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En France, l’Etat occupe une place très particulière : il est souvent décrié -
notamment à travers ses fonctionnaires et particulièrement les enseignants - mais en
même temps on attend presque tout de lui. Cela tient, sans doute, au caractère très
centralisateur que l’Etat a adopté dès le Moyen Age et qu’il a conservé, par-delà la chute
de l’Ancien Régime, sous les différentes républiques qui se sont succédées, au moins
jusqu’aux années 80 du XXe siècle. La plus longue d’entre elles, la IIIe (1870-1946) vous
a été présentée en première et vous savez donc qu’elle a sombré parce qu’une partie de
sa classe politique s’est déshonorée en soutenant une politique de collaboration avec le
IIIe Reich, politique qui a été mise en œuvre par une administration qui s’est discréditée.
Dès lors, au sortir de la guerre, il fallait reconstruire. Quel modèle de gouvernement a-
t-on alors choisi ? Comment l’affirmation de l’opinion publique et l’accélération de
la mondialisation le remettent-elles partiellement en cause au mitan des années
80? Comment l’Etat répond-il à ces remises en cause ? Ce sont les questions que
nous allons tour à tour aborder dans ce chapitre.
- l’« État gendarme » qui assure les fonctions régaliennes afin de maintenir
l’ordre politique et social : justice, police, défense.
- L’État comme instituteur de social : il doit renforcer la cohésion d’une
société d’individus en développant des règles juridiques, économiques, bref
fabriquer du Français.
- L’État comme « réducteur d’incertitudes », par exemple en créant une
sécurité sociale en 1945. C’est, si vous voulez, l’État Providence, mais pas
seulement.
- L’État régulateur, avec la planification et les nationalisations par exemple.
S’il ne m’est pas possible de revenir sur l’histoire de chacune de ces fonctions, par
contre, il me paraît indispensable de vous montrer que notre Etat-Nation est un héritage
de l’Histoire.
1 Très exactement, la bulle mentionnée déclare que « le roi de France ne reconnaît personne qui lui soit supérieur au
temporel »
le sentiment républicain en transformant des paysans en Français comme vous l’avez vu
en première. Au terme de ce parcours, la France est à la fois une République et une
démocratie, deux concepts que nous avons le tort, au quotidien, de fusionner alors qu’ils
sont distincts.
Le Président de la République qui est élu par l’Assemblée ne jouit, que de pouvoirs
restreints, principalement de représentation. Certes il nomme le Président du Conseil
qui occupe Matignon mais la Chambre peut renverser le gouvernement par un vote de
défiance à l’encontre de n’importe quel ministre et non pas du seul Président du Conseil.
Résultat, le régime est un régime extrêmement instable : entre 1946 et 1958 la
France a connu 22 gouvernements souvent d’ailleurs composés des mêmes hommes
politiques qui occupaient des ministères différents dans des gouvernements successifs.
A titre d’exemple, François Mitterrand a été onze fois ministre entre 1947 et
19572. L’instabilité de la IVe République vient du scrutin proportionnel et de
l’opposition systématique que le PCF, aligné sur l’URSS mène aux gaullistes. Résultat, des
2Il a été ministre des Anciens Combattants et Victimes de Guerre dans les gouvernements Ramadier puis Schuman, de 1947 à 1948 ;
secrétaire d’État à la Présidence du Conseil chargé de l’information dans les gouvernements Marie, Schuman et Queuille, de 1948 à
1949 ; ministre de la France d’Outre-Mer puis ministre d’État des gouvernements Pleven, Queuille et Faure, de 1950 à 1952 ;
ministre délégué au Conseil de l’Europe du gouvernement Laniel, de 1952 à 1953 ; ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès
France, de 1954 à 1955 ; enfin ministre d’État de la Justice dans le gouvernement de Guy Mollet et cela jusqu’en juin 1957.
majorités stables sont introuvables dans la durée. Pour autant, malgré des oppositions
partisanes, la grande majorité des députés partage un certain nombre de valeurs issues
de la Résistance et considère que l’Etat doit être un agent de modernisation et de
démocratisation de la société, nous le verrons plus loin. Sa continuité est assurée par de
hauts fonctionnaires sur lesquels je reviendrai après vous avoir présenté les
changements institutionnels majeurs intervenus sous la Ve République.
Le nouveau régime met fin à la République des députés puisque l’Assemblée nationale
y perd son droit d’investiture du gouvernement et la maîtrise de son ordre du jour : le
travail législatif est encadré et le gouvernement peut y faire adopter un texte sans débat
ni vote en vertu de l’article 49-3, la seule restriction étant la possibilité d’une motion de
censure renversant le gouvernement.
3. L’Etat est servi par des hauts fonctionnaires zélés et formés selon la
volonté de l’Etat4.
3Paradoxalement la Constitution ne prévoit rien sur la fin de fonction du Premier ministre, raison pour laquelle plusieurs Présidents
ont demandé à ceux qu’ils avaient désigné à ce poste de leur signer une lettre de démission.
4 Cf l’ouvrage de Jean-Michel Gaillard, L’ENA miroir de l’Etat de 1945 à nos jours, 1995.
pas frapper trop fort. De Gaulle et d’autres pensent donc qu’il faut, une fois le pays
relancé, le doter d’une nouvelle génération de cadres sûrs, capables de mener à bien non
seulement la reconstruction nécessaire mais aussi de faire face à de nouvelles missions
de l’Etat. Il charge donc Michel Debré de mettre sur pied une école destinée à former ces
hauts fonctionnaires et d’imaginer un circuit de formation qui leur permettra d’intégrer
l’ENA (Ecole Nationale d’Administration). L’ordonnance du 9 octobre 1945 qui lui donne
naissance prévoit également la filière qui permettra le recrutement qui doit se faire à
partir d’Instituts universitaires d’études politiques localisés à Paris et en province (IEP).
Le recrutement sur concours doit permettre de pourvoir les postes de hauts
fonctionnaires avant leur formation dans une école qui « s’efforcera de développer en
eux le sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne ». A leur sortie, en
fonction de leur classement, ils intègrent différents corps de la fonction publique d’Etat.
Les premiers, ceux qui sont sortis dans la « botte » choisissent généralement les « grands
corps » à savoir la Cour des Comptes (Fleur Pellerin, promotion Averroès en 2000),
l'Inspection générale des finances (Emmanuel Macron, major de la promotion Leopold
Sedar Senghor en 2004), le Conseil d’Etat (Laurent Wauquiez, major de la promotion
Nelson Mandela en 2001). Beaucoup préfèrent pantoufler et rejoindre de grandes
entreprises privées. A noter une promotion un peu mythique, la promotion Voltaire
(1978), celle du Chef de l’Etat qui fait l’objet d’un regard critique dans la fiction L’Ecole
du pouvoir5 réalisée en 2008 par Raoul Peck. Elle a dû se frotter à la réalité du pouvoir
très peu de temps après sa sortie, en raison de l’élection de F. Mitterrand. Comment
cette énarchie, ces grands commis de l’Etat ont-ils géré et continuent-ils à gérer la
France ?
5 Alors qu'ils ont réussi le grand oral du concours d 'entrée de l'ENA, Caroline, Matt, Abel, Laure et son frère Louis se retrouvent avec
fierté sur les bancs de la plus prestigieuse école supérieure française, bien décidés à changer le monde. En cette rentrée 1977, la
majorité et la présidence sont à droite depuis plus de vingt ans et ceux de la promotion Voltaire se jurent de faire évoluer de
l'intérieur un système qu'ils jugent inégalitaire et obsolète. A commencer par celui qui régit leur école... Mais leurs années à l'ENA,
qui voient se succéder les victoires et les désillusions des uns et des autres, ne sont qu'une répétition de ce qui les attend à leur
sortie, en 1980 : la première manche d 'une lutte acharnée pour le pouvoir. Aguerris dès leurs premiers stages sur le terrain, certains
sauront alors user de toutes leurs armes. D'autres, constamment écartelés entre leurs rêves de jeunesse et leurs nouvelles
responsabilités, peineront à s'engager dans la voie du compromis. Car l'Histoire n'attend pas. Appelés au front un an plus tard et
propulsés, avec la victoire de François Mitterrand, dans les arcanes de l'État, ces jeunes énarques seront sommés de faire des choix
dont leur carrière dépend, autant que l'avenir de la France...
Globalement, jusqu’aux années 80, l’Etat en France a été keynésien et
modernisateur. Porté par la conjoncture favorable des Trente glorieuses, il n’a pas fait
l’objet de critiques importantes avant 1968 et n’a pas fondamentalement remis en cause
ses choix jusqu’au septennat de Valéry Giscard d’Estaing dont le premier ministre
Raymond Barre (1976-1981) a fait prendre un tournant plus libéral à la France.
Les événements de mai 1968 (symbolisés par des slogans libertaires tels que « il
est interdit d’interdire » ou « Sous les pavés la plage ») sont aujourd’hui décriés par une
bonne partie de la droite et des intellectuels comme ayant porté atteinte à la grandeur
de la France et occasionné son déclin. De quoi s’agit-il exactement ? D’un mouvement de
révolte spontanée de nature politique, sociale et culturelle dirigé contre le pouvoir
gaulliste (« Dix ans, ça suffit ») et plus largement le modèle de société en place. Ce
mouvement s’accompagne d’affrontements violents entre la police et la jeunesse
estudiantine. Peu à peu la protestation s’étend au monde ouvrier et un mouvement de
grève massif touche l’ensemble du pays. Dans un premier temps, le général de Gaulle est
dépassé mais très vite il se reprend, dissout l’Assemblée nationale le 29 mai et convoque
donc des élections qui assurent une très large majorité aux gaullistes. Cela n’empêche
pas le gouvernement de G. Pompidou de négocier les accords de Grenelle qui
aboutissent à des améliorations sociales et notamment à la semaine de 40 heures. Les
grèves cessent progressivement durant le mois de juin. Dans cette crise, les médias et
notamment les radios périphériques (RTL baptisée « Radio Emeute » dans l’entourage
de Pompidou) ont joué un rôle crucial et c’est d’ailleurs à la radio que le Général de
Gaulle a repris la main ; à la télévision (« la voix de son maître »), le 16 mai, on présente
les trois leaders étudiants (Alain Geismar, Jacques Sauvageot et Daniel Cohn-Bendit
(Dany le Rouge)) comme « les trois mousquetaires de l’agitation » ou des « enragés qui
se proposent de généraliser le désordre ».
Dans le cadre de la mondialisation (penser global pour agir local), le niveau national est
de plus en plus emboîté entre l’échelle continentale et mondiale et l’échelon local. Cela a
conduit l’Etat à revoir son organisation, à se faire plus modeste en se repliant sur le
noyau dur des fonctions régaliennes.
1. Le choix de la décentralisation :
6 Il a été principalement utilisé dans les territoires ultramarins en 2003 et 2010 pour l’adoption ou pas du statut de COM, en 2013 en
Alsace dans la perspective de faire fusionner le Conseil régional d’Alsace, du Conseil général du Bas-Rhin et du Conseil général du
Haut-Rhin.
2. Les cohabitations un affaiblissement de l’Etat:
7 Les deux annexes de cette leçon doivent être apprises pour nourrir votre réflexion en cas de
composition sur ce thème au bac.
transferts de plus en plus importants de souveraineté vers l’UE et ce qu’on appelle
l’européanisation de l’action publique. Ainsi, les normes communautaires édictées
transforment profondément la gouvernance au niveau étatique (politique de
l’environnement, de l’enseignement supérieur…) comme le montre le contrôle des
déficits publics par Bruxelles dans le cadre du Traité sur la stabilité, la coordination et
la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire signé le 2 mars 2012. La
nouvelle version du pacte de stabilité prévoit notamment une « majorité inversée » pour
voter les sanctions contre les États en déficit excessif ne respectant pas les
recommandations qui leur ont été adressées : ceux-ci se verront infliger des sanctions
automatiques à moins qu’une majorité d’États s’y oppose. En outre, elle contraint les
États à avoir un déficit structurel limité à 1% du PIB. En contrepartie ces Etats pourront
bénéficier du Mécanisme européen de stabilité qui a permis, sous un autre nom, le
sauvetage de la Grèce en 2008.
Conclusion :
Au total, et pour conclure, on peut dire que fort de son héritage jacobin et des idées
plutôt keynésiennes des mouvements de résistance, l’Etat s’est renforcé au lendemain
de la guerre et jusqu’aux années 70. C’était une nécessité dans un contexte de
reconstruction. L’Etat interventionniste est un acteur clef de l’économie par ses
nationalisations, la mise en place d’une planification et d’une politique de grands
travaux. L’Etat providence accompagne les grands bouleversements sociaux (accès à la
santé, à l’éducation, à la culture). Ce modèle est remis en cause au tournant des années
80 par les néolibéraux qui privatisent et rationalisent l’Etat pour lui permettre
d’affronter de nouveaux défis liés à des transferts de souveraineté dans le cadre de la
construction européenne. Par ailleurs, la décentralisation est adoptée pour rendre l’Etat
plus proche du quotidien des individus. On se plaît désormais à parler de gouvernance…
Pour autant, même si les Français critiquent l’Etat ils y restent très attachés et
notamment à sa grandeur.
ANNEXES :
2. L’Etat providence :
1944 : Le CNR propose un plan complet de sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous
les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail. »
1945 : Ordonnance créant la Sécurité sociale.
1947 : Extension de la Sécurité sociale aux fonctionnaires.
1948 : Création de trois régimes d’assurance vieillesse des professions non salariées.
1952 : Régime d’assurance vieillesse obligatoire pour les exploitants agricoles.
1978 : Extension de la totalité des prestations familiales à l’ensemble des résidents présents sur le territoire français.
1988 : Création du RMI par Michel Rocard.
1990 : Mise en place d’une CSG sur l’ensemble des revenus.
1999 : Couverture Maladie Universelle (CMU).
2009 : Revenu de Solidarité Active (RSA) qui remplace le RMI
2010 : L’âge légal de départ à la retraite est porté à 62 ans.