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Préhistoire de chèvres

La chèvre apparaît dans notre région vers 5000 av.JC. Elle est déjà domestiquée,
morphologiquement très proche de nos chèvres, avec toutefois une variabilité génétique supérieure.
Elle n’est pas issue du bouquetin, ni du chamois.
L’histoire commence donc ailleurs…
Comme pour les vaches, les cochons, les moutons, le blé, l’orge ou l’avoine, l’histoire de la chèvre
commence au Proche Orient avec le début du néolithique, c'est-à-dire vers – 8500 av. J.C avec le
démarrage de l’agriculture. Rappelons que le seul animal domestiqué en Europe fut le lapin, très
tardivement au XVI° siècle.

Les hommes ont toujours vécu près des animaux, en ont apprivoisés certains : c’est un mode de
restitution symbolique, pratiqué par des chasseurs, afin de rendre- un petit peu- à la nature ce qu’on
lui prend. Certains animaux, les commensaux, sont venus vivre près des hommes, souris, rat noir,
moineau…à tel point qu’on les nomme souris domestique, moineau domestique, etc…
Mais la domestication est fondamentalement différente, c’est l’appropriation et le contrôle d’une
population animale par une société humaine, pour la production d’un service ou d’une matière
première.
Pour qu’une population animale soit domesticable, il faut qu’elle dispose d’une variabilité génétique
suffisante pour s’adapter à différents milieux, qu’elle soit grégaire, et supporte une certaine
hiérarchie en son sein.
La domestication n’est jamais définitive : le mouflon corse vient du mouton domestique redevenu
« sauvage » dès le néolithique (ou marronnage) ; elle peut aussi entraîner la disparition de l’espèce
« mère » ou sa pollution génétique.
Les plus anciens foyers connus de domestication se situent en Turquie sud orientale, entre
l’Euphrate, ses affluents et le haut cours du Tigre. Dans ces contrées, à la fin de l’ère glacière,
vivent les ancêtres sauvages de la chèvre (capra aegagrus), du mouton (ovis orientalis), du porc (
sanglier : sus scrofa) et du bœuf (auroch : bos primigenius). Dans ses mêmes zones, vers 8500 av
JC, les premiers indices de domestication sont relevés, il s’agit principalement de réduction du
format et du dimorphisme sexuel.

Graph 1 : de – 8.500 à – 7.000, la domestication gagne le Proche Orient.


La chèvre sauvage ou chèvre à bézoard, ou
encore aegagre, était plus lourde avec des
cornes plus massives : « … plus petite que le
bouquetin, mais plus grande que la chèvre
domestique. Un bouc adulte a 1m60 de long,
…, 1 mètre de hauteur au garrot,…. La taille
de la chèvre est moins forte…
Le bouc a des cornes longues et faibles,
mesurant 66 cent. Chez de jeunes animaux,
et plus de 1m30 chez les vieux. Elles
décrivent un arc à concavité tournée en
arrière ; chez les vieux mêmes, elles forment
un demi cercle très rapprochées à leur
racine, elles s’écartent jusqu’à leur milieu,
puis se recourbent en avant ou en
dedans ;… » dans « L’homme et les animaux
1
domestiques » de Alfred Edmund (Edition
aux environs de 1850).
Graphique. 2

Nos chèvres actuelles sont de taille plus


petite, moins encornées et plus graciles. La
domestication induit des modifications
morphologiques, dans un premier temps
« naturelle : la proximité de l’Homme
prédateur, la concentration des animaux dans
des endroits clos, provoquent un stress et une
modification des taux hormonaux qui règle la
croissance. S’ajoute aussi les carences
alimentaires dues à la sédentarisation d’une
espèce qui, même si elle ne migrait pas, se
déplaçait sur un territoire en fonction des
saisons. Cela se voit très bien chez le mouton :
du début de sa domestication à 7500 av.JC,
réduction « lente et naturelle » de la taille, à
partir de 7500 av. JC, accélération de cette
évolution due à la sélection humaine.

En effet, les Néolithiques ont, en bons éleveurs, cherché des animaux plus faciles à manipuler,
moins agressifs ou faisant moins de dégâts en se battant, et dont la finalité n’est pas de vieillir
mais de pousser vite, c’est à dire d’être adulte plus jeune. Nous sommes entre 7000 et
6500av.JC : le Proche Orient est globalement néolithisé, les animaux et les céréales sont
complètement domestiqués, l’homme maîtrise l’agriculture et l’élevage.
Peut-être à cause des effets de l’agriculture sur brûlis, peut-être à cause du surpâturage, ou
encore d’un boom démographique, ou plus simplement la curiosité (les ailleurs sont toujours
meilleurs), l’économie néolithique et des paysans néolithiques, pas forcément nombreux, sortent
du Proche Orient et gagnent l’Europe.

Il y a plus de 5 000 ans dans le Sahara, scène de vie


quotidienne : devant leurs tentes de cuir, les femmes vêtues de
robes de tissu et de tabliers de peaux, assistent au retour du
troupeau. Viennent en tête les chèvres à longues cornes, puis
les moutons sans laine à petites cornes enroulées. Les hommes
accroupis, vêtus de boléro de cuir, boivent vraisemblablement
une « bière de mil » à l’aide d’un tube de roseau. Un adolescent
donne des grains aux animaux… L’ensemble respire la paix et le
calme.

L’élevage des chèvres, parti du Proche Orient à l’orée du VII° millénaire avant notre ère, va
mettre 2 à 3 000 ans à atteindre l’Europe Occidentale, ce qui va nous laisser le temps de causer
en chemin…

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D’abord, il n’y a pas d’élevage sans agriculture : en effet, l’agro-pastoralisme, tel qu’il est
pratiqué aujourd’hui sur le pourtour saharien, est la conséquence d’une dégradation climatique et
de la déforestation, l’une ayant nourri l’autre et réciproquement.

Les premiers éleveurs sont avant tout des agriculteurs ; ils cultivent le blé, l’orge, les lentilles,
les pois… La plupart des céréales et légumineuses que nous cultivons aujourd’hui vient, comme
les animaux que nous élevons, du Proche Orient. (voir article dans n°1). Dans des conditions
particulièrement favorables, des groupes humains se sédentarisent vers moins 10 000 ans ; ils
exploitent intensivement les céréales sauvages (blé, orge) et les gazelles, dont ils maîtrisent
parfaitement la chasse. Ils vivent bien, stockent les céréales d’une saison à l’autre, sèchent et
fument la viande, construisent des maisons… bref tout le confort !

Et, vivant bien, les femmes ont plus d’enfants, la mortalité infantile diminue également, et la
population…d’augmenter ! Dans ces conditions, la pression démographique devient trop
importante sur le milieu et, conséquence logique, des membres de ces groupes quittent le village,
et vont à une journée de marche environ en créer un nouveau. Comme depuis longtemps les gens
avaient remarqué que des grains sauvages tombés d’un panier pouvaient dans certaines
conditions, non seulement germer mais donner des grains plus beaux, ils emportent des grains
pour désormais les semer.

Petit à petit, de déplacements en déplacements, des céréales « domestiques » vont se


différencier des céréales sauvages, et prendre réellement le statut de céréales domestiques.
La réalité est plus longue et plus complexe, et ainsi débute l’histoire de la sélection des plantes
par les hommes.

Technique agricole préhistorique : l’abatis brûlis ou essartage

A la fin de l’ère glacière, l’Europe se couvre de forêts, c’est donc en milieu forestier que l’on va
cultiver. Cultiver est un terme impropre car l’abatis brûlis est une technique agricole qui ne
travaille pas le sol : on éclaircit la forêt de préférence en été, en laissant les arbres trop gros
(les haches de pierre sont un facteur limitant), on laisse passer une année puis on brûle. Ensuite,
sont évacués les bois qui n’ont pas brûlé en laissant les souches, on sème avant que les pluies
d’automne n’aient lessivé les cendres. Le feu violent mais rapide a détruit les adventices et leurs
graines sans endommager les racines des arbres. On sème un à trois ans de suite, puis les taillis
s’installent, alors on met « en culture » une parcelle voisine, laissant la friche, les taillis et
finalement la forêt reprendre ses droits. Quant les parcelles à mettre en culture sont trop
éloignées du village, alors on déplace le village de 2 ou 3 kilomètres.

C’est le système jachère-forêt : des parcelles cultivées 2 ou 3 ans, réinstallation de la forêt,


remise en culture 50 ans plus tard. Quand, sous la pression démographique, les rotations
deviennent trop courtes –20 ans– et que la biomasse forestière n’a pas le temps de se
reconstituer, les rendements baissent et obligent le village à se scinder. L’ethnologie nous
indique que ce sont de jeunes adultes qui fondent un nouveau village à une journée de marche
environ du village originel, lui laissant ainsi la possibilité de retrouver son équilibre : la jachère
forêt. C’est, en raccourci, la constitution du « front néolithique » pionnier, qui avance de 20
kilomètres environ par génération.

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Les chèvres dans cette histoire ?

Elles n’ont fait que suivre le mouvement, d’est en ouest, entraînées par les hommes dans leur
progression, et contrairement aux bovins, gardées proches des habitats. Alors, pourquoi des
humains, vivant d’un peu de proto-culture et de beaucoup de cueillette, dont l’alimentation
carnée provient essentiellement encore de la chasse, se sont appliqués à domestiquer des
chèvres – pas uniquement - ? De la nourriture les jours de mauvaises chasses ? Ils disposent de
céréales et de réserve de viande séchée. Qu’est ce qu’un animal domestique apporte de plus
qu’un animal chassé ? Pas la viande, pas le cuir, pas le prestige, éléments déjà obtenus par la
chasse, mais le lait.

Faute de preuves archéologiques, cela relève de l’interprétation, mais il semble de plus en plus
que dès le début de la domestication, les hommes aient exploité le lait (les travaux des
archéozoologues tendent à le confirmer). En effet, il n’est pas nécessaire d’avoir inventé la
poterie pour traire et stocker du lait. Des outres en boyaux (panse, caillette, …), des seaux de
cuir, de la vannerie suffisent (matériaux rapidement périssables dont les traces archéologiques
sont exceptionnelles).
Quand les chèvres arrivent en Europe occidentale, il est clairement établi que le but principal
de leur élevage est la production laitière.

Dans la deuxième moitié du sixième millénaire avant notre ère (néolithique ancien atlantique),
des populations néolithiques arrivent dans nos contrées, soit par cabotage le long de la côte
atlantique, soit en passant entre le Massif Central et les Pyrénées et essaiment le long de
Garonne-Gironde jusqu’à la Loire. Ces populations apportent avec elles tout le « bagage
néolithique » - vaches, moutons, chèvres, porcs, céréales, poteries, lesquelles témoignent d’une
origine culturelle méditerranéenne. Là, elles rencontrent des populations mésolithiques (les
dernières) ne vivant que de chasse et de cueillette.

Quelle est la nature de leurs rapports, difficile à dire, mais en règle générale, ces contacts
peuvent conduire au troc, ou au repli, en passant par l’ignorance curieuse. Les chasseurs-
cueilleurs évitent les agriculteurs éleveurs et tant qu’ils le peuvent, se replient sur un autre
territoire ; quand ils n’ont plus cette possibilité… ce peut être la guerre et/ou l’acculturation.

Les chasseurs-cueilleurs vivent en équilibre démographique avec leur territoire. Quand ce


dernier s’est trop restreint du fait de la pression néolithique, ils n’ont d’autres choix que la
guerre de rapine et de razzias ou de passer eux aussi à une économie de production et donc
d’adopter un mode de vie néolithique.

4
Longeville-sur-Mer ; le Rocher : empreintes de
bovidés et d’ovicapridés sous la plage actuelle.
In : Les premiers paysans du Golfe. Le néolithique
dans le Marais Poitevin sous la direction de Roger
Joussaume.

Le site du Grouin - du – Cou à la Tranche- sur- Mer en Vendée au néolithique ancien, livra une
importante faune domestique avec une très nette prédominance des bovins sur les caprinés –
moutons, chèvres – et les suidés – cochons.

Au néolithique moyen, le site des Châtelliers du Vieil-Auzay en Vendée a livré 52 % de reste de


bovidés, 34 % de caprinés (chèvres et moutons en nombre à peu près égal), 11 % de suidés.

Au néolithique récent à L’Angle en Charente-Maritime, le site a livré 31 % de bœufs, 19.6 % de


moutons, 19.6 % de porcs,3.9 % de chèvres et 3.9 % de chiens.

Aux Loups à Echiré en Deux-Sèvres, sur des restes osseux indifférenciés néolithique récent et
final, les bovins représentent 60 % de la viande produite, le porc 18 %, les caprinés 12 % et le
chien 10 %. En tenant compte de la quantité de viande produite par chaque espèce, le bœuf
représente 92 % de la production totale de viande, le porc 5 à 6 %, les caprinés 2 à 3 %.

A l’examen de ces données, on constate, dans les zones de plaines durant le néolithique, une
réduction du cheptel caprin qui peut s’expliquer, soit par un choix culturel et/ou par le
raccourcissement du système jachère-taillis (cf. article précédent). Les chèvres étant plus
efficaces que les vaches pour valoriser les broussailles et les taillis, quand la rotation des
cultures est trop courte pour permettre au taillis de s’installer, la jachère n’est plus qu’une zone
herbacée que les bovins exploitent mieux et amendent davantage.

On constate aussi le faible apport de viande fournie par les caprinés, ce qui peut inciter à
interpréter que le but principal de leur élevage n’est pas la production de viande. Il est possible
que, dès la fin du néolithique dans nos régions, la chèvre ait acquis le statut d’animal que l’on
garde « au toit », au piquet dans « l’ouche » à qui l’on fait grignoter les « palisses » – moyennant
quoi elle fournit à la famille du lait pour les enfants, quelques fromages, ceci dans le cadre d’une
économie domestique vivrière. Statut que globalement elle gardera dans notre région jusqu’au
développement du chemin de fer au XIXème siècle permettant de commercer plus loin, et
surtout au développement de l’industrie laitière dans la première partie du XXème siècle.

Pour conclure de manière à nourrir les débats actuels sur les maladies et l’influence de l’Homme
sur l’environnement, il n’est pas inutile de rappeler que la plupart des maladies infectieuses que
nous subissons sont des zoonoses, des maladies transmises à l’Homme par les animaux, et aussi

5
que l’invention de l’agriculture et sa diffusion sur des millénaires a bel et bien été la première et
la plus importante à ce jour « catastrophe » écologique provoquée par l’Homme….jusqu’à celle qui
s’annonce sur une échelle de temps beaucoup plus courte…

Fragment de faisselle Armature de flèche tranchante Armature de flèche perçante


Néolithique récent-final Narçay Néolithique moyen Narçay Néolithique final Narçay

(collection de l’auteur)

Bibliographie :
- « Les premiers paysans du Golfe – le Néolithique dans le Marais Poitevin » sous la direction de
Roger JOUSSAUME (Editions Patrimoines et Médias 1998)
- « Premiers Paysans du monde – Naissances des agricultures » –Séminaire du Collège de France-
sous la direction de Jean GUILAINE (Editions Errance 2000)
- « Les origines de la culture : les débuts de l’élevage » Jean-Denis VIGNE

Pour le Groupe Histoire de chèvres

Philippe Lacroix

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