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La longue route
seul entre mers et ciels
Toute la toile
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joie vole si haut que rien ne peut l'atteindre. Quant Ciel aidant, rafler l'un de ces prix, ou même les
aux autres questions, qui me troublaient parfois, deux (c'était permis), sans pour autant risquer de
elles ne pèsent pas un gramme face à l'immensité perdre notre liberté, puisque le règlement ne pré-
d'un sillage tout près du ciel et plein du vent de la cisait pas qu'on devait dire merci. Du point de vue
mer, que ne peuvent perturber les petits mobiles purement technique, ce trajet sur Plymouth consti-
habituels. tuait en outre un excellent galop d'essai avant la
Avant le départ de Toulon en direction de Ply- grande épreuve, cela permettait de voir les détails
mouth, j'étais très monté contre le Sunday Times qui clochaient et de tout mettre au point dans ce
qui avait décidé d'« organiser » une régate pour port.
solitaires autour du monde et sans escale, avec de
l'argent pour récompense. Deux prix à la clé : un Le vent tient bon, Joshua marche très vite, je
globe en or pour le premier arrivé, et 5 000 livres sens passer dans tout mon être ce souffle de haute
sterling pour le voyage le plus rapide. Le règle- mer qu'on n'oublie jamais plus après qu'on l'a
ment était simple, inutile d'être officiellement ins- goûté. Quelle paix ici, au grand large ! Il y a belle
crit, les bateaux devaient quitter un port quel- lurette que je n'en veux plus à l'équipe du Sunday
conque d'Angleterre entre le 1 er juin et le 31 octo- Times. En fait, c'était, fini de ma rancoeur dès notre
bre et y revenir après avoir doublé les trois caps, premier contact à Plymouth. Car derrière le Sun-
Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn. day Times, il y a les hommes de ce journal. Robert,
Le Sunday Times avait eu cette idée après avoir le patron de l'équipe, souhaitait me voir embar-
appris que Bill King et Joshua se préparaient pour quer un gros poste émetteur avec batterie et char-
la longue route. Mon vieux copain Loïck Fougeron geur. Il m'en faisait cadeau, à Loïck aussi, pour
préparait lui aussi ce voyage, nous avions échangé qu'on lui envoie deux messages par semaine. On
des confidences à Toulon. Il y était question de
ne voulait pas de ce gros truc encombrant, on
gréement, matériel, vivres, poids inutiles, poids défendait notre tranquillité, donc notre sécurité.
gênants mais indispensables, voiles minces et Nous ne pouvions pas être d'accord, mais Robert
maniables, ou bien toile plus lourde et plus solide comprenait le sens de notre voyage et nous étions
mais plus difficile à ferler* dans un coup de chien amis. Steeve, son collaborateur du service de
des hautes latitudes, récupération d'eau de pluie, presse, nous a bourrés de pellicules photo, avec en
mauvais temps, froid, solitude, saisons, résistance plus un Nikonos japonais étanche pour chacun.
humaine. Seulement les choses de la mer. Après Il nous a dit : « On vous fait cadeau de tout ça, on
l'annonce du Sunday Times, nous avons décidé de ne vous demande rien en échange. » Et Bob, le
conduire nos bateaux à Plymouth pour pouvoir, le photographe du Sunday Times, m'a donné tous les
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tuyaux possibles sur son métier. Il regrettait, lui Dock. A cette époque, nous pensions tous laisser
aussi, que je préfère mon bon vieux lance-pierres à les îles du Cap-Vert sur bâbord, le Pot-au-Noir se
100 ou 150 kilos de matériel radio, mais il sentait rétrécissant en principe vers l'ouest. Mais nous
mes raisons, m'aidait à trouver de bons élastiques, n'avions pas encore étudié les Pilot Charts en vue
me procurait les petits tubes d'aluminium où je de ce détail que nous aurions largement le temps
pourrais enfermer des messages pour les catapul- de mettre au point, à tête reposée, après le départ.
ter sur le pont des navires de rencontre. Un bon Il nous restait alors trop de menus travaux beau-
lance-pierres... ça vaut tous les postes émetteurs coup plus importants, à régler avant l'appa-
du monde ! Et c'est tellement mieux de se débrouil- reillage.
ler avec seulement les deux mains que le bon Dieu Nigel, retenu encore un peu par sa profession,
m'a données, et une paire d'élastiques ! Je tâcherai ne pourrait pas partir avant le début du mois de
de leur faire parvenir messages et pellicules, ça septembre, tandis que Loïck, Bill King et moi,
leur fera plaisir... et à moi aussi. devions quitter Plymouth vers le 15 août. Mais le
vent soufflait de l'ouest depuis une dizaine de
jours. Bill King, arrivé tout récemment à Ply-
Madère est sur ma droite, déjà. Presque 150 milles mouth, terminait les dernières mises au point,
de moyenne journalière depuis le départ de Ply- dans l'enceinte de l'Arsenal, difficile d'accès aux
mouth. Je me demande où passeront Bill King civils et assez éloigné de notre bassin. Ses contacts
et Loïck Fougeron. A droite ou à gauche de avec le reste de la bande étaient donc rares,
Madère? A droite ou à gauche des Canaries, plus occupés que nous étions par les mille détails pré-
loin? Et les îles du Cap-Vert... à droite ou à cédant un appareillage. Tout bien pesé, ce mauvais
gauche?... Nous avions parlé souvent de ces pro- temps d'ouest nous arrangeait dans un sens,
blèmes, Loïck, Nigel et moi, pendant les six
semaines de préparatifs à Plymouth, lorsque nos sieurs étaient déjà partis longtemps avant nous, d'autres sont
bateaux' reposaient dans le bassin à flot de Milbay partis après, le lieu et la date de départ étaient laissés au choix
de chacun. Sur les neuf,partants, seul Robin Knox-Johnston a
1. Captain Browne, de Loïck Fougeron: cotre acier de ramené son bateau en Angleterre après avoir passé les trois
9 mètres à gréement aurique. C'est l'ancien Hierro des Van de caps. Nigel était presque de retour, avec lui aussi trois caps
Wiele. Victress, de Nigel Tetley, est un trimaran de 12 mètres dans son sillage, lorsque` Victress s'est désagrégé dans l'Atlan-
environ, en contre-plaqué. Galway Blazer II, de Bill King, est tique. Je l'ai appris quelques jours après l'arrivée de Joshua à
une goélette en bois moulé d'environ 13 mètres avec un grée- Tahiti. Crowhurst est mort en mer. Tous les autres ont dû s'ar-
ment dérivé des jonques chinoises, mâts non haubanés, bouge rêter en chemin pour cause d'avaries sérieuses, bateaux roulés
important, tonture inversée. Il y avait au total neuf partants par les déferlantes, etc. Loïck avait conduit d'abord son bateau
pour cette aventure. Je ne connais personnellement que Bill, de Belgique à Casablanca, puis de là à Plymouth, pour prendre
Nigel et Loïck, puisque nous étions réunis à Plymouth. Plu- le départ.
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puisqu'il nous obligeait à attendre utilement la
renverse.
Tout s'est passé très vite à partir de ce moment- seuls ensemble devant la ligne d'horizon.
là. Je me souviens du petit visage de Françoise es- Brusquement, j'ai pensé très fort à mes enfants.
sayant en vain de retenir ses larmes, et moi, j'étais Nous avions parlé souvent de ce voyage. Avais-je
agacé de la voir pleurer : « Mais puisque je te dis su le leur faire comprendre, à cette époque où
qu'on se reverra bientôt, qu'est-ce que c'est, huit ou la préparation technique sollicitait toutes mes
neuf mois, dans une vie, ne me flanque pas le cafard ressources physiques et mentales? Mais je crois
J'avais un tel besoin de maintenant qu'ils ont senti l'essentiel et sauront
retrouver le souffle de la haute mer, il n'y avait que
dans un moment pareil ! »
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annoncé son départ, du moins n'ai-je rien entendu
avoir remarqué mes signaux au miroir. En même
à la radio. Dommage qu'il n'existe pas de tout
temps que les signaux, je faisais descendre et mon-
petits émetteurs du genre talkies-walkies à piles ter mes pavillons M.I.K. Si j'ai pu lire son nom, il
pouvant porter à 500 ou 600 milles. Cela nous
peut voir mes pavillons : pas de réactions sur la
aurait permis de prendre contact, Loïck, Bill King passerelle du navire. (Les pavillons M.I.K. veulent
et moi, tous les deux ou trois jours, jusqu'à ce dire : « Prière de signaler ma position au Lloyd's. »)
que les écarts entre nos bateaux deviennent trop Je porterai ces trois pavillons en permanence pen-
grands. dant tout le voyage, entre les pataras du grand
26 août: Toujours le bon vent portant, c'est une mât. Le Sunday Times m'en a fourni quatre jeux de
sacrée chance. Parcouru 176 milles dans les vingt- rechange.
quatre heures. Ça mollit pendant l'après-midi mais 29 août: Le vent est revenu, il y en a plein les
le golfe de Gascogne est dans le sillage, c'est du voiles. 166 milles depuis hier, c'est presque trois
vrai beau temps avec bonne visibilité. Toujours pas degrés de gagnés en latitude... ça commence à sen-
de navires en vue, je suis loin des lignes de naviga- tir les tropiques et les poissons volants ! Loïck doit
tion, mais m'en rapprocherai bientôt pour essayer se dire la même chose en ce moment. J'espère qu'il
de me faire signaler au Lloyd's par un cargo. . n'a pas eu d'ennuis les trois premiers jours de
27 août: Parcouru 100 milles seulement depuis brouillard. Un petit cargo... et boum... plus de
hier, car le bon vent est devenu petite brise. Mais poissons volants, plus d'Alizés, plus de hautes lati-
elle vient de la bonne direction, la mer est belle, le tudes. Et Bill King, où est-il? Toujours rien à la
soleil chaud, c'est le principal. J'aimerais quand B.B.C.
même aller plus vite, c'est tellement bon de regar- 30 août: Grand beau temps, vent de N.-E. à
der foncer le bateau. N.-N.-E. force 2... Croisé encore un navire, trop
C'est bon aussi de flemmarder sur le pont en se loin pour que j'ose risquer de le dérouter en lui fai-
rôtissant au soleil en écoutant chantonner l'eau sur sant des signaux de miroir : il aurait pu se fâcher.
l'étrave. N'empêche que j'aimerais marcher plus Je ne fais des appels au miroir que si le bateau est
vite, à cause des questions de saisons dans l'océan suffisamment près pour pouvoir lire mes pavillons
Indien et surtout dans le Pacifique, pour le passage M.I.K. En même temps, je descends et monte les
du Horn. pavillons afin d'attirer son attention sur mon seul
souhait : « Signalez ma position au Lloyds » (et
28 août: Vent toujours assez faible : parcouru
entre parenthèses : je n'ai pas besoin d'autre chose,
122 milles depuis hier. Croisé le Fort Sainte-Cathe- merci, ne vous approchez surtout pas, je suis tout
rine qui fait route vers Gibraltar. Il ne semble pas petit et vous êtes bien gros).
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Le nom de Joshua est écrit en lettres noires, se ler septembre: Croisé un navire tôt ce matin. Je
détachant bien sur le blanc de l'hiloire* et du cock- l'attaque au miroir et il répond d'un coup de lampe
pit*. Quand j'ai peint ces lettres de 40 cm de haut, Scott. Il a donc compris et me signalera au
cela me rendait mal à l'aise, c'était terriblement Lloyd's; Françoise saura que tout va bien, je suis
tape-à-l'oeil. J'avais été tenté de tout rebarbouiller content, j'ai gagné ma journée de bonne heure.
en blanc, puisque ma grand-voile portait un grand Redescendu tout heureux pour terminer ma
numéro d'identification permettant au Lloyd's de moque de café, je jette un coup d'oeil par le pan-
savoir qu'il s'agissait de Joshua (n° 2). Nigel, plein neau, et qu'est-ce que je vois?... le bateau qui
de bon sens, m'avait dit : « Ne sois pas idiot, si tu revient! Il avait fait un grand tour (je pouvais voir
portes M.I.K. sans que le nom de Joshua soit écrit en le sillage laissé sur l'eau calme) et m'arrivait des-
très grandes lettres, un navire finira par te rentrer sus, par l'arrière. Hou la,la ! je n'en mène pas
dedans en s'approchant trop pour te demander com- large... Il me longe à une quinzaine de mètres,
ment tu t'appelles, ce serait malin!» comme une muraille qui s'élève beaucoup plus haut
que mes mâts. Ce navire est énorme, il mesure
31 août: Très grand beau temps, force 2 du N.-E.
2 bien plus de 100 mètres. Quand la passerelle arrive
La bonnette de 25 à 30M lacée sous le génois est
installée depuis hier après-midi, portant la surface à ma hauteur, un officier crie dans son porte-voix
«Nous vous signalerons au Lloyd's, avez-vous besoin
totale du génois à 60 ou 62M . Ça tire comme un
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de quelque chose? »
cheval et Joshua file plus de 5 noeuds sous ces Je fais « Non » de la main car j'ai la gorge blo-
petits souffles. Parcouru 111 milles dans les der-
quée. Ce monstre n'en finit pas de passer, j'ai tiré
nières vingt-quatre heures, alors que le loch indi-
la barre à bloc pour m'écarter le plus possible,
que 125 milles. Cette différence est due à un chan-
craignant qu'il ne dévie un peu et me fauche les
gement de cap important pour m'écarter de la deux mâts. Mais le commandant du Selma Dan
route des navires la nuit dernière. Puis j'avais de
connaît son affaire et possède un bon coup d'oeil.
nouveau modifié le cap vers 2 heures du matin afin
J'ai quand même des sueurs froides et les jambes
de retrouver des navires aujourd'hui et tâcher de toutes molles. A cette distance, je pouvais canarder
me faire signaler au Lloyd's. la passerelle au lance-pierres, mais n'avais pas eu
Françoise écoutait sûrement les bulletins météo le temps de préparer un message. Pas question de
des premiers jours qui ont suivi le départ. Elle le lui faire comprendre, il est tellement gentil qu'il
devait être inquiète à cause du brouillard. J'aime- reviendrait. J'ai mon compte d'émotions pour
rais la rassurer. aujourd'hui, avec une soif terrible. J'en connais un
qui n'est pas près d'attaquer les navires au miroir
avant quelque temps !
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Hier, la météo de Paris-Inter annonçait un moindre souffle. Je contemple mon bateau qui
sérieux coup de vent dans l'Atlantique Nord et la glisse à près de 7 noeuds sur une mer lisse, dans
Méditerranée. Je suis loin ! C'est- bon d'être loin le soleil couchant. Quelle paix! Deux semaines déjà,
quand ça cogne là-haut plus au nord. Latitude à et 143 milles de moyenne journalière depuis Ply-
midi : 30° 19'. Le vent est très faible, mais les pois- mouth.
sons volants sont pour bientôt, les dorades aussi... Les poissons volants chassés par les dorades pla-
nent par grandes bandes sur l'avant du bateau.
ça se sent rien qu'à regarder le ciel et la mer !
Tétrodons et requins
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Mon poisson à moi est bel et bien un poisson C'est la première fois que je vois des tétrodons
volant du type «jamais vu de pareil». J'ai senti ses gonflés le ventre en l'air, d'une manière naturelle,
ailes me frôler le poignet au moment où mon sans que j'aie eu besoin de leur gratter le ventre
réflexe me faisait le lâcher. Un second réflexe après les avoir pris à la ligne. Sur le coup, j'ai dit
referme vite mes mains. Trop tard. Il bondit sur le a
pont, c'est comme si je voulais attraper une savon- et j'ai cru qu'ils étaient morts, tous ensemble, pour
« Ça, alors, qu'est-ce qui bien pu leur arriver?... »
nette dans le noir. Il s'échappe en me caressant une raison mystérieuse, peut-être à cause d'une
une dernière fois de ses ailes immenses. J'en suis veine de courant contenant un plancton nocif pour
malade. Je salive en m'insultant. les tétrodons.
Le poisson volant est ce que je préfère à tout. Ça Evidemment, mon raisonnement rapide est idiot.
ressemble à la sardine, mais en beaucoup plus fin, S'ils étaient vraiment morts d'un plancton véné-
plus parfumé. Bien que n'ayant pas vu clairement neux, ils ne flotteraient pas tous ensemble dans un
celui-là, il était gigantesque, peut-être plus de carré de trois mètres en ayant attrapé la colique à
soixante centimètres de long. Je ne suis pas certain la même seconde. Je vois alors un aileron, puis un
que mes deux mains refermées sur lui auraient fait bouillonnement. L'une des boules blanches a dis-
le tour de son corps. Quand je pense qu'une paru dans ce remous, avalée par le requin.
dorade finira peut-être par l'avoir, alors que je le Les autres boules blanches ne s'affolent pas.
tenais à moins d'un mètre de ma poêle à frire ! Elles attendent bien sagement la voix du destin,
Bien sûr, j'en récolte d'autres sur le pont, mais ce souhaitant peut-être quand même que le prochain
sont des petits, c'est ce gros-là que je voulais. tour soit pour le voisin et que le requin en crève.
Joshua marche près de 7 noeuds, de sorte que je
ne vois pas la suite, et je suis plongé trop loin dans
La mer est pleine de vie dans cette zone, ner- mes réflexions pour penser à grimper vite au mât
veuse par moments, puis de nouveau régulière. d'artimon*. Une chose est certaine : ce groupe de
D'après la Pilot Chart, nous sommes en plein cou- tétrodons s'est gonflé d'air pour tromper le re-
rant équatorial portant à l'ouest, alors que ces quin... mais le requin n'est pas dupe. J'aimerais
alternances de mer hachée et de mer lisse sem- maintenant savoir comment se porte ce requin, car
blent indiquer des veines de courant dirigées vers le tétrodon est empoisonné.
l'est. Cela expliquerait peut-être une telle intensité A l'île Maurice, j'ai assisté à l'agonie d'une por-
de la vie marine ici. tée de chatons qui avaient mangé un tétrodon
A l'aube, Joshua passe près d'un groupe d'une abandonné sur la plage par un pêcheur. La chair
dizaine de gros poissons-globes (des tétrodons, je de ce poisson est pourtant excellente, très fine.
crois) gonflés et couchés le ventre en l'air. Yves et Elisabeth Jonville en ont fait une grosse
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consommation pendant leur escale aux Galapagos,
Chaque matin le soleil teinte en rose et en mauve
à bord d'Ophélie. Mais ils prenaient bien soin de ne la base des petits cumulus suspendus comme de
pas consommer la tête ni, surtout, le foie et la
légers flocons. Puis il monte, clair dans un ciel
peau, qui sont extrêmement dangereux. bleu pâle, ce ciel d'Alizé d'Atlantique Sud où le
Toujours aux Galapagos, les de Roy m'ont ra- temps reste égal, sans grains, sans périodes de
conté l'histoire d'un yachtman qui ne croyait pas à calme. Le vent insuffle aux voiles la vie du large,
cette légende. Il a avalé le foie cru d'un tétrodon,
qui se transmet dans tout le bateau en petits sons
devant André de Roy qui essayait par la force de mêlés au fond sonore de l'eau taillée par l'étrave.
l'en empêcher. Sa langue est devenue énorme, il
Joshua remonte l'Alizé à 159 milles de moyenne
étouffait et a failli en mourir. journalière depuis une semaine. J'écoute le bruit
Mais je pense qu'il n'arrivera rien de fâcheux à
du vent dans le gréement. J'écoute le bruit de l'eau
mon requin, si ce n'est, peut-être, d'éprouver le
sur la carène. Je lis à petites gorgées Les Racines
besoin d'aller faire un brin de sieste. Je me sou- du ciel que j'alterne avec Terre des hommes. Je
viens en effet d'une dorade en pleine forme, har-
passe de longs moments sur le pont à regarder les
ponnée dix ou douze ans plus tôt du pont de Marie-
bulles d'écume monter dans le sillage. Il y a tant de
Thérèse II, là où se trouve actuellement Joshua ou choses dans les bulles d'écume et dans l'eau qui
tout au moins sur la même latitude. Son estomac court le long du bord !
contenait une dizaine de petits tétrodons. J'avais
été surpris que ces poissons, lents et apparemment Le soleil se lève, le soleil culmine, puis le soleil
sans défense, aient pu se trouver là, à la merci de
se couche et un jour pousse l'autre en beauté. Il y
n'importe quel ennemi, à 1 000 milles de la côte. Je
a seulement un mois que nous sommes partis, c'est
me demande pourquoi de telles inégalités existent
comme si j'étais en mer depuis toujours avec mon
partout dans la nature, où dorades et requins, par
bateau. Cette impression que rien ne changera,
exemple, peuvent manger les tétrodons qui, eux, que la mer restera la même, dans son bleu lumi-
ne peuvent rigoureusement rien faire pour s'en
neux. Le vent ne tombera plus, Joshua n'arrêtera
tirer. Et les baleines? Elles n'ont pas besoin d'y jamais de creuser son sillon dans l'océan, pour la
voir pour avaler une demi-tonne de vie à chaque joie d'en faire naître des gerbes d'écume, pour le
bouchée. A quoi ça sert, tout ça? Pourtant, ça sert
plaisir très simple de courir la mer sous le soleil et
sûrement à quelque chose. les étoiles.
Je me demande pourquoi j'ai pensé à ces choses
trop simples et trop compliquées, cela m'a fait
oublier de vite grimper au mât d'artimon pour voir
combien de boules blanches restaient dans le sillage.
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Pie-chercheuse
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nait alors au près sous son foc* de route et sa trin- îles du Cap-Vert. Les bonnes journées de près se
quette lourde, gagnant avec peine en latitude pour situaient, à cette époque, autour de 145 milles,
essayer de crocher l'Alizé. entre la latitude du cap Vert et celle des Canaries.
Maintenant, la différence est énorme : Joshua Pourtant, la mer y était plus régulière que ces der-
porte un bon génois, sa grande trinquette, et j'ai niers jours.
envoyé en plus un tourmentin de 7 m2 en tergal La raison de cette meilleure vitesse actuelle
ultraléger entre le capot avant et le pied du grand contre le vent tient pour une grande part dans
mât. l'allégement relatif de Joshua par rapport à Tahiti-
Tout cela tire bien, car la mer s'est beaucoup cal- Alicante. Et aussi à une bien meilleure concentra-
mée depuis deux jours, et le peu de brise qui sub- tion longitudinale des poids, car, moins chargé de
siste vient du nord-est, portante. Je sens quand matériel inutile (donc moins encombré), j'ai pu
même de légers picotements dans mon ventre cha- dégager entièrement l'avant et l'arrière.
que fois que je pense à la belle bonnette de 25 m 2 Autrefois, nous avions deux youyous démontés
perdue au passage du Pot-au-Noir... et je ne peux dans le poste avant, dont l'un était mort et l'autre
m'empêcher d'y songer en me tournant et me bon à jeter, sans parler d'un invraisemblable fatras
retournant dans ma couchette. J'ai dû la jeter hier de menues et grosses bricolés « ultra-précieuses »
par-dessus bord, elle était pourrie, irréparable. accumulées depuis des années. Il y avait, entre
J'essaie de me consolerr en calculant que cela autres, un vieux génois coton de 65 à 70 m2 ,
représente vingt kilos d'encombrement et de poids obtenu en échange de je ne sais quoi, trois ans plus
en moins à trimballer: toujours ça de gagné sur les tôt. Pourri de A jusqu'à Z, il avait tenu pendant
performances. treize heures seulement avant de mourir pour de
Celles-ci dépassent d'assez loin mes espérances bon, entre Panama et les Galapagos. Il avait failli
les plus optimistes. L'Alizé de sud-est a été remonté nous enlever une barre de flèche avant de s'ouvrir
au près bon plein en dix jours depuis le Pot-au- en deux. Pourtant, nous l'aimions et ne pouvions
Noir, à 150,6 milles de moyenne journalière, avec pas nous résoudre à balancer une bonne fois par-
deux traites de 130 milles, une de 138 milles, dessus bord ses quarante kilos de pourriture,
deux de 151 milles, deux de 156 milles, deux de d'encombrement et de poids néfaste.
160 milles, et enfin une journée un peu fracassante Ainsi, douze heures seulement après le début de
de 174 milles. notre premier coup de vent des hautes latitudes,
Joshua s'était vu bien près de sancir, c'est-à-dire
Joshua n'avait jamais réalisé de si bonnes
vitesses en remontant le vent. Pendant Tahiti-Ali- de chavirer par l'avant, cul par-dessus tête : la mer
cante, sa meilleure journée au près bon plein avait était devenue dangereuse, certes... mais Joshua lui
atteint 160 milles, une fois seulement, au large des aussi était dangereusement chargé pour ce secteur
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que nous avons traversé en vivant un peu trop sur Plymouth, dont une grosse malle bourrée de cartes
nos nerfs, jusqu'au cap Horn, sans oser prendre couvrant une bonne partie du monde, présent d'un
des lames autrement que 3/4 arrière, même avec copain qui les avait « récupérées » à l'occasion du
des vents simplement frais, par crainte de sancir désarmement d'un navire. Il y avait, entre autres, le
en butant de l'étrave dans une houle secondaire. golfe Persique et la mer Rouge, en détail, ainsi que
Alléger le bateau en cours de route? Plus facile à tout le Japon, où je n'ai jamais eu l'intention de met-
dire qu'à faire, dans ces mers où le pont est sou- tre les pieds, pas plus que dans le golfe Persique.
vent recouvert par des lames croisées qui frappent
parfois dangereusement, sans prévenir.
Quand je songe à cette masse de bric-à-brac
«Chat échaudé craint l'eau froide»... cela s'est débarquée avant le voyage, je me demande si la
traduit par un coup de balai de grande envergure plupart de ceux qui vivent à bord de leur bateau ne
pendant les préparatifs à Plymouth : débarquement sont pas comme la « pie-chercheuse », cet oiseau
des moteur, guindeau*, youyou, de quatre ancres, tellement hanté par la crainte de manquer un jour
des cartes non nécessaires, d'une valise de livres et du nécessaire, qu'il ramasse et accumule tout ce
des Instructions nautiques ne faisant pas partie des qui passe dans sa ligne de mire.
zones prévues, de vingt-cinq kilos d'anodes de A l'arrivée de Tahiti-Alicante, j'avais découvert
réserve, quatre cents kilos de chaînes, une grosse un soufflet, parmi les cent bricoles conservées pré-
partie du mouillage nylon 18 mm de réserve, toute cieusement dans le poste avant. J'en avais oublié
la peinture (125 kilos ! ... ), après un dernier bar- l'existence. Il se trouvait quatre ans plus tôt sur un
bouillage des oeuvres mortes. quai, et je me l'étais approprié, en me disant froi-
C'est absolument incroyable ce qu'un voilier, dement que s'il n'était à personne, autant qu'il fût
équipé pour la croisière lointaine dans les Alizés à moi, car un soufflet, ça peut servir un jour. A
avec escales peut contenir de matériel en réserve. quoi? Je n'en savais rien, n'aimant pas les canots
Et je ne parle même pas de la multitude de petites pneumatiques, trop difficiles à manier dans le vent
choses invraisemblables, qui, accumulées les unes et incapables d'arracher une ancre. Mais ce souf-
sur les autres, totalisent un poids considérable flet pourrait certainement servir à autre chose qu'à
tout ce petit monde s'est retrouvé dans les pou- gonfler un canot. Il pourrait, par exemple, envoyer
belles montées sur roulettes de Milbay Dock, ou de l'air dans une cloche à plongeur : Françoise
sur les bateaux voisins... au grand soulagement du pompe pendant que je me promène parmi les
mien. coraux pour lui rapporter un joli poisson. (En fait,
J'avais déjà retiré près de trois cents kilos de bri- ce soufflet n'était pas assez puissant pour pulser
coles et de matériel avant de quitter Toulon pour l'air à plus de 40 cm sous la surface.)
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A Alicante, je redécouvre donc mon soufflet dans
un recoin du poste avant, et en fais cadeau à un Chaque objet débarqué à Plymouth était d'abord
yacht français en partance pour les Antilles et le pesé sur la balance de salle de bains que j'avais
Pacifique. Il m'avait donné un verre de lampe qui chipée à Françoise pour pouvoir surveiller ma
ne s'adapte à aucune de mes lampes. Mais sait-on petite santé au cours de ce voyage. Une tonne bon
jamais ? poids de matériel a ainsi débarrassé Joshua, entre-
Quelques semaines plus tard, mettant un peu posé en partie dans la remise d'un ami, où je le
d'ordre dans la pagaille du poste avant, j'en sors retrouverai à mon retour.
un tourmentin de 3 m 2 en chanvre, lourd comme de Bien entendu, je ne me suis pas démuni inconsi-
la tôle et ralingué presque aussi gros que le poignet. dérément, malgré ces coupes sombres. Si j'ai em-
On me l'avait donné. Il est parfaitement inutilisa- porté le strict minimum de cartes, par exemple,
ble pour quelque bateau que ce soit. Je le sors avec elles couvrent en détail les atterrissages éventuels
précaution pour lui faire prendre un peu l'air. Le des parages de Bonne-Espérance, . Australie, Tas-
copain anglais du bateau voisin, attiré comme par manie, Nouvelle-Zélande Sud et Nord, ainsi que
un aimant, le caresse d'un oeil humide de ten- les eaux du Horn avec une partie des canaux de
dresse. Je le lui donne. Il est tellement heureux que Patagonie, et même quelques atolls du Pacifique.
c'est un régal de le regarder étendre au soleil et En cas de pépin, je ne serai pas coincé le dos au
épousseter ce tourmentin dont il ne pourra jamais mur.
se servir, si ce n'est pour en faire des joints de J'ai donc quitté Plymouth avec seulement ce que
pompe à eau. Puis il range précieusement son tré- je considère comme nécessaire pour ce voyage,
sor dans le poste avant et m'apporte un soufflet en mais aussi avec ce qui pourrait le devenir. Malgré la
me demandant si cela pourrait me servir. C'était le chasse au poids, j'ai conservé l'ancre C.Q.R. de
mien... que lui avait donné le propriétaire d'un 25 kilos, la Colin Trigrip de 16 kilos, 60 mètres de
yacht allemand parti la veille pour les Canaries, en chaîne 10 mm en trois longueurs (dans la quille
échange d'un morceau de tuyau galvanisé ! creuse) et une glène de 100 mètres nylon et 18 mm
J'ai repris mon soufflet en me disant que si le pour le mouillage.
ciel l'avait remis sur mon chemin après de tels Bien que très allégé, Joshua est donc paré à faire
détours, c'est qu'il y avait une raison importante à face à un atterrissage en cas d'avarie, de maladie
cela. Je ne sais toujours pas quelle était cette rai- ou de découragement. Un voyage aussi long, mal-
son importante, car le soufflet est passé sur le quai gré tout le soin apporté à sa préparation, comporte
de Plymouth, avec tout ce qui encombrait Joshua des données encore inconnues en ce qui concerne
et l'aurait aidé à mieux sancir sous les hautes lati- la santé. Mais surtout, il y a une grande inconnue,
tudes. elle, et de toute beauté : la mer.
50 51
La moyenne générale est remontée à 132,5 mil-
les par jour depuis le départ. Elle avait été de
115,4 milles entre Tahiti et le Horn, et de 120 mil-
les du Horn à la latitude de Madère, quelques
années plus tôt, avec des vents meilleurs dans
l'ensemble. 4
Il peut sembler étrange d'aligner des chiffres,
alors que le vent et la mer passent bien au-delà des
chiffres. Mais cette vision des milles tracés sur la Dimanche à Trinidad
carte traduit pour le marin un sillage creusé dans
la mer par la quille de son bateau, avec tout ce
qu'a donné le bateau, tout ce que le marin lui a
donné. Et si nous sommes en course, ce n'est pas Calmes, calmes, petites brises du secteur nord,
forcément contre d'autres marins et d'autres calmes... Le soleil est là pour me remonter le
bateaux. moral après le point de midi : seulement 45 milles
parcourus dans les dernières vingt-quatre heures !
C'est la plus faible traite depuis le départ.
La moyenne générale a baissé de deux crans,
avec 130 milles contre 132,4 hier à la même heure.
Ce sera dur à rattraper, tous les marins le savent.
Ce qui me console tout de même, c'est que les
45 milles tracés sur la carte se dirigent plein sud,
vers la petite île Trinidad, la brise étant passée au
nord-est.
65
Avant le départ, je ne voyais pas l'utilité de prospérer depuis l'équateur et nous freinent sûre-
remorquer continuellement un loch en plein ment un peu par faible brise. Il s'agit de crustacés
océan : cela userait la mécanique pour rien, alors montés sur un pédoncule assez long pour mainte-
que cet instrument est précieux pour le passage nir leurs branchies en dehors de la zone empoi-
des caps et en navigation côtière, où une bonne sonnée par les meilleures peintures sous-marines.
estime devient capitale. Ayant promis à la Maison J'en trouve assez peu, mais ils sont gros, surtout
Vion de traîner ce loch pendant toute la durée du contre les anodes de zinc qui protègent la carène
voyage (banc d'essai pour son matériel), je ne re- de l'électrolyse, et sous les parties de la quille qui
grette pas cette expérience, car le loch aide à mieux n'ont pu être peintes au dernier carénage de juin, à
soigner les réglages de voilure : une variation d'un Toulon.
quart de noeud est difficile à estimer. Le loch
l'indique. Or, un quart de noeud donne 6 milles de
mieux dans les vingt-quatre heures... La moyenne La mer frise et le vent revient, du sud-ouest pour
est remontée à 129,5 milles. la première fois, force 2 d'abord... puis force 4 bien
établi. C'est fantastique, par 26° de latitude. Joshua
a toutes les chances : 110 milles parcourus au point
Le 3 octobre... le loch tourne beaucoup moins du 5 octobre, 147 le lendemain, 143 milles le 7. Les
vite. Le 4 plus du tout : à peine 93 et 23 milles enre- vents d'ouest...
gistrés pour ces deux journées. La moyenne géné- La mer s'est encore un peu refroidie, j'ai deux
rale est brutalement tombée à 126,2 milles, soit pull-overs sur le dos et un pantalon de flanelle. Le
3 milles de moins qu'avant-hier, et cela pour deux génois de 45 m2 a regagné son sac, remplacé par le
jours de poisse. En fait, ce n'est pas vraiment de la petit foc de 15 m 2 , avec le tourmentin paré sur le
poisse. J'avais eu beaucoup de chance avec la balcon du bout-dehors.
brise, depuis Trinidad. Il est normal que les condi- Les vents d'ouest sont crochés pour de vrai, dans
tions redeviennent celles des Horses Latitudes où un carreau marqué 6 % de calmes avec grosse pré-
se trouve Joshua. Calme plat maintenant. Mais la dominance de vents du secteur sud-est ! Et le baro-
mer est parcourue par une longue houle de sud- mètre baisse un peu ! ça va donc tenir. Je passe de
ouest et par une autre plus courte, de sud. De plus, fréquentes périodes sur le pont, à tripoter les
le plafond était couvert de cirrus, hier, avec de winches d'écoute pour tirer le maximum de ce
nombreux altocumulus ce matin. Ces signes disent vent miraculeux.
bien que le vent reviendra bientôt. Régate? Et comment ! Je régate contre les sai-
J'enfile ma combinaison de plongée. C'est le sons : on ne peut pas passer les trois caps à la
moment de m'occuper des anatifes qui ont dû meilleure période, mais il faut essayer de crava-
66 67
cher un peu pour ne pas passer le Horn pendant Deux d'entre eux se mettent à faire le tire-bouchon
l'automne austral. Si tout va normalement, Joshua dans l'air. Je me précipite vers la caméra que j'avais
doublera Bonne-Espérance «un peu trop tôt» en remise dans son placard... trop tard. Ils repartent
saison (pas le choix), Leeuwin et la Nouvelle- déjà. Je m'en veux autant que si j'avais mouillé une
Zélande «juste à point », et le Horn « encore bon ». ancre en oubliant de la maniller sur sa chaîne.
Mais il ne faut pas penser à tout cela pour le Après avoir raté l'extraordinaire image de la
moment, c'est loin encore. Il faut simplement tirer bécune attrapant le poisson volant en plein ciel, je
le meilleur de mon bateau. m'étais pourtant juré de laisser la Beaulieu parée
J'ai établi le tourmentin de 7
m2
en plus de la dans le cockpit, les jours de beau temps, avec un
grande trinquette de 18, et un second tourmentin linge dessus pour la protéger du soleil. Mais ce
de 5 m2 en bonnette sous la bôme de grand-voile. n'est pas assez. Je commence à comprendre que
Et je regarde tourner le loch, je regarde le sillage, c'est moi qu'il faudrait aussi protéger de cette
j'étarque un rien la drisse de trinquette... non, c'est caméra.
trop... je choque un centimètre... oui, c'est ça, c'est Au début, je croyais qu'il suffisait d'appuyer sur le
parfait maintenant, la trinquette ramasse tout le déclencheur après avoir réglé l'objectif. Ce n'est pas
vent du ciel pour faire les bulles d'écume qui nais- du tout ça. Il faut y mettre quelque chose d'autre,
sent du sillage. Et tout l'univers se concentre dans dans cette caméra. Elle essaie maintenant de me
la trinquette. bouffer les tripes. Ce serait facile de la bourrer
dans un des réservoirs étanches, et de l'oublier là.
Mais c'est trop tard et de toute manière je ne
Une troupe de dauphins nous accompagne. Ils regrette rien.
restent près d'une demi-heure. Je viens de finir le Du point de vue technique, je suis sans expé-
beau livre de Robert Merle : Un animal doué de rai- rience et n'ai fait ni film ni photos avant ce voyage.
son et suis plein d'images de dauphins jouant avec Françoise s'en occupait... et elle n'avait pas tort,
les hommes en leur apprenant la sagesse. Je crois car je n'avais jamais essayé de comprendre les
que maintenant, j'oserais essayer de nager parmi histoires de Din, A.S.A., ouverture et vitesse d'obtu-
les dauphins pendant un calme plat... ration. Depuis, j'ai certainement fait de sérieux
Je les filme longuement, de l'étrave, du bout- progrès, grâce à Cinéma et photo sur la mer, de
dehors, du grand mât. Trois bobines. Ils les méri- Quéméré, excellent petit livre clair et précis, où
tent bien. Mais il faut que je commence à faire l'auteur a su se mettre dans la peau du débutant
attention, j'ai déjà consommé quarante-sept bobi- ignare ou même hostile.
nes de film sur les cent du départ !
Mes dauphins reviennent une heure plus tard.
68 69
Souvent, nous avions déploré de n'avoir pas de voir si ça va. Ça va, l'étrave soulage en beauté.
caméra pendant Tahiti-Alicante. Nous avions même L'allégement de Plymouth porte ses fruits.
poussé l'inconscience au point de partir avec seu- Le baromètre est bien remonté aujourd'hui et la
lement trois rouleaux de vingt poses noir et blanc ! brise mollit à force 3. J'en profite pour enverguer
Pourtant, nous n'avions pas osé photographier la la petite grand-voile, de 26 m 2 et le petit artimon
mer, avant le Horn, et surtout au lendemain de de 14 m 2 , qui resteront à poste jusqu'après le Horn.
notre gros coup de vent du Pacifique. Ce n'était C'est un gros travail, ce changement de voiles, sur-
pas à cause du danger ni de la fatigue, mais parce tout pour plier proprement la grand-voile d'Alizé
que nous sentions confusément que cela eût res- et la descendre dans la cabine. Je l'ai posée à plat
semblé à une profanation. sur le plancher, avec le sac du génois et celui de
Je crois que le voyage précédent était « pour voir l'artimon côte à côte par-dessus, bien coincés. Cela
et pour sentir». J'aimerais que celui-ci aille plus m'encombre un peu, mais je préfère concentrer le
loin. poids au maximum, c'est très important sous les
hautes latitudes. Et ça le deviendra de plus en plus.
Je contemple Joshua qui court maintenant aussi
C'est déjà la mer des hautes latitudes, longue, vite qu'avant sous sa nouvelle voilure des hautes
pleine de puissance contenue, un peu nerveuse latitudes, petite, maniable, légère, avec des bandes
parfois. Et le loch tourne, tourne, tourne. Et le de ris très haut et des renforts à faire bégayer un
baromètre continue à baisser, très lentement, sans maître voilier.
crochets. Ne pas descendre trop vite au sud... tu
vas voir... on va tenter une petite impasse, juste
pour se faire la main : passer à raser le dernier car- Il va quand même falloir commencer à ouvrir
reau marqué 6 % de calmes et 47 % de vents de l'ceil sur le printemps de l'Atlantique Sud et ses
sud-est... Ça réussit!... il est derrière nous deux coups fourrés : tout s'était bien passé pendant le
jours plus tard; et peut toujours cavaler pour petit coup de vent d'hier. La mer était grosse, elle
essayer de nous rattraper... vas-y, Joshua, fonce déferlait assez dur, mais sans danger. Joshua la
dans la plume ! prenait au grand largue, presque de l'arrière.
Il y a eu un petit coup de vent, hier. Ça ressem- Puis le vent a un peu molli. Puis il a nettement
blait à une prise de contact avec les hautes lati- diminué, force 5 à peine. La mer ne déferlait plus,
tudes : force 7 en moyenne, 8 par moments, bien qu'encore assez grosse. Ensuite, le vent est
toujours du sud-ouest. La dépression était donc passé au S.-S.-W. toujours force 5. C'était la rota-
loin dans le sud-est. Mer très maniable, très belle tion normale et j'ai réglé le pilote automatique
aussi. Quelques petits coups de surf, comme pour pour continuer vent de travers.
70 71
Joie de contempler mon bateau qui court si vite
avec si peu de toile !
J'étais redescendu dans la cabine depuis une La mer n'est pas vraiment grosse. Elle ne le
minute à peine, quand une énorme déferlante a devient jamais tellement, pendant la période de
frappé à toute volée, couchant le bateau à plus de nord-ouest d'une dépression. C'est après que cela
60°. Joshua était à peine gîté lorsqu'elle a frappé. peut devenir méchant, quand le vent effectue sa
La cabine a donc encaissé le choc de plein fouet et, rotation à l'ouest puis au sud-ouest, en formant des
sur le moment, j'ai cru que tous les hublots au vent lames croisées.
étaient partis en éclats. Pas de dégâts... mais j'ai Le vent augmente, avec rafales. La trinquette de
réglé la girouette pour prendre les lames trois 18 m2 est réduite à 9 m2 depuis l'aube, par un ris.
quarts arrière. Le cockpit était plein. . C'est moins compliqué qu'un changement de trin-
Cette déferlante erratique était probablement quette, bien que pas toujours facile, car c'est un
due au courant traversier d'environ 1 noeud porté gros paquet, les 9 m2 de tergal en rabiot à serrer
sur la Pilot Chart pour cette zone. De plus, nous dans le vent et nouer par les garcettes. Mieux vaut
n'étions pas loin de la ligne de convergence sub- des ongles coupés ras pour ce genre de manoeuvre.
tropicale des courants chaud et froid. Ce sont là Encore trop de toile : 7,8 noeuds au loch, et pro-
des petits détails dont il ne faut pas oublier de tenir bablement un peu plus de 8 noeuds dans les poin-
compte. Ce premier coup de semonce s'est pour- tes. C'est illusoire, car les zigzags provoqués par la
tant produit par 311> de latitude sud, à peine... vitesse limite dans cette mer assez grosse augmen-
Attention au printemps austral. Ne pas oublier le tent la distance parcourue sans bénéfice réel.
harnais de sécurité lorsque je monterai sur le pont J'amène ce qui reste de grand-voile et trinquette.
pour quelque raison que ce soit. Impeccable : la vitesse se stabilise, régulière, à
Bonne-Espérance, est à 1 500 milles, et le vent 7 nceuds tout rond sous l'artimon au bas ris et le
tient bon. Une dizaine de jours à cette cadence... petit tourmentin. Le gréement semble me dire
merci, très soulagé. Et si ce coup de vent montre
vraiment les dents d'ici le coucher du soleil, il suf-
Coup de vent, le 12 octobre. Il n'est pas méchant fira d'amener les .7 m 2 d'artimon au bas ris pour
pour le moment, mais souffle du nord-ouest avec que Joshua continue à bien se porter (Inch Allah!).
baromètre en baisse et ciel bouché. La dépression Nous sommes par 35° 30' sud.
se trouve donc dans le sud-ouest et elle se rap Il est à peine 9 heures du matin quand le ciel se
proche. Deux ris* dans la grand-voile et deux ris dégage. Le vent passe à l'ouest, force 4 seulement,
dans l'artimon à une heure du matin. Le foc de tandis que le baromètre remonte de deux crans. A
15 m 2 a été remplacé par le tourmentin de 3,5 m2. midi, le vent tombe à force 2-3 et les voiles battent
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dans la grosse houle. Fausse alerte ! A larguer les dernière semaine a donné 1 112 milles parcourus,
ris. malgré deux petites traites de 128 et 122 milles.
Hier, au point de midi, Joshua avait parcouru Quand le vent vient du sud-ouest, la température
182 milles dans les vingt-quatre heures. Aujour- descend à 12°. Quand il vient du nord-ouest, elle
d'hui, 173 seulement malgré ce coup de vent mo- monte à 15 . ou 16. C'est curieux, moi qui n'aime
déré. Le cap de Bonne-Espérance est à moins de pas le froid, je me sens tout guilleret quand la tem-
1 000 milles. Inutile de descendre encore au sud pérature baisse, car je suis bien couvert et les vents
pour le moment. Je prendrai la décision finale dans de sud-ouest soufflent dans un ciel de beau temps,
quelques jours : passer près de terre pour essayer même quand ils sont forts.
de remettre un message à un pêcheur sur le banc
des Aiguilles, ou bien la route du large, par le sud
du 40e parallèle, afin d'éviter la dangereuse zone La mer est souvent grosse, les démarrages au
de rencontre des courants chaud et froid qui peu- surf fréquents. L'avant soulage beaucoup mieux
vent créer une mer monstrueuse (le mot n'est pas qu'autrefois. La tonne de poids inutile retirée à
trop fort) dans les parages du banc des Aiguilles, Plymouth a augmenté la sécurité et les perfor-
par coup de vent. Pour le moment, Bonne-Espé- mances. De plus, Joshua porte seulement 400 litres
rance est très loin et très près à la fois. Très loin d'eau douce au lieu des 900 litres de Tahiti-Ali-
cante. Cela fait encore une demi-tonne de mieux
parce que à un millier de milles. Très près parce
qui s'ajoute à tous les autres « mieux ». Mais un
que nous y serons dans une semaine si tout se
marin n'est jamais pleinement satisfait de la sécu-
passe normalement. rité et des performances du bateau, c'est normal.
Pour les hautes latitudes, c'est vital. Les Espa-
gnols ont un proverbe : Muchos pocos hacen un
La brise souffle frais depuis des jours, entre sud- mucho (beaucoup de petites choses font une
ouest et nord-ouest. Il y a souvent des grains dans grande chose). Et hier, alors que le vent avait molli
le ciel et des ris dans les voiles, largués dès que à force 4, j'en ai profité pour envoyer par-dessus
possible. bord un tas de petites choses sacrées dont la liste
Les menus se sont améliorés depuis deux semai- m'aurait fait bondir deux mois plus tôt : une caisse
nes et je me sens en pleine forme, toujours d'ac- de biscuits de l'armée (15 kilos), une caisse de lait
cord pour prendre un ris, toujours d'accord pour condensé (18 à 20 kilos), vingt-cinq litres de vin,
en larguer un, selon le ciel, selon le temps. La nuit, vingt kilos de riz, cinq kilos de sucre, dix à quinze
le jour, c'est pareil, je ne dors que d'un ceil mais je kilos d'une confiture que je n'aime pas, une boîte
dors bien parce que je fais bien mon boulot. La de piles pour le magnétophone.
74 75
Il me reste assez de provisions pour tenir encore gagnée peut modifier du tout au tout le problème
huit mois. Depuis bientôt deux mois, j'ai pu véri- santé.
fier soigneusement ma consommation. B) Moins de voiles en l'air par vent frais, donc
Quant au pétrole, c'est la même chose : j'en ai moins de fatigue et de difficultés quand il faut ma-
emporté plus que le nécessaire... et hop ! quatre nceuvrer ou réduire encore la toile. Moins de fati-
jerricans passent à la baille en même temps que gue aussi dans le gréement, pour le même sillage.
10 litres d'alcool à brûler. Toujours ça de moins à C) Meilleure défense dans le gros mauvais temps
transporter. J'ai aussi jeté une glène de nylon du sud (et même dans le mauvais temps normal)
18 mm pesant 25 à 30 kilos (s'il faut mouiller, j'ai grâce à ces 170 kilos de moins qui ont permis une
du 14 mm). concentration maximale des poids.
Ça m'a quand même fait un peu mal aux tripes, Ce dernier point est capital, malgré les Hindous
le coup du nylon... Je revoyais les privations et les qui crèvent de faim et les copains qui n'ont pas
nuits de travail dans le hangar désert du Royal tous de quoi offrir à leur bateau une belle glène de
Cape Yacht Club, avec Henry Wakelam, pour fabri- nylon neuf. Car au-delà des Hindous et des copains
quer les écoutes de Wanda et Marie-Thérèse II à fauchés, je vois une image dure : le gros coup de
l'aide de gros cordages nylon jetés par les balei- vent encaissé avec Françoise quelques années plus
niers, pendant notre escale de clochards à Cape tôt, et au cours duquel Joshua avait failli sancir.
Town. A cette époque, nous nous serions traînés Devant cela, la glène de 18, le pétrole et même la
sur le ventre pendant un kilomètre, pour cette nourriture gâchés n'ont aucune importance. Le
glène de 18, presque aussi précieuse que nos destin bat les cartes, mais c'est nous qui jouons.
bateaux ! Mais le jeu n'est plus le même qu'à A bientôt le jeu des hautes latitudes. Je le com-
l'époque des poubelles et du bateau miracle. mencerai sans cartes encombrantes... sauf la
Beaulieu peut-être.
Grâce à cet allégement supplémentaire (environ
170 kilos, entre les vivres, le pétrole et le nylon), Au point de midi, Bonne-Espérance est à 310 mil-
j'ai pu débarrasser totalement l'avant et l'arrière les dans l'Est-Nord-Est. Je ne sais pas encore par
pour concentrer le poids au maximum vers le mi- où je vais passer. Le baromètre est haut. Je crois
lieu. Aussi minime que ce soit, cela m'a permis de que je sais. Mais ce n'est pas sûr. Tout peut chan-
gagner encore un petit quelque chose sur les trois ger trop vite dans ces coins-là.
tableaux
A) Plus rapide par petit temps. Ça n'a l'air de rien,
mais je préfère que Joshua prenne le moins de
temps possible pour ce voyage, où une semaine de
76
6
Joué, perdu...
Joué... gagné !
80 81
pour moi nimbé de magie, comme la réponse des
étoiles à qui, tout à l'heure, j'avais demandé « Où Bientôt 4 heures du matin. J'ai dormi comme un
suis-je ? » Et les étoiles avaient répondu : « T'en fais plomb, toute ma fatigue s'est envolée. Je m'étire, je
pas, tu verras le cap des Aiguilles avant minuit. » Ça bâille, j'allume le réchaud. Une petite moque de
me fait chaud dans la poitrine, ce petit éclat du café suivie d'une grande moque d'Ovomaltine avec
phare qui apparaît entre le noir des lames, là où je trois biscuits de l'armée tartinés de beurre et de
le cherchais aux jumelles deux heures après un marmelade d'orange. Je me sens en pleine forme.
point d'étoiles. Chaud dans la poitrine et un peu J'ai remis en route, à l'empannage, sans avoir
froid dans le dos... car ce cap est un grand cap. besoin de toucher aux écoutes bordées pour le
Peu après le coucher du soleil, le vent avait viré près. Le phare est maintenant à un doigt sur la
au sud, en mollissant. Puis il était passé au sud- droite du foc, le vent étant passé à l'est-sud-est
sud-est. pendant mon sommeil. Il a molli à force 4 ou 5.
Joshua court maintenant au près, le phare bien Je ne largue pas les ris, tous les signes sont là,
visible à une main sur la gauche du foc. qui annoncent l'arrivée probable d'un coup de vent
A 2 heures du matin, toutes les voiles sont au bas de sud-est. Inutile de vouloir le remonter au lou-
ris dans du sud-est force 7. Il fallait s'y attendre, voyage pendant des jours et des nuits sur le banc
avec un baromètre aussi haut. Pourtant je suis des Aiguilles, avec en plus le courant contraire et
heureux sans pouvoir dire pourquoi. les navires à veiller. La navigation est un compro-
mis entre la distance parcourue et la fatigue
dépensée, tant pour l'équipage que pour le bateau.
Le phare n'est plus qu'à 8 ou 10 milles quand je Or, la fatigue peut faire très vite boule de neige.
décide de mettre à la cape sur l'autre amure* pour La solution de tirer vers le sud ne serait pas
attendre le jour avant de prendre une décision. meilleure : Joshua tomberait tôt ou tard dans une
Je suis très fatigué d'un seul coup. Il me faut dor- zone de convergence des courants, à l'accore du
mir, ne serait-ce qu'une heure ou deux. Curieux, à banc des Aiguilles. Ça ferait du vilain en cas de coup
quel point la fatigue peut écraser un bonhomme, de vent, quelle que soit sa direction.
sans préavis : on tient, on tient, on tient... brusque- Reste la seule solution correcte : prendre la cape
ment on s'effondre. Mais c'est seulement quand au large en attendant que le vent revienne à l'ouest,
tout est clair qu'on s'effondre. une affaire de deux ou trois jours. Mais avant de
J'allume la loupiote et descends me coucher. mettre à la cape, je pourrai facilement longer la
Tout est clair, pas de navires là où capaye Joshua. côte vent arrière entre le cap des Aiguilles et le cap
Ils passent assez près de terre ou beaucoup plus de Bonne-Espérance pour faire un tour à l'inté-
loin au large, pour des questions de courants. rieur de la baie Walker où la carte indique un petit
82 83
port, donc quelques yachts. Nous sommes diman- de vent. Et je suis peut-être signalé au Lloyd's par
che, j'en trouverai sûrement un dehors dans la l'un des navires croisés depuis une heure. L'ennui,
baie et lui enverrai alors mes sacs de pellicules. c'est qu'ils signaleront que je vais cap vers
Ce sera tout simple. Ce sera même un coup dou- l'Europe...
ble... car il me donnera sûrement des nouvelles de
Loïck, Bill King et Nigel, grâce à des bribes
d'informations récoltées çà et là dans les journaux. La baie Walker est à une quinzaine de milles
Je n'ai pas entendu une seule fois prononcer leurs maintenant et je me sens tout vide, j'ai la convic-
noms au cours des émissions de la B.B.C. desti- tion absolue qu'il n'y aura pas de yacht dehors
nées à l'étranger. Des nouvelles de mes copains ! avec un vent pareil. Pas de pêcheur non plus
Où sont-ils?... puisque nous sommes dimanche. Et tous ces car-
gos que je croise ou qui me doublent peuvent lire
mes pavillons M.I.K... cap au Nord.
Le vent augmente avec le jour, force 6 vers Il y en a un petit, tout noir, tout minable, avec un
7 heures du matin, presque forcé 7 une heure
gros panache de fumée qui part de sa cheminée et
après. Le ciel est magnifique, sans un nuage, la
court devant. Il doit marcher huit nceuds au maxi-
côte est à 5 ou 6 milles, la mer un peu grosse mais
mum, car Joshua en file sept et ça fait longtemps
Joshua court vent arrière.. Trois droites de hauteur qu'il cherche à nous rattraper. Il ne passera pas
tracées à quelques minutes d'intervalle confirment
loin...
ma position : l'entrée de la baie Walker est à
Je descends vite écrire un message en double
20 milles environ.
Force 7 bon poids maintenant. Le coup de vent exemplaire, qui demande au capitaine de ralentir
est pour bientôt. Les embruns volent haut sur les en tenant un cap bien droit pour que je puisse le
navires qui font route vers le cap des Aiguilles. rattraper et lui lancer un colis. Le message précise
Pour les autres, ceux qui vont au nord, c'est du également que je continue vers l'Australie, malgré
gâteau. Pour Joshua aussi... mais je me demande les apparences. Je roule serrées mes deux feuilles
si je trouverai un yacht dehors par ce temps-là, manuscrites et les introduis dans les petits tubes
dans la baie Walker. J'ai remplacé mes vieux pavil- d'aluminium servant d'emballage pour les pelli-
lons M.I.K. par un jeu neuf. cules photo. Chaque tube est lesté d'un morceau de
plomb. Si le premier message tombe à l'eau, il me
J'ai de plus en plus l'impression que je vais faire restera son duplicata carbone. Quant au pont très
chou blanc, dans la baie Walker, où aucun yacht bas de ce cargo, il se prêtera à merveille au trans-
ne mettra le nez dehors. C'est déjà presque le coup fert ultérieur des sacs en plastique que j'ai roulés
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serrés et ficelés (séparément, bien sûr) pour pou- pont central est à 10 ou 12 mètres. Je lance le colis.
voir les lancer assez loin malgré le vent. Impeccable !
Puis je regagne le cockpit avec mes deux projec- Il est temps de me sauver... mais je vais com-
tiles et mon lance-pierres. mettre une lourde faute en lançant le second colis
au lieu de foncer à la barre pour m'écarter. J'avais
gagné sur toute la ligne avec le premier coup. Je
Le cargo noir est à 25 mètres sur ma droite. De perdrai sur toute la ligne avec le deuxième. Quand
la passerelle, trois hommes me regardent. Flac... je me précipite à la barre, il est déjà trop tard.
Mon message tombe sur la plage avant. L'un des L'arrière du cargo continue de chasser vers moi. De
officiers vrille l'index contre sa tempe, comme pour plus, je suis presque déventé par le navire qui m'a
me demander si je ne suis pas un peu cinglé de doublé sur tribord alors que je suis tribord amures.
leur tirer dessus. Joshua s'éloigne... pas assez vite. Il s'en est fallu
La passerelle arrive à ma hauteur. Je hurle d'un cheveu, mais la voûte arrière accroche le
« Message, message. » On me regarde avec des yeux grand mât. Ça fait des bruits affreux, des paquets
ronds. A cette distance et avec des billes de plomb, de peinture noire descendent en pluie sur le pont ;
je pourrais faire sauter leurs trois casquettes en le hauban de tête de mât est arraché, puis celui de
trois coups. Ils n'auraient pas les yeux plus ronds! la seconde barre de flèche. Mes tripes se tordent.
Quand j'étais gosse, l'entraînement au lance-pier- La poussée sur le mât fait gîter Joshua qui part au
res consistait à faire mouche sur une boîte de lof vers le cargo... et vlan ! ... le bout-dehors est plié
conserve qu'un de mes frères lançait en l'air. Et le à 20 ou 25°. Je reste hébété.
lance-pierres, c'est comme le ping-pong, on ne C'est fini, le monstre noir est passé. J'empanne
perd pas la main, même après des années. Mais je vite pour sauver le mât et prends la cape bâbord
n'ose pas leur envoyer sur la passerelle le dupli-
cata de mon message, car ce tube d'aluminium est
beaucoup moins précis qu'une bille de plomb : je
risquerais de casser un carreau ou d'atteindre l'un
d'eux.
La passerelle est presque sur mon avant. Il faut
essayer de rattraper ça par les cheveux, faire vite.
Je brandis le colis, en faisant le geste de le leur
donner. Un officier fait signe de la main qu'il a
compris, et envoie aussitôt un coup de barre pour
rapprocher l'arrière. En quelques secondes, le
86 87
amures. La dérive m'éloignera de la côte, c'est l'es- J'étais dans l'eau, une eau rendue très légère
sentiel dans l'immédiat, pour que je puisse réparer par l'infinité de bulles d'écume de l'énorme défer-
les haubans sans précipitation. lante qui avait retourné le bateau. J'avais eu le
Le cargo, sans doute inquiet, a modifié son cap. temps de voir, dans un éclair, le panneau de cabine
Je lui fais signe que tout va bien, car il m'achève-, arraché à ses glissières. Avec une telle ouverture et
rait en venant m'aider! la quille au-dessus de l'eau, Marie-Thérèse II ne
pouvait faire autrement que d'aller par le fond. Et
je n'avais ressenti aucun découragement, aucune
Souvent un rien m'irrite et peut me mettre à amertume. J'avais simplement murmuré : « Cette
plat. Mais dans un vrai coup dur c'est comme si je fois, mon petit vieux, les carottes sont cuites. » Et
devenais un observateur froid et lucide, venu d'un j'ai revu cette page de Terre des hommes sur le des-
autre monde. Je n'ai même pas lu le nom de ce tin, sur ce besoin absolu de suivre son destin, quelle
cargo, m'attachant strictement à l'essentiel: sau- qu'en soit l'issue. Moi aussi, j'allais finir comme la
ver le mât. gazelle de Saint-Exupéry, dont le destin était de
Rien, en dehors de cela, n'a d'importance. Je bondir dans le soleil et de finir un jour sous la
n'éprouve ni colère, ni lassitude. Je n'ai pas mur- griffe du lion. Mais je ne regrettais rien, dans cette
muré : « Le beau voyage est fini, tu ne pourras pas eau tiède et si légère d'où je m'apprêtais à partir
paisiblement pour mon dernier voyage.
réparer à Capetown ou à Sainte-Hélène. » Sauver le
continuer sans escale avec une telle avarie, il faudra
Marie-Thérèse II s'était redressée avant d'avaler
mât, sans penser à autre chose. Ensuite, je verrai la dose mortelle par la grande ouverture du pan-
ce qu'il me reste à faire. Mais surtout, surtout, ne neau. J'avais facilement regagné mon bord, en
pas penser au bout-dehors tordu, irréparable par ramenant le capot. Puis j'avais pompé cinq heures
les moyens du bord. de rang.
Bonne-Espérance
96 97
rien d'inquiétant, loin de là... mais je demande à Je contemple la longue courbe tracée sur le
Joshua de faire de son mieux en attendant que j'aie globe. C'est la route suivie par Joshua depuis l'An-
remonté le courant. gleterre, avec ses dauphins et ses albatros, avec ses
joies et quelquefois ses peines.
Pendant Tahiti-Alicante, de la même manière
Dehors, ce sont les hautes latitudes et la mer Françoise et moi tracions la route parcourue sur le
gronde un peu sous le vent d'ouest force 6. tout petit globe d'écolier que nous avaient envoyé
Dedans, le calme et la paix de mon petit monde. Je nos enfants. Et nous attendions toujours que Joshua
fume en rêvant devant le globe terrestre offert par ait franchi 10° de longitude ou de latitude avant
mes amis du Damien. Ils sont partis vers le nord, d'allonger le trait. Le faire trop tôt eût porté mal-
moi vers le sud. Et c'est la même chose puisque heur et attiré un coup de vent contraire ou un
nous sommes au large, dans notre bateau. calme éternel.
1. Note de l'éditeur: Partis le 25 mai 1969 de La Rochelle
pour un tour du monde de cinq ans à bord du Damien, cotre
franc de 10,10 m à faible déplacement bois moulé, Gérard Je renvoie la grande trinquette au coucher du
Janichon et Jérôme Poncet (ainsi que Bernard Guyot jusqu'aux soleil, mais conserve le tourmentin. Je largue un
Antilles) ont effectué quelque 20 000 milles par des routes peu
fréquentées : Spitzberg, Groenland, Terre-Neuve puis Antilles, ris à la grand-voile et un ris à l'artimon un peu
côte Est du continent sud-américain avec remontée de l'Ama- avant minuit. L'étrave s'illumine de phosphores-
zone sur plus de 1 000 km. Enfin le cap Horn, qu'ils doublent cences et le sillage s'étire très loin sur l'arrière,
le 4 mars 1971 d'est en ouest.
Alors qu'ils font voile vers le cap de Bonne-Espérance, à plein d'étincelles.
20 milles de la Géorgie du Sud, par un vent de 60 à 70 nceuds, Je songe aux anciens de la grande marine à voile.
le Damien est retourné par trois fois en une journée. Au cours Pendant des siècles, ils ont sillonné les océans pour
d'un de ces chavirages, le bateau restera cinq minutes quille en
la découverte ou le commerce. Mais toujours pour
l'air.
Le mât est perdu et il faudra 10 jours à l'équipage, sous la mer. Je songe à ce qu'ils nous ont légué dans les
gréement de fortune, pour regagner la Géorgie du Sud. Là, documents nautiques où les mots voudraient dire
aidés par l'équipe du « British Antarctic Survey », ils retaillent la mer et le ciel, où les flèches voudraient raconter
les voiles et gréent le Damien à l'aide du tronçon du mât de'
7 m, c'est sous ce gréement qu'ils atteindront Capetown, après
les courants et les vents, avec les angoisses et
quelque 20 000 milles de navigation des plus variés... , les joies de ces marins, comme si c'était possible,
Remis en état, le Damien se propose de repartir vers les Ker- comme si l'expérience des grandes lois de la mer
guelen en octobre 1971, d'où il poursuivra son tour du monde.
Le récit de ces deux premières années de navigation fera pouvait être transmise, comme si la. mer pouvait
l'objet d'un premier livre en octobre 1972: Le Périple du être communiquée avec des mots et des flèches.
Damien (Ed. Arthaud). Pourtant... je me revois à l'île Maurice, il y a
98 99
quinze ans, étudiant les Instructions nautiques et tant. La mer est très belle, je veux dire très grosse.
les Pilot Charts en vue du parcours de Port-Louis à Par contre, les déferlantes sont peu nombreuses et
Durban. Je soulignais en rouge les signes néfastes pas trop dures dans l'ensemble.
de l'approche d'un coup de vent de sud-ouest souf- ' J'ai encore passé la plus grande partie de la nuit
flant contre le courant des Aiguilles, en bleu les dans le cockpit à cause de la ligne pointillée en
indications propices au retour ou à la tenue du beau rouge sur la Pilot Chart (limite des glaces). Cette
temps. Fermant les yeux, je cherchais à voir et à seconde nuit de veille ne m'a pas fatigué. Il est
sentir ce qui transpirait de ces flèches rectilignes, quand même temps que je quitte cette zone, sans
de ces phrases sans saveur, de toute cette austère quoi mes provisions de tabac et de café ne suffiront
technicité scientifique pleine de choses cachées qui pas pour terminer le voyage ! Joshua marche à
voulaient se faire jour en moi. 7 nceuds. A ce train, nous aurons bientôt passé la
Une fois parti vers Durban, il m'avait semblé, à frontière.
plusieurs reprises, avoir déjà parcouru la même
étape. La mer s'était dégagée de la gangue des mots
et je revivais alors une route déjà faite, lisant à Je me demande si mon absence de fatigue appa-
l'avance les messages de guerre ou de paix de rente ne serait pas plutôt une sorte d'anesthésie
l'océan Indien. hypnotique au contact de cette mer d'où se déga-
gent tant de forces pures, bruissante des fantômes
de tous les beaux navires morts dans les parages et
164 milles marqués au point du lendemain. qui nous font escorte. Je suis plein de vie comme
Joshua se trouve à 70 milles à l'intérieur de la cette mer que je contemple, intensément. Je sens
limite extrême des icebergs, mais il a atteint le qu'elle me regarde, elle aussi, et que nous sommes
40e parallèle et peut faire maintenant de l'E.-N.-E. pourtant amis.
pour quitter demain la zone des glaces tout en res-
tant au large de la convergence des courants.
Le ciel est couvert de cumulus nombreux et apla- J'ai commis aujourd'hui mes deux premières
tis, vrais nuages de beau temps pour ces latitudes, fautes lourdes depuis le début du voyage. J'avais
avec parfois de grands espaces de ciel bleu, pres- relevé la méridienne. Au lieu de rentrer tout de
que sans cirrus. Le vent, force 6 depuis l'aube, a suite le sextant, comme toujours sous ces latitudes,
viré à l'W.-N.-W. Cette rotation m'inquiète un peu, je l'ai simplement remis dans son coffret, et calé
d'autant que je n'ai pas pu capter le bulletin météo. celui-ci dans un coin du cockpit : il y avait un petit
Mais le baromètre est stable, c'est le plus impor- réglage de voiles très important à faire avant de
100 101
redescendre, oh, juste quelques secondes. En réa-, brûler, mais pour sûr elle est sèche ! J'éteins le
lité ça pouvait très bien attendre. réchaud, retire mes bottes, mon harnais, mon ciré,
,ni essuie les mains, la.figure et le cou, enfile mes
J'étais occupé à reprendre du mou dans la rete-
nue nue d'artimon quand une déferlante assez grosse Maussons fourrés et me roule une cigarette. Un
coiffe le gouvernail. Je l'avais mesurée du coin de petit café? Un petit café ! Bon Dieu, qu'on est bien
l'oeil et suis déjà dans les haubans, genoux relevés dans quand ça gronde dehors !
- Je suis content de moi pour cette réduction de
jusqu'au menton pour ne pas me faire doucher au
voilure : réflexes bons, poigne solide. La trinquette
moment où elle recouvre la cabine arrière et rem-
plit le cockpit à ras bord. Le sextant barbote. a dit oui sans faire d'histoires quand je lui ai fait
avaler 7 m2 d'un coup dans son ris, pas une gar-
Heureusement, je n'avais pas capelé mon har-
cette ne m'a glissé des mains.
nais et suis pieds nus, ultramobile. Je bondis avant,
Je fume en rêvant devant la carte. Joshua se
que le coup de roulis qui va suivre n'envoie le sex- comporte magnifiquement sous si peu de toile, pres-
tant par-dessus bord avec la moitié ou les trois
que pas d'embardées malgré la vitesse limite. De-
quarts de l'eau contenue dans le cockpit. Je suis main, on sera loin. 180 milles? 190? La Pilot Chart
déjà dans la cabine, tout fier et tout honteux à la donne un noeud de courant favorable pour le sec-
fois de mon double coup d'éclat. teur. Cela veut dire qu'on crèvera peut-être bien le
Je retire le sextant de sa boîte, l'essuie au chiffon;
plafond des 200 milles si le vent tient. Je ne suis
et le cale avec des oreillers au fond de la couchette. , pas fatigué. Je n'ai jamais été fatigué.
bâbord, tu reviens de loin, mon petit vieux. Il faut Alors, Joshua, on est en train de s'envoyer
rincer l'intérieur de la boîte pour éliminer d'abord. Bonne-Espérance à l'arraché, hein?
le sel qui réabsorberait l'humidité ambiante et
détériorerait les miroirs en peu de temps.
Puis j'allume le réchaud pour sécher la boîte à feu Ma cigarette n'était pas terminée quand une
doux sur une plaque d'amiante et monte prendre un , énorme déferlante frappe de plein fouet par le tra-
second ris à la grand-voile, un second ris à l'artimon, ` vers bâbord et nous couche à l'horizontale. Tous
un ris à la trinquette. Le vent, toujours à 1'W.-N.-W. les hublots ont volé en éclats... Non, ils sont intacts
souffle à peu près force 7, soutenu maintenant. C'est {ceux de ma cabine, tout au moins), et je n'en
encore un ciel de beau temps pour ces latitudes. ` reviens pas. En même temps que le bruit assourdi
dé cascade, on aurait cru entendre le son d'une
plaque de tôle sous la masse d'un forgeron.
Lorsque je redescends, les yeux me piquent. La , J'ouvre le panneau et sors la tête. Les voiles
boîte du sextant n'est pas vraiment en train de battent car le bateau a lofé. A peine croyable, les
102 103
bômes n'ont pas cassé malgré les retenues'. J'avais
donné du mou à celle de la grand-voile en cas de,
coup de gîte brutal au grand largue. Une chance. La , Tout est maintenant en ordre sur le pont. Je peux
retenue d'artimon, en nylon 10 mm, a cassé. C'était descendre me mettre au chaud et faire un peu
un cordage vieux de trois ans, j'aurais peut-être dû,. d'ordre dans la cabine.
le remplacer depuis longtemps.., mais je l'aimais _ Je ramasse le globe dans l'évier, à tribord, et le
bien, je m'y étais habitué, il avait fait Tahiti-Ali- recoince à sa place, côté bâbord. L'île de Java est
cante. Sa rupture a probablement sauvé la bôme, un peu écorchée.
d'artimon, mais. celle-ci, en se rabattant vers le cen- Le sextant... Je l'avais oublié sur la couchette
tre sous la poussée de l'eau, a brisé net le manche à bâbord, enfoui dans ses oreillers. Maintenant il me
balai de la girouette. Pas grave : il suffit de dix à regarde, sur la couchette tribord. Pauvre vieux, s'il
trente secondes pour changer de girouette, grâce à n'a pas eu son compte ce coup-là, c'est qu'il y a
un montage très simple. J'en ai encore sept en vraiment un bon Dieu pour les sextants, et aussi
réserve, et de quoi en fabriquer d'autres s'il le fallait, pour les abrutis. Premier coup je l'oublie dans le
Je sors brancher la roue et rentre vite, déjà, cockpit, deuxième coup sur la couchette au vent...
trempé par une gifle d'embruns. Les hublots de la, Il a fait une chute libre de 2,50 m à travers la
cabine arrière sont intacts, ça m'a fait chaud an cabine quand Joshua s'est couché. L'une des trois
coeur de les voir tous là. Je remets du vent dans les pattes s'est cassée au ras du filetage. Elle fait pour-
voiles avec la roue intérieure et, remonte sur le tant 5 ou 6 mm de diamètre. Il y a trois trous sur la
pont remplacer la girouette par une autre beau- face en contre-plaqué de l'un des tiroirs. Le trou de
coup plus petite, réglée vent arrière puisque gauche est profond d'au moins 5 mm, celui de
Joshua courait grand large quand la déferlante a droite un peu moins, celui du haut à peine marqué.
frappé. Reste la retenue d'artimon à remplacer par Ce sont les trous faits par les pattes quand le sex-
du neuf. Vite fait. Cette fois, je lui donne un paquet tant s'est planté dans le tiroir.
de mou, comme pour la grand-voile. Joshua dispose d'un second sextant, le grand Pou-
lin à tambour, très précis et d'une lecture rapide
1. Retenue : cordage frappé en bout de bôme et dont on
amarre l'autre extrémité vers l'avant du bateau. Cela empêche particulièrement utile pour les points d'étoiles, avec
la voile de passer sur l'autre bord en cas d'embardée au vent éclairage incorporé dans la poignée. L'autre (celui
arrière, ce qui pourrait provoquer des avaries. Les retenues qui a maintenant une patte en moins) est un vieux
sont également utiles par petit temps pour limiter le frottement
des voiles contre les haubans (usure), et empêcher aussi la
modèle à vernier, que j'aime beaucoup pour les ob-
bôme d'artimon de heurter la girouette du pilote automatique, servations de soleil sous les hautes latitudes, parce
à la faveur d'un coup de roulis, lorsque le vent est insuffisant qu'il est petit, léger, maniable. Je tâcherai de lui
pour maintenir toujours la voile pleine. recoller sa patte à l'Araldite, quand je l'aurai retrou-
104 105
vée. Il faudra aussi régler les miroirs, qui doivent lement entre le 41e et le 42e parallèle (au lieu du
être tous deux sérieusement faussés par un tel
4Oe), pour être sûr de ne pas frôler d'un peu trop
choc.
près la zone de convergence des courants chaud et
froid. Il est vrai que cela me ferait pénétrer beau-
,coup plus profondément au-delà du pointillé rouge
A peine une heure plus tard, Joshua retourne au
tapis pour la seconde fois. Là, j'ai presque tout vu. de la Pilot Chart, avec une veille en proportion. J'ai
Accroupi sur la chaise du poste de pilotage inté- assez veillé les glaces la nuit dernière, et n'aurai
rieur, j'observais la mer à travers les petits hublots presque plus à le faire cette nuit; nous serons
rectangulaires de la coupole métallique. Le vent , pratiquement dégagés du pointillé rouge. Alors, si
avait diminué d'une manière sensible depuis le c'était à refaire, je ferais peut-être tout simplement
premier knock-down, force 6 tout au plus. Mais la ~Zomme maintenant, à condition que le baromètre
mer était devenue étrange, avec des zones paisibles se tienne tranquille. C'est le cas. Il a même ten-
où, bien que très grosse, elle restait assez régulière,
dance à monter depuis ce matin.
sans déferlantes dangereuses. Dans ces zones, j' au-
rais pu faire vingt fois le tour du pont avec un ban- J'étais redescendu sucer la boîte de lait condensé
deau sur les yeux. Puis, sans transition, elle deve- et me rouler une cigarette. Puis j'avais regagné
nait nerveuse, cahotante, avec des chevauchements mon perchoir et observais de nouveau la mer à tra-
de hautes lames croisées qui provoquaient alors vers la coupole fermée. Nous traversions une nou-
des déferlements traversiers parfois très puissants. velle zone nerveuse.
C'est probablement une lame croisée de ce genre Une lame exceptionnelle s'est élevée sur l'ar-
qui a frappé tout à l'heure. Puis Joshua courait de rière, semblable à une petite dune. Elle n'était pas
nouveau dans une zone paisible pendant dix très escarpée, mais peut-être deux fois plus haute
minutes ou plus. Puis dans une autre zone tumul- que les autres, si ce n'est davantage. Elle ne défer-
tueuse. lait pas encore et j'avais l'impression qu'elle ne dé-
De temps en temps, je me tenais debout sur la
ferlerait pas, qu'elle n'aurait pas besoin de déferler.
chaise pour respirer de grandes goulées d'air et
mieux sentir ce qui nous entourait. Je sortais aussi J'ai sauté sur le plancher et me suis cramponné
du cockpit pendant les périodes de mer paisible, des deux bras à la table à cartes, en y plaquant tout
mais sans lâcher la poignée du capot, paré à ren- mon buste, jambes arc-boutées. J'ai nettement
trer à la volée. senti la brusque accélération lorsque Joshua s'est
Si je devais passer une seconde fois Bonne-Espé fait lancer en avant. Puis le bateau a un peu gîté, il
rance dans le même sens, je me tiendrais proba- y a eu comme un coup de frein et Joshua s'est cou-
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ché brutalement. L'eau giclait avec force par le petite girouette miraculeuse a tenu et Joshua sem-
joint du capot mais je ne suis pas sûr que la lame ble n'avoir pas lofé car il court de nouveau vent
responsable ait déferlé. arrière, comme si tout était déjà oublié. Je suis
Joshua s'est redressé en quatre ou cinq secon- quand même stupéfait d'apercevoir le réflecteur
des. C'était plus long que pendant la première radar à sa place, en tête de mât, sur son pivot. Lui
déferlante. On aurait dit qu'une force énorme le aussi, il a déjà oublié.
maintenait plaqué sur la mer. Maintenant, je regrette presque de n'être pas
Là encore, pas d'avarie. Mâts et barres de flèche resté collé à la chaise pour assister à la scène
ont tenu. Les voiles ne sont pas défoncées. Heu- entière, les yeux rivés sur les petits hublots de la
reusement qu'il y avait beaucoup de mou dans les coupole... mais quand j'ai vu cette dune, j'ai senti
retenues, et que le nylon est élastique. Si les choses que Joshua allait peut-être sancir', et dans ce cas,
qui nous paraissent inertes pouvaient s'exprimer j'aurais eu la nuque brisée contre l'hiloire du
autrement qu'en serrant les dents, j'aurais entendu capot.
de sacrées gueulantes, là-haut sur le pont. Même la Sancir par force 6... je sais bien que c'est impos-
sible... mais tout est possible dans ces coins-là.
108 109
Il faudrait pourtant que je dorme davantage, par partie grâce au courant. Mais c'est bon, un peu de
petits bouts, c'est facile. Il faudrait que je me pour-, calmes et de brises légères, nous en avions besoin
risse d'une façon plus sérieuse. Je roule trop volon- tous les deux. Je bricole à de menus travaux qui
tiers au tabac et au -café. Je me soutiens en représentent mon univers, tranquillement, sans
grappillant de-ci de-là. Je devrais trouver le temps hâte : recollage à l'Araldite de la patte du sextant,
pour de bonnes tranches de sommeil, pour de, vrais réglage des miroirs, remplacement de cinq amar-
repas copieux. Car il n'y a pas beaucoup à faire sur rages de coulisseaux usés à la grand-voile et de
un bateau, même pour passer Bonne-Espérance.. trois à l'artimon, épissures aux drisses de trin-
Même pour le Horn. Mais il y a beaucoup à sentir, quette et d'artimon (elles sont en tergal alors que
dans les eaux d'un grand cap. Et il faut tout son les drisses de foc et grand-voile sont en acier) pour
temps pour cela. déplacer les points de friction contre les poulies.
Alors, on s'oublie, on oublie tout, pour ne voir Calme plat.
que le jeu du bateau avec la mer, le jeu de la mer Mon épissoir suédois tombe à l'eau et je plonge
autour du bateau, laissant de côté tout ce qui n'est en un clin d'cail, tout habillé. Il n'a pas eu le temps
pas essentiel au jeu dans le présent immédiat. de se sauver bien profond, grâce à son manche en
Il faut faire attention, ne pas aller plus loin que bois et à son fer en forme de gouge, léger.
nécessaire au fond du jeu. Et c'est ça qui est diffi- Je suis heureux et tout fier de le ramener à bord,
cile. car ainsi Joshua n'a pas perdu la moindre plume
depuis le départ ! Et moi, j'ai plongé dans l'eau gla-
cée, alors que ce n'était pas nécessaire puisqu'il y a
Le temps devient très beau dès le lendemain. un autre épissoir en réserve. Mais c'était néces-
Pendant deux jours, la brise joue du nord-ouest au saire... pas une plume en moins !
sud-ouest, avec un baromètre haut et du soleil qui
fait briller l'arrondi de la longue houle d'ouest. On
dirait que la mer, elle aussi, 'est heureuse de se . Joshua porte le grand pavois car ce bon soleil
reposer. sèche dans les haubans tous les pulls et pantalons
Je me remplis le ventre avec un appétit énorme, de laine mouillés depuis les hautes latitudes. Du
je dors tout mon saoul, la nuit, et fais de petits linge imprégné de sel devient poisseux dès que l'air
sommes en plus dans la journée, comme ça, quand s'humidifie. Mais si on le secoue très fort pendant
ça me prend. Le point du 26 octobre a donné seu- qu'il est bien sec, les cristaux se détachent et le
lement cent dix-sept milles parcourus, et celui du linge restera sec (ou à peu près). Jean Gau me
lendemain soixante-huit milles à peine, dont une l'avait appris pendant l'escale d'Atom et de Marie-
110 111
Thérèse II à Durban. Il portait des chemises impec- Jean Knocker, l'architecte de Joshua, m'avait
cables, lavées à l'eau de mer avec du Teepol, et confié trois bouteilles de champagne pendant son
mises à sécher le plus haut possible, hors de portée escale à Plymouth sur Casarca. Je devais en boire
des embruns. Le vent, en faisant claquer le tissu, une à chaque cap.
chassait les cristaux. Je voulais attendre que Joshua ait franchi le
La brise est trop douce en ce moment pour faire 30e méridien (encore 160 milles) pour déboucher
claquer mes lourds lainages, et c'est moi qui les la première. Si je me la versais trop tôt dans le
secoue violemment et leur donne un coup de gosier, Bonne-Espérance pourrait me voir et se
brosse de temps en temps. Ça marche impeccable, mettre en colère avant que j'aie le temps de me
on peut voir sauter les cristaux. sauver. Son point géographique est déjà à plus de
La grande couverture à carreaux verts et bleus, quatre cents milles dans le sillage, mais il a le bras
devenue un peu moite, se gorge elle aussi de soleil long, ce diable de cap. Il pourrait encore me dire
sur le pont chaud. Elle regagnera la couchette « Viens par ici, mon petit, viens prendre ta fessée,
douce et légère comme à Plymouth. Vraiment, parce que tu sais, les deux déferlantes miniatures de
Joshua n'a pas perdu une plume. Il est dans la l'autre jour, c'était juste pour rire, approche un peu,
même forme qu'au départ d'Angleterre, encore mon trésor, que je t'en montre, moi, des déferlantes
allégé par deux mois de mer, mieux taillé pour se signées Bonne-Espérance!»
défendre dans le gros temps. Les voiles sont comme
neuves, je n'ai pas eu à'remplacer un seul mous-
queton Goïot. Ils ne présentent même pas une Ce soir, je suis presque sûr que Bonne-Espé-
trace d'usure réelle, après soixante-cinq jours de
rance est passé. Je réchauffe à petit feu dans la
frotti-frotta, sans compter les trente jours de Tou-
Cocotte-Minute le contenu d'une grosse boîte de
lon-Plymouth.
soupe de poisson. Elle restera chaude longtemps.
Quant à la carène, elle doit être impeccable, si
Pour lui donner du corps, j'y ajoute une poignée de
j'en juge par l'aspect du gouvernail que je peux
riz cuit qui me restait du déjeuner, plus un gros
très bien voir pendant les périodes de calme. Les
anatifes retirés après Trinidad n'ont pas repoussé, morceau de beurre.
l'antifouling ne porte aucune salissure. Moi? Ça Le soleil s'était couché bien.rouge, le baromètre
va. est haut, 767 mm. Le peu de brise qui subsistait cet
après-midi est tombé complètement, et j'ai mis en
panne pour passer la nuit vraiment tranquille,
écoutes à contré, barre dessous et voiles au bas ris,
afin qu'aucune surprise ne puisse nous toucher.
113
Repos total, pas de décisions à prendre. Joshua l'Atlantique Sud, je sais pouvoir compter encore
attend que le vent revienne, comme les mouettes et sur deux jours de bons à partir de maintenant,
les albatros posés tout autour sur la mer. même si un coup de vent atteignait demain l'Afri-
que du Sud sans avoir été repéré. (Joshua est déjà
à 430 milles dans l'est du cap des Aiguilles.)
Il fait nuit maintenant. Pas beaucoup de lune
mais elle est haute et la nuit en est tout éclairée
Je n'aime pas les cérémonies... mais j'ai vrai-
tant le ciel est pur. Pas de cirrus, toujours pas de
ment très envie de ce champagne ! Et boum... le
cirrus' .
Une grande moque brûlante serrée dans mes bouchon saute.
mains, j'aspire ma soupe de poisson à toutes petites Je bois tout doux tout doux et finis la bouteille à
lampées. Et la soupe de poisson devient sang et petites foulées. La soupe de poisson entre presque
chaleur en moi. Le speaker de Radio-Capetown, en ébullition dans mes veines. C'est fou ce que je
que depuis quatre jours je ne parvenais pas à cap- suis heureux. Je me sens même tellement heureux,
ter, annonce qu'il n'y aura pas de coup de vent sur tellement en paix avec l'univers tout entier, que me
les côtes d'Afrique du Sud. Je le savais. La mer, le voilà tout hilare en montant sur le pont pour un
ciel, les albatros, les cirrus qui ne sont pas là, tous besoin bien normal après tant de liquide. Mais là,
me l'avaient dit déjà. Mais c'est bon de l'entendre alors, j'ai assisté à une scène tellement stupéfiante
confirmer par cette voix amicale. qu'on ne me croirait pas si je le racontais.
J'aime ce speaker de Radio-Capetown. Quand il Eh bien, il y avait un type debout à l'arrière, oui,
annonce un coup de vent, on le sent inquiet, il parfaitement. Il avait l'air heureux comme pas
répète deux fois l'avis, plus une troisième fois à la possible et il disait en rigolant (je répète textuelle-
fin du bulletin. Il ne s'écoute pas parler, il ne se ment) : « Dis donc, Bonne-Espérance, puisque t'as le
berce pas du son de sa voix. Il communique avec bras si long, ça doit être vachement pratique pour te
ceux qui sont en mer, simplement, et on sent qu'il
gratter le derrière, hein ? »
nous apporte tout ce qu'il peut nous apporter. Il
Il y avait de quoi être un peu inquiet mais le gars
fait oeuvre humaine.
Etant donné que les coups de vent du secteur s'est envolé sans que je l'aie vu partir, pendant que
ouest annoncés par Le Cap sont liés à des dépres- je me dirigeais vers l'arrière pour le faire taire. J'ai
sions circulant d'ouest en est, repérées dans jeté la bouteille vide à la mer, je suis redescendu
dans la cabine et, à ce moment-là, j'ai vu la Croix
1. Les cirrus se forment à l'avant des perturbations, ils indi- du Sud sur bâbord, Joshua ayant pivoté peu à peu
quent en général leur approche. dans ce calme plat, sans que je m'en sois rendu
114 1
15
compte. L'autre, tout à l'heure, avait donc blas- de la tâche m'aurait écrasé. Il fallait tout mettre
phémé en tournant le dos à Bonne-Espérance. Rien dans la coque seulement, sans penser au reste. Le
de grave, Dieu merci. reste viendrait ensuite... avec l'aide des dieux.
Les étoiles scintillent très fort, là-haut dans la C'est un peu la même chose pour un tour du
nuit. Quand j'étais gosse, un vieux pêcheur d'Indo- monde sans escale, je crois que personne n'a les
chine m'a expliqué pourquoi les étoiles scintillent, moyens, au départ, de le réussir.
et pourquoi, lorsqu'elles scintillent très fort, elles Restent Leeuwin... et toute ma foi.
annoncent que le vent reviendra. Mais je ne peux
pas raconter ça ce soir, j'ai trop sommeil.
Tout cela est déjà bien loin, le noir, la fatigue, les Le ciel est très, très beau, la brise tiède passe sur
serments. Le pêcheur est arrivé à une trentaine de les voiles comme une caresse venue de l'ouest,
mètres. Il bat arrière pour casser l'erre à distance de avec toutes les promesses de l'ouest et de l'est
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ensemble. La mer est verte sous le soleil, d'un vert Au point du lendemain, la Tasmanie est à
que je n'ai jamais vu, sauf dans les parages du soixante-treize milles sur l'arrière. Et le sillage est
Horn. Le sillage est vert, l'écume est verte, tout est bleu car la mer est redevenue bleue. Le vent n'est
vert, aussi vert que l'herbe. pas bien régulier mais j'ai récupéré de toute ma
La Tasmanie est à peine à dix milles dans le fatigue. Ce n'était qu'une fatigue de surface, pas la
sillage vert, et c'est déjà comme si elle n'avait fatigue profonde que j'avais connue après Bonne-
jamais existé. Cela m'a fait pourtant plaisir de ren- Espérance, et qui me faisait contempler l'île Mau-
contrer ces chics pêcheurs qui ont pris sur leur rice. C'est la Nouvelle-Zélande que je regarde main-
temps pour me rendre service. Mais de là à parler tenant sur le petit globe du Damien. Et mon regard
de merveilleuses retrouvailles avec l'humanité, non. glisse parfois en direction du Horn. Et je sens
Nous avons bavardé amicalement, avec un réel que ça va, que tout va. Je crois que tout ira en ce
plaisir, et nous nous sommes quittés, chacun pour qui concerne Joshua et moi. Le reste dépendra des
son boulot, sans regret, avec la même simplicité. dieux.
Ils ont fait ce qu'ils devaient faire en se chargeant Encore cent cinq milles avec des vents irrégu-
de mon colis, j'ai fait ce que je devais faire en le liers, puis cent soixante-quatre, cent quarante-sept,
leur apportant. cent cinquante-trois. Il y a maintenant des grains
dans l'air et des ris dans les voiles. Joshua fonce à
J'ai retrouvé ma couchette avec une joie énorme. 8 noeuds pendant les surventes, à 7,3 noeuds le
J'ai l'impression d'entendre encore ce grillon que reste du temps.
j'écoutais lorsque Joshua passait tout près du Des heures à contempler l'eau qui court le long
phare avant de prendre le large, ce matin. Il y avait du bord, par les hublots sous le vent, hypnose de la
le grillon bien clair et l'odeur des arbres avec celle vitesse pendant les pointes. Je comprends que des
de la terre mouillée. Je m'étire sous la couverture gens se passionnent pour les multicoques, ce doit
en fredonnant une chanson dont j'ai oublié l'air et être extraordinaire de foncer à 15 ou 18 noeuds,
les paroles, sauf une petite bribe : « ... et disparaît avec des pointes à plus de 20 noeuds. Mais cinq mul-
dans le soleil sans régler sa consommation... » J'ai ticoques se sont perdus l'an dernier dans les eaux
payé la mienne, et en même temps je ne l'ai pas australiennes, avec tous les équipages. Et quinze
payée, et c'est formidable d'être libre à ce point. Je hommes ne sont jamais revenus. Et Piver, le père
me sens heureux, léger, détaché de tout et maître des multicoques, s'est perdu lui aussi cet été avec
de tout à la fois, comme lorsque toutes les dettes son trimaran.
sont effacées d'un coup d'éponge et qu'on peut Où est Nigel? Si tout s'est bien passé, il est peut-
vivre alors sa vie. être dans l'océan Indien. Et ensuite? Ça me flan-
querait un sacré coup si j'apprenais un jour que
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Du 17 décembre 1968 au 8 février 1969
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Nigel ne reviendrait plus. Où est-il? Où sont Bill une fois l'an par un bateau du gouvernement. Je
King et Loïck ? pense que c'est pour les naufragés éventuels.
Le pêcheur de Hobart a forcément remis ma Par contre je cherche en vain les Instructions
lettre et mon colis au commodore du yacht-club, et nautiques relatives à cette zone... et je dois bientôt
j'écoute assidûment l'Australie et la B.B.C. Le Sun- me rendre à l'évidence : pendant ma chasse aux
day Times a été forcément averti, en priorité. La poids sur les quais de Plymouth j'ai débarqué ce
B.B.C. aussi. Rien pourtant, pas un mot, pas une volume, en le confondant avec un autre ! Encore
allusion. heureux que j'aie les cartes de détail...
Peut-être la B.B.C. est-elle simplement contre Je suis bien content d'avoir réussi à donner de
l'esprit de régate pour un tel voyage. Peut-être est- . mes nouvelles en Tasmanie, car ce serait une erreur
ce pour cela que je ne l'ai jamais entendue en par- de ne pas passer très au large de la côte sud.
ler. Pourtant elle était là, au départ de Plymouth, J'attendrai d'avoir doublé la Nouvelle-Zélande
avec micros, caméras et tout le tralala. Alors, pour boire la seconde bouteille de Knocker. A ce
quoi? Quatre copains partent à la même époque moment-là, je serai vraiment au-delà du dernier
pour faire le tour du monde sans escale, et on les cap avant le Horn. Si Joshua continue à ce train, je
laisse sans nouvelles les uns des autres. réveillonnerai au champagne et ça fera coup
C'est bientôt Noël, je sens que je n'aurai aucune double !
nouvelle d'eux, que je n'en aurai jamais. J'ai un
peu le bourdon. Et j'en veux à la presse. Je suis
peut-être injuste, puisque j'avais accepté la règle
du jeu au départ : tour du monde en solitaire.
Je n'ai besoin de rien. J'aimerais seulement avoir
un peu de leurs nouvelles de temps en temps.
Noël et le Rat
Le temps
des Tout Commencements
Le plafond de nuages s'amincit, et qu'est-ce que Le ciel se dégage tandis que le vent fraîchit à
je vois?... l'île Stewart à la bonne place, petits force 5, de l'ouest. C'est le vrai beau temps qui
mamelons bleutés flottant sur l'horizon bâbord. Je revient! Joshua fonce à 7,7 noeuds.
me sens tout remué de sentir le Pacifique si près. Café, cigarette. Je monte sur le pont pour regar-
Mais le vent mollit, force 1 à 2. Je continue vers le der; je redescends me rouler une autre cigarette et
sud-est pour passer loin, à cause des courants de rêver en écoutant l'eau gronder sur la carène, je
marée qui risqueraient de me porter sur les récifs remonte l'écouter sur le pont, devant, derrière,
à fleur d'eau de South Trap, placés à vingt milles partout, je règle une écoute qui est déjà réglée,
de l'île Stewart. Je la contemple longuement. C'est j'étarque encore la trinquette qui est parfaitement
la dernière balise visible avant le Pacifique. Puis étarquée depuis tout, à l'heure, mais il faut quand
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même l'étarquer encore, c'est ainsi. Et la Cocotte- J'entends des sifflements familiers. Je sors vite,
Minute est en train de refroidir, je m'en fous, je comme toujours lorsque les dauphins sont là. Mais
n'ai pas le temps de m'en occuper. Quand Joshua cette fois, je ne crois pas en avoir jamais vu autant.
aura franchi la longitude de South Trap (ce qui L'eau est blanche de leurs éclaboussements, sillon-
veut dire « Piège du Sud »), alors oui, je pourrai née en tous sens par le couteau de leur dorsale. Ils
dormir avec des milliers de milles d'eaux libres ne sont pas loin d'une centaine.
devant l'étrave. Mais South Trap est encore à J'aimerais prendre un bout de film, mais le temps
vingt-trois milles dans le nord-est. est trop sombre, les images seraient mauvaises, et
J'ai mangé un peu, quand même. il ne me reste pas assez de pellicule pour risquer
d'en gâcher. Une heure plus tôt, ils m'auraient
Je rêvasse, assis en tailleur devant la table à donné les plus belles images du voyage, avec tout
cartes, buvant du café, ou fumant, ou jetant un coup le soleil autour.
d'oeil sur la carte, ou sortant la tête par le panneau Une ligne serrée de vingt-cinq dauphins nageant
pour regarder dehors, sur l'avant, puis sur le loch. de front passe de l'arrière à l'avant du bateau, sur
Pas nerveux, non. Je fais simplement ce qu'il faut tribord, en trois respirations, puis tout le groupe
pour conduire Joshua le plus vite possible par le vire sur la droite et fonce à 90°, toutes les dorsales
chemin le plus court et le plus sûr à la fois, qui lui coupant l'eau ensemble dans une même respira-
fera parer le dernier tas de cailloux placé sur sa tion à la volée.
route à l'entrée du Pacifique.
Le ciel, en très peu de temps, s'est de nouveau Plus de dix fois ils répètent la même chose.
couvert d'un horizon à l'autre. Mais le vent tient Même si le soleil revenait, je ne pourrais plus
bon, la mer reste calme ou tout au moins très peu m'arracher à toute cette joie, à toute cette vie, pour
agitée. Elle n'a pas eu le temps de reformer ses redescendre chercher la Beaulieu. Jamais je n'avais
lames, après le grand repos des deux jours précé- vu un ballet aussi parfaitement orchestré. Et c'est
dents. Fait assez curieux, pour une latitude aussi toujours sur la droite qu'ils foncent à 90° pendant
élevée (presque 48° Sud) la grande houle très lon- une trentaine de mètres en faisant blanchir la mer.
gue, très haute, qui vient d'habitude du sud-ouest Ils obéissent à un commandement précis. C'est
ou de l'ouest, n'est pas présente aujourd'hui. On se sûr. Mais je ne sais pas s'il s'agit toujours du même
croirait presque en Méditerranée, sous un début de groupe de vingt à vingt-cinq, il y a trop de dau-
mistral, mais avec un ciel couvert à la place. phins pour pouvoir les reconnaître. Ils ont l'air
nerveux. Je ne comprends pas. Les autres aussi ont
l'air nerveux, et nagent en zigzag avec beaucoup
d'éclaboussures, en frappant souvent l'eau de leur
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queue, au lieu de jouer avec l'étrave comme ils font a un peu diminué, mais il n'est pas tombé malgré
d'ordinaire. La mer entière siffle de leurs cris. le crachin. Je me sèche bien les mains et me roule
Encore un passage de l'arrière à l'avant, avec ce une cigarette, au sec dans la cabine. Je songe aux
même virage brutal et souple sur la droite. A quoi dauphins, dont les sifflements s'entendent tou-
jouent-ils aujourd'hui? Je n'ai jamais vu ça... jours. J'essaie de détecter un changement d'inten-
Pourquoi sont-ils nerveux? Parce qu'ils sont ner- sité dans leurs sifflements.
veux, ça j'en suis sûr. Et ça non plus, je ne l'avais Je ne suis pas sûr qu'il y ait une différence. Ce
jamais vu. serait extraordinaire s'il y en avait une. Mais mon
oreille n'est pas assez sensible, ma mémoire audi-
Quelque chose me tire, quelque chose me pousse, tive peut me tromper. Si j'étais aveugle, je pourrais
je regarde le compas... Joshua court vent derrière répondre à coup sûr. Les aveugles se souviennent
à 7 nceuds, en plein sur l'île Stewart cachée dans exactement de tous les sons. Je ne sais plus. C'est si
les stratus. Le vent d'ouest, bien établi, a tourné au facile de se tromper, et de croire alors à n'importe
sud sans que je m'en sois rendu compte. Le chan- quoi. Et de raconter ensuite n'importe quoi.
gement de cap n'a pas été détecté à cause de la
mer très peu agitée, sans houle, dans laquelle Je remonte sur le pont, après avoir tiré quelques
Joshua ne bute pas du tout, ne roule pas non plus. bouffées seulement de ma cigarette. Ils sont aussi
D'habitude, Joshua me prévient des changements nombreux que tout à l'heure. Mais maintenant ils
de cap sans que j'aie besoin de regarder le compas jouent avec Joshua, en éventail sur l'avant, en file
si le ciel est bouché. Mais là, il ne pouvait pas sur les côtés, avec les mouvements très souples et
m'avertir. très gais que j'ai toujours connus aux dauphins.
Et c'est là que je connaîtrai la chose fantastique
J'amène la voile d'étai, puis borde les écoutes et un grand dauphin noir et blanc bondit à trois ou
règle la girouette pour l'allure du près. Nous som- quatre mètres de hauteur dans un formidable saut
mes sûrement à plus de quinze milles des cailloux périlleux, avec deux tonneaux complets. Et il
affleurants qui débordent l'île Stewart. Mais depuis retombe à plat, la queue vers l'avant.
quand Joshua courait-il vers la côte cachée dans Trois fois de suite il répète son double tonneau,
les stratus ? Etait-ce juste avant le dernier passage dans lequel éclate une joie énorme. On dirait qu'il
des dauphins avec virage à 900 sur la droite... ou crie, pour moi et pour tous les autres dauphins
bien avant leur arrivée, avant même leurs pre-
mières manifestations?
« L'homme a compris que nous lui disions d'aller à
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Debout, avec mon ciré, mon capuchon, mes doit mettre toutes ses tripes pour passer dans un
bottes et mes gants de cuir, je tiens d'une main un nouvel océan.
hauban du grand mât, au vent. Presque tous mes Je descends m'étendre un peu, je remonte, je
dauphins nagent maintenant sur le bord au vent, relève l'indication du loch. Mes deux dauphins sont
eux aussi. Cela me surprend encore un peu. toujours là, à la même place. Je descends porter la
Parfois ils se tournent sur le côté. Leur oeil gau- dernière distance parcourue sur la carte, je me
che se distingue alors nettement. Je crois qu'ils me recouche un moment. Quand je reviens sur le pont
regardent. Ils doivent très bien me voir, grâce au et grimpe au mât pour la dixième fois afin de voir
ciré jaune qui se détache sur le blanc des voiles au- plus loin, mes deux dauphins sont encore là, sem-
dessus de la coque rouge. blables à deux fées dans la lumière qui baisse.
Alors je redescends m'allonger un moment.
Mes dauphins nagent depuis plus de deux heures C'est la première fois qu'il y a une telle paix en
autour de Joshua. Les dauphins que j'ai rencontrés moi, car cette paix est devenue une certitude, une
ont rarement joué plus d'une quinzaine de minutes chose qu'on ne peut pas expliquer, comme la foi.
avant de continuer leur chemin. Ceux-là resteront Je sais que je réussirai, et je trouve ça absolument
plus de deux heures, au complet. naturel, cette certitude absolue où il n'y a ni crainte,
Quand ils sont partis, tous ensemble, deux ni orgueil, ni étonnement. Toute la mer chante,
d'entre eux sont restés près de moi jusqu'au cré- simplement, sur une octave que je ne connaissais
puscule, cinq heures pleines au total. Ils nagent pas encore, et cela me remplit de ce qui est à la fois
avec l'air de s'ennuyer un peu, l'un à droite, l'autre la question et la réponse.
à gauche. A un moment, pourtant, je suis tenté de remettre
Pendant trois heures ils nagent, comme ça, cha- le cap sur les récifs, pour voir ce que diraient mes
cun sur son bord, sans jouer, en réglant leur vitesse dauphins. Quelque chose me retient. Quand j'étais
sur celle de Joshua, à deux ou trois mètres du petit garçon, ma mère me racontait des contes de
bateau. Jamais je n'avais vu ça. Jamais je n'ai été fées. Et une fois, un pêcheur très pauvre avait pris
accompagné si longtemps par des dauphins. Je un gros poisson aux couleurs d'arc-en-ciel. Et le
suis sûr qu'ils avaient reçu l'ordre de rester près de beau poisson l'avait supplié de lui laisser la vie.
moi jusqu'à ce que Joshua soit absolument hors de Alors le pêcheur lui a rendu sa vie, et le poisson
danger. magique lui a dit de faire un voeu chaque fois qu'il
Je ne les regarde pas tout le temps, parce que je aurait besoin de quelque chose. Le pêcheur a
suis un peu épuisé par cette journée, cette tension demandé au poisson que sa chaumière ne fasse
énorme qu'on ne sent pas sur le moment, quand on plus d'eau par le toit, et qu'il ait à manger un peu
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moins rarement, si c'était possible. Et quand il est pleine de leurs sifflements amicaux, je n'ose pas
rentré dans sa chaumière, elle avait un toit neuf, le risquer d'abîmer ce qu'ils m'ont déjà donné. Et je
couvert était mis, et la soupière était pleine de sens que j'ai raison, parce qu'il ne faut jamais
soupe de lentilles avec des croûtons dessus. Et le jouer à la légère avec les contes de fées. Ils m'ont
pauvre pêcheur n'avait jamais été aussi heureux en appris à comprendre beaucoup de choses et à les
mangeant sa soupe de lentilles bien chaude avec respecter. C'est grâce aux contes de Kipling que je
les croûtons qui nageaient dessus, dans sa chau- sais comment Pau Amna le grand crabe a inventé
mière qui ne faisait plus d'eau par le toit. Et en les marées au temps des Tout Commencements, et
plus le lit était fait, avec une paillasse bien sèche et pourquoi tous les crabes de maintenant ont des
une couverture toute neuve, épaisse comme ça. Mais pinces (c'est grâce aux ciseaux d'or de la petite
le pêcheur a demandé d'autres choses ensuite, et fille), et comment l'éléphant a eu sa trompe à force
encore d'autres choses, et toujours d'autres choses. de poser des questions, et comment le léopard a eu
Et plus il avait de choses, plus il en voulait. Pour- ses taches, et comment je passerai peut-être le
tant, même quand il a eu un palais avec des tas de Horn grâce à mes dauphins et aux contes de fées,
serviteurs et tout plein de carrosses dans la cour, il qui m'ont aidé à retrouver le temps des Tout Com-
était beaucoup moins heureux que lorsqu'il man- mencements où toutes choses sont simples.
geait sa soupe de lentilles avec les croûtons dessus, Et quand j'ai porté sur la carte le dernier point
dans sa chaumière qui ne faisait pas d'eau par le estimé, qui me place enfin au-delà du récif à fleur
toit, et qu'il s'endormait ensuite sur sa paillasse d'eau, je suis vite remonté sur le pont. Mes deux
bien sèche dans les tout premiers temps de son dauphins n'étaient plus là.
amitié avec le poisson magique aux couleurs d'arc-
en-ciel. Alors il a demandé à être le Roi. Là, le
poisson magique s'est fâché pour de vrai, il lui a Il fait nuit. Le ciel s'est dégagé, le vent est revenu
retiré son amitié et rendu sa chaumière avec le toit à l'ouest. La lune, à son premier quartier, semble
qui faisait de l'eau et la paillasse humide et rien suspendue derrière la voile d'artimon et fait briller
dans la soupière. la mer dans le sillage. Le récif est paré, mes dau-
phins sont loin, la route est libre jusqu'au Horn.
Des choses merveilleuses remuent dans ma tête Libre à droite, libre à gauche, libre partout.
et dans mon coeur, comme quand ça va déborder.
Ce serait facile de choquer les écoutes et de partir
vent arrière quelques minutes vers les récifs invi-
sibles, pour voir ce que feraient mes dauphins.
Ce serait facile... mais la mer est, encore toute
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TROISIÈME PARTIE
14
Frère Aîné
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petits glaçons. La veille fut aussitôt doublée et, tot, de 3 500 tonnes de port en lourd, parti de Nou-
quelques minutes après, la vigie du gaillard d'avant velle-Calédonie quinze jours avant moi, alors capi-
signala des icebergs droit devant. Le capitaine or- taine du quatre-mâts Président Félix-Faure, de
donna la manceuvre nécessaire et nous longeâmes à 3 800 tonnes, a dû être pris dans les glaces après son
environ un mille deux vraies îles flottantes reliées passage du Horn. En tout cas, on ne l'a jamais
par une mer de glace... revu...
... Que faut-il en conclure, sinon qu'à proximité « ... Le seul iceberg aperçu par moi dans l'Atlan-
des banquises il y a des quantités de petits glaçons? tique Sud était échoué sur le banc des Falkland, au
Glaçons qui ne sont pas toujours un signe avant- sud de ces îles. Nous l'avons aperçuu au lever du jour.
coureur de leur proximité, car les banquises, déri- Le temps était très maniable et j'ai donné la route
vant plus vite, laissent souvent derrière elles des pour passer à deux ou trois milles de cet énorme ice-
champs de glaçons... » berg, ce qui nous a permis d'en connaître les dimen-
sions au sextant: quatre-vingts mètres de haut, et
rageantes.
aurions pu aussi bien nous fracasser contre lui s'il y
avait eu de la brume. Nous n'avons pas senti de dif-
« ... Ayant presque perdu la vue et voyant à peine férence de température en passant sous le vent de cet
ce que j'écris, je vous demande toute votre indul- iceberg. Il est vrai que nous en étions à deux milles
de distance... »
gence pour ce que peut avoir de décousu ce que vous
lirez, car je vais vous répondre au fil de mes souve-
Je remets toutes mes lettres de cap-horniers
nirs, bien précis malgré mes quatre-vingt-huit ans,
dans la même grosse enveloppe fourrée. Elles ne
mais je ne peux pas me relire... »
m'apportent pas grand-chose du point de vue pra-
Et les souvenirs de ce vieux cap-hornier sont tique, pourtant elles me donnent beaucoup. Et
pleins de mer et de vent. Il y a huit pages de ces moi... je ne leur ai même pas répondu, en cette
choses dans la lettre du commandant Pierre Sté- époque nerveuse et agitée de mes préparatifs. Je ne
phan, avec toutes les routes du Sud et onze cap les ai pas remerciés, pourtant leurs lettres sont là,
Horn dans son sillage. avec leurs souhaits et leurs encouragements très
simples de vieux marins qui savent que certains
« ... Un peu à l'est du Horn, plusieurs navires ont bateaux passent toujours, et d'autres pas. Où sont
été entourés de glaces flottantes détachées du pack Bill King, Nigel, Loïck? Je n'écoute même plus la
plus au sud. C'est ainsi que le beau trois-mâts Han- B.B.C., ça ne sert à rien. Knox-Johnston est peut-
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être de l'autre côté du Horn, si c'est bien de lui que La lune se lève chaque nuit plus tard, elle change
les pêcheurs de Hobart m'ont parlé. Bonne chance chaque nuit de forme, de plus en plus petite. Je
à tous, s'il est vrai qu'on n'est pas tout à fait seul comprends que les peuples d'Asie préfèrent mesu-
dans ce jeu-là. rer le temps avec la lune, qui change, s'en va et
puis revient. Elle aide à mieux sentir je ne sais quoi
exactement, mais je crois que tous ceux qui vont
La Croix du Sud est haut dans le ciel, beaucoup sur la mer préfèrent la lune au soleil.
plus haut que prévu au départ, car le temps reste Cent trente milles, cent quarante-six milles, cent
beau et je maintiens Joshua bas en latitude, aux quarante-huit milles, cent quarante-trois milles, cent
environs du 48e parallèle, presque sur le pointillé quarante-neuf milles, cent quarante-huit milles.
rouge de la limite des glaces indiquée sur la carte. Rien de fracassant, mais toujours pas de ris dans
Dans une année moyenne, j'aurais tout de suite les voiles, toujours mes nuits franches avec quel-
fait du Nord-Est après la Nouvelle-Zélande, pour ques petits tours de pont sans ciré, toujours pas de
rejoindre le 40e parallèle et rester loin des coups de grimaces dans le ciel ni de cirrus en moustaches
gros mauvais temps habituels sous les hautes lati- de chat, et la ligne tracée sur le globe du Damien
tudes, même en été. Puis j'aurais longé le 40e pa- s'allonge régulièrement. Elle est déjà presque au
rallèle le plus longtemps possible avant de prendre milieu du Pacifique, pourtant la mer ne gronde pas
le virage du Horn. Mais là, je crois que nous béné- encore, le capot de cabine reste presque toujours
ficions d'une année exceptionnelle. Il est vrai que ouvert, tout est bien sec à l'intérieur, les embruns
l'été austral bat son plein... mais le temps est tout sont rares sur le pont.
de même surprenant pour une latitude aussi haute, Trois ans plus tôt, sur la même route mais beau-
avec ce ciel tout bleu en général, et cette mer rela- coup plus au nord, le capot était fermé en perma-
tivement calme à part la longue houle habituelle de nence à partir du 40e parallèle, avec un bon joint
sud-ouest qui ressemble depuis si longtemps à la découpé dans une serviette-éponge pour empêcher
respiration paisible de l'univers. l'eau glacée de passer sous pression. Et il était
Presque toutes les étoiles sont visibles à un mo- exceptionnel que Françoise ou moi sortions ma-
ment ou à un autre de la nuit, jusque très bas sur nœuvrer - ou simplement prendre l'air sur le pont
l'horizon, malgré la pleine lune. Des nuages, sou- sans nous amarrer. Quant à prendre un bain de
vent, mais bien ronds, pas gros, avec très peu de soleil, nous n'y rêvions même pas, à cette époque
cirrus tout là-haut dans le ciel. Et il n'y a pas eu un de Tahiti-Alicante.
seul halo solaire depuis les approches du cap Leeu- Pour le voyage actuel, je n'ai pas encore senti le
win, voilà des semaines et des semaines. besoin de m'amarrer depuis Bonne-Espérance, sauf
de temps en temps pour prendre un ris de nuit à la
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trinquette au début de l'océan Indien. Et mon corps méridienne. Et tout le linge est sec, comme au
est gavé de soleil, bronzé comme sous l'Alizé. départ.
Le fond sonore de Tahiti-Alicante avait été le Par contre, ce beau temps qui dure depuis plus
grondement continuel de la mer pendant toute la de deux mois' a sûrement provoqué une débâcle
traversée du Pacifique. Un grondement puissant précoce des glaces dans le Grand Sud, et je ne
ou tout juste perceptible selon le temps. Mais il y
serais pas surpris d'apprendre que les icebergs sont
avait toujours eu ce grondement autour de nous, remontés au-delà de leur limite habituelle cette
jusqu'après le Horn, où l'immense houle d'ouest se année. De toute manière, je n'en sais rigoureuse-
voit barrée par la Terre de Feu. Alors, nous avions
ment rien, et je pense encore dans le vide, selon
été surpris de ne plus entendre ce bruit de fond,
ma vieille habitude, comme souvent lorsque tout
qui ressemblait à celui d'une plage de galets roulés
va pour le mieux et qu'il suffit de continuer à res-
par la mer.
pirer paisiblement en remerciant le ciel de ses
dons. Du reste, il est fort possible que la débâcle de
C'est vraiment une année favorable, une de ces la banquise, qui libère alors les icebergs, soit liée à
années qu'on ne doit pas rencontrer souvent sur des secousses telluriques et à de gros coups de
cette route du Sud. Je revois les doubles chaus- vent, plutôt qu'au soleil. Ça y est... me voilà reparti
settes de laine par-dessus lesquelles nous enfilions à penser dans tous les sens ! Mais ce n'est pas avec
un sac en plastique maintenu serré aux chevilles angoisse, au contraire. Je me sens joyeux, comme
par un élastique, afin de ne pas mouiller nos pré- protégé par quelque chose qui flotte dans l'air au-
cieuses chaussettes en marchant sur le plancher tour de moi et que j'appelle « Frère Aîné », comme
toujours moite de la cabine. Les gants -de laine à on appelle ses amis en Asie. Je lui parle souvent, il
l'intérieur, les moufles, les gants de cuir pour ma- ne répond pas. Je crois pourtant que nous sommes
noeuvrer sur le pont, les gerçures aux doigts, les du même avis, mais il doit avoir beaucoup à faire
bottes indispensables, le menu , linge que nous fai- pour écarter les dépressions. Ou bien estime-t-il
sions sécher tous les jours au-dessus du réchaud. que je dois trouver tout seul, dans ma solitude si
Même les couvertures étaient plus ou moins trem- grande meublée de tant de choses? Mes cheveux
pées et incrustées de sel. ont beaucoup poussé, ils me couvrent la nuque pres-
Maintenant... la température est de 24° à midi que jusqu'aux épaules. Ma barbe aussi est devenue
dans la cabine non chauffée, de 13° à l'aube. Ma longue au point que je dois la couper autour des
provision de sacs en plastique est intacte, je suis lèvres chaque semaine pour pouvoir manger mon
presque toujours pieds nus pour manceuvrer sur le porridge le matin sans me tartiner la figure. Mon
pont, souvent même entièrement nu pendant la dernier savonnage complet remonte à un grain de
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pluie du Pot-au-Noir, cela fait des mois... pourtant possible. Tout est possible... c'est une question
il n'y a pas le moindre bouton sur ma peau. d'attitude en face des choses, une question d'adap-
Il paraît qu'un peuple guerrier de je ne sais quelle tation instinctive. Mais je n'aurais jamais cru pou-
époque passait par les armes tout homme de son voir atteindre cette plénitude du corps et de l'esprit
armée pris à se laver, parce que cela lui faisait au bout de cinq mois en circuit fermé, avec un
perdre sa virilité. Et un beau jour le général a été ulcère de l'estomac que je traîne depuis dix ans.
surpris dans le Gange où il faisait trempette. En Je ne parviens pas à vérifier mon poids car la
conseil de guerre, il s'en est tiré in extremis en houle d'ouest, bien présente malgré le beau temps,
assurant qu'il avait perdu l'anneau de sa fiancée, fausse complètement la lecture de la balance. Il est
et qu'un brahmane lui avait dit que l'anneau était pourtant probable que j'ai gagné encore un petit
tombé à l'endroit où il cherchait. Enfin... le maré- kilo depuis la Tasmanie. Je me suis rarement senti
chal a passé l'éponge pour cette fois, peut-être parce en aussi bonne santé. Mon ulcère ne me fait plus
qu'il tenait beaucoup à ce chef, peut-être aussi souffrir depuis le milieu de l'océan Indien, mon
parce que la prochaine grande bataille n'aurait pas appétit est excellent.
lieu avant quelque temps, ce qui laisserait au géné- Si beaucoup d'équipages se voyaient décimés
ral assez de recul pour retrouver sa virilité. par la maladie et le scorbut pendant les longs voya-
J'aimerais prendre un bain dans le Gange... pas ges d'exploration des siècles passés, d'autres reve-
pour me laver, je n'en ai pas besoin, non, juste naient à peu près intacts (ceux du capitaine Cook
comme ça. en particulier) malgré des mois et dès mois de mer
dans des conditions souvent extrêmement dures.
Cook avait trouvé une parade à l'avitaminose en
Joshua est à mi-chemin du Horn. La moyenne se obligeant ses hommes à consommer chaque jour
maintient. Cela fait cinq jours à la file que je fais une sorte de «bière» fabriquée à bord avec des
mes exercices de yoga entièrement nu dans le aiguilles de pin macérées.
cockpit, avant la méridienne. Je sens le soleil ren- Avant le départ, j'avais fait une longue visite à
trer en moi et me donner sa force. Quand il n'y a Jean Rivolier, médecin-chef des Expéditions polai-
pas de soleil, ou en fin d'après-midi, je garde un res françaises (Missions Paul-Emile Victor)'. Son
pull et un pantalon de laine. L'air que je respire me expérience pratique est réelle grâce à ses expérien-
donne alors sa force. ces arctiques et antarctiques ainsi qu'en haute mon-
Un tel équilibre physique et nerveux après cinq tagne. J'avais noté l'essentiel de nos entretiens.
mois de mer me surprend malgré moi, quand je
contemple la boucle déjà si longue tracée sur le 1. Le docteur Rivolier est aussi l'auteur de
petit globe. Certes, je savais au départ que c'était éd. Arthaud (épuisé).
Médecine et Mon-
tagne,
21 4 215
« Pour une navigation au long cours du genre de cas, le surdosage vitaminique, qui consiste à prendre
celle que j'envisageais, les besoins de l'organisme se des vitamines synthétiques comme médicaments, à
situent autour de 3 000 calories par jour au maxi- doses supérieures au régime équilibré, n'apporte pas,
mum. Certaines personnes mangent plus que d'au- chez l'homme, un meilleur rendement en ce qui
tres. Il ne faut pas contrarier sa nature ni ses concerne l'adaptation au froid, à la chaleur, à l'alti-
habitudes. tude ou à l'effort. »
« Il est indispensable que la nourriture soit équili-
brée en glucides, protides et lipides. Les glucides
(sucre, céréales, pommes de terre, riz) sont les plus Jean Rivolier m'avait donc rassuré : il suffirait
utiles pour le rendement énergétique. Les protides d'être assez raisonnable pour me cuisiner des repas
(viande, œufs, poisson, certains féculents tels que le appétissants et variés, sans jamais me laisser glis-
soja) permettent une meilleure récupération après ser sur la pente dangereuse de l'anarchie alimen-
l'amaigrissement. Les lipides (graisses, huiles végé- taire, qui consisterait par exemple à manger trop
tales, beurre) facilitent la lutte contre le froid et don- souvent la même chose, préparée de la même ma-
nent aussi de l'énergie. nière ou pas préparée du tout.
« Se méfier de la déshydratation qui peut passer J'ai des tas de conserves de toutes sortes, de quoi
inaperçue, et dont les conséquences sont graves. tenir un an s'il le faut, en cas de démâtage ou pour
Quelques gorgées d'eau de mer, en plus, apportent rester indépendant et parer à toute éventualité si
aussi des sels minéraux. un pépin m'oblige à gagner un atoll perdu sans
« Il n'existe aucun risque d'avitaminose à consom- autre ressource que les cocos du Bon Dieu et les
mer exclusivement des conserves en boîte, à condi- oursins du récif (le poisson est trop souvent empoi-
tion de manger de tout. L'analyse de certaines sonné dans les atolls). J'ai vraiment tout ce qu'il
conserves de légumes et de fruits indique souvent un me faut à bord... sauf du talent pour la cuisine. Il y
taux vitaminique supérieur à celui des mêmes pro- manque toujours quelque chose, ou bien il y a
duits consommés frais dans des conditions citadines quelque chose en trop, mais quoi, je ne sais jamais.
(lorsque ces légumes frais sont restés trop long- On est doué ou on ne l'est pas. Moi, je ne le suis
temps sur un étalage par exemple). Les grands pas, et la cuisine me fait un peu penser à la belle
drames du passé étaient liés à une consommation musique : je suis capable de l'apprécier, de m'en
exclusive ou presque de produits secs ou salés, sans régaler, mais pas de la faire.
variété. Cela fait à peine cinq mois que je suis en mer.
« Il est inutile de consommer des vitamines addi- Les vingt-huit hommes de L'Endurance y étaient
tionnelles synthétiques, mais il ne faut pas s'en pri- depuis onze mois déjà lorsque le bateau, écrasé
ver si cela doit apporter la paix de l'esprit. En tout par les glaces de la mer de Weddell, a dû être
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abandonné. Et pendant dix autres mois ces nuits à la barre intérieure si ce coup de vent frappe
hommes ont continué à pied sur la banquise en pour de bon. A deux reprises j'avais dû rester au
remorquant deux baleinières à travers les blocs de poste de manceuvre pendant soixante-douze heures,
glace'. Tous sont revenus intacts, sauf un pied la première fois sur Marie-Thérèse dans le détroit
gelé, vingt et un mois après avoir levé l'ancre. de Malacca pour veiller la côte et les récifs, la
A part quelques hommes exceptionnels dans seconde fois sur Marie-Thérèse II au passage de
cette équipe, les autres faisaient sans doute partie Bonne-Espérance. Là, j'avais barré en m'endor-
de la bonne moyenne. Mais les limites de la résis- mant profondément dans les creux et en me ré-
tance humaine se trouvent bien au-delà de ce qu'on veillant juste avant chaque lame pour lui présenter
pense à première vue. J'ai pu voir, en Asie, ce que l'arrière.
savent encaisser des coolies travaillant du matin Lors du gros coup de vent prolongé de Tahiti-Ali-
au soir avec seulement un peu de riz, de poisson et cante, c'était très fatigant, car je n'avais pas trouvé
de bouillon où flottent quelques herbes. tout de suite le bon rythme et j'avais atteint trop tôt
le bord de l'épuisement.
Maintenant, je suis probablement beaucoup mieux
Le baromètre commence à baisser. Le ciel est paré pour faire face à une fatigue prolongée, grâce
couvert de cirrus en forme de vagues. Il y a beau- au yoga que je pratique chaque jour depuis le dan-
coup de vent là-haut, et la ligne du barographe est gereux passage à vide du début de l'océan Indien.
parcourue de crochets. Après deux mois de beau J'étais alors sur le point d'abandonner et de faire
temps, ça devait quand même arriver un jour ou route sur l'île Maurice. Je souffrais de mon ulcère.
l'autre, malgré la protection des dieux. La mer ne Ça n'allait plus du tout, au moral comme au phy-
gronde pas encore, mais elle rappelle déjà la ligne sique.
du barographe, pleine de frissons nerveux. Un an avant le départ, un ami m'avait envoyé
Toutes les dispositions sont prises sur le pont Yoga pour tous, de Desmond Dunne, avec une
tourmentin de 5 m 2 , un ris dans la trinquette, deux lettre où il essayait de m'expliquer que j'étais ner-
ris dans la grand-voile, artimon au bas ris. J'ai veux et fatigué par le rythme de l'Europe. Cette
remplacé la girouette normale par une autre plus discipline du yoga, qu'il pratiquait depuis deux ans,
petite de moitié, et modifié le cap vers l'E.-N.-E. lui avait rendu son équilibre, ainsi qu'à sa femme.
(presque Nord-Est) pour m'éloigner à la fois du Tout ce qu'il me disait était vrai, je le savais. Je le
chemin de cette dépression et de la limite des glaces. savais même depuis longtemps...
Peut-être y aura-t-il plusieurs jours et plusieurs Lorsque je l'ai feuilleté, pour la première fois,
dans l'océan Indien, j'en ai vu se dégager toutes les
1. Les Rescapés de L'Endurance, éd. Laffont. valeurs de mon Asie natale, toute la sagesse du
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vieil Orient, et j'y ai retrouvé quelques-uns de ces loin sur la pente des vagues. La petite girouette
petits exercices que je faisais d'instinct, depuis tou- s'occupe de tout, corrige les embardées, profite de
jours, quand j'étais fatigué. Mon ulcère a cessé de la paix des creux pour reprendre le bon cap.
me faire souffrir. Et je n'ai plus eu de lumbagos. Assis sur la chaise du poste de pilotage intérieur,
Mais surtout, j'ai trouvé quelque chose en plus. je regarde l'eau phosphorescente à travers les
Une sorte d'état de grâce, indéfinissable. Les uns le hublots de la coupole qui me protège des défer-
possèdent peut-être de naissance ou d'instinct. lantes et m'en rapproche. Je suis presque arrivé au
D'autres peuvent le rencontrer un jour sur la route tournant de ma route. Je sais, depuis l'océan Indien,
de leur vie, on ne saura jamais, et cela n'a pas que je ne veux plus rentrer là-bas.
d'importance. L'essentiel, c'est que ça existe, et avec Le grondement de la mer est bien atténué, de
ça, les choses reprennent leur place naturelle, leur l'intérieur, et il me dit des tas de choses. Les cho-
équilibre dans l'univers intérieur. ses présentes, les choses passées, les choses futures.
Tout est là, dans la mer, et je crois que la joie est la
plus haute expression de la pensée. Mais je sais
Il n'y a plus de lune. Elle reviendra dans quel- que le vrai tournant sera après le Horn.
ques jours, comme un sourire, timide d'abord, puis Si je tiens toujours, si Joshua tient toujours, alors
de plus en plus grande. on essaiera de continuer. Repasser Bonne-Espé-
Le baromètre baisse mais la vie coule à son rance... repasser Leeuwin et la Tasmanie et la
rythme normal, même quand il y a menace de coup Nouvelle-Zélande... traverser encore tout l'océan
de vent. Elle va durer encore combien de temps, Indien, tout le Pacifique... mouiller l'ancre aux
cette paix que j'ai trouvée en mer? Galapagos pour y faire tranquillement le bilan.
C'est toute la vie que je contemple, le soleil, les Maintenant aussi, je pourrais aller aux Galapa-
nuages, la mer, le temps qui passe et reste là. C'est gos, il suffirait de mettre un peu de barre à droite,
aussi, parfois, cet autre monde devenu étranger, vers le nord, c'est tout près, je pourrais y être dans
que j'ai quitté depuis des siècles. Ce monde mo- quelques semaines. Mais c'est trop tôt pour les
derne artificiel où l'homme a été transformé en Galapagos, je n'ai pas encore vraiment trouvé mon
machine à gagner de l'argent pour assouvir de Gange, je me le reprocherais toute ma vie, ce serait
faux besoins, pour de fausses joies. comme si je n'avais même pas essayé. Je me sou-
viens d'un petit temple que j'ai trouvé dans la
La mer est devenue blanche d'écume avec le forêt... non, je ne me souviens de rien, il ne faut
coup de vent. J'ai amené la grand-voile, ensuite plus me souvenir de rien.
l'artimon. Joshua court dans la nuit sous la trin- Et jusqu'au Horn, ne pas regarder autre chose
quette à un ris et le tourmentin, surfant de loin en que mon bateau, petite planète rouge et blanc faite
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d'espace, d'air pur, d'étoiles, de nuages et , de
liberté dans son sens le plus profond, le plus natu-
rel. Et oublier totalement la Terre, ses villes impi-
toyables, ses foules sans regard et sa soif d'un
rythme d'existence dénué de sens. Là-bas,.. si un
marchand pouvait éteindre les étoiles pour que ses
15
panneaux publicitaires se voient mieux dans la
nuit, peut-être le ferait-il ! Oublier tout ça.
Ne vivre qu'avec la mer et mon bateau, pour la
mer et pour mon bateau. Joshua contre Joshua
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passer à l'ouest, puis au sud-ouest. Il forcirait un Aujourd'hui l'aube est simplement correcte. C'est
peu en même temps que le baromètre remonterait. déjà beaucoup, et je largue tous les ris, y compris
Mais peut-être forcirait-il beaucoup au moment de celui de la trinquette.
sa rotation. Finalement j'ai préféré remettre le Cent soixante-neuf milles au point de midi, sans
second ris à la grand-voile et le second ris à l'arti- fatigue exagérée, en restant toujours bien en deçà
mon vers 1 heure du matin, pour pouvoir dormir de mon effort limite. Et Tahiti-Alicante a encore
d'un sommeil tranquille jusqu'à l'aube. Puis je me pris quarante milles dans la vue. Cette différence
suis fait chauffer un second café que j'ai dégusté à d'efficacité provient en grande partie du jeu de
petites lampées, assis sur la chaise du poste de pilo- petites voiles maniables bourrées de bandes de ris
tage intérieur, en observant la grande bande claire que j'ai offertes à mon bateau pour ce voyage, et
qui s'approchait par l'ouest. Les étoiles apparais- aussi aux winches qui n'existaient pas à bord
saient de plus en plus nombreuses, envahissaient le
autrefois.
ciel sur le travers de l'arrière. La rotation à l'ouest.
Trois ans plus tôt, Joshua n'aurait pas marqué
Pas fort. Je suis monté border un peu les écoutes et
plus de cent vingt à cent trente milles en vingt-
Joshua partait au surf sur le versant de la houle de
quatre heures dans ces conditions d'instabilité mé-
nord-ouest devenue amicale, ronde, régulière.
téorologique. Nous aurions rentré le tourmentin
Ensuite, je me suis lové dans ma couchette, bien
au chaud, bien au sec, après avoir regardé encore avant la nuit, l'ancien tourmentin mesurant 8 m2 ,
la boucle sur le globe. Elle est tout près du Horn beaucoup trop en cas de vrai coup de vent. Nous
encore cinq ou six jours si tout se passe comme il aurions très probablement amené aussi la grand-
faut. Mais je me défends de voir plus loin que le voile hier soir, les 18 m2 de surface au bas ris de
Horn. Je pense seulement que ma combinaison l'ancienne grand-voile pouvant poser de sérieux
fourrée sera moins poisseuse demain aux genoux, problèmes pour l'affalage et le ferlage si le temps
et cette pensée me remplit de paix. s'était brusquement gâté. Et Joshua aurait trottiné
à petite vitesse toute la nuit.
Pour les mêmes raisons, j'hésitais souvent à lar-
L'aube est correcte. Je suis toujours debout avant guer un ris dans la grand-voile, me disant que s'il
l'aube. Sous les hautes latitudes, c'est l'aube qui dit fallait le reprendre un peu plus tard, ce serait une
ce que sera le temps. Lorsque le soleil se lève manoeuvre difficile. Et ça faisait encore des milles
rouge, c'est un mauvais présage. Il faut qu'ici l'aube en moins. L'étarquage de la voilure après une prise
soit un peu laiteuse. C'est le contraire de l'Alizé, où de ris ou après en avoir largué un était pénible éga-
un soleil rouge au levant annonce une belle jour- lement. Il fallait tout faire à la main et terminer au
née, plus belle que d'habitude. palan, sans oublier les gants pour ne pas enveni-
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mer les gerçures. Deux tours sur le winch, mainte- l'horizon se dégage à l'ouest et les étoiles sortent
nant, et hop 1... la voile est étarquée raide, sans se dans la nuit qui commence.
faire supplier. Je renvoie la voile d'étai sous le clair de lune.
Elle est pleine ce soir, elle le sera encore au pas-
Et voilà... encore cent soixante-douze milles au sage du Horn, dans moins de quarante-huit heures
lieu de cent quarante à cent quarante-cinq que à cette cadence.
nous aurions marqués il y a trois ans. Et je n'ai
presque pas de gerçures aux doigts. Je les soigne Je n'ai pas sommeil, je reste longtemps dans le
d'avance en les frottant deux fois par jour avec un cockpit ; le Horn est si près, la mer est si belle, elle
bâton de Dermophile Indien après m'être bien respire vraiment. Un rayon de la pleine lune
rincé les mains à l'eau douce. ricoche sur le dos d'un nuage très loin dans le Sud
Ma santé générale est toujours très bonne. Je et se transforme en un mince faisceau de lumière
dors, je veille, je me nourris, je lis, je me rendors, vaguement phosphorescente qui monte droit au
je me réveille aussi dispos, je me tiens souvent de ciel. Je reste sidéré. Comment la lune a-t-elle réussi
petites conversations à mi-voix un aussi joli coup?...
- Qu'est-ce qu'on fait?... On en largue un à la Le faisceau s'élargit, devient très phosphores-
grand-voile ? cent. On dirait un énorme projecteur qui cherche
- On sera obligé de le reprendre avant la méri- dans les étoiles. J'ai vu trois fois dans ma vie le
dienne... rayon vert au-dessus du soleil, couchant, cette
- C'est facile, allez, amène-toi, fainéant, et qu'on langue d'émeraude qui part comme un flash, mais
largue ce ris, on se traîne ! jamais je n'aurais cru possible cet autre miracle de
la lune jouant avec un nuage.
Brusquement, j'ai un peu froid partout. Ce n'est
Grains force 8 et grêle. Il faut aider la barre pour pas la lune qui joue avec un nuage, c'est quelque
ne pas trop embarder, et passer vent arrière par- chose d'exceptionnel que je ne connais pas. Sans
fois, ça soulage la voilure. Force 5 seulement entre doute l'arche du cap Horn, cette chose terrifiante
les grains, ça va. dont parle Slocum, et qui annonce ici un gros coup
Les nuages sont pleins de haubans dans le soleil de vent. La mer me semble menaçante, les étoiles
couchant. Les haubans dans les nuages, c'est mau- brillent d'un éclat très dur, la lune est devenue gla-
vais signe, mais ça fait aussi partie des choses de la ciale.
mer et c'est beau à regarder. Un second faisceau s'élève à côté du premier.
Tout se tasse en début de nuit, les cumulus dimi- Puis un troisième. Bientôt il y en a une dizaine,
nuent de taille, les grains ne dépassent plus force 6, comme un gros bouquet de lumières surnaturelles
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dans le sud. Et je comprends maintenant que ce petit génie à la fois malfaisant et plein de gen-
n'est pas l'arche maudite. C'est une aurore aus- tillesse selon son humeur. J'ai toujours un peu
trale, la première de ma vie, peut-être le plus envie de le battre quand il descend et de lui faire
grand cadeau que m'aura donné ce voyage. des baisers quand il monte.
Elle s'embellit de nouveaux rameaux, s'élargit,
monte comme une gerbe. L'un des faisceaux, de- Cent vingt-huit milles de moyenne journalière
venu presque aussi large que la main, s'élève à pour le Pacifique, contre cent quinze milles trois
plus de soixante degrés jusqu'à la Croix du Sud ans plus tôt... mais pour le moment, c'est encore
dont les quatre étoiles luisent au second plan. Tahiti-Alicante qui est devant. Et Chuchundra
D'autres rayons de lumière fluorescente se rapetis- court le plus vite possible.
sent, hésitent, sur le point de disparaître, puis
repartent au ciel avec des mouvements de balayage
extrêmement ralentis qui font penser aux longs
piquants de certains oursins bleutés lorsqu'on ap-
proche la main. Maintenant, presque tous les fais-
ceaux ont du rose et du bleu au sommet, toute la
gerbe vit comme le feu, avec la force et la douceur
du feu, au-dessus du blanc réfléchi par la banquise,
très loin dans le sud.
Une nuit...
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chaussettes de laine au fond des bottes. Ce sont les nie, en se refroidissant au contact de la terre gla-
mêmes bottes qui m'ont servi pour Tahiti-Alicante. cée. Et c'est sans doute au large qu'il est dévié à
Des bottes de paysan dont j'avais entaillé au cou- gauche par la ceinture des vents d'ouest, pour
teau les grosses semelles épaisses pour les rendre devenir vent de nord-ouest froid, contre toute rai-
antidérapantes. Elles sont devenues excellentes son apparente. Ça expliquerait ce coup de vent qui
après ce travail de patience qui m'avait demandé n'en est pas un vrai, puisque le baromètre n'est pas
une journée entière, et comme elles sont en caout- trop bas. Ça expliquerait cette mer assez régulière
chouc, sans toile, elles peuvent sécher à l'intérieur malgré la hauteur exceptionnelle des lames. Elles
et mes pieds sont au chaud. Je les préfère de loin à déferlent en grandes plaques, mais pas trop hautes,
mes vraies bottes de mer qui restent toujours pas en lourdes cascades comme elles feraient dans
moites à cause de l'entoilage. un vrai coup de vent. C'est pourquoi il y a si peu
J'enlève un gant de temps en temps et le remets d'eau sur le pont, à part les embruns glacés qui
lorsque les doigts commencent à s'engourdir dee secouent ma torpeur.
froid. Puis je retire ma cagoule de laine et la Une houle aussi haute annonce peut-être un coup
remets quand les oreilles me brûlent. Ce soir plus de vent du secteur ouest pour demain ou pour
que jamais j'éprouve le besoin viscéral de laisser après-demain. Et il faut courir très vite, essayer de
une partie de mon corps en contact direct avec rester à cheval sur la limite. Si c'est après-demain,
l'extérieur pour pressentir et tâter les choses qui je serai protégé par le Horn qui brisera la houle
vivent tout au fond de la nuit. Les yeux, les oreilles, car Joshua fera déjà cap sur les Falkland en Atlan-
les mains. Et même la nuque. Si je pouvais être tique. Mais si c'est pour demain, dans les para-
pieds nus... mais ce n'est pas possible. ges des fonds de cent mètres où l'énorme houle
Je cherche une odeur, celle des glaciers et des peut se relever comme elle fait en bordure de nos
algues de la Terre de Feu. Je respire la nuit jus- plages, alors j'espère qu'il y aura au moins un peu
qu'au fond de mes fibres, et je,sens comme des pré- de soleil avant Diego Ramirez, pour viser juste, pas
sences amies qui cherchent cette odeur avec moi. trop loin et pas trop près. En attendant... à la cra-
Mais les algues et les glaciers sont bien trop loin, vache.
plus de cent milles sur la gauche.
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vent appuie moins sur les voiles, ou bien s'il s'agit Je m'étire, je me lève. Je jette quand même' un
d'une différence de cap. Mais je ne comprends pas; coup d'oeil sur l'avant par le hublot. Je sais bien
puisque la lune est à la bonne place dans le ciel: qu'il ne peut pas être devant l'étrave... mais ça fait
Elle ne pourrait pas entrer par le hublot comme partie des choses toujours possibles en mer. Rien,
elle fait en ce moment si le cap avait changé vers la bien sûr. Et je sens la présence de cette chose colos-
côte. Le roulis dit qu'il a changé vers la côte et la sale à quinze milles sur notre gauche. Je regrette
lune dit le contraire. Je cherche qui a raison, en de n'avoir pas entendu le réveil, quand il a sonné à
tâtant avec mes sens. J'ai le temps, il n'y a pas de une heure. J'aurais modifié le cap pour passer tout
danger. S'il y avait danger, le combat de la houle près. Maintenant les jeux sont faits, le Horn est sur
avec la côte emplirait la cabine de son gronde- l'arrière du travers, nous sommes en Atlantique et
ment. Et je n'entends que le murmure de l'eau sur il ne faut pas traîner dans le coin. En ce moment,
la carène, un murmure qui sort des entrailles de c'est beau, dans douze heures ce sera peut-être très
Joshua et me dit que tout est bien malgré la dispute mauvais, mieux vaut être loin quand ce sera mau-
entre la lune et le roulis. Je ne veux pas éclairer le vais. Je me sens gai, joyeux, ému, j'ai envie de rire,
compas pour savoir, il faut que ça vienne tout seul. de plaisanter et de prier tout ensemble.
Oui, c'est bien ça, la lune a raison, et le roulis a Encore un long regard sur l'avant par le hublot,
raison, et Joshua a raison. Je n'ai pas besoin de pour les icebergs. Je ne m'en étais pas inquiété
regarder ma montre pour savoir que je n'ai pas vraiment jusqu'ici. En principe il n'y en a pas si
entendu la sonnerie de une heure. Et je n'ai pas près du Horn. Je sors la tête par le panneau pour
besoin d'éclairer le compas pour savoir que le vent mieux voir. J'aimerais qu'il y en ait un, il serait
est passé au sud-ouest et que le bateau a incliné sa comme phosphorescent sous ce clair de lune...
route de 15° environ vers le Horn. Et je sais exac- mais ensuite je ne dormirais plus pendant deux
tement où est le Horn : il est à quinze milles, juste semaines...
sous la lune, à quelques doigts près, je peux le voir L'air est froid, vent force 5 seulement. Je regarde
sans quitter ma couchette. Pas le voir vraiment, à bâbord vers le Horn. Rien. De toute manière, nous
car quinze milles sont quinze milles, même par nuit serions trop loin pour le voir. Un petit nuage sous
claire, et il y a presque toujours, même par beau la lune, et de gros nuages à sa gauche. Dommage...
temps, des nuages sur les reliefs de cette côte. Je on le verrait peut-être, même à cette distance, l'air
sais aussi que Joshua est en Atlantique depuis une est si pur.
heure environ puisque la lune a voyagé à peu près Mes oreilles commencent à picoter. Je referme le
de 10 à 15° dans l'ouest de sa méridienne et que le panneau. J'allume le réchaud, pose la bouilloire
Horn est juste dessous à quelques doigts près, ne dessus. Mes gestes sont lents, mesurés, comme s'il
l'oublions pas. ne s'était rien passé. Comme si Joshua ne venait
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pas de retrouver l'Atlantique, avec ses trois grands Le petit nuage qui était sous la lune est parti vers
caps dans le sillage. la droite. Je regarde... « Il » est là, tout près, moins
Non... pas tout à fait trois caps, la mer reste la de dix milles, juste sous la lune. Et il n'y a plus rien
mer, et il ne faut jamais l'oublier. Bonne-Espé: que le ciel et lui, le ciel qui permet à la lune de
rance a été passé pour de bon une semaine après jouer avec lui.
son point géographique, cinq cents milles plus loin. Je regarde. Je n'arrive pas à y croire. Si petit et
Leeuwin. était vraiment derrière à la seconde si grand. Un monticule pâle et tendre dans le clair
même où les deux dauphins nous ont quittés après de lune, un rocher colossal, dur comme le diamant.
le dernier danger de la Nouvelle-Zélande, à deux, Le Horn, c'est long, toute la Terre de Feu depuis
mille cinq cents milles du cap Leeuwin. Et le Horn 50° de latitude Pacifique jusqu'à 50 0 de latitude
sera dans le sillage quand les Falkland y seront Atlantique. Pourtant c'est ce rocher posé seul sur
aussi, pas avant. la mer, seul sous la lune, et qui porte toute la gran-
. Car la géographie du marin n'est pas toujours deur des glaciers, des montagnes, des canaux, des
celle du. cartographe, pour qui un cap est un cap, icebergs, des coups de vent et des belles journées
avec sa longitude et sa latitude. Pour le marin, un de la Terre de Feu, l'odeur du varech, les couleurs
grand cap représente un ensemble à la fois très de toutes les aurores australes et la sécurité inac-
simple et extrêmement compliqué de cailloux, de cessible des grands albatros aux ailes immenses
courants, de mers déferlantes et de mers belles, de qui planent au ras de l'eau sans bouger une plume,
jolies brises et de coups de vent, de joies et de peurs, dans les creux et sur les crêtes, et pour qui toutes
de fatigues, de rêves, de mains qui font mal, de choses sont égales.
ventre vide, de minutes merveilleuses et parfois de
souffrance.
Un grand cap, pour nous, ne peut pas être tra- La bouilloire m'appelle en sifflant. Je souris.
duit seulement en longitude et latitude. Un grand Peut-être bien qu'elle a sa petite âme, elle aussi,
cap a une âme, avec ses ombres et ses couleurs, depuis le temps qu'elle est avec nous.
très douces, très violentes. Une âme aussi lisse que Je descends, je me sèche bien les mains, je me
celle d'un enfant, aussi dure que celle d'un crimi- roule une cigarette et la fume lentement avec un
nel. Et c'est pour ça qu'on y va. café brûlant. Des milliers de petites choses chau-
J'enfile mes bottes pour aller faire un tour de des traversent tout mon être. Je monte un peu la
pont. La routine. La routine, mais aussi, mais sur- mèche de la lampe à pétrole et les ombres s'ani-
tout, la religion des nuits de mer, où mon bateau ment. Je monte encore un peu la mèche et mon
est la plus belle constellation. petit univers luit doucement dans la demi-pé-
nombre. Je revois mon aurore australe avec les
26 8 269
yeux du dedans, telle que je l'avais vue l'autre nuit
dans le ciel. Il paraît que c'est un phénomène ma- QUATRIÈME PARTIE
gnétique parfaitement expliqué, une histoire d'ioni-
sation de je ne sais quoi dans la stratosphère. Pour
moi, ce n'est pas mieux expliqué que le feu, la fleur
rouge et jaune et qui danse, et que Mowgli nour-
rissait des brindilles de la forêt pour qu'elle ne 18
meure jamais.
Je prends le globe du Damien et regarde longue-
ment l'immense boucle tracée depuis le départ. Rêves vrais... et faux rêves
Plymouth si près, dix mille milles à peine vers le
nord... mais partir de Plymouth pour rentrer à Ply-
mouth, c'est devenu au fil du temps comme partir
de nulle part pour aller nulle part. C'est formi- Où est Nigel ? Où est Loïck ? Où est Bill King ? Et
dable, ce petit globe que je tiens dans mes mains! Knox-Johnston ? Est-ce vraiment lui dont les trois
Et nous sommes seuls, mon bateau et moi. Seuls pêcheurs de Hobart ont entendu parler? Je n'ai de
avec la mer immense pour nous tout seuls. nouvelles de personne depuis si longtemps. Plus de
six mois sans savoir où sont les copains de la
longue route...
Le Horn est déjà à treize cents milles sur l'ar-
rière, et dans trois jours Joshua se trouvera hors de
la zone où il pourrait encore rencontrer un ice-
berg. Mais où sont les autres? C'est surtout à Nigel
que je. pense, tellement vulnérable sur son trima-
ran. Ces trucs-là, ça peut chavirer, et tu peux tou-
jours courir pour les redresser. Ça peut casser aussi.
Cinq multicoques perdus l'an dernier dans les
eaux australiennes, quinze morts, aucun rescapé.
Le temps de choisir
25 février.
Bonne-Espérance est à deux semaines, si ça
continue au rythme de ces jours derniers, trois
semaines au maximum.
Coup de vent modéré de nord-ouest et très forte
pluie dans les grains avec des volées d'embruns. Je
réussis quand même à ramasser cinquante litres
d'eau, moitié de jour, moitié de nuit, soit encore
vingt jours d'autonomie supplémentaires. Mais le
moral n'y est plus.
Je ne sais pas comment leur expliquer mon besoin
de continuer vers le Pacifique. Ils ne comprendront
pas. Je sais que j'ai raison, je le sens profondément.
Je sais exactement où je vais, même si je ne le sais
pas. Comment pourraient-ils piger ça? Pourtant,
c'est tout simple. Mais ça ne s'explique pas avec des
mots, ce serait totalement inutile d'essayer.
Le tournant
connais l'engrenage !
304 305
corps est nu sous le soleil, pourtant je ne la sens calmer la mer et permettre de virer de bord sans
pas sur la peau nue de mon genou. Elle ne pèse déranger personne.
aucun poids perceptible. Le soleil est monté jusqu'à la méridienne. Il a
passé la méridienne, et je n'ai toujours pas bougé.
Maintenant, ma mouette dort sur mon genou.
Lentement, j'approche la main. Elle me regarde Je la connais depuis longtemps. C'est la Goélette
en se lissant les plumes. J'approche encore la Blanche, elle vit sur toutes les 11es où le soleil est le
main. Elle cesse de lisser ses plumes et me regarde dieu des hommes. Elle part en mer le matin et
sans crainte. Et ses yeux semblent me parler. regagne toujours son Ile le soir. Alors, il suffit de la
J'approche encore un peu la main... et je com- suivre. Et elle est venue m'avertir à plus de sept
mence à lui caresser doucement le dos, tout dou- cents milles aujourd'hui, pourtant elle ne s'éloigne
pas à plus de trente ou quarante milles d'habitude.
cement, comme ça. Alors elle me parle, et je
Je l'avais cherchée en vain dans l'océan Indien
comprends à ce moment-là que ce n'est pas un
miracle mais une chose tout à fait naturelle. Et elle pendant que Marie-Thérèse courait vers les récifs.
Et j'avais perdu mon bateau dans la nuit.
me raconte l'histoire du Beau Voilier chargé d'êtres
La vérité, c'est que je dormais l'après-midi dans
humains. Des centaines de millions d'êtres humains.
le confort de ma cabine quand la Goélette Blanche
Au départ, il s'agissait d'un long voyage d'explo- voulait me montrer l'Ile cachée derrière ses récifs.
ration. Ces hommes voulaient savoir d'où ils ve- Alors elle se réveille et me raconte encore le
naient, où ils allaient. Mais ils ont complètement Beau Voilier où bon nombre d'hommes sont restés
oublié pourquoi ils sont sur ce bateau. Alors, peu à des marins. Ceux-là ne portent pas de gants, pour
peu, ils ont engraissé, ils sont devenus des passa- mieux sentir la vie des cordages et des voiles, ils
gers exigeants, la vie de la mer et du bateau ne les marchent pieds nus et conservent le contact avec
intéresse plus. Ce qui les intéresse, c'est leur petit leur bateau si grand, si beau, si haut, dont les mâts
confort. Ils ont accepté de devenir médiocres, et arrivent jusqu'au ciel tout là-haut. Ils parlent peu,
lorsqu'ils disent : « C'est la vie », ils acceptent de se observent le temps, lisent dans les étoiles et dans le
résigner à la veulerie. vol des mouettes, reconnaissent les signes que leur
Le capitaine s'est résigné, lui aussi, parce qu'il a font les dauphins. Et ils savent que leur Beau Voi-
peur d'indisposer ses passagers en virant de bord lier court à la catastrophe.
pour éviter les récifs inconnus qu'il perçoit du fond Mais ils n'ont pas accès à la barre ni aux
de son instinct. La visibilité baisse, le vent aug- cabillots, tas de va-nu-pieds tenus à longueur de
mente, le Beau Voilier continue au même cap. Le gaffe. On leur cuit qu'ils sentent mauvais, on leur
capitaine espère qu'un miracle se produira pour dit d'aller se laver. Et plusieurs ont été pendus
306 307
pour avoir tenté de border les écoutes des voiles près quand le vent a molli. Puis du calme encore,
d'arrière et choquer celles des voiles d'avant afin et des petites brises. Très souvent le soleil se cou-
de modifier au moins un peu le cap. chera rouge.
Le capitaine attend le miracle, entre le bar et le J'ai longuement bavardé avec mes amis. Plusieurs
salon. Il a raison de croire aux miracles... mais il a' minicassettes pleines de choses. De toutes les cho-
oublié qu'un miracle ne peut naître que si les ses. Le bon et le mauvais, les coups de vent, les
hommes le créent eux-mêmes, en y mettant leur soleils couchants, les mouettes, les dauphins, le
propre substance. Horn, la solitude, l'amour aussi. Les choses sim-
ples de la mer où j'englobe tous les hommes, où je
refuse tout en bloc. Sans renier l'homme.
Encore deux jours peut-être, et nous serons
devant le port de Capetown, avec la montagne de
la Table toute droite au-dessus de nous. J'écoute la
note qui chante sur l'étrave. Une autre note gronde
en sourdine, à cause de la très légère houle de sud-
est qui subsiste du dernier coup de vent. Je
n'écoute pas la note qui gronde, j'entends seule-
ment celle qui chante comme un ruisseau clair en
coulant le long de l'étrave, c'est la plus belle et la
plus vraie, j'ai choisi la meilleure part.
C'est un été prodigieux pour ces latitudes, j'ai town annonce du brouillard pour la nuit. En
toutes les chances dans ma main depuis le départ, attendant, le ciel est d'une limpidité absolue, avec
tous les miracles ensemble, et je rêve ma vie dans ce vent léger du sud-sud-est sur le point de tomber
la lumière du ciel en écoutant la mer. Cela fait des complètement. Je sens qu'il passera au nord-ouest
mois et des mois que je rêve ma vie, pourtant je la léger dans la nuit, et le brouillard viendra alors.
vis vraiment. Cormorans et fous de Bassan convergent vers la
Pendant dix jours la brise restera faible, avec des terre. Ils auront rejoint leurs nids au coucher du
calmes parfois prolongés à part un coup de vent soleil pour donner la becquée aux petits. Je songe
modéré de sud-est pris à la cape d'abord, puis au à mes enfants. Je sais qu'ils comprendront. Fran-
308 309
çoise aussi. Et je suis là, tout seul, avec la grande cieuses. Certains étaient épargnés. Ils ne savaient
paix tendre et chaude. Et toute l'humanité est là, pas pourquoi. Personne ne savait pourquoi. Ceux-
amicale, dans la cabine où la petite lampe est déjà là, les Indiens les laissaient partir avec les four-
allumée. rures précieuses qu'ils étaient venus chercher au
Tout est en ordre. Je sens une grande paix, une coeur de la forêt profonde. Alors les gens parlaient
grande force en moi. Je suis libre. Libre comme je de miracle ou de trahison.
n'ai jamais été. Uni à tous pourtant, mais seul en Eux ne disaient rien. Ils avaient appris le silence
face du destin. en écoutant les signes magiques sur les pistes secrè-
C'est l'aube. Le brouillard s'est dissipé. Les mai- tes. Pourtant ils avaient parfois peur d'aller trop
sons de Capetown sont bien visibles, très proches loin. Et leur pas souple et silencieux les conduisait
et si lointaines. De grandes bouffées chaudes tra- toujours plus loin au coeur profond de la forêt.
versent la baie, venues de tous ces foyers. Puis c'est
le froid, l'indifférence... puis la chaleur encore. Bien sûr, je vais continuer vers le Pacifique. Je
Comme des vagues. ne me souviens plus qui disait : « Il y a deux choses
Je referme le jerrican en plastique. Dedans, j'ai
mis les minicassettes, dix bobines de film couleur
terribles pour un homme: n'avoir pas réalisé son
31 2 313
21
Écoute, Joshua...
Le temps de choisir
(deuxième partie)
33 2
23
Le tournant
(deuxième partie)
342
Appendice
sans faire le moindre bruit, ques fautes de l'équipage. B. Lorsqu'une voile se déchire,
c est presque toujours à cause
sans qu'on l'entende écarter Outre la qualité adéquate d'un violent faseyage qui l'ouvre
les fibres. Mais si le tissu est de tergal, un jeu de voiles dure en deux le long d'une couture, en
beaucoup plus longtemps avec
partant de la chute. Les coutures
déjà «un peu raide» avant placées le plus haut sont les plus
même d'avoir été transformé trois ou même quatre cou- exposées, car c'est le haut- de la
en voile, si on peut entendre tures, et si des renforts sont voile qui fouette le plus fort pen-
dant un virement de bord par
passer l'aiguille... alors, il y a placés aux points faibles. Les vent frais, ou quand on amène la
de fortes chances pour que ce croquis suivants indiquent ce voilure. (Voir détail pour la ma-
nière dont sont cousus ces pla-
tissu ne corresponde pas à nos que j'entends par là. Ils ont cards de renfort.)
critères, car nous faisons pas- été publiés dans la revue Ba-
ser la durée bien avant le teaux avant le départ. J'y ai d'écoute des ris sont soumis à de
C. Les renforts aux points
dixième de naeud supplémen- apporté quelques modifica- très gros efforts. Il convient donc
35 2 353
Placards A lors d'une diminution de
voilure.
La voile est au premier ris. A mesure
que l'on réduit la toile, le hauban ne
frotte plus au même endroit sur les
placards de protection. Si l'on prenait
encore un ris, ces placards seraient
tout juste assez longs pour protéger les
coutures.
Le hauban n'a pas changé de posi-
tion, mais sa position apparente n'est
plus la même par rapport aux pla-
cards protégeant les coutures.
N.-B. - A noter, en passant, que les
bandes de ris doivent être tracées un
peu en montant, du côté de la chute, Renforts des points d'écoute et points de bosses de ris. (Détail de C.)
afin de relever le bout de bôme: plus il
y a de vent, plus la mer grossit. Il faut P. Points de déchirure fatale parce que: Il y a 7 épaisseurs de renforts au
donc que l'extrémité de la bôme soit 1. Les épaisseurs de renfort sont insuf- total.
plus haute que par beau temps, afin fisantes (deux épaisseurs seulement). Les ails-de-pie supplémentaires ré-
de ne pas risquer de plonger dans la 2. Les deux cils-de pie encaissent tout partissent l'effort de traction de la
mer pendant un coup de roulis aux al- l'effort de la cosse sans être secondés cosse sur tous les renforts du point
lures portantes. par d'autres ceils-de-pie, situés judi- d'écoute ou du point de ris, côté
cieusement plus en avant, pour aider à écoute (qui est l'endroit où les trac-
répartir l'effort total. La déchirure se tions sont les plus fortes, et les déchi-
produira donc contre l'ceil-de-pie. rures les plus à craindre).
35 4 355
Chemin de fer Poulies
Que ce soit pour entrer L'huile de moteur deux temps Avant le départ, les poulies « poulies havraises », avec réas
dans un port ou pour amener me convient aussi, mais son d'écoute et de drisse avaient en nylon, pouvant recevoir
la toile dans un vent frais, il effet n'est pas aussi durable tenu 35 000 milles avec leurs sans friction, contre les joues
est indispensable que celle-ci que celui de la vaseline. réas et leurs axes d'origine. de bois, un cordage de dia-
descende facilement. Un che- Les coulisseaux de Joshua J'ai donc utilisé des poulies mètre 14 à 16 mm. Elles sont
min de fer bien lubrifié faci- font partie du type « à large du même type, mais neuves, solides et ne coûtent pas cher
lite les choses. Autrefois j'uti- boucle » représenté à gauche pour ce voyage. Il s'agit de en comparaison des poulies
lisais le suif. Mais il tend à sur le croquis ci-dessous. Ce- poulies très classiques dites modernes.
gommer après un mois ou lui qui est dessiné à droite, du
deux. La vaseline en tube m'a type à trou central a toujours
donné d'excellents résultats. tendance à coincer. Cordages. Usure
réa). Il est important que les Ce principe de l'huile pour Pour la croisière, lointaine précieuses. Elles ont été mises
drisses d'acier passent dans les cordages, c'est Henry Wa- ou proche, on peut être obligé au point par Guy Raulin, un
un réa de grand diamètre, kelam qui en avait eu l'idée, de monter changer une drisse copain de bateau, avec du fer
afin de ne pas donner une en constatant la résistance à ou une poulie, là-haut. On à béton de diamètre 6 mm.
trop forte courbure à la drisse l'usure d'une amarre en ny- peut aussi avoir besoin de Une fausse barre de flèche
inox. En effet, l'inox est beau- lon pleine de mazout ramas- jeter un coup d'ceil pour cher- placée à environ un mètre du
coup plus sujet à la cristalli- sée dans un port. cher un phare, pour observer sommet du grand mât me
sation que ne l'est l'acier J'ai entendu dire que les l'entrée d'une passe ou d'un permet de m'y asseoir pour
galvanisé, les torons de l'inox corps gras nuisent à la soli- port. Les poignées que j'ai travailler commodément.
fatiguent et cassent si le dia- dité des cordages synthéti- vissées en quinconce sur le (Remplacer une poulie par
mètre du réa n'est pas le plus ques. Mais le facteur «résis- grand mât et l'artimon sont exemple.)
grand possible. tance à la traction » n'entre pas
Pour en finir avec les pro- vraiment en ligne de compte
blèmes d'usure de cordage, en regard des problèmes sou-
j'ai eu d'excellents résultats levés par l'usure et le ragage.
en imbibant d'huile mes bos- Peut-être des fabricants de
ses de ris au portage des cos- cordages ont-ils fait des essais
ses. Les bosses tergal ne dans cette direction: qu'im-
faisant que 10 mm de dia- porterait par exemple qu'une
mètre pour la grand-voile et écoute traitée contre le ra-
8 mm pour l'artimon, l'usure gage supporte une charge de
est rapide dans les cosses des rupture de 1 500 kilos seule-
points de ris, sur la chute de ment au lieu de 1 700 kilos Vues de plan, coupe et profil.
la voile qui est toujours en pour une écoute de même
mouvement. Une fois imbibé diamètre non traitée? Ce que
d'huile (j'avais emporté un demandent les gars qui par-
bidon d'huile), le nylon cordé tent en croisière, c'est que le
résistait infiniment mieux. matériel dure longtemps, car A. Fausse barre de flèche
J'ai dû remplacer deux fois il coûte cher et pèse lourd. pour s'asseoir.
35 8 359
serre-câbles. Je préfère trois faire souffrir le hauban pro-
serre-câbles à une épissure prement dit.
pour l'inox, car l'inox tend à
cristalliser, à fatiguer, puis Cosses
peut devenir cassant, surtout
Système Inaé de Gérard Borg.
On atteint la barre de flèche par les enflé- Que l'on emploie des serre-
chures sur les haubans, et de là les pieds pren- lorsqu'il s'agit de câble raide câbles ou des épissures, les
nent appui sur des cales en bois vissées en employé pour le haubanage. cosses habituelles ne sont pas
Lors qu'on utilise les serre-
quinconce sur le mât.
étudiées pour l'inox. En effet,
câbles, le premier (celui qui l'inox est fragile à la pliure, et
est le plus près de la cosse) les cosses courantes ont un
doit être serré modérément, rayon de courbure trop fai-
le second serré plus fort, et le ble, le câble souffre, tend à se
troisième bien serré. Ceci cristalliser. C'est ainsi qu'un
pour ne pas faire souffrir le hauban neuf a cassé à l'arti-
câble dès sa sortie de la cosse. mon, juste sous la cosse, à la
Je place toujours la partie en pliure maximale (voir cro-
U du serre-câble contre le quis). Avec du câble galva, ce
brin « non travaillant » du hau- problème n'existe pas, car le
Mâture, haubans, ridoirs ban. (Voir croquis). En effet, galva ne fatigue pas et sup-
cette pièce en U pourrait porte un rayon de courbure
Les mâts de Joshua sont grand mât, et de 10 mm pour
des poteaux pleins, de section l'artimon. En effet, l'artimon
légèrement ovale, taillés à ne peut pas avoir d'étai avant
l'herminette et au rabot. Ce ni de patara fixe à l'arrière, et
A. Petite cosse: rupture possible du
sont des poteaux, par me- je préfère ne pas utiliser de câble inox par cristallisation sous la
sure d'économie, car des mâts marocain (câble reliant le cosse.
creux collés seraient plus lé- sommet des deux mâts, par- B. Grande cosse: pas de cristallisa-
tion du métal.
gers, et peut-être aussi solides fois employé sur les ketchs). La partie en U du serre-câble doit
tout en faisant supporter des Avec un marocain, si un mât être toujours placée sur le «dor-
mant» du câble.
effort moins grands sur le descend, l'autre descend aussi,
haubanage. (Dans les coups presque à coup sûr. L'artimon
de tangage, la force d'inertie étant alors mal tenu sur l'avant
d'un mât lourd provoque de et sur l'arrière, j'ai donc pré-
plus grands efforts sur le hau- féré y mettre des haubans sur-
banage.) dimensionnés, d'autant que ce
Les haubans sont en acier mât pèse lourd. Pas d'épis-
inox de 8 et 10 mm pour le sures pour mes haubans : des
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beaucoup plus faible que qui font le tour du mât, avec
l'inox. De bonnes cosses pour un très grand rayon de pliure,
inox devraient être très gran- cela ne donne aucune fatigue
des: je verrais facilement sept à cet endroit-là.
centimètres de large et dix à Je saisis cette 'occasion pour
douze centimètres de haut. rappeler le processus mental
Quant au système du type qui nous guide tous en croi-
cosse: on rattrape la longueur avec une petite longueur
«aviation», où le hauban est sière : entre une chose simple
Réparation d'un hauban cassé à la hauteur de la
de chaîne.
serti directement à l'extré- et une chose compliquée, on
mité du ridoir, sans aucun choisit la chose simple, parce
pliage, je m'en méfie d'ins- qu'elle est bon marché, parce
tinct. Certes, ça ne glissera ja- qu'elle est plus rapide à faire,
mais... mais si le hauban inox parce qu'on peut réparer avec
fatigue peu à peu, il cassera les moyens du bord, dans un
sans prévenir, au ras du ser- coin perdu ou en mer, sans
tissage. Le yacht Solo, en es- problèmes, sans frais, sans
second passage de l'océan d'un mélange de suif-céruse
cale à Tahiti, m'a montré avoir besoin d'écrire en Aus-
Indien et du Pacifique. dans la proportion de 50 %
deux haubans de 11 à 12 mm tralie ou en Europe pour re-
Si le montage de ces barres suif et 50 % céruse. J'ai vu des
qui avaient cassé juste à l'en- cevoir des pièces_ de rechan-
de flèche avait été fait avec ridoirs ainsi protégés se des-
trée du ridoir, après trente ge. Cela permet de naviguer
des ferrures, selon le principeserrer à la main après 8 ans.
mille milles de navigation. avec la paix de l'esprit, d'aller
de la rigidité, je suis certainMême traitement au suif-
Avec une cosse, on voit ce qui où on veut et comme on veut,
que Joshua se serait arrêté céruse pour les manilles.
se passe, on pourra voir quel- en sécurité. En attendant, il
avant Tahiti, et probablement Ne pas oublier une manille
ques brins qui commencent à faudra que je trouve de bon-
à la suite de l'abordage, avantde liaison entre la cadène et
lâcher sous la cosse, on sera nes cosses... ou que je les
le ridoir, cela fait « cardan » et
averti, on pourra commencer fabrique moi-même, taillées même le premier passage de
empêche la tige du ridoir de
à se méfier et à réfléchir pour dans la masse. Bonne-Espérance.
se tordre dans certains cas.
trouver une parade. Ma pa- Non seulement le montage
Cette précaution de la «ma-
rade consiste à raccourcir le Barres de flèche souple est très sûr à mon avis,
nille-cardan» est indispen-
hauban, côté ridoir, à mettre Sur Joshua, elles sont mon- mais en plus il est tout simple
sable pour les ridoirs tenant
une autre cosse sur la par- tées sur le principe de la sou- à installer, bon marché, vite
les drailles de foc et de trin-
tie qui n'a pas souffert de la plesse. Ces barres de flèche fait, sans ferrures (voir cro-
quette, sans quoi ces ridoirs
pliure, et à rattraper la lon- ont tenu bon un abordage quis). casseraient un jour ou l'autre
gueur avec un bout de chaîne avant le premier passage de à cause des torsions subies
(voir croquis). Quant au côté Bonne-Espérance, puis cinq Ridoirs continuellement, tantôt sur
mât du hauban, pas d'ennuis knock-down mâts dans l'eau, Je suis toujours partisan bâbord, tantôt sur tribord,
là-haut, ce sont des capelages dont quatre très sérieux au des ridoirs galvanisés bourrés sous l'effet de voiles d'avant.
36 2 363
En route
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d'abord sur la bosse côté bord ou tribord de la bosse.
écoute, puis de s'occuper en- Cela permet de se tenir tou-
suite de la bosse côté amure. jours du côté au vent de la
Sans violon, c'est le contrai- bôme, beaucoup plus sain par
re, on est obligé de s'occuper mauvais temps : on voit venir
en premier de la bosse côté les déferlantes et on ne risque
amure. pas d'être surpris par un
Il me fallait une minute au coup de roulis, qui, si on était
maximum pour prendre un sous le vent de la bôme, pour-
ris à l'artimon, et deux mi- rait nous envoyer à la mer. Le
nutes environ pour la grand- harnais est là bien entendu
voile. Inutile de lofer, ça vient mais ce n'est pas une raison.
tout seul, même au vent ar- Un petit winch placé de
rière. Mes violons étant à chaque côté de la bôme de
double effet, je pouvais me grand-voile permet de mieux
tenir toujours du côté au vent raidir la bosse de chute et de
de la bôme pour tirer sur les gagner ainsi du temps, car les
bosses. Cela simplifie énormé- derniers centimètres sont im-
ment la prise des ris. Ce détail portants, ce sont eux qui font
est très important. Il suffit la différence entre une voile
bien établie et un sac. Quant Système de violons de ris prêt à fonctionner.
pour cela d'avoir un taquet de
chaque côté de la bôme pour à la bosse côté amure, pas be- Le côté tribord de la bosse est indiqué en pointillé sur sa partie verticale der-
rière la voile. La suite de cette bosse, qui va le long de la bôme du côté caché,
la même bosse (donc pour le soin de winch pour elle, n'est pas représentée sur ce croquis. Il y a donc un winch et des taquets sur
même ris). Ainsi, la bosse puisqu'on étarque ensuite la la bôme. De même de l'autre côté.
36 6 367
Pour larguer un no ud plat souqué sur un petit cordage.
Surfaces de voilures
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Hautes latitudes (brise fraîche):
Dans l Alizé:
Grand-voile à un ris: 18 m 2,
Grand-voile: 35 m 2 avec 3 ban- Artimon à un ris: 12 m 2,
des de ris, Trinquette à un ris: 12 m 2 ,
Artimon: 20 m 2 avec 3 bandes de Foc à un ris. Mais par la suite
ris, je préférais prendre le ris dans
Trinquette: 18 m2 avec 3 bandes le foc de 15 m 2 et attendre que
de ris, ça fraîchisse encore pour l'ame-
Grand foc: 22 m 2 ou petit gé- ner et envoyer le tourmentin à
nois: 35 m 2. la place.
370 371
c'est un mélange Challenge- aucun intermédiaire mécani-
gouvernail additif que, barre du gouvernail prin-
comme pour Challenge et gi- cipal restant libre), mais son
Joshua :
Hautes latitudes (grosse brise ou
37 4 375
La girouette est fixe La girouette est orienta-
car la bôme d'artimon ble en position haute ou
Contrepoids basse à cause du passage
en plomb coulé passe juste au-dessus
,
de la bôme d'artimon.
dans une boite Par grosse mer, vent de
de lait condensé
travers, elle risque moins
de toucher l'eau en posi-
tion haute.
fletner en acier
piège de cordages
dans les ports
et à lignes de vaine
en mer
37 6 377
Correction de la barre avec
Ici le principe est bon, le pivot de la gi- la roue sur Ophélie et Jo-
rouette se trouvant à la jonction des shua, permettant de bran-
axes « fletner-gouvernail ». cher ou de libérer instanta-
Henri Amel me pardonnera un si mau- nément.
vais croquis de son bateau... Julio était
parti, j'ai dû dessiner de mémoire...
N.-B. Les ferrures supportant le gouver-
nail additif étaient réalisées beaucoup
plus solidement que sur ce croquis.
Hautes latitudes
Le voyage total a repré- restée relativement tranquille
senté trente-sept mille quatre et souvent même très belle
cent cinquante cinq milles en- cette fois-ci, pendant plus d'un
tre les points de midi, en dix tour du monde complet : été
mois. Cela fait environ vingt- exceptionnel sans doute. Et
neuf mille milles dans la zone c'est seulement au second pas-
mal famée des vents d'ouest, sage de l'océan Indien et du
pendant huit mois consécu- Pacifique qu'elle est devenue
tifs. A titre de comparaison, dangereuse en permanence
n'était resté qu'un pendant près de deux mois,
mois et demi (du 10 décem- avec l'approche de l'hiver.
Joshua
37 8 379
passée. La seconde dépres- la mer, un peu à la façon d'un
sion a ensuite formé des la- ski, ou comme la face bombée
mes extrêmement hautes, de d'une cuiller. Cela empêchait
secteur ouest, sur lesquelles l'étrave d'engager dans une
Joshua, à sec de toile, tentait houle secondaire. (Voir cro-
de partir en surf. Il risquait quis.)
alors de se planter dans la Tahiti-Alicante n'avait subi
houle secondaire de Sud-Est qu'un seul knock-down, mâts
envoyée par la première dé- à peine un peu plus bas que
pression. Et Joshua aurait l'horizontale, et cela malgré
sanci dans ce coup de vent si des conditions générales net-
nous n'avions pas barré en tement plus dures en moyen-
prenant la lame d'ouest à 15 ne que pendant la longue
ou 200 sur bâbord de l'ar- route.
rière. Cette manceuvre avait Pour la longue route, il
un double effet n'y a eu aucun coup de vent
1° - En attaquant nette- fantastique du genre Tahiti-
ment de biais_ les lames se- Alicante, en revanche trois
condaires de Sud-Est mélan- knock-down mâts à l'horizon-
gées à une mer confuse ve- tale ou un peu plus bas que
nant d'un peu partout, le ris- l'horizontale, et quatre autres
que de percuter un de ces knock-down sérieux, bien
mamelons était un peu dimi- plus bas que l'horizontale,
nué. (En percutant de face et avec la quille à 30° et même
dans un coup de surf un de une fois à 40° probablement
ces mamelons de la taille au-dessus de l'eau. Ces quatre
d'un gros tas de sable, Joshua derniers knock-down ont eu
aurait sanci. Cela avait failli lieu au second passage de
Coup de vent de Tahiti-Alicante.
lui arriver avant d'adopter l'océan Indien et du Paci-
En position A, Joshua risquait de sancir en percutant avec houle secondaire
de S.-E. cette manoeuvre.) fique. Les deux premiers de
En position B, Joshua reçoit la houle principale d'Ouest à 15 ou 20° sur bâ- 2° - Le fait de recevoir les cette dernière série se sont
bord. Il fait donc un cap 70 à 75°, ce qui lui permet de ne pas buter directe- lames principales à 15 ou 20° produits à dix ou douze jours
ment de l'étrave dans les houles secondaires de S.-E. D'autre part, le risque
de partir en surf est moins grand en position B. Moins on surfe, moins il y a sur le quart bâbord arrière d'intervalle, dans l'océan In-
de danger de sancir. donnait un coup de gîte lors- dien, à cause de la trop grande
que le bateau dévalait la vitesse du bateau pour la mer
pente. Alors, la joue tribord très escarpée qu'il y avait à ce
de l'étrave prenait appui sur moment-là.
38 0 381
Les deux derniers, dans le Lorsqu'il est allé au tapis, rouette a remis le bateau sur Ion l'escarpement des lames.
Pacifique ont été provoqués je suis certain que ce n'était son cap, mais j'ai senti avec Ce seuil dépend du bateau
par des déferlantes erratiques. pas à cause d'une déferlante, une grande netteté qu'il ne et de la mer. Au-dessous de
Dans tous ces cas, Joshua j'aurais reconnu le bruit et s'en était pas fallu de beau- 6 noeuds (et plutôt 5 noeuds
était en route sous voilure ré- senti le choc amorti. Là, rien coup pour aller plus loin. que 6), Joshua est générale-
duite, à plus de 6 noyuds. de cela, le bateau s'est cou- Lorsque la mer est escar- ment en sécurité. Il est proba-
C'est de ces quatre knock- ché, des tas d'objets ont valsé. pée, je crois maintenant pré- ble qu'un bateau à quille lon-
down que je vais parler main- Je ne comprenais pas com- férable de réduire nettement gue est moins enclin à lofer
tenant. Les deux premiers ment c'était arrivé. la vitesse sous pilotage auto- dans ces conditions qu'un ba-
s'appelleront Océan Indien et La seconde fois, dix à douze matique, en portant le moins teau de même taille à quille
les deux seconds Pacifique. jours plus tard, même phéno- de toile possible : juste assez courte. Mais plus j'en vois, plus
Le bateau s'est toujours re- mène. Là, Joshua allait peut- pour que le gouvernail ré- j'en apprends, plus je mesure
dressé en deux ou trois secon- être un peu plus vite, à la fin ponde immédiatement, mais à quel point j'en sais peu, à
des, ce qui est normal pour d'un autre coup de vent, avant
limiter les risques de partir quel point tout peut changer
tous les bateaux à quille les- la longitude du cap Leeuwin. en survitesse sur une lame es- selon la mer et le bateau. La
tée. Toujours aucun bruit de dé- carpée, car si le bateau lofe à mer restera toujours la gran-
ferlante. Je ne comprenais la faveur d'une embardée, de inconnue. Elle est parfois
Océan Indien pas. avec une bonne gîte en plus, énorme sans être trop vicieu-
Les deux knock-down se Quelques jours plus tard, je cela peut devenir grave pour se. Moins énorme une semai-
sont produits de nuit, par coup pense avoir trouvé la répon- la mâture. ne ou un mois plus tard, elle
de vent de l'arrière. J'étais se; j'étais sur le pont, vent A noter que le bateau ne peut devenir très dangereuse
dans ma couchette et ne dor- force 6 à 7, plein arrière, pe- peut partir en survitesse sur à cause de quelques houles
mais pas. C'est ce qui se passe tite voilure, mer très escarpée, une pente qu'à condition croisées, ou d'un autre fac-
en général lorsque quelque vitesse 6 1/2 à 7 noeuds, sil- d'avoir déjà une certaine vi- teur imprévu ou totalement
chose flotte dans l'air: on est lage sinueux à cause des em- tesse : une planche flottant nouveau. Celui qui peut écri-
là, dans la couchette, pas bardées. Brusquement, le ba- dans de très grosses lames res- re un livre vraiment bon sur
vraiment tendu, mais dans une teau a accéléré sur la face tera à la même place. Mais si la mer n'est sans doute pas
sorte d'expectative. Le corps avant d'une lame, et il a lofé on la pousse un peu en avant, encore né, ou bien il est déjà
se repose tandis que l'esprit en prenant une bonne gîte. Le juste au bon moment, elle gâteux, car . il faudrait navi-
se promène sur le pont, ob- pont sous le vent s'est engagé pourra partir en surf. Un ba- guer cent ans pour la con-
serve, compare, pèse le vent dans l'eau (15 à 20 cm sous teau n'étant pas conçu comme naître assez bien. Pourtant le
et la mer. La première fois, l'eau) et j'ai très nettement une planche de surf, il pourra livre d'Adlard Coles, Naviga-
Joshua courait vent arrière à senti le coup de frein, en continuer à faire route sans tion par gros temps, est une
6 noeuds sous petit foc de même temps que la gîte s'ac- risquer de . partir en sur- réussite parce qu'il n'affirme
7 m 2 et petite trinquette de centuait. Rien ne s'est pro- vitesse, à condition de ne pas rien d'une manière péremp-
5 m 2 , grand-voile et artimon duit, la gîte n'avait pas excédé dépasser un certain seuil de toire et présente de nom-
amenés. une trentaine de degrés, la gi- vitesse moyenne, variable se- breux faits en laissant à
38 2 383
chacun le soin de juger et de en principe toujours au Nord mon Est, pour ne pas trop me
de la trajectoire, puisqu'on rapprocher de la trajectoire.
Knock-down du Pacifique
faire la balance avec ses pro- Aucun des coups de vent de
pres observations. descend rarement plus bas 5 La dépression continue à
la longue route n'a excédé
Par exemple, je disais tran- que le 43e parallèle, sauf au se déplacer vers l'Est. Elle
trente-six heures. Il s'agissait
quillement un peu plus haut passage du Horn. se trouve donc bientôt plein
chaque fois d'une dépression
qu'un bateau à quille lestée se 3 Plus on est loin du cen- Sud par rapport au bateau, et
isolée. Lorsqu'elle était pas-
redresse forcément en quel- tre, moins le coup de vent est plus près qu'avant, malgré
sée, il pouvait en venir une
ques secondes, une fois cha- violent. L'approche d'une dé- ma route qui tendait à m'en
autre, mais avec un délai suf-
viré. C'est faux: je viens pression est annoncée par la éloigner dans la mesure du
fisant pour que Joshua ne se
d'apprendre que le Damien baisse barométrique ou par possible. Mais je suis quand
trouve pas dans le champ
est resté cinq minutes quille en l'énervement de l'aiguille : on même un peu moins près du
d'action de deux dépressions
l'air aux environs du soixan- sent qu'il va se passer quel- centre que si j'avais continué
à la fois, comme cela s'était
tième parallèle Sud, à la suite que chose 1 . Alors, je mets un exactement vers l'Est depuis
produit pendant Tahiti-Ali-
d'une déferlante. Et le Da- peu de Nord dans mon Est hier ou depuis deux jours.
cante.
mien aurait sans doute con- pour garder le plus de dis- Maintenant que le centre
Je vais parler de ces coups
servé cette position désespé- tance possible avec le centre se trouve plein Sud, le vent
de vent en général, dire ce
rée jusqu'au jugement der- de la dépression. Mettre un souffle très fort de l'Ouest et
que j'en sais, ce que je vois, ce
nier si une autre déferlante peu de Nord dans mon Est la houle principale d'Ouest,
que je sens, ce que je fais ha-
n'était venue frapper la ca- veut dire faire route au 75 ou qui fait le tour du monde
bituellement en gros. D'abord,
rène pour provoquer l'amor- 80. depuis le commencement des
une vue d'ensemble sur un
ce du redressement. Une coup de vent habituel. 4 La dépression approche. âges, grossit énormément. De
quille à 900 vers le ciel ne 1 Les dépressions des hau- Elle n'est plus très loin dans plus, la houle de Nord-Ouest
peut donc pas redresser le ba- tes latitudes se déplacent le Sud-Ouest. Le vent qui levée par la.première phase
teau. Il lui faut un certain d'Ouest en Est. Dans l'hémi- était peut-être hésitant du du coup de vent (il soufflait
angle avec la verticale avant secteur Nord, passe au Nord- de Nord-Ouest avant de pas-
sphère Sud, le vent tourne au-
que le bras de levier devienne Ouest en fraîchissant. Puis il ser à l'Ouest) croise la grosse
tour du centre dans le sens
opérant. La même aventure souffle en coup de vent après houle d'Ouest. Cela provoque
des aiguilles d'une montre.
était arrivée au Sea Queen de La vitesse de translation du quelques heures. La mer gros- des déferlements parfois énor-
Voss : la quille était restée en centre dépressionnaire vers sit mais elle n'est pas dan- mes. C'est là que le danger
l'air une trentaine de secon- l' Est varie entre dix et vingt gereuse pour un bateau de commence vraiment : longs
des, si mes souvenirs sont 12 mètres et je tâche de main- déferlements d'Ouest de la
nceuds. Cette vitesse devient
bons... mais je croyais qu'il souvent beaucoup plus gran- tenir un peu de Nord dans houle principale, et, en plus,
s'agissait là d'un hasard telle- de dans les parages du Horn.
1. Le petit livre illustré d'Alan WATTS, Instant WeatherForecas-
ment impossible, qu'il ne se 2 La plupart de ces dépres- ting, m'a énormément aidé à sentir plus vite, par l'observation
produirait jamais plus dans sions circulent au Sud du 50e des nuages annonciateurs. A mon avis, c'est un chef-d'ceuvre. Ce
toute l'histoire de la voile. parallèle. Un petit voilier de livre m'a aussi permis de ne pas me faire de souci quand cela
nos tailles se trouvera donc n'en valait pas la peine.
38 4 385
déferlantes de Nord-Ouest. Ouest, et c'est de là qu'il droite (60 milles environ), Mais le dernier knock-
Ces déferlantes de Nord-Ouest souffle le plus fort en général. quand le coup de vent est down a été encore plus sé-
sont souvent très puissantes, Le ciel est devenu clair et la passé dans sa phase Ouest. Je vère, sur 34° Sud, à peine
et il leur arrive fréquemment mer très grosse, parfois énor- ne pouvais donc plus modi- deux semaines avant Tahiti.
de changer un peu de direc- me. Ça dure en général quel- fier le cap sans prendre un Et là, c'était entièrement ma
tion pendant le déferlement, ques heures seulement, trois gros risque avec les récifs, faute : étant donné la latitude
et de frapper presque du heures, six heures, huit heu- d'autant que la mer était trop très modérée, je croyais qu'il
Nord-Nord-Ouest. C'est pour- res ou plus, cela dépend de sa dangereuse pour me per- s'agissait d'un coup de vent
quoi, lorsque le coup de vent vitesse de déplacement, de sa mettre de sortir avec le sex- d'adieu, juste pour le prin-
passe à la phase Ouest, je pré- puissance, d'un tas de choses. tant et je n'étais donc pas très cipe. Je n'avais donc pas mo-
fère corriger le cap et faire de Là, il ne serait pas prudent de sûr de ma position. Cela se difié le cap lorsque le coup de
l' Est-Sud-Est, afin de ne pas n'avoir pas, déjà changé passait sur le 44e ou 45e pa- vent est passé dans sa phase
risquer de me faire rouler par l'amure pour mettre nette- rallèle, et j'étais très pressé de Ouest, pressé de rejoindre
une de ces déferlantes erra- ment un peu de Sud dans gagner des latitudes plus clé- l'Alizé. Et Joshua, continuant
tiques venues du Nord-Ouest. mon Est, car si la houle rési- mentes, ayant passé la Nou- sa route vers le Nord-Est,
Lorsque la phase Nord- duelle de Nord-Ouest est im- velle-Zélande au Sud du 49e s'est retrouvé avec la quille à
ouest du coup de vent est res- portante, les déferlements er- parallèle quelques jours plus au moins 40° au-dessus de
tée modérée et de courte ratiques venus de bâbord se- tôt. l'eau : grosse déferlante erra-
durée, ces déferlantes errati- ront quelquefois très impor-
ques ne durent pas longtemps tants. Evidemment, ces défer-
et ne sont pas vraiment gros- lantes de Nord-Ouest peuvent
ses. De toute manière, le ba- tomber loin devant ou der=
teau ne pourra plus risquer rière le bateau, il y a de la Il La dépression se trouve dans
de se rapprocher du centre place à côté, mais il leur ar- le Sud-Ouest du bateau. Il y a
une fois le vent passé à rive de tomber en plein des- donc coup de vent de N.-W.
pour le bateau.
l' Ouest, puisque la dépression sus. Et c'est comme ça que se
La houle de N.-W. n'est pas
continue sa route vers l'Est, sont produits les deux der- dangereuse pour le moment, et
plus vite que le bateau. Alors, niers - knock-down du Pacifi- le bateau en profite pour faire
route vers l'E.-N.-E. afin de se
je pense plus prudent de mo- que, avec les mâts sous l'eau trouver un peu plus loin du
difier un peu de cap vers et la quille à 30 ou 400 au-des- centre de la dépression lors-
l' Est-Sud-Est à partir de ce sus de l'horizontale. qu'elle passera à son Sud.
386 387
mous de dérive apaise les dé- traies élevées, où les houles
2° La dépressibn est maintenant au
ferlantes, comme le ferait une atteignent parfois 15 mètres de
Sud du bateau. Le coup de vent est
donc passé à sa phase Ouest à W.- nappe d'huile. haut et 600 mètres de long,
S.-W. Il souffle fort. Le tableau serait très diffé- elles roulent en procession sans
Le bateau entouré d'un cercle ma-
rent par coup de vent de sec- fin et parfois.l'une d'elles, de
nceuvre avec sagesse en modifiant
son cap vers V E.-S.-E. pour ne pas teur Ouest soufflant dans le taille anormale, s'élève très au-
recevoir ces déferlantes par le tra- sens de la grosse houle d'Ouest dessus des autres, on la voit
v ers.
toujours présente sous les hau- approcher de très loin. »
Le bateau entouré d'un pointillé
commet une faute: il n'a pas modi- tes latitudes Sud. Sous la pous- (Extrait de The Cape Horn
fié son cap vers V E.-S.-E. et court sée d'un gros vent, cette houle Breed, Captain W.H.S. Jones.)
le risque de se faire retourner par
une déferlante erratique frappant
peut très vite devenir énorme, Tous ceux qui naviguent ont
à bâbord. C'est ce qui est arrivé à avec des déferlantes gigan- remarqué le passage occa-
Joshua. tesques qu'aucun remous de sionnel de certaines houles
cape ne pourrait parer; du nettement plus hautes que les
A. Déferlements erratiques parfois moins en ce qui concerne un autres. On en rencontre même
énormes provoqués par le chevau- bateau de douze mètres à dé- en Méditerranée. Je suppose
chement de la grosse houle d'Ouest placement lourd. que ces lames anormalement
avec la houle résiduelle de N.-W.
Dans l'hémisphère Nord, les hautes sont provoquées par le
déferlantes provoquées par un chevauchement de plusieurs
coup de vent de secteur Ouest lames se déplaçant à des vi-
sont moins grosses en prin- tesses différentes. Il y a un
tique du Nord-Ouest, beau- souffle très fort. Je pense qu'il cipe, grâce à l'obstacle de la peu de tout dans la mer: les
coup de bruit et des tas de est donc toujours possible d'y terre (Amérique et Asie), il est houles principales, les houles
choses au plafond, tourmen- prendre la cape sans danger rare que des yachts à la cape résiduelles laissées par un an-
tin et petite trinquette défon- de se faire retourner par une s'y soient fait trop malmener cien coup de vent ou envoyées
cés, girouette cassée. Je suis déferlante de trop gros ca- (rare ne veut pas dire ja- par une dépression très éloi-
vite sorti, j'ai branché la libre, celle-ci restant modérée mais...). Dans Navigation .par gnée.
barre à roue et j'ai barré de et le bateau pouvant bénéfi- gros temps, on peut voir des « Une vague est passée sous
l'intérieur jusqu'à l'aube. cier de la protection de son déferlantes qu'aucun yacht Tzu-Hang qui a pivoté légère-
remous de dérive, qu'il s'agis- n'aurait étalées à la cape. Or, ment. Beryl a corrigé sans mal,
se d'un bateau de 12 mètres ces photos ont été prises en et en arrivant au fond de la
Atlantique, entre 30 et 35° de
La cape sous
ou d'un beaucoup plus petit. vallée, elle a regardé en arrière
latitude Nord.
les hautes latitudes sud
Sous les hautes latitudes Joshua prend habituellement pour vérifier l'alignement. Juste
Sud, un coup de vent de sec- la cape avec la grand-voile au derrière le bateau un mur d'eau
teur Est lèvera rarement une bas ris bordée plat, et une Lames géantes se dresse, si large qu'on n'en
mer exceptionnelle, même s'il petite trinquette bordée à voit pas les extrémités, si haut
contre, barre dessous. Le re- et si escarpé que Beryl com-
«C'est étrange, mais c'est
vrai: dans les latitudes aus-
38 8 389
prend immédiatement: Tzu- Hang, fauchant les deux mâts peut-être aussi certaines la- aussi des glaciers, qui peu-
Hang ne pourra jamais l'esca- et la doghouse pour laisser un mes géantes ont-elles une tout vent laisser tomber d'énor-
lader. Cette vague ne brise pas bateau à moitié plein d'eau, autre origine : peut-être, par mes blocs dans la mer.
comme les précédentes, mais sur le point de couler, avec exemple, l'énorme remous pro- A noter que l'accident de
l'eau ruisselle sur sa face avant une ouverture de deux mètres voqué par un très gros ice- Tzu-Hang s'est produit par 98°
comme une cascade. » de côté là où se trouvait la berg chavirant loin au Sud. de longitude Ouest et 51° 20'
(Extrait de Une fois suffit, cabine? Le chevauchement Ce n'est qu'une hypothèse, de latitude Sud, un peu à l'in-
Miles Smeeton.) de plusieurs lames parallèles, bien sûr, mais il y a tant de térieur de l'extrême limite des
Comment s'est formé ce juste au mauvais moment? Je choses étranges en mer. Or, icebergs, d'après la Pilot Chart
mur liquide qui a planté Tzu- serais porté à le penser. Mais les icebergs peuvent chavirer, américaine pour les mois de
c'est un fait bien connu. Il y a décembre-janvier-février.
Problèmes de route
390 391
voit beaucoup mieux l'hori- L'heure aiguilles. J'avais aussi une sur Joshua, il y a un compas
zon avec les deux yeux ou- Quatre secondes d'erreur montre Rolex étanche automa- au pied de la couchette (il est
verts. sur le chronomètre font un tique qui n'a pas quitté mon faux mais indique les change-
Pour ce voyage, je n'ai fait mille d'erreur sur le point. poignet de tout le voyage, et ments de cap) et un compas
que trois points d'étoiles en Une minute d'erreur fait quin- le bracelet ne s'est jamais ar- de relèvement Vion dans le
tout, parce que le soleil suffi- ze milles d'erreur dans les pa- raché comme je le craignais. cockpit. Aucun d'eux n'est
sait, les problèmes de naviga- rages de l'équateur, et envi- Très précise et régulière, c'est compensé, j'ai même jeté les
tion étant simples au large. Je ron douze milles dans les ré- surtout cette montre qui me aimants. Debout au milieu du
me contentais donc d'une gions tempérées. Depuis que servait pour le point, car je cockpit en tenant le compas
droite de soleil le matin et la radio existe, il n'y a donc pouvais l'utiliser de tous les le plus haut possible, sa lec-
d'une méridienne à midi, sauf plus de problèmes, on pour- endroits du pont où je me ture est juste. De plus, je véri-
à l'approche de la côte, où je rait naviguer avec un réveille- trouvais au moment de l'ob- fie souvent mon cap par des
faisais d'autres droites l'après- matin. servation. azimuts de soleil et d'étoiles,
midi. Il faut se souvenir que Pour les top horaires j'uti- A noter qu'il existe un sys- surtout à l'approche des côtes.
les droites d'après-midi sont lise la station W.W.V. qui don- tème relativement nouveau Avec les HO 249, c'est enfan-
parfois entachées d'erreurs à ne l'heure de Greenwich tou- sans balancier, dit « accu- tin (il n'y a pas besoin de sex-
cause de la réfraction plus tes les cinq minutes, vingt- tron », dont l'exactitude serait tant), juste un coup d'oeil sur
i mportante, surtout dans les quatre heures par jour, sur garantie, paraît-il, à une se- l'heure, une entrée dans la
mers chaudes. Pour les étoi- 5 000, 10 000, 15 000 et conde par jour. table, et on sort trente secon-
20 000 kilocycles. Je pouvais des plus tard avec l'azimut du
les, il n'y a plus de réfraction,
l'entendre pendant tout le soleil ou de l'étoile.
et les points peuvent être in- Compas
voyage. Je me servais pour Le compas d'un bateau Tout cela, je le reconnais,
croyablement précis (moins
cela du poste Technifrance acier est fortement influencé c'est un peu du « bricolage ».
d'un demi-mille, parfois un
qui est à bord depuis huit ans. par la masse métallique. Même C'est beaucoup mieux pour-
quart de mille), ce qui est pré-
Pour ce qui est des chro- bien compensé pour une zone tant que de compter sur un
cieux à l'approche (les côtes
nomètres, j'utilise la grosse donnée, le compas pourra dé- compas compensé sur un ba-
basses et des atolls. Là, les montre d'habitacle Fred qui lirer sous d'autres cieux où la teau acier. De plus, cela cor-
points de nuit peuvent se ré- fonctionne avec une petite déclinaison est différente : là, respond à mon tempérament,
véler capitaux, mais pour cela, pile au mercure. Elle retar- il ne suffit pas d'ajouter ou de qui me porte à préférer lire
il faut que l'observation au dait régulièrement de 3 secon- soustraire des degrés de dé- ma route dans le ciel et dans
sextant soit bonne. Sans lu- des par jour, et sa pile dure clinaison pour retomber sur les signes de la mer, plutôt
nette et les deux yeux ouverts, environ six mois. Quand elle que sur une aiguille aiman-
ses pieds, c'est toute la com-
j'ai souvent fait des points est morte, on la remplace. tée. Mais si je devais navi-
pensation,,du compas qui doit
d'étoiles très précis par nuits Cette grosse montre me plai- guer couramment en Manche
être refaite. Et pour compli-
sans lune, pendant mes navi- sait beaucoup car je pouvais quer encore les choses, il y a ou autres coins de ce genre
gations précédentes. C'eût été lire les secondes depuis le la gîte qui fausse tout. Alors, pleins de brouillard, cailloux
i mpossible avec la lunette. cockpit, grâce à ses grandes j'ai préféré tout simplifier: et courants, je me rallierais à
39 2 393
quatre boulons de fixation en sis trop justes tendent à coin-
la solution de Jean-Louis pour enlever les particules
étaient gorgés. Les mêmes pré- cer à la descente: mousque-
Martinet, qui avait fixé son qui se sont déposées sur la tête
cautions seraient à prendre tons de 10 pour draille de
compas sur le mât de Iorana magnétique. Se souvenir aussi .
pour des winches en bronze. 8 mm, cela me paraît sage.
(cotre acier 9 mètres) loin des que les minicassettes de soixan-
te minutes sont en principe Les mousquetons Goïot
masses métalliques, avec un
plus robustes que celles de m'ont surpris. Ceux de la gran-
Manilles rapides inox
répétiteur de cap électronique
dans le cockpit. Il avait réa- quatre-vingt-dix ou cent vingt de trinquette, presque tou-
sans filetage
jours en service grâce à ses Je m'en suis servi tout le
lisé cette installation parfaite minutes. voyage aux points d'amure et
à très bon compte, par brico- trois bandes de ris, ont fait
trente-quatre à trente-cinq aux points de drisse des focs
lage de belle qualité. et trinquettes (manilles de
mille milles, presque sans trace
Matériel Goïot
Winches et mousquetons d'usure (la trinquette s'était 8 mm) et j'en ai été satisfait à
Bulletins météo Goïot m'ont donné entière sa- déchirée avant la fin du voya- 100 %. Ces manilles fabri-
Pour la Manche, le golfe de tisfaction. J'ai démonté les quées par la Maison Vichard
ge). Des mousquetons classi-
Gascogne, Bonne-Espérance winches après le voyage pour se sont toujours libérées sans
ques en métal jaune n'au-
et l'Australie, j'enregistrais les voir dedans : neufs. De plus, démanilleur et n'ont jamais
raient probablement pas tenu
bulletins météo de la radio sur c'est une mécanique simple et lâché. De plus, on ne risque
le tiers, j'en ai vu rendre
mon magnétophone. Cela me robuste, qui, malgré son prix, pas de perdre le maillon,
l'âme pendant une simple tra-
permettait de faire repasser coûte nettement moins cher celui-ci ne pouvant sortir
versée de l'Atlantique au
la bande et de mieux sentir que beaucoup d'autres win- complètement de la manille,
voyage précédent. Ne pas ou-
l'évolution générale puisque ches. Ces winches Goïot ont cela fait un souci de moins.
blier que les calmes soumet-
je n'effaçais pas les bulletins été offerts à Joshua par le fa- La manille rapide inox est
tent les mousquetons à rude
des jours précédents. bricant, mais je répète qu'il à mon avis une solution inter-
épreuve, c'est là qu'ils s'usent
Au bout d'un certain laps n'y a pas de reconnaissance médiaire entre la manille or-
le plus, à cause des frotti-
de temps, un magnétophone du ventre dans ces lignes ; si dinaire galva à filetage d'em-
frotta contre la draille. Pour
peut perdre ses qualités de je ne pouvais pas les conseil- ploi lent, et le système ultra-
ceux qui utilisent les Goïot, je
son et donner l'impression ler à des copains de bateau, je rapide de régate où il suffit
recommande de les tremper
que le haut-parleur est mort. n'en parlerais pas. Je pense d'appuyer avec le pouce pour
dans de l'huile quelques jours
J'ai appris par la suite qu'il indispensable de prendre de larguer le croc. Ce dernier sys-
avant de les fixer à la voile,
suffit d'essuyer doucement la grandes précautions pendant tème a fait ses preuves en ré-
c'est un peu gras pendant une
tête magnétique (une sorte de le montage de ces winches, gate, mais il est en métal
semaine, mais cela permet un
téton qui appuie sur la bande) de bien isoler leur base en al- jaune et je me méfie du métal
fonctionnement parfait très
avec du papier de soie pour liage léger de l'acier du ba- jaune pour les efforts de très
longtemps. Quand on utilise
lui rendre ses qualités musica- teau, pour éviter tout risque longue durée.
les : la tête magnétique s'en- de corrosion. J'ai employé des Goïot, je préfère utiliser
la taille au-dessus, cela per-
crasse, à force. J'apprends pour cela le Bostik, pâte noire
Fanal
met à la voile de mieux des- Sur les lignes de naviga-
aussi qu'il existe des minicas- en tube plastique à base de
cendre, les mousquetons choi- tion, j'employais un petit fa-
settes dites «de nettoyage» caoutchouc, de sorte que les
395
39 4
nal à verre dioptrique (je crois tion, je m'allonge tout juste filmage en mer. Je n'ai pas re- fois mouillées, il suffit de pas-
que c'est le mot). Il s'agit dans le cockpit pour me repo- gretté d'avoir écouté son avis: ser un coup de chiffon à l'in-
d'une lampe à pétrole dont le ser de temps en temps, sans cette caméra très légère m'a térieur. Celles qui sont four-
verre concentre la lumière de rentrer dans la cabine. Et je permis des prises de vues dif- rées ou entoilées restent hu-
la mèche au lieu de la laisser tâche de couper les lignes de ficiles du bout-dehors et sur- mides.
s'éparpiller comme le ferait navigation à angle droit pour tout de la mâture, et je n'ai
un verre ordinaire. La lumiè- être plus vite de l'autre côté. pratiquement pas raté une Chaussettes de laine
re de ce fanal porte beaucoup (Les principales lignes de na- image, bien que sans expé- Un sac en plastique par-
plus loin que celle d'une lampe- vigation sont indiquées sur les rience, grâce à la très bonne
dessus les chaussettes main-
tempête de grosse taille, et Pilot Charts.) qualité des objectifs (75-25-
tenu aux chevilles par un
cela pour une consommation Lorsque le temps n'est pas 10) et à la cellule incorporée
petit élastique permet de cir-
de pétrole insignifiante (envi- beau et qu'il y a de la mer, je qui permet de ne pas se trom-
culer à l'aise dans la cabine
ron 4 cuillers à soupe pour la préfère utiliser une lampe de per sur l'ouverture du dia-lorsque le plancher est hu-
nuit). Ce fanal ne s'est jamais 250 bougies qui, elle, est vrai- phragme. mide, ce qui est fréquent lors-
éteint à cause du vent, et ment visible de très loin et Pour remplacer la petite
qu'on rentre en ciré après une
je n'en ai entendu dire que forme en plus un halo. Con- batterie au cadmium-nickel manoeuvre ou une station sur
du bien sur ce chapitre. Je sommation : une bouteille de qui doit être rechargée sur une
le pont. Loïck m'avait con-
l'avais fixé sur le capot .de la pétrole pour la nuit. prise de courant ou à l'aide
seillé aussi d'emporter un pa-
cabine arrière, donc très bas, d'un générateur après une quet de journaux: quelques
afin qu'il ne soit masqué par quinzaine de bobines, on feuilles étalées sur le plan-
m'avait réalisé un boîtier de
Films et photos
aucune voile puisque les focs Bien que cela ne fasse pas cher absorbent l'eau. On peut
et trinquettes ont leur point cinq piles rondes standard à
marcher dessus sans glisser,
partie à proprement parler
d'écoute relativement haut. l'aide d'une lampe torche de
le résultat est excellent, et
du matériel de navigation, je
Ainsi placé, il était visible de dois en dire un mot ici. J'étais plongée. Cinq pilés Wonder l'installation peut rester vingt-
tous les points de l'horizon, à équipé de l'appareil photo ja- 1,5 volt type «Marin» me quatre heures, après quoi on
peine un peu masqué par le ponais Nikonos de plongée donnaient dix à douze bo- remet des journaux neufs. Il
mât d'artimon, car il était offert par le Sunday Times. bines à 24 images/seconde. m'est même arrivé de garder
placé à 70 ou 80 centimètres Aucun problème, bonnes pho- Cela permet une autonomie les feuilles de journal plu-
devant ce mât. Mais avec les quasi absolue puisque les piles
sieurs jours avant d'avoir be-
tos, pas peur des embruns.
légères embardées la lumière qui me restent du stock em- soin de les remplacer.
Ma caméra était une Beaulieu
barqué presque trois ans plus Jean Rivolier m'avait donné
de ce fanal était sans doute vi- 16 mm. Elle m'avait été forte-
sible aussi de l'arrière par ment conseillée par Irving tôt fonctionnent encore par-des chaussons fourrés en tissu
intermittence, ce qui devait Johnson, qui a effectué sept faitement. genre nylon à semelles de
permettre d'attirer l'attention tours du monde en école de cuir très souple utilisés pen-
d'un navire. Mais en prin- voile à bord du fameux Yan- Bottes dant les expéditions polaires
cipe, je ne dors jamais tout à kee et possède une grosse Les bottes en caoutchouc Paul-Emile Victor. C'est très
fait sur les lignes de naviga- expérience des problèmes de pur sèchent facilement une agréable à porter dans la ca-
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bine, et très chaud. Pas be- beaucoup surveillé mes mains, point de poisson frais eût été sous les hautes latitudes, je
soin de sacs en plastique avec employant le sparadrap à la meilleur si j'avais pu traîner l'avais déjà constaté pendant
ça. moindre alerte. Je le retirais deux ou trois lignes ensemble Tahiti-Alicante.
pour la nuit, me rinçais bien comme je le fais habituelle- Un bateau naviguant en
les mains à l'eau douce, et ment, mais il ne faut pas trop longue croisière sous les tro-
compter sur la pêche en mer piques restera beaucoup plus
Gants, moufles
J'avais des gants en cuir frottais mes débuts de ger-
çures avec un bâton de Der- sous ces latitudes. libre s'il dispose d'un taud
pour dehors, et des moufles
mophile Indien, après avoir (bâche contre le soleil) muni
pour la cabine. Même trem-
essayé deux autres marques d'un dispositif très simple
pés, les gants «pour dehors»
On compte d'habitude une permettant de récupérer de
Eau douce
de pommades qui me conve-
tenaient chaud aux mains.
naient bien moins. En fin de moyenne de deux litres et grandes quantités de pluie au
compte, je n'ai eu aucun ennui demi par jour et par per- mouillage, dans les coins iso-
pendant ces dix mois de mer, sonne, tout compris. Un peu lés. Le système employé sur
Chauffage intérieur
Aucun. Des vêtements chauds mais j'ai toujours veillé très plus probablement sous les Joshua nous a permis de vivre
à la place. Il faut dire qu'un soigneusement au grain sur pendant des mois uniquement
tropiques.
bateau métallique est vrai- ce chapitre des mains. Deux litres et demi par jour à l'eau de pluie. (Voir croquis.)
ment étanche comme une
pendant dix mois (trois cent
boîte de conserve; ce qu'on
trois jours exactement), cela
rentre sec dans unplacard en
Poisson frais Réservoirs étanches
Remorquant en permanen- représente une consomma-
sortira toujours sec.
de secours
ce le loch Vion à titre d'épreu- tion de sept cent soixante Pour ce voyage, un seul ré-
ve pour ce matériel, je ne litres. Parti avec quatre cents servoir de quatre cents litres
Gerçures
pouvais pas toujours pêcher à litres, j'ai donc dû recueillir était utilisé pour l'eau. Les
L'état des mains a une la traîne, de crainte que mes au moins trois cent soixante trois autres contenaient des
grande importance. Avec des lignes de pêche ne s'enrou- litres d'eau de pluie, avec les provisions et aussi du linge,
doigts gercés, douloureux, on lent dans celle du loch. Mais seaux suspendus sous les des couvertures, chaussettes,
hésite à faire certains régla- les conditions de mer généra- bômes de grand-voile et d'ar- moufles, piles électriques, un
ges utiles et les choses vont lement , bonnes pendant le timon. En fait, j'en ai recueilli poste récepteur de réserve,
moins vite. De plus, cela em- premier tour du monde m'ont beaucoup plus, puisque Jo- une combinaison fourrée, un
pire presque toujours. J'avais permis de remorquer une shua est arrivé avec son ré- sac de couchage. Tout ce ma-
beaucoup souffert d'une ger- ligne de traîne pendant le servoir à moitié plein, et que tériel était « en plus », et si le
çure au majeur de la main tiers du temps et toute la pre- j'avais utilisé pas mal d'eau bateau avait sanci en défon-
droite qui m'avait rendu pres- mière traversée de l'océan In- douce pour rincer mon linge çant tous les hublots pour se
que incapable de border une dien en particulier. Or, je n'ai en cours de route. J'aurais pu retrouver à moitié plein
écoute, quelques années plus pris que deux dorades dans arriver à Tahiti avec mes d'eau, j'aurais pu sortir du
tôt, pendant une saison d'éco- l'Alizé de l'Atlantique et deux quatre cents litres du départ linge sec et autre matériel in-
le de voile en Méditerranée. thons de sept à huit kilos sous si je l'avais voulu. Il n'y a tact de ces réservoirs.
Pour ce voyage, j'ai donc les hautes latitudes. L'ap- donc pas de souci à se faire
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avec un peu d'amiante dans ned-beef ou du poisson en boîte
la coupelle, pour que l'alcool avec en plus des légumes en
servant au préchauffage ne boîte ou déshydratés (petits-
se répande pas à la gîte pois, haricots verts, carottes,
l'amiante faisait alors office asperges parfois). Les pro-
de mèche, en s'imbibant d'al- duits déshydratés étaient ceux
cool. J'utilisais aussi un petit du professeur Griffon (France)
Cordages 8 mm
amarrés à la base camping-gaz lorsqu'il s'agis- et de Batchelor's Foods (An-
des ridoirs ou sur sait de me faire du thé, de gleterre). Assez grosse consom-
tout autre point
correct l' Ovomaltine, du bouillon Kub, mation de lait condensé sucré
du café. Toujours pu faire la (environ une boîte par jour, et
cuisine, même par mauvais même plus) et de lait en
temps. poudre anglais Marvel incor-
La Cocotte-Minute était très poré à la pomme de terre
employée, elle a l'avantage de déshydratée.
Jonction du tuyau plastique ne pas se renverser. Un petit Je faisais toujours deux
conduisant l'eau vers le tank ressort à boudin (non com- repas chauds copieux, plus un
ou dans le jerrican
bustible) la maintenait au ré- petit déjeuner au porridge-
Taud permettant de récupérer l'eau de pluie. chaud à la manière d'un San- lait condensé et de l'Ovomal-
dow. Même dispositif de fixa- tine deux ou trois fois par
tion pour les casseroles, bien jour. Deux petits casse-croûte
entendu, pour les empêcher dans le courant de la nuit. Au
de se sauver de dessus le ré- fond, il y avait « un peu de
Bulletin de santé
Les pamplemousses ont pour tout le voyage, et un chaud quand il y avait de la tout », ainsi que des épices
duré trois mois et j'en man- comprimé de Pentavit Midy mer. (poudre de curry, achards,
geais à peu près un par jour par jour, à partir du troisième Je mangeais à ma faim et nuoc-mâm, sauce chinoise de
ou tous les deux jours pen- mois, jusqu'à l'arrivée. Je bu- mastiquais bien, afin que tout soja, quelques boîtes d'huîtres
dant ces trois premiers mois. vais environ un demi-verre profite. Le yoga, découvert fumées, de moules, des fla-
Ensuite, j'ai commencé les d'eau de mer par jour, et en pendant ce voyage, m'a bien cons de pâté de crevette, pâté
citrons. Enveloppés chacun ajoutais un peu dans l'eau de aidé sur ce point. Je me suis de saumon, etc.).
dans une feuille de papier, ils cuisson du riz, pour rempla- très peu soucié des propor- Dans l'ensemble, je me suis
ont duré presque sept mois. cer le sel. Bu une quinzaine tions lipides-glucides-protides. bien nourri pendant les huit
J'en prenais un par jour, de litres de vin en dix mois, et La base de mon alimenta- premiers mois, et moins bien
pressé dans de l'eau, en deux pas d'alcool. tion était le riz blanc (je n'avais les deux derniers mois car
prises. La cuisine était faite sur un pas trouvé de riz rouge, plus j'avais terminé tout ce qui
Consommé un tube de réchaud à pétrole Optimus à vitaminé) et la pomme de terre était le plus appétissant.
vingt comprimés de vitamine C deux brûleurs sans cardan, déshydratée. J'ajoutais du cor- Au départ de Plymouth, je
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pesais soixante-trois kilos. A jour. Les résultats ont été sique chaque jour, en particu- tout s'est tassé en deux ou
l'arrivée, j'en pesais soixante- étonnants, très vite. L'équi- lier pour les abdominaux. trois semaines.
cinq, sans cedème. J'avais donc libre général que j'en ai retiré Après avoir passé la longi-
gagné deux kilos pendant ce m'a permis d'atteindre au tude de Tahiti, j'avais conti-
voyage. Mon poids normal est cours de ce voyage un poten-
Généralités sur la vie
nué pendant une dizaine de
de soixante-six à soixante-sept tiel énergétique très supé-
en croisière
jours vers l'Ouest, pour navi- Je suis convaincu qu'un ba-
kilos. Ce poids de soixante- rieur à celui du départ de guer quelque temps ensuite teau solide, même très petit,
trois kilos, anormalement bas Plymouth. Je commençais à dans l'Alizé en me laissant même de la taille d'un Cor-
au départ, provenait sans souffrir de mon ulcère après vivre sans souci et me reposer saire d'Herbulot pourrait être
doute de la fatigue et de la le premier passage de Bonne- avant de retrouver la terre. conduit en solitaire d'une
tension nerveuse liées aux Espérance. Le yoga a balayé Sept jours après l'arrivée, traite de Tahiti aux Falkland
préparatifs. tout cela : plus de douleurs visite médicale très complète par le Horn et sans danger de
J'étais en baisse nette, peu d'estomac malgré les conser- à l'hôpital Jean-Prince de Ta- mort à condition qu'il soit en
après le premier passage de ves et une nourriture de moins hiti. Tous les résultats d'ana- métal. Si on lâchait une bou-
Bonne-Espérance, pas encore en moins ragoûtante à me- lyses étaient normaux, à part teille bien bouchée au centre
au point d'envisager l'aban- sure que le voyage se poursui- mes radios d'estomac, puis- d'un cyclone, elle flotterait
don, mais sur la mauvaise vait. Plus de lumbagos malgré que je traîne cet ulcère du normalement. Pour un ba-
pente, fatigué, encore amai- les couvertures moites (car elles duodénum depuis une dizai- teau, c'est la même chose, dans
gri, sans ressort. Je n'étais ont fini par devenir moites). ne d'années et que sa trace l'essentiel : en métal, bien fer-
plus sûr du tout de pouvoir Pas de nervosité malgré le mau- reste en principe toujours sur mé, bien conçu, il pourra se
arriver jusqu'au Horn, et je vais temps d'automne et d'hi- les radios. faire rouler dix fois de suite
sentais que même si je réus- ver de l'océan Indien et du Paci- Au début de mon séjour à par des déferlantes sans aller
sissais à passer le Horn, je me fique et les quatre chavirages Tahiti, j'étais fatigué à cause au fond. Le reste n'est que dé-
traînerais probablement dans de cette seconde période. du changement de rythme tails, adaptations.
l'Atlantique comme un ani- Ce yoga, je l'ai pratiqué ré- en mer, on dort souvent dans Le petit bateau a sur le
mal épuisé. gulièrement jusqu'au Horn, la journée, on se réveille plu- grand l'avantage de coûter
Le yoga, pratiqué à partir mais d'une manière moins sieurs fois la nuit pour jeter beaucoup moins cher à l'achat
de cette période grâce au suivie, moins régulière ensui- un coup d'eeil dehors et se et à l'entretien. Mon intention
petit livre de Desmond Dunne te, je ne dois pas oublier de le rendormir aussitôt. De retour n'est pas de« faire marcher le
(Yoga pour tous), m'a permis. dire, de l'avouer : car je ne à terre, il ne m'était pas pos- commerce », mais ceux qui
de franchir encore quatre voudrais pas qu'on puisse pen- sible de me livrer à ces petits sont vraiment intéressés par
caps sans qu'un effort aussi ser que je suis différent des sommes de la journée car la croisière dans le sens où
prolongé m'ait fait atteindre autres, que j'ai une volonté j'avais des choses à faire, des nous l'entendons liront avec
mes limites. Il s'agit d'une sans faille, que je n'ai jamais visites, des invitations. Et la profit l'appendice technique
culture à la fois physique et, flanché. Je suis un homme nuit, je ne récupérais pas de mon premier bouquin Un
mentale qui m'absorbait une comme les autres. Je faisais bien, je me réveillais par ha-
demi-heure à une heure par aussi un peu de culture phy-
vagabond des mers du Sud.
bitude, comme en mer. Puis Ecrit voilà plus de dix ans et
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avec beaucoup moins de milles intéresse pourront faire venir vite que le même bateau en douze minutes, c'est propre.
dans mon sillage, les conclu- acier ou en bois, et pour beau- On rince à l'eau douce, et
coup moins cher. quand c'est sec, première cou-
How to Build a Ferrocement
sions que j'y donnais concer- Boat par J. Samson et G. Wel-
nant la conception d'un ba- lens (édité par Samson Ma- che d'antirouille. Si on veut
teau de croisière tiennent tou- rine Design Entreprise, P.O. Entretien d'un bateau un résultat encore meilleur,
jours bien debout. Remplacez Box 98 à Ladner, B.C. Ca- en acier passer alors une application
seulement « bateau en bois » nada) dont m'a parlé Jacques Joshua a bientôt dix ans. de Rust Oil entre le traite-
par « bateau métallique », lisez Moulin, qui a construit lui- Sa carène ne présente pas ment au Rust Killer et la pein-
un peu entre les lignes, et ça même son ketch en ciment de une trace d'électrolyse. Ophé- ture antirouille qui va suivre.
va pour l'essentiel. Quant au 12 mètres. D'autres ouvrages lie d'Yves Jonville et Santiano Les deux meilleures pein-
détail, c'est affaire person- pratiques existent sans doute de Michel Darman sont éga- tures antirouille d'entretien
nelle pour chacun. en Nouvelle-Zélande, berceau lement intacts. Nos trois ca- que je connaisse sont le mi-
du bateau en ciment, et pro- rènes sont protégées par la nium gris fabriqué en France
bablement aussi aux U.S.A. même peinture en zinc sili- par Julien et l'antirouille amé-
ricain fabriqué par Steelcote,
Bateaux en ciment
Plusieurs ont été construits Le peu que j'ai vu m'a en caté, et par des anodes en
tout cas confirmé que le ba- zinc. Ces anodes doivent être tous deux remarquables. Il faut
en France, beaucoup en Nou-
teau en ciment est de très loin soudées à la carène par leurs une seconde couche d'anti-
velle-Zélande, d'autres aux
la solution la plus économi- pattes de fixation, et non pas rouille quand la première est
U.S.A. J'en ai vu trois à
que à la construction. La seule boulonnées. Zinc et Alliages bien sèche, puis cinq à six
Tahiti, dont les propriétaires
chose qui me ferait reculer se- est formel sur ce point. J'ai vu couches de peinture de fini-
étaient très satisfaits. Ici
rait l'éventualité d'un échoua- plusieurs fois des carènes de tion.
même, le cotre en ciment de
ge sur les récifs : une fois bateaux acier dévorées par Pour l'entretien de routine,
10,50 m construit par Alain
crevée d'une manière grave, l'électrolyse, avec des anodes je passe habituellement deux
Brun et Philippe Sachet est
je doute qu'une coque en fer- boulonnées. couches à l'extérieur une fois
sur le point d'être mis à l'eau.
rociment puisse être répa- Pour le reste (au-dessus de par an lorsque le bateau ne
Pour le cimentage, Philippe
rée correctement. Le bois se l'eau), je trouve qu'il n'y a pas navigue pas, et deux couches
et Alain ont battu le rappel
cloue, se calfate, se colle. de problème : quand il y a un deux fois par an lorsqu'il na-
sur le quai, nous sommes ve-
L'acier se soude ou se rive. Le point de rouille, je le gratte, vigue souvent. Si un proprié-
nus à une dizaine, et tout
ciment?... En tout cas,. si je puis j'y passe du Rust Killer. taire de bateau acier était
(coque, pont, roof, cockpit) a
voulais naviguer sans avoir C'est un liquide à base d'aci- assez sérieux pour passer au-
été cimenté en une journée.
Mais je ne peux pas me lancer les moyens de me payer une de phosphorique fabriqué par tomatiquement deux couches
dans les détails, n'ayant qu'une coque d'acier dans un chan- Valentine pour la France. Ce de peinture une semaine avant
vue très superficielle sur ce tier, je n'hésiterais pas à cons- Rust Killer détruit la rouille et chaque traversée d'océan, et
mode de construction, qui truire un bateau en ferro- met le métal à nu. Si on voit une ou deux couches peu
ciment : ce serait fait en moins que le métal n'est pas bien dé- après l'arrivée, après un bon
exige des précautions sérieu-
ses si on ne veut pas rater son d'un an, en quelques mois capé par ce produit, on en rinçage à l'eau douce, je crois
coup. Ceux que la question peut-être, cinq à dix fois plus passe encore. Après dix ou que le bateau n'aurait jamais
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une tache de rouille, surtout minutes après à l'eau douce. était comme neuf. Et ça ne périence sur Joshua, et les ob-
si la totalité coque-pont-roof On peut alors passer le chro- coûte vraiment pas cher. servations très optimistes que
a été passée au Dox Anode mate de zinc sans attendre. Encore un petit avis : pla- j'ai pu faire sur d'autres ba-
avant la première mise à Pour ce qui est de l'inté- cer l'évacuation des W.-C. au- teaux acier, je n'hésiterais pas
l'eau. Ce traitement de fond rieur, aucun problème à con- dessus de la flottaison, et à construire un bateau de
par le Dox Anode est souvent dition que tous les recoins l'aspiration assez loin, reliée 7 mètres en tôle de 2 mm, si,
aussi bon qu'une galvanisa- soient accessibles au pinceau. aux W.-C. par un tuyau en pour des tas de raisons par-
tion à chaud, je ne plaisante Si on a pris la précaution de caoutchouc renforcé. Ainsi, faitement défendables, je pré-
pas. Mais il faut toujours sa- passer partout sept couches aucun contact possible entre férais maintenant un très
bler les tôles, ou les décaper de peinture, on sera tran- le corps des W.-C. (bronze) et petit bateau d'entretien peu
complètement avec un pro- quille pendant très très long- la carène d'acier, d'où élimi- coûteux en comparaison de
duit du genre Rust Killer, si temps. Des membrures au fer nation d'un risque éventuel Joshua. Il serait même pos-
on veut que le Dox Anode plat soudé sur champ sont in- d'électrolyse. A noter toute- sible à mon avis de descendre
tienne bon. Je répète que le finiment plus logiques que les fois que l'hélice d'Ophélie, en jusqu'à de la tôle de 1,5 mm
Dox Anode est la première cornières: aucun recoin avec bronze, et de Santiano, en inox, pour un bateau de la taille
peinture que doit recevoir la le fer plat, pas de cachettes ne provoquent pas d'électro- d'un Corsaire. En effet, la cor-
tôle. On ne l'enlèvera plus ja- pour la rouille, tout est vi- lyse grâce à la bonne protec- rosion et l'électrolyse ne cons-
mais, sauf dans dix ans peut- sible. tion apportée par les anodes tituent pas un danger, une
être. Toutes les autres peintu- Les réservoirs à eau, s'ils en zinc. . fois les dispositions prises
res viennent par-dessus. sont construits à même la co- Il est habituellement admis convenablement.
La première peinture ap- que (donc pas galvanisés) doi- qu'un bateau acier ne peut pas Que penser de la solution
pliquée sur le Dox Anode doit vent être munis d'une trappe avoir moins de 9 à 10 mètres, « alliage d'aluminium » pour
être en principe un chromate facile d'accès et assez large car alors il serait trop lourd, la construction de petites uni-
de zinc. Mais il faut laisser le pour permettre d'entretenir les tôles devant mesurer au tés? Le premier ennui, c'est
Dox Anode à l'air pendant en- l'intérieur. Michel Darman a moins 3 mm d'épaisseur, afin qu'un bateau en alliage léger
viron deux semaines avant connu quelques ennuis au dé- de n'être pas trop vite percées coûte très cher: il y a d'abord
d'y passer une peinture, cela but dans ses réservoirs d'eau par la corrosion. Ophélie, San- le prix de la matière pre-
laisse au zinc le temps de douce faisant partie de la tiano, Joshua et bien d'autres mière, et ensuite le coût de la
s'oxyder très légèrement et de coque. Il a donc gratté toute bateaux de 12 mètres conçus main-d'eeuvre spécialisée. J'ai
retrouver un PH neutre, qui la peinture jusqu'à ce que la par, leur propriétaire pour la vu un bateau de 9 mètres à
permettra au chromate de tôle soit à nu, puis il a passé grande croisière sont en tôle bouchains vifs construit par
bien accrocher dessus. Si on un lait de ciment (de l'eau mé- de 5 mm pour la coque. En un amateur en tôles d'acier
n'a pas le temps d'attendre, langée à du ciment, comme 4 mm, ils seraient nettement de 2 mm galvanisées et rive-
asperger les surfaces peintes un lait de chaux). Il a ouvert améliorés au point de vue vi- tées sur les membrures par
au box Anode avec de l'eau récemment la trappe pour tesse et tenue dans le mauvais des rivets de 6 mm. Ce bateau
mélangée à 2 % d'acide phos- voir, et m'a appelé : après temps. a maintenant une vingtaine
phorique et rincer quelques deux ou trois ans, l'intérieur Après bientôt dix ans d'ex- d'années. Le même amateur
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se serait trouvé devant des cun choisira entre le métal et conditions, mais tout de même, également enfermés dans ces
problèmes quasiment inso- le plastique pour son bateau. cela aurait fait une rude diffé- mêmes bocaux de rivets, le
lubles s'il avait voulu cons- Mais ceux qui auront choisi le rence, dans des circonstances tout imprégné d'huile afin de
truire son bateau en alliage plastique feront particulière- moins graves, sur un récif par se conserver en parfait état.
léger : il faut être hautement ment attention aux cailloux. exemple. Ainsi, Joshua est paré en pré-
qualifié et très bien équipé Et s'ils ont lu tous les bou- vision de grosses réparations
pour souder et travailler l'al- quins de mer, ils se souvien- Réparations éventuelles sur un atoll perdu
liage d'aluminium. Quant à le dront que de très grands Pour qu'il soit possible de et aussi pour que je puisse
riveter, j'ai vu sur une vieille marins comme Slocum, Pid- sauver Joshua en cas d'échoua- rester entièrement indépen-
coque d'hydravion, apparem- geon, Voss, Bardiaux, Vito ge accidentel, le lest amovible dant où que ce soit, avec sim-
ment intacte, les rivets d'alu- Dumas, se sont trouvés sur est constitué par des gueuses plement l'aide d'un copain
minium s'effriter en les grat- les cailloux ou à la côte sans de vingt à trente kilos placées pour m'aider à réparer en cas
tant simplement avec l'ongle l'avoir voulu. Rien que pen- au fond de la quille creuse. de besoin.
avec le temps et la fatigue, ces dant notre séjour de quelques Ces gueuses sont verrouillées Je n'ai jamais pratiqué le
rivets semblaient avoir subi mois à Tahiti en 1965, quatre à l'aide de barres démon- rivetage avec des spécialistes,
une transformation molécu- yachts ont heurté le corail tables. Ainsi, rien ne peut mais je sais par expérience
laire. Et je pense que la cons- dans les Touamotou. Trois bouger pendant un chavi- qu'on peut faire du travail so-
truction en alliage léger n'est d'entre eux ont été liquidés en rage. lide et étanche en amateur.
pas encore au point dans le quelques heures ; le dernier Ce serait une grave erreur Venu donner un coup de
temps, il reste encore à mon s'en est sorti malgré des ava- de croire qu'un bateau acier main à Henry Wakelam, nous
avis trop de facteurs impar- ries majeures grâce aux bou- en tôles de 5 mm est forcé- avions riveté, à deux, une di-
faitement connus au point de lons de quille qui avaient ment à l'abri d'un trou dans zaine de placards en tôle de
vue cristallisation et électro- lâché sous le choc, permet- la coque: une épave en fer 1,5 mm sur les parties défec-
lyse chez ce matériau, pour tant alors au bateau de flotter heurtée par petite profon- tueuses de Shafhaï, vieux ba-
l'usure où nous l'entendons, haut et à l'horizontale jus- deur, ou un rocher bien teau acier âgé de vingt-huit
c'est-à-dire pour la longue qu'aux cocotiers, après avoir pointu avec de la houle par- ans. L'étanchéité totale a été
durée. passé par-dessus le récif. Plus dessus et un peu de mal- obtenue en plaçant des rivets
Et le bateau en plastique récemment, un trimaran en chance en plus... de 6 mm à environ 2 cm les
pour les petites unités? Pre- plastique conduit de Tahiti Outre le lest et beaucoup uns des autres, après avoir
nez une boîte de lait con- aux Hawaï a heurté une fa- d'autre matériel, la quille pris la précaution d'interca-
densé vide (en fer) et une laise à l'arrivée. Il paraît que creuse contient donc quel- ler une feuille de papier jour-
autre boîte, en plastique. Et le morceau le plus grand de ques plaques de tôle galvani- nal barbouillée de minium
amusez-vous à les faire rouler l'épave ne mesurait pas plus sée de 1,5 mm d'épaisseur et entre les placards et la ca-
et rebondir à coups de pied de 1,50 mètre de long, après des bocaux en verre (pour ne rène. La surface totale de ces
pendant quelques kilomètres quelques heures. Cela ne veut pas rouiller) remplis de rivets placards représentait environ
sur un chemin caillouteux. pas dire qu'un bateau acier de 6 mm. Une vingtaine de fo- 2,50 m 2 . Ce travail a été réa-
Pas besoin d'en dire plus, cha- s'en serait tiré dans les mêmes rets (mèches à métal) sont lisé à deux, en dix jours, par
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les moyens du bord. Les trous Un trou important dans à prise rapide pour rempla- nu ne présentait pas une
étaient percés à la chignole, une carène de bois, plastique, cer le ciment ordinaire. C'est seule trace de tarets. Il s'agit
le placard fixé provisoire- ou métal peut être réparé pro- meilleur. d'un produit américain ap-
ment par quatre petits bou- visoirement en plongée selon Ici à Tahiti, j'ai entendu pelé Under water patching
lons qui le maintenaient en un procédé asiatique, avec un parler d'un résultat étonnant (tubes A et B), fabriqué par
place. Puis on terminait le mastic composé d'une partie réalisé avec un autre produit. Petit Paints Co à San Lean-
perçage des trous (2 cm de de ciment ordinaire mélan- Il s'agit de deux tubes res- dro, Californie. J'ai l'impres-
centre à centre) traversant à gée avec une demie de glaise. semblant à des tubes de pâte sion que le Santofer et d'au-
la fois le placard et la coque. Durcit sous l'eau en douze dentifrice : on mélange les tres produits plastique de-
Une fois les trous de 6 mm heures environ. De belles deux produits dans une as- vraient donner des résultats
terminés, on fraisait légère- voies d'eau ont été colmatées siette (comme pour l'Araldite) assez corrects si on prend la
ment le côté extérieur des de cette manière sur la ca- puis on prend cette pâte dans précaution de planter quel-
trous avec un foret de 10 mm, rène de Marie-Thérèse dans la main et on l'applique, en ques petits clous (servant de
on retirait le placard pour l'océan Indien. Par la suite, frottant sur la partie abîmée pivots) sur la partie malade
faire sauter les bavures inté- Henry Wakelam a beaucoup de la carène, en plongée. Ça d'une carène en bois, afin de
rieures, on plaçait le papier perfectionné la chose. Les es- tient sur le bois humide. Dans faciliter l'accrochage du pro-
journal contre la coque, pla- sais que nous avons faits en- l'exemple dont il est question duit. Même remarque en ce
qué avec de la peinture (mi- semble tiennent en ceci ici, il s'agissait de protéger qui concerne le mélange plâ-
nium) et on remettait le pla- mélanger à parties égales du contre les tarets une surface tre-ciment-argile: des petits
card en place, maintenu par plâtre et du ciment, à sec. de carène grande comme deux clous plantés correctement ga-
ses quatre boulons provi- Dans un autre récipient, mé- fois la main, et qui avait été rantissent l'accrochage contre
soires. Venait alors le riveta- langer de l'eau et de l'argile mise à nu en raclant sur un le bois, si la partie à protéger
ge, moi à l'intérieur, Henry à (pas du kaolin) jusqu'à obte- pâté de corail. Le bateau ve- est trop lisse.
l'extérieur: j'enfonçais le rivet, nir une boue très fluide. Ver- nait juste de caréner, il devait
maintenais sa tête contre la ser alors cette boue sur le partir pour un long charter Tarets
coque à l'aide d'un tas (gros mélange plâtre-ciment et ma- dans les Touamotou et ne On pourrait croire que les
poids en fer), donnais un coup laxer pour former un mastic pouvait pas attendre qu'une tarets meurent très vite une
de talon pour prévenir Henry ayant à peu près la consis- place soit libre sur le slip. Il fois le bateau sur slip. Il n'en
que tout était paré de mon tance de la pâte à modeler. est revenu caréner sept ou est rien; les tarets peuvent
côté, et il rivetait alors avec Maintenant, il faut faire très huit mois plus tard. Je n'ai vivre plusieurs semaines, peut-
un petit marteau, en écrasant vite car ce ne sera plus mal- pas vu de mes yeux, mais être même un mois, dans du
bien le rivet jusqu'au fond du léable après deux ou trois mi- trois copains dignes de foi bois sorti de l'eau. Ne pas
fraisage. C'était du rivetage à nutes. Ce mastic plâtre-ci- m'ont certifié que cette répa- croire qu'une ou deux cou-
froid, c'est-à-dire sans faire ment-argile s'applique en plon- ration faite sous l'eau avait ches de peinture antifouling
rougir préalablement le rivet gée et durcit en moins d'un tenu d'une façon étonnante, et par-dessus du bois déjà atta-
au feu. Pas une goutte d'eau quart d'heure. A Plymouth, qu'après l'arrachage de cette qué gêneront les tarets en
n'est passée. Loïck avait trouvé du ciment protection plastique, le bois quoi que ce soit: il faut que le
41 0 411
bateau reste un bon mois au par les voies d'eau, se coin- une foule de renseignements
mension voulue, il a appliqué
sec si on veut être sûr qu'il cent, puis gonflent au bout de la colle au pinceau sur une météo, courants, glaces, etc.,
n'y reste aucun taret. quelques minutes, assurant face de la pièce et sur la par-
mois par mois, ou trimestre
Ne pas compter aveuglé- ainsi l'étanchéité. Je répétais tie correspondante de la voile
par trimestre. Ces cartes sont
ment, non plus, sur la protec- périodiquement ce traitement malade, il a attendu une di-éditées par The Hydrographic
tion d'un doublage en cuivre, asiatique sur la carène de Ma- zaine de minutes que la colle
Office à Washington.
ou sur la plastification d'une rie-Thérèse pendant sa traver- Formica soit devenue à peine Les cartes marines propre-
coque en bois : si un taret par- sée de l'océan Indien. Les un peu gommeuse au tou- ment dites, générales et de dé-
vient à se glisser jusqu'au résultats variaient de quel- cher, presque sèche, puis il a
tail, sont très coûteuses dans
bois à la faveur d'un petit dé- ques heures à quelques jours, appliqué la pièce, colle contre
tous les pays. De grosses quan-
faut, il y fera des ravages sé- selon la chance. Au mouil- colle, en prenant soin de netités de ces précieuses cartes,
rieux sans qu'on s'en doute. lage, la bateau ne travaille pas, pas faire un faux pli. Ça a une fois périmées, sont dé-
J'ai vu cela à plusieurs re- et alors l'étanchéité obtenue tenu près d'un an.
prises, sur des bateaux dou- truites par le Service carto-
par ce procédé peut durer des Sur Joshua, en école de
blés cuivre et sur un bateau graphique. Si un organisme
mois. voile, le vieux foc largement
en bois moulé plastifié. officiel pouvait mettre la main
Encore une petite informa- déchiré à une couture a été
dessus avant leur destruction,
tion avant de quitter ce sujet recollé avec une bande adhé-
inépuisable des réparations et et nous les céder au prix de la
sive placée de part et d'autre
pâte à papier, majoré des
Voies d'eau introuvables
Un sac de sciure de bois bricolages : j'ai vu des voiles de la déchirure : un de mes
peut s'avérer précieux à bord déchirées qui ont traversé au équipiers se servait couram-menus frais, nous pourrions
moins un océan, réparées pro- ment de ce procédé sur son les corriger auprès des navi-
d'un vieux bateau en bois,
pour venir à bout d'une quan- visoirement mais d'une ma- propre bateau. J'ai malheu- res pour ce qui nous inté-
tité d'entrées d'eau. La mé- nière quasi définitive, en y reusement oublié le nom de resse. Cela aiderait bien des
thode est la suivante : remplir collant des placards avec du ce produit de dépannage. Cejeunes et moins jeunes.
une boîte de sciure, plonger à Texticroche, sans fil ni ai- foc a tenu environ jusqu'à la Paul-Emile Victor et son
environ 2 mètres sous la quille guille. J'ai également vu répa- fin de la saison, avec quel-équipe ont aidé pas mal de
en tenant la boîte à l'envers rer une voile tergal, toujours ques ménagements tout de jeunes, comme ça, simple-
pour que la sciure ne s'échap- sans fil ni aiguille, avec de la même, mais malgré plusieurs ment pour les aider, avec du
pe pas et ne se mouille pas, colle Formica (très employée coups de mistral. Je n'iraisvieux matériel devenu inapte
puis retourner la boîte, ouver- pour le travail du Formica pas jusqu'à recommander pour les pôles mais encore
ture vers le haut. La sciure en menuiserie). Evidemment, cette méthode, cependant elle
très valable sous des latitudes
s'échappe alors, et monte en c'est du bricolage, mais cela en a dépanné plusieurs. moins rudes. Peut-être ont-ils
nuage vers la carène (agiter peut servir, et, ayant assisté à été déçus de temps en temps,
la boîte pour obtenir une meil- l'opération, je vais la décrire. Cartes marines mais qu'est-ce que cela peut
leure dispersion). Une fois Il s'agissait d'un bel accroc sur Le jeu des Pilot Charts bien faire, si, de temps en
contre la carène, des parti- une voile tergal. Le copain a couvrant le monde entier ne temps aussi, leur aide a servi
cules de sciure sont aspirées découpé une pièce de la di- coûte pas cher. On y trouve à quelque chose?
41 2 413
longues, mais cela n'empêche jours de travail chez un co- Galapagos pourront deman-
Manger
qu'un équipement simple pour pain à terre. der la, recette aux colons. Le
Au cours de certaines es- William, qui a traduit ce matériel consiste en un vieux
cales, on trouve parfois des les conserves peut se révéler
fort utile. bouquin en anglais, approvi- fût métallique de 200 litres,
occasions inespérées concer- sionnait la cambuse du ketch des crochets fabriqués sur
nant l'approvisionnement à . J'ai entendu parler de pe-
tits appareils à usage ménager Tiki en chèvres sauvages pen- place avec du fil de fer, et du
bon compte, autrement dit dant son escale aux Galapa- bois vert de palétuvier qu'on
pour rien : tortues de mer, pour sertir les boîtes, mais ne
les connais pas personnelle- gos. Les meilleurs morceaux va couper à la machette en
poissons et fruits très nom-
ment, et je crois qu'ils sont seraient les filets le long de la bordure de mer.
breux aux Galapagos, citrons, colonne vertébrale, le cceur et Le séchage des bananes est
oranges, pamplemousses, chè- tout de même assez encom-
brants pour un petit bateau. le foie. Pour saler le reste, intéressant car un régime de
vres et moutons sauvages aux voici sa recette : découper des bananes mûrit d'un coup et
Marquises, thons et dorades De plus, le problème d'en-
combrement posé par les entailles profondes espacées on n'a pas le temps de tout
en mer quand on passe sur un
boîtes vides serait de taille. d'environ un centimètre, dans manger avant qu'elles pour-
banc et qu'ils se mettent à le sens de la longueur, sans
Aux Galapagos, les Deroy rissent. Il suffit de peler les
mordre tous à la fois, neufs et enlever l'os. Frotter ensuite la
utilisaient des bocaux spé- bananes mûres, de les couper
tortues à l'Ascension, etc.
ciaux en verre, qui avaient la viande avec du gros sel et en trois dans le sens de la lon-
Du temps de Wanda et de
particularité d'un couvercle mettre au soleil. Retirer le jus gueur, et de laisser quatre à
Marie-Thérèse II, nous regret-
métallique très plat. Une chaque soir et stocker à l'abri six jours au soleil. Les proté-
tions, Henry Wakelam et moi,
grande quantité de couver- de la rosée pendant la nuit. ger de la rosée pendant la
de n'être pas équipés pour fa-
Deux à trois jours d'exposi- nuit. Très nourrissant. Se con-
briquer des conserves: cles de réserve occupaient une
tion au soleil suffisent. Pour serve plusieurs mois.
- Tu imagines notre cha- place minime, détail impor-
tant sur un bateau. (Les gros cuire, laisser tremper quel- Dans sa très intéressante
grin si un jour on rencontrait
couvercles traditionnels en ques heures dans de l'eau thèse de doctorat sur les plan-
un âne bien gras sans pro-
verre solidaires du bocal par douce. Curry ou risotto en- tes de la Polynésie, Paul-
priétaire, un âne à personne
une charnière métallique oc- suite. Aux Galapagos, le gros Henri Petard nous donne des
sauf à nous !
cupent une place rédhibitoi- sel se trouve dans des sortes renseignements précieux. Les
- On ne pourrait quand
re, sans parler du poids.) de crevasses naturelles à ciel lignes en italique sont extrai-
même pas le tuer pour man-
Pour la préparation des con- ouvert. tes de cette thèse, publiée le
ger juste quelques jours de
serves, une Cocotte-Minute de On peut aussi fumer de la 27 mai 1960 à la Faculté de
curry d'âne.
bonne taille suffit à la stérili- tortue de mer et de la chèvre médecine et de pharmacie de
- Tandis que si on était
sation. Le manuel qui accom- sauvage. C'est un procédé Marseille.
équipés pour faire des conser-
pagne la Cocotte-Minute donne assez long, qui prend au moins Parlant des grandes fou-
ves...
toutes les indications à ce un jour et une nuit de travail gères arborescentes connues
Il faut dire que nous avions
patient si l'on veut un bon ré- sous les noms indigènes de
les dents très longues et poin- sujet : temps de cuisson, etc.,
sultat. Mamau à Tahiti, d'Aki et
tues à cette époque. Elles sont et on doit pouvoir faire pas
maintenant sans doute moins mal de boulot en quelques Ceux qui font escale aux d'Aki Vivi à Rapa, de Tuku
41 4 415
journalière ne présente aucun de longues feuilles d'un vert
aux Marquises, le docteur que taros, bananes, patates,
inconvénient... sombre, qui forme des haies
Paul-Henri Petard écrit: arbre à pain, ne poussent
qu'avec une grande difficulté, « Normalement, l'eau de coco autour de la plupart des cases.
« Le cour (moelle du tronc)
est stérile. Elle peut être injec- C'est le,ti, liliacée, qui, en rai-
et les bourgeons terminaux et et où le cocotier lui-même
tée par voie sous-cutanée, in- son de ses multiples usages
latéraux sont riches en fécule, germe difficilement, le panda-
tramusculaire ou intraveineu- joue dans la vie indigène un
et peuvent être consommés nus fleurit spontanément et re-
présente une source de nourri- se sans provoquer aucun trou- rôle comparable à celui du uru
après cuisson. C'est un aliment
de disette qui, avant l'arrivée ture absolument sûre. La pulpe ble. Elle remplace avantageu- (fruit de l'arbre à pain) et du
n'est pas mangée crue, même sement le sérum glucosé et les pandanus... La racine de ti est
des Blancs, a sauvé des cen-
aux époques de disette, car elle différents sérums salés artifi- une racine pivotante allongée,
taines d'indigènes de la fami-
ciels provoquant un véritable souvent ramifiée, qui peut at-
ne et qui est encore utilisé irrite très fortement les mu-
lessivage des reins... teindre chez un arbuste âgé de
actuellement par les habitants queuses...
vingt ans une longueur de deux
de Rapa et ceux des Marquises « Pour la consommation im- « L'albumen frais, ou aman-
médiate, les fruits sont bouil- mètres et le diamètre de la
dans de rares occasions...
cuisse d'un homme... Une ra-
de, du coco, est consommé à
D'une façon générale, le voya- lis dans l'eau ou cuits dans le
tous les stades de la matu- cine de cinq kilos renfermerait
tous les stades de la noix (à
geur égaré dans la forêt et à four tahitien. S'ils sont desti-
court de nourriture peut sub- nés à être utilisés plus tard, on rité). La chair molle, sembla- plus d'un kilo de saccharose.
ble à du lait caillé des cocos Les jeunes racines sont très
sister un certain temps avec en retire la pulpe dont on fait
les frondes de la plupart des des galettes en la mélangeant à nia ( mûrs mais pas secs, qu'il pauvres en sucre, et ne sont pas
espèces de fougères, cueillies l'amande fraîchement râpée de faut donc cueillir en grimpant employées dans l'alimentation.
très jeunes, avant qu'elles ne la noix de coco; ces galettes au cocotier) est donnée aux La richesse augmente avec l'âge,
sont séchées au soleil et peu- bébés, ainsi qu'aux petits co- et les indigènes consomment
soient déployées et qu'elles ne
vent se conserver indéfiniment chons qui ont été privés de la toujours des racines de plus de
portent des feuilles, et cuites
pour être cuites au moment du mamelle. Elle contient, d'après 5 ans, pesant plus de 5 kilos... ».
soigneusement. Les espèces toxi-
besoin... » J. Lepine, pour 100 parties: Mais il faut cuire cette ra-
ques sont extrêmement rares. »
Parlant du pandanus (Fara Concernant la noix de coco, cine entre 24 et 48 heures au
Sucres 1
Paul-Henri Petard nous ap- four polynésien. Ce four, ou
à Tahiti, Ha 'a Fa 'a aux Mar- Gommes .... 0,33
prend des choses fort intéres- himaa, se prépare grosso mo-
quises, Hala aux Hawaï, Tima Albumines... 1,46
aux Touamotou, etc.), Paul- santes do comme suit : on creuse un
Huile 2,40
Henri Petard nous apprend « Dans certaines îles des Po- trou d'environ 1,50 m de dia-
Cellulose .... 4,30
ceci motou, dépourvues de sources mètre par 50 à 60 cm de pro-
Sels minéraux 6
«Le fruit du pandanus joue (c'est-à-dire tous les fondeur, on y brûle du bois ;
Eau 84
atolls), lorsque les citernes ali- quand le bois est devenu
d'eau
un rôle de premier plan dans
l'alimentation des indigènes de mentées par les pluies sont Plus loin, Paul-Henri Petard braise, on y met des cailloux
certaines îles. Sur les atolls de épuisées les habitants boivent nous parle du ti, « arbrisseau qu'on laisse chauffer au rouge,
formation récente où les plan- constamment l'eau de coco et à tige droite et flexible, non ra- on recouvre ensuite les pier-
tes nutritives océaniennes, telles cette absorption massive et mifié, terminé par un panache res avec un lit de feuilles de
417
41 6
bananier, on pose la nourri- ble de faire germer des grai- mois dans des bocaux non siens et Pomotous que j'ai in-
ture à cuire dessus, on remet nes de blé, soja, cresson. Si je étanches, à condition que le terrogés m'ont affirmé que ce
des feuilles pour la protéger n'ai pas persévéré dans cette vinaigre recouvre bien. poisson n'a jamais empoi-
de la terre, et enfin on recou- voie pendant mon voyage, Se méfier du poisson dans sonné personne.
vre de terre ou de sable et on c'est surtout parce que, étant les atolls et les îles corallien- Dans les zones que je con-
laisse cuire tranquillement. peu doué pour la cuisine, je nes du Pacifique : certains nais de l'océan Indien (Cha-
Pour les aliments habituels, ne connaissais pas de bonnes poissons sont parfaitement gos, Cargados-Carajos, île Mau-
cela prend une ou deux heu- recettes pour consommer les comestibles ici, alors que là, rice), le poisson toxique existe
res. Pour le ti, 24 à 48 heures, germes. deux cents ou trois cents mè- aussi, mais c'est beaucoup
d'après Paul-Henri Petard. Nicole est arrivée à Tahiti tres plus loin, la même variété moins grave que dans le Paci-
« Il y a une vingtaine d'an- en solitaire avec Esquilo. Elle peut être très toxique. On au- fique, on s'en tire générale-
nées, on pouvait encore trou- fait une choucroute à base de rait vu des cas mortels. Tou- ment avec une ou deux mau-
ver aux étalages des mar- papayes : peler les papayes jours demander à un habitant vaises nuits.
chands ambulants de Papeete, vertes, les râper, retirer les pé- si tel ou tel poisson est con- Aucun bruit suspect aux
des cubes de racines de ti cuites pins, et laisser mariner quinze sommable. Il vous deman- Galapagos : tous les poissons
au himaa. Cette friandise était jours au minimum dans du dera où vous l'avez pêché. y seraient comestibles, à part
très appréciée des Tahitiens sel. Se conserve ainsi très En règle quasi générale, les le tétrodon qui peut être mor-
qui suçaient les fragments longtemps. Pour consommer, poissons chasseurs (thons, ca- tel, paraît-il, dans toutes les
de ti en guise de bonbons et rincer la «choucroute» afin rangues) pêchés dans les eaux mers. Celui-là se reconnaît fa-
s'en servaient pour sucrer leur d'éliminer le sel, et cuire en- coralliennes ne sont pas toxi- cilement : il se gonfle et pous-
thé... Lorsque les indigènes de viron une demi-heure en Co- ques. Mais cela arrive parfois, se des grognements quand on
Rapa n'ont pas le temps ou le cotte-Minute. Ajouter ensuite j'ai rencontré deux personnes le pend à la ligne. Yves et Ba-
courage d'allumer le himaa, la viande, le lard et le saucis- durement touchées par du bette Jonville en ont fait une
ils se contentent de découper son (frais ou en conserve), un thon (un mois de maladie). grosse consommation pen-
les racines crues en tranches peu d'extrait de viande, poi- Par contre, il paraît qu'un cer- dant leur séjour aux Galapa-
très minces, et de les plonger vre, épices. Remettre à cuire tain poisson peut être mangé gos, mais en prenant grand
dans l'eau bouillante pendant dix minutes. à coup sûr : il s'agit d'un pois- soin d'enlever la peau et la
plusieurs heures; ils obtien- La recette de Nicole pour son rouge vif avec de gros tête, et surtout les viscères. Un
nent une décoction sucrée conserver thons et dorades yeux très noirs et des écailles ami océanographe leur avait
qu'ils emploient après l'avoir pêchés à la traîne est celle-ci presque aussi tranchantes parlé du tétrodon comme d'un
filtrée, pour édulcorer leurs cuire à l'eau, mettre les mor- que des lames de rasoir. Pas poisson très fin, à condition
boissons et leurs aliments. » ceaux chauds ou froids (pas plus grand que la main, il af- de prendre les précautions
A bord, dans les coins pas d'importance) en bocaux de fectionne les petites cavernes dites plus haut.
toujours bien ravitaillés en verre et remplir de vinaigre, sombres des pâtés de coraux En plein océan, on peut
verdure (littoral des Galapa- après avoir ajouté oignons et vit en groupe. Très facile à parfois harponner des balis-
gos et atoll des Touamotou crus hachés et herbes. Se tirer au fusil sous-marin. tes par temps calme. Ils ai-
par exemple), il serait agréa- conserve ainsi pendant des Tous les Tahitiens, Marqui- ment se tenir près du gou-
41 8 419
vernail. Ce sont des poissons chose m'arriverait dans un traduit quelque chose d'inté- cision sur le temps d'ébulli-
de la taille de la main, avec coin isolé ressant pour nous, avec l'aide tion ni sur la quantité d'eau.
une peau comme du cuir et a) Pour la douleur: deux in- du professeur de tahitien Ma-
une grosse arête sur le dos, jections intramusculaires par
co Tevane. Le sorcier Tiuraï
qui se dresse et reste bloquée. jour de Novobédouze Dix Mille
L'argent
donne deux recettes Eh oui, l'argent... on a
D'où le nom de «poisson-cran (forme retard de la vitamine
beau ramasser les clopes et
d'arrêt » qu'on lui donne aussi. B 12) plus quatre comprimés Première recette:
vivre à peu près intelligem-
J'en ai mangé une dizaine par jour de Bétrimax (com- Une cuillère à soupe de vi- ment, il en faut quand même
dans ma vie, mais j'ai appris plexe vitaminé B,, B6, B 12 ). naigre. Une cuillère à soupe plus ou moins selon les tem-
tout récemment en relisant M'en tenir à ces doses, ne de sucre roux. Un fruit vert péraments. En tout cas, une
Bombard, que le baliste est pas les dépasser. Injections et
(pas mûr) du nono (Morinda chose est certaine : on peut
parfois toxique au point de comprimés pendant deux à
cyclifolia des botanistes). Ce aller très loin et mener une
pouvoir tuer. quatre jours. Réduire dès que
fruit pousse sur un arbuste et vie intéressante avec très peu
Une publication médicale possible le nombre des injec- d'argent au départ, car on se
présente des nodosités assez
de J. et C. Rivolier, parue dans tions à une par jour. débrouille toujours en che-
semblables à celles de l'ana-
b) S'il y a diarrhées: outre min... à condition d'être en
nas. Sa taille varie d'un neuf à
Les Cahiers Sandoz, n° 14,
juin 1969, est fort bien docu- les injections et comprimés du
mentée sur les animaux ma- paragraphe précédent, pren- une balle de tennis. On le ren- chemin.
contre sur beaucoup d'îles du Charter ou école de voile
rins venimeux et vénéneux. dre un antiseptique intestinal en ont dépanné beaucoup aux
A Tahiti, j'ai consulté le doc- du type Ercéfuryl, Ganidan ou Pacifique et sur les atolls.
La recette consiste à écra- Antilles et à Tahiti. Avec ça, la
teur Christian Jonville, copain Talidine, pendant trois jours. caisse de bord se remplira
de bateau, qui a fait le tour du ser ce fruit du nono entier
probablement moins qu'en Mé-
(avec la peau, les graines,
c) S'il y a vomissements:
monde à la voile et pas mal ajouter à la cure du Primpé- diterranée, mais c'est incon-
bourlingué dans le Pacifique. ran en gouttes, ou injections, tout) à en extraire le jus, en le
testablement un moyen cor-
I1 peut donc se placer dans ou comprimés, au choix, tant pressant dans un linge par rect pour faire rentrer des
notre optique et voici ce que que durent les vomissements. exemple, à mélanger ce jus au sous afin de pouvoir conti-
j'ai noté De toute manière, essayer vinaigre, à ajouter le sucre, et nuer. Et, que le bateau mesure
L'intoxication courante se de rallier un centre de se- à boire la solution. Recom- quinze mètres ou neuf mè-
traduit par des maux de tête, cours médical ou un hôpital, mencer le lendemain. Pas plus. tres, on peut toujours s'en sor-
douleurs derrière les yeux, dou- il ne faut pas s'amuser à bri- La seconde recette, c'est pour tir avec le charter ou l'école
leurs articulaires, diarrhées et coler avec ces choses-là, sauf quand on n'a rien sous la de voile, à certaines escales
éventuellement vomissements. i mpossibilité de faire autre- main : prendre les arêtes du favorables.
Puis des démangeaisons par- ment. poisson fautif, les réduire en Ici à Tahiti, où bon nombre
fois très intenses. D'autre part, Christian Jon- poudre, mélanger cette pou- de copains bricolent à terre
Le traitement qui suit m'a ville a retrouvé des textes du dre à de l'eau, faire bouillir, ou sur d'autres bateaux, le ni-
été conseillé en 1971 par Chris- vieux sorcier tahitien Tiuraï, et boire. Le texte du sorcier veau de la caisse se main-
tian Jonville pour le cas où la décédé depuis longtemps, et a Tiuraï ne donne aucune pré- tient. Jory réparait des voiles
42 0 421
et fabriquait des tauds sur sa pendant une escale d'Extrê- d'alimenter la caisse. Cela de- avait des fleurs et des arbres et
machine à coudre pour les me-Orient en territoire de mande malheureusement une des choses vertes partout, et le
yachts riches. Christian, qui langue britannique, il y a trèss mise de fonds importante, avec ciel était bleu au lieu d'être tout
avait débarqué sans un sou longtemps. C'était très peu de gros aléas, car il faut fil- gris et la mer aussi était bleue,
alors qu'il était équipier sur payé, cela permettait tout juste mer en 16 mm couleurs. Mais ce n'était pas du goudron, on
un yacht de passage, est re- de manger, et je ne sais pas si si on peut se permettre ce ris- pouvait même aller dessus sans
parti deux ans plus tard s'ache- mes élèves ont appris grand- que, la croisière se révélera demander la permission parce
ter un cotre acier de huit mè- chose. Mais moi, c'est comme sans doute plus intéressante, qu'on était libre encore autre-
tres en Hollande : il avait ça que j'ai appris l'anglais, et plus vivante, on remarquera fois, je vais te raconter com-
gagné l'argent en faisant des cela m'a bien servi par la des choses qui nous auraient ment c'était avant, quand j'avais
photos-minute Polaroid à l'ar- suite. peut-être échappé autrement. ton âge... viens voir, je vais te
rivée des touristes au terrain On peut aussi écrire un Et si on peut récupérer la montrer un très vieux film, on y
d'aviation et sur les quais de bouquin. Il suffit de raconter. mise tout en présentant au voit la mer bleue avec ses
navires, et dans les bars la Les revues nautiques, de leur public un film qu'on aime, vagues blanches et ses plages
nuit. Jack rédigeait des lettres côté, sont souvent heureuses puis vivre ensuite de cette dorées, et des oiseaux qui volent
commerciales en anglais pour de prendre des récits de tra- manière, ce n'est pas de l'ar- vraiment et qui chantent, et des
les importateurs chinois d'ici. versée, de vie aux escales. Ça gent volé. Et si on en ramasse fleurs et des arbres. Mais tout
Pour ceux qui possèdent très ne paierait pas pour la vie à quand même trop pour nos cela a été détruit par...
bien une langue étrangère, il terre, elle coûte cher. Mais à besoins raisonnables, on peut Peu après la première édi-
y a parfois des travaux de tra- bord, c'est très différent. Au toujours en utiliser une partie tion de ce bouquin, j'ai reçu
duction. C'est ce qu'ont fait cours du voyage précédent, pour des choses qui ne font une vague de lettres indignées
William et un autre copain à de France à Tahiti et retour, de mal à personne, planter un au sujet de mon « don au
cheveux longs. nous avons vécu deux ans sans arbre par exemple. Et si nous Pape ». A ceux qui me repro-
Klaus, lui, nous a confié la entamer nos réserves, grâce à ne voulons vraiment pas pren- chent cela, je recommande de
garde de son bateau pendant un travail de gréement et de dre conscience du drôle de se faire cuire un ceuf, très len-
quelques semaines pour aller gouvernail automatique sur destin vers lequel les faux tement. Et de méditer, pen-
convoyer, en tant que skip- un yacht voisin à Casablanca, dieux du monde moderne en- dant cette cuisson, sur une
per, des Antilles à Tahiti, le un peu de charter aux Cana- traînent l'humanité entière, histoire où il est question d'un
bateau de vingt-cinq mètres ries et aux Antilles, quelques alors viendra un jour où nous coup de lance-pierres et d'un
d'un riche industriel. C'était articles pour la revue Bateaux pourrons dire à nos petits-en- mot de passe compris de tra-
un gros coup, car ce genre de et un convoyage d'une se- fants: Tu sais, autrefois il y vers.
convoyage paie bien. Bien maine.
entendu, il ne faut pas trop La réalisation d'un film au
compter sur des rentrées aussi cours de la navigation peut se
belles, mais on se débrouille révéler passionnante. Sa pro-
toujours. Je me souviens avoir jection aux escales est un
donné des leçons de français moyen à peu près certain
42 2
Glossaire
42 5
en général, donc pas de ba- mauvaise. Il y a différentes temps de se remplir, c'est Ecoute. Cordage servant à
lancine. méthodes : par exemple, on le principal. orienter les voiles par rap-
peut baisser (amener) toutes port au vent, et placé à l'ex-
Bôme ou heaume. Voir plus Carène. Partie immergée de
les voiles, puis amarrer la trémité basse de la voile
haut à balancine. Une bôme la coque. On dit parfois
peut être en bois ou en al- barre du gouvernail « sous aussi «les oeuvres vives» (point d'écoute). On dit
le vent » (à tribord si le vent qu'on borde la voile (ou
liage d'aluminium, comme par opposition aux « oeu-
les mâts. Les bômes de Jo- vient de bâbord) et aller vres mortes» qui font par- l'écoute) quand on tire
dormir. Le bateau se met- l'écoute vers l'intérieur du
shua sont en bois. Ses mâts tie de tout ce qui n'est pas
aussi. tra alors à faire tranquil- bateau. On choque la voile
immergé.
lement le bouchon, sans (ou l'écoute) quand on « lais-
Bonnette. Voile supplémen- Choquer. Laisser filer un peu, se filer» l'écoute vers l'ex-
taire de beau temps qu'on avancer, en attendant la fin
donner du mou, dans un térieur. Il est évidemment
peut placer (on dit : établir) du mauvais temps. Mais il cordage, une écoute, une beaucoup plus facile de
sous une autre voile, pour est parfois dangereux de ne drisse. choquer que de border, puis-
augmenter la surface de porter aucune voile à la
Cockpit. Genre de caisson ou- que pour choquer une voile,
toile. cape. Alors, on met un peu
vert sur le pont et à l'ar- il suffit de laisser filer l'écou-
Bout-dehors. Pièce de bois de grand-voile, et la trin-
rière de la cabine où l'on te, la force du vent se char-
quette à contre (bordée vers
(de fer pour Joshua et pour peut se tenir sans être trop ge du reste. Pour border, il
la plupart des bateaux en le côté d'où vient le vent)
exposé au danger. C'est du faut des muscles ou un
acier) qui prolonge l'étrave toujours barre du gouver-
cockpit qu'on barre en gé- winch (ou un palan).
sur l'avant (voir le dessin nail amarrée sous le vent à
néral. Empanner. Faire passer (vo-
page 15). A l'heure actuel- l'aide de sandows. Ainsi, le
Draille. Câble d'acier partant lontairement ou par acci-
le, peu de bateaux ont un bateau dérive un peu, et
cela crée une sorte de re- de l'étrave et allant en gé- dent) les voiles d'un bord à
bout-dehors, mais je trouve
néral jusqu'aux deux tiers l'autre, au vent arrière.
le bout-dehors bien pra- mous protecteur du côté
de la hauteur du grand mât. Quand le vent est fort, cela
tique car il permet d'en- «au vent». Ce remous pro-
Cela consolide la tenue du peut provoquer la rupture
voyer (d'établir) plus de voi- tecteur empêche les lames
mât et permet en outre de la bôme sous le choc, si
les. En revanche, le bout- de déferler. Mais depuis que
d'établir la trinquette (voir le bateau porte trop de
dehors est parfois de trop les bateaux naviguent, on a
étai). toile pour le vent.
dans les ports. écrit des tonnes de papier
Capeyer. Tenir la cape. C'est sur la manière de prendre Drisse. Cordage (ou câble Espar. N'importe quelle pièce
la cape, et cela n'empêche d'acier de petit diamètre de bois allongée, comme la
difficile à expliquer en quel-
pas toujours le bateau de se très souple) passant dans bôme, le bout-dehors, etc.
ques lignes. C'est une ma-
nceuvre de mauvais temps, faire retourner par une dé- une poulie en haut du mât Etai. C'est à peu près la
qui permet de laisser le ba- ferlante. Mais si le bateau a et servant à hisser les voi- même chose que la draille,
teau se débrouiller tout une quille lestée, il se re- les. Il y a une drisse pour mais à cette différence que
seul quand la mer est très dresse avant d'avoir eu le chaque voile. l'étai relie l'étrave (ou l'ex-
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trémité du bout-dehors) au gaffe » est donc une expres- morquée par une ligne en- Ainsi, il y a longtemps, l'une
sommet du grand mât. sion imagée qui veut dire traîne le compteur, qui, lui, des montagnes de Tahiti
L'étai sert à tenir le mât et « se méfier ». est fixé sur le pont, à l'ar- a été emmenée jusqu'à la
aussi à établir le foc, tour- Guindeau. Genre de cabestan rière du bateau. En régate, baie de Paopao sur l'île voi-
mentin, génois (voir dessin servant à relever la chaîne on utilise de préférence un sine de Moorea, à l'aide d'un
p. 15). de l'ancre. Plus un bateau loch beaucoup plus perfec- palan multiple que les ha-
Etarquer. Hisser à bloc, rai- est petit, moins le guindeau tionné et minuscule, fixé bitants avaient sculpté dans
dir à bloc. est nécessaire, puisqu'on sous la carène, avec une hé- la coquille des nacres du
peut alors hisser l'ancre en lice de quelques centimè- lagon. Mais ils ont d'abord
Ferler. Amarrer une voile le
long de sa bôme, après avoir tirant à la main sur la tres de diamètre (2 ou 3 cen- ceinturé la montagne avec
amené (baissé) la voile. S'il chaîne. De nombreux ba- timètres), qui ne freine ab- un cordage tressé dans
n'y a pas de bôme, on ferle teaux de régate, même solument plus le bateau. l'écorce des buraos de la côte
grands, préfèrent se passer Beaucoup de bateaux de Ouest. Et si beaucoup de
quand même, ça ne fait
rien. On ferle en se servant de guindeau, puisque l'équi- croisière sont du reste équi- gens maintenant ne croient
de rabans, petits bouts de page est nombreux et que pés avec ce second type de pas à cette histoire vraie,
cordages ou petites laniè- le guindeau pèserait lourd loch, qui donne à la fois la c'est peut-être parce qu'ils
res de tissu. et gênerait les manoeuvres vitesse et la distance par- ont oublié qu'autrefois les
de voiles parfois. En croi- courue. hommes croyaient en quel-
Foc. Voile triangulaire placée sière, il en est tout autre- que chose.
sur l'avant du bateau (voir Lofer. Dévier la route en al-
ment.
le croquis page 15). lant vers le côté d'où souf- Près. On dit qu'un bateau na-
Haubans. Câbles d'acier ser- vigue au près quand il re-
Génois. C'est un grand foc. fle le vent. C'est le contraire
vant à soutenir les mâts la- monte le vent à environ
On portera donc le génois d'abattre.
téralement. 45°, c'est-à-dire le plus près
quand le vent n'est pas trop Moustaches. Genre de hau-
fort, sans quoi, c'est le mât Hiloire. Partie verticale de la possible du lit du vent. Le
ban servant à tenir le bout-
qui casse. Le tourmentin cabine au-dessus du pont près «bon plein» est un
et aussi partie verticale du dehors latéralement. En gé-
est également un foc, mais près moins serré, soit envi-
cockpit qui sert à protéger néral, les moustaches sont ron 600. On comprend que
tout petit, pour quand ça
souffle dur. l'homme de barre contre en câble d'acier (comme le bateau marche mieux au
les embruns et le vent. les haubans), mais je pré-
Gaffe. Perche solide, de deux près bon plein qu'au près
fère avoir des moustaches serré, il bute moins, tosse
et trois mètres de long, avec Loch. Appareil servant à en-
en chaîne, moins sujettes à moins dans la lame, va plus
un crochet arrondi au bout, registrer la distance par-
la corrosion. vite. Mais il fait un moins
servant à ramasser un courue et qui fonctionne
objet tombé à la mer, à re- sans doute à la manière Palan. Ensemble de poulies bon cap contre le vent au
pousser un quai pendant d'un compteur de vitesse servant à multiplier l'effort près bon plein qu'au près
une manceuvre de port, sur une automobile. Dans sur un cordage. La force serré. Il faut choisir selon
etc. «Tenir à longueur de le loch, une petite hélice re- du palan est considérable. l'état de la mer.
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Ris (ou bandes de ris). Petits génois, le foc de route, le écoutes, et aussi de réaliser sert d'un palan, mais c'est
trous percés dans la voile, petit foc, le plus petit foc et des réglages très précis. beaucoup plus long et com-
en bandes horizontales, les- enfin le tourmentin. On C'est pourquoi on voit des pliqué.
quels trous sont renforcés peut même avoir des tour- winches même sur des ba- Wharf. En gros, c'est un quai
par des ceillets (comme mentins de différentes tail- teaux assez petits. Quand ou un appontement.
une boutonnière). Des pe- les, l'un petit, l'autre très on n'a pas de winch, on se
tits bouts de cordage y sont petit. A noter que toutes ces
fixés et servent à réduire la voiles (du génois au tour-
toile selon la force du vent. mentin) font partie de ce
Le bas ris est le ris le plus qu'on appelle les « voiles
haut, c'est-à-dire celui qui d'avant », ainsi que la trin-
permet de réduire le plus quette : c'est-à-dire tout ce
de toile. Courir au bas ris qui se trouve sur l'avant du
veut donc dire courir sous grand mât.
le minimum de toile. (Voir Trinquette. Voile d'avant pla-
p. 370 à 372). cée entre la grand-voile et
Sancir. Chavirer par l'avant le foc. Les bateaux de pe-
cul par-dessus tête. tite taille se contentent gé-
Sous-barbe. Les moustaches néralement du foc et évi-
servent à tenir le bout- tent la trinquette. Mais, pour
dehors latéralement, la sous- la croisière, les marins pré-
barbe sert à tenir le bout- fèrent souvent ce qu'on ap-
dehors de bas en haut. Tout pelle un «gréement divisé»,
comme les moustaches, la c'est-à-dire foc et trinquette,
sous-barbe de Joshua est permettant des réglages plus
en chaîne au lieu de câble faciles, avec des voiles moins
d'acier. Beaucoup de ba- grandes individuellement,
teaux préfèrent une sous- donc plus maniables. Bien
barbe en chaîne, nettement entendu, les petits dériveurs
moins sujette que le câble à que vous voyez dans les
la corrosion. baies n'ont pas de trinquette,
elle serait inutile et gênan-
Tourmentin. Foc de très pe-
tite surface, solide, utilisé te, vu la taille de ces bateaux.
dans le mauvais temps. Par Winch. Genre de petits cabes-
ordre de taille, il y a donc tans permettant de tirer
le grand génois, le petit sans trop de fatigue sur les
43 0
TABLE
PREMIÈRE PARTIE
1. Toute la toile 9
2. Tétrodons et requins 35
3. Pie-chercheuse 45
4. Dimanche à Trinidad 53
65
6. Joué, perdu... Joué... gagné ! 79
5. Muchos pocos hacen un mucho
DEUXIÈME PARTIE
7. Bonne-Espérance 95
8. Sillage en dents de scie 119
9. Les jours et les nuits 141
10. La longue route 159
11. La règle du jeu 171
12. Noël et le Rat 183
13. Le temps des Tout Commencements 193
TROISIÈME PARTIE
433
QUATRIÈME PARTIE
APPENDICE 345
GLOSSAIRE 425
Les dessins des pages 21, 263, 286, 290, 304, 308, 320, 342
sont de l'auteur, ceux de l'appendice ont été réalisés par Ivo ;
ceux des pages 15, 24-25, 37 et 87 sont de Marc P.G. Berthier.
Pages 296 et 300: fac-similés du journal de bord.
Quelques croquis de l'auteur ont déjà paru dans la revue
« Bateaux ».
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Éditions J'ai lu
84, rue de Grenelle, 75007 Paris
Diffusion France et étranger : Flammarion