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Commentaire : Première apparition de Trimalcion.

Le texte que nous allons étudier débute « Cena Trimalchionis » : Le festin de Trimalcion. Il
fait partie, comme récit enchâssé, du célèbre Satiricon ou Satyricon, roman latin écrit par
Pétrone qui reste pour nous un auteur énigmatique puisqu’on ne sait s’il fut un proche de
l’empereur Néron ou s’il vécut plutôt au IIème siècle après JC. Ce récit, riche en péripéties et
en figures baroques, qui inspira au metteur en scène italien Federico Fellini un film étrange et
déroutant peut prêter à différentes interprétations. Le narrateur, Encolpe, accompagné de ses
amis Ascylte et Giton, se voit invité à un banquet par Trimalcion, affranchi richissime dont il
fait le portrait. Nous verrons en quoi ce texte est intéressant. Tout d’abord nous étudierons
combien la narration se veut distrayante pour ensuite nous pencher sur la description d’un
personnage extravagant, Trimalcion.
I) Une narration amusante.
Le texte et la narration s’inscrivent dans une atmosphère d’amusement et de distraction
comme le souligne le lexique du jeu assez présent « jocari » : plaisanter et plusieurs
occurrences du verbe « ludo » : jouer.
a) Un narrateur admiratif et surpris.
Le narrateur est en fait « Nos » qui débute notre passage : il représente les trois
personnages que nous suivons depuis le début du roman : Encolpe, Ascylte et Giton. Ce
sont des narrateurs personnages qui nous permettent d’entrer dans certains éléments de la
réalité romaine : ici celle des affranchis. Leur arrivée dans n’importe quel endroit de
façon un peu inopinée nous fait penser à celle du picaro, personnage romanesque
espagnol. L’étrangeté ou l’originalité du personnage ( n’est-ce pas le sens de « res
novas » : nouveauté , nom lui-même mis en valeur par l’adverbe « etiam ») qu’ils ne
connaissent pas et chez qui ils sont invités grâce à Agamemnon, professeur de rhétorique
d’Encolpe suscitent chez eux de l’intérêt puisqu’ils voient en lui un objet de
« spectaculum ». Ils donnent d’ailleurs des détails très précis sur ce qu’ils voient avec des
phrases relativement longues, enrichies de propositions relatives « quorum ….. », « quae
…. ». Le verbe « miramur » : nous admirons et le nom mélioratif « lautitias » faste
traduisent bien l’enchantement des trois comparses. L’expression « operae pretium » qui
qualifie l’attitude des esclaves fait naître l’idée d’hyperbole pour l’action de Trimalcion
puisque celle-ci est supérieure par sa qualité.

b) Un effet de suspense et de mise en scène.


On remarquera que le personnage de Trimalcion n’est pas nommé tout de suite pour créer
un effet d’attente comme le lecteur en a l’habitude dans les romans. Son arrivée est
présentée comme une espèce de coup de théâtre souligné par l’adverbe « subito ». Pour
bien insister sur cette apparition, le narrateur joue sur les contrastes. Trimalcion apparaît
d’abord nommé comme « un senex » qui s’oppose aux « pueri ». Lui qui est « calvus »
chauve offre une antithèse avec les « capillati » : les chevelus, au début de l’extrait,
ensuite comme « pater familiae ». Avant de prononcer enfin son nom « Trimalchio » ,
Ménélas le présente de façon très cérémonieuse avec le démonstratif « hic est » : « Voici
celui ». L’utilisation du discours direct donne aussi une certaine vivacité à la scène. On
remarquera que le personnage bénéficie pour son entrée dans le roman d’une certaine
mise en scène qui ne peut que plaire au lecteur, pris lui-même comme témoin de la
situation : le présent de narration « videmus », « Menelaus accurrit » nous rend proches
des péripéties et d’un personnage qui ne manque pas de relief.

II) Trimalcion, un personnage extravagant.


Son nom est significatif de sa démesure puisque le préfixe « tri » signifie trois en latin et que
malchio vient sans doute d’une racine sémitique « malk » qui veut dire « roi » ou « puissant »
. Doit-on voir dans ce personnage une parodie ou caricature de l’empereur ? Mais on retrouve
ce nom dans une épigramme de Martial et il désigne un débauché. On sait que Trimalcion
vient « ex Asia » comme il le dit lui-même au chapitre 75.
a)Un personnage ridicule : une caricature physique = une créature satirique ( au sens de pot-
pourri, mélange et de critique). Ses caractéristiques physiques sont plutôt négatives :
« senex » et « calvus », même si finalement on a peu d’indications sur son corps. Le narrateur
insiste plutôt sur son habillement « tunica russea » : « rouge » qui démontre un certain désir
de se montrer. Ce goût des couleurs voyantes se retrouve dans le choix des balles « prasina » :
vert poireau et l’on verra dans la suite du récit d’autres teintes : « cerasina » : rouge cerise. On
peut associer aussi cette inclination au désir du luxe : en effet, Trimalcion est un nouveau
riche et en cela il cherche toujours à le montrer. Même son « matella » : pot de chambre est en
argent. On remarque qu’il est aussi chaussé de sandales « soleatus » : le fait que le narrateur
le signale montre que ce n’est pas habituel. Les sandales sont normalement réservées à
l’intérieur de la maison et Trimalcion est ici en dehors de chez lui puisqu’il est aux bains. Est-
ce de la provocation ? Nous verrons cela dans l’étude de ses caractéristiques morales.
b) Une caricature morale. Et l’on prendra alors le titre Satyricon avec un y puisque les satyres
sont des débauchés. Son côté débauché est montré par son lien avec les jeunes gens qui sont
ses mignons « capillatos ». Lui-même dans son autobiographie raconte qu’il a été le mignon
de son maître et de sa maîtresse. Il est aussi critiqué dans son côté puéril : alors qu’il est un
« senex », il est « ludentem » : en train de jouer et c’est la première image qu’ont les
narrateurs. On voit que c’est une activité importante pour lui car elle est décrite sur plusieurs
phrases. Ensuite on montre son manque de retenue, de pudeur puisqu’il urine en public
« vesica exonerata » et que c’est son habitude puisqu’un esclave est spécialisé dans le port du
pot de chambre. Son geste de claquement des doigts « concrepuit digitos » le rapproche de
manière parodique d’un empereur auquel on obéit « ad quod signum… » immédiatement.
Comment ne pas penser d’ailleurs à Néron, qui lui aussi mettait en scène tel un comédien le
moindre de ses gestes ? Trimalcion ne partage-t-il pas avec le célèbre empereur un certain
goût de la liberté ?
En conclusion, nous voyons que Trimalcion se présente comme un riche parvenu, excessif et
qu’il suscite chez ses visiteurs un certain intérêt. Il est bien la marque d’une partie de la
société romaine, celle des riches affranchis qui n’est pas tout à fait acceptée puisque le
narrateur insiste sur son côté ridicule dès le début du récit. L’attitude d’un hôte aux mœurs un
peu grossières qui étonne par sa prodigalité deviendra un topos littéraire puisque nous voyons
des héritiers de Trimalcion dans le personnage de Mme Verdurin chez Proust ou de Gatsby
dans le roman éponyme de Scott Fitzgerald.

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