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Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet

Montebourg appelle le PS à «saisir la justice»


Par Stéphane Alliès
Article publié le mercredi 14 juillet 2010

Arnaud Montebourg veut passer à l’acte judiciaire. Dans un long budget Eric Wœrth avait eu entre les mains 6.000 dossiers indivi-
entretien à Mediapart, le député socialiste et président du conseil duels. Au point d’ailleurs que l’IGF, alors qu’elle est elle-même
général de Saône-et-Loire estime qu’«il commence à se consti- assujettie aux ordres du pouvoir, suggère la disparition de cette
tuer sous nos yeux la preuve publique d’échange de services de cellule fiscale porteuse de soupçons.
complaisance, entre un ministre chef d’une administration fiscale Lorsqu’on présente l’absence d’intervention du ministre dans les
et les fortunes qui financent l’UMP» . Pour le secrétaire national dossiers de Mme Bettencourt ou M. Wildenstein comme une
socialiste à la rénovation, il «paraît inévitable, puisque le pouvoir preuve de rectitude de sa part, chacun sait, les hauts fonction-
bloque toutes les enquêtes indépendantes, que le PS, en désespoir naires comme les syndicalistes appartenant à cette administration,
de cause, doive lui-même saisir la justice» , considérant que «le que, dans les pratiques du ministère, le silence du ministre vaut re-
parti a la responsabilité de ne pas laisser se poursuivre de tels fus d’intervention.
agissements» . Qu’en concluez-vous ?
Ne citant jamais le nom du président de la République, lui pré- Il commence à se constituer sous nos yeux la preuve publique
férant le terme récurrent du «pouvoir» en place, Montebourg es- d’échange de services de complaisance, entre un ministre chef
time que ce «pouvoir actuel se comporte comme s’il était pro- d’une administration fiscale, pourtant habituellement elle-même
priétaire abusif de la République, alors qu’il est censé n’en être impitoyable avec les citoyens ordinaires, et les fortunes qui fi-
que le locataire» . Avant de dénoncer dans le détail «la brutalité nancent l’UMP. Un système de trafic d’influence au stade indus-
avec laquelle le pouvoir exerce sa pression contre tous les contre- triel et assuré de son impunité. Nous sommes parfaitement fon-
pouvoirs» . dés à demander la dissolution administrative de l’organisation “Le
Que vous a inspiré la prestation de Nicolas Sarkozy, lundi sur Premier Cercle” en raison de ses activités contestables.
France 2 ? Par ailleurs, le fait que le ministre du travail ait décidé de démis-
C’est un président de la République en difficulté, pris dans la sionner de ses fonctions de trésorier et son épouse de son poste
signification profonde de sa politique : dureté pour la classe d’employée de Mme Bettencourt est la double démonstration de
moyenne et les classes populaires, privilèges pour les fortunes et la validité de nos soupçons de prises illégales d’intérêt, évoqués
les patrimoines supérieurs. Toutes les ficelles du métier d’acteur par plusieurs orateurs de notre groupe parlementaire (Elisabeth
ont été convoquées, avec d’ailleurs un questionnement qui n’était Guigou ou Bruno Le Roux).
pas en rapport avec la gravité de la situation. Il est pénalement interdit à tout dépositaire d’un pouvoir public
Le fait majeur de cette période, c’est la brutalité avec laquelle le d’avoir un intérêt quelconque dans une entreprise dont il a la sur-
pouvoir exerce sa pression contre tous les contre-pouvoirs : les veillance. Or, nous sommes en présence d’un ministre du budget
magistrats surnommés «petits pois», les journalistes rabaissés à qui dispose de la surveillance particulière de la première fortune
la méthodologie fasciste, et l’opposition à l’art du complot et des de France, et qui ne peut donc pas recevoir de financements di-
officines. La vérité est qu’il a été mis à nu un système d’échange rects pour sa propre association de financement. Ni même faire
de services entre les très grandes fortunes françaises et le pou- employer sa propre épouse par cette contribuable au pedigree
voir actuel, qui ne s’arrête pas à l’affaire Bettencourt, car les unique, pesant 17 milliards d’euros de patrimoine. Car il est dé-
traits de l’affaire Wildenstein lui sont similaires : usage de socié- montré qu’il en a eu la surveillance effective, puisque son cabinet
tés écrans et de paradis fiscaux, dénonciation à l’administration avait connaissance de la dénonciation de fraude fiscale par le par-
fiscale du comportement d’un contribuable très fortuné, inertie quet de Nanterre, au sujet du dossier Banier-Bettencourt.
de l’administration fiscale, appartenance au “Premier cercle” des
grandes fortunes qui financent l’UMP. Combien en découvrira-t-
on d’autres ? «Le PS a la responsabilité de ne pas laisser se poursuivre de tels
agissements»
L’affaire ne cesse donc pas selon vous, malgré les conclusions
du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) ? Avec Ségolène Royal, vous avez été les deux socia-
listes les plus radicaux dans la dénonciation de l’affaire
Le rapport de l’inspection générale des finances, qui n’est que le Wœrth/Bettencourt. Mais le PS et son groupe parlementaire
rapport de M. Baroin au sujet de M. Wœrth, a eu au moins le mé- ont choisi d’adopter une stratégie plus modérée, en tenant le
rite de montrer que la cellule fiscale du cabinet du ministre du rôle de ?poseurs de question ?. Après trois semaines, quelle

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évaluation faites-vous de cette stratégie ? condamnation infligée à une femme qui voulait nourrir ses enfants
Les orateurs socialistes ont joué un rôle très important en ques- par un malheureux larcin...
tionnant sans relâche, sous les hourvaris de la droite. Mais les Ne serait-ce pas manquer de responsabilité, quand on est un
contre-pouvoirs sont aujourd’hui paralysés. D’abord parce qu’on parti de gouvernement, à deux ans d’une élection présiden-
protège Eric Wœrth, de peur peut-être qu’il ne dévoile ses secrets. tielle ? Un reproche qui vous avez déjà été fait en 2000 par la
Puisqu’il faut le sauver à tout prix, le pouvoir a décidé d’empê- direction du PS, lors des affaires Chirac, quand vous vouliez
cher la création de toute forme d’enquête parlementaire relevant saisir la Haute Cour...
pourtant de la responsabilité et du contrôle politique que le Parle- Je suis né dans la Nièvre, dans la circonscription de François Mit-
ment doit constitutionnellement exercer sur le gouvernement. terrand, en 1962. J’ai beaucoup appris de l’homme qui nous mena
Ce même pouvoir refuse obstinément de faire ouvrir une informa- à la victoire. Deux ans avant la présidentielle de 1981, il brava la
tion judiciaire entre les mains d’un juge d’instruction indépendant loi en participant à Radio Riposte. Il fut même poursuivi par la
du gouvernement. Enfin, il cherche à maintenir un contrôle poli- justice giscardienne. Cet homme nous a enseigné à n’avoir jamais
tique de la procédure, par un procureur qui n’a juridiquement pas peur. Mais là, en l’espèce, il ne s’agit pas de braver la loi, mais de
les moyens d’éviter l’effacement des preuves. la faire respecter. Comme pour tout un chacun. Si les socialistes
C’est-à-dire ? ne font pas vivre au quotidien l’esprit de justice, qui le fera ?

Il ne peut pas perquisitionner sans l’accord des intéressés. Il ne Certains à gauche estiment qu’il ne faut pas faire le jeu du
peut placer sur écoutes. Il ne peut pas décider un certain nombre Front national et du ?tous pourris ?, privilégiant le débat sur
de saisies. Et surtout, le procureur chargé de l’enquête est struc- la réforme des retraites...
turellement lié au pouvoir sur lequel il est chargé d’enquêter. En- A mes yeux, il s’agit du même combat. Se battre contre la collu-
fin, il est en situation de violation des obligations déontologiques sion et la connivence entre les très grandes fortunes et le pouvoir,
d’impartialité, puisqu’il est lui-même impliqué dans l’affaire sur c’est aussi se battre contre la dureté avec laquelle ce même pou-
laquelle il s’est chargé d’enquêter. voir fait payer la crise au monde du travail dans la réforme des
Revenons-en aux socialistes... retraites.

La lutte des parlementaires du groupe PS pour obtenir la saisine Il faut s’interroger sur le silence que nous aurions pu observer
d’un juge d’instruction indépendant est un juste combat. Et il de- dans cette affaire. Si nous avions décidé d’agir autrement, est-
vra, quoi qu’il en coûte, triompher. Néanmoins, ce n’est pas au PS ce que finalement la sensation de manger du même pain que le
de se transformer en juge d’instruction. Il n’en a ni les moyens, ni pouvoir, ou d’appartenir aux mêmes cercles, ou de vivre de la
la qualité ni l’esprit. Et il me paraît inévitable, puisque le pouvoir même façon, n’aurait pas été d’une certaine manière soupçon-
bloque toutes les enquêtes indépendantes, que le PS, en désespoir nable, même si cela était infondé ?
de cause, doive lui-même saisir la justice. Sur les retraites, nous avons proposé un contre-projet qui est fi-
Par quels moyens ? nancé, qui n’est pas opposé dans son principe à une réforme des
retraites, mais qui partage différemment le fardeau entre les dif-
Dans la mesure où il semble évident que le financement de l’UMP férentes catégories sociales. Nos contre-propositions promeuvent
s’est accompagné d’infractions pénales, il est parfaitement fondé le principe d’égalité devant l’effort. C’est cet esprit égalitaire
à s’en plaindre devant toutes les juridictions compétentes, et qui qu’on retrouve dans le combat contre les abus de M. Wœrth et
ne sont pas dépendantes du gouvernement. Il reste à déterminer de ses amis. Là où la gauche se bat pour l’égalité, la droite orga-
lesquelles. nise méthodiquement les privilèges fiscaux, sociaux et judiciaires,
Devant la cour de justice de la République ? sans oublier ceux issus des distinctions indues relevant d’un ordre
prestigieux : la Légion d’honneur.
Il s’agit d’un système de financement occulte et illégal qui doit
être mis à nu, or cette juridiction cantonne son champ d’investi-
gation aux infractions commises par les ministres, ce qui en l’état «Ce n’est pas seulement le pouvoir qui est atteint, mais la réputa-
paraît insuffisant à la manifestation de la vérité que nous recher- tion même du système politique»
chons.
«La droite organise méthodiquement les privilèges fiscaux» Que vous inspire cette séquence actuelle, dans ce qu’elle ra-
conte de la Ve République, vous qui plaidez pour un change-
Vous pensez que le PS aurait cette témérité ? ment de régime institutionnel ?
Le parti a la responsabilité de ne pas laisser se poursuivre de tels Je crois que nous sommes entrés dans une crise de régime pro-
agissements. La justice est impitoyable avec le citoyen ordinaire. fonde, car ce n’est pas seulement le pouvoir qui est atteint, mais
Elle ne pardonne rien à l’homme de la rue, il lui arrive même c’est la réputation même du système politique dans lequel il évo-
d’être aveugle et injuste, je pense à ces gardes à vue utilisées de lue. Le pouvoir actuel se comporte comme s’il était propriétaire
façon excessive, à ces peines de prison disproportionnées, à cette abusif de la République, alors qu’il est censé n’en être que le lo-

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cataire. Ces dernières années me font penser un peu à ce qu’on les collectivités locales ont l’obligation d’équilibrer leur budget,
aurait pu dire en Angleterre, si on avait aboli la monarchie sans celles-ci perdent leur liberté de fixer leurs choix politiques, chè-
même avertir la Reine. Il en est de même de la République en rement conquise lors des grandes lois Mauroy sur la décentrali-
France. sation. Les élus deviennent les administrateurs involontaires des
Les pratiques abusives de contrôle par le pouvoir sur les juges politiques que l’Etat leur inflige, contre tous les principes procla-
mènent à l’arbitraire. Comme dans l’affaire Clearstream, où un més pourtant par le Constitution.
tribunal a été instrumentalisé à des fins de règlement de comptes En Saône-et-Loire, pour éviter la mise sous tutelle par le préfet,
entre rivaux politiques. Dans cette affaire, la justice a été empê- donc pour éviter de donner au pouvoir ce qu’il n’a pas réussi à
chée de fonctionner normalement, pendant qu’elle fonctionne à obtenir par les urnes, j’ai dû faire voter un plan de sauvetage
plein régime pour les citoyens ordinaires. Ce qui ne manquera me conduisant à réduire de 56 millions d’euros mes dépenses
pas d’attiser, dans l’esprit du public, le sentiment de ne pas être et augmenter nos impôts de 13%. Mes vice-présidents et moi-
assujetti aux mêmes lois. même menons une politique à la Georges Papandréou, digne du
Les grands services publics de l’audiovisuel sont dans la main du gouvernement de la Grèce en péril financier. Exclusivement parce
pouvoir. Lundi soir, David Pujadas, qui est un grand journaliste, que l’Etat doit à mon département et à ses contribuables 58 mil-
était dans une situation impossible : devoir poser des questions lions d’euros. J’ai déjà fait condamner le premier ministre devant
désagréables à son propre employeur, au moment même où le le Conseil d’Etat. Les départements vont désormais s’unir pour
président de la République choisissait en coulisses le directeur de saisir ensemble les tribunaux et obtenir les centaines de millions
l’information de France 2. Ce retour de l’ORTF est une menace d’euros qui leur sont dus, et faire respecter leur liberté garantie
de discrédit pour la République. par la constitution.

Le Parlement est désormais marginalisé dans des proportions ja- La Ve République permet à ceux qui exercent le pouvoir de faire
mais constatées depuis quatorze ans que je siège à l’Assemblée. le contraire de ce qu’elle proclame pompeusement dans ses prin-
Dans les commissions, les présidents UMP n’acceptent plus les cipes. Cet écart entre ces principes, les discours et les actes, fait
débats. Les discussions sont désormais limitées dans l’hémicycle le lit malheureux de la violence, de l’amertume et de la radicalité,
en empêchant l’opposition de s’exprimer. Les lois sont enfilées qu’il faut rejeter pourtant à tout prix.
comme des perles, sans surprise et sans fausse note, faisant res- La VIe République que vous appelez de vos vœux n’a pas
sembler le rituel parlementaire à la liturgie de la messe en latin. franchement progressé dans les esprits des présidentiables,
Quant aux mécanismes de mise en jeu de la responsabilité poli- que l’on n’entend pas sur ce sujet...
tique, ils ont régressé, encore. Pas de commission d’enquête, pas La France est un pays sur le déclin qui a besoin de se transfor-
de contrôle sur les nominations du pouvoir, pas de contrôle sur mer en profondeur. Elle ne réussira pas à se redresser sans l’appui
la politique étrangère. La réforme Sarkozy, à laquelle certains à massif de la population. Là où la Ve infantilise et déresponsabi-
gauche ont cru utile d’apporter leur voix, est un recul sensible lise, la VIe placera le citoyen en situation de porter lui aussi les
pour la démocratie française. valises de la maison France, en prenant sa part de responsabilité
Les collectivités locales, enfin, sont en perte de souveraineté accé- dans les compromis politiques qu’il faudra bien construire, pour
lérée, étranglées financièrement par les stratagèmes politiques du lui redonner la place qu’elle mérite. Dans l’esprit des Français qui
gouvernement, qui supprime les recettes pendant qu’il surcharge ne l’aiment plus, mais aussi dans le reste du monde qui détourne
abusivement leurs dépenses obligatoires et contraintes. Comme malheureusement le regard.

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