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Kathy Dillon
French Department
August 2017
Remerciements
Mhainnín, pour son soutien constant et sa gentillesse au fil de cette année. Je voudrais aussi
remercier mes parents, sans qui je n’aurais jamais eu l’occasion de participer à ce master.
2
Table des matières
Introduction .............................................................................................................................4
Premier chapitre : Une auteure audacieuse : Leïla Slimani et son roman Chanson Douce
...................................................................................................................................................8
La question stylistique............................................................................................................18
4.1 Une analyse des défis rencontrés et des stratégies employées ........................................100
Conclusion ...........................................................................................................................118
Bibliographie .......................................................................................................................121
3
Introduction
The practice of translation rests on two presuppositions. The first is that we are
all different - we speak different tongues and see the world in ways that are deeply
influenced by the particular features of the tongue we speak. The second is that we
are all the same - that we can share the same broad and narrow kinds of feelings,
information, understandings, and so forth. Without both of these suppositions,
translation could not exist. Nor could anything we would like to call social
life. Translation is another name for the human condition.
La tension entre ces deux présuppositions ; entre ce qui nous distingue et ce qui nous unit en
tant qu’êtres humains, est incarnée dans la tâche du traducteur au cours du processus de la
différents, le traducteur en formation apprend à créer un lien commun entre ce que les
langues partagent et les façons dont elles se distinguent. Cette tâche, bien entendu, s’appuie
sur la vaste quantité des théories dans le domaine de la traductologie, mais qui a aussi un
élément très personnel, comme le traducteur Frank Wynne nous rappelle, «translation is
informed by everything we read, by the films we see, the music we listen to, the
conversations we have.»2 Ce mariage entre ce qui nous distingue et ce qui nous unit, entre
Cette année nous avons eu l’occasion de travailler avec une grande variété des
textes et supports différents, cependant la traduction littéraire nous attire particulièrement car
1
BELLOS David, Is That a Fish in Your Ear?: Translation and the meaning of everything, 2014, New York :
Faber & Faber. p. 324.
2
http://www.le-mot-juste-en-anglais.com/2000/12/frank-wynne-traducteur-du-mois-de-decembre-2012.html,
consulté le 29 mars 2017.
4
réclame, ainsi que l’élément personnel et inhérent des choix qu’un traducteur fait au cours de
ce même processus. Nous voulions entreprendre une voie de recherche qui nous permettrait
découvrir notre façon individuelle d’aborder la traduction d’un texte littéraire. Par
conséquent, nous préconiserons au cours de ce mémoire une approche théorique qui reflète
la «pratique mixte, métissée [et] hybride»3 de la traduction, ainsi qu’une approche qui
envisage «la traduction dans la perspective des agents de la traduction, de leurs dispositions
l’auteure Leïla Slimani et son roman, Chanson Douce ; l’œuvre qui servirait comme notre
terrain d’essai dans notre recherche. Ayant gagné la plus prestigieuse récompense littéraire
spécifique ; couronner l’œuvre la plus imaginative de l’année en cours. Grace à son style sec
et nuancé ; son écriture à la fois concise et fluide, Slimani a réussi à transformer un fait
portoricaine d’une famille aisée a assassiné les deux enfants dont elle avait la garde et a tenté
de se donner la mort. Une grande lectrice de faits divers, Slimani avoue qu’elle était fascinée
par le «mystère de cette femme qui n’a jamais véritablement donné d’explication»5 et par la
3
GOUANVIC, Jean-Marc, « Au-delà de la pensée binaire en traductologie : esquisse d’une analyse
sociologique des positions traductives en traduction littéraire. » TTR : traduction, terminologie, rédaction,
2006, Vol. (19) No. (1), pp.123-134. p. 124.
4
Ibid. p. 126.
5
http://afrique.lepoint.fr/culture/leila-slimani-le-maghreb-vit-dans-la-culture-de-l-hypocrisie-et-du-mensonge-
15-09-2016-2068548_2256.php, consulté le 20 juillet 2017.
5
«relation employé-employeur très particulière»6 entre une nounou et son patron. Elle a
trouvé dans cette tragédie enfantine une trame narrative saisissante et une façon à lever le
voile sur la dure réalité de la maternité et le monde domestique, comme elle affirme, «je me
suis rendue compte que derrière l’histoire banale d’une famille et d’une nounou, il y avait
énormément des choses à dire sur notre société, sur les femmes, sur l’éducation. Mais je ne
savais pas comment traiter cette histoire et c’est la découverte de ce fait divers à Manhattan
Après avoir lu le livre, nous étions frappés par la voix engagée de l’auteure et le
pouvoir de sa plume. Les thèmes que Slimani aborde dans son roman ; l’égalité des femmes,
Benjamin et surtout son idée qu’il y a des livres qui se prêtent à la traduction. Ces livres
possèdent une qualité commune ; ils apportent quelque chose à l’humanité. Ils nous donnent
un aperçu des êtres humains que nous sommes. Ils révèlent des vérités universelles et donc
sont des livres qui demeurent pertinents d’une époque à une autre. Nous partageons cette
vision de Benjamin et nous trouvons dans ce roman et l’écriture de Slimani, une importance
sociale, politique et économique pour notre époque et pour les années à venir. Au cours de
ce mémoire nous justifierons les raisons pour lesquelles nous affirmons que Chanson Douce,
se révèle comme un livre qui mérite d’être traduit et qui se prête à la traduction.
ligne. Il est indubitable que Slimani possède une immense créativité et une autorité
stylistique à part. Son style concis ; ses phrases courtes, son économie des mots et le ton
6 Ibid.
7
http://www.glamourparis.com/culture/livre-a-lire/articles/chanson-douce-pourquoi-faut-il-absolument-lire-
leila-slimani-/47089, consulté le 27 juin 2017.
6
neutre du texte, rendent son écriture minimaliste et clinique à la fois. Ce style contemporain
représente le plus grand défi pour le traducteur de ce livre et suscite un débat autour de la
littéraire. La base théorique de ce mémoire met en question les stratégies qui existent afin de
transmettre le style d’un auteur et s’appuie sur le travail des théoriciens qui évoquent l’idée
que les traducteurs eux-mêmes possèdent des styles individuels. Le but de ce mémoire est de
transmettre la voix engagée de l’auteure et son style unique. Avec la traduction des neufs
premiers chapitres du roman, nous étudierons comment nous avons essayé d’atteindre ce but
7
Premier chapitre : Une auteure audacieuse : Leïla Slimani et son
roman Chanson Douce
Leïla Slimani est une jeune auteure franco-marocaine. Née à Rabat en 1981, elle a
grandi au Maroc. Elle est issue d’une famille aisée, sa mère franco-algérienne était médecin
et son père marocain a travaillé en tant que banquier. Elle a eu une éducation française et est
venue en France pour suivre ses études en Sciences Politiques et à l’ESCP, un parcours assez
conventionnel pour une bourgeoise. Cependant, Slimani n’est pas du tout une femme
que journaliste à l’Express et au magazine Jeune Afrique. À cause de son travail, elle a
développé son amour pour la plume, sa curiosité et surtout sa passion de «recueillir la voix
de ceux que habituellement on n’entend pas»8, comme elle souligne elle-même. Grâce à sa
parole engagée, elle est devenue une militante pour les voix qu’on n’entend jamais,
notamment chez les femmes. Elle est une porte-parole pour la liberté de femmes ; une valeur
qui est le fil conducteur de son écriture, elle a remarqué que «tant qu’existera une seule
femme qui est discriminée en raison de son sexe, je serai féministe.»9 Cet activisme vient
principalement de son expérience en tant que femme au monde d’aujourd’hui. Elle soutient
que c’est le monde qui l’a rendue féministe. Son enfance au Maroc l’a fait comprendre que
les femmes n’ont pas les mêmes droits, ni les mêmes libertés personnelles que les hommes.
Ses parents étaient très angoissés d’avoir trois filles au Maroc. Elle souligne le fait que «les
8
https://www.youtube.com/watch?v=Np21g_lBMlI, consulté le 4 mars 2017.
9
Ibid.
8
filles représentent un demi-homme au Maroc sur le plan administratif, tant qu’elles ne sont
pas mariées, elles n’existent pas véritablement socialement.»10 Par conséquent, les femmes
au Maroc vivent dans une société où elles n’ont pas le droit d’être une personne à part
entière. Leurs corps appartiennent à leurs pères puis à leurs maris. Cette réalité, selon
Slimani, a pour conséquence «une intrusion constante des autorités dans l’intimité des
De la même façon à Paris, elle se souvient de la première fois qu’elle ait pris le métro tard le
soir et s’est rendue compte que «quand on est femme, on n’a pas la même zone de confort,
qu’on peut dire que peut avoir les hommes.»12 Et bien la première fois qu’elle ait passé un
entretien d’embauche et que le recruteur lui a demandé si elle avait l’intention d’avoir des
enfants. Le simple fait qu’elle n’est que la douzième femme à obtenir le prix Goncourt
montre la profondeur de la lutte que Leïla Slimani aborde avec sa plume : une lutte qui en
Son style sec, tranchant et nuancé est sans doute influencé par son parcours
professionnel en tant que journaliste. «L’art du détail pertinent et la construction, par petites
affirme la journaliste Suzanne Gervais dans sa critique littéraire de Chanson Douce. Son
économie de mots donne une dimension minimaliste à son écriture qui a séduit le jury
Goncourt en 2016. Elle rend la vie ordinaire profonde et nous donne un aperçu poignant de
la société française contemporaine, tout en gardant un ton neutre. Leïla Slimani est une
auteure qui sait aborder les thèmes sensibles sans faire aucun jugement, comme Gervais
10
Ibid.
11
http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Leila-Slimani-rencontre-avec-la-romanciere-de-l-ultramoderne-
solitude-des-femmes-3142603, consulté le 18 avril 2017.
12
https://www.youtube.com/watch?v=Np21g_lBMlI, consulté le 4 mars 2017.
13
http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Leila-Slimani-rencontre-avec-la-romanciere-de-l-ultramoderne-
solitude-des-femmes-3142603, consulté le 18 avril 2017.
14
http://www.cairn.info/revue-etudes-2016-12-page-93.htm, consulté le 18 avril 2017.
9
souligne «l’écriture vive et clinique, se garde de toute posture moralisatrice.» 15 Elle
démontre le côté humain des réalités complexes et injustes. Elle représente les voix que
souvent on n’entend pas et sa voix va beaucoup compter dans les années à venir. Cette
année, d’après Gervais, «l’Académie Goncourt semble être revenue à sa mission initiale :
couronner de jeunes auteurs»16 et cette jeune auteure n’est que au début de sa carrière et
comme Bernard Pivot, un membre du jury Goncourt, souligne «elle n’a écrit que deux
Chanson Douce est le deuxième roman écrit par Slimani. Il se lit comme un thriller
enfants par leur nounou, Slimani nous invite à nous interroger sur les divisions entre les
classes, la misère sociale et la place de femmes au sein d’une République basée sur la liberté,
l’égalité et la fraternité.
L’idée pour le récit est née d’un fait divers de 2012 qui a eu lieu à New York. Une
nounou garde les enfants d’une famille aisée depuis plusieurs années, puis un jour la mère
est rentrée et elle a trouvé les pièces plongées dans le noir et les enfants assassinés par la
nounou qui avait tenté de se donner la mort. Slimani a révélé lors d’un entretien avec le
Myriam et Paul, un jeune couple bourgeois bohême possèdent toutes les valeurs
progressistes qui sont en théorie associées avec leur classe, comme par exemple la mixité
sociale. Ils se trouvent confrontés avec la réalité de ces mêmes valeurs quand Myriam veut
15
Ibid.
16
Ibid.
17
http://www.rfi.fr/culture/20161103-prix-goncourt-leila-slimani-portrait-doux-ecrivaine-ogresse, consulté le
20 avril 2017.
18
http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Leila-Slimani-rencontre-avec-la-romanciere-de-l-ultramoderne-
solitude-des-femmes-3142603, consulté le 18 avril 2017.
10
reprendre le travail. Myriam représente beaucoup de femmes modernes qui cherchent un
équilibre entre la maternité et la reconnaissance au travail ; une liberté qui est souvent niée
aux femmes partout au monde. L’idée qu’il faut dénoncer la maternité pour travailler
apparaît indigne à Slimani qui pense que «c’est très important de dire que c’est possible
d’être une artiste et d’être en même temps une mère et d’être une femme accomplie.»19
Cependant, Slimani nous rappelle qu’au sein de l’organisation sociale qui est actuellement
en place en France et ailleurs, ce droit de travailler a un prix très lourd. Slimani souligne que
«notre organisation sociale repose depuis des centaines d’années sur le fait que les femmes
bourgeoises confient leurs enfants à d’autres femmes, moins privilégiées, afin de pouvoir se
consacrer à autres chose qu’à la maternité.»20 Cette tendance en France, notamment à Paris,
est aussi répandue dans d’autres pays, l’auteure elle-même a eu une nounou au Maroc. Par
conséquence, Myriam doit trouver une nounou pour garder ses enfants si elle veut profiter
du monde du travail et c’est ainsi que le jeune couple tombe sur Louise qui est en apparence
C’est ce monde de servitude ; la vie domestique, qui est mise en question dans le
roman. Un monde selon Slimani qui est «quasi invisible dont on parle très peu»21 et qui a au
cœur : la relation complexe entre une mère et sa nounou, ainsi que les affres des mères qui
«souhaitent s’épanouir ailleurs qu’au foyer.»22 Slimani construit un parallèle intriguant entre
Myriam et Louise au fil du récit qui démontre les tensions des femmes qui font partie de ce
même monde domestique. L’écart social entre Myriam et Louise est renforcé par la précarité
de la place sociale et économique que les nounous occupent. En dépit d’une valeur
19
https://www.youtube.com/watch?v=Np21g_lBMlI, consulté le 4 mars 2017.
20
http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/03/leila-slimani-chanson-douce-prix-goncourt-interview/, consulté le
27 février 2017.
21
http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Leila-Slimani-rencontre-avec-la-romanciere-de-l-ultramoderne-
solitude-des-femmes-3142603, consulté le 18 avril 2017.
22
http://www.cairn.info/revue-etudes-2016-12-page-93.htm, consulté le 18 avril 2017.
11
économique très faible, ces femmes portent une responsabilité énorme ; le bien-être de nos
enfants. De plus, Myriam est obligée de non seulement embaucher une femme moins
privilégiée qu’elle afin de pouvoir travailler en tant que avocate, mais aussi, une inconnue.
sociale dont ces femmes bénéficient, constituent le côté thriller au roman. Myriam, comme
beaucoup d’autres mères, laisse ses enfants dans les mains de quelqu’une, qu’en réalité elle
ne connaît pas du tout et selon Slimani, «c’est cette terreur, cette irrationalité qui donne son
La façon dont Slimani raconte cette histoire est extrêmement bien construite. Elle
commence par la fin : les morts de Mila et Adam, les enfants du jeune couple. Il y a deux
raisons pour lesquelles elle suit cette forme pour présenter son récit. Tout d’abord, l’histoire
en soi est très banale, s’occuper des enfants est le travail le plus répétitif au monde et d’après
Slimani ;
La deuxième raison est liée au plan narratif. Slimani veut que le lecteur soit actif et en
commençant par la fin, elle évoque un regard aigu chez les lecteurs. Nous, les lecteurs savent
plus que les parents, nous cherchons dès la première ligne des signes qui suggèrent que
Louise soit folle, nous la perçons à jour, nous voyons les moments où les parents sont
aveugles. Un sentiment que Gervais partage, «avec une grande intelligence narrative,
l’auteure remonte le temps. Le lecteur, avide, est happé dans l’engrenage. Il traque les
23
http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/03/leila-slimani-chanson-douce-prix-goncourt-interview/, consulté le
27 février 2017.
24
https://www.youtube.com/watch?v=4ftDYhYIqpM, consulté le 21 mars 2017.
12
indices, les fêlures de Louise, annonciatrices du drame.»25 Grâce à la forme de ce livre, le
lecteur attend toujours la crise qui pousse Louise à commettre ce crime affreux.
méfie du rôle que Louise joue au sein de sa famille. Elle attend le jour où elle n’aura plus
besoin d’elle. À travers la forme flash-back du roman, on découvre petit à petit, la vie
pitoyable que Louise a subie : une vie marquée par la solitude, la pauvreté et la misère
mesure, chapitre par chapitre. «Cette façon d’être à la fois des intimes et des étrangers, cette
lecteur, qui est toujours en attente de la tragédie annoncée. À la fin du roman, on se retrouve
une fois encore à la scène de crime. Slimani nous laisse sans conclusion. C’est au lecteur de
Even though Louise did stab the children, her vulnerabilities and
perplexities as a character reveal that Slimani is not as interested in
the specifics of detection as she is in the effects of social inequity
and unfilled maternal desire. 27
On n’entend jamais la voix de Louise et Howell soutient que c’est Louise qui reste la grande
énigme du roman, qui à la fin de l’histoire «no longer has a voice - and as Slimani seems to
suggest, perhaps never did.»28 À travers son style féroce et les thèmes que Slimani aborde
dans Chanson Douce, on frotte avec la hiérarchie, les apparences trompeuses et surtout le
13
mystère de l’autre. Ce qui s’en approche peut-être le plus, c’est la
littérature.29
traductologie. Les thèmes de cet ouvrage, qui sont à la fois intemporels et universels,
notamment la mise en question d’égalité entre les sexes et entre les classes sociales,
évoquent l’idée de «traduisibilité» proposée par Benjamin. Un livre qui demeure pertinent au
fil des siècles est selon Benjamin, pas seulement un chef-d’œuvre mais aussi un livre qui se
plusieurs défis au niveau stylistique, notamment le lien entre le style d’un auteur et le style
personnel d’un traducteur. À travers la recherche de Mona Baker, Jean Boase-Beier et Theo
traducteur sur le style du texte cible et avec l’aide d’autres théoriciens, y compris ; Nida,
Vinay et Darbelnet, Venuti et Landers parmi d’autres, nous essaierons de fournir une
sa voix engagée. Dans le chapitre suivant nous préciserons notre démarche théorique avant
d’aborder la traduction des neufs premiers chapitres du roman, Chanson Douce, dans notre
troisième chapitre.
29
http://afrique.lepoint.fr/culture/leila-slimani-le-maghreb-vit-dans-la-culture-de-l-hypocrisie-et-du-mensonge-
15-09-2016-2068548_2256.php, consulté le 20 juillet 2017.
14
Deuxième chapitre : Notre démarche théorique de la traduction
de Chanson Douce
traductologie. Cette difficulté est liée non seulement au fait que la nature de ce domaine est
multidisciplinaire mais aussi parce que souvent les traducteurs sont obligés de déployer des
stratégies qui sont issues des théories opposantes. Au cœur du débat théorique, on trouve le
rapport ambigu entre le texte source et le texte cible, un rapport qui était traditionnellement
Cependant, avec la traduction des neuf premiers chapitres de Chanson Douce, nous
voudrions démontrer que la pratique de la traduction réclame une approche qui reflète la
dualité du lien entre le texte source et la traduction, ainsi que la dualité du rôle que le
traducteur joue. De cette façon, nous avons adopté une démarche qui est basée sur cette
dualité, comme affirme Mansell, «[t]he roles of the translator and translation are important
in that neither belongs entirely to the source nor entirely to the target culture.»30 Nous
mettons l’accent sur le fait qu’un texte cible est à la fois une interprétation d’un texte source
et un texte en soi. De façon similaire, un traducteur joue le rôle d’interprète d’un texte source
et le rôle de créateur d’un texte cible. Nous soutenons qu’une telle démarche nous permettra
d’aborder une traduction d’une manière qui reconnaît la subjectivité de la part du traducteur,
et qui rend compte du contexte et des facteurs externes qui influencent la production d’une
30
MANSELL, Richard, "Optimality in translation" in PYM Anthony et PEREKRESTENKO Alexander (dir.),
Translation Research Projects 1, 2007, Intercultural Studies Group: Spain, p.3-13, p. 5.
15
traduction littéraire «au-delà des oppositions simples et de surface»31 et qui rend compte de
la dualité de sa nature.
comme Chanson Douce, c’est-à-dire, un livre qui a décroché le prix littéraire français le plus
littéraires d’une langue et culture aux autres. Pour reprendre les mots du célèbre traducteur
Ezra Pound, chaque âge d’or de la littérature est un âge d’or de la traduction. Pour nous cette
créativité repose sur le fait que «a translator, perhaps more than any other practitioner, is
continuously faced with choices»32, les choix qu’un traducteur fait ainsi que sa façon
d’interpréter et résoudre les défis auxquels il doit faire face réclament «une aptitude à
lacune culturelle représentent la quête créative entreprise par un traducteur car «the chase
after words and facts is unremitting and requires imagination.»34 Au cours de ce mémoire
nous montrerons que «the role of choice in literary translation cannot be overemphasised»35
et par conséquent «translation cannot but be, in some measure an appropriation of the
source.»36
31
GOUANVIC, Jean-Marc, « Au-delà de la pensée binaire en traductologie : esquisse d’une analyse
sociologique des positions traductives en traduction littéraire. » TTR : traduction, terminologie, rédaction,
2006, Vol. (19) No. (1), pp.123-134. p. 131.
32
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 8.
33
DANCETTE Jeanne, AUDET Louise et LAURENCE Jay-Rayon, « Axes et critères de la créativité en
traduction. » Meta: Journal des traducteurs/Meta: Translators' Journal, 2007, Vol. (52) No. (1), pp.108-122.
p. 117.
34
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 8.
35
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge: Cromwell Press Ltd. p.
9.
36
BELLOS David, Is That a Fish in Your Ear?: Translation and the meaning of everything, 2014, New York :
Faber & Faber. p. 315.
16
Ainsi, nous allons nous appuyer sur le travail de Benjamin qui pense que la
traduction littéraire est en effet ; une forme d’art. Selon Benjamin, un traducteur est
responsable de l’au-delà d’un chef d’œuvre littéraire. Le genre du livre que Benjamin
envisage quand il parle de cette intemporalité est celui qui apporte quelque chose à la
condition humaine ; un ouvrage qui nous donne un aperçu des êtres humains que nous
sommes. À travers l’œuvre de Slimani, comme explique son éditeur, «c’est notre époque qui
se révèle.»37 De plus, les thèmes universels et intemporels que Slimani met en question,
comme, par exemple, la place de femmes dans la société contemporaine, seront aussi
pertinents dans les années à venir qu’à notre époque. La lutte pour l’égalité existe depuis
l’aube de l’humanité et touche toutes les sociétés et toutes les époques. Par conséquent,
Chanson Douce, est un livre, dirait Benjamin, qui possède la «traduisibilité» : l’élément
indispensable de ces livres qui se prêtent à la traduction et qui méritent d’être traduits.
d’une traduction ainsi que l’aspect créatif de la traduction, nous nous inspirerons du travail
Venuti. Dans le cas particulier de ce mémoire, un des grands défis auquel le traducteur doit
faire face est la traduction du style de Slimani. Avec l’aide des théoriciens déjà mentionnés
de chaque traduction entreprise par un traducteur. De cette façon, nous voulons mettre
l’accent sur l’idée préconisée par Venuti que chaque traduction ne nous offre qu’une seule
37
http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/03/le-prix-goncourt-2016-attribue-a-leila-slimani-pour-chanson-
dou/?utm_hp_ref=fr-culture, consulté le 12 février 2017.
17
varying cultural assumptions and interpretative choices, in specific
social situations, in different historical periods. 38
Notre traduction alors n’est qu’une seule version possible, mais grâce à la dualité de notre
approche théorique envers le rapport entre le texte source et le texte cible, nous justifierons
2.2 Les dilemmes traductologiques que pose Chanson Douce : La question stylistique.
en anglais. Le récit en soi ne pose pas beaucoup de difficultés car au niveau culturel,
transposé le fait divers new-yorkais à Paris. Notre traduction alors met l’accent sur le fait
que Slimani ait gagné le prix Goncourt pour son style sec et minimaliste : elle se distingue
avec son style et c’est cela qui rend l’histoire intéressante sur le plan narratif. Par
conséquent, notre traduction réclame la mise en place des stratégies qui facilitent la
traduction de style d’un auteur, ainsi que le besoin d’examiner au niveau théorique le débat
autour de la question stylistique. Ainsi, nous nous tournons vers le travail de Mona Baker.
Baker partage avec Venuti le sentiment qu’une traduction n’est jamais une simple question
de reproduction. Elle est également d’accord avec le fait que la traduction littéraire est un
processus créatif qui a une dimension subjective et individuelle. Au cours de ses recherches,
elle étudie les façons différentes dont une traduction est influencée par les idiosyncrasies des
traducteurs, notamment la question du style personnel d’un traducteur comme elle affirme ;
“if translation is a creative activity, as I believe it is, then translators cannot simply be
‘reproducing’ what they find in the source text - somewhere along the line each translator
38
VENUTI, Lawrence. The translator's invisibility: A history of translation, 2008, New York : Routledge.
p. 18.
18
must be leaving a personal imprint on the new text.”39 Selon Baker, le style d’un traducteur
est représenté par les choix linguistiques et stylistiques qu’il fait, et dans cette manière, le
traducteur développe une approche particulière afin d’aborder une traduction. Elle soutient
aussi que le genre littéraire et thématique qu’un traducteur choisit de traduire fait partie de
son style personnel. Elle souligne le fait que souvent un traducteur choisit un auteur
«because they feel they have a particular affinity with the author.»40 De la même façon elle
pense que ;
If we accept that the themes that a particular writer such as Virginia Woolf or
Mark Twain chooses to write about constitute part of his or her ‘style’ then the
same principal must be applied to the study of style in translation. 41
Jean Boase-Beier est d’accord avec l’idée que le style est une question de choix chez
l’auteur et également chez le traducteur, elle pense que «distinctiveness arises because of
choice exercised by a writer.»42 Selon elle, ces choix représentent la vision du monde de
l’auteur car «a writer embodies in language his or her experience of the world.» C’est le
travail du traducteur de discerner le sens derrière ces choix, de déduire les intentions de
l’auteur et de déterminer le but de son écriture à travers sa lecture personnelle. Elle définit le
style comme ; “the variation within a language based on optionality, and so differs in this
respect from regional or social dialects, and also from the rules and principles of grammar
about which we have no choice.”43 Sa notion du style partage quelques points en commun
avec le rôle du traducteur envisagé par les linguistes Vinay et Darbelnet, qui pensent que la
principale préoccupation chez le traducteur est ; «the realm of stylistics.»44 Pour Vinay et
Darbelnet, après avoir réalisé toutes les transformations obligatoires entre deux systèmes
39 BAKER Mona, "Towards a methodology for investigating the style of a literary translator," International
Journal of Translation Studies, 2000, Vol. (12) No. (2), p. 241-266, p. 244.
40
Ibid. p. 263.
41 Ibid.
42
BOASE-BEIER Jean, Translation Theories explored: Stylistic Approaches to Translation, 2006, Manchester
: St. Jerome Publishing. p. 52.
43
Ibid.
44
MUNDAY Jeremy, Introducing Translation Studies: Theories and Applications, 2016, Oxon : Routledge. p.
94.
19
linguistiques, c’est au traducteur «to choose from among the available options to express the
nuances of the message.»45 C’est le monde d’inférence qui révèle le style personnel du
traducteur.
nous donner une compréhension conceptuelle de la notion du style qui reflète la dualité du
rôle de traducteur que nous examinons dans ce mémoire. Elle pense que le style est à la fois
une réponse au texte source par le traducteur et quelque chose d’idiosyncratique chez le
traducteur. D’après Saldanha, le style est «a personal attribute, as well as a textual one.»46 Le
travail de Baker et Saldanha évoque l’idée que peut-être un traducteur est mieux placé de
traduire un genre littéraire qui convient à son style personnel, ou bien peut-être un traducteur
littéraire devrait être un spécialiste d’un genre particulier ainsi qu’un style particulier.
Theo Hermans nous rappelle que ce n’est qu’à travers ses préférences linguistiques
et stylistiques qu’un traducteur laisse sa trace dans sa traduction. Il affirme que la façon dont
on traduit, ainsi que les choix qu’on fait, sont également marqués par les valeurs
traduction contient «a margin within which the translator’s agency and attitude can be
articulated.»47 Selon Hermans, cette réalité est inéluctable car «we cannot say something
démontrent la façon dont un traducteur interprète le texte source et expliquent en partie les
choix qu’il fait. Ainsi, le processus de la traduction n’est qu’un processus créatif qui reflète
le style personnel d’un traducteur mais est aussi un processus qui peut refléter ses valeurs
45
Ibid.
46 SALDANHA, Gabriela. "Translator style: Methodological considerations." The Translator, 2011, Vol. (17)
20
sociales et idéologiques comme Hermans souligne, le processus de la traduction «negotiates
question du style, est de savoir identifier le lien entre les traces personnelles du traducteur et
le style personnel de l’auteur. Comment peut-on distinguer «stylistic features which can
reasonably be attributed to the translator from those which are simply a reflection of the
stylistic features of the original ?» 50 Selon Baker, c’est seulement à travers plusieurs
traductions faites par le même traducteur qu’on peut identifier son style particulier. Elle
préconise qu’une analyse descriptive d’un corpus de textes traduits nous permet
Hermans pense que ces traces s’expriment explicitement à travers les éléments
paratextuels d’une traduction et en ce qui concerne les traces implicites, c’est le rôle du
La question qui se pose dans notre traduction des neuf premiers chapitres de Chanson Douce
l’importance de sa voix engagée, en rendant compte des traces inévitables que nous avons
laissées dans notre traduction. Au niveau théorique, la question que ce mémoire pose est de
49
Ibid. p. 293.
50
BAKER Mona, "Towards a methodology for investigating the style of a literary translator," International
Journal of Translation Studies, 2000, Vol. (12) No. (2), p. 241-266, p. 246.
51
Ibid. p. 20.
52
Ibid. p. 297.
21
savoir à quel point nos traces personnelles augmentent ou réduisent la qualité de notre
traduction ?
22
Troisième chapitre :
23
Mademoiselle Vezzis était venue de par-
delà la Frontière pour prendre soin de quelques
enfants chez une dame […]. La dame déclara
que mademoiselle Vezzis ne valait rien, qu’elle
n’était pas propre et qu’elle ne montrait pas de
zèle. Pas une fois il ne lui vint à l’idée que
mademoiselle Vezzis avait à vivre sa propre
vie, à se tourmenter de ses propres affaires, et
que ces affaires étaient ce qu’il y avait au
monde de plus important pour mademoiselle
Vezzis.
Rudyard Kipling,
Simples contes des collines
Dostoïevski,
Crime et Châtiment
24
Ms. Vezzis came from across the Borderline to
look after some children who belonged to a
lady. […] The lady said Ms. Vezzis was a bad,
dirty nurse and inattentive. It never struck her
that Ms. Vezzis had her own life to lead, her
own affairs to worry over, and that these
affairs were the most important things in the
world to Ms.Vezzis.
Rudyard Kipling
Plain Tales from the Hills53
Dostoïevski
Crime and Punishment54
53
Cette citation est tirée de ;
KIPLING Rudyard, Plain Tales from the Hills, 1987, United Kingdom : Oxford University Press. p. 59.
54
Cette citation est tirée de sa traduction officielle ;
DOSTOEVSKY Fyodor, Crime and Punishment, 2006, (Garnett Constance, Traductrice), Wordsworth :
London. p. 41.
25
Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu’il n’avait pas
souffert. On l’a couché dans une housse grise et on a fait glisser la fermeture éclair sur le
corps désarticulé qui flottait au milieu des jouets. La petite, elle, était encore vivante quand
les secours sont arrivés. Elle s’est battue comme un fauve. On a retrouvé des traces de lutte,
des morceaux de peau sous ses ongles mous. Dans l’ambulance qui la transportait à l’hôpital,
elle était agitée, secouée de convulsions. Les yeux exorbités, elle semblait chercher de l’air.
Sa gorge s’était emplie de sang. Ses poumons étaient perforés et sa tête avait violemment
imbibé de sang. La table à langer était à moitié renversée. Les jouets ont été emportés dans
des sacs transparents et mis sous scellés. Même la commode bleue servira au procès.
La mère était en état de choc. C’est ce qu’ont dit les pompiers, ce qu’ont répété les
policiers, ce qu’ont écrit les journalistes. En entrant dans la chambre où gisaient ses enfants,
elle a poussé un cri, un cri des profondeurs, un hurlement de louve. Les murs en ont tremblé.
La nuit s’est abattue sur cette journée de mai. Elle a vomi et la police l’a découverte ainsi,
ses vêtements souillés, accroupie dans la chambre, hoquetant comme une forcenée. Elle a
26
The baby is dead. It took a matter of seconds. The doctor confirmed he had not suffered.
He55 was placed into a grey body bag and the zip was closed on his lifeless body that was
floating among the toys. The little girl56 was still alive when the paramedics arrived. She
fought like a wild animal. Traces57 of her struggle were evident from the skin particles found
beneath her soft fingernails. In the ambulance transporting her to the hospital, she was
agitated, her body convulsing, eyes bulging out of their sockets; she seemed to be searching
for air58. Her throat had filled with blood. Her lungs were punctured and her head had
The crime scene was photographed59. The police took fingerprints and measured the
surface area of the bathroom and children’s room. The princess mat on the floor was blood
soaked60. The baby-changing table had been half knocked over. The toys were taken away in
transparent, sealed evidence bags. Even the blue chest of drawers will feature in the trial.
The mother was in a state of shock - according to the firemen, seconded by the police and
written by the journalists61. Upon entering the room where her children were lying she let
out a cry, a cry from the depths of her soul; the cry of a she-wolf. It made the walls tremble.
Night had fallen on this May day. She vomited62. The police found her like that in the
bedroom, hunkered down, soiled and spluttering like a madwoman. She screamed as if her
55
Nous avons employé la voix passive au lieu de la voix active car elle convient mieux à l’usage naturel de
l’anglais plutôt que de traduire le pronom ‘on’ par ‘one’ ou ‘we’. Il y a une autre raison aussi pour ce choix ; la
voix passive en anglais rend la voix du narrateur neutre qui est un élément fondamental dans ce roman.
56
Nous avons supprimé le pronom ‘elle’ car un pronom supplémentaire en anglais donnerait une lourdeur
inutile à la phrase.
57
De même, ici nous avons employé la voix passive pour que le fil conducteur de la narration soit logique.
Nous étions aussi obligée d’ajouter la préposition ‘from’ afin de relier la clause principale avec la locution
prépositive et pour nous conformer à la syntaxe d’anglais.
58
Nous avons décidé de créer une seule phrase ici, ce qui aide la fluidité et qui reflète mieux le style précis et
poignant de Slimani.
59
La voix passive est une fois encore employée ici. Un choix qu’on verra souvent dans cette traduction.
60
Nous avons changé l’ordre des mots pour que la phrase suive la syntaxe de l’anglais.
61
Nous avons fusionné ces deux phrases car cela convient mieux au style précis de Slimani.
62
Nous avons coupé cette phrase en deux pour que le style de la phrase soit plus frappant.
27
L’ambulancier a fait un signe discret de la tête, ils l’ont relevée, malgré sa résistance, ses
coups de pied. Ils l’ont soulevée lentement et la jeune interne du SAMU lui a administré un
L’autre aussi, il a fallu la sauver. Avec autant de professionnalisme, avec objectivité. Elle
n’a pas su mourir. La mort, elle n’a su que la donner. Elle s’est sectionné les deux poignets
et s’est planté le couteau dans la gorge. Elle a perdu connaissance, au pied du lit à barreaux.
Ils l’ont redressée, ils ont pris son pouls et sa tension. Ils l’ont installée sure le brancard et la
Les voisins se sont réunis en bas de l’immeuble. Il y a surtout des femmes. C’est bientôt
l’heure d’aller chercher les enfants à l’école. Elles regardent l’ambulance, les yeux gonflés
de larmes. Elles pleurent et elles veulent savoir. Elles se mettent sur la pointe de pieds.
l’ambulance qui démarre toutes sirènes hurlantes. Elles se murmurent des informations à
L’appartement des Massé se trouve au cinquième étage. C’est le plus petit appartement de la
résidence.
28
The paramedic nodded discretely; they lifted her up, despite her resistance and kicks. They
slowly raised her to her feet63 and the young female paramedic intern administered a
There was another casualty to be saved too, with the same professionalism and
objectivity64. She did not know how to die; she only knew how to kill65. She had severed
both her wrists and embedded the knife in her throat. She lost consciousness at the foot of
the cot. They straightened out her body and took her pulse and blood pressure. They moved
her onto the stretcher and the young intern kept her hand pressed against her neck.
children from school. They watch the ambulance, eyes filled with tears. They cry and want
to know what happened. Standing on their tiptoes, they try to see what is happening behind
the police line, and in the back of the ambulance as it speeds off, sirens blaring67. They
whisper to one another, rumours already spreading; something terrible has happened to the
children68.
It is a nice apartment building on Rue Hauteville in the 10th arrondissement, the kind
where neighbours, without being acquainted, warmly greet one another69. The Massé’s70
63
Nous avons étoffé la phrase un peu en ajoutant “to her feet” pour faciliter la compréhension. Nous avons
aussi employé la stratégie d’explication en ajoutant le mot ‘female’ afin de montrer explicitement le sexe de la
jeune interne. Nous avons enlevé l’acronyme SAMU car il n’y a pas d’équivalent en anglais et une note de
traducteur interromprait inutilement la lisibilité de la phrase.
64
Nous avons ajouté ‘casualty’ pour clarifier ‘l’autre’. Nous avons aussi créé une seule phrase afin de garder
le style concis dans l’original.
65
Nous avons étoffé cette phrase pour que la syntaxe convienne à l’usage naturel d’anglais et nous avons ajouté
un point-virgule pour l’effet stylistique.
66
Nous avons fusionné ces deux phrases qui nous permet d’être plus concis.
67
Nous avons créé une seule phrase ici aussi ce qui aide la fluidité.
68
Nous avons aussi fusionné ces trois phrases en une seule pour la lisibilité.
69
Nous avons créé une seule phrase qui se prête mieux à la lisibilité. Nous avons gardé le mot
‘arrondissement’ car il est un emprunt lexical dans la langue anglaise et nous avons gardé le nom de la rue
‘Hauteville’ ce qui est la pratique normale en traduisant les toponymes.
70
Nous n’avons pas anglicisé le nom de famille, nous avons opté pour une stratégie de foreignisation et nous
avons fusionné ces deux phrases pour une lecture fluide.
29
Paul et Myriam ont fait monter une cloison au milieu du salon à la naissance de leur second
enfant. Ils dorment dans une pièce exiguë, entre la cuisine et la fenêtre qui donne sur la rue.
Myriam aime les meubles chinés et les tapis berbères. Au mur, elle a accroché des estampes
japonaises.
Aujourd’hui, elle est rentrée plus tôt. Elle a écourté une réunion et reporté à demain
l’étude d’un dossier. Assise sur le strapontin, dans la rame de la ligne 7, elle se disait qu’elle
ferait une surprise aux enfants. En arrivant, elle s’est arrêtée à la boulangerie. Elle a acheté
une baguette, un dessert pour les petits et un cake à l’orange pour la nounou. C’est son
favori.
Elle pensait les emmener au manège. Ils iraient ensemble faire les courses pour le dîner.
30
After the birth of their second child, Paul and Myriam71 partitioned the sitting room. They
sleep in a small room between the kitchen and the window, overlooking the street below.
Myriam loves antique furniture and Berber carpets. She hung Japanese prints on the wall.
She had come home early today. She cut short her meeting and postponed work on a case
file until tomorrow. Sitting on one of the foldup seats in a metro carriage on line 7, Myriam
decided she would surprise the children. When she arrived, she stopped by the bakery. She
bought a baguette, a dessert for the children and an orange cake for the nanny. It is her
favourite.
She intended bringing them to play on the carousel and then going grocery shopping
together for dinner72. Mila would beg for a toy and Adam would sit in his buggy sucking on
a piece of bread.
71
Nous avons gardé l’orthographe dans l’original du prénom ‘Myriam’ pour la stratégie de foreignisation.
72
Nous avons fusionné ces deux phrases pour faciliter la lecture.
31
« Pas de sans-papiers, on est d’accord ? Pour la femme de ménage ou le peintre, ça ne me
dérange pas. Il faut bien que ces gens travaillent, mais pour garder les petits, c’est trop
dangereux. Je ne veux pas de quelqu’un qui aurait peur d’appeler la police ou d’aller à
l’hôpital en cas de problème. Pour le reste, pas trop vieille, pas voilée et pas fumeuse.
L’important, c’est qu’elle soit vive et disponible. Qu’elle bosse pour qu’on puisse bosser. »
Paul a tout préparé. Il a établi une liste de questions et prévu trente minutes par entretien. Ils
ont bloqué leur samedi après-midi pour trouver une nounou à leurs enfants.
Quelques jours auparavant, alors que Myriam discutait de ses recherches avec son amie
Emma, celle-ci s’est plainte de la femme qui gardait ses garçons. « La nounou a deux fils
ici, du coup elle ne peut jamais rester plus tard ou faire des baby-sittings. Ce n’est vraiment
pas pratique. Penses-y quand tu feras tes entretiens. Si elle a des enfants, il vaut mieux
qu’ils soient au pays. » Myriam avait remercié pour le conseil. Mais, en réalité, le discours
d’Emma l’avait gênée. Si un employeur avait parlé d’elle ou d’une autre de leurs amies de
cette manière, elles auraient hurlé à la discrimination. Elle trouvait terrible l’idée d’évincer
une femme parce qu’elle a des enfants. Elle préfère de ne pas soulever le sujet avec Paul.
Son mari est comme Emma. Un pragmatique, qui place sa famille et sa carrière avant tout.
Ce matin, ils ont fait le marché en famille, tous les quatre. Mila sur les épaules de Paul,
32
“No illegal immigrants, ok? I don’t mind if it was just as a cleaning lady or a painter73.
These people need to work, but when it comes to minding children, it’s just too dangerous. I
don’t want someone who would be afraid to call the police, or go to the hospital if there was
a problem. Otherwise, a woman74 who is not too old, who doesn’t wear a hijab75 or smoke.
The most important thing is that they are energetic and available76. That she is ready to work
so that we can go to work.” Paul arranged everything. He drew up a list of questions and set
aside half an hour for each interview. They dedicated their Saturday afternoon to finding a
A few days before, Myriam was discussing the search with her friend Emma, who
complained about the woman looking after her boys77. “The nanny has two boys here
herself, so she can never stay on late, or do any baby-sitting. It is just not practical. Keep
that in mind while you are interviewing. If she has children, it is better if they are in her
home78 country.” Myriam had thanked her for the advice but in reality, Emma’s remarks
had annoyed her79. If an employer had spoken about her like that, or another one of their
friends, they would have screamed it was discrimination. She found the idea of excluding a
woman simply because she had children awful. She prefers not to raise the issue with her
husband. Like Emma, he is pragmatic, putting family and career before everything else80.
That morning, the four of them went to the market as a family, Mila on Paul’s shoulders
73
Nous avons étoffé la phrase pour que la phrase suive la syntaxe logique d’anglais.
74
Nous avons employé la stratégie d’explicitation ici car nous pensons qu’il est important de souligner que ce
monde domestique est un monde féminin.
75
De même la stratégie d’explication est employée ici car en français, il est implicite que le mot ‘voilée’ veut
dire quelqu’une qui est musulmane qui n’est pas forcément le cas en anglais.
76
Nous avons aussi étoffé cette phrase ici pour que la phrase se conforme à la syntaxe d’anglais.
77
Nous avons supprimé les mots ‘alors que’ et ‘celle-ci’ pour que la phrase soit plus idiomatique.
78
Nous avons ajouté l’adjectif ‘home’ pour souligner le fait que ces nounous sont pour la plupart des
étrangères ce qui est implicite dans l’original pour un public francophone.
79
Nous avons fusionné ces deux phrases plutôt que de commencer une phrase avec une conjonction, une
pratique qu’on ne voit pas dans l’usage courant d’anglais.
80
Nous avons créé une seule phrase ici qui facilite mieux la fluidité et nous avons transposé le nom
‘pragmatique’ et le verbe ‘placer’ en adjectif et gérondif respectivement dans notre traduction.
33
et Adam endormi dans sa poussette. Ils ont acheté des fleurs et maintenant ils rangent
l’appartement. Ils ont envie de faire bonne figure devant les nounous qui vont défiler. Ils
rassemblent les livres et les magazines qui traînent sur le sol, sous leur lit et jusque dans la
salle de bains. Paul demande à Mila de ranger ses jouets dans de grands bacs en plastique.
La petite fille refuse en pleurnichant et c’est lui qui finit par les empiler contre le mur. Ils
plient les vêtements des petits, changent les draps des lits. Ils nettoient, jettent, cherchent
désespérément à aérer cet appartement où ils étouffent. Ils voudraient qu’elles voient qu’ils
sont des gens bien, des gens sérieux et ordonnés qui tentent d’offrir à leurs enfants ce qu’il y
Mila et Adam font la sieste. Myriam et Paul sont assis au bord de leur lit. Anxieux et
gênés. Ils n’ont jamais confié leurs enfants à personne. Myriam finissait ses études de droit
quand elle est tombée enceinte de Mila. Elle a obtenu son diplôme deux semaines avant son
accouchement. Paul multipliait les stages, plein de cet optimise qui a séduit Myriam quand
elle l’a rencontré. Il était sûr de pouvoir travailler pour deux. Certain de faire carrière dans la
Mila était un bébé fragile, irritable, qui pleurait sans cesse. Elle ne grossissait pas, refusait
34
and Adam asleep in his buggy81. They bought some flowers and are now tidying the
apartment. They want to make a good impression82 for the nannies coming later. They gather
up all the books and magazines lying around on the floor, under their beds and in the
bathroom. Paul asks Mila to put her toys away into the big plastic containers. The whinging
little girl refuses to do it, he ends up piling them against the wall himself. They fold the
children’s clothes and change the bed linen. They clean, discard, and desperately try to air
this suffocating apartment83. They would like the nannies84 to think that they are good
people, hard-working and organised, trying to do their best for their children. That the
Mila and Adam are having a nap. Myriam and Paul are sitting on the edge of their bed,
nervous and uncomfortable86. They have never entrusted their children to anyone before.
Myriam was finishing her law degree when she fell pregnant with Mila. She graduated two
weeks before giving birth. Paul was doing several internships, full of the same optimism that
had seduced Myriam when she first met him. He was sure he could work for both of them,
certain he could forge a career as a music producer, despite the recession and budget
constraints87.
Mila was a delicate and irritable baby, who cried continuously. She wasn’t gaining
weight; she refused her mother’s breast and the bottles her father prepared for her.
81
Nous avons lié ces deux phrases avec une virgule pour garder la fluidité.
82
Nous avons traduit l’expression ‘bonne figure’ par l’expression ‘good impression’ en anglais qui convient
mieux au contexte.
83
Nous avons transposé le verbe ‘étouffer’ en adjectif en anglais car cela rend la phrase plus concise
stylistiquement.
84
Nous avons remplacé le mot ‘elles’ par ‘nanny’ en anglais pour souligner de qui il s’agit.
85
De même, nous avons employé l’explicitation ici en remplaçant ‘elles’ par ‘nanny’.
86
Nous avons lié ces deux phrases avec une virgule pour une lecture moins saccadée.
87
Nous avons aussi lié ces deux phrases afin de faciliter la lecture.
35
Penchée au-dessus du berceau, Myriam en avait oublié jusqu’à l’existence du monde
extérieur. Ses ambitions se limitaient à faire prendre quelques grammes à cette fillette
chétive et criarde. Les mois passaient sans qu’elle s’en rende compte. Paul et elle ne se
séparaient jamais de Mila. Ils faisaient semblant de ne pas voir que leurs amis s’en agaçaient
et disaient derrière leur dos qu’un bébé n’a pas sa place dans un bar ou sur la banquette d’un
restaurant. Mais Myriam refusait absolument d’entendre parler d’une baby-sitter. Elle seule
Mila avait à peine un an et demi quand Myriam est tombée à nouveau enceinte. Elle a
toujours prétendu que c’était un accident. « La pilule, ce n’est jamais du cent pour cent »,
disait elle en riant devant ses amies. En réalité, elle avait prémédité cette grossesse. Adam a
été une excuse pour ne pas quitter la douceur du foyer. Paul n’a émis aucune réserve. Il
venait d’être engagé comme assistant son dans un studio renommé où il passait ses journées
et ses nuits, otage des caprices des artistes et de leurs emplois du temps. Sa femme paraissait
s’épanouir dans cette maternité animale. Cette vie de cocon, loin du monde et des autres, les
protégeait de tout.
enrayée. Les parents de Paul, qui avaient pris l’habitude de les aider à la naissance de la
petite, ont passé de plus en plus de temps dans leur maison de campagne, où ils avaient
entrepris d’importants travaux. Un mois avant l’accouchement de Myriam, ils ont organisé
un voyage de trois semaines en Asie et n’ont prévenu Paul qu’au dernier moment. Il s’en est
offusqué, se plaignant à Myriam de l’égoïsme de ses parents, de leur légèreté. Mais Myriam
était soulagée. Elle ne supportait pas d’avoir Sylvie dans les pattes. Elle écoutait en souriant
les conseils de sa belle-mère, ravalait sa salive quand elle la voyait fouiller dans le frigidaire
36
Leaning over the cot, Myriam had become oblivious to everything else. Her ambitions did
not go beyond making this puny and cranky little girl gain a few pounds. Months slipped by
without her even noticing. She and Paul were never apart from Mila. They pretended not to
notice that their friends were getting annoyed with them, commenting behind their backs that
a baby had no place in a bar, or restaurant. Myriam completely refused to hear of a baby-
sitter. She alone was able to tend to the needs of her baby.
Mila was barely eighteen months old when Myriam fell pregnant again. She always
claimed it was an accident. “The pill is never one hundred per cent”, she would say jokingly
to her friends. In reality, she had planned this pregnancy. Adam was an excuse not to leave
the comforts of home life. Paul had no objection. He had just been hired as an assistant
sound engineer at a high-profile studio, where he spent his days and nights, hostage to the
whims of artists and their schedules. His wife seemed to be blossoming in her maternal role.
This cocooned life, separated from the world and others, protected them from everything.
Then, time seemed to drag on, the perfect mechanics of family life jammed. Paul’s
parents, who had helped out after the birth of the little girl, spent more time in their country
retreat, where they had begun big renovations. One month before Myriam was due to give
birth88, they organised a three-week trip to Asia, only informing Paul at the last minute. He
was offended, complaining to Myriam about his parents selfishness and thoughtlessness.
Myriam was relieved89. She couldn’t stand having Sylvie always on her case90. She always
listened smilingly to her mother-in-law’s advice, biting her tongue91 when she saw her
88
Nous avons étoffé la phrase pour créer une phrase plus idiomatique.
89
Nous avons supprimé la conjonction ‘mais’ car une phrase qui commence avec une conjonction ne convient
pas à l’usage courant d’anglais.
90
Nous avons traduit l’expression ‘avoir qqn dans les pattes’ par son équivalent en anglais ‘be on someone’s
case’.
91
De même, nous avons traduit l’expression ‘ravaler la salive’ par l’expression ‘to bite one’s tongue’.
37
Sylvie achetait des salades issues de l’agriculture biologique. Elle préparait le repas de Mila
mais laissait la cuisine dans un désordre immonde. Myriam et elle n’étaient jamais d’accord
sur rien, et il régnait dans l’appartement un malaise compact, bouillonnant, qui menaçait à
chaque seconde de virer au pugilat. « Laisse tes parents vivre. Ils ont raison d’en profiter
maintenant qu’ils sont libres », avait fini par dire Myriam à Paul. Elle ne mesurait pas
l’ampleur de ce qui s’annonçait. Avec deux enfants tout est devenu plus compliqué : faire les
courses, donner le bain, aller chez le médecin, faire le ménage. Les factures se sont
accumulées. Myriam s’est assombrie. Elle s’est mise à détester les sorties au parc. Les
journées d’hiver lui ont paru interminables. Les caprices de Mila l’insupportaient, les
premiers babillements d’Adam lui étaient indifférents. Elle ressentait chaque jour un peu
plus le besoin de marcher seule, et avait envie de hurler comme une folle dans la rue. « Ils
Elle était jalouse de son mari. Le soir, elle l’attendait fébrilement derrière la porte. Elle
passait une heure à se plaindre des cris des enfants, de la taille de l’appartement, de son
absence de loisirs. Quand elle le laissait parler et qu’il racontait les séances d’enregistrement
« Non, c’est toi qui as de la chance. Je voudrais tellement les voir grandir. » À ce jeu-là, il
La nuit, Paul dormait à côté d’elle du sommeil lourd de celui qui a travaillé toute la
journée et qui mérite un bon repos. Elle se laissait ronger par l’aigreur et les regrets.
38
Sylvie bought organically farmed lettuce. She prepared meals for Mila but left the kitchen in
a complete mess. She and Myriam never saw eye to eye92 on anything. A heavy unease
reigned in the apartment, bubbling beneath the surface, threatening to come to blows at any
second. “Let your parents live their own life93. They’re right to enjoy themselves now they
can”, concluded Myriam to Paul. She did not realise the magnitude of what was coming her
way. With two children everything became more complicated-going food shopping, bathing
the children, doctor’s visits and housework. The bills piled up. Myriam became sombre. She
began to hate the trips to the park. The winter days seemed endless. Mila’s tantrums became
unbearable and she was indifferent to Adam’s first attempts at speaking94. Each day she felt
a greater need to walk alone and longed to scream like a madwoman in the street. “They are
She was jealous of her husband. In the evenings, she feverishly awaited him behind the
apartment door. She would spend an hour complaining about the children screaming, the
size of the apartment and her lack of free time. When95 allowed to speak, he would tell her
about his arduous recording session with a hip-hop group, “you don’t know how lucky you
are”, she would retort. He would reply, “you are the lucky one. I would love to be able to
watch them grow up.” There were never any winners in this game.
At night, Paul lay next to her in the deep well-earned sleep, of one who has worked hard
all day, while Myriam let her resentment and regrets gnaw away at her96.
92
Nous avons opté pour l’expression idiomatique ‘eye to eye’ pour traduire ‘ne pas être d’accord’ car nous la
trouvons plus littéraire. Nous avons aussi créé deux phrases distinctes ici qui nous semble plus logique et
naturel.
93
Nous avons étoffé la phrase pour qu’elle se lise dans un anglais courant.
94
Nous avons ajouté la conjonction ‘and’ et nous avons réorganisé l’ordre de mots pour que la phrase suive la
syntaxe de l’anglais.
95
Nous avons employé la voix passive ici qui est plus élégante.
96
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture fluide et nous avons remplacé le pronom ‘elle’ par
‘Myriam’ pour éviter la répétition de ce même pronom.
39
Elle pensait aux efforts qu’elle avait faits pour finir ses études, malgré le manque d’argent et
de soutien parental, à la joie qu’elle avait ressentie en étant reçue au barreau, à la première
fois qu’elle avait porté la robe d’avocat et que Paul l’avait photographiée, devant la porte de
Pendant des mois, elle a fait semblant de supporter la situation. Même à Paul elle n’a pas
su dire à quel point elle avait honte. À quel point elle se sentait mourir de n’avoir rien
d’autre à raconter que les pitreries des enfants et les conversations entre des inconnus qu’elle
épiait au supermarché. Elle s’est mise à refuser toutes les invitations à dîner, à ne plus
répondre aux appels de ses amis. Elle se méfiait surtout des femmes, qui pouvaient se
montrer si cruelles. Elle avait envie d’étrangler celles qui faisaient semblant de l’admirer ou,
pire, de l’envier. Elle ne pouvait plus supporter de les écouter se plaindre de leur travail, de
ne pas assez voir leurs enfants. Plus que tout, elle craignait les inconnus. Ceux qui
Un jour, en faisant ses courses au Monoprix du boulevard Saint-Denis, elle s’est aperçue
qu’elle avait sans le vouloir subtilisé des chaussettes pour enfants, oubliées dans la
poussette. Elle était à quelques mètres de chez elle et elle aurait pu retourner au magasin
pour les rendre, mais elle y a renoncé. Elle ne l’a pas raconté à Paul. Cela n’avait aucun
intérêt, et pourtant elle ne pouvait s’empêcher d’y penser. Régulièrement après cet épisode,
elle se rendait au Monoprix et cachait dans la poussette de son fils un shampooing, une
40
She thought of her efforts to finish her degree, despite the lack of money and parental
support, of her tremendous joy when she was called to the Bar and the first time she had
worn her robes97. Paul had photographed her, proud and smiling at the entrance of their
building.
For months, she pretended to tolerate the situation. Even to Paul, she did not know how to
express how ashamed she was, of how dead she felt, having nothing else to talk about except
the children’s silliness and overheard conversations between strangers at the supermarket98.
She began to decline all dinner invitations and did not return her friends’ calls. She was
especially wary of women who were capable of being so vicious. She felt like strangling the
those who pretended to admire her, or worse, who pretended to envy her. She could no
longer bear listening to their complaints about work, of not having enough time with their
children. More than anything, she feared meeting strangers. Those who would innocently
ask what she did for a living and who would change the subject at the mention of her life as
One day, while shopping at Monoprix99 on boulevard Saint-Denis, she realised she had
accidently stolen some children’s socks that she had forgotten in the buggy. She was a few
metres from home and could have gone back to the shop to return them but abandoned the
idea. She didn’t tell Paul. It would not interest him and yet, she could not stop thinking about
it. After this incident, she regularly dropped into Monoprix and hid a bottle of shampoo,
some cream or a lipstick that she would never wear, in her son’s buggy.
97
Nous avons créé deux phrases distinctes ici pour une lecture plus facile, nous avons aussi réorganisé l’ordre
de mots dans la deuxième phrase pour une syntaxe plus stylistique.
98
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture plus fluide.
99
Nous avons employé la foreignisation en gardant le mot ‘monoprix’ au lieu de l’adaptation car cela souligne
mieux l’intention derrière l’écriture de Slimani ; la mise en question de la société contemporaine française.
Nous voulons garder l’aperçu que Slimani nous donne de la France contemporaine.
41
Elle savait très bien que, si on l’arrêtait, il lui suffirait de jouer le rôle de la mère débordée et
qu’on croirait sans doute à sa bonne foi. Ces vols ridicules la mettaient en transe. Elle riait
Quand elle a rencontré Pascal par hasard, elle a vu cela comme un signe. Son ancien
camarade de la faculté de droit ne l’a pas tout de suite reconnue : elle portait un pantalon
trop large, des bottes usées et avait attaché en chignon ses cheveux sales. Elle était débout,
face au manège dont Mila refusait de descendre. « C’est le dernier tour », répétait-elle
chaque fois que sa fille, agrippée à son cheval, passait devant elle et lui faisait signe. Elle a
levé les yeux : Pascal lui souriait, les bras écartés pour signifier sa joie et sa surprise. Elle lui
a rendu son sourire, les mains cramponnées à la poussette. Pascal n’avait pas beaucoup de
temps, mais par chance son rendez-vous était à deux pas de chez Myriam. « Je devais rentrer
Myriam s’est jetée sur Mila, qui a poussé des cris stridents. Elle refusait d’avancer et
Myriam s’entêtait à sourire, à faire semblant de maîtriser la situation. Elle n’arrêtait pas de
penser au vieux pull qu’elle portait sous son manteau et dont Pascal avait dû apercevoir le
col élimé. Frénétiquement, elle passait sa main sur ses tempes, comme si cela pouvait suffire
à remettre de l’ordre dans ses cheveux secs et emmêlés. Pascal avait l’air de ne se rendre
compte de rien. Il lui a parlé du cabinet qu’il avait monté avec deux copains de promotion,
des difficultés et des joies de se mettre à son compte. Elle buvait ses paroles. Mila n’arrêtait
pas de l’interrompre et Myriam aurait tout donné pour la faire taire. Sans lâcher Pascal des
yeux, elle a fouillé dans ses poches, dans son sac, pour trouver une sucette, un bonbon,
42
She knew well that if she were caught, all she had to do was play the harassed mother and
her honest mistake would be believed. These absurd shoplifting incidents put her into a
trance. She laughed to herself in the street with the impression she was deceiving the whole
world.
When she met Pascal by chance, she saw it as a sign. Her old friend from law school did
not recognise her right away; she was wearing trousers in a size too big, worn boots and her
unwashed hair was tied in a bun. She was standing facing the carousel that Mila refused to
leave. “It is the last turn”, she repeated to her daughter each time she passed, waving and
clinging to her pony. She looked up; Pascal was smiling down at her, his arms open with joy
and surprise. She returned his smile, her hands gripping the buggy. Pascal didn’t have much
time, but as luck would have it, his meeting was just around the corner from Myriam’s
house. “I have to head home anyway. Do you want to walk together?” she suggested.
Myriam pounced on Mila who let out piercing cries. She refused to walk on and Myraim
forced a smile, pretending to be in control of the situation. She couldn’t stop thinking of the
old jumper she was wearing underneath her coat, with its worn collar that Pascal must have
noticed. Frantically she passed her hand over her forehead, as if that could transform her dry
and matted hair. Pascal seemed oblivious to everything. He talked about the legal practice he
had set up with two of his university friends, about the challenges and joys of being self-
employed. She hung on his every word100. Mila would not stop interrupting; Myriam would
have given anything to keep her quiet. Without taking her eyes from Pascal, she rummaged
in her pockets and bag, trying to find a lolly or sweet to buy her daughter’s silence.
100
Nous avons traduit cette expression figée ‘boire les paroles de quelqu’un’ par son équivalent en anglais
‘hang on to someone’s every word’.
43
Pascal a à peine regardé les enfants. Il ne lui a pas demandé leurs prénoms. Même Adam,
endormi dans sa poussette, le visage paisible et adorable, n’a pas semblé l’attendrir ni
l’émouvoir.
« C’est ici. » Pascal l’a embrassée sur la joue. Il a dit : « J’ai été très heureux de te
revoir » et il est entré dans un immeuble dont la lourde porte bleue, en claquant, a fait
sursauter Myriam. Elle s’est mise à prier en silence. Là, dans la rue, elle était si désespérée
qu’elle aurait pu s’asseoir par terre et pleurer. Elle aurait voulu s’accrocher à la jambe de
Pascal, le supplier de l’emmener, de lui laisser sa chance. En entrant chez elle, elle était
totalement abattue. Elle a regardé Mila, qui jouait tranquillement. Elle a donné le bain au
bébé et elle s’est dit que ce bonheur-là, ce bonheur simple, muet, carcéral, ne suffisait pas à
la consoler. Pascal sans doute avait dû se moquer d’elle. Il avait peut-être même appelé
d’anciens copains de fac pour leur raconter la vie pathétique de Myriam qui « ne
Toute la nuit, des conversations imaginaires lui ont rongé l’esprit. Le lendemain, elle
venait à peine de sortir de sa douche quand elle a entendu le signal d’un texto. « Je ne sais
failli hurler de joie. Elle s’est mise à sauter dans l’appartement et a embrassé Mila qui disait :
« Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Pourquoi tu ris ? » Plus tard, Myriam s’est demandé si Pascal
avait perçu son désespoir ou si, tout simplement, il avait considéré que c’était une aubaine de
tomber sur Myriam Charfa, l’étudiante la plus sérieuse qu’il ait jamais rencontrée. Peut-être
a-t-il pensé qu’il était béni entre tous de pouvoir embaucher une femme comme elle, de la
44
Pascal barely glanced at the children. He didn’t ask their names. Even Adam, asleep in his
buggy with his adorable and peaceful little face, didn’t seem to move or touch him.
“This is me101.” Pascal kissed her on the cheek and said, “it was really nice to see you
again.” 102He went into a building, the noise of the heavy blue door shutting behind him
made Myriam jump. She began to pray silently. There in the street, she was so desperate she
could have just sat on the ground and cried. She would have liked to cling to Pascal’s leg
and beg him to take her with him, to give her a chance103. Returning home she was
completely overwhelmed. She watched Mila who was playing happily. She bathed the baby
and said to herself that this silent, custodial and simple pleasure was not enough to console
her. Pascal must have laughed at her. He had perhaps even called up some old college
friends to tell them about Myriam’s pathetic life, that she “had let herself go”104 and “didn’t
All night long, imaginary conversations ate away at her. The next morning, she had
barely showered when she heard a beep on her phone, signalling a message. “I don’t know if
you are thinking about going back to law again but if you are interested we can talk about
it”. Myriam almost screamed with joy. She began to skip around the apartment and kissed
Mila who asked, “what’s going on Mammy, why are you laughing?” Later on, Myriam
wondered if Pascal had picked up on her desperation, or if quite simply, he had considered it
a godsend to stumble upon Myriam Charfa, the most diligent105 student he had ever met.
Maybe he thought he was fortunate to be able to hire a woman like her, to reset her on the
legal106 path.
101
Nous avons opté ici pour une traduction idiomatique plutôt qu’une traduction littérale.
102
Nous avons coupé cette phrase en deux et fusionné le début de la phrase avec cette dernière pour une lecture
plus logique.
103
Nous avons étoffé cette phrase pour une syntaxe plus cohérente.
104
Nous avons traduit cette expression par l’expression idiomatique ‘to let yourself go’.
105
Nous avons décidé de traduire le mot ‘sérieuse’ par ‘diligent’ qui est plus littéraire que ‘hard-working’.
106
De même, nous n’avons pas traduit ‘le chemin des prétoires’ littéralement car cela ne veut rien dire en
anglais. Nous avons opté pour une traduction plus idiomatique pour rendre la même chose.
45
Myriam en a parlé à Paul et elle a été déçue de sa réaction. Il a haussé les épaules. « Mais
je ne savais pas que tu avais envie de travailler. » Ça l’a mise terriblement en colère, plus
Elle l’a traité d’égoïste, il a qualifié son comportement d’inconséquent. « Tu vas travailler, je
veux bien mais comment on fait pour les enfants ? » Il ricanait, tournant d’un coup en
ridicule ses ambitions à elle, lui donnant encore l’impression qu’elle était bel et bien
Une fois calmés, ils ont patiemment étudié les options. On était fin janvier : ce n’était
même pas la peine d’espérer trouver une place dans une crèche ou une halte-garderie. Ils ne
tranche de salaire la plus vicieuse : trop riches pour accéder en urgence à une aide sociale et
trop pauvres pour que l’embauche d’une nounou ne représente pas une sacrifice. C’est
finalement la solution qu’ils ont choisie, après que Paul a affirmé : « En comptant les heures
supplémentaires, la nounou et toi vous gagnerez à peu près la même chose. Mais enfin, si tu
penses que ça peut t’épanouir… » Elle a gardé de cet échange un goût amer. Elle en a voulu
à Paul.
Elle a souhaité faire les choses bien. Pour se rassurer, elle s’est rendue dans une agence
qui venait d’ouvrir dans le quartier. Un petit bureau, décoré simplement, et que tenaient deux
jeunes femmes d’une trentaine d’années. La devanture, peinte en bleu layette, était ornée
46
Myriam discussed it with Paul and was disappointed by his reaction. He shrugged and
said, “I didn’t know you wanted to work107”. This made her extremely angry, more than she
should have been. The conversation quickly became spiteful. She said he was selfish, he
called her behaviour erratic. “You want to work, fine, but what about the children?108” He
sneered, immediately ridiculing her ambitions, making her feel well and truly109 trapped in
this apartment.
Once they calmed down110, they patiently discussed their options. It111 was the end of
January. There was no point trying to find a place in a crèche or day-care centre. They didn’t
have any connections at the Town hall112. If she returned to work they would be in the most
adverse income bracket; too rich to avail of emergency social benefit and too poor to hire a
nanny without making sacrifices. In the end, that is the choice they made. “Allowing 113 for
overtime, you and the nanny will earn around the same amount, but if you think it will make
you happy…” The exchange left a bitter taste in her mouth. She resented Paul because of
it114.
She wanted to do things right. To reassure herself, she went to an agency specialising in
childcare services115 that had just opened in the area. It is a small office, simply decorated
and run by two young women in their thirties. The front window was painted baby blue and
107
Nous avons fusionné ces deux phrases pour éviter une lecture saccadée.
108
Nous avons complètement reconstruit cette phrase car une traduction littérale n’aurait pas de sens. Nous
avons transposé le sens de la phrase d’une manière plus idiomatique.
109
Nous avons traduit l’expression française ‘bel et bien’ par son équivalent ‘well and truly’.
110
La voix active est employée ici, car elle convient mieux à l’usage naturel de l’anglais.
111
De même, nous avons employé la voix passive ici qui convient mieux à l’usage courant de l’anglais.
112
Il y a une perte de sens ici car il n’y a pas d’institution équivalente en Irlande d’une mairie en France.
Cependant, nous avons compensé cette perte en ajoutant le mot ‘connections’ qui évoque l’idée qu’ils n’ont
pas un contact avec le pouvoir administratif nécessaire pour les aider.
113
Nous avons créé deux phrases distinctes ici et nous avons supprimé ‘après que Paul a affirmé’ car cela
donne une lourdeur à la phrase. Il est clair que c’est Paul qui parle.
114
Nous avons complètement reconstruit cette phrase car une traduction littérale n’aurait pas de sens.
115
Nous avons employé la stratégie d’explicitation ici en étoffant cette phrase car ces agences ne sont pas aussi
répandues en Irlande ni la tendance d’embaucher une nounou.
47
Myriam a sonné. À travers la vitre, la patronne l’a toisée. Elle s’est levée lentement et a
« Oui ?
-Bonjour.
-Vous venez pour vous inscrire ? Il nous faut un dossier complet. Un curriculum vitae et
-Non, pas du tout. Je viens pour mes enfants. Je cherche une nounou. »
Le visage de la fille s’est complètement transformé. Elle a paru contente de recevoir une
cliente, et d’autant plus gênée de sa méprise. Mais comment aurait-elle pu croire que cette
femme fatiguée, aux cheveux drus et frisés, était la mère de la jolie petite fille qui
plupart africaines ou philippines, défilaient devant les yeux de Myriam. Mila s’en amusait.
Elle disait : « Elle est très moche celle-là, non ? » Sa mère la houspillait et le cœur lourd elle
revenait vers ces portraits flous ou mal cadrés, où pas une femme ne souriait.
La gérante la dégoûtait. Son hypocrisie, son visage rond et rougeaud, son écharpe élimée
autour du cou. Son racisme, évident tout à l’heure. Tout lui donnait envie de fuir.
Myriam lui a serré la main. Elle a promis qu’elle en parlerait à son mari et elle n’est
jamais revenue. À la place, elle est allée accrocher elle-même une petite annonce dans les
boutiques du quartier. Sur les conseils d’une amie, elle a inondé les sites Internet d’annonces
stipulant URGENT. Au bout d’une semaine, ils avaient reçu six appels.
48
Myriam rang the bell. From the other side of the glass, the owner looked her up and
down. She slowly got up and put her head through the small opening of the door.
-“Yes?
-Hello.
-Have you come to register? You need to have a completed application, a C.V and signed
-No, not at all. I’m here for my children. I’m looking for a nanny.”
The woman’s face completely transformed. She seemed happy to have a client and all the
more embarrassed by her mistake. Yet, how could she have believed that this tired looking
woman with thick frizzy hair, was the mother of the pretty little girl whimpering on the
footpath?
The manager opened a big catalogue, which Myriam was leaning over. She asked
Myriam to, “please sit down”. Dozens of women’s pictures passed before Myriam’s eyes,
mostly African and Filipino. Mila was amused by it and said, “that one there is real116 ugly,
isn’t she.” Her mother scolded her and with a heavy heart returned to the blurred or badly
centred portraits in which no one117 was smiling. The manager disgusted her with118 her
hypocrisy, her round blotchy face, the worn scarf around her neck and her obvious racism.
Everything about her was repugnant119. Myriam shook her hand. She promised to discuss it
with her husband and never returned. Instead, she put up a small notice in the neighbourhood
shops. On a friend’s advice, she inundated Internet sites with advertisements stipulating an
immediate start date. By the end of a week they had received six calls.
116
Nous avons ajouté le mot ‘real’ ici pour souligner le ton exagéré d’un petit enfant.
117
Nous n’avons pas précisé le sexe du sujet ici car nous avons déjà souligné auparavant que Myriam regardait
les photos des femmes, le pronom indéfini convient mieux.
118
Nous avons fusionné ces trois phrases pour créer une seule phrase liée avec des connecteurs logiques.
119
Nous avons opté de traduire ‘envie de fuir’ par ‘repugnant’ car il est plus littéraire.
49
Cette nounou elle l’attend comme le Sauveur, même si elle est terrorisée à l’idée de
laisser ses enfants. Elle sait tout d’eux et voudrait garder ce savoir secret. Elle connaît leurs
goûts, leurs manies. Elle devine immédiatement quand l’un d’eux est malade ou triste. Elle
ne les a pas quittés des yeux, persuadée que personne ne pourrait les protéger aussi bien
qu’elle.
Depuis qu’ils sont nés, elle a peur de tout. Surtout, elle a peur qu’ils meurent. Elle n’en
parle jamais, ni à ses amis, ni à Paul, mais elle est sûre que tous ont eu ces mêmes pensées.
Elle est certaine que, comme elle, il leur est arrivé de regarder leur enfant dormir en se
demandant ce que cela leur ferait si ce corps-là était un cadavre, si ces yeux fermés l’étaient
pour toujours. Elle n’y peut rien. Des scénarios atroces s’échafaudent en elle, qu’elle balaie
en secouant la tête, en récitant des prières, en touchant du bois de la main de Fatma qu’elle a
héritée de sa mère. Elle conjure le sort, la maladie, les accidents, les appétits pervers des
prédateurs. Elle rêve, la nuit, de leur disparition soudaine, au milieu d’une foule indifférente.
Elle crie « Où sont mes enfants ? » et les gens rient. Ils pensent qu’elle est folle.
50
Myriam120 awaits this nanny as one awaiting the Messiah, even though the idea of leaving
her children terrorises her. She knows everything about them and wants to keep that
knowledge secret. She knows their tastes and quirks. She immediately senses when one of
them is sick or sad. She never lets them out of her sight; convinced that no one could protect
Since their births, everything scares her, especially the thought of them dying121. She
never talks about it, not to Paul, or to her friends, but she is sure that they have all had these
similar dark122 thoughts. She is certain that like her, they have found themselves looking at
their sleeping child, wondering what they would ever do if the little sleeping body was a
corpse, if those eyes remained closed eternally. She can do nothing about it. Harrowing
scenarios play out in her mind, she brushes them aside shaking her head and touching her
wooden Khamsa123 hand, inherited from her mother. It wards off illness, accidents and
perverse greedy predators. At night, she dreams of their sudden disappearance in the midst
of an uncaring crowd. She shouts, “where are my children?” People laugh at her. They think
she is crazy.
120
Nous avons remplacé le pronom ‘elle’ avec ‘Myriam’ pour la clarification et afin d’éviter la répétition de ce
même pronom.
121
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture plus fluide.
122
Nous avons complémenté le mot ‘thoughts’ avec l’adjectif ‘dark’ qui clarifie mieux en anglais le sentiment
de Myriam.
123
La khamsa est un symbole utilisé comme amulette, talisman et bijou par les habitants d’Afrique du Nord
pour se protéger contre le mauvais œil qui symbolise le regard envieux ou jaloux des autres. Nous avons
employé la stratégie de foreignisation ici, cette note de traducteur clarifie le sens du mot pour le lectorat et
souligne le fait que Myriam elle-même est maghrébine et musulmane.
51
« Elle est en retard. Ça commence mal. » Paul s’impatiente. Il se dirige vers la porte
d’entrée et regarde à travers le judas. Il est 14h 15 et la première candidate, une Philippine,
À 14h 20, Gigi tape mollement à la porte. Myriam va lui ouvrir. Elle remarque tout de
suite que la femme a de tout petits pieds. Malgré le froid, elle porte des tennis en tissu et des
chaussettes blanches à volants. À près de cinquante ans, elle a des pieds d’enfant. Elle est
assez élégante, les cheveux retenus en une natte qui lui tombe au milieu de dos. Paul lui fait
sèchement remarquer son retard et Gigi baisse la tête en marmonnant des excuses. Elle
s’exprime très mal en français. Paul se lance sans conviction dans un entretien en anglais.
Gigi parle de son expérience. De ses enfants qu’elle a laissés au pays, du plus jeune qu’elle
n’a pas vu depuis dix ans. Il ne l’embauchera pas. Il pose quelques questions pour la forme
Suit Grace, une Ivoirienne souriante et sans papiers. Caroline, une blonde obèse aux
cheveux sales, qui passe l’entretien à se plaindre de son mal de dos et de ses problèmes de
circulation veineuse. Malika, une Marocaine d’un certain âge, qui a insisté sur ses vingt ans
de métier et son amour des enfants. Myriam a été très claire. Elle ne veut pas engager une
Maghrébine pour garder les petits. « Ce serait bien, essaie de la convaincre Paul. Elle leur
parlerait en arabe puisque toi tu ne veux pas le faire. » Mais Myriam s’y refuse absolument.
52
“She is late. It is not a good start124.” Paul walks impatiently to the door and looks
through the spyhole. It is 2.15pm and the first candidate; a Filipino, has not yet arrived.
At 2.20pm, Gigi gently taps on the door. Myriam lets her in, 125immediately noticing the
woman’s tiny feet. Despite the cold, she is wearing runners with white frilly socks. At
almost fifty, she has the feet of a child. She looks126 quite elegant, her hair in a plait that
reaches to the middle of her back. Paul dryly points out her tardiness127. Gigi lowers her
head, mumbling her excuses. She expresses herself poorly in French. Without much
conviction, Paul switches the interview into English. Gigi speaks about her experience128,
the children she has left behind, the youngest whom she hasn’t seen for ten years. He will
not hire her. As a formality he asks her some questions and at 2.30pm, he accompanies her
Next up is Grace129, a cheerful and illegal Ivorian. Then130 Caroline, an obese blonde with
matted hair; she spends the interview complaining of her backache and circulation problems.
After her, there is Malika131, a middle aged Moroccan, who emphasised her twenty years’
experience in the job and love of children. Myriam had been very clear;132 she did not want
to hire a Maghrebian to look after her children. Paul tries to change her mind, “it would be a
good idea, she could speak Arabic to the children, seeing as you don’t want to”133. Myriam
point-blank134 refuses.
124
Nous avons opté pour la stratégie de modulation ici qui est plus idiomatique qu’une traduction littérale.
125
Nous avons fusionné ces deux phrases afin d’éviter la répétition du mot ‘door’.
126
Nous avons ajouté le mot ‘looks’ ici car nous pensons que Slimani veut dire qu’en apparence cette femme
est élégante plutôt que ‘she is rather elegant’ qui est une affirmation plutôt qu’une impression.
127
Nous avons traduit ‘son retard’ par ‘her tardiness’ qui est plus littéraire. Nous avons aussi créé deux
phrases distinctes qui sont plus stylistique que d’ajouter une conjonction.
128
Nous avons créé une seule phrase ici qui nous permet de transposer le sens d’une manière qui reflète mieux
le style précis de Slimani.
129
Nous avons étoffé le début de la phrase pour qu’elle suive la syntaxe de la langue anglaise.
130
De même, nous avons étoffé la phrase avec le connecteur logique ‘Then’.
131
Il fallait étoffer cette phrase pour qu’elle soit grammaticalement correcte.
132
Nous avons lié ces deux phrases avec un point-virgule pour une lecture plus fluide.
133
Nous avons reformulé ces deux phrases en une seule et l’avons étoffée pour qu’elle soit plus idiomatique.
134
Ici nous avons opté pour l’adjectif ‘point-blank’ plutôt que l’adverbe ‘absolutely’ car l’adjectif nous
permet de transposer le sens sans avoir besoin d’étoffer la phrase.
53
Elle craint que ne s’installe une complicité tacite, une familiarité entre elles deux. Que
l’autre se mette à lui faire des remarques en arabe. À lui raconter sa vie et, bientôt, à lui
demander mille choses au nom de leur langue et de leur religion communes. Elle s’est
Puis Louise est arrivée. Quand elle raconte ce premier entretien, Myriam adore dire que
ce fut une évidence. Comme un coup de foudre amoureux. Elle insiste surtout sur la façon
dont sa fille s’est comportée. « C’est elle qui l’a choisie », aime-t-elle à préciser. Mila venait
de se réveiller de la sieste, tirée du sommeil pas les cris stridents de son frère. Paul est allé
chercher le bébé, suivi de près par la petite qui se cachait entre ses jambes. Louise s’est
levée. Myriam décrit cette scène encore fascinée par l’assurance de la nounou. Louise a
délicatement pris Adam des bras de son père et elle a fait semblant de ne pas voir Mila. « Où
est la princesse ? J’ai cru apercevoir une princesse mais elle a disparu. » Mila s’est mise à
rire aux éclats et Louise a continué son jeu, cherchant dans les recoins, sous la table, derrière
Ils lui posent quelques questions. Louise dit que son mari est mort, que sa fille, Stéphanie,
est grande maintenant « presque vingt ans, c’est incroyable », qu’elle est très disponible. Elle
tend à Paul un papier sur lequel sont inscrits les noms de ses anciens employeurs. Elle parle
54
She fears a tacit complicity forming between them, of a relationship developing135. That she
would begin speaking to her in Arabic, 136telling her about her life. Before you know it137,
she would be asking for a thousand and one things because of their common language and
religion. Myriam was always wary of what she termed immigrant solidarity.
Then Louise arrived. When she describes this first interview, Myriam loves to say that it
was just meant to be138- like love at first sight. She emphasises particularly the way her
daughter behaved. “She is the one139 who chose her” - she likes to specify. Mila had just
woken up from her nap, torn from sleep by her brother’s shrill cries. Paul went to get the
baby, followed closely by the little girl who was hiding between his legs. Louise got up.
Myriam describes the scene, still fascinated by the nanny’s poise140. Louise gently took
Adam from his father’s arms and pretended not to see Mila. “Where is the princess? I
thought I saw a princess, but she has disappeared.” Mila began to burst out laughing. Louise
continued the game, searching in corners, under the table and behind the couch for the
They asked her some questions. Louise says her husband is dead and her daughter,
Stephanie, is grown up now - “almost 20 years old, it’s hard to believe” - she is very free.
She hands Paul a sheet on which the names of her previous employers are written. She talks
about the Rouvier family141, who feature at the top of the list.
135
Nous avons complétement reconstruit la fin de cette phrase pour faciliter la compréhension.
136
Nous avons lié le début de cette phrase avec cette dernière qui nous semble plus logique.
137
Nous avons choisi de traduire ‘bientôt’ avec l’expression ‘before you know it’ que nous trouvons plus
littéraire.
138
Nous avons traduit l’expression ‘être une évidence’ par l’expression ‘meant to be’ car elle va bien avec
l’image d’un coup de foudre amoureux, ainsi il nous semble logique de lier ces deux phrases.
139
Il faut étoffer la phrase avec les mots ‘the one’ pour qu’elle soit plus idiomatique.
140
Nous avons traduit le mot ‘assurance’ par ‘poise’ qui est plus littéraire.
141
Il faut ajouter le nom ‘family’ pour clarifier que ‘Rouvier’ est un nom de famille.
55
« Je suis restée chez eux longtemps. Ils avaient deux enfants, eux aussi. Deux garçons. »
Paul et Myriam sont séduits par Louise, par ses traits lisses, son sourire franc, ses lèvres qui
ne tremblent pas. Elle semble imperturbable. Elle a le regard d’une femme qui peut tout
entendre et tout pardonner. Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne
Le soir même, ils téléphonent au couple dont Louise leur a laissé le numéro. Une femme
leur répond, un peu froidement. Quand elle entend le nom de Louise, elle change
immédiatement le ton. « Louise ? Quelle chance vous avez d’être tombés sur elle. Elle a été
comme une seconde mère pour mes garçons. Ça a été un vrai crève-cœur quand nous avons
dû nous en séparer. Pour tout vous dire, à l’époque, j’ai même songé à faire un troisième
56
“I worked for them for a long time. They had two children as well; two boys.” Myriam and
Paul are captivated142 by Louise, by her pleasant features, her candid smile and her steady
lips 143 . She seems imperturbable. She has the air of a woman who could deal with
anything144. Her face is serene like a calm sea, whose deep chasms no one could suspect.
That same evening, they telephoned the couple whose number Louise had given them. A
woman answers rather coldly. When she hears Louise’s name, her tone immediately
changes. “Louise? How lucky you are to have found her. She was like a second mother to
my boys. It really was heart breaking when we had to part ways. To tell you the truth145, at
the time, I even thought about having a third child just to keep her.”
142
Nous pensons que ‘captivate’ convient mieux que ‘seduce’ pour la traduction de ‘séduire’ car le verbe
‘seduce’ en anglais a une connotation sexuelle.
143
Nous avons employé la modulation ici.
144
De même, la stratégie de modulation est employée ici.
145
Nous avons décidé de traduire l’expression ‘pour tout vous dire’ par l’expression idiomatique ‘to tell you
the truth’ qui convient mieux ici.
57
Louise ouvre les volets de son appartement. Il est un peu plus de 5 heures du matin et,
dehors, les lampadaires sont encore allumés. Un homme marche dans la rue, rasant les murs
pour éviter la pluie. L’averse a duré toute la nuit. Le vent a sifflé dans les tuyaux et habité
ses rêves. On dirait que la pluie tombe à horizontale pour frapper de plein fouet la façade de
l’immeuble et les fenêtres. Louise aime regarder dehors. Juste en face de chez elle, entre
deux bâtiments sinistres, il y a une petite maison, entourée d’un jardin broussailleux. Un
jeune couple s’est installé là au début de l’été, des Parisiens dont les enfants jouent à la
balançoire et nettoient le potager le dimanche. Louise se demande ce qu’ils sont venus faire
dans ce quartier.
Le manque de sommeil la fait frissonner. Du bout de son ongle, elle gratte le coin de la
fenêtre. Elle a beau les nettoyer frénétiquement, deux fois par semaine, les vitres lui
voudrait les nettoyer jusqu’à les briser. Elle gratte, de plus en plus fort, de la pointe de son
index et son ongle se brise. Elle porte son doigt à la bouche et le mord pour faire cesser le
saignement.
L’appartement ne compte qu’une seule pièce, qui sert à Louise à la fois de chambre et de
salon. Elle prend soin, chaque matin, de refermer le canapé-lit et de le recouvrir de sa housse
noire. Elle prend ses repas sur la table basse, la télévision toujours allumée.
58
Louise opens her bedsit146 shutters. It is just after 5am147. The streetlights are still on. A
man is walking in the street, grazing the walls to avoid the rain. The downpour lasted all
night. The wind whistled through the pipes and seeped into her dreams. It148 seemed as if the
rain was falling horizontally just to batter the windows and front of the building. Louise likes
observing the world149 outside. Right opposite her bedsit150, between two grim looking
moved in there at the beginning of summer151. On Sundays, their children play on the swing
and weed the vegetable plot. Louise wonders what they are doing in this neighbourhood.
She152 shivers from a lack of sleep. With the tip of her nail she scratches at the corner of
the window. Despite frantically cleaning them twice a week, the glass always seems cloudy
to her, covered in dust and dark streaks. Occasionally, she would like to scrub them until
they break. She scratches harder and harder with the tip of her index finger153. Her nail
breaks. She puts her finger in her mouth, biting on it to stop the bleeding.
The bedsit 154 serves as both Louise’s bedroom and living room. Each morning she
carefully folds up her sofa bed and replaces its black cover. She has her meals at the coffee
146
Nous avons décidé d’employer la stratégie d’adaptation ici car le mot ‘bedsit’ incarne mieux l’image
évoquée dans l’original. Le mot ‘appartement’ a une connotation plus positive et ne représente pas aussi bien
le logement dans lequel Louise habite.
147
Ici nous avons créé deux phrases distinctes car deux phrases courtes et précises reflètent mieux le style de
Slimani.
148
Nous avons employé la voix passive qui convient mieux à l’usage courant de l’anglais.
149
Ici, nous avons décidé d’étoffer cette phrase avec ‘observing the world outside’, nous pensons que cette
nuance démontre mieux pour un public anglophone à quel point Louise vit en marge de la société.
150
Nous n’avons pas traduit ‘chez elle’ par ‘her home’ car nous voulons souligner pour le public anglophone
que Louise n’a pas d’endroit où elle se sent vraiment chez elle donc nous avons opté pour ‘bedsit’ qui est le
mot pour ce genre du logement.
151
De même, nous avons créé deux phrases courtes ici pour l’effet stylistique.
152
La voix active est employée car elle est plus naturelle.
153
Nous préférons l’effet stylistique de deux phrases courtes ici.
154
De même nous avons remplacé le mot ‘appartement’ par ‘bedsit’ ce qui évite le besoin de préciser que
l’appartement ne compte qu’une seule pièce.
59
Contre le mur, des cartons sont encore fermés. Ils contiennent peut-être les quelques objets
qui pourraient donner vie à ce studio sans âme. À droite du sofa, il y a la photo d’une
Elle a délicatement étalé sur le canapé sa jupe longue et son chemisier. Elle attrape les
ballerines qu’elle a posées par terre, un modèle acheté il y a plus de dix ans mais dont elle a
pris tellement soin qu’il lui paraît avoir encore l’air neuf. Ce sont des chaussures vernies,
très simples, à talons carrés et surmontés d’un discret petit nœud. Elle s’assoit et commence
à en nettoyer une, en trempant un morceau de coton dans un pot de crème démaquillante. Ses
gestes sont lents et précis. Elle nettoie avec un soin rageur, entièrement absorbée par sa
tâche. Le coton s’est recouvert de saleté. Louise approche la chaussure de la lampe placée
sure le guéridon. Quand le vernis lui paraît assez brillant, elle la repose et se saisit de la
seconde.
Il est si tôt qu’elle a le temps de refaire ses ongles abîmés par le ménage. Elle entoure son
index d’un pansement et étale sur ses autres doigts un vernis rose, très discret. Pour la
première fois et malgré le prix, elle a fait teindre ses cheveux chez le coiffeur. Elle les
vieillit, elle dont la silhouette est si frêle, si menue, que de loin on lui donnerait à peine vingt
Elle tourne en rond dans la pièce qui ne lui a jamais paru si petite, si étroite. Elle s’assoit
60
Unopened cardboard boxes are stacked against the wall. They probably contain the few
objects that could give a little life to this drab bedsit. To the right of the sofa there is a photo
She has carefully spread her long skirt and blouse on the sofa. She picks up the ballet
pumps she left on the floor; a style she155 bought more than ten years ago but took such good
care of, they still looked new. They are made from patent leather, a simple style156, with
kitten heels and adorned with a discrete little bow. She sits down and starts to clean one,
soaking some cotton wool in a jar of cleanser. Her movements are slow and exact. She
cleans with frenzied meticulousness, completely absorbed in her task. The piece of cotton
wool is covered with dirt. Louise moves the shoe closer to the lamp on the pedestal table.
When the patent leather seems sufficiently shiny, she puts down the first shoe and takes up
the second.
It is so early, she even has time to repaint her nails, chipped from doing housework. She
puts a plaster around her index finger and paints the others a subtle shade of pink. For the
first time and despite the price, she had her hair dyed in a salon. She pulls it back into a bun
just above the nape of her neck. She puts her makeup on157. The blue eye shadow ages her.
From a distance, her slender delicate frame makes her look barely twenty years old. She is
She paces the room in circles. It has never seemed so small or narrow. As soon as she sits
155
Nous avons employé la voix active ici qui est plus naturelle.
156
Ici nous avons ajouté le mot ‘style’ pour clarifier que l’adjectif ‘simple’ fait référence au style des
chaussures.
157
Nous avons créé trois phrases distinctes ici au lieu d’une seule phrase qui rend la lecture plus fluide et qui
maintient l’effet stylistique que nous voulons récréer dans cette traduction.
61
Elle pourrait allumer la télévision. Boire un thé. Lire un vieil exemplaire de journal féminin
qu’elle garde près de son lit. Mais elle a peur de se détendre, de laisser le temps filer, de
céder à la torpeur. Ce réveil matinal l’a rendue fragile, vulnérable. Il suffirait d’un rien pour
qu’elle ferme les yeux une minute, qu’elle s’endorme et qu’elle arrive en retard. Elle doit
garder l’esprit vif, réussir à concentrer toute son attention sur ce premier jour de travail.
Elle ne peut pas attendre chez elle. Il n’est pas encore 6 heures, elle est très en avance,
mais elle marche vite vers la station de RER. Elle met plus d’un quart d’heure à arriver à la
gare de Saint-Maur-des Fossés. Dans la rame, elle s’assoit face à un vieux Chinois qui dort,
recroquevillé, le front contre la vitre. Elle fixe son visage épuisé. À chaque station, elle
hésite à le réveiller. Elle a peur qu’il se perde, qu’il aille trop loin, qu’il ouvre les yeux, seul,
au terminus et qu’il soit contraint de rebrousser chemin. Mais elle ne dit rien. Il est plus
raisonnable de ne pas parler aux gens. Une fois, une jeune fille, brune, très belle, avait failli
la gifler. « Pourquoi tu me regardes, toi ? Hein, qu’est-ce que t’as à me regarder ? » criait-
elle.
Arrivée à Auber, Louise saute sur le quai. Il commence à y avoir du monde, une femme la
bouscule alors qu’elle grimpe les escaliers vers les quais du métro. Une écœurante odeur de
62
She could watch some television158, drink some tea or read the old copy of a woman’s
magazine she keeps by her bed. She159 is afraid to relax, to let time pass, or succumb to her
drowsiness. This morning’s early awakening has left her feeling frail and vulnerable160. It
would take very little for her to close her eyes, even for just one minute and drift back to
sleep and arrive late. She must keep her wits161 about her, concentrating all her attention on
She cannot wait at her bedsit162. It is not yet 6.am163. She is exceptionally early, yet walks
briskly to the train station. She gives herself more than a quarter of an hour to reach Saint-
Maur-des-Fossé station. In the carriage she sits opposite an elderly Chinese man huddled up
sleeping, his forehead pressed against the glass. She stares at his exhausted face. At each
stop, she hesitates to wake him. She is afraid he will get lost, will go too far, and wake up164
alone at the terminus, forced to double back along the line. Yet she doesn’t say anything. It
is better not to talk to strangers. Once, a very pretty, young brunette had almost smacked her,
“what are you looking at? Who do you think you are looking at me like that”165, she cried.
Arriving at Auber, Louise jumps off onto the platform. Commuters166 are beginning to
gather, a woman jostles past her as she climbs the stairs to the metro platform. A sickeningly
sweet smell of croissants and burnt chocolate fills her nostrils167. She takes line 7 to Opéra
158
Nous avons fusionné ces trois phrases en une seule pour faciliter la lecture.
159
Nous avons supprimé la conjonction ‘mais’ au début de cette phrase car on ne commence pas une phrase
avec une conjonction dans l’anglais courant.
160
Nous avons étoffé la phrase pour qu’elle soit plus idiomatique.
161
Nous avons traduit l’expression ‘avoir l’esprit vif’ avec son équivalente ‘to have your wits about you’.
162
De même ici, nous avons traduit ‘chez elle’ par ‘bedsit’ qui souligne que Louise n’a pas vraiment de ‘chez
elle’.
163
Nous préférons l’effet stylistique ici de deux phrases distinctes et concises au lieu d’une seule.
164
Nous n’avons pas traduit ‘ouvre les yeux’ littéralement. Nous trouvons ‘wake up’ plus idiomatique.
165
Ici, nous avons transposé idiomatiquement le sens de la phrase.
166
Nous avons traduit ‘du monde’ par ‘commuters’ qui convient mieux au contexte.
167
Nous avons traduit ‘prendre à la gorge’ par ‘fills her nostrils’ car nous pensons que cette collocation
convient au contexte.
63
Louise a presque une heure d’avance et elle s’attable à la terrasse du Paradis, un café sans
charme depuis lequel elle peut observer l’entrée de l’immeuble. Elle joue avec sa cuillère.
Elle regarde avec envie l’homme à sa droite, qui tète sa cigarette de sa bouche lippue et
vicieuse. Elle voudrait la lui saisir des mains et aspirer une longue bouffée. Elle n’y tient
plus, paie son café et entre dans l’immeuble silencieux. Dans un quart d’heure elle sonnera
et, en attendant, elle s’assoit sur une marche, entre deux étages. Elle entend un bruit, elle a à
peine le temps de se lever, c’est Paul qui descend les escaliers en sautillant. Il porte son vélo
-Vous ne dérangez pas, au contraire. Tenez, ce sont vos clés, dit-il en tirant un trousseau
64
Louise is almost an hour early. She168 sits down at a table on the terrace of café Paradis -
a rather charmless café from where she can watch the building entrance. She plays with her
spoon, looking169 on in envy at a man to her right who is sucking on a cigarette between his
thick fleshy lips. She would like to seize his hand and take a long drag170. She can’t wait any
longer at the café171, pays for her coffee and silently enters the building. She will ring the
doorbell in a quarter of an hour. She172 sits on a step between the two floors waiting. She
hears someone coming and barely has time to get up; it is Paul, bouncing down the stairs173,
carrying his bike under his arm and wearing a pink helmet.
“Louise? Have you been waiting here for long174? Why didn’t you come in?
-You aren’t disturbing us, quite the opposite. Here, these are your keys, he says, taking a
168
Nous avons créé deux phrases ici pour une lecture fluide.
169
Nous avons lié ces deux phrases afin d’éviter la répétition du pronom ‘elle’.
170
Nous avons traduit l’expression idiomatique ‘prendre une bouffée de cigarette’ par son équivalente ‘to
take a drag’.
171
Nous avons employé la stratégie d’explication ici en traduisant le pronom ‘y’ par ‘café’.
172
Nous préférons l’effet stylistique de deux phrases indépendantes ici.
173
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture logique et facile.
174
Nous avons reformulé cette phrase pour poser la question d’une manière qui est grammaticalement correcte.
175
L’expression ‘faites comme chez vous’ a été traduite par ‘make yourself at home’.
65
« Ma nounou est une fée. » C’est ce que dit Myriam quand elle raconte l’irruption de
Louise dans leur quotidien. Il faut qu’elle ait des pouvoirs magiques pour avoir transformé
cet appartement étouffant, exigu, en un lieu paisible et clair. Louise a poussé les murs. Elle a
rendu les placards plus profonds, les tiroirs plus larges. Elle a fait entrer la lumière.
Le premier jour, Myriam lui donne quelques consignes. Elle lui montre comment
fonctionnent les appareils. Elle répète, en désignant des objets ou un vêtement : « Ça, faites-
y attention. J’y tiens beaucoup. » Elle lui fait des recommandations sur la collection de
vinyles de Paul, à laquelle les enfants ne doivent pas toucher. Louise acquiesce, mutique et
docile. Elle observe chaque pièce avec l’aplomb d’un général devant une terre à conquérir.
Dans les semaines qui suivent son arrivée, Louise fait de cet appartement brouillon un
parfait intérieur bourgeois. Elle impose ses manières désuètes, son goût pour la perfection.
Myriam et Paul n’en reviennent pas. Elle recoud les boutons de leurs vestes qu’ils ne mettent
plus depuis des mois par flamme de chercher une aiguille. Elle refait les ourlets des jupes et
des pantalons. Elle reprise les vêtements de Mila, que Myriam s’apprêtait à jeter sans regret.
Louise lave les rideaux jaunis par le tabac et la poussière. Une fois par semaine, elle change
les draps. Paul et Myriam s’en réjouissent. Paul lui dit en souriant qu’elle a des airs de Mary
La nuit, dans le confort de leurs draps frais, le couple rit, incrédule, de cette nouvelle vie
qui est la leur. Ils ont le sentiment d’avoir trouvé la perle rare, d’être bénis.
66
“My nanny is a fairy.” These are the words with which176 Myriam likes to describe
Louise’s abrupt explosion into their daily lives. She must have magic powers to have
transformed this suffocating, cramped apartment into a pleasant and bright space. Louise
pushed back the walls177, made the cupboards deeper and the drawers larger. She brought in
light.
On the first day, Myriam gives her some advice. She shows her how the appliances
careful with this, I like it a lot.” She warns her about Paul’s record collection, which the
children must not touch. Louise meekly and mutely acquiesces. She studies each room with
In the weeks following her arrival, Louise transforms this muddled apartment into the
epitome of bourgeois interior design179. She imposes her old-fashioned mannerisms and her
perfectionist tendencies. Myriam and Paul cannot get over the difference180. She sews
buttons onto jackets that they haven’t worn for months, as no one bothered to find a needle.
She repairs the hems of skirts and trousers and recovers some of Mila’s clothes that Myriam
was prepared to throw out without a second thought181. Louise washes the curtains, yellowed
from cigarette smoke and dust. Once a week she changes the bed linen. Myriam and Paul
delight in it. Smiling, Paul tells her she is like Mary Poppins. He is not sure if she has
At night, in the comfort of their clean sheets, the happy couple laugh in disbelief at their
new life. They feel blessed, like they have found a rare gem182.
176
Nous avons étoffé cette phrase pour qu’elle soit plus idiomatique.
177
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture fluide.
178
De même, nous avons créé une seule phrase ici pour une lecture plus logique et naturelle.
179
Il faut étoffer cette phrase pour qu’elle ait le même sens en anglais.
180
Nous avons complètement reconstruit cette phrase pour faciliter la compréhension
181
Nous avons décidé de traduire ‘sans regret’ par l’expression idiomatique ‘without a second thought’ que
nous trouvons plus littéraire.
182
Nous avons réorganisé cette phrase pour qu’elle soit plus logique et nous avons traduit ‘la perle rare’ par ‘a
rare gem’.
67
Bien sûr, le salaire de Louise pèse sur le budget familial mais Paul ne s’en plaint plus. En
Le soir, quand Myriam rentre chez elle, elle trouve le dîner prêt. Les enfants sont calmes
et peignés. Louise suscite et comble les fantasmes de famille idéale que Myriam a honte de
nourrir. Elle apprend à Mila à ranger derrière elle et la petite fille accroche, sous les yeux
Les biens inutiles ont disparu. Avec elle, plus rien ne s’accumule, ni la vaisselle, ni les
vêtements sales, ni les enveloppes qu’on a oublié d’ouvrir et qu’on retrouve sous un vieux
magazine. Rien ne pourrit, rien ne se périme. Louise ne néglige jamais rien. Louise est
scrupuleuse. Elle note tout dans un petit carnet à la couverture fleurie. Les horaires de la
danse, des sorties d’école, des rendez-vous chez le pédiatre. Elle copie le nom des
médicaments que prennent les petits, le prix de la glace qu’elle a achetée au manège et la
Au bout de quelques semaines, elle n’hésite plus à changer les objets de place. Elle vide
entièrement les placards, accroche des sachets de lavande entre les manteaux. Elle fait des
bouquets de fleurs. Elle éprouve un contentement serein quand, Adam endormi et Mila
à l’école, elle peut s’asseoir et contempler sa tâche. L’appartement silencieux est tout entier
68
Of course, Louise’s salary weighs heavily 183 on the family budget but Paul no longer
complains about it. Within a few weeks, Louise’s184 presence has become indispensable.
Dinner is ready when Myriam arrives home in the evenings185. The children are tidy and
calm. Louise arouses and fulfils the fantasies of an ideal family that Myriam is ashamed to
thrive on186. She teaches Mila to tidy up after herself187. Under the astonished gaze of her
or unopened envelopes found beneath old magazines188. There is no waste, nothing goes out
of date, not a thing is neglected189; Louise is scrupulous. She notes everything down in a
notebook with a flower-patterned cover; 190 dance lessons, school trips, paediatrician
appointments. She copies down the medication that the children take, the price of the ice
cream she bought at the carousel and the exact words spoken to her by Mila’s teacher.
After a few weeks, she has no hesitation in moving things around. She completely
empties cupboards, hangs lavender sachets between the coats191 and arranges flowers. While
Adam sleeps and Mila is at school, she feels a serene contentment as she sits contemplating
her work192. The entire silent apartment is completely under her thumb193 like an enemy who
183
Nous avons ajouté l’adverbe ‘heavily’, cette collocation clarifie mieux le sens de la phrase.
184
Nous avons employé la voix active ici qui nous semble plus naturelle.
185
Nous avons reformulé la phrase pour qu’elle se lise d’une manière idiomatique.
186
Nous avons opté pour une traduction idiomatique et avons traduit ‘nourrir’ par ‘thrive on’.
187
Nous avons créé deux phrases distinctes ici, pour une lecture qui nous semble plus logique.
188
Ici nous avons supprimé ‘avec elle’ qui donne une lourdeur inutile à la phrase et nous avons employé la voix
passive au lieu de la voix active qui convient mieux au contexte.
189
Nous avons reconstruit ces trois phrases en une seule phrase concise qui reflète mieux le style tranchant de
Slimani.
190
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture facile.
191
Nous avons aussi lié ces deux phrases afin d’éviter la répétition du pronom ‘elle’.
192
Nous avons réorganisé l’ordre de la phrase pour qu’elle se lise d’une manière plus logique.
193
‘Under her thumb’ est l’équivalent de l’expression ‘sous son joug’.
69
Mais c’est dans la cuisine qu’elle accomplit les plus extraordinaires merveilles. Myriam
lui a avoué qu’elle ne savait rien faire et qu’elle n’en avait pas le goût. La nounou prépare
des plats que Paul juge extraordinaires et que les enfants dévorent, sans un mot et sans que
jamais on ait besoin de leur ordonner de finir leur assiette. Myriam et Paul recommencent à
inviter des amis qui se régalent des blanquettes de veau, des pot-au-feu, des jarrets à la
sauge, et des légumes croquants que fait mijoter Louise. Ils félicitent Myriam, la couvrent de
compliments mais elle avoue toujours : « C’est ma nounou qui a tout fait. »
70
It is in the kitchen, however194, that she accomplishes her most extraordinary wonders.
Myriam confessed that she didn’t know how to cook and had no interest in it. The nanny
prepares meals that Paul finds exceptional and which the children silently devour, without
ever needing to be told to finish their dinner. Myriam and Paul start to invite friends over
again, who gush over dishes such as, blanquette of veal, beef casserole, lamb shanks with
sage and crunchy vegetables that Louise par boils. They praise Myriam, showering195 her
194
Nous avons supprimé la conjonction ‘mais’ au début de la phrase et nous l’avons remplacée avec
‘however’ au milieu de la phrase qui exprime la même fonction d’une manière plus idiomatique.
195
Nous avons traduit ‘couvrir des compliments’ par son expression équivalente ‘shower with
compliments’
71
Quand Mila est à l’école, Louise attache Adam contre elle avec une grande étole. Elle
aime sentir les cuisses potelées de l’enfant sur son ventre, sa salive qui coule dans son cou
quand il s’endort. Elle chante toute la journée pour ce bébé dont elle exalte la paresse. Elle le
masse, s’enorgueillit de ses bourrelets, de ses joues roses et rebondies. Le matin, l’enfant
l’accueille en gazouillant, ses gros bras tendus vers elle. Dans les semaines qui suivent
l’arrivée de Louise, Adam apprend à marcher. Lui qui criait toutes les nuits dort d’un
Mila, elle est plus farouche. C’est une petite fille frêle au port de ballerine. Louise lui fait
des chignons si serrés que la petite a les yeux bridés, étirés sur les tempes. Elle ressemble
alors à l’une de ces héroïnes du Moyen Âge au front large, au regard noble et froid. Mila est
une enfant difficile, épuisante. Elle répond à toutes les contrariétés par des hurlements. Elle
se jette par terre en pleine rue, trépigne, se laisse traîner sur le sol pour humilier Louise.
Quand la nounou s’accroupit et tente de lui parler, Mila regarde ailleurs. Elle compte à haute
voix les papillons sur le papier peint. Elle s’observe dans le miroir quand elle pleure. Cette
enfant est obsédée par son propre reflet. Dans la rue, elle a les yeux rivés sur les vitrines. À
plusieurs reprises, elle s’est cognée contre des poteaux ou elle a trébuché sur les petits
Mila est maligne. Elle sait que la foule veille, et que Louise a honte dans la rue. La
nounou cède plus vite quand elles ont un public. Louise doit faire des détours pour éviter le
magasin de jouets de l’avenue, devant lequel l’enfant pousse des cris stridents.
72
When Mila is at school, Louise fastens Adam to her with a large stole. She likes the feel
of his chubby thighs against her abdomen, of his drool trickling down her neck when he
sleeps. She sings all day long to this baby, whose idleness she glorifies. She caresses him,
taking pride in the folds of his stomach and rosy plump cheeks. He welcomes her, in the
mornings, with his babbling and outstretched arms. In the weeks that follow Louise’s
arrival196, Adam learns to walk. He no longer cries197 all night but sleeps peacefully until
morning.
Mila198 is a wilder child. She199 is a little puny girl with the air of a ballerina. Louise ties
her hair in such tight buns that her eyes appear slanted, stretched across her temples. She
resembles one of those heroines from the Middle Ages, with her large forehead and her
noble and cold expression. Mila is a difficult and exhausting child. She responds to all her
vexations by screeching. She throws herself on the ground in the middle of the street,
kicking her feet, letting herself be dragged along the ground to embarrass Louise. When the
nanny hunkers down and tries to speak to her, Mila refuses to look at her200. She counts
aloud the butterflies on the wallpaper. She watches herself in the mirror when she cries. This
child is obsessed with her own reflection. In the streets, her gaze is fixated on shop windows.
She often bangs into poles or trips over little bumps in the footpath, distracted by her own
self-contemplation.
Mila is cunning. She knows that people in the street are watching and that Louise is
embarrassed;201 the nanny gives in sooner when they have an audience. Louise has to make
detours to avoid the local202 toyshop, in front of which the child lets out strident cries.
196
La voix active est utilisée car elle convient mieux à l’usage courant de l’anglais.
197
Nous avons employé la modulation ici qui est plus idiomatique.
198
Nous avons supprimé le pronom ‘elle’ qui donne une lourdeur inutile à la phrase.
199
Il faut utiliser le pronom ‘elle’ ici au lieu de ‘it’ qui serait grammaticalement incorrect.
200
Nous avons employé la modulation ici.
201
Nous avons lié ces deux phrases qui nous semble plus logique.
202
Nous avons ajouté le mot ‘local’ ici pour clarifier que c’est un magasin devant lequel Louise passe souvent.
73
Sur le chemin de l’école, Mila traîne ses pieds. Elle vole une framboise sur l’étal d’un
primeur. Elle monte sur le rebord des vitrines, se cache sous les porches d’immeuble et
s’enfuit à toutes jambes. Louise essaie de courir avec la poussette, elle hurle le nom de la
petite qui ne s’arrête qu’à l’extrême bord du trottoir. Parfois, Mila regrette. Elle s’inquiète de
la pâleur de Louise et des frayeurs qu’elle lui cause. Elle revient aimante, câline, se faire
pardonner. Elle s’accroche aux jambes de la nounou. Elle pleure et réclame de la tendresse.
Lentement, Louise apprivoise l’enfant. Jour après jour, elle lui raconte des histoires où
reviennent toujours les mêmes personnages. Des orphelins, des petites filles perdues, des
princesses prisonnières et des châteaux que des ogres terribles laissent à l’abandon. Une
faune étrange, faite d’oiseaux au nez tordu, d’ours à une jambe et de licornes mélancoliques,
peuple les paysages de Louise. La fillette se tait. Elle reste près d’elle, attentive, impatiente.
Elle réclame le retour des personnages. D’où viennent ces histoires ? Elles émanent d’elle,
en flot continu, sans qu’elle y pense, sans qu’elle fasse le moindre effort de mémoire ou
d’imagination. Mais dans quel lac noir, dans quelle forêt profonde est elle allée pêcher ces
contes cruels où les gentils meurent à la fin, non sans avoir sauvé le monde ?
74
On the way to school, Mila drags her feet203, steals a raspberry from the greengrocer’s stall,
climbs on window ledges, hides in apartment block entrances and runs off as fast as she can.
Louise tries to run after her with the buggy, she shouts the little girl’s name; who doesn’t
stop until she is on the edge of the footpath. Sometimes Mila shows remorse204; troubled by
the pallor of Louise’s face and the fright she gives her. She comes back loving and
affectionate, seeking forgiveness. She clings onto the nanny’s legs205, crying and demanding
affection.
Slowly, Louise wins over the child. Day after day, she tells her stories with the same
recurring characters206; orphans, lost little girls, imprisoned princesses and castles abandoned
to hideous ogres. Strange fauna populate Louise’s imagined207 landscapes; birds with warped
noses, one-legged bears and gloomy unicorns. The little girl stays quiet208, watchful and
restless, she remains close to Louise. She begs for the return of the characters. Where do
these stories come from? They emanate from her, continuously flowing, without her having
to think about them, without her memorising or imagining them. Yet, from which dark lake,
or deep forest, did she fish out these cruel tales; where good people die at the end, not
203
Nous avons créé une seule phrase ici pour une lecture plus logique et fluide.
204
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture plus fluide.
205
Nous avons aussi lié ces deux phrases pour éviter la répétition du pronom ‘elle’ qui rend la lecture moins
saccadée.
206
Nous avons créé une seule phrase ici qui nous semble plus logique.
207
Nous avons ajouté le mot ‘imagined’ pour clarifier le sens de la phrase et nous avons changé l’ordre de
mots pour que la phrase se lise d’une manière logique.
208
Ici aussi nous avons créé une seule phrase afin d’éviter la répétition des phrases qui commence avec le
pronom ‘elle’.
75
Myriam est toujours déçue quand elle entend s’ouvrir la porte du cabinet d’avocats dans
lequel elle travaille. Vers 9 h 30, ses collègues commencent à arriver. Ils se servent un café,
Myriam est au bureau avant 8 heures. Elle est toujours la première. Elle n’allume que la
petite lampe posée sur son bureau. Sous ce halo de lumière, dans ce silence de caverne, elle
retrouve la concentration de ses années d’étudiante. Elle oublie tout et se plonge avec
délectation dans l’examen de ses dossiers. Elle marche parfois dans le couloir sombre, un
document à la main, et elle parle toute seule. Elle fume une cigarette sur le balcon en buvant
un café.
Le jour où elle a repris le travail, Myriam s’est réveillée aux aurores, pleine d’une
excitation enfantine. Elle a mis une jupe neuve, des talons, et Louise s’est exclamée : « Vous
êtes très belle. » Sur le pas de la porte, Adam dans le bras, la nounou a poussé sa patronne
dehors. « Ne vous inquiétez pas pour nous, a-t-elle répété. Ici, tout ira bien. »
Pascal a accueilli Myriam avec chaleur. Il lui a donné le bureau qui communique avec le
sien par une porte qu’ils laissent souvent entrouverte. Deux ou trois semaines seulement
après son arrivée, Pascal lui a confié des responsabilités auxquelles des collaborateurs
vieillissants n’ont jamais eu droit. Au fil des mois, Myriam traite seule les cas de dizaine de
clients. Pascal l’encourage à se faire la main et à déployer sa force de travail, qu’il sait
immense. Elle ne dit jamais non. Elle ne refuse aucun des dossiers que Pascal lui tend, elle
76
Myriam is always disappointed when she hears the door open at the law practice where
she is employed. At around 9.30am, her colleagues begin to arrive. They make themselves a
coffee, telephones ring loudly, the floor creaks; the silence is broken.
Myriam is at the office before 8am, always the first to arrive209, switching on only the
small lamp on her desk. Beneath this halo of light, in a den like silence, she regains the
herself in her case files. Sometimes she walks along the sombre hallway, holding a
document, talking to herself. She smokes a cigarette on the balcony while drinking her
coffee.
The day Myriam returned to work, she woke at dawn filled with a childlike excitement.
She put on a new skirt and high heels, Louise exclaimed; “you look beautiful”. On the
doorstep, with Adam in her arms, the nanny ushered her employer outside. “Don’t worry
Pascal warmly welcomed Myriam. He assigned her the office adjoining his own with a
connecting door that they frequently left ajar. A mere couple211 of weeks after her arrival,
Pascal entrusted her with responsibilities that older associates were never allowed. Over the
following months, Myriam handles a dozen cases on her own. Pascal encourages her to gain
hands-on experience212 and to utilise the immense work ethic213 he knows she has. She never
says no214, or refuses any case Paul gives her, neither does she complain about working late.
209
Nous avons créé une seule phrase ici pour éviter la répétition du pronom ‘elle’.
210
Nous avons employé la modulation ici qui est plus idiomatique.
211
Nous avons traduit ‘deux ou trois semaines’ par ‘a mere couple’ car il est plus littéraire.
212
Nous avons traduit l’expression ‘à se faire la main’ par son équivalente ‘to gain hands-on experience’.
213
Nous avons traduit ‘force de travail’ par ‘work ethic’ qui convient mieux au contexte.
214
Nous avons fusionné ces trois phrases pour une lecture fluide.
215
Nous trouvons ‘praises’ plus stylistique ici.
216
De même, nous n’avons pas traduit la phrase littéralement car nous pensons que ‘you are amazing’
convient mieux au contexte.
77
Pendant des mois, elle croule sous les petites affaires. Elle défend des dealers minables, des
demeurés, un exhibitionniste, des braqueurs sans talent, des alcooliques arrêtés au volant.
Elle traite les cas de surendettement, les fraudes à la carte bleue, les usurpations d’identité.
Pascal compte sur elle pour trouver de nouveaux clients et l’encourage à consacrer du
temps à l’aide juridictionnelle. Deux fois par mois, elle se rend au tribunal de Bobigny, et
elle attend dans le couloir, jusqu’à 21 heures, les yeux rivés sur sa montre, et le temps qui ne
passe pas. Elle s’agace parfois, répond de manière brutale à des clients déboussolés. Mais
elle fait de son mieux et elle obtient tout ce qu’elle peut. Pascal le lui répète dans cesse :
« Tu dois connaître ton dossier par cœur. » Et elle s’y emploie. Elle relit les procès-verbaux
jusque tard dans la nuit. Elle soulève la moindre imprécision, repère la plus petite erreur de
procédure. Elle y met une rage maniaque qui finit par payer. D’anciens clients la conseillent
à des amis. Son nom circule parmi les détenus. Un jeune homme, à qui elle a évité une peine
de prison ferme, lui promet de la récompenser. « Tu m’as sorti de là. Je ne l’oublierai pas. »
Un soir, elle est appelée en pleine nuit pour assister à une garde à vue. Un ancien client a
été arrêté pour violence conjugale. Il lui avait pourtant juré qu’il était incapable de porter un
coup à une femme. Elle s’est habillée dans le noir, à 2 heures du matin, sans faire de bruit, et
elle s’est penchée vers Paul pour l’embrasser. Il a grogné et il s’est retourné.
Souvent, son mari lui dit qu’elle travaille trop et ça la met en rage. Il s’offusque de sa
que Pascal ne l’exploite. Elle essaie de ne pas penser à ses enfants, de ne pas laisser la
culpabilité la ronger.
78
For months, she is swamped217 with small cases. She defends petty drug dealers, half-wits,
bungling burglars, drink drivers and an exhibitionist. She works on bankruptcy cases, debit
Pascal relies on her to find new clients and encourages her to devote some time to
providing free legal aid. Twice a month she attends Bobigny218 Court, waiting in the corridor
until 9pm, eyes glued to her watch; on time that stands still. Sometimes she becomes
frustrated with her dysfunctional clients answering them abruptly. Yet, she does her best and
obtains all she can. Pascal constantly reminds her, “you have to know your case inside
out219.” She follows his advice220, rereading statements late into the night. She picks up on
the slightest ambiguity, spotting the smallest procedural error. She applies herself
tenaciously, and it eventually pays off. Former clients recommend her to their friends. Her
name circulates among inmates. A young man, whom she helped avoid a prison term,
promises to repay her. “You got me out of this mess221. I won’t forget it.”
One evening, in the dead of night, she is called to assist a detainee in police custody. A
former client had been arrested for domestic violence. He had, however, sworn he was
incapable of hitting a woman. At two in the morning, she dressed silently in the dark, leant
Her husband frequently tells her that she works too much, which infuriates her. With
health and is concerned that Pascal is exploiting her. She tries not to think of her children, to
217
Nous avons traduit l’expression ‘crouler sous le travail’ par ‘to be swamped with work’.
218
Il y a une perte de sens ici car nous n’avons pas trouvé une façon efficace de démontrer la connotation
associée avec le quartier Seine-Saint-Denis où se trouve le tribunal de Bobigny.
219
Nous avons employé la modulation ici; nous avons traduit ‘par cœur’ par ‘inside out’ au lieu de ‘by heart’
car il convient mieux au contexte.
220
Nous n’avons pas traduit cette phrase littéralement, nous avons opté pour une traduction plus idiomatique.
221
Nous avons étoffé la phrase avec ‘this mess’ pour clarifier le sens.
222
Nous avons réorganisé l’ordre de mots dans cette phrase pour qu’elle se lise d’une manière logique.
79
Parfois, elle en vient à imaginer qu’ils sont tous ligués contre elle. Sa belle-mère tente de la
persuader que « si Mila est si souvent malade c’est parce qu’elle se sent seule. » Ses
collègues ne lui proposent jamais de les accompagner boire un verre après le travail et
s’étonnent des nuits qu’elle passe au bureau. « Mais tu n’as pas des enfants, toi ? » Jusqu’à
la maîtresse, qui l’a convoquée un matin pour lui parler d’un incident idiot entre Mila et une
camarade de classe. Lorsque Myriam s’est excusée d’avoir manqué les dernières réunions et
d’avoir envoyé Louise à sa place, la maîtresse aux cheveux gris a fait un large geste de la
main. « Si vous saviez ! C’est le mal du siècle. Tous ces pauvres enfants sont livrés à eux-
mêmes, pendant que les deux parents sont dévorés par la même ambition. C’est simple, ils
courent tout le temps. Vous savez quelle est la phrase que les parents disent le plus souvent à
leurs enfants ? “Dépêche-toi!” Et bien sûr, c’est nous qui subissons tout. Les petits nous font
Myriam avait furieusement envie de la remettre à sa place mais elle en était incapable.
Était-ce dû à cette petite chaise, sur laquelle elle était mal assise, dans cette classe qui sentait
bêtement et elle a promis que Mila ferait des progrès. Elle s’est retenue de jeter au visage de
cette vieille harpie sa misogynie et ses leçons de morale. Elle avait trop peur que la dame
80
Sometimes she even comes to imagine that they are all pitted against her. Her mother-in-law
tries to convince her that “if Mila is so frequently sick, it is because she feels abandoned223.”
Her colleagues never invite her for after-work drinks and are shocked by the evenings she
spends at the office. “Don’t you have children”, they ask224. Including Mila’s teacher, who
summoned her one morning to discuss a silly incident between Mila and her classmate.
While Myriam was apologising for having missed the previous parent-teacher meetings and
for sending Louise instead, the grey haired teacher made a sweeping gesture with her hand.
“If only you knew! It’s the scourge of the century. All these poor children left to fend for
themselves225, while both their parents are consumed by the same ambition. It’s simple;226
they are always rushing. Do you know the most common phrase parents say to their
children? - ‘Hurry up!’ Naturally we bear the brunt227 of it all. The little ones make us pay
Myriam had a furious desire to put her in her place, yet was unable to do so. Was it
because of the small chair on which she was awkwardly sitting, in this classroom that smelt
of paint and play dough? The decor and the teacher’s tone brought her firmly back to her
own childhood, to a time of obedience and restraint. She foolishly thanked her and promised
that Mila would improve. She restrained herself from throwing this old shrew’s misogyny
and moral lessons back in her face228, too afraid the grey-haired woman would take it out on
her child.
223
Nous avons traduit le mot ‘seule’ par ‘abandoned’ car il transpose mieux le sens de la remarque faite par la
belle-mère.
224
Nous avons ajouté ‘they ask’ pour souligner le jugement que ses collègues portent envers elle.
225
Nous avons traduit ‘se livrer à eux-mêmes’ d’une manière idiomatique qui convient mieux au contexte.
226
Nous avons ajouté un point-virgule ici pour l’effet stylistique.
227
Nous avons traduit ‘subissons tous’ par l’expression idiomatique ‘to bear the brunt of something’.
228
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture facile.
81
Pascal, lui, semble comprendre la rage qui l’habite, sa faim immense de reconnaissance et
de défis à sa mesure. Entre Pascal et elle, un combat s’engage auquel ils prennent tous les
deux un plaisir ambigu. Il la pousse, elle lui tient tête. Il l’épuise, elle ne le déçoit pas. Un
soir, il l’invite à boire un verre après le travail. « Ça va faire six mois que tu es parmi nous,
ça se fête non ? » Ils marchent en silence dans la rue. Il lui tient la porte du bistrot et elle lui
sourit. Ils s’assoient au fond de la salle, sur des banquettes tapissées. Pascal commande une
bouteille de vin blanc. Ils parlent d’un dossier en cours et, très vite, ils se mettent à évoquer
des souvenirs des leurs années étudiantes. La grande fête qu’avait organisée leur amie
absolument hilarante, de la pauvre Céline le jour des oraux. Myriam boit vite et Pascal la fait
rire. Elle n’a pas envie de rentrer chez elle. Elle voudrait n’avoir personne à prévenir,
Une tension érotique légère, piquante, lui brûle la gorge et les seins. Elle passe sa langue
sur ses lèvres. Elle a envie de quelque chose. Pour la première fois depuis longtemps, elle
éprouve un désir gratuit, futile, égoïste, Un désir d’elle-même. Elle a beau aimer Paul, le
corps de son mari est comme lesté de souvenirs. Lorsqu’il la pénètre, c’est dans son ventre
de mère qu’il entre, son ventre lourd, où le sperme de Paul s’est si souvent logé. Son ventre
de replis et de vagues, où ils ont bâti leur maison, où ont fleuri tant de soucis et tant de joies.
Paul a massé ses jambes gonflées et violettes. Il a vu le sang s’étaler sur les draps.
82
Pascal229 seemed to understand the rage inside her, her immense hunger for recognition
and challenges befitting her potential. A sort of competition begins between Pascal and
Myriam, in which they both take an obscure pleasure. He pushes her and she holds her own.
He drains her and she doesn’t disappoint him. One evening after work, he invites her for a
drink. “You’ve been with us for six months now, we 230 have to celebrate no?” They walk
silently in the street. He holds the Bistro door open for her, she smiles at him. They sit down
the back on upholstered seats. Pascal orders a bottle of white wine. They chat about an on-
going case and very quickly begin to reminisce on their student days231; of the big party their
friend Charlotte had organised in her residence in the 18th arrondissement, of the hilarious
panic attack that poor Céline had the day of the orals. Myriam drinks quickly and Pascal
makes her laugh. She doesn’t want to go home. She would like not to have to let anybody
know where she was, to have no one waiting for her 232, but there is Paul and the children.
A slight erotic and sharp tension burns in her throat and breasts. She licks her lips233; she
feels a primal longing overcome her234. For the first time in a long while she feels a selfish,
vain and gratuitous desire. A desire for herself. She loves Paul but it is futile235, her
husband’s body is laden with memories. When he enters her, it is into her womb that he
enters, her heavy womb, where Paul’s sperm frequently lodged. Her womb of folds and
ridges, where they built their nest236, where so many joys and worries have blossomed. Paul
massaged her swollen purplish legs. He saw the blood spread across the sheets.
229
Nous avons supprimé le pronom ‘lui’ car il donne une lourdeur inutile à la phrase. Nous avons traduit ‘sa
faim’ littéralement car il est plus idiomatique, Nous avons aussi étoffé la phrase avec le verbe ‘to befit’.
230
Nous avons remplacé le pronom ‘ça’ avec ‘we’ qui est plus idiomatique en anglais.
231
Nous avons lié ces trois phrases pour une lecture logique et fluide.
232
De même, nous avons créé une seule phrase ici afin d’éviter une lecture saccadée.
233
Nous avons opté pour une traduction idiomatique ici, pour faciliter la compréhension.
234
Nous avons reformulé cette phrase et créé une seule car une traduction littérale ne conviendrait pas ici.
235
Nous avons étoffé cette phrase pour que le sens soit plus clair.
236
Nous avons traduit ‘maison’ par ‘nest’ car il est plus poétique.
83
Paul lui a tenu les cheveux et le front pendant qu’elle vomissait, accroupie. Il l’a entendue
hurler. Il a épongé son visage couvert d’angiomes tandis qu’elle poussait. Il a extrait d’elle
ses enfants.
Elle avait toujours refusé l’idée que ses enfants puissent être une entrave à sa réussite, à
sa liberté. Comme une ancre qui entraîne vers le fond, qui tire le visage du noyé dans la
boue. Cette prise de conscience l’a plongée au début dans une profonde tristesse. Elle
trouvait cela injuste, terriblement frustrant. Elle s’était rendu compte qu’elle ne pourrait plus
jamais vivre sans avoir le sentiment d’être incomplète, de faire mal les choses, de sacrifier
un pan de sa vie au profit d’un autre. Elle en avait fait un drame, refusant de renoncer au
rêve de cette maternité idéale. S’entêtant à penser que tout était possible, qu’elle atteindrait
tous ses objectifs, qu’elle ne serait ni aigre ni épuisée. Qu’elle ne jouerait ni à la martyre ni à
la Mère courage.
Tous les jours, ou presque, Myriam reçoit une notification de la part de son amie Emma.
Elle poste sur les réseaux sociaux des portraits au ton sépia de ses deux enfants blonds. Des
enfants parfaits qui jouent dans un parc et qu’elle a inscrits dans une école qui épanouira les
dons que, déjà, elle devine en eux. Elle leur a donné des pronoms imprononçables, issus de
la mythologie nordique et dont elle aime à expliquer la signification. Emma est belle, elle
aussi, sur ces photographies. Son mari, lui, n’apparaît jamais, éternellement voué à prendre
84
He held her hair and forehead as she hunkered down and vomited. He listened to her cry out.
He sponged her face, covered in angiomas while she pushed;237 he delivered their children
from her.
She had always rejected the idea that her children could hinder her success, or
autonomy238. Like an anchor dragging towards the bottom, pulling the face of the drowned
into the sludge. This realisation firstly plunged her into a profound sadness. She found it
unjust and terribly frustrating. She had come to realise that she would never again be able to
live without feeling incomplete, incompetent239, like she is sacrificing one part of her life for
another. In refusing to renounce the dream of this ideal motherhood, she made a big deal
about it240, persisting in her conviction that she could achieve all her goals and would not be
bitter or exhausted. That she would not play either the Martyr or Mother Courage.
Almost every day Myriam receives a Facebook241 notification from her friend Emma. She
posts242 sepia filtered photos of her two blonde children. Two perfect children playing in the
park, enrolled in a school that will nurture the talents she already senses in them. She gave
them unpronounceable names deriving from Norse mythology, whose meaning she enjoys
explaining. Emma243 also looks beautiful in the photos. Her husband never features in these
images, eternally destined to photograph the perfect family to which he belongs only as a
spectator.
237
Nous avons lié ces deux phrases avec un point-virgule car nous trouvons cet effet stylistique reflète mieux le
style de Slimani.
238
Nous avons traduit ‘liberté’ par ‘autonomy’ plutôt que ‘freedom’ car il convient mieux au contexte.
239
Nous n’avons pas traduit ‘de faire mal les choses’ littéralement. Nous avons opté pour le mot
‘incompetent’ qui est plus littéraire.
240
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture plus logique et facile.
241
Nous avons employé la stratégie d’explicitation ici en ajoutant le mot ‘Facebook’.
242
Nous avons supprimé ‘réseaux sociaux’ car il est clair qu’elle poste ses photos sur Facebook.
243
Nous avons supprimé le pronom ‘elle’ car cela donne une lourdeur inutile à la phrase.
85
Il fait pourtant des efforts pour entrer dans le cadre. Lui, qui porte la barbe, des pulls en laine
naturelle, lui qui met pour travailler des pantalons serrés et inconfortables.
Myriam n’oserait jamais confier à Emma cette pensée fugace qui la traverse, cette idée
qui n’est pas cruelle mais honteuse et qu’elle a en observant Louise et ses enfants. Nous ne
serons heureux, se dit-elle alors, que lorsque nous n’aurons plus besoin les uns des autres.
Quand nous pourrons vivre une vie à nous, une vie qui nous appartienne, qui ne regarde pas
86
He makes however, various244 attempts to get in the shot. He has a beard, wears jumpers
Myriam would never dare to confide in Emma the fleeting thought she has when
observing Louise and her children, this idea that is not cruel, but rather shameful245; we will
not be happy, she tells herself, until we no longer need one another. When we can live our
own lives, a life that belongs to us alone, and does not concern anyone else - when we will
be free.
244
Nous avons ajouté le mot ‘various’ pour démontrer qu’il fait plusieurs efforts pour entrer dans ces photos
idéales.
245
Nous avons réorganisé l’ordre des mots dans la phrase pour qu’elle se lise d’une manière logique. Nous
avons aussi lié ces deux phrases avec un point-virgule qui rend la phrase plus poignante.
87
Myriam se dirige vers la porte et regarde à travers le judas. Toutes les cinq minutes, elle
répète : « Ils sont en retard. » Elle rend Mila nerveuse. Assise sur le bord du canapé, dans
son affreuse robe en taffetas, Mila a les larmes aux yeux. « Tu crois qu’ils ne viendront pas ?
-Mais bien sûr qu’ils viendront, répond Louise. Laissez-leur le temps d’arriver. »
Les préparatifs pour l’anniversaire de Mila ont pris des proportions qui dépassent
Myriam. Depuis deux semaines, Louise ne parle que de ça. Le soir, quand Myriam rentre
épuisée du travail, Louise lui montre les guirlandes qu’elle a confectionnées elle-même. Elle
lui décrit avec une voix hystérique cette robe en taffetas qu’elle a trouvée dans une boutique
et qui, elle en est certaine, rendra Mila folle de joie. Plusieurs fois, Myriam a dû se retenir de
la rabrouer. Elle est fatiguée de ces préoccupations ridicules. Mila est si petite ! Elle ne voit
pas l’intérêt de se mettre dans des états pareils. Mais Louise la fixe, de ses petits yeux
écarquillés. Elle prend à témoin Mila qui exulte de bonheur. C’est tout ce qui compte, le
plaisir de cette princesse, la féerie de l’anniversaire à venir. Myriam ravale ses sarcasmes.
Elle se sent un peu prise en faute et finit par promettre qu’elle fera de son mieux pour
assister à l’anniversaire.
Louise a décidé d’organiser la fête un mercredi après-midi. Elle voulait être sûre que les
enfants seraient à Paris et que tout le monde répondrait présent. Myriam s’est rendue au
Quand elle est rentrée chez elle, en début d’après-midi, elle a failli pousser un cri. Elle ne
88
Myriam goes to the door and peers through the spyhole246, repeating every five minutes,
“they’re late.” She is making Mila anxious. Sitting on the edge of the sofa in her ghastly
taffeta dress, Mila’s eyes fill with tears. “Do you think they aren’t coming?”
-Of course they are coming, Louise responds. Give them time to get here.”
Preparations for Mila’s birthday have taken on proportions that are beyond Myriam’s
comprehension247. For two weeks it is the only thing Louise talks about. In the evening when
Myriam returns home exhausted, Louise shows her the garlands she made herself. She
passionately describes the taffeta dress she found in a shop and that she is sure will make
Mila so happy. Several times Myriam had to restrain herself from reproaching her. She was
tired of these trivialities 248. Mila is so small! She doesn’t see the point of working yourself
249
up into such a state. Louise stares at her with her small eyes open wide 250, taking Mila
who is basking in joy as her witness. All that matters is the happiness of this princess, the
fairy of the upcoming birthday. Myriam swallows her sarcasm. She feels a little caught in
the act 251 and ends up promising to do her best to attend the party.
Louise decided to organise the party for a Wednesday afternoon. She wanted to make
sure all the children would be in Paris and so would all accept the invitation252. Myriam went
When she arrived home in the early afternoon, she almost screamed. She no longer
recognised her own apartment. The living room had literally been transformed, festooned
246
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture fluide.
247
Nous avons ajouté le mot ‘comprehension’ pour clarifier le sens du verbe ‘dépasser’
248
Nous n’avons pas traduit ‘préoccupations ridicules’ littéralement nous trouvons ‘trivialities’ plus
stylistique.
249
Nous avons traduit ‘se mettre dans des états pareils’ par l’expression idiomatique ‘to work oneself up
into’.
250
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture logique.
251
L’expression ‘prise en faute’ a été traduit par ‘caught in the act’.
252
Nous avons étoffé cette phrase avec ‘to the invitation’ pour que le sens soit plus clair.
89
Mais surtout, le canapé avait été enlevé pour permettre aux enfants de jouer. Et même la
table en chêne, si lourde qu’ils ne l’avaient jamais changée de place depuis leur arrivée, avait
« Mais qui a bougé ces meubles ? C’est Paul qui vous a aidée ?
Myriam, incrédule, a envie de rire. C’est une blague, pense-t-elle, en observant les bras
menus de la nounou, aussi fins que des allumettes. Puis elle se souvient qu’elle a déjà
remarqué l’étonnante force de Louise. Une ou deux fois, elle a été impressionnée par la
façon dont elle se saisissait de paquets lourds et encombrants, tout en tenant Adam dans ses
bras. Derrière ce physique fragile, étroit, Louise cache une vigueur de colosse.
Toute la matinée, Louise a gonflé des ballons auxquels elle a donné des formes
d’animaux et elle les a collés partout, du hall jusque sur les tiroirs de la cuisine. Elle a fait
elle-même le gâteau d’anniversaire, une énorme charlotte aux fruits rouges surmontée de
décorations.
Myriam regrette d’avoir pris son après-midi. Elle aurait été si bien, dans le calme de son
bureau. L’anniversaire de sa fille l’angoisse. Elle a peur d’assister au spectacle des enfants
qui s’ennuient et qui s’impatientent. Elle ne veut pas avoir à raisonner ceux qui se disputent
ni à consoler ceux dont les parents sont en retard pour venir les chercher. Des souvenirs
glaçants de sa propre enfance lui reviennent en mémoire. Elle se revoit assise sur un épais
tapis en laine blanc, isolée du groupe de petites filles qui jouaient à la dînette. Elle avait
laissé fondre un morceau du chocolat entres les fils de laine puis elle avait essayé de
dissimuler son méfait, ce qui n’avait fait qu’empirer les choses. La mère de son hôte l’avait
90
More importantly, the sofa had been removed to allow the children to play. Even the oak
table that was so heavy, they hadn’t changed its place since they moved in253 was now on the
Myriam wants to laugh in disbelief. It has to be a joke, she thinks to herself, while noting
the nanny’s slender arms, as thin as matchsticks. Then she remembers that she has already
witnessed Louise’s astonishing strength. Once or twice, she had been fascinated by the way
she would grasp hold of heavy and cumbersome bags while carrying Adam in her arms.
Behind this slim and svelte254 physique, Louise hides immense strength.
All morning long, Louise inflated balloons and shaped them into animals, taping them
everywhere from the entrance hallway to the kitchen drawers. She made the birthday cake
Myriam regrets taking her afternoon off. She would have been so happy in her office
haven 255. Her daughter’s birthday makes her anxious. She is afraid to partake in the
theatrics256 of the children who are bored and cranky. She doesn’t want to have to reason
with those who are bickering, or console those whose parents arrive late to collect them.
Chilling memories from her own childhood flash across257 her mind. She can see herself
sitting on a thick white wool rug, isolated from the other little girls playing house. She had
let a piece of chocolate melt between the wool yarns and tried to conceal her wrongdoing,
which just made things worse. Her host’s mother had scolded her in front of everyone.
253
Nous avons opté de traduire ‘leur arrivé’ par ‘moved in’ qui est plus idiomatique.
254
Nous n’avons pas traduit ‘étroit’ littéralement nous trouvons ‘svelte’ plus littéraire.
255
Nous avons traduit ‘le calme’ par ‘haven’ cela démontre mieux le fait que Myriam trouve refuge dans son
travail.
256
Nous avons décidé de traduire ‘spectacle’ par ‘theatrics’ qui incarne le comportement exagéré des jeunes
enfants.
257
Ici, nous avons traduit ‘reviennent en mémoire’ par ‘flash across her mind’ car ces sont de souvenirs
glaçants qui normalement reviennent tout d’un coup, d’une manière abrupte.
91
Myriam se cache dans sa chambre, dont elle ferme la porte, elle fait semblant d’être
absorbée par la lecture de ses mails. Elle sait que, comme toujours, elle peut compter sur
Louise. La sonnette se met à retentir. Le salon enfle de bruits enfantins. Louise a mis de la
musique. Myriam sort discrètement de la chambre et elle observe les petits, agglutinés
autour de la nounou. Ils tournent autour d’elle, totalement captivés. Elle a préparé des
chansons et des tours de magie. Elle se déguise sous leurs yeux stupéfaits et les enfants, qui
ne sont pourtant pas faciles à berner, savent qu’elle est des leurs. Elle est là, vibrante,
joyeuse, taquine. Elle entonne des chansons, fait des bruits d’animaux. Elle prend même
Mila et un camarade sur le dos devant des gamins qui rient aux larmes et la supplient de
92
Myriam hides in her room, closing the door behind her, pretending to be engrossed258 in
her emails. As always, she knows259 she can count on Louise. The doorbell begins to chime.
The living room fills with children’s cries. Louise has put on some music. Myriam discretely
comes out of the bedroom and observes the children clumped together around the nanny.
They circle around her completely captivated. She prepared songs and magic tricks. She
disguises herself before the children’s astonished eyes, who are not so easily fooled and
know she is one of them. She stands there vibrant, joyful and playful260, bursting into song
and making animal noises. She even carries Mila and a friend on her back before the others
crying with laughter, begging her to let them play rodeo too.
258
Nous avons traduit ‘la lecture’ par ‘engrossed’ car il est plus littéraire.
259
Nous avons réorganisé l’ordre de mots dans cette phrase pour qu’elle soit plus logique.
260
Nous avons créé une seule phrase ici pour une lecture fluide.
93
Myriam admire chez Louise cette capacité à jouer vraiment. Elle joue, animée de cette
toute-puissance que seuls les enfants possèdent. Un soir, en rentrant chez elle, Myriam
trouve Louise couchée par terre, le visage peinturluré. Sur ses joues et le front, des larges
traits noirs lui font un masque de guerrière. Elle s’est fabriquée une coiffe indienne en papier
crépon. Au milieu du salon, elle a construit un tipi tordu avec un drap, un balai et une chaise.
Debout dans l’entrebâillement de la porte, Myriam est troublée. Elle observe Louise qui se
tord, qui pousse des cris sauvages et elle en est affreusement gênée. La nounou a l’air soûle.
C’est la première pensée qui lui vient. En l’apercevant, Louise se lève, les joues rouges, la
démarche titubante. « J’ai des fourmis dans les jambes », s’excuse-t-elle. Adam s’est
accroché à son mollet et Louise rit, d’un rire qui appartient encore au pays imaginaire dans
Peut-être, se rassure Myriam, que Louise est une enfant elle aussi. Elle prend très au
sérieux les jeux qu’elle lance avec Mila. Elles s’amusent par exemple au policier et au
voleur, et Louise se laisse enfermer derrière des barreaux imaginaires. Parfois, c’est elle qui
représente l’ordre et qui court après Mila. À chaque fois, elle invente une géographie précise
que Mila doit mémoriser. Elle confectionne des costumes, élabore un scénario plein de
rebondissements. Elle prépare le décor avec un soin minutieux. L’enfant parfois se lasse.
Myriam ne le sait pas mais ce que Louise préfère, c’est jouer à cache-cache. Sauf que
personne ne compte et qu’il n’y a pas de règles. Le jeu repose d’abord sur l’effet de surprise.
94
Myriam admires in Louise her ability to really play. She plays, animated by an
enthusiasm261 that only children possess. Upon returning home one evening, Myriam finds
Louise lying on the floor, her face daubed with paint. Thick black lines on her cheeks and
forehead camouflage her warrior face262. She made an Indian headband from crepe paper. In
the centre of the living room, she built a crooked Tepee with a sheet, sweeping brush and
chair. Standing on the doorstep, Myriam is uneasy. She watches Louise squirming on the
ground, making wild noises, and is extremely disturbed by it. The first thought that springs
to her mind is that the nanny seems drunk263. Louise notices her, she gets up staggering, her
cheeks rosy. “I had pins and needles in my legs”, she explains. Adam hung onto her calf and
Louise laughs a laugh that still belongs to the imaginary world in which their game was
anchored.
Perhaps Louise is also a child, Myriam reassures herself. She takes the games she plays
with Mila very seriously. For example they have fun playing cops and robbers, Louise
allows herself to be locked behind imaginary bars. Sometimes she is the policeman264 and
runs after Mila. Each time she invents a specific geography that Mila must memorise. She
makes costumes and formulates a scenario with several plot twists265. She meticulously
arranges the scene. Sometimes the child becomes bored. “Come on, let’s start!” she begs.
Myriam isn’t aware that Louise’s favourite game266 is hide and go seek267; except there is
no counting, no rules. The game rests predominantly on the element of surprise. Without any
261
Nous avons traduit ‘toute-puissance’ par ‘enthusiasm’ car une traduction littérale n’aurait pas de sens.
262
Ici nous avons réorganisé l’ordre de mots pour que la phrase se lise d’une manière logique et nous avons
aussi traduit le verbe ‘faire’ par ‘camouflage’ qui est plus stylistique qu’une traduction littérale.
263
Nous avons aussi lié ces deux phrases et changé l’ordre de mots pour une lecture plus logique.
264
Nous avons employé la stratégie de particularisation ici ; nous avons traduit ‘l’ordre’ par ‘policeman’.
265
Nous avons traduit ‘rebondissements’ par la collocation ‘plot twists’ qui convient bien au contexte.
266
Nous avons ajouté le mot ‘game’ ici pour que le sens de la phrase soit plus clair.
267
Nous avons créé une seule phrase ici qui nous semble plus naturelle et logique.
95
Elle se blottit dans un coin et laisse les enfants la chercher. Elle choisit souvent des endroits
où, cachée, elle peut continuer à les observer. Elle se glisse sous le lit ou derrière une porte et
Mila comprend alors que le jeu a commencé. Elle crie, comme folle, et elle tape dans ses
mains. Adam la suit. Il rit tellement qu’il a du mal à se tenir debout et tombe, plusieurs fois,
sur les fesses. Ils l’appellent mais Louise ne répond pas. « Louise ? Où es-tu ? » « Attention
Louise ne dit rien. Elle ne sort pas de sa cachette, même quand ils hurlent, qu’ils pleurent,
qu’ils se désespèrent. Tapie dans l’ombre, elle espionne la panique d’Adam, prostré, secoué
coulant sur ses lèvres, les joues violettes de rage. Mila, elle aussi, finit par avoir peur.
Pendant un instant, elle se met à croire que Louise est vraiment partie, qu’elle les a
abandonnés dans cet appartement où la nuit va tomber, qu’ils sont seuls et qu’elle ne
reviendra plus. L’angoisse est insupportable et Mila supplie la nounou. Elle dit : « Louise,
c’est pas drôle. Où es-tu ? » L’enfant s’énerve, tape des pieds. Louise attend. Elle les regarde
comme on étudie l’agonie du poisson à peine pêché, les ouïes en sang, le corps secoué de
convulsions. Le poisson qui frétille sur le sol du bateau, qui tète l’air de sa bouche épuisée,
Puis Mila s’est mise à découvrir les cachettes. Elle a compris qu’il fallait tirer les portes,
soulever les rideaux, se baisser pour regarder sous le sommier. Mais Louise est si menue
96
She huddles into a corner and lets the children search for her268, often choosing places where
she can continue to observe them. She slips under the bed or behind a door and remains
Mila realises that the game has begun. She screams wildly, clapping her hands. Adam
follows her. He laughs so much he has difficulty remaining upright, falling frequently on his
bottom. They call her name270 but Louise doesn’t respond. “Louise? Where are you?” “You
Louise says nothing. She doesn’t move from her hiding place, even when they yell, cry
and become desperate. Crouching in the shadows, she spies on Adam’s terror, as he lies
shaking and sobbing on the floor 272 . He doesn’t understand. He calls out “Louise”,
swallowing the last syllable, snot running onto his lips, his cheeks purple with rage. Mila
too, ends up feeling scared. For a moment, she starts to believe Louise has really left,
abandoning them in this apartment where it will soon be dark - that they are all alone and she
will not return. The sense273 of distress is unbearable. Mila pleads with the nanny saying274,
“Louise, it’s not funny. Where are you?” The child loses her temper and stamps her feet.
Louise waits. She watches them as one studies the painful death of a freshly caught fish, gills
bloodied, body convulsing and writhing275 on the boat floor, sucking air with his exhausted
Then Mila started to discover her hiding places. She realised she had to open doors, lift up
curtains and bend down to look beneath the bed frame. Yet, Louise is so slender she always
268
Nous avons fusionné ces deux phrases pour éviter la répétition du pronom ‘elle’.
269
Nous avons employé la modulation ici et nous avons aussi créé une seule phrase pour une lecture facile.
270
Nous avons ajouté le mot ‘name’ qui rend la phrase plus idiomatique.
271
Nous n’avons pas traduit cette phrase littéralement, nous avons opté pour une traduction idiomatique.
272
Nous avons étoffé cette phrase pour qu’elle suive la syntaxe de l’anglais.
273
Nous avons aussi étoffé cette phrase en ajoutant ‘sense of’ qui est plus stylistique.
274
Nous avons lié ces deux phrases qui nous semble plus logique.
275
Nous avons aussi fusionné ces deux phrases pour une lecture cohérente.
276
Nous avons ajouté un tiret qui rend le style de la phrase plus frappant.
97
Elle se glisse dans le panier à linge sale, sous le bureau de Paul ou au fond d’un placard et
rabat sur elle une couverture. Il lui est arrivé de se cacher dans la cabine de douche dans
l’obscurité de la salle de bains. Mila, alors, cherche en vain. Elle sanglote et Louise se
Un jour, Mila ne crie plus. Louise est prise à son propre piège. Mila se tait, tourne autour
de la cachette et fait semblant de ne pas découvrir la nounou. Elle s’assoit sur le panier à
Mais Louise ne veut pas abdiquer. Elle reste silencieuse, les genoux collés au menton.
Les pieds de la petite fille tapent doucement contre le panier à linge en osier. « Louise, je
sais que tu es là », dit-elle en riant. D’un coup, Louise se lève, avec une brusquerie qui
surprend Mila et qui la projette sur le sol. Sa tête cogne contres les carreaux de la douche.
Étourdie, l’enfant pleure puis, face à Louise triomphante, ressuscitée, Louise qui la regarde
du haut de sa victoire, sa terreur se mue en une joie hystérique. Adam a couru jusqu’à la
salle de bains et il se mêle à la gigue à laquelle se livrent les deux filles, qui gloussent à s‘en
étouffer.
98
She slips into the laundry basket, beneath Paul’s desk, or at the back of a cupboard,
lowering a cover over her. Once she277 hid in the shower cubicle in the darkness of the
bathroom. Mila searches in vain. She sobs and Louise doesn’t move an inch278. The child’s
One day, Mila stops crying out. Louise is caught in her own trap. Mila keeps quiet,
walking around the hiding place, pretending not to have found the nanny. She sits on top of
the laundry basket, Louise feels suffocated. “Want to call a truce279?” the child murmurs.
Louise280 does not want to surrender. She remains silent, her knees pressed to her chin.
The little girl’s feet gently tap against the wicker laundry basket. “Louise, I know you’re in
there”, she says laughing. All of a sudden, Louise brusquely gets up, catching Mila by
surprise and propelling her into the air. Her head bangs against the bathroom tiles. Stunned,
the child starts to cry281. In front of a triumphant and resuscitated Louise, looking down at
her victoriously, Mila’s282 terror transforms into frenzied joy. Adam runs to the bathroom
intertwining himself in the jig that the girls are indulging in, which makes them choke from
laughter.
277
Nous avons employé la voix active ici qui convient mieux à l’usage courant de l’anglais.
278
Nous avons employé la modulation ici.
279
Nous n’avons pas traduit la phrase littéralement nous pensons que l’expression idiomatique ‘call a truce’
convient mieux au contexte.
280
Nous avons supprimé la conjonction ‘mais’ qui donnerait une lourdeur inutile à la phrase.
281
Nous avons créé deux phrases distinctes ici qui facilite la compréhension de la phrase.
282
Nous avons remplacé le pronom ‘sa’ par ‘Mila’ pour clarifier que le pronom fait référence à l’enfant et
pas à Louise.
99
Quatrième Chapitre : Commentaire de la traduction
Nous poursuivons maintenant avec une analyse précise des théories, stratégies et
procédés que nous avons mis en œuvre dans notre traduction des neufs premiers chapitres de
Chanson Douce. Comme nous avons souligné dans le deuxième chapitre de ce mémoire, le
recherche des théoriciens qui abordent cette notion est l’examen du choix des mots employés
de la part d’un auteur et ensuite de la part d’un traducteur. Comme Brannen souligne ;
Chez l’auteur ces choix représentent, comme Baker et Boase-Beier montrent, la façon
particulière dont un auteur s’exprime, ainsi que sa vision du monde. Chez le traducteur, ces
choix tentent de refléter l’intention de l’auteur mais qui sont inévitablement marqués par
l’idiolecte du traducteur. La preuve de cette réalité est évidente «any two translations of a
nontrivial nature exceeding a few sentences in length will never be identical.»284 Clifford
Landers, dans son œuvre, Literary Translation : A Practical Guide, nous montre que
l’idiolecte d’un traducteur explique pourquoi il préfère «one word to another equally
acceptable one»285 et par conséquence, «over time, an experienced translator will tend to
make similar decisions when facing decision points ; the result, for better or worse, is
283
BRENNAN Noah, ‘Translating Style’, Japan Quarterly, 1993, Vol. (40) No. (2), p. 142-155. p. 142.
284
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge: Cromwell Press Ltd. p.
90.
285
Ibid. p. 91.
100
style.» 286 Un sentiment que Munday partage dans son œuvre, Style and Ideology in
Translation. Munday essaie d’identifier ces traces linguistiques qu’un traducteur laisse dans
constate que «these linguistic elements, conscious or subconscious on the part of the
translator, obvious or concealed, are the result of the translator’s idiolect.» 287 Comme
Hermans, Munday soutient que l’idiolecte d’un traducteur porte les influences sociales,
traducteur est issu car «the language of all translators, as with all individuals, is revealing of
the ideology (in terms of value systems and sets of beliefs) that is part of their
background.»288 Cependant, cela ne veut pas dire qu’un traducteur a le droit de manipuler le
texte comme il veut, comme Newmark affirme, «you have no right to change words that
have plain one-to-one translations just because you think they sound better than the
original.» 289 Nous voulons plutôt souligner le fait que «any utterance is such a
multidimensional and many-faceted thing that no translator is ever short of a little elbow
room.»290 C’est cette marge de manœuvre qui constitue le style d’un traducteur ; une marge
artistique de la traduction car «l’art est un choix qui repose sur une certaine liberté.»291 La
traduction littéraire est une série infinie des choix et «as a subfield of literature-and literature
is indisputably an art rather than a science - translation is subjective in essence.»292 Les défis
stylistiques dans la traduction du roman Chanson Douce, révèlent comment nous avons
286
Ibid.
287
MUNDAY Jeremy, Style and Ideology in Translation: Latin American Writing in English, 2008, Oxon :
Routledge. p. 7.
288
Ibid. p. 8.
289
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 36.
290
BELLOS David, Is That a Fish in Your Ear?: Translation and the meaning of everything, 2014, New York :
Faber & Faber. p. 322
291
VINAY Jean. Paul et DARBELNET Jean, Stylistique comparée du français et de l’anglais, 1958, Paris :
Didier. p. 21.
292
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
4.
101
employé cette marge de libre-choix. Ce commentaire examinera les choix que nous avons
Comme nous avons déjà noté, la question pour nous est de savoir identifier le lien
entre le style de l’auteur du texte source et le style personnel du traducteur. Comme Baker,
Munday préconise que c’est seulement à travers une analyse descriptive entre le texte source
et le texte cible que nous découvrons ce lien. Selon Munday, «analysis of the style of the
translator must take into account the markedness of the ST before determining the
markedness of the TT»293, un travail qui est facilité par l’existence de plusieurs traductions
faites par des traducteurs différentes du texte cible. 294 La publication de la traduction
anglaise officielle de Chanson Douce est prévue pour l’année prochaine par la maison
faire une comparaison entre notre traduction et la traduction officielle. Cependant, pour
l’instant, ce commentaire nous fournira avec le recul nécessaire d’identifier les choix que
nous avons faits consciemment et inconsciemment dans notre traduction. Une analyse
profonde méthodique de ces choix souligne les théories sur lesquelles nous nous sommes
basés dans cette traduction et montre la variété des défis auxquels nous étions confrontés,
reproduisant son style précis, succinct et nuancé en anglais. Slimani elle-même a enoncé
dans plusieurs entretiens l’intention du livre, ou bien le message qu’elle veut transmettre à
ses lecteurs, comme nous avons souligné dans notre premier chapitre. Elle écrit au nom des
femmes, elle rejette l’image conventionnelle de la féminité qui, d’après elle, représente la
293
MUNDAY Jeremy, Style and Ideology in Translation: Latin American Writing in English, 2008, Oxon :
Routledge. p 20.
294
Ibid.
102
femme ; «either as sensual creatures or maternal creatures»295et par conséquent, «the woman
who rejects both of those roles and is neither a mother or a whore, doesn’t exist. So we need
to invent that woman. And that is what I try to do when I write.»296Ainsi que sa promotion
de l’égalité chez les femmes, son écriture vise l’écart profond entre les classes en France,
quand on lui demande si son roman traite de la question de classe, elle répond, «certainly, on
how, in our bourgeois society, we pretend that class doesn’t exist. Everyone is the same;
everyone’s nice. When actually that is not the case.»297 Cette voix militante est le fil
conducteur de notre approche de la traduction que nous avons réalisée. Slimani emploie
plusieurs stratégies afin de transmettre cette même voix et d’évoquer chez le lecteur un
Pour recréer ce même effet, nous nous sommes appuyés sur le travail de Newmark
qui affirme qu’un traducteur doit identifier «every nuance of the author’s meaning»298 et il
soutient que «serious imaginative literature and authoritative personal statements, have to be
translated closely, matching the writing, good or bad of the original.» 299 Il y a une
contradiction dans cette affirmation quand nous devons traduire des mots qui n’auraient pas
les mêmes connotations dans le texte cible si nous faisions une traduction littérale, cependant
pour la plupart, nous avons essayé d’employer la traduction littérale dès que possible.
295
http://www.telegraph.co.uk/women/family/chanson-douce-next-gone-girl-authors-book-killer-nanny-next/,
consulté le 29 mai 2017.
296
Ibid.
297
Ibid.
298
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 16.
299
Ibid.
103
le procédé le plus utilisé dans notre traduction mais aussi un des procédés le plus
«to intuitively and automatically make certain conversions; you transpose the SL grammar
(clauses and groups) into their ready TL equivalents»300, et donc nous permet de surmonter
les différences dans les structures grammaticales qui existent entre la langue française et la
langue anglaise. La modulation est employée lorsque une traduction littérale ne serait pas
idiomatique ou quand cela convient mieux à l’usage courant de l’anglais. Nous avons mis en
œuvre l’explicitation, l’adaptation et l’étoffement dans les cas où il y aurait une dimension
d’ambiguïté autour du sens implicite dans la phrase, si nous avions gardé une traduction
littérale, notamment dans la traduction des connotations car, «the literary translator must be
constantly vigilant to select the term that conveys not only denotation but connotation as
well301» Ces trois stratégies incarnent aussi la notion de l’équivalence dynamique proposée
par Nida et qui souligne le fait que les mots n’ont pas de sens figé mais c’est plutôt le
contexte linguistique et culturel dans lequel un mot est employé qui détermine le sens du
mot. Nous préciserons ces cas plus tard dans notre discussion de la mise en œuvre de ces
mêmes stratégies.
foreignisation, proposées par Venuti. Pour nous, il est très important que le public
tendance d’avoir une nounou est aussi répandue au sein d’un certain milieu. Nous avons
employé la stratégie de foreignisation en gardant tous les noms de localité, les prénoms et
noms patronymiques du texte source et en fournissant une note du traducteur pour les
lacunes culturelles, par exemple nous avons retenu l’orthographe française de «Myriam» au
300
Ibid. p. 22.
301
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
139.
104
lieu de l’orthographe anglaise, car elle porte d’importantes informations culturelles. En
revanche, au niveau de la fluidité de la lecture, nous avons donné la priorité à la lisibilité car
les éditeurs et les maisons d’éditions «regard readability as the key to the novel’s success
with the Western pleasure reader, and readability may require a degree of domestication.302»
française afin qu’elle convienne avec l’usage courant de l’anglais, et également au niveau
des expressions figées qui ont été traduites par leurs équivalentes en anglais, par exemple
nous avons traduit l’expression française ‘bel et bien’ par son équivalente ‘well and truly’.
En ce qui concerne notre idiolecte personnel, sa présence est très évidente dans la
en évitant des phrases qui commencent par une conjonction. Slimani emploie des phrases
très courtes, souvent sans les connecteurs logiques qui sont nécessaires en anglais. Une
tendance qui, selon Newmark, est très courante dans la langue française car «French tends to
use commas as conjunctions.303» C’est ainsi que nous nous sommes écartée du «close
préconisée par Noah Brannen. Brannen met l’accent sur le fait que le même genre du style se
manifeste dans des façons différentes dans chaque langue, selon lui, «style is language
specific, i.e., the arrangement of words, phrases and sentences conform to the rules of usage
of a particular language304» donc si on veut recréer un style particulier, il faut adapter le style
à l’usage courant de la langue cible comme Brannen souligne, «since style is tied to
language in this intricate manner, a good functional-equivalence translation must adjust the
302
HARMAN Nicky, “FOREIGN CULTURE, FOREIGN STYLE”, Taylor & Francis, 2006, Vol. (14) No. (1),
p. 13-31. p. 25.
303
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 58.
304
BRENNAN Noah, ‘Translating Style’, Japan Quarterly, 1993, Vol. (40) No. (2), p. 142-155. p. 144.
105
style to conform to the rules of the receptor language305» Nous n’avons pas choisi d’étoffer
ces phrases avec des connecteurs logiques mais nous avons plutôt opté pour une approche
qui refléterait un style précis et direct en anglais. Autrement dit, nous avons créé souvent une
seule phrase au lieu d’étoffer deux phrases courtes, ou nous avons créé deux phrases
indépendantes au lieu d’une seule phrase longue et lourde en anglais. De même, nous avons
aussi essayé d’employer la ponctuation d’une manière qui évite le besoin d’étoffer
inutilement des phrases en anglais et donc reflète mieux le style de Slimani. Comme
Nous avons essayé de réaliser une traduction qui incarne la voix de l’auteure et son
style unique. Nous poursuivons maintenant avec l’analyse des choix que nous avons faits au
cours de notre traduction et des exemples concrets de l’emploi des stratégies de traduction.
Nous avons divisé en sous catégories les choix et les défis grammaticaux et
stylistiques auxquels nous avons dû faire face. Comme nous avons déjà souligné ; la
traduction littérale est employée autant que possible, ces exemples mentionnés ci-dessous
exposent les cas où une traduction littérale «is considered unsuitable, unidiomatic or
305
Ibid.
306
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 87.
307
MUNDAY Jeremy, Introducing Translation Studies: Theories and Applications, 2016, Oxon : Routledge. p.
88.
106
Le Ton du Texte
Le ton neutre est très important dans ce roman car «one thing that Chanson Douce is
not about, Slimani is at pains to point out, is blame.»308 Slimani veut présenter la société
contemporaine française telle qu’elle est, elle veut que ses lecteurs soient actifs, qu’ils
s’interrogent d’une manière profonde et honnête et donc c’est aux lecteurs d’arriver à un
jugement sur le crime de Louise. Elle explique que «le but c’est juste de raconter, de
montrer, pour permettre au lecteur de se faire sa propre opinion.»309 Pour atteindre ce but,
voix passive en anglais. Ce choix rend la voix du narrateur plus neutre en anglais, un
élément fondamental dans la lecture de ce roman et aussi au niveau stylistique car comme
Landers nous rappelle, «in literary translation how one says something can be as important,
sometimes more important, than what one says.310» Le traducteur doit toujours se rendre
compte du ton du texte dans ses choix des stratégies de traduction et une telle sensibilité au
ton nous permet d’éviter «such traps as slavish fealty to literal meaning that distorts the
author’s intent.»311
Un autre élément qui influence le ton du récit est la façon dont Slimani emploie le temps
temps du passé, cependant avec la forme flash-back du roman, Slimani remonte le temps
d’une manière qui rend l’histoire palpable. L’usage du temps présent rapproche le lecteur à
l’engrenage des événements. Cet effet stylistique crée une proximité intime entre le lecteur
308
http://www.telegraph.co.uk/women/family/chanson-douce-next-gone-girl-authors-book-killer-nanny-next/,
consulté le 29 mai 2017.
309
http://www.glamourparis.com/culture/livre-a-lire/articles/chanson-douce-pourquoi-faut-il-absolument-lire-
leila-slimani-/47089, consulté le 27 juin 2017.
310
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
7.
311
Ibid. p. 67.
107
et les personnages, car «lire Leïla Slimani, c’est vivre avec ses personnages, s’immiscer dans
Le registre du texte est profondément lié au ton et donc aussi aux choix des mots
appropriés pour le contexte en question. Les connotations et dénotations implicites dans une
langue sont aussi importantes que le ton car «in literary text, you have to give precedence to
its connotations, since, if it is any good, it is an allegory, a comment on society, at the time
and now, as well as its strict setting.»313 Dans notre traduction, il y a deux instances
afin de rendre les connotations implicites dans le texte source, explicites dans le texte cible.
Nous voulions garder l’intention de l’auteure autant que possible et nous avons décidé de
traduire le mot «voilée» par «hijab» car ce mot transmet explicitement en anglais ce que
Slimani veut dire en français. Une traduction littérale ne conviendrait pas ici car en anglais,
surmonter cette différence culturelle entre le niveau de vie en France et en Irlande. Ce genre
de logement n’est pas du tout courant en Irlande, et contrairement à beaucoup d’autres pays
maison. De plus, cette adaptation explique mieux le statut social de Louise. L’écart entre les
classes n’est pas aussi évident en Irlande qu’en France. L’Irlande est un pays qui
culturellement et historiquement n’a pas le même écart rigide entre les classes sociales. Nous
312
http://www.huffpostmaghreb.com/salma-hamri/chanson-douce-de-leila-slimani-un-roman-glacial-et-
humaniste_b_12865460.html, consulté le 27 juillet 2017.
313
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 16.
108
aborderons dans la section suivante comment nous avons essayé de retenir les préjugés de
fait divers new-yorkais en France, il est clair que ce roman vise spécifiquement la société
contemporaine française. Nous voulions conserver cet aperçu de la vie française que Slimani
nous donne et pour ce faire nous avons employé la stratégie de foreignisation en gardant
tous les toponymes dans l’original, y compris l’orthographe des prénoms et noms de
ethnique» des noms propres, en gardant l’orthographe française du prénom Myriam et son
nom de famille maghrébine, Charfa, le lecteur sait «par les sonorités et la graphie de ton nom
que tu es étranger et que tu appartiens à telle ou telle ethnie.»314 La société française est
entres les classes et entre les ethnicités qui constituent la société contemporaine française,
livre fait référence, est plus évidente pour le lectorat francophone. Pour un public
anglophone, il faut essayer de conserver ce contexte culturel, il est très important que le
lectorat cible comprenne que Myriam est maghrébine et musulmane afin qu’ils décèlent les
préjugés de classe qui sont présents dans le roman. Par exemple, quand Myriam s’est rendue
dans une agence spécialisée dans la garde d’enfants, la gérante l’a prise pour une nounou
plutôt qu’une cliente potentielle et pourquoi ? Tout simplement : parce qu’elle est
314
BALLARD Michel, « La traduction du nom propre comme négociation » Palimpsestes, n° 11, (Actes du
colloque des 22, 23 et 24 mai 1996: Traduire la culture), 1998, p. 199-223. p. 202.
109
maghrébine et les nounous en France sont souvent des immigrantes ou des Françaises
pauvres comme Louise. En gardant le nom Myriam Charfa, nous espérons que le lectorat
foreignisation paradoxalement entraîne une perte pour les lecteurs qui n’ont pas de
tribunal de Bobigny qui se trouve dans le quartier de Saint Denis, qui est connu en France
pour son taux élevé de criminalité et taux de chômage élevé, ainsi que la plus forte
proportion d’immigrés de la France métropolitaine. Dans cette façon, le nom propre « sert,
en principe, à designer un référent unique, qui n’a pas d’équivalents.»315La seule stratégie
qui existe afin de rendre cette connaissance explicite pour le lecteur qui n’est pas familier
avec le quartier, est une note de traducteur. Dans notre traduction, nous n’avons opté pour
cette stratégie qu’une seule fois car nous sommes d’accord avec l’affirmation de Landers que
«footnotes break the flow, disturbing the continuity by drawing the eye, albeit briefly, away
Cependant, nous avons ajouté une note de traducteur pour le mot ‘Khamsa hand’ car nous
pensons qu’il serait important que le lecteur anglophone sache que Myriam est musulmane
et maghrébine. Par conséquent, nous avons décidé d’employer une note de traducteur
seulement si elle contient un élément nécessaire pour une traduction précise de l’intention de
l’auteur. Ainsi, nous avons opté pour la stratégie d’omission dans la traduction de
l’acronyme « SAMU », nous n’avons pas d’association équivalente en Irlande et nous avons
décidé qu’une note de traducteur briserait inutilement la lecture car elle ne contient pas
110
Une autre stratégie que nous avons employée en cas de perte est la stratégie de
compensation. Nous avons traduit le mot ‘mairie’ par ‘Town Hall’ qui entraîne une perte du
sens car nous n’avons pas la même institution en Irlande avec les mêmes pouvoirs
administratifs, de plus, la garde d’enfants en Irlande est un secteur privé, l’état joue un rôle
beaucoup moins important qu’en France. Néanmoins, nous avons compensé cette perte en
traduisant ‘ils ne connaissaient personne à la mairie’ par ‘they didn’t have any
connections at the Town Hall’, cette compensation évoque la même idée dans le texte
source ; qu’ils n’avaient pas de contacts avec le pouvoir administratif pour les aider à trouver
La Répétition et La Lisibilité
Dans son œuvre, Slimani répète souvent le pronom ‘elle’ par contre, «English usage
prefers avoiding repetition.»317 De même, elle commence des phrases souvent avec des
conjonctions, une autre pratique qu’on ne voit pas dans l’usage courant de l’anglais. Ces
tendances révèlent un grand défi pour le traducteur ; «whether to reproduce this, honouring
the author’s style, or to shape a more readable English.» 318 Comme nous avons déjà
souligné, nous sommes d’accord avec Brannen et l’idée qu’il faut adapter le style du texte
source à l’usage courant de la langue cible. Dès que possible nous avons évité la répétition
du prénom ‘elle’ et nous n’avons pas commencé des phrases avec des conjonctions de
coordinations car nous pensons qu’une telle présentation du style de Slimani ne maintient
pas la qualité de son écriture et «the translator has a moral obligation to protect his or her
author, a responsibility that includes safeguarding the writer from looking silly in the new
317
HARMAN Nicky, “FOREIGN CULTURE, FOREIGN STYLE”, Taylor & Francis, 2006, Vol. (14) No. (1),
p. 13-31. p.19.
318
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
133.
111
language»319 Nous avons plutôt opté de lier des phrases qui commencent avec le pronom
‘elle’ et de supprimer de conjonctions au début des phrases. Par exemple, nous avons lié ces
Cela dit, grâce au style narratif à la troisième personne du texte, il est difficile d’éviter la
répétition du pronom ‘elle’ et nous avons particulièrement visé les phrases pour lesquelles
une telle répétition donnerait une lourdeur inutile à la phrase ou suscite une lecture saccadée.
intègrent la modulation et la domestication. Nous avons opté pour ces stratégies afin de
rendre la lecture plus idiomatique. Toutes les expressions figées ont été traduites par leurs
équivalentes en anglais, comme par exemple, nous avons traduit l’expression ‘à se faire la
main’ par l’expression ‘to gain hands-on experience’. D’une manière similaire nous avons
employé la modulation dans les contextes où elle suscite une traduction plus idiomatique,
comme par exemple, nous avons traduit la phrase ‘Louise se fige’ par ‘Louise doesn’t move
an inch’. Toutes ces stratégies nous permettent de produire une traduction qui se lit comme
le texte source.
L’Étoffement et La Syntaxe
Slimani emploie des phrases courtes, souvent sans connecteurs logiques, qui ne
convient pas à la syntaxe anglaise. Pour recréer ce style des phrases simples, directes et
précises, nous avons opté de changer la longueur des phrases, ainsi que d’employer la
319
Ibid. p. 84.
112
ponctuation d’une manière qui rend les phrases plus succinctes, plutôt que d’employer
l’étoffement afin de rendre ces phrases grammaticalement correctes en anglais. Par exemple,
nous avons fusionné les trois phrases suivantes en une seule phrase concise :
L’inverse est vrai aussi, parfois nous avons créé des phrases distinctes au lieu d’une seule
«She puts her makeup on. The blue eye shadow ages her. From a
distance, her slender delicate frame makes her seem barely twenty
years old.»
conviendrait pas, dans le cas d’ambiguïté autour de sens d’un mot ou d’une phrase et afin
de rendre certaines phrases plus idiomatiques mais seulement pour fournir «as much
dans la phrase suivante, nous avons ajouté le mot ‘family’ pour souligner que le mot
«She talks about the Rouvier Family, who feature at the top of the
list.»
D’une manière similaire, nous avons dû étoffer la phrase suivante pour expliquer le sens du
320
Ibid. p. 80.
113
«Pour se rassurer, elle s’est rendue dans une agence qui venait
d’ouvrir dans le quartier»
Comme nous avons déjà vu, le contexte linguistique, social et politique dans lequel le
roman se situe joue un rôle important, voire primordial, dans la façon dont un lecteur
Slimani est la mise en question de la place des femmes en tant que mères et en tant que
nounous au sein de l’organisation sociale actuelle en France. Newmark souligne que «in
reading, you search for the intention of the text, you cannot isolate this from understanding,
they go together.»321 À travers un fait divers meurtrier, Slimani dénonce l’inégalité et les
préjugés de classe qui dominent le monde domestique en France. Ce message subliminal est
ce que Newmark appelle «the sub-text»322 ; le message derrière le texte qui est à découvrir
entre les lignes du récit. Slimani a précisé plusieurs fois qu’elle veut que le lecteur soit actif.
Elle veut qu’il s’interroge sur la société dont il fait partie, de la réalité socioculturelle et
économique des femmes dans cette même société et la forme de ce roman reflète ce souhait
Autrement dit, pour le lectorat francophone, le contexte dans lequel le livre se situe ainsi que
l’intention implicite de l’auteure, seront plus ostensibles. Par contre, l’effet que le récit aura
sur un public anglophone et bien la façon dont le public anglophone interprétera ou percevra
le «sub-text» du roman n’est pas aussi évidente. Landers souligne que «it’s always a bonus
321
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 12.
322
Ibid. p. 77.
114
when the translator succeeds in retaining the quasi-subliminal elements of a text»323 mais
comment est-ce qu’on peut savoir si on a réussi «to reproduce in the TT the ‘same’ effect
Tout d’abord, Newmark affirme qu’il faut connaître notre lecteur cible, qui dans
notre cas sera en général «an educated, middle-class readership.»325 Nous envisageons qu’un
tel lecteur aurait une connaissance de base des thèmes que Leïla Slimani évoque dans son
écriture, ainsi qu’une connaissance de base de la société française. Nous avons suivi le
conseil de Newmark qui préconise qu’un traducteur «must not write down to [their] reader»
car il croit que le lecteur intelligent sait lire entre les lignes, il sait décerner le «sub-text» et
qu’un traducteur qui privilégie le lecteur cible a une tendance «to go beyond the words of the
original.»326
Afin d’évoquer un effet équivalent chez notre lectorat anglophone nous avons essayé
approche nous a aidé dans cette quête d’harmonie entre les stratégies qui privilégient les
caractéristiques du texte cible, et celles qui privilégient la compréhension chez les lecteurs
cibles. La stratégie de foreignisation nous permet de garder les éléments ‘étrangers’ du texte,
adaptation nous aident à transposer la nuance des connotations linguistiques dans le roman.
Cependant, le théoricien Nigel Armstrong pense qu’un traducteur ne sait jamais s’il a
vraiment réussi à évoquer un effet équivalent chez son lectorat car «the only effect
323
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
70.
324
ARMSTRONG Nigel, Translation, Linguistics, Culture : A French-English Handbook, 2005, Great
Britain : Cromwell Press Ltd. p. 45.
325
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 77.
326
Ibid. p. 80.
115
translators can truly know is that produced on their own minds, and therefore the only
L’utilisation de ces stratégies et l’analyse des choix que nous avons faits au cours de
notre traduction, mènent à identifier nos habitudes linguistiques, notre façon caractéristique
d’employer le langage, et nos traces personnelles, qui constituent notre style individuel en
Elle soutient que la motivation derrière nos choix peut seulement être comprise par ce que
nous savons du traducteur en question. Un point qui nous ramène au propos du Frank Wynne
Dans notre cas, nous nous identifions avec l’auteure en tant que femme, nous partageons la
même vision d’égalité et du monde grâce à notre parcours similaire, nous avons toutes les
deux étudié la science politique. Nous partageons une sensibilité pour les gens ; un regard
sociologique et neutre. Nos choix reflètent cette affinité personnelle que nous avons pour
Slimani et les valeurs pour lesquelles elle lutte. De plus, nous partageons également un style
d’écriture similaire ; le minimalisme. C’est pour ces raisons que nous soutenons que notre
style en tant que traducteur convient au style de Slimani et c’est pour ces raisons que nous
pensons que notre traduction convient mieux qu’une autre. Cependant, notre traduction n’est
327
ARMSTRONG Nigel, Translation, Linguistics, Culture : A French-English Handbook, 2005, Great
Britain : Cromwell Press Ltd. p. 45.
328
BAKER Mona, "Towards a methodology for investigating the style of a literary translator," International
Journal of Translation Studies, 2000, Vol. (12) No. (2), p. 241-266. p. 258.
329
http://www.le-mot-juste-en-anglais.com/2000/12/frank-wynne-traducteur-du-mois-de-decembre-2012.html,
consulté le 29 mars 2017.
116
qu’une seule version possible et c’est à vous notre lecteur, de décider si nous avons réussi à
117
Conclusion
Dans notre mémoire nous avons essayé de démontrer le côté créatif et subjectif de la
choisissant de traduire un livre comme, Chanson Douce, nous voulons souligner le rôle
important que joue un traducteur dans la transmission de la littérature d’une langue et culture
aux autres. Nous nous sommes appuyés sur le travail de Benjamin et son idée qu’il y a des
livres qui méritent d’être traduits. Et pourquoi ? La réponse, tout simplement ; parce qu’ils
apportent quelque chose à l’humanité, ils ont une valeur humaine. Une auteure comme Leïla
Benjamin préconise. Slimani écrit «pour regarder les choses en face.»330 Elle aborde des
thèmes qui sont à la fois universels et particuliers à la société française, notamment la place
des femmes dans le monde contemporain d’aujourd’hui. Elle a un style féroce et tranchant,
qui pousse le lecteur à s’interroger d’une manière profonde ; elle nous pousse à regarder les
choses en face. La voix engagée et humaniste de Slimani apporte une énorme importance
dans la lutte pour l’égalité chez les femmes à travers le monde entier, car il y a peu
d’écrivains aujourd’hui qui savent parler au féminin comme Slimani : «de manière
universelle, sans pathos et avec une plume qui va droit aux tripes.»331
Le grand défi auquel le traducteur doit faire face en traduisant ce livre est le style
unique de Slimani. Le récit ne pose pas beaucoup de défis culturels car la base de la trame
narrative a été transposée d’un fait divers new-yorkais. La traduction du style d’un écrivain
traducteur lui-même possède un style particulier. Nous avons tourné vers le travail de Baker,
330
http://www.glamourparis.com/culture/livre-a-lire/articles/chanson-douce-pourquoi-faut-il-absolument-lire-
leila-slimani-/47089, consulté le 27 juin 2017.
331
Ibid.
118
Hermans et Munday dans notre recherche de la notion du style afin d’identifier un fil
conducteur parmi les perspectives théoriques du style. Nous partageons avec ces théoriciens,
l’opinion que les traducteurs possèdent des styles individuels et qu’ils se manifestent dans
les choix qu’ils font consciemment et inconsciemment lorsqu’ils traduisent. Nous voulons
souligner la réalité qu’un traducteur est un être vivant qui possède un idiolecte personnel,
ainsi qu’une vision particulière du monde et cette réalité influence la façon dont un
traducteur interprète et aborde une traduction. De plus, c’est pour cette raison qu’on constate
une telle variété parmi les traductions du même texte source, comme Bellos souligne, «give
a hundred competent translators a page to translate, and the chances of any two versions
being identical are close to zero.»332 Pour nous, cette année et ce mémoire, représentent
notre quête personnelle à identifier notre style individuel, notre voix, notre empreinte de
pouce en tant que traducteur. La recherche supplémentaire, sous la forme d’une comparaison
entre notre traduction et la traduction officielle, sera nécessaire afin de concrétiser les idées
que nous avons présentées dans ce mémoire autour de la notion du style. Comme Baker nous
rappelle, «if theorists of translation wish to argue convincingly that translation is a creative
and not only a reproductive activity, it is imperative that we begin to explore the notion of
style.»333
recréer son style et l’aperçu qu’elle nous donne de la société contemporaine française. Pour
atteindre ce but nous nous sommes inspirés du travail de Vinay et Darbelnet, ainsi que
Venuti, Landers et Newmark. Avec une variété des stratégies, souvent tirées des théories qui
332
BELLOS David, Is That a Fish in Your Ear?: Translation and the meaning of everything, 2014, New York :
Faber & Faber. p. 8.
333
BAKER Mona, "Towards a methodology for investigating the style of a literary translator," International
Journal of Translation Studies, 2000, Vol. (12) No. (2), p. 241-266. p. 262.
119
sont en apparence opposantes, nous avons essayé de recréer la voix et le style d’écriture de
Slimani. Nous affirmons que grâce à notre parcours similaire et l’affinité que nous portons
envers les valeurs et la vision du monde évidentes dans l’écriture de Slimani, notamment son
regard sociologique et neutre sur les êtres que nous sommes, notre idiolecte se révèle comme
essai, Sexe et Mensonges, qui traite le sujet de la sexualité au Maroc. Elle a passé deux
années de recherche pour recueillir des témoignages des Marocains, pour la plupart des
femmes, qui racontent leurs expériences sexuelles. Ce dernier essai est aussi en train d’être
adapté en bande-dessinée et qui sortira le même jour. De plus, ses deux premiers romans
seront adaptés au cinéma par Jacques Fieschi pour Dans le jardin de l’ogre et par Maïwenn
pour Chanson Douce.334 Leïla Slimani sera un nom que nous entendrons beaucoup dans les
mois et années à venir. Sa plume a été aiguisé et elle est prête de faire entendre sa voix
334
http://www.huffpostmaghreb.com/2017/07/08/leila-slimani-conference-rabat-chanson-douce-
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120
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