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org/traces/383
Tracés. Revue de
Sciences humaines
14/2008
Consentir : domination, consentement et déni
Articles
L’aliénation dans
l’enseignement de Jacques
Lacan. Introduction à cette
opération logique et à ses
effets dans la structure du
sujet
SOPHIE GENET
p. 153-173
Abstract
En 1964, Jacques Lacan introduit dans la théorie de la psychanalyse la logique de
l’aliénation ou choix forcé. Cette opération préside au fondement du sujet de l’inconscient
qui, d’en passer par le champ de l’Autre, n’a d’être que divisé par le signifiant. Les effets de
cette aliénation se retrouvent dans les structures de la névrose et de la psychose, dont elle
détermine les symptômes. Refoulement et forclusion ont été définis par Sigmund Freud à
partir d’un jugement primordial. Lacan formalise cet enseignement en accordant le primat
au symbolique, c’est-à-dire au langage.
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1 En 1964, alors qu’une opposition virulente au sein de la communauté
psychanalytique le prend à partie et le déloge du lieu où il enseigne depuis
Cette aliénation, mon Dieu, on ne peut pas dire qu’elle ne circule pas de
nos jours. Quoi qu’on fasse, on est toujours un petit peu plus aliéné, que ce
soit dans l’économique, le politique, le psychopathologique, l’esthétique, et
ainsi de suite. Ca ne serait peut-être pas une mauvaise chose de voir en
quoi consiste la racine de cette fameuse aliénation. (1973, p. 191)
5 Il est fort probable, à situer ce constat dans son contexte historique, que
l’ironie de Lacan prenne ici pour cible, sans toutefois les citer, les penseurs
freudo-marxistes dont les idées, après avoir connu un important essor outre-
Atlantique, se diffusent au même moment en Europe. Tel est le cas d’Herbert
Marcuse qui, dans son essai Eros et civilisation, interroge la « philosophie de la
psychanalyse » (1963, p. 18) : celle-ci prône-t-elle une libération de l’homme,
soumis à l’exploitation des institutions répressives de la société industrielle, ou le
pousse-t-elle plutôt à accepter cette aliénation ? La psychanalyse, doctrine
révolutionnaire ou idéologie bourgeoise3 ?
6 La question touchant à la finalité de la psychanalyse reste centrale pour
Jacques Lacan. Cependant, pour y répondre, il détourne l’aliénation de son usage
habituel et l’élève au rang d’opération logique. Comme nous le verrons dans un
premier temps, cette aliénation est un vel tout à fait particulier qui pose
nécessairement le sujet devant le choix de se soumettre aux lois et aux effets du
signifiant, choix forcé donc, duquel résulte, comme pour tout choix, une perte.
Dans un second temps, nous préciserons en quoi sa validité opératoire ne se
vérifie que dans un après-coup. En effet, il faut que le choix soit effectué, et la
perte constituée, pour que l’on puisse affirmer que le sujet est advenu en tant que
sujet de l’inconscient, c’est-à-dire qu’il a consenti à accéder au langage, à se
laisser diviser par lui.
Schéma n° 1
9 Lacan propose de formaliser par un schéma similaire (schéma n° 2) le vel « de
la première opération essentielle où se fonde le sujet » (1973, p. 191) lors de sa
confrontation à l’Autre, au lieu du signifiant, communément investi par la mère.
Schéma n° 2
pris dans le lieu de l’Autre pourra venir occuper cette fonction logique de
signifiant unaire, que Lacan écrit S1) ne lui donnera en aucun cas une
signification quant à son être5. Il viendra le représenter par un autre signifiant
(ou signifiant binaire, S2), lequel a pour effet son aphanisis, la disparition du
premier signifiant. D’essence aliénante, le couplage primitif S1-S2 amorce le
défilé des signifiants à travers lequel le sujet divisé cherchera, en vain puisqu’il
est causé par la structure même de l’articulation signifiante, l’unité de son être.
C’est dans l’intervalle entre ces deux signifiants [le couple primitif du vel
aliénant] que gît le désir offert au repérage du sujet dans l’expérience du
discours de l’Autre, du premier Autre auquel il a affaire, mettons, pour
l’illustrer, la mère en l’occasion. C’est en tant que son désir est au-delà ou
en deçà de ce qu’elle dit, de ce qu’elle intime, de ce qu’elle fait surgir
comme sens, c’est en tant que son désir est inconnu, c’est en ce point de
manque que se constitue le désir du sujet. (1973, p. 199)
15 Parce qu’il lui apparaît sous la forme d’une énigme, le désir de la mère
engendre le désir du sujet, à l’horizon duquel se profile une interrogation sur
l’objet susceptible de le combler. Ce n’est pas tant d’un défaut de compréhension
du sens du discours que provient le vertige, que d’un suspens quant à sa
signification : quel objet suis-je pour elle, lorsqu’elle me demande de me laisser
nourrir, qu’elle me scrute de son regard ou qu’elle se plaint de l’odeur de mes
excréments ? À cette énigme du désir parental, l’enfant répond par une sorte de
torsion, puisqu’il fait intervenir le manque de l’opération antécédente relatif à sa
propre disparition (ou aphanisis) : peut-il me perdre ? Le fantasme de sa propre
perte ou de sa mort, couramment brandi par la suite dans les relations d’amour
qu’il entretiendra avec ses parents, correspond ainsi au premier objet que le sujet
met en jeu dans la dialectique du désir. La clinique de l’anorexie mentale donne à
entendre, dans l’une de ses versions les plus radicales, la consistance de ce
fantasme : sa réalisation ultime suppose, en effet, la mort du sujet qui cesse de
s’alimenter.
16 Au joint de ces deux désirs se creuse ainsi une place où l’enfant, pour donner
un support à sa propre perte, déposera des objets détachés de son corps. Ces
objets pulsionnels (sein, fèces, voix, regard) lui permettront, selon l’équivoque
dont use Lacan, de se séparer et de se parer, dans le sens de se défendre. Mais,
pour que ce mécanisme puisse s’enclencher, il faut qu’une coupure instaure un
phénomène de bords entre les deux signifiants originaires car, pour peu que
ceux-ci émergent solidifiés en une masse compacte, l’ouverture du sujet à cette
dialectique sera fortement entravée. Cette situation constitue, pour Gabriel Balbo
et Jean Bergès, un des modes d’entrée dans la psychose chez ces enfants chez qui
« jusqu’à 6 mois tout était bien » (2001, p. 45) :
17 C’est à cette question des effets de l’aliénation que nous allons, maintenant,
nous intéresser. Comme nous l’avons dit, ce choix qualifié par Lacan de « forcé »
relève du paradoxe, puisqu’il impose au sujet d’en passer par les signifiants de
l’Autre. Or, en soumettant le sujet aux lois de la parole et du langage, cette
opération détermine aussi les rapports du sujet à son symptôme. Nous tenterons
ainsi de montrer ce qui distingue, en termes de structure, la névrose de la
psychose.
lien avec ce pays. Pourtant, lorsque je reprends à haute voix cette inscription, une
équivoque signifiante émerge : le mâle lit / le mal lit. Le sourire de Tom montre
qu’il n’est pas resté sourd à cette lecture, mais elle semble le laisser indifférent. Il
n’en veut rien savoir, davantage préoccupé par son dessin : « Je veux ajouter “en
force… le Mali en force”, mais je sais pas comment ça s’écrit ! » Comme je lui
suggère d’essayer, il écrit en fen, et me demande de lire sa graphie. Ce que je fais :
« enfant ». Cette fois-ci, sa production l’interpelle directement, car elle le laisse
suspendu à un non-sens étrange : « Pourquoi j’ai écrit ça ? » Alors qu’il corrige en
fen par en force, je l’interroge : « Tom, qui vous traiterait encore comme un
enfant, alors que vous seriez en force ? » Sa réponse fuse : « Ma mère ». Je
poursuis : « Mais qui lui aurait mis ça dans la tête ? » Il hésite : « Je sais pas,
mon père… Mais lui dirait jamais ça ! » Le signifiant en force a ainsi ouvert la
voie pour que le second signifiant en fen / enfant, refoulé, fasse son apparition.
Celui-ci indique ce qu’est Tom pour sa mère, quand il l’entend dire de lui : « Cet
enfant lit mal ». En classe, il s’efface sous cet énoncé maternel, sa tête se vide, car
celle de sa mère reste pleine : elle sait. Cependant, le signifiant enfant ne dit pas
tout de l’être de Tom. Bien au contraire, il le divise comme sujet, puisque son
usage diffère selon le discours auquel il se réfère. Cette différence traverse la
phrase : « mon père… Mais lui dirait jamais ça ! » qui pose, à Tom, la question
fondamentale de son désir aux prises avec l’énigme du désir de sa mère, comme
de celui de son père6.
21 L’opération de l’aliénation, du fait qu’elle est logique et non psycho-logique,
permet de comprendre pourquoi Lacan qualifie également l’inconscient freudien
de logique. S’il est déterminé de cette façon, c’est qu’il ne doit être confondu ni
avec le lieu romantique des divinités obscures, ni avec l’imagination censurée qui,
mise au jour grâce à des jeux parfaitement codifiés, fascinait les surréalistes. Il
n’est pas plus constitué d’un symbolisme en attente d’un traducteur dont la
technique, semblable à celle des oniromanciens de l’Antiquité, procéderait par
l’inscription d’une équivalence arbitraire entre deux symboles : vous avez rêvé
que vous buviez une tasse de lait, ça signifie que vous voudriez que votre mère
vous nourrisse. Il va sans dire que, dans ce cas, le traducteur ne saurait
questionner en quoi son savoir, affreux et impérial, pourrait participer
activement à ma noyade.
22 Soutenir, à l’instar de Jacques Lacan, que l’inconscient freudien est structuré
comme un langage suppose que les lois qui le régissent, parce qu’elles sont celles
du langage, produisent des effets dans les chaînes du discours. Cette position a
souvent été interprétée comme un coup de force théorique par rapport à
l’enseignement freudien. On retrouve, par exemple, cet argument sous la plume
d’Alain Juranville, lorsqu’il écrit :
23 Or, une lecture attentive des textes de Sigmund Freud atteste de son intérêt
pour l’articulation signifiante du discours, bien avant que celle-ci ne soit mise à
l’ordre du jour par la linguistique moderne. À preuve, le contenu de cette lettre
adressée à Wilhelm Fliess le 22 décembre 1897, au moment de ce qu’il convient
d’appeler son auto-analyse. Freud y présente le cas d’une jeune patiente qui, bien
qu’arrivée au terme de ses études de couture, est tourmentée par la
représentation de contrainte suivante : « Non, tu ne dois pas t’en aller, tu n’as pas
encore fini, tu dois faire encore plus, apprendre tout ce qui est possible. » (2006,
p. 366) Par association d’idées, la jeune fille raconte un souvenir d’enfance où,
alors qu’elle est assise sur le pot mais ne voulant pas y rester, s’impose à elle la
même injonction : « Tu ne dois pas t’en aller, tu n’as pas encore fini, tu dois faire
encore plus. » (Ibid., 2006, p. 366)
24 Dans les explications qui accompagnent cette vignette clinique, Freud émet
l’idée que seul le mot faire jette un pont entre les deux situations, infantile et
actuelle. De plus, il affirme que cette représentation de contrainte, comme toute
représentation de contrainte, s’appuierait sur une « indétermination verbale
particulière » (ibid., 2006, p. 366) qu’elle déclinerait dans un réseau de
significations multiples. Le mot faire aurait, selon cette modalité, connu une
transformation dans son utilisation : « La représentation de contrainte fixée naît
d’une telle interprétation fondée sur un malentendu de la part du conscient. »
(2006, p. 366) Mais, ajoute Freud, « il n’y a pas là que de l’arbitraire » (ibid.,
2006, p. 366) et, s’en remettant non sans humour au « flair linguistique » (ibid.,
2006, p. 366) de son ami otorhinolaryngologiste, il l’invite à considérer les effets
induits, dans le langage courant, par le procédé de substitution d’un mot par un
autre. Ce mécanisme ne serait-il pas à l’œuvre lorsque certains mots se trouvent
chargés de sens énigmatiques ? Pourquoi, par exemple, le mot argent serait-il
porteur d’une puanteur interne ? L’hypothèse linguistique de Freud suggère que
le mot schnuzig (sordide) aurait été remplacé par le mot geizig (avare). En
conséquence, une formation comme la représentation de contrainte, appartenant
au champ de la psychopathologie, pourrait, du fait de son mode de fabrication, se
révéler fort proche du processus grâce auquel « des mots prennent une
signification figurée dès que se présentent des concepts nouveaux ayant besoin
d’être désignés » (ibid., 2006, p. 367).
25 Notons d’abord comment, pour définir l’inconscient, Freud remet en cause
l’étanchéité, considérée alors par tous ses collègues neurologues comme
indiscutable, de la frontière entre le normal et le pathologique. Dans tous ses
livres fondateurs (L’interprétation des rêves, La psychopathologie de la vie
quotidienne, Le mot d’esprit et ses relations à l’inconscient), il ne varie pas,
puisqu’il puise son matériel de travail dans les phénomènes les plus banalement
partagés : le rêve, le lapsus, l’oubli de nom, l’acte manqué ou encore le mot
d’esprit.
26 Attachons-nous, ensuite, à sa technique d’interprétation : il s’appuie, pour
interpréter les énoncés associatifs de quiconque (patient ou pas) lui rapporte ces
formations attribuées à l’inconscient, sur le déplacement et la substitution de
mots, la polysémie, les répétitions phonétiques. On remarquera, par exemple,
qu’il ne cherche pas à approfondir la signification de la contrainte obsédante. Il
ne pose pas à la patiente des questions du type : comment peut-on « apprendre
tout ce qui est possible » ? Sa recherche se concentre sur une pure analyse
« linguistique » : quelle relation existe-t-il entre les deux faire ? Il en déduit,
ainsi, que ces deux mots – nous dirions, aujourd’hui, signifiants – ne sont pas
équivalents : on ne peut pas écrire faire = faire. Elle relève plutôt d’un
mécanisme de substitution – nous dirions, aujourd’hui, métaphore – qui est le
lieu de passage vers une autre métaphore : la substitution des excréments par le
savoir absolu (« tout ce qui est possible »). L’élément substitué est tombé dans
les dessous, il a chu dans l’inconscient. Freud découvrira, de cette façon,
l’incidence de la pulsion anale dans la sexualité infantile7.
27 Pourrait-on, sans risquer une lecture tendancieuse de Freud, parler ici
d’analyse structurale du discours ? Lacan s’y autorise, affirmant qu’il aurait
même anticipé les recherches de Ferdinand de Saussure ou du Cercle de Prague
(2001, p. 403), lesquelles n’ignoraient pas la logique des stoïciens.
28 Sans doute n’est-ce pas tant dans l’utilisation des outils de la linguistique
C’est ce temps primaire (au sens originaire) et non pas forcément premier
(au sens chronologique) de l’affirmation qui est la condition pour qu’une
représentation existe pour le sujet. Dans un second temps, ce qui est
représenté au-dedans sera ou non retrouvé au-dehors ; s’il l’est, cela
confère une existence à la représentation du dedans. (Rabinovitch, 1998,
p. 27)
53 À l’ombre de tous les self-services qui industrialisent son désir en lui offrant
des gadgets de plus en plus sophistiqués sur le plan technique, l’homme moderne
cultive sa personnalité élevée au rang d’objet culte autoréférencé : « c’est moi ».
Moi-objet dont on mesure, évalue, classe les comportements dans un souci
toujours plus grand d’une mise en ordre statistique. Moi objectivé par une
démultiplication d’expertises pourvoyeuses d’énoncés prescriptifs ou prédictifs.
54 Pour exemple, rappelons un récent rapport de l’Inserm sur Les troubles de
conduites chez l’enfant et l’adolescent (2005), qui, établissant une relation de
causalité entre ces troubles et la délinquance, préconise, dans le cadre d’un
dépistage précoce, l’identification des risques pendant la grossesse – « En
période prénatale, des facteurs empiriquement associés au trouble des conduites
ont été identifiés : antécédents familiaux de troubles des conduites, criminalité
au sein de la famille, mère très jeune, consommation de substances psychoactives
pendant la grossesse [y compris le tabagisme] » (2005, p. 47) –, ainsi que
l’introduction, sur le carnet de santé, d’items pour en repérer les « signes
précurseurs » :
55 Compte tenu de tout ce qui a été dit précédemment, une remarque s’impose
quant à la différence fondamentale existant entre le symptôme tel qu’il est décrit
dans cet extrait, et celui défini par la psychanalyse, à entendre, plutôt, comme ce
qui fait symptôme pour un sujet particulier et non pour le champ social.
56 Dans l’acception, appelons-la comportementale, du symptôme, le rapport du
sujet à la parole et au langage est complètement évacué au profit d’une
comptabilisation de « faits » tenus pour objectifs, parce qu’observables.
57 Mais un acte quel qu’il soit, et a fortiori celui pour un enfant de dire non, a-t-il
en toutes circonstances une seule et même signification ? Ôter la dimension
signifiante à cet acte, ne témoigne-t-il pas du présupposé que cette manifestation
subjective est rabattue au niveau du signal, c’est-à-dire d’une réponse telle qu’elle
se produirait chez l’animal ? À preuve, la recommandation faite « [d’]exploiter les
travaux sur les petits animaux » (Inserm, 2005, p. 55), rats ou souris. Ces
expériences, nous dit-on, « permettent d’étudier certains symptômes du trouble
de conduite comme l’agressivité et l’hyperactivité liée aux troubles de
l’attention » et, élément déterminant, de « rechercher les facteurs étiologiques de
ces symptômes en relation avec l’environnement (stress physique et social) »
(ibid., 2005, p. 55). Car, il faut le savoir, il existe chez le rat ou la souris, pendant
la puberté, une « période sensible au cours de laquelle la confrontation avec la
violence ou l’isolement joue un rôle vulnérabilisant vis-à-vis de l’agressivité »
(ibid., 2005, p. 55).
58 Pour le modèle comportemental, auquel se réfère manifestement ce rapport de
l’Inserm, le symptôme ne vaut que s’il est validé par un recueil d’informations
effectué au moyen d’une batterie de tests ou de grilles d’évaluation. À l’instar de
« L’échelle d’obsession-compulsion de Yale Brown (Y-BOCS) » (Cottraux, 1998,
p. 69), qui mesure le « seuil » de gravité d’un TOC (trouble obsessionnel
compulsif), la majorité de ces tests est importée des États-Unis et du Canada où
le behaviorism (le comportementalisme) domine tout le champ de la
psychopathologie. Les résultats obtenus, utilisés d’abord pour arrêter un
diagnostic, servent ensuite pour décider de la mise en place d’un traitement
pharmacologique ou psychothérapique. Or, si elle est éliminée par les énoncés
impersonnels qui composent ces questionnaires, la parole du sujet sera tout
autant ignorée par le thérapeute, uniquement préoccupé par le trouble
prédéterminé par l’enquête. Le principe général de la thérapie se résume à
« l’exposition aux situations provocatrices d’anxiété afin de déconditionner le
patient de ses comportements d’évitement. Selon ce principe, l’affrontement actif
et conscient est le meilleur moyen de modifier les émotions négatives » (ibid.,
1998, p. 173).
59 Dans son livre, Les ennemis intérieurs, Jean Cottraux explique, à partir du cas
d’une patiente dénommée Fausta, comment se déroule une cure basée sur la
méthode dite de « l’exposition en imagination » (ibid., 1998, p. 89). Cette jeune
femme, « persuadée d’avoir fait un pacte avec le diable pour assurer son
bonheur » (ibid., 1998, p. 88) prononce, en son for intérieur, des souhaits de
mort à l’égard de ses proches. Comme elle regrette ces pensées, elle les conjure
par des signes de croix. Fausta communique avec Satan, « du coup, elle perd plus
d’une heure par jour13 dans des rituels magiques destinés à contrôler ses pensées
de possession démoniaque » (ibid., 1998, p. 89). Entreprise sur douze séances, la
thérapie vise à démontrer à Fausta que ses croyances magiques n’ont aucun effet
dans la réalité. La patiente est invitée à « imaginer qu’elle émet des vœux de mort
vis-à-vis du thérapeute, […] à convoquer le démon […] en présence du psychiatre
et à porter des objets [qui lui permettent de communiquer avec le diable] sans
faire de signes de croix » (ibid., 1998, p. 89). Lorsque, à suivre ces consignes,
Fausta est submergée par l’angoisse, le praticien persévère en exigeant qu’elles
soient appliquées de façon encore plus stricte :
Bibliography
BALBO Gabriel, BERGES Jean, 2001, Psychose, autisme et défaillance cognitive chez
l’enfant, Ramonville, Érès, 154 p.
Collectif (INSERM), 2005, Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent, Paris,
INSERM, 65 p. En ligne : http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/
COTTRAUX Jean, 1998, Les ennemis intérieurs, Paris, Odile Jacob, 262 p.
ESCAIG Bertrand, 2007, Un autre regard. Revue de liaison trimestrielle de l’Unafam, n° 2,
p. 8.
FREUD Sigmund, 1954, Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 420 p.
— 1985, Résultats, idées, problèmes, t. 2, Paris, PUF, 295 p.
— 2006, Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904, Paris, PUF, 734 p.
JULIEN Philippe, 2003, Psychose, perversion et névrose, Ramonville, Érès, 188 p.
Notes
1 L’objection classique adressée à la psychanalyse, et qu’on ne manquera pas de réitérer à
la lecture de cet avant-propos, tient à sa démarche consistant, pour introduire le concept
d’inconscient, à exposer une illustration, c’est-à-dire un cas particulier. Or, même à
accumuler les vignettes cliniques pour y pointer, une par une, l’irruption d’une formation
attribuée à l’inconscient, l’extension à l’universel sera toujours suspectée de relever du
domaine de la spéculation. Cette préoccupation traverse, de part en part, l’enseignement
de Jacques Lacan, dont le projet radical vise à interroger la place de la psychanalyse dans
le champ de la science moderne. La solution qu’il propose pour sortir de l’ornière passe
par une formalisation de la pratique, donc par la nécessité de construire un organon
susceptible de rendre compte des modalités de fonctionnement de l’inconscient.
2 Pour Lacan, la vérité est « mi-dite » d’être, non pas partielle, mais dite entre deux
signifiants.
3 Voici quelques-unes des questions posées à Lacan lors de son séminaire du 3 décembre
1969 : « On pourrait commencer à savoir ce que c’est qu’un psychanalyste. Pour moi, c’est
un type de flic » ; « Nous avions déjà les curés mais comme ça ne marchait plus, nous
avons maintenant les psychanalystes ». « Jacques Lacan, la psychanalyse est-elle
révolutionnaire ? » (1991, p. 230-231)
4 Aphanisis signifie disparition.
5 Moustapha Safouan rappelle les deux idées qui, émises par Saussure à propos du
signifiant, seront reprises par Lacan : « La première est que le signifiant se définit par sa
différence avec tous les autres signifiants. La deuxième est l’idée de valeur selon laquelle,
en lui-même, le signifiant ne signifie rien en dehors de son pouvoir de signification,
laquelle s’effectue grâce à ses connexions de substitution ou de combinaison avec les
autres signifiants. » (2001, p. 266)
6 Le Mali et son drapeau font sens, dès lors qu’ils induisent nombre de significations
exotiques. Mais, si la cure empruntait cette direction, le signifiant que Tom a puisé dans le
discours maternel resterait hors-circuit. En revanche, l’équivoque induite par ma lecture
amorce l’apparition du couplage en force / en fen où se révèlera, pour Tom, l’objet auquel
il s’identifie pour répondre à ce qu’il suppose être le désir maternel (il faut préciser que sa
mère n’arrête pas d’enfanter). Le signifiant en fen / enfant le fait choir comme sujet.
Cependant, en s’appuyant sur le dire du père, il se dégage de cette identification. On peut
noter d’ailleurs comment Tom se saisit de mon énoncé sur un plan métaphorique (« Qui
lui a mis ça dans la tête ? ») pour introduire un tiers : la fonction du père dans le désir
d’enfant de sa mère.
7 Cette vignette clinique illustre « la séparation » : le sujet laisse choir l’objet fèces en
réponse à une demande parentale. Dans la cure, il se pare du signifiant qui le désigne, en
lieu et place de sa propre perte.
8 L’expression anglaise « I have to put myself together » (Je dois rassembler mon moi,
me reprendre) donne « à voir » l’assemblage narcissique du moi.
9 Pour Lacan, la « chaîne symbolique » est la chaîne signifiante.
10 Cité par Rabinovitch(1998, p. 20).
11 Auparavant, Verwerfung était traduit par « rejet ». De la même façon, c’est à la
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Caption Schéma n° 2
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References
Electronic reference
Sophie Genet, « L’aliénation dans l’enseignement de Jacques Lacan. Introduction à cette
opération logique et à ses effets dans la structure du sujet », Tracés. Revue de Sciences
humaines [Online], 14 | 2008, Online since 30 May 2009, connection on 21 March 2018.
URL : http://journals.openedition.org/traces/383 ; DOI : 10.4000/traces.383
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