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7) e e ° e) @ y » 4 - ‘% ot , Pt ) ) 2 4 , i ) i f d a ) ) ) 4 ) : ) a : HAA OS AAV OD - Dod, ANTOINE BERMAN POUR UNE CRITIQUE DES TRADUCTIONS : JOHN DONNE Ouarage palit cele encour che Centre ational du tore uf GALLIMARD INVENTARIO N’ SO 6 FR © Eins Galliard, 1995, NOTE DE }'EDITEUR Si fai pris la responsabilité de Védition de ce manuicrit cet parce que «Youvrage que voici est né dans les circonstances que voici». ‘Anioine Berman ex mort & quarante-neuf ans, le 22 novembre 1994 ‘Au cours des trois mois pendant lesquels a sévi sa brucale maladie, a ‘crite vee, wit et jour, sans relche, Il éerivait sur ds cahiers 'coier, Tune écriure fne et précise sur un coin de la table dela salle manger, entouré deses enfants, dans une concentration extréme. Al'bipital, ine se oouchait pas, transformant con lt en une étende couverte de livres et de papiers. A mesure qu'll avangait dans son travail lreprenait son texte sur de nouveaux cahiers et me demandait de jeter les cahiers antérieurs, Crest sous cette forine que ce livre est né: dans sep cahiers décolier, spirale 8 couverture écossaise bleu et rouge. Sur la coaverture du cahicr 7, une photocopie en couleur, découpée et cellée, d'un portrait de John Donne: un visage émacié ct, d’aprés Michel Deguy ~ mais ele eis aust ~ une cortaine ressemblance avec Antoine, Parfois Amoine me lsat des passages qui vena d it également pour des amis qui hi rendaient visite, a Mhdpical, ou & la maison. C'étient des lectures a voix haute ~ mais je me savais pas encore & quel point cece voix résannerait dans le livre. Lectures réperées de I Introduction! », ou encore Péguy, Pasternak, Benjamin... Nous !écoutions, pris dant la voix de V'rieure et dans sa permanence. Les mots que nous encendions démancelaient la forceresse médicale. Le pobte n'est jamais talade «Mon corps, ce papier, ce fea'.» Corps transmué en éeriture. Le ‘poime est peutstre In seule forme Wécciwure & avoir une voix, Non pas clans Je sens ou il serait fait pour étce dit mais dans la maniére dont le dit “du poime se fait entendre, Batce & cause de cela, par la présence unique de cete voix du poéme, r&:onance pure de 'écriture esentiele, que, dans In wists, le podmic ext consolation ? Aude des oppestions de'« oral » et de Ie rit ily a la voix de I'éeriture. Ce ives, oi nous entraine la pensée heureuse et calme, péremptoire et ouverte de ton auteur, parce Auil est tout entier pris dans le rayennement du poéme de Donne, a lui 3 COOCES 2 ERT se ) ) ) Pace que ‘ce lives ext un acte derture il ext ire comme un tvre acheve. Acte singulier, ieévenible, qui now donne 4 penser. «La limérature [J a bien pour idéal ce moment [..] a "ka vie pore la mort ‘tse maintient dans la mort méme” pout obenir delle Ls poate et ta Werte de Ia parole». «La mort {.-] et Pectrime (.-]. Qui cispoce Pale cispor exrémemant de aim, Blanchot, Respectant Mintégeté du texte, le eravil edition de cet ouvrage a seulement coninté A compléter ce qui devait Yate: quelques citations ‘anquantes ou des note [aides en blanc, L’auteur prévoyait un chapitre de pl, peuétre un Epilogue (comme en témoigné un plan dactylogray phié) ei ~ dans le cahier 3 si pages blanches pourraien indiquer une facune. Ua seal chapitre~ celui qui trite dela traduction de Donne par ‘Auguste More, éeic sur der folie volentes ~ étit inachevé. Dans Te totrodetion », Pauteur luk accordat ane place adie Pansiyee de la tradvetion de Philippe de Rothchild ct celle d'Octavio Paz. Pout préserver la continaté du texte exstant, le chepitre aur Morel a été pact apne Vanalyse dela teaduction de Pas, sans changer pour autant I [ne ‘woduction » a flu également moder la tabte dei matieres qui comporisit des imprécisons ou des répétitions. L’auteur voulaitaldivicr Vouvrage en deux grandes partes (ef. e plan) ou en trois? La seconde solution © &t¢ retenue elle place au erur du livres analyaes des traductions de Donne ‘Deus: notes ont été ajoutées,sgnalers par an asterisgue ce places en bas de page ‘Jens remercier ii Piere Leyris ainsi qu'Evanghélo Btsris pour Yale quis mont apporte, Je dois & notre smi Pierre Leyrisploseus Festus éciairées et minutieuses du mancscrit et une disponibilte de tous {es instams, Grace 4 Evanghélos Bitoris Ja plupart des rélerences ‘manquaniag ont pu éte etrouvée, et es conse Coujours juss ont guide edition du livre, “Jevemetcie également Claire Miguel done tention portée a sasie da tiamuserit eles uombreases remarques ont été précieses. Merei enfin & Georges Oliver Chiteaureynaud et la Socité des geng de letzes, 3 Marie-Claude Bernage, Cécile Gaudin, Nathalie Savary, Michel Carain, Jean-Pierre Berman, Brigit Fichot, Nella Melege, Rebecca Peyrelon, Vincent Orssaud, Paul Bensimon, Yves Bonnefoy Isabelle Berman, 1, ldueon & "Por ge ies date Jot Doe pe [Dat Michel Deguy, dis janvier 1982, 8 Bu, 80, Bali, Pare 2M, Foweut He deaf ge dip, Gala, cl, Bibothiqu des Hlntoies, Pas 1972, Appendice,p 30% anc Bnshor cat Hage! f'De Ke & Kel, Gaiman, co. FoEsai, i, 35, “eid, 188. a Isabelle Nicolas Alesandre INTROPUCTION Liouvrage que voici est né dans les circonstances que voic Depuis plusieurs années (1985 exactement), je travaillais & un livre sur la craduation en France du XIV‘ ats Xvi siéele, centré sur les figures de Nicole Oresme, Jacques Amyot, Joachim du Bellay et Perrot d’Ablancourt. Mais le livre, comme on dit, trainaitla patte. Pour toutessortes de raisons, le tempsme faisait défaut pour y travailler continiimert. Par ailleurs il exigeait des lectures étendues de sources primaires et secondaires et, plus fondamentalement, une pénétration des mondes des xIV%, XVI et XVI sidcles qui n’allait pas de soi. Habter Punivers du romantisme allemand, c’est-a-direla fin du XVI" siécle, m’avait été beancoup plus aisé. La remontée «archéologique » vers Amyot et a fortiori Orestne n’autorisait aucun: intimité immé- diate. Néanmoins le livre avangait, lentement, année aprés année, nouvelle version, enrichie de nouvelles lectures, aprés nouvelle version. Mon impression d'ignorance, ou plutst, de savoir lacunaire, diminuait. Mais le travail & accomplir restait considérable, Bt le temps que je pouvais lui accorder toujours aussi réduit, Par ailleurs, un sentiment tenace m’habitait : ce livre serait-il Ia vraie «suite» de L'prewe de Uétranger? Ne scraitil pas op « Erudit », trop « historique »? En me posant ces questions, je pensais évidemment aux lecteurs de L’éprevae de éranger dont j'avais pu connaitre les reactions. N’attendaient- ils pas un « autre livre » que.celui que je préparais laborieuse- ment? Hl me le semblait parfois. Mais quel livre? Je n’avais aucun autre livre en téte, du moins pour "immédiat. Enfin, tout cela était me donner trop d'importance. Wy a un an, je dus entreprendre, pour Puniversité, la n 4 ( GOGO OGOOUAA- COC OO 3.3.3) SER ) rédaction d'une « synthése » de mes « travaux > sur la traduc- mn, Cestracdire de L'éprauve de Vétranger et des divers textes et articles que javais publiés depuis 1984, ou méme avant, La ‘encore, les choses furent au début trés laborieuses. « Synthéti- ser» Léprewe de Vltranger fut particuligrement difficile. Mais tout changea lorsque jen vins & l'un des chapitres de la synthése consacré 4 mes « analyses de traductions », Dans mes séminai- res du Collige international de philosophic, javais fait beau- coup d’analyses de traductions, par exempie de Le tdcke du traductew de Walter Benjamin, par Maurice de Gandillac, du Paradis perdu de Milton, par Chateaubriand, d'Antigone, par Holderlin, de L*Endide, par Klossowski, d’un conte de Grimm, par Armel Guerne et Marthe Robert, etc, Pew & peu, encore que de maniére improvisée et embryonnaire, s'était ébauchée, sinon une «méthode », du moins une forme d’approche des traductions. Pour ma synthise, javais choisi la derniére analyse faite au Collége international de philosophie (1989), celle dun potme de John Donne, l'élégie XIX Going to bed, un des plus beaux « potmes d'amour » que je connaisse. Dans mon sémi- , je commentais 'élégie et la confrontais a deux tradue- tions frangaises (Yves Denis, Philippe de Rothschild) ct & une traduction mexicaine (Octavio Paz) En reprenant le texte de mon séminaire et en cherchant & adapter pour ma synthése, il sé passa quelque chose’ d’im- prévuis le chapitre en question se mit & grandir, grandis, jusqu'au rfloment oa il me devint clair que cette partie de la ‘synthése (intitulée initialement « Les analyses de traductions ») désirait devenir un lire. Un livre qui était A la fois, ou restait, comme dans la synthése, un ouvrage sur la critique des traduc- - tions, sur le genre « critique des traductions » et un ouvrage sur John Donne, ses traductions (anciennes) et sa (future, désira- ble) retraduction. ‘Tout alors se mit aller trés vite, et le livre s’écrivit dans une sorte d'impatience qui n’excluait cependant pas la patience de multiples réécritures et de trés nombreuses lectures ou relectures venant étayer le travail d’écriture, Déja, en avangant, jt voyais un certain nombre d'interlocuteurs, de’lecteurs du livre, dont plusieurs étaient ’ailleurs maintes fois €voqués dans celui-ci Je wécrivais pas tant pour eux qu’acec eux. ‘Jai dit que Pouvrage, tout en s'éant désormais déployé corime ouvrage, était resé ce quit était dans la synthése. Cela 12 renvoie a sa division en drut parties bien distinct, 1a premitre tant, tout & fait académiquement, la propédeutique épistémo- Togique de Pautre. Cette propédeutique, peut-étre utile, voire nécessaire dans la synthése, n’était pa) obligatoire pour un ouvrage sur John Donne et ses traductions. Mais jai préféré laisser les choses telles qu’elles avaient &é fixées initialernent. La pre arti de Pray rte dela equ des radu tions, présentée comme Pun des genres ¢e la Critique, avec un C majuscule. Pour moi, la’ Criique, outre qu'elle représente tune véritable institution, est. réelle dans les grand critiques cidentaux depuis le xvi" siéele, ec surtout depuis le « pere fondateur» de la critique moderne, Friedrich Schlegel: au Xx" sidcle, lle est réelle pour moi avec des figures comme Walter Benjamin, Leo Spitzer, Hugo voa Hofmannsthal, Ezra Pound, Boris Pasternak, Valery Larbaul, Maurice Blanchot, Roland Barthes, Gérard Genette, Octavio Paz, Jorge Lais Borges, Hans Robert Jauss, Roman Jakobson, Jean Staro- binski, Giuseppe Ungarett, Michel Deguy ~ je cite péle-méle Jes noms qui me viennent& esprit, mélangeant les plus grands aux moins grands, ceux qui n'ont été « cue » critiques et ceux qui ont été surtout podtes ou écrivains, ceux qui ont voulu étre «scientifiques »et ceux pour lesquels a e-itique appartenait au mouvement de leur propre ceuvre, Tous, avec passion et rigueur, ont écrit sur d’autres ceuvees; tous ont contribué a bitir ce grand édifice de la Critique qui est au service des ccuvres, de leur survie ec de leur illustration, et des lecteur. A partir de ces grandes ceuvees critiques que je n'ai cessé de lire et de relive depuis trente ans, a parts, surtout, de Schlegel ex de Benjamin, je dessine dans cette premiére partie les contours d'une cridique des traductions qui viendrait constiuer Yune des ales de Védifice critique. Jessale de montrer son sens, sa nécessité et sa postivité Mais cette critique n’existe-telle pas déja? Et sous les formes les plus diverses? Et sans doute depuis le xvii sile ? Oui et non, Il existe depuis l'Age classique des recensions critiques de traductions, of « critique » signifie jugenen! (en langage: kan- tien) ow éoaluation (dans Ie langage d'une moderne école de traducteurs). Mais si critique veut dire analyse rigoureuse dune traduction, de ses traits fondamentaux, du projet qui lui a donné naissance, de Phorizon dans lequcl elle a surgi, de la 8 position du traducteur ; si critique veut dire, fondamentale- rent, dégagenent de la vérté duns traduction, alors i faut dire que I critique des traductions commence & peine a exister. Ce que l'on trouve le plus souvent, ce sont des analyses comparatives, produites dans les contextes les plus variés. Il y en a beaucoup, qui vont des plus naives et des plus simples aux plus fouiliées ct étendues. Mais justement parce qu’elies appa- Taissent dans des contextes d’écriture & chaque fois différents, clles n'ont pas de forme splefique. Elles ne nous aident done pas A constituer un « genre ‘st ailleurs quill faut chercher, sinon des modéles, du ‘moins des exemples consistants dun tel genre, Il en est, dans Vetat actuel de mes connaissances, deux, qui produisent pat consequent deux formes d’analyses ou de critiques de traduc- tions Ta premiere est celle qu’a inaugurée, il faut le dice, Henri ‘Meschonnic avec ses fameux textes sur les traductions de Celan, dela Bible, de Trakl, etc. Cette forme de critique a ici une forme négative, et méme polémique, qui correspond a ce que Benja- min a appelé « Pinévitable moment négatif de ce concept [de critique en général] '». Meschomnic, sans nul doute, a eréé une véritable forme, lige chez lui & tout un édifice théorique qui ne nous concerne pas ici (poétique, théorie du rythme, etc.) Jesiaic de dégager la logique de cette forme et ses traits Yondamentaux ; je souligne sa positivite et, en méme temps, que cette logique comporte (peut-dtre & cause de la persoanalité méme de Pauteur) d'unilatéral et, pariois, dinjuste au sein de sa juistesse méme, : La seconde forme est celle que propose Wécole dite de ‘Tel-Aviv (Even-Zohar, Toury) qui développe une « sémioti- que» de la traduction elle-méme coiffée par une sociocritique les traductions, ou plutét de ce’qu’elle appelle la « littérature traduite », C'est au sein de cet ensemble sociocritique que Pon trouve et des analyses de textes traduits, et une rellexion théorique sur analyse cle traductions, L'école de Tel-Aviv test pas trop connue en France, mais il y a longtemps qu'elle a.des adeptes aillcurs, notamment en Belgique (Lambert, etc.) et au Canada (Brisset,etc.). De semblables courants, qui visent & une 1, Le empl eri ellie dn romania allrand, wad. Ph. Lacoue- Labarihe et A-MC Lang, Rammaton cl « a pope m eet, Pac, £986, peas. 4 théorie « culturelle » de la traduction, se développent aussi cn Allemagne et en Autriche (Snell-Hornby, etc.) sans donner ‘néanmoins lieu, que je sache, a des analyses de traductions stricta sensu. Dans ensemble, les analyses de I'école de Tel-Aviv et de leurs adeptes belges et canadiiens sont de type fonctionnaliste et déterministe: elles cherchent & étudier sysiématiquement ce que Meschonnic-se contente de dénoncer expéditivement, & savoir les idéologies et les. dexas qui marquent la pratique traductive et font des traductions ce qu’elles sont. Si Meschon- nic écrit en militant, en combattant, nos sémiologues/fonction- nalistes, eux, se veulent des obscrvateurs neutres ct scientifiques, de vrais « traductologues ». La encore, j'analyse les traits fondamentaux de la forme danalyse que l'en trouve, surtout, chez Toury et Brisset. La encore, le positif est souligné, et le négatif également, ‘Voila pour Tes deux premiers chapitres de la premitre partic. Le troisiéme est consacré & exposition de mom propre prajet critique, qui se réclame, lui, de Pherméneudguetelle que Pont développée Paul Ricceur et Hans Robert Jauss a partir de L'Bte et le Tenps de Heidegger. De riéme que Meschonnic, pour sa poétique, se réclame de noms comme Humboldt, Saussure, Benveniste ; de méme que Brisset se base sur divers discours sémiologiques, sociologiques et structuralistes (Grei- mas, Foucault, Duvignaud, Jakobson, etc.), je me base, moi, sur Pherméneutique moderne, C'est mon choix. L’herméneuti- que moderne, sous la ferme sobre gu'ele rote chez Riceur ef Fauss, me permet d°éclairer mon expérience de traducteur, de lecteur de traductions, @analyste de traductions et, méme, d’historien de la traduction. Mais mon analyse des traductions, étant et se voulant une critique, se fonde également sur Walter Benjamin, car c'est chez Jui qu’on trouve le concept le plus élevé et le plus radical de la critique « litéraire » ~ e¢ de la eritique tout court, Non seule- ment Benjamin est indépassable, mais il est encore en avant de nous. Nous ne cessons d'essayer de le rejoindre, corime en poésie nous ne cessons dessayer de rejoindre Heldeclin, Hop- kins et Baudelaire. Herméneutique posi-heideggérienne et critique benjami- tiene me servent done ici 2 expliciter e: ordonner (non systématiser) mon expérience de Panalyse de traductions 1B D > OOS acca BLS Comme cette analyse est toujours et Wabord constituée de lectures et de relectures, raon trajet commence par 1&3 les lectures de la ‘traduction, puis, bien séparées de celles-ci, celles de Poriginal. La dialectique propre & ces lectures me méne & Vauteur de texte traduit, le fameux « sujet traduisant » dont tous les théoriciens de la traduction parlent sans parvenir 4 mettre Ja. main dessus. Cette partie s'intitule logiquement: « A la recherche du traducteur », Elle n'a absolument rien de subjec- tif elle veut certes savoir, et concrétement, qui est le traducteur, ‘mais surtout elle veut déterminer se position traductive, son projet de traduction et son horizon traducti. Ces trois catégories herméneu- tiques sont longuement et précisément explicitées. Aprés quoi, je passe a analyse comparative de la traduc- tion et de Voriginal. Comment s'effectue la « confrontation » avec Poriginal ? Quelle est la forme langagiére et scripturaire («textuelle ») de cette « confrontation »? Cest-a-dire : com- ment est. drite cette partie de la critique? Question ea’ vérité cruciale, car bon nombre des analyses de traduction existantes sont caractérisées par leur touffeur, leur opacité, leur hermé- tisme et leur langue de bois (sémiotique au premier chef) = méme, en partie, celles de Meschonnic et de Brisset. Je présente quatre principes destinés 4 rendre la critique de traductions lisible, et, si possible, captivante, .cuvrante d’horizons : la «clarté de Pexposition» (pour ‘reprenciee expression de ‘Holderlin), la réflexivité, la digressivité et la commentativité (le caractére de « commentaire » au sens traditionnel). Si analyse d'une traduction doit étre aussi un jugemént sur celle-ci, et elle doit Petre par essence (on n’est jamais naturelle- ment neutre face’ une traduction), quelle devra étre la base dun tel jugement? Existe-til une base non subjective, et surtout non dogmatique, non normative, non prescriptive, une base consensuelle de jugement ? Pessaie de montrer que oui, qu’il yen.a une, malgré les oppositions de surface comme calle des artisans de la littéralité et ceux du sens, ou celle (qui recoupe ailleurs Pautre) des «sourciers » et des « ciblistes ». Le chapitre suivant est consacré 4 étude de la récption immediate de la traduction. Ici, la critique médiate se penche sur la critique immédiate, celle qui a regu la traduction a sa parution eta, partiellement, fagonne son image auprés des lecteurs. Pour chaque traduction importante {ou d’une cuvre importante), cette critique immédiate est rassemblée dans les dossiers de 16 presse des maisons d’éditions, L’analyse de ces dossiers Constitue fout un trajct passionnant, qui peut czpendant diffcilement valoir comme une fin en soi. Le demier chapitre définit les taches d'une critique « pro- ductive » (expression est de Schlegel) dans le domaine des traductions, Quand la traduction est « bonne », « excellente », «grande », la critique est productive en ce que sa tiche est de refléter, de renvoyer au lecteyr cette excellence ou cette gran- deur, Schlegel dit & propos de la « critique poétique » quelle voudra exposer & nouveau lexpesition, donner forme nouvelle 2 ce qui a cea forme, f=] et eros, lela cempétrn a rjeania, a fagonnera a neuf®, . eee Toute traduction, comme dailleurs toute ceuvre, a toujours besoin d'etre ainsi reflétée, illustrée au sens de Dante’. La critique 4st n son fond illastratoa ;illarninée par Veuvre elle Villumine & son tour (c'est pourquoi il lui faut la « clarté de Pexposition »). Si la traduction est «moyenne», « insuffsante», « laide », «gauche », « mauvaise », « exécrablle », « fausse », « erronée », «aberrante », tous prédicats impressionnsstes qui ont leur vérité e¢ que analyse wrifie généralement', clors il ne faut pas se contenter, comme Je fait Meschonnie, d'un simple travail de destruction, Il appartient au critique, et d'éclairer le pourquoi de léchec traductif (nous retrouvons 18, d'une certaine ma- niére, nos socio-sémio-critiques, mais sans leurs concepts ct leur type de discours), et de préparer Vespace de jeu d’une retraduation sans faire le «donneur de conseils». Cet espace de jeu est lui-méme pris dans un espace plus vaste, celui de la translation dune ccuvre étrangére dans une langue-culture. Cotte transla- tion n’advient pas qu’avec la traduction. Elle advient aussi par la critique et de nombreuses formes de trensformations textuel- Jes (ou méme non textuelles) qui ne sont pas traductives Lienvemble constitue la translation d'une evore. Ly a une dialectique contre les translations non traductives et les traductions, On peut 2 i Wale Benji, Le spo ite ape dl rman alee opt. a1 cPar ea que nous nemo iste now comoteanns e qu ivan et iis ayo», Deane ad F. Mare, ba Delran, Fa, 1983, 4. Ata ditienc de plats comme abil» lgnts,emagheals «beau » ou wbllem ine reletencen genera pata deve sia, mare tee sda, renin 0 considérer qu'une ccuvre n’est ‘vraiment « transplantée » et «cimplantée » (ce qui ne veut pas dire: intégrée, naturalisée) que lorsqu’elle ext traduite stricto sensu (et non, par exemple, adaptée). Mais une traduction ne se déploie et n’agit vraiment dans cette langue-culture que si elle est étayée et entourée par des travaux critiques et des translations non traductives. A son tour, la translation des ceuvres fait elle-méme partic dun plus vaste ensemble de translations: ou circulations (comme la revue Change le postulait) qui vont dans deux sens Pune certaine facon antagonisces celui de la communication, et par conséquent de V’humanité en tant que productrice de communication (mot forgé au x1v"siécle par Nicole Oresme, Tun des théoriciens et praticiens de la translatio sudii médiévale), celui de la migration, et par consequent de Phumanité comme réalité migrante, et migrante, matonte at métisante. Entre la communication et la migration, il y a un autre ensemble qui concerne aussi la traduction, qui est la tradition, et ’humanité en tant que productrice de ‘radidonalité, Si la traduction est au coeur de la communication, de la migration et de la tradition, cela se manifeste historiquement, en Occident, par le fait que sa figure appartient au réseau des mots latins fondamentauux de sraditio, ranslatio, augmeniaio, tc. La traduction occidentale est traditionalisante, translative et augmentative. Et elle. est, d'abord et surtout, chose laine, chose romaine. C'est & Rome quelle a pris, gu commence a prendre, sa figure propre, et pas seulement chez ceux qu’on cite sempiternellement, Cicéron, Horace et saint Jéréme°. C'est toute la culture latine qui, 4 un certain moment, et parce qu'elle était fondée sur la éraditio et Paxgmentati, est devenne « trantlative ». La chose était si nouvelle, et impliquait un rapport & la langue si différent, qu'il n'y avait pas encore de rom pour elle. Ainsi nous 'apprend Lohmann, loin de tous lieux communs : 2a gee eo aco 4 Ke a 1 St Sei eet ilar ee Se codes Sts Site aes RGR Amita tecentee eerste plies Cohen tea oe poe en Si ymca iar pe SEGA nanane gee ee 18 Le concept de traduction présuppose la possbilié de Peni de contenu de ce qi et Ungulsiquement vsé dans les divenes formes ), il est évident que la traduction de la poésie, en tant quiacte poétique, s'en voit affectée et réorientée Elle Pest d’autant plus pour le domaine anglais (anglo-saxon) ‘que s'est formée dans ce domaine une tradition de poésie « prosaique » totalement opposée 4 Ia tradition frangaise dune potsie quintessenciée". Il y a pour un traducteur de poésie anglo-saxonne aujourd'hui un circle fondamental : pour pouvoir traduire cette poésie dans sa spécificite, il doit consentir a certain degeé de prosaicité (colloquialité, trivialité, ete.). Mais pour que cette prosaicité soit juste, elle doit éte prise ala poésie anglo-saxonne ; et elle ne peut l’étre que par une traduction. Ce ‘cercle n'est pas vicieux : il est simplement celui ot Ie traducteur doit se battre et se débatcre. L'important est dy rester. Lrensemble de ces réflexions sur la pros:, la poésie et te domaine anglais nous méne, par une progresson du général au particulier, aux taches spécifiques d'une retraduction de Donne 40. « Uaroue lumineu sone dacs de sombre) amour de a tangue dans sombre dla ange, vers oye da acm ro, lene 2) es fue vere yoye ture dae Toker nonce, Ce qe prt el ee hosed Beste wate», Rona Le lence dashes ua fe de Tangs po PP Bei, Pty 179, ps1 Repke lite es Fcionn darshan rt «es pur proche de eye dela prance hives syne pape tel aCe parle Sis fr te pis thence vgn dee ere Fess lve § Decge da 21 Soi 187 Bree net, Oban Pr, Be pis. al J ) CASO HCH RESTS cer aortas Woo CMO a EB we. aujourd'hui ~ les versions de Bonnefoy fonctionnant ici comme incitation, et non comme modele, La deritre partie du livre analyse la réception de la traduction de Furier et Denis, c'est risque dinduire en erreur. Car elle semble signifier seulement Pévaluua- tion négative d'une traduction. Telles sont les analyses que ‘Meschonnic a faites de la traduction de Celan par du Bouchet’, de la traduction de la Bible par Chouraqui, etc. Et quand Pierre Leyris, avec plus de suavité, passe au crible la traduction que Saint John Perse a faite dan poéme de T.S. Eliot, ou celle que Valéry a faite d'un potme de Thomas Hardy, c'est surtout pour révéler de graves changements de registes, bref, des processus de perte™ Cela renvoie, bien au-dela de la traduction, & une duatité inscrite dans la structure méme de acts critigue, Jamais on ne pourra évacuer de cet acte toute négativité. Benjamin parle de inevitable moment négati de ce concept La critique, & quoi qu’elle s'applique, est depuis les Lumié- res travail du négatif: Mais cela ne doit pas faire oublier que, rnon moins essentiellement, ce travail du négatif est Pautre face ‘Pun travail du positif. La critique est par essence positive, qu'll s'agisse de celle qui ceuvre dans le domaine des productions langagitres, dans celui de Part en général ou dans ¢autres domtaines de existence hutnaine. Non seuleraent la critique est positive, mais cette positivité est sa wf: une critique purement négative n’est pas une critique véritable, C'est pourquoi Friedrich Schlegel, le pére fondateur de la critique moderne ~ ppas seulement allemande ~, réserve le mot de «eritique» a Panalyse des cuvres de « qualité », et emploie celui de « carac- téristique » pour Péwde et Vévaluation des ceuvres médiocres 9. Laguele rte un dele du genre, autant pars rut (an double ses me gue our ean ules provoqu dss mln pegs pam de PTD tn Pampa, #2, Pubiations dela Sorboane Nowell, Fai, 10, pp. 7.21, 1, Wales Benjamin Loc deat ein dos rman allen, ad Ph, Lacouetabanhe et AML Lang, Hammason, cll La phllnopiie on elt, Pari 988 39. 38 Voyons quelle est la nature de cette positivite dans la critique des ceuvres langagiéres, puis ans celle de leurs traduc- tions. La critique des oeuvres langagiéres, quelque forme qu'elle ait revétue depuis la naissance de sa figure moderne, & Vorée du xix*sidcle, et quelles quaient été ses inévitables déviations, pertes de niveau (compensées par de continuels renouveaux) dans sa pratique et sa théoric, est nettemsnt et clairement, quelque chose de ndessare, entgndons par 18 quelque chose qui 2 une nécessité 4 priori fondée dans les ceuvres langagiéres lles-méines. Car ce sont ces truvres qui appellent et autorisent quelque chose comme la critique, parce qu’elles en ont Besoin, Elles ont besoin de la critique pour se comriuniquer, pour se manifester, pour s‘accomplir et se perpétuer. Elles ont besoin du miroir de la critique. Certes, les mille formes paratextuelles que ce besoin suscite produisent souvent le résultat inverse: la critique éloigne, cbscurcit, érouffe, & la limite tue les cuvres (on pense a ces étudiants qui ne lisent que les ouvrages sur tel livre, et jamais celui-ci). Mais quoi qu'll en soit de ce péril ~et il et inévitable ~ la critique est ontalogiguement lite & ouvre Evidemment, cela ne veut pas dire que pour « bien com- prendre Proust, il faille avoir lu Poulet, Blanchot, Deleuze, Genette ou Henry (qui ont produit de grands textes critiques sur cette ccuvre). Rien ne nous y oblige. Mais|'existence de tout ‘ce travail critique modifie la Reckerck... Elle st maintenant, et en vertu du « crticisine » quelle porte en elle, Voruvre qui a produit ses critiques, ce qu'elle n’était pas a son début ; et ces critiques Péclairent de maniére sans cesse renouvelée, D'autant que dans le cas de Proust il s'agit de critiques accomplies, de véritables euores critiques. Les critiques de ce genre rendent les czuvres plus pleines en révélant leur signifiance infinie, Et corrélativement, elles enrichissent la lecture ces lecteurs. Ih est toujours gratifiant de lire une ceuvre critique qui illumine de facon nouvelle telle ceuvre & laquelle nous sommes attaches. La critique des ccuvies laugagires ext Jou: une chose vitale pour les ccuvres, et par voie de conséquence pour lexister hhumain en tant qu'il est aussi, et esentiellement, un exter dans at par les owores"*. Naturellement, cette haute mission de la critique n'est pas toujours facile & assumer, et le critique doit 12 CE eeezqardP Ri, Dats ac, aid ere HS cil. scBeprico, Pars, 1806, pp. 119 sq. ee Henaah Arendt, Canon de sae made, CulmansLevy, Pa, 1983, shape TV, « Bure 39 Y ) 2 ) 2 ) ) 2 POO GEL OK POCOCUG. toujours lutter contre une dégradation érudite, scientiste ou purement formaliste de sa pratique. Le niveau auquel se situe ‘cette mission a été défini de maniére originelle par Schlegel Cette ertique potique (.] voudea expose &noweas Pexpasion, nner firme Rosvele Ae quia di forme} eer, ell a ‘completes a rjc, la Sgonnern A neal™ Parini les formes multiples de la critique des czuvres langa- gitres, il y a celle de ces ceuvres qui « résiltent » du transfert, de la translation d'une ceuvre dune langiie a une autre: ce qu'on appelle, depuis Leonardo Bruni, les fraductns. On sait ‘que la traduction nest pas moins nécessaire aux ceuvres — leur ‘manifestation, & leur accomplissement, a leur perpétuation, & leur circulation - que la critique, sans parler du fait qu'elle posiéde une nécessité empirique plus évidente". Ce qui est important 4 noter, c'est que critique et traduction sont seructu- rellement parentes. Qu’ll se nourrisse de livres critiques ou non pour traduire tel livre étranger, le raducteur agit en critique a tous les niveaux", Lorsque la traduction est re-traduction, elle est implicitement ou non « critique » des traductions précéden~ tes, et cela en deux sens : elle les « révéle », au sens photogra- phique, comme ce quelles sont (les traduetions d'une certaine Epoque, d’'un certain état de Ia littérature, de la langue, de la culture, etc.), mais son existence peut aussi attester que ces wtraductions étaient soit déficientes, soit caduques: on a, de nouveau, la dualité d’un acte critique. Pour autant, il semble qu’ll y ait une certaine lansion entre critique et traduction", attestée par le fréquent manque 18, Ja Benjamin, Le vont dete ete dow te mate alleen 112. aRajinirs fuente ee enacement ef que Gotha demende& la adacton CE ‘hapiesur Goethe dans Etgase de enage IA, Begg tes [1 lagu, gu epee Elen, an degré rindi, an iment dele surance destruc; wa ce Gu wad teat trad M, Brod, Paar 35, 9), 9.154 is"Ceue natreentque wade 3 males is reve. Steiner dik par Fegudhe Fineligereesnaiyeque,Vaginadon Snore, ta matric toute dels lunge charsntent ane Eventi cique qu etd meme cop expan pate: tue honed elcid Apts Boe Alin Mike cl.« bathe Allis Michel ‘ese ng Pai, 178, p57. 16. Je rena mon aie « Ctqu, comments t radacon (Quelques ‘tens & par de Bejemin et Blnchl)», Pan tan, Pray (3, incline pence aourthal que js exagee coe te, sur fa bun cane ‘setae de Fact ete ct gen cute cee Indien et ignemen Ges ‘hique de a teaducton apprienthune paque Ql Sache 40 @intérée des cvitiques pour les w problémes de traduction » et le fait qu'on ne trouve pas fréquemment de grands traducteurs qui soient de grands critiques (et vice versa). La critique d'une traduction es donc celle d'un texte gu, li-méas, résulte d'un travail ordre critique. Opération délicate, qui ne Sst développée sous sa forme « moderne », cest-a-dire comparable A calle de la critique directe des euvres, que trés récernment!”, Sila critique des traductions existe depuis longtemps (depuis au moins le Xvir siécle) sous forme de jugements, elle n'a jamais été aussi développée que calle des ofiginaux. La plupart du temps, on le sit, a eritique étudie ceux-ci soit dans leur langue, soit dans quelque version frangaise en «oubliant » qu'il s'agit @une version: elle étudie une « ceuvre étrangére >. Non seulement la critique des traductions sest peu dévelop- pée, mais, quand elle Ma fat, ¢’a été, surtout, dans une direction essentiellement négative ; celle du fepérage, souvent absession- nel, des « défauts » des traductions, mémre réussies. La critique positive est restée, jusqur’a ily a peu, rés rare surtout A Métat pur (sans éléments négatif). Mais de toute facon, les deux formes de critique se _meuvent la plupart du temps ~ se mouvaient jusqu’a il y a peu (A l'exception des études érudites de traduetions anciennes) — dans le méme espace, celui da agement, alors que la critique des cewvres, elle, tout en gardant ‘cette possibilite (par exemple dans la presse); se déploie dans uune multiplicté de dimensions et-de discours qui fait toute sa force et toute sa richesse. Cette tendance a vouloir « juger » une traduction, et @ ne souloir faire que cela, renvoie fondamentalement & deux traits fondamentaux de toue texte traduit, lun étant que ce texte « second » est censé corresponcire au texte « premier », est censé, tre véridique, vrai, autre étant ce que je propose d'appeler la défeticte, neologisme qui cherche & rassembler toutes les formes possibles de défaut, de défaillance, d’erreur dont est alfectée (oute traduction, Le texte traduit appelle le jugement parce qu’il Eveille la question de sa véridicité et parce qu'il est (ce qui met 17, tte forme moderne de te exiau edule: un cv e teva a vgn edtla forme de asi de Pate aldo ale fg, a siiqaeiteaive ete ures double eda, tien vade meme, on ern pour ele des tases, Oe ‘littaire» er elaque wscetiigee» pauvent Corcser dans une tame erie “rtqu, compe le mune par exerpie Roland Bette, a en cause cette véridicité) toujours défectueiix quelque part. ‘Toute traduction « présente ces défauts », comme on dit, méme si beaucoup s’efforcent de les cacher les meilleurs traducteurs sont parfois pris de sorameilsinexplicables auprés desquels ceux du «bon Homire » qui indignaient Horace" semblent benins ; sans @ priori dogmatique, on peut dire que la plupart des traductions sont insulfisantes, -médiocres, moyennes, voire mauvaises, et cela sans du tou! mettre en cause le « talent » oa la «conscience professionnelle » de leurs auteurs ; enfin, ie texte traduit parait affecté dune tare originaire, sa secondarité®, Cotte tas ancienne accusation, n’étre pas Voriginal, et étre moins que original (on passe aisément d’une affirmation & autre), a été la plaie de la pychd traductive, et Ia source de toutes ses culpabilités : cc labeur défectueux serait une faute (il ne feut pas traduire les cruvres, elles ne le désirent pas} et une impossbilité (on ne peut pas les traduire). Cortes, de morose discours sur la défectivité des traductions sest toujours doublé d'un autre plus positif: défectueuses ov non, les traduetions ont une évidente wtilité communication- nelle, et elles contribuent & « enrichir» la langue et la littéra~ ture traduisantes. Mais comme ce discours positifn'a jamais pu, jusqu’a Goethe, Humboldt et Schleiermacher, dépasser le stade d'une ~ juste ~ apologie des bienfaits collatéraux de la traduc~ tion, sans du tout Sattacher au lien ontologique qui relie Voriginal et'ses waductions, il a aisément été domin€ par le discours négatif qui est Poubii (ou la négation) de ce lien. Mais une waduction ne vise-Celle pas, non seulement & «rendre » Voriginal, a en étre le « double » (confirmant ainsi sa secondarité}, mais & devenir, & éire aussi une ceuvre ?: Une ‘ceuvre de plein droit? Paradoxalement, cette demnitre visée, atteindre l'autonomie, la durabilité dune ceuvre, ne contredit pas la premiire, elle la renforce. Lorsqu’elle atteint cette double Visée, une traduction devient un « nouvel original ». Que peu 18, At ion are gag oa at Homes, rl aia, gi par Ste, Ads Dal ee 290 10. Geenges Moanin ouvce sx Bale nis par: «Tou le argement conte fa traduction se Raurneat en unset le eH pas Tiginal (Caters Sly 1902, pth evidence decete phrase cmmesce Are Ceaaie loque Fone appa que [E coocepe meme doriginal» date culement du XU site, et qu'il appara & ‘esenss Ts plus inde es ongnal » de pouvei, et devoit te veut. Sila fedicuon nest pas Porginal, ele me pas extéieure & celui elle en xt une saamorphore 2 de traductions.atteignent ce statut, Cest certain: Un certain nombre y parviennent; quelques-unes, tes « grandes traduc- tions », atteignent au rang d’ceuvres majeures ct exercent alors un rayorinement sur la culture réceptrice que peu d'oeuvres «autochtones » ont. Ainsi la critique des traduictions a-t-elle pour objet des textes qui sont « critiques » comme elle, et qui sont, en autre, soit de simple échos aflaiblis des originaux (cas le plus fréquent), soit (ease moins fequent) de veritable craves qui la dominent de tout leur haut ‘Si nous estimons que la critique lttéraire est essentelle la vie des ceuvres (et de la lecture qui est un moment de cette vie), nous devons considérer, sur le fondement de ce quia été dit, que la critique des traductions Pest tout autant, et donc accorder a cette parti dela critique tout le sérieux que I'ma accorde A celle relative aux ceuvtes. J'ai dit que la critique des traductions était encore peu développée. On va voir tout de suite, néanmoins, qu'elle est en plein essor, et selon une pluralité de formes et de modes de plus en plus différenciés et riches. Ce qui fui manque, comme @ la traduction elle-méme, c'est in certain statut symbolique, c'est cette dignfication secrte sans laquelle aucune scpratique discursive » ne peut littéralement avoir drat de cit Contribuer & cette dignification, que la critique des couvres a obtenue au XIX" site, est Pune des ambitionsde la traductolo- gie, Il est presque superilu d'ajouter que cette dignification conttibuerait a celle des traductions, de la traduction en général, et peut-étre des traducteurs eux-mémes. LES DIFFERENTS GENRES D’ANALYSES DE TRADUGTIONS A premiére vue, la diversité des analyses de traductions est celle qu'elle décourage, ou parait rendre vain, tout classement. Les textes traduits sont examinés de tous Its points de vue possibles, dans les contextes les plus variés, avec des finalités & chaque fois différentes. 43 POG OCA cece My a d’abord ce vaste groupe des études, articles ete. contentent de comparer directement loriginal & sa traduction, ou de comparer des traductions entre-elles, pour, inévitable- ment, rencontrer et établir des écarts, des « changements ». Ces études ont toutes, quels que sofent leur forme, leur finalité ou leur contexte, la méne siructureformelle. Elles opérent, la plupart ddu temps, au niveau micrologique, ponctuel. Elles débouchent sur un wconstat de differences » qui n'est (presque) jamais, poité au crédit du traducteur. Il n'y a, ici, ni érude du systhme de ces differences ni du pourguoi de ce systéme. Il n'y a pas de réflexion sur le concept de traduction qui, invisiblement, joue le role de tertium comparationis. Aussi bien ces études, qui vont de Pévaluation directe (1honjmoyen/mauvais) & des analyses plus ncutres, plus objectives, n’ont-elles le plus souvent pas dam tion’ particuliére, Elles ne visent pas (y pensentelles seule- ment?) se donner une forme rigoureuse qui marquerait leur spécificité, ni a se doter d'une méthodologie. Elles comparent, confrontent, naivement, TLy a, ensuite, des analyses fouillées, érudites, des systémes de transformation présidant & certains traductions, générale- ment de haut niveau. Ainsi une partie des traductions de Hlderlin a-t-lle été soigneusement analysée en Allemagne ; pour la France, je citerai deux modetes du genre: le travail de Robert Aulotte sur le Plutarque d’Amyot™ et celui de Roger Zuber Sur les traductions de Perrot d’Ablancourt". Ces analy- ses sont globales:. partir dexemples types et de passages privilégiés, elles reconstituent les traits fondamentaux dune tra- duction, et méme de toute une euvre de traducteur. Dans le cas des deux ouvrages cités, la traduction analysée est située dans tout son contexte historique, et comparée & d’autres traductions de Mepoque. Il va de soi-qu'l sagit danalyses si spécialistes qu’elles sont réservées & un trés petit nombre de personnes. Ce qui_pose le probleme, sur lequel nous reviendrons, de la slisbilité » d'une étude de traduction, Reste a nover que ces analyses ne sont pas autonomes et forment partie d'un tout qui les englobe : les études de Beissner sur les traductions de Hilderlin font partie de cette « institution » allemande que sont les Holdeinstudien, le travail d’Aulotte porte sur toute la 20. day t Ptr, Dros, Gene, 1955. DU Lai bes wies erat go lati, Area Cali, Pai, 1968, 44 « renaissance» de Platatqiie dans PEurope du xvi sidéle;celii de Zuber sur toutes les contributions de la traduction & la constitution de la prose classique en France. Ces analyses sont donc intégrées a des « disciplines » déja constituées, c'est-a-dire a Pétude des literatures et de leur histoire. En ce sens, non seulement elles ne sont pas autonomes, mais elles n'ont ni forme ini méthodologie spécifiques. Toutes les analyses et types danalyses évoqués jusqu’a présent se caractérisent par leur hétérogensité, Ler absence de forme side néhadolgie proves. Pat forme tne analye de traduction, FFentends une structure discursive sui gonis, adaptée & son objet {la comparaison dun original et de sa traduction, ou de ses traduction), forme suffsamment indvidie pour se distinguer autres genres analyses. lentends aul parla ane firme qu se rfflchit dleméme, thématie sa specie et, cts, produit sa médioda. Logie; ame forme gui non seulement predsit se mithodeloie, mais cre nr lee ar ane ari eplite de is gu ete a traduction. Parmi les analyses de traduction actuelles qui me paraissent avoir une firme, et une forme fort, fai cholsi celles d'Hlenti Meschonnic, dune part, et ctlles des traductologues liga a Vécole « fonctionnalise» de Tel-Aviv (Toury pour Israél et et pour le Québec). Mon propos n'étant pas Pexhaustivite, sst de cbc Allemagne, 08 pourtant I Oberstzanesrik® rest pas un clomaine négligé. Les analyses engagées d’Henri Moschonnic Par cette expression, j'entends ces analyses qui, solidement etayées par des savoirs « moderne’ » (linguistique, sémiotogie, poétique, etc.) et par une théorie explisite du traduire et de Pécriture, cxaminent des traductions au nom dane idée de Pacte traductif et de ses taches entibrement déterminte. On peut & bon droit les dire « engagées », ent ce qu'elles ne se~ ‘contentent pas d’évaluer une traduction & partir de cette idéc, 22 Gr Feit Peepeks, « Tatvemtchn-Textboraee- Obani, Mary SuelHoraby, Oaeuiemaseenestgh = nae Newtstenng, UTS 143, Froveke Verlag, Tbinge, 1985, pp. 106117 45 mais qu‘eles affaquent au nom de celle-i les traductions qui ne 'y conforment pas. L’orientation de ees analyses prend alors un tour, sinon- polémique, du moins fortement «militant ».On [peut certes trouver des analyses de ce genre qui ont une orientation positive, en ce sens qu’elles portent sur des traduc- tions répondant a cette idée, mais le fait est qu’elles sont rares. Crest ce que j'ai tenté moi-méme avec Holderlin, Chateau- briand et Kicssowski — sans toutefois mettre alors en jeu une miéthodologie aussi rigoureuse que celle qui structure les analy- ses « négatives ». Henri Meschonnic est le représentant de ce | genre d’analyse, et d'une certaine fason il en a eréé la forme’. Ses Critiques des traductions de Celan, Trakl, Humboldt, Kafka, la Bible sont bien connues. TA encore, les analyses menées ne sont pas autonomes : elles appartiennent, chez Meschonnic, a la poétique de Ja tradue- tion, laquelle « ne peut que dépendre de la poétique™ ». Mais, en revanche, elles ont une forme déterminée, dont la structure de Pétude On appelle cla traduire Celan® est le meilleur exemple tune partic sur le podte traduit (« Celan dans le langage »), une partie sur les traductions (« Celan dans Stet », Sirete étant le titre global donné par les traducteurs & leur recucil. C'est celui d'un des recueils de Celan lui-méme, mais d'autres potmes de Gelan figurent aussi dans le Sirete de du Bouchet). On voit alors clairement comament la premiére partie, qui appartient & la poétique, étaye la seconde, qui appartient la poétique de la traduction. Lianalyse menée pointe systématiquement toutes les défail- lances des traductions ineriminées, en y voyant le plus souvent Veffet de partis pris idéologiques (au sens large), de modes esthéxiques et littéraires, de conventions, etc.®, et enfin de défauts subjectifs de la psych? traductive, Si Meschonnic repére ss: Jjandouh Cited, Sm ‘ie ili eet Gna, ne uo as Se tg te Ws em cla i lol Cn ae 2 ae ed cep ures ie Crt ly seer de ote ren ue Pa etn bo ee ereerr ec ter ee aeeeeeae Le aie coe Canis, Pa 7 8, i oer BF inden Matamcprnde glei eday eee ee a a ee ee ee es Sn ia 46 trés bien les «causes » de la défectuosité des traductions qu’il attaque, il ne perd pas son temps & les analyser. Ce qui compte pour lui, c'est dironcer, et dénoncer prévisément. D'od un suivi inutieux des incohérences, des mauvais systématismes, des préjugés des teaducteurs, Cette dénonciatior s'accompagne de retradections ponctuelles montrant, le plus souvent de maniére convaincante, comment les traducteurs « auraient» pu sans difficulté respecter telle forme de signifiance de Voriginal : Pobstacle était dans leur tété, dans leurs préjugés, non dans Poriginal. Toute cette critique minutieuse, enfin, ne cesse de se réfléchir, de s'accompagner d’assertions souvent injonctives sur la tiche du craductewr, le sens du traduire comme travail d’écriture, comme « travail dans les chaines du signifiant” ». Les critiques sont le plus souvent imparables. L’ceil de Vanalyste balaie jusque dans les moindres recoins les mille formes de la défeillance traductive. IL a plus, et plus frappant encore : analyse de leur travail révéle chea (presque) tous les traducteurs mis en cause une certaine fatuité, un certain Iaisser-aller, une certaine désinvolture allant jusqu'au mépris objectif de auteur (et du public), une comoiaisance narciss- que et, fast but not leas, un manque de consistance (quise révéle, par exemple, dans le curieux mélange d'asystématicité ct de mauvaise systématicité de leur travail, chose qui avait déja étonné Mounin, qui parlait de « disparate ») assez surprenants, Ces traits peu brillants, mais indéniables, de la psych? traductive nesont pas analysés, ni méme pris en vue, par ’analyste ; ils me paraissent liés, entre autfes, au fait que cette poche agit dep toujours dans Pombre. Personne ne «regarde de prés» ce quelle fait: il y a une certaine impunité du traducteur, que hui garantissent ironiquement sa solitude et sa déréliction. En conséquence de quoi, le traducteur, « laissé A lui-méme », peut aussi faire «ce quill veut». Et d'abord s'occuper de Voriginal & sa guise, au nom de sa librté%, Tl n’a, en effet, de comptes & 2. Port pote Hp sp 314 fet fe Be eliert irdb i igier deoxchn, Died reno, fice A ine uve, te eorune be ~ comme Disnanfe tx poe (sepa Ere Fessiaes) et sn teal de timation, Ht unr tee, JV. Mason (e Tesivite de Babel aphorames dt Cpe tr 304 Babel a ‘vers es langues», PUT, Pai des 190, p16), 4orghl pour gu le rade Iepanousecoomme cappor atiqu i faut sole parks wdize non» we ave, four maperer en ele Eevt lnbe Berman, estos notes, inacenble, une ESiarem (Avant props ae Sip jor de Rober Art, Belted, Pac, 198, pp. It 7 OAH LOGUGU | rendre personne™, [1 peut étre asystématique : on ne lui demande que de- paraitre systématique, I! peut enjoliver, cesthétiser si cela Ini chante : quis'en souciera ? Qui ira voir? 1 peut escamoter en douce des problémes: qui s'eti doutcra? Bref, la piyehd traductive senforce dans space de La tromperie, et bient6t (ce qui devrait, peut-étre, rendre plus indulgent) se trompe elle-méne, crit tee fidéle, exacte, créatrice, etc. Uy a la, readlé, et cans doute pour la premidre fois avec une tll force, quelque chose de trés grave. Avec la « méthode » ou la « forme» créée par Meschonnic cesse incognito du traducteur infidéle et manipulatear. On ne saurait trop célébrer Fimportance de Pévénement Et pourtant, ily a dans tout cela quelque chose qui géne et qui est de prime abord difficile & situer. Tl importe ici de bien préciser une chose: les quelques remarques « critiques » qui vont étre faites ne doivent pas faire oublier, Pimmense dette que nous devons a la podtique de Meschonnic. En ce qui concerne mes recherches traductologi- 12} « La tucson ds Spt foal sabe ance car, porter a marque de tre ) Geos hie [ear eet etre rte Beart nate prop oerance, tm fl aser et hai a langue Waduent, ame earls Isague eae a Le travail eduet equert donc un at tbr, lve dent oa choi fondant 4c raductioy fibre dae ns choix ponctucl Ube dane la matinee ct chal de ‘Teaup par coup Ue. Ldnira goer le trate ane sa prasgae srs de exe SGeucelibers tse cole aver la Ddete etbappordent aca vaducteur oss 1 de dehmater fexpace de jeu de ets lett, Tah ts revendieaton de Uber, All um tou ante, vecane: i axe une imyavaie Ebert; comme i exite one tase fob, un tux respec. Ce qul arive ‘quod lated tradacteut pres f forme de beth. Sow prtente de wt pas un ‘Teclavey die uh «crater ap de sire los cxgeaces duu public, ery Te teiducteu pond des thers avec Forignl. La plus aerogute de ov bet ee alle (Ghposte qs au nom de a Potiem plaques propte pottiquesur cll de real feabde du Boucher aver Cela, de Jouve avec Sbekengear exc). Ua Uber! dabouche Slr sur de fa manipulation pure ct simple. Cete Heat pourmaniuler true ‘cToxpresion de totes er been, de tute es paren, de touts nt inbons, Lil taign, cher Wop de aducrem, Tune ied reriewse puget es Principe dew Bi » quill ue mangue jay en mbme em, de claitoner faut Eire Dou Fadage vale ade rato tadut ca angie por = odicon traknon» poiegdl ne #applque qsex traducteu to ts ruc, cee Fale faceoeat observer Msutioe Pergier (elattadyeton, Steel ne alence de a Traduedou? wn Tndnta bats ae Mayen Age, ds CNRS, Pai 1889, xv PONT Seal certs, 4 ce «Grand Autre» quet le commandiare, Vetta, te icecteor de coleton, Mas lly 2 outs noyen de le eumper, oa Tene eh “annivence aver fi ls partaget ileus souvent tm daa) Ta eve ears Seu Grand Autre» a ioquenty necontredit pa 4 contate le mepe ncoscent Ge auteur eau pubte 48 ‘ques, si elles n’ont pas été inspitées ou suiitées pa celles, eles en ont été constamment nouirtes, ct il existe sur maints points une forte communauté d’intuitions fondamentales (par exem- ple surle theme de Voralité). Ce qui me parait « critiquable » ic, ce sont plutot certains stéréoypes de Mécriture du poéticien. Liorientation agressive que Von trouve dans tous ses écrits et qui, les podtes mis a part, semble n’épargner que des figures comme Humboldt et Benveniste, en est un, dont il semble parfois étre prisonnier, I est vrai qu’il est des autcurs qui ne peavent donner leur mesure que dans la polémique et le «combat », comme Spitzer™. La négatvité des critiques de ‘Meschonnic a bien sitr son envers positif Elles n’attaquent, en ‘outre, que des traductions qui maltraitentdes aware capitales pour notre culture: la Bible, Celan, Katka, etc. Elles n’attaquent que des traductions de grandes ceuvres. Elles défendent aussi bien les originaux qu’elles attaquent leurs traductions. Mais la géne Gemeure, D’od vient-elle? De Pimpression qu’un « juste ver- ict» a été prononeé sans que Paccusé ait pu se défendre, ou -méme que les régles élémentaires du. procés n'ont pas été tout A fait respectées. Tout est allé trop vite. Le caractére expéditi? du procés jette un doute sur la justesse complive du verdict. Et Crest jusqu’a la nature dela fue commise qui devient incertaine ~ malgré le caractére accabiant des « preuves ». On se demande, enfin, si le chatiment administré ne I'a pas été en fonction de critéres quasi mécaniques. Et en vérité, le mécanicisme est le plus grand danger de toutes les analyses de traduction, comme on le verra encore avec Véeole de Tel-Aviv ‘On comprend alors, méme si Pon n’épcuse pas leur hostlite que de nombreux traducteurs de haut niveau, et dont au fond {es « idées » sont proches de celles de Meschonnic, rejettent sans nuances ses écrit Le eritique de traductions qui, comme moi, éprouve de la gine devant la virulence de ces analyses, fra bien de garder en mémoire ces lignes de Derrida, méme si, 1A encore, il ne les épouse pas: En citant les waductions exstanies [4e Celan}, je souhaite d'abord dire une immense detic et rendre bornmiage & ceux qui ont pris la responsabilité ou le risque de traduire (..) Je me suis en général 30, Ct Jan Saran, « Leo Spur este yque ni Le Spies, tnd Sit Carol eb Ba, sp 7 49 abstenu de traduire, surtout de retraduire, Je né voulais pas sembler vvouloir, si pen que ce soit, amender une” premiere’ tentative. Aux abords de. tels textes, les legons, ou les polémiques vont aucune place" [J Las analyses desriptivs a orientation sucocritigue (Taury, Briss) ‘Toutes led analyses que nousavons mentionnées jusqu’a maintenant sont ce que les traductologues que nous allons présenter appelient source-oriented, cesta-dice axées sur les originaux, Description et caractérisation d'une traduction visent a établir (d’oit la pente vers I'évaluation, positive ou négative) si celle-ci a bien « rendu » Voriginal, et comment elle Pa, ou non, «rendu», sur la base dun concept du traduire explicite ou implicite. Elles sont done ~ 4 Pexception des analyses insérées dans des travaux d’histoite ittéraire ~ tendan- ciellement prescriptives™. L’école dite de Tel-Aviv, fondée par Even-Zohar, et dontle principal représentant actuel est Gidéon ‘Toury, traducteur et auteur un ouvrage fort intéressant, Jn search of a theory of translation®, ainsi que tous ceux qui, notam- ment en Belgique (Lambert et alia) et au Canada (Annie Bris), suiyent ou développent leurs points de vue, se veulent au contraire target-orinted. 11 s'agit pour eux, d'entrée de jeu, @'éviter d’analyser les traductions en mettant en jew un concept prescriptif du traduire, et détudier de fagon neutre, objective et «scientifique ce qui est appelé la «itiérature traduite», laquelle forme partie intégrante du « polysystéme’ litteraire dune cultiire ou dase nation, Le phénomene « traduction » doit tre sais & partir de Vétude de cette « littérature traduite » dans son epivicité, sans se laisser guider par les schémmas a prior’, des linguistes ou des philosophes. Analyser une tracction west plus la «juger », n'est plus seulement étudier le. systeme dé transformations qu'elle Constitue, Ow plutét, cette étude, menée rigoureiseitert, avec" tiites les ressources de La linguistique et fe ese eet ae ae eae ae een ern le ane gre FE a ee ia os aaa ea 50 de Panalyse textuelle (de la sémiotique, dit Toury), devra recourie & un examen des conditions socio-historiques, culturel- les, id€ologiques, qui ont fait de telle traduction ce qu'elle est (pareillement, les représentations de la traduction qui soutien- nent ou accompagnent le traduire & chaque époque doivent tre soumises a la méme approche). Toury ici ne parle pas de conditions ou de facteurs, mais recourt au concept de norme : Comme toute autre sctivité+comportementele, Ia traduction ost nécessairement sujetee A det cuntraines de types et de degrés varés Josissent dua statut spécial parmi ces contraintes les umes ~ ces Tacteurs intersubjecti& qui sont la. traduetion » de valeurs ou ides générales partagées par un certain groupe social quant A ce qui ext bien et mal, appropnéov inapproprié, en instructions opérationneles spécifiques qui sont applicables & des situatiow apécifques pourve que ces instructions ne soient pas encore formulées comme des lois (Toury, 1978}, Dis lors on peut dite que ces xormes en matiore de ‘traduction servent de made selon equel des textes eront chaise pox fare, traduits et des traductions seront réellement formées et form igs Parmi ces normes « translationnelles», il y a ce que Toury appelle la « norme initiale » : ‘Avant de me mettre & discuter es implication: de Ja soumistion ds traducteur aux normes opérationnelles pour ss traduction, je vou- rais introduire un concept supplémentaire, que j'appellerai pour instant, faute d'un meilleur terme, «la nrme ital», Cet nation des plus importantes est un moyen stile pour déaozer Ie choix de base du traducteur entre deux alternative: oppesbes qui dérivent des dewe ‘léments constitute majeurs de la « valeur» en traduction lttéraire ‘meationnés plus haut: il se soumet soit au texte original, avec ses relations cextueles eles normes qu'lexprine etqul y sant contenaes, soit aux normes linguistiques ot lttéraires & Menuvze dans la langue cible on dans le polysystéme littéraire cible ou dans une section de calui-ci®, Tl est aisé de voir que cette norme initiale, qui place tout traductour devant une dsjonctive obligée, n’st que la reform lation du vieux dilemme si clairement éncincé par Humbolde: CChaque traducteur doit immanguablement renoontrer l'un des dews cues suivants: il ven tendra avec trop c'ecactitude ou bien & St, Gidéon Toary, ese of ery of tanto cp. 14 ig Bh fa ey Peto gH Ee gt ge aoe 51 EO i fd d d ) d J J ) S84 en ' YPoriginal, aux dépens da gost et de la langue de son peuple, og bien AaTroriginalité de son peuple, aux dépens de Pocuyre & traduire™ [..]- ‘Avec Toury, analyse des traductions cesse donc, d'une part, d’dtve sourceoriented (Cest-A-dite en fin de compte évalua- trice) et se base sur une méthodologie et une théorie explicites: Une condition promire indispedsable pour Paralyse de textes tra- uits (et aussi, en conséquence, pour une étude systematique des hormes en traduction) est done Plaboration d'une méthode dhéorie ‘quement fondée ct expicite qui permette de comparer une traduction ex son original, compte tenu des theories linguistiques etltérares érerales (y compris une cevtaine théorle Gu texte Hteéraie) et incluant des descriptions systématiques complétes et prectes de la langue source (S.L.}, dea Langue cible(T-L,) et des deux palysyté- mes litéraires respects”. Crest ainsi que le traductologue israélien analyse, dans son ouvrage, les raductions en hébreu d'un célabre livre allemand pour enfants, Max ud Moritz, de Wilhelm Busch, au cours de la période qui va du 21x" siécle & nos jours™. Méme pour qui ne connait ni Busch, ni Pallemand, ni hébreu, cette analyse est fort instructive. Car elle situc les diverses traductions en hébreu dans Vensemble complere de joes de langues et de eultees, qui est leur espace historique ct fait d'elles ce qu’elles sont. Ainsi s’exp quent les idiosyncrasies de chacune d’entre elles, la canonicité atteinte par certaines qui, dans ce cas précis, renvoie a l'utilisa~ tion d’utte tierce langue (le russe en dernier lieu) jouant pour Thébreu le rdle de langue-de-formation cans son évolution vers une langue « moderne ». L’analyse de Toury, loin eétre rivée a des comparaisons ponctuelles, est globalisante, et les exemples de traduction fournis s'instrent dans cette globalité. Le résultat est du plus haut intérét, et laisse perplexe : voila une analyse sociorhistorique qui me «juge » pas; qui montre, sans plus, le 96, Cin Lp d ang aby 9 3, Geton Tourn mad of ty roti, op. yp. $8 SL Soe ern ange sour 58. Glin Tory, feck of hey of tanta oh, pp MOIS» Gran chilies ruc in babon when Fc se of tae wl Mares "SE Celglnjony de cerns Sgn i propnme dsc Ce tadacson ropot dant iptnn is Prog © Manciar Convene chagoeEpequy at de Ehague space sorique conn, la patque dem detonate cl de a Ineaary ces lenge, des ive hanger imran et intrngpaes{o) Fare hse dels tasaston, Co rllcourseptenmten ce ean ealuce Intnimentsomplee st strands gue Saag sperm ou dans da epuct sltrene, dese woure pt (pp I 52 ‘pourquoi » des transformations opérées pat les traductours hébreux de Max und Morite (elles varient & chaque époque et sont fonction, également, de la tendance adaptatrice propre 4 Ja traduction des livres’ d’enfants). Le « pourquoi» de ces transformations, on ’a deving, ce sont les fameuses « normes », enPespice celles, particuliéres, de la culture juive du xix" et du 20° siécle. Ces hormes imposent au traducteur dopérer & tous niveaux des transformations sl veut queson travail soit aren Le «systime de transformations » que présente toute traduc- tion est done le résultat de Pintériorisation de ces normes, que certes le traducteur n'applique pas comme des directives extérieures. Le contenu des normes translationnelles,d son tour, peut varier selon les exigences du polyaystdme littéraite et culeurel récepteur. Si pour Toury, d'une maniére générale, les normes tanslationnelles prescrivent adaptation des -ccuvces Gteangires, leur naturalisation,-il peut azriver qu’a certaines époques, dans certaines cultures, etc., eles prescrivent V'in- verse: ce serait le cas de Allemagne romantique, par exemple, sil'on rééerivait L'épreuoe de léiranger & la Toury. Analyser une traduction sans remonter au systéme de ‘normes qui I’a modelée, puis la « juger » sur cette base, est done lune opération absurde, et injuste, puisqu’elle ne pouvai! pas étre autrement, et qu'elle n'avait sens Comme azte de traduction que comme opération assujettie 4 ces normes. Vialatte ne pouvait pas traduire « telle quelle » Pécriture denadée de Katka parce qu'il obéissait, inconsciemment, &-certaines normes esthétisan- tes du polysystéme francais, cela indépendamment de ses «golits> personnels en la matiére. Et quand G-A Goldschmidt ou Lortholary retraduisent Kafka aujourd'hui, is Je font, chacun a sa mianiére, en fonction des nouvelles normes qui régissent le polysystéme litcéraire francais, Dans trente ans, on retraduira peut-étre Kafka en fonction d’autres normes encore inconnues. Cewe ‘théotie de analyse des traductions parait aussi évidente que le concept sociologique de «norme» quielle emploie. Elle ext applicable ~ je viens de le faire ~a tous les cas de figure. Avant d'cn venir aux avantages et aux périls d'iine applicabilicé aussi aisée, il importe de souligner que Toury, dans son souei de parvenir 4 une traductologie scientifique, et méme fonctionnelle, batit des schémas ou lois qui non seule- ment sont discutables historiquement, mais contredisent son 53 EELS propre « sens historique ». Ces schémas révelent en outre qu’en fe qui concerne le réle de la « littérature traduite », V'écale de ‘Tel-Aviv partage acritiquement les préjugés régnants sur sa «secondatité ». Lnportant, mais seconde, cet axiome commun 2 tous les historiens des littératures est, ici, pour comble, trans- formé en Ii Hen résulte, comme d’habitude, une négation du role eréateur et autonome du traduire dans Mhistoire occiden- tale, ce qui revient pour nous & dire que, comme toutes les théories fonctionnelles, ce courant traductologique, en dépit de son historicisme sociologisant, est aveugle a'l'unicité de I'His- toire. Dans son livre, Toury fait siennes les affirmations de son maitre Even-Zohar sur le caractére « périphérique » ou « épi- onal » de la littérature traduite dans le polysystéme liteeraire : ‘On peut émestre avec confiance Phypothise que la position « nor male dune traduction itéraire tend & éice sender (oh. Even- Zohar, 1078 a: 128). Cresvardire quielle « coustive un systéme périphérique a Vinterieur du pelyysteme (litéraire able], prenant éncaleinens le caractoce d'un écrit epigone. En d'auees termes [..] Elcts pas dinfucnce sur des processus majears ese modal sur des hormes ables dea conventionnellement selon un type dominant. Tn livérature traduite.en ce cas devient un factcur majeur de Canservatsme (Even-Zohar, 1978 #122) en est ainsi parce que les fondidons dans leaquelies a Ketratore waduite tend & adopter une fpsiion primaire etd w comtibuer accivement A madlr le, centre da Ponvige [able] » (Even-Zohar, 1978 a: 120) exigent que ce ernier soft Jatble ec «4 la longue aucun systime ne peut demeurer {San un stat de hublese constance» (Even-Zohar, 178 a: 124) : ou bien fl devcne plus for, ou bien il diparatc gradullement® La encore, les affirmationé'paraissent évidentes. Mais toute PPhistoire occidentale démontre Vinverse, méne aux périodes ot domine la traduction ethnocentrique (XVI, xvin"siécle). Crest ‘en fait tout le schéma centre/périphérie qui est & revoir. Le fait que la traduction ait toujours eu un starut problématique au ein dela « cite» nesignifie pas quielle soit « périphérique ». La Titeérature traduite n'est pas périphérique, ni centrale; elle a ig, et reste, cc sans quoi aucune littérature autochtone ne peut exister dans cet espace du colinguisme'” (Renée Balibar) qu’est POccident. De cette loi quiil vient dénoncer, Toury tire une autre loi 40, Gideon Tory, In ach of hy of rani oi. p42 BE. GE ence allay, Latte ga, PUR, Pars, 1985, pp. 7381 qui se révale tout aussi fausse, ou plutdt qui montre qu’en fistoite de la uaduetion, n'y a pasde loi” o Habitudlement ~ cesei-dte quand la liaértune raduitecccupe tne postion wave ~ le premier et le pincipal bit ex 00 ceeprité dan le stone cle (ou dane ue part de ce syste) Gite prifrence pou acceptable ye traduthabitulomen par St qu le radactour ume ses dina eset au norms «tl Simpiren de ce qui a dey inutaovnaln dase pe cc vee Une dist quasi sotomatque de fatenton pete ane ine ele de ue: ute pe et ph oir la taducton gecipe saan une poston primate dare I abrystime bl, le eadecteur se sent litre dear dex sores Ge guisexprimetouven par un plus grand eagprachement 8 éqard eta sccontrcion des Cais du tnt urea, Cette por ine techerhe adeqonton au pris done incompuabé cosa du texte tad quten tate odes norms regent Pacepabat ex textes (ou mein der radeon) dante systeme cb titers tou linguistique®, Liaffirmation selon laquelle, lorsque la littérature traduite occupe une position secondaire, le traducteur se soumet aux normes @’« acceptabilité », peut étre occasionnellement vrai ‘Mais dans le cas de la France du XVI siécle, on a une relation inverse : la traduction occupe clairement Ie centre du polysys- teme®, ce qui n’empéche pas la plupait des traductions de cette @poque d'aller dans lé sens de Pacceptabilité! “Tout cela paratt nous éloigner de Panalyse des traductions, mais en réalité nous y raméne la littératur: traduite va étre, pour cette école traductologique, systématiquement considérée comme un phénoméne le plus souvent secoadaire, tenu de se conformer & des normes qui lui sont entigrement extérieures. Et par voie de conséquence, les analyses de traduction se borne- ront a la recherche de ces normes et & l'étude de leur emprise sur les traducteurs et les traductions. D’od un mécanicisme croissant qui n'est siirement pas dans les intentions de Toury, mais qui se manifeste au grand jour quand les comparatistes analysent des traductions sur la base -de'ses idées™. 82, Gidéon Tousy, fe ec fe tary of trandation op ,p 9D 48, Haine Nac Troducton et beaten chee gocqua pote da x aden, 4 Re der shinny emer e180. 7 “Fs. Lore dan eollgue Interaational de leeraure compare tou Ata Sorbonne fen aol 1885 fa plopart de iaterveations su a ada Haat warned Les 35 OG OL g@es RBBO-N Ty a plus grave. Si, par suite des « norines translationnel- les» (quien fait, ne sone pas des normes spéci6ques pour la traduction, mais des normes valant pour toutes les pratiques @écriturc, ct au-deli, comme le «bon goat» classique), Madame Dacier ne pouvait pas traduire Homére autrement qu'elle Ia fait, lo question de la vrité de sa traidcton ne peat, ne doit inéme pas”se poser. Tl en va de méme pour les traduction: édulcorées de Dostoievski en France a la fin du xix’ siéce, etc. ‘Mais sl peut paratire en effet absurde, ou inutile ~ encore que Allemagne romantique Pait fat, etait considéré que la France classique n’avait pas trduit les Anciens ~, de juger Madame Dacier, cela devient plus difficile pour ces traductions de Dostoievski, plus proches de nous. Ily a quelque chose, au fond, qui relive dune confusion: aprés les traductions de Chateau- briand, de Baudelaire, de Leconte de Lisle, de Mallarmé; etc., les traductions de Dostoievski ne peuvent étre caractérisées que ‘comme ‘des adaptations, des introductions (au sens de Me- schonnic), non comme des « traductions », ni méme comme de «premiéres » traductions®, Ce qui manque ici - et qui est recouvert par l’analyse des normes ~ c'est une théorie générale de la translation Vttéraive, du passage d'une cxuvre d'une «langue culture» & une autre". La translation en question a ses formes et ses moments : une ceuvre étrangére est lne, par exemple, en France, ou révélée chez nous ; elle est signalée, elle peut étre ompuradits avaient toast Huns Slon concep et méthodloggue, pour inueger ee quis ausaient db ire depuis longtemps tes tadacions 8 us ehamp Pines, “45 Antine Berman, « La traction tla ere ou Lauberge dina in Lat rs Pabe T Be aur, 1985, pp. 116A. “Te suite a eminem de bin pr it cet eqn de tranatons que espace accent depusta Gréce, eommete montent Sreccoe nivatesde ond sae amino ingr~ dee wasnt da fee fee, Touts es autos toot set @ayen tule ty nat done lieu ettifer une vate aie téchionte de eat epace vamiionnel ~ debe Cestive de longs bali. By, plu adisalement, este dade da espace anstatin> Tee tierce bate’ nndatany ck par i es foes out ‘igen et wueton, come le metre phoma, fndamental, de wel. fics) Naturcementilya dares erpaen translator ern migrate Pécldnt Porecrpe Rapes @Eaeme Onent (Oxo Py Leto mael tin, ad Jesn-Clsude Miso, La Daan, Par, 1802). ‘Bin ce apna pou sangeet uaducson queen pat fre au come une tandaton te gration et une mutation ~ jue en le ‘Cposmave™, lly surat eu de wire charon ace espace cet pus que probable = pate peice deve demender pogo! le ytime wantauonel ecient Staevenu plaobsre 56 méme intégrée dans un corpus denscignement de littérature étrangére tele ou tele sans étre traduite ; elle peut étre publiée sous unc forme « adaptée » si elle « heurte » trap les « normes » littéraires autochtones; puis vient le temps dune courageuse introduction sans prétention littéraive (destinée généralement ux-qui écudient cette ctuvre); puis vient le temps des premiéres traductions & ambition littéraire, généralement pactielles et, comme on sait, Jes plus frappées de défectivite; puis vient celui des tmulepied retraductions, ct, alors, celui de la traduction de la totalité de Peeuvre. Ce processus est accom pagné, soutenu par tout un travail eritique. Puis vient — peut ‘mir ~ une traduction canonique qui va s'imposer et parfois arréter pour longtemps lecycle des re-traductions. La translation littéraire s'est accomplice dans ses pheses essentielles, qui, naturellement, ‘peuvent se distribuer diffgremment selon les ‘eaves, les domaines d’ccuvres, les époques, les langucs-culeures réceptrices. On voit aisément que le sens de cette Kanslation ext la « révélation » d'une oeuvre trangere dans son étre propre 8 Ja culture réceptrice. La « rétlation » plein: et entire de cette auore cat dlleméne Vauore de ta traduction, et d’le sede, Et elle n'est possible que sila traduction est « vraie >. Avant, il n'y a pas de «révélation », iln’y a que les étapes menant (ou non) & celle-ci. Le concept de « littérature traduite » brouille les cartes, parce qu'il confond ta translation littéraire avec ce moment central de la tanslaioe qu'est la waduction. Pour Pécale de Tel-Aviv, ext traduction tout ce qui se présente, se démomme comme tel. Crest Pourquoi, logiquement, Toury inclut ies « paeudo-traduc- tions » (telles que le Candide de Voltaire) dans la littérature ‘raduite. S'l n'y a pas & poser la question de la vérité & propos de toutes les formes de 1a translation littéraire, il y a lieu de la poser & propos de la traduction, et encore, de manitre différen- cite: on ne juge pas de la méme maniére une traduction premitre ot une retraduction ; une traduction partielle ou une traduction complete, etc. A ne pas poser (outes ces différences nécessaires, et & interpréter le phénoméne-de la éransatio litté- raire comme un processus d'inégration au polysysteme litéraire dune culture, Toury est mené a des erreurs néfastes: d'abord, les littératurcs étrangéres traduites ne s’intigrent généalement pas 4 la littérature autochtone, sauf dans le cas de tris grandes traductions, ct en vertu de particularités non généralisabtes : Ia Bible de Luther, U’ Authorized Version, le Plutarque d’Amyot, les 37 (Mille Une Nuits de Galland, le Shakespeare de Schlegel. Elles restent des « litteracures étrangéres », meme si elles marquent la littérature autochtone, Le Hopkins de Leyris, aussi admirable soit-il, n'est pas un « poéme francais », mais un poéime anglais, ‘méme si sa haute potticité en fait un « vrai » potme en franjas. Tl rest méme pas beroin qu'une traduction soit bonne pour quielle agisse sur la culture réceptrice (cas de Dostoievski agivant sur Gide, de Kafka, etc), La littérature traduite ne Siintigre done pas a [a littérature autochtone, comme le ‘montrent les rayons des librairies. Elle forme un domaine @ part, autonome, od coexistent péle-méle pré-traductions, intinduc- tions, et tous les genres de traduction mentionnés. Mais si on interpréte la franslatio en termes d'intégration (de naturalisa- tion), onest conduit & n'y voir qu'un processus d'adaptation, ot prédominent naturellement les «normes» littéraires de le tulture réceptrice, et oii régne la régle de l'aceptabilité: parce quiils sont par trop «étranges», Shakespeare, Dostoievski, Kafka doivent étre adaptés pour étre acceptés. D'ott la seconde conséquence néfaste : la question de la vérité réapparait (on ne peut fas ne pas la poser), mais sous cette forme: Ja traduction tc oraie nes calle qui est « adéquate » lel moment, etc. Adequate non a Veeuvre de départ (source-orieed), mais & la culture darrivée (target-crinted). La « vraie » traduction est celle qui est accepta~ ble, celle qui « transmet et « intégre » Yccuvre étrangére au polysystime récepteur. On voit la conséquence aburissante de Ce raisonnement : Pagir du traducteur est désormais déterming, nnon par le désir de « révéler » au sens plein du terme Peeuvre étrangére (désir autonome, qui n’obeit ~ certes au sein de mille limitations ~ qu’a ce que du Beliay appelait fa « loi de traduc- tion»), mais par Pétat (relat) d’ouverture ou de fermeture de la culture réceptrice. Si celle-ci réclame des traductions plutst source-orented, il y aura des traductions de ce genre, et les ftraducteurs se soumettront, consciemment ou non, a cette injonction ; si elle réclame des traduction argeioriented, ce sera Finverse. La encore, le schéma parait évident, mais il nie toute autonomie du traduire, et, en fait, il nie toute histoire occiden- tale dela traduction : si les traducteurs, depuis saint Jéréme, ne Stétaient souciés que d’obéir aux normes, jamais la traduction 47, Du Belly, Le Dif Maan df Lange Fags, Le Regrets, prick de En dats Ue ome eb de La Dine 10 Teseton te Lange Frit, ‘Gata elt Pose», Pars, 1957, pp. 201-22. 58 n'aurait été en Occident cette fagonneuse « primaire», et non «secondaire » ou « périphérique », de langues, de liteeratures, de cultures, etc., quelle a été, et reste. Il est bien vrai qu’ils ont di, et doivent encore, composer avec ces normes (comme on le voit clairement chez Luther ou Amyot), voire en ont épousé certaines (Schlegel voulait un Shakespeare a la fois fidéle a Poriginal et germanisé, intégré, oui, & la littérature allemande, mais cette intégration supposait pour lui la fiéité). Mais jamais ils n’ont perdu de vue la vérité autonome de leur tache. Toury a di se rendre compte du caractére « réactionnaire » imprévu de ses théses initiales (justifer les modes de traduction réducteurs existants, voire les encourager), puisqu’il a écrit (mais je ne Pai pas lu} un article intitulé « The Translator as a Noncénformist-to-be, or: How to train translators so as to violate translational norms». En vérité, V'école de Tel-Aviv oscille entre deux concepts dé la traduction, ceux que décrit Toury.en parlant de « norme initiale ». Elle ne peut, au fond, as ne pas penser que la « vraie » traduction est la premigrc, celle qui est sourc-ortented ; mais son champ d'étude et d'analyse tant la traduction target-ariented, c'est-A-dire la translatio ltté- raire interprétée comme intégration normée, elle est conduite & privilégier la traduction « réclle », c'est-A-dive statistiquement la plus fréquente, la traduction/adaptation, et & construire sur cette base ses analyses. Reste & signaler un point d’importance, essentiel, on le verra, pour Porientation des analyses de traductions: la place du «sujet traduisant » dans cette pensée. L’emprise du fonctionnalisme, méme ensichi, empéche & mon avis toute réflexion sur le sujet traduisett, que pourtant Brisset ne cesse d’appeler de ses vorux". Ge sujet n’apparait dans son ouvrage que comme ‘eats des normes du discours social et de 'isttucion qui les instaure et les sanctionne™, 4a, fdr Dea Sven OP et lem Ws ‘Area Dincmeck 1960 po BONGK. Toate de de qae sine eaten et dopa ‘Mum ton poses Sdn ean sce cue occa gly bes Serer Pure pa ee Se hae, Se i nin, Pen loon deseo dyes 10 op Bs So a i 59 DAC O-O-O-S RAO-O OG & £84344 mr S$ j ' > Or la notion méme de sujet, quelle que'soit Pinterprétation qu’on en donne, suppose tout a la fois celle d’idiidiation (tout sujet est ce sujet-ci, unique), celle de rflesion (tout sujet est un soi, un étre qui se rapporte 4 « soi-méme ») et celle de tiherié (tout sujet est responsable). Cela vaut pour la psych traductive. Gertes, devenir un simple relais est Pun de ses possibles. Et si maints traducteurs ne sont que des: «relais des normes du discours social », il s'agit toujours d'un choix, meme si ce choix n'est pas vraiment conscient. C'est parce qu'il est responsable de son travail que le traducteur peut, et doit, étre jugé: une traduction est toujours individulle, toujours traduction-par.., parce qu'elle proctde d'une individualité, méme soumise & des fnormes ». Lorsqu’un traducteur se conforme entidrement & celles-ci, cela prouve seulement quril a dicidé de les faire siennes ; certes, le plus souvent, dans Ia pénombre & peine consciente de sa psychi, Le concept d'« internalisation » employé par Toury et Brisset a peut-étre une valeur psychosociologique, mais il ne dit, pas grand-chose sur la subjectivité du sujet traduisant, Ti y a d’autant plus choix qué tout traducteur sait, pour ainsi dive a prior, qu’ll existe ce que du Bellay et Peletier appelaient au xvi siécle une « loi de traduction™ » absolument indépendante des « discours sociaux > ; une Loi au sens le plus fort du terme, que la, il n'est pas libre de modifier, Est traduc- teur qui se soumet & cette Loi, Perrot d’Ablancourt, qui prenait maintes libertés avec les originaux et le disait haut et fort, écrivait’a propos de sa version des cxuvres de Lucien : cela n'est ps propemént dela radution jai cela vt micas que Ja traduction. Ee Ty a peut-étre « mieux » que la traduction, mais il y a un «proprement » de celle-ci, et Perrot le sait fort bien. Néan- moins, le contenu de la loi de traduction ne saurait se réduire & ce qu’en dit du Bellay, ni tout autre. Il ne peut pas étre formulé de maniére thétique et absolue, parce que toute formulation que nous en pourrions donner resterait marquée par des dléments de notre doxa, resterait relative, C'est pourquoi il n'y a pas de «définition » de la traduction, pas plus que de la poétie, du théatre, etc. Et pourtant il y'a une «idée » de la Sl, fe BoA. Borgel, dole de le mane de rae, Lnguatec, Mont, 201, 6 SE mi, p. 34 60 traduction, dela potsie, da theatre, qui, qudique indéfinissable, n'est ni imaginaire, ni vide, ni abstraite, mais au contraire d'une grande richesse de contenus : Ia traduction, c'est toujours «plus» que la wraduction, ad infinitum, La seule maniire d'accéder a saterickese de contenas, c'est? Hisaire. Loin d’apporter la preuve quele traduire est chose changeante, relative, sans identité ni frontiéres, l'Histoire, d’époque en époqe, expose a nos yeux la Fichesse déroutante de la ,traduction et de son. Idée. Les prétendues variations de la’ notion méme de traduction aux différentes époques peuverit ainsi tre lues comme des manifes- tations préférentilies d'un des.contenus de cette Idée, ou de plusieurs. La traduction n'epparait pas au Moyen Age comme 4 la Renaissance. La translaito n’est pas la traductio, Mais toutes dex sont des actualisations, des manifestations de « La traduc- tion > Pour le traducteur, PHistoire de la traduction est done quelque chose qu'il faut nécessairement connaitre, quoique pas forcément A la maniéxe Pun historien “. Un traducteur sans conscience historique est un traducteur mutilé, prisonnier de sa représentation du traduire et de celles que véhiculent les « ‘Peron esa ge de rte tre Safer eee fre pout peer comb onan et te eae ge es ps ar 35 Philippe Brun, dan man troduction x nde Sappho, Pome Pegnens (LAGE tome, Par, 1991, p23) de gon appa “A par dele unducion andee @'Anice Maumee Cau [et a ‘encore dt venom mezres~ryaraes, mas desis re chanted ete 61 Tentons a présent une premiére synthése avant d'en venir A notre conception des analyses de traductions. | ‘Malgré les vives critiques que je viens de faire a 'école fonctionnalist, je ne lui dénie pas une grande positivité. Entre ‘une analyse « trop » militante genre Meschonnic ¢t une analyse tctrop » fonctionnaliste, sociologique, genre Toury ou Briset, i ya place pour un autre «discours» qui, loin de s'opposer polémiquement aux deux premiers, sache conquérir son auto- homie en leur rendant justice. Les analyses critiques de Meschonnic (et de tous ceux qui pratiquent des analyses du iméme genre, Cest-A-dire des évaluations de traduetions fondées sur un examen serré de Poriginal et un concept sourc-oriened du traduice®) me paraissent étre le prolongemmt naturel de cette attitude soupgonneuse du « simple »Iecteur de traductions que écrit si bien Masson”. Méme armées conceptueliement, ces analyses intepllent les traductions et les traducteurs. Qualité essentell. . TLes analyses de Toury et de Briset représentent, a Vévi- dence, Ia suspension de cette attitude naturelle du lecteur de traductions, puisqw'elles prénent une totale neutralité de juge- ment. Mais len résulte deux consequences. D'une part, le texte traduit est objertv, transforme en objet de savoir() sil nest plus quelque chose quion interpelle pour le critiquer ou le_lover. Brautre part, comme on Ha vu, i se trouve dans tous les cas “ypu ima e jet dere pemphigus tu Sappho See Reine principe On auret woul donner Versemble de ces tadctog, Se Golend ten nay te se qe pou ere ane de Seppo aera ee aprarn aie che ome ape de neon ‘eric ve ale sti dato fie nae opt het aaa a oleae uertue ee reradutn conve ‘Con Steiner dan Apis Bab On touve da echapiir V de ct ouvrage, gus eae De fn sche de rearuatn maceroalfi de oducts oe Sitti Supe um Seas peste mt Sonar a on an peadar ne atacon repose atest deFure St ay iape i de emargus anette sea pt dep rr eecLe hs kn Crt cin dpi dl ebb Lane i Fee dpe eran Oe tr pola Cer tre iw (ink te cu or foo erie) caus ye Spi A eau Ges nc Ge Sem ae sone coger separts cu Ea undone On pvp Sacer se ase a EA ot ames unter ne fate gh de Stbveos Cmaroe'et quit 72 lun example devaluation de taducions expt woah eps om SIT Mat erie de Bite Aphores 9 i p 97188 62 _justifié, puisque Panalyse méme montre qu'il e pouvait pas etre ‘autrement qu'il r’était, On suppose que les tenants de ceite cole réalisent, au moins en leur for intérieur, le caractére proprement intenable, & tous points de vue, #’une telle neutra- lite: Meme un Derrida, qui refuse de prendre parti entre, en fait, Broda et du Bouchet, sait de quel c6té se trouve la traduction la plus « fidele ». I ne veut simplement pas entrer dans des querelles « parisierings», Il n'est sirement pas newt. En traduction, on-ne peut pas, on ne doit pas étre neutre. La neutralité n'est pas le correetif du dogmatisme. Mais si tre neutre signifie tre «obpctif», et si etre «objectif» signifie étre «scientifique », et si toute veritable neutralité est impossible en traduction, le projet contemporain d'une science de la iraduciion n’est-il pas mis ex cause? I y a ick une équivoque qui doit atre vite dissipée «Science de la traduction» peut vouloir dire : savoir disctrsif et conceptuel rigoureux de la traduction et des traductions, esayant de conguérir ume scientifcité propre. Mais cela peut vouloir dire aussi: chercher & constituer un savoir positivste et scientiste de la traduction, puisant servilement et acritiquement dans le procédures des sciences «exactes ». Au XK*siécle, tous les grands noms des sciences hurmaines semblent avoir connu, Aun moment ou & un autre, cette derniére teniation (la encore, Barthes est typique, mais on pourrait citer péle-méle Lévi- Strauss, Braudel, Lacan, etc.). Leurs ccuvres montrent qu'il ‘ont toujours su dépasser cette tentation et fender des discours, scientifiques rigoureux, mais spécifiques & leurs domaines. Des discours scientifiques qui sont aussi des discous critiques, Et q done, ne sont pas neutres. L'histoire, la sociologie (ef. Tou- aine), Vethnologie ne sont pas neutres, Ce sont des sciences critiques non idéologiques, Telle doit étre la « science de la traduc- tion », quelles que soient son orientation, sa méthodologie, ses concepis de base, etc. 63 S338 DDB excomep-ceseromnt ESQUISSE D'UNE METHODE. Je vais tenter maintenant de tracer Varchitectonique d'une analyse des traductions qui tienne compte des formes élaborées par Meschonnic et Pécole de Tel-Aviv, tout en élaborant une méthodologie et des concepts propres (au moins en partie) et tout en visant a correspondre au concept benjaminien de critique de traduction présenté plus baut. Je présenterai ici la forme la plus développée et la plus exhaustive de cette architectonique qui, dans les faits, risquerait de donner un livre plutdt qu'un article. “Mais i] est presque superfiu de dire que cette forme maximale peut se moduler suivant les finalités particuliéres de chaque analyste, ct s¢ mouler dans toutes sortes de formes textuelles standardisées (article, communication, étude, ouvrage, recen- sion, tHése, etc.), Au reste, il ne s'agit pas de présenter un modéle, mais un trajet analytigue possible. Mon trajet analytique sera divisé en étapes successives (ce qui correspond au concept de méthode). Les premiéres étapes ont trait au travail préliminaire, c'est-i-dire a ta lecture coneréte de la traduction (ou, le cas échéant, des traductions) et de Voriginal (sans parler des multiples lectures collatérales qui. viegnent étayer ces deux lectures). Les étapes suivantes ont trait aux moments -fondamentanx de T'acte critique Iui-mérie tel qu’it apparaitra sous forme éerite. Crest également dans cette partie que sont présentées les calégories de base qui veulent structurer cette critique, et qui se distinguent aussi bien de celles de Meschonnic que de celles de Mécole fonction- naliste La forme de ce genre d’analyse s'est peu & peu dégagée pour moi au fur et & mesure que je « pratiquais » des études de traductions, en essayant d’en préciscr (ct d’en systématizer) lea procédures. Les premiéres étapes doivent beaucoup & mon travail de traducteur littéraire, et notamment &.la difficile traduction des Sept fous de Roberto Arlt, faite avec Isabelle Berman, C'est en lisant et relisant ensemble, ou séparés, les successives versions de cette traduction, et en effectuant un vacet-vient entre ces versions et Poriginal & peu prés dans 64 Vordre qui va dtre décrit, que nous avons appris cette chose qui ne va pas du tout de soi: apprendre line une traducion™, Lectare et relectre de la traduction A un regaid méfiant ct pointilleux, tout autant gu’ un regard purement neutre et objectf, opposons un regard récepif qui, effectivement, n'accorde qu’une «confiance limitée » au texte traduit. Telle est, telle sera la posture de base de Pacte critique : suspendre tout jugement hatif et s'engager dans un long, patient travail de lecture et de relecture de la traduction cou des traductions, en, lassant eniirement de ete Voriginal. La premiére lecture reste encore, inévitablement, celle d'une «qouvre étrangére » en francais. La seccnde la lit comme une traduction, ce qui implique-une conesion du regard. Car, comme il a été dit, on m’est pai naturellement lecteur de traductions, on le devient. Laisser original, résister & la compulsion de comparaison, c'est a un point sur lequel on ne saurait trop insister. Car seule cette lecture de la traduction permet de pressentir si le texte traduit « tient ». Terira ici un double ens: tenir comme un érit dans la langue réceptrice, c'est-i-dire ewsentillement ne pas ure on dea des « normes » de qualité sesipturaire standard de celle-ci®. Tenir, ensuite, au-dela de cette exigence”de base, comme un veritable texte (systématicité et corrélativité, organi ‘ite de tous ses constituants). Ce que découvre ou non cette relecture, c'est son degré de consistance inmanente en dehors de toute relation & Voriginal, Bt son degré ce vie immanent: il ext des traductions ~les critiques de magazines littraires le savent bien, mais il en restent IA ~« froides », « aides », « enlevées », « vives», etc. $2, Leva pop ne tata, dne, uc va penontt Ses fra coerce rasan Posen i fe Safe es aeons 2. Sas out speneny ies és ne wep linen, Mais raaciom tpn ise ease econe Ohne eh de Hannah Aree On ren pli vse Ent fe ean cher Galea sation depose eal es Doe, va esos a Shi cutee yoerdderaehe etn rie tage ker onset sora ca ud are mais Ee te ean ct eos oe ae Soci drat Cea re oa ‘Sinise sas eared chile ss a fag 65 Cette relecture découvre aussi, immanquablement, des «zones textuelles » problématiques, qui sont celles olt aflleure Ja défectivité : soit que le texte traduit semble soudain 3'affai- blir, se désaccorder, perdre tout rythme ; soit qu'il paraisse au contraice trop aise, trop coulant, trop impersonnellement ‘francais; soit encore quill exhibe brutalement des mots, tournures, formes phrastiques qui détonnent soit qu’enfin il Cenvahi de modes, tournures, etc., reavoyant d la langue de Yoriginal et qui témoignent d'un phénoméne de contamination Tinguistique (ou d’« interférence »). : ‘A Pinverse, elle découvre aussi, mais pas’ toujours, des «zones textuelles » que je qualifierai de mivaculeuses, en ceci qu'on se trouve en présence non seulement de passages visible- ment achevés, mais d'uine écriture qui est une écriture-de- traduction, une écriture qu’aucun écrivain frangais n’aurait pu écrire, une écriture étranger harmonieusement passée en francais, sans heurt aucun (ou, sil y a heurt, un heurt bénéli que) ®. Ces « zones textuelles » of le traducteur a écrit-étranger en frangais et, ainsi, produit un frangais neuf, sont les zones de grace et de richesse de texte traduit. De bonfewr. A lire, par exemple, le Naxfrage du Deuischland ou d'autres potmes de Hopkins eraduits par Leyris, on sent & la fois la longue peine qu’a été la traduction, et le bonheur qu’elte est parvenue finalement & re. Tnsistons sur Pimportance de ces « impressions»: ce sont elles, elles soules, qui vont orienter notre travail ultérieur, lequel, lui, sere analytique. Se laisser envahir, modeler par ces «impressions », c'est donner un 30] sir a la ctitique a venie. Tl ne faut certes pas en rester la, car non seulement toute impres- sion peut étre tompeust, mais mainte traduction est trom- peuse, et done produit des impressions trompeuses™. 60, Emmanvel Heonsatd, pfvnation & Vantoloic 49+ anaes pts ands, cha por Donal Hocqard ot Claude Raye Jouraoud, cat # Un rca aue TAdgoriuen, Ba Acton fetdgue/Un bureae fur 'Atanigue, Rejaw one 183i p lO: ef s}afarve de liede fs pose amtraine en angi las Thon val pir et deine en anges Cen alo, que vraiment “toudsin eros sere i Son concen pot eis ge Ras u pot aegis ne aura ef [c] Je em 8 et ie qur In radueton et Hite tore dc repestnmaton dont Jal bsp pour mieux oir et mie eomprende {Ges ts prope langue.» “SI Mais ea, pauls sur un ase repetre- Lorsu'un equ, dans un ate park due teadveton blanc gonte ety ly ain dene er agi Et evades ar eet ew Ge, ot ete Tous Mls yt aust fexcelenes eaducdons qut mertent cer qualiseat rncpalement parce que eauce valent at pout Pongal 66 Nous avons lu et relu la traduction ; nous nous sommes fait une impression (ou une impression s'est faite en nous). H faut ‘maintenant nous tourner, ou nous re-tourner, vers original Les letares de Voriginal®™ Ces lectures jaissent de ofhé, elles aust, fa traduction, Mais elles n’oublient pas ces « zones textuelles » oii la traduction a semblé tantét problématique, tantét heureuse. Elle les lic et relit, les souligne, pour préparer la future confrontation, De simple lecture cursive, elle devient trés vite préanalyse textulle, 'est-A-dire repérage de tous les trai stylstiques, quels quilssoient, qui indiiduent Pécriture et la langue de Poriginal®™ et en font un réseau de corrélations systématiques. Inutile de chercher ici 'exhaustivite; la lectuce sattacke & repérer tel type de forme phrastique, tel type signifiant d’enchainements propo- sitionnels, tels types d'emplois de Padjectif, de l'adverbe, du temps des verbes, des prépositions, etc. Elle elave, bien sir, les ‘mots récurrents les mots clef, Plus globalement, elle cherche & voir quel rapport lie, dans Peeuvre, Véeriture & la langue, quelles rythmicités portent le texte dans sa ttalité 1, fe erifique refait le mime travail de lecture qu le traducteur a fit, on ext canst avoir fait, avant ot pendant ia traduction Le méme ~ et-pas tout a fait le méme. Car la lecture du traducteur est, comme je Pai souligné dans Ligjrauwe de 62, Cereus pa pls quel preddene,ne songs de ecu elias te: lecture de antes rere ha ate ore as mato da educa, eres eqs, infratvs ez Myf leutscllteales me enblet dev. incervene un pes apes ces dee premtes ieee cna util oe aed iol sen cv eee tad de aut Toga San apd 3, Le ale ct un tesa qui inviscid Viiv Aha, Paul Rite Dutt dP, it masa op 108. 64. CL Mickel Greset «De Ta tatneton as te teephore iterate aa ‘eaducion comme mitaphere de tre, Rowe fg fue ea 1 19s, pp SOLID. Ce repeage inclt tous le sue mfaphorigue de Tove, souveat neg pare raduttue Syiane Garerone, cite par Crees S00) frien Se tndaceurne “purse pas” les dven esto metopiriqua fe Faull] (J itne peut epécer Communic ln sybatqe de Couette, dont es tnlsophores convent les arerboatans» tx} posque nraeaun metphon qa Ry ees eset desgnitans, de terme, de conepa ot Greet joe dca des {eprges eve cet ements interes (eo te ate ee Syne sate ‘lde ements hyperentuc (lowol 4 das eves aus seu) lense 67 FAD A OO€ 2 ) ) ) d ) \ R44 aE bettie Pétrange®, déja une pré-traduction, une lecture effectuée dans Phorizon de la traduction 5 et tous les traits individuants de Peeuvre que rious avons mentionnés se découvrent autant dans Je mouvement du traduire qu'arane. Crest en cela que eel posséde son « ctiticisme » propre, autonome. Ii est bien certain que ce «criticisme » ne saurait étre purement et simplement fondé sur le face-a-face du traducteur et de V'ceuvre, Il faut qu'il recoure & de multiptes lectures collatérales, d'autres ceuvres de Tauteur, douvrages divers sur cet auteur, son époque, etc. Chateaubriand, pour retraduire Paradise Tost, disait s‘étre entouré «de toutes Jes disquisitions des scoliastes“ », Jaccottet, pourretraduire L’Odusée en soulignant son style souvent formu= laite, reavoie a des lectures de spécialistes allemands d'Ho- mére®. Leyris, pour traduire Hopkins et eomprendre son ins- cape, a lu Fouveage de Gilson sur Duns Scot, Savignac, pour sa récente traduction de Pindare, a lu ses traductions frangaiscs ct allemandes, ainsi que les travaux des principaux hellénistes ‘modemes sur la culture grecque®™, ‘Diane manire générale, traduire exige des lectures vastes et diversifiées. Un waducteur ignorant — qui ne lit pas de la sorte ~ est un traducteur déficient. On traduit avec des livres”. Nous appelons ce nécessaire recours aux lectures (ct & autres « outils » au sens d’Ulich) Patayage de Pate traductf. Cette notion est lige, mais non identique, a celle d’étayage de la traduction elle-méns’.. ‘Que Pacte traductif doive étre étayé n’enléve rien & son autonomie fonciére. Je veux dire par li, dabord, que les lectures du traducteur ne sont pas des lectures liéés, mais des 65, Pp. 20242, Dara wwe cee note de Libra de rang, le conceit athermninctique et conn dessare op fertscive, wep tI eale hermeneat= (uc romantgue [Sehermacher, Sr chateaubrasa wBearques» (& propos de fa caducion de Milton ia ofdie 0, Be, Par, 1982p 12. ie Pippe hucntey «Note sr traduction » ix Homie, Oi, ad PaitpgeJaceonec FMiLa Disouverte, Pat, 1982, 4, 1H Jeenul Suvgaae «Brace inane colt, ad J-P. Save aac, Lx itreoe, Pal 1330, 8. Began muan ae S onati, 40 L'fayage dein eaduction comprend tous Tes partextes qu vewnent sotent:inteaiecion, gree, pone, ma, slosaie, ee. La eagucon ne pet ‘parE wu manu pine de te pan tecompi a vei irae, Aujurd ny x Eeiyage eaves propos pee age daigue, pu par Age phiclogiqa (Xs Eeyiebeatene plu dower cere etsont etn cee par etn traducea Ntpentr La quenion de en nove tajage, et us nouveau concn 8 ce rogon x d'une importance euch 6 lectures libres”!. Aucune « analyse textuelle », en particulies;et pas méme celle que ferait un traducteur capable d’en mener tune véritable, ne peut constituer la base obligée d'un travail de traduction, comme on le croit parfois, comme on avait cru ily ‘a quelques années avec Vinay et Darbelnet, naivement, que la traduction était de la «linguistique appliquée ». L'analyse rextuelle la plus éclairante - méme celle qui vise a repérer des « translémes” » = n'est et ne sgurait étre qu'un étayage traduc- if parmi d'autres. Dune fagon générale, il faut refiser avec la derniére énergie, surtout depuis qu’on a commencé a enseigner la ‘traduction littéraire, toute inftodation du traduire & un queloon- que discours conceptnel qui, directementou non, lui dirait « ce qu'il faut faire» ; cela vaut pour analyse textuelle, pour la poétique, Ia linguistique, ‘mais aussi (sinon surtout), pour les «traductologies » en tout genre. Ges traductologies ont & développer leurs discours sur la traduction sans de lout préten« dre régir la « pratique » traductive. Elles sont du reste autant destinges (en principe) aux non-traducteurs qu’aux traduc- tous. Ainsi doit-il y avoir nor-inféodation de Pun & Mautre (la traduction ne dépend pas plus de la traductologie que celle-ci n’est la simple explicitation du travail caducdi), mais auto- nomie réciproque. S'appelle gré-anabyse la lecture du criticue de traduction, car elle n'est effectuée gue pour préparer la confrontation. Pas plus que celle du traducteur, elle ne saurait éhapper au cycle des lectures mentionnées. Ces lectures sont plus lies, plus systéma- 71, Yor, Boney, tut de pote Mercure Hace Puc [980 pp TSE. (Fas (esol ce de sn“ tage saad Us Sie si i 2) cuts nw pation if Geet etn pre recat cin scans ce aa i ue evade, mas prone tl de nen pce pecans selina act oe ppt sien Styne ul mm ou as pris sada abe wae pote TG Ane Di, «Fob sens en es ted tani ie META 20, op 8h ape sono ne atacand cathe eld comp hemnasennatenent cee tardentetun anda geass ut oppo sennigey esce ESimene typecast en pide epost asta coera ofp Bh Toe dls int prop eacenee souls do texe pele es Sadun hee’ patlae pact don aceon ene Renda de tied pose tana» Coe Mert age ‘Seed uadatsse ab escar npr dort iw pi Abt ts 4 69 tiques que celles du tradueteur, mais elles ne sont pas non plus inféodées a tel type d’analyse. Sauf que nous considérons, avec Meschonnic, Toury et Briset, que ce que la linguistique, Ja poétique, Panalyse structurale, la stylistique nous ont révélé du Tangage, des acuvres et des textes au XX" sitele est un « incon- tournable® > du travail critique, Non pas, encore une fois, au sens ob ces sciences, ces savoirs, constitucraient des bases ‘contraignantes. Mais & celui od notre approche de la langue, du texte, de Peuvrc est marquée par ce qu’elles nous en appren~ nent”. Le critique de traduction est plus Lé-que le traducteur A cos « sciences », puisqu'il a a produire lui-méme un discours conceptuel rigoureux. : ‘A bartr de cette pré-anaiyse et des lectures Paccompagnant va commencer un patient travail de sélection d’exemples stylistiques (au sens large) pertinents et significatify dans Poriginal. La rigueur de la confrontation ~ sauf dans le cas dun texte court od tout »est analysé — doit forcément s'appuyer sur des exemples. Leur découpage est un moment délicat et essentiel. Sont sélectionnés, découpés aussi, et cette fois & partir d'une inteprétaion de Vawre (qui va varier selon les analystes), e#s ‘passages de original qui, pour ainsi dire, sont les lieux ob elle se condense, se représente, se signifie ou se symbolise. Ces passages sont les zones signifianes ot: une ceuvre atteint sa propre ‘vsée {pas forcement celle de l'auteur) et son propre centre de gxavite. L’éegiture y posséde un trés haut degré de nécessité. Ces passages ne sont pas forcément apparents a la simple lecture j Et crest bien pourguoi, le plus souvent, c'est le travail interpré‘a~ tif qui les révele, ou coufirme leur existence. Dans un poéme, ce peut étee tin, ou quelques vers; dans un roman, tels passages; Gans un recueil de nouvelles, a phrase finale de la derniére nouvelle (comme dans Dubliners de J. Joyce ®) ; dans une pitee 1 Cet aj elon la de maintenant econ comune pant par » et «non marqués », Tespace de ses possibles libertés. A Tinverse, la confusion du «marqué » et du «non marqué », du nécessaize et de Valéatoire annihile chez le traductour toute liberté et mane A des lttéralismes (notamment syntaxiques) funestes. Résumons: préalablement & analyse concréte du texte traduit doivent étre efectuées : lyse textuelle sélectionnant un certain nom- ques fondamentaux de Voriginal ; 2) une interprétation de Voeuvre permettant une sélection, de ses panages signifiants ‘Nous nous sommes pénétrés du texte traduit ; avons repéré ses zones faibles et ses zones fortes ; avons analysé et interprété Voriginal et constitué un «matériel» d'exemples exhaustif, raisonné et représentatif. Sommes-nous préts 4 la conftonta- tion? Absolument pas. Si nous connaissons le «systéme» stylistique de Poriginal, nous igaorons tout de celui du texte traduit, Nous avons certes « senti » que la traduction avait un systémé, puisqu’elle nous semblait tenir (nous restons évidem= ment dans ce seul cas.de figure), mais nous ignorons tout du comment, du pourquoi et de la logique de ce systéine. Si nous procédons a de fugitives comparaisons de Vceuvre et de sa traduction, par exemple dans le cas d'un recueil bilingue de poésie, it peut bien nous apparattre ~ tout de suite ~ une correspondance globale, mais aussi des choix, des écarts, des modifications diverses qui, sans du tout choquer, &ton- nent ; pourquoi avoir « rendu» ceci par cela, se dit-on, alors que. Cetui qui lit la version de Dickinson qu’a publige Claire Malroux”, ou la traduction de Yeats par Masson”, se de- mande foreément le poucquoi de telle permutation, de tel 178, ExilyDickioon, Pm Balin, oll. «Leste contemporain mPa, 1989 78, Win” Yeats Let gam vewagir 9 Cov, ted Jean-Yves Matin, Veter Lagrasie, 199. 2 allongement, de telle suppieision de joncteur, até, sans mettre en cause l'évidente qualité de ces traductions, I] s'interroge sur les « raisons » de nuille petits « écarts » dont la somme semble définir Midiosyncrasie de 1a traduction. Cette interrogation rebondit s'il compare ces traductions de Yeats et Dickinson avec celles, disons, de Bonaefoy et Reumaux : encore des écarts, ‘mais différents (!) (Ctest que chaque traducteur a sa systémati- cit, sa cohérence & lui, sa maniére dw carter », d'« espacer », dirait du Bellay). Et voilé que pour comprendre la logique dus texte traduit nous sommes renvoyés au travail tradutifloi-méme et, par-dela, au traducter A la recherche du traducteur « Aller’au traducteur», cest'l2 un cournant méthodologi- que d'autane plus essentiel que, comme nous lavons vu plus haut, lune des tches d'une herméncutique du traduire est la prise en vue du sujet traduisant. Ainsi la question gui ast le traductewr ? doit-elle étre fermement posée face & une traduction. Apris tout, face @ une ceuvre litéraire, nous demandons sans tréve: qui ext Vauteur? Mais les deux questions n'ont pas vraiment les mémes contenus. La question sur auteur vise les elements biogeaphiques, psychologiques, existenticls, etc., cen- sés luminer son ceuvee; méme si, 2u nom d'une analyse structurale et immanente, on voulait limiter la valeur de ces éléments, qui oserait nier qu’il est difficile de saisir Pecuvre dun, du Bellay, d'un Rousseau, d'un Hélderlin, @un Balzac, d'un Proust, d’un Gelan, si on ignore tout de la vie de ces auteurs ? ‘Guvre et existence’ sont lige. ‘La question qui eit le iraducteur ? a une autre finalité. Saut exceptions, comme saint Jéréme et Armand Robin®, la vie du traducteur ne nous conceme pas, et a fatiori ses états d’ame, Tl n’empéche qu’it devient de plus en plus impensable que le traducteur reste ce parfait inconnu qu'l est encore la plupart du temps. Tl nous imiporte de savoir s'il et frangais ou étranger, sil n'est « que» traducteur ou s'il exerce une autre profesion significative, comme celle d’enseignant (cas d'une irés impor- 60, A pati dasque de Labo slaJétme a mdoi us ptoresque roman cutnecns Glen Marcel frie De lsc, Lemeng Osta, 1530) B i i } i wnte portion de traducteurs littéraires en’ France); nous Soul aol et ae cra pode deur els s) il traduit, quel(s) rapport(s) il entretien Meer iz) elle bilingue ef de quelle sorte, ques genres oeuvres il traduit usuellement, et quelles autres ceuvres il a traduites s'il est polytraducteur (cas le plus fréquent) ou ‘monotraducteur (comme Claire Cayron"!) ; nous voulons sa- voir quels sont, donc, ses domaines langagiers et littéraires ; nous voulons savoir sil a fait ceuvre de traduction au sens indiqué plus haut et quelles sont ses traductions cencrales a écrit des article, études, chéses, ouvrages sur les euvres qu a traduites ; et enfin, sil a écrit sur sa pratique de traducteur, sur les principes qui la guident, sur ses traductions et la traduction en général”, Voila qui est déja beaucoup, mais qui risque de n’étre que pure « information », I! faut aller plus loin, et déterminer sa position traduetive, son projet de traduction et son horizon traductit La position traductive Tout traducteur entretient un rapport spécifique avec sa re activité, c'est-a-dire a une certaine « conception » ou {perception » du traduire, de son ses, de ses Tale, de ses formes et modes. « Conception » et « perception » qui ne sont is paremenl perionnals, pun Je wade et eectve ment marqué par tout un discours historique, social, littéraire, idéologique sur la taduction (et Téetiture liuérice). La position traductive est, pour ainsi dire, le « compromis » entre Ja manide dont le traducteut pergoit en tant que sujet pris par Ja pulsion de traduire™, la tache de la traduction, et la maniére 41, Clare Cayron, Sms, purl Wattin, Le Msscare, Borden, 187 8" ga. Novalis dons ie lr & AW. Seblege, emplaie Pepreion Dbesimge ore rato aes te iron re lcd apron app ea devin ire par da ignentom "4 dont il a « internalisé » le discours ambiant sur le traduire (les ««normes »). La position traductive, en tani que compromis, est le résultat d'une daboration: elle est le teposer di traducteur vis-d-is de la traduction, s=poser qui, une fois choisi (car ilsagit bien d'un choix), lie le traducteur, au sens o& Alain disait qu'« un caractére est un serment ». La position traductive n'est pas facile a énoncer, et n'a ailleurs nul besoin de Pétrex mais elle peut aussi étre verbal ste, manifestée, et se transformer en repréventations. Toutelois, ces représentations n’expriment pas toujours la vérité de la posit taductive, notamment lorsqu’elles apparaisent dans des textes fortement codés comme les préfaces, ou des prises de parole conventionnelles comme les entretiens, Le traducteur, ici, a tendance a laisser parler en lui la doxa ambiante et les tei impersonnels sur la traduction. Crest en élatorant une position taductive que la subjecti- vite du traducteur se constitue et acquiert son épaisseur signi fiante propre, menacée depuis toujours par trois dangers majeurs : Vinformité caméléonesque, la liberté capricieuse et la tentation de Peffacement. I n’y a pas de traducteur sans position traductive. Mais il y a autant de positions traductives que de traducteurs. Ces pasitions peuvent étre reconstifudes A partir des traductions ellessmémes, qui les disent implicitement, et d partir des diverses énonciations que le waducteur a faites sur sts traductions, le traduire ou tous autres « thémes », Elles sont par ailleurs lies & la positon angagiire des traducteurs : leur rapport aux langues étrangeres et 4 Ja langue maternelle, leur etreco-langues (qui prend mille formes empiciques différentes, mais est toujours un étreen-dangues spcifiqu, distinct des autres étre-en-langues qui ne sont pas concernés par la traduction) et a leur position scripturaize (leur rapport a Uécriture et aux ezuvres), Quand nous saurons prendre en vu: en méme temps Position traductive, position langagiére et position scripturaite ‘hea le traducteur, une « théorie du sujet traduisant » sera "sgnoroay encore, sant as encore de «shone» da sujet endunast. Novs savers tamiquement quel ent a rincpe de tous le dein Ge raducton. 5 occa i SE a Le projét de inaduction Dans mon intervention & la « Journée Freud » d’aTtas, en 1988, je tentais pour la. premiére fois de préciser le concept de projet de traduction, Lrunion, dane une traduction réussie, de Mautonamie et de Uhétéro- ‘nomi, ne peut rézulter que de c= qu'on pourrait appeler un projet de traduction, lequel projet n’a pas besoin d'etre théorique, (..} Le ‘waduetour peut déterminer « prov quel ve etre ledegré d'autonomie, ‘9a d’hétéronomie qu'il va accorder sa traduction, et cela sur la base rune pré-analyse ~ je dis pré-analyse parce qu'on n'a jamais vraimeht analysé un texte avant de le adulre d'une préanalyse du texte A traduire® Toute traduction conséquente est portée par un projet, ou visée articulée. Le projet ou visée sont déterminés & la fois par la position traductive et par les exigences a chaque fois spécifi- ques posées par Pccuvre A traduire, Ils n’ont nul besoin, eux aussi, d'etre énoncés discursivernent, et a fortiori théorisés. Le projet déGnit la maniére dont, d'une patt, le traducteur va accomplir la iranslatio littéraire, d’autre’ part, assumer la traduction méme, choisir un «mode» de traduction, une «cmaniére de traduire ». Prenons le cas des traducteurs qui ont décidé de faire connaitre en France Vceuvre poétique de Kathleen Raine. Tlsavaient le choix entre plusieurs possibil = faire tive « anthologie » des poémes de Raine partir de ses différents recucils, ou transmettre ces recueils eux-mémes, tout ou partie, Ils ont choisi de traduire plusieurs de ces recueils dans leur intégrité, Is pouvaient, ensuite, proposer une édition monolingue (ffangais seulement) ou bilingue. Tls ont choist le seconde possibilité, Is pouvaient, enfin, préscnter une édition «nue », sans paratextés (introduction, etc.), ou une édition éayée (avec paratextes). Ils ont choisi la seconde possiilité Ceci est leur projet de translation littéraire. Par ailleurs, Pétude de leurs trachictiana (et elle seulement, puisqu'ils ne disent rien, dans leurs paratextes, de leur travail traductif) nous révéle Je 4, Bmoruni nislement& Daniel Goadee, qu uiie dara le eontete dé teaducton spetatite 35, fe Coes de ctr op. 88, aiken Rate, Sur we raspe dle, trade Mae Béaice Mamet et Jean Mambeing, Grant, call da « Miroiew, Pari 1878 Rateen Raine, Ii ant, wad Frangoie aver Jauare Grant, colt yo Miron Paris 1978; Kaleem ste, Le roe, ad. Prange Raver Jasard, raat al da Mls», Pat, 160 16 «mode » de traduction choisi, leur « maniére » de traduire, qui ‘est la seconde face de leur projet. Les formes d'un projet de traducticn, lorsqu'il est énoacé par Jes tradlucteurs, sont multiples. Prenons le cas de la traduction de Shakespeare depuis une quarantaine d’années: si le projet de Leyris est assez britvement exposé”, celui de Bonnefoy est longuerient présenté et lig, comme il ledit, A une « certaine idée de Ja traduction »; celyi de Déprats est non seulement entitrement explicité (comme celui des PUF pour Freud), mais théorisé sous la forme d’uin projet global incluant aussi bien le mode de traduction, une réflexion sur la traduction théatrale, la taduction de Shakespeare en particulier’ ct les types de aratestes qui vont ayer les textes traduits”, Ici apparait pour le critique un cele absolu, mais non vieieux : il doit lire Ia traduction & partir de son projet, mais la vérité de ce, projet ne nous est finalement accessible qu’a partir de la traduction elle-méme et du typ: de translation littsraire qu'elle accomplit. Car tout ce qu’un traducteur peut dire et écrire & propos de son projet n'a réalité que dans la traduction, Et cependant, la traduction n’est jamais que la réalisation du Projet: elle va ot la méne le projet, et jasgu'tt la mane le projet. Elle ne nous dit la vérité du projet qu'en nous révélant comment ila été réalisé (et non, finalement, s'il aéxé réalisé) etquelles ont té les consequences du projet par rapport a Voriginal Ainsi on ne peut pas du tout dire™: tel projet parait bon, mais voyons les résultats! Car lesdits ésultats ne aont que la Fésultante du projet. Si la traduction ne « tient » pas, la faute ‘en est imputable au seul projet, ou A tel aspect de celui-ci, Useste au critique, dans ces conditions, d enter dans ce cere et Ale parcourir, Ces affirmations ne peuvent choquer que ceux qui confon- 57, Pree Leyes, « Pourqual etraduee Shakespeare», en avant propos h net oui de Sekar cFoaecet shes m Choo Pate da Lae, Pose 105k. Faas {Eapra Une gesture», in Conemion de traductursm, L'dw, wh leecrsa 1982, Pacis. #. Linweduetion de Pierre Leys don Marth (Aubler Montagne, cel. « Monitigne», col Biiguen, Far, 1877) neste pas dea traduchc 8, Shakespeare, Hind! siv de «Idee de ia uaductiea » Yves Borneo, Mercute de France Paris 1962 8. Jean-Michel Deaty «La aduction le hes a mots in Sheps, Le Marchand de Vatis, wads Joh. Depts, Comate Fangnbefeand, Pare, 13, pe 114, 90. OF Ie: remarques de Berard Lordalary& ate de mos interest la Journée Freud es Clap otst lance hiro sy pp 1 18 7 dent (4 quoi invite peut-ttre le terme) projet avec projet tharigue ‘ou selina a priar, Test bien certain que tout projet entidvement explicité et dérerminé devient, ou risque de devenir, rigide et dogmatique. Ainsi la «égle » de plus en plus acceptée (non sans de bonnes raisons) selon laquelle & un mot marqué de Voriginal doit towiours correspondre un méme mot dans le texte traduit quel que soit le « contexte», régle.que fa tradition n'a pas connue, bien au contraire’!, peut-lle-acquérir un tour Hgide. Certes, quand Georg Trak} emploic ladjectifleise dans ses poémes, il faut toujours le traduire identiquement, car il Slagit chez iui d'un adjectiffondamental, Ifen yademéme pour (gerne chez Hlderiin ou becouse chez Faulkner”, Un traducteur Stranger serait soumis au méme impératif pour Vadjectif vaste chez Baudelaire, Mais ceci n’est pas gévtralisable. La régle, & mon sens, cess d'étre absolument. valide lorsqu’en vertu de la présence des éléments aléatoires ou stéréotypés qui existent dans out textc, in mot clef perd momentanément son caractére marque. Tel ext le cas pour les mots Wansck et ainscher dans un texte de Freud, La phrase frangaise de la traduction des PUF : « S’agissant de tellesfructueuses diffcultés, le cas de maladie a décrire ici me laisse rien a souhaiter™ » correspond, pour la fin de la phrase allemande, & «nichts zu winschen (souligné par moi} sibrig» Winschen, comme Warsch, érant un terme clef de Freud, les traditcteurs dnt décidé de le traduire ict aussi par «ne laissait rien A soubaiter», et non par expression figée francaise ‘correspondante « ne laissait rien a désirer ». Non seulement cela heurte & la lecture, raais il me gerble qu'ici, zainschen — en tant que pris dans un syntagme stéréotypé ~ a perdu sa significati- vité, et quill faut donc le rendre par « désicer », cela méme si, dans le méme texte de Freud, il y a de nombreuses occurrences du Wansch ons du ainscken marque. Une demnigre remarque au sujet du projet de traduction : son existence ne contredit point le caractére immédiat, intuitif, du traduire — si souvent invoqué. Car intuitivité de celui-ci est traversée de part en part de réflexivité. Vaut pour le traducteur 1, Rober Aste, «Jacques Ampot Wadueteur course, ix Ree dr sce main Jd Cont, Pai, sou 199, pp. 131139. "38 Michel Greselc Le" Pace Quechee Faulkner et “Done” chez Becket» 4 Ley Lees asl, nos BL, pp. 12138 “oh Siena Feud, Cures cpl, vol. XU, PUF, Pais, 189, p 8 78 ce que Hélderlin disait da poéte, que sa « sensibilité doit étre entiérement organisée », Le traducteur allemand de littérature latino-américaine Meyer Clason me disait un jour qu’ll était un Bouchiibersetzer, un traducteur qui traduisait avec son ventre. ‘Crest bien ce que tout traducteur doit étre aussi sil veut que sa traduction nous prenne, elle aussi, au ventre™. Mais Meyer Glason, qui avait teaduit Grande sertda : vereéas, de Guimaraes Rosa, une ceuvre elle-méme marquée par un mélange d'oralité populaire et de réflexivité, savait fort bien que son travail avait exigé de lui toute une réflexion, qu'il avait ¢ailleurs exposte dans un article rien moins que naif. Vhorizon du traductewr Position traductive et projet de traduction sont, @ leur tour, Pris dant un hrcn. emprunte le mot ete concept There: neutique moderne. Développé philosophiquement par Husser! ct Heidegger its & abort de manige plu conette et pir témologique par H.G. Gadamer et Paul Rieceur, puis, pour Vherméneutique littéraire, de maniére extremement fEconde par Hans Robert Jauss™. C'est sous cette forme quit est parti- culitrement bienvenu pour une herméneutique traduetive. On peut définir en premitre approximation Phorizon comme l'ensemble des paramétres langagiers,literaires, cultu- rels et historiques qui « déterminent » le sentir, Pagir et le penser d'un traducteur. Je. mets «déterminent » entre guille- mets, car ill ne s'agit pas de simples déterminations au sens de conditionnements, qué ceux-ci soient pensés de fagon causale ou de fagon structurale. Prenons un exemple lorsque Philippe Brunet retraduit Sappho, en 1991, Phorizon de sa retraduction, ceedcpartrnde-guai il retraduit Sappho, se spécilie en une pluralité ahovizons plus ou moins articulés entre eux. Il y a, d’abord, '« état » de la potsie lyrique contemporaine francaise. Il y a, aussi le savoir sur la pose lyrique greeque 2t, plus générale. 94. George Belmont raconte itor de la caisiniee smoyarde dun ami, chez d'un certain public francais tournéjretourné vers la « chose » greeque et romaine”. Ty a, aussi, le rapport que la lyrique francaise conterapo- raine (avec toutes les « matrices » qu'elle offe au traducteur) enwretfent avec sa propre tradition (rejet, loignement, intégra- tion, continwité, rupture, etc.}. Seu! ce’ rapport permet ~ ou non ~ au traducteur de recourir, éventuellement, a des formes de potsie lyrique antérieures pour retraduire Sappho. ly a, ensuite, la totalite des traductions cxistantes de Sappho. en France, depuis Je XVM siécle. Que le traducteur Ghoisisse bu non de les lire, il appartient une lignée, qui fait de lui um retraducteur, avec tout ce qu'implique cette position. Uy a, enfin (mais cette liste estelle exhaustive 2), Pétat des discussions contemporaines, en France (et méme ailleurs en Occident), sur le traduction de la poésic, ct la traduction en énéral. Lest aise de voir que tous xs paramétes forment horizon obligé du traducteur de Sappho, et que cet horizon est lui- méme pluriel La notion d'horizon a une double nature. D'une part, désignant ce-d-partr-de-quoi Vagir du traducteur a seas eb peut se déployer, ele pointe Vespace ouvert de cet ogir. Mais, d'aure part, lle designe ce qui clit, ce gui enferme le traductew dans un cercte de 5. Aue prtruppts eaux prootdie ellours mpc 97, Hora ober jum Pare kadaigue Baht, yp 80, 80 Fou passbilts Knitées™. Liusage de la Vangue le confirme, qui paile, pour le premicr sens, d'une « vie sans horizon » (sans ouverture, sans perspectives) ef, pour le second, de quelqu’an gui a un schorizon Limite, eet Avec le concept d’'horizon, je veux échapper au fonctionna- Hisme ou au «structuralisme » qui réduiscnt le traducteur au role d'un «relais » entitrement déterminé socio-idéologique- ‘ment et qui en autre, raménept le réel des enchaiuements de Joisctdesysitmes™. Ici lest question, ccmme le disent Ricoeur ct Jauss, horizon, aexpéricce, de monde, d'action, de dé et de reconiextualization, tous concepts fondamentaux de Mherméneuti- que moderne étroitement corrélés et qui ont en outre, au moins pour les quatre premiers, la méme qualité : ce sont des concepts 4 la fois « objecti®s» et « subjecti® », « posits » et « négatifs», qui pointent tous une finitude et une ininitude. Ge ne sont, certes, pas des concepis « fonctionnels », en ce sens quiils se prétent moins & la construction de modéles ou @analyses formels, mais ils permettent, mon avis, de mieux saisir la dimension traductive dans sa vie immanente ct ses diverses dialectiques ‘Ge recours avoué a Pherméneutiquie moderne, laquelle est simultanément une réflexion sur le Poétique, "Ethique, I Histo- rique et le Politique™, nous parait fondé dans la mesure exacte of les axes fondamentaux de notre taductologie sont la pottique, Véthique et Vhistoire, ’esta-dire que le développe- ‘ment aulonome de nos recherches traductologiques rencontre, un certain, point de sa trajectoire, Pherméneutique qui, par 80, Le aire overt son sek, efomentant liste de notables rtrd sere: pons § Hen Baye mtr x ca, aires radian tmontant aie A Colne Bourges col « Das Par 382) aa There ce Sota ‘montat Euripide dans une reradvcon rts mate le Mayas Jean Pollack Eo ee srs, [-C. Bay a ran de dre-[-] eet "honann yes a ture» (in Le fra dst, Bourg, Pais, 1988, p79). 538, Jee nie pont, cepsndane Pextenes de ex déteminations ct yalear des sabes au kes epee tne contre Dt pus gnerdcmeg ce em for i Tout peat tire pen dams Fond Su seeme, deste sds fa noe « {Michel Foucault, Zo, mate Gs cow, Gallimace, eal Biblothege des selene Baie ars 18.378) 00, Gere pas Ise de dévdepper celica (ia hired e: du podgue au fer large au Moyen Age arabe et chsoen ela Renesrsnce, . On peut consditren fait que touts traduction gui vient aps ns aur, file ranger, et ipso facto ure rtradvcton: ce oud fait qily a bien plus de rlraductons que de pronivestraductins ! Tt sensuit qu'une analyse de « traduction » eit, presque toujours, une analyse de retraduction qui, cout en se centrant sur une ceuvre de traduction telle ou tll, « convoque » aussi autres traductions, et souvent dit mene le faire : on imagine mal qu'une étude de la traduction du Prods de Katka par Goldschmide se passe de tout renvoi a Is traduction antérieure de Vialatte. La comparution d'autres traduction: dans Panalyse d’une traduction a” également valeur pédagogique. Les « solutions » apporiées par chaque traducteur a la traduction d'une ceuvre (qui sont fonction de leurs projets respe:ti) sont si variées, si inattendues, qu’elles nous iatroduisent, lors de Panalyse, et pour ainsi dire sans autre commentaire, A une double dimen- sion plurille: celle de la traduction, qui st toujours ls tradiuc- tions, celle de 'zuvre, qui exisie elle aussi sur le mode de la pluralite (infinie). Le lecteur ou Vauditeur, par le travail de Panalyse, est ainsi amené a se libérer de toute naiveté et de out dogmatisme, Pédagogiquerment parlant, cette pluralité de tra- ductions d’an méme texte est stimulante : malgré le nombre de versions élevé des Sonnets de Shakespeare, moi aussi je peux les (je)traduire. Maintes retraductions surgitsent aprts la lecture d'une traduction, en poésie notamment. 1La forme concréte de la critique variera, enfin, en fonction des genres d’oxuvres traduites, des ceuvees particulires concer nées, ete, La confrontation La confrontation sopére, en. principe, sur un quadruple mode. eae Hy aen premier liou une confrontation des éléments et 85 SSNS TE rare screen so REE ee passages sélectionnés dans Voriginal avec le «rendu» des léments ct pastages correspondants dans la traduction. Iya, ensuite, confrontation inverse des « 2ones textuelles » jugées problématiques ou, au contraire, accomplies, de la traduction avec les «zones textuelles » correspondantes de Poriginal, Ges deux confrontations n’ont évidemment pas & étre Jjuxtaposées mécaniquement come les pieces d'un puzzle. Ily a également confrontation ~ au sein des deux premig~ res avec autres traductions (dans la plupart des cas). Enfin, ily a confrontation de la traduction avec son projet, qui fait apparaitre le « comment» ultime de sa réalisation, lig, en derniére analyse, la subjectivité du traducteur et ses choix intimes: 4+ projets quasi identiques, traductions différentes, toujours; elle fait aussi apparaitre, comme il a été dit, ses « conséquences » : ce que le projet « a donné », Cette defniére confrontation ne saurait constater de discor- dance entre le projet etsa réalisation, ou, sielle en constate une, clle doit déterminer sa nature, ses formes et ses causes. Le plus souvent, lorsqu'on eroit découvrir une telle discordance, c'est qu'on a soi-méme analysé incomplétement le projet et ses conséquences — ce qui arrive facilement lorsqu'll a fallu Te reconstituer hypothétiquement. ‘Mais ce. qui pent apparaitre cormme une discordance, un «trou» ent Je projet et la traduction, c'est la défectivité inhérente 4 Vacte traductif. Quelles que soient la logique et la cohérence d’un projet, quel que soit le projet, ily a, il y aura toujours de la défectivite dans.une traduction. Si Pabsence de projet traductif déchaine toutes les formes de défectivité, lexis- tence d'un projet ne gafantit pas contre celle-ci Ge qui peut sembler discordance, aussi, est ia coexistence de parties contradictoires dans un projet. Cependant, i ne peut sagir que de contradictions latentes, ou locales: sinon, il y a incoherence, et donc absence de projet : qui dit « projet » dit «cohérence », ‘Comme c'est au niveau ultime des afoix ponctuels, et plus généralement & celui du contact ponctuel avec Voriginal, guagtt la dgfetvits(e’o, toujours, quelques choix finaws discutables, des erreurs, des contresens, des oublis, des lapsus, etc.), il n'y a finalerient jamais lieu de rapporter les discordances au projet, mais bien a la subjectivité du traducceur. 86 Diautres (mini) discordances peuvent résulter de choix de traduction qui, momentanément, violent le projet parce quiils obéissent A des lois différentes. Ce cas n’est pas rare, et il s'agit souvent d’interférences du discours « doxique » auquel aucun traducteur ne peut échapper totalement (par exemple quand le tradueteur se met clarifier inddment, & etirer, a « Franciser »). En bref, c'est Ja finitude du traducteur qui « explique » les discordances par apport au projet. Mais il ne peut s'agir que de discordances ponctuelles qui peuvent d’ailleurs étre assez nombreuses. La style de la confrontation En tant que travail d’écriture, la confrontation doit affron- ter le probléme de sa commuricabilit, c'est-ivdire de sa lisbiit. Car celle-ci, comme il est aisé de le voir en lisant maintes analyses de traductions, est menacée par phusieurs dangers __~ la technicité terminologique (avec l'emploi de termes de nnguistigue, de sémiotique, etc., non explicités) ; ieruption de la langue du texte original ou de celle d'une traduction étrangére évoquée ; ~ le caractére minutieux, touffu (done potenticllement étouffant) de Panalyse ; ~ le caractére spécialisé, izolé de analyse, qui semble se borer & comparer ct n’ouvrir aucune question, En ce qui concerne la technicité terminologique, que l'on. Fetrouve aussi bien chez Meschonnie que chez Toury et Brisse, elie implique une séducion de la communcablit, tur en garantissant ~ dans ces cas précis — une plus grande rigueur da discours. La «tichniciér d'un texte crlique wa rien de négatil, avec tout son appareil: de concepts et, souvent, de termes nouveaux ou tirés des disciplines les plus diverses. Elle a sa nécessité, mais elle menace quand méme la visée fondamen- tale de la critique, qui est d'ouorir ux texte a des publics multiples quien ne peut présupposr ni trop vaste ri réduits uae poigna de kapby Fao. Bt il est logique qu'un acte (ouverture soit lui-méme ‘ouvert. Lranalyste de traduction devra donc explicer, d'une maniére ou d’une autre, et autant que la chose est possible, sa a7 OG. PO OLFL IY: Oe wo to o wo oe operon ce Basen terminologic et ses concepts, pour déshormétiser son discours (saut contre-indication diu contexte et des circonstances, bien st). ‘Mais ce n'est 8, aprés tout, qu'un détail, Le second danger que rencontre analyse de traductions & ce stade est plus séricux : c'est cud de Piruption @ la fois massive sl frogmentte dela langue de Poriginal dans son diseours. Cette langue ne peut pas étre supposée conmue du lecteur, ou de tous les lecteurs. Le critique doit postuler, méme si-cela rest pas vrai empiriquement, que son premier lecteur est le lecteur de Ja traduction, celui qui justement, dans la plupart des eas, a lu celle-ci parce qu’il ne pouvait pas lire Poriginal dans sa langue. Pour que Panalyse lui soit et ouverte, et feconde, il faut donc que Vintroduction de fragments de Voriginal soit accompagnée de certaines procédures explicitantes, Les « retraductions », ic, sil y en a, ne viseraient pas tant a corriger, & donner une meilleure «solution », comme chez Meschonnic, qu’a faire centendre prasaiguement le texte étranger'™, Les mots étranyers «clef», qui sont souvent des intraduisibles, comme le self anglais", ou le goce espagnol, ou le Sesucht allemand, etc., doivent étre explicités, et expliciter un mot fondamental dune autre langue (c'est-A-dire déployer toute sa signifiance) dans sa propre languc est toujours possible", mnéme si ce mot n’a pas 'éguizalent (done, de traduction préétablie) dans celle-ci. Le troisitme « péril » auquel peut se trouver confronte ‘analysig est celui du caractére touthu, minutieux, A la fois ‘massif et morcelé, lache et serré, de gon texte ~ qui risque de le rendre et rebutant, et pour ainsi dice immobile, alors que la critique vise au contraire & entrainer le lecteur dans un mowe- ment d’ouverture constant ec passionnant"”. I faut que celui-ci soit zon seulement pris dans le mouvement de l'analyse compara- tive, mais que ce mouvement soit pour lui le fois transparent, riche et sans cese ouvert sur-la pluralité de perspectives et @horizons qui constituc la dimension traductive elle-méme. Lat son ive pt que Us Langu frangaie a's pas de terme comet pour teaduie fe "acl a Tenpe of Risk tome fll, Le top rant ol {ir Llerse phitosophigue , Sea, Par, 195, p, 25, Nous eouveron fda a ‘ecnde pari de notte chapiue ayes Toba Donne dé, te Georges Arthur Goldscie, Qgund Fred ont me, Bucket Chat Pav, 1968. i. Tse peut quece srt Paccumulaton de cttons ant dirangres. ante langue daceivd, qul cite ute Lmpresion de mosaique digas apponble we tome 108. Ge que fit ising 108, Riese soulige 4 88, confrontation micrologique ét serrée de fragments de l'original de fragments de sa traduction, chea Meschonni ext exes guidée par un plan, et n'a rien d'un alignement arbitraire de petites remarques ;en outre le « serré » de cette confrontation ‘st comme contrebalancé par la fréquente violence du ton, qui ‘st, sinon divertissant comme chez Etkind, du moins comimo- tionnant ; mais dés que la confrontation se fait longue, comme dans Vanalyse, par aillears yemarquable, des traductions de Humboldt ™ elle engendre, par son inévitable pesanteur, dela lassitude chez Je lecteur. Lassitude cui n'aurait pas trop importance si elle ne yenait souvent empécher la telecture, Pacte méme (Meschonnic le dit lui-méme dans La rime ot la sé") par loquel nous nous approprions véritablement un texte Il faut toujours essayer ePécrire de fagon a éveiller chez le lecteur le désir de vous relire. Pour que.le mouvement de l'analyse soit & la fois transpa- rent, riche et ouvert.sur Ja phuralité des « questions" » que pose la dimension traductive, on peut suggérer trois « procédu- es qui font par alles, de Tanalye un véstable fsa Péoriture. La premiére est la clerté de Vexpositi (pour reprendre ta formule de Hélderlin"), clarté qui wimplique aucun lass. cisme, mais, pour le critique, un certain nombre de requisits stylistiques concrets «f d’anto-interdictions (éviter l'excés de jargon, des syntaxes ampoulées, des ellips:s ~ jusqu’a un certain point, ou plus précisément, jusqu’au point oti ces auto-interdic- tions ne nuisent pas au mouvement de Ia pensée, i sa rigueur propre, etc.) 108, Hone Menton odqu dan sone Huntols or bebe Faia He rian, 10. ea Mei ring et i Ved, Lge 198.118: «Lire necommance aut ele | | dpa ee rg ne fab sie ‘hse rere wt dane ye ace St Sete ae ‘tee’ ds tte es cine pte Ban elms Sime oat aon Seed prope neat Ge on fe Tio ikem aden aes ual de ges guson sipomi que Teale dy 3 cage be ee al aigne ogee Rar eo gun eps dan ucelatese ot WC Tio, raed eae ‘neti opp 3 Ui" Karpreoy cp dilisenen qu Hwa? one scsi Cn nan dant Sets pan tm eden a tose aus Gee eee» Moin, a, Caiman Bode Ia Piginde, Paris, 1967, p, 640.) oe cde piloope ot des eraduee i Latha oe Babel e9 \ I La deuxitme est la rfflerivité incessante du discours qui face original)traduction(s) et s'accomplit avant tout sous Ja forme de la digressivité. Que Vanalyse, dans Ie parcours du ponctuel, soit réflexive, signitie d'abord qu'elle nen reste pas 4 un collé-collé des textes confrontés (au double sens de se coller & eux et de fs coller entre eux), mais qu'elle s'en. dloigne perpétucllement pour les éclairer & la-bonne distance, se retourner sur son propre discours et ses propres affirmations, etc. Elle signifie, ensuite, qu'elle révét la forme de la digressivité Cela consiste, chaque fois que s’en avére la nécessté, & ouvrir 4 partir de tel exemple. déterminé une série de questions, de perspectives, dapercus, et a y réfléchir un certain temps, qui certes doit tre mesuré", Pour prendre un exemple qui sera examin datis la seconde partie de’ce livre, lorsque les traduc- teurs francais de John Donne traduisent les vers At souls uabedied, bodes unclathd mast be, To taste whole ope [J] par 1 west qu’dmes cans chair et que chairs dévizues Pour jour pleinement (..] Crest au moips trois « questions » qui surgissent a propos des «choix» dé traduction opérés: rendre, d'abord, body par « chair » (alors que Donne thématise par ailleurs la différence entre body et flesh), rendre, ensuite, to taste whole jes par « jouir pleinement » (alors que jg est un mot fondamental de la poésie de Donne, et méme de la potsie occidentale), et enfin ~ moins visiblement ~ rendre les mots négatifs, unbodied|uaslothed, mis en équilibre chez-Donne, d’abord par une tournure privative faible, sans, puis par un mot négatif, « dévétues, sans donc restituer le parallélisme ubodied/unciotied, sans réfléchir & Pexis- tence de ce parallélisme, a la fréquence des mots négatifs chez Donne (cing dans le potme en question), dans la poési¢ anglaise revit non menarée qu sent ante fies deux, er qu rendene la etre & ate site Thomas de Quinsy. Exe Dejee, Thomas de hance mer ent pourtant pars subline quan pout abort se Pimagines,. {Sue le vacancerromsneque’ thre de i Sires) lt ‘Pee, a 5, Hsin ac # times 199. 112. La ieértore conasit des formes 90 ‘et dans la poésie en général, sans parler de son importance et dans le parler colloquial, et dans la mystique et dans Ia philosophie — trois « domaines » auxquels ia poésie de Donne eat du reste lige. Cette réflexion que les traducteurs n’ont pas faite, pas plus que celles sur dady et joy, il appartient a l'analyse de la faire pour éclairer le passage de Vorignal pour le lecteur = lui faire sentir les « enjeux » poétiques qui sont ia, dans ce qui ‘peut ne paraitre qu'un « poing de détail » ~critiquer aoee éuité les choix des traducteurs, et, comme on le verra plus loin, ouvrir Vhorizon pour d'autres choix, d'autres solutions, d'autres projets de traduction. Les digressions, en méme temps, permettent Panalyse de s'Goigner de l'« explication de texte >: elles assurent som axto- namie scriptaraire'® et lui donnent le caractire d'un commen- taire, ou ce que jappelterai la commertativié. Avec la réflexivite, a digressivit et la commentativite, entre en jeu dans le discours transparent de Panelyste sa subjective Car cest Iui, Tui seul, qui déide de se lancer dans tel ou tel ‘excursus, certes non sans de bonnes raisons, mais aussi emporté, parfois, par le «démon » digressif et commentatif qui habite tous les critiques. Concision ? Longueur? Chacun, ici, décide de lui-méme, comme pour les notes de bas de page. Le foudement de Valuation Le denier probléme auquel se trouve confronté Panalyste de traduction est de taille, et 'on pourraits’étonner qu’il ne soit évogué que maintenant. Si analyse, pour étre une veritable «critique», doit nécessairement aboutir & une foaluation da travail du traducteur, répondant en cela a Iattente des lecteurs ct a la nature de toute lecture de traduction, cette évaluation, méme accompagnée de tous les justificatifs posses, ne.va-t-rlle pas simplement refléter les idées, les théoriss, ow comme on voudra dire, du critique en matidre de littérature et de traduc- tion ? Comment ne va-t-elle pas tomber~ si lle ne veut pas étre 1. CE Abdeletis Khatib: «De le bilangue., ix Eerie, publication des ‘Act da Caleque de Univer Pare (OBR de Texts & Dees) ave 186, arA-M. Chain, Le Syeomore, pp 198-204 1g, Cr Anisine Berman, wCidgue, commentuire @ taduction, 9h dy pp. 31 SOG PP AUG GY GG CECE KI neutre ~ dans le dogmatisme, ou, du moins, privilégier une certaine conception du traduire ? Je crois qu'il est possible de fonder toute évaluation sur un double ctire qui échappe & ce danger, Cest-i-dire, n'implique aucune autre conception de Ia traduction que celle qui, aujour- a'hui et méme hier, fait Pobjet d’uin consensus de fond assez général — quoique jamais total et trop implicite — et chez. les traducteurs, et chez tous ceux qui s'intérestent & la traduction. ‘Ges critéres sont d’ordre dtique et poétigue (au sens large). La potticité d'une traduction réside en ce que le traducteur a réalisé un véritable travail textuel, a fai fxte, en correspon- dance plus ou moins étroite avec la textualité de 'original. Que le traducteur doive toyjous faire texte, cela ne préjuge absolu- ment pas ni du mode ni de la zisde de la traduction"; entre le Lucien de Perrot d’Ablancourt, belle infidéle type, les Mille e¢ Une Nuits de Galland, le Poe de Baudelaire, le Paradis perdu de Chateaubriand, le Hopkins de Leyris, L*Odstée de Jaccottet, L'Bxtide dc Klossowski, la « poésie non waduite» de Robin, aucun point commun, si ce n'est que dans tous les cas il y a travail textuel (poétique au sens large} et production dewres véritables. Méme s'il pense que son ceuvre mest qu'un « pale reflet », quun « écho» de Poeuvre « véritable », le traducteur doit toujours vouloir faire eure. Lthicits elle, réside dans le respect, ou plutét, dans ut certain respect de Voriginal. En. quetques lignes dignes et denses, Jean- "Yves Masson a su définié cette éthicité, et il faut ici le citer : Les concepts iss de la réllexion éhique peuvent eappliquer & la ‘waduction précisément gre & une méditation sur la notion de resect Si la traduction reigecte Voriginal, elle peut et dit méme dialoguer vee lu, Ii faire face, et lui tent te. La dimension du respect ne ccomprend pas Vantaniisement de celui qui respecte som propce respect. Le texte raduit est Pabord une ofltande faite at texte original Dans toutes les taductions mentionnées, ce respect qui ait « faire face » au texte, lui « tenir tte» et ainsi se poser comme dune certaine fagon «ane fois pour toutes », mais parce qu’a chaque époque, cette Idée s'incarne dans une figure déterminés qui, & son tour, déter- mine entitrement, ou de mniére prédomnante, notre « idée » pesonnelle du traduire. Aujourd’hui, cette figure est celle qu’ont fagonnée le romantisme allemand, Goethe, Humboldt et Hilderlin, mais il y a bien longtemps qurelic a perdu ses traits ‘«romantiques » externes et qu'elle est devenue la figure moderne dela traduction. Le traducteur actuel ne peut que se situer par rapport & cette figure. Il peut la rejeter, c'est-a-dire traduire selon une figure antérieure, celle de Age clasique — par gxemple Yourcenar traduisantdu gree —ou méme du Moyen Age (s'en tenir seulement a a translation des significations et des termes, comme en traduction spécialisée) -, dans tous les cas, consciemment ou non, il agit par rapport la figure modeme du traduire, He peut : cette liberté est aussi son droit. LA RECEPTION DE LA TRADUCTION Cotte étape de la critique, sur laquelle je ne m'étendrai pas, peut étre autonome ou intégrée & d'autres stapes, selon les cas, Elle est fort importante, comme toute éade de la réception d'une euvre ~ mais elle n'est pas toujours possible dans le cas des ceuvres traduites, Car il y a plus de reception ds ceuvres dtrangizes » (dans la presse, Cest-i-dire dens les sections litté- Yalies des quotidiens, des hebdomadaires, dans les revues et magazines littéraires, dans les ouvrages critiques sur des auteurs rangers, etc.) que de «traductions » comme tales, Ul faut dlabord savoir si la traduction a été apayre (concrétement, si Yon a mentionné qu'il sagit d’une traduction, faite par X. Sielle a été apergue, il faut savoir si elle a été évaluée, analysée, 222, Marquee Yourcener, La catrnn af er, Gallmad, Pat, 1979 95 CHEE COCO AHK RECOIL J d 4 ) 3 2 , ) d eterna Cested-dire voir comment elle est atfarue @ la critique, au critiques, et, en foriction de cette apparition, @ ét& jugée et Présatée a1 public ». Dans l'ensemble, les traductions ne font pas couler des flots d'encre, méme si, en ce qui concerne I presse, les choses s'améliorent un peu depuis quelques années fu, en tout cas, évoluent. Les critiques s’aventurent rarement & parler de prés du travail des traducteurs. Quand ils le font, c'est souvent pour les fustiger. Les louanges, un peu moins nombreu- ses, sont généralement aussi peu « fondées », cest-d-dire just fi€es par des raisons, que les blames. Quand j'ai analyst L’Enéide de Klossowski, je suis tombé sur une exception : le dossier de presse de Gallimard contenait plus de quarante. articles et études publiés l'année méme de la parution de la traduction dans des journaux et revues de toute la francophonie (et méme d'Espagne). Hy avait autant d’articles de fond (Deguy, Leyris, Brion, Picon, etc.) que d’articles de quotidiens. Ici, "étude de Ja réception était possible ~ et féconda Mais, depuis 1964, aucune traduction frangaise n’a éveillé de tels échos, LA CRITIQUE PRODUCTIVE Cott sixitme, et dernitre, étape de notre parcours n¢ vaut en principe que lorsque l'analyse a traité d'une traduction qui appelle impérativement une retraduction, soit parce qu'elle est par trop défaillante ou insatisfaisante, soit parce qu'elle a trop vicill. Dans ce cas, analyse doit se faire critique positive, «productive », au sens oi Friedrich Schlegel parlait d? lune critique qui ne serait pas tant le commentaire d'une litérature dj existante, achevée et fenke, que Porgane d'une ltératare encore A achever, & former et méme a commencer. Un organo de la lietacure, done une eritique qui ne serait pas seulement explicative fe conservatrice, mais qui serait ellesméme productive, su moins indirectement'™ 198, Gite Antoine Beoman, Litrawe dk Pong, Galimasd, col « Bt», Pears, 1988, 9.196 96 Appliquée la littérature traduite, cette critique productive énoncera donc, ou sefforcera d'articuler, les prinifes dune retraduction de 'cruvre concemée, et done de nouveaux projets de traduction, 1! n'y a pas & proposer un nouveau projet (cela doit étre Peeuvre des traducteurs euxamémes) ni 4 jouer-aux donneurs de conseils, mais & préparer le plus rigoureusement possible Pespace de jeu de la retraduction. L'exposition des Brincipes dela retraduction ne doit étreni trop génerale ni trop fermée et exclusive, puisque la vie méme de la traduction reside dans la pluralité imprévisible des versions successives ou simul. tanées dune méme ceuvre. Que deux traductions de Yeats, calles de Bonnefoy et de Masson, aient para presque en méme temps", avec des projets de ‘traduction apparentés, mais differents, cela est posit, C'est la copia raduetive, Avec cette ultime étape, Panalyse de traduction devient, comme le recours A Schlegel T'atteste, ertque au sens le plus dlevé, possible, c'est-A-dire tente de s'ccomplir comme acte critique producti, ftandant. Dans le cas de Zanalyse dune tradue- tion « réussie» elle a simplement pour viste, comme Schlegel le disait aussi dans le texte cité par Benjamin, xposer & nouveau Vexpotition, de donaer forme nouvelle & ce qui a gj formne"™ [., * Cest-a-dire de (dé)montrer excellence ct les raisons de excel- lence de la traduction. Le pouvoir fecondant de Panalyse réside ior ct dans la (dé)monstation a lecteur du faramareposty tu traductear, tans Vexemplarité de la treduction meme, {24 Gale des ont en 1989 ale de Jean Yves Mason en 1280 fe Benjumi, Le cane eigen dan onan elon p12 126. Qu'une wadacton sic empl ne gee pe quite satus mode” SOS SIP BOSS John Donne, traductions et retraduction ssh wre tr rae a wae wR RRR ER ER ecccces L err mm ELEGIE XIX :.CO/NG TO BED + Gome, Madam, come, all rest my powers defie, 2 Until ¥ labour, Tin labour lie. + The fee'oft-times having the foe in sight, ¢ Is dr'd with standing though he never feht. + Off with that girdle, lke heavens Zone glittering, « Buta far fairer world incompassing > Unpin that spangled breastplaze which you wear, «Thar th’eyes of busie fooles may be stopt there, » Unlace your self, for that harmonious chyme, we Tells me from you, that now it is bed tiene 1 Off with that-happy busk, which 1 envie, v That still can be, and still can stend so nigh, » Your gown going off, such heautious state reveals, ‘+ As when from flowry meads th’hill shadow steales 's Off with that wyerie Coronet and shew 1 The haiery Diademe which on you doth grow : wy Now off with those shooes, and then safely tread ww in this loves hallow'd temple, this soft bed. In such white robes, heaven’s Angels us'd to be » Receavd by men; Thou Angel briigst with thee 2 A heaven like Mahomets Paradise ; and though 2 Til spirits walk in white, we easly know, » By chis these Angels from an evil sprite, 2 Those set our hairs, but these our flesh upright. » Licence my roaving hands, and let them go, » Before, behind, between, above, below. 17 O my America ! my new-found-land, 1% My kingdome, safeliest when with one man man’d 101 | s» My Myne of precious stones, My Emperie, » How blest am I in this discovering thee! ui To enter ia these bonds, is to be free ; 2 Theni where my hand is set, my seal shall be, Full nakedness! All joyes are due to thee, 3 As souls unbodied, bodies uncloth'd must be, ss To taste whole joyes. Gems which you women use se Are like Adlanta’s balls, cast in mens views, hy That when a folls eye lighteth on a Gem, se His earthly soul may covet theirs, not them. »» Like pictures, or like books gay coverings made ‘» For lay-men, are all women thus array’a ; 1 Themselves are mystic books, which only wee 2 (Whom their imputed grace will dignifie) 5 Must see reveal’d, Then since that I may know ; u As liberally, as to'a Midwife, show 4s Thy self: cast all, yea, this white lynnen hence, te Here is no penance, much less innocence. «7 To teach thee, I am naked first; why than se What needst thou have more covering then a man. Traduction Yves Denis ELEGIE XIX : LE COUGHER DE SA MAITRESSE 1 Madame, allons! la fitre du labeut mv’enpoigne, a Et je mers de bescin si jo ne m'embesoigre ! 3 Liennemi gui souvent apergit enna 4+ Sans jomats Pengager nest plus tant affirm. 5 Otez cette ceinture, heureuse galaxie 8 De Vasre le plus beau de la cosmographie ; » Dégrafec maintenant Vslatantcoselet 0 O8 sarvéte des sots le regard indiscret; » Délacec-oous : cette musique ensorcelese vo Mf’annonce de coucker Uheure déicieuse un Otee ce busc heureux que toujours jenvierl a De demeurer si calme en demeurant si pris 13 Votre robe enlevée toque la ferric tw DeVombre abandonnont la campagne flwie. 12 Otez. ce lortil roide, et que brille d mes yee v6 Le diademe seul de wos souples chews. sv Et maintenant, pieds nus, et dum pas per faroucke, w Péntirez dons le temple, en cette molle couche 1» Cast dans ce Blanc lizon que les Anges, jadi, se Auer hommes paraissaent. Le divin Pareais 2 Qui partout Paccompagne est celui du Prophet ; S'il arrive qu'un Noir Esprit de blanc seve, I west point malaisé de percer son faux ait : U peat bien faire arcer Ue poil, mais pas la chair. ‘Laisse, laisse guiter ma main buissonnice Paredessus, parcessous, entre, deoant, deriére! a Terre-Newe { Ambrique ! 6 ma possession, Quan seal homme garnit mieux qu'une gareson ! eeaae 103 AIH PUG O CG BUG Ceca oe RR ser nmerrpcnatinemscto _tescnentcen ima waatigs secure oom ‘» Ma rine de piervespricieases mon Empire, ‘2 Dont Pesploration west biewhewrewx dire ! st A gual entre en ces nrudsliberté point ne faut: sx Don, ob ji mis la main jappostrai mon sc. 3 Totalenudité, toes joes te sont dues? me Ml n'est ques sans chair et que chairs dsttues ss Pour jouir pleinement. Feinmes, ws offiquts a» Sont pommes d’Atalante,offertes aux dents, sv Dani les yeux allumés de terrestreappelence, Conooitant Vatribut,négligent la substance, sw» Tableau, bare profane ef richement relié 1 De la Femme ie est aspect staalier, 4: Mais on Liore Mystigae ell ne doit parative, ce Faire honneur de la grdce impuiée 2 300 tre, 40 Qu’ nous seus, Aussi bien, pour mon enseignement, + Comme é la sage-fene, offie-toi, largement. ‘Ota, Be colin candide ! La ponitence se Tei west pas de mist, encore moins Pinnocence. 1 Regarde, je suis na, Je ne wis pas pourquoi sw» Tu te voudraiscouorir Pautre chose qus min Traduction Philippe de Rothschild ELEGIE XIX: Le COYCHER DESA MAITRESSE 1 Viens, dame, viens, mes forces repos difent, 2 Pris d'auorer, dj jeune et veille Pawie 3 Comme enneri face 2 Penner top vt 4 Au guet sagace de ne seve batty, 3 Taceinturedte, pan de cil tout lunitre, «Mais plus Beaute bel univers gu’ele ener. 1 Du baste, bannis ces boucles ex dianants Pour copter les yeex des fls exdewtaus 1 Dilacs-ti, ce carillon rythé dane, se Qui me dit it est pr, son heure some 1 Cet heures corset be, en suis jalawe, se Raids d te toucher, rade obi pres de tout v8 Robe btée, 6 découare les places bell, te Pr en fears gue monts hors de Vombre rétlent ts Ta tare atardée tte, lors je vois tw Te couranne, tes chevews lots sur ti tv Souliers 6és, marche sans peur, v2 Pitendre ww du temple bénd @amour, le lit i tendee. 1» Sous tls woiles blancs, du ciel, Ange: allaient sw Voir les moriels. Ta, mon ange, ur del nous fais, » Le paradis de Mahomet. Si sacance n. En blanc quelque exit mauaais, la difference se Diange a-dérasn est telle,@ nas yeux 'stelair, a Lian nous dresse les cheveus, Pair ia chair, x License veut ma main reuse, quelle are = Ex bout, en bas, entrerdewx, devant, deritre, a Mes Amériques, ma Newe Terre, 6 i, oa Royaume que manie te konome, honere-o 105 ssi f TEE 1» Mine a pierres précowses, mon Empire, sw Te découoir, moi, bint je dois me dire 1 Site dans cat enclos ent, libre on es. i sz Oi ma main se meu sur toile sceaa je mets 3s Na! Nudité nue ! A toi ta joie est due. 1» Sans chair va Ure, le confi veut chair non vétue ss A suiore son plaisir, Penne, tes bijou, ss Les fits d'Atalante aux yeu homme si fou a» Qyd leurs reflets Vaid iribcile éincell, s» Ame base, il bre pour eux, non pour elle. s» Tels tableaux ot lores relis gaiement, ‘© Talle pour Phomme, femme a son vétement tu Clest por nous seul g’ele ast le ire mystique, Nous digne elle de par sa griceunigue = A réviler, Puisque admis la je me sais, Comme & sage-femme ounre-ioi, donne accés ve De tei. Ge linge si Blane au loin rete, se De toute périence innocence est nee. so Pour Penssigner, le premier, nu je sis. Quoi, se Pour t cousrirest-il mieux gahomame sur toi? Traduction intdite d’ Auguste Morel (1924) DE S4 MAISTRESSE ALLANT AU LICT 1 Ga Madame venez, tut repos mes ardars dfient 2 Jusqu’a ce que traaalle, en travail je demeure. 3 Treanemg parfois, ayant son ennemy en veve, 4+ Est fourbu de Vatente et n'a poini combats, 8 Cesie ceinture aste, comme are du ciel gente, & Encares quencernant un monde tent plus baw. 1 Détachez ce plastronscintillant que poser Conace Bornes aus yeu furcteurs des galands. + Vous délacez, que ietenchantenr tntement us Miapprene enfin de‘vous qu'il est Pheure de let nn A bas ce buseheireux que je jelowre ve De pousoir rster cay, et towafos si procke 1s Vase robe en tombant suaitéréale 14 Autant qu’ombre des ments quitlant la préeen fleur 1 Ostez ceste couronne apreste, et monstrez vs Le diadéme de cheveule gui sur yous crvst v1 Ostec sealers ef bas; lars doulcement foulez 1s Ge temple consacré damour, ce lit moillewx vw Crest en tls Blancs habits que les anges soulient © Aux hommes se montzer; ti mon ange m’appories 1 Un ineffable paradis de'Matomel; et nonebstant +2 Quesprits matins chaminet blancs, nous distingions 3 istrient por cect les bons esprits des malifiques Las wns. font poil dreser, eultres font chair radi Donte & nes mains errantes congé, queles aillent ss evant, deritre, entre, dessus, dssoubs, Ha, mon Amérique, mon Nowweau-Monde, ‘Mon royaume, plus sear quand peuplé den seul homme, euaeee 107 VEEL AA oe. Boe CUO w Secat "gn COC! wi » Mea mine de pierreres, 0 mon empyre, : ’ 0 Quel heur est done le mien quand je Pexplore ainsi | si Savanniveren ces lens ces ese libre ; os sn Lors oh ma main se post, yrestera mon ame. i sx Nuditd grande !& toy foutes jyes sont drs 5 x Ainsi qu'ames ont faic, les corps se doivent dipeuiller 18 Pour gouster pene jaye. Ces joyaus fommes qu arborez sw Sont belle dAtalante ocupant Vail des hommes 5 1 Que si regard dun fo @ cs brillans sallume, sa Son cour grossir ls oa conunitant, non point vos. 1» Comme pourtracts ou gays dessus des lores faicts 10 Pour lesz, sont les femmes ainsi pards. sn Elles quai sont en sy mpstiqus lores, gue nous, ‘a ~ si voulons exalter leur grdce dispensée — 1s Devons onir rte, Lors que saver Je m3, sw oge mesme largesse gu’ ta chante te monsire ss Toute 5 ef ce blanc linge iy rejete; se Innocence niencourtauloune péritence + so Pour Penseigner ne suprje ted 5 adonsques 8 Quast Besoin de plus quale convert en homme, Traduction Octavio Pez. ELEGIA: ANTES DE ACOSTARSE 2 Yen, ver, todo seposo mi furrea desi 2 Reposar es mi fuerza pues tndido me esfuerzo: 3 No es enemigo el nemigo 4 Hosta que no lo cite ausstro mortal ebrazo, 5 Tu cefidor descite, meridiana § Que un mundo mds hermoso que et dal cielo > Aprisiona en su lug j desprende 8 El prendedor de estrellas que lewas en el pecko 9 Por detener ojos enirametidas; w© Desenlaca tu ser, campanas érmoniosis Nos dicen, sin decivln, que as hora de acestarse. a Ese fiiz corpito que 30 envio, v» Pega a ti como si fuese vivo: ws Buera! Paera el vastido, surjan vallssalogjes 1s Bnére las sombas de tus mantes, fuera el tocade, se Gaiga tu pelo, tu diadema, un Desedleatey camina sin miedo hasta 's coma, También de Blancas ropas revstidos lr dngeles ts El cielo al hombre muestran, mds tf, Slanca, contigo A wt cielo mahometana me conduces. a Verdad que los spectros van de blanco tn Pazo bor ti distingo al buen del mal evita : = Uno hidla la sangre, td la enciendes 1 Deja corrr mis mamas vagahundas 1 Ards, arviba, exfrete, abajo 3 entre, x Mi América excontrada : Terranova, ‘Reina sélo por mi poblado, 8 Mi vexer preciso, mi dominio, 108 | 1» Goces, descubrimientos, se Mi libertad aleango entre tas lazos: 41 -Lé que toco, mis mares lo tan sltado se La plena desnudez es goce entero 2 sm Para gozar la gloria las almas desencarnan, s+ Las euerpos se destisten. 3 Las joyas que ts eubren se Son como las pelotas de Atalanta : ay Brillan, roban la vista de los tonto. sa La mujeres seta : ” Apariencia pintada, te Coma libro de estampas para indocos 1 Que esconde un texto mistic, tan slo to Revelado a los ojos que traspasan wo Adornasy atavios: in Quiero saber quién eres th + descibete, (0° SE natural como en el parte, te Més alld de la pena y la innocencia to Deja caer esa camiza blanca, fe Mirame, ven, equ mejor manta co Para tu desnudez, que 30, desnudo ? s Réseau auquel appartiont Going i bed her Donse Fothalamion made Loves Proge 2 Lincles ne Sapo to Pia (vers 73-85) is “ Epthalamion GOING TO RED The Bu ‘on the Lady Blizabeth Ofthe progrese of Hymne wo God my Gosh thesoule esentall in my sicknesse and accidenal oyes) £464 SOL L i: / | i ee Je vais maintenant analyser les Podmer de John Domne publiés en 1962 par Yves Denis et Jean Fuzier, &t faire de_bréves comparairons avec des traductions de Philippe de Rothschild, Pierre Legouis, Yves Bonnefoy, Octavio Paz, Auguste Morel et Robere Ellrodt, Le recueil de Fuzier et Denis est une édition bilingue, épuisée ou « introuvable » depuis longtemps. Ceci, il fautle dire, est presque une constants historique de la ranslatio de Donne en France, Léon-Gabriel Gros rapporte que la parution de son premier recueil, aux Editions Chariot, en 1946, coincide avec la disparition dela maison @édition, et qu'il n'en vit jamais aucun exemplaire. Le second recucil,ctlui de Pierre Legouis, publié en 1955 chez Aubier, est depuis longtemps épaisé. Celui de Léon-Gabriel Gros,” publié en 1964 chez Seghers, Pest tout autant! Tine reste au lecteur francais qui, aujourd'hui*, veut acquérir Donne en traduction que trois possibilités: aller & la librairie Compagnie, a Paris, pour acheter les quelques exem- plaires restants du dossier John Donne pudlié en 1963 A L'Age @Homie et qui offfe, outre une mase @articles érudits, quelques traductions de potmes par Denis et Fuzier et Philippe de Rothschild ; acheter le n° 2 de la revue Palimpsests', of se trouvent deux traductions dé Donne par Bonnefoy ; acheter le volume Pobines éisabithains de Philippe de Rochschild’, of se trouvent traduits trois potmes — peu représentatifs - de Donne. Hest vrai que Pamateur de Donne peut trouver (pour combien * Novembre 1901, 1. Publics dels Sorbonne Nouvel 1290 2 Segher, Pans, 156. 113 de temps?) Padmirable ouvrage de Robert Ellrodt sur les pottes métaphysiques anglais, dont plus dur premier tome est consacré 4 Donné®. Lecture d’autant plus profitable que toutes les citations de textes du podte (poémes, lettres, sermons, autres crits) y sont remarquablement traduites. De Pouvrage non moins admirable de John Carey, Jotn Donne: Life, Mind and Art, C, Minitre nous a traduit un chapitre dans la revue Posie sous le titre « Au sujet de John Donne? ». La véritable translation littéraire de Donne, c'est évident, n'a pas encore eu lie, alors que celle de Blake et de Hopkins est plus qu'entamée. Pourquoi ? La question doit rester d’autant plus ouverte que, dans tes milicux poétiques ou concernés par la poésie, en France, le nom de Donne réapparait souvent et est prononct avec vénération. Le nom circule, non pas Peeuvre, dont d’ailleurs (on y revien- dra) Ia variété et l'étendue sont complétement ignorées. ‘Notre analyse, conformément & son origine ~ le séminaire donné en 1989 -, se centrera, principalement, mais sans s'y river, sur um potme de Donne, I’élégie XIX Going t» bed, Crest la lecture de ce potie, et non, initialement, de tout Done, qui a donné Vimpulsion 4, dabord, un commentaire et, ensuite, une analyse comparée de ses traductions (Denis/Fuzier, Roch- schild, Paz). Il vaut la peine de retracer, briéverent, les cireorstances_dans lesquelles, littéralement, je suis « tombé» sur cé.poéme’et sa traduction mexicaine. En 1988, lors d'une mission en Argentine, j'ai trouvé par hasard dans une biblio- théque un vieil exemplaire de la revue Sur, fondée par Victoria Ocampo, et j'y ai va des tradyctions: une d'un po’me de Valéry, La darmeuse par Jorge Guillén, admirable, autre d'un poime de Donne, Going to bed, par Octavio Paz, encore plus admirable, quoique fort libre. Bn lisant Going te bed et son pendant mexicain Antes de acostarse, feus impression, tres forte, de me trouver devant un poéme d'amour unique. Unique, me isais.je, dans ocuvre de Domne (que je connaissais mil), inais aussi unique dans la lyrique amoureuse occidentale ‘Ce potme de la nudité, de la joie, de Yamour de Vhomme et de la femme avait certes des « analogues » dans la possie ‘3 Lindo: paseo rite ump spots ways al, oak Cons Pa 1960 (3 tomes ke dernier qu rate aus de Donne , Epa) ‘Babee and Faber, Lense, 181 5. Pegi 5, Pan (0. 1s occidentale, était certes relié & dautres poémes de Donne (je ne Jesus que plus tard, il n’en était pas moins unique, et de cette unicité témoignait le fait Eloquent qu'il n’avait pas été repris dans la premiere édition (posthume) des potmes de Donne. La traduction «libre» de Paz correspondait, dans son Evidente souveraineté, dans la justesse et de ses fidelités, et de ses ‘Omissions, a Punicité de ce potme. Ainsi mis face A face dans Sur, ils se micaient et s'enrichissaient réciproquement, témoignant des liens secrets que Donne, de son propre aveu, avait toujours us avec le poésie du Sitcle d'or espagnol’ De retour, je cherchai une traduction francaise, et me heurtai & la situation précédemment décrite, Des renseigne- ments pris auprés d’un angliciste de Paris UL confirmérent état déplorable de la translatio de Donne en France: méme dans les bibliothéques publiques, certains livres étaient « man- quants » !La chance me mena cependant ale ibrairie Compa gnie, of je trouvai par hasard (car ’y cherchais autre chose) le volumineux dossier de L'Age d’Homme sur Donne. J'y décou- vris deux traductions francaises de Going t bedi Pune de Philippe de Rothschild, autre de Denis et Fuzier. Ce fit un véritable choc, et une vive déception. Pourquoi ? Ce qui, chez Donne et chez Paz, était A la fois complesité et simplic réflexivité et immédiateté, shétorique, lyrique et pensée entre mélécs, était ~ chez les traducteurs frangais — soudé en une masse compacte, une, que sa langue archaique ~ plus qu’ar- chaisante ~ readait difficile & lire. On voyait bien que les auteurs avaient voult faire ceuvre poétique, avaient travaillé la rime, la prosodie, etc. et méme que, dans unc certaine mesure, ils avaient réussi a produire un posme, mais ce po&me empli de ‘mots anciens et obscurs (a/figuets, arcer, tori) dont on ne savait trop sil était écrit en frangais du xvif ou du Xvm siécle, ne correspondait pas & celui de Donne. Maintes images, maintes expressions qui m’avaient para_et essentielles au poeme, et uuleversinets, avaient &é remplacées. Les deux traductions témoignaieat d'un travail d'orfévre et praduisaient um potme « précieux », alors que le poéme de Donne, li, certes ¢4 et li 6 fo 1628, Donne frie § Buckingham: «fe the m:n beth Fon teh yu Lard Sin, tp pa ary, as ed Fm, fn tm mn lar hf nay resin, fo Be mre fy yu, Py tthe of ee, isin tthe T at mae ars of ta nto Tn of ny ser my in Octavio Yas, “Train: Liar y dards, Trquess Bares, Bateslon, 191, p27, ns “OGTR £4 de chamarré, existait sur le mode de cet entrélacement presque brutal du véeu et du réflexif qui lui est propre. Est-ce A dire que ces traductions étaient « mauvaises », « ratées », et qu'il fllait sten détourner ? Telle ne fut pas ma réaction. Ma vive décep- tion me pousa A me demander pourquaé ces traducteurs, qui étaient, d’aprés les renseignements fournis par le dossier de LiAge Homme, des connaisscurs de Donne et de la poésic iisabéthaine (Fuzier, en particulier, avait traduit la poésie de Shakespeare), étaient arrivés & un résultat — pour moi — ‘aussi décevant, et méme traumatisant. D’ai venaient, chez ces hommes manifestement scrupuleux et amoureux de Donne, ces choix, ce systéme-de-traduction (8 wen point douter, ify auait ‘gstéme) qui, non moins manifestement pour moi, ne rendaient pas son potme et, loin de lui correspondre, I'éloignaicat, Yopacifiaient et faisaient de Going to bed une préciosité digne d'un magasin d’antiquaire ? ‘elle fut Pexpérience qui me poussa & donner un séminaire sur Gaing to bed en 1989, et, A cette occasion, & préciser encore un peu certaines notions qui me paraissaient vitales pour analyse des traductions (horizon, projet, parties signifiantes et aléatoires du poéme, etc.). Le présent travail est la reprise, développée, radicalisée, systematisée, de ce séminaire. Tant ce demiier que mon analyse d’aujourd'hut reposent sur Pexperience que j'ai narrée, et qui, pour cette raison, mest nullement anecdotique : ele est plutot le seul et lz sol du travail critigue. LES TRADUCTEURS ‘La traduction de Donne étant oeuvre de deux personnes, i nous importe de savoir d'abord qui sont ces personnes, et comment elles se sont partagé le travail, le processus de traduc- tion, Sur Yves Denis, il a 6té malaisé d’obtenir des informations fiables ct divectes, 11 agit d'un professcur d’anglais du secon- daire, aujourd'hui décédé, qui, antérieurement a la publication des Poines de John Donne chez Gallimard, avait publié dans La NRF une traduction de The Extasiz, avec annonce de la lis prochaine partion du volume. Cette traduction était signée de son seul nom, Ultéricurement, Yves Denis a préparé un recvell de traductions de potsies anglaises, qui est pas para, mais que ses collégues et amnis esperent publier un jour. ‘ous savons bien plus.de choses sur Jean Fuzier, D'abord parce quil est Ie traducteur des Poimes de Shakespeeate A la Plgiade, volume para en 1959, done avant la cotraduction de Donne. Dans I'avant-propos, Fuzier expose les principes de sa traduction de Shakespeare. Il vaut la feine de le citer, parce que ce qu’ll dit la vaut ~ en partie ~ pour la traduction de Donne Crest Cu). par souct de, fid6té que’ le ves a it choisi comme instrument de cette taducdon. Dane les Sia, ct plus encore dant ces deux petites épopéee a Ptalienne que wort Vas ef dois st Lact, la hétonque lemport souvent surle lysate et execie de style sue inspiration j les cma qu abondene dans Tam et Vautee genre ne sont parfis guére tolerable que grace ax ju des rythmes et dt Fim la prose la mieux verue en émousse le piquant, quand cc wen {hic pas resorts Vindigence, Ila done semblé naturel de conserver A ta pensée de Yauteur le cede choist par lu, ct.de la serie avec det ove apmecant en enue ecu Wtin aps été mcciiée pour aulant[]. Limterprétaton aot le pls souven vege done, voir Pobcaricé de ceri pauages, Rss apen tees Taschaisme clin, sl n'a pa 6 recherche gystemaiquemett a été etema chaque ois queson empl permetaltdeserret de ps pres ta structure une phrase ou de la tramscrice dans fe ton orginal”™ Mais Jean Fusiern'est pas « que » traducteur, Ila été profes- sour Ecole normale supérieure, puis & Puniversité de Montpel- Hier, od it a animé le Contre d'études élisabéthaines, qui publie (ou publiait en 1989) une revue, les Cahier disabéihaint. Dans le dossier de L’Age d’Homme, nous trouvons un article de lui intitulé « John Donne et ta formalicé de Pessence, essai dintci- prétation prosodique ét hétorique du Sonnet saccé XIV", d'une technicité claire et mesurée, qui entend, ine part, ‘témoigner, pour ce qui est du sonnet en question, qu'il refléte dans sa. prosodie le bouleverstmert micracosmique qi depeine® fe : mei iat 7, Wiltioneuue de a Pade, Gama, 1959, p28 2 Jon Doe, Lge Home, eel « Les ‘Desien Hn, Laannne ee ‘Are Ho, Lauame, 1985, 9. Joba Dame, ge Homme, oh ily pA. u7 teers et cela conformément, au principe cher aux fliabéthsins, de comespondances entre les Giernts iveaux de Péhelle universal et, autre part, en ce qui concerne Donne en général, montrer la valeur informante des éléments prosodiques et chétoriques (que Pasage clasique ne disocie d'alleursguére) de la poése de Donne, ct [.] confirmer que la forme y ext bien Ia « formalitédeT'essence »". Bien que Fuzier ne parle ici aucunement de questions de traduction, on verra que ces déclarations sur la-formalité de Pessence pasent d'un grand poids sur le travail traductif qu'il a fait, tant seul (Shakespeare) qu’avec Denis. ‘En ce qui conceme la collaboration des deux traducteurs, cet le « partage des tches », la table des matiéres nous apprend qu’¥ves Denis a traduit la majorité des sonnets sacrés, Jean Fuzier la majorité des élégies et des chansons et sonnets. En tout ct pour tout, la part de Fuzier est prépondérante. A propos du sonnet sacré X1V, celui-ci évoque la « version difficilement Qgalable d’¥ves Denis, tirée des Podmes de John Donne! », Mais rien, a la lecture des podmes, méme si Pon connait Jes autres iwaductions de Fuzier, ne permet de déceler de différences entre les dex tradiicteurs. Ce couple dont nous savons mal comment il a ccuvré ensemble au scin du partage a son tiers, en la personne de Jean-Roger Poisson, qui assume le rle du préfacier de Pouvrage ®, En tant que préfacier, Poisson a eu pour charge de présenter Donne au public ftangais, et d’évoquer le travail de sa traduction, Mais, en réalité, sa fonction est plus impor- tante : c'est lui qui @ eu pour tache de relire, corriger et méme réorienter le travail de ses «amis», notamment quand il lui semblait qu'il prenait un tour un peu erroné", Enfia, cest 1. tid, 94. aH TT Tad $48. Lespession «frat de Pesteee x amprantie Rémy de Gourmont 2 de p82 Ty, Binibiucton ee aul prasxte da tive, avec le das de couverture eta lable des mates Aucune note. MeGhes en il poutchatenit to “cheviles", la “ooerse, comme dist Matherbe [| Liautre sma top ts douceursprésese on lu pea const iene que isle pare de Done at “ease-mbctoir™ Gaurdrag) et tend prccadeeat comune elt Se Malls, Pema ulm Diy oy pe, ne encore Iui quiva fourni, le premier, une appréciation sur ces sraductions : «elles sont belles et files" ». Le réle de Jean- Roger Poisson, on le voit, est de poids. L'OUVRAGE ET SON HORIZON TRADUCTIP Je n'entends pas m’étendre ici trés longtemps sur ce point, puisque jy reviendrai en détail au moment de l'étude de la réception de la traduction Fuzier et Denis. Disons seulement, et trés britvement : Phorizon de ceite traduction, ce sont les années 60, avec-leurs principales traductions: Les Prophiter de Jean Grosjean'®, le Hamlet de Bonnefoy", le Hopkins de Leyris™®, Z'Entide de Klossowshi", les Potmes dlisabithains de Philippe de Rothschild®, le Chant des chants de Meschonnic™, Lions sans qualiés de Musil par Jaccottet™. le Parménide de Jean Bearer. Cette liste, & la fois incompléte et personnelle, Tnclut quand méme des traduetions qui, & 'époque, ont été remarquées dans la presse et ailleurs. Mais elles ne forment aucunement un « tout. Par ailleurs, il y a les discussions et reéflexions sur la poésie ct sa traduction, telles qu’on les trouve dans La ree de potse™ et Change®, ou dans Poavrage de Michel Deguy Actes, es traductions ne forment pas un « tout» wi, a fortiori, comme je le croyais & Pépoque, un mouvement homogene 1s. pa, 18: Gators Far, 1s, 17: Gut Fraga ee, 1957 eS cp td din, Le Sx, Fi 9 19: Gallimard, Pang 1960. 29. Opa Parton 1D). La premie satolog dk pois on France ce dre sim, elle ex un evenemeat = 7 Gaiman Pa aro 4. Ue Sey drs a. 25. Ls Pent de Patents pr Jan Jaques Rive, pen pr Jen Be, PUR os bye Tare ah ee : ls rcs is de Ler tino 25. Gate v9, phen Lab Pa 97 We kf 20 48 Galera cal’ ke Chemin’ ats, 15 lig

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