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Helen

Moss

ADVEnTURe iSlAnD
Le Mystère de l'or disparu

Traduit de l’anglais par Joy Boswell


Pour Jack et Lana
1

UN seCRet danS
La CavE

« Trouver une cachette, vite ! »


Jack dévala trois par trois les marches de l’escalier en colimaçon.
Le phare offrait plein d’endroits super pour se cacher. La dernière fois,
Emily s’était glissée au milieu d’un amas de grosses cordes, au septième
étage. Quant à Scott, il avait presque fallu appeler les pompiers pour le
retrouver derrière le mécanisme de la vieille horloge, située dans le
salon du phare. La cachette parfaite, il fallait bien l’admettre… Sauf que
Scott n’arrêtait pas de s’en vanter depuis ! Pour gagner, Jack devait
absolument trouver une meilleure idée.
Il s’arrêta au cinquième étage et jeta un coup d’œil à travers le hublot.
Un large faisceau de lumière déchira le ciel noir, balayant le paysage
comme un rayon laser. Des vagues grosses comme des camions venaient
s’abattre contre les falaises et le vent faisait frémir les carreaux. L’orage
grondait si fort que le père d’Emily avait dû allumer la lanterne du phare
en plein milieu de l’après-midi.
Mais Jack avait mieux à faire que de s’occuper du temps. Scott ne
tarderait plus à venir le chercher. Le connaissant, il ne s’était même pas
embêté à compter jusqu’à 100 ! Il avait dû attendre quelques secondes
avant de crier « 99 et 100 ! J’arrive… »
Mais où se cacher ?
Jack reprit sa course à travers les escaliers. Il passa les trois étages
qui abritaient les chambres, puis la cuisine au premier, et se retrouva
dans la salle commune au rez-de-chaussée. Les parents d’Emily Wild
avaient transformé la vieille bâtisse en maison d’hôtes, qu’ils avaient tout
naturellement baptisée Le Phare. Plusieurs clients étaient assis au salon,
en train de lire ou de s’amuser à des jeux de société. L’orage avait fait
sauter les plombs. M. Wild avait allumé des bougies et le vieux poêle à
bois pour éclairer la grande pièce circulaire. Les flammes vacillantes
venaient se refléter sur les tapis et les tentures. Dans un coin, des jumeaux
de six ans jouaient au Kapla avec leurs parents. Soudain, les planchettes
de bois s’écroulèrent et l’un des enfants se mit à hurler.
– C’est pas juste !
– Il a triché ! s’écria le second.
« Sauve qui peut ! » se dit Jack.
Les escaliers descendaient encore d’un étage jusqu’à la cave : une
sorte de grotte taillée profondément dans la roche. Jack s’était déjà caché
là-bas une fois, derrière un tas de vieux gilets de sauvetage. Mais cela
valait le coup d’essayer de nouveau ! Il prit la lampe de poche qui était
accrochée sur la porte et s’enfonça dans l’obscurité.
Il faisait frais en bas. L’odeur d’humidité lui rappela l’épisode des
Grottes du Vent-Huant, lorsqu’il avait dû nager sous l’eau pour échapper
à la marée montante. Un souvenir qu’il n’était pas prêt d’oublier ! C’était
peu de temps après que Scott et lui étaient arrivés chez tante Kate. Leur
père était parti en Afrique pour déterrer de vieilles poteries au beau
milieu d’une zone de guerre. Les deux frères avaient rencontré Emily
Wild dès leur premier jour à Castle Key. Ensemble, ils avaient découvert
un trésor saxon dissimulé dans les grottes et un passage secret menant au
château. Depuis, ils s’étaient aussi échappés d’un lieu hanté et avaient
secouru une star de cinéma en fuite. Ces vacances d’été n’avaient
décidément rien d’ordinaire ! Il faut dire que Castle Key n’était pas une
île comme les autres…
Jack promena la lumière de la lampe à travers la pièce. La cave était
remplie d’objets de toutes sortes : des caisses de vin, des grandes toiles
blanches pour les peintures de Mme Wild, un ensemble de clubs de golf
et une multitude de bibelots qui avaient l’air de sortir de la préhistoire.
« Papa pourrait faire des fouilles archéologiques ici ! se dit Jack. Si
seulement j’arrivais à pousser cette vieille malle, je pourrais me cacher
derrière. »
Mais la malle en question était étonnamment lourde.
« Je me demande ce qu’il y a à l’intérieur… Une collection
d’encyclopédies peut-être, ou des balles de bowling ! »
Il poussa plus fort et le coffre finit par bouger. Soudain, son orteil
heurta quelque chose de dur. Jack étouffa un juron et éclaira aussitôt le
sol ; le coupable n’était autre qu’un vieil anneau de fer rouillé. Intrigué, il
tira dessus d’un geste vif. Une trappe, ensevelie sous un tapis de
poussière, émergea du sol en pierre.
Bingo !
Scott et Emily ne le trouveraient jamais ici !
– Tu as gagné, on abandonne ! cria Emily.
Elle regarda Scott d’un œil inquiet.
– Tu ne crois pas qu’il serait assez fou pour se cacher dehors ?
– C’est possible ! répondit Scott avec un sourire. Tu connais Jack, il
serait capable de surfer au milieu d’un tsunami !
– C’est bien ce que je craignais… Et s’il avait été emporté par une
vague !
Emily se précipita vers la porte d’entrée et l’ouvrit.
– Jack, reviens !
– Fermez la porte ! s’écrièrent les clients en chœur, tandis qu’une
violente rafale de vent s’engouffrait dans le salon.
– Personne n’est sorti, affirma la mère d’Emily.
Elle jouait au Monopoly avec l’un de ses hôtes, un vendeur japonais du
nom de Tanaka. Le vent avait éparpillé tous les billets sur le tapis.
Emily soupira. Où Jack pouvait-il bien être ? Drift, son chien et fidèle
compagnon dans de nombreuses enquêtes, frotta son museau contre ses
genoux. Puis il tendit son oreille noire, et remua l’autre de haut en bas,
comme pour lui faire un signe. Emily comprit aussitôt qu’il lui désignait
la cave. Mais ils avaient déjà cherché là-bas une centaine de fois !
Bizarre, d’habitude Drift ne manquait pas de flair. L’électricité ambiante
avait peut-être court-circuité son instinct de chasseur. Dans le doute, elle
décida néanmoins de le suivre…
– C’est à toi de le dire, décréta Emily tandis qu’ils arpentaient de
nouveau la cave.
– Dire quoi ? demanda Scott.
– Que tu abandonnes, bien sûr ! Jack s’en fiche complètement que je le
retrouve, il veut gagner contre toi !
Scott grogna. Emily avait raison. Mais admettre la défaite face à son
petit frère était aussi humiliant que d’arriver au collège en chaussons ! Il
avala sa salive et se racla la gorge.
– C’est bon, j’abandonne… marmonna-t-il, les dents serrées. Tu peux
sortir maintenant.
– Quoi ? Je n’ai pas bien entendu ?
Scott se retourna d’un coup. La voix étouffée de Jack semblait toute
proche, mais où était-il ?
– J’abandonne ! répéta Scott, en prononçant légèrement plus fort cette
phrase tant redoutée.
Le visage souriant de Jack apparut comme par magie derrière le coffre.
Ses cheveux blonds étaient constellés de toiles d’araignée et la poussière
grise recouvrait ses joues.
– On avait pourtant regardé là-bas ! dit Emily, le souffle coupé.
– J’étais dans le trou juste en dessous, répondit Jack en s’étirant. Pas
très confortable !
– Quel trou ? demanda Emily.
– Celui qui est sous la trappe.
– Quelle trappe ?
Jack regarda son amie, les yeux ronds.
– Tu ne l’as jamais remarquée ?
Emily secoua la tête.
Jack se mit à sauter de joie à travers la pièce. C’était encore mieux que
ce qu’il imaginait. Non seulement il avait gagné la partie de cache-cache,
mais il avait découvert un endroit secret que même Emily ne connaissait
pas ! À eux trois, ils parvinrent à dégager le coffre du chemin.
– Incroyable ! s’exclama Emily.
Elle s’apprêtait à faire une inspection complète de la cachette, quand
elle remarqua un rouleau de papier dans la main de Jack.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.
– Aucune idée. Ça traînait par terre, au fond du trou.
Jack se dirigea vers une vieille table cassée et déroula la feuille.
– L’écriture a l’air ancienne…
Scott et Emily approchèrent leurs torches. Le papier jauni était
constellé de taches brunes, l’encre était à peine visible.
– C’est une lettre ! s’exclama Emily.
Elle glissa ses cheveux bouclés derrière les oreilles et se pencha sur
l’écriture à moitié effacée. Elle parvint à déchiffrer une date, en haut de
la page : 5 août 1902. Un frisson d’excitation la parcourut. La lettre avait
plus de cent ans !
La lampe à quelques centimètres du manuscrit, Emily se mit à lire :
« Cher capitaine John Macy,
Durant ces trois semaines où vous m’avez accueilli chez vous, après
m’avoir sauvé des griffes d’une mer déchaînée, j’ai appris à vous
considérer comme un ami loyal et sincère.
C’est pour cela que je vais vous révéler ici un secret d’une grande
importance. Avant tout, je dois vous avouer que je ne vous ai pas tout
dit à propos de cette nuit terrible, où L’Impératrice a sombré dans la
baie de Castle Key.
Ce soir-là, je suis parvenu à grimper dans un canot de sauvetage
avec mon second, Tommy Spring, et une certaine marchandise de
valeur. Pris au cœur de la tempête, nous dérivâmes vers les abords
rocheux d’un îlot désert. Incapable de prévoir le sort qui nous était
réservé, nous avons caché… »
– Caché quoi ? s’écria Jack d’un air désespéré. Il ne peut pas s’arrêter
en plein milieu d’une phrase. C’est trop cruel !
Les yeux marron d’Emily se mirent à briller.
– Je parie que c’était de la marchandise volée ! Du whisky ou des
armes…
Scott et Jack se regardèrent en riant. Emily voyait des contrebandiers
partout ! Si la lettre avait été une liste de courses, elle serait
probablement partie en quête d’un trafic de boîtes de conserve. Mais
cette fois-ci, leur amie pouvait bien avoir raison…
2

UNe SeCoNde
DÉCouVeRte

I
– l doit y avoir une autre page quelque part, déclara Scott.
Mais c’est à peine si les autres l’écoutaient ! Jack, Emily et Drift
s’étaient déjà précipités dans la cachette. Soudain, le chien poussa un
gémissement de douleur. Jack venait de lui marcher sur la patte.
– Oups, désolé, mon vieux, dit-il.
– Pousse-toi, je ne vois rien ! grogna Emily.
Scott éclata de rire.
– Vous essayez de battre le record du plus grand nombre de personnes
dans un petit espace ?
Jack se hissa hors du trou, laissant à Emily tout le loisir d’éclairer les
parois. À première vue, aucune cavité n’avait été taillée dans la roche.
Mais cela n’arrêta pas Drift pour autant. Son odorat aiguisé avait repéré
quelque chose de très intéressant dans un coin de la cachette…
– Jack, donne-moi ton couteau de poche, dit Emily.
Elle inséra la lame dans une fissure de la taille d’un cheveu, et la
remua légèrement. Quelque chose céda. Elle enfonça le couteau plus
profondément et un morceau de mur entier se détacha progressivement,
dévoilant une petite alcôve.
Emily plongea la main à l’intérieur, le cœur battant. Ses doigts
rencontrèrent un objet lisse et rectangulaire.
– Je crois que c’est un livre, annonça-t-elle.
Elle s’extirpa à son tour de la cachette et prit Drift dans ses bras.
– Tu es un vrai génie à quatre pattes !
Scott examina l’ouvrage. Il était aussi grand qu’un manuel scolaire et
recouvert d’une couverture en cuir marron. « Probablement une bible ou
un dictionnaire », songea-t-il, un peu déçu. Il aurait préféré trouver la
suite de la lettre… Emily tourna la première page et ils découvrirent des
lignes et des lignes d’écriture en pattes de mouche.
– C’est un journal, déclara-t-elle, le souffle court.
En haut à droite, on pouvait lire : « Appartient à John Nathaniel Macy,
1902 ».
– C’est le type à qui la lettre est adressée ! s’exclama Jack.
Un long silence suivit. Les trois amis se regardaient, encore étourdis
par leur découverte.
Qui était John Macy ? D’où venait la mystérieuse lettre ? Quelle était
cette « marchandise de valeur » cachée sur l’île ? Ce journal leur
apporterait peut-être les réponses…
Ils remontèrent à toute vitesse de la cave et s’installèrent dans la
véranda pour avoir plus de lumière. La pièce était située juste à côté du
salon et servait de salle à manger. Ainsi, les clients pouvaient profiter
d’une vue panoramique sur la mer tout en prenant leur petit déjeuner. Du
moins, quand les fenêtres n’étaient pas cisaillées par la pluie !
L’électricité n’était toujours pas revenue. Emily alla chercher une
lampe à huile dans le placard et leva la mèche au maximum pour bien
éclairer la pièce. Puis elle posa délicatement le journal au milieu de la
table et s’apprêtait à l’ouvrir, quand Jack attrapa le cahier et le secoua
sans ménagement.
– Qu’est-ce que tu fais ? protesta Emily.
Jack recommença la manœuvre. Cette fois, une feuille de papier se
détacha du journal et atterrit lentement sur la table. Le garçon leva les
bras en signe de victoire.
– Je te parie que c’est la suite de la lettre, dit-il.
Emily s’en empara aussitôt. Jack avait raison, l’écriture était
exactement la même. Elle mit les feuilles côte à côte et lut la fin de la
première page :
– « Nous avons caché… »
Puis le début de la seconde :
– « … la cargaison. »
Jack frappa son poing contre la table.
– La cargaison, c’est tout ? Nous voilà bien avancés !
– Attends, laisse-moi lire la suite, protesta Emily. « La cargaison qui
entra en ma possession dans la région du Transvaal. »
Elle réfléchit un instant.
– La région du Transvaal ? Vous savez où c’est ?
– C’est là où habite le comte Dracula, répondit Jack. Vous croyez que
ce type est un vampire ? La lettre est peut-être écrite avec du sang !
– Tu confonds avec la Transylvanie, idiot ! dit Scott, levant les yeux au
ciel.
Emily courut jusqu’au salon.
– Est-ce que quelqu’un sait où se trouve la région du Transvaal ?
demanda-t-elle aux clients.
– Oh, j’adore les devinettes ! s’exclama la mère des jumeaux. Ne me
dites rien ! Voyons, le Transvaal… Je suis pratiquement sûre que c’est en
Afrique du Sud.
Un énorme fracas l’interrompit.
– Lequel de vous a fait tomber le jeu ? demanda-t-elle.
– C’est lui, répondirent les jumeaux en chœur.
Emily se retourna vers ses amis avec un grand sourire.
– Ça vous rappelle quelqu’un ?
Les deux frères secouèrent la tête d’un air innocent. La jeune fille
éclata de rire et poursuivit la lecture de la seconde page :
« Nous retournâmes ensuite au canot et prîmes la mer, promettant de
revenir plus tard chercher notre bien. Mais la tempête faisait rage et
notre petite embarcation finit par s’échouer contre les rochers. Tommy
passa par-dessus bord, que Dieu ait son âme, et je fus sauvé par votre
bonne âme, et ramené au phare. Plus tard, j’eus vent que des hommes
étaient arrivés au village et posaient des questions sur moi. Ils
m’avaient suivi depuis l’Afrique, à la recherche de la cargaison qu’ils
m’accusaient d’avoir volée. Mais qui peut reprocher à un soldat de
vouloir profiter des richesses d’une guerre à laquelle il a participé ?
Quoi qu’il en soit, je me vois désormais contraint de me cacher jusqu’à
ce qu’ils abandonnent leurs recherches.
Certain que vous ne me trahirez pas, je vous confie cette carte, au
cas où il m’arriverait malheur. Si je ne reviens pas d’ici trois mois,
vous êtes libre de vous en servir à votre guise. N’en parlez à personne,
car elle révèle l’emplacement de l’or perdu du Transvaal.
Votre ami dévoué,
William Maddox. »
– L’or perdu du Transvaal ? murmura Scott.
– Ça devient intéressant ! s’exclama Jack.
– Il doit y avoir une carte, ajouta Emily, le cœur battant.
Elle tourna frénétiquement les pages craquelées du journal jusqu’à ce
qu’enfin elle la trouve : une épaisse feuille de parchemin dissimulée dans
la couverture. Elle l’étala sur la table.
L’encre était pratiquement effacée, mais on pouvait distinguer les
contours d’une île et un nom écrit en haut de la carte : île du Vent.
– Je sais où elle est ! s’écria Emily. On peut même la voir d’ici.
Elle courut à la fenêtre et regarda vers l’ouest, au-delà de la baie. Des
éclairs striaient le ciel et une mouette se débattait contre les bourrasques.
– Enfin… D’habitude on peut la voir, soupira-t-elle.
– Qui a faim ? demanda une voix.
Mme Wild venait de pénétrer dans la pièce, vêtue d’une longue blouse
de peintre. Ses cheveux ébouriffés étaient retenus avec un crayon. Elle
portait un grand plateau sur lequel étaient posées une assiette de tartines
beurrées et trois tasses de chocolat chaud fait maison.
Jack mordit avidement dans un toast et poussa un long soupir de
satisfaction. Cette journée ne pouvait pas être meilleure ! Entre la mer
déchaînée et la vieille carte au trésor, il avait l’impression d’être un
pirate. Même si les pirates ne buvaient pas de chocolat chaud… Il ne
manquait plus qu’une vieille chanson de flibustiers pour achever le
tableau : « Yo ho sur l’heure, hissons nos couleurs ! »
– Qu’est-ce que tu dis ? demanda Scott.
– Heu… rien. Je toussais ! marmonna Jack.
– J’ai cru entendre « Yo ho sur l’heure », dit Scott d’un air taquin. J’ai
dû rêver…
Emily étouffa un rire.
– Bon, il n’y a pas une croix quelque part ? demanda Jack pour changer
de sujet. Toutes les cartes au trésor en ont une pour montrer où creuser !
– Tu es un expert en carte au trésor maintenant, capitaine Jack
Sparrow ? ironisa Scott, sans avouer qu’il avait lui-même scruté le
parchemin à la recherche d’un tel indice.
Mais aucune croix n’apparaissait. Il n’y avait que des flèches, des
numéros, et quelques notes griffonnées dans la marge.
– J’ai l’impression que William Maddox ne voulait pas rendre la tâche
facile à ceux qui trouveraient la carte. Qu’est-ce que tu en penses, Mily ?
La jeune fille acquiesça d’un air distrait. Elle était plongée dans le
journal de John Macy. Au bout de quelques minutes, elle trouva le récit
du naufrage de L’Impératrice. Apparemment, la lampe du phare était
tombée en panne pendant la terrible tempête. Sans lumière pour le guider,
le bateau s’était échoué sur les récifs de la baie. Le gardien avait dû
batailler contre la mer en furie pour sauver l’unique survivant.
– Écoutez ça, dit Emily. « William Maddox insiste pour que je ne dise
à personne qu’il est en vie. Il est si faible depuis le naufrage, que je ne
peux qu’accéder à sa requête. Mais je compte bien découvrir son secret
quand il aura repris des forces. Je le soupçonne d’avoir pris part à un
acte criminel. »
– Ça oui, il a volé un trésor ! s’exclama Scott. Regarde s’il a écrit
quelque chose le 5 août, c’est la date de la lettre de Maddox.
Emily tourna les pages.
– J’ai trouvé ! Il dit qu’il est surpris que William soit parti sans
prévenir. Il ajoute quelques mots sur la carte et la lettre, et promet de les
garder en sécurité. Mais il hésite à aller voir la police.
Emily marqua une pause.
– Hum… C’est bizarre… murmura-t-elle.
– Pas vraiment, répondit Scott en haussant les épaules. Moi aussi
j’irais voir la police si je pensais avoir affaire à un criminel.
– Non, pas ça. Ça ! dit Emily en posant le doigt sur la dernière page. Il
y a quelques mots sur la météo, les marées… Et puis le journal
s’arrête d’un coup ! La dernière date est le 20 août 1902.
3

OpÉRaTioN
« MaDDoX »

S cott passa la main dans ses cheveux bruns en soupirant.


– Difficile d’y voir clair dans cette histoire ! marmonna-t-il. On sait
que William Maddox a caché quelque chose sur l’île du Vent. Mais
qu’est-il arrivé à John Macy ?
– Peut-être que Maddox a su qu’il voulait prévenir la police et qu’il lui
a tranché la gorge, dit Jack tout en mimant la scène.
Emily hocha la tête.
– Ça expliquerait pourquoi le journal s’arrête aussi brusquement.
Soudain, la pièce fut inondée de lumière : l’électricité était revenue.
Des applaudissements retentirent dans le salon. Dehors, la tempête était
passée. Les vagues avaient retrouvé leur roulement paisible et le ciel
était d’un bleu limpide.
– Oh non… grommela Scott.
Il aurait préféré rester bloquer au phare toute la nuit. Il n’avait rien
contre le cottage des Roches. Au contraire, il avait même fini par
s’attacher à la petite maison de tante Kate, malgré les coussins à fleurs et
la minuscule télévision. Mais il avait toujours rêvé de dormir au phare.
Quand les parents d’Emily avaient dit qu’il serait trop dangereux de
traverser la digue pour rejoindre le village par ce temps, les deux frères
avaient sauté de joie.
Mme Wild entra justement dans la pièce à ce moment-là.
– Vous pouvez toujours dormir ici, les garçons, dit-elle, comme si elle
avait lu dans ses pensées. J’ai déplié le canapé-lit dans le salon du
premier étage. Il fait chaud ici ! Il faut aérer un peu… ajouta-t-elle en
ouvrant les fenêtres.
Dès qu’elle sortit de la pièce, Jack se tourna vers ses amis, les yeux
brillants.
– Qu’est-ce qu’on attend ? Allons vite nous remplir les poches de
lingots !
Emily secoua la tête en riant.
– Il faut du temps pour ramer jusqu’à l’île du Vent. En plus, on ne sait
même pas où chercher ! Non, il nous faut d’abord planifier l’expédition.
« Planifier, comme d’habitude ! » songea Jack.
Emily était la reine de l’organisation. Elle étudiait toujours la
meilleure façon de procéder, même pour ouvrir un simple paquet de
chips !
Elle courut chercher son carnet dans sa chambre et y inscrivit :
Opération « Maddox » en grosses lettres rouges. C’était leur troisième
enquête ensemble, et probablement la plus excitante de toutes.
– Il faut d’abord déchiffrer les indices sur la carte, dit Scott. On ne
peut pas débarquer sur l’île et creuser des trous au hasard !
Jack haussa les épaules. Il semblait pourtant à Scott que c’était une
bonne idée !
– Qu’est-ce que vous proposez, Monsieur le détective ? demanda-t-il
d’un air vexé.
– Puisque tu me le demandes si gentiment… répondit son frère. Vous
voyez cette flèche pointée sur la petite île ? Je pense qu’elle indique
l’endroit où le canot de Maddox s’est échoué. C’est peut-être le point de
départ pour trouver le trésor.
– C’est possible, acquiesça Emily. Malheureusement, les indices sur la
carte ne veulent pas dire grand-chose : « Pointez le nez vers la plus
proche des deux tours, et une fois que les deux sont dans l’alignement et
le S sur le requin… »
– Quelles tours ? Quel alignement ? demanda Jack en fronçant les
sourcils.
Ça ressemblait plus à un problème de maths qu’à des indications pour
trouver un trésor !
– On dirait les définitions bizarres qu’on trouve dans les mots croisés
de tante Kate, dit Scott.
« Oh non, c’est encore pire que des maths ! » songea Jack.
Emily se leva d’un coup et courut à la fenêtre.
– Regardez là-bas, c’est l’île du Vent. On peut la voir au bout de la
baie maintenant que le soleil est revenu…
Jack s’approcha.
– Ce petit bout de terre tout blanc ?
– Oui. On l’appelle « Gwencarrick » dans la langue de Cornouailles,
ça veut dire le « rocher blanc », expliqua la jeune fille.
– On dirait qu’il est couvert de neige, dit Jack.
– De la neige en plein mois d’août ? Tu es trop bête ! s’exclama Scott
en pouffant.
– Ce n’est pas pour ça que l’île est toute blanche, reprit calmement
Emily. Il n’y a que des goélands, des mouettes tridactyles et des
guillemots là-bas. Et ils n’ont pas vraiment de toilettes chez eux…
Jack n’avait aucune idée de ce qu’étaient des mouettes tridactyles ou
des guillemots, mais il voyait ce qu’Emily voulait dire.
– Je n’ai plus très envie d’y aller maintenant…
– Tu comprends pourquoi il n’y a que les ornithologues qui s’y
aventurent, dit Emily.
– Et des marins qui veulent cacher leur trésor ! souligna Scott.
Emily retourna s’asseoir près de la carte.
– Deux tours… répéta-t-elle d’un air songeur. Imaginez que vous êtes
sur l’île, qu’est-ce qui pourrait ressembler à deux tours ?
– Le phare, suggéra Jack. Et le château. Il a une tour là-bas aussi !
– Bien vu ! s’exclama Emily.
Elle prit son carnet et nota :
« Indice numéro 1 : aligner les tours = le phare et le château ? »
– La suite ressemble à un code, dit Scott en se penchant sur la carte.
F6-Z4-B3…
À cet instant, le père d’Emily entra dans la pièce. Il portait un plateau
rempli de carafes d’eau et de serviettes.
– Désolé de vous interrompre les enfants, il faut que je mette la table
pour le dîner. Qu’est-ce que c’est ? Vous organisez une chasse au trésor ?
– Heu… Plus ou moins, répondit Emily en rangeant rapidement le
journal et la carte.
Elle ne mentait jamais à ses parents. Mais mieux valait ne pas attirer
leur attention sur ses enquêtes. Ils pourraient s’inquiéter, ou pire,
proposer d’y participer ! M. Wild passa la main dans ses cheveux
grisonnants et resserra sa queue-de-cheval. Il faisait toujours ça quand il
était soucieux.
– Quelque chose ne va pas ? demanda Emily, en espérant que Drift
n’avait pas encore été voler de la nourriture en cuisine.
– Je m’inquiète pour Simon Fox, répondit son père
en soupirant. Il est allé louer un bateau à Carrickstowe ce matin. J’espère
qu’il n’a pas été pris dans la tempête…
Simon Fox, un jeune trentenaire australien, avait pris une chambre au
phare quelques jours plus tôt. Il séjournait en Cornouailles pour « faire le
point » disait-il, après avoir rompu avec sa fiancée. Une histoire qui
tenait la route, selon Emily. « Contrairement à celle de M. Tanaka… »
songea-t-elle. Le Japonais prétendait venir de Tokyo pour conclure une
affaire avec l’usine de caramels de Truro. Mais son attitude était
extrêmement suspecte. Il recevait des coups de fil au beau milieu de la
nuit et ne sortait jamais sans un grand manteau et des lunettes de soleil. Le
matin même, il avait refermé violemment son ordinateur portable quand
Emily s’était approchée d’un peu trop près…
– Le voilà ! s’exclama Jack.
À cet instant, Simon Fox passa justement le pas de la porte, comme s’il
les avait entendus. Il était grand et athlétique, avec des yeux bleus et des
cheveux blonds toujours en bataille. « Le portrait craché de Jack dans
vingt ans » se dit Emily.
– Salut, tout le monde, lança Simon à travers le salon. Sacrée tempête,
pas vrai ?
– Vous n’avez pas pris la mer par ce temps, j’espère ? demanda
M. Wild.
– Non, m’sieur ! J’aurais bien voulu, mais on ne m’a pas laissé louer
de bateau. J’ai dû passer la journée entière au village. Comme vous
voyez, je n’ai peur de rien !
Tout le monde éclata de rire.
– Salut, Hiroki, dit-il en tapant sur l’épaule de M. Tanaka. La forme ?
Emily n’en croyait pas ses oreilles. Il avait réussi à amadouer Tanaka
au point de l’appeler par son prénom ! Le Japonais était plutôt du genre
coincé pourtant. Mais la bonne humeur de Simon était contagieuse. Même
les jumeaux avaient arrêté de se disputer pour se précipiter dans ses bras.
Mme Hartley, la mère des jumeaux, lui fit aussitôt une place sur le
canapé. Quant à Mme Wild, elle battait des cils si fort en lui servant à
boire qu’ils allaient finir par se décrocher !
Jack commençait à trouver tout cela un peu exagéré, quand Simon sortit
une énorme boîte de chocolats de son sac à dos.
– J’ai profité de ma virée au village pour nous acheter quelques
sucreries, annonça-t-il. Jack, tu veux bien les ouvrir pour nous ?
« Finalement, il est plutôt sympa ! » se dit Jack en avalant un chocolat
au caramel.
Seul Drift semblait insensible au charme de Simon. Pelotonné dans un
coin du canapé, c’est à peine s’il lui prêtait attention. Probablement parce
qu’il n’avait pas droit aux friandises.
– Désolé, mon vieux, lui dit Jack. Le chocolat est un poison pour toi.
Une vraie vie de chien !
Drift secoua la tête. Il n’avait pas l’air de trouver ça drôle du tout.
4

QUe l’enQUÊTe ComMeNCe !

I l était 5 heures du matin, mais les yeux d’Emily étaient grands


ouverts. Une idée géniale venait de lui traverser l’esprit ! Elle savait
exactement comment découvrir ce qui était arrivé à John Macy.
Elle sauta de son lit et attrapa sa robe de chambre. Drift releva son
museau et dressa l’oreille. Tout ce remue-ménage l’avait tiré d’un beau
rêve, avec des lapins et des os à moelle… Mais en tant que bras droit
d’Emily, il devait la suivre partout dans ses aventures vingt-quatre heures
sur vingt-quatre ! Ils descendirent au salon du premier étage et Emily
alluma la lumière.
Un concert de protestations s’éleva aussitôt. Elle avait oublié que les
garçons dormaient sur le canapé-lit. Scott rabattit la couette sur sa tête en
grognant. Drift se jeta aussitôt sur Jack et lui lécha les oreilles.
– Non, ne me mangez pas ! hurla-t-il.
– Qu’est-ce que tu racontes ? pouffa Emily.
– Rien, je rêvais… répondit Jack en ébouriffant ses cheveux d’un air
endormi. Laisse-moi tranquille, Drift !
Emily traversa la pièce d’un pas décidé et vint s’asseoir au bureau de
son père. Après avoir fouillé dans tous les papiers, elle sortit une lourde
pile de dossiers du dernier tiroir.
– Au travail ! lança-t-elle. Cette enquête ne va pas se résoudre toute
seule !
– Elle a déjà attendu cent ans, marmonna Jack. Quelques heures de plus
ou de moins ne vont rien changer…
Emily ignora la remarque.
– Ces dossiers sont en pagaille. Venez m’aider !
– Bon, d’accord… répondit Jack en soupirant.
Quand Emily avait quelque chose en tête, rien ni personne ne pouvait
l’arrêter!
– Qu’est-ce qu’on cherche exactement ? demanda-t-il en parcourant
distraitement les feuilles.
– Ces dossiers sont les vieux registres du phare. Si on retrouve celui
de 1902, on découvrira peut-être ce qui est arrivé à John Macy.
Jack prit un petit tas de documents et commença à les examiner. Mais il
n’y avait rien de très intéressant : des pages et des pages sur les horaires
des marées et les coûts d’entretien du phare… Ennuyeux à mourir !
Il était sur le point de piquer du nez quand Emily bondit de sa chaise.
– J’ai trouvé, s’écria-t-elle en brandissant une feuille. Maddox ne l’a
pas tué ! Regarde, c’est la fiche de service de John Macy, gardien du
phare de 1880 à 1902. « Mort en service le 21 août 1902, pendant le
sauvetage d’un bateau de pêche. »
– C’est le lendemain de la dernière date du journal, dit Scott en
soulevant légèrement sa couette. Macy a dû enterrer le journal avant de
partir en mission de sauvetage.
– Je me demande pourquoi il s’est donné tant de mal pour le cacher, dit
Jack.
– C’était son journal intime, expliqua Emily. Certains passages sont
très personnels, notamment à propos d’une jeune fille du village qu’il
« courtisait »…
Jack leva les yeux au ciel.
– Super… On sait maintenant ce qui est arrivé à Macy. Mais ça ne nous
avance pas beaucoup.
– Au contraire, objecta Scott.
Il était complètement réveillé maintenant et ses yeux gris brillaient
d’excitation.
– Si William Maddox n’est jamais revenu et que John Macy est mort en
mer, poursuivit-il, ça veut dire que personne n’a vu cette carte depuis des
centaines d’années.
– Et que le trésor est toujours enterré sur l’île du Vent ! compléta
Emily.
Jack se frotta les mains.
– Évidemment, j’aurai la plus grosse part du magot puisque c’est moi
qui ai découvert la cachette !
Scott lui jeta un oreiller au visage.
– Dans ce cas, c’est à Drift qu’elle revient, argumenta-t-il. C’est grâce
à lui qu’on a trouvé le journal.
Jack lui renvoya l’oreiller.
– Ah oui, et qu’est-ce qu’il va faire de tout cet argent ? S’acheter une
gamelle en or ?
Drift courait autour des garçons en remuant la queue. Il n’avait que
faire d’une gamelle en or, mais il adorait les batailles de polochons !
Jack se jeta sur le canapé.
– Imaginez tout ce qu’on va pouvoir s’offrir ! s’exclama-t-il. Moi, je
voudrais une énorme maison sur une île déserte. Non, un palace ! Avec un
circuit de BMX tout autour et une piste d’hélicoptère sur le toit.
– Je m’achèterais une voiture super-puissante, dit Scott avec un large
sourire. Et une maison avec sa propre salle de cinéma…
– J’aurais aussi besoin d’un avion privé et d’une piscine, bien sûr,
ajouta Jack que ce jeu amusait beaucoup. Et je paierais quelqu’un pour
faire mes devoirs. Mais ne vous inquiétez pas, je ne prendrais pas la
grosse tête !
– Allô, les garçons, ici la Terre ! dit Emily en riant. Nous devons
d’abord trouver le trésor. Rien ne prouve que Maddox n’est pas revenu le
chercher. Et n’oubliez pas que cet or a été volé, il faudra le rendre à ses
propriétaires…
– Ils doivent tous être morts aujourd’hui, souligna Jack.
– À leurs familles alors…
– Elles nous donneront sûrement une récompense ! dit-il plein d’espoir.
À nous trois, on arrivera peut-être à s’acheter une petite maison.
Emily éclata de rire.
– Alors, ne perdons plus de temps ! s’écria-t-elle.
– J’ai faim, gémit Jack. Je ne peux pas partir à la chasse au trésor le
ventre vide.
Emily jeta un œil sur sa montre. Il n’était que 5 h 30, mais le soleil
perçait déjà à travers les fenêtres.
– Allons prendre le petit déjeuner chez Dotty, proposa-t-elle. Si le
vieux Bob est là, il nous en dira un peu plus sur l’île du Vent…

Quand les trois amis arrivèrent à la crêperie de Dotty, le vieux Bob


était bien là, assis face à la mer. En dépit du beau temps, il portait son
éternel bonnet en laine et un gros pull bleu marine. Les mains agrippées
autour d’une tasse de thé fumante, il semblait débarqué tout droit du pôle
Nord. Le vieux pêcheur releva la tête et leur fit aussitôt un clin d’œil. Il
les avait aidés plus d’une fois dans leurs enquêtes, en leur fournissant
notamment le bateau qui avait permis à Savannah Shaw de s’enfuir1.
– Des nouvelles de votre amie la star hollywoodienne ? demanda-t-il
en les invitant à sa table.
– Oui, j’ai reçu une carte postale, répondit Emily en posant son
assiette. Elle est partie faire du rafting avec Max au Canada !
– Je ne voudrais pas être à leur place ! bougonna le vieux Bob en
secouant la tête. J’ai déjà pris assez de vagues dans la figure hier. Un vent
de force dix, à ce qu’il paraît !
– Justement, on aimerait vous parler d’une tempête, poursuivit Emily.
Elle regarda autour d’elle pour vérifier que personne ne l’écoutait. Par
chance, les autres clients matinaux s’étaient installés en terrasse. Seule
Dotty était encore à l’intérieur. Un iPod dans la poche et ses écouteurs sur
les oreilles, elle nettoyait la machine à café en chantant du Beyoncé.
– Il s’agit de la tempête de 1902, ajouta Emily.
– Je vois, dit le vieux Bob sans avoir l’air surpris. 1902… Ça remonte
à loin, même pour moi !
Emily lui parla de la lettre de William Maddox et de la carte de l’île
du Vent.
– L’île du Vent ! s’exclama le marin. Personne ne va là-bas à part les
oiseaux. Les rochers découpent votre bateau comme si c’était du beurre.
Et il y a un méchant courant ! Votre bonhomme a sacrément dérivé pour
arriver là.
Il tourna son regard vers la mer et fronça les sourcils, comme si l’île
du Vent et ses rochers perfides s’élevaient devant lui.
– Mon grand-père m’a raconté la nuit où L’Impératrice a sombré,
poursuivit-il d’un air pensif. Il n’était qu’un petit garçon à l’époque. La
foudre s’était abattue sur le phare, et tous les villageois s’étaient réunis
sur la pointe avec des lanternes pour avertir les bateaux. Mais il était trop
tard pour L’Impératrice… Le navire transportait des soldats anglais de
retour de la guerre des Boers, en Afrique du Sud.
Le vieux Bob secoua la tête.
– Une vraie tragédie. Les pauvres avaient survécu au combat et aux
maladies, pour finir noyés à quelques kilomètres de chez eux. Ah, la mer
peut être cruelle !
– Il n’y a pas eu de survivant ? demanda Emily.
– Pas à ma connaissance, répondit le vieux Bob. Je n’ai jamais entendu
parler de votre William Maddox.
Soudain, une petite voix aiguë s’éleva à travers la pièce.
– Je ne suis pas du genre à écouter aux portes, mais…
Tous les quatre se retournèrent d’un coup. Une vieille femme émergea
de la réserve, une éponge dans une main et une bouteille de désinfectant
dans l’autre.
– J’ai entendu parler de certaines choses, poursuivit-elle. À propos du
gardien du phare, et d’un certain soldat qu’il aurait sauvé…

1. Voir Le Mystère du fantôme de minuit.


5

Une LoNGue LIGnÉe


De ComMÈreS

– M adame Loveday ! s’exclama Scott en s’étouffant avec son jus


d’orange. Désolé, on ne vous avait pas vue…
– Oh, ce n’est pas grave, mon cher, répondit-elle. Je nettoyais les
frigos pour Dotty.
Ce qui expliquait sans doute son drôle d’accoutrement. La vieille dame
portait un casque de vélo, des gants de cuisine et une veste de ski. En
revanche, rien ne justifiait son improbable paire de baskets ; les lacets
étaient rose fluo, et une lumière s’allumait sur les talons chaque fois que
Mme Loveday posait le pied par terre. On aurait dit les chaussures d’une
petite fille de sept ans !
Tous la fixèrent d’un air étonné.
– Allons, Irène, qu’est-ce que vous racontez ? dit le vieux Bob. Ce ne
sont que des rumeurs ! Nous n’étions même pas nés à l’époque !
Mme Loveday ignora la remarque. Elle tira une chaise et jeta un œil
plein d’espoir vers la théière. Emily comprit le message et alla lui
chercher une tasse. La vieille dame s’installa confortablement, comme
une poule dans son pondoir.
– Ma grand-mère m’a souvent parlé de la nuit où L’Impératrice a
coulé, commença-t-elle. Elle n’était pas du genre à se mêler des affaires
des autres, bien sûr…
Jack laissa échapper un rire, qu’il dissimula aussitôt en quinte de toux.
Mme Loveday semblait être la digne descendante d’une longue lignée de
commères.
– Bien sûr, dit Scott en hochant la tête.
Lui aussi avait du mal à garder son sérieux, mais il brûlait d’envie
d’entendre la suite.
La vieille dame le regarda en souriant. Elle avait toujours apprécié ce
« charmant jeune homme », comme elle l’appelait. Surtout depuis qu’il
l’avait aidée à porter ses courses depuis son vélo jusqu’au musée du
château, à l’époque où les trois amis recherchaient le trésor des Saxons2.
En réalité, c’était Jack qui avait transporté les sacs. Mais Scott n’avait eu
aucun scrupule à s’en attribuer tout le mérite !
– Pour tout vous dire, poursuivit Mme Loveday, c’est Maud Jenkins, du
magasin de pêche, qui a confié à ma grand-mère que Sally Nancarrow
avait vu John Macy porter un homme de son canot de sauvetage jusqu’au
phare, au beau milieu de la nuit !
Emily remplit la tasse de la vieille dame.
– Votre grand-mère a-t-elle découvert ce qu’il était arrivé à cet
homme ? demanda-t-elle.
– Non malheureusement… John Macy était un homme discret, il a
emporté son secret dans les combles.
– Heu… dans la tombe, vous voulez dire ? rectifia Scott.
– Oui, c’est ça, mon cher, dans la tombe ! Motus et bouche cousue, dit-
elle en faisant mine de verrouiller ses lèvres. D’ailleurs, personne n’a
revu le naufragé depuis ce jour. Mais ma grand-mère m’a dit que des
hommes étaient arrivés quelques semaines plus tard, pour savoir s’il y
avait des survivants. Des étrangers…
– Ils venaient d’Afrique ? demanda Emily, tout excitée.
– C’est ça, acquiesça Mme Loveday. Mais pas des Africains noirs…
C’était des Africains blancs ! dit-elle comme s’il s’agissait d’une espèce
rare d’animal sauvage.
Puis elle siffla sa dernière goutte de thé et ramassa son éponge.
– Bon, je ne peux pas passer ma journée à papoter. Le travail
m’attend !
Une clochette retentit et ses yeux perçants se tournèrent aussitôt vers la
porte d’entrée.
– Oh, voici le charmant jeune homme qui séjourne au phare, Simon
Box !
– Simon Fox, corrigea Emily.
– Ouhou, Simon ! chantonna Mme Loveday en lui faisant signe. Par
ici !
Le jeune homme s’approcha en souriant.
– Bonjour, Irène ! Salut, Bob ! Salut, les enfants !
Irène ? Scott n’en revenait pas. Simon n’était là que depuis quelques
jours, et il était déjà devenu le meilleur ami de Mme Loveday !
– Quel gentil garçon, dit la vieille dame. Il m’a offert une tasse de thé
et une part de tarte hier, pendant la tempête. C’est tellement rare que les
jeunes gens prennent le temps de parler aux séniles de nos jours…
– Ne dit-on pas plutôt « les seniors », Irène ? rectifia gentiment Simon.
Décidément, Scott était de plus en plus impressionné ! Simon avait
réussi à garder tout son sérieux. Jack, en revanche, était moins doué. Il
toussait à s’arracher la gorge pour dissimuler son fou rire. Mme Loveday
le dévisagea d’un air dédaigneux, comme si elle avait devant elle un
voyou de la pire espèce. Jack soutint son regard. Il ne savait pas pourquoi
Mme Loveday avait développé une telle aversion pour lui, mais il
commençait à en avoir assez !
– Quelqu’un veut m’aider à finir ma crêpe ? demanda Simon. Elle est
bien trop grosse pour moi tout seul.
Jack sourit à pleines dents.
– Par ici ! s’exclama-t-il.
Mme Loveday secoua la tête en soupirant.
– Et la politesse, jeune homme ?
Simon échangea un clin d’œil complice avec Jack et lui tendit son
assiette.

Tout le monde avait à faire cet après-midi. Emily devait se rendre à


une fête de famille avec ses parents, et Jack et Scott étaient chargés de
couper un vieil arbre dans le jardin du cottage des Roches. Le frêne
n’avait pas résisté à la tempête et tante Kate voulait utiliser le bois pour
sa cheminée.
L’heure du dîner sonna et Scott pensait toujours à la carte. D’après
l’histoire de la grand-mère Loveday, il n’y avait pas beaucoup d’options :
soit William Maddox avait réussi à échapper aux Sud-Africains, soit il
s’était fait tuer. Ce qui voudrait dire que le trésor serait toujours sur l’île
du Vent, avec des mouettes tridactyles et des guillemots pour seule
compagnie !
Il ne restait plus qu’à déchiffrer les indices écrits sur la carte.
– F6-Z4-B3… murmura-t-il. Ça ne veut rien dire !
– C’est sûrement une sorte de code, dit Jack en haussant les épaules.
Lui aussi était tout excité à propos du trésor mais, pour le moment, le
poulet rôti qui trônait sur la table retenait toute son attention.
– Vous essayez de déchiffrer un code secret, les garçons ? demanda
tante Kate en leur servant une grosse portion de purée. Comme c’est
amusant !
Jack jeta un regard furtif à son frère. Tante Kate était tellement occupée
à écrire ses romans à l’eau de rose qu’elle ne se souciait guère de leurs
allées et venues. Tant qu’ils rentraient à l’heure pour le dîner et qu’ils ne
se faisaient pas arrêter par la police, tout allait bien.
– Heu… oui. On fait une chasse au trésor avec Emily, répondit-il sans
s’étendre sur le sujet.
Mieux valait ne pas en dire trop sur leurs activités…
– F6-Z4-B3, vous dites ? répéta tante Kate en lissant ses cheveux
blancs. On dirait une suite de combinaisons alphanumériques.
Probablement une technique de chiffrement par substitution. Le tout est de
trouver la clé…
– La clé ? demanda Scott.
– Oui, le décodeur. C’est lui qui explique le lien entre les lettres et les
chiffres, et qui permet de reconstituer le message original, expliqua-t-
elle. Par exemple, on peut inverser l’alphabet et utiliser Z pour A, et Y
pour B, etc.
Jack regarda sa tante, bouche bée. Combinaisons alphanumériques,
chiffrement de substitution, décodeur… Où allait-elle chercher tout ça ?
– Sûrement dans un de ses romans policiers, lui chuchota Scott quand
tante Kate partit chercher le dessert. J’ai vu le dernier livre de Dirk
Hazard sur son bureau. Je crois même qu’elle a rejoint son fan-club sur
Internet, ajouta-t-il en riant.
Quelques secondes plus tard, tante Kate revint avec une magnifique
tarte au citron recouverte d’une épaisse meringue. En une bouchée, Jack
oublia la carte et le code secret !

2. Voir Le Mystère des grottes du Vent-Huant.


6

DiSpaRu !

E mily aurait préféré couper du bois avec les garçons au lieu


d’aller à l’anniversaire de sa vieille tante Béryl. Elle avait été obligée de
porter une robe pour l’occasion, et de laisser Drift tout seul au phare.
Pire encore, elle s’était retrouvée assise au milieu de ses trois cousines,
qui n’avaient qu’un seul sujet de conversation : les chevaux. Emily
n’avait rien contre ces animaux. Mais après deux heures de débat sur les
brides, les mors, le prix des étables et les clubs d’équitation à la mode,
elle n’en pouvait plus !
Elle n’avait qu’une hâte : rentrer chez elle pour déchiffrer la carte au
trésor. Il faudrait aussi découvrir l’endroit exact où le canot de Maddox
avait accosté sur l’île du Vent. Avec le Gemini, sa petite barque, ils
pourraient sûrement ramer jusque-là en évitant les rochers…
Quand les Wild arrivèrent enfin au phare, Emily fut assaillie de câlins
par Drift.
– Je ne suis partie que trois heures, pas trois ans ! dit-elle en riant.
Allez, nous avons du travail !
Ils grimpèrent les escaliers en spirale jusqu’au petit salon où les
garçons avaient dormi. C’était là, sur le bureau de son père, qu’Emily
avait laissé la carte et le journal. C’est du moins ce qu’elle croyait… Le
journal était toujours à sa place, caché derrière l’ordinateur. Mais la
carte, elle, avait disparu !
Une bouffée d’angoisse la submergea. « Où peut-elle être ? se dit
Emily, le cœur battant. Réfléchis ! » Elle essaya de repenser à la dernière
fois où elle avait vu la carte. Voyons… elle était assise au bureau et sa
mère l’avait appelée du rez-de-chaussée.
– Dépêche-toi, Emily, on va être en retard à l’anniversaire de tante
Béryl. Rápido !
Quand Mme Wild commençait à parler espagnol, mieux valait filer
droit ! Emily avait pris le journal et la carte et les avait cachés derrière
l’ordinateur.
Cette fois, c’était sûr : la carte était bien rangée là ! Et pourtant, elle
n’y était plus…
– Maman, cria Emily du haut de l’escalier. Est-ce que tu as pris
quelque chose à moi sur le bureau de papa ?
– Tu crois que j’ai le temps de m’occuper de tes affaires ? s’exclama
Mme Wild de la cuisine.
Des bruits fracassants de casseroles et d’assiettes s’échappaient de la
pièce. Ses parents avaient eu une grosse dispute dans la voiture à propos
d’un membre de la famille. Son père s’était réfugié dans le salon en
attendant que l’orage passe, et sa mère avait filé dans la cuisine pour
préparer le dîner. Heureusement, les colères de Mme Wild étaient comme
les tempêtes de la baie : elles se levaient vite, mais retombaient tout aussi
rapidement.
– Papa, tu n’aurais pas vu une carte sur ton bureau ? demanda Emily.
– Quelle carte ? grommela son père sans relever la tête de sa guitare.
Emily avait l’impression d’être prise dans un tourbillon infernal.
« J’aurais dû la recopier dans mon carnet, ou la mettre dans le coffre à
indices ! » se dit-elle. Furieuse contre elle-même, elle se mit à ouvrir
tous les tiroirs avec fracas et à fouiller frénétiquement à l’intérieur. Drift
se joignit à elle avec enthousiasme, secouant et mordillant tous les objets
qui croisaient son chemin.
– Heu… Tu as perdu un billet de loterie ? demanda M. Wild, étonné.
Emily secoua la tête. C’était bien pire que ça…
« Qu’est-ce que je vais dire à Scott et à Jack ? » songea-t-elle toute la
nuit avec angoisse. Elle qui insistait tout le temps sur l’importance de
l’organisation pour réussir une enquête ! Désespérée, elle pensa
redessiner une nouvelle carte de mémoire et la faire passer pour
l’originale. En la vieillissant un peu, les garçons n’y verraient que du
feu ! Mais encore fallait-il qu’elle se souvienne de la forme des îles et de
tous les indices. « F6-Z4, et ensuite ? » Les chiffres et les lettres se
mélangeaient dans sa tête comme un grand plat de pâtes alphabet. Même
sa mémoire la laissait tomber…

– Mais oui, bien sûr ! s’exclama Scott en lançant un clin d’œil à Jack à
travers la table du petit déjeuner.
Il pointa le doigt vers son portable.
– Mily dit qu’elle a perdu la carte au trésor.
– Pff… Comme si on allait la croire ! répondit Jack en levant les yeux
au ciel. La connaissant, elle l’a sûrement enfermée dans un coffre-fort
avec des rayons laser tout autour !
Soudain, le sourire de Scott s’évanouit.
– Je crois qu’elle est sérieuse, dit-il en passant le téléphone à son
frère.
La jeune fille était en train de sangloter au bout du fil. Impossible,
Emily ne pleurait jamais ! Sauf une fois, quand elle avait laissé tomber
une épée de grande valeur dans la mer, et qu’elle l’avait cru perdue pour
toujours3. Mais Jack pouvait comprendre : lui aussi aurait versé une
petite larme dans de telles circonstances.
Quelques minutes plus tard, les garçons arrivaient en courant chez
Emily. Ensemble, ils fouillèrent chaque centimètre du phare, en vain. La
carte au trésor avait bel et bien disparu.
3. Voir Le Mystère des grottes du Vent-Huant.
7

Le MobILe
eT L’oPpoRTunITÉ

S cott, Jack et Emily finirent par s’écrouler dans la chambre de la


jeune fille, située tout en haut du phare. Plus personne ne parlait. Drift
essayait de les réconforter en venant se frotter tour à tour contre leur
jambe. Mais les trois amis n’étaient pas d’humeur.
Le regard de Jack tomba sur l’affiche du film de Savannah Shaw alias
Maya Diamant, accrochée sur le mur arrondi. « Je suis sûr que Maya
n’aurait jamais perdu la carte, elle ! » songea-t-il avec colère.
– Tout est foutu ! grommela-t-il.
– Merci pour l’information, Einstein ! répondit Scott avec sarcasme.
On ne s’en serait jamais aperçu sans toi !
– Fiche-moi la paix, répliqua Jack d’un ton sec. Je peux faire une croix
sur mon jet privé maintenant…
– Oh, pauvre petit chéri ! se moqua Scott.
– Ça suffit ! Taisez-vous tous les deux ! cria Emily en se dressant d’un
coup, le menton relevé et les poings sur les hanches.
Scott et Jack la regardèrent, étonnés. Il n’avait jamais vu Emily se
mettre en colère auparavant.
– J’ai bien le droit de m’exprimer, non ? répliqua Jack en se plantant
devant la jeune fille avec un air de défi. De toute manière, c’est de ta
faute ! C’est toi qui as laissé traîner la carte !
« S’ils se battent, je mise sur Emily ! » se dit Scott. Elle avait beau être
deux fois plus petite que Jack, elle était coriace et ses yeux brillaient de
fureur. Il hésita à les laisser s’écharper, juste pour le plaisir de voir son
petit frère se faire pulvériser par une fille !
Mais en voyant Drift trembler de la queue aux oreilles, il changea
d’avis. Le pauvre semblait terrifié à l’idée de voir Emily et Jack en venir
aux mains.
– OK, temps mort ! dit Scott en séparant les deux adversaires. Tout ça
ne sert à rien.
Jack et Emily lui lancèrent un regard noir. Pendant un instant, il se
demanda s’ils n’allaient pas s’unir contre lui !
– La carte a certainement été volée, poursuivit-il d’une voix très
calme. Il faut juste qu’on découvre qui était au courant et comment cette
personne a pu la prendre. Le mobile et l’opportunité, n’est-ce pas Mily ?
Il lui tendit son carnet du bout des doigts, comme s’il avait peur qu’elle
ne le morde.
– On va commencer une nouvelle enquête, d’accord ? ajouta-t-il avec
la même douceur. Ce sera l’opération « carte volée ».
Emily desserra lentement les poings et s’assit sur son lit avec un faible
sourire. Sa mauvaise humeur s’était envolée comme par magie ! Elle
n’avait pas l’habitude de faire son cinéma. Elle laissait ça à sa mère et à
son tempérament d’artiste. Et puis, Scott avait raison : ils devaient
découvrir qui avait dérobé la carte, et vite ! Sinon, le voleur trouverait le
trésor avant eux.
– Qui sont nos principaux suspects ? demanda-t-elle en ouvrant son
carnet.
Scott poussa un soupir de soulagement. L’orage était passé.
– Tous les clients du phare pour commencer, répondit-il. Ils ont pu
nous entendre parler de la carte quand on était dans la salle à manger.
Emily nota : « Liste des suspects » et le souligna d’un trait.
– Suspect numéro 1 : M. Tanaka ! dit-elle. Je suis sûre que c’est un
espion…
– Ça pourrait être les jumeaux Hartley, suggéra Jack en oubliant
complètement la dispute. Je parie que ces sales gosses seraient capables
de faire ça juste pour nous embêter.
– C’est possible, acquiesça Emily. Je les ai surpris en train de tirer la
queue de Drift ce matin.
– Il reste Simon Fox, ajouta Jack. Mais il a l’air plutôt honnête…
– En plus, il n’était pas là, dit Scott. M. Wild s’inquiétait justement
pour lui, à cause de la tempête. Quand il est rentré, on avait déjà rangé la
carte, vous vous souvenez ?
– Je me souviens surtout de sa grosse boîte de chocolats, dit Jack avec
un grand sourire.
Emily réfléchissait en mâchouillant le bout de son stylo.
– La seule fois où on a parlé de la carte en public, c’était Chez Dotty,
déclara-t-elle. On peut tout de suite écarter le vieux Bob de la liste. Je ne
pense pas que Dotty nous écoutait, elle était trop occupée à se prendre
pour Beyoncé !
– Il ne reste plus que Mme Loveday, conclut Jack. Je parie que c’est
elle !
À en croire Jack, la vieille dame était responsable de tous les malheurs
du monde ! Emily secoua la tête en souriant.
– Impossible, Mme Loveday n’est pas venue au phare hier.
– Elle a peut-être utilisé de la magie noire, grommela Jack. Je suis sûr
que c’est une sorcière…
– On va se concentrer sur nos principaux suspects pour le moment, dit
Emily avec un sourire. Si on écarte Mme Loveday et ses super-pouvoirs,
il nous reste M. Tanaka et les jumeaux Hartley. Drift et moi, on suit
M. Tanaka. Je vous laisse les garçons.
– Passer la journée à regarder deux gamins de six ans faire de la
balançoire, soupira Jack. Ça va être super-amusant !
– Ce n’est pas censé être amusant, répliqua Scott. C’est une mission de
surveillance.
Emily acquiesça d’un air sérieux.
– Tant qu’on n’a pas retrouvé la carte, vous ne quittez pas vos suspects
d’une semelle !
– Compte sur moi ! répondit Jack en se frottant les mains. À partir de
maintenant, je me transforme en super-glu…

Le lendemain matin, Jack fut réveillé par la sonnerie du téléphone


portable de son frère. Il regarda l’écran, l’œil encore endormi : c’était un
message d’Emily.
« Les Hartley vont louer des vélos à la Boutique de la Plage.
Direction : Planète Aventures. Départ dans H+10. »
Planète Aventures… C’était le nouveau parc d’attractions qui avait
ouvert à côté de Carrickstowe ! Jack rêvait d’y aller depuis qu’il avait vu
les affiches en ville. Il y avait un grand huit du tonnerre qui s’appelait le
Détractor et une gigantesque maison hantée. Peut-être que suivre les
Hartley n’allait pas être si ennuyeux en fin de compte !
Il sauta de son lit et se jeta sur celui de son frère.
– Debout ! On va à Planète Aventures. Ordre de notre détective en
chef !
Scott rabattit la couette sur son visage en grognant.
– Qu’est-ce que ça veut dire « H+10 » ? demanda Jack.
– Dix minutes à partir de maintenant… Pourquoi ?
– C’est le temps qu’il nous reste avant que les Hartley s’en aillent !
8

DIreCtioN PLanÈTe AVENtuReS

S cott et Jack attrapèrent leurs vélos et se mirent à pédaler de


toutes leurs forces le long de la ruelle de l’Église. Arrivés au port, ils se
cachèrent derrière un muret. La Boutique de la Plage était juste à côté de
Chez Dotty. C’était un magasin comme on en voyait souvent en bord de
mer, avec des sauts, des pelles, des tongs et des serviettes de bain. On y
louait aussi des Pédalo et des vélos. Heureusement pour eux, les Hartley
étaient encore là !
– Nous allons prendre les deux tandems, dit M. Hartley.
C’était un grand monsieur barbu avec des cheveux roux légèrement
grisonnants. Il était habillé comme s’il allait traverser le désert du
Sahara : des bottes de randonnée, un short en treillis avec un milliard de
poches et un sac à dos débordant d’accessoires de survie. Les jumeaux,
quant à eux, se ressemblaient comme deux gouttes d’eau : mêmes cheveux
blonds bouclés, même visage rond et angélique, où se dessinait un sourire
plein de malice.
– Non, non et non ! hurla le premier, qui portait un tee-shirt Bob
l’Éponge. Les tandems, c’est pour les bébés !
Le père poussa un soupir.
– Vous pouvez monter à l’avant si vous voulez. L’un d’entre vous ira
avec maman et l’autre avec moi.
– Tu ne peux pas nous forcer ! renchérit le second jumeau, vêtu d’un
costume de Spider-Man. Je veux celui-là ! dit-il en essayant de se hisser
sur un VTT bien trop grand pour lui.
– Allons, mes lapins, intervint Mme Hartley. Si vous êtes sages,
maman vous achètera des bonbons en chemin.
Le jumeau Bob l’Éponge fronça les sourcils.
– Un gros paquet alors…
– Et des glaces ! ajouta Spider-Man en jetant le VTT à terre.
Derrière le mur, Jack n’en croyait pas ses yeux.
– On n’était pas comme ça ? demanda-t-il à son frère.
– Toi, si ! répondit Scott avec un sourire. Et tu l’es toujours !
Quelques minutes plus tard, les Hartley s’engageaient enfin vers la
route-digue, qui reliait l’île de Castle Key au continent. Jack et Scott les
suivaient en prenant soin de garder une certaine distance. Durant tout le
trajet, Spider-Man et Bob l’Éponge s’amusèrent à jeter des bonbons sur
les passants et à essayer de se faire tomber mutuellement de leur selle,
comme deux chevaliers en pleine joute. Bien sûr, ni l’un ni l’autre ne
s’embêtait à pédaler, sauf quand leurs parents se retournaient pour
vérifier qu’ils ne faisaient pas de bêtises.
La famille avançait à pas de tortue. Il leur fallut une heure entière pour
arriver à Planète Aventures. Jack était d’une humeur massacrante ! Il
avait chaud et terriblement faim. Il n’avait même pas eu le temps de
prendre un petit déjeuner avant de partir, encore moins d’emporter un
pique-nique. Mais une fois dans la file de la billetterie, il retrouva peu à
peu le sourire. Les cris des visiteurs lui parvenaient aux oreilles, et une
douce odeur de hot dog et de barbe à papa venait chatouiller ses narines.
– On prend une pizza et on file au Détractor ! s’exclama-t-il.
– Pas question, répliqua Scott. Je te rappelle qu’on est en mission. On
va suivre ces deux monstres jusqu’à ce qu’on sache s’ils ont pris notre
carte.
Allongés sur le sol, les jumeaux étaient déjà en train de se battre pour
un ballon qu’ils avaient volé, quelques minutes plus tôt, à un autre enfant.
– Mais ils ne vont faire que des attractions de bébés ! bougonna Jack.
Et puis, ils sont trop occupés pour aller chercher le trésor maintenant…
– Non, mais ils peuvent en parler, argumenta Scott. Alors tends bien
l’oreille et n’hésite pas à fourrer ton nez partout. Imagine que tu es
Mme Loveday !
Jack eut une grimace.
– Ça, jamais de la vie !
Heureusement pour les deux frères, les Hartley firent une première
halte au stand de beignets. Au moins, ils ne mourraient pas de faim ! Mais
après ça, ce fut de pire en pire. Les jumeaux enchaînèrent les Auto
Tamponneuses Magiques, le Tchou-Tchou des Montagnes et le Bateau des
Petits Moussaillons. Une vraie torture ! Pendant tout ce temps, Scott et
Jack pouvaient entendre les cris de terreur des passagers du Détractor.
Les gens sortaient de là en tremblant, mais l’air ravi.
Les jumeaux aussi regardaient l’attraction avec envie.
– Pourquoi on ne peut pas faire le Détractor ? gémit Spider-Man pour
la millième fois.
– Parce que vous êtes trop petits, répondit inlassablement son père.
– Même pas vrai ! s’écria Bob l’Éponge en se mettant sur la pointe des
pieds. Tu es méchant !
Soudain, Scott eut un éclair de génie.
– J’ai une idée ! L’un de nous va rester avec eux, pendant que l’autre
fait le Détractor. Après, on échangera.
Jack regarda son grand frère avec adoration. Il aurait pu l’embrasser !
– OK, moi d’abord ! dit-il en se ruant vers la file d’attente.
N’ayant plus le choix, Scott se retourna vers les Hartley. Ils étaient
encore en train de se disputer à propos de la prochaine attraction.
– Le Jardin des Animaux est tout près, déclara le père en consultant le
plan du parc. F6, c’est par ici.
– Je veux aller au Manoir de la Terreur, répliqua Spider-Man en lui
arrachant la carte des mains.
« C’est l’endroit parfait pour ces deux monstres ! » songea Scott.
Mme Hartley se massa les tempes.
– Vous êtes bien trop petits pour le Manoir de la Terreur, mon lapin,
dit-elle d’une voix fatiguée.
Scott jeta un œil sur son propre plan. Il était découpé sous forme de
quadrillage. Il y avait une série de lettres à l’horizontale et des chiffres à
la verticale pour servir de repères.
– F6… se répéta Scott. Ça ressemble au code qu’il y avait sur la carte
au trésor. Peut-être que les chiffres et les lettres représentent un système
de coordonnées.
Malheureusement, la carte de Maddox ne comportait aucun quadrillage
similaire.
Soudain, Scott releva la tête et s’aperçut que les Hartley avaient
disparu. Heureusement, il les retrouva rapidement dans la foule et reprit
sa filature à contrecœur. Tout ça ne servait à rien ! Ni les jumeaux, ni
leurs parents n’avaient parlé de la carte, encore moins d’un trésor. Il était
à deux doigts d’abandonner la mission et de rejoindre son frère, quand il
remarqua que les jumeaux s’écartaient peu à peu de leurs parents. M. et
Mme Hartley continuaient d’avancer, sans se rendre compte que leurs
chers « lapins » leur faussaient compagnie. Scott hésita. Devait-il les
prévenir ou suivre les jumeaux pour voir ce qu’ils tramaient ? Si
seulement Jack ne l’avait pas laissé tout seul… À cet instant, il vit la
silhouette rouge et bleu de Spider-Man se glisser sous une barrière de
sécurité. Les jumeaux se rendaient au Manoir de la Terreur. Sans plus
attendre, Scott se fraya un chemin à travers la file et pénétra à son tour
dans la maison hantée.
Il faisait sombre à l’intérieur. Seule une lumière verdâtre éclairait une
immense marionnette portant une cape noire et une longue faucille. Elle
représentait la Mort.
Scott aperçut les deux garçons un peu plus loin. Ils étaient appuyés
contre une rampe de sécurité qui surplombait le décor. En contrebas, des
squelettes et des spectres de toutes sortes faisaient frémir les visiteurs.
– Il appelle ça une maison hantée ? ricana Spider-Man. Ça fait même
pas peur !
N’ayant aucune conscience du danger, le petit garçon grimpa alors sur
la rampe et essaya d’attraper la faucille de la Mort qui se balançait au-
dessus de sa tête. Cette fois, Scott devait intervenir, quitte à se faire
démasquer.
– Descends d’ici, lui ordonna-t-il. Tu vas tomber.
– Essaie de m’en empêcher ! chantonna le garnement.
Puis il tira la langue et se jeta sur la marionnette. Son frère, puis des
gens, tout autour, se mirent à crier. Heureusement, Spider-Man avait
réussi à s’agripper à la cape de la Mort. Il était maintenant suspendu dans
le vide, à plusieurs mètres au-dessus d’une horde de zombies. Soudain,
un long craquement se fit entendre : la cape commençait à se déchirer !
La panique montait dans le public. Quelqu’un cria qu’il fallait appeler
les pompiers, la police… Une sirène d’alarme retentit. Le petit Spider-
Man se mit à pleurer.
Sans hésiter, Scott escalada la rampe à son tour et se glissa de l’autre
côté. Tout en tenant la rambarde fermement d’une main, il attrapa le tee-
shirt de Spider-Man de l’autre et parvint, au prix d’une force surhumaine,
à hisser le garçon sur la plateforme. Un peu plus et ils finissaient tous les
deux par terre, la tête dans les zombies !
Il leur fallut ensuite un certain temps pour rejoindre la sortie. Quand
Scott retrouva enfin la lumière du jour, il fut assailli par des flashs. Le
récit de ses exploits avait déjà fait le tour du parc. Un journaliste lui
tendit un micro.
– Qu’est-ce que ça fait d’avoir sauvé un enfant des griffes de la mort ?
demanda-t-il. Un commentaire pour Radio Cornouailles ?
Scott sentit un bras lui encercler les épaules. Jack le regardait avec un
sourire moqueur.
– Tu appelles ça une mission secrète ? Tu as encore beaucoup à
apprendre, mon vieux !
Scott éclata de rire. Pour une fois, son petit frère avait raison !
9

EmILY ForCe
L’eNTrÉe

P endant ce temps, Emily surveillait de près M. Tanaka. Après


avoir prévenu Jack et Scott du départ des Hartley, elle s’était installée
dans la salle à manger. Tout en faisant mine de jouer avec son téléphone,
elle gardait un œil attentif sur son suspect. M. Tanaka était en train de
prendre son petit déjeuner, quand son propre téléphone sonna.
– Allô, oui, bonjour…
Il hocha plusieurs fois la tête.
– Oui, j’ai réussi à me procurer le document dont nous avions parlé.
« C’est bien lui qui a volé la carte. Je le savais ! » songea Emily en
serrant Drift si fort qu’elle faillit l’étouffer.
Pendant ce temps, le Japonais continuait tranquillement sa
conversation.
– Nous devons préparer la prochaine phase de l’opération. Rendez-
vous au bureau à 11 heures et nous nous rendrons ensuite sur place.
Surtout, n’en parlez à personne…
Alerte ! M. Tanaka voulait partir à la recherche du trésor dès
aujourd’hui !
Il ramassa sa mallette et se dirigea d’un pas décidé vers la porte.
Emily releva la tête et lui sourit, comme si elle venait de remarquer sa
présence.
– Bonjour, Emily. Est-ce que tes parents sont là ? demanda-t-il.
J’aimerais commander un taxi.
Il avait un sacré culot de lui parler comme si de rien n’était ! « Moi
aussi, je sais jouer la comédie ! » se dit Emily.
– Je peux m’en occuper si vous voulez, répondit-elle d’une voix polie.
Donnez-moi simplement l’adresse.
– C’est très gentil à toi. Je me rends à la société West & Mitchell, dans
le quartier d’affaires de l’Étoile, à Carrickstowe. Il me faudrait un taxi
pour 10 h 30.
Emily nota soigneusement les informations avec un petit sourire. Elle
aussi serait chez West & Mitchell à 11 heures !
À 10 h 15, le chauffeur se présenta à la réception pour indiquer qu’il
attendait M. Tanaka au bout de la digue. Au-delà, les voitures n’avaient
plus la place de circuler, et il fallait poursuivre son chemin jusqu’au
phare à pied. Le Japonais était en train de lire un journal d’économie
dans le salon, sa précieuse mallette toujours sur les genoux.
– Votre taxi est là ! annonça Emily.
– Il est un peu en avance, répondit M. Tanaka en regardant sa belle
montre Rolex. Enfin, il n’y a pas de mal à être ponctuel !
Exactement ce qu’Emily avait prévu ! Elle avait fait exprès de
commander le taxi quinze minutes plus tôt pour avoir le temps de se
rendre à Carrickstowe avant le début de la réunion. Elle voulait prendre
M. Tanaka la main dans le sac ! Pour ça, il suffirait de s’introduire dans
les bureaux de West & Mitchell, de trouver un endroit d’où elle pourrait
observer l’entrevue et de prendre une photo du Japonais et de ses
complices avec la carte. Il faudrait ensuite trouver un moyen de la
récupérer… Mais ça, c’était une autre histoire !
– Allez viens, Drift ! Le devoir nous appelle.
Il était presque 11 heures quand Emily trouva enfin l’adresse. Un
gigantesque immeuble de verre et de grès s’élevait devant elle. Elle posa
son vélo contre un mur et se dirigea sans hésiter vers l’entrée. Drift sauta
du petit panier qui était accroché sur le porte-bagages, et la suivit à
l’intérieur.
Ils se retrouvèrent dans un hall immense et lumineux, où trônait un beau
comptoir en marbre blanc. Une chose était sûre : ce n’était pas l’usine de
caramels pour laquelle M. Tanaka prétendait être venu en Cornouailles !
– Je peux vous aider, mademoiselle ? l’interpella un agent de sécurité
avec méfiance.
Emily s’avança, un peu gênée. Heureusement qu’elle s’était bien
coiffée et qu’elle avait mis une robe, au lieu de son éternel short en jean
délavé.
– Heu, oui… Je cherche M. Tanaka. C’est un client de l’hôtel de mes
parents.
Un hôtel, ça faisait plus sérieux qu’une maison d’hôtes !
– Il a oublié sa carte de crédit sur la table du petit déjeuner, poursuivit-
elle. Je voulais juste la lui rendre.
Emily sortit une enveloppe, qui contenait manifestement un objet plat et
rectangulaire. Mais si le vigile décidait de l’ouvrir, il n’y trouverait
qu’une simple carte de bibliothèque !
– Pourriez-vous me dire dans quelle salle il avait rendez-vous ?
demanda-t-elle en jetant un regard plein d’espoir vers la rangée
d’ascenseurs.
L’homme secoua la tête.
– Personne ne monte sans avoir un rendez-vous, dit-il fermement.
– Mais ça ne prendra qu’une minute…
– Les règles sont les règles. Laissez-moi la carte et je la lui donnerai.
– Oh, ce n’est pas grave, se ravisa aussitôt Emily. Ça peut attendre ce
soir…
– Très bien. Maintenant, arrêtez de me faire perdre mon temps !
Soudain, il remarqua la présence de Drift, qui se tenait tranquillement
près de sa maîtresse.
– Sortez-moi ça d’ici ! s’écria-t-il. Et ne me dites pas que c’est un
chien d’aveugle, je ne suis pas né de la dernière pluie !
Tout en vociférant, il poussa la jeune fille à travers le hall jusqu’à la
sortie.
Quelques secondes plus tard, Emily se retrouva dans la rue. Elle se
retourna vers le bâtiment, le visage rouge de colère. Dire qu’en ce
moment même M. Tanaka et ses complices étudiaient la carte et
complotaient pour récupérer leur trésor. Ça n’allait pas se passer comme
ça !
Soudain, une camionnette de livraison passa devant l’immeuble en
klaxonnant et s’engouffra dans une allée attenante. Il y avait peut-être une
autre entrée sur le côté… Emily et Drift coururent jusqu’au coin de la
rue ; la camionnette était bien là, garée sur un petit parking. Le chauffeur
sortit du véhicule en sifflotant et ouvrit les portes arrière. À l’aide d’une
rampe, il fit descendre un petit chariot à roulettes du coffre et le poussa à
l’intérieur de l’immeuble par une porte automatique.
– C’est peut-être notre chance ! chuchota Emily.
Mais, en relevant la tête, elle remarqua une caméra de sécurité pointée
sur l’entrée du bâtiment. Impossible de passer par là sans que l’agent de
sécurité la voie !
Les minutes passaient. Le chauffeur avait laissé les portières de la
camionnette grandes ouvertes. Au fond du coffre, un second chariot
attendait son tour.
– Je crois que j’ai une idée, murmura Emily à son chien.
Elle regarda l’angle de la caméra puis la camionnette… À priori, elle
n’était pas dans l’axe.
Sans réfléchir plus longtemps, elle prit Drift dans ses bras et sauta à
l’arrière du véhicule. La première étape était passée ! Elle se tourna
ensuite vers le chariot. Avec ses deux portes coulissantes, il ressemblait
à une véritable petite armoire. À l’intérieur étaient stockés des bidons de
savon liquide et plusieurs rouleaux de papier toilette. Elle en retira
quelques-uns pour faire de la place et se glissa à l’intérieur.
Une minute plus tard, le chariot se mit en mouvement. Entre les virages
et les bosses, le trajet ne fut pas de tout repos ! Emily et Drift se
cognaient contre les parois, sans pouvoir faire un bruit. Enfin le chariot
s’immobilisa.
Quelques secondes plus tard, une porte claqua. Emily ouvrit doucement
l’armoire et une vive odeur de désinfectant envahit aussitôt ses narines.
Le sol était recouvert de carrelage blanc : elle devait être dans les
toilettes. Puis il y eut un bruit de chasse d’eau et les claquements d’une
paire de chaussures à talons. Ouf, c’étaient les toilettes des femmes !
Emily et Drift sortirent de leur cachette et se ruèrent à l’intérieur d’une
des cabines de W.-C. À ce moment précis, le livreur pénétra de nouveau
dans la pièce.
– Tiens, où sont passés les rouleaux de papier toilette ? s’exclama-t-il
en regardant dans le chariot. Les gens sont vraiment prêts à voler
n’importe quoi de nos jours !
Emily étouffa un petit rire.
– On a réussi ! murmura-t-elle à l’oreille de Drift.
Ce n’était peut-être pas le moyen le plus digne de pénétrer dans
l’immeuble, mais peu importe. Emily avait réussi son coup ! Elle attendit
que la voie soit libre et s’aventura à travers le dédale de couloirs. Par
chance, la plupart des pièces étaient vitrées et l’on pouvait aisément voir
ce qui se passait à l’intérieur. Les bureaux étaient couverts d’ordinateurs
et de dossiers de toutes les couleurs. Des réunions se tenaient un peu
partout autour de grandes tables rondes. Mais aucun signe de M. Tanaka.
Emily commençait à croire qu’elle ne le trouverait jamais, quand elle
l’aperçut enfin à travers une vitre. Il était en pleine conversation avec un
homme et une femme, vêtus de costumes stricts. Une carte était étalée sur
la table. Emily s’apprêtait à prendre une photo avec son téléphone, quand
soudain Drift leva les oreilles. Quelqu’un approchait…
– On m’a signalé la présence de deux intrus, disait une voix à travers
un talkie-walkie. Une jeune fille et son chien.
C’était l’agent de sécurité !
10
La PIÈCe
De MoNNaIe

P rise de panique, Emily regarda autour d’elle à la recherche d’un


endroit où se cacher. Mais à part un distributeur, coincé dans une alcôve,
le couloir était complètement vide. Tant pis, elle n’avait pas le choix ;
elle prit Drift dans ses bras et se glissa entre la machine et le mur. Avec
un peu de chance, le vigile passerait devant eux sans les voir.
Hélas, la chance n’était pas de leur côté ce jour-là ! Une grosse paire
de bottes noires vint se planter sous leur nez.
« Oh non, il va s’acheter à boire ! » songea Emily.
Les pièces de monnaie dégringolèrent une à une dans le distributeur,
puis une canette tomba avec fracas. Il n’en fallut pas plus pour affoler les
oreilles sensibles de Drift. Le chien avait beau être habitué aux missions
d’espionnage, il n’en gardait pas moins ses instincts. Il jeta la tête en
arrière et se mit à hurler à la mort.
Cette fois, la partie était perdue…
– À quoi vous jouez, jeune fille ? gronda le vigile. J’appelle la police !
Emily émergea de sa cachette, la tête baissée. Elle ne savait plus quoi
dire pour se tirer d’affaire. Soudain, une porte s’ouvrit et M. Tanaka
apparut dans le couloir, accompagné de ses deux complices.
– Tiens, Emily, qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il, un peu surpris.
La jeune fille lui lança un regard noir. Tout ça était de sa faute !
– Vous la connaissez ? s’étonna l’agent. Cette petite prétend avoir
quelque chose qui vous appartient.
Le Japonais fouilla ses poches.
– Je ne crois pas avoir perdu quoi que ce soit…
– Rendez-lui sa carte, mademoiselle ! ordonna le vigile d’un air
triomphant.
Emily était prise au piège. Elle sortit l’enveloppe d’une main
tremblante et la tendit à M. Tanaka. L’homme d’affaires l’ouvrit et en
retira une carte bleu et blanc, où l’on pouvait voir écrit en grosses lettres
« Bibliothèque de Carrickstowe ».
– Si c’est une carte de crédit, alors je suis la reine d’Angleterre !
s’exclama l’agent de sécurité.
Emily se voyait déjà les menottes aux mains, quand elle entendit
M. Tanaka éclater de rire.
– C’est incroyable, n’est-ce pas ? dit l’homme d’affaires. On jurerait
que c’est une carte de bibliothèque ordinaire, mais il s’agit bien d’une
carte de crédit. C’est un tout nouveau modèle qui vient de sortir au Japon.
Comme ça, on est sûr de ne pas se la faire voler !
– Je peux ? demanda l’un de ses partenaires.
Il prit la carte et la manipula avec attention.
– Impressionnant ! Je dois absolument m’en commander une !
Emily n’en revenait pas ! Plus personne ne songeait à appeler la police
maintenant.
– Merci beaucoup de me l’avoir rapportée, lui dit M. Tanaka. Je te
félicite d’avoir compris ce que c’était !
– Oui, bon… Faites sortir ce chien maintenant ! grommela le vigile, un
peu vexé.
Puis il tourna les talons et s’éloigna d’un pas lourd, laissant Emily
seule avec le Japonais.
– Je suis désolée, murmura-t-elle les yeux baissés. Je croyais que vous
étiez un espion.
Mais tout cela semblait parfaitement ridicule maintenant qu’elle le
disait à haute voix !
– J’ai remarqué que tu me surveillais, répondit M. Tanaka avec un
sourire. Tu as raison, je ne m’occupe pas du tout de caramels ! Mais je ne
suis pas un espion non plus… Ma société a investi beaucoup d’argent
dans la vieille usine de poissons de Carrickstowe. Cela permettra de
créer des emplois et de relancer l’économie de la région. Mais je ne
voulais pas que les journaux le sachent avant que l’accord soit signé.
C’est pour ça que j’ai décidé de m’installer chez vous, et pas dans un
grand hôtel. En plus, j’adore les vieux phares ! Tout est réglé désormais
et nous allons pouvoir l’annoncer publiquement cet après-midi.
Emily était rouge de honte. Elle osait à peine le regarder.
– Je suis vraiment désolée. Je pensais que vous aviez volé notre
carte…
– Je suis innocent ! s’exclama M. Tanaka en levant les mains. Il faut
que j’aille me préparer pour la conférence de presse maintenant.
Il fit quelques pas, puis se retourna au milieu du couloir.
– Au fait, Emily, pense à faire renouveler ta carte de bibliothèque. Elle
n’est plus valable depuis un mois !

Le lendemain matin, Emily retrouva Jack et Scott pour un compte rendu


détaillé de l’opération « carte volée ». Ils se donnèrent rendez-vous à
leur endroit habituel : au milieu de la digue, sur les gros rochers qui
surplombaient la mer. C’était là qu’était amarré le Gemini. Ici au moins,
personne ne pouvait les entendre.
Emily prit un stylo et ouvrit son carnet.
– Je vous écoute.
– Tu n’as pas vu les journaux ? dit Jack avec un grand sourire.
Il sortit un exemplaire du Quotidien de Carrickstowe. Une large photo
de Scott prise devant le Manoir de la Terreur s’étalait en première page.
Il avait l’air très cool avec ses mains dans les poches et ses cheveux en
bataille. Quoiqu’un peu surpris par toute cette attention. Au-dessus de la
photo, le journal titrait en grosses lettres :

UN JEUNE HÉROS SAUVE SPIDER-MAN


DES GRIFFES DE LA MORT.

– Tu appelles ça une mission incognito ? demanda Emily, les sourcils


froncés.
– Le « jeune héros » ne peut pas s’empêcher de venir en aide aux plus
faibles ! dit Jack en battant des cils comme une demoiselle en détresse.
Scott lui jeta un regard glacial, puis se lança dans le complet récit de
leurs aventures au parc d’attractions.
– De toute manière, les Hartley n’ont pas la carte, conclut-il.
– M. Tanaka non plus, soupira Emily.
Elle raconta sa visite pleine de rebondissements chez West & Mitchell.
– J’ai honte de l’avoir soupçonné, gémit-elle. M. Tanaka est l’homme
le plus gentil du monde !
Jack aurait donné n’importe quoi pour voir Emily se faire pincer par le
vigile. Et Drift qui poussait des hurlements de loup-garou pendant ce
temps !
– Tu n’es pas vraiment passée inaperçue, toi non plus, lui dit-il d’un
air moqueur.
– Heu, non… Je crois qu’on a tous raté notre mission, admit-elle avec
un petit sourire. Mais nous avons quand même progressé dans l’enquête.
– Vraiment ? s’étonna Scott.
– Nous pouvons éliminer les principaux suspects, répondit Emily en
barrant leurs noms.
– Il ne reste plus que Dotty et Mme Loveday, souligna Scott.
Jack leva la tête vers la baie. Au loin, l’île du Vent brillait comme un
iceberg sous le soleil matinal.
– Et si on allait tout de suite sur l’île ? proposa-t-il. On trouvera peut-
être le trésor, qui sait ?
– On trouvera surtout des crottes d’oiseaux ! répondit son frère.
– Scott a raison, approuva Emily. Il faut d’abord récupérer la carte.
Jack poussa un soupir. Il préférait largement fouiller dans les crottes
d’oiseaux que passer la journée à suivre Mme Loveday !
De son côté, Scott repensait au plan de Planète Aventures.
– Vous vous souvenez des combinaisons de chiffres et de lettres ?
demanda-t-il. Ça ne peut pas être des repères, vu que la carte n’avait pas
de quadrillage. Si c’était un autre système de coordonnées ?
Emily acquiesça.
– Comme le nombre de pas dans une certaine direction, suggéra-t-elle.
« N6 » pour six pas vers le nord.
– Sauf qu’il n’y avait pas de N sur la carte, ni de S, de E ou de O,
souligna Jack. C’était plutôt F, Z et B. Si Maddox avait eu un GPS, ça
aurait été plus simple !
Emily éclata de rire.
– Je ne crois pas que ça existait en 1902 ! Il n’a probablement pas eu
le temps de prendre des instruments de navigation pendant le naufrage…
– Il était trop occupé à charger son trésor ! s’exclama Jack.
Scott ferma les yeux pour se concentrer. Le code de Maddox ne devait
pas être si compliqué puisqu’il y avait pensé au beau milieu d’une
tempête !
– On n’a plus le choix, il faut prendre Mme Loveday en filature,
soupira Emily.
– Pas question ! s’exclama Jack. Je vote pour qu’on aille sur l’île du
Vent !
Scott n’était pas d’humeur à affronter une nouvelle dispute. La dernière
avait bien failli se terminer en combat mortel !
– On va tirer à pile ou face, dit-il en sortant une pièce de sa poche.
– Je choisis face, dit Emily.
Scott jeta la pièce en l’air et la posa à plat sur le dos de sa main.
– Face ! On surveille Mme Loveday…
– C’est pas juste ! protesta Jack. Je veux rejouer.
Mais Scott ne l’écoutait plus. Ses yeux étaient restés fixés sur la pièce.
Il regardait le visage de la reine d’Angleterre, mais surtout les
inscriptions qui bordaient les contours : ELIZABETH II DG REG FD
2008.
Il se dressa d’un bond et leva les bras en signe de victoire.
– J’ai trouvé !
11
L’InCroYabLe
MUSeaU De DRifT

E mily et Jack le regardèrent comme s’il avait perdu la tête.


Même Drift remua ses oreilles d’un air étonné.
– Maddox a utilisé une pièce de monnaie ! s’exclama Scott.
– Une pièce ? s’étonna Jack. Comment ça ?
– On sait que Maddox avait le trésor avec lui quand il a quitté le
navire, expliqua son frère. Si le trésor était composé de pièces d’or, il a
pu se servir de l’une d’entre elles comme d’une boussole. Les lettres
inscrites sur le bord indiquent la direction. Pour F6 par exemple, il faut
regarder où la lettre F est inscrite et faire six pas par là…
Jack n’était pas convaincu.
– Il y a un problème. On ne sait pas dans quel sens il faut mettre la
pièce au départ, remarqua-t-il.
Il prit l’objet des mains de Scott.
– Regarde, poursuivit-il. Si je la mets comme ça, le Z d’Elizabeth
pointe vers le phare. Mais si je la tourne légèrement, on tombe sur le nez
de Drift !
Scott s’apprêta à répliquer, quand il comprit que son frère avait raison.
Une pièce de monnaie n’indiquait pas automatiquement le nord, comme
une boussole.
Toute son excitation retomba d’un coup. Il était pourtant certain que sa
théorie tenait la route…
Soudain, Emily se leva à son tour.
– Je sais, je sais ! s’exclama-t-elle en agitant les mains.
– Quoi ? On dirait que tu prépares un spectacle de marionnettes ! dit
Jack en riant.
– Le nez de Drift… balbutia Emily.
Les deux frères se regardèrent d’un air interdit. Drift avait peut-être le
meilleur flair du pays, mais il n’avait pas la capacité de localiser le nord
pour autant !
– Quand Jack a dit que la lettre tombait sur le nez de Drift, ça m’a
rappelé un indice sur la carte au trésor, expliqua la jeune fille. « Pointez
le nez vers la plus proche des deux tours. » Et si Maddox parlait du nez
de la reine ?
– C’est possible ! répondit Scott en examinant la pièce. Son profil est
pointu comme une flèche.
– Tu pourrais être arrêté pour trahison si on t’entendait ! plaisanta
Jack.
Emily se remit à sautiller sur le rocher en agitant ses mains.
– Le spectacle de marionnettes est de retour ! dit Jack. Qu’y a-t-il ?
L’incroyable museau de Drift aurait-il révélé un autre secret ?
– Non, ça me fait penser à autre chose, poursuivit la jeune fille.
Elle sortit le journal de John Macy de son sac à dos et feuilleta
quelques pages.
– Je n’y avais pas prêté attention avant, mais ça prend tout son sens
maintenant. Voilà !
« Ce matin, Maddox a insisté pour me donner une pièce d’or en guise
de remerciement, lut-elle à haute voix. Il m’a recommandé de la
conserver précieusement, car elle pouvait se révéler “plus précieuse
qu’elle n’en avait l’air”… »
– Bien joué, Mily ! s’exclama Scott. Ça prouve qu’on est sur la bonne
voie. William Maddox a laissé cette pièce à Macy pour qu’il puisse
trouver le trésor. C’est ça, le décodeur dont parlait tante Kate !
– Il reste un petit problème, Monsieur le détective, objecta Jack. On ne
sait pas quelle pièce Maddox à utilisée pour ses indices. Ce n’était
sûrement pas celle de 2008 !
Mais là aussi, Scott avait la solution.
– Maddox a volé l’or en 1902 pendant la guerre des Boers, en Afrique
du Sud, dit-il. Il suffit de chercher sur Internet quelle était la monnaie du
pays à cette époque.
Au loin, les cloches de l’église Saint Michel se lancèrent dans un
joyeux tintamarre, comme pour célébrer la victoire de Scott.
– OK, tu as gagné… marmonna Jack. Maintenant, je mangerais bien une
glace. Tous ces raisonnements m’ont fait bouillir le cerveau. Et ces
cloches n’arrangent rien !
– C’est bizarre, on n’est pas dimanche pourtant, remarqua Scott.
– C’est le Club des sonneurs de cloches de Castle Key, expliqua
Emily. Ils répètent tous les troisièmes jeudis du mois.
Scott se leva pour se dégourdir les jambes.
– Tu crois que ton père nous laissera utiliser son ordinateur ?
demanda-t-il à son amie.
Mais la jeune fille avait déjà sauté sur la digue et se dirigeait
maintenant vers le village.
– J’ai une meilleure idée, lança-t-elle par-dessus son épaule. On va
aller à l’église !
– Tu veux prier pour qu’Internet nous vienne en aide ? dit Jack d’un air
moqueur.
– Tu peux toujours essayer ! répondit Emily en riant. Moi, je vais voir
Colin Warnock. C’est lui qui dirige le Club des sonneurs de cloches.
C’était aussi le vicaire de la paroisse. Un vicaire pas comme les
autres… Jack se souvenait très bien de leur première rencontre : il portait
un blouson en cuir et jouait un célèbre morceau de rock sur son orgue4.
– Tu comptes t’inscrire au club ?
– Mais non ! s’exclama Emily. Colin est un grand amateur d’objets
anciens. Il collectionne les vieux disques, les timbres… et les pièces de
monnaie !
4. Voir Le Mystère des grottes du Vent-Huant.
12
ParoLeS D’eXPerT

L e temps qu’ils arrivent à l’église Saint Michel, les cloches


s’étaient calmées. Le Club des sonneurs avait plié boutique.
– C’est pas grave, dit Emily. Ils vont toujours boire un verre au bar de
Castle Key après la répétition.
Scott échangea un sourire avec son frère. Rien de ce qui se passait sur
l’île n’échappait à leur amie !
Colin Warnock était assis en terrasse en compagnie des autres
membres du club. Les trois amis s’installèrent quelques mètres plus loin.
– On n’arrivera jamais à voir Colin tout seul, gémit Jack tandis que les
sonneurs de cloches éclataient de rire.
– Laisse-moi faire, répondit Emily avec un petit sourire.
Elle prit un air préoccupé et se dirigea à petits pas vers la table de
Colin. Puis elle se pencha vers lui et lui murmura quelques mots à
l’oreille.
– Mission accomplie ! s’exclama-t-elle en revenant s’asseoir. Il nous
rejoint dans deux minutes.
– Qu’est-ce que tu lui as dit ? demanda Scott, impressionné.
– Oh, simplement qu’une amie se faisait harceler sur Internet par des
filles du collège, répondit Emily en haussant les épaules.
– C’est vrai ? s’enquit Jack.
– Bien sûr ! Mais ce n’est plus un problème maintenant… On a fait en
sorte que tous les messages soient redirigés vers la boîte mail du
proviseur. Du coup, c’est lui que les filles traitent de « sale mocheté qui
s’habille trop mal » ! Attention le voilà…
– Cool, il a acheté des frites et des sodas, remarqua Jack, les yeux
brillants. J’ai toujours dit qu’il était sympa !

– Et si ton amie rencontre encore des problèmes, dis-lui qu’elle peut


toujours venir me voir, conclut Colin en terminant son verre de bière.
Scott profita de l’occasion.
– Au fait, Colin, je peux vous demander autre chose pendant que vous
êtes là ?
– Bien sûr ! répondit le vicaire. J’imagine que vos amis de Londres
vous manquent… Ce n’est pas facile de s’habituer à la vie tranquille de
la campagne.
– Non, ce n’est pas ça, dit Scott en sentant malgré tout sa gorge se
serrer.
Il n’avait pas pensé à sa maison depuis bien longtemps…
Heureusement, la vie à Castle Key n’avait rien de tranquille ! Il avait
vécu bien plus d’aventures ici que dans la capitale.
Scott jeta un rapide coup d’œil autour de lui pour s’assurer que
personne n’écoutait. Il vit Simon Fox s’installer à une table voisine. En
quelques secondes, il fut assailli par deux vieilles dames qui
commencèrent à sortir des photos de leurs petits-enfants. Pauvre Simon !
Il était victime de sa gentillesse et de sa bonne humeur.
Scott le salua d’un geste de la main avant de se retourner vers Colin.
– Il paraît que vous êtes un expert en pièces de monnaie anciennes, lui
dit-il à voix basse au cas où Mme Loveday serait cachée derrière un bac
à fleurs.
– Je me débrouille, répondit modestement le vicaire.
– J’ai commencé à m’intéresser à certaines pièces, en particulier
celles de l’époque de la guerre des Boers, poursuivit Scott en réprimant
une grimace.
C’était la chose la moins cool qu’il ait jamais dite de sa vie !
– Alors, tu es un numismate toi aussi ! s’exclama Colin.
Scott le regarda avec des yeux ronds.
– Tu étudies la monnaie ancienne ?
– Heu… oui, c’est ça, marmonna Scott.
Le visage de Colin s’éclaira. Il était ravi d’avoir trouvé quelqu’un
avec qui partager son étrange passion ! « C’est parti pour trois heures de
monologue… » songea Jack en bâillant.
En réalité, la discussion ne dura pas aussi longtemps. Mais Jack avait
eu le temps de terminer toutes ses frites plus celles de son frère quand le
vicaire quitta enfin la table.
– C’était un plaisir de discuter avec toi, Scott, conclut Colin. Je cours
chez moi prendre une photo de la pièce dont je vous parlais, la « Kruger
Pond », et je vous l’apporte d’ici une heure au cottage des Roches.
– La Kruger quoi ? demanda Jack une fois Colin parti.
Scott secoua la tête d’un air désespéré.
– Tu n’as rien écouté ou quoi ?
Jack se gratta la tête. C’était pire qu’à l’école.
– Quelque chose à propos d’un pont…
– Pas un pont, une « Pond », corrigea Emily. C’est comme ça qu’on
appelait la monnaie en Afrique du Sud. La « Kruger Pond » est une pièce
d’or de 1902. Selon Colin, les habitants du Transvaal en ont enterré des
coffres entiers avant de fuir le pays. C’est sûrement ça, le trésor de
Maddox !
– Et Colin a justement une de ces pièces dans sa collection, ajouta
Scott. Dès qu’il nous donnera la photo, on pourra déchiffrer le code sur la
carte !
– À condition de la retrouver… soupira Emily.
13
La tRisTe RÉaLITÉ

E mily dut rentrer chez elle pour aider sa mère à préparer le


déjeuner. Toutefois, après avoir rapidement épluché les pommes de terre
et expédié la préparation des desserts, elle courut se replonger dans le
journal de John Macy.
Quelques minutes plus tard, la sonnette retentit, suivie d’un concert de
pas précipités dans l’escalier.
– On a la photo ! s’exclama Scott en déboulant dans la chambre
d’Emily.
Il y avait même deux clichés : un pour chaque côté de la pièce. Côté
face, on pouvait voir le visage d’un homme barbu à l’air sérieux.
– Il s’appelle Paul Kruger. C’était le président d’Afrique du Sud à
l’époque, expliqua Scott.
Emily lut ensuite les mots gravés sur le pourtour de la pièce : ZUID
AFRIKAANSCHE REPUBLIEK.
– Ça veut dire « République d’Afrique du Sud », précisa Scott.
– Sans blague ! se moqua Jack. Je pense qu’Emily avait compris !
La jeune fille fixait les inscriptions le cœur battant. F, Z, B… Toutes
les lettres du code étaient là. Pas de doute : c’était la bonne pièce. Il ne
manquait plus que la carte. Emily était encore plus énervée de l’avoir
perdue maintenant qu’ils étaient si près du but.
Ils savaient qu’il fallait placer le nez de Kruger dans l’alignement des
deux tours. Mais il devait bien y avoir un point de départ, le long de cette
ligne. Et ce renseignement ne pouvait figurer que sur la carte… Pour
couronner le tout, ils ne se souvenaient que de trois combinaisons de
chiffres et de lettres : F6, Z4 et B3. C’était à peine la moitié des indices
laissés par Maddox.
Emily sortit une paire de jumelles de son kit de survie et regarda l’île
du Vent, les yeux voilés de larmes. Peut-être que Jack avait raison et
qu’ils devaient se rendre sur l’île avant que le voleur leur passe devant.
À cet instant, un bateau s’engagea dans la baie. Cela n’avait rien
d’étonnant : beaucoup de gens sortaient en mer quand il faisait beau. Mais
le voilier semblait prendre la direction de l’île du Vent. Étrange… Même
les marins avertis ne s’aventuraient pas près de ces récifs tranchants.
Emily régla ses jumelles sur le bateau et étouffa un cri. Le pavillon
portait le logo de la marina de Carrickstowe et un large dessin s’étalait
sur la coque.
– Tu vois ce que je vois ? demanda-t-elle en passant les jumelles à
Jack.
– Bah… C’est un bateau ! répondit-il en observant la baie.
– Pas n’importe quel bateau. Il vient du magasin de location de
Carrickstowe !
– Et alors ? dit Jack en haussant les épaules.
Emily soupira d’un air impatient.
– Simon Fox devait justement louer un voilier aujourd’hui !
Jack écarquilla les yeux.
– OK, mais rien ne nous prouve que c’est lui ! Beaucoup de gens louent
des bateaux le dimanche.
– Je l’ai entendu appeler la marina ce matin, poursuivit Emily. Il a
répété plusieurs fois le nom du voilier : Le Dauphin argenté.
Scott arracha les jumelles des mains de son frère et les pointa sur le
bateau.
– Il a un dauphin dessiné sur la coque, dit-il. Si ce n’est pas un indice,
ça !
Jack haussa de nouveau les épaules.
– Eh ben, il a le droit de faire du bateau si ça lui chante !
– Et il n’a pas trouvé une meilleure idée que d’aller vers l’île du Vent?
répliqua Emily d’un ton sec.
Parfois, elle se demandait si Jack ne faisait pas exprès d’être idiot
juste pour l’énerver!
– Toutes les cartes montrent qu’il y a des rochers dangereux là-bas,
poursuivit la jeune fille. Soit il est complètement inconscient, soit…
Scott secoua la tête d’un air ébahi.
– Tu veux dire que…
– Réveillez-vous ! Il est parti à la recherche de notre trésor ! s’écria
Emily.
– Mais il était coincé au village quand on a trouvé la carte, rappela
Jack. Mme Loveday nous a même dit qu’il lui avait offert une part de
tarte. Je sais que ça paraît suspect de vouloir discuter avec cette vieille
sorcière, mais ce n’est pas un crime.
Emily ferma les yeux et essaya de se remémorer ce fameux après-
midi… Ils étaient dans la salle à manger et avaient déplié la carte sur la
table. Ensuite, son père était entré pour mettre le couvert et ils avaient
aussitôt rangé leurs affaires. Quelques minutes plus tard, Simon arrivait
par la porte d’entrée. Et si…
– Tous dans la salle à manger ! Vite ! s’écria-t-elle en se précipitant
dans les escaliers.
Une fois en bas, Emily demanda aux garçons de s’installer autour de la
table.
– Faites comme si vous regardiez la carte et parlez normalement.
Enfin, aussi normalement que possible, ajouta-t-elle en regardant Jack.
– Qu’est-ce que tu fabriques? demanda-t-il.
– C’est une reconstitution, expliqua Emily. La salle à manger est juste à
côté de la porte d’entrée. Peut-être que Simon nous a entendus parler du
trésor au moment où il arrivait.
– Il y avait bien trop de vent pour ça, objecta Scott. Et puis, les vagues
auraient pu l’emporter !
– Non, la tempête s’était déjà calmée quand il est revenu, souligna
Jack.
– Exactement ! s’exclama Emily.
Sans plus attendre, elle courut à l’extérieur du phare. Une fois devant
les larges fenêtres de la salle à manger, elle fit signe aux garçons de se
mettre à parler. Elle pouvait voir leurs lèvres bouger et leurs mains se
promener sur la carte. Mais entre le bruit de la mer et les cris des
mouettes, elle ne percevait pas un traître mot de ce qu’ils disaient. Le
double vitrage de la véranda bloquait tous les sons.
- Je n’ai rien entendu… dit-elle en revenant dans la pièce. Peut-être
que vous n’avez pas parlé assez fort.
– Un peu plus et on criait, répondit Jack. Je vais essayer…
Il se posta à son tour à l’extérieur et regarda les deux autres discuter.
Mais encore une fois, ce fut un échec.
– À moins de savoir lire sur les lèvres, je ne vois pas comment Simon
aurait pu faire, soupira Jack en les rejoignant.
Soudain, Scott se dressa d’un bond et fit tomber sa chaise.
– Je sais !
– Attention, mesdames et messieurs, le « jeune héros » a encore
frappé ! s’exclama Jack d’un ton moqueur.
Scott l’ignora et se tourna vers Emily.
– Souviens-toi, Mily. Quand l’orage s’est calmé, ta mère est venue
nous apporter le goûter et elle en a profité pour aérer la pièce.
– Tu as raison !
Ils ouvrirent aussitôt les fenêtres de la véranda et Emily retourna
dehors, suivie de près par Drift. Le chien n’avait pas compris grand-
chose à ce nouveau jeu, mais tous ces allers-retours l’amusaient
beaucoup !
– Carte, trésor, île du Vent… psalmodia Scott à voix basse. Tu me
reçois ?
– Cinq sur cinq ! répondit Emily en levant le pouce.
Mais l’enthousiasme laissa rapidement place à la stupéfaction. Les
trois amis se regardèrent en silence, tandis que la triste réalité s’abattait
sur eux : Simon Fox les avait trompés.
– Il avait l’air sympa pourtant ! dit Jack en secouant la tête. Même les
jumeaux l’aimaient bien.
– Maintenant que j’y repense, il nous suivait partout où on allait,
soupira Scott. Chez Dotty quand on parlait au vieux Bob, au bar de Castle
Key…
Emily retourna dans la pièce et s’écroula dans un fauteuil. Toute cette
enquête avait été un désastre du début à la fin. Elle avait négligé un
suspect majeur, laissé traîner un indice précieux, bâclé toutes les
procédures habituelles… Que des erreurs de débutante !
Pendant ce temps, Simon Fox accumulait les indices. Il avait la carte, il
savait comment déchiffrer les combinaisons et quelle pièce utiliser. Pire
encore, il était en route pour l’île du Vent ! À ce rythme, il ne tarderait
plus à découvrir le trésor.
14
EN RoUte VerS
L’ÎLe dU VeNt

– Larguez les amarres ! cria Emily.


Ils poussèrent le Gemini à l’eau et sautèrent à bord, Drift compris. La
découverte de la trahison de Simon avait déclenché un véritable branle-
bas de combat. En quelques minutes, les trois amis avaient rassemblé tout
l’équipement nécessaire pour leur expédition sur l’île du Vent : carte de
navigation, jumelles, bouteilles d’eau, biscuits de survie subtilisés dans
la cuisine et, bien sûr, la photo de la fameuse « Kruger Pond ».
Scott prit les avirons et se mit à ramer de toutes ses forces, comme si
sa vie en dépendait. Il avait eu l’occasion de s’entraîner depuis la
première fois qu’il avait manœuvré le Gemini, sur la route des Grottes du
Vent-Huant. C’était aujourd’hui un rameur de premier ordre. Mais leur
adversaire avait bien trop d’avance pour espérer le rattraper. Au bout
d’une quinzaine de minutes, ses muscles étaient en feu. Il passa le relais à
Jack et descendit presque toute une bouteille d’eau.
– Encore combien de temps pour arriver sur l’île ? demanda-t-il à
Emily.
– Si on continue à ce rythme et que la mer reste calme, environ une
demi-heure.
La jeune fille regarda à travers ses jumelles.
– Le Dauphin argenté est assez loin du bord, remarqua-t-elle. Simon a
dû prendre une barque pour rejoindre le rivage. Mince ! J’avais espéré
qu’il serait assez bête pour y aller à la voile et qu’il s’écraserait contre
les rochers !
– C’est bizarre, dans les films, les méchants font toujours des trucs
stupides ! plaisanta Jack en soufflant après chaque mot.
Trente minutes plus tard, ils arrivèrent au niveau du bateau de Simon.
Comme Emily l’avait deviné, le canot de sauvetage avait disparu. La
jeune fille scruta les abords escarpés de l’île. Les falaises blanches
brillaient au soleil comme des lames de couteau. Soudain, Drift se mit à
aboyer.
– Il est là ! s’écria Jack au-dessus des cris des mouettes.
À la pointe sud de l’île, un petit canot gonflable tanguait
dangereusement entre les rochers. Emily reconnut les cheveux blonds et
le tee-shirt délavé de Simon. Il semblait pris dans un petit tourbillon entre
les rochers. Son moteur était probablement tombé en panne puisqu’il
avait pris les rames. Et vu la façon dont il se démenait, c’était sûrement la
première fois qu’il s’en servait! La situation devenait critique. Mais ce
n’était pas la seule chose qui inquiétait Emily.
– Oh non ! Il a le trésor ! gémit-elle.
– Comment tu le sais ? demanda Scott en criant pour se faire entendre.
– Regarde comme son canot est enfoncé dans l’eau, dit-elle en pointant
l’embarcation du doigt. Il doit y avoir quelque chose de lourd à bord.
Soudain, des cris s’élevèrent. Simon s’était redressé et agitait les bras
vers eux, rendant l’équilibre du canot encore plus précaire.
– Au secours ! Aidez-moi !
– Bah voyons ! grogna Jack. Pourquoi on l’aiderait, ce traître ?
– On ne peut pas le laisser se noyer, répliqua Emily.
– Non, mais on peut lui faire promettre de nous rendre le trésor avant
de le sauver, dit Scott en s’emparant des rames.
– Attention, ne t’approche pas trop, dit Emily. On pourrait être pris
dans le tourbillon.
Scott manœuvra le Gemini aussi près que possible, puis Emily jeta la
corde d’amarrage vers Simon. L’homme essaya de l’attraper d’une main
tout en restant agrippé à son canot de l’autre. Mais il rata la cible et la
corde vint s’abattre lourdement sur la surface de l’eau. Emily réessaya
une fois, deux fois, trois fois, sans succès. Au bout de la cinquième
tentative, Simon réussit finalement à s’emparer du bout et l’attacha à la
proue du canot. Scott donna de vigoureux coups de rames et parvint à
tirer la petite embarcation du puissant maelström. Ils trouvèrent refuge
dans une petite grotte, à quelques mètres de là.
Simon poussa un long soupir. Son visage et son cou étaient couverts de
coups de soleil.
– Merci, les enfants ! s’exclama-t-il avec un grand sourire. Je voulais
juste faire un petit tour sur l’île, mais je ne pensais pas qu’il y avait
autant de rochers. Un vrai cimetière à bateaux ! Heureusement que vous
étiez là pour me sortir d’affaire.
Il tendit la main, mais aucun des trois ne la serra.
– Arrêtez de nous prendre pour des idiots ! répondit Scott d’un ton sec.
On sait ce que vous avez fait : vous avez volé notre carte et déterré le
trésor. Rendez-le-nous !
Simon écarquilla les yeux.
– Quelle carte ? Quel trésor ? Vous vous prenez pour des pirates ?
– Finie la comédie, on sait que vous l’avez, répliqua Jack.
Soudain, le sourire jovial de Simon disparut et l’homme acquiesça
d’un air honteux.
– OK, vous m’avez démasqué, soupira-t-il. Je me rends.
– Alors, c’est vraiment vous qui avez volé la carte ? s’écria Scott,
comme s’il avait encore des doutes jusque-là.
– Pas volé, emprunté ! se défendit Simon. Je suis vraiment désolé, les
enfants. Quand je vous ai entendu parler d’un trésor, j’ai pensé que vous
n’arriveriez jamais à le trouver tout seuls. Et comme je suis un peu
détective dans l’âme, je voulais aller le chercher pour vous… Pour vous
faire la surprise !
Emily n’était pas convaincue.
Simon la regarda droit dans les yeux et posa la main sur son cœur,
comme pour prouver qu’il était de bonne foi.
– C’était idiot, je le reconnais ! poursuivit-il. Je n’ai pas les idées en
place depuis que ma fiancée m’a quitté. Et maintenant, vous me prenez
pour un voleur ! Bravo, Simon, tu t’es vraiment surpassé cette fois !
Jack et Scott éclatèrent de rire. Même Emily finit par être amadouée
par la mine repentie de l’Australien. Elle était même un peu désolée pour
lui. Après tout, ils l’avaient accusé à tort et gâché sa surprise ! Et puis,
Simon avait déterré le trésor tout seul… Elle jeta un œil à l’intérieur du
canot. Mais à sa grande surprise, il était vide ! Pas le moindre coffre en
bois rongé par le temps, ni même une vieille petite boîte. Seul un
détecteur de métaux flottait au fond de la barque.
Un morceau entier de la coque avait été arraché par les rochers. Si la
petite embarcation s’enfonçait dans l’eau, ce n’était pas à cause des
pièces d’or ; elle était tout simplement en train de couler.
– Vous n’avez pas trouvé le trésor ? demanda-t-elle.
Simon sortit la carte de sa poche et la secoua d’un air rageur.
– Ce maudit dessin raconte n’importe quoi !
– Comment le savez-vous ? l’interrogea Scott.
– La forme de l’île n’est pas bonne. Il devrait y avoir une petite baie au
sud, mais il n’y a rien du tout ! Croyez-moi, ça fait des heures que je
navigue autour de ce satané rocher. Ça ne ressemble en rien à ce qu’il y a
sur la carte.
Emily sentit les larmes lui monter aux yeux. Ils avaient bravé les côtes
de l’île du Vent, mené l’enquête pas à pas, déchiffré un code secret…
Tout ça pour rien !
– Vous pouvez me ramener jusqu’au Dauphin argenté ? demanda
Simon. Ce canot ne vaut plus rien.
– Bien sûr, répondit Scott d’une voix éteinte.
– Je crois que votre William Maddox a voulu faire une blague,
poursuivit Simon en montant à bord du Gemini.
Il brandit la carte à bout de bras, prêt à la jeter à la mer. Les rayons du
soleil traversèrent le parchemin, laissant apparaître les inscriptions bien
plus nettement qu’à la lumière de la lampe à huile. C’est alors qu’Emily
remarqua un point qu’elle n’avait pas vu avant. Un petit point de rien du
tout, mais qui faisait toute la différence. Elle arracha la carte des mains
de Simon et la montra aux garçons.
– Regardez, il y a un point après « Vent. ». C’est une abréviation ! Le
trésor n’est pas sur l’île du Vent, il est sur l’île du Ventriloque !
15
La ChaRte
DeS PIRateS

E mily regretta aussitôt d’avoir révélé l’ultime secret de la carte


devant Simon. Si elle avait attendu quelques minutes, ils auraient pu le
déposer à son bateau et filer tranquillement sur l’île du Ventriloque.
Maintenant, il voudrait sûrement les accompagner, et l’aventure ne serait
pas aussi amusante en compagnie d’un adulte.
– Où est cette île du Ventriloque ? demanda Simon.
– Oh, à des kilomètres d’ici ! On ne peut pas y aller aujourd’hui,
répondit Emily pour le décourager.
Hélas, Simon avait déjà sorti une carte de la baie de sa poche.
– Mais non, c’est tout près ! dit-il.
Emily ne prit même pas la peine de regarder. Elle savait parfaitement
où se trouvait l’île du Ventriloque : à un demi-kilomètre de là, en allant
vers le sud. Elle faisait deux fois la taille de l’île du Vent et abritait un
vieux monastère abandonné. Plus important encore, c’était à quelques
milles du lieu de naufrage de L’Impératrice. Plus Emily y songeait, plus
il semblait logique que le canot de Maddox se soit échoué là-bas.
– J’ai une super-idée ! s’exclama Simon. Si on joignait nos forces pour
trouver le trésor ? Vous avez le bateau, j’ai le détecteur de métaux. À
nous quatre, on forme une équipe d’enfer !
Jack le regarda d’un œil circonspect. Fox avait l’air sincère, mais
n’avait-il pas également « emprunté » leur carte sans leur demander la
permission ?
– Détends-toi, mon vieux ! dit Simon en lui administrant une tape
amicale dans le dos. Je ne demande pas une part du trésor. Je veux juste
participer à l’aventure ! Après, on retournera tous sur Le Dauphin
argenté pour fêter ça. Qu’est-ce que tu en dis ?
S’il ne voulait pas d’or, Jack n’y voyait pas d’objection. En plus, il
avait mal aux bras et Simon pourrait l’aider à ramer.
– Qu’est-ce qui nous prouve qu’on peut vous faire confiance ? objecta
Scott.
– Tu m’as bien entendu : « je ne veux pas le trésor », argumenta Simon.
Je peux mettre ça par écrit s’il le faut !
Scott était tenté d’accepter. Il rêvait de poursuivre l’expédition sur
l’île du Ventriloque. D’autant que le détecteur de métaux pourrait se
montrer utile. Il échangea un regard avec Emily, et tous deux finirent par
acquiescer. La jeune fille sortit la photo de la pièce de monnaie et
rédigea le paragraphe suivant au verso :
Je soussigné Simon Fox jure solennellement que je ne réclamerai
aucune part du trésor de William Maddox caché sur l’île du
Ventriloque.
Puis elle tendit le papier à Simon.
– Datez et signez, s’il vous plaît.
– Je plaisantais, tu sais ! dit Fox en riant. Mais, si tu insistes…
Il prit le stylo et griffonna une signature.
– C’est comme une charte de pirates, ajouta-t-il.
– On devrait tous la signer avec notre sang ! s’exclama Jack.
– Je préférerais vous serrer la main à la place ! dit Simon en joignant
le geste à la parole. Eh bien, qu’est-ce qu’on attend pour aller trouver le
trésor ?
Avec Simon aux rames, ils ne tardèrent pas à rejoindre l’île du
Ventriloque. La silhouette du vieux monastère se détachait devant le
soleil rougeoyant de la fin d’après-midi. Jack avait du mal à contenir son
excitation ! Drift aussi était content de pouvoir enfin se dégourdir les
pattes après leur longue virée en mer. À peine arrivé, il sauta à terre et
courut à travers les rochers.
– On dirait bien l’endroit où le canot de Maddox s’est échoué, annonça
Emily en examinant la carte. La crique a exactement la bonne forme et les
gribouillis qu’on avait pris pour des rochers correspondent aux ruines du
monastère.
Pendant ce temps, Simon séchait son détecteur à quelques mètres de là.
Il semblait ravi de laisser les trois amis déchiffrer les indices à sa place.
– Maintenant, il faut trouver le point de départ, déclara Emily.
« Pointez le nez vers la plus proche des deux tours, lut-elle à haute voix,
et une fois que les deux sont dans l’alignement, etc. »
– On devrait pouvoir apercevoir le château et le phare du même
endroit, dit Scott en grimpant sur des rochers.
Mais peu importe où il se plaçait, le monastère bloquait la vue.
Impossible d’avoir les deux tours dans le même axe, à moins d’avoir une
vision à rayons X !
Pour le moment, Jack ne trouvait pas cet endroit très exceptionnel. Il y
avait certes moins de crottes de mouettes que sur l’île du Vent, mais
quelle idée de construire un monastère en plein milieu ! Et puis, il y avait
cette cloche qui n’arrêtait pas de battre au gré du vent. On aurait dit que
le Club des sonneurs les avait suivis jusqu’ici.
Jack regarda autour de lui à la recherche du coupable ; le bruit venait
apparemment d’un vieux clocher, perché sur le bord de l’île. Soudain, un
éclair de génie lui traversa l’esprit. Un clocher, ça ressemblait bien à une
tour ? Il se retourna vers les ruines : il y en avait un second de ce côté-ci.
Le cœur battant, il arracha la photo des mains de Scott et pointa le nez
de Kruger vers le premier clocher. Puis, il tourna sur lui-même comme un
crabe excité, jusqu’à ce que la tour du monastère soit parfaitement dans le
prolongement.
– Hourra ! Le nez a parlé ! s’exclama-t-il en sautant de joie.
Les autres se précipitèrent vers lui.
– Mesdames et messieurs, vous aviez demandé deux tours dans le
même alignement ?
– Bravo, Jack, tu es un génie ! s’écria Emily en le serrant dans ses
bras.
– Dommage qu’il le cache les trois quarts du temps, ajouta Scott avec
un sourire.
– Bien joué, mon pote ! dit Simon.
Jack prit quelques secondes pour apprécier les compliments. Cette
fois, c’était lui le « jeune héros » du jour !
16
LeS DeuX CoFfreS

E mily consulta la carte.


– Prochain indice : « le S sur le requin… », annonça-t-elle. Ce doit
être le repère pour trouver le point de départ.
– Il n’y a qu’un seul S sur la pièce, celui du mot
« AFRIKAANSCHE », articula Scott. Et il pointe tout droit vers la mer.
Jack scruta la surface de l’eau, comme si un aileron allait subitement
apparaître.
– Il ne parle sûrement pas d’un vrai requin, dit-il. Je parie qu’il n’y en
a même pas en Cornouailles !
– Au contraire, répliqua Emily.
– Ouais, ça grouille de gros requins blancs ici ! ajouta Scott avec un
sourire malicieux. Et ils adorent la chair fraîche.
– Sans blague ! s’exclama Jack, les yeux ronds. On a fait tout ce
chemin en barque dans une mer infestée de requins ?
Emily éclata de rire.
– N’écoute pas ton frère ! Ce sont des requins-pèlerins, ils se
nourrissent uniquement de plancton.
– Si tu veux voir des mangeurs d’homme, il faut venir en Australie, dit
Simon.
– Jack a raison, Maddox ne faisait sûrement pas référence à un vrai
requin, reprit Emily. Ce ne serait pas un repère très fiable !
– Peut-être quelque chose de la forme d’un requin, proposa Scott.
– Oui, mais quoi ? demanda Jack.
Il n’y avait rien ici à part le vieux monastère et des tas de cailloux…
– C’est peut-être un rocher ? s’écria Jack.
– Pourquoi pas celui-ci, dit Emily en désignant une grosse pierre qui
sortait de l’eau. En se rapprochant un peu du monastère, il serait pile
dans le bon axe.
Ils reculèrent vers l’intérieur des terres pour avoir une meilleure vue et
gravirent la petite pente qui menait à la vieille bâtisse. Des herbes folles
avaient envahi les ruines et une brise légère sifflait entre les pierres. Au
loin, la cloche continuait de battre à tous vents.
« Ils ne manquent que les fantômes des moines avec leurs robes à
capuche, se dit Jack avec un frisson. Quand je pense que Maddox a
débarqué ici en pleine tempête… »
– Ça ne ressemble pas trop à un requin, remarqua Scott en scrutant le
rocher.
Emily regarda de nouveau. En fermant un peu les yeux et avec
beaucoup d’imagination, on pouvait presque voir la forme d’un requin…
ou celle d’un oiseau ou d’une banane ! Scott avait raison. Elle se déplaça
encore de quelques pas et soudain, elle le vit ! Un autre rocher venait
s’aligner derrière le premier, créant la parfaite illusion d’un aileron.
– Ça y est ! s’exclama-t-elle. On a les deux repères.
Elle sortit la photo de la pièce et aligna le nez de Kruger avec les deux
tours, tout en gardant le rocher requin en pleine vue.
– Le point de départ est là.
Scott et Jack poussèrent des cris de joie et prirent leur amie dans les
bras. Gagné par l’excitation, Drift se mit à courir dans tous les sens.
– Super-travail d’équipe ! s’exclama Simon en leur tapant dans le dos.
Sans plus attendre, Jack prit la carte et lut les premières coordonnées.
Les mains tremblantes, Emily se tenait prête à suivre les instructions.
– F6.
Ils firent six pas dans la direction du F.
– Z4.
Quatre pas vers le Z.
Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent au terme des sept
indications. Devant eux, s’élevait un amas de grosses pierres envahies
par les ronces.
– Ça doit être par là, dit Emily dans un souffle.
– À moi de jouer, déclara Simon en brandissant son détecteur de
métaux.
Il commença à sonder le terrain quand, soudain, l’engin se mit à fumer,
à siffler, à clignoter et… Boum !
Simon fit un bond en arrière en jurant.
– Maudit appareil ! L’eau de mer a dû créer un court-circuit.
– Laissez tomber le détecteur, dit Emily. Regardez Drift…
Le petit chien reniflait la base du plus gros rocher avec insistance. Tout
à coup, il se mit à gratter frénétiquement le sol avec ses pattes.
– L’eau de mer n’a pas court-circuité le flair de Drift au moins !
plaisanta Jack.
Ils se placèrent tous les quatre contre le rocher et poussèrent de toutes
leurs forces. Leurs efforts finirent par payer et la grosse pierre roula sur
le côté.
– Chaud devant ! s’écria Jack.
Ils tombèrent aussitôt à genoux et se mirent à creuser. Au bout de
quelques minutes, Scott sentit un objet dur sous ses doigts. Il s’activa de
plus belle jusqu’à ce que le haut d’un coffre finisse par apparaître.
– Je l’ai trouvé !
Ensemble, ils balayèrent le reste de terre et sortirent la lourde malle du
trou. Pendant un instant, tous fixèrent le bois noirci et les poignées
rouillées en silence.
– Vous comptez rester plantés là toute la journée ? finit par demander
Jack. Qu’est-ce qu’on attend pour l’ouvrir ?
– Et s’il était fermé à clé ? objecta Scott.
– Maddox l’aurait sûrement écrit quelque part, répondit Emily.
– Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, déclara Jack en attrapant le
couvercle.
Les charnières grincèrent légèrement et le coffre s’ouvrit aussitôt. À
l’intérieur, des milliers de pièces d’or se mirent à briller sous le soleil
couchant.
– Ce sont des Kruger Ponds ! s’écria Scott.
– Génial… murmura Jack.
– Ça doit valoir une fortune, ajouta Simon.
Ils plongèrent les mains dans le coffre et laissèrent les pièces glisser
entre leurs doigts. Même Drift semblait hypnotisé par ce spectacle. Après
avoir longuement admiré le butin, Scott remarqua un second coffre, plus
petit et plus long, dissimulé au fond du trou. Il l’ouvrit et découvrit un
vieux fusil. Le manche en bois était sérieusement écorché, mais le canon
semblait toujours prêt à servir.
– Trop cool ! s’exclama Jack.
– Maddox a dû le rapporter de la guerre des Boers, dit Simon. Une
belle pièce. Un Lee Enfield, je dirais…
Il prit l’arme des mains de Scott et l’examina de plus près.
– C’était un vrai chef-d’œuvre à l’époque, ajouta-t-il. Le chargeur est
amovible, regardez. On voit qu’il ne reste plus que quatre balles à
l’intérieur.
De son côté, Emily se fichait pas mal de l’arme. Elle s’inquiétait
surtout de voir le soleil orange s’évanouir peu à peu à l’horizon.
– Il faut partir, il fera bientôt nuit, annonça-t-elle.
– Ça ne va pas être facile à porter, dit Scott en attrapant une des
poignées du coffre. Je vais avoir besoin d’aide, les gars…
Mais Simon ne semblait pas prêt à donner un coup de main. Il souleva
le fusil et pointa le canon en direction de Scott.
Jack éclata de rire. « Il doit croire qu’on joue encore aux pirates ! » se
dit-il. Pourtant, l’Australien n’avait pas l’air de plaisanter du tout. Le
sourire de Jack s’évanouit aussitôt. Simon Fox les avait encore trahis.
17
BienveNue DaNS
Le MoNDe RÉeL

S
fusil.
imon fronça les sourcils et serra son doigt contre la gâchette du

– Vous vous croyez malins tous les trois, pas vrai ? Vous vous êtes pris
pour des aventuriers avec votre carte au trésor ?
Sa voix était cinglante et son sourire, d’habitude si chaleureux, n’était
plus qu’une grimace. Simon Fox révélait enfin son vrai visage.
– On va jouer selon mes règles maintenant, poursuivit-il. Vous allez
m’aider à charger le coffre sur la barque. Ensuite, c’est fini pour vous. Je
prends le bateau et vous restez sur l’île.
Emily essaya d’intervenir, mais Simon pointa aussitôt le fusil vers elle.
– Faites exactement ce que je vous dis, et il ne vous arrivera rien.
Compris ? J’appellerai les gardes-côtes d’ici une heure pour qu’ils
viennent vous chercher.
– Vous aviez promis de ne pas prendre notre or ! l’interrompit Emily
avec courage.
– Vous avez même signé un contrat, renchérit Scott.
Simon éclata d’un rire mauvais.
– Votre fameux code d’honneur des pirates, hein ? Et alors ? Vous
voulez me faire subir le supplice de la planche ?
Puis son rire s’éteignit brutalement.
– J’ai une surprise pour vous : j’ai menti ! s’exclama-t-il. Bienvenue
dans le monde réel, les enfants ! Ici, même les adultes disent des
mensonges. Dépêchez-vous de porter ça maintenant.
Jack était rouge de colère. Comment pouvait-il les trahir, alors qu’ils
venaient de lui sauver la vie ?
« S’il n’était pas armé, il verrait de quel bois je me chauffe », se dit-il
avec rage. Il regarda le fusil avec attention. Ça ressemblait plus à une
pièce de musée qu’autre chose. Vu le temps qu’il avait passé sous terre, il
devait être tout humide et rouillé. Il y avait même peu de chances qu’il
fonctionne. Un peu comme le détecteur de métaux.
Jack jeta un coup d’œil à ses amis. Ils se tenaient chacun d’un côté,
immobiles comme des statues. Drift était assis au pied de sa maîtresse et
grognait faiblement.
N’écoutant que son courage, Jack prit Emily et Scott par le bras et les
entraîna dans sa course.
– Foncez ! s’écria-t-il. Il ne peut rien faire, le fusil ne fonctionnera
pas !
Scott eut quelques secondes d’hésitation. Jack était fou ! Simon pouvait
les tuer ! Mais en voyant Emily et Drift détaler à leur tour, il fonça sans
se poser de questions.
– Tous vers le monastère ! cria-t-il en restant derrière Emily et Jack
pour les protéger.
Il y avait repéré un petit mur à l’entrée des ruines. S’ils parvenaient à
l’atteindre, ils seraient en sécurité.
Tout en courant, Emily se maudissait d’avoir fait confiance à Simon.
Elle aurait dû écouter Drift : le petit chien ne l’avait jamais aimé. Elle se
retourna un instant et vit Fox mettre son fusil en joue. Plus vite ! L’herbe
sèche lacérait douloureusement ses jambes. Soudain, ses pieds butèrent
contre un tas de cailloux. Dans un dernier effort, elle se jeta derrière le
mur tandis que le cliquetis de la gâchette retentissait dans ses oreilles.
Une douleur aiguë lui traversa le corps et, en quelques secondes, tout
devint noir.
18
SCott a Un PLan

I
– l a tué Emily ! hurla Jack.
La jeune fille gisait, immobile au milieu des herbes et des cailloux. Ses
yeux étaient à moitié clos et son visage était d’une pâleur mortelle.
Drift léchait les joues de sa maîtresse en gémissant.
– Emily, tu m’entends ? murmura Scott en lui secouant doucement les
épaules.
– Qu’est-ce que tu fais ? sanglota Jack.
– Elle n’est pas morte ! répondit son frère, un brin agacé. Simon n’a
même pas tiré. Tu as entendu une détonation, toi ?
Jack essuya rapidement les larmes qui brouillaient sa vue et se pencha
sur son amie. Sa poitrine se soulevait à un rythme régulier et il n’y avait
aucune trace de sang sur son tee-shirt blanc.
– Elle est simplement tombée dans les pommes, expliqua Scott.
Sûrement par peur…
– Pas du tout ! répliqua Emily en ouvrant faiblement les yeux. Je me
suis tordu la cheville sur un rocher en courant. J’ai dû m’évanouir de
douleur.
Elle remua légèrement son pied et une douleur lancinante la saisit
aussitôt. Mauvais signe !
– Ça va aller, dit-elle pour rassurer ses amis. Où est Simon ?
– Il essaie de traîner le coffre jusqu’au canot, répondit Scott en
regardant derrière le mur.
– Si ce dingo croit qu’il va piquer notre trésor ! s’exclama Jack. Vite,
c’est le moment de l’attaquer par surprise !
Scott rattrapa aussitôt son frère par le tee-shirt.
– Tu es malade ? On a déjà failli se faire tuer à cause de toi.
– Pff, je savais que le fusil ne fonctionnerait pas, répliqua Jack. La
poudre doit être toute mouillée.
– L’arme était parfaitement au sec dans une boîte en métal, dit Scott
d’une voix ferme. Le coup pourrait très bien partir la prochaine fois. On a
eu de la chance…
Simon dut entendre les deux frères se disputer, car il releva un instant
la tête.
– Je ne vais pas perdre mon temps à vous courir après, leur cria-t-il.
Vous n’avez qu’à rester ici jusqu’à ce que les gardes-côtes arrivent. Moi,
je file avant la nuit !
Jack finit par se rasseoir près d’Emily, les bras croisés et les sourcils
froncés. Laisser Simon partir sans rien faire le rendait fou !
Soudain, une idée lui traversa l’esprit : pourquoi ne pas prévenir eux-
mêmes les gardes-côtes ? Ils pourraient arrêter Simon dès qu’il
rejoindrait Castle Key.
– Qui a son téléphone portable ? demanda-t-il.
– Mince, j’ai laissé le mien sur le Gemini, dit Emily.
– Moi je l’ai, répondit Scott en sortant aussitôt l’appareil de sa poche.
Oh non… Ça ne capte pas.
Leur dernier espoir s’envolait. Il ne restait plus qu’à s’abriter dans le
monastère en attendant les secours. Les deux frères aidèrent Emily à
marcher jusqu’au vieux bâtiment et l’installèrent confortablement sur un
banc garni de mousse.
La tristesse du lieu reflétait parfaitement l’humeur de Scott. Le cœur
lourd, il se mit à errer à travers la cour jusqu’à une grande salle obscure.
Il y avait là des bancs, des tables étroites couvertes de poussière et
quelques assiettes en métal. Ce devait être l’ancienne salle à manger des
moines.
Il continua à déambuler le long d’un couloir qui desservait une série de
petites cellules en enfilade. Elles contenaient chacune un lit en bois,
surmonté d’une croix. Scott s’étendit sur l’un d’eux et contempla le
plafond rempli de toiles d’araignée. Le jeune homme frissonna. Cet
endroit était lugubre… On avait l’impression que les fantômes des
moines pouvaient surgir à tout instant. Soudain, la porte de la cellule se
referma brutalement !
Pendant quelques secondes, Scott crut avec effroi qu’il était enfermé
dans la pièce. Mais la porte se rouvrit sans difficulté dès qu’il la poussa.
Une grosse clé en fer était enfoncée dans la serrure. Scott la tourna dans
un sens et dans l’autre sans réfléchir. Le mécanisme fonctionnait toujours.
C’est alors qu’un plan ingénieux se dessina dans son esprit. Le cœur
plus léger, il retourna en courant auprès de ses amis.
– J’ai trouvé un moyen de retenir Simon sur l’île pendant qu’on
emporte le trésor, leur dit-il à bout de souffle. Il faut l’attirer jusqu’au
monastère.
– Mais tu l’as entendu, il ne va pas essayer de nous attraper, objecta
Emily.
– Sauf s’il pense qu’on veut appeler la police, répondit Scott avec un
sourire.
– Tu as perdu la tête ? Il n’y a pas de réseau ! dit Jack.
– Oui mais ça, Simon ne le sait pas.
Emily regarda Scott d’un air intrigué.
– Qu’est-ce que tu veux faire ? demanda-t-elle.
Scott leur exposa rapidement les grandes lignes de son plan.
– C’est complètement dément ! s’exclama Jack. J’adore !
Scott les conduisit jusqu’à la fameuse cellule et leur montra la serrure.
– Il suffit d’attirer Simon à l’intérieur et de tourner la clé, expliqua-t-il.
Reste à savoir comment…
– L’un de nous pourrait faire semblant d’appeler la police, suggéra
Jack. Dès que Simon entrera, les autres fermeront la porte.
– Hors de question que quelqu’un reste enfermé avec lui dans une
pièce ! rétorqua Scott en secouant la tête. C’est trop risqué !
Il poussa un long soupir. Son plan si parfait commençait à s’envoler en
fumée.
– J’ai une idée, s’exclama soudain Emily. Ton téléphone fait aussi
Dictaphone, non ? Il suffit d’enregistrer une fausse conversation avec la
police et de laisser le portable à l’intérieur. Au moins, personne ne sera
en danger.
– Génial ! s’exclama Scott. Mily, tu te charges de faire le message et
de cacher le téléphone. Ça ira ?
– Je marcherai à cloche-pied s’il le faut, répondit Emily avec un
sourire.
– Pendant ce temps, je retourne près du mur avec Jack. On va faire
semblant de se disputer à propos du téléphone et de la police. Avec un
peu de chance, Simon nous entendra et il essaiera de nous attraper. Vous
êtes prêts ?
– C’est parti ! dit Jack.
Scott jeta un coup d’œil par-dessus le muret. Simon se reposait, assis
sur le coffre. Il avait déjà parcouru la moitié du chemin jusqu’au rivage.
Difficile de savoir s’il pouvait les entendre à cette distance.
– QUOI, TU AS FAIT TOMBER LE TÉLÉPHONE ? T’ES TROP
BÊTE ! hurla Scott de toutes ses forces.
– JE L’AVAIS IL Y A DEUX MINUTES, beugla Jack.
Simon se tourna vers le mur en fronçant les sourcils.
– Continue, murmura Scott. Je crois qu’il nous entend.
– JE L’AI TROUVÉ, ÇA Y EST !
– APPELLE LA POLICE, VITE !
Cette fois, Simon avait définitivement mordu à l’hameçon. Il se mit à
courir à toute vitesse vers les garçons, le fusil à la main.
– Donnez-moi ce téléphone ! cria-t-il.
Après avoir échangé un sourire, Jack et Scott détalèrent à leur tour en
direction du monastère.
Pendant ce temps, Emily s’activait dans la cellule. Elle n’avait pas
voulu inquiéter les garçons, mais sa cheville lui faisait horriblement mal.
La douleur était si forte qu’elle lui donnait la nausée.
Elle s’assit sur le lit et prit une profonde inspiration. « Tu peux le
faire », se dit-elle. Rassemblant ses dernières forces, elle prit le
téléphone et appuya sur le bouton d’enregistrement.
– Allô, c’est bien la police de Carrickstowe ? Je voudrais signaler un
vol… L’homme s’appelle Simon Fox, je répète, Simon Fox… Il est
armé… Il faut envoyer les gardes-côtes au plus vite sur l’île du
Ventriloque !
Elle poursuivit ainsi pendant quelques secondes. Puis elle se leva et
boitilla jusqu’à la porte. Tout devait maintenant s’enchaîner à la minute
près, sinon le plan tombait à l’eau. Elle mit le volume du téléphone à
fond, démarra l’enregistrement et fit glisser l’appareil au bout de la
pièce.
– Vite, Drift, allons nous cacher maintenant !
19
PriS aU PIÈge

D ans un dernier effort, Emily se glissa dans une cellule voisine


et s’appuya contre le mur. Des gouttes de sueur coulaient le long de ses
omoplates. Quelques secondes plus tard, Jack et Scott s’engouffraient
derrière elle.
– Ça a marché ? demanda-t-elle.
– Oui, il arrive, murmura Jack.
Les pas de Simon résonnaient de plus en plus fort à travers les
couloirs.
– Où êtes-vous, misérables petits crapauds ?
Puis les bruits s’éloignèrent.
– Zut, il part dans la mauvaise direction ! grommela Scott. Si on ne le
fait pas revenir, c’est raté !
Comme s’il avait compris, Drift sauta des bras d’Emily et se faufila
dans la cellule piégée en aboyant.
– Cette fois, vous ne m’échapperez pas ! s’écria Simon en revenant
vers eux.
Heureusement, le message d’Emily défilait toujours.
« Le voleur s’appelle Simon Fox… Venez vite sur l’île du
Ventriloque. »
– Donne-moi ce téléphone ! hurla Simon en se jetant dans la pièce
vide.
– Maintenant ! s’écria Jack.
Il sortit de sa cachette et se rua contre la porte. Soudain, il recula d’un
bond : Drift était toujours à l’intérieur !
– Stop ! dit-il en retenant son frère. Il faut faire sortir Drift.
– Au pied, Drift ! ordonna Scott.
Le chien se faufila à travers les jambes de l’Australien et bondit hors
de la pièce. Hélas, Simon avait eu le temps de réagir et bloquait
maintenant la porte avec son pied. Sans réfléchir, Jack l’écrasa de toutes
ses forces avec son talon. Un cri de douleur s’éleva et la porte se ferma
enfin.
– On a réussi ! s’écria Jack tandis que Scott tournait la clé.
– Dépêchons-nous, répliqua son frère. Il pourrait faire sauter la serrure
avec le fusil.
À l’intérieur, Simon hurlait et tapait sur la porte comme un chien
enragé. Puis, un bruit métallique éclata.
– Je peux dire adieu à mon téléphone ! s’exclama Scott.
Dans la cellule voisine, Emily les attendait, toujours appuyée contre le
mur.
– Bien joué, dit-elle d’une voix faible.
Elle souriait, mais son visage était si pâle qu’on aurait dit un fantôme
du monastère.
– Je vais te porter jusqu’au Gemini, déclara Scott en la prenant sur son
dos.
– Le « jeune héros » est de retour ! plaisanta Jack.
Tandis que ses amis s’éloignaient, il ne put s’empêcher de titiller
Simon une dernière fois.
– Ne vous inquiétez pas, dit-il en riant. Dès qu’on sera partis, on
appellera les gardes-côtes pour qu’ils viennent vous chercher.
Derrière la porte, le prisonnier poussa un rugissement de colère.
Scott déposa Emily dans le canot, puis retourna aider son frère à porter
le trésor. Le coffre pesait une tonne ! La lumière décroissait à vue d’œil
maintenant. Emily sortit la torche de secours et la brandit au-dessus
d’elle pour guider les garçons.
– On ne peut pas s’arrêter un peu ? demanda Jack. J’ai les bras en
compote.
– Pas question, Simon pourrait faire sauter la serrure d’une minute à
l’autre, répondit Scott en haletant.
– Je t’ai déjà dit que le fusil était hors d’usage, soupira Jack.
Mais à cet instant, une détonation déchira le silence.
– Tu disais ?
– D’accord, on se dépêche ! répondit Jack avec une grimace.
Une deuxième détonation suivit, puis une troisième.
Jack et Scott rassemblèrent leurs dernières forces pour hisser le coffre
sur le canot. Emily les aidait autant qu’elle le pouvait : l’adrénaline lui
faisait oublier la douleur. Elle poussa l’embarcation loin du rivage,
tandis que les garçons montaient à bord.
Scott s’installa à l’avant et se mit à ramer le plus vite possible. Ils
n’avaient fait que quelques mètres, quand Simon apparut soudain sur la
plage et brandit le fusil vers eux.
– Baissez-vous ! s’écria Emily.
Jack rabattit sa tête entre ses jambes.
– Combien y avait-il de balles dans le chargeur ? demanda-t-il.
– Quatre, répondit Emily.
– Il en a tiré combien ?
– Quatre, je crois… dit Scott. Une quand il nous poursuivait, et trois à
l’instant.
Se croyant hors de danger, Jack redressa fièrement la tête et fixa
Simon. L’homme pointait son arme droit sur lui.
20
Le VaIsSeaU
FaNTÔme

P an !
La balle passa à quelques centimètres de l’oreille de Jack. Scott se jeta
sur son frère et le poussa au fond de la barque.
– Jack, tu es touché ? demanda-t-il. Je me suis trompé. Simon n’avait
utilisé que trois balles. Le fusil n’avait pas fonctionné la première fois…
Jack posa la main sur son oreille : elle était encore là ! Plus de peur
que de mal. Il se sentait même un peu euphorique maintenant que le
danger était passé. Cette balle lui était destinée, mais il avait réussi à
tromper la mort. Ça ferait une super-histoire à raconter !
– Tout va bien, répondit-il. Vérifie tes calculs la prochaine fois ! Je
n’ai pas envie d’avoir les oreilles percées.
Emily laissa échapper un rire nerveux, puis tourna la lampe torche vers
la plage : Simon avait abandonné son arme et se jetait maintenant à l’eau.
– Il nous poursuit à la nage !
Scott reprit sa place et rama de plus belle. Mais le courant les poussait
tout droit vers une série de rochers acérés.
– Attention ! s’écria Emily.
Scott parvint à s’écarter à la dernière seconde. Pendant ce temps,
Simon gagnait du terrain.
– Plus vite ! cria Jack.
– On ne peut pas, il y a trop de rochers, dit Emily.
– J’ai mal au bras, gémit Scott.
Jack prit le relais tandis qu’Emily faisait osciller la torche de l’avant à
l’arrière du canot, éclairant tantôt le chemin tantôt le visage hargneux de
Simon Fox. Elle s’attendait à le voir grimper à bord d’un instant à l’autre
quand, soudain, il disparut de la surface de l’eau.
Une vague l’avait peut-être emporté au fond de l’eau. Ou un requin…
– Fais demi-tour, il faut qu’on aille l’aider ! s’écria-t-elle.
Mais s’il en profitait pour les attaquer encore une fois ?
– Pas la peine, le revoilà ! dit Scott.
La tête de Simon venait effectivement de réapparaître entre deux
vagues. L’homme leur lança un dernier regard glaçant, avant de
rebrousser chemin vers l’île du Ventriloque.
– Hourra, il abandonne ! s’exclama Scott.
– Bienvenue dans le monde réel, mon vieux ! lui cria Jack, avant
d’éclater de rire.
Ils ramèrent longtemps à travers la nuit. De l’autre côté de la baie, les
lumières de Castle Key brillaient comme des petites lucioles. Jack
s’efforçait de ne pas penser à L’Impératrice et à tous les bateaux qui
reposaient maintenant au fond de la mer. Il devait y avoir des tas de
squelettes sous leurs pieds !
Pendant ce temps, Emily essayait d’utiliser son téléphone, mais il n’y
avait toujours pas de réseau. Ses parents devaient être fous d’inquiétude à
l’heure qu’il était. Même tante Kate avait dû s’apercevoir de l’absence
des garçons.
– Si on envoyait une fusée de détresse ? proposa Jack.
– Oui… non… je ne sais pas ! murmura la jeune fille.
Les deux frères se regardèrent d’un air étonné. C’était bien la première
fois qu’Emily n’arrivait pas à prendre une décision. Elle devait être
vraiment mal en point ! Ils la forcèrent à boire un peu d’eau et à grignoter
un biscuit. Mais elle reprit à peine quelques couleurs. Scott s’apprêtait à
sortir la fusée de détresse, quand Jack poussa un cri.
– Rocher droit devant ! hurla-t-il.
Une ombre immense s’élevait devant eux. Cependant, ce n’était pas un
rocher… Peu à peu, la silhouette d’un voilier se dessina sous la lune. Il
glissait doucement et silencieusement sur l’eau comme un vaisseau
fantôme. Scott leva la torche et un dessin familier apparut sur la coque.
– C’est Le Dauphin argenté !
– À l’abordage ! s’exclama Jack. Le bateau de Simon Fox est à nous !
Ils attachèrent le Gemini à l’arrière du voilier et aidèrent Emily et
Drift à monter à bord. Jack installa son amie le plus confortablement
possible dans l’une des cabines. Il prit ensuite quelques glaçons dans le
congélateur, les glissa dans un sac en plastique et posa le petit paquet sur
la cheville endolorie d’Emily.
Pendant ce temps, Scott s’était installé aux commandes de la radio.
– Il faut que tu dises « mayday, mayday, mayday », déclara fermement
Jack.
– Surtout pas ! s’écria Emily. C’est le signal pour les bateaux qui
coulent !
Scott consulta le manuel et tourna le bouton de la radio jusqu’au canal
16, la fréquence réservée aux appels d’urgence.
– Gardes-côtes, gardes-côtes, gardes-côtes. Ici Le Dauphin argenté.
Nous sommes actuellement au large de l’île du Ventriloque… Vous me
recevez ? Ici Le Dauphin argenté…
21
ReMoNtraNCeS
eT rÉCoMPenseS

L e lendemain après-midi, Emily était installée sur le canapé du


salon et rédigeait le rapport complet de l’opération « Maddox » sur son
carnet. Son pied était recouvert d’un bandage et reposait sur une pile de
coussins. Elle avait passé la matinée à l’hôpital à faire des radios ; par
chance, sa cheville n’était pas fracturée, mais elle s’en sortait tout de
même avec une belle entorse. Avec toutes ces émotions, ses parents
n’avaient pas eu le temps de poser trop de questions à propos de leur
hôte. Simon Fox avait été arrêté le soir même pour vol par les gardes-
côtes de Castle Key. Emily n’oubliait pas qu’il leur avait également tiré
dessus. Mais elle avait préféré ne pas mentionner cet épisode à ses
parents…
Tout était calme au phare. Mme Wild était partie faire les courses,
M. Wild triait des papiers à l’étage, les Hartley étaient à la plage et
M. Tanaka avait rendu sa chambre en début de matinée.
Soudain, la sonnette retentit et Drift courut jusqu’à la fenêtre. En
voyant ses oreilles pointues s’agiter joyeusement, Emily comprit que Jack
et Scott étaient à la porte.
– Entrez, c’est ouvert ! leur cria-t-elle.
– Comment va notre petite infirme ? demanda Jack.
– Je ne suis pas une infirme ! protesta Emily. J’ai juste une entorse.
– Bon, bon… J’imagine que tu ne veux pas ta surprise, alors ? dit Jack
avec un sourire malicieux.
– Une surprise ?
Emily n’arrivait pas à croire que les garçons lui aient apporté un
cadeau ! Scott plongea la main dans son sac et sortit un énorme pot de
glace.
– Vanille-caramel avec des pépites de chocolat, annonça-t-il. Mais si
tu n’en veux pas…
Emily lui prit aussitôt le pot des mains.
Ils s’apprêtaient à savourer la première bouchée de glace, quand la
sonnette retentit de nouveau. Scott ouvrit la porte et se retrouva nez à nez
avec un homme moustachu à la carrure imposante, vêtu d’un impeccable
costume beige. C’était l’inspecteur Hassan. Le policier s’installa sur un
fauteuil en face d’Emily et fixa les trois amis d’un air sévère. Même sa
moustache semblait frémir de colère.
« On va avoir des problèmes… » songea Scott.
L’inspecteur lissa soigneusement le pli de son pantalon et poussa un
long soupir.
– Votre comportement d’hier est inacceptable, commença-t-il. Vous
auriez pu vous faire tuer ! C’est à la police de s’occuper des voleurs,
surtout quand ils sont armés.
– Simon n’avait pas d’arme au début ! protesta Jack.
– Et puis, on ne pouvait pas deviner qu’un fusil serait enterré à côté du
trésor, poursuivit Scott.
Il faillit ajouter que les policiers ne couraient pas les rues sur l’île du
Ventriloque. Mais il doutait que l’inspecteur Hassan soit sensible à ce
genre d’argument.
– Bon, ça suffit pour les remontrances, dit l’homme avec un petit
sourire. Je tenais à vous remercier de nous avoir aidés à attraper un
dangereux criminel. Interpol était à la recherche de Sébastien Fargo
depuis de nombreuses années.
– Sébastien qui ? demanda Scott.
– Vous le connaissez sous le nom de Simon Fox, expliqua le policier.
Mais ce n’est qu’un de ses alias. Fargo s’est créé de nombreuses identités
au fil des années.
– C’est un trafiquant, j’en étais sûre ! s’exclama Emily. Quelle
marchandise ? Des armes ? C’est pour ça qu’il a reconnu le modèle du
fusil.
L’inspecteur Hassan secoua la tête.
– Fargo n’a pas été arrêté pour trafic mais pour fraude, expliquait-il. Il
persuadait des personnes âgées d’investir dans de fausses affaires en leur
promettant d’importants bénéfices en retour. Mais les pauvres ne
revoyaient plus jamais leur argent !
– C’est affreux, s’indigna Emily.
– Son mode opératoire était toujours le même, poursuivit l’inspecteur.
Il s’installait dans une nouvelle région et devenait ami avec l’une des
femmes du coin. Au fur et à mesure des conversations, il lui soutirait des
informations et savait ainsi à qui demander de l’argent.
– Hum, je me demande qui cette femme pouvait être ! dit Scott en
faisant un clin d’œil à son frère.
– Oh, quel gentil garçon, ce Simon Fox ! s’exclama Jack en imitant à
merveille son ennemie jurée. Puisque Mme Loveday était sa complice,
est-ce qu’elle va aller en prison ? demanda-t-il, plein d’espoir.
– Bien sûr que non, elle ignorait tout des activités de Simon Fox,
répondit l’inspecteur. D’ailleurs, je n’ai jamais dit que c’était
Mme Loveday, ajouta-t-il d’un air embarrassé.
Il se racla la gorge et posa sa mallette sur ses genoux.
– Bref, ce n’est pas pour ça que je suis venu.
Les trois amis échangèrent un regard surpris.
– Nous avons informé l’ambassade d’Afrique du Sud que l’or volé
durant la guerre des Boers avait été retrouvé, dit Hassan. Des recherches
ont été lancées pour identifier les descendants des propriétaires.
Certaines pièces seront également exposées dans des musées.
Il sortit un sac en papier et le tendit à Scott.
– Mais l’ambassadeur a insisté pour que vous en receviez chacun une
en guise de récompense.
Le sac contenait trois petites boîtes dorées. Chacune renfermait une
« Kruger Pond » étincelante, soigneusement déposée sur un coussinet
violet.
Une inscription était également gravée sur les étuis.
– « Pour Jack Carter, en reconnaissance de son courage et de son
honnêteté », lut Jack. Courage et honnêteté, c’est exactement moi !
– Ces pièces sont d’une grande valeur, dit l’inspecteur. Prenez-en soin.
– Bien sûr, répondit Emily. Elle me rappellera toujours notre aventure
sur l’île du Ventriloque.
Jack contempla sa pièce d’un air rêveur. Dire qu’il avait laissé Emily
et Scott le convaincre de remettre tout le trésor à la police !
– Je me demande si c’est suffisant pour acheter un jet privé, dit-il en
relevant la tête.
Scott le fusilla du regard.
– Je plaisante ! Et Drift, il n’a pas droit à une récompense ? demanda
Jack. Il a été le plus courageux d’entre nous.
En attendant son nom, le petit chien redressa ses oreilles et se mit à
aboyer joyeusement.
– Je veux bien partager la mienne avec lui, dit Emily en lui caressant la
tête.
– Une dernière chose, ajouta l’inspecteur en reprenant un air sérieux.
Il plongea de nouveau la main dans sa mallette et sortit une enveloppe.
– J’ai recueilli le témoignage d’un couple qui a échappé de justesse
aux arnaques de Simon Fox. Il m’a demandé de vous remettre ceci.
Scott ouvrit l’enveloppe et découvrit avec surprise trois beaux billets
de cent euros. Pas de quoi s’acheter une voiture de course ou un château,
mais il pourrait au moins remplacer son téléphone cassé.
– Je vais le mettre sur mon compte en banque, dit Emily.
Jack joua un instant avec son billet, les yeux brillants. Il avait déjà
plein d’idées sur la façon de le dépenser : acheter un énorme gâteau au
chocolat, retourner à Planète Aventures… En tout cas, pas question de
garder cet argent à la banque !
L’inspecteur referma finalement sa mallette et se leva.
– Je vous laisse maintenant, je vois que vous avez des choses
importantes à faire, dit-il en regardant la glace qui commençait à fondre
sur la table. Et à l’avenir, essayez d’éviter les ennuis !
– Promis, dit Emily d’un air innocent.
L’inspecteur Hassan claqua la porte et les trois amis éclatèrent de rire.
Connaissant Castle Key, ils ne pourraient pas éviter les ennuis bien
longtemps !
Helen Moss

ADVEnTURe iSlAnD
Le Mystère du chef-d’œuvre en péril

(Extrait)
Découvrez les chapitres 1, 2 et 3
1

L’ÉMeuTe De La
GraNDe FÊTe

« Et le premier prix revient à Emily Wild et Drift ! »


L’annonce et les grésillements du haut-parleur étaient presque
inaudibles, couverts par le vacarme de la foule.
Scott et Jack applaudirent et sifflèrent. Dans l’arène, Emily s’accroupit
et enfouit son visage dans le doux pelage du petit chien.
Drift, assis sur son arrière-train, reçut fièrement la cocarde rouge que
le maire épingla à son collier. Il dressa les oreilles pour manifester son
enthousiasme ; la noire, pointée vers le haut pour ne pas perdre une miette
des applaudissements, et la blanche aux taches brunes repliée légèrement
vers Emily, au cas où elle aurait d’autres consignes à lui donner. Il était
extrêmement content de lui. Ils venaient de remporter, pour la troisième
année consécutive, le Prix d’Obéissance du concours canin de la fête de
Castle Key. Qui plus est, ils avaient laissé leurs concurrents loin derrière.
Drift fit un tour d’honneur en trottinant au côté d’Emily, comme s’il venait
de remporter le Grand Prix national.
En sortant de l’arène, Emily tapa dans la main de Scott et Jack. Elle
aussi était plutôt euphorique après cette victoire. Le test d’obéissance
avait été du gâteau. Drift pouvait exécuter « Au pied », « Assis », et
« Rapporte » les yeux fermés. Bien entendu, Emily lui avait également
appris une série de consignes plus utiles à un chien de confiance d’un
agent secret, comme « Surveille cette planque », et « Fais le guet ».
– Faire participer Drift au test d’obéissance, c’est comme faire jouer
David Beckham dans l’équipe de foot des poussins à l’école ! Les
adversaires n’ont aucune chance, dit Scott en riant.
– Tu as remarqué ce colley écossais qui n’arrêtait pas de nous faire
des queues de poisson pour essayer de nous distraire ? demanda Emily.
– Ouais, on a failli faire une réclamation ! s’exclama Jack.
– Et maintenant, que nous réserve Drift comme nouveaux tours ?
demanda Scott.
Emily rit.
– On perfectionne une nouvelle consigne : « Fais diversion ». On vous
montrera ça quand on sera prêts. En attendant, allons trouver à boire, ça
donne soif, la victoire !
Drift haleta pour communiquer son accord.
– Le chapiteau qui fait buvette est par là, et j’ai justement remarqué
qu’il y avait des gâteaux monstres, fit Jack.
Scott leva les yeux au ciel.
– Ça m’aurait étonné…
Jack avait le don de détecter une miette de gâteau comme un requin
repérerait une goutte de sang dans l’océan.
Scott songea que cette fête de village se révélait beaucoup plus drôle
que prévu. Il avait accepté de venir uniquement pour faire plaisir à Emily
(et pour encourager Drift pendant le concours, bien entendu). À vrai dire,
les stands de pêche à la ligne, jeu des anneaux et vente de pots de fleurs
n’étaient pas tout à fait à la hauteur d’une journée à Disneyland ; et pour
les sensations fortes, il fallait se contenter d’un petit tour pépère de la
place à dos d’âne. Mais tout de même, il y avait de quoi s’amuser : le jeu
de massacre (il avait gagné cinq fois) par exemple, ou le spectacle
qu’offrait Colin Warnock, le vicaire, avec sa caméra vidéo et qui se
prenait très au sérieux. On aurait dit qu’il était le metteur en scène du
dernier Star Wars.
Sous le chapiteau érigé au milieu de la place, une profusion de gâteaux
et de biscuits de toutes sortes couvrait une longue table à tréteaux.
– On devrait en choisir trois chacun et les partager. Ou même quatre,
au cas où on aurait encore faim… suggéra Jack.
Boissons et gâteaux en main, sans oublier un bol d’eau pour Drift, les
amis trouvèrent une table. À côté d’eux, une artiste avait dressé son
chevalet et brossait des portraits au fusain. Scott reconnut Mme Roberts,
leur voisine. Ou du moins, elle était la voisine de tante Kate dans la
ruelle de l’Église. Les deux frères passaient l’été chez leur grand-tante,
car leur père effectuait des fouilles archéologiques en Afrique. Scott ne
put s’empêcher de rire en réalisant qu’il commençait vraiment à se sentir
chez lui au cottage des Roches. Il n’aurait jamais cru ça possible
lorsqu’ils avaient débarqué de Londres il y avait à peine quelques
semaines.
Mme Roberts esquissa un sourire timide derrière ses grosses lunettes
et leur fit un signe de la main. Cette petite femme effacée, au chignon noir
bien tiré, ne correspondait pas à l’image que Scott se faisait d’une artiste.
Elle aurait dû avoir une allure plus… artistique, comme la mère d’Emily,
par exemple, qui était toujours vêtue d’un caftan vaporeux, les cheveux en
bataille retenus par des pinceaux en guise de barrettes.
– Mme Roberts était ma prof de dessin quand j’étais en primaire, elle
est vraiment gentille, expliqua Emily. Vous savez, la fille blonde qui aide
Vicky White pour les tours à dos d’âne ? C’est sa fille, Laura. Elle
travaille au centre équestre de la ferme de Roshendra pendant les grandes
vacances.
Jack chipa une tasse sur la table voisine et fit semblant de lire dans le
marc de café. Il poussa Emily du coude et, hilare, la bouche encore pleine
de gâteau au chocolat, il caqueta en imitant le ton mielleux d’une diseuse
de bonne aventure :
– Voyons, qu’avons-nous là ? Scott va se découvrir une passion
soudaine pour l’équitation !
Puis, reprenant sa voix normale :
– Ça se voit à la façon dont il regarde la jolie Laura. Aïe ! s’écria-t-il
lorsque la basket de Scott vint percuter son tibia sous la table.
Emily ne prêtait plus attention à ces escarmouches entre frères.
– Bon, qu’est-ce qu’on pourrait faire ? demanda-t-elle.
– Et si on demandait à Mme Roberts de peindre le portrait de Jack ?
proposa Scott. Remarque, non, sa sale bouille casserait probablement les
pinceaux !
La bataille de coups de pied reprit sous la table. Emily soupira. Elle
s’amusait bien avec Scott et Jack. Ils se montraient souvent courageux,
parfois même futés, et on pouvait compter sur eux dans les moments
critiques, mais ils étaient absolument incapables d’élaborer un plan digne
de ce nom.
– Je ne voulais pas parler de ce qu’on pourrait faire tout de suite. Je
voulais parler de notre prochaine enquête.
La découverte de la carte qui les avait conduits à la cachette du trésor
lui semblait remonter à des années-lumière, même si elle boitait encore
un peu de la foulure qu’elle s’était faite sur l’île du Ventriloque au cours
de cette aventure1. Il lui fallait une autre énigme à résoudre.
Jack jeta un coup d’œil à la ronde, comme s’il espérait dénicher un
bon petit mystère caché derrière une théière. Depuis leur arrivée à Castle
Key et la rencontre d’Emily, ils avaient vécu pas mal de péripéties. Mais
les choses étaient un peu trop calmes depuis quelque temps.
– Au stand des gâteaux, Mme Loveday m’a raconté qu’il y avait eu tout
un cirque à l’annonce des résultats du concours de légumes ce matin.
Quelqu’un a accusé le vieux Bob d’avoir soudoyé les juges pour qu’ils
accordent le meilleur prix à ses oignons. On pourrait faire une enquête,
suggéra Scott.
– Ouh ! là ! grosse polémique ! se moqua Jack.
– Je refuse catégoriquement d’entreprendre une mission appelée
opération « oignons », même si la controverse fait rage ! s’écria Emily.
Jack faillit s’étrangler. Des bulles de Coca lui montèrent au nez.
– Un mystère, ça ne se commande pas sur Internet, dit Scott en riant. Il
va falloir rester à l’affût et être patients.
Il fit un sourire entendu à son frère. La patience d’Emily n’était pas
franchement légendaire ! D’ailleurs, celle de Jack non plus. Scott se mit à
chantonner Que sera, sera pour les agacer. Il s’interrompit brusquement :
une tornade d’assiettes en éclat, de toile déchirée et de sabots effrénés
envahit le chapiteau.
– Qu’est-ce qu’il se passe ? postillonna-t-il en sautant de sa chaise.
Un âne au regard éperdu qui traînait derrière lui une guirlande bleu-
blanc-rouge en lambeaux passa tout près au grand galop. Vicky White et
Laura Roberts lui couraient vainement derrière.
– Wallace, arrête ! hurlaient-elles.
Mais Wallace n’en avait pas la moindre intention. Il traversa le
chapiteau en multipliant les ruades et en faisant voler tables, chaises,
tasses et sous-tasses au passage. Arrivé devant Mme Roberts, il donna un
grand coup de tête dans le chevalet qui voltigea. Sur ces entrefaites, un
second âne surgit et, brayant, galopa droit vers la table où reposaient les
gâteaux. Les gens se sauvèrent dans tous les sens.
– Ils ont eu peur du coup de pistolet qui annonçait le départ de la
course en sac ! cria Vicky.
– Gromit ! Non ! glapit Laura, comme les sabots de l’animal
retombaient sur le bord de la table à tréteaux en catapultant l’autre
extrémité haut dans les airs.
Un bombardement de génoises, brownies au chocolat, petits gâteaux
glacés et galettes aux fruits secs en retomba. Des missiles à la crème au
beurre s’abattirent sur le chevalet de Mme Roberts, tandis que des obus
meringués venaient s’écraser sur la soutane du vicaire. Des cerises
confites et des cerneaux de noix jaillirent dans tous les sens, comme des
balles de mitraillette. Drift était ravi et léchait la chantilly et le nappage à
la fraise qui jonchaient l’herbe.
Emily poussa Scott du coude et lui montra Colin Warnock du doigt. Le
vicaire filmait toujours, malgré les pépites de chocolat collées à son
crâne.
« Deux ânes déments qui saccagent un chapiteau plein de pâtisseries,
cela n’a rien de mystérieux, mais ça met de l’animation ! » se dit Scott.
– Je suis couvert de gâteau des pieds à la tête ! s’exclama Jack en
gesticulant. Dites-moi : je suis mort et je suis monté au paradis ?

1. Voir Le Mystère de l’or disparu.


2

TeCHnoPhobIe

L e lendemain matin, le ciel était bas. Jack et Scott s’attardèrent


dans la cuisine bien après avoir terminé leurs œufs au bacon.
Jack poussa un grand soupir en tambourinant des doigts sur la table.
Que pouvait-il bien y avoir à faire à Castle Key un dimanche matin de
grisaille ? À Londres, il aurait pu appeler ses copains pour aller au ciné.
Ici, pour voir un film, il fallait se rendre jusqu’à Carrickstowe, et il
n’avait pas le courage de faire toute la route-digue à vélo pour rejoindre
la côte.
Emily avait raison, il fallait absolument qu’ils trouvent une nouvelle
enquête. Tante Kate lisait son journal. Elle tourna la page, rajusta une
mèche blanche qui s’était échappée de son peigne à cheveux et se versa
une nouvelle tasse de thé. Scott récupéra son téléphone d’enfer sur la
table. Il se l’était acheté avec sa part de la récompense qu’on leur avait
offerte pour leur découverte du coffre d’or sur l’île du Ventriloque. Jack
sourit : son frère avait cet engin greffé dans la main. Il passait des heures
entières à télécharger des chansons et des applis, et à regarder des vidéos
sur YouTube.
Jack bâilla et se mit à confectionner des boulettes de pain. Tante Kate
leva le nez et lui proposa un des suppléments de son journal. Il secoua la
tête. Il avait déjà lu la rubrique sportive. Le reste ne l’intéressait pas.
Mais il en serait bientôt réduit à lire les pages de mode s’il continuait à
ne rien se passer. Il avait fait une jolie rangée de boulettes qu’il destinait
à l’oreille de Scott lorsque, soudain, celui-ci éclata de rire. Il se pencha
en arrière sur sa chaise en tenant son portable à bout de bras.
– Quoi ? demanda Jack en se dévissant le cou pour apercevoir l’écran.
Scott faisait toujours semblant d’avoir découvert la vidéo la plus
hilarante du monde, sans lui permettre pour autant de la regarder. Il ne
s’agissait probablement que d’un chat qui jouait du piano, de toute façon !
Mais, pour une fois, son frère semblait disposé à lui laisser partager sa
trouvaille.
– Regardez ça, glapit Scott. On est des super stars sur Internet ! Des
ânes dévastateurs à la fête de Castle Key ! C’est sûrement Colin
Warnock qui a posté ça !
Il monta le son et passa le téléphone à Jack.
Effectivement, Wallace catapultait le chevalet de Mme Roberts, Gromit
envoyait les gâteaux en orbite, et Laura et Vicky essayaient de capturer
les ânes en maraude. Jack s’aperçut même avec Scott et Emily en train de
bondir de leurs sièges pour fuir la tempête de gâteaux.
– Génial ! s’extasia-t-il. On fait partie des dix clips vidéo les plus
regardés !
Scott passa son téléphone à tante Kate.
– Oh ! là, là ! Regardez un peu la tête que fait Colin ! dit-elle, amusée.
On dirait qu’il a avalé un macaron tout rond !
Elle en riait encore lorsqu’elle replia son journal et se leva pour
débarrasser la table du petit déjeuner.
– Allez donc à côté chez Mme Roberts pour lui montrer ça. Laura et
elle en sont les vedettes !
Scott acquiesça. Après tout, ils n’avaient rien de mieux à faire.
– Je vais envoyer un SMS à Emily pour lui dire de nous y rejoindre. Je
me demande si elle a vu la vidéo.
Lorsque Scott, Jack et Emily sonnèrent à la porte du cottage des Lilas,
ils furent accueillis par un tintamarre de jappements aigus. Un petit terrier
blanc jaillit de la maison et bondit autour d’eux comme une puce sur un
trampoline. Drift remua la queue et le renifla poliment.
– Excusez-le, dit Mme Roberts en riant. C’est comme ça chaque fois
que quelqu’un sonne. Ne faites pas attention à Biscuit ! Entrez donc.
Emily n’avait jamais pénétré dans le cottage et fut surprise par son
décor. De l’extérieur, il ressemblait à tous les autres dans la ruelle de
l’Église : traditionnel, en pierre, toit d’ardoises et paniers de géraniums à
la porte. Mais l’intérieur était une autre affaire. Le plancher en bois et les
poutres avaient été décapés et étaient désormais clairs comme du foin,
tandis que les murs avaient été blanchis à la chaux. Le mobilier était
sobre et moderne, et des stores remplaçaient les rideaux habituels aux
fenêtres. On aurait dit une publicité pour une gamme de canapés suédois
haut de gamme, chose très inattendue de la part de Mme Roberts dont
l’apparence était franchement vieux jeu.
– Alors, comment trouves-tu le lycée de Carrickstowe ? demanda
l’enseignante à Emily. Tu as toujours eu un don pour les arts plastiques.
Tu as une vive imagination.
Tout en bavardant et en sirotant sa limonade, Emily en profita pour
regarder autour d’elle et mémoriser la pièce dans les moindres détails.
C’était une habitude dès qu’elle se trouvait dans un lieu inconnu. On ne
savait jamais, une observation perspicace pourrait être la clé d’une
prochaine enquête ! Des livres d’art tapissaient plusieurs étagères et des
reproductions de tableaux célèbres ornaient les murs blancs. Emily
reconnut un vase de tournesols par Van Gogh et plusieurs œuvres
impressionnistes montrant des nénuphars et les berges d’une rivière. Le
tableau qui trônait sur le manteau de la cheminée ressemblait un peu à La
Joconde, mis à part le fait que la dame portait une robe bleue et tenait un
agneau dans ses bras. Emily avait l’impression de visiter un musée d’art.
Lorsqu’ils eurent terminé leur verre, Mme Roberts leur montra son atelier
dans la véranda. Il donnait sur le jardin, dans lequel Drift et Biscuit
s’amusaient à se pourchasser dans une ronde perpétuelle. Des toiles
étaient posées contre le mur et les rebords de fenêtres étaient couverts de
pots de pinceaux. Sur le chevalet, un tableau inachevé montrait une petite
fille dans un champ de fleurs.
– C’est joli, fit remarquer Emily.
– Merci, répondit Mme Roberts. C’est pour la chambre de Laura. Je
veux lui en faire la surprise quand elle reviendra.
– Comment ça ? interrogea Emily.
– N’aie pas l’air si inquiet, dit Mme Roberts en riant. Elle loge chez
Vicky à la ferme de Roshendra pendant quelques semaines, car elle
commence très tôt le matin au centre équestre.
Ils regagnèrent le salon et s’assirent.
– Au fait, que vouliez-vous me montrer ? reprit Mme Roberts.
– Un clip vidéo de la fête, expliqua Scott. C’est quand les ânes sont
devenus dingues et ont massacré les gâteaux. On vous voit, Laura aussi.
Il mit la vidéo en route et lui passa son téléphone. Mme Roberts ajusta
ses lunettes et tint délicatement l’appareil sur ses genoux.
– Ça fait un carton ! précisa Jack. Regardez, on l’a vu dans le monde
entier ! Il se pencha vers elle et fit défiler l’écran. Il y a des
commentaires de gens au Brésil, en Australie et tout et tout.
Mme Roberts regardait fixement l’image en hochant lentement la tête.
Son sourire avait disparu et elle se mordait la joue. Lorsqu’elle rendit le
téléphone à Scott, Emily remarqua que sa main tremblait.
– Oui, très drôle, dit-elle d’un ton brusque. Mais si vous voulez bien
m’excuser, j’ai vraiment beaucoup de choses à faire…

– Ça alors, c’est trop bizarre ! s’exclama Jack en refermant le portillon


du cottage des Lilas derrière eux. Vous avez vu comment elle regardait le
portable ? On aurait dit qu’on lui avait passé une grenade dégoupillée !
– Mme Roberts est manifestement atteinte de technophobie, affirma
Scott d’un ton assuré. Ça arrive parfois chez les gens d’un certain âge, les
technologies modernes les paniquent.
– Hum, murmura Emily.
Elle aussi avait lu la peur dans le regard de Mme Roberts. Mais quelle
qu’en soit la cause, Emily était persuadée que ce n’était pas le portable
de Scott, même s’il s’agissait du tout dernier modèle en date. La preuve ?
Mme Roberts était responsable du club informatique de l’école entre
midi et deux !
La « vive imagination » d’Emily s’était déjà mise au travail.
3

OPÉraTioN
« CaMbRIoLaGe »

L orsque Scott et Jack retrouvèrent Emily à la crêperie « Chez


Dotty » le lendemain matin, ils étaient passablement excités. Pourtant, en
son for intérieur Scott pensait que la nouvelle qu’ils brûlaient
d’apprendre à Emily atteignait péniblement les 3,5 sur 10 sur l’échelle
des nouvelles à sensation, mais cela était mieux que rien.
– M’enfin, qu’est-ce qu’il y a ? demanda Emily avec impatience, tandis
que, boissons en main, ils se dirigeaient vers une table en terrasse.
La vue sur le port et la baie au large était superbe. Le ciel était
toujours voilé, mais il faisait très chaud. En fait, Emily avait l’impression
d’être sous un sèche-cheveux géant. Même les mouettes dépérissaient.
Les nuages noirs et menaçants qui se profilaient à l’horizon ne
présageaient rien de bon : une tempête se préparait.
– Mme Roberts a été cambriolée ! annonça Scott.
Jack mordit dans son muffin au chocolat blanc et noix de pécan avant
de préciser :
– Ouais ! Un vol, avec effraction !
– Je crois que Mily s’en serait douté sans ton explication ! dit Scott en
levant les yeux au ciel. Les cambrioleurs s’introduisent rarement chez les
gens juste pour se servir un café et repartir !
Emily ne prêta pas attention à leur querelle et sortit son carnet de son
sac.
– OK, donnez-moi les détails, ordonna-t-elle.
Scott haussa les épaules.
– Une femme policier est venue nous voir ce matin et nous a dit que
quelqu’un s’était introduit chez Mme Roberts dans la nuit. Elle a
conseillé à tante Kate de bien fermer à clé, au cas où les voleurs seraient
encore dans les parages, répondit-il.
– Méthode d’intrusion ? demanda Emily en mordillant son crayon.
– Sais pas, dit Jack.
– Qu’est-ce qu’on a pris ?
– Je sais pas trop, avoua Scott.
Emily secoua la tête, incrédule, avant de reprendre :
– L’heure de l’effraction ?
– On l’ignore ! soupira Jack qui avait l’impression d’être un concurrent
du jeu Le Maillon faible, et de ne pas être en tête du palmarès.
Emily referma son carnet d’un geste las.
– Le cambriolage a eu lieu chez votre voisine. La fenêtre de votre
chambre donne sur son jardin. Et vous n’avez rien entendu ? s’exclama-t-
elle.
Jack et Scott échangèrent des regards penauds par-dessus leur Coca.
– Moi, je suis sûre que j’aurais remarqué si quelqu’un était en train de
cambrioler ma voisine ! poursuivit Emily.
– Mily, tu habites dans un phare au bout d’une pointe rocheuse qui
avance dans la mer. Tes seules voisines sont des mouettes ! grogna Scott.
Jack prit une mine sérieuse et secoua la tête en disant :
– Ah, il faut se méfier de ces mouettes ! Elles sont louches ! Elles
n’arrêtent pas de cambrioler les nids de leurs voisines, pour leur piquer
des morceaux de poisson desséchés.
Scott éclata de rire. Connaissant Emily, cela ne l’aurait pas étonné
qu’elle ait ses jumelles en position pour surveiller les mouettes.
Emily rejeta ses longues boucles châtain foncé en arrière et leva le
menton pour demander :
– Bon, alors, on mène l’enquête ou non ?
Jack observa un chalutier qui prenait le large. On aurait dit que le
bateau tremblait. Au loin, il distinguait la forme embrumée de l’île du
Ventriloque.
– Ce n’est qu’un bon vieux cambriolage. Pas vraiment à la hauteur d’un
trésor enfoui dans un coffre1… soupira-t-il.
– Ou du sauvetage d’une vedette de cinéma kidnappée par un fantôme2,
renchérit Scott en se remémorant une autre de leurs aventures. Ni même
d’un trésor saxon enfoui dans les grottes du Vent-Huant3…
– Oui, bon, d’accord ! l’interrompit Emily en levant la main. D’un
autre côté, on n’a pas franchement une tonne d’enquêtes palpitantes à se
mettre sous la dent !
– Ouais, c’est vrai. OK, je suis partant ! décida Jack en vidant son fond
de verre de Coca.
Scott ouvrit le carnet d’Emily à une nouvelle page et lui plaça son stylo
dans la main.
– Vas-y, je sais bien que tu en meurs d’envie, dit-il.
Emily sourit et inscrivit : Opération « cambriolage ». Elle sortit sa
règle et tira deux traits sous le titre.

À SuIVRe
1. Voir Le Mystère de l’or disparu.
2. Voir Le Mystère du fantôme de minuit.
3. Voir Le Mystère des grottes du Vent-Huant.
Table des matières
Le Mystère de l'or disparu
L'île de Castle Key - carte
Un secret dans la cave
Une seconde découverte
Opération « Maddox »
Que l’enquête commence !
Une longue lignée de commères
Disparu !
Le mobile et l’opportunité
Direction Planète Aventures
Emily force l’entrée
La pièce de monnaie
L’incroyable museau de Drift
Paroles d’expert
La triste réalité
En route vers l’île du Vent
La charte des pirates
Les deux coffres
Bienvenue dans le monde réel
Scott a un plan
Pris au piège
Le vaisseau fantôme
Remontrances et récompenses

Le Mystère du chef-d’œuvre en péril (extrait)


L’émeute de la Grande Fête
Technophobie
Opération « Cambriolage »

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ADVEnTURe iSlAnD
Le Mystère de l'or disparu

Titre original
The Mystery of the Hidden Gold
© Helen Moss 2011
Carte, © Leo Hartas 2011
Publié pour la première fois en 2011
par Orion Children’s Books
Une division de Orion Publishing Group Ltd
(Orion House, 5 Upper St Martin’s Lane, London WC2H 9EA)

Illustration de couverture : Yann Tisseron


Direction : Guillaume Arnaud
Direction éditoriale : Sarah Malherbe
Édition : Raphaële Glaux, assistée d’Astrid d’Aviau de Ternay
Direction artistique : Élisabeth Hebert
Réalisation numérique : andaollenn, Gwenael Dage
© Fleurus, Paris, 2014.
Site : www.fleurus-numerique.com
ISBN papier : 9782215126058
ISBN numérique : 9782215129554
Dépôt légal : octobre 2014
Tous droits réservés pour tous pays.
« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à
la jeunesse. »
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