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LE DOSSIER

[ MONNAIE ET FINANCEMENT ]
Investisseurs institutionnels
et marchés financiers
Valérie Oheix, À partir des années 1980, un double processus d’innovation
maître de conférences
financière et de déréglementation, principalement observé
en économie, EconomiX,
université Paris-X et CNRS (92). au départ dans les pays industrialisés, a permis le
développement des marchés financiers et d’intermédiaires
financiers non bancaires spécialisés dans la gestion collective
de l’épargne sur les marchés financiers : les investisseurs
institutionnels. Ces deux évolutions concomitantes ont
conduit à une profonde mutation des systèmes financiers,
qui ne s’est qu’en partie faite au détriment du rôle
traditionnellement joué par les banques en matière de collecte
de l’épargne et de financement de l’économie. Cette mutation
conduit à s’interroger sur le rôle des investisseurs
institutionnels dans le processus d’intermédiation et en
termes d’instabilité financière.

———————— e paysage financier des pays maillon dorénavant essentiel du

L
1. Pour une
présentation plus développés s’est profondé- processus d’intermédiation financière
détaillée, voir l’ouvrage au côté des banques.
ment modifié à partir des
très complet de Boubel
et Pansard [1]. années 1980 avec le dévelop-
Les chiffres entre pement concomitant des marchés
crochets renvoient
à la bibliographie
en fin d’article.
financiers et des investisseurs insti-
tutionnels. Ces derniers regroupent
[ Trois types d’investisseurs
institutionnels
différents types d’intermédiaires Les investisseurs institutionnels
financiers non bancaires qui sont peuvent être regroupés en trois
apparus et/ou se sont considéra- principales catégories : les organ-
blement développés. Les investis- ismes de placement collectif (OPC),
seurs institutionnels collectent des les compagnies d’assurance et les
fonds auprès des agents à capacité fonds de pension1. Quel que soit leur
de financement et les placent sur statut, ils ont tous pour caractéris-
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les marchés financiers, c’est-à-dire tique commune d’avoir une struc-


acquièrent des titres émis par les ture de bilan relativement similaire
agents à besoin de financement. Ils qui les distingue des banques. En
jouent, par conséquent, un rôle effet, l’actif du bilan des investisseurs
croissant dans la collecte de l’épar- institutionnels est constitué d’un
gne et son allocation au financement portefeuille diversifié d’actifs, essen-
de l’économie et constituent un tiellement d’actifs financiers négo-
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ciables. Quant à leur passif, il se LES FONDS DE PENSION centage du PIB ont été multipliés par
[ MONNAIE ET FINANCEMENT ]

compose d’engagements non Dans le cadre d’un système de 8 en Italie, par 4 en France et entre
négociables : parts d’OPC, réserves retraite par capitalisation, l’activité 2 et 3 dans les autres pays entre
d’assurances ou réserves de fonds des fonds de pension consiste à 1986 et 2001 (tableau 1). Ce sont
de pension. collecter des cotisations des salariés les trois pays dans lesquels l’industrie
et/ou des employeurs pour verser des fonds de pension est la plus
LES ORGANISMES de futures prestations de retraite. développée, à savoir les Pays-Bas, le
DE PLACEMENT COLLECTIF On distingue deux catégories de Royaume-Uni et les États-Unis, qui
Les organismes de placement col- fonds de pension : ceux à presta- atteignent un ratio très élevé de
lectifs (OPC) collectent des fonds tions définies et ceux à cotisations 191 %. En France, les actifs finan-
auprès d’agents non financiers définies. Les premiers offrent aux ciers des investisseurs institutionnels
(ménages et entreprises) ou d’autres épargnants une garantie sur les représentaient 131,8 % du PIB en
intermédiaires financiers et gèrent ———————— prestations futures, tandis que les 2001. Cela tient au poids de l’indus-
2. Qui sont à distinguer
un portefeuille d’actifs financiers, des OPCI (organismes seconds n’en offrent aucune. trie des OPCVM qui, en pourcentage
on parle alors d’OPCVM (organismes de placement collectif du PIB, est aussi développée qu’aux
en immobilier).
de placement collectif en valeurs 3. Il s’agit
États-Unis (tableau 2), et au déve-
Un développement
mobilières)2 en France qui peuvent
avoir le statut de fonds commun de
placement (FCP) ou de société
principalement
des sociétés
d’investissement
à capital variable (Sicav),
plus connues sous
[ considérable
mais diversifié
loppement de l’assurance vie, les-
quels compensent très largement
la quasi-inexistence de fonds de
d’investissement 3. Les OPCVM de Le poids des investisseurs institu- pension. Quant à la prépondérance
le nom de mutual funds
court terme (ou monétaires) acquiè- aux États-Unis. tionnels s’est fortement accru dans des compagnies d’assurance au
rent principalement des titres de 4. La gestion collective l’ensemble des pays industrialisés. Royaume-Uni (tableau 3), elle
se distingue
créance sur le marché monétaire, à de la gestion Les actifs financiers des investisseurs s’explique par le fait que les compa-
la différence des OPCVM de long sous mandat qui est institutionnels exprimés en pour- gnies d’assurance vie y ont déve-
effectuée pour le
terme qui investissent surtout en compte d’une personne
actions, en obligations ou de manière morale ou physique
donnée. La gestion
TABLEAU 1. ACTIFS FINANCIERS DES INVESTISSEURS
diversifiée. Ils proposent une gestion INSTITUTIONNELS (EN % DU PIB)
sous mandat est surtout
collective 4 et professionnelle des développée au

fonds et permettent ainsi aux Royaume-Uni où 1986 1991 1996 2001


ce sont les investisseurs
souscripteurs de diversifier leurs institutionnels, Allemagne 27,2 33,9 50,6 81
placements. notamment les fonds
Espagne n.d. n.d. 46,1 61,9
de pension, qui y ont
principalement recours. France 34,6 56,4 86,6 131,8
LES COMPAGNIES
D’ASSURANCE Italie 10,8 20,6 39 94
Les compagnies d’assurance collec- Pays-Bas 109 126,2 167,5 190,9
tent des fonds dans le cadre d’une Royaume-Uni 108,9 116,3 172 190,9
relation contractuelle qui vise à pro-
Japon n.d. 73,3 88,4 94,7
téger le souscripteur des pertes
États-Unis 102,4 124,2 162,9 191
consécutives à la réalisation d’un
risque. On distingue l’assurance dom- Source : OCDE, 2003.
mages (ou non-vie) de l’assurance
de personnes (ou vie). Il existe deux TABLEAU 2. ACTIFS FINANCIERS DES OPCVM
types de contrats d’assurance vie : (EN % DU PIB)
les contrats « en cas de décès » et
1986 1991 1996 2001
les contrats « en cas de vie » qui,
comme leurs noms l’indiquent, don- Allemagne 5,4 8,9 17,9 36,4
nent lieu au versement d’un capital Espagne n.d. n.d. 25 30,8
ou d’une rente suite au décès de France 19,8 33,8 38,6 62,8
l’assuré, pour les premiers, et, à
Italie 7,2 3,9 10,4 33,5
38 [idees 148 / 6. 2007

condition que l’assuré demeure en


vie, pour les seconds. Ce sont ces Pays-Bas 8,3 10,3 15,8 22,6
derniers qui ont connu un dévelop- Royaume-Uni 14,2 13 24 27,4
pement très important au cours des Japon n.d. 8,3 8,6 9,5
dernières décennies dans un certain
États-Unis 16,4 23 43,2 65,4
nombre de pays, notamment au
Royaume-Uni et en France. Source : OCDE, 2003.
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remises en cause, elles ont large-

[ MONNAIE ET FINANCEMENT ]
TABLEAU 3. ACTIFS FINANCIERS DES COMPAGNIES
D’ASSURANCE (EN % DU PIB) ment contribué au considérable
développement de l’assurance vie
1986 1991 1996 2001 en France et, par conséquent, à la
Allemagne 19 22,1 30 41,3 détention indirecte d’obligations par
Espagne n.d. n.d. 15,4 22,8 les ménages français. La création du
plan d’épargne en actions (PEA) en
France 14,8 22,6 48 69
1992 et plus récemment l’émer-
Italie 3,5 6,3 11,8 22,3
gence de l’épargne salariale ont
Pays-Bas 31,1 40,2 56 61,8 ———————— permis, via les avantages fiscaux qui
5. Qui prennent
Royaume-Uni 43 48,7 78,9 97,1 la forme de personal s’y rattachent, d’accroître la déten-
pension plans.
Japon n.d. 43,9 56,4 60,3 6. Augory C.,
tion directe et indirecte d’actions. Ce
Boutillier M. sont aussi des dispositions fiscales
États-Unis 28,3 34,3 38,6 40,5 et Séjourné B.,
« L’épargne des
avantageuses qui ont conduit à
Source : OCDE, 2003. ménages français l’essor rapide des plans d’épargne
à l’horizon 2010 :
salariale d’entreprise – ou plans
l’influence
TABLEAU 4. ACTIFS FINANCIERS DES FONDS DE PENSION 401(k) – et plus récemment des
de la démographie »,
(EN % DU PIB) Épargne plans d’épargne retraite individuels
et Financement,
1986 1991 1996 2001 juillet 2002, n° 11, – Individual Retirement Accounts ou
Allemagne 2,7 2,9 2,8 3,3
CDC IXIS. IRA – qui sont les deux principales
7. Grillet-Aubert L.
et Pansard F.,
formes de fonds de pension à
Espagne n.d. n.d. 5,7 8,2
« La gestion collective cotisations définies aux États-Unis7.
France 0 0 0 0 aux États-Unis », Revue
Ces produits ont la particularité
mensuelle de l’AMF,
Italie n.d. 4 3,2 4,4 mai 2005, n° 14. commune de favoriser la détention
Pays-Bas 69,7 73,5 93,1 105,1 indirecte d’actions via l’acquisition
de parts d’OPCVM et par conséquent
Royaume-Uni 51,7 54,7 69 66,4
l’institutionnalisation de l’épargne.
Japon n.d. 11,5 15 18,5 La politique fiscale a ainsi été uti-
États-Unis 39,6 46,9 60,7 63 lisée, en France mais aussi aux
États-Unis, pour orienter l’épargne
Source : OCDE, 2003.
des ménages vers la détention
directe et surtout indirecte de valeurs
loppé une activité d’épargne retraite loppés sont un indéniable facteur mobilières et ainsi promouvoir
spécifique en proposant des produits d’explication du développement l’épargne longue [1].
destinés aux ménages5, mais aussi de l’industrie des fonds de pension
aux fonds de pension (tableau 4) aux Pays-Bas et dans les pays ÉCONOMIES D’ÉCHELLE ET
qui leur confient alors des mandats anglo-saxons. En France, où n’existe COÛTS DE PARTICIPATION
de gestion [1]. qu’un système de retraite par La gestion collective de l’épargne est
répartition, l’incertitude relative au efficiente en termes d’économies
SYSTÈME DE RETRAITE versement futur des retraites a très d’échelle, puisqu’elle permet de
ET ÉVOLUTION certainement contribué à la consti- mieux répartir les coûts liés à la
DÉMOGRAPHIQUE
tution par les ménages d’une épar- gestion d’un portefeuille de titres.
Il apparaît donc que la part relative gne de précaution via la détention Les coûts fixes de l’activité de gestion
des différentes catégories d’inves- de parts d’OPCVM et de produits d’actifs sont alors mutualisés et les
tisseurs institutionnels dépend d’assurance vie6. coûts unitaires de transaction décrois-
évidemment de l’existence d’un sent quand le montant d’actifs gérés
système de retraite par capitalisation L’INFLUENCE s’accroît.
et de son importance relative par DE LA FISCALITÉ L’évolution technologique, à savoir
rapport au système par répartition. Cependant, la souscription de l’essor des nouvelles technologies
39 [idees 148 / 6. 2007

Cependant, cet élément ne permet contrats d’assurance vie par les de l’information et de la communi-
pas à lui seul d’expliquer le déve- ménages français s’explique dans cation (NTIC), a par ailleurs participé
loppement généralisé de la gestion une large mesure par une fiscalité à une diffusion de l’information
institutionnelle de l’épargne. L’évo- avantageuse, en termes de réduc- plus large, plus rapide et à moindre
lution démographique et plus tion d’impôts et en matière succes- coût. Le développement des mar-
particulièrement le vieillissement de sorale. Même si ces réductions chés financiers et des innovations
la population dans les pays déve- d’impôts ont été progressivement financières a cependant accru la
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complexité et la technicité des opé- dans les pays d’Europe continentale institutionnelle est le plus massive-
[ MONNAIE ET FINANCEMENT ]

rations financières. Dès lors, les inves- où les banques collectaient tradi- ment orientée vers le marché des
tisseurs institutionnels permettent tionnellement la majeure partie de actions, à hauteur de 65 % en 2001.
également de bénéficier du savoir- l’épargne des ménages. C’est dans Ce chiffre a cependant diminué, en
faire de gestionnaires professionnels. ces pays que la contribution des ins- raison du durcissement en 1995 de
Le concept de coût de participation, ———————— titutions financières non monétaires la réglementation s’appliquant aux
8. Pansard F.,
proposé par Allen et Santomero « Un examen (IFNM) au taux d’intermédiation de fonds de pension britanniques à
de la politique
[2 et 3], traduit l’idée que les agents la richesse financière des ménages prestations définies et, plus récem-
de placement
non financiers ne disposent ni du des investisseurs (graphiques 1 et 2) a le plus forte- ment, du fait des craintes de non-
temps ni des compétences suffi- institutionnels au plan ment augmenté [4]. respect des exigences de solvabilité
international »,
santes à la gestion moderne d’un Revue mensuelle Les investisseurs institutionnels ont suite à l’explosion de la bulle spé-
portefeuille. de l’AMF, donc largement supplanté les culative sur les valeurs technolo-
juin 2005, n° 12.
banques dans la collecte de giques8. La part des actions dans les
l’épargne des agents non financiers actifs financiers des investisseurs
Réintermédiation
[ de l’épargne
et des financements
et servent dorénavant d’intermé-
diaires entre les agents non finan-
ciers et les marchés financiers [5].
institutionnels est légèrement
supérieure à 40 % aux États-Unis,
aux Pays-Bas et en France, mais
La diminution de la détention directe En drainant l’épargne des agents non recouvre des réalités très différentes.
de titres depuis le début des années financiers vers les marchés financiers, Il existe un fort biais en faveur des
1990 tend plutôt, à première vue, à ils contribuent à l’accroissement du actions domestiques aux États-Unis,
corroborer l’existence de coûts de financement de l’économie via tandis que les investisseurs institu-
participation au marché. Le taux l’émission de titres. L’analyse de la tionnels néerlandais contribuent très

[ La part des actions dans les actifs financiers


des investisseurs institutionnels
est légèrement supérieure à 40 %
aux États-Unis, aux Pays-Bas et en France ]
d’intermédiation de la richesse finan- structure de portefeuille des inves- largement à l’internationalisation des
cière des ménages est demeuré tisseurs institutionnels (tableau 5) portefeuilles des ménages en raison
stable ou a augmenté dans tous les indique sur quels marchés sont de l’étroitesse du marché boursier
pays, alors que la part de l’épargne investis les fonds collectés. domestique par rapport au poids des
bancaire a significativement diminué C’est au Royaume-Uni que l’épargne fonds de pension et qu’en France la

TABLEAU 5. PARTS DES ACTIONS* ET DES OBLIGATIONS DANS LES ACTIFS FINANCIERS DES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS

Actions Obligations
1986 1991 1996 2001 1986 1991 1996 2001
Allemagne 8,6 9,6 14,0 24,4 39,3 40,7 42,9 42,3
Espagne n.d. n.d. 7,7 24,3 n.d. n.d. 49,6 49,5
France 30,6 19,8 25,0 42,9 53,6 66,4 61,2 47,4
Italie 25,5 10,3 12,1 18,1 67,9 75,4 74,6 54,0
40 [idees 148 / 6. 2007

Pays-Bas 12,1 16,5 28,4 43,2 16,6 18,7 29,1 30,7


Royaume-Uni 66,7 69,5 67,2 64,9 19,2 13,4 15,7 15,2
Japon n.d. 23,9 16,8 15,7 n.d. 35,6 47,4 56,2
États-Unis 26,8 28,9 42,1 44,1 42,6 43,9 37,7 35,5
* Actions cotées, non cotées et autres participations.
Source : OCDE.
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détention d’actions non cotées et

[ MONNAIE ET FINANCEMENT ]
GRAPHIQUES 1 ET 2. CONTRIBUTION DES IFNM * AU TIF DE LA RICHESSE FINANCIÈRE DES MÉNAGES
autres participations prédomine. La
70,0 prépondérance des obligations au
Japon et en Italie tient à l’importance,
respectivement croissante et décrois-
60,0
sante, du financement de la dette
publique dans ces deux pays [4].
50,0
ALLONGEMENT
DE LA CHAÎNE
40,0 D’INTERMÉDIATION
La part des investissements des
30,0 investisseurs institutionnels auprès
d’autres institutions financières est
20,0 de plus en plus conséquente. D’une
part, les banques émettent de plus
en plus de titres pour se financer et
10,0
compenser le recul de l’épargne
bancaire ; or ces titres sont principa-
0,0 lement acquis par les investisseurs
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 institutionnels. D’autre part, le déve-
loppement de produits tels que le
Pays-Bas États-Unis
PEA en France, les plans de retraite
Royaume-Uni Japon
individuels ou d’entreprise à cotisa-
UE 6
tions définies dans les pays anglo-
saxons9, les contrats d’assurance vie
70,0 en unités de comptes10, les fonds
de fonds accroissent la détention
directe et surtout indirecte de parts
60,0
d’OPCVM11. Cela se traduit par un
allongement croissant de la chaîne
50,0 d’intermédiation [6, 4 et 1].

40,0 DIVERSIFICATION
DES PLACEMENTS
Les innovations financières, permises
30,0
par la déréglementation et initiées
par les intermédiaires financiers, ont
20,0 donc permis d’accroître de manière
très significative la diversification de
10,0 l’épargne. Il existe à présent une rela-
tion symbiotique entre les intermé-
diaires financiers et les marchés [7],
0,0
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 qui passe par un allongement de la
chaîne d’intermédiation auquel l’es-
Allemagne France sor considérable des investisseurs
Espagne Italie

————————
41 [idees 148 / 6. 2007

9. Mais pas aux Pays-Bas, où la quasi-totalité des


fonds de pension sont toujours à prestations définies.
*. Le terme d’IFNM ne recoupe pas exactement le périmètre des investisseurs institutionnels tel que précédemment défini. Il exclut 10. Qui ne représentaient cependant que 20 % des
en effet les OPCVM monétaires, sauf au Japon, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni : pays où leur activité est très peu développée. Ces avoirs des ménages français en assurance vie
graphiques sous-estiment donc le rôle des investisseurs institutionnels aux États-Unis, en France et en Italie où les OPCVM en 2004.
monétaires jouent un rôle conséquent dans la collecte de l’épargne des ménages. C’est pourquoi la hiérarchie des pays diffère de 11. Aux États-Unis, en 2003, les parts de mutual
celle du tableau 1. UE6 : moyenne pondérée par les patrimoines financiers dans les six pays de l’Union européenne. funds et de contrats d’assurance représentaient près
de 50 % du portefeuille des fonds de pension à
Source : Comptes financiers nationaux, calculs EconomiX, cotisations définies qui gèrent 60 % des actifs des
d’après la méthodologie de Boutillier et al. [4]. fonds de pension américains.
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institutionnels contribue largement. le contrôle exercé par les groupes nettement plus limité en Europe.
[ MONNAIE ET FINANCEMENT ]

Le développement des innovations bancaires et les groupes d’assurance L’importance de la titrisation des
financières et la complexification du sur l’activité des OPCVM et, d’autre prêts hypothécaires aux États-Unis
processus d’intermédiation qui en part, le poids des banques dans la tient à un mécanisme institutionnel
résulte visent à satisfaire la demande ———————— distribution de produits d’assurance spécifique : l’existence d’intermé-
12. Les titres de la dette
de diversification des placements vie [1]. Ils montrent que la tendance diaires financiers bénéficiant de la
directe étant émis
des agents non financiers, mais aussi, par les agents généralisée à l’institutionnalisation garantie implicite ou explicite de
non financiers.
et de plus en plus, celle des inter- de l’épargne a très largement été l’État fédéral14. Près de la moitié de
13. À l’exception notable
médiaires financiers eux-mêmes. des États-Unis initiée par les banques en Europe l’encours des crédits hypothécaires
Cela renvoie aux travaux de Gurley et de l’Italie où continentale, alors qu’au Royaume- fait l’objet d’un refinancement aux
la détention directe
et Shaw [8 et 9]. Ces deux auteurs de titres représente Uni, banques et assurances y ont États-Unis et donc d’un transfert du
ont en effet proposé un cadre d’ana- toujours près de 30 % contribué à parts égales. Aux États- bilan des banques vers celui des
de la richesse financière
lyse unifié dans lequel les inno- des ménages [4].
Unis, un tel phénomène n’a pas investisseurs institutionnels. Le risque
vations financières sont initiées par 14. Il s’agit des encore été observé compte tenu de de crédit ainsi cédé par les banques
government sponsored
les institutions financières (IF) en l’abrogation récente en 1999 du aux investisseurs institutionnels,
entreprises (GSE)
réponse à la concurrence avec les qui ne sont pas Glass-Steagall Act qui imposait la notamment aux compagnies d’assu-
des investisseurs
autres IF et les marchés. La princi- séparation des activités de banque, rance, serait alors in fine transféré
institutionnels, mais
pale fonction des IF réside dans la des auxiliaires financiers. d’assurance et de gestion d’actifs. aux ménages qui sont les détenteurs
transformation des échéances, des Voir : Demartini A. finals des actifs des investisseurs
et Pansard F.,
services et des risques associés aux « Quelle est l’ampleur institutionnels. Selon Allen et
titres de la dette indirecte (émis par
les IF)12 afin de satisfaire la demande
de la titrisation aux
États-Unis
et en Europe ? »,
[ L’évolution
de la gestion du risque
Santomero [2 et 3], compte tenu de
toutes ces innovations, la gestion du
de diversification des agents à Revue mensuelle Le recul de la détention de produits risque est devenue une fonction
de l’AMF,
capacité de financement. d’épargne bancaire par les ménages, essentielle des intermédiaires finan-
juillet-août 2005, n° 16.
au profit de la détention majoritai- ciers. En revanche, pour Sholtens et
DIVERSIFICATION rement indirecte de titres négo- van Wensveen [11], la gestion du
DES BANQUES ciables13, tend cependant à réduire risque s’est certes fortement
L’essor des investisseurs institution- l’importance du lissage intertemporel complexifiée avec les récentes inno-
nels n’implique pas pour autant la du risque réalisé par les banques au vations financières, mais elle a

[ la gestion du risque est devenue


une fonction essentielle
des intermédiaires financiers ]
mort ou le déclin des banques. La bénéfice du partage instantané du toujours constitué une fonction
déréglementation leur a en effet risque qui s’effectue sur les marchés essentielle exercée par les intermé-
permis de considérablement diver- financiers [7 et 10]. De plus, grâce diaires financiers.
sifier leurs activités, au-delà de leur aux innovations financières que sont
métier traditionnel d’octroi de crédits les produits dérivés et la titrisation L’approche fonctionnelle
et de collecte de dépôts. Les princi-
pales banques sont aujourd’hui des
conglomérats financiers associant les
de créances, la gestion du risque
s’effectue de plus en plus via les
marchés financiers. Les dérivés de
[ de l’intermédiation
financière
activités de banque, d’assurance et crédit, qui permettent aux banques Cependant, tous ces auteurs adhè-
42 [idees 148 / 6. 2007

de gestion d’actifs. Le modèle de la de transférer le risque de crédit, et rent à l’approche fonctionnelle de la


bancassurance s’est notamment la titrisation de créances ont respec- financial services view [12 et 13] qui
fortement répandu dans les pays tivement connu une progression met l’accent sur la stabilité des
d’Europe continentale. Deux indi- géométrique aux États-Unis dans la fonctions exercées par les intermé-
cateurs traduisent cette imbrication seconde moitié des années 1990 et diaires et les marchés financiers, au-
croissante entre banques et inves- à partir du début des années 1980. delà de la structure institutionnelle
tisseurs institutionnels : d’une part, Leur développement demeure d’un système financier donné et de
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son évolution via le processus d’inno- gnante, ils ont massivement recours aucune réglementation en la matière,

[ MONNAIE ET FINANCEMENT ]
vation financière. L’approche fonc- à l’endettement, notamment auprès notamment aux compagnies d’assu-
tionnelle permet ainsi de dépasser des banques, mais aussi aux produits rance et de plus en plus aux fonds
la vision dichotomique traditionnelle dérivés, ce qui leur permet de géné- spéculatifs. Cela conduit à s’inter-
qui oppose les systèmes orientés rer un effet de levier très important. roger sur les conséquences en
marchés aux systèmes orientés La quasi-faillite du fonds LTCM15 en termes de risque systémique du
banques [14]. 1998, en liaison avec la crise de la développement de ces innovations
Selon Scholtens et van Wensveen dette russe, illustre fort bien la poten- financières et de la complexification
[11], une théorie pertinente de tialité d’une crise systémique 16 . qu’elles induisent dans les relations
l’intermédiation financière devrait De plus, l’évolution de la gestion du entre les différentes catégories
intégrer à la fois la dynamique des risque par les banques, via l’essor d’intermédiaires financiers et entre
innovations financières et le proces- des dérivés de crédit et de la titri- celles-ci et les marchés financiers17,
sus complexe de transformation sation de créances, se traduit par un et par conséquent sur l’évolution
financière, afin d’analyser la montée transfert partiel du risque de crédit possible de la réglementation
en force de l’industrie des OPCVM ———————— aux investisseurs institutionnels qui prudentielle des investisseurs
15. Dont le sauvetage
en France et aux États-Unis comme a été effectué à ne sont généralement soumis à institutionnels. ]
l’initiative de la Réserve
l’offre de nouveaux services de
Fédérale de New York.
transformation financière. Cela 16. Boyer R., Dehove M.
renvoie à l’approche unitaire de et Plihon D.,
Les Crises financières,
Gurley et Shaw, dont les dévelop- Rapport pour le Conseil
pements récents de la théorie de d’analyse économique,

l’intermédiation financière intègrent


Paris, La Documentation
française, 2004.
BIBLIOGRAPHIE
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[ institutionnels
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n’exercent pas de rôle déstabilisa- [9] GURLEY J. G., SHAW E. S., Money in a Theory of Finance, Washington, D.C., Brookings
teur sur les marchés financiers [1]. Institution, 1960.

Une catégorie particulière d’inves- [10] ALLEN F., GALE D., « Financial markets, intermediaries, and intertemporal smoothing »,
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tisseurs institutionnels, les fonds
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aux autres investisseurs institution-
[14] LEVINE R., « Bank-based or market-based financial fystems : Which Is Better ? », Journal
nels, quoique difficile à évaluer du of Financial Intermediation, vol. 11, 2002, p. 398-428.
fait de leur caractère offshore. Non [15] G ERTLER M., « Financial structure and aggregate economic activity : an overview »,
soumis à une réglementation contrai- Journal of Money, Credit and Banking, vol. 20, 1988, n° 3, part. 2, p. 559-588.
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