Vous êtes sur la page 1sur 4

B E N J A M I N M O U T O N

Architecte en Chef des Monuments Historiques


Inspecteur Général des Monuments Historiques
Membre de l’Académie d’Architecture Hon.FAIA

BASARABI – MURFATLAR
ENSEMBLE RUPESTRE
IX-XIème siècle

RAPPORT DE VISITE

A 20kms à l’Ouest de Constanta, sur le versant Nord/Ouest de la colline


Tisibir, se sont trouvés simultanément : une carrière ouverte au Xème siècle pour la
construction d’un important ouvrage militaire de près de 59kms de long, et destiné à
protéger la Dobroudja d’Est en Ouest ; et un ensemble « monastique » IX-XIème siècle
constitué de petits ouvrages rupestre à flanc de falaise.

I. Découvert le 11 juin 1957, cet ensemble se compose encore de cinq


petites églises dont trois superposées (B2 à B4), d’annexes, galeries d’accès (H) et
funéraires (C1-C2), et de chapelles-paraclis E3-E5). Etudié dans les années suivantes,
cet ensemble d’une facture vernaculaire et malhabile, a surtout mis en évidence un
grand nombre de graffitis anthropomorphes ou zoomorphes, géométriques, croix pattées
à vocation religieuse ou profane, et des inscriptions en grec, slavon ou rune. Les
incisions dans la pierre tendre sont plus ou moins profondes, certaines très superficielles
et fragiles, et en général à une hauteur de 60cm à 1m50 du sol.

II. Des travaux de consolidation et de restauration ont été menés dès 1960, à
la suite de constats de dégradation rapide ; ils ont consisté en :
- Travaux de consolidation et de renforcement, principalement des
ouvrages en partie supérieure de la falaise. Constructions d’armatures en BA (poteaux,
poutres) encastrés dans les parties inférieures de la falaise, et recevant des parements en
pierre de carrière, complétés par les anastyloses des parties éboulées ; injections au
ciment (…) des fractures et fissures de la roche.
- Travaux de construction d’un bâtiment de protection au devant et au
dessus de la falaise, et formant enveloppe d’isolement : la première tranche a intéressé
la partie Sud/Ouest du site ; mais l’opération fut interrompue à la mort de l’architecte
Liana Bilciurescu il y a 10 ans. Pour assurer entretemps la protection du reste du site, un
parapluie en polyester sur charpente en bois a été construit, et remis en état en 2007.
Une tranchée de récolte des eaux de ruissellement a été creusée en tête de falaise pour
détourner les eaux de ruissellement.
Le site est clos et gardé.

III. Lors de la visite du 24 octobre, on a pu effectuer des observations


externes, tant sur les vestiges que sur les protections, et sur l’état de l’environnement.
III-1. La chapelle la plus importante (B4) située en partie inférieure est la
plus spectaculaire, reproduisant à une échelle exigüe toutes les composantes
traditionnelles de l’architecture bâtie, du narthex, de la nef à bas-côtés, et précédé de
trois arcades, du sanctuaire comprenant 3 autels et une table latérale. L’ensemble est
voûté de berceaux et pénétrations à arêtes, exécutés de façon maladroite mais
manifestement intentionnelle.

73 rue Royale - 78000 Versailles

Tél. : 01.39.49.58.67 - Fax : 01.39.53.87.18 - e-mail : mouton.benjamin@wanadoo.fr


Les autres chapelles comportent ou rappellent des dispositions analogues,
plus ou moins développées (B1).

L’état sanitaire de ces ouvrages paraît sain à première vue. Dans la chapelle
B4, les relevés ont indiqué 90,5% d’humidité relative, pour une température de 11,8°C
(mesures prises à 15h00).

On constate cependant :
- Des traces d’humidité aléatoires, localisées en voûtes et au pied des
murs : efflorescences révélant un régime de mobilisation et d’évaporation d’humidité,
avec action de sels sur les épidermes de la pierre ; ces efflorescences se doublent de
pulvérulence (poudre au pied des parois) et dégradation de la surface de la pierre.
- Ces altérations sont plus importantes dans certaines parties basses :
exfoliations, voire desquamations par plaques d’épaisseur allant jusqu’à 2cm.
- A proximité des armatures en béton armé, on constate des concentrations
d’humidité dans la pierre, qui révèlent des échanges contrariés au sein de la roche.

Ces constatations traduisent un régime de circulations d’eaux à cœur de la


falaise, que les fissures ou fractures de la roche peuvent favoriser dans leur migration, et
que les ouvrages de protection (parapluie) ou d’isolement (tranchées hautes) n’ont pas
neutralisées.
Elles traduisent un processus de destruction de l’épiderme de la roche,
localisé aux endroits de résurgence de ces infiltrations, ou lorsque les ouvrages en béton
en contrarient la circulation.
Il n’y a pas de présence tangible de condensation.
En tout état de cause, la destruction localisée des graffitis est en cours, et la
vitesse d’évolution est tangible et mise en évidence par les relevés photographiques
effectués régulièrement.

III.2. Les protections mises en place au devant et au dessus de la falaise ont


eu des conséquences contrastées sur les vestiges.
La première enveloppe réalisée selon une structure lourde et voiles en béton
armé formant couverture au devant et au dessus ; mais les portées trop importantes ont
nécessité des appuis intermédiaires directement sur l’ouvrage à préserver, ce qui créé un
impact lourd, structurellement et esthétiquement regrettable. Très peu percée, cette
enveloppe crée une ambiance intérieure obscure, en contradiction avec la vocation « à
air libre » et « lumière naturelle », des vestiges. Conséquence imprévisible sans doute :
les développements végétaux (mousses et algues) sont apparus sur les vestiges protégés,
avec un effet néfaste sur les parements dont ils entretiennent l’humidité et les fragilisent.
La protection provisoire qui a été réalisée à l’aide d’une structure légère en
bois, comporte de nombreux points d’appui dont l’impact visuel sur l’ouvrage est
évident (mais dont ce n’est pas l’objectif). Il est intéressant de souligner cependant que
la préservation de la lumière naturelle au travers des plaques de polyester, (sur
lesquelles un badigeon de chaux a été appliqué pour en réduire l’intensité), a rétabli une
hygiène correcte des vestiges qui sont exempts de micro-organismes végétaux.

III.3. L’environnement actuel des vestiges est un sujet de préoccupation.


Au pied de la falaise, à l’Ouest, une route en terre est utilisée par des
tracteurs et des poids lourds, et génère à la fois des vibrations qui peuvent se
communiquer aux vestiges par les biais de la continuité géologique, et d’importantes
émissions de poussières d’argile qui affectent le site large (blanchiment) et les vestiges
qui s’y trouvent.
Cette route donne accès à une décharge sauvage au Sud/Ouest, qui
contamine la nappe phréatique, et gagne le pied des vestiges ; elle se développe au
mépris des panneaux d’interdiction, dans un climat d’impunité qui nuit largement à la
crédibilité dont le site a besoin.
Plus loin, une nouvelle carrière reprend actuellement l’exploitation du
gisement de pierre à bâtir, sur un mode d’extraction à ciel ouvert. Modification du
régime des eaux de ruissellement, eaux stagnantes formant un lac au niveau d’anciennes
extractions abandonnées : l’équilibre écologique du site est bouleversé.
Enfin, on ne pourra pas être sans inquiétude devant le défaut de contrôle
des travaux menés en haut de la falaise (constructions neuves, chapelle, décharge…) qui
auront un impact direct sur le régime des eaux d’infiltration.

IV. Orientations
IV.1. A l’évidence, on se trouve devant un ensemble dont la conservation
dépend d’un grand nombre de paramètres aux relations complexes. La première mesure
est une mise en surveillance des mécanismes d’altération et de leur vitesse d’évolution,
dont les termes pourraient se résumer en :
- Mise en surveillance des phénomènes de migration d’eau.
- Mise en surveillance du développement des altérations sur les parois des
chapelles et les graffitis.
- Parallèlement, mise en surveillance du climat intérieur des deux
enveloppes protectrices (1ère tranche exécutée, parapluie provisoire
actuel).
Pour ces investigations, on ne saurait trop conseiller d’associer aux
travaux des autorités roumaines, l’assistance du LRMH, sections pierre et biologie.
- Une mission de pédologie et climatologie serait à mobiliser
simultanément afin de relier les analyses et observations effectuées sur
les matériaux et épidermes, au contexte climatique et de migration des
eaux de la falaise et du site.
- Enfin, et afin de tenter d’en réduire les effets, une reconnaissance des
structures, armatures et ouvrage béton armé intégrés dans la roche est
nécessaire, s’appuyant à la fois sur les documents de travaux – s’ils
existent encore -, soit sur des observations in-situ (thermographie et
prospection radar).

Et sans attendre, réaffirmer de façon autoritaire l’obligation de préservation


du site, par l’interdiction effective et physique de décharge publique, l’établissement de
contrôles assidus de l’exploitation de la carrière et de l’occupation du dessus de la
falaise.

IV.2. La seconde étape serait la mise en œuvre d’essais d’interventions de


conservation, issus des observations des laboratoires et des diagnostics en résultant :
- Essais de convenance, par équipe de restaurateurs-applicateurs roumains
et français.
- Mises au point de traitements : après analyses, applications, observations
de 6 à 9 mois (suivi laboratoires roumains et français), validation des produits, et des
protocoles d’application ; rédaction de cahier des charges pour lancement des
campagnes opératoires.
IV.3. Phase d’intervention sur les ouvrages.
Les compétences requises seront définies selon les observations IV.1 et
IV.2 ci-dessus.

IV.4. Protections.
Les ouvrages de protection extérieurs paraissent inévitables pour
assurer une conservation correcte des vestiges.
La première enveloppe « lourde » présente deux inconvénients
majeurs : défaut d’éclairage naturel ; appuis structurels appliqués sur les vestiges, et à
déplacer. Ces inconvénients sont à éviter pour les ouvrages suivants.
Les études qui sont entreprises pour la seconde tranche, verrière sur
fermes cintrées tridimensionnelles (Mihai Opreanu/Ion Mincu), sont intéressantes en ce
qu’elles répondent à ces deux inconvénients majeurs. La maîtrise du climat intérieur
restera néanmoins une question à affiner.
Deux questions restent à trancher : la cohabitation de deux architectures
contrastées n’assure pas une présentation apaisée et cohérente du site. Si l’architecture
proposée pour l’achèvement de la protection, qui exprime un parti volontaire et clair de
verrière transparente, est très séduisante, on ne peut cependant contester à l’ouvrage
actuellement en place, un intérêt plastique non négligeable, par le résultat de
l’assemblage de facettes prismatiques qui en animent la paroi extérieure.

On serait alors tenté par deux options :


Soit la conservation de l’ouvrage actuel, son adaptation structurelle
pour supprimer des appuis parasites, et une augmentation de ses percements pour
augmenter l’apport de lumière naturelle dans l’enceinte.
Soit sa démolition, et la réalisation d’une nouvelle architecture globale
sur le site.
L’adaptation du bâtiment existant est possible, mais entraînera
d’importants travaux de reprise ; le résultat ne sera qu’ « amélioré » sans atteindre
l’objectif recherché de restitution de l’éclairage naturel et ne saurait donc servir de
modèle à son extension en seconde tranche. Il apparaît plus économique et efficace à
terme de le remplacer par un ouvrage unique assurant par sa cohérence architecturale les
meilleures conditions de conservation et de mise en valeur.
L’expression d’une architecture homogène et globale est nécessaire non
seulement pour la conservation, mais aussi pour la valorisation du site, et plaide en
faveur de cette seconde option.

Benjamin MOUTON
23 février 2009

Vous aimerez peut-être aussi