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Soupçons

Benoît Huron
Routines
La radio se mit en marche à 6h30. C’était l’heure habituelle. Sébastien étendit le bras,
le doigt. Appuya sur le long bouton chargé de calmer la machine. Regarda quelque
temps le plafond. Rabattit le drap d’un geste dynamique. Se leva, nu et en sueur. Se
gratta la fesse gauche. Tâtonna jusqu’à la porte.
Il faisait déjà clair et chaud dans l’appartement. Sébastien fit coulisser la porte fe-
nêtre de la terrasse. Ferma les paupières. Entendit des voix. Jeta un coup d’œil au lourd
feuillage des arbres bordant l’allée. Rentra précipitamment.
Il se dirigea vers la salle de bain en face de sa chambre. Colla ses hanches contre le
lavabo. Fit couler le dentifrice sur sa brosse à dent. La passa sous l’eau froide en se re-
gardant dans la glace. Hésita. Posa la brosse à dent. Passa son pouce au coin de chacun
de ses yeux. S’aspergea le visage deux fois. Sourit. Reprit la brosse à dent. S’astiqua
pendant relativement longtemps. Rinça, sa bouche d’abord puis la brosse. Tira le ri-
deau rose de la douche. Souleva et poussa le mélangeur à fond vers la droite. L’eau
éclaboussa de partout. Pendant qu’il se passait du gel-douche sur le corps, Sébastien
fredonnait.
Il n’y a rien qui ne m’arrache à cette fin
N’écorche ce dessein.
Je ne vois rien qui n’efface ce chemin
Ne m’achève enfin.
Il prit la serviette posée sur le panier de linge sale. S’essuya. Étendit la serviette de-
vant le bac de douche. Elle ne tarda pas à prendre une teinte plus sombre.
Puis il mit ses lentilles et se rasa.
Dans sa chambre, il ramassa son caleçon, ses chaussettes. Chercha sans succès sa
chemise. La trouva en ouvrant le panier de linge sale. Resta un instant, sous-vêtements
à la main, figé dans sa contemplation. La jeta finalement dans le lavabo. La saupoudra
de lessive. Emplit l’évier d’eau très chaude. Revint dans sa chambre pour s’habiller.
Choisit une chemise bleu clair à manche courte et, après l’avoir soigneusement inspecté,
son jean de la veille.
Dans la cuisine, il sortit une tasse d’un des placards. Prépara la cafetière électrique.
S’assit à la table. Entama la lecture du livre volumineux qui y était posé. Ses lèvres
bougeaient faiblement et sa main gauche faisait de drôles de mouvements, une sorte de
mambo. Il versa le café dans la tasse. Le but assez vite sans cesser de lire.
On sonna. Sébastien dit Et merde. Referma le livre. Déposa soigneusement la tasse
dans l’évier. Passa dans la salle à manger. Prit son sac sur le canapé, les clés de l’appar-
tement sur le bureau de l’ordinateur. On sonna encore. Oui cria Sébastien. Il ouvrit la
porte. Laurent commença à parler. Sébastien ne s’excusa pas. Sortit. Verrouilla sa porte.

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S’assura qu’elle était fermée. Laurent n’était pas garé très loin. La voiture démarra dif-
ficilement.
Elle s’arrêta devant la boulangerie à la sortie du quartier. Sébastien descendit. Laurent,
le regard errant parfois dans le rétroviseur, tapotait sur le volant en l’attendant. Allez
murmura-t-il. Sébastien revint avec un pain au chocolat. Claqua la portière. Si tu ne
m’avais pas pressé.
C’est quand il rentra en fin d’après-midi qu’il s’aperçut qu’il avait laissé la porte-
fenêtre ouverte. La chaleur était suffocante. Sébastien déposa ses clés sur le bureau.
S’affala sur la chaise. Alluma son PC. Se passa la main sur la nuque. Enleva sa chemise
qui atterrit sur le canapé. Le système finit de charger. Sébastien ouvrit le navigateur.
Trouva l’article qui l’intéressait.
G ARDANNE, 16 août 2006 – Un adolescent de quinze ans a été sauvage-
ment assassiné dans la nuit de mardi à mercredi. Le cadavre de Y OHAN
M AHIOT a été découvert ce matin sur la place principale de Biver. Selon la
police la victime a été assommée puis violée et égorgée. La ville entière est
sous le choc face à ce crime horrible qui ne le cède en rien aux « horror mo-
vies », genre que la victime, si l’on en croit ses amis, appréciait énormément.
Il n’y a aucune raison de penser que le jeune homme connaissait son
agresseur. Personne cependant n’est en mesure d’expliquer ce que la vic-
time faisait si loin de chez lui (il habite près du lycée) en pleine nuit. Ses
amis déclarent ne rien savoir.
Nous aurons bientôt plus de renseignements sur ce qui promet d’être le
« feuilleton de l’été ».
Sébastien laissa échapper un gloussement. Feuilleton de l’été non mais ces journalistes
quand même. Il alla se chercher un verre d’eau. Vérifia son courrier électronique. Télé-
chargea le texte à traduire, de l’italien cette fois. Commença à y travailler. Il était sou-
vent interrompu par la mélodie signalant l’arrivée de nouveaux messages. Il n’en lut
aucun avant d’avoir achevé la première partie de l’article. Répondit ensuite du mieux
qu’il put. Ses réponses étaient d’ordinaire presque aussi appréciées que ses posts.
A huit heures, il se fit des pâtes. Les aspergea de sauce de soja. Mangea en lisant et
pianotant. Termina sa traduction et son courrier. Fit une pause. Ferma la porte-fenêtre.
Remit sa chemise. Sortit.
De retour, il commença à améliorer le programme qu’il comptait proposer en exer-
cice. Se lassa très vite, comme épuisé. Tant pis, on improvisera. But un verre d’eau. Alla
dans sa chambre. Se déshabilla lentement. Porta les chaussettes à ses narines. Nu, alla
dans la salle de bain. En ressortit immédiatement. Trouva une serviette dans les pla-
cards de sa chambre. Retourna dans la salle de bain. Prit une longue douche, toujours
froide. Se coucha sur le drap, le corps humide et les cheveux trempés. Écarta les jambes.
S’endormit.
L’ordinateur était toujours allumé, l’écran couvert de carrés de couleur tombant en
spirales.

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Technologies
La porte grinça péniblement. Sébastien entra à la médiathèque municipale. Monta
d’un pas vif à l’étage. Répondit Salut à un Bonjour féminin. Le sourire de Malika se
fana. Il était en avance. Agissait comme s’il était en retard. Le petit laboratoire infor-
matique, son domaine réservé disait-on, était éclairé et propre, les ordinateurs éteints.
Sébastien se tortilla. Fit glisser son sac de ses épaules. Le déposa sur le bureau long et
étroit au fond de la pièce. Brancha la prise principale. Appuya sur le bouton de sécurité
qui se colora d’un bel orange transparent. Démarra le serveur. Attendit en marmon-
nant. Alluma les terminaux. Les compta machinalement. La salle s’emplit d’un ronfle-
ment à l’intensité croissante. Cinq bips plus tard, Sébastien s’assit. C’était sa plus grosse
journée. La plus agréable aussi.
Il fouilla dans son sac. Ne trouva pas ce qu’il cherchait. Haussa les épaules. Récu-
péra en ligne l’exercice et les explications. Imprima trois pages. S’en saisit. Descendit
demander à Malika Tu pourras m’en tirer six s’il te plaît. Cela plaisait visiblement à
Malika. Sébastien voulut remonter. Elle le retint. Se précipita à la photocopieuse. Fit les
photocopies sans rabattre le volet supérieure. Un faisceau vert caressa son visage. La
couleur ne lui allait pas. Le regard de Sébastien se baladait sur le plafond, à gauche, à
droite. Il faisait craquer les jointures de ses doigts. Dit Merci en souriant. Déclina un
café. Retourna au laboratoire. Faillit trébucher dans les escaliers.
Il vérifia l’heure sur son écran. Okay. Se frotta le menton. Commença à taper. Fut
bientôt interrompu par l’arrivée de la première élève qui n’osant ni entrer ni parler res-
tait sur le pas de la porte en oscillant légèrement. Elle avait environ sept ans, était pâle
et portait des lunettes. Mais entre, entre. Elle se mit à sa place. Sébastien chargea sur
son terminal la photographie numérique sur laquelle elle travaillait. Ses deux grand-
parents, tous les deux décédés quelques mois auparavant, buvant du champagne en
tenue de soirée. Les concepts et les outils dont avait besoin Stéphanie pour améliorer
la photo et pouvoir l’offrir à sa mère étaient relativement avancés et auraient pu faire
l’objet d’un cours pour les « grands ». Mais Stéphanie était plus intelligente et plus opi-
niâtre que tous les élèves du cours de l’après-midi. Pendant les dix minutes qu’elle
passa seule avec Sébastien, elle le submergea de questions.
Les autres élèves, trois garçons, arrivèrent en même temps. Sébastien essaya d’ex-
pliquer l’art de la composition. Ce n’était pas une présentation très originale et les
exemples provenaient tous d’un manuel qu’il pillait allègrement depuis le début de
l’été. Mais il parlait un langage accessible à de jeunes enfants. La partie pratique du
cours se déroula sans surprise. Sébastien butina d’un écran à l’autre, encourageant,
conseillant, félicitant de manière honnête et mécanique, mettant juste assez d’intona-
tion à ses phrases pour les rendre efficaces.
La mère de Stéphanie vint la chercher directement dans la salle. Stéphanie ferma vite

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son canevas. Lança un regard à Sébastien qui inclina la tête. Quitta la pièce.
Sébastien ne resta pas longtemps seul. Entendant des pas dans l’escalier, il inclina la
tête en arrière. Chuchota un Non implorant et sans effet. Malika débarqua avec deux
minuscules verres en plastique marron. La conversation ne fut sans doute pas aussi
brève que Sébastien l’eût souhaité.
Sébastien ne rentrait jamais chez lui pour déjeuner. Il gardait du taboulet dans le
réfrigérateur de la médiathèque. Depuis quelques jours, Malika mangeait avec lui. Il
s’assirent à l’ombre sur la pelouse de derrière. Commencèrent leur repas en silence. De
la salade composée pour Malika. Qu’est-ce que tu chantes dit soudain Malika. Rien. Ah.
Le soleil tapait fort et les reflets du ruisseau faisaient mal aux yeux. On n’entendait au-
cun oiseau. Ah, ces mouches, dit Malika en se frappant. Sébastien portait une chemise
saumon à manches courtes. Toujours le même jean. Malika avança la main. Souleva
la chaîne qu’il portait au cou. Une croix y était suspendue. Alors ça, ça m’étonne. Fit
glisser la croix au creux de sa paume. L’inspecta. De près. La chaîne n’était pas longue.
Sébastien la laissa faire un moment puis rangea d’un geste doux la croix dans sa che-
mise. Elle était désagréablement chaude.
Malika se leva. Se coucha sur le ventre, la tête au bord du ruisseau. Attendit. Sébastien
demanda enfin Tu fais quoi. Je regarde s’il y a encore des têtards, je les trouve trop
mignons, pas toi. Non. Il rentrèrent bientôt, Sébastien ayant affirmé avoir un travail à
finir.
Il dormit en fait une demi-heure allongé sur son bureau. Se passa ensuite de l’eau
sur le visage et la nuque. Les élèves de l’après-midi furent presque tous à l’heure. Il
n’y avait que des garçons, cinq adolescents de treize à seize ans. Chacun se mit à son
poste. Effectua les manipulations pour démarrer l’environnement de travail. Chargea
le programme du jour. L’examina. Loïc fronça les sourcils. Hein. Sébastien esquissa un
sourire. Commença son show.
Expliquer le système de cryptographie RSA à des enfants, leur donner en exercice
la création d’un tel système, n’est pas une chose facile. Liam fut le premier à avoir un
mini-système capable de fonctionner. Les autres avaient des problèmes. Sébastien, ravi
de les aider, se penchait sur l’épaule des élèves, indiquait du doigt l’endroit où leurs
fonctions étaient incorrectes, leur donnait parfois une petit claque sur le bras si l’erreur
de programmation était grossière, transpirait abondamment.
La fin du cours fut dramatique. Sébastien était sur le point de dévoiler comment cra-
quer un système RSA rudimentaire, quand la directrice de la médiathèque lui fit une
petit signe du palier de la porte, le visage crispé. Sébastien s’arrêta de parler. Sortit la
rejoindre. Ferma la porte derrière lui. Quelques secondes plus tard, la directrice en-
tra. Seule. L’air d’une maîtresse d’école, elle se mit devant le bureau et annonça qu’un
autre adolescent avait été retrouvé égorgé ce matin dans les toilettes publiques de la
gare. Qu’il y avait dorénavant un couvre-feu. Que personne ne devait se promener la
nuit après dix heures. Que oui elle connaissait celui qui était mort et qu’ils le connais-
saient aussi. Qu’ils devaient être prudents. Ne pas parler aux inconnus. Signaler tout
comportement, tout individu suspect. Que la police avait plusieurs pistes. Qu’elle arrê-
terait bientôt ce maniaque. Qu’ils pouvaient appeler leurs parents s’ils voulaient qu’ils
viennent les chercher. Que ce cauchemar aurait une fin.

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Loïc se moucha. Sébastien buvait un café dans la salle de lecture du rez-de-chaussée.
Il mangea du riz à la sauce de soja sur son canapé en écoutant New Adventures in
Hi-Fi, torse nu et en bermuda. Posa l’assiette vide et les couverts sur les coussins. Se
leva. L’assiette tomba. Il dit Et merde. Ramassa l’assiette, la fourchette, le couteau. Les
déposa dans l’évier. Mit le DVD Love the cock Vol 3 dans le lecteur. Retourna sur le ca-
napé. Alluma la télévision. Tomba sur les informations régionales qui évoquaient la
« vague de crimes monstrueux s’étant abattue sur la ville de Gardanne ». Coupa le son.
Enclencha le lecteur. Commença à se masturber lentement devant une scène où trois
jeunes hommes s’ébattaient dans un sauna, le premier sodomisant le second pendant
que celui-ci faisait une fellation au troisième. Ce dernier, debout et trop grand pour
le sauna, était obligé d’incliner la tête dans une position très inconfortable. Par mimé-
tisme, Sébastien pencha la tête sur le côté. Rit. Remonta son bermuda. Éteignit.
Il se connecta à son blog « Plus fort que le diable ». Commença à écrire.
L E M ONDE daté d’hier cite Larry Summer, ex-ministre des finances amé-
ricain et futur ex-président d’Harvard, qui suggère aux banques centrales
des pays en développement de commencer à se débarrasser de leurs impor-
tantes réserves de dollars. J’écris sur ce sujet depuis bientôt cinq ans et je
suis évidemment ravi que quelques économistes y accordent enfin un peu
d’attention.
L’article (et peut-être Summers) confond malheureusement cause et effet
dans son analyse. Il sous-entend que les banques centrales accumulent ces
dollars du fait de leurs larges surplus commerciaux avec les États-Unis. Il
laisse entendre que ces banques ne savent pas quoi faire d’autre de leur
argent.
Une petite part des réserves est sans doute liée à un phénomène de la
sorte mais c’est le facteur le moins important dans l’accumulation de ré-
serves. Beaucoup plus important est le fait que les pays en développement
ne veulent pas être entraînés dans une crise financière où ils seraient soumis
aux diktats du FMI comme cela s’est produit quand Summers était ministre
des finances dans les années 90.
Cependant, la raison d’être principale des réserves est que les banques
centrales étrangères cherchent consciemment à maintenir un taux de change
élevé du dollar comparé à leur propre devise dans le but de soutenir leurs
larges surplus commerciaux avec les États-Unis. Comment la Chine serait-
elle capable de maintenir le yuan sous-évalué, sinon en achetant des dol-
lars ? En d’autres termes, la relation de causalité est l’inverse de celle suggé-
rée dans l’article. Les banques centrales veulent conserver leurs monnaies
sous-évaluées, ce qui nécessite un achat massif de dollars.
Cette politique est un moyen efficace d’augmenter les exportations, mais
il y a sans doute des moyens plus satisfaisants de soutenir la demande à
long terme. Dans tous les cas, il faut réaliser que c’est le taux de change
élevé du dollar qui crée le déficit commercial américain.
Sébastien se massa les tempes. Se gratta la tête. Redressa le buste. Pivota sur sa chaise.

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Pianota encore un peu. Vérifia son courrier. Éteignit l’ordinateur, la lampe. La pièce fut
envahie par une lumière de réverbère et les bruits du dehors. Les grillons s’en don-
naient à cœur joie. Sébastien regarda derrière lui. Alla se servir un verre de lait. S’appro-
cha de la porte-fenêtre. But. Resta longtemps debout à observer et respirer son quartier,
la nuit.

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Détente
Il se coupa en se rasant. Cela fit une toute petite écorchure qui commença à coaguler.
Lorsqu’il s’essuya le visage, il n’y avait déjà plus de sang. Il s’inonda d’après-rasage.
Se passa du déodorant sous les aisselles. Se sentit. Prit le coupe-ongles sur la tablette
d’émail du lavabo. S’assit sur son canapé. Se coupa soigneusement les ongles des pieds.
Essaya de les ramasser. Renonça. Remit le coupe-ongles à sa place. Enfila une chemise
bordeaux à manches longues, un pantalon noir. Se passa la main dans les cheveux.
Vérifia son courrier. Se chaussa. Prit ses clés. Sortit.
Ce n’était pas encore l’heure du couvre-feu. Sébastien se pressa cependant. Arriva en
avance. Sonna. Thomas vint ouvrir en disant J’ai gagné mon pari. Sandra demanda de
la cuisine C’est Sébastien. Qui d’autre. Sébastien embrassa Thomas, Sandra. Les deux
hommes attendirent les autres en regardant la télévision. Vampyrs. Sandra servit un
pastis à Thomas, du jus d’orange à Sébastien. Fixa quelques secondes le corps nu de
Sheryl Lee. Bonne actrice dit Thomas. C’est Laura Palmer approuva Sébastien. San-
dra retourna à sa salade de fruits. Ils sirotèrent. Anne arriva. S’installa par terre entre
les genoux de Sébastien. Critiqua plusieurs scènes du film. Alla chercher un verre de
jus d’orange. La bouteille. Christine et Bertrand apportèrent des chips et de la vodka.
Bertrand se posta derrière le fauteuil de Thomas. Christine resta dans la cuisine. Com-
mença à parler des meurtres avec Sandra. Anne alla les rejoindre.
A dix heures vingt, Laurent n’était toujours pas arrivé. Thomas et Sébastien élabo-
raient en riant des hypothèses de plus en plus sanglantes. Sandra dit Arrêtez. Fouilla
dans son sac. Sortit son téléphone portable. Eut Laurent. Raccrocha. Il arrive. Deux mi-
nutes plus tard, Laurent entra. Alors on se fait du souci pour moi. Il aida les filles à
mettre la table. Sandra dit aux autres Vous pourriez aider quand même. Thomas sou-
leva une télécommande, une autre. Éteignit le lecteur, le poste de télévision. Mit en
route la chaîne HI-FI (encore une autre télécommande, plus petite que les deux pre-
mières). La régla sur Sélection aléatoire. Se servit un pastis dans la cuisine. Sébastien et
Bertrand tournaient vaguement autour de la table. Se disputaient à propos de Sheryl
Lee. Bertrand la trouvait commune.
La conversation du repas fut monopolisée par les exploits de celui que les médias
locaux surnommaient « l’égorgeur ». Laurent souligna ce qui avait déjà été souligné par
tous les habitants de la région PACA, à savoir l’absence de meurtre la nuit précédente.
Cela permit à Thomas de lancer Ça veut simplement dire qu’on n’a pas retrouvé le
cadavre. Anne le gratifia d’une tape affectueuse sur la poitrine. Sébastien fut le seul à
toucher à la vodka. Il en but beaucoup sans que cela choque les autres. Commença la
partie de tarots sérieusement ivre. Réclama la bouteille de tequila.
Il jouèrent longtemps. Laurent sortit fumer plusieurs fois. Sébastien parlait beaucoup,
de plus en plus vite et fort. Thomas et Anne étaient eux-aussi éméchés. Le provo-

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quaient. Je suis sûr que tu crois pas tout ce que tu écris. Tu exagères un peu non. Tu
répètes toujours la même chose. Logiciel libre par-ci, Echelon par-là. Sébastien fit re-
marquer que Gnou était le mot le plus drôle de la langue française et qu’il ressemblait
à l’animal. Remporta la partie. Proposa de voir la fin du film. Se gava de chips et de
bière. Un autre film suivit. Anne somnolait sur l’épaule de Sébastien. Se réveilla. L’em-
brassa sur la bouche. Se rendormit. Les corps étaient poisseux. Thomas et Laurent se
mirent torse nu. Bertrand rota. Christine dit On dort comment alors. Sandra annonça
la répartition des lits et matelas. Sébastien se leva. Je reste pas moi. Il resta sourd aux
conseils, injonctions, supplications. Bredouilla des raisons peu convaincantes, incohé-
rentes. Quand on parla du couvre-feu, il dit avec agressivité Ils n’ont qu’à m’arrêter.
Quand on lui fit peur, il répliqua Est-ce que j’ai l’air d’un gamin de quinze ans. Sandra
insista pour qu’il prenne un café. Il accepta. Attendit le coude sur la table de la cuisine,
la menton dans la paume, silencieux, les yeux à demi fermés. But. Écarta les derniers
arguments. Partit en claquant la porte.
Il marcha lentement au début. Gagna ensuite en vitesse et en stabilité. S’arrêta plu-
sieurs fois pour inspirer profondément. Vit un arrêt de bus. S’assit, les mains crispées
sur le banc. Lut les graffitis. Se détendit. Une ombre mouvante lui fit hausser la tête. Un
papillon de nuit voletait dans la lumière poudreuse du réverbère. Sébastien l’observa.
Baissa le regard. Ferma fort les paupières. Les rouvrit. Distingua une autre ombre sur
le trottoir d’en face, sur sa gauche. Se caressa la tempe. Un adolescent. Il attendait visi-
blement quelqu’un. Semblait stressé. Fumait. Vit Sébastien. Se figea. Sébastien se leva
lentement. Commença à avancer. L’adolescent se sauva en courant. Ses pas résonnèrent
sur l’asphalte. Des frottements précipités. Sébastien se laissa retomber sur le banc avec
lourdeur. Resta pensif un moment. Haussa les épaules. Inspecta encore une fois la route.
Reprit son chemin, dégrisé.
Quand il poussa la porte de chez lui, il chantait.

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Linge sale
Sébastien portait le sac de linge de deux doigts appuyés sur son épaule gauche. S’en-
gagea dans l’escalier étroit. Croisa la voisine de sa mère, une femme d’environ quarante
ans, blonde. C’était peut-être sa couleur naturelle. Ils se regardèrent. Arrêt. Un pas à
gauche. Un pas à droite. Sourires. Sébastien se plaqua contre le mur. La voisine se fau-
fila entre la rampe et le sac. Sébastien la suivit du regard alors qu’elle se faisait engloutir
par la porte de lumière. Continua sa progression, le sac sur le ventre. Sonna à la porte
du 32. Une seconde fois. Posa le sac. Sortit un trousseau de clés de sa poche. Ouvrit.
Reprit le trousseau, le sac. Entra.
Il faisait sombre et très chaud dans l’appartement. Sébastien laissa le sac dans le vesti-
bule. Appela Maman. Tourna dans le petit salon. Sa mère était devant la télévision. Une
série américaine. Sur la petite table devant elle se trouvaient un paquet de cigarettes,
un verre vide, le programme télé, une boîte de cachets ouverte, la télécommande, un
cendrier qui débordait. Elle fumait. Cligna un peu des yeux quand son fils remonta les
stores. Dit Je vois plus rien. Sébastien baissa les stores à mi-hauteur. Vérifia la visibi-
lité de l’image. Les baissa encore un peu. Laissa les fenêtres ouvertes. Inspecta le lino.
L’aide ménagère n’est pas passée demanda-t-il sans obtenir de réponse. Ouvrit le réfri-
gérateur. Prit un yaourt à la vanille. S’assit sur le divan, à gauche de sa mère. Supporta
les aventures des sœurs Hallywell. Sa mère passa sur France 2. Il se leva pour préparer
une salade de riz et des pâtes en sauce. Mit le couvert. Sa mère monta le volume. Il prit
le verre de sa mère, les médicaments. Compta les cachets. Posa le tout sur la table. Se
rassit une dizaine de minutes. Éteignit la télévision. Dit Allez zou. Attendit que sa mère
se lève.
En mangeant, Sébastien lut leurs horoscopes à voix haute. Commenta les nouvelles
émissions, les anciennes, se plaignant du manque de films. Demanda plusieurs fois
l’avis de sa mère. La servit en eau. La regarda déglutir ses cachets bicolores. Recom-
mença à mâcher. Débarrassa. Fit la vaisselle. Dit une blague concernant sa mère et les
lave-vaisselle. Ne reçut aucune réaction. S’aperçut que sa mère s’était endormie sur le
divan. Essuya. Rangea lentement. Baissa complètement les stores ne laissant subsister
que de fines lignes de lumière.
Il en avait au moins pour deux lessives. Chargea la première. Ferma la porte de la
salle de bain. Prit une douche rapide. Fouilla dans le sac de linge sale pour en extraire
un slip et un T-shirt. Les sentit. Les échangea contre ceux qu’il portait. Resta pied nu.
Choisit un livre dans la chambre de sa mère. S’allongea sur le lit. Commença L’absolue
perfection du crime. Il changeait de temps à temps de position : sur le ventre le dos cam-
bré, appuyé contre le mur, ou encore cassé en deux les jambes et les hanches sur le lit
et le livre posé à plat sur la moquette. S’interrompait à intervalles plus ou moins longs.
Écoutait. Reprenait sa lecture. Le ronflement de la machine cessa. Il sortit le linge. Le

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fourra dans le sèche-linge. L’atmosphère de la salle de bain était moite et parfumée. Il
mit la deuxième lessive en route. Vérifia que rien ne restait dans le sac. Y trouva une
chaussette noire. La laissa au fond du sac. Sa mère dormait toujours. La bouche ouverte
et les doigts frôlant le tapis.
Il regarda l’heure sur le magnétoscope. Descendit acheter Femina, Psychologie et gnu/linux
Pratique. Sa mère était réveillée quand il revint. Elle avait relevé les stores. Fixait la fe-
nêtre d’un air absent. Il posa les magazines sur la table de la cuisine. Dit Je t’ai pris tes
Sudoku. Elle s’assit. S’attaqua aux grilles de chiffres. Finit vite la première. Bloqua un
peu sur le seconde. On klaxonna dehors. La lessive se termina. Sébastien fit le plus vite
possible. Prépara le thé ensuite. S’aperçut qu’il n’y avait plus de petits beurres. Nota
les choses qu’il devait apporter la semaine suivante. Sa mère lui demanda soudain Et
l’école ça va. Tu veux dire mes cours. Ça va les élèves sont gentils. Et ta petite amie. Elle
va bien. Sébastien voulut lui parler du système RSA. S’embrouilla. Finit par dire qu’il
écrirait bientôt un programme de résolution de Sudoku. Sa mère murmura Si ça peut
te rapporter de l’argent.
Les convulsions du sèche-linge étaient arrêtées depuis longtemps quand Sébastien
ferma son livre et annonça qu’il partait. Sa mère hocha la tête. Se remit sur le divan.
Alluma une cigarette. Il remplit son sac. Dit A plus. Rentra chez lui.
Sébastien dormit tard ce dimanche matin. Se leva avec difficulté. Mit ses lunettes, le
slip de la veille. Se traîna jusqu’au coin cuisine. Avala un café, un bout de pain. Tapota
sur la table de l’index et du majeur. Alluma l’ordinateur. Vérifia sa boîte aux lettres. Fut
étonné d’y trouver un email de Loïc. Le lut lentement.

J’arrête pas de trembler depuis ce matin et mes parents m’ont donné un


médicamment. Je crois qu’ils ont appelé le docteur. C’est horrible. J’ai peur.
Je veux dire je le connaissais bien et le tueur me connait j’en suis sûr. Je
lui ai même encore parlé hier et aujourd’hui il est mort. J’arrive pas bien à
réaliser. Je vous écrit à vous parce que vous seul pouvez comprendre ce que
je ressent. Vous aussi vous devez pas y croire. Dire qu’on rigolait avec lui
jeudi. Je veux pas aller à l’entèrrement. Je sais pas ce que je vais faire si on
l’arrète pas. Je veux dire je veux pas mourir. Répondez-moi vite. Je reste ici
dans ma chambre. Loïc.
Sébastien se connecta sur le site du journal local. Il y lut qu’après deux jours d’inactivité,
l’égorgeur avait de nouveau frappé. La victime était Liam Soryano, 15 ans. Le tueur
s’était déchaîné. Comme les fois précédentes, il avait violé et égorgé l’enfant mais l’avait
aussi éventré, le vidant de ses intestins qu’il avait accrochés à un grillage. Les vêtements
du petit Liam étaient lacérés, couverts de matières fécales. La police affirmait qu’elle
était sur le point d’arrêter l’assassin.
Sébastien se servit un verre de lait. Retourna à son bureau. Écrivit.

C’est gentil de m’avoir écrit Loïc. Le meurtre de Liam est une chose qui
n’aurait pas du se passer, une chose qui ne devrait pas exister. Mais ces
choses là existent Loïc. On a même créé des mots pour les décrire. Tu en as
maintenant une expérience directe et tu es sans doute trop jeune pour ça.

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Tu as tout mon soutien et si tu veux un conseil, ne te laisse pas envahir par
la peur. Ne laisse pas ces horreurs t’empoisonner. Jusqu’à ce qu’on arrête
ces tueries, seules ta prudence, ton intelligence te protégeront. Tu es une
cible maintenant. Commence à t’organiser. A réfléchir aux choses que tu
dois changer dans ton emploi du temps. Surtout rapproche-toi de tes amis.
Je n’ai encore connu personne osant s’en prendre à une bande d’adolescents.
Et si tu veux passer chez moi pour parler ou finir un programme ou regarder
la télévision ou quoi que ce soit d’autre, surtout n’hésite pas.
J’irai à l’enterrement et espère t’y voir. Pour Liam. Sébastien.
Sébastien ne sortit pas de la journée. Ne se lava pas non plus. Passa de longues heures
devant son écran, lisant, écrivant. Loïc lui envoya plusieurs messages. Il répondit à
tous. Un économiste américain l’autorisa à traduire son manuel de microéconomie. Il
n’alla pas se coucher avant d’avoir terminé et testé le programme Sudoku qu’il rédigea
dans un nouveau langage de programmation : Oz.
L’enterrement eut lieu le mardi matin. Il y eut beaucoup de monde, du monde que
Liam n’avait pas connu. Le maire était là qui fit un discours. Des politiciens locaux. Le
préfet. Un représentant de la police. Des journalistes bien sûr. Et, sans que l’on sache
précisément pourquoi, un nombre considérable d’éboueurs. Sébastien vint saluer les
parents de Liam. Dit quelques mots à Loïc. La directrice de la médiathèque pleura
bruyamment pendant toute la cérémonie et lors de son interview. Sébastien refusa de
parler à une jeune journaliste. Elle le quitta le regard soupçonneux. Se rapprocha du
représentant de la police. Sébastien ne resta pas jusqu’à la fin. Alla déjeuner avec la
directrice dans un café en attendant l’ouverture de la médiathèque.
Ils n’eurent pas beaucoup de travail l’après-midi. L’ambiance était celle d’un temps
suspendu. Cela convenait à Sébastien qui ne quitta pas le laboratoire informatique,
améliora le site de la médiathèque et fit des recherches sur la théorie des jeux. C’est
là que Malika vint le trouver vers quatre heures, essoufflée. Elle cria presque On a ar-
rêté l’égorgeur. Tu ne devineras jamais.
Sébastien écouta patiemment ses explications confuses. Les compléta en lisant quelques
articles. Resta immobile quelques secondes. Relut le dernier article. Inclina finalement
la tête sur la gauche en disant Il est bizarre ce monde.
C’était très rare pour lui d’énoncer de telles banalités.

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Asile
Un détail intrigua longtemps les enquêteurs. Aucun des adolescents tués ne portaient
de traces de sperme. La police ne révéla pas ce fait aux médias et ne put jamais justifier
cette rétention d’information qui contribua sans doute à allonger la liste des victimes
(c’est ce que disent les journalistes). L’enquête démarra de façon routinière. La police se
contentait d’éplucher les listes des hôpitaux psychiatriques et des prisons de la région
faisant l’hypothèse, correcte, que « l’égorgeur » provenait d’une de ces institutions. Cela
ne mena nulle part. Ce n’est qu’après le meurtre de Liam que la police tint enfin une
piste.
Elle se faisait appeler Stella. Elle était en traitement depuis son adolescence dans un
hôpital de Marseille. Cet hôpital ayant vu ses fonds se réduire drastiquement cette an-
née a été dans l’obligation de se débarrasser du tiers de ses patients qui furent renvoyés
chez eux. Stella ne faisait évidemment pas partie de la liste de ces « handicapés légers »
mais profita de la confusion pour s’échapper. Son absence ne fut pas rapportée par le
personnel soignant de base qui ignorait qu’elle était anormale. Ce n’est que trois jours
plus tard que l’alarme fut donnée.
Elle dut voler ou se prostituer pour se procurer des vêtements et ses armes : un cou-
teau et un vibromasseur à la forme évidente avec lequel elle mutilait ses victimes. Elle
les attirait en leur proposant des prestations sexuelles à un prix dérisoire. Sa beauté
et le fait que les adolescents ne se méfiaient pas d’une femme lui rendaient la tâche
particulièrement aisée. Elle communiquait par emails et exigeait que les enfants les ef-
facent après les avoir reçus. Liam n’effaça pas le dernier message mais le crypta avec un
programme qu’il avait écrit lui-même. Reconstituer le message d’origine fut facile. Les
enquêteurs refirent alors le tour des asiles, se concentrant cette fois sur les malades de
sexe féminin. Le nom de Stella ne fut pas long à apparaître. Ils mirent encore quelques
jours pour la localiser.
Elle avoua immédiatement, se complaisant dans les détails. Elle plaignit les familles
de ceux qu’elle avait tués. Elle expliqua sa façon de procéder, les réactions des victimes,
leurs bruits, leurs odeurs. Elle réintégra l’hôpital.
Un certain Olivier Monjoie, 16 ans, chercha longtemps l’homme brun, grand et mince
qui en lui faisant peur lui avait sauvé la vie. Avec une description à ce point erronée, il
n’était pas près de le trouver.

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