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Option : Stylistique
Par
LORANT AHMADOU
Licence ès Lettres
Matricule :13D0339FL
Sous la direction de :
i
REMERCIEMENTS
ii
RÉSUMÉ
ABSTRACT
iii
LISTE DES ABRÉVIATIONS
iv
SOMMAIRE
DÉDICACE ...............................................................................................................................................
REMERCIEMENTS ................................................................................................................................ii
RÉSUMÉ .................................................................................................................................................iii
ABSTRACT ............................................................................................................................................iii
LISTE DES ABRÉVIATIONS ............................................................................................................... iv
SOMMAIRE ............................................................................................................................................v
INTRODUCTION GÉNÉRALE ............................................................................................................. 1
CHAPITRE 1 : PROLÉGOMÈNES À L’ANALYSE ÉNONCIATIVE DU DISCOURS
CONFLICTUEL .................................................................................................................................... 12
1.1- L’énonciation......................................................................................................................... 12
1.2- Le discours ................................................................................................................................. 27
CHAPITRE 2 : L’ANALYSE STRUCTURALE DU DISCOURS CONFLICTUEL .......................... 42
2.1- Les modalités d’énonciation et le codage du conflit .................................................................. 42
2.2- Les modalités d’énoncé et expression du trouble émotionnel des personnages......................... 52
2.3- Les subjectivèmes du conflit dans Walaandé, art de partager un mari ...................................... 56
CHAPITRE 3 : LES MARQUEURS POLYPHONIQUES ET LES IMAGES ................................ 70
3.1- Les implicites ............................................................................................................................. 71
3.2- Les figures de style .................................................................................................................... 79
3.3- Le discours rapporté ................................................................................................................... 86
CHAPITRE 4 : LES PORTÉES DU DISCOURS CONFLICTUEL .................................................... 92
4.1- La portée sociale du conflit ........................................................................................................ 93
4.2- La portée religieuse .................................................................................................................. 112
4.3- La portée culturelle .................................................................................................................. 118
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................................. 128
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 134
v
INTRODUCTION GÉNÉRALE
la présence du sujet énonciateur traduit aussi dans ses marques de modalisation. Dire,
c’est aussi se situer par rapport à son propre dire. Le texte est ainsi constamment habité
par la présence d’un sujet qui situe son dire par rapport au certain, au possible,
vraisemblance… (modalités logiques), ou qui porte de jugements de valeur (modalités
appréciatives).
1
Il est clair alors que le sujet manifeste un positionnement contraire dans son
énoncé à travers son attitude et son jugement. Ces comportements conflictuels sont plus
visibles à travers des éléments linguistiques.
2
a un rôle incontournable dans les énoncés. Quels sont les éléments énonciatifs qui
permettent d’identifier le discours du conflit dans le texte de Djaïli Amadou Amal ?
Comment repérer le discours du conflit dans le texte de Djaïli ? Quelle peut être la portée
du conflit dans l’œuvre WAPM? Telles sont les questions qui guideront notre
investigation tout au long de ce travail.
- les faits socioculturels et religieux pourraient être les portées du discours de conflit
du texte Walaandé, l’art de partager un mari. C’est dire que l’analyse de ces
différentes approches révèleront le projet idéologique cachée de l’auteur.
La principale mission qui nous anime dans ce sujet est celle d’analyser les
différents éléments énonciatifs. Pour mieux les comprendre, il sera judicieux d’abord de
savoir la définition de la modalisation et celle de conflit ; les composantes de la
modalisation, ensuite de déterminer leur message sur l’expression du conflit.
Le présent travail s’inscrit dans le cadre théorique de l’énonciation. Benveniste
(1966) définit l'énonciation comme la mise en fonctionnement de la langue par un acte
individuel d'utilisation. Il accompagne cette définition par une théorie générale des
indicateurs linguistiques par l'intermédiaire desquels le locuteur s'inscrit dans l'énoncé.
Selon Benveniste (1966 :251), des ‹‹ actes discrets et chaque fois uniques par lesquels
la langue est actualisée par un locuteur ››. Le problème théorique posé par le modèle
énonciatif de Benveniste a permis à certains chercheurs de reformuler la notion même
d'énonciation et d’affiner le paradigme des indicateurs linguistiques.
A la suite de Benveniste, Culioli (2000) soutient que : « énoncer, c'est construire
un espace et un temps, orienter, déterminer, établir un réseau de valeurs référentielles,
bref un système de repérage par rapport à un énonciateur, à un co-énonciateur, à un
temps d'énonciation et à un lieu d'énonciation ». Il y a d'abord les énoncés (réalisation
3
de l'activité langagière) qui sont construits à partir d’un système de règles (grammaire),
sur lesquels porte l'analyse linguistique. Ensuite la construction de ces énoncés s'effectue
dans le cadre d'une situation d'énonciation, entre un énonciateur et un co-énonciateur
(énonciateur potentiel), par lesquels il y a transmission d'un contenu.
Après cette présentation de l'approche énonciative, on constate que la théorie de
l'énonciation est assez vaste. Si l’on part de l'attention de Benveniste portée aux
déictiques, à la conception de Austin sur les énoncés performatifs ; des notions
d'implicite et de présupposition chez DUCROT, aux subjectivèmes dans la théorie de
Kerbrat Orecchioni (1980) et enfin à la théorie de Culioli, la linguistique de l'énonciation
recouvre un parterre assez large de faits linguistiques. Avec l'approche énonciative
s’amorce la conciliation entre la linguistique immanente qui envisageait les énoncés
comme des entités abstraites et la linguistique du discours où l'étude des énoncés
nécessite la prise en compte des réalités déterminées par leurs conditions contextuelles
de production. L'énonciation tend aussi à se constituer en discipline explicative de la
production du discours. En même temps que le social se réinvestit dans la parole, le sujet
parlant se réinstalle au cœur des énoncés. L'analyste fait appel au concept d’énonciation
présenté soit comme le surgissement du sujet dans l'énoncé, soit comme la relation que
le locuteur entretient par le discours avec l'interlocuteur, soit enfin comme l'attitude du
sujet à l'égard de son énoncé pour observer selon quelles règles s’établissent les rapports
énonciateur/énonciataire. La théorie de l’énonciation ainsi décrite dans ses grandes
lignes fournit les bases théoriques nécessaires, qui vont servir de référence pour
l’analyse de la relation entre les protagonistes de la communication dans le corpus que
nous avons choisi pour notre travail.
Comme on aurait pu s’y attendre, nous ne sommes pas le premier à réfléchir sur
l’analyse énonciative ni sur les modalités et moins encore le conflit dans le texte.
Plusieurs chercheurs ont travaillé sur l’analyse énonciative, à l’exemple de l’article
Longhi Julien (2012), l’ouvrage de Benveniste Emile (1966), l’ouvrage de Kerbrat
Orecchioni Catherine (1980), l’article de Monte Michèle (2011), le mémoire de master
de AOUADI Lemya (2015), l’article de Rabatel Alain (2007) et le mémoire de DIPES
II de Mocktar Sali et Maïmouna Dahirou (2015)
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Julien longhi (2012), dans son article dégage les caractéristiques de l’apparition
du sujet énonciateur et d’énonciation dans le discours. Cet auteur se base sur les travaux
récents de Benveniste sur l’énonciation. L’expression sujet énonciateur chez Benveniste
concerne le champ de la psychologie, et « désigne l’individu dans un procès de locution.
[…] Son être-sujet (ego) transcende les procès dans lesquels il est engagé, et n’est pas,
en tout cas, dépendant de l’activité de parole » Benveniste (1966). Il estime que le sujet
d’énonciation est le sujet qui se constitue dans et par l’énonciation de son discours sont
différents. Son objectif est de discerner ces apparitions selon que la voix véhiculée
relève davantage d’un sujet individué ou socialisé, d’un contenu conceptuel ou
sémiotique, d’un locuteur qui investit son discours ou d’un énonciateur construit par
l’énonciation. Pour atteindre cet objectif, il propose dans un premier temps un « état des
lieux » de deux types d’approches, à partir de la distinction entre énonciation et énoncé.
Il aborde l’énonciation par son coté psychologique ou cognitif, comme : « processus de
mise en œuvre de la parole ». À cet égard, il distingue trois modalités distinctes qui
peuvent participer au processus de mise en œuvre de l’activité signifiante : « du côté du
sujet avec le paradigme de l’enaction (ou cognition incarnée), le préconstruit (dans le
cadre de l’analyse du discours), et l’énonciation (la prise en compte du sujet, à partir
des travaux de Benveniste) » (Longhi J., 2012). Quant à l’énoncé, il le considère non
plus comme processus, mais comme manifestation de l’énonciation.
Il constate que la définition des pronoms pose problème au langage, ainsi qu’à la
langue. Certains pronoms constituent la syntaxe d’une langue, d’autres caractérisent les
« instances de discours » lorsqu’ils sont actualisés en parole par un locuteur. Certains
pronoms sont personnels (comme je et tu), d’autres ne le sont pas (comme il). Autrement
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dit, les pronoms du français ont trois formes : la première personne je / nous, la deuxième
personne tu/vous et la non personne il / ils, elle / elles, car il abolit la notion de personne.
Cette analyse exprime la notion des déictiques de personne.
Monte Michèle (2011) dans son article exprime l’ambigüité entre la modalité et
la modalisation. Selon lui, la notion de modalité paraît à la fois indispensable et chargée
d’ambigüité. Son étude n’a pas d’autre ambition que d’essayer de réfléchir aux raisons
qui rendent problématique l’analyse et le classement des modalités. Il soutient que
l’usage actuel le plus courant du couple modalité et modalisation consiste à utiliser le
terme « modalisation » pour désigner le processus d’inscription du point de vue du
locuteur dans l’énoncé et le terme « modalité » pour désigner les marques de ce
processus dans l’énoncé, encore qu’il y ait concurrence entre « modalités » et
« modalisateurs » pour désigner les marqueurs de point de vue.
Aouadi Lemya dans son mémoire de Master (2015) soutient aussi que tout
discours porte de la subjectivité. L’expression de la subjectivité marque la spécificité du
langage comme instrument de communication et de transmission du savoir par un
locuteur. Pour le confirmer, il s’appuie sur un corpus composé de douze mémoires de
master réalisés dans différentes universités, considérés comme des écrits scientifiques,
caractérisés par le souci de l’objectivité, de la précision, de la méthode et de la rigueur
intellectuelle. Il affirme alors que chaque auteur en rédigeant un écrit scientifique tente
d’être objectif or, la mise en évidence du caractère subjectif du discours scientifique est
marquée par le fait que le rédacteur suit une stratégie qui marque sa présence dans ce
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discours. Selon lui, le discours scientifique devrait être un pur produit de l’objectivité
mais son analyse montre que les auteurs de ces discours impriment leur marque.
Mockatr Sali et Maïmouna Dahirou (2015) ont porté une attention au conflit dans
État d’urgence d’André Brink. Un état de conflit basé sur le narrateur-héro qui est pris
au piège dans un dilemme entre la prise de conscience d’un univers Sud-africain qui
sombre dans les violences de tout genre et une réelle envie de se libérer du manuscrit
qui lui a été envoyé par le personnage de Jane Ferguson.
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Le conflit présenté par Mocktar et Maïmouna est de la manière physique. Ils
considèrent la poétisation du conflit comme une présentation physique du conflit qui se
manifeste bien évidemment à travers le crime, l’opposition, la privation de liberté
d’expression et des libertés les plus naturelles comme l’amour en tant qu’union entre
deux genres opposés, et en tant qu’expression de la fraternité humaine.
Ces auteurs ont focalisé leurs préoccupations sur l’énonciation dans son sens
large. Parce que nous estimons que ce cas est théorique et générique, car faire une
description juste ne garantit pas la compréhension du discours énonciatif. En réalité, ils
ne se sont pas focalisés sur le message porté par les modalisateurs ou à travers les
« énonciatèmes » comme les désigne Kerbrat Orecchioni. Nous pensons que la prise en
compte du message qu’expriment les modalités comme celui du conflit que souligne
notre sujet nous permettra d’être plus pratique sur la valeur et le rôle de la modalisation
dans le texte.
9
1909 : 259). Par conséquent, la syntaxe est logique et affective, comme la pensée qu’elle
véhicule sous forme d’une phrase. Bally analyse les valeurs stylistiques dans trois étapes
: délimitation, identification des faits d’expression et observation des valeurs affectives
d’un fait d’expression. On délimite un fait d’expression à partir du sens. Une fois le fait
d’expression délimité, on passe à l’opération de l’identification de son contenu
intellectuel par la recherche de l’unité qui peut se substituer au point de vue logique au
fait d’expression. La comparaison du fait d’expression avec son terme identificateur
conduit à le déterminer dans ses caractères affectifs, c’est-à-dire dans sa nature
stylistique.
Enfin, la théorie pragmatique. C'est avec Austin que l'idée d'acte de langage a été
introduite dans les recherches linguistiques. Et c'est avec Grice que la pragmatique a
commencé à s'occuper non seulement des aspects linguistiques et inférentiels de
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l'encodage conceptuel et procédural, mais aussi de tous les aspects pertinents pour
l'interprétation complète des énoncés en contexte, qu'ils soient liés ou non au code
linguistique. La théorie pragmatique nous aidera à inférer certains énoncés pour
comprendre le conflit entre les énonciateurs. Nous adopterons la méthode de Grice basée
sur l’inférence conversationnelle. Cette méthode est pragmatique et elle ressemble à
l’inférence logique parce qu’elle produit une conclusion sur la base des prémisses. Nous
nous proposons de partir par l’analyse des différents énoncés du corpus et puis
déterminer leur signification.
Pour mener à bien notre travail, nous l’avons structuré en quatre chapitres. Dans
le premier chapitre, nous présenterons et expliquerons les concepts de notre sujet ; en
l’occurrence, l’énonciation, le discours et le discours conflictuel. Dans le deuxième
chapitre, nous allons étudier la structure du conflit en analysant ses éléments énonciatifs
que sont : les modalités d’énonciation et l’encodage du conflit, la modalité d’énoncé et
expression du trouble émotionnel des personnages, les subjectivèmes. Le chapitre trois
nous permettra d’étudier les marques de la polyphonie qui permettent d’identifier le
conflit dans un texte. Le chapitre quatre quant à lui consiste à étudier la portée du conflit.
Dans ce dernier chapitre, nous allons étudier la portée sur les plans social, religieux,
culturel ou alors il s’agira pour nous de révéler le projet idéologie cachée de l’auteur
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CHAPITRE 1 : PROLÉGOMÈNES À L’ANALYSE ÉNONCIATIVE DU
DISCOURS CONFLICTUEL
Dans ce chapitre inaugural, la notion de prolégomènes est une notion qui renvoie
aux principes préliminaires à l’étude d’une question. Notre travail consiste à faire
l’analyse énonciative du discours conflictuel. Cette présentation de façon générale pose
déjà l’énonciation dans sa finalité, comme un moyen visant l’analyse. Elle sert à détailler
le contenu d’un énoncé ou d’un discours produit. Le terme prolégomènes se penche sur
la manière et la qualité du discours donné. Dans ce travail, l’énonciation, le discours et
le conflit sont des mots clés qui auront besoin d’un éclaircissement. Pour d’autres
chercheurs, énonciation et discours semblent être des synonymes. Selon eux
l’énonciation est une manifestation de l’énoncé et le discours est l’énonciation, c’est-à-
dire l’acte de produire un énoncé. Pour certains, ces deux notions présentent une grande
différence dans différents domaines notamment celui de la didactique des langues
comme l’a dit Castellotti, (2001 :22) : « sa polysémie originelle jointe aux différentes
significations que lui accordent les chercheurs, selon leur rattachement disciplinaire,
en font un concept polymorphe, que certains récusent du fait même de cette
hétérogénéité ». Dès que l’on délaisse les dictionnaires généraux et que l’on entre dans
le champ d’étude énonciative, et surtout dans une analyse comme la nôtre qui explore
un corpus issu du domaine énonciatif, l’énonciation nous tend la main. Les objectifs
initiaux de cette discipline énonçaient, notamment pour le discours conflictuel, les
ingrédients qui devaient composer le discours, les énoncés, le texte, la phrase et même
le discours du conflit. Au fil de notre analyse, dans cette partie, nous tenterons de donner
la conception des chercheurs sur les termes énonciation et discours ; nous allons
présenter la disparité entre quelques notions de discours comme énoncé/ discours,
discours / texte, énoncé / phras et enfin présenter le discours de conflit en mettant en
exergue les aspects de l’énonciation en s’appuyant sur la subjectivité du langage.
1.1- L’énonciation
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acte au cours duquel ces phrases s'actualisent, assumées par un locuteur particulier,
dans des circonstances spatiales et temporelles précises ». On considère donc que,
dans le processus d'énonciation, un sujet produit un énoncé dans un temps et un lieu
donné et à destination d'un récepteur donné. Autrement dit, la phrase peut être produite
ou énoncée selon un besoin déterminé d’un énonciateur sans prendre en considération
les conditions de production de cette phrase ainsi que les théoriciens en linguistique
énonciative parlent d’énoncé chaque fois qu’il s’agit de l’actualisation de la phrase
dans une situation de communication. Aouadi soutient alors que :
On peut étudier l’énonciation à travers les allusions qu’un énoncé fait à l’énonciation,
allusions qui font partie du sens même de cet énoncé et qui peuvent être décrites par des
structures linguistiques. Ces marques de l’énonciation dans l’énoncé sont multiples, les
échelles argumentatives des énoncés, la délocutivité, les présuppositions et les sous-
entendus, les connecteurs pragmatiques, les délimitations entre actes de langage
(notamment l’indirection), la métaphorisation, les modalisations floues et ambigües.
(Aouadi Lemya 2015 : 20).
Benveniste relève une question difficile et encore peu étudiée : comment le sens se
forme en mots, étant donné que l’énonciation suppose la conversion individuelle de la
langue en discours. L’étude de l’énonciation va donc se développer à travers cette
conversion individuelle de la langue en discours qui sera le point fondamental de la
réflexion de l’auteur. Son étude se développe, de cette façon, à deux niveaux : la
première porte sur une théorie du langage où l’énonciation est la condition pour la
constitution du sujet dans le discours ; le deuxième sur les formes linguistiques qui
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construisent les marques de subjectivité dans la langue. Pour le linguiste français en
effet, l’acte énonciatif se fait à partir de la présence effective du locuteur d’une part, de
l’interaction ou du dialogue entre ce dernier et son co-locuteur plus ou moins explicite
dans le texte d’autre part et enfin de la relation évidente de l’élément de référence qui
n’est autre que l’expression du langage à travers sa réalité extradiscursive. On retient
ainsi que pour lui, la mise en discours de la langue s’institue dans la chaîne énonciative
à travers le rapport des pronoms personnels de la première et de la deuxième personne
« je » qui s’adresse à un « tu », d’une source vers sa cible, d’un locuteur vers son
allocutaire, d’un énonciateur vers son co-énonciateur ou d’un auteur vers son lecteur. À
écouter Benveniste B., l’énonciation est donc un discours orienté vers un interlocuteur.
Kerbrat Orecchioni montre à partir de cette citation des exemples concrets, les
vestiges de l’inscription du sujet parlant dans l’énoncé. L’auteur commence par soulever
quelques considérations sémantiques sur le mot « énonciation ». En ce qui concerne la
définition des linguistes, tous s’accordent sur le sens propre qu’il convient d’attribuer à
ce terme. Pour Anscombre et Ducrot (1983), « l’énonciation sera l’activité langagière
exercée par celui qui parle au moment où il parle ». Kerbrat Orechioni (1980 : 32)
s’énonce aussi en disant que l’énonciation, « c’est en principe l’ensemble des
phénomènes observables lorsqu’on se met en branle, lors d’un acte communicationnel
particulier », ou encore : C’est la recherche des procédés linguistiques (shifter,
modalisateurs, termes évaluatifs, etc.) par lesquels le locuteur imprime sa marque à
l’énoncé, s’inscrit dans le message (implicitement ou explicitement) et se situe par
rapport à lui problème de la « distance énonciative ». (Kerbrat, 1980 : 36)
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Encore à propos des considérations sémantiques sur l’énonciation, elle parlera de
« glissement sémantique », c’est-à-dire d’une déviation de sa valeur originale. Ce «
glissement sémantique », qui est d’ordre métonymique, s’explique par la difficulté
méthodologique d’aborder l’énonciation par la motivation de son signifiant. Or, « -
tion » est un suffixe qui dénote à la fois l’acte et le produit de l’acte.
16
énonciation si les déictiques sont mis en place, c’est-à-dire il y a la présence des marques
de locuteur, de récepteur, de l’espace et de temps.
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l’énoncé, s’inscrit dans le message (explicitement ou implicitement) et se situe par
rapport à lui.
18
même au domaine de la linguistique. L’application du concept de subjectivité au
langage s’est faite en plusieurs temps et à des niveaux différents
On doit considérer d’abord la situation des pronoms personnels. Il ne suffit pas de les
distinguer des autres pronoms par une dénomination qui les en sépare. Il faut voir la
définition ordinaire des pronoms personnels comme contenant les trois termes je, tu,
il, y abolir justement la notion de « personne ». Celle-ci est propre seulement à je / tu,
et fait défaut dans il. Cette différence foncière ressortira de l’analyse de je.
(Benveniste 1966 : 251)
Il considère la subjectivité langagière comme une particularité définitoire du
langage, celle même qui permet au locuteur de devenir sujet et d’utiliser la langue c’est
pourquoi il dit : « le langage n’est possible que parce que chaque locuteur se pose
comme sujet, en renvoyant à lui-même comme « je » dans son discours », (Benveniste,
1966 : 260). Pour Benveniste, la subjectivité est omniprésente dans le langage. Elle se
définit comme la capacité du locuteur à se poser comme sujet, constituant en fait une
caractéristique intrinsèque et essentielle du langage, marquée sous diverses formes
dans toutes les langues : « Une langue sans expression de la personne ne se conçoit
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pas. […] Le langage est marqué si profondément par l’expression de la subjectivité
qu’on se demande si, autrement construit, il pourrait fonctionner et s’appeler
langage » (Benveniste, 1966 : 259). Définie de cette manière, la subjectivité devient
une condition indispensable de l’existence même du langage, car le langage n’est
possible que parce que chaque locuteur se pose comme sujet, en renvoyant à lui-même
comme je dans son discours (Benveniste, 1966 : 260).
Benveniste considère le langage comme lieu de la subjectivité. S’il soutient que
le langage existe grâce à ce sujet qui s’en empare et l’imprègne de sa subjectivité, ce
n’est qu’au niveau du discours, en tant qu’exercice du langage et qu’il faut chercher
les marques linguistiques de la subjectivité. C’est dans le discours qu’on trouve
actualisé ce qui n’est que possibilité en langue. Le langage est la possibilité de la
subjectivité, du fait qu’il contient toujours les formes linguistiques appropriées à son
expression, et le discours provoque l’émergence de la subjectivité, du fait qu’il consiste
en instances discrètes (Benveniste, 1966 : 263). Le langage est dans la nature de
l’homme. Le langage est donc essentiellement subjectif, mais également
communicatif.
La référence renvoie aux éléments linguistiques qui permettent d’identifier
l’expression de la subjectivité dans le langage. La présence du locuteur dans son
énonciation fait que chaque instance de discours constitue un centre de référence interne.
Cette situation va se manifester par un jeu de formes spécifiques dont la fonction est de
mettre le locuteur en relation constante avec son énonciation. Cette description un peu
abstraite s'applique à un phénomène linguistique familier dans l'usage, mais dont
l'analyse théorique commence seulement. C'est d'abord l'émergence des indices de
personne (le rapport je-tu) qui ne se produit que dans et par l’énonciation : le terme « je »
dénotant l'individu qui profère l’énonciation, le terme « tu », l'individu- qui y est présent
comme allocutaire. De même nature et se rapportant à la même structure d'énonciation
sont les indices temporels du type (ce, ici, etc.), termes qui impliquent un geste désignant
l'objet en même temps qu'est prononcée l'instance du terme. Les formes appelées
traditionnellement « pronoms personnels », « démonstratifs » nous apparaissent
maintenant comme une classe d'« individus linguistiques », de formes qui renvoient
toujours et seulement à des « individus », qu'il s'agisse de personnes, de moments, de
20
lieux, par opposition aux termes nominaux qui renvoient toujours et seulement à des
concepts. Or le statut de ces « individus linguistiques » tient au fait qu'ils naissent d'une
énonciation, qu'ils sont produits par cet événement individuel.
22
et l'objectivité celles du 'je' [„.] puisque l'on peut concurremment appeler subjective:
(i) l'attitude qui consiste à parler ouvertement de soi; (ii) celle qui consiste à parler
d'autre chose, mais en termes médiatisés par une vision interprétative personnelle.
(Kerbrat-OrecchionI, 1980 :153).
Et bien avant elle a dit :« [„.] on peut fort bien parler de soi en s'abstenant de la surface
textuelle [„.] et parler d'un autre en disant « je ». Kerbrat (1980 :152).
Nous constatons qu’à travers ce deux citations, il nous apparait une véritable
nuance d’idée de la part de Kerbrat. Pour envisager cette nuance dans l’identification de
la subjectivité dans l’énonciation, Kerbrat découvre et considère d'autres lieux aussi
considérables dans le cadre de la subjectivité dans un énoncé.
Kerbrat ne s’arrête pas sur les déictiques comme marques de la subjectivité dans
le langage ou dans l’énoncé, elle découvre encore d’autres lieux de la subjectivité à
savoir les subjectivèmes affectifs et évaluatifs, la modalisation et les modalisateurs etc.
Ces domaines doivent être perçus, a l'instar des catégories syntaxiques de Benveniste,
comme une tentative d'étendre la problématique de la deixis. C'est que ces éléments
viennent en quelque sorte compléter le premier système d'ordre grammatical, « la
subjectivité déictique » (Kerbrat Orecchioni 1980 :149) en engendrant un second
ensemble d'unités duquel peut émerger une subjectivité émotionnelle.
Kerbrat insiste sur un point dont elle juge essentiel. Pour elle, ce qui varie avec
la situation, c’est le référent déictique et non son sens. D’après l’auteur, les déictiques
ne sont pas des formes vides, qui ne peuvent pas être attachées ni à un objet, ni à un
concept, comme l’a dit Benveniste, au contraire, elle croit que les déictiques sont remplis
de sens. Pour elle, le pronom « je », par exemple, fournit toujours la même information
23
: « la personne à laquelle renvoie le signifiant, c’est le sujet de l’énonciation » (Kerbrat-
Orecchioni, 2009 : 41).
Selon Kerbrat 2009, le sujet utilise trois types de mécanismes référentiels pour
encoder ou décoder un message. Ce sont :
- La référence absolue
Pour démontrer cette distinction, voici les possibilités de dénomination d’un objet
extralinguistique X. Considérons ce même X, comme une personne :
Sur les expressions contextuelles, deux cas sont à distinguer : les termes
relationnels et les représentants. Dans le premier cas, X et Y ont une relation étroite,
mais n’ont pas le même contenu référentiel. Par exemple, dans « le père de Louise »,
père est un terme relationnel car il possède un sens propre et un référent autonome
pourtant ce mot ne peut être déterminé que par rapport à « Louise ». Alors que les
représentants sont les anaphores, c’est-à-dire des expressions qui reçoivent leur
signification d’autres termes contenus dans le même texte. Les relationnels sont
indépendants concernant leurs sens et ont un dénoté différent de Y, alors que les
représentants empruntent leur contenu sémantique à son antécédent. Exemple
anaphorique : « J’ai vu la directrice. Elle m’a parlé de toi ».
Concernant les pronoms personnels (et aussi les possessifs), Kerbrat Orecchioni
atteste qu’ils sont les déictiques les plus évidents et les mieux connus. Elle classe le « je
24
» et le « tu » comme des purs déictiques et le « il » et « elle » comme des éléments qui
se présentent à la fois comme déictiques et représentants (car ils exigent un antécédent
linguistique). Elle relève le problème des pronoms personnels pluriels. Il est dangereux
de considérer le « nous » comme un « je » pluriel car c’est seulement dans des situations
très marginales comme la récitation ou la rédaction collectives qu’il aura cette définition.
Voyons comme l’auteur a défini le contenu du « nous »
25
et subjectivèmes affectifs et évaluatifs. On a affaire là encore à des marques, des indices
ou alors des éléments linguistiques qui renvoient dans chaque classe des subjectivèmes.
parler c’est signifier, mais c’est en même temps référer : c’est fournir des informations
spécifiques à propos d’objets spécifiques du monde extralinguistique, lesquels ne
peuvent être identifiés que par rapport à certains points de référence à l’intérieur d’un
certain système de repérage.
Ce « système de repérage » n’est pas le seul que les langues puissent utiliser,
mais il est sans doute, le plus important.
Le sujet qui assume la communication laisse dans ses énoncés des marques
susceptibles de montrer sa subjectivé. Cela arrive qu’il le veuille ou non, de façon
volontaire ou involontaire. Quoi qu’il en soit, ces marques peuvent amener un
interlocuteur avisé à découvrir des pistes qui le mèneront vers la subjectivité du sujet
parlant. Ce sujet sera toujours vu comme quelqu’un qui réalise des mises en scène
(Charaudeau, 1983, 1992, 2008), en tant qu’acteur dans un monde régi par différents
discours.
26
exclusivement du langage. C’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme
sujet.
On comprend avec Day Claudine (2008) que : « (...), le discours est conçu comme
la langue en tant qu'assumée par l'homme qui parle, et dans la condition
d'intersubjectivité qui seule rend possible la communication linguistique ».
L’énonciation et la subjectivité vont de pair du fait qu’on ne peut pas poser un acte
énonciatif sans manifester sa subjectivité. La mise en fonctionnement de la langue
renvoie déjà à la subjectivité du sujet parlant. Donc l’énonciation et la subjectivité sont
inséparables.
1.2- Le discours
27
1.2.1- Le discours : un terme polysémique
1.2.1.1- Selon Benveniste
Le discours, est donc selon cet auteur, cette manifestation de l’énonciation chaque
fois que quelqu’un parle. Cette définition de Benveniste E. semble entretenir un lien
avec celle que Adam J–M., (1989) énonce : « (…) un discours est un énoncé
caractérisable certes par les propriétés textuelles mais surtout comme un acte de
discours accompli dans une situation (participants, institutions, lieu, temps) ».
Benveniste E. considère le discours comme le mode de fonctionnement de l’énonciation
définie comme : l’acte individuel par lequel un locuteur met en fonctionnement le
système de la langue ; (la conversion de la langue en discours.).
Coseriu E., (1981), avance l’idée que le langage est une activité qui s’exerce à
trois niveaux : universel, historique et individuel auxquels on peut assigner des formes
de compétence : compétence élocutoire, linguistique et, respectivement, d’expression.
Si la compétence élocutoire est présupposée comme innée et développée par les
interactions verbales, les deux autres représentent des acquis. On s’accorde à l’heure
actuelle à dire que le rapport entre le discours et le texte recouvre celui entre l’acte et le
produit. Coseriu E. (1981 :132) définit le discours comme « un niveau autonome du
langage, en- deçà de toutes les différenciations en langue », le texte n’étant qu’un simple
vecteur matériel, tout comme le tableau ou la statue ne sont que le vecteur d’un acte
artistique créateur, (Coseriu E., 1981 : 114). Le meilleur exemple que le discours, dans
cette acception, dépasse les cadres d’une langue ce sont les textes truffés de phrases ou
d’expressions en langue étrangère ou la possibilité de paraphrase interlangue.
28
Ainsi : le discours féministe, le discours syndical, etc. Un discours inclut les genres à
partir desquels des textes sont produits ».
Au sens propre, le discours selon Sarfati est une condition obligatoire qui
régissent la production d’un ensemble illimité d’énoncés à partir d’une certaine
position sociale ou idéologique (par exemple, le « discours féministe »). Cette
acception est caractéristique de celle qu’admet l’Ecole française d’analyse du discours.
Discours est donc la suite de phrases rapportées à ses conditions de production, se
définit par opposition à « énoncé », qui exclut de telles conditions. Il se conçoit comme
un énoncé considéré du point de vue du mécanisme discursif. L'étude linguistique des
conditions de production en fait un discours. Cette acception est la plus courante en
analyse du discours.
Sarfati définit le discours selon son rôle dans l’analyse de discours en disant :
« de manière spécifique, le mot discours désigne la conversation. Cette acception
concerne de manière générale l’analyse conversationnelle, ainsi qu’une théorie du
langage en prise directe sur la microsociologie. » Sarfati, (2005 :14). Le discours est
considéré ici comme un objet de la théorie de l’analyse du discours ; aussi, montre la
position de sa prise en compte, c’est-à-dire le discours se distingue de l’hétérogénéité
de sa composition du point de vue de son interprétation et du sens qui s’en dégage.
Selon Sarfati, le discours n’est donc qu’un objet d’analyse.
29
Une autre différence essentielle entre les deux serait, selon Maingueneau D. (1981 :
51) la prise en charge de l’énoncé par l’énonciateur à travers la modalisation ou alors à
travers le pronom personnel de la première personne du singulier « je » :
30
prennent en discussion le problème soulignent le caractère volontaire et dynamique qui
instaure la « dimension herméneutique du sens. » Vlad C. (2000 :45-46).
Vigneaux soutient aussi que le discours est caractérisé par des séquences. La
notion des séquences comme articulations de discours est avancée par Vignaux qui
caractérise le discours comme « un tout décomposable en unités qui ont des rapports
d’intégration à l’ensemble pour en assurer la cohérence, mais qui sont aussi isolables
comme blocs de signification successivement alignés » Vigneaux (1976 :176),
correspondant chacune à des situations narratives, à des moments de l’argumentation ou
à des actes descriptifs. Comme le dit Adam, (1990) et reprise par Bronckart, (1996),
l’approche de Vigneaux consiste à désigner des modes de planification du contenu
thématique du texte qui se déploient à l’intérieur du plan général du texte. Ainsi la notion
de séquence est en relation dialectique avec la planification du discours. Elles
s’impliquent réciproquement : un plan orienté vers une certaine finalité suppose la
décomposition du problème en parties. Ainsi Bronckart, (1996) établit une distinction
entre « séquence monogérée », gérée consciemment par un locuteur et « séquence
polygérée » dans l’échange conversationnel. L’approche de la construction séquentielle
du discours aide à expliquer la dynamique de l’élaboration du sens et la possibilité du
choix pour maintenir une certaine direction argumentative.
De toutes ces différentes définitions des auteurs, nous dirons que le discours que
nous faisons mention c'est lorsque l'auteur, ou l'instance d'énonciation (le narrateur ou
locuteur), se font sentir : lorsqu'on perçoit ses intentions, ses parties prises. À chaque
fois que le récit propose un sens autre en plus du sens narratif, cela relève du discours,
par exemple le discours le conflit, de discours féministe.
31
1.2.2- La disparité entre certaines notions de discours
32
On comprend avec Greimas et Courtes que le texte se diffère du discours par sa
forme graphique. C’est son actualisation qui renvoie au discours. Le texte pourrait
alors préexister à l'énonciation qui va le transformer en discours, alors même qu'il se
trouve défini comme expression et produit de la langue. Par conséquent, le discours
implique un acte langagier d’où émergent un texte, un contexte et une intention. Le
discours est donc une entité complexe ayant une dimension linguistique (en tant que
texte), une dimension sociologique (en tant que production en contexte), et une
dimension communicationnelle (en tant qu’interaction finalisée).
33
auditeur, ce n’est donc pas une phrase mais un énoncé particulier d’une phrase.
(Ducrot, O. 1980 :7).
L’énoncé est le produit d’une énonciation, qui est un acte plus abstrait. L’énoncé
peut être constitué d’une ou plusieurs phrases et il est la phrase au-delà de sa forme
phonétique et morphologique, puisque la phrase seule, restreinte à sa structure ne nous
donne pas un énoncé. À ce propos, Ducrot (1984 :95)) dit :
Ce que j’appelle « phrase », c’est un objet théorique, entendant par là qu’il n’appartient
pas, pour le linguiste, au domaine de l’observable, mais constitue une invention de
cette science particulière qu’est la grammaire. Ce que le linguiste peut prendre pour
observable, c’est l’énoncé, considéré comme la manifestation particulière, comme
l’occurrence hic et nunc d’une phrase. Supposons que deux personnes différentes
disent « il fait beau » ou qu’une même personne le dise à deux moments différents :
on se trouve en présence de deux énoncés différents, de deux observables différents.
(Ducrot O., 1984 : 174)
Selon Ducrot, la phrase est un être linguistique qui n’est pas concret ; il est
naturellement théorique. Par contre, l’énoncé renvoie à une réalisation sonore, une
réalisation déjà manifestée.
L’énoncé n’est pas du même domaine que la phrase, qui est une unité analysée, abstraite,
au moyen de laquelle le linguiste rend compte des relations distributionnelles. Les
énoncés sont comme dit Lyons J. (1970) des « échantillons de parole ».
34
1.2.2.4- La disparité entre énoncé et discours
35
1.2.3- Les caractéristiques et les fonctions du discours
Étant donné que le discours fait l’objet de l’analyse, nous constatons qu’il est
aussi un objet régi des caractéristiques et des fonctions.
Le discours considéré comme l’objet d’analyse par Sarfati, se caractérise par trois
critères à savoir : d’abord sa situation sociologique qui considère le discours comme un
fait social renvoyant à un groupe spécifique ; ensuite la qualité de son support qui n’est
d’autre que le texte ou l’oralité ; enfin son intertextualité, c’est-à-dire sa spécificité dans
le texte. Ici, on le repère facilement dans d’autres textes. Il s’agit de considérer ici que
chaque discours est autonome et ne pourrait être homogène dans d’autre texte ou
discours.
Adam J.–M. (1990 : 10) considère à juste titre qu’« un discours réel se
caractérise par sa dominante (argumentative, par exemple) et par le mélange de
séquences de types différents (pas de narration sans description, une argumentation
recourt souvent au récit, à l’explication et à la description, etc.). ». Pour ADAM, le
discours est caractérisé par son architecture, c’est-à-dire organisé de façon
argumentative et séquentielle.
Dans la vision de Jaubert A., (1990 : 9), le discours se caractérise par la présence
des actants de la communication (présence plus ou moins accentuée), « où ”je” et ”vous
/tu” construisent dans leur relation réciproque le cadre figuratif de l’énonciation. ». Ce
qui intéresse au premier le chef l’analyse du discours est, d’« avoir la parole ou de ne
pas l’avoir, ou plus exactement, dans le discours, signifier ou non qu’on l’a » (idem).
36
langagière, son degré de présence, les configurations syntaxiques, en bref, le mode
d’énonciation.
Toujours est-il qu’une autre intention peut régir une schématisation différente de
la même information de base, afin de faire correspondre le texte ou la séquence à une
fonction argumentative ou persuasive. C’est donc par et à travers le discours que
l’homme organise ses représentations et donne corps à la parole, c’est aussi par le
discours qu’on manifeste ses attitudes vis-à-vis de ce qu’on perçoit (ou de ce qu’on
imagine) ou du destinataire.
D’après Naprous Ida (2011 : 3), le mot conflit vient : « du latin « conflictus » =
choc : lutte, combat, guerre, terrorisme… qui infligent des pertes aux deux
adversaires. [C’est la] rencontre de sentiments ou de besoins, d’intérêts opposés :
querelles, désaccords, lutte de pouvoir…si cette opposition d’intérêt non traitée,
37
conflit ouvert ». Au sens commun, le conflit est défini par Petit Robert
comme :« Rencontre d’éléments, de sentiments contraires ou qui s’opposent ».
En sociologie, la question des conflits a fait l’objet d’un éliminativisme de
principe pendant quarante ou cinquante ans. Selon la définition de March J., Simon H.,
(1958) qui reste la plus simple et la plus communément admise, « il y a conflit
lorsqu’une décision ne peut être prise par les procédures habituelles ». Thomas K.
(1976 :889-935) considère deux types de conflits : le conflit intra individuel qui
correspond à la tendance d’un individu à fournir des réponses incompatibles entre elles,
et le conflit “dyadique”, entre deux entités (deux groupes, deux personnes...), qui selon
l’auteur doit être vu comme un processus qui englobe la perception, les émotions,
l’humeur des deux parties. Le conflit se déclenche lorsqu’une des deux entités perçoit
un état de frustration chez l’autre ou si elle se sent elle-même en état de frustration vis-
à-vis de l’autre entité. Coombs C., Avrunin G., (1988) élaborent un formalisme pour les
conflits, et insistent sur le fait qu’un conflit intra ou inter-individuel se caractérise par
une opposition entre deux réponses comportementales. Putnam L., (1987 :549-599)
donne une définition assez large qui embrasse les caractéristiques générales des conflits
: « un conflit correspond à l’interaction de personnes interdépendantes qui perçoivent
des oppositions de buts... et qui voient l’autre partie comme interférant dans la
réalisation de leurs buts ». Dans le même esprit, pour Castelfranchi C., (2000), la notion
de conflit présuppose l’existence de deux buts au moins.
Le conflit serait alors comme l’a dit Seydou Kamissoko, (2008 :4), le fruit des
inégalités sociales et le rapport de force ». Il affirme :
Dans cette « dynamique » de la société, tout le monde n’est pas sur le même pied.
Les objectifs ou les intérêts de certains groupes sociaux sont privilégiés au détriment
de ceux d’autres groupes qui sont plus ou moins marginalisés ou même exclus à
cause soit de leur nouveauté de résidence, de leurs moyens économiques, de leur
appartenance à une ethnie ou leur degré d’instruction etc. (Seydou Kamissoko,
2008 :4).
38
xénophobe, ou encore être dans une situation contraire à ses attentes (attente non
confirmée). L’auteur postule qu’un individu cherche toujours à être cohérent (état
d’harmonie) dans son interaction avec son environnement et opinions.
Selon Naprous I., (2011 :4), il existe quatre (04) types de conflit à savoir :
- Le conflit déclaré qui est mis à jour par les protagonistes qui le souhaitent même
parfois clairement par intérêt.
- Le conflit latent ou larvé qui est un conflit « étouffé » (peur du regard des autres, peur
du conflit déclaré, peur de ne pas être à la hauteur…). Traductions : non-dits pesants,
stress, retards, absentéisme, non-qualité du travail…
- Le conflit refoulé qui renvoie à un ancien conflit sans solution acceptable pour l’un
ou l’autre et qui risque donc de devenir un conflit déclaré.
- Le malentendu qui est une incompréhension, interprétation erronée de l’action de son
interlocuteur à travers ses propres craintes : expression de sa vulnérabilité. Ne pas
connaître le point de vue de l’autre nous permet d’attribuer des significations négatives
à son comportement.
On peut comprendre alors que le mot conflit a plusieurs définitions. Nous retiendrons
qu’il faut seulement s’assurer de l’existence des notions clés sans lesquels toute
définition peut s’avérer incomplète. Ces notions sont entre autres :
-Une divergence de points de vue, d’idées, de position etc.
- Le conflit se passe entre deux entités aux points de vue divergents
-Le conflit a un objet (il se passe autour de quelque chose)
- Le conflit à une dimension spatio-temporelle (il se passe en en lieu et dans un temps
donné). (Seydou Kamissoko, 2008 :3)
Nous pouvons donc dire qu’un conflit survient entre deux entités (individus,
groupes, organisations, classes sociales, nations, etc.) à cause d’un objet précis lorsque
les buts, les actions ou les comportements de l’une sont incompatibles avec ceux de
l’autre à un moment précis et dans un lieu précis.
39
1.2.4.2- La notion du discours de conflit
Une société sans conflit n’existe pas… et n’existera jamais. En effet, aucune société
n’est un ensemble homogène, uniforme ou définitif. A partir du moment où deux ou
plusieurs entités cohabitent, elles peuvent avoir des points de vue divergents ce qui
est déjà un premier pas vers le conflit qui peut avoir plusieurs dimensions variant de
simples échanges verbaux à la violence physique.
À travers cet extrait, il est clair que toute société est constituée de groupes sociaux
dont les valeurs, les intérêts et les objectifs ne coïncident généralement pas les uns avec
les autres. De ces faits, le conflit a une dimension socioculturelle, économique et
linguistique. La dimension linguistique fait apparaître le discours qui véhicule le conflit.
C’est cette dimension qui actualise le conflit proprement dit. Nous confirmons avec
Faouzia Bendjelid qui dit que « le discours peut en effet médiatiser l’action ou la
réaliser […], la préfigurer […] ou la reconfigurer […], [ou encore] en construire des
représentations. », en même temps qu’il peut « accompagner l’action, la commenter,
voire même s’en autonomiser à des degrés divers. » [En ligne], 14-15 | 2001, mis en
ligne le 31 janvier 2012, consulté le 04 janvier 2020. URL :
http://insaniyat.revues.org/9650;DOI:10.4000/insaniyat.9650.
40
éléments linguistiques, les analyses des contextes d’énonciation, des rites d’interaction
en jeu, des interférences entre rapports langagiers, rapports sociaux et rapports
institutionnels seront plus particulièrement privilégiées. Ainsi, le discours de conflit peut
être appréhendé dans ses aspects interactionnels et à travers les éléments qui la
constituent en tant qu’actes du langage, injure, insulte, impolitesse, incivilité ou tout acte
menaçant. Mais plus encore elle pourra être saisie dans toute sa dimension
sociolinguistique et symbolique, parce qu’elle est un signe de transgression des normes
sociales et dérèglement de l’ordre légitime.
41
CHAPITRE 2 : L’ANALYSE STRUCTURALE DU DISCOURS
CONFLICTUEL
42
le locuteur jette sur son activité énonciative [...] les modalités qui portent sur le dire du
sujet parlant. »
Elles sont consacrées au comportement du locuteur dans son lien interpersonnel
avec son allocutaire. Elles renvoient « au sujet de l’énonciation en marquant l’attitude
énonciative dans son rapport à son interlocuteur » (Riegel et Al. 1994 : 580). Elles se
traduisent par des choix de types de phrases, selon que le sujet veut affirmer quelque
chose, interroger ou donner un ordre. Si l’acte de langage est direct, on emploi un type
de phrase pour l’action à laquelle il est associé. Par exemple, on utilisera une phrase
interrogative pour poser une question.
Mais nous nous basons plus sur les modalités d’énonciation qui expriment le conflit
dans Walaande, l’art de partager un mari. Une analyse qui se base sur les types de
modalités d’énonciation qu’on appelle aussi en grammaire aussi les types de phrases
qui, dans le texte expriment le conflit. Ici, il n’est pas question d’identifier la qualité du
conflit, mais juste identifier les expressions qui tendent vers la mésentente entre les
locuteurs et les récepteurs du discours. Il s’agit en claire d’identifier et d’interpréter les
énoncés qui traduisent le conflit ou l’opposition d’idée des personnages du dit discours.
Comme nous l’avons souligné ci haut, étudier la modalité d’énonciation exprimant le
conflit se basera sur la modalité exclamative, la modalité impérative ou injonctive, la
modalité assertive et enfin la modalité interrogative. Toutes ces modalités sont des
possibilités que pourra choisir le locuteur ou énonciateur pour exprimer son attitude vis-
à-vis de son interlocuteur ou de son discours.
43
l’énonciateur. L’émotion exprimée joue un très grand rôle sur le co-énonciateur : soit
elle est utilisée pour influencer son interlocuteur, soit pour attirer son attention afin de
gagner son adhésion à son opinion. Notre préoccupation dans cette partie est portée sur
l’analyse des énoncés portant la modalité exclamative qui expriment le conflit dans
l’œuvre Walaande, l’art de partager un mari de Djaïli Amadou Amal. Plusieurs énoncés
exclamatifs de ce texte marquent des idées conflictuelles. C’est donc le cas des énoncés
suivants exprimant le conflit à travers les modalités exclamatives :
44
désintéressement recours à un discours exclamatif de forme négative qui laisse
comprendre un conflit d’idée entre ces deux personnages (Alhadji et Fayza).
Il en va de même pour les énoncés exclamatifs (3), (4), (5), (6), (7) et (8). Les
locuteurs agissent soit de manière oppositionnelle dans l’énoncé (3) : « Ne
m’interrompe pas ! » P. 87 qui exprime l’opposition d’Alhadji à la réaction de son fils
Moustapha qui prend la parole avant que son père ne finisse la sienne. Une opposition
manifestée par le sentiment oppositionnel marquée par l’exclamation, soit de manière
agressive pour influencer et manifester leur mésentente, à l’exemple de l’énoncé
(8) :« C’est moi qui commande ! » p. 42. Ici, c’est Alhadji qui s’adresse de façon
conflictuelle et irritée à son épouse Aïssatou. L’exclamation portée à la fin de cet énoncé
montre que Alhadji soulève le ton sur son épouse ; une manière de la menacer.
Nous constatons alors que les énoncés exclamatifs sont les moyens qui permette
d’identifier ou de déceler le conflit dans un discours ou dans un texte.
Si elle est exprimée pour donner des ordres, pour influencer ou imposer, on dira que
cette modalité exprime le conflit entre les personnages du texte corpus. En réalité, dans
un énoncé impératif ou injonctif, l’énonciateur exprime état de dictateur, son influence,
son désaccord, son imposition, sa colère vis-à-vis de son co-énonciateur. Nous
déduirons alors que ces énoncés de modalité injonctive peuvent être considérés comme
le discours du conflit. Voici quelques exemples d’énoncés exprimant la modalité
injonctive du conflit dans WAPM :
45
(9) : Va-t’en ! sors ! et surtout que je ne te revois plus chez moi avant de
t’avoir convoquée. p. 89
(10) : Ne m’adresse plus jamais la parole, espèce de traitre ! p. 34
(11) : Viens immédiatement balayer mon salon ! p. 26
(12) : Tais- toi Djaïli ! p. 14
(13) : Arrête de te vanter et de donner des leçons parce que tu as fait un
peu d’étude. p. 14
(14) : Donne-moi la télécommande tout de suite Nasser ! p. 54
(15) : Arrête de me contredire toi aussi. p. 67
Nous confirmons d’abord que les énoncés ci-dessus sont des modalités injonctives
et elles expriment le conflit entre les énonciateurs des différents discours du texte. Ces
énonciateurs manifestent leur conflit à travers les modalités injonctives, au sein du
quelles se manifeste une imposition colérique comme le montre bien l’énoncé :
Cette impérative énoncé par Yasmine pour donner un ordre, une imposition et
surtout un avertissement à Nafi de ne plus jamais l’adresser la parole laisse entendre que
Yasmine à un problème avec Nafi. Cette modalité sous-entend que Nafi avait posé un
acte négatif qui déplait Yasmine et par conséquent, engendre le conflit entre ces deux
jeunes filles ; d’où son avertissement très actif et irréversible à travers la modalité
impérative.
(9) : Va-t’en ! sors ! et surtout que je ne te revois plus chez moi avant de t’avoir
convoquée
46
La modalité impérative exprime d’une manière ou d’une autre le conflit entre les
personnes de l’énoncé. Car à travers l’ordre, l’imposition, la dictature, la colère, le
locuteur marque son désaccord envers son interlocuteur. Nous l’avons compris à travers
les différents énoncés impératifs exprimant le conflit qui existe entre les personnages de
l’œuvre WAPMDAA que cet éléments linguistique (modalité impérative ou injonctive)
permet aussi à son identification dans un discours.
47
(23) : Je ne suis pas ta fiancée. p. 71
(24) : Je ne veux pas t’épouser non plus petite peste impolie. p. 71
(25) : Mais je ne veux pas me marier et même si je devrais le faire un jour,
ça ne sera pas avec Moubarak. p. 78
Dans le cadre général, la modalité interrogative est une modalité qui exprime
l’inquiétude de l’énonciateur, son état de doute, d’insatisfaction. La modalité
interrogative est la phase où le locuteur exprime une demande ou une question.
Maingueneau (1999 : 48) définit l’interrogation en mettant plus d’accent sur le
répondant en disant : « interroger quelqu’un, c’est se placer dans l’alternative de
répondre ou de ne pas répondre. C’est aussi lui imposer le cadre dans lequel il doit
inscrire sa réplique ». La définition de l’interrogation donnée par Maingueneau se
présente comme un moyen qui influence sur l’interlocuteur tout en le mettant dans une
alternative de répondre à la question posée ou de ne pas répondre et enfin elle oblige
l’interlocuteur ou co-énonciateur à répondre à l’idée ou alors elle oblige l’interlocuteurs
48
à répondre au besoin du locuteur. C’est dire que lorsqu’on questionne son interlocuteur,
on impose au répondant une réponse satisfaisante, une réponse dans le cadre qu’on
s’attendait et le répondant doit impérativement répondre selon le cadre imposé.
L’interrogation se réalise par l’emploi des variantes syntaxiques qui s’exercent sur
l’interlocuteur. L’interrogation est utilisée pour traduire les idées d’influencer et
d’avertir l’interlocuteur ou co-énonciateur et elle arrive souvent à traduit une expression
du conflit du locuteur. C’est-à-dire qu’à travers la question, le locuteur cherche à
manifester son mécontentement.
49
À travers ces différentes interrogations, on constate qu’il y a des
locuteurs/énonciateurs qui cherchent à influencer leurs interlocuteurs / co-énonciateurs
tout en exprimant leurs positions qui ne sont pas du tout partagées par leurs co-
énonciateurs. Ils expriment leurs oppositions et leurs influences sur les interlocuteurs à
travers les questions qui traduisent la polémique qui les lie.
Le conflit est manifesté à travers plusieurs modes. Si nous prenons l’énoncé (26)
nous voyons une oppression du locuteur sur l’interlocuteur à travers la double
interrogation successive. Qui sans doute si c’était produit oralement, devais avoir une
voix montante et agressive du locuteur. En effet, si nous rentrons dans le contexte, il
s’agit d’une opposition d’idée entre Nafi (deuxième épouse d’Alhadji) et Alhadji lui-
même sur sa décision d’épouser une troisième femme. Une décision qui n’est pas du
tout partagée par Nafi et qui les met en désaccord. Cet énoncé nous laisse d’abord
entendre que le co-énonciateur (Nafi) a posé un acte qui a suscité la colère de
l’énonciateur (Alhadji). L’énonciateur cherche à comprendre si le co-énonciateur à
compris la logique tout en l’imposant à lui faire comprendre qu’elle doit forcément
comprendre ; c’est-à-dire le locuteur (Alhadji) impose à son interlocuteur (Nafi)
d’accepter et de confirmer qu’elle a compris et qu’elle doit accepter son idée. Cette
modalité imprime l’influence de l’émetteur qui oblige le récepteur à produire à son tour
une réponse.
Cette modalité peut à travers un énoncé interrogatif traduit une imposition faite par
Alhadji sur Nafi de comprendre et de confirmer sa part d’idée.
50
Toujours le conflit entre Alhadji et Nafi par l’opposition de Nafi face à Alhadji sur son
idée d’amener encore une autre coépouse. Pour se faire, Alhadji par son statut de père
de la maison cherche à influencer Nafi en l’interdisant de poser une question en
introduisant sa part de question.
L’interrogation peut exprimer la colère du locuteur comme dans les énoncés (30)
et (31) :
Ces deux modalités interrogatives expriment des questions basées sur la révolte,
la colère des différents locuteurs. D’abord le premier énoncé interrogatif exprime la
colère d’Alhadji Daouda face à la réaction d’Amadou qui rétorque son oncle (Alhadji
Daouda) sur l’idée du mariage forcé et les faire devenir contre leur gré des grands
commerçants. Et le second énoncé exprime une interrogation colérique de Fayza à
Amadou qui est d’ailleurs sa cousine.
Cette question traduit clairement une attaque et le mépris de locuteur à l’égard de son
interlocuteur.
52
la modalité déontique fait essentiellement appel aux notions d'obligation, de permission,
d'interdit.
Cet impératif traduit une interdiction, un devoir, qui sans doute conduit au conflit.
La modalité déontique se présente dans les énoncés (36), (37) et (38) à travers les
lexiques impératifs « il faudrait que », « il faut que », « vous devez » suivants :
Ces modalités déontiques sont les matériels linguistiques qui expriment le conflit
dans le texte de Djaili Amadou Amal.
53
fluctuation de la connaissance que le sujet a du monde ». L'épistémique concerne donc
les différentes connaissances que nous avons du monde. Dans notre corpus, ces
connaissances se manifestent à l'intérieur d'un énoncé pour désigner la présence du
conflit. Ces conflits se caractérisent par le fait qu'ils modifient explicitement la valeur
de vérité d'un contenu propositionnel et qu'ils se situent à une échelle allant de
l'incertitude la plus absolue à la certitude totale.
Dans l’énoncé (40), on se rend compte que Sakina la troisième femme d’Alhadji, la
femme la plus instruite de ses femmes exprime sa certitude sur la cause de la maladie
dont elle parle. Cette certitude vient à l’encontre du doute des autres sur cette maladie à
travers le lexique « sûrement ». Elle renvoie à l’expression du conflit, un conflit de
manière oppositionnelle.
Quant à l’énoncé :
(42) En vérité, tout ce que les hommes nous racontent sur l’Islam est faux. Page 55
(43) je ne vais certainement pas épouser cet idiot d’Amadou et aller vivre dans la
concession de l’oncle Daouda. p 70
Ici Fayza manifeste son opposition vis-à-vis de l’idée de mariage à travers son
évidence. Elle est ferme sur sa décision qu’elle ne pourra pas épouser Amadou. Et cette
54
modalité épistémique marque une opposition de la jeune Fayza vis-à-vis d’un mariage
forcé à travers le modalisateur « certainement ».
Il faut noter par ailleurs que les modalités logiques peuvent acquérir des valeurs
modales différentes selon le contexte. Elles peuvent aussi partager l’espace d’un même
sens, tout comme dans le cas des verbes « pouvoir » et « devoir » pouvant signaler la
modalité déontique, la modalité aléthique et la modalité épistémique en fonction du
contexte.
Cet énoncé exprime une vérité au sens universel à travers l’adverbe « inadmissible ».
Cet élément linguistique exprime le faux, l’inacceptabilité d’un fait quelconque. Il
exprime la vérité sur une fausse conception d’où on le considère de discours de conflit.
(45) vous êtes des filles, vous devriez vous marier un jour ou l’autre… p. 75
Dans cette modalité aléthique, le locuteur exprime une vérité d’ordre logique et
général. La fille reste et demeure toujours un être qui est censée être en mariage. Selon
55
cette modalité, les filles ne devaient pas opposer aux mariages qu’on leur a proposés. Le
locuteur exprime son opposition à travers cette modalité aléthique.
Une subjectivité peut s’exercer également sur le plan évaluatif, lorsque le sujet
de l’énonciation exprime un commentaire ou un jugement par rapport aux valeurs
axiologiques comme le bien et le mal, le beau et le laid, ou aux savoirs épistémiques
pour considérer leur degré de vérité, de fausseté, de certitude.
Bally, C. (1932 : 167) lui se base sur l’idée des caractères intellectuels qui permet
de distinguer les caractères affectifs naturels et les effets par évocation des faits de
langage. Les caractères affectifs naturels sont « inhérents aux faits d'expression eux-
mêmes », l'effet vient de «la forme qui est donnée à la chose exprimée, de l'angle sous
lequel la fait voir l'expression qui en est le symbole » Ces moyens d'expression éveillent
en nous le sentiment d'agréable ou de désagréable, de beau ou de laid sans que la
réflexion fasse rien ajouter d'essentiel à l'impression première. Les effets par évocation
56
découlent de l'évocation du contexte et du milieu dans lesquels l'emploi des faits
d'expression est le plus fréquent.
L'adjectif qualificatif est une catégorie de mot qui s'adjoint au nom pour exprimer
une qualité ou une quantité. Baylon C. et alii (1978 : 44-45) pensent que « du point de
vue sémantique, l’adjectif exprime une qualité ou une relation (…). Il apporte une
détermination plus ou moins grande… ». L’adjectif est donc une classe grammaticale
qui permet de matérialiser la subjectivité dans un énoncé ou discours. L’œuvre
Walaandé, l’art de partager un mari présente le conflit à travers le discours ; les
différents adjectifs à valeur péjorative ont permis à la réalisation des idées conflictuelles
dans les énoncés des personnages de l’œuvre. Nous constatons que les énonciateurs pour
manifester leur désaccord, recourent aux modalisateurs portants sur les adjectifs
qualificatifs à valeur péjorative ou alors non méliorative. Pour adhérer à l’idée de
Kerbrat (1980) sur la considération de certains modalisateurs comme des subjectivèmes,
nous allons analyser les énoncés manifestant le conflit à travers les adjectifs qualificatifs
à valeur affective et péjorative et les adjectifs qualificatifs évaluatifs à valeur péjorative
de quelques énoncés de l’œuvre corpus de Djaïli ci-dessous :
57
Comme nous l’avons dit ci haut, les adjectifs de ces énoncés portent sur deux
grandes valeurs adjectivales à savoir les adjectifs à valeur affective et péjorative et les
adjectifs à valeur évaluative et péjorative. La valeur affective et péjorative des adjectifs
renvoie au sentiment dépréciatif renvoyant à l’opposition de locuteur. De même pour
les adjectifs évaluatifs à valeurs péjoratives exprime une évaluation dépréciative
traduisant une opposition.
les adjectifs affectifs énoncent, en même temps qu'une propriété de l'objet qu'ils
déterminent, une réaction émotionnelle du sujet parlant en face de cet objet. Dans
la mesure où ils impliquent un engagement affectif de l’énonciateur, où ils
manifestent sa présence au sein de l’énoncé, ils sont énonciatifs.
Les adjectifs affectifs sont des adjectifs qui montrent une expression
émotionnelle ou alors une manifestation affective de l'auteur d'un énoncé. L’emploi de
ce vocabulaire montre que l'énonciateur cherche à susciter les mêmes émotions chez son
interlocuteur. C’est le cas de l’énoncé (50) : « Elle ne prenait pas soin d’elle et je déteste
les femmes négligées ». Ici l’adjectif « négligées » de cet énoncé détermine le nom
« femmes ». Cet adjectif exprime le dégout face aux femmes qui se négligent qu’on peut
qualifier d’une opposition de l’énonciateur à la classe des femmes négligées. Cet adjectif
détermine l’expression du conflit du fait que le sujet énonciateur exprime la qualité des
femmes qu’il n’aime pas. Si on entre dans le détail de cet énoncé, on se rend compte que
l’énonciateur (Alhadji) à répudier ses femmes parce qu’elles se négligeaient. Cet adjectif
épithète « négligées », au nom « femmes » qualifie alors la femme à travers son
comportement non excusé par l’énonciateur (Alhadji) qui aboutit très souvent à leur
répudiation.
Il en est de même pour l’énoncé (54) : « Aissatou les yeux tristes poussa un soupir ».
Mais ici l’adjectif « tristes » ne renvoie pas à l’énonciateur mais à son objet d’énoncé.
Il utilise l’adjectif péjoratif « tristes » pour montrer d’abord l’état d’âme d’Aissatou et
en plus la personnalité d’Aissatou qui est influencée. Le conflit se manifeste par le
désaccord des personnages de cet énoncé et exprimé à travers cet adjectif affectif à
58
valeur péjorative. La tristesse est ici la source de la mésentente, le désaccord, et surtout
le conflit entre Aissatou et Alhadji qui se dégage à travers cet adjectif affectif « tristes ».
l’usage d’un adjectif évaluatif est relatif à l’idée que le locuteur se fait de la norme
d’évaluation pour une catégorie d’objets donnée. C’est-à-dire qu’une phrase telle
que « cette maison est grande » doit être paraphrasée en : « cette maison est plus
grande que la norme de grandeur pour une maison d’après l’idée que je m’en faits
(elle-même fondée sur mon expérience personnelle des maisons) ».
Notons le flou qui entoure les termes utilisés pour désigner les différentes
catégories d’adjectifs « subjectifs » ( et corrélativement, le découpage lui-même de
ces catégories) : certains restreignent l’emploi d’« évaluation » aux seuls
axiologiques (Pupier 1998), d’autres appellent « Appréciatif » ce que nous
appelons « évaluatif », ( Rivara 1977 et 1984 ).
Nous nous alignons derrière la thèse de Kerbrat pour classifier les catégories des
adjectifs. Si nous prenons l’énoncé (51) : Depuis quelques temps, Moustapha avait des
ambitions bizarres. P. 68, l’adjectif « bizarres » est l’évaluation péjorative des
ambitions de Moustapha
59
dénoté par le substantif qu’il déterminent, et dont l’utilisation se fonde à ce titre sur
une double norme :
(1) Interne à l’objet support de la qualité ;
(2) Spécifique du locuteur- et c’est dans cette mesure qu’ils peuvent être considérés
comme « subjectifs » »
Tout comme l’adjectif non axiologique, l’adjectif axiologique est spécifié par la
mise en évidence des certains critères. Mais sa différence est qu’il détermine un
jugement sur la valeur négative ou positive. Kerbrat (1980 :102) avait bien établi cette
comparaison en disant : « à la différence des précédents (les adjectifs non axiologiques),
les évaluatifs axiologiques portent sur l’objet dénoté par le substantif qu’ils déterminent
un jugement de valeur, positif ou négatif »
Les adjectifs axiologiques consistent donc à porter un jugement de valeur sur l’objet
selon qu’il soit positif ou négatif.
Dans l’œuvre WAPM les énoncés évaluatifs dont les sujets de l’énonciation
expriment le conflit, sont souvent marqués par l’usage des adjectifs évaluatifs
axiologiques à valeur péjorative comme dans les énoncés (49), (51), (52) et (53) :
(49) : Mais comment as-tu pu être aussi mesquine Nafi ? Ne m’adresse plus la
parole espèce de traitre ! p. 30,
(51) : « Depuis quelques temps, Moustapha avait des ambitions bizarres. p. 68,
(52) : Fou de rage, Moustapha fit tomber brutalement la petite table dans sa
chambre, mais la vue de ses livres éparpillés au sol ne lui procura qu’une mine
consolation.,
Dans ces énoncés, nous remarquons que tous les adjectifs renvoient aux
jugements ou alors à l’évaluation dépréciative soit de son co-énonciateur soit sur
l’énoncé proprement dit. À travers ces adjectifs, le locuteur ou énonciateur cherche soit
à évaluer, soit à juger son interlocuteur ou l’objet à qualifier. Si nous prenons l’adjectif
60
« mesquine » de l’énoncé (49), on se rend compte que cet adjectif qualifie Nafi de
personne médiocre, qui manque de générosité, sans valeur. Cet adjectif est à valeur
péjorative, il détermine un jugement de valeur négative.
Dans l’énoncé (51), L’adjectif qui explicite le discours du conflit est l’adjectif
évaluatif axiologique à valeur péjorative « bizarres ». L’énonciateur exprime son esprit
conflictuel à travers l’adjectif évaluatif axiologique « bizarres ». Le locuteur ici est le
père de Moustapha c’est-à-dire Alhadji qui exprime son désaccord à l’ambition de
Moustapha qui est celle de devenir pilote au lieu de se marier et devenir commerçant.
L’adjectif « bizarres » ici évalue les ambitions des jeunes en particulier celle de
Moustapha de devenir pilote, d’où son accord au pluriel (bizarres).
62
verbal ». L’adverbe « immédiatement » désigne la manière d’être rapide, une imposition
faite vis-à-vis de son interlocuteur. L’adverbe laisse entendre que les personnages de
l’énoncé ont un problème idéologique. Si on entre dans le contexte, l’adverbe
« immédiatement » est produit dans le texte par Djaïli qui ordonne à Sriafata d’obéir à
son ordre et pourtant cette dernière est sollicitée à ménager ailleurs. Pour montrer son
opposition et son influence sur Sriafata, Djaïli recours à l’adverbe de manière
« immédiatement » dans son discours. Cet adverbe joue un grand rôle dans la
compréhension du message du conflit. Le locuteur (Djaïli) oblige son interlocuteur
(Sriafata) de venir très rapidement, un appel contre son gré à travers une pression sans
pardon, une imposition qui n’admettra pas de retard.
Dans ces énoncés, il s’agit des locutions adverbiales : « plus jamais » et « tout de
suite ». Ces locutions expriment comme l’adverbe « immédiatement » le temps et
l’imposition des lois à l’interlocuteur. Elles traduisent une dictature, une imposition et
bien évidemment le conflit.
Pour nous faire comprendre bien le rôle de l’adverbe, Maingueneau (2001 : 40)
fait la différence entre les adverbes dit « de phrase » ou « modalisateurs » et les
« adverbes de manière ». Pour lui : « les adverbes de phrase portent sur l’ensemble de
63
l’énoncé alors que les adverbes de manière sur le seul syntagme verbal. Les uns
permettent de l’évaluer du point de vue de sa vérité (peut-être, sans doute,
certainement), d’autres sont appréciatifs (heureusement, par chance …) ». Ensuite de
ces termes qui portent sur l’énoncé, il y en a qui portent sur l’énonciation elle-même.
C’est le cas de l’énoncé (59) : « franchement, je ne sais plus à quoi pensent les jeunes
d’aujourd’hui ». L’adverbe « franchement » qualifie l’acte même de dire « je ne sais
plus à quoi pensent les jeunes d’aujourd’hui », l’image qu’entend en donner
l’énonciateur. Dans cet énoncé, l’énonciateur exprime son désaccord vis-à-vis de la
réflexion des jeunes actuels. Cet adverbe exprime de manière implicite le conflit, parce
que si on s’en tient au contexte de l’énoncé (59), Alhadji exprime sa position qu’il
considère pour modèle, celle qui n’est pas appréciée par les jeunes d’aujourd’hui et qui
est controversée par son fils Moustapha. L’adverbe « franchement » est donc une
opposition nette à l’idée des jeunes et de Moustapha en particulier.
(62) : Mais comment un homme que j’ai aimé, qui semblait si cultivé et si moderne
a-t-il pu changer aussi subitement et aussi complètement en quelques années ? p.
14
64
(63) : Je t’en prie Djaïli, laisse Sriafata m’aider. p. 26
(64) : Mouni je te jure. p. 27
(65) : C’est ma maison si tu désires encore y vivre, c’est tant mieux. p. 42
(66) : J’ai cru que j’allais mourir. p. 52
(67) : La cinquième n’a pas supporté que j’épouse Djaïli. Et j’avoue que ça m’a
arrangé. p. 61
(68) : Elle ne prenait pas soin d’elle et je déteste une femme négligée. p. 61
(69) : Elles devraient deviner que je regrette toutes ces erreurs. p. 63
(70) Alors choisis sur le champ celui que tu préfères. - Je n’aime aucun d’eux… p.
88
(71) : Je préfère mourir que de l’épouser. p. 88
Dans ces énoncés, nous allons prendre quelques verbes qui expriment la
subjectivité du locuteur dans son discours du conflit, et nous allons donner des détails
possibles.
65
bien entendu sous le coup de la menace ; le verbe désirer « désires » de l’énoncé (65)
exprime le gout du choix de l’énonciateur; le verbe croire « j’ai cru » de l’énoncé (66)
renvoie à la croyance conjuguée au passé composé de l’indicatif marquant une
opposition entre un fait passé et présent, une idée incertaine à la réalité vécue ; le verbe
avouer « j’avoue » de l’énoncé (67) est un verbe qui exprime la certitude du locuteur ;
le verbe devoir « devraient » de l’énoncé (69) est un verbe qui exprime une opposition
à la norme d’idée, elle indique l’exemple à suivre; le verbe aimer « je n’aime » de
l’énoncé (70) exprime le dégout du locuteur envers l’offre proposée à son égard, l’ajout
de l’adverbe « ne… pas » le rende synonymique au verbe « détester »; le verbe préférer
« préfère » de l’énoncé (71) exprime le choix du locuteur vis-à-vis de la proposition.
Si nous entrons dans le contexte de ces verbes, nous voyons que l'emploi de verbe de
sentiment «je déteste » conjugué au présent de l’indicatif et à la première personne du
singulier montre que l’énonciateur a été affecté négativement par le comportement de
son co-énonciateur. Ces genres de verbes marquent la présence de l'énonciateur au sein
de son énoncé. Le verbe « déteste » exprime son état d’âme et son sentiment tout en
cherchant à démontrer le conflit qui y règne entre lui et son interlocuteur (ex-épouse qui
s’est négligée). Une opposition qui exprime certainement le conflit. D’ailleurs son
opposition est exprimée à travers le verbe de sentiment à valeur péjorative « déteste »,
et qui dit opposition dit conflit car on s’oppose à une personne qui défend une idée et
ces idées forment deux camps qui chacun défend le tient avec énergie, par conséquent
exprime le conflit.
Si nous prêtons bien attention à ces verbes, nous constatons qu’ils décrivent en
grande majorité des faits oppositionnels soit face à un interlocuteur, soit face à l’objet
mis en scène. Ils expriment toujours des idées négatives. Vue alors leur valeur tendant
vers une description de la négation, nous dirons que ces modalisateurs verbaux renvoient
à l’expression du conflit dans le texte WAPM.
Les substantifs ou encore comme Maingueneau (2001 : 38) les appelle « les noms
de qualité » ont leur existence dans les actes d’énonciation. En réalité, leur référence
n’est que dans l’énonciation. C’est une qualification ou encore une attribution de nom à
66
un personnage prétendu interlocuteur ou co-énonciateur. En dehors de l’énonciation, le
nom attribué à cette personne n’existe pas ; Maingueneau (2001 :39) le démontre en
disant :
les noms de qualité n’ont de référent que par les actes d’énonciation des sujets. « Le
perfide ! » désigne une personne que je traite de « perfide » et qui n’est perfide que
par mon énonciation. En dehors d’une énonciation particulière, il n’existe pas une
classe d’êtres perfides, imbéciles, benêts… qu’on puisse délimiter à priori.
67
(72) : « … cet idiot d’Amadou… ». p. 70
Du point de vue sémantique, les noms de qualité sont différents des noms ordinaires.
Du fait que ces derniers ont de signification stable et non pas une dépendance de
l’énoncé. C’est toujours Maingueneau (2001 : 39) qui affirme :
Les noms de qualité apparaissent sous diverses formes de subjectivité telles que
le jugement, l’appréciation, la qualification, et même les injures. Leur apparition dans
un énoncé ou discours explicite le message selon qu’ils soient positifs ou négatifs. C’est
le cas des différents noms de qualité dans les énoncés extraits de l’œuvre Walaandé,
l’art de partager un mari de Djaïli Amadou Amal :
(73) : Je ne vais certainement pas épouser cet idiot d’Amadou et aller vivre dans la
concession de l’oncle Daouda. p. 70
(74) : Je ne veux pas épouser Moubarak. C’est un voyou. – Tu penses que je vais
épouser un sale type comme toi. – Je ne veux pas t’épouser non plus, petite peste
impolie. p. 71
(75) : Ne me parle pas de lui, coupa Djaïli. Ce n’est qu’un traitre. p. 40
(76) : Elle était restée une villageoise malgré nos années en ville. p. 60
(77) : C’est à moi que tu t’adresses ainsi petit voyou ? p. 77
Dans ces énoncés, nous avons les noms de qualité « un idiot », « un voyou », «
une petite peste », « un sale type », « petit voyou » qui sont en réalité les qualificatifs
des personnes physiques. En dehors de cet énoncé, ces personnes ne sont ni idiot, ni
voyou, ni sale, encore moins une peste.
68
Prenons l’exemple de l’énoncé (73), on voit que le substantif « cet idiot » donne
une mauvaise image d’Amadou, une qualification négative trahissant l’esprit conflictuel
du locuteur (Fayza) envers son interlocuteur sur l’idée de leur mariage forcé. Cet attitude
ne plait pas du tout à Fayza, cette dernière s’enflamme sur son cousin Amadou en le
qualifiant d’« idiot ». Pourtant nous savons que son cousin Amadou est un homme qui
répond au nom de Amadou et non comme l’a-t-elle baptisé d’« idiot ».
L’énoncé (74) en fait pareille à travers les injures partagées entre Fayza et
Amadou à travers les substantifs : « sale type, petite peste, voyou ». La sémantique de
ces substantifs trahit l’esprit conflictuel des interlocuteurs. Chacun sort des
qualifications et donne à chacun d’entre eux des noms autres que les leurs.
Nous confirmons alors que les noms de qualité ou les substantifs à valeur
péjorative expriment la subjectivité dans l’énonciation. Il suffit qu’apparaissent ce type
des noms dans un énoncé pour qu’il faille savoir cette subjectivité renvoyant au discours
de conflit. Et sans doute ces noms de qualité expriment soit une appréciation positive
soit une appréciation négative. Dans le cadre de notre corpus nous avons relevé quelques
substantifs en qualité d’appréciation négative qui expriment le conflit. Et ces noms de
qualité sont les moyens qui nous permettent des savoir la présence du conflit ou alors
l’expression de conflit dans les discours ou énoncés du corpus. Ils traduisent soit le
mépris soit l’attaque conflictuelle du co-énonciateur.
69
CHAPITRE 3 : LES MARQUEURS POLYPHONIQUES ET LES IMAGES
Dans cette partie, nous identifierons les différentes voix qui manifestent le conflit
dans un discours. Dans le cadre général, la polyphonie a vu ses jours par les travaux
littéraires de Bakhtine M. (1970 ). L’objectif de la polyphonie de Bakhtine est de décrire
la mise en scène de la parole dans le roman. Plus tard que Ducrot s’est inspiré de la
polyphonie de Bakhtine et dans le développement de l’idée de la polyphonie linguistique
que Oswald Ducrot (cf. 1980, 1984) s’est laissé inspirer des travaux littéraires. Par sa
propre théorie de la polyphonie, Ducrot vise à construire un cadre qui représente « une
extension (très libre) à la linguistique des recherches de Bakhtine sur la littérature »
Ducrot ( 1984 : 173). Dans la construction de ce cadre, il s’inspire également de J.
Authier (1978) et de M. Plénat (1979) sur le discours indirect libre (Ducrot 1984 : 173).
Son objectif déclaré est la contestation de « l’unicité du sujet parlant », une position qui
constitue un préalable implicite de « la linguistique moderne » Ducrot (1984 : 171). Il
distingue alors le sujet parlant (individu empirique), le locuteur (responsable de ses
énoncés) et l’énonciateur (instance de parole représenté, « mis en scène » par le
locuteur). Les cas de discours rapporté ou d’implicite sont des cas emblématiques de la
polyphonie. Carel et Ducrot (2009 : 33-43) identifient deux conceptions opposées
auxquelles se rattachent le plus souvent les partisans actuels de la polyphonie : celle
qu’ils nomment « attitudinale » consiste à soutenir que le locuteur, dans la plupart des
énoncés, présente plusieurs contenus et prend vis-à-vis d’eux des attitudes diverses ; une
autre conception, appelée « musicale », consiste à comprendre la polyphonie comme la
co-existence de plusieurs paroles à l’intérieur d’un seul énoncé, ce qui « correspond à
une interprétation presque littérale du mot « voix » ».
La polyphonie est donc la mise au point de deux ou plusieurs voix dans un énoncé
donné. En réalité, la principale préoccupation de la polyphonie est d’identifier le sujet
énonciateur. En plus de cet objectif que pose la polyphonie, nous trouvons encore
nécessaire d’ajouter un autre objectif ; celui d’indiquer le conflit entre les voix présentes
dans l’œuvre Walaandé, l’art de partager un mari de Djaïli Amadou Amal. La
polyphonie linguistique, telle qu’introduite par Ducrot, doit se comprendre dans ce cadre
de travail, comme un phénomène relevant des instructions posées par la signification.
70
La polyphonie associée au conflit ne peut être qu’une fonction purement des signes
énonciatifs et même pragmatiques. La voix entant que force locutoire qui s’y rapporte,
fonctionne pour une part comme un symptôme conventionnel entre la voix qui s’y
apparait et le point de vue de cette voie (énonciateur). Et cette convention est effective
grâces aux indices ou alors les modalisateurs appropriés du conflit dans le texte corpus.
Pour identifier dont le discours de conflit dans le texte de Djaïli Amadou Amal, nous
commencerons par l’analyse de l’implicite des énoncés ensuite l’analyse des figures de
style et enfin l’analyse du discours rapporté.
L’implicite renvoie à ce qui n’est pas dit dans un énoncé en terme clair et que
l’interlocuteur doit comprendre par lui-même. Les locuteurs du discours ou énoncé
décident souvent de passer sous silence certaines informations d’opposition, de nuire,
de choquer, de raillerie, bref une information conflictuelle. Ils n’expriment pas
formellement leur pensée, il faudra déduire, deviner, pour comprendre une information
à partir d’un terme ou d’un contexte. L’étude de l’implicite consiste à l’analyse des
présupposés et de sous-entendus dans un discours ou énoncé.
3.1.1- La présupposition
La présupposition est un acte de parole surajouté à l'acte posé. Il s’agit d’une
analyse qui prend son élan de l’acte posé. La présupposition est liée à la sémantique des
mots ou des verbes ; elle est produite par le message linguistique donné et bien
évidemment inscrit dans la langue. Kerbrat, (1986 :25) entend par la notion de
présupposé « toutes les informations qui, sans être ouvertement posées, sont cependant
automatiquement entrainées par la formulation de l’énoncé dans lequel elles se trouvent
intrinsèquement inscrites ». C’est dire que dans un énoncé implicite présupposé, il existe
des informations qui explicitent les différentes voix manifestant le conflit qui est
possible à travers une analyse de l’énoncé ou de discours.
Pour Ducrot (1984), l’analyse de la présupposition se base souvent d’une part sur
les verbes factifs comme cesser ou regretter et d'autre par le connecteur puisque. En
71
fait, les verbes factifs ont un sens tel qu'il y a nécessairement une présupposition sur
laquelle porte la prédication, parce que l'un des arguments sémantiques de cette
prédication est un contenu propositionnel plutôt qu'un individu.
On voie une présentation de deux protagonistes : une femme qui a parlé avec un
mauvais ton à un homme et un homme qui avertit. Si on entre dans le contexte de ce
discours isolé, il s’agit de discussion entre le père de famille (Alhadji) et sa deuxième
épouse (Djaïli) sur le sujet de la nouvelle décision d’Alhadji d’épouser une nouvelle
femme (Nafissa). Décision non concevable par sa deuxième femme pour qui son mari
ne devait pas ajouter une femme sur elles, synonyme de la jalousie et qu’il ne devait pas
épouser une femme qui travail et encore qui exige vivre hors de la grande maison. Le
72
présupposé tel que manifesté exprime la voix cachée grâce à laquelle le locuteur réagit.
À travers ce présupposé, les voix apparaissent et de même le conflit qui tire son sens
selon la sémantique de l’énoncé présupposé.
(79) : Arrête de te venter et de donner des leçons parce que tu as fait un peu d’étude.
p. 14
Présuppose : elle se vantait et donnait des leçons aux autres parce qu’elle est instruite.
73
Cet exemple nous fait manifester deux voix au sein de l’énoncé de Nafissa.
D’abord la voix du locuteur physique (Nafissa) ensuite celle qui est implicite, qui a posé
son acte bien avant et reconnu grâce au présupposé (Sakina). Le présupposé de cet
énoncé exprime la voix de celle qui cherche à dominer les autres femmes (coépouses).
La voix qui est détectée à travers le présupposé de l’énoncé vient nous confirmer la
présence de conflit entre ces interlocuteurs.
Nous avançons dans notre analyse avec l’exemplification ; mais bien avant ces
éventuels exemples tirés de l’œuvre WAPM, nous allons d’abord présenter quelques
éléments linguistiques qui nous facilitent l’identification des présupposés qui indiquent
la polyphonie conflictuelle dans les énoncés. Comme nous le constatons, Ducrot se base
sur la polyphonie linguistique et c’est aussi raison pour laquelle on fixera aussi notre
analyse sur le présupposé sémantique.
Nous constatons dans cet exemple alors que le présupposé (80-1) de l’énoncé est
vrai alors que le présupposé (80-2) de l’énoncé n’est pas vrai.
74
Nous le rappelons encore que le but de l’analyse des présupposés des énoncés
dans ce travail est de détecter les voix qui, à travers lesquelles décline l’expression du
conflit dans le texte ou dans l’énoncé de l’œuvre WAPM
La deuxième méthode qui nous permet d’identifier les présupposés des énoncés
qui reflètent les voix exprimant le conflit dans le texte est de certains linguistes comme
Frege, Fillmore et bien d’autres appellent les activeurs des présupposés. Les activeurs
sont des éléments linguistiques grâce auxquels on admet une présupposition d’un
énoncé. Ils nous permettent d’identifier avec aisance et rapidité le présupposé d’un
énoncé donné. Ces éléments dans le cadre de la polyphonie permettent aussi d’identifier
les voix mises en œuvre et surtout de savoir la qualité de la relation qu’elles administrent
dans l’énoncé donné. Karttunen, (1973 :169-193) a synthétisé les présuppositions
décrites par divers auteurs tout en recueillant plusieurs types d'activeurs de la
présupposition. Nous avons ici quelques exemples des activeurs de présupposé
traduisant la multiplicité des voix qui expriment le conflit :
D’abord la voix grondée, une voix qui est soumise qui n’est manifestée qu’à
travers la voix qui est contre elle ou alors c’est une voix qui est influencée par une autre
voix, ensuite la voix qui gronde et furieuse, une voix qui est manifestée à travers
l’énoncé descriptif. Cette description nous permet d’identifier dans cet énoncé une
présupposition qui manifeste deux voix opposées exprimant une tension.
75
Ensuite, les verbes vecteurs des présupposés qui peuvent être de plusieurs sorte :
verbes faitifs, Verbes implicatifs, Verbes de changement d'état, Verbes de jugement,
itératifs etc. De tous ces verbes nous présentons juste quelques-uns :
Les verbes de changement d'état (Sellers, Karttunen). Ce sont les verbes qui, à travers
leur présence dans un énoncé, permettent de montrer un changement d’action ou d’état
du réfèrent et même des personnes d’énonciation. On les appelle verbes de changement
d’état parce qu’ils indiquent dans un énoncé que telle ou telle personne était telle
précédemment mais maintenant elle ne l’est plus. Nous prenons les exemples ci-
dessous :
(84) : il faut que vous commenciez chacun à chercher une boutique au marché. p. 77
Nous dirons qu’en plus de verbes de changement d’état, nous avons dans un
énoncé implicite les verbes de jugement :( accusé, critiquer, condamner, excuser,
acquitter, etc.), verbes faitifs : (savoir, être fier de, être content du fait que, être triste
pour/ parce que, etc.), les verbes itératifs :( encore une fois, remonter, retourner,
répéter, parfois etc.) et les verbes implicatifs. À côté des verbes activeurs de
présupposition, nous avons encore comme activeurs de présupposition dans l’énoncé,
les Propositions temporelles qui s’occupe des syntagmes introduits par des prépositions
temporelles, comme avant, pendant, quand, depuis, etc. ; les phrases scindées : ce
76
procédé s'appelle en français mise en relief, les comparaisons et divergences ; enfin les
interrogatives (Katz 1972, Lyons 1977), les phrases interrogatives partagent certaines
présuppositions avec leurs homologues affirmatives, mais elles introduisent de
nouvelles présuppositions, d'un type assez particulier.
Les sous-entendus sont considérés comme des figures interactives. Dans le cadre
pragmatique, on peut les qualifier comme des implicatures comme le font bien Ducrot
1972 et Kerbrat-Orecchioni 1986 qui considèrent les sous-entendus comme des résultats
d’un raisonnement interprétatif. C’est un processus durant lequel on nécessite la
mobilisation des connaissances encyclopédiques. Les sous-entendus expriment à travers
une interprétation une polyphonie linguistique. Et dans le cadre de notre travail, nous
confirmons que certains sous-entendus indiquent la polyphonie tout en exprimant aussi
le conflit. Un conflit qui est manifesté par l’interprétation des voix des différents sous-
entendus des énoncés. Ainsi, quand Yasmine reproche à son père en disant :
77
point de vue d’imposition de son père. D’où né la polémique ; les voix en discussion
dans un énoncé.
On voit donc que les voix peuvent apparaître dans le processus interprétatif tout
en exprimant leur référent comme celui du conflit dans l’œuvre Walaandé, l’art de
partager un mari de Djaïli Amadou Amal. Une interprétation basée sur les éléments
linguistiques en l’occurrence la sémantique de l’implicite qui régissent dans l’énoncé de
départ. Autrement dit, les sous-entendus peuvent occasionner des interprétations qui, en
fonction des circonstances énonciatives et de la mémoire discursive, perçoivent d’autres
voix comme parties intégrantes du sens discursif exprimant le conflit.
Dans le cadre de notre travail le sous - entendu reste un moyen qui exprime une
double fonction : celle de la polyphonie et celle du conflit. D’abord, l’expression du
conflit par sa mise en interprétation et l’analyse des points de vue des personnages de
l’énoncé. La manifestation des points de vue laisse entendre qu’il existe des voix
présentes dans l’énoncé. Ensuite la manifestation des points de vue dans l’œuvre
Walaandé, l’art de partager un mari expriment le conflit. Les points de vue exprimés à
travers les voix des personnages de ces énoncés expriment le conflit. Prenons l’exemple
de l’énoncé d’Alhadji qui s’adresse à sa femme Djaïli ci - dessous :
Sous – entendus : il n’aime pas ses questions ; les questions de Djaïli l’énervent ; elle
n’a pas droit aux remarques et questions ; il impose tout à sa femme ; il est un dictateur ;
il sera piégé par ses questions et remarques ; il lui a imposé quelque chose ; etc.
Ces différents sous- entendus relevés mettent en scène deux personnages qui ont
des idées opposées. C’est les points de vue de ces personnages qui traduit leurs voix qui
expriment le conflit. Il est clair que les points de vue ou les idées défendus dans un
énoncé laissent manifester les voix des personnages ainsi que les relations qui les lient.
Le sous -entendu est considéré comme une visée que porte un lecteur ou récepteur
sur un énoncé donné. Il s’agit de l’interprétation qu’on administre à un énoncé
manifesté, et dans le cadre d’expliciter les parties cachées de l’énoncé. Nous savons que
nous ne pouvons pas expliciter tout ce qu’on veut véhiculer dans un énoncé brut, il sera
78
toujours impératif de courir après les sous-entendus pour déceler le message et le
contenu de l’énoncé. C’est pourquoi l’énoncé implicite sous-entendu porte plusieurs
interprétations. C’est dire que l’énoncé implicite peut avoir un seul présupposé mais
plusieurs sous-entendus. Considérons l’exemple de l’énoncé de Mouni adressé à Nafissa
ci-dessous :
(87) : comment as-tu pu être aussi mesquine Nafi ? Dire que ma mère te considérait
comme sa propre fille et tu t’empresses d’épouser mon père. p. 30
Sous – entendus : Mouni est fâchée contre son amie Nafi ; Mouni n’aime pas que Nafi
soit la coépouse de sa mère. Nafi a fait du mal à la mère de Mouni en partageant le mari
avec sa propre mère. Il n’est pas digne que Nafi épouse le mari de la personne qui
s’occupait d’elle depuis son enfance ; Nafi n’est pas une bonne amie ; Nafi est
méchante ; Nafi doit refuser le mariage avec le père de son amie ; Mouni est contre ce
mariage ; Mouni défend l’intérêt de sa mère ; etc.
Nous avons donné plusieurs impressions que donne l’énoncé à travers ces sous-
entendus. En réalité, c’est ce que voulait dire Mouni à travers cet énoncé (87) de
départ : « comment as-tu pu être aussi mesquine Nafi ? Dire que ma mère te considérait
comme sa propre fille et tu t’empresses d’épouser mon père ». Les sous-entendus de cet
énoncé laissent entendre à la fois l’influence de Mouni sur son amie Nafi et aussi une
opposition de points de vue de ces deux interlocuteurs. C’est la raison pour laquelle on
dit que le sous-entendu dans les énoncés de Mouni laisse entendre une pluralité des voix
exprimant le conflit.
Les figures de style constituent les moyens nécessaires dans l’analyse rhétorique et
stylistique. Stolz Claire, (2006 :141) à travers Moulinié comprend par figure de style
comme : « lorsque l’effet de sens produit ne se réduit pas à celui qui est normalement
engagé par l’arrangement lexical et syntaxique occurrent », et Nicolas Laurent
79
(2OO1 :34). Pour rendre plus claire la définition de Stolz Claire comprend par figure de
style comme :
Cet auteur considère les figures de style comme des éléments de discours ou
d’énoncé qui sont constitués de sens et forme qui ont un lien étroit. Il s’agit d’apport
stylistique des figures de style dans un texte littéraire de sens selon la forme et sens qui
les animent. Nous n’allons pas oublier le côté contextuel de ces outils linguistiques.
Chaque type de figure est apte à produire des effets particuliers. Barthes (1994) le
résume ainsi :
…par les figures nous pouvons connaître la taxinomie classique des passions […]
Par exemple : l’exclamation correspond au rapt brusque de la parole, à l’aphasie
émotive ; […] l’ellipse, à la censure de tout ce qui gêne la passion ; […] la répétition
au ressassement obsessionnel des « bons droits » ; l’hypotypose, à la scène que l’on
se représente vivement, au fantasme intérieur, au scénario mental (désir, jalousie
etc.). (Barthes 1994 : 330-331 cité dans Amossy 2012 : 245).
Elles prennent le sens selon le contexte. C’est donc pourquoi on les considère
comme des éléments linguistiques qui permettent d’identifier plus clairement le discours
ou énoncé polyphonique du conflit. Les figures telles l’ironie, aposiopèse, astéisme
qu’expriment les voix manifestant le conflit dans l’œuvre Walaandé, l’art de partager
un mari de Djaïli Amadou Amal.
3.2.1- L’ironie
80
usage »il vise un référent différent de lui ». L’ironie est ici considérée comme une
« mention ». Pour mieux comprendre ce terme, Maingueneau (2001 :84) l’explique en
disant : « dire que l’ironie est une « mention », c’est considérer qu’elle n’est pas, comme
pour la rhétorique, une « figure », une antiphrase par laquelle on dirait le « contraire »
du sens littéral, mais une sorte de citation, la mention du propos d’un locuteur qui dirait
quelque chose de déplacé. ». La manifestation du discours ironique vient de ce qu’il
superpose deux voix, celle du locuteur et celle de l’énonciateur qui est raillé polyphonie,
qui met à distance le discours cité, pour en faire jaillir le mal. Étant une expression
d’assentiment et de louange, l’ironie dénonce et blâme. C’est le cas dans les énoncés
suivants :
(88) : Je pense plutôt qu’Aminou aura besoin d’une perfusion fait Sakina sceptique.
Il est déshydraté et c’est peut-être…
Djaïli qui vient de s’assoir, arrange nonchalamment sur ses jambes la magnifique
tunique brodée d’or qu’elle a revêtue, l’interrompt moqueuse.
Madame le docteur a fait son diagnostic !
Dans cet extrait, Djaïli exprime son discours ironique à travers l’énoncé (89) :
« Madame le docteur a fait son diagnostic », qui, sémantiquement semble être un éloge
en la personne de Sakina, une façon de lui donner une louange à travers le titre de
« docteur », titre honorifique dans la médecine et la science en générale. Mais en réalité,
tel n’est pas le cas, il s’agit d’une expression d’assentiment, qui est pur et nette une
provocation de la part de Djaïli. Elle est une expression qui suscite en son auditeur ou
co-énonciataire une réaction conflictuelle, qui sert à une revendication de la part du co-
énonciataire. C’est pourquoi dans la suite du discours ironique de Djaïli, son
interlocuteur (Sakina) exprime sa réaction défensive (90) : « Djaïli, personne ne t’a
parlé… ».
À côté des éléments contextuels de cet énoncé ironique, nous prenons aussi
l’aspect typographique notamment sur la ponctuation comme l’affirme Stolz
Claire (2006 :62): « l’auteur peut également jouer sur la ponctuation (notamment point
d’exclamation ou points de suspension) pour marquer la distanciation ironique ». Le
81
point d’exclamation de cet énoncé donne à ce discours une idée claire de la moquerie de
la part de Djaïli.
L’ironie présentée dans ce texte nous permet d’identifier les voix en conflit dans
un discours. Ce discours ironique traduit alors le conflit qui règne entre Djaïli et Sakina.
Cette figure macrostructurale est le vecteur de la manifestation du conflit qui existe entre
ces deux personnages de l’œuvre Walaandé, l’art de partager un mari de Djaïli Amadou
Amal. Elle nous a servi de voir l’attaque systématique de Djaïli, de savoir la raillerie qui
existe entre Djaïli et Sakina, de savoir l’hypocrisie de Djaïli en faisant semblant de
donner les éloges à Sakina, de voir la figure du conflit à travers la figure ironique et
enfin de voir un beau discours renvoyant au conflit à travers la figure de l’ironie.
3.2.2- L’Aposiopèse
Selon Robrieux (1993 :76), l’aposiopèse est : « une interruption brusque dans un
discours destiné à marquer une hésitation, une émotion ou une menace ». Elle marque
une réticence à continuer une phrase, qui traduit une émotion, exprime une menace, ou
n’est pas besoin d’être terminée pour être comprise tout simplement. L’aposiopèse
institue une connivence entre narrateur et lecteur ou alors entre le locuteur et le
récepteur. C’est une figure d’énonciation et de dialectique qui manifeste clairement la
pluralité des voix dans un discours. Mais Robrieux estime qu’on peut la classer parmi
les figures de pensée dans la mesure où elle traduit, le plus ou moins naturellement
l’intention de ne pas formuler une partie de discours.
Nous prenons d’abord le cas des aposiopèses qui expriment les voix conflictuelles
traduisant la suite de la pensée comprise :
- Ou alors je te répudie… p. 42
Dans cet exemple, il s’agit de menace faite à la personne de Djaïli par son époux
Alhadji. L’aposiopèse manifestée par Alhadji à travers l’énoncé (92) : « Ou alors je te
répudie… » marque la parfaite compréhension de la suite de cette phrase ; qui est
simplement de la refouler de la maison si elle continue de poser de question.
82
L’aposiopèse à ce niveau n’est pas violente comme dans son intégrité de violer la
douceur, mais elle exprime une douce violence qui fait quand-même mal. On parle d’une
douce violence parce qu’on admet en cette figure une violence verbale ou alors elle
manifeste un discours agressif ; par contre dans l’énoncé précédent, elle exprime juste
une opposition des idées. Puisque si on en tient au contexte de cet énoncé, Djaïli a envie
de riposter à la décision de son mari mais elle ne pourra pas le faire car elle est déjà
influencée à travers un discours de choix. L’aposiopèse manifestée dans cet extrait
exprime alors les voix de Alhaji et Djaïli dans leurs états conflictuels.
Nafissa dans l’énoncé (94) : « Tu promets que tu ne diras rien à personne ? Si jamais
Alhadji l’apprend… » a interrompu son discours parce qu’elles se comprennent avec
Sakina, donc elle n’a pas besoin de finir. En réalité cette aposiopèse montre qu’il y a de
la réticence entre elles et Alhadji, c’est pour dire que Sakina sait déjà ce que voulais dire
la suite du discours non terminé de Nafissa. En même temps, cette aposiopèse montre le
caractère agressif d’Alhadji. Il parait qu’elles se méfient de lui. Cette rupture du discours
de Nafissa traduit le caractère impulsif qui n’est pas à décrire. C’est dire alors que
l’aposiopèse de cet énoncé exprime la compréhension entre Nafissa et Sakina tout en
permettant l’identification de l’idée du conflit qui est entre Alhadji et ses épouses.
Par contre dans d’autres énoncés, l’aposiopèse exprime une interruption brusque
sous la menace de l’interlocuteur. C’est le cas de l’énoncé :
83
Aissatou. Si on avance jusqu’à la phrase (97) : « Arrête de me contredire toi aussi.
Qu’est-ce que vous avez toutes à vouloir donner votre avis depuis un certain temps ?
Les mariages sont les affaires d’hommes, fit Alhadji sévèrement », on constate qu’en
réalité, Aissatou n’a pas interrompu sa phrase volontairement, elle l’a fait parce qu’elle
a reçu la menace et l’instruction d’arrêter de continuer ce discours. Si on entre dans le
détail, il ne sait pas et ne veut même pas savoir son apport dans cette idée émise par lui.
Il s’agit ici de l’aposiopèse qui exprime le conflit entre Alhadji et Aissatou. Une
aposiopèse due à la menace d’Alhadji. Elle manifeste clairement le discours du conflit.
Il en va de même pour Sakina qui est interrompue doublement sous les nerfs par
Alhadji dans les énoncés suivants :
Une expression du conflit à travers ces aposiopèses des énoncés tels que :
Le premier énoncé produit par Sakina pour se justifier n’a pas vue sa fin à cause
de la menace d’Alhadji, une menace faite pour empêcher Sakina d’arriver à la fin de sa
justification tout en lui donnant des directives interrogatoires qui n’ont pas de lien avec
ce qu’elle allait dire. Le deuxième énoncé produit toujours par Sakina pour donner un
jugement de la pensée d’Alhadji n’a pas vu également sa fin car à peine son début,
Alhadji l’interrompt en s’enflammant et la chasse de sa maison. Les deux aposiopèses
manifestées dans ces énoncés expriment le conflit entre Alhadji et Sakina.
(101) : Baaba…
84
- Ne m’interromps pas ! tu iras ce matin avec Abdou visiter mes boutiques au marché et
tu choisiras celle qui te conviendra pour y installer ton bureau. p. 87
Ici tout se joue sur l’énoncé « Baaba… ». D’abord la phrase inachevée elle-même
renvoie à une réaction de Moustapha qui interrompt le discours de son père. Ici
Moustapha estime comprendre déjà la suite du discours moins intéressant de son père,
d’où son interruption « Baaba… ». Et son père à son tour interrompt son fils Moustapha
en l’interdisant de l’interrompre. Ces aposiopèses traduisent la mésentente sur un point
(mariage forcé) entre le père (Alhadji) et son fils (Moustapha). Une mésentente qui
exprime le conflit. L’aposiopèse exprimée dans cet énoncé est matérialisée par les points
de suspension. Dans cet énoncé, elle est l’expression d’un discours interrompu par son
interlocuteur, elle est donc l’élément clé qui manifeste le conflit dans cet énoncé.
3.2.3- L’astéisme
En se basant sur l’idée de Robrieux (1993), nous dirons que l’astéisme exprime
dans le texte WAPMDAA les multiples voix des personnages de discours exprimant le
conflit. Nous prenons l’exemple suivant :
(102) : Mais ! Mais ! voilà mon adorable fiancée ajouta -t- il en apercevant Fayza qui
le foudroya du regard (…). p. 71.
Cet exemple est un discours d’Amadou qui s’adresse à Fayza tout en lui faisant le
compliment déguisé : « mon adorable fiancée » p. 71. Ce compliment n’est pas en
réalité dans son bon sens. Amadou le manifeste dans ce discours pour exprimer plutôt
le contraire. Contrairement au persiflage, qui est un discours agressif, l’astéisme lui reste
un discours souple et la manifestation de l’agressivité ; mais de manière ironique renvoie
à un reproche. C’est donc le cas du discours d’Amadou mentionné ci haut. Ce discours
à première vue renvoie à une expression d’amour, une qualité agréable de la jeune fille,
85
un esprit d’entente et d’admiration pour sa fiancée. Par contre Ahmadou exprime ses
mécontentements envers l’idée du mariage avec sa cousine, une fille dont il connait bien
la mentalité agressive, il commence par la provoquer à travers ce discours ironique.
Amadou veut juste exprimer le contraire de ce qu’il énonce. Ceci revient à dire qu’en
réalité, pour Amadou, Fayza n’est jamais adorable, il le dit juste pour la provoquer afin
qu’elle s’énerve. Alors nous confirmons que l’astéisme exprime le conflit dans le texte
WAPMDAA.
Les discours rapportés direct et indirect libre sont selon Bakhtine (1977) sont les
prototypes de l'intégration du discours d'autrui et donc des énoncés polyphoniques. Avec
Roulet et al. (1985), où l'on admet implicitement qu'il s'agit bien de constituants
monologiques polyphoniques. La difficulté dans ce dernier modèle réside dans la
définition de l'intervention, qui est censée d'une part comprendre au moins un acte de
langage, accompagné éventuellement d'actes subordonnés interactivement. Ces parties
de discours identifient les expressions de conflit dans les énoncés de WAPMDAA. C’est
dire que le discours direct et le discours indirect sont l’expression de plusieurs voix en
discorde dans le texte de Djaïli.
Le discours direct est le fait qu’un locuteur soit fidèle à l’énoncé d’autrui.
Maingueneau (2001 :95) le considère comme :
86
À entendre Maingueneau et Stolz, le discours direct est un énoncé qui renferme deux ou
plusieurs voix : un premier locuteur qui présente de manière assourdie son discours et
un second qui est responsable d’extérioriser de manière physique l’énoncé du premier
locuteur tout en restant fidèle à ses propos.
Nous constatons alors qu’à travers ce discours, les voix qui se manifestent dans le
texte de Djaïli expriment le conflit. Il est question de montrer qu’à travers ce procédé
linguistique on détecte la relation qui lie les voix manifestes de l’énoncé. Il porte au sein
de lui une certaine subjectivité langagière. Il exprime malgré la présence de la distance
une mise en scène à l’intérieur de la parole, une manière de présenter une citation, mais
en aucune façon une garantie d’objectivité, (Maingueneau, 2001 :95). Nous prenons
l’exemple ci-dessous :
(103) : Folle de rage, elle cria : tu es au courant de cette histoire de mariage ? Non
mais c’est une plaisanterie ! Il n’est pas question que je tombe dans ce panneau. Je ne
vais certainement pas épouser cet idiot d’Amadou et aller vivre dans la concession de
l’oncle Daouda. Lui qui exige que toute ses femmes et ses brus revêtent la longue robe
noire et se voilent jusqu’aux yeux. Non mais c’est inadmissible ! je n’accepterai
jamais ! mieux vaut mourir. P. 70
Sur le plan syntaxique, les énoncés au discours direct que nous avons présenté
nous exposent deux propositions et, apparemment, de deux actes de langage.
Formellement, le second n'est pas subordonné au premier, ni syntaxiquement ni
interactivement : on ne peut donc pas le considérer comme un constituant subordonné
d'une intervention dont l'acte directeur inclurait le verbe de dire. Mais on ne peut pas
non plus considérer qu'il s'agit de deux interventions liées par une relation dialogique.
Les deux énoncés sont en fait liés, comme l'a montré Banfield, A. (1982), par une
relation anaphorique, qui ne relève ni de l'interactivité ni du dialogisme. L'énoncé
rapporté est coréférentiel d'un pronom abstrait à objet du verbe de l'énoncé introducteur,
lequel n'est donc pas une intervention complète c’est le cas de l’énoncé :
87
Pour des raisons analogues, cet énoncé ne peut pas comporter deux interventions, car
« ne me parle pas de lui » remplit la position syntaxiquement obligatoire d'objet du
verbe « coupa ».
Bien qu'il n'y ait pas subordination syntaxique dans le cas du discours direct il
constitue une seule intervention mais bien entendu au sein duquel apparaissent plusieurs
voix exprimant à la fois le conflit dans les différents discours du texte.
En dernier lieu, nous avons le discours indirect libre qui différent aussi des discours
direct et indirect qui est une forme de citation plus complexe, mais plus souple qui
semble être une tentative de cumuler les deux autres discours comme l’a affirmé
Maingueneau (2001 : 103). Du point de vue de la structure du discours, un énoncé au
style indirect libre n'est pas subordonné à un constituant pourvu d'un énonciateur, bien
qu'il soit coréférentiel avec un constituant d’énoncé qui n’est pas manifesté
physiquement. Il y a introduction d'un nouveau centre de perspective, distinct de celui
de l'énonciateur principal d'un récit antérieur. Ce centre de perspective ou sujet de
conscience ne rapporte pas ou ne feint pas de rapporter une énonciation. Mais peut ne
faire que rapporter le contenu d’une pensée ou d'un sentiment : le style indirect libre est
fait de « phrases imprononçables » (unspeakable sentences), pour reprendre les termes
de Banl'icld A. C'est-à-dire d'énoncés sans énonciateur.
Notre objectif dans cette partie est celui de montrer à travers certains énoncés de
l’œuvre Walaandé, l’art de partager un mari qu’il existe de conflit entre les personnages
de cette œuvre et ceci est visible à travers les voix qui apparaissent dans le discours
indirect libre. Pour le faire, nous nous alignons d’abord derrière Maingueneau (2001 :
105) qui à son tour a pris l’appui sur des travaux de Bakhtine qui soutient que dans le
discours indirect libre il existe deux voix distinctes à savoir la voix du narrateur et la
voix du personnage : « dans le prolongement des perspectives se Bakhtine M. on a peu
à peu réalisé que dans ce type de citation. On n’était pas confronté à une véritable
énonciation mais qu’on entendait deux voix inextricablement mêlées, celle du narrateur
et celle du personnage ».
88
En s’appuyant sur cette idée, nous allons prendre un exemple de l’œuvre
Walaandé, l’art de partager un mari, qui pourrait justifier une telle thèse. Mais bien
avant cela, nous rappelons encore que dans le cadre de notre travail, il ne s’agit pas
d’identifier simplement les voix qui existent dans un discours indirect libre du texte,
mais plutôt identifier les voix qui expriment le conflit dans un discours indirect libre. En
d’autres termes, il s’agit de déterminer à travers le discours indirect libre les voix qui
manifestent le conflit.
(107) : Sakina, depuis le décès de Yasmine, n’avait pas fermé l’œil. (…) elle était si
jeune si gentille. Elle portait le nom de la plus parfumée des fleurs, elle était aussi belle
que Jasmine. p. 111
(108) : Alhadji, devant ses amis, faisait bonne figure même si au fond de son cœur, il
était triste à mourir. Il savait qu’elles avaient raison mais ne pouvait décemment
revenir en arrière et le reconnaître. p. 130
Cet exemple montre également que les voix ne sont pas des véritables locuteurs.
Nous sommes d’accord que ces voix identifiées ne sont pas des véritables locuteurs ;
c’est-à-dire il ne s’agit pas des voix physiques des locuteurs mais plutôt leurs points de
vue. Maingueneau avait fait aussi mention :
si l’on adopte les termes de Ducrot (…) on dira qu’on perçoit deux « énonciateurs »
mis en scène dans la parole du narrateur, lequel s’identifie à l’une de ceux deux
« voix ». Ce ne sont pas deux véritables locuteurs, qui prendraient en charge des
89
énonciations, des paroles, mais deux « voix », deux « points de vue » auxquels on ne
peut attribuer aucun fragment délimité du discours rapporté. Le lecteur ne repère cette
dualité que par la discordance qu’il perçoit entre les deux « voix », discordance qui lui
interdit de tout rapporter à une seule distance énonciative
90
Au terme de ce chapitre, il était question d’identifier le discours de conflit à
travers les éléments de la polyphonie. Il ressort de cette analyse que les éléments
linguistiques tels que l’implicite, les figures de style et le discours rapporté identifie les
voix qui expriment le conflit entre personnages dans un discours ou énoncé. D’abord
l’implicite à travers les présuppositions et les sous-entendus dans un énoncé ou dans un
discours facilitent l’identification des voix conflictuelles dans un énoncé. Ensuite les
figures de style comme l’ironie, l’aposiopèse, l’astèisme identifient les différentes voix
dans un énoncé et le lien qui leur uni. Enfin le discours rapporté à travers le discours
direct et le discours indirect libre participent aussi à l’identification les voix qui énoncent
le discours de conflit dans un énoncé ou discours. L’étude de la polyphonie dans le texte
de Djaïli Amadou Amal consiste donc à repérer les différentes voix dans ce texte afin
de déterminer la relation conflictuelle des personnages.
91
CHAPITRE 4 : LES PORTÉES DU DISCOURS CONFLICTUEL
Dans son œuvre, Djaïli Amadou Amal milite pour l’émancipation de la femme.
Pour y arriver, elle décrit avec clarté la souffrance de la femme des régions sahéliennes.
Mais bien avant elle Fonkoua Pièrre, (2006 :8) avait déjà souligné la bataille de la femme
africaine et celle du Cameroun en particulier pour la libération en disant :
Pour exprimer cet intérêt, Djaïli Amadou Amal met à la disposition des lecteurs
le discours à portée sociale, religieuse, culturelle et idéologique. La notion de portée est
beaucoup discutée en linguistique. Elle est conçue comme un phénomène syntaxique
(structural) ou sémantique, ou bien les deux. En nous basant sur les travaux de
Moeschler (1982), Moeschler et Reboul (1994), nous définissons la portée comme la
propriété structurelle et sémantique de certaines unités linguistiques comme la négation,
les adverbiaux de phrase, consistant à influencer (porter sur) d’autres unités d’une
phrase.
Dans notre travail, il s’agit d’étudier les discours conflictuels qui ont une portée
dans WAPMDAA. Une portée basée sur la signification et l’importance de son discours
ou de son énoncé. Elle est donc basée sur les différents énoncés ou discours et éléments
linguistiques qui sont des mécanismes inférentiels-interprétatifs (proches du système de
sympathie de Jouve (1992 : 124-32) et Rabatel, 1997 : 228-33), ces éléments sont
intéressants parce qu’ils installent le lecteur au cœur des personnages et du drame, et
aussi au cœur de la machine narrative, en sorte que cette identification ne fait pas que
ramener le lecteur à la situation du lu (Picard, 1986) ou du lisant ; mais qu’elle lui
permette, du cœur du drame qu’il reconstruit en se mettant à la place de chacun, de jouer
un rôle de lecteur lisant et interprétant (Jouve, 1986) étant à la fois dedans et dehors,
avec tous les personnages dont il lecteur est capable de reconstruire le point de vue et
au-dessus d’eux par sa mobilité, ce qui lui permet ainsi de dégager le sens du discours
92
ou énoncé. Ces discours et éléments linguistiques seront donc comme le dit Rabatel A.
(2007 : 360-361), l’objet de l’analyse
Le discours ou langage n’est pas un fait gratuit. On note avec Rastier que « la
situation de communication n’est pas neutre, et ne peut être définie abstraitement. Elle
prend toujours place dans une pratique sociale, qui définit le discours dont relève le
93
texte » Rastier F., (1989:332). Cela dit, un fait langagier prend toujours sa source au
cœur d’un système de pensée, d’une organisation sociale, d’un environnement donné, à
partir des praxis énonciatives qui lui sont spécifiques. L’énoncé ou discours s’occupe
aussi de l’effet social selon la visée de l’énonciateur ou l’orateur. Ducrot, (1972 : 8)
souligne cette dimension sociale qui est relativement contrainte de l'acte de langage :
L’acte de parole n’est, en effet, dans les formes de civilisation que nous connaissons,
ni un acte libre, ni un acte gratuit. Il n’est pas libre, en ce sens que certaines
conditions doivent être remplies pour qu’on ait le droit de parler, et de parler de telle
ou telle façon. Il n’est pas gratuit, en ce sens que toute parole doit se présenter comme
motivée, comme répondant à certains besoins ou visant à certaines fins
.
À la suite de Ducrot, on comprend alors que Djaïli Amadou Amal met en scène ses
personnages pour un but social, elle leurs donne la parole de manière succincte pour
exprimer ses différents besoins de dénoncer le mal qui gangrène la femme sahélienne
comme celui de la polygamie, de la souffrance, de la dictature, de la violence, de la sous-
scolarisation et de la liberté.
La polygamie est le fait d’avoir deux ou plusieurs femmes dans un foyer. Ou alors
c’est aussi le fait qu’une femme ait une ou plusieurs coépouses. Il est vrai que certaines
coutumes et religions accordent cet état de vie conjugale, mais Djaïli expose dans son
œuvre les tyrannies de la polygamie à travers certains énoncés. Elle la considère comme
un acte dévastateur de l’organisation et des projets des femmes. C’est le cas de l’énoncé
suivant :
(109) : Sakina avait pris conscience désormais qu’elle vivait dans un ménage
polygamique. Qu’elle partageait le même homme avec plusieurs femmes qu’elle
voyait tous les jours. Des femmes avec lesquelles elle vivait, mangeait, parlait,
discutait, plaisantait de fois. Des femmes qui partageaient le même lit que l’homme
auquel elle était liée par l’amour, l’amitié, une tendresse complice. Possessive, elle
n’arrivait plus à croire en son amour. Tous ses rêves étaient désormais éteints. Elle
suivait juste le mouvement, se laissait vivre sans espoir, sans projets. p. 24
94
a fait d’elle une femme sans droit d’avoir à elle seule un mari, elle est obligée de partager
son mari avec d’autres femmes comme elle. Cette idée est bien visible à travers les deux
énoncés énumératifs bien contraires. D’abord le premier énoncé énumératif « Des
femmes avec lesquelles elle vivait, mangeait, parlait, discutait, plaisantait de fois. »,
ensuite le deuxième énoncé énumératif « Des femmes qui partageaient le même lit que
l’homme au quel elle était liée par l’amour, l’amitié, une tendresse complice ». Ces deux
énumérations semblent être complétifs sur le plan syntaxique mais sémantiquement, ils
expriment une opposition. Une opposition en ce sens que la femme ne voudrait pas
partager l’homme à qui elle exprime sa tendresse, son amour, son amitié avec d’autres
femmes avec lesquelles elle mange, elle parle, elle discute, elle plaisante.
La polygamie tel que vu par la narratrice, est un acte qui détruit l’amour de la
femme pour son mari, car elle sait que le cœur de son mari n’est pas à elle seule, c’est
un cœur partagé avec ses coépouses. La forme négative « n’…plus » et l’adjectif
qualificatif mis en apposition laissent beaucoup des images négatives de la polygamie
dans l’énoncé (110) : « Possessive, elle n’arrivait plus à croire en son amour ». D’abord
la négation exprime le contraire du posé : « Possessive, elle arrivait à croire en son
amour ». La forme négative de cet énoncé met la femme dans le désespoir d’aimer un
mari commun. L’énonciateur s’implique à travers cet adjectif mis en apposition. Il
qualifie le caractère d’une femme dans un foyer polygamique. Ces deux éléments
linguistiques exposent les méfaits de la polygamie dans l’œuvre WAPM.
L’anaphore étant une figure de répétition nous montre que la femme vie sans
espoir, tous ses projets se dessoudent et elle suit le rythme des activités de manière
moutonnière. C’est le cas quand elle reformule ce poème anaphorique :
(111) : Elle attendait juste !
Elle attendait son walaande.
Elle attendait que son walaande s’achève.
Elle attendait elle ne sait quoi.
Mais elle attendait quand même. p. 24
95
l’attente, une forme de vie qui n’est pas changeable. La femme vivante dans un foyer
polygamique doit attendre son tour sur toute activité de la maison (cuisine, mari,
parole,).
La polygamie est contestée sur tout le plan dans l’œuvre WAPM. Les personnages
exposent les méfaits de la polygamie. C’est le cas du désaccord de Kaya, amie intime
de Sakina, qui la réprimande dans l’énoncé ci-dessous :
(112) : Sakina, ne me dit pas que tu vas tomber dans ce panneau et devenir sa
quatrième épouse. Crois-tu que le ménage polygamique soit simple ? Ceux qui s’y
meuvent connaissent des contraintes, des mensonges et des injustices. Qu’as-tu à
attendre de ce mariage ? p. 18.
96
Un objet, soit de production, soit de publicité pour la production. On se base sur
certaines pratiques coutumières répressives pour légitimer la force de domination de
l'homme sur la femme. Petit à petit, elle se complaît dans la dépendance sociale,
économique et même affective. Ceci ne va pas de pair avec les exigences qu'impose
la société à la quête de la rentabilité. La femme passe petit à petit de la femme-objet
à la femme-sujet, même si elle n'est reconnue que dans les rôles secondaires.
Le texte de Djaïli s’aligne à l’idée de Fonkoua Pièrre, car elle met en scène le
personnage de la femme qui n’a pas droit au travail, elle n’a pas droit de sortir de la
maison, de parler devant un homme, de choisir son mari, mais elle doit donner naissance
à des enfants même contre sa volonté, elle doit accepter tout ce que l’homme lui fera et
lui dira. C’est ce que comme le montre le discours suivant :
(114) : Pauvre femme obligée de vivre avec des sœurs comme elle, prisonnières
d’une grande maison avec des murs aux alentours afin qu’aucun regard extérieur ne
la souille…
Pauvre épouse du sahel, qu’on répudie à son gré quand on en a marre. Pension
alimentaire ? Garde des enfants ? Pas besoin… pp. 5 - 6.
97
Ensuite, la source religieuse et traditionnelle à travers les fausses lois religieuses
et traditionnelles qui fustigent seulement les femmes. Dans l’œuvre WAPM, c’est
comme si les lois religieuses et traditionnelles sont faites pour punir la femme. Elles
nuisent à l’épanouissement de la femme, la prive de l’éducation scolaire, l’envoie
forcement et précocement en mariage, la prive du choix de mari, la force à accepter un
inconnu, la prive d’amour... Le premier texte de l’œuvre c’est-à-dire le texte introductif
ou encore le prologue l’a bien introduit quand Djaïli dit :
(118) : pauvre petite fille du sahel, privée de l’éducation scolaire. D’ailleurs à quoi
servirait d’apprendre à lire ou à écrire ? On n’a pas besoin de ça pour se marier et
pour tenir son foyer.
Pauvre petite fille du sahel, privée de l’amour paternel parce qu’un père qui montre
de l’affection pour sa fille, c’est interdit par la coutume et même par la religion,
diront-ils, tant tout est lié dans leur esprit.
Pauvre petite fille, obligée d’être une femme dès l’adolescence. Obligée de baisser
les yeux, obligée de couvrir sa tête. Même si elle le rencontre, elle ne le verra pas
vraiment.
Pauvre petite femme, livrée un soir dans la chambre d’un inconnu qui a payé la dot
et qui a tout le droit sur elle. p. 5
98
Ce procédé stylistique de cet extrait permet encore au narrateur d’énumérer les
valeurs de chaque devoir que prévoient la tradition et la religion. Ceci dit dans l’énoncé
(122), chaque syntagme verbal commençant par l’adjectif « Obligée » est un prédicat,
une unité de sens qui peut être décomposée et constituer une seule phrase :
(122) : Pauvre petite fille, obligée d’être une femme dès l’adolescence. Obligée de
baisser les yeux,
Obligée de couvrir sa tête. Même si elle le rencontre, elle ne le verra pas vraiment. p. 6
La construction détachée, avec les différentes occurrences énoncées amplifie le
discours en faisant étalage des différents devoirs que l’homme infligent à la femme
sahélienne. Les syntagmes verbaux ainsi isolés ne perdent en rien leur essence face à la
démonstration de la tyrannie de la tradition sur la femme sahélienne. Comme le rappelle
Adam (2008 :49) : « la construction participiale détachée […], permettrait d’exprimer
l’antériorité d’un énoncé et donc l’enchaînement causal de prédicats successifs ».
Dans notre illustration, les constructions détachées viennent renseigner et révéler
les devoirs soumis par les hommes.
On constate que cet extrait nous montre que Djaïli expose la tyrannie de l’homme
sur la femme sahélienne. Celle qui n’a jamais une grande faveur dans sa religion et sa
tradition. Elles lui rendent la vie dure en l’opposant à tout ce qui lui donne de la liberté.
La marginalisation de la femme est le processus de la mise à l’écart de la femme
face aux certaines activités. La femme est un être qui subit la marginalisation dans
l’Afrique et en particulier dans la zone sahélienne. On la prive des certains postes et
activités en lui donnant un cadre de vie très restreint comme l’a dit Fonkoua Pierre
(2006 :7) : « La femme est reconnue comme objet, soit de production, soit de publicité
pour la production. On se base sur certaines pratiques coutumières répressives pour
légitimer la force de domination de l'homme sur la femme ».
L’œuvre WAPM met à son lectorat une mise en œuvre de la marginalisation de
la femme. Djaïli exprime son désaccord par la mise en scène des actants qui à travers
leur dialogue et langage, manifeste un fait social bien présent dans la zone sahélienne
du Cameroun. La marginalisation de la femme est présentée dans cette œuvre de manière
très visible. C’est donc le cas du discours de la marginalisation de la femme d’Alhadji
qui s’adresse à sa femme Aissatou dans le cadre du mariage de sa propre fille :
99
(123) : Arrête de me contredire toi aussi. Qu’est-ce que vous avez toutes à vouloir
donner votre avis depuis un certain temps ? Les mariages sont les affaires d’hommes.
p. 67.
Alhadji laisse entendre que la femme est un être qui ne doit pas s’occuper de
certaines affaires comme le mariage de sa propre fille ; elles sont spécialement destinées
aux hommes. La femme n’a pas droit de savoir et surtout de donner son point de vue sur
certaines activités. Elle n’est pas comptée dans d’autres services ou d’autres affaires.
La représentation de la marginalisation de la femme dans WAPM consiste à
contester l’idée des hommes qui considère les hommes comme maitres absolus, les seuls
capables de prendre des décisions, de juger les travaux que peut faire la femme
sahélienne. Djaïli se présente comme défenseuse des femmes marginalisées à travers
cette exposition de la mise à l’écart de la femme du sahel et surtout à travers le discours
de révolte du personnage (Aissatou) de son œuvre :
(124) : Cette fois, tu vas m’écouter car j’en ai marre de tes bêtises. J’ai toujours tout
supporter en silence. (…) Répudie moi aussi, j’en ai marre de ce mariage. p. 127.
Djaïli continue l’exposition de la marginalisation de la femme du sahel à travers le
discours autoritaire et imposant de l’homme (Alhadji) :
(125) : c’est moi qui commande ! Ne t’amuse plus jamais à me parler sur ce ton. Je vais
épouser Sakina. Et je fais exactement ce qui me plait. C’est ma maison. Si tu désires
encore y vivre, c’est tant mieux. Si ça ne te plait plus, je te répudie immédiatement. C’est
clair ? Je repose la question : est-ce que c’est clair ? p. 42,
Elle continue à présenter l’état discriminatoire de l’homme à travers le discours
d’Alhadji (126) : « qui te permet de me poser des questions ?» p. 41
Djaïli veut faire quitter les femmes comme le fait Fonkoua de « la femme-objet à la
femme-sujet », c’est-à-dire quitter de la femme marginalisée ou asservie et abusée, à la
femme déclencheur de développement, femme opératrice de la bonne marche de la
société ; et ceci grâce aux différents langages qui se dégagent de ses différents énoncés
de son œuvre Walaandé, l’art de partager un mari.
100
l’écart de la femme dans la société. Elle le fait par le biais de ses personnages comme
« Alhadji, Aïssatou, Nafi, Sakina, Djaïli, … », les espaces comme « Maroua, Salak,
Barmaré, Makabay… » et des événements qui sont typiquement du nord Cameroun.
(127) : C’est moi qui commande ! Ne t’amuse plus jamais à me parler sur ce ton.
Je vais épouser Sakina. Et je fais exactement ce qui me plait. C’est ma maison. Si tu
désires encore y vivre, c’est tant mieux. Si ça ne te plait plus, je te répudie
immédiatement. C’est clair ? Je repose la question : est-ce que c’est clair ? p. 42
Cet extrait est constitué des phrases simples de type (sujet – verbe -
complément) comme le montrent les quatre exemples des phrases suivants :
(128) : « C’est moi qui commande ! »,
(129) : « Ne t’amuse plus jamais à me parler sur ce ton. »,
(130) : « Je vais épouser Sakina. »
101
(131) : « C’est ma maison. ».
Ces genres des phrases sont des phrases sans commentaire supplémentaire. Elles
sont brèves et claires. C’est donc une expression des idées sans contradiction ni
contestation. La présence de ce type de phrase permet à Alhadji d’exprimer sa
suprématie sur sa femme de manière agressive et sans prolongation. La modalité
exclamative (132) : « C’est moi qui commande ! » et la modalité injonctive (133) : « Ne
t’amuse plus jamais à me parler sur ce ton » manifestent l’émotion et l’ordre d’Alhadji.
Ces modalités expriment un ordre que Alhadji tient à cœur et qui est sans révoque. Sa
femme doit accepter de gré ou non sa décision, il n’y a pas de contrainte qui pourra
l’empêcher de réaliser ce qui lui semble bon. Même quand c’est une mauvaise idée, il
doit la réaliser et trouver sa conséquence à la fin. Alhadji a toujours le dernier mot dans
la maison et sa femme n’a pas droit à la remarque ni à riposter à sa décision. Il en a
beaucoup imposé des décisions à ses femmes, il les considère comme des êtres qui n’ont
rien à y voir dans les décisions. Il l’a manifesté lui-même à sa première femme Aissatou
de manière sévère :
(134) : Arrête de me contredire toi aussi. Qu’est-ce que vous avez toutes à vouloir
donner votre avis depuis un certain temps ? Les mariages sont des affaires d’hommes.
p. 67
Dans cet extrait, l’homme reste le grand dictateur de loi sur sa femme. La modalité
impérative « Arrête de me contredire toi aussi. » prive la femme de dire quoi que ce soit
sur sa vie, sur la vie de la maison et sur le mariage de sa fille.
La dictature de l’homme ne s’arrête pas sur sa femme seulement, ce dernier
l’applique même sur ses propres enfants. Surtout les filles qui n’ont aucun droit à une
décision sur la vie de la maison et même sur leur propre vie. C’est le cas de la déclaration
du narrateur lorsqu’il dit :
(135) : En réalité, la réaction de Yasmine et de Fayza ne l’inquiétait pas. C’est
toujours lui qui prend la décision des mariages de ses filles. Même par pudeur, elles
se tairont et il leur offrira de beaux cadeaux. C’est plutôt ce que dirait Moustapha qui
le contrariait un peu. p. 68
Comme nous l’avons bien dit plus haut, l’homme ne donne pas de liberté
d’expression à la femme, nous voyons à travers cet extrait que même ses propres filles
102
ne lui feront pas peur de prendre la décision sur leur mariage. L’homme impose ses
désirs de mal ou de bien à ses enfants.
Tous ces extraits exposent clairement la dictature de l’homme, chef de famille sur
sa famille (ses femmes, ses enfants et souvent sur ses parentés) dans la zone sahélienne.
Djaïli en mettant en scène les personnages, le milieu et même le climat typiquement à
ceux de la zone sahélienne veut exprimer son désaccord à une telle pratique. Il s’agit
d’un acte de dénonciation de la part de l’écrivaine sahélienne.
Tout d’abord, il faut comprendre que le foyer polygamique est le milieu où les
affrontements se font facilement et fréquemment. Les rivalités, les mésententes, les
oppositions et la jalousie s’intensifient à tout moment comme dans l’œuvre WAPM qui
expose plusieurs oppositions entre les coépouses en un laps de temps dans l’extrait
suivant :
(136) : je pense plutôt qu’Aminou aura besoin d’une perfusion fait Sakina
sceptique. Il est déshydraté et c’est peut - être…
Djaïli qui vient de s’asseoir, arrange nonchalamment sur ses jambes la magnifique
tunique brodée d’or qu’elle a revêtue, l’interrompt moqueuse.
- Madame le Docteur a fait son diagnostic !
- Djaïli, personne ne t’a parlé, rétorque Sakina.
- Je ne te demande pas de me parler ! Nafi quant à toi, si tu ne peux pas
t’occuper de ton bébé, tu n’as qu’à ne plus accoucher. Comment crois-tu que nous
ayons élevé nos enfants ? Moi j’ai quatre garçons et jamais aucun n’a été aussi chétif
que ton Aminou.
- Tais-toi Djaïli ! ce n’est pas sa faute si son enfant est malade.
- Toi, je ne t’ai pas branché madame « je sais tout ». Arrête de te venter et de
donner des leçons parce que tu as fait une d’étude.
- Ce n’est pas ma faute si tes parents ne t’ont pas aussi envoyée à l’école,
rétorque Sakina furieuse.
- Mon père n’est pas un païen, lui, pour mettre une fille à l’école !
- Djaïli, pourquoi est-ce que tu aimes autant les problèmes ? coupe Aissatou.
Franchement c’est honteux. On n’a même pas encore pris le petit déjeuner que vous
commencez déjà la journée en vous disputant. p. 14
Dans cet extrait nous voyons vu qu’en quelque minute de causerie, plusieurs
affrontements se sont réalisés. D’abord Djaïli contre Sakina pour sa remarque sur la
maladie du petit Aminou (fils de Nafi) qui n’est pas bien accepter par sa coépouse Djaïli.
Un conflit qui se nait par l’usage de la figure d’ironie dans le discours de Djaïli (137) :
« Madame le Docteur a fait son diagnostic ! ». Cet énoncé ironique ne laisse pas
103
indifférent Sakina. Elle à son tour interpelle Djaïli en mettant son nom en apostrophe
dans l’énoncé (138) : « Djaïli, personne ne t’a parlé ». Cette mise en apostrophe
exprime l’interpellation et le mécontentement de Sakina envers l’ironie produite par
Djaïli. Cette dernière part jusqu’à traiter le père de Sakina d’un païen du fait qu’il a
inscrit Sakina à l’école et que Sakina se vante avec les études qu’elle a faites.
Ensuite l’affrontement entre Djaïli et Nafi. Djaïli est considérée comme championne
dans les attaques aborde directement Nafi au moment où elle brossait verbalement
Sakina. Elle la traite d’une incapable de s’occuper de son enfant qui est malade.
Enfin, Aissatou qui réprimande ses coépouses (139) : « Djaïli, pourquoi est-ce que
tu aimes autant les problèmes ? coupe Aissatou. Franchement c’est honteux. On n’a
même pas encore pris le petit déjeuner que vous commencez déjà la journée en vous
disputant ».
D’abord, une exposition de comportement immoral de Djaïli envers ses coépouses.
Ensuite, la présentation du moraliste : Aissatou, la première femme d’Alhadji qui se
convertit en une mère qui réprimande à ses enfants. Elle s’adresse à tout le monde à
travers le pronom personnel, celui de la deuxième personne du pluriel « vous »,
renvoyant à toutes les femmes qui discutaient (Djaïli, Sakina et Nafi)
Nous constatons que Djaïli Amadou Amal représente dans son œuvre une leçon
expositive sur le conflit que vie le foyer polygamique. En laissant en marge les éléments
linguistiques, Djaïli en est conscient de l’existence du conflit dans le foyer polygamique,
elle exprime ouvertement l’organisation du conflit dans le foyer polygamique en disant :
(140) : En général, dans le système polygamique, une épouse en veut à celle qui,
nouvellement mariée, la chasse du piédestal de favorite. Il s’établie ainsi un équilibre
tacite entre les épouses unies deux par deux suivant l’évolution classique d’une
polygamie à quatre. La première femme s’allie à la troisième qui l’a vengée en
détrônant la deuxième qui est heureuse de voir la quatrième rendre la monnaie de sa
pièce à la troisième. p. 15
Mais dans le foyer d’Alhadji, l’ordre classique décrit par Djaïli Amadou Amal n’est
pas respecté. Car on constate que chacune en veut l’autre ; surtout Djaïli qui n’a pas de
limite pour manifester son attaque.
Le conflit ne s’arrête pas seulement entre les femmes dans le foyer polygamique, il
en va dans tous les sens. L’affrontement entre le père de la maison et ses femmes restent
104
fréquents. C’est le cas de figure que peint Djaïli dans son œuvre WAPM quand Alhadji
remarque le défaut de chacune de ses femmes et les répudie à sa guise.
La division et le conflit se naissent entre les enfants, même chez les tous petits. C’est
le cas que retrace Djalil Amadou Amal dans son œuvre WAPM, un affrontement sur la
télécommande entre Nasser et Halima, deux enfants des mères différentes :
(141) : - donne-moi la télécommande tout de suite Nasser ! cria Halima.
- C’est moi le garçon, donc c’est moi qui commande.
- C’est la télé de ma mère, tu n’as qu’à aller commander chez ta mère. p. 54
Nous voyons que Djaïli expose dans son œuvre les différents conflits dans un foyer
polygamique. Cette exposition présente le conflit entre les coépouses, entre les enfants
des mères différentes, entre le mari et ses femmes, entre le père et ses enfants. Ces
conflits expriment une division, une séparation dans une famille. Djaïli expose des faits
réels que vivent les familles sahéliennes.
Le conflit de génération est une opposition entre les jeunes et les anciens bien
entendu sur plusieurs points culturels. Djaïli Amadou Amal expose le conflit de
génération que vit le peuple sahélien dans son livre à travers les énoncés ou discours
linguistiques. Ce cas est fréquent dans le corpus à travers certains énoncés comme ci-
dessous :
(142) : Depuis quelques temps, Moustapha avait des ambitions bizarres. Le bon
Monsieur voulait devenir pilote ! Il éclata de rire tout seul. Pilote ! Ici à Maroua !
C’est très amusant. Les jeunes ont des goûts bizarres. Non ! Comme ses cousins, ses
oncles et son père, Moustapha deviendra commerçant. « Quand tu acceptes que tes
enfants aillent à l’école, ils croient très vite que toi le père tu ne sais rien. Ils croient
qu’ils sont plus intelligents que toi. Ils ne veulent plus suivre la tradition. Et quand
tu ne les envois pas, ils deviennent fainéants, et ne peuvent plus se débrouiller seuls.
P. 68
L’opposition entre les anciens et les nouveaux, se matérialise dans cet extrait par
l’adverbe d’opposition « non !» exprimé par Alhadji qui renvoie à un refus catégorique.
Les phrases exclamatives représentées plusieurs fois (143) : « le bon Monsieur voulait
devenir pilote ! Il éclata de rire tout seul. Pilote ! Ici à Maroua ! C’est très amusant.
Les jeunes ont des goûts bizarres. Non ! », renvoie à son étonnent face aux goûts des
105
jeunes, au degré élevé de sentiment de dégoût du choix de son fils Moustapha.
L’exclamation en elle-même exprime le sentiment du sujet d’énoncé vis-à-vis de son
énoncé. Ces extraits montrent l’opposition aux choix courants de la jeunesse en
l’occurrence celui de Moustapha de devenir pilote dans la ville de Maroua. Pour le vieux
Alhadji, les enfants doivent exercer les anciens métiers comme le commerce et non
devenir un pilote ou un médecin.
Le conflit de génération se présente aussi dans le texte à travers la comparaison dans
l’énoncé (144) : « Ils croient qu’ils sont plus intelligents que toi ». Il s’agit ici de la
comparaison de supériorité matérialisée par la locution adverbiale « plus…que ». Les
anciens jugent que les jeunes se croient plus intelligents qu’eux. C’est dire que les
anciens se croient aussi plus intelligent que les jeunes. Bref, chaque groupe de
génération se prend pour meilleur et modèle à suivre. Raison pour laquelle Alhadji
impose à Moustapha le modèle de vie de ses ainés tels que ses cousins, ses oncles et son
père lui-même qui exercent le métier de commerce. Moustapha doit devenir commerçant
comme ces derniers.
L’exposition du conflit de génération se poursuit dans l’énoncé d’Alhadji Daouda
qui dit :
(145) : Malheureusement, le monde a changé. Les coutumes, les traditions, le
Pulaaku n’existent plus. À notre époque, les enfants ne pouvaient se permettre une
réflexion devant leurs parents. Les épouses ne parlaient qu’en sourdine. Hélas ! les
temps ont changé. p. 132
106
La présence de l’imparfait de l’indicatif et le présent de l’indicatif renvoie alors à un
conflit ou une opposition entre le passé et le présent.
L’interjection (151) : « Hélas ! » d’Alhadji Daouda traduit son dépassement envers
le comportement des jeunes aujourd’hui. C’est une interjection d’opposition ou alors de
mécontentement. Elle permet de manifester son désaccord dans un énoncé. Elle est
toujours à la forme négative.
Le modernisme étant un processus qui consiste à rechercher le moderne ou alors un
processus qui consiste à délaisser la tradition, la narratrice camerounaise l’exprime à
travers le rejet d’idée de la tradition par le personnage de Sakina. Elle croit à la médecine
moderne en ce sens qu’elle oppose l’idée de Djaïli qui propose un traitement
traditionnel :
(152) : Nafi, tu devais amener cet enfant chez l’Imam tous les matins pour qu’il lui
fasse des incantations. C’est surement du mauvais œil qu’il souffre (…). Crois-moi !
quand Fayza était petite, elle avait attrapé le mauvais œil. Cela avait failli la tuer. Il
faudrait aussi que tu cherches des écorces pour te laver les seins. C’est sûr que ton lait
a tourné. C’est pour cela qu’il vomit et qu’il a la diarrhée. PP. 13 – 14.
(153) : Je pense plutôt qu’Aminou aura besoin d’une perfusion. Il est déshydraté et
c’est peut-être… », p. 14.
Dans la dernière phrase, Sakina oppose l’idée traditionaliste du fait qu’elle a fait un
peu des études et connais surement les signes de la manifestation de la maladie que
souffre le jeune enfant Aminou. Elle sait que si l’enfant est déshydraté, il souffre de telle
maladie et il lui faut la perfusion pour le soulager.
On constate que la déclaration de Sakina n’atteint pas sa fin et c’est dû à
l’opposition inattendu et très vive de Djaïli qui considère la réaction de Sakina comme
une réaction d’attaque et lui attribue un titre ironique de Docteur en disant :
(154) : « Madame le docteur a fait son diagnostic ! », p. 14.
Djaïli expose donc à travers son œuvre le conflit qui existe entre les modernes et
les anciens ou alors on dira comme l’a-t-elle présentée, une opposition entre la médecine
et la tradition. Elle expose ce dilemme qu’on a souvent face à ce genre de groupe
oppositionnel. Elle montre à travers son œuvre des idées barbares qu’infligent les
anciens aux jeunes d’aujourd’hui, une jeunesse en tremplin de développement
scientifique et de la technologique.
107
4.1.1.5- La dénonciation de la violence faite aux femmes
La violence faite aux femmes est un trait récurent dans la zone sahélienne. Une
violation peut être morale, physique et même verbale. Dans l’œuvre de Djaïli, nous
identifions une violation physique d’Alhadji envers ses femmes. D’abord envers Sakina
à travers l’extrait suivant :
(155) : Elle n’eut pas le temps de se justifier. Il prit un pot de fleur placé sur la table
au centre du salon et le fracassa sur sa tête. La vue du sang qui coula le laissa de
marbre. Il sortit sans un mot de regret et sans un geste envers sa femme qui le regardait
médusée, le visage ensanglanté, le cœur lourd de chagrin. P. 21
Djaïli nous montre dans cet extrait le visage de Sakina qui se voit bastonner parce
qu’elle a fait une remarque de la promesse non tenue par son mari. Une causerie qui
tourne à la violence. Elle montre le visage de la femme sahélienne violée physiquement.
À travers cet extrait, Djaïli exprime son désaccord aux actes violents surtout envers les
femmes sahéliennes, une zone qui montre la fragilité des droits de la femme.
Ensuite la violence physique sur Nafi :
(156) : C’était mon tour. J’avais passé toute la journée à la cuisine et j’étais morte
de fatigue. J’ai commencé à avoir des contractions vers vingt-trois heures. Quand
Alhadji m’a appelée, je n’ai même pas pu lui dire que je ne me sentais pas bien. Il
m’a accueilli avec une gifle parce que je lui ai fait la honte devant ses amis en
oubliant de sucrer le thé. Alors, je suis tombée et j’ai commencé à saigner
abondamment. Il s’est irrité encore plus, m’accusant de vouloir tacher son tapis. J’ai
cru que j’allais mourir. Je ne pouvais pas me lever pour rentrer chez moi. p. 52
D’après cet extrait, Djaïli veut nous exposer un acte immoral de l’homme
(Alhadji). Une violation sans raison fondée. Il est bien vrai que Nafi a tort de n’avoir
pas sucré le thé mais, c’est aussi pardonnable. Car l’oublie est un acte involontaire. Et
même si Alhadji veut corriger ce comportement, il ne devait arriver jusqu’à ce niveau.
Nafi a failli perdre sa vie sous ses coups de gifle. Djaïli expose les écarts des hommes
sahéliens vis-à-vis de leurs femmes, en l’occurrence celui de la violence physique.
D’ailleurs Nafi en a reçu des multiples gifles sans raison venantes de son mari ; même
le soir de ses noces, Alhadji l’a violentée à travers une gifle parce qu’elle n’a pas entendu
la sonnerie de l’invitation dans le lit conjugal.
En plus de la violence physique, l’œuvre WAPM nous présente aussi la violence
morale faite aux femmes sahéliennes. Toujours à travers les personnages naïfs qui sont
Nafi, et Djaïli :
108
(157) : - Masse moi les pieds !
Elle s’exécute sans mot pendant qu’il zappe sur sa télécommande. Elle est fatiguée, a
mal aux poignets, est tellement stressée qu’elle a l’impression d’une boule au fond de
sa gorge. Elle veut s’étendre et dormir, regrettant déjà son appartement calme et son
lit douillet. Tout dans ce duplex la met mal à l’aise. Elle s’y sent gauche et pas à sa
place. Elle a peur d’être maladroite et de causer quelque chose. Elle a peur d’ouvrir la
bouche et de froisser par une phrase pourtant simple. Elle a peur de lui, de tout, elle
ne sait plus de quoi elle a peur, mais elle a peur quand-même. p. 33
Ici, Djaïli présente la femme stigmatisée par son mari. Nafi n’a plus confiance à son
entourage ni à elle-même et même envers les objets inertes. Elle est violée
intérieurement par son mari à travers ses multiples gestes de violence. Nafi se voit
étrangère dans sa propre maison ; elle qui est censée s’épanouir près de son mari dans
une belle et grande concession, vie plutôt le contraire de la réalité. La femme devait être
en parfaite confiance et collaboration avec son mari, mais telle n’est pas le cas pour la
femme sahélienne. L’homme devient plutôt pour elle un loue à craindre. Tout ce qu’elle
pourra faire et dire serait une faille qui pourrait tourner contre elle. Elle est violentée
dans l’esprit et cœur, elle garde sa souffrance sans l’extérioriser. Djaïli à travers son
œuvre dévoile cet acte bien présent dans notre société sahélienne.
La sous scolarisation des jeunes est due aux refus des parents d’envoyer leurs fils et
filles à l’école. Le refus de la scolarisation de la femme est une pratique fréquente dans
la zone sahélienne. Dans cette zone, nous savons déjà que l’homme est le maitre suprême
de la famille, et qu’il a toujours le désir de rabaisser la femme, Il prive encore l’innocente
fille de l’éducation scolaire. Cet acte est la cause des divers motifs comme l’explique
Pierre Fonkoua (2006 :14) :
Plusieurs études réalisées dans ce domaine montrent qu'il existe un grand nombre de
variables explicatives des déperditions et de la sous-scolarisation féminine dont les
plus significatives sont les grossesses précoces, les mariages précoces, l'image peu
valorisante du rôle de la femme en société, les travaux ménagers attribués aux jeunes
filles, la marginalisation du rôle de la femme dans la dynamique du développement,
l'éloignement de l'école.
De cette liste des motifs, nous constatons que la sous-scolarisation en est vraiment
le vecteur et les parents sont les responsables de cette déperdition.
109
Selon le rapport régional de progrès des objectifs du millénaire pour le
développement Région de l’Extrême-nord sous la coordination de l’Institut National de
la Statistique du Cameroun (INS) avec l’appui du PNUD en 2010 :
La région de l’Extrême Nord s’illustre au plan national par une certaine
marginalisation de la gente féminine sur le plan éducatif. En effet, la scolarisation
des jeunes filles y est restée faible, comparée à celle des garçons.
Depuis 2001, l’indice de parité filles/garçons demeure bien en dessous de la
moyenne nationale, même si on note une légère embellie dans l’ordre
d’enseignement secondaire. Cette inégalité est plus profonde chez les jeunes issus
de ménages pauvres.
Le ratio filles/garçons est resté quasi constant dans l’enseignement primaire entre
2001 et 2007, passant de 0,75 à 0,74. Les dernières statistiques du Ministère de
l’Éducation de Base font état d’une nouvelle baisse de cet indicateur qui est passé à
0,63 pour l’année 2008/2009 et à 0,69 pour la dernière année scolaire. (INS,
2010 :10).
Cet extrait nous montre non seulement la sous- scolarisation de la jeune fille mais
de la jeunesse en générale. Néanmoins, il met plus l’accent sur le cas de la jeune fille de
la région de l’Extrême-nord Cameroun.
Djaïli à son tour décrie cette situation dans son œuvre WAPM, qui voit chez les
jeunes et plus particulièrement chez les jeunes filles sahéliennes une part de la
marginalisation à leur égard sur le plan éducatif ou scolaire. Elle expose l’imposition
que font les parents à leurs enfants sur le sujet de la scolarisation. Le garçon n’a pas
droit à poursuivre ses études jusqu’à la réalisation des rêves, il doit juste faire des études
pour faire le commerce sans toutefois qu’on le dupe, et ce dernier n’a pas droit à la
revendication de son avenir ; son avenir est tracé bien avant par ses parents. C’est le cas
alors que Djaïli retrace de façon oppositionnelle à travers les idées opposées entre
Alhadji Daouda ; un dictateur qu’Amadou considère comme « le plus extrémiste de ses
oncles » et Amadou lui-même qui disent :
(158) : - Il faut que vous commenciez chacun à chercher une boutique au marché
central. Je vais en discuter avec vos pères.
- Nous ne voulons pas être commerçants ! rétorqua insolemment Amadou.
- C’est à moi que tu t’adresses ainsi petit voyou ? Vous voulez faire quoi de vos vies ?
Vous devez vous battre ! vos pères et moi, nous n’avons pas attendu l’héritage de notre
père. Nous avons travaillé pour être riche... p. 77
Ces énoncés montrent à quel point l’enfant n’a pas le choix de son orientation
scolaire. Djaïli les met à nu les idées barbares des parents face à leurs enfants. Elle
110
continue à exposer des idées non logiques des parents en vers leurs enfants sans cesse
dans son œuvre.
Nous savons que la femme sahélienne est un être qui est privée de sa liberté,
connaissant une grande souffrance et marginalisée de la couche sociale, Djaïli milite
pour la libération de cet être. La liberté de la femme est l’un des grands objectifs que
dégage l’œuvre WAPM de Djaïli. C’est pourquoi elle passe plus de temps à dénoncer
les maux sociaux. Nous prenons le mot « dénoncer » ici au sens de Faouzia
Bendjelid (1996) :
présuppose la notion de distance, un phénomène énonciatif fondamental dans
l’approche du discours ; dénoncer c’est, pour le locuteur, prendre une distance par
rapport aux faits, c’est y porter un regard de remise en question, de rupture ; ainsi
la dénonciation peut prendre plusieurs sens dans la classe des verbes illocutoires :
contester, remettre en cause, asserter ou révéler, douter, s’opposer, regretter, se
révolter…
Selon Djaïli, l’amour est le moyen par excellent pour défendre sa liberté. Elle
représente la malheureuse vie de la femme en présentant toutes les différentes
souffrances que l’homme lui afflige. Elle fait figure aussi de l’homme sévère et dictateur
à travers ses décisions dictées et ses divorces séquentiels. Elle présente une histoire
vraisemblable à la situation de la femme du sahel. Chaque femme ou lecteur sahélien de
cette œuvre voit sa vie à travers cette œuvre. Elle a représenté la figure de la souffrance
de la femme, et elle voulait qu’à travers cette œuvre l’homme reconnaisse la valeur de
111
la femme et que toutes les femmes militent pour leur liberté comme elle a montré à
travers l’histoire de son œuvre. Les femmes d’Alhadji l’ont fait vers la fin de l’histoire
en demandant chacune la liberté d’expression et de dire la vérité à l’homme dictateur.
En plus l’homme doit aussi corriger son comportement dictatorial envers la femme à
travers la figure d’Alhadji présentée dans WAPMDAA. Elle appelle tous les hommes
de regretter leurs actes comme l’a fait Alhadji à la fin de l’histoire de l’œuvre WAPM :
(160) : j’ai compris mes frères. J’avais agi sous la colère et je le regrette. P. 133
Alhadji à travers ce discours montre qu’il a appris la leçon et qu’il ne commettra
plus des actes horribles envers la femme.
La religion mise au pont dans le texte est la religion musulmane. Elle est plus
pratiquée par le peuple peul du Nord Cameroun qui d’ailleurs est représenté dans le texte
de Djaïli Amadou Amal.
4.2.1- Sur le plan islamique
L’islam est une religion tout comme le christianisme basé sur l’enseignement de
l’amour envers son prochain et celui de vérité. Mais certains hommes arrivent à mentir
au nom de cette religion et même sur son saint Coran juste pour avoir le contrôle de la
femme sous son autorité.
4.2.1.1- La fausses affirmations sur le coran
112
(161) : En vérité tout ce que les hommes nous racontent sur l’islam est faux. Le
prophète Mohammed a été le premier défenseur des femmes et des enfants. Par
exemple ton consentement à ton mariage est obligatoire. On doit te demander ton avis.
Ensuite, ton mari n’a pas le droit de t’insulter, ou de te menacer, ou même de te battre.
Il doit te traiter avec respect et tendresse… p. 55.
Le mauvais enseignement qu’ont donné les hommes sur la religion pour avoir
la suprématie et le contrôle sur la femme est mis en exergue par Djaïli. Lorsqu’elle met
en scène le personnage aussi ignorant comme Djaïli, C’est pour nous montrer la fausse
affirmation sur la religion musulmane sur l’idée de la scolarisation de la jeune fille :
(162) : - Ce n’est pas ma faute si tes parents ne t’ont pas aussi envoyé à l’école, rétorque
Sakina furieuse.
- Mon père n’est pas un païen, lui, pour mettre une fille à l’école ! P. 14
La réponse de Djaïli est un énoncé implicite. Cet énoncé laisse la présupposition
que le père de Djaïli n’a pas inscrit sa fille à l’école. Ce présupposé laisse beaucoup des
sous-entendus à savoir :
- la religion musulmane empêche l’éducation de la jeune fille ;
- l’éducation scolaire est réservée aux païens ;
- le coran enseigne et interdit l’éducation scolaire de la femme ou de la fille ;
-Djaïli est fier de son état non-scolarisé.
L’implicite telle qu’étudiée dans cet extrait renvoie à la fausse affirmation des
hommes sur la loi religieuse islamique ou sur le Coran. L’islam n’empêche pas
l’éducation de la jeune fille. Par contre, elle l’encourage. L’islam exhorte tous les
hommes et toutes les femmes de chercher le savoir partout où il se trouve. Selon le
contexte, l’ignorante Djaïli a reçu un faux enseignement religieux, selon lequel l’islam
interdit la scolarisation de la jeune fille. Cette idée met juste la femme dans un état
d’ignorance envers sa liberté d’éducation. Les hommes créent les fausses lois
coraniques et l’inculquent aux femmes et filles pour leur besoin de domination. Djaïli
Amadou Amal l’expose pour montrer aux hommes leur servitude et aux femmes le
degré de leur ignorance et la manipulation des hommes à travers la religion.
113
4.2.1.2- L’hypocrisie vis-à-vis de la religion islamique
L’hypocrisie est l’attitude morale par laquelle l’on exprime ses sentiments, ses
opinions que l’on n’a pas ou que l’on n’approuve pas, ou plus simplement l’acte de se
mentir consciemment pour s’attirer des faveurs sociales. Dans l’œuvre WAPM, Djaïli
fait figure de ce fléau à travers le comportement du personnage principal Alhadji qui
répudie ses épouses à sa guise. Pourtant la religion n’enseigne pas le divorce
organisationnel. Elle donne juste une possibilité de divorcer au cas où la situation
dépasse l’entendement. Mais si nous prenons un exemple sur le cas de Djaïli qui se
trouve répudier juste parce qu’elle fait de remarque en donnant la raison aux enfants sur
la mauvaise décision prise par leur père pour organises des mariages forcés :
(163) : - ils ont pourtant eu raison de le faire ! Ils n’ont pas arrêté de répéter qu’ils
ne voulaient pas se marier. À cause de ça, Yasmine est morte, remarqua Djaïli
Au moment où elle faisait cette remarque, Alhadji fit son entrée dans la concession. Il
s’arrêta surpris et dévisagea d’un air peiné Djaïli. Sans contenir sa colère, il s’approcha
de la jeune femme et d’un ton froid, lui dit :
- Ramasse tes affaires et sors de ma maison. Je te répudie ! p. 126
Il est bien clair que le motif de répudiation que vient de faire Alhadji n’est pas permis
par la religion islamique. Une fois qu’on lui dit que l’homme a droit de répudier sa
femme s’ils ont de problème qui ne peut avoir la solution, il ignore certains détails et
tire le positif de son côté. Même quand l’acte ne mérite pas la répudiation, il le fait à
volonté. C’est pourquoi il poursuit son acte occulte de répudiation avec Aissatou qui se
trouve hors foyer parce qu’elle l’a juste réprimandée en lui disant ses vérités :
(164) : - Cette fois, tu vas m’écouter car j’en ai marre de tes bêtises. J’ai toujours tout
supporté en silence. Tes mariages, tes répudiations, tes ordres. Tu détruis tout sur ton
passage, tu te prends pour Allah ? Tu as poussé notre fille vers la mort, tu as fait partir
les autres. Tu répudie Djaïli parce qu’elle a dit tout haut ce que nous tous, même toi
pensons tout bas ? D’accord, répudie-moi aussi.
-Tu penses qu’étant ma première épouse, je ne pourrai pas te répudier ? Fait attention à
toi Aissatou. Maîtrise ta langue rendue amère par la douleur !
-Répudie moi aussi ! J’en ai marre de ce mariage.
- D’accord tu es répudiée ! gronda-t-il furieux. p. 127
Dans cet extrait, Alhadji exprime son hypocrisie envers la religion en ce sens qu’il
se ment ou alors il fait semblant de ne pas reconnaitre les lois coraniques de divorce.
Nous voyons que Alhadji reconnais bien que la religion n’accepte pas la répudiation de
la femme sur les inutilités et sur ses goûts mais, il le fait juste pour montrer sa suprématie
de l’homme. Il ne se prend pour fervent croyant que sur les enseignements qui donnent
114
faveur aux hommes. Il n’accepter pas les enseignements qui donnent la liberté ou la
faveur à la femme. Au contraire il s’applique avec plein d’énergie sur toutes les lois qui
lui donnent la diplomation sur la femme et ses enfants. Par exemple quand il voulait
imposer le métier du commerce à ses enfants, il s’appuie sur la religion en disant :
(165) : Toujours selon la sunna du Prophète, le commerce est le métier le plus
honorable qui soit. p. 87.
Il oublie que l’homme est libre dans le choix de son métier. Il doit choisir son métier
par vocation et non par obligation. La noblesse du commerce n’exclue pas d’autres
activités.
Djaïli représente ici la mauvaise foi des hommes envers la religion islamique. Ils
accordent de la croyance qu’à ce qui leur fait du bien.
L’Islam est une religion qui a ses propres principes. Mais les hommes sahéliens en
font d’elle un moyen pour condamner la femme. Ils analysent mal le coran et créent
certaines lois à l’encontre de la femme. Dans cette œuvre, l’homme peul et musulman a
tous les droits sur son épouse ou tout genre féminin. Sa contestation est visible dans le
discours de Sakina face à sa coépouse Nafissa :
La religion occupe une grande partie dans les traditions d’une société. Souvent, c’est
la religion qui commence la tradition et c’est la religion qui forme la culture. Dans la société
115
peule, la religion est très importante et impose des règles selon lesquelles toute société doit
se comporter. Le plus souvent, on considère l’Islam comme la religion « la plus forte »
dans le sens que l’islam comprend beaucoup de règles qui se voient dans la vie quotidienne.
Par exemple la façon de s’habiller, les femmes voilées, est une carctéristique connue de l’
islam. L’islam comprend des règles qui ordonnent comment il faut vivre pour être un bon
musulman. Étant donné que les peules transposent leur culture dans la religion islamique,
L’islam est considéré comme religion où la position des femmes est inférieure à celle des
hommes. La loi religieuse n’est pas une loi contestable. Elle est faite pour l’exécution et
les hommes peuls se servent pour transposer leur gout traditionnel au sein de celle-ci pour
la maitrise de la vie de la femme. C’est donc le cas d’Alhadji Daouda qui inflige un stigmate
à l’endroit des Fayza et Yasmine pour avoir causé avec l’un de ses camarades de classe
dans la cour de l’école et pour n’avoir pas enlevé ses chaussures dans la cour de leur oncle :
(167) : Fayza, il y a un mois, tu es allée chez ton oncle Aliyou. Nous étions avec
des voisins à la cour et tu es passée à côté sans te déchausser. C’est un comportement
inadmissible. (…) Toi aussi Yasmine je t’ai aperçue vendredi à la cour de votre lycée
en conversation avec un jeune homme. _c’est juste un camarade de classe. _ Tu as
eu la chance que je sois pressé ce jour sinon, je t’aurais appris le respect et la pudeur.
p. 77
Étant donné que la société peule vit selon les normes religieuses (Islam), cet
extrait montre que la loi islamique condamne le fait qu’une fille qui parle avec un garçon
en public. La fille n’a pas droit de partager les idées avec un garçon ; quelles qu’en
soient les circonstances comme celle de l’école, la fille doit être fermée en elle-même.
En plus, la loi condamne une femme qui n’enlevé pas ses chaussures à la présence des
hommes. Ces lois semblent de la tradition peule qui est en étroite liaison avec la religion
islamique.
(168) : Je ne vais certainement pas épouser cet idiot d’Amadou et aller vivre dans la
concession de l’oncle Daouda. Lui qui exige que toutes ses femmes et se brus revêtent
la longue robe noire et se voilent jusqu’aux yeux. p. 70
116
Considérablement, la femme n’a pas droit de voir le dehors. Pourtant l’Islam
prône le respect et la considération envers les femmes comme l’a affirmée Sakina :
(169) : le prophète Mohammed a été le premier défenseur des femmes et des enfants. »,
p. 55.
Dans cet extrait, la femme est considérée comme un objet manipulable car c’est
l’homme qui doit choisir ses désirs vestimentaires, elle ne doit pas s’habiller selon son
choix. Son habillement est standard : la femme doit s’habiller toujours en longue robe
noire et ne doit jamais se séparer de sa voile. La femme est prisonnière jusqu’à la tenue
vestimentaire, le pire encore est que même la couleur reste intacte (la couleur noire). On
constate alors qu’en apparence l’islam admet que les hommes et les femmes ont les
droits mais en pratique, il comprend des règles qui limitent la liberté de la femme.
(171) : Qu’Allah te donne la patience ! Qu’Allah l’accueille en son sein, lui pardonne
et lui accorde le paradis » p. 109. L’Islam apparait ici comme une religion qui met en
son centre « Allah » qui signifie Dieu. Il considère tout le monde au même pied
d’égalité, c’est une religion qui ne condamne pas son prochain, qui exhorte ses fidèles à
prier pour son prochain, souhaiter le bonheur à tout le monde, bref l’Islam est une
religion de paix. Par contre certains l’ont transformé selon leur désir en religion de
dictature, de favoritisme, de séparatisme et même de terrorisme.
117
4.3- La portée culturelle
La culture représente l’identité d’un peuple donné. Le texte de Djaïli Amadou Amal
représente les enjeux de la culture peule.
4.3.1- La tradition peule
Selon le dictionnaire Petit Robert, la tradition est une : « doctrine, pratique transmise
de siècle en siècle, originellement par la parole ou l’exemple », ou alors c’est
un : « ensemble de notions relatives passé, transmises de génération en génération ». Le
texte de Djaïli manifeste plusieurs valeurs traditionnelles peules.
Djaïli expose la tyrannie de la tradition peule sur la femme s’appuyant sur l’orgueil
exacerbé de l’homme. La culture peule prévoit en homme un maitre suprême qui ne
s’inclinera jamais devant la femme même quand il n’a pas raison. L’homme se voit donc
humilié et rabaissé quand il reconnait ses erreurs et demande le pardon devant la femme ;
quand bien même il a tort il ne doit pas le reconnaitre. La tradition peule n’encourage
pas l’homme à demander le pardon à la femme. La femme doit juste imaginer la
culpabilité de l’homme à travers son comportement. C’est dont pourquoi l’un des
garants de la tradition (Alhadji) affirme :
(172) : il est vrai qu’un crime doit être reconnu pour pouvoir être pardonné, mais
chez nous, dans nos coutumes, les hommes ne s’abaissent pas devant leurs femmes. Ils
ne demandent pas pardon. Elles devraient deviner que je regrette toutes ces erreurs. p.
63
Ici, Alhadji est un fervent croyant et traditionaliste peul ; c’est dire alors que dans
sa tradition, la femme doit se taire devant le mal que son époux lui pose ; celui-ci ne doit
pas se peiner pour demander des excuses devant sa femme. Elle doit faire un constat de
regret de son mari.
Alhadji Souley qui est aussi un grand traditionaliste réitère la loi traditionnelle
peule d’avant qui prescrit la mort tragique à la jeune fille dès sa naissance. Djaïli la
souligne à travers le soutien de l’un des fanatiques encore (Alhadji Souley) en disant :
118
(173) : « … avant l’ère islamique, on enterrait les filles vivantes à leur naissance » p.
67.
Dans ce texte, nous voyons clairement que la tradition est restée hostile envers la
femme. Du fait qu’elle a fait d’elle un être sans droit ; même le droit à la vie, elle n’en
avait pas et si elle a une chose qu’elle mérite, c’est les devoirs. Le rapport de l’INS
(2010 : 10), en dit beaucoup de chose sur la situation féminine de la femme sahélienne
d’où sa conclusion :« En somme, les femmes restent vulnérables à l’Extrême-Nord et la
persistance des pesanteurs d’ordre culturel rendent invraisemblable l’égalité des
sexes ».
Le discours produit consiste donc à sortir les femmes de la tyrannie de la tradition
peule. Les femmes doivent désormais avoir un choix, celui de vivre dans une vie
moderne, une région qui est au cœur des mutations et des changements sociaux, une
région qui invite à ne plus subir le poids des contraintes de la communauté et de la
tradition. L’émancipation de la femme est un processus de cognition social qui doit tenir
compte de l’ensemble des progrès sociaux et scientifiques afin de l’extraire de la société
patrilinéaire où elle est un simple sujet ou objet de l’homme. La femme ne doit plus
subir des impositions. Au lieu de se déprécier comme le fait Aissatou à travers sa
soumission exacerbé envers les fausses lois traditionnelles qui n’ont pour but que de
faire souffrir la femme sahélienne. À travers ce texte, Djaïli nous montre que la femme
doit impulser le changement au sein de la société traditionnelle hostile à l’idée de statut
social qui s’impose à tous. Cette perception de Djaïli Amadou Amal de la réalité
traditionnelle semble « distiller » un espoir, une vision autre qui permettrait de sortir la
femme sahélienne et même la femme africaine en générale du carcan de
l’assujettissement de la tradition.
4.3.1.2- La soumission exagérée ou « pulaaku » de la femme sahélienne
119
», (Mannoni P., 2000 :11). Dans ce système où la soumission est exagérée, la femme
sera exclue d’emblée de l’épanouissement social ou de la réalisation de soi. A l’opposé
de l’homme, elle n’aura pour rôle essentiel que la procréation, l’éducation des enfants
et les tâches ménagères. C’est dire que la femme est considérée dans cette œuvre comme
simple réceptacle pour l’homme. Dès lors, l’étude de la portée du discours de conflit
nous permet de saisir les différents matériaux langagiers autour desquels s’articule la
particularité du rôle dévolu et assigné à la femme du sahel.
La tradition peule enseigne et exige la soumission de la femme. La soumission
elle-même est signe du respect d’un inférieur à l’égard d’un supérieur pour les normes
sociales. Mais Djaïli retrace cette thématique dans son œuvre pour montrer son
exagération.
Le silence est caractéristique des femmes soumises et victimes qui ne peuvent
pas s’exprimer et dire leur opinion. Ardener (1978 :25) constate que les femmes sont
rarement les oratrices de la société ; même là où les femmes font la plupart du travail, la
supériorité du groupe est aux hommes et reçoivent le respect et la reconnaissance, tandis
que l’éloquence des femmes est rarement admirée et encouragée.
Pour Djaïli Amadou Amal, la femme est soumise au point de ne plus rien faire
dans sa vie à part attendre tout ce que l’homme lui demandera et ce qu’il lui fera. Elle
résume la vie de la femme qu’à l’attente de manière suivante :
(174) : Attendre ! S’il y’a un mot qui peut résumer à lui seul sa vie, c’est attendre.
Elle a passé sa vie à attendre. Attendre de grandir, attendre de se marier, attendre son
tour pour voir son mari, attendre pour rétorquer, attendre qu’il change, attendre
d’atteindre ses limites, attendre que ses filles grandissent, attendre pour partir,
attendre pour vivre, attendre pour mourir. p. 9
120
femme d’Alhadji. Djaïli expose les inconvénients de la soumission exagérée à travers le
discours d’Alhadji qui finit par la traitée de villageoise qui n’évoluera pas :
(175) : je devais me remarier. Elle n’avait pas évolué. Elle était restée une villageoise
malgré nos années en ville.
Mais comment allait- elle évoluer ? Pendant qu’il voyageait et rencontrait d’autres
personnes, elle était restée fidèlement à la maison. Elle ne lui avait jamais fait un seul
reproche même quand il avait épousé Mairamou. Aissatou avait réussi ce tour de force
d’accepter tout, supportant tout sans rien laisser transparaître de ses sentiments. Quand
il lui avait annoncé son remariage, elle était restée calme et même son visage n’avait
pas trahi ce qu’elle en avait pensé. Elle s’était contentée de répondre : « Allah fasse
que ce mariage te rende heureux ! p. 60
La soumission est un acte très favorable et aimable par celui à qui on l’adresse.
Elle est toujours un acte remercié, mais la soumission exagérée engendre le mépris
comme celui d’Alhadji envers sa tendre et douce femme Aissatou. Une soumission
exagérée est finalement vue par son mari comme un mauvais acte. Djaïli constate que
l’exagération de la soumission d’Aissatou a poussé son mari à épouser d’autres femmes
et à ne plus la respecter. Djaïli, reproche cet acte dans son œuvre à travers son exposition
de discours péjoratif portant sur la soumission exagérée.
121
peule. Nous prenons l’exemple du discours d’Alhadji qui prive sa deuxième femme
(Djaïli) de faire des remarques et questions :
(176) : tu ne poses plus jamais de question et ne fais pas de remarques ! p. 42
Dans ce discours, Djaïli veut nous montrer que la femme sahélienne est un genre
qui est différent des autres, qui n’a pas droit aux décisions dans sa maison, elle n’a pas
un mot à dire sur la décision de l’homme. Elle vit sous une interdiction de faire des
remarques. Même si elle constate le mauvais côté d’un cas qui concerne son mari, elle
doit faire la sourde d’oreille. Pire encore s’il s’agit du mariage de sa propre fille, elle ne
doit pas donner sa position négative sur le choix de l’homme qu’a fait son mari pour sa
fille. C’est le cas représenté dans WAPM, lorsque Aissatou recadre l’avis de son mari
Alhadji sur le mariage de ses enfants ce dernier répond de manière sévèrement :
(177) : Arrête de me contredire toi aussi. Qu’est-ce que vous avez toutes à vouloir
donner votre avis depuis un certain temps ? Les mariages sont des affaires d’hommes.
P. 67
En bref, la vie de la femme sahélienne est représentée dans cette œuvre comme
une vie de calvaire, car elle est privée de sortir, privée de l’éducation scolaire, privée de
s’exprimer, privée d’amour, Privée de choisir son mari, etc. Djaïli expose cette loi
coutumière pour libérer la femme de sa vie prisonnière.
122
une personne « supporte ». Et toujours dans le Coran, Allah dans sa sagesse infinie a
déclaré : « après une difficulté, il y aura certes une facilité ». Cette phrase est tellement
importante qu’elle fut répétée. Chez nous les peuls, nous disons : « même si ton bras
pourrit, tu ne peux pas l’arracher et le jeter par terre ». Concernant un membre de la
famille, nous disons encore : « Que l’eau ne peut nettoyer cette familiarité, de même
que le couteau ne peut la trancher ». Alhadji, incontestablement, tes épouses ont mal
agi. Elles t’ont poussé à bout. Allah, qui dans sa grande sagesse les a créées d’une
côte, les a faites aussi courbées dans leur réflexion que cette côte. Si tu essayes de la
redresser, elle se brise. Tes enfants aussi ont mal agi ! mais, pourras-tu faire en sorte
qu’ils ne soient plus tes enfants ?
123
(180) : Nous devons nous estimer heureux. Combien de jeunes aujourd’hui
prennent de l’alcool, de la drogue et passent leur temps aux cabarets ? Nos enfants
eux, n’ont voulu que continuer leurs études. Malheureusement, nous avons été
fautifs. Nous avons oublié cette recommandation du Prophète, que la paix et
bénédiction d’Allah soit sur lui, qui conseillait de : « rechercher la connaissance et
le savoir jusqu’en Chine »
124
4.3.1.5- Le mariage forcé et précoce
Le mariage forcé et précoce est un véritable fléau qui mine la société peule ; une
société soumise à sa tradition (peule). Selon cette tradition, la jeune fille n’a pas droit au
choix de son mari, ni le choix de temps prévu pour son mariage. Elle doit attendre le
jour de son mariage ou le jour des noces pour découvrir son mari. Le choix revient à ses
parents. Djaïli étant considérée comme la narratrice de ce texte, elle expose cette
pratique à travers une explication bien précise sur le mariage de la jeune femme Nafi en
disant :
(184) : le père avait toujours choisi ses gendres sans tenir compte de l’avis des futures
mariées. p. 29
Cet énoncé de Djaïli montre le rituel du mariage selon la tradition peule. C’est un fait
reconnu et qui n’aurait plus de discussion ni de revendication. Le père doit décider à la
place de sa fille. D’après lui, il est mieux placé pour choisir le meilleur mari à ses filles.
C’est le cas dans l’extrait suivant :
(185) : Il y a quelques semaines, Moubarak m’a fait part de son désir d’épouser sa
cousine Yasmine ta fille. Alhadji Daouda m’a suggéré de donner en retour à ton fils
Moustafa la main de ma fille Rouftza. Beaucoup des prétendants l’ont sollicitée mais
si on célèbre le mariage dans nos familles ce sera mieux. pp. 65-66
La négociation se fait entre les parents sans tenir compte des concernés à moins
que tu sois garçon et que tu as le désir d’épouser une telle fille ; dans ce cas tu dois en
parler à ton père et non présenter tes vœux d’amour à la fille en question. Cette pratique
purement non logique et injuste est exposée par Djaïli dans son œuvre. Cet extrait nous
montre clairement que les jeunes filles sont partagées comme le gâteau. Normalement
la logique prévoit la consultation de l’avis des concernés (le marié et la mariée) mais
comme les parents ont une main mise sur la décision, ils les partagent à leur guise. Le
mariage forcé relève du domaine de la tradition, puisque les tractations liées au mariage
se font uniquement entre les parents des futurs mariés. Nous voyons le désaccord de la
jeune écrivaine camerounaise à travers la mise en scène des jeunes (Moustapha, Fayza,
Yasmine et Amadou) aussi hostiles à cette décision, des enfants aussi désireux de suivre
leurs études et non de se voir mariés sans amour et même sans se préparer
psychologiquement :
125
(186) : -Me marier ! en plus avec ma cousine ! Mais le pater est finalement devenu fou.
C’est quoi cette histoire ? :
- (Fayza folle de rage) Tu es au courant de cette histoire de mariage ? Non mais c’est
une plaisanterie ! Il n’est pas question que je tombe dans ce panneau. Je ne vais
certainement pas épouser cet idiot d’Amadou et aller vivre dans la maison de l’oncle
Daouda. Lui qui exige que toutes ses femmes et ses brus revêtent la longue robe noire
et se voilent jusqu’aux yeux. Non mais, c’est inadmissible ! je n’accepterai jamais !
mieux vaut mourir. Que fait-on grand frère ?
- (Moustapha les yeux brillant de colère), Non nous allons refuser ! c’est tout.
Ils ne peuvent pas nous obliger.
- Tu te rends compte ? Baaba ne sait même pas quelle classe je fais. Je ne vais pas me
marier alors que je suis en seconde. Il est toujours injuste envers les filles. Non ! je
refuse de céder c’est tout.
- Il ne sait pas non plus ce que je fais. (…).
- (Yasmine timidement), Je t’en prie, grand frère, fais quelque chose, je ne veux pas
épouser Moubarak. C’est un voyou. Il me fait peur.
- Yasmine, personne ne se mariera ici, la réconforta sa sœur. On va tous refuser.
- Il faudra qu’on fasse un bloc, qu’on se serre les coudes. À trois, nous sommes plus
forts, conseilla Moustapha. (…).
Alors qu’il tenait ce conseil de guerre, le bruit d’une moto se fit entendre. Moustapha
reconnu la voix de son cousin Amadou.
- Non mais c’est quoi cette histoire ? Fit ce dernier en entrant dans la chambre. pp. 70-
71
Cet extrait nous montre le refus de cette pratique aveuglée de leurs parents, une
formation de bloc pour combattre ce fléau qui risque ruiner leurs rêves. En réalité, ces
enfants n’ont pas encore l’esprit du mariage, ils veulent encore pousser les études afin
de réaliser leurs rêves. Malheureusement leurs parents choisissent un autre destin : le
mariage. Ils choisissent les conjoints de leurs filles et fils sans tenir compte de leur choix
et de leur temps. Djaïli pour mieux amener la lumière à cette pratique illégale choisie la
famille peule qui a envoyé ses enfants par chance faire un peu d’étude dans l’optique de
maitriser le décompte dans leur futur métier de commerce. Elle choisit un groupe
d’instruit pour opposer à cette idée malvoyante de mariage forcé.
Ainsi, renoncer au sens de Djaïli Amadou Amal, c’est penser à certains aspects
de la culture, de la tradition, de la coutume, qui avilissent la femme. C’est laisser
s’émouvoir, s’épanouir et se réaliser la femme dans la société ; c’est la laisser faire ses
propres choix. Djaïli veut nous montrer que cet acte semble dans cette société
patrilinéaire ou alors une société traditionnelle, une manière d’accepter de perdre la
domination de l’homme sur la femme, c’est accorder à la femme le droit de s’approprier
son corps, d’avoir le pouvoir de choisir un homme à sa convenance, de se marier au
126
moment qu’elle voudra, de donner sens à sa vie. Pourtant, la femme sahélienne veut
juste son épanouissement comme les autres femmes du reste du monde.
Au terme de ce chapitre, il était question d’identifier les différentes portées du
discours énonciatif de l’œuvre WAPM. Ainsi, on peut dire que le but de l’écrivaine
Sahélienne est de mettre à nu des vices qui gangrènent la vie de la femme et de
s’interroger sur l’apathie de cette société mise en exergue dans le roman et d’essayer
d’en trouver des solutions. Solutions qui importent d’analyser la déperdition des mœurs
dans la société sahélienne contemporaine du XXIème siècle. La scène d’énonciation,
lieu d’actualisation des comportements humains, nous a permis de dévoiler aussi des
rites et d’autres pratiques coutumières propres aux peuls. Selon les différents extraits
qui ont fait l’objet de l’analyse, Djaïli Amadou Amal fait dire à travers
ses personnages que la femme sahélienne mariée ou non mariée est considérée comme
un être prisonnier où elle est exposée aux différentes conditions sociales, culturelles,
religieuses. Djaïli présente dans son texte les réalités sociales du peuple peul du Nord
Cameroun. Le discours ou les énoncés avancés par l’écrivaine sahélienne renvoient au
discours de dénonciation, afin de libérer la femme de sa condition pitoyable. C’est dire
alors que ce texte nous a édifié sur la vie socio-culturelle et religieuse du peuple peul du
Nord Cameroun. Une société où la femme n’a pas le droit à la revendication de ce qui
lui revient, une société qui considère l’homme comme demi dieu de la femme. C’est lui
qui a droit sur la femme et celle-ci n’a que de devoir. La tradition qui est contre son
épanouissement, et l’ironie vis-à-vis de la religion musulmane et surtout la mauvaise
interprétation du coran jettent la femme dans un état précaire. Pour être plus
claire, en apparence l’islam dit que les hommes et les femmes ont les mêmes droits en
pratique il comprend des règles qui limitent la liberté de la femme.
127
CONCLUSION GÉNÉRALE
Ainsi, pour y parvenir la méthode stylistique nous a paru la plus évidente pour
appréhender les opérations énonciatives qui actualisent la signification dans notre
corpus. La stylistique est une approche qui se veut éclectique et s’ouvre à plusieurs
disciplines. En ce sens l’énonciation, la rhétorique, la pragmatique, la littérature, la
sociologie, la sémiotique, la linguistique textuelle, nous ont permis d’investir le roman,
de sonder le texte, de décrypter les mots et de décrire les énoncés afin de mieux révéler
ce qu’ils renferment.
L’analyse de ce travail s’est articulée sur quatre chapitres. Le premier point sur
les prolégomènes à l’analyse énonciative du discours conflictuel avait pour but de
préciser les principes préliminaires à l’études de l’analyse énonciative du discours du
conflit. Dans ce chapitre, nous avons défini trois concepts clés à savoir l’énonciation, le
discours et le conflit. L’énonciation est un terme défini par plusieurs auteurs comme
Benveniste Emile, Kerbrat Orecchioni, Maingueneau. De leurs différentes définitions,
il reste et demeure des mots clés et communs dans la définition de l’énonciation. D’après
leurs conceptions, l’énonciation n’est qu’un phénomène de production des énoncés.
Quant au discours, il fait aussi l’objet de plusieurs définitions par des différents auteurs.
Après l’analyse des différentes définitions proposées par Benveniste, Sarfati,
Maingueneau et Vignaux, le discours est perçu sous différents angles. Toutefois, parmi
les différentes acceptions, on peut trouver aussi des points communs : ces auteurs
admettent tous que la production / réception d’un discours a besoin de trois instances
coparticipantes à la construction de la signification : le sujet producteur ou le sujet
128
interlocuteur, le sujet récepteur et un « message » qui change en quelque sorte l’état
initial de son destinataire. Le discours c'est donc lorsque l'auteur ou l'instance
d'énonciation (le narrateur ou locuteur), se fait sentir : lorsqu'on perçoit ses intentions,
ses parties prises de façon orale ou écrite.
Enfin nous avons considéré dans ce chapitre la notion de conflit comme une
opposition d’idée, une contestation, une polémique ou alors une contradiction, une
contre-indication et une incompatibilité d’opinion des personnages ou des
interlocuteurs.
Nous avons conclu ce chapitre en considérant le discours conflictuel comme les
énoncés ou encore phrases portant une idée du conflit, un discours qui véhicule le conflit,
bref un énoncé qui renvoie au conflit.
Dans le deuxième chapitre intitulé : l’Analyse structurale du discours conflictuel
dans Walaandé, l’art de partager un mari de Djaïli Amadou Amal, notre analyse s’est
basée sur la modalisation ou alors les éléments énonciatifs du texte de Djaïli Amadou
Amal. Nous avons considéré le conflit comme toute expression ou mots qui exprime la
polémique, l’opposition, la mésentente, le désaccord, la révolte et bien d’autres éléments
traduisant ou tendant vers le conflit entre les personnages ou alors les énonciateurs et
leurs co-énonciateurs.
Dans ce chapitre, nous n’avons pas seulement analysé la modalisation de façon
générale dans le texte de Djaïli Amadou Amal, nous avons plutôt identifié le conflit
entre les personnages de l’œuvre grâce aux indices énonciatifs comme la modalité
exclamative, la modalité interrogative, la modalité impérative et la modalité assertive à
travers les modalités d’énoncé ; à travers les subjectivèmes tels que les adjectives, les
verbes de modalité, les adverbes, les noms de qualité. Ces éléments de modalisation
trahissent l’esprit conflictuel du locuteur vis-à-vis du récepteur dans le cas des modalités
d’énonciation comme la modalité impérative. Ils trahissent aussi l’esprit conflictuel du
locuteur c’est-à-dire l’idée d’opposition que manifeste le locuteur à travers les
manifestations subjectives dans le discours.
Le troisième chapitre intitulé : « Les marqueurs polyphoniques comme moyens
d’identification de rapport qui lie les personnages » avait pour but d’identifier la
pluralité des voix (polyphonie) dans un discours à travers les implicites, les figures de
129
style, le discours rapporté. Dans ce chapitre, nous avons identifié le discours de conflit
à travers les éléments de l’implicite comme les présupposés et les sous- entendus ; à
travers les figures de style comme l’ironie, l’asteisme, l’aposiopèse ; à travers le discours
rapporté comme le discours direct et le discours indirect libre. Dans ce chapitre, nous
avons constaté que les éléments énonciatifs de la polyphonie permettent aussi
d’identifier le message dans un discours ou dans un énoncé comme celui du conflit dans
le texte de Djaïli.
Le dernier chapitre est intitulé : « Les portées du discours conflictuel dans
Walaandé, l’art de partager un mari de Djaïli Amadou Amal » avait pour but d’étudier
les éléments langagiers en rapport avec le contexte social, religieux, culturel, littéraire
et politique de l’œuvre. Il ressort que ce roman décrit le foyer sahélien ou alors elle
renvoie à la situation réelle du peuple du Nord Cameroun en particulier celui de
l’Extrême-Nord, univers dans lesquels se déploient les personnages romanesques à
travers les noms qui sont typiquement du Nord Cameroun « Alhadji », « Aissatou »,
« Nafi », « Djaïli », « Sakina », « Moustapha » …, et le nom de la ville comme
« Maroua » et les quartiers comme « Domayo », « Salak », « Makabay ». Cette
inflexion nous révèle que les actants sont assujettis par les pratiques coutumières,
religieuses et culturelles réalisées dans les différentes scènes d’énonciation relevées
dans les chapitres précédents. Nous avons aussi démontré comment l’espace
romanesque est marqué par une mise en marge de la femme qui aboutissent à la crainte
et à l’exclusion de l’autre. Enfin, nous avons montré comment l’écriture de la
dénonciation investit le genre romanesque en considérant l’écrivaine camerounaise
Djaïli Amadou Amal comme une écrivaine engagée. La romancière s’approprie ainsi le
discours pour exprimer son positionnement dans le champ littéraire ou discursif.
Les écritures de Djaïli Amadou Amal montrent que le contexte socioculturel est
tributaire de certaines pratiques et croyances qui assujettissent l’individu.
Effectivement, le rapport des personnages avec l’affrontement, ou alors l’opposition
entre les personnages sont particuliers. Ces éléments qui participent de l’acte énonciatif
jouent un rôle important dans la société. Le refus de la scolarisation de la jeune fille et
celui d’accéder à certaines fonctions publiques, le mauvais traitement à l’égard de la
femme, la marginalisation du personnage féminin sont les thèmes phares défendus par
130
l’écrivaine sahélienne, d’où l’identification des différentes portées comme la portée
sociale, la portée religieuse, la portée culturelle.
Nous avons recouru en effet à la théorie énonciative qui est d’ailleurs initiée par
Benveniste E. à travers sa notion des déictiques et poursuivie par Kerbrat Orecchioni C.
qui s’est basés sur les subjectivèmes dans l’énoncé, enfin des notions d'implicite et de
présupposition selon la théorie de Ducrot Oswald .Avec l'approche énonciative nous
avons considéré les énoncés comme des entités abstraites et la linguistique du discours
ou l'étude des énoncés nécessite la prise en compte des réalités déterminées par leurs
conditions contextuelles de production. L'analyste fait appel au concept d’énonciation
présenté soit comme le surgissement du sujet dans l'énoncé, soit comme la relation que
le locuteur entretient par le discours avec l'interlocuteur, soit enfin comme l'attitude du
sujet à l'égard de son énoncé.
Pour répondre aux questions qui constituent notre problématique et confirmer les
hypothèses émises, la première hypothèse de recherche est formulée comme suit : «la
modalisation comporterait une dimension subjective qui trahirait le discours du conflit
». Elle est confirmée, la preuve en est qu’il y a dans le texte les modalités d’énonciation,
les modalités d’énoncé, les subjectivèmes et même certains éléments de l’énonciation
qui expriment la subjectivité du sujet énonciateur renvoyant directement au conflit.
Comme le cas de verbe « détester », l’adjectif « honteux », le nom de qualité « voyou »,
les figures de style comme l’ironie, aposiopèse et l’astéisme, indiquent directement la
présence du conflit dans un discours.
132
personne et envers la religion islamique et son Saint Coran. Ce texte ou discours présente
des idées expositives de la pratique barbare de l’homme sur la femme.
Comme tout travail scientifique, nous avons constaté et vécu un problème, surtout
dans la classification des modalisateurs. Car certains modalisateurs partagent plusieurs
catégories ou classes énonciatives. Il nous passe souvent à l’esprit de faire la confusion
de les ranger selon leur classe ou alors ils reviennent à plusieurs reprises. Compte tenu
de ce problème, il devient souvent un avantage à la crédibilité et même la fiabilité des
résultats d’interprétation, car en repérant ces éléments répétitifs à plusieurs classes, on
se rend compte que notre objectif d’identifier un thème donné dans un texte ou discours
comme celui du conflit devient assertive et correcte.
133
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143
Table des matières
DÉDICACE ...............................................................................................................................................
REMERCIEMENTS ................................................................................................................................ii
RÉSUMÉ .................................................................................................................................................iii
ABSTRACT ............................................................................................................................................iii
LISTE DES ABRÉVIATIONS ............................................................................................................... iv
SOMMAIRE ............................................................................................................................................v
INTRODUCTION GÉNÉRALE ............................................................................................................. 1
CHAPITRE 1 : PROLÉGOMÈNES À L’ANALYSE ÉNONCIATIVE DU DISCOURS
CONFLICTUEL .................................................................................................................................... 12
1.1- L’énonciation......................................................................................................................... 12
1.1.1- Les différentes conceptions de l’énonciation .................................................................... 13
1.1.1.1- La conception de Benveniste ..................................................................................... 13
1.1.1.2- La conception de Kerbrat-Orechioni ......................................................................... 15
1.1.1.3- La conception de Maingueneau ................................................................................. 17
1.1.2- L’énonciation et la subjectivité.......................................................................................... 18
1.1.2.1- La notion de subjectivité selon Benveniste ...................................................................... 19
1.1.2.2- La notion de subjectivité chez Kerbrat ............................................................................. 22
1.1.3- Le lien entre l’énonciation et la subjectivité.......................................................................... 26
1.2- Le discours ................................................................................................................................. 27
1.2.1- Le discours : un terme polysémique........................................................................................ 28
1.2.1.1- Selon Benveniste .............................................................................................................. 28
1.2.1.2- Selon Sarfati ..................................................................................................................... 28
1.2.1.3- Selon Maingueneau .......................................................................................................... 29
1.2.1.4- Selon Vignaux .................................................................................................................. 30
1.2.2- La disparité entre certaines notions de discours ...................................................................... 32
1.2.2.1- La disparité entre texte et discours ................................................................................... 32
1.2.2.2- La disparité entre phrase et discours ............................................................................... 33
1.2.2.3- La disparité entre énoncé et phrase .................................................................................. 33
1.2.2.4- La disparité entre énoncé et discours ............................................................................... 35
1.2.3- Les caractéristiques et les fonctions du discours ................................................................. 36
1.2.3.1- Les caractéristique du discours ........................................................................................ 36
1.2.3.2- Les fonctions du discours ................................................................................................. 37
1.2.4- Le discours conflictuel ............................................................................................................ 37
1.2.4.1- La définition de terme « conflit » ..................................................................................... 37
1.2.4.2- La notion du discours de conflit ....................................................................................... 40
144
CHAPITRE 2 : L’ANALYSE STRUCTURALE DU DISCOURS CONFLICTUEL .......................... 42
2.1- Les modalités d’énonciation et le codage du conflit .................................................................. 42
2.1.1- La modalité exclamative ......................................................................................................... 43
2.1.2- La modalité injonctive ............................................................................................................ 45
2.1.3- La modalité assertive à valeur négative ............................................................................. 47
2.1.4- La modalité interrogative ........................................................................................................ 48
2.2- Les modalités d’énoncé et expression du trouble émotionnel des personnages......................... 52
2.2.1- La modalité déontique ............................................................................................................. 52
2.2.2- La modalité épistémique ......................................................................................................... 53
2.2.3- La modalité aléthique .............................................................................................................. 55
2.3- Les subjectivèmes du conflit dans Walaandé, art de partager un mari ...................................... 56
2.3.1- Les adjectifs ............................................................................................................................ 57
2.3.2- Les adverbes............................................................................................................................ 62
2.3.3- Les verbes modalisateurs ........................................................................................................ 64
2.3.4- Les noms de qualité................................................................................................................. 66
CHAPITRE 3 : LES MARQUEURS POLYPHONIQUES ET LES IMAGES ................................ 70
3.1- Les implicites ............................................................................................................................. 71
3.1.1- La présupposition .......................................................................................................... 71
3.1.2- Le sous-entendu renvoyant au conflit............................................................................ 77
3.2- Les figures de style .................................................................................................................... 79
3.2.1- L’ironie .......................................................................................................................... 80
3.2.2- L’Aposiopèse................................................................................................................. 82
3.2.3- L’astéisme ..................................................................................................................... 85
3.3- Le discours rapporté ................................................................................................................... 86
3.3.1- Le discours direct .......................................................................................................... 86
3.3.2- Le discours indirect libre ............................................................................................... 88
CHAPITRE 4 : LES PORTÉES DU DISCOURS CONFLICTUEL .................................................... 92
4.1- La portée sociale du conflit ........................................................................................................ 93
4.1.1- La dénonciation de la polygamie ............................................................................................ 94
4.1.1.1- La présentation de la souffrance de la femme dans la zone sahélienne ........................... 96
4.1.1.2- La dénonciation de la dictature de l’homme sahelien .................................................... 101
4.1.1.3- La narration du conflit dans le foyer polygamique ........................................................ 103
4.1.1.4 – L’exposition du conflit de génération........................................................................... 105
4.1.1.5- La dénonciation de la violence faite aux femmes .......................................................... 108
4.1.1.6- La sous scolarisation des jeunes et de la jeune fille en particulier ................................. 109
4.1.1.7- L’appel à la libération de la femme sahélienne .............................................................. 111
145
4.2- La portée religieuse .................................................................................................................. 112
4.2.1- Sur le plan islamique ............................................................................................................. 112
4.2.1.1- La fausses affirmations sur le coran ................................................................................... 112
4.2.1.2- L’hypocrisie vis-à-vis de la religion islamique .................................................................. 114
4.2.1.3-La création de la loi islamique pour condamner la femme ................................................. 115
4.2.1.4- La transposition des lois culturelles dans les lois islamiques............................................. 115
4.2.1.5- La présentation de l’islam comme une religion de paix, l’amour et la patience ................ 117
4.3- La portée culturelle .................................................................................................................. 118
4.3.1- La tradition peule .................................................................................................................. 118
4.3.1.1- L’explication de la tyrannie de la tradition peule ........................................................... 118
4.3.1.2- La soumission exagérée ou « pulaaku » de la femme sahélienne .................................. 119
4.3.1.3- La dramatisation et amplification de la vie de la femme sahélienne.............................. 121
4.1.4- L’exposition de l’ignorance de l’homme peul .................................................................. 122
4.3.1.5- Le mariage forcé et précoce ........................................................................................... 125
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................................. 128
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 134
146