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Histoire du libéralisme économique et de sa critique

1. Mandeville et la Fable des abeilles. L’harmonie des intérêts

1. La fable des abeilles ou les Fripons devenus honnêtes gens. 1714 (2nde ed).

Le récit. (http://expositions.bnf.fr/utopie/cabinets/extra/textes/constit/1/18/2.htm),

- La ruche des Fripons : « Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres. La vanité,
cette passion si détestée, donnait de l’occupation à un plus grand nombre encore.
L’envie même et l’amour-propre, ministres de l’industrie, faisaient fleurir les arts et le
commerce ». « C’est ainsi que le vice produisant la ruse, et que la ruse se joignant à
l’industrie, on vit peu à peu la ruche abonder de toutes les commodités de la vie. Les
plaisirs réels, les douceurs de la vie, l’aise et le repos étaient devenus des biens si
communs que les pauvres mêmes vivaient plus agréablement que les riches ne le
faisaient auparavant. On ne pouvait rien ajouter au bonheur de cette société ».

- La conversion à l’honnêteté. « quelle consternation ! quel subit changement ! En moins


d’une heure le prix des denrées diminua partout (…) On évitait la vaine dépense avec
le même soin qu’on fuyait la fraude. (…)eux qui faisaient des dépenses excessives et
tous ceux qui vivaient de ce luxe furent forcés de se retirer. En vain ils tentèrent de
nouvelles occupations ; elles ne purent leur fournir le nécessaire. Le prix des fonds et
des bâtiments tomba. (…) Le peu d’abeilles qui restèrent vivaient chétivement. (…) A
mesure que la vanité et le luxe diminuaient, on voyait les anciens habitants quitter leur
demeure. (…) Tous les métiers et tous les arts étaient négligés. Le contentement, cette
peste de l’industrie, leur fait admirer leur grossière abondance. Ils ne recherchent plus
la nouveauté, ils n’ambitionnent plus rien. C’est ainsi que la ruche étant presque
déserte, ils ne pouvaient se défendre contre les attaques de leurs ennemis cent fois
plus nombreux ».

- Les survivantes, « voulant se garantir de toute rechute (dans le vice), s’envolèrent dans
le sombre creux d’un arbre où il ne leur reste de leur ancienne félicité que le
Contentement et l’Honnêteté ».

- Morale : « Quittez donc vos plaintes, mortels insensés ! En vain vous cherchez à
associer la grandeur d’une Nation avec la probité. Il n’y a que des fous qui puissent se
flatter de jouir des agréments et des convenances de la terre, d’être renommés dans la
guerre, de vivre bien à son aise et d’être en même temps vertueux. Abandonnez ces
vaines chimères. Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en
retirer les doux fruits. (…) Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la
faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu seule
rende jamais une Nation célèbre et glorieuse. Pour y faire revivre l’heureux Siècle d’Or,
il faut absolument outre l’honnêteté reprendre le gland qui servait de nourriture à nos
premiers pères ».

Commentaire

- Le vice (la vanité, la passion des biens matériels, du luxe) plutôt que la vertu (sobriété)
conduit au bien public (la production des richesses). Entre bien publique et vertu
privée, il faut choisir.

1
- Légitimation des inégalités, qui profitent même aux plus pauvres. Les intérêts (vicieux)
s’harmonisent car chacun en bénéficie (dans des proportions diverses). La dépense
des riches salarie les pauvres. La subsistance des pauvres est assurée par le désir de
luxe.

2. Postérité de la thèse de Mandeville

- L’économie séparée de la morale. Dostoievski, Crime et châtiment.

« Tenez, vous savez, d’avance et parfaitement, que cet homme-là, ce citoyen des plus
honorables comme des plus utiles, pour rien au monde il ne vous donnera de l’argent,
parce que, je vous le demande, pourquoi il vous en donnerait ? Il le sait bien, lui, que je
ne lui rendrai pas. Par compassion ? Mais M. Lébéziatnikov, disciple des nouvelles
pensées, expliquait l’autre jour que, la compassion, à l’époque où nous sommes, elle est
même interdite par la science, et que c’est ce qui se fait déjà en Angleterre, là où règne
l’économie politique. »

« Si, par exemple, on me disait jusqu’à présent : ‘‘aime ton prochain’’ et que moi je
l’aimais, qu’est-ce que cela donnait ? (...) cela donnait que je déchirais mon manteau en
deux, je partageais avec mon prochain, et nous restions tous les deux à courir à moitié
nus, comme le dit le proverbe russe : ‘‘à courir deux lièvres à la fois, on n’en attrape
aucun’’. La science, elle, nous dit : aime-toi d’abord toi-même, avant les autres, car tout
au monde est basé sur l’intérêt individuel. Si tu t’aimes toi-même, tu arrangeras tes
affaires comme il faut, et ton manteau restera intact. Quant à la vérité économique, elle
ajoute que plus la société compte d’affaires individuelles bien arrangées et, pour ainsi
dire, de manteaux intacts, plus ses bases sont solides et mieux s’établiront les affaires
communes. Ainsi donc, en acquérant uniquement et exclusivement pour soi, par là
même, j’acquiers, pour ainsi dire, pour tout le monde, et je fais en sorte que mon
prochain reçoive un peu plus qu’un manteau déchiré et, cela, non plus par la charité
d’un particulier, d’un individu, mais par suite au succès général. Une idée simple mais
qui, par malheur, ne nous était pas venue pendant trop longtemps, repoussée qu’elle
était par notre exaltation et notre inclination au rêve, et pourtant, pourrait-on croire, il
suffisait de peu d’esprit pour la comprendre » (22, vol.1, p.262).

Contre-exemples : Smith, Walras, Sen : l’intérêt (légitime) n’est pas toujours un vice.

- La relation à la politique. Respect approximatif des droits de propriété. Ce n’est pas


l’état de nature de Hobbes, qui au contraire conduit à une vie misérable.

- La critique socialiste, de Rousseau à Marx : augmentation de la pauvreté relative,


accroissement des besoins, dégradation des conditions de travail.

- L’intérêt privé : de la dépense à l’épargne.

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