
véritable communauté était en train de prendre corps.
Peu à peu, les détracteurs cessèrent de s’inscrire en masse. Peu de gens sont
capables de se contraindre à une discipline sur le long terme, et beaucoup se
lassèrent de l’invasion de la board. Bien sûr, quelques contradicteurs isolés
venaient parfois, mais ils étaient rapidement bannis. Et ils ne revenaient pas. Les
principaux serveurs proxys publics étant identifiés et bannis, on ne pouvait s’en
servir pour visiter le forum anonymement.
Avec l’aide d’Inksterna et de Zatyx (un autre membre du forum), Phoenix mit en
place un réseau de serveurs proxys privés, basés sur des sites dont l’adresse
était gardée secrète. Naturellement, ils avaient ouvert ces serveurs aux Etats-
Unis et n’hésitaient pas à les « chaîner », de sorte que leur anonymat devenait
presque inviolable ; on aurait dû gagner l’accès à chaque serveur pour trouver
les adresses des utilisateurs, ce qui, à moins qu’on ouvre une enquête à leur
sujet, était impossible. Le forum devenait un réseau de compétences. On y
partagea des cheats pour Counter-Strike, on vint étendre les champs de bataille
des actions aux serveurs du jeu, pour créer des amusements nouveaux. Et une
popularité nouvelle.
En l’espace de six mois, près de deux cent membres s’étaient inscrits et
présentés (il fallait se présenter, après l’inscription, et être validé par Phoenix ou
Novarch pour avoir accès aux autres forums). Des dizaines de collages avaient vu
le jour. On avait piraté, ennuyé, attaqué un nombre incalculable d’internautes,
gâché de nombreuses parties de Counter-Strike. C’était une expansion guerrière
brutale. Elle n’aurait pas été possible sans l’union de plusieurs forumeurs actifs
sur certaines actions. Tout le monde ou presque avait derrière lui une expérience
de troll ou de « faiseur de conneries » ; mais chacun découvrait l’union, la
collectivité, rarement connue auparavant. Même derrière un écran, la
camaraderie était la camaraderie et cet aspect-là contribuait le plus à fidéliser les
membres, bien que personne n’eût jamais osé l’avouer.

Dans la vraie vie, Phoenix réfléchissait de plus en plus. Le collège l’ennuyait, et


auparavant, il attendait la fin des cours avec ennui jour après jour. Mais le temps
passé à gérer son forum, à en assurer la promotion ou à faire des « rages »
modifiait sa manière de penser. Pendant les cours, il songeait à son forum, aux
actions qu’il pourrait faire s’il était devant son écran plutôt que derrière un
pupitre. Les actions l’obsédaient tant qu’il en reprit le principe dans le monde
réel. Pourquoi se cantonner aux actions sur Internet ? Ou à pisser à côté dans les
toilettes ? Etait-il trop lâche pour agir autrement ? Sûrement pas ! De plus,
beaucoup d’autres élèves aimaient faire des conneries et il ne pouvait
s’empêcher de les suivre sur ce terrain-là. Même s’il ne pourrait raconter ses
actions sur Internet, pour d’évidentes raisons de sécurité, il aurait au moins eu le
mérite de l’action. Que les autres le sachent ou non, il aurait agi ; c’était là
l’essentiel.
Ses premières actions IRL se limitèrent à des tags dans les toilettes. Phoenix
acheta un marker indélébile dans une papeterie et écrivit divers slogans derrière
les portes battantes des latrines pour garçons. Manquant d’imagination, il reprit
d’abord des slogans anarchistes ; puis, galvanisé par l’envie de choquer et de
marquer les esprits, il passa directement aux slogans nazis et aux croix
gammées. Ainsi, dans l’une des cabines, on pouvait lire derrière la porte : « Les 6
millions, c’est du bidon ! » Et sur une autre : « Heil Hitler !  »
Les élèves n’en parlaient pas – après tout, qui se soucie d’un tag dessiné en
quelques secondes dans les toilettes ? – mais tous les lundis matin, ses tags
avaient disparu, ce qui signifiait qu’on accordait une certaine importance à ses
actes. Les slogans anarchistes, tout le monde s’en fichait ; les slogans nazis, au
contraire, devaient alarmer la direction, puisqu’on se dépêchait de les effacer.
Néanmoins, Phoenix n’était pas idiot, et il se doutait qu’une direction vigilante
ferait surveiller les toilettes. Il ne tenait pas à être renvoyé de son école et il
décida donc de changer d’activité. Fini, les tags ! Trop dangereux ! Mieux valait
trouver autre chose.
Phoenix voulait agir mais refusait les risques. Du moins, au début. Car on ne
pouvait apprécier sa vie sans jamais avoir manqué de la perdre (il avait lu cette
phrase sur un forum). Le risque zéro n’existait pas de toute façon.
Quand il en parla sur la Board, c’était l’avant-veille de mardi gras. On lui conseilla
de profiter de l’occasion pour jeter des œufs et de la farine sur les gens. Certains
alphans l’avaient déjà fait (ou prétendaient l’avoir fait) et racontaient par le
menu leurs aventures des années précédentes. Phoenix aurait bien aimé, mais
jamais il n’aurait osé le faire. Quand il n’était pas derrière un écran, il n’osait pas
affronter qui que ce soit. Les autres lui semblaient pourvus d’une présence au
monde qu’il ne connaissait pas. En sport, il était lent ; son esprit n’était rapide
que pour produire des pensées ; quelque chose le séparait du monde sensible –
quelque chose que les autres n’avaient pas, ce qui les rendait plus rapides et
plus forts. Phoenix voyait le troupeau avec un mépris mêlé de jalousie. Il ne
faisait pas partie du ballet permanent des rapports sociaux. Quand les gens
discutaient, chacun intervenait tout naturellement, comme si les phrases et les
mots étaient programmés à l’avance ; dans son cas, il devait faire des efforts
pour sortir quelque chose de potable. Qu’y avait-il à dire de toute façon ? Rien
qui se présentât à lui. Exclu de la sempiternelle suite des conversations et des
mondanités, Phoenix ne disait pas grand-chose, car il ne trouvait rien à dire. Cela
le gênait profondément, tout en lui prouvant qu’il était quelqu’un de supérieur ;
au lieu d’être englué dans la mondanité, il la regardait du dehors et pouvait
l’observer, ce dont un élève lambda était rarement capable.
Après avoir observé et subi ce petit monde, il allait peser dessus, comme on
trouble l’eau d’une flaque en y agitant un bâton. Le temps était venu d’agir. Agir
vraiment. Pas uniquement sur Internet. La vraie vie valait quelque chose ; le bleu
du ciel, la couleur mouchetée des nuages par beau temps, le lui rappelaient sans
cesse ; il ne voulait plus passer sa vie à attendre… Tuer le temps, c’était hâter la
mort sans rien laisser derrière soi. Pas question ! Phoenix voulait profiter de la
vie, y graver une trace, mourir en dansant et laisser après lui une cohorte
d’actions éperdues. La mort ne lui faisait pas peur. Du moins, c’est ce qu’il se
répétait le matin devant la glace, en se brossant les dents, afin de se donner du
courage.
A lui tout seul, il serait l’incarnation même de la board Alpha dans la réalité. Viser
haut, agir petit pour faire parler beaucoup en frappant là où ça faisait mal ; pour
s’amuser et prendre sa place, Phoenix devait se battre. Pas physiquement, bien
entendu, mais se comporter en guérillero dans son école était l’équivalent d’une
déclaration de guerre au système. S’il était pris, il savait à quoi s’attendre. Que le
jeu en vaille la chandelle ou non, il n’avait pas le choix. Être un guérillero ou être
un petit mouton lambda, se masturbant sur Internet mais incapable d’agir dans
le monde réel, là où on misait son moi physique plutôt qu’une simple projection
de celui-ci – comment se résigner au second choix ? Ne pas agir, c’était rester
dans la boue, la grisaille, incapable de s’en abstraire.
Au fil du temps, de fantasme en réflexion, d’ennui en ennui compensé par une
agitation mentale qui durait des heures et des jours, Phoenix se sentait venir une
âme politique. Pas au sens « citoyen », bien sûr ; tous les partis n’étaient que des
incarnations du système à des degrés divers, comme des vapeurs d’essence
dans une station-service ; mais l’essence ne demandait qu’à brûler… Détruire
l’oppression, le carcan, même pour le remplacer par pire encore. La masse
n’avait pas besoin de libération. Elle mendiait chaque jour ses propres fers, à
chaque fois qu’elle défendait une célébrité, un produit ou une pseudo-valeur
morale. Qu’importait la masse ? Elle ressemblait à un ensemble de souris mises
dans une cage – souris dont on pouvait faire n’importe quoi, comme Phoenix en
avait chaque jour l’intention un peu plus ferme. Dans sa tête se formaient des
convictions empruntant aux deux extrêmes. A l’anarchisme, un refus total de
l’autorité (en tout cas pour lui-même), une volonté de détruire sans repos toutes
les idoles et de tous les dogmes ; au fascisme – il confondait allègrement
fascisme italien et nazisme – son enrôlement collectiviste, sa possibilité de
transformer l’individu en un parfait rouage qu’on pouvait dérégler à sa guise
comme on s’amuse à démonter de vieilles machines. De l’anarcho-fascisme…
pourquoi pas ? Dans ses fantasmes, Phoenix voyait l’immense majorité des
individus nés pour assouvir les désirs et pulsions d’une minorité, capable de se
distinguer par les principes. Les uns dans le rôle des souris de laboratoire,
entassés dans l’immense cage du quotidien, passant à travers leur vie jour après
jour ; les autres dans celui des scientifiques, libres de prendre une souris au
hasard et de décider de sa vie ou de sa mort.
Il suffisait de s’abstraire de la cage pour endosser le rôle du savant. C’était
méritoire. Quelques-uns, seuls, étaient capables de rejoindre les rangs des
scientifiques. Il y avait là quelque chose de psychiquement facile pour qui avait
dans son esprit de quoi rejeter le lavage de cerveau quotidien. Les inscriptions
sérieuses sur son forum, toujours plus nombreuses, le prouvait bien. Les
sympathisants aussi ; beaucoup de « rages », de références à la board Alpha
fleurissaient sur Internet ; mais en actes, dans le monde réel, c’était une autre
paire de manches.

Après les tags nazis dans les toilettes, Phoenix décida d’y aller en douceur. Il
commença par la cantine. Dans une optique anarcho-fasciste, il voulait s’attaquer
aux valeurs cardinales de la société. Parmi elles, l’hygiène. Le système en était si
obsédé qu’il faisait donner dans les cantines des carottes râpées toutes vides,
aussi insipides que des sacs d’eau, plutôt que de laisser les cuisiniers faire leur
travail. Sa conception malade de la propreté aboutissait à des résultats
ubuesques. Phoenix élabora un plan pour s’en prendre directement à ces valeurs
– et aux autres élèves par la même occasion…
Deux semaines durant, il s’appliqua à salir la cantine. A sa table, il laissait un tas
de nourriture mâchée et recrachée, parfois arrosée de jus. Il posait des chewing-
gums périmés, des cuillérées de yaourt, des pelures de fruit, près des
distributeurs de sauce. Naturellement, il partait après avoir laissé tout cela
derrière lui, en restant le plus discret possible, afin de ne pas se faire prendre.
Cela l’empêchait de connaître les réactions des autres. Pourtant, il en tirait
beaucoup plus d’émotion que ce qui lui arrivait sur Internet. Le cyber-monde le
blasait de plus en plus. Vivre derrière un écran, c’était vivre par procuration. Cela
ne lui plaisait plus. A peine pouvait-il accepter ses actions d’internaute comme
divertissement dominical. Dans la vraie vie, tout se passait physiquement. Une
fois quelque chose arrivé, on ne pouvait plus le modifier. Un acte restait acte,
comme un objet occupant toujours une certaine portion d’espace. Même si l’acte
se cantonnait toujours à un instant précis, le simple fait de savoir qu’il avait eu
lieu, ainsi que le souvenir de son accomplissement, donnait à Phoenix des
émotions perdues de vue depuis longtemps. Il retrouvait l’enfant qui dormait en
lui. Un enfant joyeux, taquin, innocent jusque dans ses actes les moins sociaux.
Bien sûr, la board Alpha était toujours là et Phoenix continuait d’y aller. Mais il y
revenait avant tout pour discuter, ressentir la camaraderie qui se maintenait en
ce lieu, plutôt que faire des actions. Ses préoccupations avaient changé.
Les plans qu’il avait concoctés pour la cantine prévoyaient plusieurs étapes. Il
n’eut pas le temps de passer à la seconde, car l’année se termina avant et il se
retrouva plongé dans les grandes vacances. Tant pis, ce serait pour la prochaine
rentrée !
Pour les vacances, il se replongea avec délices dans ses errances virtuelles.
Certes, elles l’avaient lassé, mais il les redécouvrait dans un contexte particulier :
lever à onze heures, paresse permanente, entrecoupés de voyages en colonie de
vacances (où il s’accrochait tant bien que mal à de pseudo-copains, qu’on prenait
pour une semaine comme on achète un sac de couchage au supermarché) et de
séjours familiaux plus calmes. Chaque année, les deux mois d’été passaient de
plus en plus vite et il avait l’impression que le temps le poussait vers le chemin
de l’école. Les grandes vacances avaient le même effet sur lui que la forêt de
Brocéliande sur les chevaliers du roi Arthur : elles donnaient à tout une aura
magique, une touche mystique ; chaque instant devenait un baiser volé au milieu
d’une longue suite d’étreintes rêvées. Même Internet prenait des airs
complètement différents. Être « nolife » en vacances ne se limitait pas à une
conduite occasionnelle. C’était un style de vie – temporaire certes, mais style de
vie quand même. Après coup, Phoenix se souvenait aussi peu de ses vacances
que de ses cours ; il en gardait néanmoins la fraîcheur, comme un amant
coupable gardant sur ses joues la trace du rouge à lèvres de sa maîtresse.
Coupable ? Dans ses actions, décidées au jour le jour avec dolence, oui ; le temps
des conneries était infiniment délictueux, mais prenait une place bien précise,
comme le temps des cerises – deux mois de vacances offert par un Système
soucieux de se désengorger. Deux mois de liberté, sans obligation de se traîner
jusqu’au lycée chaque matin, les yeux tous collés, et d’en supporter l’ennui et
l’étouffement toute la journée… Malheureusement, toutes les bonnes choses ont
une fin et rapidement vint le temps de reprendre l'offensive – la rentrée.

Phoenix était dégoûté. Il rêvait de portes de sortie, tout pour échapper à la


rentrée, en sachant bien que c’était impossible. Aucune possibilité de retour en
arrière. C’était tout de même cruel. Début septembre, alors que les chaleurs de
l’été maintenaient leur lourdeur avec à peine un goût de fraîcheur automnale en
arrière-bouche, il fallait retourner entre les murs d’une salle de classe. Ou, pire
encore, d’une cour de récréation peuplée de débiles mentaux, tous ennemis
potentiels, parmi lesquels il devait dégotter deux-trois copains avec qui passer
les pauses, histoire de ne pas rester seul. Les vacances ressemblaient à une
traversée de l’Atlantique. Quand on commence, on ne voit pas le bout ; le temps
s’écoule avec lenteur ; et puis on réalise qu’il est déjà fin août, que la rentrée est
dans une semaine ; on met pied à terre avec curiosité tout en restant empli de
nostalgie. Au collège, Phoenix faisait son possible pour trouver ou retrouver des
copains, tout en sachant qu’il ne les verrait pas en dehors de l’école, car ils ne
voudraient pas de lui – et même s’ils voulaient de lui, quel intérêt ? Leurs
passions ne correspondaient pas aux siennes, leur présence n’était qu’une
obligation ennuyeuse, aussi lassante que les cours. Voire plus. Au moins, en
cours, on pouvait rêver ; alors que pendant une réunion sociale, on se devait de
rester toujours attentif pour ne pas devenir « l’autiste » du groupe, le premier à
perdre à la face pour ne jamais la retrouver.
Dès le premier jour, il reprit les bonnes habitudes. Même s’il déjeunait avec des
gens de sa classe, il s’arrangeait pour laisser un peu partout dans la cantine des
petits tas de nourriture mâchée et recrachée sans se faire voir. Deux semaines
après, il interrompit son action aussi soudainement qu’il l’avait commencée ; les
surveillants de la cantine devenaient de plus en plus méfiants, et comme dans le
cas des toilettes, cela commençait à devenir dangereux. Mais le plan de Phoenix
ne s’arrêtait pas là. Bien au contraire, il allait beaucoup plus loin que la simple
dispersion de nourriture sale. Phoenix déjeunait à des horaires variables selon les
jours. Parfois, il devait attendre une heure pour manger, d’autres fois c’était onze
heures et demie. Quand il put déjeuner à onze heures et demie, il entra à la
cantine avec une petite gourde remplie d’eau des toilettes. Peu de gens
déjeunaient à cette heure-ci et il put sans encombre mettre de l’eau des toilettes
dans une carafe d’eau, tout en faisant semblant de la remplir à la fontaine. La
carafe contenait un mélange d’eau sale et d’eau propre. L’eau sale n’était
présente qu’en petite quantité, car Phoenix ne pouvait utiliser une gourde trop
grosse sans être repéré. Heureusement, personne ne le vit pendant les quelques
secondes où il versait l’eau sale dans la carafe. Ce jour-là, il mangeait seul ;
personne ne se servit d’eau avec lui, et il quitta la cantine sans problème après
avoir mangé. Conscient des risques qu’il prenait en empoisonnant l’eau potable
de certaines tablées, il ne récidiva que deux fois.
Les conséquences ne se firent pas attendre. Par un curieux hasard, Phoenix
mangeait seul quand il entendit la conversation d’une tablée voisine. D’habitude,
il ne prêtait pas l’oreille aux innombrables discussions du self mais celle-ci, sans
qu’il ne sache trop pourquoi, attira son attention. Des élèves disaient avoir un
copain malade ; il avait attrapé la salmonelle, une maladie intestinale rarissime
et dévastatrice, et ne quittait plus la chambre… Phoenix sut alors, par un éclair
d’intuition si puissant qu’il ne pouvait en être autrement, que le copain en
question avait contracté la maladie en buvant de l’eau des toilettes. Son coup
avait marché. En voulant peser sur la réalité, à force d’intelligence et de courage,
il avait réussi à faire contracter une maladie rare à quelqu’un ! Phoenix riait
intérieurement en écoutant la tablée voisine.
Passé cette histoire, il changea de tactique. S’il ne voulait pas être pris, il n’avait
pas le choix. Faire toujours les mêmes coups augmentait les chances de repérage
et il se devait d’être mobile. D’ailleurs, s’il était pris en train de faire une action
nouvelle, on ne pourrait pas lui coller sur le dos beaucoup de précédents, alors
que si on le prenait à commettre une action souvent faite auparavant, on lui
ferait porter le chapeau de ses précédentes actions. Par bonheur, Phoenix
bouillonnait d’idées dès qu’il s’agissait d’attaquer l’école. Il y pensait tout le
temps ; en cours, pendant ses heures de demi-sommeil intellectuel, en
récréation, quand il avait l’opportunité de commettre ses méfaits, et même la
nuit en regardant les ténèbres depuis sa chambre. Les rares moments où il n’y
pensait pas étaient les discussions avec ses copains, aussi inintéressantes soient-
elles, et les heures de veille devant l’ordinateur. Pour la suite de son programme,
il avait d’abord songé à couper des fils électriques avec une pince, mais il finit
par écarter l’idée. Ce serait amusant mais trop dangereux. Il devait rester dans le
domaine de l’invisible, de ce que n’importe qui pouvait faire, afin de ne pas être
suspect. Quand il était entré au collège, il s’était fait remarquer dès le premier
mois en écrasant une boule puante lors d’un cours ; on l’avait seulement collé
quelques heures, mais peu d’élèves allaient jusqu’à amener du matériel
spécifique pour attaquer leur école, et son nom était sûrement quelque part.
Couper des fils attirerait l’attention sur un sabotage, donc sur l’idée qu’il fallait
amener une pince coupante pour agir. Et qui avait déjà amené quelque chose au
collège pour y faire une bêtise ? Phoenix, bien sûr… nul doute que le directeur
(qui l’avait vertement sermonné) s’en souvenait encore.
Pour l’instant, il se contentait d’abîmer le mobilier avec un canif. Plusieurs
pupitres étaient creusés de trous diversement grands. Cependant, ce genre
d’usure passive ne suffisait pas. Il devait faire autre chose en plus. Ce n’était pas
des trous qu’il voulait laisser, mais des stigmates.
Une autre idée lui était venue à l’esprit : écrire une lettre de menaces de mort à
un prof. S’il ne laissait pas d’empreintes digitales et qu’il l’envoyait d’un quartier
éloigné de chez lui, on ne pourrait pas prouver sa culpabilité. Néanmoins, le seul
à s’attaquer à un prof serait un de ses élèves, actuels ou anciens, ce qui réduisait
le champ des suspects. Un bon moyen d’élargir ce champ serait d’envoyer la
lettre au directeur. Certes, la liste des suspects resterait réduite – probablement
à ceux qui s’étaient déjà fait savonner dans son bureau – mais il ne serait pas
dessus. A part les quelques personnes récemment passées par là, l’auteur du
méfait pourrait être n’importe qui. Phoenix prit des gants, fouilla parmi les vieux
magazines de sa mère, et en découpa des lettres pour écrire une petite missive
au directeur. Le résultat final, bariolé de lettres multicolores grandes et petites,
donnait ceci :

« M. le Directeur,
Je vais vous tuer. Dites adieu à la vie.
Un élève qui vous veut du bien. »

Phoenix envoya la lettre depuis un quartier lointain – en prenant soin, bien sûr,
de ne rien toucher sans gants, pas même l’enveloppe.
Il n’y eut aucun écho. La direction de l’école garda bouche close après avoir reçu
la lettre, et rien ne parvint aux oreilles des élèves. Par contre, un changement se
fit dans l’attitude de certains professeurs. Leur dos, leurs manières de parler,
devenaient plus raides quand ils faisaient cours. A croire qu’ils surveillaient le
comportement des élèves. Phoenix, comme toujours prévenu par son intuition,
ne sortit plus son canif et se contenta de gribouiller sur les tables. Hélas, sa prof
d’espagnol – une vraie garce, celle-là ; elle avait l’œil partout et n’hésitait pas à
se moquer des élèves qu’elle notait le moins bien – le surprit. C’était par un
sombre matin d’octobre, pendant la première heure de cours, où le ciel encore
bleu roi donnait envie de se recoucher en attendant le lever du soleil. Phoenix
était en train d’écrire sur la table. Mal réveillé, pris par l’habitude, il ne faisait pas
attention à ce qui se passait autour de lui ; quand soudain…
- Pierre, qu’est-ce que tu es en train de faire, là ?
Il se figea sur place. Lentement, il leva les yeux et vit le regard menaçant de la
professeure. Elle le toisait d’un regard sévère, dressée sur l’estrade.
- Euh… rien, madame ! répondit Phoenix d’une voix mal assurée, en essayant
d’effacer discrètement ce qu’il venait de faire.
La prof, une petite femme sèche aux cheveux coupés courts, s’approcha de lui et
lui écarta le bras – avec lequel il était en train d’effacer le tag.
- Tu écris sur la table… eh bien, tu commences fort ta journée de cours, toi !
Donne-moi ton carnet !
- Mais madame, c’est tout effacé, regardez, j’étais en train de l’enlev…
- Tu me donnes ton carnet ! aboya-t-elle.
Refroidi, Phoenix lui tendit son carnet de correspondance. Elle le posa sur son
bureau et reprit le fil de son cours. Pendant toute l’heure, elle jeta au jeune
homme des petits coups d’œil méfiants, du genre « je te surveille ! » Dans un
coin, deux filles – les pétasses de service, surmaquillées et toujours en train
d’échanger des ragots – riaient comme des bossues. Phoenix était ulcéré. Non
seulement la prof lui avait pris le bras comme à un gamin de maternelle, mais en
plus, elle avait donné aux deux pouffes une énième raison de rire de lui. En fait, il
s’en voulait surtout à lui-même. Il avait fait bien pire sans qu’on ne le surprenne
jamais. Les tags nazis, les multiples dégradations de mobilier scolaire, les
innombrables tas de saleté laissés derrière lui à la cantine, l’empoisonnement de
l’eau, tout ça n’avait pas suffi à le coincer. Et à côté de tout cela, il s’en était
suffi, un jour, d’une minuscule faute d’inattention pour être grillé par le système.
Vraiment, c’était à pleurer.
Il s’en sortit avec un mot sur son carnet, un sermon maternel – conséquence
logique du mot puisque celui-ci devait être signé d’un parent, or Phoenix ne
savait pas imiter les signatures et personne ne voulait l’aider en ce domaine –
ainsi que deux heures de retenue.
Mais cela ne s’arrêta pas ici. Sous le froid humide du Paris hivernal, Phoenix
ruminait toujours ses plans et ses actions, et se fit prendre de nouveau. Et là,
c’était quelque chose d’autrement plus grave qu’un gribouillis sur une table.

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