Vous êtes sur la page 1sur 1

LE COURRIER SOLIDARITÉ 9

SAMEDI 2 AOÛT 2008

UNE SEMAINE AVANT UN SCRUTIN CRUCIAL

ACHARNEMENT CONTRE L’INDIEN PRÉSIDENT


BOLIVIE • A l’approche du référendum révocatoire, Evo Morales est plus que jamais la cible des médias.
BERNARD PERRIN, LA PAZ et grand artisan des privatisations dans les
«Nous ne voulons pas d’Evo Morales ici, il n’est années 1990...
pas le bienvenu! Qu’il reste dans les hauts pla- Plus flagrant encore, le canal de télévision le
teaux, là où l’on tue les lamas et les chiens.» Publié plus farouchement opposé à Evo Morales, Uni-
fin juin dans le journal El Deber, le message hai- tel, est propriété de la famille Monasterios, qui
neux du président du Comité civique de Padcaya possède plus de 40 000 hectares de terres dans le
(département de Tarija) a été parfaitement reçu: département de Santa Cruz. La chaîne est dirigée
le déferlement de violence qui a suivi, organisé par Osvaldo Monasterios, un ancien sénateur du
par des groupes d’extrême-droite, a finalement MNR (parti de droite), grand défenseur lui aussi
obligé le président de la République à annuler des politiques néolibérales.
son voyage dans cette municipalité du Sud de la
Bolivie. El Indio, comme se plaisent à le surnom- Plus de place pour la réflexion
mer certains intellectuels éditorialistes, s’est ain- «Lorsque la dictature est tombée, il y a 25 ans,
si retrouvé persona non grata dans son propre il y a eu une explosion incontrôlée des moyens
pays... de communication. L’Etat a alors perdu sa main-
Il a les épaules larges et solides, Evo Morales. mise sur les médias, mais ceux-ci n’ont pas pro-
L’ancien syndicaliste cocalero en a vu d’autres. fité de cette nouvelle liberté. Les grands déci-
«Je fais confiance au peuple et à sa maturité pour deurs économiques s’en sont emparés, afin d’en
reconnaître les manipulations médiatiques. On faire une puissante arme de diffusion de leur
nous agresse et on nous provoque sans arrêt, idéologie ultralibérale, et afin d’empêcher toute
mais cela ne nous fait pas peur. Qu’ils écrivent ce remise en question de l’ordre établi. Et les politi-
qu’ils veulent, qu’ils fassent ce qu’ils veulent: le ciens de droite, évidemment complices, se sont
mouvement social est imparable, et avec ou sans arrangés pour en faire un outil de propagande,
Evo Morales, la Bolivie sera libérée.» indispensable à la prise du pouvoir. Entre ces
deux blocs puissants, il ne reste donc plus beau-
Médias sous influence coup d’espace pour l’éthique journalistique»,
Il n’empêche, jamais un président bolivien commente Carlos Cordero, politologue et pro-
n’a dû faire face à un tel acharnement média- fesseur de sciences politiques à l’université
tique. Dans sa dernière édition de juillet, le men- Mayor de San Andrès, à La Paz.
suel Datos s’interroge d’ailleurs ouvertement, Un avis que partage Vania Sandoval, coor-
sur fond d’élitisme et de racisme: «Mais com- donnatrice générale de l’Observatoire national
ment Evo Morales a-t-il pu gagner l’élection pré- des médias: «La presse est totalement instru-
sidentielle en 2005, comment les gens ont-ils pu mentalisée en Bolivie. La manipulation prend
voter pour un candidat qui sait à peine lire?» But des proportions simplement sidérantes, et la
de cette campagne de dénigrement: faire «tom- polarisation est telle qu’il n’y a plus aujourd’hui
ber» le premier président indien de l’histoire de la d’espace de débat, de réflexion et d’analyses dé-
Bolivie, le 10 août prochain, lors du référendum politisées.»
révocatoire.
C’est que le «gouvernement du changement» Caractère ethnique
d’Evo Morales, qui a nationalisé l’industrie des Les médias s’en sont souvent pris violem-
hydrocarbures (quintuplant au passage les reve- ment aux gouvernements, Evo Morales ne fait
nus du gouvernement, des préfectures et des pas figure de seul martyr. L’ancien président Car-
municipalités), qui entend redistribuer les terres los Mesa en témoigne dans son dernier ouvrage,
volées aux paysans et qui veut promouvoir les Une présidence assiégée. Touché dans ses intérêts
populations indigènes, dérange les élites les plus économiques par une décision du gouverne-
conservatrices du pays. ment, Osvaldo Monasterios avait alors ouverte-
Or c’est cet «ancien régime», composé de po- ment juré de continuer sa campagne de dénigre-
liticiens de droite, de propriétaires terriens et de ment sur sa chaîne de télévision Unitel «juqu’à la
patrons d’entreprises, qui a la mainmise sur l’en- chute de Mesa».
semble de la presse écrite et toutes les chaînes de «Mais ce qui est totalement nouveau avec
télévision à l’exception d’un seul canal... Un ra- l'arrivée au pouvoir d’Evo Morales, c’est que la
pide – et partiel – survol du paysage médiatique lutte a changé de niveau. Elle n’est plus seule-
bolivien permet de mieux comprendre l’am- ment économique, elle a pris un caractère eth-
pleur de son emprise sur le monde de la commu- nique. Lamentablement, le pays est tombé, et les
nication. médias avec lui, dans une confrontation raciale»,
El Deber, le quotidien principal de Santa poursuit Carlos Cordero.
Cruz? Il appartient à la famille Rivero, ultra- Vania Sandoval analyse la situation de la
conservatrice, alliée de longue date des grands même manière: «Le processus déclenché par les
industriels du département. Puissant groupe mouvements sociaux depuis les années 1990
médiatique, l’espagnol Prisa, qui possède no- propose de changer fondamentalement la struc-
tamment le journal La Razón et la chaîne de te- ture de la société. Désormais les peuples in-
levisión ATB, défend pour sa part les intérêts de digènes existent, et désormais deux visions du
groupes économiques espagnols en Bolivie, monde s’opposent. Et l’une d’elle se bat pour ne
comme ceux du pétrolier Repsol. L’hebdoma- pas perdre ses privilèges. Dans cette lutte de
daire Pulso, lui, est dirigé par Fernando Molina, classes et de pouvoir, elle utilise les médias, ce qui
sympathisant de l’ancien président Gonzalo fait resurgir un racisme extrêmement violent, qui Des Boliviennes lisent la presse devant un kiosque de La Paz, une presse qui étrille le président. BPN
Sánchez de Lozada, chantre du néolibéralisme nous renvoie carrément à l’époque coloniale.» I

Les adversaires d’Evo Morales ont beaucoup à perdre


UN RÉFÉRENDUM
PEU DÉMOCRATIQUE
Adoptée par le parlement
Le prix des aliments est au plus haut? grante de la Constitution bolivienne – les départements de Santa Cruz, de immédiatement relancer le processus bolivien au début du mois de
Le refrain est répété sur tous les tons: estimant «qu’un vote du peuple ne peut Tarija, de Beni et de Pando sur la carte) d’approbation de la nouvelle constitution mai, y compris et de manière
c’est la faute à Evo! Le président bolivien jamais être illégal ou illégitime». retombent eux aussi brutalement sur politique de l’Etat, qui offre des droits surprenante par les partis de
accumule décidément toutes les tares terre, après les référendums autono- étendus aux populations indigènes et qui droite, la loi sur le référendum
aux yeux des médias boliviens. Mais Pourquoi un tel virage? «La presse ne mistes triomphaux mais boycottés par est le chantier majeur de son mandat révocatoire du 10 août pro-
étonnamment, ces derniers appellent peut évidemment pas en faire état, mais près de la moitié de la population. Selon présidentiel. C’est ce nouveau texte, chain favorise sans conteste
avec une belle unanimité à l’annulation la droite bolivienne est en pleine crise. les derniers sondages, deux des leurs, les actuellement au point mort, qui doit le président Evo Morales et
du référendum révocatoire, pourtant Elle n’a pas de vrai leader, elle n’a pas de préfets de Pando et de Tarija, pourraient pérenniser la nouvelle Bolivie. Cette Boli- son vice-président Álvaro
outil idéal pour chasser du pouvoir un programme, elle ne propose aucune être révoqués. Dans ce dernier départe- vie où les cholitas, les indiennes aux García Linera. Elus en 2005
président jugé si catastrophique. alternative. Son seul leitmotiv, c’est dés- ment, qui possède 80% des réserves de habits traditionnels et au chapeau rond, avec 53,75% des voix, ils ne
Motif invoqué? Le vote populaire ne tabiliser le gouvernement Morales. Et gaz naturel de Bolivie, l’enjeu est de taille. qui étaient autrefois domestiques, sont devront en effet quitter leurs
résoudra pas les problèmes de la Bolivie. elle se rend compte au final que le réfé- «Et Evo Morales a sans conteste l’occa- aujourd’hui ministres ou députées. fonctions que s’ils comptabi-
Pire, selon un éditorialiste de La Razón, rendum révocatoire censé le faire sion de reprendre l’initiative et de briser le lisent sur l’ensemble du pays
«il est une incitation à la violence entre tomber pourrait bien le renforcer», ana- bloc monolitique des autonomies dépar- Le paysage n’est pourtant pas si rose plus de 53,75% de votes en
Boliviens» et il met même «en danger la lyse le politologue Jorge Komadina. A tementales», explique Jorge Komadina. pour Evo Morales. A Santa Cruz, le leur défaveur.
démocratie». Il y a deux mois et demi, le une semaine du vote, la droite, Comité civique a d’ores et déjà annoncé
même journal faisait l’apologie du réfé- désespérée, tente dès lors par tous les Une perspective qui a provoqué un la couleur, celle de l’autonomie, encore La situation est plus délicate
rendum d’autonomie de Santa Cruz moyens d’empêcher la réalisation de la séisme à droite et qui a débouché sur un et toujours: «Si Evo Morales est révoqué pour l’ensemble des préfets,
– pourtant organisé en violation fla- consultation populaire. festival d’incohérences, notamment illus- dans le département, il faudra considé- qui ont tous été élus avec des
Selon les projections, Evo Morales pour- tré par le volte-face des préfets de la rer qu’il n’y jouira dès le 11 août d’aucun pourcentages oscillant entre
rait en effet obtenir entre 50 et 60% de media luna, qui ont annoncé avec fracas pouvoir.» 38% et 48%. Ainsi, José Luis
votes en sa faveur, malgré la perte de sou- le 23 juin leur rejet du référendum révoca- Le bras de fer continuera donc entre le Paredes quittera par exemple
La Fédération genevoise de coopé- tien d’une partie importante de la classe toire au nom de leur nouvelle autonomie... gouvernement central et le département son fauteuil préfectoral si
ration (FGC), qui regroupe une cin-
quantaine d’organisations de solida-
moyenne. A droite, c’est par contre plutôt pour changer d’avis douze jours plus tard, le plus productif de Bolivie. Et la guerre 38,1% des habitants du
rité Nord-Sud, soutient la soupe à la grimace. A la Paz et Cocha- après une réunion de crise à l’ambassade d’usure, médiatique, économique et poli- département de La Paz ne lui
www.fgc.ch financièrement, avec l’appui de la Vil- bamba, les préfets José Luis Paredes et américaine, peu encline à soutenir une tique, se poursuivra. La droite, même sans accordent plus leur
le de Genève, la rubrique «Solidarité Manfred Reyes Villa sont tous deux sur un nouvelle aventure indépendantiste. programme, ne laissera aucun répit à l’in- confiance! Quand bien même
internationale». Le contenu de cette page n’en-
gage ni la FGC ni la Ville de Genève. siège éjectable. Les préfets de la media Jorge Komadina estime par ailleurs qu’en dio presidente et à sa révolution popu- il garderait l’appui de 61,9%
luna (référence à la forme que dessinent cas de victoire nette, Evo Morales pourra laire. Il en va de sa survie politique . BPN de ses administrés! BPN

Vous aimerez peut-être aussi