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ISMAIL ABDOURAHMAN

Zélika

Norme 1

Claire LEVY-VROELANT

NCEP – L2 ETUDES POLITIQUES


Ces dernières décennies ont vu les modifications corporelles telles que les tatouages et les
piercings se populariser de manière importante dans le monde occidental.
Concernant les tatouages, en France le phénomène reste moins répandu que dans les pays anglo-
saxons. En 2010, le pourcentage de français qui ont au moins un tatouage est de 10%1 tandis que
chez leurs homologues américains on en compte 23%2.
Si ces pratiques se sont plus ou moins démocratisé de la fin du XXème à nos jours, elles sont
pourtant présentes dans différentes cultures depuis beaucoup plus longtemps.

Le mot tatouage tire son origine du terme tahitien « tatau » qui se traduit par « marquer ou
dessiner ». La racine du mot « ta » des verbes « frapper » ou « inciser » puisqu’il s’agit
effectivement de l’insertion sous la peau d’un matériau coloré afin d’y appliquer une marque
indélébile.
L’origine des tatouages est très ancienne : on prendra l’exemple d’une des momies les plus
célèbres « l’homme des glaces » surnommé Otzi par les chercheurs qui l’ont découvert.3
En effet, cette momie datée d’il y a plus de 5000 ans, soit de l’époque néolithique, présente
plusieurs marques sur le corps au niveau des articulations4. Ces derniers auraient été effectué
dans un but thérapeutique, afin de soulager des articulations douloureuses.
Si cet exemple ne relève pas du tatouage purement ornemental comme il est pratiqué aujourd’hui,
il nous donne une idée de l’ancienneté de cette pratique.
De plus, dans certaines sociétés le tatouage peut prendre un rôle important dans la culture et les
croyances. On notera par exemple, que dans les sociétés polynésiennes, ils étaient signe de rang
social élevé et de beauté. Allant même jusqu’à être interdit à la pratique par les hommes de
basses classes sociales, leur réalisation était effectuée par un prêtre de manière très protocolaire.

De la même manière, la perforation du corps pour y appliquer des ornements piercings prend son
origine très tôt dans les sociétés humaines. Encore ici, on peut remonter au néolithique avec

1
Institut français d’opinion publique (http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=1220)
2
Pew Research Center (http://www.pewsocialtrends.org/files/2010/10/millennials-confident-connected-open-to-
change.pdf)
3
Sciences et avenir (https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/decouverte-de-nouveaux-tatouages-sur-l-
homme-des-glaces_21768)
4
Voir image en annexe 1
l’exemple de la tribu des Mursi de l’actuelle Ethiopie qui s’inséraient des labrets en pierre au
niveau des lèvres inférieures et des lobes d’oreilles. Cette pratique est d’ailleurs encore
observable aujourd’hui5.
La pratique du piercing est même présente dans la Bible. En effet, dans la Genèse le domestique
du prophète Abraham offre des boucles d’oreilles à Rebecca. Dans l’Exode 21 :6, le perçage des
oreilles est désigné comme un signe d’asservissement : « Alors le maitre prendra Dieu à témoin
et fera approcher l’homme du battant de la porte […] et lui percera l’oreille avec un poinçon et
cet homme sera son esclave pour toujours ».

Si ces pratiques sont présentes dans différentes cultures depuis les débuts des civilisations et
cultures humaines, elles ont cependant pris un caractère quelque peu négatif. Les personnes
arborant des tatouages et piercings sont souvent vus comme des marginaux ou déviants.
C’est donc seulement vers la fin du 20ème siècle que le tatouage commence à se « normaliser » et
à sortir des milieux sociaux restreints.

En premier lieu, nous nous interrogerons d’abord sur la question suivante : si les modifications
corporelles sont présentes depuis le début des civilisations et cultures autour du globe, comment
expliquer que ces pratiques soient marginalisées ?

L’expansion et la globalisation des religions monothéiste constituent le frein majeur des


modifications corporelles. En effet, aussi bien les tatouages et piercing sont vus d’un mauvais œil
voir clairement proscris aussi bien dans le christianisme, le judaïsme et l’islam.
En Europe, on note plusieurs interdiction des tatouages et piercings au nom de la religion
chrétienne.
Au IIIème siècle, l’empereur Constantin 1er se lance dans une lutte contre le paganisme et le
donatisme. Il interdira alors toute modification corporelle (surtout le tatouage qui était,
contrairement aux croyances populaires bel et bien pratiqué en Europe à ces périodes) qui étaient
considérées comme des pratiques tribales et païennes. Quelques siècles plus tard, au VIIIe siècle,
le pape Hadrien réitère cette interdiction.
De la même manière les modifications corporelles sont rejetés par le judaïsme : Lévitique
chapitre 19, verset 28 « Vous ne ferez point d’incisions dans votre chair pour un mort, et
n’imprimerez point de figures sur vous ».

5
Voir image en annexe 2
De la même manière, l’Islam interdit la pratique du tatouage qui est considéré comme un acte
satanique provoquant la malédiction divine et empêchant les ablutions : sourate 4 « Les femmes
(An-Nisa) », verset 119 : « et ils altéreront la création de Dieu. Et quiconque prend le diable pour
allié au lieu de Dieu sera, certes, voué à une perte évidente ». En somme, les religions
monothéistes interdisent les modifications corporelles puisqu’elles consistent à altérer le corps,
qui crée à l’image de Dieu est considéré comme parfait.

Ainsi, alors que les religions se répandent dans le monde, les pratiques de modifications
corporelles se voient rejetées et mise en opposition avec la foi. Il est donc compréhensible que
même les cultures qui d’origine exercent ces pratiques s’en sont éloignés et que globalement les
tatouages et piercings vus d’un mauvais œil, se soient cantonnés longtemps à des petits groupes
en marge de la société.

Si les tatouages et piercings ont tout d’abord eu un exercice culturel, ritualisé et significatif de
l’adhésion à un groupe social, ils prennent aujourd’hui un sens beaucoup plus personnel.
Ces pratiques auront donc changé de statut plusieurs fois dans l’Histoire, passant de stigmate
corporel symbolisant l’aliénation, l’asservissement ou la criminalité, elles deviendront ensuite un
symbole de marginalité ou au mieux d’originalité, pour enfin devenir une référence forte des
générations contemporaines. Les générations les plus jeunes sont les plus touchées par la
popularisation des modifications corporelles, mais les plus anciens ne sont pas en reste.
L’individu devient à travers ces pratiques le producteur voir le créateur de sa propre identité dont
le corps est la matière première qui se voient remaniées à sa guise. En effet, elles s’inscrivent
dans un contexte d’individualisation de la société. Chacun peut désormais utiliser son corps
comme le reflet direct de l’image que l’on entend donner de soi à travers la disposition visible de
signes identitaires à caractères plus ou moins définitifs. Ces pratiques permettent souvent de
rendre hommage à des personnes ou des choses qui tiennent à cœur au tatoué puisqu’il veut en
porter la marque sur le long terme. Le tatoué prends possession de son corps, le personnalise et se
différencie des autres par le choix et la signification de son emblème.

« Dans un monde où des voix trop nombreuses parlent en même temps, un monde où le syncrétisme et
l’invention parodique deviennent la règle, non l’exception, un monde multinational et urbain de
l’éphémère institutionnalisé – où des vêtements américains, fabriqués en Corée, sont portés par les jeunes
en Russie, où les racines de chacun sont en quelque sorte coupées –, dans un tel monde, il devient de plus
en plus difficile de rattacher l’identité et la signification humaine à une culture ou à un langage cohérent. »
James Clifford, Malaises de la culture

Le sociologue David Le Breton parle de création d’un mythe de soi, un idéal que l’on se crée et
que l’on mettrai en scène sur son corps.6

Les modifications corporelles permettent une personnalisation de son corps et la création de


l’image idéale que l’on veut donner de soi, mais alors il faut s’interroger sur la place que ces
pratiques ont dans la société de consommation. Certains critiquent les tatouages et piercings en
soutenant que son essor, en parallèle avec celui de la société de consommation, n’est qu’un autre
exemple de surconsommation. Ainsi, même si ces modifications se présentent comme des
manières de se différencier et de s’individualiser, elles ne seraient que le produit d’un effet de
mode que les adeptes ne pratiquent que pour « faire comme tout le monde ».
Les tatouages et piercings seraient alors « vidés de leur signification »7.

Après ces recherches et en tenant compte de mon avis personnel sur la question, j’en viens à la
conclusion que les modifications corporelles résultent de motivations différentes pour tout un
chacun. La possibilité de personnaliser et de s’exprimer à travers son corps est pour moi
importante dans la mesure où ces modifications sont effectuées afin de mettre en scène les choses
importantes à nos yeux et en reflétant l’image idéalisée que l’on voudrait transmettre.
Cependant, si l’on effectue ces modifications avec un objectif peu personnel et dans le but unique
de s’ornementer et de suivre un effet de mode je pense que cela perds tout son sens et ne pourra
qu’apporter des regrets au porteur des modifications au fur et à mesure que les modes changent.
En soit, juger du bon ou du mauvais usage de ces pratiques reviendrait à juger directement l’état
d’esprit profond de l’individu et nécessite de s’intéresser à chacun individuellement.

6
https://www.la-croix.com/Culture/Expositions/David-Le-Breton-Par-le-tatouage-chacun-se-bricole-un-mythe-
personnel-2014-08-07-1189152
7
David Le Breton : https://www.la-croix.com/Culture/Expositions/David-Le-Breton-Par-le-tatouage-chacun-se-
bricole-un-mythe-personnel-2014-08-07-1189152
ANNEXES

Annexe 1 : Otzi l’homme des glaces, tatouages présents sur son poignet.
Annexe 2 : piercing labial traditionnel de la tribu Mursi d’Ethiopie

SOURCES :

http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/07/07/31003-20140707ARTFIG00097-tatouage-quand-
la-societe-de-consommation-investit-les-corps.php

Interview du sociologue David Le Breton


http://www.sonuma.com/archive/piercings-et-tatouages-point-de-vue-sociologique

David Le Breton, extrait du livre « Signes d’identités »

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