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Kessler-Mesguich Sophie. L'hébreu chez les hébraïsants chrétiens des XVIe et XVIIe siècles. In: Histoire Épistémologie
Langage, tome 18, fascicule 1, 1996. La linguistique de l'hébreu et des langues juives. pp. 87-108;
doi : https://doi.org/10.3406/hel.1996.2450
https://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_1996_num_18_1_2450
Abstract
ABSTRACT : This paper gives an account of the history of Hebrew grammar from the time when it
begins to be studied by Christian Hebraists (early XVIth century). The theoretical models of description
are then no longer taken from the Arabic grammatical tradition but from the Latin tradition. The switch
leads to important changes in the content and methodology of grammars. Hebrew, besides, is in a
unique position, since it is the language of the Revelation as well as the language of a religious group
that must be combated. This situation, which is quite prevalent in the Middle Ages, keeps on affecting
Hebrew scholarship for almost three centuries. In this process of knowledge transfer the concept of
filiation plays an important part. We shall attempt to show how Buxtorf s grammar, one of the most
prominent of the XVIIth century, is based on categories and definitions indirectly taken from Ramus' s
work.
Histoire Epistémologie Langage 18/1 : 87-108 (1996) © SHESL, PUV
Sophie KESSLER-MESGUICH
Université Paris VIII, URA CNRS 381
1. Cf. Bâcher 1892 et 1895 ; Hirschfeld 1926 ; Del Valle Rodriguez 1983 ; Kouloughli 1989.
Hébraïsants chrétiens des XVIe et XVIIe siècles 89
se sont intéressés à l'hébreu et l'ont appris {cf. les témoignages cités par Dahan
1993). Mais les transformations profondes de l'univers intellectuel qui sont
intervenues entre la fin du XVe siècle et 1530 ont également retenti sur l'étude
de l'hébreu. Les raisons de l'apprendre ne sont plus tout à fait les mêmes ; les
méthodes aussi évoluent, d'abord parce que l'imprimerie permet un tout autre
rapport au texte biblique, mais également parce que les cours, essentiellement
privés au Moyen-Âge, sont désormais organisés dans un cadre institutionnel non
religieux. Le nombre des hébraïsants augmente et, s'ils appartiennent toujours
aux milieux lettrés, ils viennent d'horizons plus divers : catholiques ou
sympathisants de la Réforme, exégètes ou grammairiens, biblistes ou qabbalistes,
hellénistes ou arabisants. Enfin, au fil du siècle, l'objet même de l'étude évolue :
parallèlement à l'hébreu biblique, la langue des écrits rabbiniques devient à son
tour une discipline à part entière.
Pour les hébraïsants chrétiens du XVIe siècle, l'étude de l'hébreu repose
sur une double motivation : d'une part, un intérêt intellectuel ; d'autre part, un
intérêt théologique, qu'il s'agisse de réfuter le judaïsme ou d'approfondir ce qui
est perçu comme la langue du Christ. Chez tous les auteurs, les deux motivations
semblent intimement liées. Certes, l'époque, le pays d'origine et la sensibilité
religieuse de chacun d'eux jouent un rôle dans leurs choix. Ainsi, si les études
hébraïques médiévales restent, chez la majorité des auteurs, liées à leur
destination originelle de lutte pour la propagation de la foi chrétienne, on a
l'impression que chez certains savants, tel André de Saint-Victor, le désir de
connaissance intellectuelle est primordial2. Inversement, on assiste entre 1500 et
1550 à une véritable explosion de l'érudition hébraïque, qui s'insère parfaitement
dans les nouveaux contextes, tant théologiques qu'intellectuels, de la Renaissance
et de la Réforme. Friedman 1983, 260 propose une explication originale de ce
phénomène : le retour à l'hébreu et le goût pour la Qabbale représenteraient
l'expression d'une nostalgie du passé, un désir de retour, face à une situation
politique et religieuse troublée, à une antiquité idéalisée ; en d'autres termes, les
études classiques seraient considérées, dans la première moitié du XVIe siècle,
comme un accès à la vérité et une voie vers la Rédemption. Un Reuchlin, un
Servet, et même un penseur orthodoxe comme Paul Fagius exprimeraient, dans
leur quête de Yhebraica veritas, leurs doutes par rapport à la foi et à la pratique
chrétiennes traditionnelles. Ainsi s'explique, selon Friedman, le fulgurant succès
de l'hébreu et des sources juives, ce qu'il désigne (1983, 13) comme « la
révolution intellectuelle » produite par les études hébraïques des chrétiens.
Quoi qu'il en soit, il y a dans cet élan vers les sources juives un mélange
indissociable de fascination pour l'autre (le juif) et de méfiance devant le danger
qu'il représente. Cette ambivalence dans les rapports entre chrétiens et juifs, déjà
repérable au XVe siècle-^, est encore largement perceptible chez les auteurs qui
nous occupent.
C'est un lieu commun que de souligner, dans les titres et les préfaces des
grammaires, la sainteté de la langue hébraïque. Celle-ci est la langue de la
Révélation, de l'Ecriture, du Christ lui-même. Contrairement au grec, langue du
Nouveau Testament mais également vecteur d'une littérature profane, l'hébreu est
une langue où n'ont place ni la futilité ni l'immoralité. Langue sainte, c'est aussi
la langue de la Loi. L'étude de la parole divine dans sa langue originale est une
nécessité : c'est ce qu'exprime, dans une curieuse phraséologie truffée de
références bibliques et rabbiniques, la courte préface en hébreu placée par S.
Munster en tête de l'édition parisienne de sa grammaire :
Je yeux être utile aux nombreux étudiants qui ont la volonté et le désir de connaître l'écrit
divin dont nous a gratifiés notre Créateur par l'intermédiaire de Moïse notre maître et
d'autres prophètes, pour que nous nons y consacrions jour et nuit, et que nous ne nous en
écartions ni à droite ni à gauche, et que nous ne cessions pas d'accomplir ses
commandements, si nous voulons entrer dans le monde futur^.
3. Dahan 1990, 229-230 montre bien qu'au Moyen-Âge, la fascination est réciproque ; voir
aussi Graboïs 1975, 614-634.
4. S. Munster 1537 : fol 2 r°. Les italiques dans le texte français indiquent une expression
empruntée à la Bible ou au Talmud. Ce type de texte est loin d'être inhabituel chez les
hébraïsants chrétiens. L'édition de 1529 du Thesaurus de Pagninus se termine par une
prière du même style, en hébreu, où il est dit « Béni soit l'Eternel mon Dieu père de
Jésus-Christ notre Seigneur ».
Hébraïsants chrétiens des XVIe et XVIIe siècles 91
Nous devons apprendre l'hébreu, non seulement pour mieux comprendre l'Ancien
Testament, mais aussi pour que, parmi les chrétiens, il s'en trouve qui possèdent cette
langue, au point de pouvoir engager le combat par la parole et par l'écrit7.
8. Friedman 1983, 236 analyse ce passage comme une sorte de « signal » adressé au public
chrétien, qui est, malgré les apparences, le véritable destinataire de l'ouvrage. Celui-ci est
en effet muni de points-voyelles, ce que Munster, en bon disciple de Lévita, aurait
certainement jugé inutile s'il avait écrit son texte pour des juifs. Ce cliché antisémite
semble d'autant moins refléter la pensée de S. Munster que ce dernier exprime
généralement un grand respect pour les sources juives, même si toute son oeuvre est sous-
tendue par le désir d'amener les juifs à se convertir : rappelons qu'il est aussi l'auteur de
la première traduction en hébreu de l'Evangile selon Saint-Mathieu.
9. Messias Christianorum, préface, p. 4.
Hébraïsants chrétiens des XVIe et XVIIe siècles 93
10. Les rares exégètes catholiques qui y ont recours à la même époque essuient des critiques
similaires de dépendance par rapport aux juifs : Pagninus, par exemple, qui est l'auteur du
premier lexique de termes rabbiniques, s'est vu adresser les mêmes reproches ; et le point
de départ de l'« affaire Reuchlin » n'est rien d'autre que la polémique sur l'utilisation des
sources juives.
11. On lira dans Friedman 1983, 134 une analyse plus fine des tendances des différents cercles
protestants (Servet, école « rhénane », luthériens) dans l'appréciation et l'utilisation des
sources juives.
12. Nous ne pouvons entrer ici dans le détail de cette question. Sur ce sujet comme sur bien
d'autres, le Talmud reflète des opinions extrêmement variées, parfois même contradictoires,
qu'il faut de plus interpréter en tenant compte de la signification des termes employés
(celui de goy, en particulier, qui a évolué au fil des siècles). On se réfère en général aux
traités Sanhédrin (59a) et Hagigah (13a « Selon R. 'Ammi, il est interdit d'enseigner la
torah aux idolâtres [litt. : « adorateurs des étoiles »], mais il faudrait également citer Baba
Qammas 38a : « R. Me'ir dit : « D'où savons-nous que même un non-juif [litt. :
« étranger », nokhri], qui se consacre à la torah est égal au grand prêtre ? Parce qu'il est
dit « l'homme (ha'adam) qui met en pratique [les commandements] obtient par eux la
vie ». [Dans ce verset], on ne parle pas de Kohen, de Lévi, ou d'Israël, mais de l'homme
en général. Conclusion : un non-juif qui se consacre à la torah est égal au grand prêtre. »
En fait, la question de l'enseignement aux non-juifs est liée aux circonstances historiques :
dans les périodes de persécution chrétienne, l'interprétation des textes tend à se faire plus
restrictive.
94 S. Kessler-Mesguich
II faut d'abord répondre [à ceux qui pensent que la connaissance de l'hébreu n'est pas
utile] que cette langue possède, comme toutes les autres, des tournures, des tropes, et des
modes d'expression qui lui sont propres, et qu'il est, sinon impossible, du moins
extrêmement difficile de rendre dans une autre langue en leur gardant toutes leurs
significations.
La secte juive se targue de ce que la langue hébraïque est supérieure aux autres [...]. Ils
prétendent que leur langue est plus parfaite que les autres, sous prétexte que tous les sons
sortis du gosier humain peuvent être notés par leurs signes et leurs caractères, ce qui est
impossible aux autres langues. ([Grammatica hebraica], fol. 24b-25a )
Précisons par ailleurs que la langue reconnue comme parfaite est celle de
la Bible : Pagninus lui-même estime qu'il y a eu ensuite décadence (à cause de
l'exil). La distinction entre les Hébreux de la Bible et les juifs se retrouve dans
la langue elle-même, l'hébreu rabbinique étant souvent qualifié de « barbare ».
Ainsi, Pellikan écrit en 1552 qu'« étant totalement absorbé par sa traduction des
rabbins à la langue barbare, [il] en a presque désappris le latin ».
Les grammairiens juifs dont les œuvres servent de modèle aux savants de
la Renaissance sont conscients des liens qui unissent l'hébreu, l'arabe et
l'araméen13. Cette parenté est donc évoquée dès le début du XVIe siècle : en
1520, Giustiniani (Justinianus), éditeur d'un Psautier polyglotte (Gênes 1516) et
de la première grammaire entièrement en hébreu publiée à Paris souligne que
quiconque entreprendrait d'étudier l'arabe ou l'araméen sans connaître l'hébreu
ressemblerait à Sysiphe ; inversement, ces langues peuvent être apprises sans
difficultés par les hébraïsants. Plus tard, Caninius illustrera les relations entre les
langues sémitiques en les comparant à celles qui unissent les dialectes grecs ou
les langues romanes, et déterminera ainsi, à partir des trois langues
« premières », trois groupes de langues apparentées (« inter se cognatae »), dont
le premier comporte l'hébreu, l'araméen14, l'arabe et l'éthiopien ; le second, le
grec attique et les dialectes ionique, dorien et éolien ; le troisième, le latin,
l'italien, le français et l'espagnol.
Langue biblique, l'araméen fait rapidement l'objet de manuels
indépendants (Munster, Chaldaica Grammatica, Bâle 1527 ; Mercier, Tabulae in
Chaldaeam grammaticen, Paris 1550). Dans leurs préfaces, les auteurs de
grammaires araméennes mettent en avant l'importance du Targum dans
l'interprétation chrétienne de l'Ancien Testament :
13. Le premier à avoir constaté les similitudes de structure grammaticale et de lexique entre
ces trois langues est Yehudah Ibn Qoraysh (seconde moitié du IXe siècle). Dans l'épître
(Risâla) qu'il adresse aux juifs de Fez pour les inciter à ne pas abandonner la lecture
synagogale du Targum, Ibn Qoraysh compare des termes bibliques à leurs équivalents
araméens, mishniques et arabes. Cf. Bâcher 1892, 142-145 ; Hirschfeld 1926 ; Katz 1952 ;
Fellmann 1973.
14. Pour lequel il utilise le terme « syriaque ». Il ne faut pas en effet se méprendre sur le titre
de son ouvrage : comme il l'explique dans sa préface, le terme « assyriaca » désigne un
état plus ancien de l'araméen (celui de Daniel).
15. Mercier, 1550, préf. fol. 2 r°.
Hébraïsants chrétiens des XVIe et XVIIe siècles 97
rend à Rome pour l'apprendre en 1552, et sera responsable des textes syriaques
de la Polyglotte d'Anvers.
Quant à l'arabe16, on l'apprend surtout pour convertir les infidèles : de ce
point de vue, le discours médiéval sur la nécessité d'étudier les langues
orientales en vue de combattre avec leurs propres armes les religions non
chrétiennes semble toujours d'actualité. Les décrets du concile de Vienne sont
d'ailleurs souvent rappelés : les premiers arabisants mettent tous en avant l'idée
d'une croisade pacifique17 ; et en 1542, Munster s'indigne de la mise à l'index
du Coran, qu'il serait selon lui bien plus utile de connaître pour pouvoir le
réfuter.
La comparaison entre le discours des grammairiens et celui que l'on
trouve dans d'autres textes contemporains (éloges de l'hébreu, correspondances
entre humanistes) fait ainsi apparaître des thèmes identiques : avant tout, le désir
de mieux comprendre le texte de la Bible, mais aussi un intérêt intellectuel pour
une langue généralement considérée comme parfaite. En revanche, on constate
que l'hébreu langue-mère est un thème qui intéresse peu les grammairiens : s'ils
le mentionnent parfois, en y associant généralement le nom de Jérôme, ils
considèrent plutôt l'hébreu comme la langue divine, la langue de la Révélation.
Leurs préfaces ne comportent guère de généralités sur la langue primitive de
l'humanité ; on a l'impression que pour eux la question ne se pose pas. Il est
significatif d'ailleurs de constater que les auteurs cités par Dubois 1970 et
Demonet 1992 dans leurs études sur le mythe de la langue originelle ne sont
presque jamais des grammairiens.
De la lettre à l'énoncé
16. Sur les études arabes au XVIe siècle, voir Fùck 1955.
17. Clénard a d'abord voulu étudier l'arabe par intérêt pour l'hébreu (« au début, quand je me
mis à étudier l'arabe, je n'avais d'autre intention, étant donné l'affinité des deux langues,
que de pénétrer plus avant dans l'intelligence de l'hébreu, et je ne songeais pas à l'hérésie
musulmane »), c'est plus tard qu'apparaît sa motivation théologique et prosélytique.
98 S. Kessler-Mesguich
Phonétique
Morphologie
Syntaxe
La division, établie dès Sa'adya Gaon (Xe siècle), entre lettres radicales,
qui font partie de la substance du mot et lettres « accidentelles » ou « serviles »,
qui constituent les différents schemes et peuvent être utilisées comme
prépositions, est reprise par l'ensemble des grammairiens du XVIe siècle. De ce
fait, comme dans les sources juives, la syntaxe est quasiment absente des
grammaires occidentales de l'hébreu, et ne forment pas (sauf chez P. Martin,
influencé par Ramus, comme nous allons le voir ci-dessous) une partie
indépendante de la grammaire. Ainsi, le plan adopté par Pagninus (la lettre, puis
les trois parties du discours) le conduit à traiter les questions de syntaxe au fur et
18. Quelques grammairiens latins anciens (en particulier Martianus Capella, qui sera cité par
Geoffroy Tory et Juste Lipse) mentionnent le rôle des différents organes (lèvres, dents,
langue, palais) dans l'articulation des consonnes, mais sans les regrouper ni nommer les
phonèmes. La répartition en cinq groupes (litterae labiorum, dentium, linguae, palati,
gutturis) provient du Sefer Yesira, « Livre de la Création », ouvrage mystique et
cosmologique des environs du IIIe siècle. Elle est reprise chez tous les grammairiens juifs.
19. GGR, chap. 1.
100 S. Kessler-Mesguich
à mesure qu'elles se présentent dans chacun de ses quatre livres. Par exemple,
l'état construit est abordé dans le chapitre sur le nom. De même, les chapitres
consacrés aux lettres serviles (chap. 15 à 25 du premier livre) offrent un
traitement multiple (à la fois sémantique, morphologique et syntaxique) fortement
influencé par le modèle hébreu : les prépositions sont traitées au livre I si elles
sont monoconsonantiques2^, au livre IV si elles sont composées de plusieurs
lettres.
Terminologie
Donc, pour ne pas multiplier des subdivisions inutiles, j'ai classé ce que les Latins
appellent possessifs avec les relatifs et je les ai nommés affixes. (1506, 578).
Reuchlin aborde ensuite les formes verbales suffixées. Tant qu'il se situe
sur le plan morphologique, il parle des « variations » du verbe : en conclusion,
lorsqu'est évoquée la « construction » du verbe, le terme d'affîxe réapparaît :
On constate que la construction des affixes est valable pour les verbes aussi bien que pour
les noms. Il te faudra donc faire de fréquentes et nombreuses lectures de la Bible
hébraïque, de façon à apprendre les autres constructions, (ibid, 613)
21. Il s'agit d'un article de Beauzée : « affixe, adj. (Gramm.). Attaché à la fin. ce terme est
pris comme un nom masculin dans la Grammaire hébraïque ; dans les Grammaires de ses
dialectes, comme le chaldéen le syriaque, le samaritain, etc. ; et dans les Grammaires de
quelques autres langues, qu'on n'aurait jamais soupçonnées d'affinité ni avec l'hébreu, ni
entre elles, comme le lapon au nord de l'Europe, et le péruvien sous la ligne en
Amérique ». Cf. Auroux 1994, 86.
22. L'origine et l'emploi de ces deux termes sont analysés par Abramson 1988, 169-174.
102 S. Kessler-Mesguich
3. Le XVIIe siècle
23. Ce dernier, qui s'oppose à 'otiyyot mesaretot (« literae deservientes »), provient d'Ibn
ôanah.
24. Klijnsmit 1986 évalue l'influence de la grammaire de Buxtorf sur Spinoza ; ce dernier
connaissait également les oeuvres grammaticales écrites (en portugais) par ses
contemporains juifs. Dans la mesure où nous avons concentré notre étude sur les
hébraïsants chrétiens, nous n'y avons pas inclus le Compendium Grammatices linguae
hebraicae. Son analyse morpho-syntaxique de l'hébreu conduit Spinoza à ramener toutes
les parties du discours au nom : la seule distinction grammaticalement fondée est celle
entre nom commun et nom propre.
Hébraïsants chrétiens des XVIe et XVIIe siècles 103
que la Grammatica hebraea du Français Pierre Martin, qui les emprunte lui-
même à Ramus.
25. Nous paraphrasons le titre de l'article d'A. Lorian (1988), qui a attiré notre attention sur la
proximité entre les travaux des deux Pierre ; mais Lorian (1988, 288) dit que « la
grammaire hébraïque de P. Martin a été incessamment revue et augmentée par les
commentaires d'autres savants (en particulier Jean Buxtorf l'Ancien) ». Buxtorf ne
« revoit » pas la grammaire de Martin, il lui emprunte presque mot pour mot son plan et
ses définitions.
26. Que l'on trouve parfois sous le nom de P. Morentinus Martinius.
27. P. Martin est un bon exemple de la synthèse entre les deux sources de la grammaire
hébraïque : cf. la préface de sa Grammatica hebraica : « en ce qui concerne les règles et
les préceptes, la matière vient pour une part de Qimhi et d'Elie, grammairiens hébreux fort
savants dans leur langue, et pour une part de Jean Mercier, lecteur royal, dont les leçons si
erudites et les conversations privées que j'ai eues avec lui m'ont permis d'acquérir le peu
que je sais en matière de connaissances hébraïques ; en ce qui concerne la forme de la
grammaire, je l'emprunte à mon maître P. Ramus ».
104 S. Kessler-Mesguich
28. Nous ne mentionnons que les principaux chapitres ; les mêmes ressemblances apparaissent
dans les titres des chapitres intermédiaires (différentes conjugaisons, etc).
29. Ce terme est caractéristique de Ramus.
Hébraïsants chrétiens des XVIe et XVIIe siècles 105
Grammatica est ars bene loquendi ; ut Grammatica est ars bene loquendi ; ut
Hebraeis Hebraice. Ejus partes duae sunt, Hebraeis Hebraice. Ejus partes duae sunt,
Etymologia et Syntaxis. Etymologia est pars Etymologia et Syntaxis. Etymologia est
grammaticae, quae praecipit de voce. Vox est prima pars Grammaticae, quae
nota, qua unumquodque vocatur. Vocis partes proprietates explicat.
sunt litera, et syllaba (etc). Vox est nota, qua unumquodque distincte
vocatur ; fitque e Syllaba, una vel
pluribus (etc)
Là encore, on voit que les définitions sont reprises au mot près. Le même
phénomène se reproduit avec les définitions de la syntaxe, au début du livre II :
Syntaxis est pars Grammaticae, quae vocum Syntaxis est secunda pars Grammaticae,
structuram interpretatur. Cujus anomalia quae vocum structurant interpretatur.
communis est Ellipsis aut Pleonasmus. structura est, qua voces diversae inter se
vel conjuguntur, vel conjunctae
distinguuntur, ut illinc sermonis puritas,
hinc sententiae claritas evidentius
elucescat. Conjunctionis vocum triplex
anomalia communiter immixta est :
Ellipsis [...] Pleonasmus [...] Enallage.
30. On trouve aussi (mais pas dans les titres des chapitres) « conjunctio » et « rectio »,
également caractéristiques de la terminologie grammaticale de Ramus.
106 S. Kessler-Mesguich
4. Conclusion
REFERENCES