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25/7/2017 La folie - Chapitre I : La nef des fous ou la « traversée » d’un topos des origines au romantisme - Presses universitaires de Rennes

Presses
universitaires
de Rennes
La folie | Cécile Brochard, Esther Pinon

Chapitre I : La nef
des fous ou la
« traversée » d’un
topos des origines
au romantisme
Dominique Peyrache-Leborgne
p. 15-35

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Texto completo
1 L’ancienne culture carnavalesque médiévale fut un
phénomène culturel d’une grande ampleur dont Bakhtine a
mis en valeur l’influence sur la littérature savante, en
particulier à travers Rabelais, Fischart1 et Shakespeare.
Grâce à ces relais, et par le jeu de l’intertextualité (en
passant par Cervantès et Sterne), les Romantiques ont
assimilé une bonne part de Cette tradition carnavalesque. Ils
ont ainsi perpétué des modèles devenus archétypaux. Du
Moyen Âge, ils conserveront, entre bien d’autres motifs,
celui de la liberté iconoclaste incarnée par le poète bouffon
(voir Der Hexensabbat – Le Sabbat des sorcières – de
Ludwig Tieck, publié en 1832). Les Romantiques ont ainsi
« réinventé » leur carnaval, en puisant avec une évidente
jubilation dans ce monde médiéval qu’ils ont jugé infiniment
plus inventif et fécond que les critères néo-classiques du
Beau idéal2. Jean Paul, Nodier, Hoffmann, Hugo, élaborent
des théories du comique et du grotesque, dont le fou
médiéval et ses avatars sont encore, pour une bonne part,
l’emblème. Un exemple parmi beaucoup d’autres : en 1814,
date de la publication des Fantasiestücke in Callot’s Manier,
l’éditeur de Hoffmann choisit pour frontispice les deux
emblèmes croisés de la poésie et de la folie : une lyre à côté
d’une marotte surmontée d’une tête de fou et entourée d’une
couronne de laurier3.

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2 Cette richesse de l’héritage carnavalesque et médiéval se


vérifie aussi à travers un autre motif culturel très proche,
particulièrement développé dans les pays germaniques, et
qui deviendra un grand topos littéraire au moins dans toute
l’Europe du nord, celui de la nef des fous.
3 L’hypothèse de lecture que je voudrais proposer ici est que
l’allégorie médiévale de la nef errante, entraînant le fou vers
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un destin incertain, traversera les siècles pour ressurgir, plus


ou moins explicitement, avec le Romantisme, en fusionnant
souvent avec d’autres composantes plus modernes, le voyage
en ballon par exemple ou le voyage dans la lune. Du « bateau
ivre » ballotté par les tempêtes mais abritant parfois un
mélange paradoxal de folie et de sagesse, au ballon
dirigeable emportant l’humoriste romantique vers des
hauteurs dangereuses, on retrouvera le motif transformé,
parfois camouflé mais bien présent dans la trame
romanesque et les fictions allégoriques de Jean Paul,
d’Edgar Poe et de Victor Hugo. Ces fictions ont ceci
d’intéressant qu’elles montrent à quel point les diverses
ramifications de la folie médiévale continuent d’alimenter
l’imaginaire romantique. Comme si cette constellation de
motifs constituait pour lui un point d’appui essentiel dans
l’élaboration de sa propre mythologie.

La tradition médiévale et renaissante, de


Sébastien Brant à Rabelais
4 Le motif de la nef des fous pourrait trouver une lointaine
origine dans la littérature antique (où les métaphores de la
navigation désignent à la fois le cours de l’existence et
l’aventure intellectuelle ou artistique de l’écrivain4) et dans
la Bible5 qui développe deux conceptions différentes de la
folie, selon qu’il s’agit de l’Ancien ou du Nouveau Testament.
Dans l’Ancien Testament (Les Proverbes, L’Ecclésiaste,
L’Ecclésiastique), le fou est l’insensé et l’impie, celui dont les
paroles sont « un danger menaçant6 », dont le « cœur est
comme un vase brisé7 », et Dieu « n’aime pas les insensés8 ».
À partir du Nouveau Testament, au contraire, c’est la folie
positive de la croix, la folie salvatrice du Christ qui est mise
en avant par Paul dans la Première Epître aux Corinthiens9.
La réflexion religieuse autour du motif symbolique de la
navigation maritime est ensuite reprise par des auteurs
latins comme Tertullien10 et par les Pères de l’Église qui
l’infléchissent dans un sens inspiré des Evangiles : la nef
devient alors l’Église conduite par le Christ, son capitaine.
5 Mais c’est bien sûr à l’époque médiévale que le motif devient
résolument carnavalesque, en s’appuyant notamment sur
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une réalité historique, attestée dans les régions du Nord. La


pratique consistait à isoler sur des bateaux ceux que l’on
considérait comme fous, malades mentaux ou déviants. La
dimension carnavalesque s’enracinait aussi dans les fêtes
germaniques comprenant des processions fluviales, tradition
qui semble remonter à l’Antiquité. La seconde moitié du e
siècle abonde en motifs de ce genre11, en particulier celui de
la barque bleue, qui avait déjà été célébré en 1413 dans le
poème De Blauwe Scuut de Jacob van Oestvoren, en
référence aux défilés carnavalesques du Brabant12.

Das Narrenschiff
6 C’est dans ce contexte que l’écrivain strasbourgeois
Sébastien Brant publie, en 1494, son long poème
pamphlétaire, Das Narrenschiff, dont le succès fut
retentissant : ce fut un des livres les plus lus en Europe au
e
siècle, en partie grâce à sa publication en langue
vernaculaire13 et en partie grâce à la richesse de son
iconographie. Accompagné de gravures sur bois, à
l’exécution desquelles le jeune Dürer a très certainement
participé, il conjugue l’allégorie religieuse et la facétie ou la
caricature plaisante, en évitant ainsi de donner un aspect
trop austère à un projet qui tient en réalité plus du sermon
que du divertissement.
7 Le texte illustre en effet une version exclusivement négative
de la folie assimilée à l’impiété et aux divertissements de la
vie profane. Comme une longue illustration de l’Ecclésiaste,
il passe en revue tous les vices moraux et sociaux de
l’homme en cette fin du Moyen Âge. La vie terrestre est un
monde de ténèbres, et le fou, aveuglé par ses sens ou des
plaisirs éphémères, sera la proie du diable et finira dans les
tourments de l’enfer. Si le Carnaval médiéval peut se
concevoir globalement comme un ensemble de rituels et de
jeux préservant une liberté de paroles à travers la parodie et
la satire, la verve satirique et le langage de la culture
populaire sont ici retournés contre les festivités mêmes du
Carnaval, et contre la vie laïque en général. Comme le prêtre,
le satiriste sera un directeur de conscience et travaillera à la
restauration des valeurs qui constituent l’Ordo mundi. Pour

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Joël Lefebvre, La Nef est une œuvre tout « imprégnée de


l’atmosphère d’intolérance qui, en dehors du mouvement
proprement humaniste, caractérise le e siècle et le début
e14
du ».
8 Ainsi le poème soumet-il à un réexamen austère la tradition
joyeuse des processions fluviales pendant le Carnaval
germanique, et il inverse tous les motifs mythiques ou
religieux de la navigation héroïque (Noë, Ulysse, les
Argonautes). L’imaginaire utopique du pays de Cocagne, qui
devait être la patrie des fous, est présenté sous un jour
sombre et pessimiste. La multitude des fous, qui décide de
mettre le cap sur le pays de Cocagne, n’atteindra jamais son
eldorado ; en fait de périple héroïque, la nef fera naufrage.
Au seuil du chapitre 109, une gravure sur bois représente un
fou, apparemment le seul survivant de la nef, qui lutte contre
la mer en furie dans son fragile esquif presque entièrement
détruit par les vagues et la tempête ; son visage grimaçant
traduit sa situation désespérée.

9 Œuvre de combat contre le monde profane, La Nef est donc


fondamentalement d’inspiration tragique, et finalement
placée sous le signe de la mélancolie malgré son imagerie et
sa verve grotesques. Comme de nombreux récits de la fin du
Moyen Age, elle est structurée en fonction de schémas
religieux, celui d’un paradis perdu constamment rappelé et
celui du Jugement dernier. Ceci dit, malgré cette austérité, le
succès du livre de Brant fut indéniable. En attestent les
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nombreuses adaptations et variations en latin, en français,


en allemand et en anglais qui en assurèrent aussi la postérité
jusqu’au début du e
siècle15. Également, jusqu’à cette
époque, le thème ne cesse d’être repris dans le domaine de
l’iconographie bien sûr, mais aussi dans les processions
carnavalesques germaniques qui comportaient presque
systématiquement un char qui était une nef sur roues16.
10 Sur le plan iconographique, deux très belles gravures
flamandes de Pieter van der Heyden, notamment, montrent
l’inventivité autour du motif. Dans la première gravure,
L’Écaille naviguant, les fous et les folles voguent dans un
coquillage ouvert, et la dimension érotique de la folie-
impiété en est évidemment accentuée :

Pieter van der Heyden : L’Ecaille naviguant, d’après Jérôme


Bosch, burin, 1562, éd. par Jérôme Cock, Université de
Liège.
11 La deuxième gravure est tout aussi originale ; cette Barque
bleue reprend le thème médiéval des viveurs licencieux : le
fou qui dirige la barque porte une cruche sur la tête, semble
avoir un gouvernail dans le dos, et distribue aux oiseaux des
cerises, nourriture paradisiaque qu’il gaspille ainsi
probablement :

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Pieter van der Heyden : Die blau Schuyte, 1559.


12 Enfin, le texte de Brant semble aussi à l’origine d’un fort
dialogisme autour de la figure pittoresque mais ambiguë du
Narr puisque s’imposera, peut-être avec La Nef des Fous de
Jérôme Bosch (autour de 1500 ?), puis, certainement avec
L’Éloge de la folie d’Érasme (1511), une tout autre
conception de la folie. Ainsi, en ce e siècle finissant et au
e
cours du siècle, le Narr de la nef semble bien être d’un
côté l’emblème d’un monde à la dérive, ayant rompu avec
l’ordre divin et de ce fait voué au chaos, mais aussi de l’autre
et déjà, quoique plus secrètement, une figure, d’inspiration
néo-testamentaire, de la folie-sagesse du Christ.

La Nef des fous de Jérôme Bosch17


13 Le tableau de Bosch est très certainement inspiré du texte de
Sébastien Brant18, car on situe généralement vers 1500
l’achèvement de ce tableau, destiné à une confrérie de
moines franciscains. Mais avec Jérôme Bosch, l’ambivalence
sémantique du fou, déjà présente dans les jeux de carnaval et
les soties, ressort avec plus de force, et elle fait de sa Nef des
fous une possible antithèse de la précédente.
14 Le premier plan du tableau est aisément déchiffrable : il
présente d’abord une image satirique de l’intempérance,
particulièrement du milieu ecclésiastique. Une religieuse et
un franciscain (peut-être un goliard) aux visages rougis par
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le vin, cherchent à mordre dans un gâteau suspendu, tandis


qu’un plat de cerises, fruit exotique et raffiné apporté par les
croisés, participe d’une symbolique paradisiaque ici bafouée
ou dénaturée par la débauche. Un personnage grotesque par
sa corpulence cherche à décrocher un chapon attaché au mât
de cocagne. À l’arrière de la nef, un personnage en train de
vomir constitue une possible allusion à la grande nausée qui
attend les damnés. Des créatures tout en rondeur et
manifestement aussi tournées vers les plaisirs charnels que
les religieux s’agitent autour d’eux.
15 Mais c’est vraisemblablement l’arrière-plan qui est le plus
chargé de sens. Comme plus tard dans le tableau de Bruegel
(Le Combat de Carnaval et de Carême, 1559), on y voit un
fou qui paradoxalement reste à l’écart de ces
divertissements. Assis sur une branche, en hauteur, il ne
regarde ni la scène de ripaille ni les deux religieux, comme
s’il se situait dans un autre espace. Certes, il boit dans une
écuelle, mais son geste ressemble plutôt à un rite
d’eucharistie. La couleur pâle et uniforme de son costume
contraste avec la tenue bariolée habituelle du fou de
carnaval. En tout état de cause, sa solitude, sa tranquillité,
voire son austérité, forment une opposition flagrante avec la
licence désordonnée des autres membres de l’équipage. Au-
delà de la satire de l’intempérance ecclésiastique, le tableau
de Jérôme Bosch choisit cette fois probablement de renvoyer
à la conception néotestamentaire de la folie, celle qui fait du
fou, avatar de l’innocence christique, le seul sage de la nef.

L’Éloge de la folie
16 Dans ce cadre, une autre œuvre marquera un tournant
décisif pour l’évolution et la complexification croissante du
thème : il s’agit de L’Éloge de la folie d’Érasme (Morias
encomion, Laus stultitiae19) qui, par ses rapides traductions,
connaîtra à son tour une grande audience, du moins dans le
milieu humaniste.
17 Plus que Jérôme Bosch, que le classicisme avait relégué aux
oubliettes et qui, de ce fait, ne figurera pas dans le musée des
romantiques, sauf à travers ce que conservera de lui son
héritier Bruegel l’Ancien, ce fut certainement Érasme qui

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assura la postérité philosophique du paradoxe folie/sagesse ;


c’est certainement aussi grâce à la popularité de celui-ci
auprès des écrivains de la Renaissance, au premier chef
Rabelais et Shakespeare, qu’une mémoire romantique de
l’ambivalence folie-sagesse restera si vivace et si féconde en
images et en symboles.
18 L’Éloge de la folie constitue un contre-pied ironique du texte
de Brant, et, au-delà, il est une réponse à tous les discours
médiévaux d’inspiration vétéro-testamentaire qui
considéraient la folie comme une conséquence du péché ou
comme une punition de pécheur. Comme le rappelle Jean-
Marie Fritz, la publication de cet Éloge signifie la « mort »
du Moyen Âge20, car le texte révèle une transformation
profonde et radicale de la symbolique du fou : c’est la folie
qui prend la parole et qui se livre à la fois à l’éloge des choses
de la vie et à un éloge ironique d’elle-même. Par rapport à La
Nef des fous de Brant, la folie change de sens, et elle
inaugure vraiment une nouvelle ère, celle qui voit triompher
la figure positive du fol-sage, du « morosophe » dont les
apparentes contradictions sont riches de sens. Ce
retournement du thème provient de la mutation religieuse
opérée par l’humanisme renaissant, qui se détourne de
l’enseignement de l’Ancien Testament au profit du Nouveau.
Le sage n’est plus celui qui se conforme à la loi, se plie à la
hiérarchie catholique et royale en l’utilisant à son profit21,
mais celui qui s’en détourne pour suivre la voie tracée par le
Christ, voie que le monde et l’Église ignorent délibérément.
C’est donc à la déraison d’une hiérarchie religieuse fanatique
ou intéressée qu’Érasme oppose la Folie-sagesse contenue
dans les Évangiles. La conclusion implicite d’Érasme est que
le premier « morosophe » est bien le Christ lui-même.
Holbein illustre d’ailleurs le texte de son ami par des
gravures représentant la Folie avec son capuchon à grelots,
montée en chaire comme un prêtre et prêchant une nouvelle
sorte de message christique22 :

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19 À ces considérations religieuses s’ajoute une composante


profane et laïque, qu’on retrouvera aussi chez Rabelais, et
qui suppose une légitimation de la folie comme source de
joie créatrice et d’énergie vitale. Cette version purement
humaine de la folie-sagesse est substituée à l’ascétisme (celui
de Brant), présenté comme aussi contraignant que
stérilisant23. L’éloge de la folie, démasquant la fausse
sagesse, prend les contours d’une philosophie du bonheur.
Fondé sur l’idée de Nature, cet hédonisme est présenté
comme un remède aux maux de l’humanité. Penser la
positivité de la folie équivaut pour l’humaniste à mettre aussi
l’homme, la nature humaine et ses besoins, au centre de la
réflexion religieuse. La folie profane, amie du plaisir, n’est
pas forcément contraire à la folie divine, au transport
mystique, à l’oubli de soi dans l’Autre, à la quête de Dieu.
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20 Cette double orientation de la folie positive, pieuse et


profane, rend donc caduque toute opposition tranchée entre
folie et sagesse. Il faut se savoir fou pour entrer dans la voie
de la sagesse. Et celui qui se croit le seul sage est bien le plus
grand fou. Ainsi, avec Érasme, nous sommes déjà bien loin
des sens univoques de Brant, mais nous nous approchons de
la moria romantique24.

Rabelais, l’héritier et le modèle


21 Nous nous en rapprochons encore avec Rabelais, dont la
filiation érasmienne est clairement revendiquée, et qui
constitue pour les Romantiques un relais important. Les
spécialistes estiment que Rabelais a connu au moins un
imitateur français de Brant25. De plus, dans Le Quart Livre
(1548-1552), ainsi que dans le faux Cinquième livre du noble
Pantagruel, attribué à Rabelais, le motif de la Nef est
largement mis à contribution, même si Brant n’est pas cité.
Dans Le Quart Livre surtout, Rabelais reprend à son compte
la moria érasmienne, puisque l’argument et l’architecture
générale du roman se fondent sur l’allégorisation de la Folie
et du voyage par mer. Les personnages sont embarqués dans
une nef des fous qui est en même temps, par bien des
aspects, un nouvel espace de liberté intellectuelle, ce que
n’était pas la nef de Brant. Pantagruel entreprend ce long
voyage pour aider son ami Panurge à trouver la bonne
réponse à toutes ses questions. Ce faisant, il pratique la
charité, cet amour du prochain dont Pantagruel pense qu’il
est notre unique dette à l’égard de l’humanité, et peut-être la
seule vraie sagesse.
22 Mais les étapes du voyage sont aussi scandées par la
découverte de domaines insulaires figurant une idéologie ou
un état : île de Cheli, île de Thohu et Bohu, île des
Macraeons, île de Tapinois, où règne Quaresmeprenant, île
farouche, domaine des Andouilles en guerre contre
Quaresmeprenant, île de Ruach, île des Papefigues, île des
Papimanes, île de Chaneph, île de Ganabin… Certaines de
ces îles sont des pays de Cocagne, mais souvent les habitants
semblent vivre repliés sur eux-mêmes et sur leurs manies,
leur idée fixe : figure possible de l’utopie, l’insularité devient

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aussi une image du fanatisme et de l’intolérance. Les


habitants des îles se font souvent la guerre, tel
Quaresmeprenant, incarnation du fanatisme bigot et de
l’hypocrisie religieuse, qui livre bataille aux Andouilles,
image comique de l’agressivité guerrière à laquelle est
contraint l’épicurisme, mais aussi assez claire allusion au
schisme entre Église catholique et Réforme calviniste,
prélude aux guerres de religion (1562-1598).
23 Ainsi, dans Le Quart Livre, chaque héraut d’une idéologie
(symbolisée par le motif de l’île ou d’un personnage
allégorique) est mobilisé tout entier, jusqu’à l’excès et la
monstruosité, par ses manies ou ses obsessions. Et
finalement, de leur bateau, les voyageurs contemplent le
monde et ses folies, sachant éviter ses embûches. Il s’agit
pour les voyageurs de faire une place à l’altérité et en même
temps d’échapper aux préjugés et aux fanatismes de toutes
sortes. À l’issue du Quart Livre, les voyageurs restent au
large, gardant leur liberté physique et morale, évitant
l’enfermement insulaire. Comme Érasme dont il suit la voie,
le Pantagruel de Rabelais est un esprit à la fois ludique et
raisonnable, face à un monde qui déraisonne, et il s’agit pour
lui d’explorer ce monde sans être contaminé par sa fausse
sagesse. Pantagruel et Xénomane sont bien des sages, dont
la parole, souvent prolixe et ludique, frôle ensuite le silence
(chap. 63), s’opposant en cela à la parole logorrhéique du fou
de la tradition médiévale. Les vrais morosophes savent
laisser libre cours à la méditation, contrairement à Panurge
le simple bouffon, qui fait siens les discours de l’intérêt
immédiat, de la vanité, qui reprend les lieux communs et les
préjugés de son temps. Pantagruel, lui, choisit de se tenir
parfois en deçà de la parole pour être au-delà des opinions
insulaires et partielles. Dans la nef des fous rabelaisienne, la
parole est liberté, quand elle se fait jeu, poésie, quête du
savoir, quand la fantaisie verbale, la rhétorique comique,
suggèrent la liberté d’esprit du créateur, rempart contre un
tel fanatisme. Mais elle ne l’est plus quand elle tend au
fixisme idéologique, à l’imposture ou à la lutte de pouvoir26.
24 De Rabelais, les Romantiques retiendront le foisonnement
comique du langage, le refus de la mesure, l’allégorie
hédoniste véhiculée par l’exubérance romanesque. Jean Paul
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(Siebenkäs, 1796), Nodier, Balzac (Contes drolatiques,


183237), Gautier (Les Jeunes-France, 1833), Hugo
(L’Homme qui rit, 1869), pratiquent le pastiche du langage
rabelaisien, les effets de listes, d’accumulations absurdes,
d’antilogies. À ma connaissance, le Romantisme n’a
cependant pas produit de réécriture explicite de La Nef des
fous, que ce soit à partir de Sébastien Brant ou du voyage
rabelaisien vers la Dive Bouteille. Il est vrai aussi que, si les
traductions, illustrations et variations ont proliféré jusqu’à la
e
fin du siècle, le phénomène de réécriture s’interrompt à
l’époque classique. Sébastien Brant est alors presque
oublié27, et la première réédition allemande date, semble-t-il,
de 185428. Le motif ne resurgit donc que d’une manière plus
souterraine et diffuse, presque comme une re-création, à
l’aube du Romantisme, et ceci grâce à la revisitation fascinée
de la folie médiévale et renaissante (au moins à travers
Érasme et Rabelais, peut-être aussi à travers les gravures
attribuées à Dürer, enfin probablement grâce aux arts
populaires – iconographie, carnavals). L’on peut considérer
également que, en l’absence de tout phénomène explicite
d’intertextualité, une autre filiation a maintenu vivant cet
imaginaire, puisque l’allégorisation du navire (l’épisode de
Jonas ou celui de la tempête apaisée par le Christ) se
trouvait déjà dans la Bible et chez les auteurs chrétiens. C’est
peut-être aussi par ce biais que le motif de la nef a survécu
dans l’imagination romantique, en fusionnant à nouveau
avec les topoï médiévaux de la folie-sagesse.

Première variation romantique : Jean Paul


ou l’aéronef des fous
25 À l’aube du Romantisme, Jean Paul sera sans doute le
premier écrivain à intégrer systématiquement ces
composantes carnavalesques dans ses réflexions sur
l’humour et le comique romantiques. Son Cours
préparatoire d’esthétique (Vorschule der Äesthetik, publié
en 1804) fait de la fête des fous le parfait analogon de
l’esprit romantique, de cet humour qui constitue une
véritable « mascarade intérieure de l’esprit, sans aucune
intention impure, intervertissant le spirituel et le temporel,
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les fonctions et les mœurs, dans la grande égalité et la


grande liberté de la joie29 ».
26 Surtout, le « Programme inaugural » de son grand roman
poético-comique, Titan (1800-1803) utilise, entre autres
métaphores, la nef des fous comme image du
fonctionnement esthétique et narratif de sa propre création
littéraire30.
27 Enfin, c’est le curieux Journal de Bord de l’aéoronaute
Giannozzo (Des Luftschiffers Giannozzo Seebuch, publié en
1801 et « Appendice comique » du Titan) qui peut mettre en
lumière la façon dont s’est maintenu, et en même temps
transformé, le topos de la nef des fous. Dans ce Seebuch, le
motif de la nef semble survivre comme une tradition
anonyme, colportée par l’imaginaire collectif, plus que
comme la référence savante à un texte ou à un ensemble de
textes particuliers. On remarquera à cet égard que, pourtant
jamais avare d’allusions érudites, Jean Paul ne cite pas
Sébastien Brant, ni Érasme, du moins dans ce texte31. Les
effets d’intertextualité ne sont donc pas explicites, mais tout
se passe comme si le voyage en aéronef constituait une sorte
de réminiscence oblique et ironique, peut-être partiellement
inconsciente, de la nef, probablement encore vivante dans
l’imaginaire germanique au moins par le biais de la culture
populaire et de l’iconographie.
28 Un des premiers indices de ce jeu probable avec la tradition
provient du fait que le texte entretient systématiquement la
confusion entre voyage dans les airs et navigation maritime.
L’aéronef (Luftschiff) est donc bien d’abord une nef (Schiff),
qui navigue, parfois dangereusement, dans un espace
déserté par les hommes. Le pilote tient son journal de bord,
rame, cabote au-dessus du monde, jette l’ancre pour prendre
de la hauteur. De surcroît, seul voyageur à bord, il est
l’archétype de l’humoriste jean-paulien, toujours à moitié
philosophe et à moitié bouffon, morosophe érasmien sans
nul doute, quoique plus torturé et marqué par l’amertume.
29 Ce bouffon aéronaute se signale d’abord par sa fonction
d’excentrique provocateur. Il est bien le sot (le Narr), le pitre
(Hanswurst), du moins est-il désigné comme tel par les
notables des principautés souabes qui le voient passer et ne
se privent pas de tourner en dérision l’extravagance de sa
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posture. Aussi ce Narr assume-t-il pleinement son rôle en ne


s’excluant pas de la folie du monde. Mais, comme dans la
tradition évangélique, la folie est polysémique dans
Giannozzo. S’il a bien conscience de sa propre Narrheit,
Giannozzo n’a plus rien des Narren univoques de Sébastien
Brant, qui ne représentaient rien d’autre que la déraison du
plus grand nombre sorti des voies de l’obéissance religieuse
et aveuglé par l’espoir d’atteindre un chimérique pays de
Cocagne.
30 Comme le bouffon à l’écart des divertissements profanes
dans le tableau de Bosch, Giannozzo est un Narr solitaire
cherchant bien plutôt à échapper à la folie ordinaire des
hommes, à la folie mondaine, et aspirant à trouver une sorte
de paix dans la solitude sublime de l’espace. La navigation
aérienne n’est donc motivée par aucun désir d’action d’éclat
ou d’exploit sensationnel, elle est de toute évidence
purement symbolique. Giannozzo monte dans les airs parce
qu’il est décidé à prendre le large, pour fuir une société dont
la déraison le conduit à préférer les périlleuses secousses du
vent et des orages. Le voyage en ballon est donc bien
l’équivalent d’une posture spirituelle faite de hauteur de vue
et de liberté, et l’alternance d’ascensions et de redescentes
rappelle la logique même de l’ironie romantique, sensible
aux contrastes du monde, à la tension entre l’appel du
sublime et la fatalité du grotesque et du bas.
31 Cette alternance de descentes et de remontées, ainsi que le
grotesque des situations32 auxquelles est confronté
l’humoriste, signifient aussi que Giannozzo souffre de cette
folie du monde. De ce fait, il emporte finalement partout
avec lui le fardeau de son amertume et de son ironie
mordante. Même en survolant la société qu’il contemple de
loin, Giannozzo en subit les outrages et les affres. La vision
surplombante depuis l’aéronef n’est pas qu’une échappée
dans la pureté sublime de l’éther, elle est rarement libération
spirituelle et oubli, car, atroce ironie, elle oblige à
contempler l’étendue des désastres terrestres (par exemple
le survol du gibet au chapitre V, ou la terrible vision du
champ de bataille jonché de cadavres de chevaux, des
villages en feu et des enfants mutilés en XIV).

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32 Du coup, le journal de bord sert d’exutoire à celui qui ne


peut s’empêcher de lancer au monde ses flèches satiriques
sans pouvoir pour autant y trouver un soulagement moral.
Et si le philosophe en vient à riposter directement par des
jets de pierres aux outrages des hommes, c’est parce qu’il a
fait l’expérience de son impuissance à corriger qui que ce soit
par le langage et le raisonnement.
33 Finalement, l’envol et l’errance seront assimilés à une
navigation tragique, car non seulement l’humoriste ne peut
pas échapper au spectacle dérisoire de la vanité sociale, mais
il constate aussi l’inanité de son entreprise de fuite.
Giannozzo présente en effet quelque chose de poignant dans
le mélange d’intolérance et d’impuissance qui le caractérise.
Cultivant la rupture et le désinvestissement affectif, mais
obligé de redescendre périodiquement dans le monde des
hommes, l’aéronaute est, au propre comme au figuré,
menacé de désintégration. Sa solitude aérienne suggère cette
instabilité, voire ce vide ontologique qui le menace s’il ne
peut plus se reconnaître dans aucune des valeurs ou des
institutions humaines.
34 Pour ce redresseur de torts, pour ce fou trop lucide,
l’impossibilité de prendre part au monde des hommes
explique aussi le vertige intérieur dont témoigne l’aéronef
ballotté par les tempêtes. Personnage surgi de nulle part,
sans origines connues et sans attache affective, presque sans
histoire autre que la colère qu’il ressasse contre l’humanité,
Giannozzo est finalement surtout une figure emblématique
du déracinement et du désancrage (social et existentiel), une
figure de l’errance intellectuelle qui est aussi certainement
celle de l’écrivain.
35 De surcroît, même à l’écart des autres fous, des fous
mondains, l’humoriste se sait habité par la contradiction et
par les signes d’une autre folie qui devient très visible dans la
marginalité radicale qui est la sienne. La rupture de la
communication que symbolise l’envol du ballon dirigeable
suggère le risque de la folie-démence (Wahnsinn), de la
folie-désespoir qui est au bout d’un idéalisme et d’une
intransigeance qui ont quelque chose de destructeur.
36 Comme dans la Nef des fous de Sébastien Brant, il n’y aura
donc nul pays de Cocagne à l’horizon. D’une part les paradis
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terrestres et provisoires rencontrés au sein même de la terre


de Souabe ne pourront guère constituer autre chose que des
étapes temporaires. Et d’autre part, c’est bien encore une
sorte de naufrage au sein de la tempête qui attend le bouffon
voyageur. Non pas un naufrage conçu comme un châtiment
divin, mais comme une fatalité presque bienfaisante pour
qui ne se trouve pas de place dans la compagnie des
hommes. Dès lors, Giannozzo accepte avec une sorte de
stoïcisme sa disparition physique au milieu de l’orage. Salto
mortale qui est une sorte d’adieu sublime du morosophe au
monde, et qui le libère de toutes les impasses dans lesquelles
il se trouve pris.

Fragments éclatés du topos


Deuxième variation romantique : « Le canard au
ballon »
37 Edgar Poe aurait-il eu connaissance, au moins partiellement,
du texte de Jean Paul, auteur fort célèbre à l’époque, mais
souvent plus facilement cité que vraiment lu ? Ce n’est pas
impossible, bien qu’il soit plus probable que le traitement
grotesque du voyage en ballon dans The Unparalleled
Adventure of One Hans Pfaall33 (vers 1835) soit en réalité
l’occasion pour Poe de mettre un sujet scientifique à la mode
au service de la parodie : parodie de traités scientifiques et
de récits de voyages imaginaires, notamment les voyages
dans la lune. Il en reprendra les ingrédients en 1844 dans
The balloon Hoax (Le Canard au ballon)34.
38 Dans Hans Pfaall, le voyageur, héros grotesque d’un univers
lui-même bas et grotesque (l’univers des petits bourgeois
peints « à la manière hollandaise ») fuit le monde en ballon
dirigeable. Mais cette fois, ce n’est pas par dégoût pour les
turpitudes humaines, comme l’humoriste jean paulien, mais
bien plutôt pour se débarrasser de ses créanciers et échapper
à la prison. Le voyageur-narrateur prétend atteindre la lune
et se faire accueillir à son retour en héros et en savant. Mais
la mystification est décelable dans le fait que le ballon
ressemble à un immense bonnet de fou à grelots. De
surcroît, cet imposteur mystificateur relève encore de la

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symbolique carnavalesque. Hans Pfaall n’est qu’un dérivé


trop visible du Narr germanique, ou un « Jean le sot »
déguisé. Avant d’assassiner certains des créanciers qui le
persécutaient et de s’enfuir en ballon, il s’honorait de la
digne profession de fabricant de soufflets. Or le soufflet est
un des attributs traditionnels du fou médiéval, perpétuel
« esventé » hors de son bon sens35.
39 Hans Pfaall est donc un conte à visée essentiellement
burlesque. Edgar Poe y déploie sa verve ironique et prend le
contre-pied du sensationnalisme des récits à la mode, pour
tourner en dérision le rationalisme scientifique, confondu ici
avec le pédantisme et la bêtise des petits-bourgeois. Cette
nef des fous ne contient aucun sage et, pour retrouver une
plus grande proximité avec les humoristes tragiques jean-
pauliens, sans doute faudrait-il alors citer les fous hugoliens
qui, particulièrement dans L’Homme qui rit (1869),
présentent de nombreuses affinités avec les personnages de
Jean Paul. Une filiation souterraine entre les deux textes est
en effet possible. Même sans connaître l’intégralité du Titan
et de Giannozzo, Hugo avait fatalement entendu parler du
célèbre Jean Paul, au moins grâce à des traductions
partielles36 et des comptes rendus.

Troisième variation romantique : L’Homme qui rit


40 Nous retrouvons en outre dans L’Homme qui rit une double
réminiscence – et un traitement implicite – de la nef des
fous d’une part et du morosophe érasmien d’autre part. L’on
pourrait presque affirmer que les deux parties du récit sont
structurées en fonction d’une dramatisation parallèle de ce
motif caché qu’est la nef des fous. Car il y a bien deux nefs
vouées à l’errance dans le roman, deux nefs antithétiques et
pourtant parfois étrangement similaires, celle du navire des
comprachicos menacé par la tempête, et celle de la roulotte
d’Ursus errant à travers l’Angleterre.
41 C’est d’abord à travers une thématique du crime, de la
fatalité de la misère et du malheur terrestre que se prolonge
chez Hugo cette symbolique. La première « nef » rencontrée
dans le roman participe de l’épisode romanesque qui met en
scène le naufrage-châtiment des comprachicos, voleurs

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d’enfants qui forment une bande de criminels organisés à la


solde du roi. Après avoir abandonné Gwynplaine qu’ils ont
défiguré pour en faire un bouffon de cour ou un amuseur
public, les comprachicos reprennent la mer sans savoir qu’ils
seront ainsi les artisans de leur propre défaite. Seul le chef
des comprachicos, l’énigmatique vieillard portant le nom de
docteur Geestemunde, échappe à cet aveuglement, et il aura
avant les autres le pressentiment du naufrage, l’intuition de
son sens sacré. Le vieillard errant se transforme alors en un
contemplateur en prière, qui entretient un contact
mystérieux avec la transcendance. Polysémique comme l’est
le fou médiéval, il sera le seul sage de cette nef, et un vrai
« fou de Dieu ». Pour cette raison, et parce qu’il prend le
contre-pied des opinions de ses semblables, il est considéré
comme fou par ceux qui incarnent la norme et le bon sens,
alors qu’il est aussi un visionnaire. Et il possède une aura de
prophète, de prêtre et d’oracle. Sans citer de sources
particulières, mais peut-être à travers le relais du bouffon
shakespearien, Hugo fait alors clairement référence à la
symbolique médiévale et érasmienne :
Le vieux homme que le chef de la troupe avait qualifié
d’abord de Fou, puis de Sage, ne quittait plus l’avant. […] Cet
homme, qui portait presque une simarre d’universitaire
d’Oxford ou de Gœttingue, ne bougeait pas de sa posture
hautaine et revêche. […] Il y avait en lui du magister et de
l’augure. Il avait l’air du pédant de l’abîme. […] Son regard,
un instant sorti, était maintenant rentré. Son œil était
devenu intérieur. […] Il n’était plus attentif qu’à ce qu’il
écoutait en lui-même. Ses lèvres articulèrent, comme
machinalement, ces quelques mots bas comme un
murmure :
– Le moment est venu pour les âmes noires de se laver.
Le patron fit cette moue expressive qui rapproche du nez
tout le bas du visage
– C’est plutôt le fou que le sage, grommela-t-il37.

42 Même si les comprachicos représentent le monde d’en bas,


maléfique, le docteur Geestemunde, par son nom même,
probable dérivé de Geist (l’esprit) et de Mund (la bouche) ou
Mundus (le monde), devient un porte-parole de l’au-delà.
Figure mixte, complexe, réversible, ce prêtre de l’abîme est

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aussi une sorte d’artiste ou d’écrivain : il convertira les


damnés, implorera le pardon divin, libérant ainsi la troupe
maléfique de son enfermement dans le mal ; il écrira
également sur un manuscrit placé dans une bouteille puis
lancé à la mer, l’histoire et la destinée de Gwynplaine pour
tenter de le sauver. Ce geste, littéraire et salvateur, répète en
sourdine l’étroite association de l’écriture, de la souffrance et
de la rédemption, qu’un autre personnage de morosophe,
Ursus, prend en charge ensuite. Et en cela, le docteur
Geestemunde est bien un des doubles secrets de ce
personnage-clé de la seconde partie du roman, ce
saltimbanque-philosophe traînant sa cahute dans la neige et
dans le froid comme une autre nef des fous, terrestre celle-là.
43 Cette nef serait en quelque sorte la pure antithèse de la
première si elle n’était reliée à elle par la même misère
matérielle, la même errance symbolique, et si elle n’était
habitée par une folie-sagesse symétrique. Après le naufrage
des comprachicos, après l’épisode fameux au cours duquel
Ursus recueille le couple d’anges abandonnés que sont
Gwynplaine et Dea, s’ouvre, dans le roman, un autre roman,
celui du nomadisme poétique des saltimbanques en leur
roulotte. Le succès des spectacles grotesques de Gwynplaine
sur les champs de foire assure aux saltimbanques « non
seulement le bonheur mais la prospérité38 ». La roulotte,
baptisée « green-box », parce que badigeonnée d’un vert-
pomme « couleur d’espérance », est un « grand ensemble
bohémien et littéraire », polyvalent à souhait, lieu de
divertissement bouffon en même temps que refuge de
l’innocence sacrée39. C’est alors que cette green-box se met à
ressembler à un bateau renversé, ayant « la quille pour
toit », et « le pont pour plancher40 ». Par un effet de miroir
avec l’épisode des comprachicos, ce bateau renversé, conduit
par un bouffon philosophe, ne peut pas ne pas rappeler
encore une fois, au moins secrètement, le motif diffus de la
nef des fous41, parée ici d’une dimension essentiellement
positive et évangélique.
44 Le traitement poétique de cette « nef », qui abrite un ange,
un bouffon monstrueux et un humoriste, repose non
seulement sur la métamorphose héroï-comique de la
roulotte en temple de l’art, mais aussi sur un lyrisme de la
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célébration qui doit sans doute davantage, il faut le


reconnaître, à La Maison du berger de Vigny qu’au poème
de Sébastien Brant ou à Rabelais. Autre maison de berger, la
cahute sur roues de L’Homme qui rit exalte cette dimension
de la vraie vie trouvée dans la marginalité poétique et la
liberté amoureuse. Pourtant, malgré ce lyrisme de la
célébration, le navire-roulotte sera également voué à la
disparition, de même qu’Ursus rappelle en définitive le sort
tragique des humoristes jean-pauliens, plus que
l’intemporelle douceur du bouffon christique costumé de
clair que l’on voit dans les tableaux de Jérôme Bosch ou de
Bruegel l’Ancien. Après la mort de Dea – l’ange –, après le
suicide de Gwynplaine – le bouffon révolutionnaire –, la
roulotte-bateau retourne, elle aussi, à la mer, et à un hors-
texte qui signifie pour le personnage du sage-fol un néant
existentiel, presque aussi affligeant que la désintégration en
plein vol de l’aéronaute. Sur le bateau qui emmènera Ursus,
seul, à Rotterdam, la green-box, délabrée et hors de service,
tombe en ruines. La « nef des fous » prend alors un air
suppliant de martyr en prières :
Elle avait un penchement misérable. […] Les roues étaient
cagneuses. Les parois, le plancher et les essieux semblaient
épuisés de fatigue, l’ensemble avait on ne sait quoi d’accablé
et de suppliant. Les deux pointes dressées du brancard
avaient l’air de deux bras levés au ciel. Toute la baraque était
disloquée. Dessous, on distinguait la chaîne d’Homo,
pendante42.

45 Conformément à l’un des axes forts de l’imaginaire


romantique, la symbolique carnavalesque accentue ici le côté
poignant de l’ironie romantique. Ironie tragique, qui veut
que la grande liberté de l’humour côtoie sans cesse le
sentiment accablant de la fatalité. Cet « Anankè » dont la
présence se fait si constamment sentir, se retrouve aussi bien
dans l’orage qui emporte Giannozzo que dans cette chaîne à
laquelle Homo, le loup des saltimbanques, retourne
inexorablement. Chaîne que l’on peut comprendre, dans le
contexte, comme celle qui risque bien de maintenir, pour
longtemps, « homo sapiens » prisonnier. Et en ce sens, la nef
évangélique qu’est la roulotte de L’Homme qui rit est, elle
aussi, condamnée à sombrer ou bien à ployer sous le joug de
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la fatalité sociale. Non pas, comme Sébastien Brant le


voulait, parce qu’elle emporte avec elle le poids de la folie
pécheresse des hommes, mais parce que sa candeur, au
contraire, l’en isole un peu trop.
46 Il faudrait bien sûr compléter cette approche en recherchant
d’autres traces du même topos dans les expressions
e
artistiques du siècle. Nous ne pouvons que souligner ici,
en guise de conclusion, que si le motif de la nef des fous
semble bien irriguer de manière souterraine les textes
romantiques, il ne possède évidemment pas cette densité de
réécritures que l’on voit à l’œuvre pendant plus d’un siècle,
entre la fin du Moyen Âge et la Renaissance. Mais si le lien
est demeuré, par-delà les époques, me semble-t-il, c’est
probablement grâce à la diffusion de la culture populaire (les
chars carnavalesques représentant des nefs des fous, attestés
au moins en Allemagne durant la période médiévale43) et de
l’iconographie : par exemple, Dürer, à qui l’on doit certains
bois de La Nef des fous, était, lui, resté célèbre ; et aussi
parce que s’est mise en place, très tôt, une séduisante
polyphonie du discours autour de la nef pécheresse. Cette
polyphonie provenait à la fois de l’allégorie religieuse et de la
fascination pour la liberté carnavalesque, pour la
transgression des normes que représentait la folie-Narrheit.
Or, c’est manifestement cette marginalité, et cette liberté de
parole que l’on prêtait au fou médiéval, qui ont le plus séduit
l’écrivain romantique, au point qu’il n’a pas hésité à faire
d’elles l’emblème de sa situation spirituelle dans le monde,
ironique pied de nez, sans doute, aux pierres d’achoppement
de la modernité.

Notas
1. F , notamment, a publié en 1576 une Nef fortunée de Zurich
(Das Glückhafft Schiff von Zurich, Stuttgart, R P., 1977) qui est
une célébration poétique et enthousiaste du thème de la randonnée
fluviale au milieu d’une nature bienfaisante.
e
2. Il est assez significatif par exemple que, dès la seconde moitié du
siècle, chez un critique tel que Justus Möser, défenseur de la Commedia
dell’arte et du grotesque au théâtre, les « curiosités médiévales de la fête
des fous et des soties » soient invoquées comme symboles intemporels
de l’humour, et elles participent, à ce titre, à une défense et illustration
de la liberté artistique : « Die weisesten Männer erwarten bei einer
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kleinen komischen Erzählung mit Ungeduld den Schluß zum lachen. Die
Geistlichkeit verlangt ihre fête des fous […]. » (« Les hommes les plus
sages attendent avec impatience la fin des petites histoires comiques afin
de rire. La spiritualité exige sa fête des fous […]. ») Harlekin oder die
Verteidigung des Grotesk-Komischen in Sämtliche Werke,
HistorischKritische Ausgabe in 14 Bänden, Band 2, Hamburg, Gerhard
Stalling Verlag, 1981, p. 338-339.
3. Les premières de couverture sont reproduites dans l’édition des
Fantasiestücke in Callot’s Manier, Sämtiliche Werke in 6 Bänden,
Deutscher Klassiker Verlag, 1985.
4. Cf. V , Les Géorgiques. Voir C E. R., La Littérature
européenne et le Moyen Âge latin, trad. de l’allemand par Jean Bréjoux,
Paris, Presses Universitaires de France, 1956, p. 219-224 : « La “barque
de l’esprit” est dès la fin de l’Antiquité un lieu commun, soigneusement
conservé par le Moyen Âge. »
5. Matthieu, 8, 23-27, Marc, 4, 35-41, Luc, 22-25. Il s’agit de l’épisode de
la tempête apaisée par le Christ.
6. Les Proverbes, 10, 4-22.
7. L’Ecclésiastique, 21, 1-17 : « le sage et l’insensé ».
8. Ibid., 5, 1-19.
9. « Sagesse du monde et sagesse chrétienne » : « Le langage de la croix,
en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se
sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu. […] Puisqu’en effet le
monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse
de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu a Dieu de sauver les
croyants. […] Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et
ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. »
10. Voir à ce sujet l’ouvrage d’A.-L. M -R : « Le Texte
emprunté ». Étude comparée du Narrenschiff de Sébastien Brant et de
ses adaptations (1494-1509), Paris, Éditions Champion, 2008. L’auteure
cite notamment De Baptismo, XII, 38, de Tertullien, p. 350-51 : « […]
cette petite nef représentait la figure de l’Église, montrant qu’elle était
chahutée par la mer, c’est-à-dire dans le monde, par les flots, c’est-à-dire
par les persécutions et les tentations, comme si le Maître s’était endormi
de fatigue ; […] ».
11. On se réfère ici à l’article de F J.-M. : « L’eau et la folie au Moyen
Age : La Nef des fous avant Brant », in Sébastien Brant, 500e
anniversaire de La Nef des folz/Das narren Schyff, zum 500 jährigen
Jubiläum des Buches von Sebastien Brant : 1494-1994,
Ausstellungkatalog/Catalogue de l’exposition, éd. par les Bibliothèques
universitaires de Bâle et de Fribourg en Brisgau, la Badische
Landesbibliotek de Karlsruhe et la Bibliothèque nationale et
universitaire de Strasbourg, Bâle, Christoph Merian Verlag, 1994, p. 112-
116.
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12. Voir à ce sujet Tout L’Œuvre peint de Jérôme Bosch, Paris,


Flammarion, « Les Classiques de l’Art », 1967, Documentation par Mia
Cinotti, rubrique 16. Le motif carnavalesque de la barque bleue se
e
retrouvera au milieu du siècle dans le tableau de Bruegel l’Ancien,
Combat de Carnaval et de Carême (1559), qui comporte une enseigne de
la nef bleue, signalant la bonne chair que l’on dispensait dans les
auberges au temps du carnaval.
13. Voir à ce sujet l’introduction de Nicole Taubes à l’édition française de
La Nef des fous, trad. T Ν., Paris, José Corti, 1997.
14. L J., Les Fols et la folie en Allemagne pendant la
Renaissance, Paris, Klincksieck, 1968.
15. Voir à ce sujet M -R A.-L., op. cit. On peut citer entre
autres, la Stultifera navis de Jacob Locher, La Navis stultifera de Josse
Bade, La Nef des folz du monde de Pierre Rivière, La Nef des folz du
monde et La Nef des folles de Jean Drouyn, La grant nef des folz du
monde de l’Anonyme de Marnef.
16. Voir à ce sujet l’enquête historique de H J., dans Fêtes des fous
et carnavals, Paris, Fayard, 1983, p. 230-231 : « […] quelques années
seulement après la publication du poème de Sébastien Brant, le
Carnaval, dans toute l’Allemagne, présentait cette fois une véritable nef
sur roues […]. Une extraordinaire peinture d’un des plus beaux
manuscrits de Nuremberg [représente cette nef de carnaval] ».
17. Le tableau a été donné au musée du Louvre en 1918.
18. Les spécialistes s’accordent pour dire que le peintre avait lu Brant.
19. É , Éloge de la folie, trad. B C., dessins de Hans Holbein,
Paris-Genève, Editions Slatkine, coll. Fleuron, 1995.
20. F J.-M., Le Discours du fou au Moyen Âge, Paris, PUF, 1992.
21. Voir la satire de la hiérarchie catholique dans les chapitres LVII à LX.
22. É , Éloge de la folie, op. cit., p. 28.
23. Voir le chapitre XXXVII, p. 115-116.
24. Par exemple, dans le premier texte de réhabilitation du grotesque au
théâtre que produit le Classicisme finissant, celui de Justus Möser, c’est
encore la folie positive d’Érasme qui reste la caution philosophique
« sérieuse » de l’apologie comique d’Arlequin : « Mon humble
personne », dit Arlequin, « ne demande qu’une heure de la journée du
sage. Je lui en laisse donc vingt-trois pour vaquer à ses occupations
habituelles, et celui qui ne perd pas seulement une heure, mais en profite
pour se régénérer, est véritablement sage ». Harlekin oder die
Verteidigung des GroteskKomischen in Sämtliche Werke, Historisch-
Kritische Ausgabe in 14 Bänden, Band 2, Hamburg, Gerhard Stalling
Verlag, 1981, p. 342.

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25. Voir L J., op. cit., p. 163-164. Il s’agit de Jean Bouchet, qui
publie en 1500, et sous le nom de Brant, une imitation intitulée Les
Regnard traversant les périlleuses voyes des folles fiances du monde.
26. Par exemple, l’épisode de Ruach associe le langage à diverses espèces
de vents ; celui des paroles gelées montre un langage incompréhensible
et belliqueux.
27. Dans sa préface à la première traduction en français moderne due à
H M. (éd. La Nuée Bleue, Strasbourg, 1977), Philippe Dollinger
e
signale que « la vogue de la Nef des fous se maintint durant tout le
siècle, puis elle déclina. La dernière édition allemande date de 1625 : dix
ans plus tard paraissait encore à Amsterdam une traduction en
Néerlandais. Ensuite ce fut le silence et l’oubli, pour plus de deux cents
ans. » (La Nef des fous, op. cit., préface p. XIII). Néanmoins Joël
Lefebvre précise que les auteurs du Sturm und Drang le connaissaient
encore et que Wieland l’appréciait. Op. cit., p. 168.
28. Édition commentée de Friedrich Zarncke, Leizig, 1854.
29. « Etwas drittes Ähnliches sind die humoristichen Narrenfeste des
Mittelalters, welche mit einem freien Hysteronproteron, mit einer
innern geistigen Maskerade ohne alle unreine Absicht Weltliches und
Geistliches, Stände und Sitten umkerhren, in der groben Gleichheit und
Freiheit der Freude. » Vorschule der Ästhetik, § 33, hg. von Wolfhart
Henckmann, Hamburg, Felix Meiner Verlag, Philosophische Bibliothek
Band 425, 1990, p. 132 ; Cours Préparatoire d’esthétique, trad. L A-
M. et N J.-L., Lausanne, L’Âge d’Homme, 1979, p. 134.
30. Titan, Nachtwort von R. R. Wuthenow, Frankfurt am Main, Insel
Verlag, 1983, p. 63 : « […] das biographische Bauholz […] steht schon so
hoch vor mir auf dem Zimmerplatze, das ichs nicht verbauen könnte,
gesetz daß ich ästhetische Bauten meiner biographischen Narrenschiffe,
Redoutensäle une Zauberschlösser forttriebe Tag und Nacht, jahraus,
jahrein […]. » Trad. sous la direction de G. E , Lausanne, L’Âge
d’homme, 1990, t. I, p. 50 : « Le bois de construction biographique […]
forme déjà un si haut monticule dans ma chambre que je ne pourrai
jamais tout utiliser même si je ne cessais jour et nuit, année après année,
d’ajouter des pierres aux constructions esthétiques, nefs des fous, salles
de redoute et châteaux enchantés qui peuplent mes biographies […]. »
31. En revanche, Jean Paul cite Érasme qu’il pastiche dans un Éloge de
la Bêtise, 1783 ; trad. B N., Paris, José Corti, 1993.
32. Le banquet aristocratique dans la principauté de Vierreuter,
agrémenté d’un combat des grenouilles et de chauves-souris, en II ; la
satire du rationalisme des Lumières et de la philosophie fichtéenne en V ;
l’arrivée chez le vieil oncle, banquier avare, à califourchon sur le dos de la
servante, en X.
33. P E. A., Poetry and Tales, Q P. F. (ed.), New York, The
Library of America, 1984, p. 949-1001. Trad. fr. Aventure sans pareille

http://books.openedition.org/pur/40718 26/28
25/7/2017 La folie - Chapitre I : La nef des fous ou la « traversée » d’un topos des origines au romantisme - Presses universitaires de Rennes

d’un certain Hans Pfaall, in Contes-Essais-Poèmes, édition établie par


R C., Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1989, p. 148-185.
34. Ibid., p. 743-755 ; trad. fr., p. 741-552.
35. Le patronyme plusieurs fois modifié par Poe (Pfaall ou Phal) pourrait
aussi être déchiffré, selon Claude Richard, comme un dérivé ou une
déformation possible de follis qui, en latin classique, signifie soufflet.
Ibid., note 1, p. 1318.
36. De nombreux extraits de ses œuvres, traduits par le Marquis de La
Grange sous le titre général des Pensées, furent publiés en 1829 chez
Didot. Titan, qui remporta un grand succès en Allemagne, fut le premier
roman de Jean Paul traduit en français. Philarète Chasles en proposa une
traduction-adaptation, publiée en 1834-1835.
37. H V., L’Homme qui rit, I, II, 4, p. 407-414.
38. Titre du chapitre 8 du livre II de la seconde partie.
39. La roulotte est aussi un « berlingot olympien » dans lequel les
servantes bohémiennes, Fibi et Vinos, portent les noms et jouent les
rôles des déesses Phoebé et Vénus.
40. H V., L’Homme qui rit, op. cit., II, II, 8.
41. Hugo aurait-il eu connaissance de cette tradition médiévale et
renaissante qui consistait, dans les pays du nord, et plus
particulièrement dans la ville de Dürer, Nuremberg, à faire défiler, parmi
les chars carnavalesques, une nef sur roues ? Un récit de voyage comme
Le Rhin n’en porte pas de traces. Hugo cite le tombeau d’Érasme, vu
dans la cathédrale de Bâle, mentionne Holbein, Dürer, mais pas Brant, ni
les traditions carnavalesques.
42. H V., L’Homme qui rit, conclusion, 1.
43. Nuremberg, ville dans laquelle Dürer avait installé son atelier, a
témoigné longtemps de la vitalité du motif, jusque dans la culture
contemporaine. Ainsi, La Fontaine de la nef des fous, qui orne l’une des
places de la ville, est un bronze achevé en 1987 par Jürgen Weber.

Autor

Dominique Peyrache-Leborgne
© Presses universitaires de Rennes, 2011

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Referencia electrónica del capítulo


PEYRACHE-LEBORGNE, Dominique. Chapitre I : La nef des fous ou la
« traversée » d’un topos des origines au romantisme In: La folie:
Création ou destruction ? [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
http://books.openedition.org/pur/40718 27/28
25/7/2017 La folie - Chapitre I : La nef des fous ou la « traversée » d’un topos des origines au romantisme - Presses universitaires de Rennes

Rennes, 2011 (generado el 26 julio 2017). Disponible en Internet:


<http://books.openedition.org/pur/40718>. ISBN: 9782753547339.
DOI: 10.4000/books.pur.40718.

Referencia electrónica del libro


BROCHARD, Cécile (dir.) ; PINON, Esther (dir.). La folie: Création ou
destruction ? Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2011 (generado el 26 julio 2017). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/40710>. ISBN: 9782753547339.
DOI: 10.4000/books.pur.40710.
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