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POURQUOI J’AI ÉCRIT LES MYSTÈRES DE KINSHASA

J’étais à Kinshasa le 16 février 1992, dans la colonne des chrétiens décidés à réclamer la
réouverture de la Conférence Nationale Souveraine, la fameuse CNS. En cette année 1992,
j’allais totaliser mes dix-huit ans, l’âge de la majorité, celle de la vie d’adulte. Moi qui suis né
alors que le mobutisme brillait de toute sa splendeur, je rêvais d’un avenir sans dictature, sans
totalitarisme, dans une vraie démocratie.

J’étais parmi ces chrétiens enthousiastes, décidés à ne pas laisser échapper cette
démocratie dont on avait vu les prémisses dans la conduite des débats de la Conférence
Nationale Souveraine sous la houlette de Mgr Mossengo. Mobutu, jadis tout puissant était
vilipendé. Ce nouveau monde qui s’annonçait émerveillait ceux de ma génération. On ne
voulait donc pas laisser s’échapper cette liberté que nous étions en train de gagner.

Je ne fus pas touché par balle. Je n’ai pas vu des gens mourir autour de moi. J’avais
quitté la marche avant l’affrontement avec les forces de l’ordre qui, dans mon quartier, ne fit
aucun blessé : j’habitais Ngomba Kinkusa et nous avions marché vers la paroisse Saint
Sacrément de Djelo Binza.
Lorsque j’entendis sur RFI que la répression avait fait des morts et des blessés. Je
réalisai ce à quoi je venais d’échapper. Je n’y étais pas. Je n’ai aucun mérite. J’en ai même un
peu honte. Mais pendant longtemps, je pensai à toutes ces personnes mortes pour un bonheur
dont ils ne jouiraient pas. Je me mis à me demander si j’aurais pu faire de même.

Les années passèrent. La démocratie tant attendue n’était toujours pas au rendez-vous.
Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, la chute du dictateur, terrassé par une rébellion
venue de l’est ne fit pas place à une démocratie, bien au contraire. J’eus l’impression d’un
retour en arrière. L’activité des partis politiques fut suspendue, Tshisekedi le célèbre opposant
à Mobutu fut relégué dans son village, une houe à la main pour planter le maïs, bientôt nous
fûmes tous obligés d’adhérer aux CPP, Comités de pouvoir populaire, parti unique qui ne
disait pas son nom, ayant l’ambition de fonctionner à la base, et donc en tant que tel plus
démocratique. Cette formule, on s’en doute ne remporta pas mon adhésion.

L’arrivée de Kabila au pouvoir me rappela si besoin était que lorsqu’un pays s’appelait
« démocratique », il y a avait peu de chances qu’il le soit réellement. Il y avait deux
Allemagne, celle qui s’appelait démocratique ne l’était pas !

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Les années passèrent et Kabila se brouilla avec ses amis, la guerre éclata à nouveau à
l’est avec son cortège des malheurs. Il perdit la vie dans des circonstances obscures. Son fils
lui succéda dans les mêmes conditions et rassembla autour de lui tous les saigneurs de guerre
pour partager le gâteau de la république.

J’ai suivi cette actualité la rage au ventre, ulcéré du peu de cas que l’on faisait à ce
peuple que l’on était censé dirigé. En claudicant, on arriva à des élections, les premières
depuis l’indépendance, élections « transparentes » pour les uns, les vainqueurs, « tricheries »
pour les autres, les perdants.

J’étais à Kinshasa ces jours de marche ou les fidèles des uns et des autres s’affrontèrent
en plein centre ville. J’étais à Kinshasa alors que des élèves étaient restés bloqués dans les
salles des cours, sous un déluge d’armes lourdes au Lycée Bosangani, au Collège Boboto, à
l’Athénée de la Gombe, à Notre dame de Fatima et dans plusieurs autres écoles des environs.

Je n’ai jamais rien eu réponse à ma question : comment a-t-on pu organiser une


opération militaire de cette envergure en pleine ville à une heure où les Kinois se pressent au
centre ville dans l’espoir de rapporter une maigre pitance au domicile ? Dans ce pays
démocratique, personne ne s’est adressé à ce peuple une fois de plus meurtri pour le lui
expliquer. J’ai pensé ce jour là écrire cette histoire avec le profond désir de mettre un visage
sur ces morts. J’ai pensé écrire cette histoire pour garder une trace de ces années, pour
pouvoir raconter aux jeunes générations, les difficiles conditions de la parturition de cette
démocratie derrière laquelle la République Démocratique du Congo court toujours.

Magloire Mpembi Nkosi

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