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Une traduction littéraire de Chanson Douce de Leïla Slimani

Kathy Dillon

Thesis submitted in part-fulfilment of the requirements for the qualification of MA in

Advanced Language Skills (French)

National University of Ireland, Galway

French Department

August 2017

Supervisor of Research: Dr Máire Áine Ní Mhainnín


Remerciements

Je voudrais remercier tout particulièrement ma directrice de thèse, Dr Máire Áine Ni

Mhainnín, pour son soutien constant et sa gentillesse au fil de cette année. Je voudrais aussi

remercier mes parents, sans qui je n’aurais jamais eu l’occasion de participer à ce master.

2
Table des matières


Introduction .............................................................................................................................4

Premier chapitre : Une auteure audacieuse : Leïla Slimani et son roman Chanson Douce
...................................................................................................................................................8

1.1 Qui est Leïla Slimani ? .......................................................................................................8

1.2 Le roman : Chanson Douce ..............................................................................................10

Deuxième chapitre : Notre démarche théorique de la traduction de Chanson Douce ...15

2.1 La traductologie appliquée à l’œuvre ...............................................................................15

2.2 Les dilemmes traductologiques que pose Chanson Douce :

La question stylistique............................................................................................................18

Troisième chapitre : Notre traduction des neufs premiers chapitres de

Chanson Douce ......................................................................................................................23


Quatrième Chapitre : Commentaire de la traduction .....................................................100

4.1 Une analyse des défis rencontrés et des stratégies employées ........................................100

4.2 La mise en œuvre des stratégies employées ...................................................................106

Conclusion ...........................................................................................................................118

Bibliographie .......................................................................................................................121

3
Introduction


The practice of translation rests on two presuppositions. The first is that we are
all different - we speak different tongues and see the world in ways that are deeply
influenced by the particular features of the tongue we speak. The second is that we
are all the same - that we can share the same broad and narrow kinds of feelings,
information, understandings, and so forth. Without both of these suppositions,
translation could not exist. Nor could anything we would like to call social
life. Translation is another name for the human condition.

- David Bellos, Is That a Fish in Your Ear?1

La tension entre ces deux présuppositions ; entre ce qui nous distingue et ce qui nous unit en

tant qu’êtres humains, est incarnée dans la tâche du traducteur au cours du processus de la

traduction. Comme médiateur de deux mondes qui sont linguistiquement et culturellement

différents, le traducteur en formation apprend à créer un lien commun entre ce que les

langues partagent et les façons dont elles se distinguent. Cette tâche, bien entendu, s’appuie

sur la vaste quantité des théories dans le domaine de la traductologie, mais qui a aussi un

élément très personnel, comme le traducteur Frank Wynne nous rappelle, «translation is

informed by everything we read, by the films we see, the music we listen to, the

conversations we have.»2 Ce mariage entre ce qui nous distingue et ce qui nous unit, entre

l’universalité d’une langue et nos expériences linguistiques personnelles, se mêlent à travers

le processus de la traduction pour nous fournir avec une traduction.

Cette année nous avons eu l’occasion de travailler avec une grande variété des

textes et supports différents, cependant la traduction littéraire nous attire particulièrement car

elle démontre le défi créatif et la dualité d’approche que le processus de la traduction


1
BELLOS David, Is That a Fish in Your Ear?: Translation and the meaning of everything, 2014, New York :
Faber & Faber. p. 324.
2
http://www.le-mot-juste-en-anglais.com/2000/12/frank-wynne-traducteur-du-mois-de-decembre-2012.html,
consulté le 29 mars 2017.

4
réclame, ainsi que l’élément personnel et inhérent des choix qu’un traducteur fait au cours de

ce même processus. Nous voulions entreprendre une voie de recherche qui nous permettrait

d’examiner la dimension artistique de la traduction ; une voie qui nous permettrait de

découvrir notre façon individuelle d’aborder la traduction d’un texte littéraire. Par

conséquent, nous préconiserons au cours de ce mémoire une approche théorique qui reflète

la «pratique mixte, métissée [et] hybride»3 de la traduction, ainsi qu’une approche qui

envisage «la traduction dans la perspective des agents de la traduction, de leurs dispositions

et de leur trajectoire sociale.»4

Grâce au conseil de notre directrice de la recherche, nous sommes tombés sur

l’auteure Leïla Slimani et son roman, Chanson Douce ; l’œuvre qui servirait comme notre

terrain d’essai dans notre recherche. Ayant gagné la plus prestigieuse récompense littéraire

française, ce roman se révèle comme un grand chef-d’œuvre de la littérature contemporaine

française. L’Académie Goncourt, une association de dix membres, a une mission

spécifique ; couronner l’œuvre la plus imaginative de l’année en cours. Grace à son style sec

et nuancé ; son écriture à la fois concise et fluide, Slimani a réussi à transformer un fait

divers d’une nounou meurtrière, en une analyse poignante et pertinente de la société

contemporaine française. Elle a transposé à Paris ce fait divers new-yorkais, où la nounou

portoricaine d’une famille aisée a assassiné les deux enfants dont elle avait la garde et a tenté

de se donner la mort. Une grande lectrice de faits divers, Slimani avoue qu’elle était fascinée

par le «mystère de cette femme qui n’a jamais véritablement donné d’explication»5 et par la


3
GOUANVIC, Jean-Marc, « Au-delà de la pensée binaire en traductologie : esquisse d’une analyse
sociologique des positions traductives en traduction littéraire. » TTR : traduction, terminologie, rédaction,
2006, Vol. (19) No. (1), pp.123-134. p. 124.
4
Ibid. p. 126.
5
http://afrique.lepoint.fr/culture/leila-slimani-le-maghreb-vit-dans-la-culture-de-l-hypocrisie-et-du-mensonge-
15-09-2016-2068548_2256.php, consulté le 20 juillet 2017.

5
«relation employé-employeur très particulière»6 entre une nounou et son patron. Elle a

trouvé dans cette tragédie enfantine une trame narrative saisissante et une façon à lever le

voile sur la dure réalité de la maternité et le monde domestique, comme elle affirme, «je me

suis rendue compte que derrière l’histoire banale d’une famille et d’une nounou, il y avait

énormément des choses à dire sur notre société, sur les femmes, sur l’éducation. Mais je ne

savais pas comment traiter cette histoire et c’est la découverte de ce fait divers à Manhattan

qui m’a fourni une trame narrative.»7

Après avoir lu le livre, nous étions frappés par la voix engagée de l’auteure et le

pouvoir de sa plume. Les thèmes que Slimani aborde dans son roman ; l’égalité des femmes,

la lutte des classes, la maternité et le monde domestique, évoquent le travail de Walter

Benjamin et surtout son idée qu’il y a des livres qui se prêtent à la traduction. Ces livres

possèdent une qualité commune ; ils apportent quelque chose à l’humanité. Ils nous donnent

un aperçu des êtres humains que nous sommes. Ils révèlent des vérités universelles et donc

sont des livres qui demeurent pertinents d’une époque à une autre. Nous partageons cette

vision de Benjamin et nous trouvons dans ce roman et l’écriture de Slimani, une importance

sociale, politique et économique pour notre époque et pour les années à venir. Au cours de

ce mémoire nous justifierons les raisons pour lesquelles nous affirmons que Chanson Douce,

se révèle comme un livre qui mérite d’être traduit et qui se prête à la traduction.

La forme flash-back du roman rend le lecteur avidement attentif dès la première

ligne. Il est indubitable que Slimani possède une immense créativité et une autorité

stylistique à part. Son style concis ; ses phrases courtes, son économie des mots et le ton


6 Ibid.
7
http://www.glamourparis.com/culture/livre-a-lire/articles/chanson-douce-pourquoi-faut-il-absolument-lire-
leila-slimani-/47089, consulté le 27 juin 2017.

6
neutre du texte, rendent son écriture minimaliste et clinique à la fois. Ce style contemporain

représente le plus grand défi pour le traducteur de ce livre et suscite un débat autour de la

traduction du style qui est insuffisamment étudiée en ce moment au sein de la traduction

littéraire. La base théorique de ce mémoire met en question les stratégies qui existent afin de

transmettre le style d’un auteur et s’appuie sur le travail des théoriciens qui évoquent l’idée

que les traducteurs eux-mêmes possèdent des styles individuels. Le but de ce mémoire est de

transmettre la voix engagée de l’auteure et son style unique. Avec la traduction des neufs

premiers chapitres du roman, nous étudierons comment nous avons essayé d’atteindre ce but

et examinerons la notion d’un style personnel chez les traducteurs.

7
Premier chapitre : Une auteure audacieuse : Leïla Slimani et son
roman Chanson Douce

1.1 Qui est Leïla Slimani ?


Leïla Slimani est une jeune auteure franco-marocaine. Née à Rabat en 1981, elle a

grandi au Maroc. Elle est issue d’une famille aisée, sa mère franco-algérienne était médecin

et son père marocain a travaillé en tant que banquier. Elle a eu une éducation française et est

venue en France pour suivre ses études en Sciences Politiques et à l’ESCP, un parcours assez

conventionnel pour une bourgeoise. Cependant, Slimani n’est pas du tout une femme

ordinaire, cette franco-marocaine de 35 ans, connaît déjà un immense succès littéraire en

décrochant le prix Goncourt ; le prix littéraire le plus convoité en France.

Avant qu’elle ne se soit consacrée pleinement à l’écriture, elle a travaillé en tant

que journaliste à l’Express et au magazine Jeune Afrique. À cause de son travail, elle a

développé son amour pour la plume, sa curiosité et surtout sa passion de «recueillir la voix

de ceux que habituellement on n’entend pas»8, comme elle souligne elle-même. Grâce à sa

parole engagée, elle est devenue une militante pour les voix qu’on n’entend jamais,

notamment chez les femmes. Elle est une porte-parole pour la liberté de femmes ; une valeur

qui est le fil conducteur de son écriture, elle a remarqué que «tant qu’existera une seule

femme qui est discriminée en raison de son sexe, je serai féministe.»9 Cet activisme vient

principalement de son expérience en tant que femme au monde d’aujourd’hui. Elle soutient

que c’est le monde qui l’a rendue féministe. Son enfance au Maroc l’a fait comprendre que

les femmes n’ont pas les mêmes droits, ni les mêmes libertés personnelles que les hommes.

Ses parents étaient très angoissés d’avoir trois filles au Maroc. Elle souligne le fait que «les


8
https://www.youtube.com/watch?v=Np21g_lBMlI, consulté le 4 mars 2017.
9
Ibid.

8
filles représentent un demi-homme au Maroc sur le plan administratif, tant qu’elles ne sont

pas mariées, elles n’existent pas véritablement socialement.»10 Par conséquent, les femmes

au Maroc vivent dans une société où elles n’ont pas le droit d’être une personne à part

entière. Leurs corps appartiennent à leurs pères puis à leurs maris. Cette réalité, selon

Slimani, a pour conséquence «une intrusion constante des autorités dans l’intimité des

femmes, une immense confusion entre vie privée et vie publique.»11

De la même façon à Paris, elle se souvient de la première fois qu’elle ait pris le métro tard le

soir et s’est rendue compte que «quand on est femme, on n’a pas la même zone de confort,

qu’on peut dire que peut avoir les hommes.»12 Et bien la première fois qu’elle ait passé un

entretien d’embauche et que le recruteur lui a demandé si elle avait l’intention d’avoir des

enfants. Le simple fait qu’elle n’est que la douzième femme à obtenir le prix Goncourt

montre la profondeur de la lutte que Leïla Slimani aborde avec sa plume : une lutte qui en

fait «une écrivaine littérairement et politiquement audacieuse.»13

Son style sec, tranchant et nuancé est sans doute influencé par son parcours

professionnel en tant que journaliste. «L’art du détail pertinent et la construction, par petites

touches, de personnages terriblement crédibles caractérisent la plume de Leïla Slimani»,14

affirme la journaliste Suzanne Gervais dans sa critique littéraire de Chanson Douce. Son

économie de mots donne une dimension minimaliste à son écriture qui a séduit le jury

Goncourt en 2016. Elle rend la vie ordinaire profonde et nous donne un aperçu poignant de

la société française contemporaine, tout en gardant un ton neutre. Leïla Slimani est une

auteure qui sait aborder les thèmes sensibles sans faire aucun jugement, comme Gervais

10
Ibid.
11
http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Leila-Slimani-rencontre-avec-la-romanciere-de-l-ultramoderne-
solitude-des-femmes-3142603, consulté le 18 avril 2017.
12
https://www.youtube.com/watch?v=Np21g_lBMlI, consulté le 4 mars 2017.
13
http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Leila-Slimani-rencontre-avec-la-romanciere-de-l-ultramoderne-
solitude-des-femmes-3142603, consulté le 18 avril 2017.
14
http://www.cairn.info/revue-etudes-2016-12-page-93.htm, consulté le 18 avril 2017.

9
souligne «l’écriture vive et clinique, se garde de toute posture moralisatrice.» 15 Elle

démontre le côté humain des réalités complexes et injustes. Elle représente les voix que

souvent on n’entend pas et sa voix va beaucoup compter dans les années à venir. Cette

année, d’après Gervais, «l’Académie Goncourt semble être revenue à sa mission initiale :

couronner de jeunes auteurs»16 et cette jeune auteure n’est que au début de sa carrière et

comme Bernard Pivot, un membre du jury Goncourt, souligne «elle n’a écrit que deux

romans, mais elle en écrira d’autres. C’est une femme talentueuse.»17

1.2 Le roman : Chanson Douce

Chanson Douce est le deuxième roman écrit par Slimani. Il se lit comme un thriller

tout en reflétant la société française contemporaine. À travers le meurtre de deux jeunes

enfants par leur nounou, Slimani nous invite à nous interroger sur les divisions entre les

classes, la misère sociale et la place de femmes au sein d’une République basée sur la liberté,

l’égalité et la fraternité.

L’idée pour le récit est née d’un fait divers de 2012 qui a eu lieu à New York. Une

nounou garde les enfants d’une famille aisée depuis plusieurs années, puis un jour la mère

est rentrée et elle a trouvé les pièces plongées dans le noir et les enfants assassinés par la

nounou qui avait tenté de se donner la mort. Slimani a révélé lors d’un entretien avec le

magazine Elle que «[l]’écriture est partie de là.»18

Myriam et Paul, un jeune couple bourgeois bohême possèdent toutes les valeurs

progressistes qui sont en théorie associées avec leur classe, comme par exemple la mixité

sociale. Ils se trouvent confrontés avec la réalité de ces mêmes valeurs quand Myriam veut

15
Ibid.
16
Ibid.
17
http://www.rfi.fr/culture/20161103-prix-goncourt-leila-slimani-portrait-doux-ecrivaine-ogresse, consulté le
20 avril 2017.
18
http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Leila-Slimani-rencontre-avec-la-romanciere-de-l-ultramoderne-
solitude-des-femmes-3142603, consulté le 18 avril 2017.

10
reprendre le travail. Myriam représente beaucoup de femmes modernes qui cherchent un

équilibre entre la maternité et la reconnaissance au travail ; une liberté qui est souvent niée

aux femmes partout au monde. L’idée qu’il faut dénoncer la maternité pour travailler

apparaît indigne à Slimani qui pense que «c’est très important de dire que c’est possible

d’être une artiste et d’être en même temps une mère et d’être une femme accomplie.»19

Cependant, Slimani nous rappelle qu’au sein de l’organisation sociale qui est actuellement

en place en France et ailleurs, ce droit de travailler a un prix très lourd. Slimani souligne que

«notre organisation sociale repose depuis des centaines d’années sur le fait que les femmes

bourgeoises confient leurs enfants à d’autres femmes, moins privilégiées, afin de pouvoir se

consacrer à autres chose qu’à la maternité.»20 Cette tendance en France, notamment à Paris,

est aussi répandue dans d’autres pays, l’auteure elle-même a eu une nounou au Maroc. Par

conséquence, Myriam doit trouver une nounou pour garder ses enfants si elle veut profiter

du monde du travail et c’est ainsi que le jeune couple tombe sur Louise qui est en apparence

la nounou idéale, parfaite et irréprochable.

C’est ce monde de servitude ; la vie domestique, qui est mise en question dans le

roman. Un monde selon Slimani qui est «quasi invisible dont on parle très peu»21 et qui a au

cœur : la relation complexe entre une mère et sa nounou, ainsi que les affres des mères qui

«souhaitent s’épanouir ailleurs qu’au foyer.»22 Slimani construit un parallèle intriguant entre

Myriam et Louise au fil du récit qui démontre les tensions des femmes qui font partie de ce

même monde domestique. L’écart social entre Myriam et Louise est renforcé par la précarité

de la place sociale et économique que les nounous occupent. En dépit d’une valeur


19
https://www.youtube.com/watch?v=Np21g_lBMlI, consulté le 4 mars 2017.
20
http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/03/leila-slimani-chanson-douce-prix-goncourt-interview/, consulté le
27 février 2017.
21
http://www.elle.fr/Loisirs/Livres/News/Leila-Slimani-rencontre-avec-la-romanciere-de-l-ultramoderne-
solitude-des-femmes-3142603, consulté le 18 avril 2017.
22
http://www.cairn.info/revue-etudes-2016-12-page-93.htm, consulté le 18 avril 2017.

11
économique très faible, ces femmes portent une responsabilité énorme ; le bien-être de nos

enfants. De plus, Myriam est obligée de non seulement embaucher une femme moins

privilégiée qu’elle afin de pouvoir travailler en tant que avocate, mais aussi, une inconnue.

L’ambiguïté de ce rapport et la distorsion entre l’immense responsabilité et la valorisation

sociale dont ces femmes bénéficient, constituent le côté thriller au roman. Myriam, comme

beaucoup d’autres mères, laisse ses enfants dans les mains de quelqu’une, qu’en réalité elle

ne connaît pas du tout et selon Slimani, «c’est cette terreur, cette irrationalité qui donne son

côté thriller au roman.»23

La façon dont Slimani raconte cette histoire est extrêmement bien construite. Elle

commence par la fin : les morts de Mila et Adam, les enfants du jeune couple. Il y a deux

raisons pour lesquelles elle suit cette forme pour présenter son récit. Tout d’abord, l’histoire

en soi est très banale, s’occuper des enfants est le travail le plus répétitif au monde et d’après

Slimani ;

[C]’est précisément parce que l’histoire est banale qu’il fallait


commencer comme ça. Cela veut dire que le gros problème de ce
livre c’était la forme. L’histoire en elle-même est par définition très
répétitive.24

La deuxième raison est liée au plan narratif. Slimani veut que le lecteur soit actif et en

commençant par la fin, elle évoque un regard aigu chez les lecteurs. Nous, les lecteurs savent

plus que les parents, nous cherchons dès la première ligne des signes qui suggèrent que

Louise soit folle, nous la perçons à jour, nous voyons les moments où les parents sont

aveugles. Un sentiment que Gervais partage, «avec une grande intelligence narrative,

l’auteure remonte le temps. Le lecteur, avide, est happé dans l’engrenage. Il traque les


23
http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/03/leila-slimani-chanson-douce-prix-goncourt-interview/, consulté le
27 février 2017.
24
https://www.youtube.com/watch?v=4ftDYhYIqpM, consulté le 21 mars 2017.

12
indices, les fêlures de Louise, annonciatrices du drame.»25 Grâce à la forme de ce livre, le

lecteur attend toujours la crise qui pousse Louise à commettre ce crime affreux.

Au fur et à mesure la relation entre Myriam et Louise devient toxique. Myriam se

méfie du rôle que Louise joue au sein de sa famille. Elle attend le jour où elle n’aura plus

besoin d’elle. À travers la forme flash-back du roman, on découvre petit à petit, la vie

pitoyable que Louise a subie : une vie marquée par la solitude, la pauvreté et la misère

sociale. De façon similaire, on constate que le désespoir de Louise augmente au fur et à

mesure, chapitre par chapitre. «Cette façon d’être à la fois des intimes et des étrangers, cette

place à l’écart»26 renforce le mystère autour du personnage de Louise. L’ambiguïté de sa

place au sein de la famille et ce terreau d’humiliation possible, suscitent un malaise chez le

lecteur, qui est toujours en attente de la tragédie annoncée. À la fin du roman, on se retrouve

une fois encore à la scène de crime. Slimani nous laisse sans conclusion. C’est au lecteur de

porter un jugement sur le crime de Louise. Howell nous explique :

Even though Louise did stab the children, her vulnerabilities and
perplexities as a character reveal that Slimani is not as interested in
the specifics of detection as she is in the effects of social inequity
and unfilled maternal desire. 27

On n’entend jamais la voix de Louise et Howell soutient que c’est Louise qui reste la grande

énigme du roman, qui à la fin de l’histoire «no longer has a voice - and as Slimani seems to

suggest, perhaps never did.»28 À travers son style féroce et les thèmes que Slimani aborde

dans Chanson Douce, on frotte avec la hiérarchie, les apparences trompeuses et surtout le

fait qu’on ne se connaisse jamais, comme Slimani souligne :

Je suis persuadée qu’on ne connaît jamais quelqu’un, même si on vit


avec lui dans la plus grande intimité. Rien ne permet de résoudre le

25
http://www.cairn.info/revue-etudes-2016-12-page-93.htm, consulté le 18 avril 2017.
26
http://afrique.lepoint.fr/culture/leila-slimani-le-maghreb-vit-dans-la-culture-de-l-hypocrisie-et-du-mensonge-
15-09-2016-2068548_2256.php, consulté le 20 juillet 2017.
27
HOWELL Jennifer, “Chanson Douce”, The Journal of North African Studies, 2017, Vol. (22), No. (2), p.
301-303, p. 301.
28
Ibid.

13
mystère de l’autre. Ce qui s’en approche peut-être le plus, c’est la
littérature.29

Ce livre est intéressant à traduire sur plusieurs niveaux théoriques au sein de la

traductologie. Les thèmes de cet ouvrage, qui sont à la fois intemporels et universels,

notamment la mise en question d’égalité entre les sexes et entre les classes sociales,

évoquent l’idée de «traduisibilité» proposée par Benjamin. Un livre qui demeure pertinent au

fil des siècles est selon Benjamin, pas seulement un chef-d’œuvre mais aussi un livre qui se

prête à la traduction, voire mérite d’être traduit.

De la même façon, le style contemporain et minimaliste de Slimani, suscite

plusieurs défis au niveau stylistique, notamment le lien entre le style d’un auteur et le style

personnel d’un traducteur. À travers la recherche de Mona Baker, Jean Boase-Beier et Theo

Hermans, nous verrons l’importance de la lecture personnelle et la subjectivité de la part du

traducteur sur le style du texte cible et avec l’aide d’autres théoriciens, y compris ; Nida,

Vinay et Darbelnet, Venuti et Landers parmi d’autres, nous essaierons de fournir une

traduction qui reflète le style poignant de Slimani et l’importance sociale et philosophique de

sa voix engagée. Dans le chapitre suivant nous préciserons notre démarche théorique avant

d’aborder la traduction des neufs premiers chapitres du roman, Chanson Douce, dans notre

troisième chapitre.


29
http://afrique.lepoint.fr/culture/leila-slimani-le-maghreb-vit-dans-la-culture-de-l-hypocrisie-et-du-mensonge-
15-09-2016-2068548_2256.php, consulté le 20 juillet 2017.

14
Deuxième chapitre : Notre démarche théorique de la traduction
de Chanson Douce

2.1 La traductologie appliquée à l’œuvre

Un des gros problèmes pour un traducteur en formation est de savoir faire le

médiateur entre la vaste quantité de théories qui circulent au sein du domaine de la

traductologie. Cette difficulté est liée non seulement au fait que la nature de ce domaine est

multidisciplinaire mais aussi parce que souvent les traducteurs sont obligés de déployer des

stratégies qui sont issues des théories opposantes. Au cœur du débat théorique, on trouve le

rapport ambigu entre le texte source et le texte cible, un rapport qui était traditionnellement

juxtaposé d’une manière binaire et absolue.

Cependant, avec la traduction des neuf premiers chapitres de Chanson Douce, nous

voudrions démontrer que la pratique de la traduction réclame une approche qui reflète la

dualité du lien entre le texte source et la traduction, ainsi que la dualité du rôle que le

traducteur joue. De cette façon, nous avons adopté une démarche qui est basée sur cette

dualité, comme affirme Mansell, «[t]he roles of the translator and translation are important

in that neither belongs entirely to the source nor entirely to the target culture.»30 Nous

mettons l’accent sur le fait qu’un texte cible est à la fois une interprétation d’un texte source

et un texte en soi. De façon similaire, un traducteur joue le rôle d’interprète d’un texte source

et le rôle de créateur d’un texte cible. Nous soutenons qu’une telle démarche nous permettra

d’aborder une traduction d’une manière qui reconnaît la subjectivité de la part du traducteur,

et qui rend compte du contexte et des facteurs externes qui influencent la production d’une

traduction. En bref, une analyse qui rend compte de la complexité de la pratique de la


30
MANSELL, Richard, "Optimality in translation" in PYM Anthony et PEREKRESTENKO Alexander (dir.),
Translation Research Projects 1, 2007, Intercultural Studies Group: Spain, p.3-13, p. 5.

15
traduction littéraire «au-delà des oppositions simples et de surface»31 et qui rend compte de

la dualité de sa nature.

La traduction littéraire révèle le côté créatif du processus de la traduction et un livre

comme Chanson Douce, c’est-à-dire, un livre qui a décroché le prix littéraire français le plus

prestigieux, nous rappelle l’importance de la traduction dans la diffusion de grandes œuvres

littéraires d’une langue et culture aux autres. Pour reprendre les mots du célèbre traducteur

Ezra Pound, chaque âge d’or de la littérature est un âge d’or de la traduction. Pour nous cette

créativité repose sur le fait que «a translator, perhaps more than any other practitioner, is

continuously faced with choices»32, les choix qu’un traducteur fait ainsi que sa façon

d’interpréter et résoudre les défis auxquels il doit faire face réclament «une aptitude à

percevoir et à analyser de manière nouvelle le problème sous toutes ses formes.»33 La

recherche du mot-juste, de l’expression équivalente ou bien d’une façon de surmonter une

lacune culturelle représentent la quête créative entreprise par un traducteur car «the chase

after words and facts is unremitting and requires imagination.»34 Au cours de ce mémoire

nous montrerons que «the role of choice in literary translation cannot be overemphasised»35

et par conséquent «translation cannot but be, in some measure an appropriation of the

source.»36


31
GOUANVIC, Jean-Marc, « Au-delà de la pensée binaire en traductologie : esquisse d’une analyse
sociologique des positions traductives en traduction littéraire. » TTR : traduction, terminologie, rédaction,
2006, Vol. (19) No. (1), pp.123-134. p. 131.
32
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 8.
33
DANCETTE Jeanne, AUDET Louise et LAURENCE Jay-Rayon, « Axes et critères de la créativité en
traduction. » Meta: Journal des traducteurs/Meta: Translators' Journal, 2007, Vol. (52) No. (1), pp.108-122.
p. 117.
34
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 8.
35
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge: Cromwell Press Ltd. p.
9.
36
BELLOS David, Is That a Fish in Your Ear?: Translation and the meaning of everything, 2014, New York :
Faber & Faber. p. 315.

16
Ainsi, nous allons nous appuyer sur le travail de Benjamin qui pense que la

traduction littéraire est en effet ; une forme d’art. Selon Benjamin, un traducteur est

responsable de l’au-delà d’un chef d’œuvre littéraire. Le genre du livre que Benjamin

envisage quand il parle de cette intemporalité est celui qui apporte quelque chose à la

condition humaine ; un ouvrage qui nous donne un aperçu des êtres humains que nous

sommes. À travers l’œuvre de Slimani, comme explique son éditeur, «c’est notre époque qui

se révèle.»37 De plus, les thèmes universels et intemporels que Slimani met en question,

comme, par exemple, la place de femmes dans la société contemporaine, seront aussi

pertinents dans les années à venir qu’à notre époque. La lutte pour l’égalité existe depuis

l’aube de l’humanité et touche toutes les sociétés et toutes les époques. Par conséquent,

Chanson Douce, est un livre, dirait Benjamin, qui possède la «traduisibilité» : l’élément

indispensable de ces livres qui se prêtent à la traduction et qui méritent d’être traduits.

En poursuivant ce fil conducteur de la dualité du rôle du traducteur, le contexte

d’une traduction ainsi que l’aspect créatif de la traduction, nous nous inspirerons du travail

de Mona Baker, Jean Boase-Beier, Gabriela Saldanha, Andrew Chesterman et Lawrence

Venuti. Dans le cas particulier de ce mémoire, un des grands défis auquel le traducteur doit

faire face est la traduction du style de Slimani. Avec l’aide des théoriciens déjà mentionnés

ci-dessus, nous préciserons l’importance de la question stylistique dans notre traduction de

Chanson Douce, la lecture personnelle du traducteur, ainsi que l’individualité et la diversité

de chaque traduction entreprise par un traducteur. De cette façon, nous voulons mettre

l’accent sur l’idée préconisée par Venuti que chaque traduction ne nous offre qu’une seule

version possible d’un texte cible car :

A foreign text is the site of many different semantic possibilities that


are fixed only provisionally in any one translation, on the basis of


37
http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/03/le-prix-goncourt-2016-attribue-a-leila-slimani-pour-chanson-
dou/?utm_hp_ref=fr-culture, consulté le 12 février 2017.

17
varying cultural assumptions and interpretative choices, in specific
social situations, in different historical periods. 38

Notre traduction alors n’est qu’une seule version possible, mais grâce à la dualité de notre

approche théorique envers le rapport entre le texte source et le texte cible, nous justifierons

l’importance de notre traduction à la traductologie et pourquoi nous pensons que notre

traduction convient mieux qu’une autre version.

2.2 Les dilemmes traductologiques que pose Chanson Douce : La question stylistique.

La question du style est essentielle dans la traduction de Chanson Douce de français

en anglais. Le récit en soi ne pose pas beaucoup de difficultés car au niveau culturel,

l’histoire peut être facilement transposée à la capitale d’Irlande. Slimani elle-même a

transposé le fait divers new-yorkais à Paris. Notre traduction alors met l’accent sur le fait

que Slimani ait gagné le prix Goncourt pour son style sec et minimaliste : elle se distingue

avec son style et c’est cela qui rend l’histoire intéressante sur le plan narratif. Par

conséquent, notre traduction réclame la mise en place des stratégies qui facilitent la

traduction de style d’un auteur, ainsi que le besoin d’examiner au niveau théorique le débat

autour de la question stylistique. Ainsi, nous nous tournons vers le travail de Mona Baker.

Baker partage avec Venuti le sentiment qu’une traduction n’est jamais une simple question

de reproduction. Elle est également d’accord avec le fait que la traduction littéraire est un

processus créatif qui a une dimension subjective et individuelle. Au cours de ses recherches,

elle étudie les façons différentes dont une traduction est influencée par les idiosyncrasies des

traducteurs, notamment la question du style personnel d’un traducteur comme elle affirme ;

“if translation is a creative activity, as I believe it is, then translators cannot simply be

‘reproducing’ what they find in the source text - somewhere along the line each translator

38
VENUTI, Lawrence. The translator's invisibility: A history of translation, 2008, New York : Routledge.
p. 18.

18
must be leaving a personal imprint on the new text.”39 Selon Baker, le style d’un traducteur

est représenté par les choix linguistiques et stylistiques qu’il fait, et dans cette manière, le

traducteur développe une approche particulière afin d’aborder une traduction. Elle soutient

aussi que le genre littéraire et thématique qu’un traducteur choisit de traduire fait partie de

son style personnel. Elle souligne le fait que souvent un traducteur choisit un auteur

«because they feel they have a particular affinity with the author.»40 De la même façon elle

pense que ;

If we accept that the themes that a particular writer such as Virginia Woolf or
Mark Twain chooses to write about constitute part of his or her ‘style’ then the
same principal must be applied to the study of style in translation. 41

Jean Boase-Beier est d’accord avec l’idée que le style est une question de choix chez

l’auteur et également chez le traducteur, elle pense que «distinctiveness arises because of

choice exercised by a writer.»42 Selon elle, ces choix représentent la vision du monde de

l’auteur car «a writer embodies in language his or her experience of the world.» C’est le

travail du traducteur de discerner le sens derrière ces choix, de déduire les intentions de

l’auteur et de déterminer le but de son écriture à travers sa lecture personnelle. Elle définit le

style comme ; “the variation within a language based on optionality, and so differs in this

respect from regional or social dialects, and also from the rules and principles of grammar

about which we have no choice.”43 Sa notion du style partage quelques points en commun

avec le rôle du traducteur envisagé par les linguistes Vinay et Darbelnet, qui pensent que la

principale préoccupation chez le traducteur est ; «the realm of stylistics.»44 Pour Vinay et

Darbelnet, après avoir réalisé toutes les transformations obligatoires entre deux systèmes


39 BAKER Mona, "Towards a methodology for investigating the style of a literary translator," International
Journal of Translation Studies, 2000, Vol. (12) No. (2), p. 241-266, p. 244.
40
Ibid. p. 263.
41 Ibid.
42
BOASE-BEIER Jean, Translation Theories explored: Stylistic Approaches to Translation, 2006, Manchester
: St. Jerome Publishing. p. 52.
43
Ibid.
44
MUNDAY Jeremy, Introducing Translation Studies: Theories and Applications, 2016, Oxon : Routledge. p.
94.

19
linguistiques, c’est au traducteur «to choose from among the available options to express the

nuances of the message.»45 C’est le monde d’inférence qui révèle le style personnel du

traducteur.

Gabriela Saldanha s’inspire des travaux de Baker, Boase-Beier et Malmkaer pour

nous donner une compréhension conceptuelle de la notion du style qui reflète la dualité du

rôle de traducteur que nous examinons dans ce mémoire. Elle pense que le style est à la fois

une réponse au texte source par le traducteur et quelque chose d’idiosyncratique chez le

traducteur. D’après Saldanha, le style est «a personal attribute, as well as a textual one.»46 Le

travail de Baker et Saldanha évoque l’idée que peut-être un traducteur est mieux placé de

traduire un genre littéraire qui convient à son style personnel, ou bien peut-être un traducteur

littéraire devrait être un spécialiste d’un genre particulier ainsi qu’un style particulier.

Theo Hermans nous rappelle que ce n’est qu’à travers ses préférences linguistiques

et stylistiques qu’un traducteur laisse sa trace dans sa traduction. Il affirme que la façon dont

on traduit, ainsi que les choix qu’on fait, sont également marqués par les valeurs

personnelles et la position politique et idéologique d’un traducteur. Il soutient que chaque

traduction contient «a margin within which the translator’s agency and attitude can be

articulated.»47 Selon Hermans, cette réalité est inéluctable car «we cannot say something

without simultaneously conveying an attitude towards this something.» 48 Ces traces

démontrent la façon dont un traducteur interprète le texte source et expliquent en partie les

choix qu’il fait. Ainsi, le processus de la traduction n’est qu’un processus créatif qui reflète

le style personnel d’un traducteur mais est aussi un processus qui peut refléter ses valeurs


45
Ibid.
46 SALDANHA, Gabriela. "Translator style: Methodological considerations." The Translator, 2011, Vol. (17)

No. (1), p. 25-50, p. 28.


47
HERMANS Theo, “Positioning translators: Voices, views and values in translation”, Language and
Literature, 2014, Vol. (23) No. (3), p. 285-301, p. 294.
48
Ibid. p. 297.

20
sociales et idéologiques comme Hermans souligne, le processus de la traduction «negotiates

and takes a stance towards the values it transmits.»49

La difficulté liée à la question de la subjectivité de la part du traducteur et bien la

question du style, est de savoir identifier le lien entre les traces personnelles du traducteur et

le style personnel de l’auteur. Comment peut-on distinguer «stylistic features which can

reasonably be attributed to the translator from those which are simply a reflection of the

stylistic features of the original ?» 50 Selon Baker, c’est seulement à travers plusieurs

traductions faites par le même traducteur qu’on peut identifier son style particulier. Elle

préconise qu’une analyse descriptive d’un corpus de textes traduits nous permet

d’identifier «patterns of choice which together form a particular thumb-print or style of an

individual literary translator.»51

Hermans pense que ces traces s’expriment explicitement à travers les éléments

paratextuels d’une traduction et en ce qui concerne les traces implicites, c’est le rôle du

lecteur de les percevoir, il soutient que ;

Speculation is the reader’s work and it takes place even in the


absence of explicit statements signalling the translator’s intent. It is
therefore the reader who chooses to read a translation as an
intervention, to make a translator’s attitude towards a translated text
relevant.52

La question qui se pose dans notre traduction des neuf premiers chapitres de Chanson Douce

est de savoir si nous avons réussi à transmettre la particularité du style de Slimani et

l’importance de sa voix engagée, en rendant compte des traces inévitables que nous avons

laissées dans notre traduction. Au niveau théorique, la question que ce mémoire pose est de


49
Ibid. p. 293.
50
BAKER Mona, "Towards a methodology for investigating the style of a literary translator," International
Journal of Translation Studies, 2000, Vol. (12) No. (2), p. 241-266, p. 246.
51
Ibid. p. 20.
52
Ibid. p. 297.

21
savoir à quel point nos traces personnelles augmentent ou réduisent la qualité de notre

traduction ?

22
Troisième chapitre :

Notre traduction des neufs premiers chapitres de Chanson


Douce

23
Mademoiselle Vezzis était venue de par-
delà la Frontière pour prendre soin de quelques
enfants chez une dame […]. La dame déclara
que mademoiselle Vezzis ne valait rien, qu’elle
n’était pas propre et qu’elle ne montrait pas de
zèle. Pas une fois il ne lui vint à l’idée que
mademoiselle Vezzis avait à vivre sa propre
vie, à se tourmenter de ses propres affaires, et
que ces affaires étaient ce qu’il y avait au
monde de plus important pour mademoiselle
Vezzis.

Rudyard Kipling,
Simples contes des collines

« Comprenez-vous, Monsieur, comprenez-


vous ce que cela signifie quand on n’a plus où
aller ? » La question que Marmeladov lui avait
posée la veille lui revint tout à coup à
l’esprit. « Car il faut que tout homme puisse
aller quelque part. »

Dostoïevski,
Crime et Châtiment

24
Ms. Vezzis came from across the Borderline to
look after some children who belonged to a
lady. […] The lady said Ms. Vezzis was a bad,
dirty nurse and inattentive. It never struck her
that Ms. Vezzis had her own life to lead, her
own affairs to worry over, and that these
affairs were the most important things in the
world to Ms.Vezzis.

Rudyard Kipling
Plain Tales from the Hills53

“Do you understand Sir, do you understand,


what it means when you have absolutely
nowhere to turn?” Marmeladov’s question
came suddenly to his mind “for every man
must have somewhere to turn….”

Dostoïevski
Crime and Punishment54


53
Cette citation est tirée de ;
KIPLING Rudyard, Plain Tales from the Hills, 1987, United Kingdom : Oxford University Press. p. 59.
54
Cette citation est tirée de sa traduction officielle ;
DOSTOEVSKY Fyodor, Crime and Punishment, 2006, (Garnett Constance, Traductrice), Wordsworth :
London. p. 41.

25
Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu’il n’avait pas

souffert. On l’a couché dans une housse grise et on a fait glisser la fermeture éclair sur le

corps désarticulé qui flottait au milieu des jouets. La petite, elle, était encore vivante quand

les secours sont arrivés. Elle s’est battue comme un fauve. On a retrouvé des traces de lutte,

des morceaux de peau sous ses ongles mous. Dans l’ambulance qui la transportait à l’hôpital,

elle était agitée, secouée de convulsions. Les yeux exorbités, elle semblait chercher de l’air.

Sa gorge s’était emplie de sang. Ses poumons étaient perforés et sa tête avait violemment

heurté la commode bleue.

On a photographié la scène de crime. La police a relevé des empreintes et mesuré la

superficie de la salle de bains et de la chambre d’enfants. Au sol, le tapis de princesse était

imbibé de sang. La table à langer était à moitié renversée. Les jouets ont été emportés dans

des sacs transparents et mis sous scellés. Même la commode bleue servira au procès.

La mère était en état de choc. C’est ce qu’ont dit les pompiers, ce qu’ont répété les

policiers, ce qu’ont écrit les journalistes. En entrant dans la chambre où gisaient ses enfants,

elle a poussé un cri, un cri des profondeurs, un hurlement de louve. Les murs en ont tremblé.

La nuit s’est abattue sur cette journée de mai. Elle a vomi et la police l’a découverte ainsi,

ses vêtements souillés, accroupie dans la chambre, hoquetant comme une forcenée. Elle a

hurlé à s’en déchirer les poumons.

26
The baby is dead. It took a matter of seconds. The doctor confirmed he had not suffered.

He55 was placed into a grey body bag and the zip was closed on his lifeless body that was

floating among the toys. The little girl56 was still alive when the paramedics arrived. She

fought like a wild animal. Traces57 of her struggle were evident from the skin particles found

beneath her soft fingernails. In the ambulance transporting her to the hospital, she was

agitated, her body convulsing, eyes bulging out of their sockets; she seemed to be searching

for air58. Her throat had filled with blood. Her lungs were punctured and her head had

violently collided with the blue chest of drawers.

The crime scene was photographed59. The police took fingerprints and measured the

surface area of the bathroom and children’s room. The princess mat on the floor was blood

soaked60. The baby-changing table had been half knocked over. The toys were taken away in

transparent, sealed evidence bags. Even the blue chest of drawers will feature in the trial.

The mother was in a state of shock - according to the firemen, seconded by the police and

written by the journalists61. Upon entering the room where her children were lying she let

out a cry, a cry from the depths of her soul; the cry of a she-wolf. It made the walls tremble.

Night had fallen on this May day. She vomited62. The police found her like that in the

bedroom, hunkered down, soiled and spluttering like a madwoman. She screamed as if her

lungs would tear.


55
Nous avons employé la voix passive au lieu de la voix active car elle convient mieux à l’usage naturel de
l’anglais plutôt que de traduire le pronom ‘on’ par ‘one’ ou ‘we’. Il y a une autre raison aussi pour ce choix ; la
voix passive en anglais rend la voix du narrateur neutre qui est un élément fondamental dans ce roman.
56
Nous avons supprimé le pronom ‘elle’ car un pronom supplémentaire en anglais donnerait une lourdeur
inutile à la phrase.
57
De même, ici nous avons employé la voix passive pour que le fil conducteur de la narration soit logique.
Nous étions aussi obligée d’ajouter la préposition ‘from’ afin de relier la clause principale avec la locution
prépositive et pour nous conformer à la syntaxe d’anglais.
58
Nous avons décidé de créer une seule phrase ici, ce qui aide la fluidité et qui reflète mieux le style précis et
poignant de Slimani.
59
La voix passive est une fois encore employée ici. Un choix qu’on verra souvent dans cette traduction.
60
Nous avons changé l’ordre des mots pour que la phrase suive la syntaxe de l’anglais.
61
Nous avons fusionné ces deux phrases car cela convient mieux au style précis de Slimani.
62
Nous avons coupé cette phrase en deux pour que le style de la phrase soit plus frappant.

27
L’ambulancier a fait un signe discret de la tête, ils l’ont relevée, malgré sa résistance, ses

coups de pied. Ils l’ont soulevée lentement et la jeune interne du SAMU lui a administré un

calmant. C’était son premier mois de stage.

L’autre aussi, il a fallu la sauver. Avec autant de professionnalisme, avec objectivité. Elle

n’a pas su mourir. La mort, elle n’a su que la donner. Elle s’est sectionné les deux poignets

et s’est planté le couteau dans la gorge. Elle a perdu connaissance, au pied du lit à barreaux.

Ils l’ont redressée, ils ont pris son pouls et sa tension. Ils l’ont installée sure le brancard et la

jeune stagiaire a tenu sa main appuyée sur son cou.

Les voisins se sont réunis en bas de l’immeuble. Il y a surtout des femmes. C’est bientôt

l’heure d’aller chercher les enfants à l’école. Elles regardent l’ambulance, les yeux gonflés

de larmes. Elles pleurent et elles veulent savoir. Elles se mettent sur la pointe de pieds.

Essaient de distinguer ce qui se passe derrière le cordon de police, à l’intérieur de

l’ambulance qui démarre toutes sirènes hurlantes. Elles se murmurent des informations à

l’oreille. Déjà, la rumeur court. Il est arrivé malheur aux enfants.

C’est un bel immeuble de la rue d’Hauteville, dans le dixième arrondissement. Un

immeuble où les voisins s’adressent, sans se connaître, des bonjours chaleureux.

L’appartement des Massé se trouve au cinquième étage. C’est le plus petit appartement de la

résidence.

28
The paramedic nodded discretely; they lifted her up, despite her resistance and kicks. They

slowly raised her to her feet63 and the young female paramedic intern administered a

sedative. It was her first month on the job.

There was another casualty to be saved too, with the same professionalism and

objectivity64. She did not know how to die; she only knew how to kill65. She had severed

both her wrists and embedded the knife in her throat. She lost consciousness at the foot of

the cot. They straightened out her body and took her pulse and blood pressure. They moved

her onto the stretcher and the young intern kept her hand pressed against her neck.

Neighbours gathered downstairs, mostly women66. It is almost time to pick up the

children from school. They watch the ambulance, eyes filled with tears. They cry and want

to know what happened. Standing on their tiptoes, they try to see what is happening behind

the police line, and in the back of the ambulance as it speeds off, sirens blaring67. They

whisper to one another, rumours already spreading; something terrible has happened to the

children68.

It is a nice apartment building on Rue Hauteville in the 10th arrondissement, the kind

where neighbours, without being acquainted, warmly greet one another69. The Massé’s70

apartment is on the fifth floor, the smallest in the building.


63
Nous avons étoffé la phrase un peu en ajoutant “to her feet” pour faciliter la compréhension. Nous avons
aussi employé la stratégie d’explication en ajoutant le mot ‘female’ afin de montrer explicitement le sexe de la
jeune interne. Nous avons enlevé l’acronyme SAMU car il n’y a pas d’équivalent en anglais et une note de
traducteur interromprait inutilement la lisibilité de la phrase.
64
Nous avons ajouté ‘casualty’ pour clarifier ‘l’autre’. Nous avons aussi créé une seule phrase afin de garder
le style concis dans l’original.
65
Nous avons étoffé cette phrase pour que la syntaxe convienne à l’usage naturel d’anglais et nous avons ajouté
un point-virgule pour l’effet stylistique.
66
Nous avons fusionné ces deux phrases qui nous permet d’être plus concis.
67
Nous avons créé une seule phrase ici aussi ce qui aide la fluidité.
68
Nous avons aussi fusionné ces trois phrases en une seule pour la lisibilité.
69
Nous avons créé une seule phrase qui se prête mieux à la lisibilité. Nous avons gardé le mot
‘arrondissement’ car il est un emprunt lexical dans la langue anglaise et nous avons gardé le nom de la rue
‘Hauteville’ ce qui est la pratique normale en traduisant les toponymes.
70
Nous n’avons pas anglicisé le nom de famille, nous avons opté pour une stratégie de foreignisation et nous
avons fusionné ces deux phrases pour une lecture fluide.

29
Paul et Myriam ont fait monter une cloison au milieu du salon à la naissance de leur second

enfant. Ils dorment dans une pièce exiguë, entre la cuisine et la fenêtre qui donne sur la rue.

Myriam aime les meubles chinés et les tapis berbères. Au mur, elle a accroché des estampes

japonaises.

Aujourd’hui, elle est rentrée plus tôt. Elle a écourté une réunion et reporté à demain

l’étude d’un dossier. Assise sur le strapontin, dans la rame de la ligne 7, elle se disait qu’elle

ferait une surprise aux enfants. En arrivant, elle s’est arrêtée à la boulangerie. Elle a acheté

une baguette, un dessert pour les petits et un cake à l’orange pour la nounou. C’est son

favori.

Elle pensait les emmener au manège. Ils iraient ensemble faire les courses pour le dîner.

Mila réclamerait un jouet, Adam sucerait un quignon de pain dans sa poussette.

Adam est mort. Mila va succomber.

30
After the birth of their second child, Paul and Myriam71 partitioned the sitting room. They

sleep in a small room between the kitchen and the window, overlooking the street below.

Myriam loves antique furniture and Berber carpets. She hung Japanese prints on the wall.

She had come home early today. She cut short her meeting and postponed work on a case

file until tomorrow. Sitting on one of the foldup seats in a metro carriage on line 7, Myriam

decided she would surprise the children. When she arrived, she stopped by the bakery. She

bought a baguette, a dessert for the children and an orange cake for the nanny. It is her

favourite.

She intended bringing them to play on the carousel and then going grocery shopping

together for dinner72. Mila would beg for a toy and Adam would sit in his buggy sucking on

a piece of bread.

Adam is dead. Mila will die soon.


71
Nous avons gardé l’orthographe dans l’original du prénom ‘Myriam’ pour la stratégie de foreignisation.
72
Nous avons fusionné ces deux phrases pour faciliter la lecture.

31
« Pas de sans-papiers, on est d’accord ? Pour la femme de ménage ou le peintre, ça ne me

dérange pas. Il faut bien que ces gens travaillent, mais pour garder les petits, c’est trop

dangereux. Je ne veux pas de quelqu’un qui aurait peur d’appeler la police ou d’aller à

l’hôpital en cas de problème. Pour le reste, pas trop vieille, pas voilée et pas fumeuse.

L’important, c’est qu’elle soit vive et disponible. Qu’elle bosse pour qu’on puisse bosser. »

Paul a tout préparé. Il a établi une liste de questions et prévu trente minutes par entretien. Ils

ont bloqué leur samedi après-midi pour trouver une nounou à leurs enfants.

Quelques jours auparavant, alors que Myriam discutait de ses recherches avec son amie

Emma, celle-ci s’est plainte de la femme qui gardait ses garçons. « La nounou a deux fils

ici, du coup elle ne peut jamais rester plus tard ou faire des baby-sittings. Ce n’est vraiment

pas pratique. Penses-y quand tu feras tes entretiens. Si elle a des enfants, il vaut mieux

qu’ils soient au pays. » Myriam avait remercié pour le conseil. Mais, en réalité, le discours

d’Emma l’avait gênée. Si un employeur avait parlé d’elle ou d’une autre de leurs amies de

cette manière, elles auraient hurlé à la discrimination. Elle trouvait terrible l’idée d’évincer

une femme parce qu’elle a des enfants. Elle préfère de ne pas soulever le sujet avec Paul.

Son mari est comme Emma. Un pragmatique, qui place sa famille et sa carrière avant tout.

Ce matin, ils ont fait le marché en famille, tous les quatre. Mila sur les épaules de Paul,

32
“No illegal immigrants, ok? I don’t mind if it was just as a cleaning lady or a painter73.

These people need to work, but when it comes to minding children, it’s just too dangerous. I

don’t want someone who would be afraid to call the police, or go to the hospital if there was

a problem. Otherwise, a woman74 who is not too old, who doesn’t wear a hijab75 or smoke.

The most important thing is that they are energetic and available76. That she is ready to work

so that we can go to work.” Paul arranged everything. He drew up a list of questions and set

aside half an hour for each interview. They dedicated their Saturday afternoon to finding a

nanny for their children.

A few days before, Myriam was discussing the search with her friend Emma, who

complained about the woman looking after her boys77. “The nanny has two boys here

herself, so she can never stay on late, or do any baby-sitting. It is just not practical. Keep

that in mind while you are interviewing. If she has children, it is better if they are in her

home78 country.” Myriam had thanked her for the advice but in reality, Emma’s remarks

had annoyed her79. If an employer had spoken about her like that, or another one of their

friends, they would have screamed it was discrimination. She found the idea of excluding a

woman simply because she had children awful. She prefers not to raise the issue with her

husband. Like Emma, he is pragmatic, putting family and career before everything else80.

That morning, the four of them went to the market as a family, Mila on Paul’s shoulders


73
Nous avons étoffé la phrase pour que la phrase suive la syntaxe logique d’anglais.
74
Nous avons employé la stratégie d’explicitation ici car nous pensons qu’il est important de souligner que ce
monde domestique est un monde féminin.
75
De même la stratégie d’explication est employée ici car en français, il est implicite que le mot ‘voilée’ veut
dire quelqu’une qui est musulmane qui n’est pas forcément le cas en anglais.
76
Nous avons aussi étoffé cette phrase ici pour que la phrase se conforme à la syntaxe d’anglais.
77
Nous avons supprimé les mots ‘alors que’ et ‘celle-ci’ pour que la phrase soit plus idiomatique.
78
Nous avons ajouté l’adjectif ‘home’ pour souligner le fait que ces nounous sont pour la plupart des
étrangères ce qui est implicite dans l’original pour un public francophone.
79
Nous avons fusionné ces deux phrases plutôt que de commencer une phrase avec une conjonction, une
pratique qu’on ne voit pas dans l’usage courant d’anglais.
80
Nous avons créé une seule phrase ici qui facilite mieux la fluidité et nous avons transposé le nom
‘pragmatique’ et le verbe ‘placer’ en adjectif et gérondif respectivement dans notre traduction.

33
et Adam endormi dans sa poussette. Ils ont acheté des fleurs et maintenant ils rangent

l’appartement. Ils ont envie de faire bonne figure devant les nounous qui vont défiler. Ils

rassemblent les livres et les magazines qui traînent sur le sol, sous leur lit et jusque dans la

salle de bains. Paul demande à Mila de ranger ses jouets dans de grands bacs en plastique.

La petite fille refuse en pleurnichant et c’est lui qui finit par les empiler contre le mur. Ils

plient les vêtements des petits, changent les draps des lits. Ils nettoient, jettent, cherchent

désespérément à aérer cet appartement où ils étouffent. Ils voudraient qu’elles voient qu’ils

sont des gens bien, des gens sérieux et ordonnés qui tentent d’offrir à leurs enfants ce qu’il y

a de meilleur. Qu’elles comprennent qu’ils sont les patrons.

Mila et Adam font la sieste. Myriam et Paul sont assis au bord de leur lit. Anxieux et

gênés. Ils n’ont jamais confié leurs enfants à personne. Myriam finissait ses études de droit

quand elle est tombée enceinte de Mila. Elle a obtenu son diplôme deux semaines avant son

accouchement. Paul multipliait les stages, plein de cet optimise qui a séduit Myriam quand

elle l’a rencontré. Il était sûr de pouvoir travailler pour deux. Certain de faire carrière dans la

production musicale, malgré la crise et les restrictions de budget.

Mila était un bébé fragile, irritable, qui pleurait sans cesse. Elle ne grossissait pas, refusait

le sein de sa mère et les biberons que son père préparait.

34
and Adam asleep in his buggy81. They bought some flowers and are now tidying the

apartment. They want to make a good impression82 for the nannies coming later. They gather

up all the books and magazines lying around on the floor, under their beds and in the

bathroom. Paul asks Mila to put her toys away into the big plastic containers. The whinging

little girl refuses to do it, he ends up piling them against the wall himself. They fold the

children’s clothes and change the bed linen. They clean, discard, and desperately try to air

this suffocating apartment83. They would like the nannies84 to think that they are good

people, hard-working and organised, trying to do their best for their children. That the

prospective nannies85 understand they are the employers.

Mila and Adam are having a nap. Myriam and Paul are sitting on the edge of their bed,

nervous and uncomfortable86. They have never entrusted their children to anyone before.

Myriam was finishing her law degree when she fell pregnant with Mila. She graduated two

weeks before giving birth. Paul was doing several internships, full of the same optimism that

had seduced Myriam when she first met him. He was sure he could work for both of them,

certain he could forge a career as a music producer, despite the recession and budget

constraints87.

Mila was a delicate and irritable baby, who cried continuously. She wasn’t gaining

weight; she refused her mother’s breast and the bottles her father prepared for her.


81
Nous avons lié ces deux phrases avec une virgule pour garder la fluidité.
82
Nous avons traduit l’expression ‘bonne figure’ par l’expression ‘good impression’ en anglais qui convient
mieux au contexte.
83
Nous avons transposé le verbe ‘étouffer’ en adjectif en anglais car cela rend la phrase plus concise
stylistiquement.
84
Nous avons remplacé le mot ‘elles’ par ‘nanny’ en anglais pour souligner de qui il s’agit.
85
De même, nous avons employé l’explicitation ici en remplaçant ‘elles’ par ‘nanny’.
86
Nous avons lié ces deux phrases avec une virgule pour une lecture moins saccadée.
87
Nous avons aussi lié ces deux phrases afin de faciliter la lecture.

35
Penchée au-dessus du berceau, Myriam en avait oublié jusqu’à l’existence du monde

extérieur. Ses ambitions se limitaient à faire prendre quelques grammes à cette fillette

chétive et criarde. Les mois passaient sans qu’elle s’en rende compte. Paul et elle ne se

séparaient jamais de Mila. Ils faisaient semblant de ne pas voir que leurs amis s’en agaçaient

et disaient derrière leur dos qu’un bébé n’a pas sa place dans un bar ou sur la banquette d’un

restaurant. Mais Myriam refusait absolument d’entendre parler d’une baby-sitter. Elle seule

était capable de répondre aux besoins de sa fille.

Mila avait à peine un an et demi quand Myriam est tombée à nouveau enceinte. Elle a

toujours prétendu que c’était un accident. « La pilule, ce n’est jamais du cent pour cent »,

disait elle en riant devant ses amies. En réalité, elle avait prémédité cette grossesse. Adam a

été une excuse pour ne pas quitter la douceur du foyer. Paul n’a émis aucune réserve. Il

venait d’être engagé comme assistant son dans un studio renommé où il passait ses journées

et ses nuits, otage des caprices des artistes et de leurs emplois du temps. Sa femme paraissait

s’épanouir dans cette maternité animale. Cette vie de cocon, loin du monde et des autres, les

protégeait de tout.

Et puis le temps a commencé à paraître long, la parfaite mécanique familiale s’est

enrayée. Les parents de Paul, qui avaient pris l’habitude de les aider à la naissance de la

petite, ont passé de plus en plus de temps dans leur maison de campagne, où ils avaient

entrepris d’importants travaux. Un mois avant l’accouchement de Myriam, ils ont organisé

un voyage de trois semaines en Asie et n’ont prévenu Paul qu’au dernier moment. Il s’en est

offusqué, se plaignant à Myriam de l’égoïsme de ses parents, de leur légèreté. Mais Myriam

était soulagée. Elle ne supportait pas d’avoir Sylvie dans les pattes. Elle écoutait en souriant

les conseils de sa belle-mère, ravalait sa salive quand elle la voyait fouiller dans le frigidaire

et critiquer les aliments qui s’y trouvaient.

36
Leaning over the cot, Myriam had become oblivious to everything else. Her ambitions did

not go beyond making this puny and cranky little girl gain a few pounds. Months slipped by

without her even noticing. She and Paul were never apart from Mila. They pretended not to

notice that their friends were getting annoyed with them, commenting behind their backs that

a baby had no place in a bar, or restaurant. Myriam completely refused to hear of a baby-

sitter. She alone was able to tend to the needs of her baby.

Mila was barely eighteen months old when Myriam fell pregnant again. She always

claimed it was an accident. “The pill is never one hundred per cent”, she would say jokingly

to her friends. In reality, she had planned this pregnancy. Adam was an excuse not to leave

the comforts of home life. Paul had no objection. He had just been hired as an assistant

sound engineer at a high-profile studio, where he spent his days and nights, hostage to the

whims of artists and their schedules. His wife seemed to be blossoming in her maternal role.

This cocooned life, separated from the world and others, protected them from everything.

Then, time seemed to drag on, the perfect mechanics of family life jammed. Paul’s

parents, who had helped out after the birth of the little girl, spent more time in their country

retreat, where they had begun big renovations. One month before Myriam was due to give

birth88, they organised a three-week trip to Asia, only informing Paul at the last minute. He

was offended, complaining to Myriam about his parents selfishness and thoughtlessness.

Myriam was relieved89. She couldn’t stand having Sylvie always on her case90. She always

listened smilingly to her mother-in-law’s advice, biting her tongue91 when she saw her

rummaging in the fridge, criticising the food there.


88
Nous avons étoffé la phrase pour créer une phrase plus idiomatique.
89
Nous avons supprimé la conjonction ‘mais’ car une phrase qui commence avec une conjonction ne convient
pas à l’usage courant d’anglais.
90
Nous avons traduit l’expression ‘avoir qqn dans les pattes’ par son équivalent en anglais ‘be on someone’s
case’.
91
De même, nous avons traduit l’expression ‘ravaler la salive’ par l’expression ‘to bite one’s tongue’.

37
Sylvie achetait des salades issues de l’agriculture biologique. Elle préparait le repas de Mila

mais laissait la cuisine dans un désordre immonde. Myriam et elle n’étaient jamais d’accord

sur rien, et il régnait dans l’appartement un malaise compact, bouillonnant, qui menaçait à

chaque seconde de virer au pugilat. « Laisse tes parents vivre. Ils ont raison d’en profiter

maintenant qu’ils sont libres », avait fini par dire Myriam à Paul. Elle ne mesurait pas

l’ampleur de ce qui s’annonçait. Avec deux enfants tout est devenu plus compliqué : faire les

courses, donner le bain, aller chez le médecin, faire le ménage. Les factures se sont

accumulées. Myriam s’est assombrie. Elle s’est mise à détester les sorties au parc. Les

journées d’hiver lui ont paru interminables. Les caprices de Mila l’insupportaient, les

premiers babillements d’Adam lui étaient indifférents. Elle ressentait chaque jour un peu

plus le besoin de marcher seule, et avait envie de hurler comme une folle dans la rue. « Ils

me dévorent vivante », se disait-elle parfois.

Elle était jalouse de son mari. Le soir, elle l’attendait fébrilement derrière la porte. Elle

passait une heure à se plaindre des cris des enfants, de la taille de l’appartement, de son

absence de loisirs. Quand elle le laissait parler et qu’il racontait les séances d’enregistrement

épiques d’un groupe de hip-hop, elle lui crachait : « Tu as de la chance. » Il répliquait :

« Non, c’est toi qui as de la chance. Je voudrais tellement les voir grandir. » À ce jeu-là, il

n’y avait jamais de gagnant.

La nuit, Paul dormait à côté d’elle du sommeil lourd de celui qui a travaillé toute la

journée et qui mérite un bon repos. Elle se laissait ronger par l’aigreur et les regrets.

38
Sylvie bought organically farmed lettuce. She prepared meals for Mila but left the kitchen in

a complete mess. She and Myriam never saw eye to eye92 on anything. A heavy unease

reigned in the apartment, bubbling beneath the surface, threatening to come to blows at any

second. “Let your parents live their own life93. They’re right to enjoy themselves now they

can”, concluded Myriam to Paul. She did not realise the magnitude of what was coming her

way. With two children everything became more complicated-going food shopping, bathing

the children, doctor’s visits and housework. The bills piled up. Myriam became sombre. She

began to hate the trips to the park. The winter days seemed endless. Mila’s tantrums became

unbearable and she was indifferent to Adam’s first attempts at speaking94. Each day she felt

a greater need to walk alone and longed to scream like a madwoman in the street. “They are

devouring me alive”, she would sometimes say to herself.

She was jealous of her husband. In the evenings, she feverishly awaited him behind the

apartment door. She would spend an hour complaining about the children screaming, the

size of the apartment and her lack of free time. When95 allowed to speak, he would tell her

about his arduous recording session with a hip-hop group, “you don’t know how lucky you

are”, she would retort. He would reply, “you are the lucky one. I would love to be able to

watch them grow up.” There were never any winners in this game.

At night, Paul lay next to her in the deep well-earned sleep, of one who has worked hard

all day, while Myriam let her resentment and regrets gnaw away at her96.


92
Nous avons opté pour l’expression idiomatique ‘eye to eye’ pour traduire ‘ne pas être d’accord’ car nous la
trouvons plus littéraire. Nous avons aussi créé deux phrases distinctes ici qui nous semble plus logique et
naturel.
93
Nous avons étoffé la phrase pour qu’elle se lise dans un anglais courant.
94
Nous avons ajouté la conjonction ‘and’ et nous avons réorganisé l’ordre de mots pour que la phrase suive la
syntaxe de l’anglais.
95
Nous avons employé la voix passive ici qui est plus élégante.
96
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture fluide et nous avons remplacé le pronom ‘elle’ par
‘Myriam’ pour éviter la répétition de ce même pronom.

39
Elle pensait aux efforts qu’elle avait faits pour finir ses études, malgré le manque d’argent et

de soutien parental, à la joie qu’elle avait ressentie en étant reçue au barreau, à la première

fois qu’elle avait porté la robe d’avocat et que Paul l’avait photographiée, devant la porte de

leur immeuble, fière et souriante.

Pendant des mois, elle a fait semblant de supporter la situation. Même à Paul elle n’a pas

su dire à quel point elle avait honte. À quel point elle se sentait mourir de n’avoir rien

d’autre à raconter que les pitreries des enfants et les conversations entre des inconnus qu’elle

épiait au supermarché. Elle s’est mise à refuser toutes les invitations à dîner, à ne plus

répondre aux appels de ses amis. Elle se méfiait surtout des femmes, qui pouvaient se

montrer si cruelles. Elle avait envie d’étrangler celles qui faisaient semblant de l’admirer ou,

pire, de l’envier. Elle ne pouvait plus supporter de les écouter se plaindre de leur travail, de

ne pas assez voir leurs enfants. Plus que tout, elle craignait les inconnus. Ceux qui

demandaient innocemment ce qu’elle faisait comme métier et qui se détournaient à

l’évocation d’une vie au foyer.

Un jour, en faisant ses courses au Monoprix du boulevard Saint-Denis, elle s’est aperçue

qu’elle avait sans le vouloir subtilisé des chaussettes pour enfants, oubliées dans la

poussette. Elle était à quelques mètres de chez elle et elle aurait pu retourner au magasin

pour les rendre, mais elle y a renoncé. Elle ne l’a pas raconté à Paul. Cela n’avait aucun

intérêt, et pourtant elle ne pouvait s’empêcher d’y penser. Régulièrement après cet épisode,

elle se rendait au Monoprix et cachait dans la poussette de son fils un shampooing, une

crème ou un rouge à lèvres qu’elle ne mettrait jamais.

40
She thought of her efforts to finish her degree, despite the lack of money and parental

support, of her tremendous joy when she was called to the Bar and the first time she had

worn her robes97. Paul had photographed her, proud and smiling at the entrance of their

building.

For months, she pretended to tolerate the situation. Even to Paul, she did not know how to

express how ashamed she was, of how dead she felt, having nothing else to talk about except

the children’s silliness and overheard conversations between strangers at the supermarket98.

She began to decline all dinner invitations and did not return her friends’ calls. She was

especially wary of women who were capable of being so vicious. She felt like strangling the

those who pretended to admire her, or worse, who pretended to envy her. She could no

longer bear listening to their complaints about work, of not having enough time with their

children. More than anything, she feared meeting strangers. Those who would innocently

ask what she did for a living and who would change the subject at the mention of her life as

a stay at home mother.

One day, while shopping at Monoprix99 on boulevard Saint-Denis, she realised she had

accidently stolen some children’s socks that she had forgotten in the buggy. She was a few

metres from home and could have gone back to the shop to return them but abandoned the

idea. She didn’t tell Paul. It would not interest him and yet, she could not stop thinking about

it. After this incident, she regularly dropped into Monoprix and hid a bottle of shampoo,

some cream or a lipstick that she would never wear, in her son’s buggy.


97
Nous avons créé deux phrases distinctes ici pour une lecture plus facile, nous avons aussi réorganisé l’ordre
de mots dans la deuxième phrase pour une syntaxe plus stylistique.
98
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture plus fluide.
99
Nous avons employé la foreignisation en gardant le mot ‘monoprix’ au lieu de l’adaptation car cela souligne
mieux l’intention derrière l’écriture de Slimani ; la mise en question de la société contemporaine française.
Nous voulons garder l’aperçu que Slimani nous donne de la France contemporaine.

41
Elle savait très bien que, si on l’arrêtait, il lui suffirait de jouer le rôle de la mère débordée et

qu’on croirait sans doute à sa bonne foi. Ces vols ridicules la mettaient en transe. Elle riait

toute seule dans la rue, avec l’impression de se jouer du monde entier.

Quand elle a rencontré Pascal par hasard, elle a vu cela comme un signe. Son ancien

camarade de la faculté de droit ne l’a pas tout de suite reconnue : elle portait un pantalon

trop large, des bottes usées et avait attaché en chignon ses cheveux sales. Elle était débout,

face au manège dont Mila refusait de descendre. « C’est le dernier tour », répétait-elle

chaque fois que sa fille, agrippée à son cheval, passait devant elle et lui faisait signe. Elle a

levé les yeux : Pascal lui souriait, les bras écartés pour signifier sa joie et sa surprise. Elle lui

a rendu son sourire, les mains cramponnées à la poussette. Pascal n’avait pas beaucoup de

temps, mais par chance son rendez-vous était à deux pas de chez Myriam. « Je devais rentrer

de toute façon. On marche ensemble ? » lui a-t-elle proposé.

Myriam s’est jetée sur Mila, qui a poussé des cris stridents. Elle refusait d’avancer et

Myriam s’entêtait à sourire, à faire semblant de maîtriser la situation. Elle n’arrêtait pas de

penser au vieux pull qu’elle portait sous son manteau et dont Pascal avait dû apercevoir le

col élimé. Frénétiquement, elle passait sa main sur ses tempes, comme si cela pouvait suffire

à remettre de l’ordre dans ses cheveux secs et emmêlés. Pascal avait l’air de ne se rendre

compte de rien. Il lui a parlé du cabinet qu’il avait monté avec deux copains de promotion,

des difficultés et des joies de se mettre à son compte. Elle buvait ses paroles. Mila n’arrêtait

pas de l’interrompre et Myriam aurait tout donné pour la faire taire. Sans lâcher Pascal des

yeux, elle a fouillé dans ses poches, dans son sac, pour trouver une sucette, un bonbon,

n’importe quoi pour acheter le silence de sa fille.

42
She knew well that if she were caught, all she had to do was play the harassed mother and

her honest mistake would be believed. These absurd shoplifting incidents put her into a

trance. She laughed to herself in the street with the impression she was deceiving the whole

world.

When she met Pascal by chance, she saw it as a sign. Her old friend from law school did

not recognise her right away; she was wearing trousers in a size too big, worn boots and her

unwashed hair was tied in a bun. She was standing facing the carousel that Mila refused to

leave. “It is the last turn”, she repeated to her daughter each time she passed, waving and

clinging to her pony. She looked up; Pascal was smiling down at her, his arms open with joy

and surprise. She returned his smile, her hands gripping the buggy. Pascal didn’t have much

time, but as luck would have it, his meeting was just around the corner from Myriam’s

house. “I have to head home anyway. Do you want to walk together?” she suggested.

Myriam pounced on Mila who let out piercing cries. She refused to walk on and Myraim

forced a smile, pretending to be in control of the situation. She couldn’t stop thinking of the

old jumper she was wearing underneath her coat, with its worn collar that Pascal must have

noticed. Frantically she passed her hand over her forehead, as if that could transform her dry

and matted hair. Pascal seemed oblivious to everything. He talked about the legal practice he

had set up with two of his university friends, about the challenges and joys of being self-

employed. She hung on his every word100. Mila would not stop interrupting; Myriam would

have given anything to keep her quiet. Without taking her eyes from Pascal, she rummaged

in her pockets and bag, trying to find a lolly or sweet to buy her daughter’s silence.


100
Nous avons traduit cette expression figée ‘boire les paroles de quelqu’un’ par son équivalent en anglais
‘hang on to someone’s every word’.

43
Pascal a à peine regardé les enfants. Il ne lui a pas demandé leurs prénoms. Même Adam,

endormi dans sa poussette, le visage paisible et adorable, n’a pas semblé l’attendrir ni

l’émouvoir.

« C’est ici. » Pascal l’a embrassée sur la joue. Il a dit : « J’ai été très heureux de te

revoir » et il est entré dans un immeuble dont la lourde porte bleue, en claquant, a fait

sursauter Myriam. Elle s’est mise à prier en silence. Là, dans la rue, elle était si désespérée

qu’elle aurait pu s’asseoir par terre et pleurer. Elle aurait voulu s’accrocher à la jambe de

Pascal, le supplier de l’emmener, de lui laisser sa chance. En entrant chez elle, elle était

totalement abattue. Elle a regardé Mila, qui jouait tranquillement. Elle a donné le bain au

bébé et elle s’est dit que ce bonheur-là, ce bonheur simple, muet, carcéral, ne suffisait pas à

la consoler. Pascal sans doute avait dû se moquer d’elle. Il avait peut-être même appelé

d’anciens copains de fac pour leur raconter la vie pathétique de Myriam qui « ne

ressemble plus à rien » et qui « n’a pas eu la carrière qu’on pensait. »

Toute la nuit, des conversations imaginaires lui ont rongé l’esprit. Le lendemain, elle

venait à peine de sortir de sa douche quand elle a entendu le signal d’un texto. « Je ne sais

pas si tu envisages de reprendre le droit. Si ça t’intéresse, on peut en discuter. » Myriam a

failli hurler de joie. Elle s’est mise à sauter dans l’appartement et a embrassé Mila qui disait :

« Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Pourquoi tu ris ? » Plus tard, Myriam s’est demandé si Pascal

avait perçu son désespoir ou si, tout simplement, il avait considéré que c’était une aubaine de

tomber sur Myriam Charfa, l’étudiante la plus sérieuse qu’il ait jamais rencontrée. Peut-être

a-t-il pensé qu’il était béni entre tous de pouvoir embaucher une femme comme elle, de la

remettre sur le chemin des prétoires.

44
Pascal barely glanced at the children. He didn’t ask their names. Even Adam, asleep in his

buggy with his adorable and peaceful little face, didn’t seem to move or touch him.

“This is me101.” Pascal kissed her on the cheek and said, “it was really nice to see you

again.” 102He went into a building, the noise of the heavy blue door shutting behind him

made Myriam jump. She began to pray silently. There in the street, she was so desperate she

could have just sat on the ground and cried. She would have liked to cling to Pascal’s leg

and beg him to take her with him, to give her a chance103. Returning home she was

completely overwhelmed. She watched Mila who was playing happily. She bathed the baby

and said to herself that this silent, custodial and simple pleasure was not enough to console

her. Pascal must have laughed at her. He had perhaps even called up some old college

friends to tell them about Myriam’s pathetic life, that she “had let herself go”104 and “didn’t

have the career everyone thought she would”.

All night long, imaginary conversations ate away at her. The next morning, she had

barely showered when she heard a beep on her phone, signalling a message. “I don’t know if

you are thinking about going back to law again but if you are interested we can talk about

it”. Myriam almost screamed with joy. She began to skip around the apartment and kissed

Mila who asked, “what’s going on Mammy, why are you laughing?” Later on, Myriam

wondered if Pascal had picked up on her desperation, or if quite simply, he had considered it

a godsend to stumble upon Myriam Charfa, the most diligent105 student he had ever met.

Maybe he thought he was fortunate to be able to hire a woman like her, to reset her on the

legal106 path.


101
Nous avons opté ici pour une traduction idiomatique plutôt qu’une traduction littérale.
102
Nous avons coupé cette phrase en deux et fusionné le début de la phrase avec cette dernière pour une lecture
plus logique.
103
Nous avons étoffé cette phrase pour une syntaxe plus cohérente.
104
Nous avons traduit cette expression par l’expression idiomatique ‘to let yourself go’.
105
Nous avons décidé de traduire le mot ‘sérieuse’ par ‘diligent’ qui est plus littéraire que ‘hard-working’.
106
De même, nous n’avons pas traduit ‘le chemin des prétoires’ littéralement car cela ne veut rien dire en
anglais. Nous avons opté pour une traduction plus idiomatique pour rendre la même chose.

45
Myriam en a parlé à Paul et elle a été déçue de sa réaction. Il a haussé les épaules. « Mais

je ne savais pas que tu avais envie de travailler. » Ça l’a mise terriblement en colère, plus

qu’elle n’aurait dû. La conversation s’est vite envenimée.

Elle l’a traité d’égoïste, il a qualifié son comportement d’inconséquent. « Tu vas travailler, je

veux bien mais comment on fait pour les enfants ? » Il ricanait, tournant d’un coup en

ridicule ses ambitions à elle, lui donnant encore l’impression qu’elle était bel et bien

enfermée dans cet appartement.

Une fois calmés, ils ont patiemment étudié les options. On était fin janvier : ce n’était

même pas la peine d’espérer trouver une place dans une crèche ou une halte-garderie. Ils ne

connaissaient personne à la mairie. Et si elle se remettait à travailler, ils seraient dans la

tranche de salaire la plus vicieuse : trop riches pour accéder en urgence à une aide sociale et

trop pauvres pour que l’embauche d’une nounou ne représente pas une sacrifice. C’est

finalement la solution qu’ils ont choisie, après que Paul a affirmé : « En comptant les heures

supplémentaires, la nounou et toi vous gagnerez à peu près la même chose. Mais enfin, si tu

penses que ça peut t’épanouir… » Elle a gardé de cet échange un goût amer. Elle en a voulu

à Paul.

Elle a souhaité faire les choses bien. Pour se rassurer, elle s’est rendue dans une agence

qui venait d’ouvrir dans le quartier. Un petit bureau, décoré simplement, et que tenaient deux

jeunes femmes d’une trentaine d’années. La devanture, peinte en bleu layette, était ornée

d’étoiles et de petits dromadaires dorés.

46
Myriam discussed it with Paul and was disappointed by his reaction. He shrugged and

said, “I didn’t know you wanted to work107”. This made her extremely angry, more than she

should have been. The conversation quickly became spiteful. She said he was selfish, he

called her behaviour erratic. “You want to work, fine, but what about the children?108” He

sneered, immediately ridiculing her ambitions, making her feel well and truly109 trapped in

this apartment.

Once they calmed down110, they patiently discussed their options. It111 was the end of

January. There was no point trying to find a place in a crèche or day-care centre. They didn’t

have any connections at the Town hall112. If she returned to work they would be in the most

adverse income bracket; too rich to avail of emergency social benefit and too poor to hire a

nanny without making sacrifices. In the end, that is the choice they made. “Allowing 113 for

overtime, you and the nanny will earn around the same amount, but if you think it will make

you happy…” The exchange left a bitter taste in her mouth. She resented Paul because of

it114.

She wanted to do things right. To reassure herself, she went to an agency specialising in

childcare services115 that had just opened in the area. It is a small office, simply decorated

and run by two young women in their thirties. The front window was painted baby blue and

embellished with stars and little gilded camels.


107
Nous avons fusionné ces deux phrases pour éviter une lecture saccadée.
108
Nous avons complètement reconstruit cette phrase car une traduction littérale n’aurait pas de sens. Nous
avons transposé le sens de la phrase d’une manière plus idiomatique.
109
Nous avons traduit l’expression française ‘bel et bien’ par son équivalent ‘well and truly’.
110
La voix active est employée ici, car elle convient mieux à l’usage naturel de l’anglais.
111
De même, nous avons employé la voix passive ici qui convient mieux à l’usage courant de l’anglais.
112
Il y a une perte de sens ici car il n’y a pas d’institution équivalente en Irlande d’une mairie en France.
Cependant, nous avons compensé cette perte en ajoutant le mot ‘connections’ qui évoque l’idée qu’ils n’ont
pas un contact avec le pouvoir administratif nécessaire pour les aider.
113
Nous avons créé deux phrases distinctes ici et nous avons supprimé ‘après que Paul a affirmé’ car cela
donne une lourdeur à la phrase. Il est clair que c’est Paul qui parle.
114
Nous avons complètement reconstruit cette phrase car une traduction littérale n’aurait pas de sens.
115
Nous avons employé la stratégie d’explicitation ici en étoffant cette phrase car ces agences ne sont pas aussi
répandues en Irlande ni la tendance d’embaucher une nounou.

47
Myriam a sonné. À travers la vitre, la patronne l’a toisée. Elle s’est levée lentement et a

passé la tête dans l’entrebâillement de la porte.

« Oui ?

-Bonjour.

-Vous venez pour vous inscrire ? Il nous faut un dossier complet. Un curriculum vitae et

des références signées par vos anciens employeurs.

-Non, pas du tout. Je viens pour mes enfants. Je cherche une nounou. »

Le visage de la fille s’est complètement transformé. Elle a paru contente de recevoir une

cliente, et d’autant plus gênée de sa méprise. Mais comment aurait-elle pu croire que cette

femme fatiguée, aux cheveux drus et frisés, était la mère de la jolie petite fille qui

pleurnichait sur le trottoir ?

La gérante a ouvert un grand catalogue au-dessus duquel Myriam s’est penchée.

« Asseyez-vous », lui a-t-elle proposé. Des dizaines de photographies de femmes, pour la

plupart africaines ou philippines, défilaient devant les yeux de Myriam. Mila s’en amusait.

Elle disait : « Elle est très moche celle-là, non ? » Sa mère la houspillait et le cœur lourd elle

revenait vers ces portraits flous ou mal cadrés, où pas une femme ne souriait.

La gérante la dégoûtait. Son hypocrisie, son visage rond et rougeaud, son écharpe élimée

autour du cou. Son racisme, évident tout à l’heure. Tout lui donnait envie de fuir.

Myriam lui a serré la main. Elle a promis qu’elle en parlerait à son mari et elle n’est

jamais revenue. À la place, elle est allée accrocher elle-même une petite annonce dans les

boutiques du quartier. Sur les conseils d’une amie, elle a inondé les sites Internet d’annonces

stipulant URGENT. Au bout d’une semaine, ils avaient reçu six appels.

48
Myriam rang the bell. From the other side of the glass, the owner looked her up and

down. She slowly got up and put her head through the small opening of the door.

-“Yes?

-Hello.

-Have you come to register? You need to have a completed application, a C.V and signed

references from previous employers.

-No, not at all. I’m here for my children. I’m looking for a nanny.”

The woman’s face completely transformed. She seemed happy to have a client and all the

more embarrassed by her mistake. Yet, how could she have believed that this tired looking

woman with thick frizzy hair, was the mother of the pretty little girl whimpering on the

footpath?

The manager opened a big catalogue, which Myriam was leaning over. She asked

Myriam to, “please sit down”. Dozens of women’s pictures passed before Myriam’s eyes,

mostly African and Filipino. Mila was amused by it and said, “that one there is real116 ugly,

isn’t she.” Her mother scolded her and with a heavy heart returned to the blurred or badly

centred portraits in which no one117 was smiling. The manager disgusted her with118 her

hypocrisy, her round blotchy face, the worn scarf around her neck and her obvious racism.

Everything about her was repugnant119. Myriam shook her hand. She promised to discuss it

with her husband and never returned. Instead, she put up a small notice in the neighbourhood

shops. On a friend’s advice, she inundated Internet sites with advertisements stipulating an

immediate start date. By the end of a week they had received six calls.


116
Nous avons ajouté le mot ‘real’ ici pour souligner le ton exagéré d’un petit enfant.
117
Nous n’avons pas précisé le sexe du sujet ici car nous avons déjà souligné auparavant que Myriam regardait
les photos des femmes, le pronom indéfini convient mieux.
118
Nous avons fusionné ces trois phrases pour créer une seule phrase liée avec des connecteurs logiques.
119
Nous avons opté de traduire ‘envie de fuir’ par ‘repugnant’ car il est plus littéraire.

49
Cette nounou elle l’attend comme le Sauveur, même si elle est terrorisée à l’idée de

laisser ses enfants. Elle sait tout d’eux et voudrait garder ce savoir secret. Elle connaît leurs

goûts, leurs manies. Elle devine immédiatement quand l’un d’eux est malade ou triste. Elle

ne les a pas quittés des yeux, persuadée que personne ne pourrait les protéger aussi bien

qu’elle.

Depuis qu’ils sont nés, elle a peur de tout. Surtout, elle a peur qu’ils meurent. Elle n’en

parle jamais, ni à ses amis, ni à Paul, mais elle est sûre que tous ont eu ces mêmes pensées.

Elle est certaine que, comme elle, il leur est arrivé de regarder leur enfant dormir en se

demandant ce que cela leur ferait si ce corps-là était un cadavre, si ces yeux fermés l’étaient

pour toujours. Elle n’y peut rien. Des scénarios atroces s’échafaudent en elle, qu’elle balaie

en secouant la tête, en récitant des prières, en touchant du bois de la main de Fatma qu’elle a

héritée de sa mère. Elle conjure le sort, la maladie, les accidents, les appétits pervers des

prédateurs. Elle rêve, la nuit, de leur disparition soudaine, au milieu d’une foule indifférente.

Elle crie « Où sont mes enfants ? » et les gens rient. Ils pensent qu’elle est folle.

50
Myriam120 awaits this nanny as one awaiting the Messiah, even though the idea of leaving

her children terrorises her. She knows everything about them and wants to keep that

knowledge secret. She knows their tastes and quirks. She immediately senses when one of

them is sick or sad. She never lets them out of her sight; convinced that no one could protect

them as well as she could.

Since their births, everything scares her, especially the thought of them dying121. She

never talks about it, not to Paul, or to her friends, but she is sure that they have all had these

similar dark122 thoughts. She is certain that like her, they have found themselves looking at

their sleeping child, wondering what they would ever do if the little sleeping body was a

corpse, if those eyes remained closed eternally. She can do nothing about it. Harrowing

scenarios play out in her mind, she brushes them aside shaking her head and touching her

wooden Khamsa123 hand, inherited from her mother. It wards off illness, accidents and

perverse greedy predators. At night, she dreams of their sudden disappearance in the midst

of an uncaring crowd. She shouts, “where are my children?” People laugh at her. They think

she is crazy.


120
Nous avons remplacé le pronom ‘elle’ avec ‘Myriam’ pour la clarification et afin d’éviter la répétition de ce
même pronom.
121
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture plus fluide.
122
Nous avons complémenté le mot ‘thoughts’ avec l’adjectif ‘dark’ qui clarifie mieux en anglais le sentiment
de Myriam.
123
La khamsa est un symbole utilisé comme amulette, talisman et bijou par les habitants d’Afrique du Nord
pour se protéger contre le mauvais œil qui symbolise le regard envieux ou jaloux des autres. Nous avons
employé la stratégie de foreignisation ici, cette note de traducteur clarifie le sens du mot pour le lectorat et
souligne le fait que Myriam elle-même est maghrébine et musulmane.

51
« Elle est en retard. Ça commence mal. » Paul s’impatiente. Il se dirige vers la porte

d’entrée et regarde à travers le judas. Il est 14h 15 et la première candidate, une Philippine,

n’est toujours pas arrivée.

À 14h 20, Gigi tape mollement à la porte. Myriam va lui ouvrir. Elle remarque tout de

suite que la femme a de tout petits pieds. Malgré le froid, elle porte des tennis en tissu et des

chaussettes blanches à volants. À près de cinquante ans, elle a des pieds d’enfant. Elle est

assez élégante, les cheveux retenus en une natte qui lui tombe au milieu de dos. Paul lui fait

sèchement remarquer son retard et Gigi baisse la tête en marmonnant des excuses. Elle

s’exprime très mal en français. Paul se lance sans conviction dans un entretien en anglais.

Gigi parle de son expérience. De ses enfants qu’elle a laissés au pays, du plus jeune qu’elle

n’a pas vu depuis dix ans. Il ne l’embauchera pas. Il pose quelques questions pour la forme

et à 14h 30, il la raccompagne. « Nous vous rappellerons, Thank you. »

Suit Grace, une Ivoirienne souriante et sans papiers. Caroline, une blonde obèse aux

cheveux sales, qui passe l’entretien à se plaindre de son mal de dos et de ses problèmes de

circulation veineuse. Malika, une Marocaine d’un certain âge, qui a insisté sur ses vingt ans

de métier et son amour des enfants. Myriam a été très claire. Elle ne veut pas engager une

Maghrébine pour garder les petits. « Ce serait bien, essaie de la convaincre Paul. Elle leur

parlerait en arabe puisque toi tu ne veux pas le faire. » Mais Myriam s’y refuse absolument.

52
“She is late. It is not a good start124.” Paul walks impatiently to the door and looks

through the spyhole. It is 2.15pm and the first candidate; a Filipino, has not yet arrived.

At 2.20pm, Gigi gently taps on the door. Myriam lets her in, 125immediately noticing the

woman’s tiny feet. Despite the cold, she is wearing runners with white frilly socks. At

almost fifty, she has the feet of a child. She looks126 quite elegant, her hair in a plait that

reaches to the middle of her back. Paul dryly points out her tardiness127. Gigi lowers her

head, mumbling her excuses. She expresses herself poorly in French. Without much

conviction, Paul switches the interview into English. Gigi speaks about her experience128,

the children she has left behind, the youngest whom she hasn’t seen for ten years. He will

not hire her. As a formality he asks her some questions and at 2.30pm, he accompanies her

to the door. “We will call you. Thank you.”

Next up is Grace129, a cheerful and illegal Ivorian. Then130 Caroline, an obese blonde with

matted hair; she spends the interview complaining of her backache and circulation problems.

After her, there is Malika131, a middle aged Moroccan, who emphasised her twenty years’

experience in the job and love of children. Myriam had been very clear;132 she did not want

to hire a Maghrebian to look after her children. Paul tries to change her mind, “it would be a

good idea, she could speak Arabic to the children, seeing as you don’t want to”133. Myriam

point-blank134 refuses.


124
Nous avons opté pour la stratégie de modulation ici qui est plus idiomatique qu’une traduction littérale.
125
Nous avons fusionné ces deux phrases afin d’éviter la répétition du mot ‘door’.
126
Nous avons ajouté le mot ‘looks’ ici car nous pensons que Slimani veut dire qu’en apparence cette femme
est élégante plutôt que ‘she is rather elegant’ qui est une affirmation plutôt qu’une impression.
127
Nous avons traduit ‘son retard’ par ‘her tardiness’ qui est plus littéraire. Nous avons aussi créé deux
phrases distinctes qui sont plus stylistique que d’ajouter une conjonction.
128
Nous avons créé une seule phrase ici qui nous permet de transposer le sens d’une manière qui reflète mieux
le style précis de Slimani.
129
Nous avons étoffé le début de la phrase pour qu’elle suive la syntaxe de la langue anglaise.
130
De même, nous avons étoffé la phrase avec le connecteur logique ‘Then’.
131
Il fallait étoffer cette phrase pour qu’elle soit grammaticalement correcte.
132
Nous avons lié ces deux phrases avec un point-virgule pour une lecture plus fluide.
133
Nous avons reformulé ces deux phrases en une seule et l’avons étoffée pour qu’elle soit plus idiomatique.
134
Ici nous avons opté pour l’adjectif ‘point-blank’ plutôt que l’adverbe ‘absolutely’ car l’adjectif nous
permet de transposer le sens sans avoir besoin d’étoffer la phrase.

53
Elle craint que ne s’installe une complicité tacite, une familiarité entre elles deux. Que

l’autre se mette à lui faire des remarques en arabe. À lui raconter sa vie et, bientôt, à lui

demander mille choses au nom de leur langue et de leur religion communes. Elle s’est

toujours méfiée de ce qu’elle appelle la solidarité d’immigrés.

Puis Louise est arrivée. Quand elle raconte ce premier entretien, Myriam adore dire que

ce fut une évidence. Comme un coup de foudre amoureux. Elle insiste surtout sur la façon

dont sa fille s’est comportée. « C’est elle qui l’a choisie », aime-t-elle à préciser. Mila venait

de se réveiller de la sieste, tirée du sommeil pas les cris stridents de son frère. Paul est allé

chercher le bébé, suivi de près par la petite qui se cachait entre ses jambes. Louise s’est

levée. Myriam décrit cette scène encore fascinée par l’assurance de la nounou. Louise a

délicatement pris Adam des bras de son père et elle a fait semblant de ne pas voir Mila. « Où

est la princesse ? J’ai cru apercevoir une princesse mais elle a disparu. » Mila s’est mise à

rire aux éclats et Louise a continué son jeu, cherchant dans les recoins, sous la table, derrière

le canapé, la mystérieuse princesse disparue.

Ils lui posent quelques questions. Louise dit que son mari est mort, que sa fille, Stéphanie,

est grande maintenant « presque vingt ans, c’est incroyable », qu’elle est très disponible. Elle

tend à Paul un papier sur lequel sont inscrits les noms de ses anciens employeurs. Elle parle

des Rouvier, qui figurent en haut de la liste.

54
She fears a tacit complicity forming between them, of a relationship developing135. That she

would begin speaking to her in Arabic, 136telling her about her life. Before you know it137,

she would be asking for a thousand and one things because of their common language and

religion. Myriam was always wary of what she termed immigrant solidarity.

Then Louise arrived. When she describes this first interview, Myriam loves to say that it

was just meant to be138- like love at first sight. She emphasises particularly the way her

daughter behaved. “She is the one139 who chose her” - she likes to specify. Mila had just

woken up from her nap, torn from sleep by her brother’s shrill cries. Paul went to get the

baby, followed closely by the little girl who was hiding between his legs. Louise got up.

Myriam describes the scene, still fascinated by the nanny’s poise140. Louise gently took

Adam from his father’s arms and pretended not to see Mila. “Where is the princess? I

thought I saw a princess, but she has disappeared.” Mila began to burst out laughing. Louise

continued the game, searching in corners, under the table and behind the couch for the

mysterious missing princess.

They asked her some questions. Louise says her husband is dead and her daughter,

Stephanie, is grown up now - “almost 20 years old, it’s hard to believe” - she is very free.

She hands Paul a sheet on which the names of her previous employers are written. She talks

about the Rouvier family141, who feature at the top of the list.


135
Nous avons complétement reconstruit la fin de cette phrase pour faciliter la compréhension.
136
Nous avons lié le début de cette phrase avec cette dernière qui nous semble plus logique.
137
Nous avons choisi de traduire ‘bientôt’ avec l’expression ‘before you know it’ que nous trouvons plus
littéraire.
138
Nous avons traduit l’expression ‘être une évidence’ par l’expression ‘meant to be’ car elle va bien avec
l’image d’un coup de foudre amoureux, ainsi il nous semble logique de lier ces deux phrases.
139
Il faut étoffer la phrase avec les mots ‘the one’ pour qu’elle soit plus idiomatique.
140
Nous avons traduit le mot ‘assurance’ par ‘poise’ qui est plus littéraire.
141
Il faut ajouter le nom ‘family’ pour clarifier que ‘Rouvier’ est un nom de famille.

55
« Je suis restée chez eux longtemps. Ils avaient deux enfants, eux aussi. Deux garçons. »

Paul et Myriam sont séduits par Louise, par ses traits lisses, son sourire franc, ses lèvres qui

ne tremblent pas. Elle semble imperturbable. Elle a le regard d’une femme qui peut tout

entendre et tout pardonner. Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne

pourrait soupçonner les abysses.

Le soir même, ils téléphonent au couple dont Louise leur a laissé le numéro. Une femme

leur répond, un peu froidement. Quand elle entend le nom de Louise, elle change

immédiatement le ton. « Louise ? Quelle chance vous avez d’être tombés sur elle. Elle a été

comme une seconde mère pour mes garçons. Ça a été un vrai crève-cœur quand nous avons

dû nous en séparer. Pour tout vous dire, à l’époque, j’ai même songé à faire un troisième

enfant pour pouvoir la garder. »

56
“I worked for them for a long time. They had two children as well; two boys.” Myriam and

Paul are captivated142 by Louise, by her pleasant features, her candid smile and her steady

lips 143 . She seems imperturbable. She has the air of a woman who could deal with

anything144. Her face is serene like a calm sea, whose deep chasms no one could suspect.

That same evening, they telephoned the couple whose number Louise had given them. A

woman answers rather coldly. When she hears Louise’s name, her tone immediately

changes. “Louise? How lucky you are to have found her. She was like a second mother to

my boys. It really was heart breaking when we had to part ways. To tell you the truth145, at

the time, I even thought about having a third child just to keep her.”


142
Nous pensons que ‘captivate’ convient mieux que ‘seduce’ pour la traduction de ‘séduire’ car le verbe
‘seduce’ en anglais a une connotation sexuelle.
143
Nous avons employé la modulation ici.
144
De même, la stratégie de modulation est employée ici.
145
Nous avons décidé de traduire l’expression ‘pour tout vous dire’ par l’expression idiomatique ‘to tell you
the truth’ qui convient mieux ici.

57
Louise ouvre les volets de son appartement. Il est un peu plus de 5 heures du matin et,

dehors, les lampadaires sont encore allumés. Un homme marche dans la rue, rasant les murs

pour éviter la pluie. L’averse a duré toute la nuit. Le vent a sifflé dans les tuyaux et habité

ses rêves. On dirait que la pluie tombe à horizontale pour frapper de plein fouet la façade de

l’immeuble et les fenêtres. Louise aime regarder dehors. Juste en face de chez elle, entre

deux bâtiments sinistres, il y a une petite maison, entourée d’un jardin broussailleux. Un

jeune couple s’est installé là au début de l’été, des Parisiens dont les enfants jouent à la

balançoire et nettoient le potager le dimanche. Louise se demande ce qu’ils sont venus faire

dans ce quartier.

Le manque de sommeil la fait frissonner. Du bout de son ongle, elle gratte le coin de la

fenêtre. Elle a beau les nettoyer frénétiquement, deux fois par semaine, les vitres lui

paraissent toujours troubles, couvertes de poussière et de traînées noires. Parfois, elle

voudrait les nettoyer jusqu’à les briser. Elle gratte, de plus en plus fort, de la pointe de son

index et son ongle se brise. Elle porte son doigt à la bouche et le mord pour faire cesser le

saignement.

L’appartement ne compte qu’une seule pièce, qui sert à Louise à la fois de chambre et de

salon. Elle prend soin, chaque matin, de refermer le canapé-lit et de le recouvrir de sa housse

noire. Elle prend ses repas sur la table basse, la télévision toujours allumée.

58
Louise opens her bedsit146 shutters. It is just after 5am147. The streetlights are still on. A

man is walking in the street, grazing the walls to avoid the rain. The downpour lasted all

night. The wind whistled through the pipes and seeped into her dreams. It148 seemed as if the

rain was falling horizontally just to batter the windows and front of the building. Louise likes

observing the world149 outside. Right opposite her bedsit150, between two grim looking

buildings, is a small house surrounded by an overgrown garden. A young Parisian couple

moved in there at the beginning of summer151. On Sundays, their children play on the swing

and weed the vegetable plot. Louise wonders what they are doing in this neighbourhood.

She152 shivers from a lack of sleep. With the tip of her nail she scratches at the corner of

the window. Despite frantically cleaning them twice a week, the glass always seems cloudy

to her, covered in dust and dark streaks. Occasionally, she would like to scrub them until

they break. She scratches harder and harder with the tip of her index finger153. Her nail

breaks. She puts her finger in her mouth, biting on it to stop the bleeding.

The bedsit 154 serves as both Louise’s bedroom and living room. Each morning she

carefully folds up her sofa bed and replaces its black cover. She has her meals at the coffee

table, always with the television on.


146
Nous avons décidé d’employer la stratégie d’adaptation ici car le mot ‘bedsit’ incarne mieux l’image
évoquée dans l’original. Le mot ‘appartement’ a une connotation plus positive et ne représente pas aussi bien
le logement dans lequel Louise habite.
147
Ici nous avons créé deux phrases distinctes car deux phrases courtes et précises reflètent mieux le style de
Slimani.
148
Nous avons employé la voix passive qui convient mieux à l’usage courant de l’anglais.
149
Ici, nous avons décidé d’étoffer cette phrase avec ‘observing the world outside’, nous pensons que cette
nuance démontre mieux pour un public anglophone à quel point Louise vit en marge de la société.
150
Nous n’avons pas traduit ‘chez elle’ par ‘her home’ car nous voulons souligner pour le public anglophone
que Louise n’a pas d’endroit où elle se sent vraiment chez elle donc nous avons opté pour ‘bedsit’ qui est le
mot pour ce genre du logement.
151
De même, nous avons créé deux phrases courtes ici pour l’effet stylistique.
152
La voix active est employée car elle est plus naturelle.
153
Nous préférons l’effet stylistique de deux phrases courtes ici.
154
De même nous avons remplacé le mot ‘appartement’ par ‘bedsit’ ce qui évite le besoin de préciser que
l’appartement ne compte qu’une seule pièce.

59
Contre le mur, des cartons sont encore fermés. Ils contiennent peut-être les quelques objets

qui pourraient donner vie à ce studio sans âme. À droite du sofa, il y a la photo d’une

adolescente aux cheveux rouges dans un cadre étincelant.

Elle a délicatement étalé sur le canapé sa jupe longue et son chemisier. Elle attrape les

ballerines qu’elle a posées par terre, un modèle acheté il y a plus de dix ans mais dont elle a

pris tellement soin qu’il lui paraît avoir encore l’air neuf. Ce sont des chaussures vernies,

très simples, à talons carrés et surmontés d’un discret petit nœud. Elle s’assoit et commence

à en nettoyer une, en trempant un morceau de coton dans un pot de crème démaquillante. Ses

gestes sont lents et précis. Elle nettoie avec un soin rageur, entièrement absorbée par sa

tâche. Le coton s’est recouvert de saleté. Louise approche la chaussure de la lampe placée

sure le guéridon. Quand le vernis lui paraît assez brillant, elle la repose et se saisit de la

seconde.

Il est si tôt qu’elle a le temps de refaire ses ongles abîmés par le ménage. Elle entoure son

index d’un pansement et étale sur ses autres doigts un vernis rose, très discret. Pour la

première fois et malgré le prix, elle a fait teindre ses cheveux chez le coiffeur. Elle les

ramène en chignon au-dessus de la nuque. Elle se maquille et le fard à paupières bleu la

vieillit, elle dont la silhouette est si frêle, si menue, que de loin on lui donnerait à peine vingt

ans. Elle a pourtant plus du double.

Elle tourne en rond dans la pièce qui ne lui a jamais paru si petite, si étroite. Elle s’assoit

puis se relève presque aussitôt.

60
Unopened cardboard boxes are stacked against the wall. They probably contain the few

objects that could give a little life to this drab bedsit. To the right of the sofa there is a photo

of a red haired teenager in a sparkling frame.

She has carefully spread her long skirt and blouse on the sofa. She picks up the ballet

pumps she left on the floor; a style she155 bought more than ten years ago but took such good

care of, they still looked new. They are made from patent leather, a simple style156, with

kitten heels and adorned with a discrete little bow. She sits down and starts to clean one,

soaking some cotton wool in a jar of cleanser. Her movements are slow and exact. She

cleans with frenzied meticulousness, completely absorbed in her task. The piece of cotton

wool is covered with dirt. Louise moves the shoe closer to the lamp on the pedestal table.

When the patent leather seems sufficiently shiny, she puts down the first shoe and takes up

the second.

It is so early, she even has time to repaint her nails, chipped from doing housework. She

puts a plaster around her index finger and paints the others a subtle shade of pink. For the

first time and despite the price, she had her hair dyed in a salon. She pulls it back into a bun

just above the nape of her neck. She puts her makeup on157. The blue eye shadow ages her.

From a distance, her slender delicate frame makes her look barely twenty years old. She is

however, more than forty.

She paces the room in circles. It has never seemed so small or narrow. As soon as she sits

down, she is back up again.


155
Nous avons employé la voix active ici qui est plus naturelle.
156
Ici nous avons ajouté le mot ‘style’ pour clarifier que l’adjectif ‘simple’ fait référence au style des
chaussures.
157
Nous avons créé trois phrases distinctes ici au lieu d’une seule phrase qui rend la lecture plus fluide et qui
maintient l’effet stylistique que nous voulons récréer dans cette traduction.

61
Elle pourrait allumer la télévision. Boire un thé. Lire un vieil exemplaire de journal féminin

qu’elle garde près de son lit. Mais elle a peur de se détendre, de laisser le temps filer, de

céder à la torpeur. Ce réveil matinal l’a rendue fragile, vulnérable. Il suffirait d’un rien pour

qu’elle ferme les yeux une minute, qu’elle s’endorme et qu’elle arrive en retard. Elle doit

garder l’esprit vif, réussir à concentrer toute son attention sur ce premier jour de travail.

Elle ne peut pas attendre chez elle. Il n’est pas encore 6 heures, elle est très en avance,

mais elle marche vite vers la station de RER. Elle met plus d’un quart d’heure à arriver à la

gare de Saint-Maur-des Fossés. Dans la rame, elle s’assoit face à un vieux Chinois qui dort,

recroquevillé, le front contre la vitre. Elle fixe son visage épuisé. À chaque station, elle

hésite à le réveiller. Elle a peur qu’il se perde, qu’il aille trop loin, qu’il ouvre les yeux, seul,

au terminus et qu’il soit contraint de rebrousser chemin. Mais elle ne dit rien. Il est plus

raisonnable de ne pas parler aux gens. Une fois, une jeune fille, brune, très belle, avait failli

la gifler. « Pourquoi tu me regardes, toi ? Hein, qu’est-ce que t’as à me regarder ? » criait-

elle.

Arrivée à Auber, Louise saute sur le quai. Il commence à y avoir du monde, une femme la

bouscule alors qu’elle grimpe les escaliers vers les quais du métro. Une écœurante odeur de

croissant et de chocolat brûlé la prend à la gorge. Elle emprunte la ligne 7 à Opéra et

remonte à la surface à la station Poissonnière.

62
She could watch some television158, drink some tea or read the old copy of a woman’s

magazine she keeps by her bed. She159 is afraid to relax, to let time pass, or succumb to her

drowsiness. This morning’s early awakening has left her feeling frail and vulnerable160. It

would take very little for her to close her eyes, even for just one minute and drift back to

sleep and arrive late. She must keep her wits161 about her, concentrating all her attention on

this first day of work.

She cannot wait at her bedsit162. It is not yet 6.am163. She is exceptionally early, yet walks

briskly to the train station. She gives herself more than a quarter of an hour to reach Saint-

Maur-des-Fossé station. In the carriage she sits opposite an elderly Chinese man huddled up

sleeping, his forehead pressed against the glass. She stares at his exhausted face. At each

stop, she hesitates to wake him. She is afraid he will get lost, will go too far, and wake up164

alone at the terminus, forced to double back along the line. Yet she doesn’t say anything. It

is better not to talk to strangers. Once, a very pretty, young brunette had almost smacked her,

“what are you looking at? Who do you think you are looking at me like that”165, she cried.

Arriving at Auber, Louise jumps off onto the platform. Commuters166 are beginning to

gather, a woman jostles past her as she climbs the stairs to the metro platform. A sickeningly

sweet smell of croissants and burnt chocolate fills her nostrils167. She takes line 7 to Opéra

station and comes back up to street level at Poissonnière station.


158
Nous avons fusionné ces trois phrases en une seule pour faciliter la lecture.
159
Nous avons supprimé la conjonction ‘mais’ au début de cette phrase car on ne commence pas une phrase
avec une conjonction dans l’anglais courant.
160
Nous avons étoffé la phrase pour qu’elle soit plus idiomatique.
161
Nous avons traduit l’expression ‘avoir l’esprit vif’ avec son équivalente ‘to have your wits about you’.
162
De même ici, nous avons traduit ‘chez elle’ par ‘bedsit’ qui souligne que Louise n’a pas vraiment de ‘chez
elle’.
163
Nous préférons l’effet stylistique ici de deux phrases distinctes et concises au lieu d’une seule.
164
Nous n’avons pas traduit ‘ouvre les yeux’ littéralement. Nous trouvons ‘wake up’ plus idiomatique.
165
Ici, nous avons transposé idiomatiquement le sens de la phrase.
166
Nous avons traduit ‘du monde’ par ‘commuters’ qui convient mieux au contexte.
167
Nous avons traduit ‘prendre à la gorge’ par ‘fills her nostrils’ car nous pensons que cette collocation
convient au contexte.

63
Louise a presque une heure d’avance et elle s’attable à la terrasse du Paradis, un café sans

charme depuis lequel elle peut observer l’entrée de l’immeuble. Elle joue avec sa cuillère.

Elle regarde avec envie l’homme à sa droite, qui tète sa cigarette de sa bouche lippue et

vicieuse. Elle voudrait la lui saisir des mains et aspirer une longue bouffée. Elle n’y tient

plus, paie son café et entre dans l’immeuble silencieux. Dans un quart d’heure elle sonnera

et, en attendant, elle s’assoit sur une marche, entre deux étages. Elle entend un bruit, elle a à

peine le temps de se lever, c’est Paul qui descend les escaliers en sautillant. Il porte son vélo

sous le bras et un casque rose sur le crâne.

« Louise ? Vous êtes là depuis longtemps ? Pourquoi n’êtes-vous pas entrée ?

-Je ne voulais pas déranger.

-Vous ne dérangez pas, au contraire. Tenez, ce sont vos clés, dit-il en tirant un trousseau

de sa poche. Allez-y, faites comme chez vous. »

64
Louise is almost an hour early. She168 sits down at a table on the terrace of café Paradis -

a rather charmless café from where she can watch the building entrance. She plays with her

spoon, looking169 on in envy at a man to her right who is sucking on a cigarette between his

thick fleshy lips. She would like to seize his hand and take a long drag170. She can’t wait any

longer at the café171, pays for her coffee and silently enters the building. She will ring the

doorbell in a quarter of an hour. She172 sits on a step between the two floors waiting. She

hears someone coming and barely has time to get up; it is Paul, bouncing down the stairs173,

carrying his bike under his arm and wearing a pink helmet.

“Louise? Have you been waiting here for long174? Why didn’t you come in?

-I didn’t want to disturb you.

-You aren’t disturbing us, quite the opposite. Here, these are your keys, he says, taking a

bunch of keys from his pocket. Go on in and make yourself at home175.”


168
Nous avons créé deux phrases ici pour une lecture fluide.
169
Nous avons lié ces deux phrases afin d’éviter la répétition du pronom ‘elle’.
170
Nous avons traduit l’expression idiomatique ‘prendre une bouffée de cigarette’ par son équivalente ‘to
take a drag’.
171
Nous avons employé la stratégie d’explication ici en traduisant le pronom ‘y’ par ‘café’.
172
Nous préférons l’effet stylistique de deux phrases indépendantes ici.
173
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture logique et facile.
174
Nous avons reformulé cette phrase pour poser la question d’une manière qui est grammaticalement correcte.
175
L’expression ‘faites comme chez vous’ a été traduite par ‘make yourself at home’.

65
« Ma nounou est une fée. » C’est ce que dit Myriam quand elle raconte l’irruption de

Louise dans leur quotidien. Il faut qu’elle ait des pouvoirs magiques pour avoir transformé

cet appartement étouffant, exigu, en un lieu paisible et clair. Louise a poussé les murs. Elle a

rendu les placards plus profonds, les tiroirs plus larges. Elle a fait entrer la lumière.

Le premier jour, Myriam lui donne quelques consignes. Elle lui montre comment

fonctionnent les appareils. Elle répète, en désignant des objets ou un vêtement : « Ça, faites-

y attention. J’y tiens beaucoup. » Elle lui fait des recommandations sur la collection de

vinyles de Paul, à laquelle les enfants ne doivent pas toucher. Louise acquiesce, mutique et

docile. Elle observe chaque pièce avec l’aplomb d’un général devant une terre à conquérir.

Dans les semaines qui suivent son arrivée, Louise fait de cet appartement brouillon un

parfait intérieur bourgeois. Elle impose ses manières désuètes, son goût pour la perfection.

Myriam et Paul n’en reviennent pas. Elle recoud les boutons de leurs vestes qu’ils ne mettent

plus depuis des mois par flamme de chercher une aiguille. Elle refait les ourlets des jupes et

des pantalons. Elle reprise les vêtements de Mila, que Myriam s’apprêtait à jeter sans regret.

Louise lave les rideaux jaunis par le tabac et la poussière. Une fois par semaine, elle change

les draps. Paul et Myriam s’en réjouissent. Paul lui dit en souriant qu’elle a des airs de Mary

Poppins. Il n’est pas sûr qu’elle ait saisi le compliment.

La nuit, dans le confort de leurs draps frais, le couple rit, incrédule, de cette nouvelle vie

qui est la leur. Ils ont le sentiment d’avoir trouvé la perle rare, d’être bénis.

66
“My nanny is a fairy.” These are the words with which176 Myriam likes to describe

Louise’s abrupt explosion into their daily lives. She must have magic powers to have

transformed this suffocating, cramped apartment into a pleasant and bright space. Louise

pushed back the walls177, made the cupboards deeper and the drawers larger. She brought in

light.

On the first day, Myriam gives her some advice. She shows her how the appliances

work,178 repeating instructions, pointing at objects or an item of clothing: “you must be

careful with this, I like it a lot.” She warns her about Paul’s record collection, which the

children must not touch. Louise meekly and mutely acquiesces. She studies each room with

the poise of a General contemplating territory to be conquered.

In the weeks following her arrival, Louise transforms this muddled apartment into the

epitome of bourgeois interior design179. She imposes her old-fashioned mannerisms and her

perfectionist tendencies. Myriam and Paul cannot get over the difference180. She sews

buttons onto jackets that they haven’t worn for months, as no one bothered to find a needle.

She repairs the hems of skirts and trousers and recovers some of Mila’s clothes that Myriam

was prepared to throw out without a second thought181. Louise washes the curtains, yellowed

from cigarette smoke and dust. Once a week she changes the bed linen. Myriam and Paul

delight in it. Smiling, Paul tells her she is like Mary Poppins. He is not sure if she has

understood the compliment.

At night, in the comfort of their clean sheets, the happy couple laugh in disbelief at their

new life. They feel blessed, like they have found a rare gem182.


176
Nous avons étoffé cette phrase pour qu’elle soit plus idiomatique.
177
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture fluide.
178
De même, nous avons créé une seule phrase ici pour une lecture plus logique et naturelle.
179
Il faut étoffer cette phrase pour qu’elle ait le même sens en anglais.
180
Nous avons complètement reconstruit cette phrase pour faciliter la compréhension
181
Nous avons décidé de traduire ‘sans regret’ par l’expression idiomatique ‘without a second thought’ que
nous trouvons plus littéraire.
182
Nous avons réorganisé cette phrase pour qu’elle soit plus logique et nous avons traduit ‘la perle rare’ par ‘a
rare gem’.

67
Bien sûr, le salaire de Louise pèse sur le budget familial mais Paul ne s’en plaint plus. En

quelques semaines, la présence de Louise est devenue indispensable.

Le soir, quand Myriam rentre chez elle, elle trouve le dîner prêt. Les enfants sont calmes

et peignés. Louise suscite et comble les fantasmes de famille idéale que Myriam a honte de

nourrir. Elle apprend à Mila à ranger derrière elle et la petite fille accroche, sous les yeux

ébahis de ses parents, son manteau à la patère.

Les biens inutiles ont disparu. Avec elle, plus rien ne s’accumule, ni la vaisselle, ni les

vêtements sales, ni les enveloppes qu’on a oublié d’ouvrir et qu’on retrouve sous un vieux

magazine. Rien ne pourrit, rien ne se périme. Louise ne néglige jamais rien. Louise est

scrupuleuse. Elle note tout dans un petit carnet à la couverture fleurie. Les horaires de la

danse, des sorties d’école, des rendez-vous chez le pédiatre. Elle copie le nom des

médicaments que prennent les petits, le prix de la glace qu’elle a achetée au manège et la

phrase exacte que lui a dite la maîtresse de Mila.

Au bout de quelques semaines, elle n’hésite plus à changer les objets de place. Elle vide

entièrement les placards, accroche des sachets de lavande entre les manteaux. Elle fait des

bouquets de fleurs. Elle éprouve un contentement serein quand, Adam endormi et Mila

à l’école, elle peut s’asseoir et contempler sa tâche. L’appartement silencieux est tout entier

sous son joug comme un ennemi qui aurait demandé grâce.

68
Of course, Louise’s salary weighs heavily 183 on the family budget but Paul no longer

complains about it. Within a few weeks, Louise’s184 presence has become indispensable.

Dinner is ready when Myriam arrives home in the evenings185. The children are tidy and

calm. Louise arouses and fulfils the fantasies of an ideal family that Myriam is ashamed to

thrive on186. She teaches Mila to tidy up after herself187. Under the astonished gaze of her

parents, the little girl hangs her coat up.

Useless possessions disappeared. Nothing accumulates, no dirty dishes, no dirty laundry,

or unopened envelopes found beneath old magazines188. There is no waste, nothing goes out

of date, not a thing is neglected189; Louise is scrupulous. She notes everything down in a

notebook with a flower-patterned cover; 190 dance lessons, school trips, paediatrician

appointments. She copies down the medication that the children take, the price of the ice

cream she bought at the carousel and the exact words spoken to her by Mila’s teacher.

After a few weeks, she has no hesitation in moving things around. She completely

empties cupboards, hangs lavender sachets between the coats191 and arranges flowers. While

Adam sleeps and Mila is at school, she feels a serene contentment as she sits contemplating

her work192. The entire silent apartment is completely under her thumb193 like an enemy who

begged for mercy.


183
Nous avons ajouté l’adverbe ‘heavily’, cette collocation clarifie mieux le sens de la phrase.
184
Nous avons employé la voix active ici qui nous semble plus naturelle.
185
Nous avons reformulé la phrase pour qu’elle se lise d’une manière idiomatique.
186
Nous avons opté pour une traduction idiomatique et avons traduit ‘nourrir’ par ‘thrive on’.
187
Nous avons créé deux phrases distinctes ici, pour une lecture qui nous semble plus logique.
188
Ici nous avons supprimé ‘avec elle’ qui donne une lourdeur inutile à la phrase et nous avons employé la voix
passive au lieu de la voix active qui convient mieux au contexte.
189
Nous avons reconstruit ces trois phrases en une seule phrase concise qui reflète mieux le style tranchant de
Slimani.
190
Nous avons fusionné ces deux phrases pour une lecture facile.
191
Nous avons aussi lié ces deux phrases afin d’éviter la répétition du pronom ‘elle’.
192
Nous avons réorganisé l’ordre de la phrase pour qu’elle se lise d’une manière plus logique.
193
‘Under her thumb’ est l’équivalent de l’expression ‘sous son joug’.

69
Mais c’est dans la cuisine qu’elle accomplit les plus extraordinaires merveilles. Myriam

lui a avoué qu’elle ne savait rien faire et qu’elle n’en avait pas le goût. La nounou prépare

des plats que Paul juge extraordinaires et que les enfants dévorent, sans un mot et sans que

jamais on ait besoin de leur ordonner de finir leur assiette. Myriam et Paul recommencent à

inviter des amis qui se régalent des blanquettes de veau, des pot-au-feu, des jarrets à la

sauge, et des légumes croquants que fait mijoter Louise. Ils félicitent Myriam, la couvrent de

compliments mais elle avoue toujours : « C’est ma nounou qui a tout fait. »

70
It is in the kitchen, however194, that she accomplishes her most extraordinary wonders.

Myriam confessed that she didn’t know how to cook and had no interest in it. The nanny

prepares meals that Paul finds exceptional and which the children silently devour, without

ever needing to be told to finish their dinner. Myriam and Paul start to invite friends over

again, who gush over dishes such as, blanquette of veal, beef casserole, lamb shanks with

sage and crunchy vegetables that Louise par boils. They praise Myriam, showering195 her

with compliments, she always admits: “my nanny does it all.”


194
Nous avons supprimé la conjonction ‘mais’ au début de la phrase et nous l’avons remplacée avec
‘however’ au milieu de la phrase qui exprime la même fonction d’une manière plus idiomatique.
195
Nous avons traduit ‘couvrir des compliments’ par son expression équivalente ‘shower with
compliments’

71
Quand Mila est à l’école, Louise attache Adam contre elle avec une grande étole. Elle

aime sentir les cuisses potelées de l’enfant sur son ventre, sa salive qui coule dans son cou

quand il s’endort. Elle chante toute la journée pour ce bébé dont elle exalte la paresse. Elle le

masse, s’enorgueillit de ses bourrelets, de ses joues roses et rebondies. Le matin, l’enfant

l’accueille en gazouillant, ses gros bras tendus vers elle. Dans les semaines qui suivent

l’arrivée de Louise, Adam apprend à marcher. Lui qui criait toutes les nuits dort d’un

sommeil paisible jusqu’au matin.

Mila, elle est plus farouche. C’est une petite fille frêle au port de ballerine. Louise lui fait

des chignons si serrés que la petite a les yeux bridés, étirés sur les tempes. Elle ressemble

alors à l’une de ces héroïnes du Moyen Âge au front large, au regard noble et froid. Mila est

une enfant difficile, épuisante. Elle répond à toutes les contrariétés par des hurlements. Elle

se jette par terre en pleine rue, trépigne, se laisse traîner sur le sol pour humilier Louise.

Quand la nounou s’accroupit et tente de lui parler, Mila regarde ailleurs. Elle compte à haute

voix les papillons sur le papier peint. Elle s’observe dans le miroir quand elle pleure. Cette

enfant est obsédée par son propre reflet. Dans la rue, elle a les yeux rivés sur les vitrines. À

plusieurs reprises, elle s’est cognée contre des poteaux ou elle a trébuché sur les petits

obstacles du trottoir, distraite par la contemplation d’elle-même.

Mila est maligne. Elle sait que la foule veille, et que Louise a honte dans la rue. La

nounou cède plus vite quand elles ont un public. Louise doit faire des détours pour éviter le

magasin de jouets de l’avenue, devant lequel l’enfant pousse des cris stridents.

72
When Mila is at school, Louise fastens Adam to her with a large stole. She likes the feel

of his chubby thighs against her abdomen, of his drool trickling down her neck when he

sleeps. She sings all day long to this baby, whose idleness she glorifies. She caresses him,

taking pride in the folds of his stomach and rosy plump cheeks. He welcomes her, in the

mornings, with his babbling and outstretched arms. In the weeks that follow Louise’s

arrival196, Adam learns to walk. He no longer cries197 all night but sleeps peacefully until

morning.

Mila198 is a wilder child. She199 is a little puny girl with the air of a ballerina. Louise ties

her hair in such tight buns that her eyes appear slanted, stretched across her temples. She

resembles one of those heroines from the Middle Ages, with her large forehead and her

noble and cold expression. Mila is a difficult and exhausting child. She responds to all her

vexations by screeching. She throws herself on the ground in the middle of the street,

kicking her feet, letting herself be dragged along the ground to embarrass Louise. When the

nanny hunkers down and tries to speak to her, Mila refuses to look at her200. She counts

aloud the butterflies on the wallpaper. She watches herself in the mirror when she cries. This

child is obsessed with her own reflection. In the streets, her gaze is fixated on shop windows.

She often bangs into poles or trips over little bumps in the footpath, distracted by her own

self-contemplation.

Mila is cunning. She knows that people in the street are watching and that Louise is

embarrassed;201 the nanny gives in sooner when they have an audience. Louise has to make

detours to avoid the local202 toyshop, in front of which the child lets out strident cries.


196
La voix active est utilisée car elle convient mieux à l’usage courant de l’anglais.
197
Nous avons employé la modulation ici qui est plus idiomatique.
198
Nous avons supprimé le pronom ‘elle’ qui donne une lourdeur inutile à la phrase.
199
Il faut utiliser le pronom ‘elle’ ici au lieu de ‘it’ qui serait grammaticalement incorrect.
200
Nous avons employé la modulation ici.
201
Nous avons lié ces deux phrases qui nous semble plus logique.
202
Nous avons ajouté le mot ‘local’ ici pour clarifier que c’est un magasin devant lequel Louise passe souvent.

73
Sur le chemin de l’école, Mila traîne ses pieds. Elle vole une framboise sur l’étal d’un

primeur. Elle monte sur le rebord des vitrines, se cache sous les porches d’immeuble et

s’enfuit à toutes jambes. Louise essaie de courir avec la poussette, elle hurle le nom de la

petite qui ne s’arrête qu’à l’extrême bord du trottoir. Parfois, Mila regrette. Elle s’inquiète de

la pâleur de Louise et des frayeurs qu’elle lui cause. Elle revient aimante, câline, se faire

pardonner. Elle s’accroche aux jambes de la nounou. Elle pleure et réclame de la tendresse.

Lentement, Louise apprivoise l’enfant. Jour après jour, elle lui raconte des histoires où

reviennent toujours les mêmes personnages. Des orphelins, des petites filles perdues, des

princesses prisonnières et des châteaux que des ogres terribles laissent à l’abandon. Une

faune étrange, faite d’oiseaux au nez tordu, d’ours à une jambe et de licornes mélancoliques,

peuple les paysages de Louise. La fillette se tait. Elle reste près d’elle, attentive, impatiente.

Elle réclame le retour des personnages. D’où viennent ces histoires ? Elles émanent d’elle,

en flot continu, sans qu’elle y pense, sans qu’elle fasse le moindre effort de mémoire ou

d’imagination. Mais dans quel lac noir, dans quelle forêt profonde est elle allée pêcher ces

contes cruels où les gentils meurent à la fin, non sans avoir sauvé le monde ?

74
On the way to school, Mila drags her feet203, steals a raspberry from the greengrocer’s stall,

climbs on window ledges, hides in apartment block entrances and runs off as fast as she can.

Louise tries to run after her with the buggy, she shouts the little girl’s name; who doesn’t

stop until she is on the edge of the footpath. Sometimes Mila shows remorse204; troubled by

the pallor of Louise’s face and the fright she gives her. She comes back loving and

affectionate, seeking forgiveness. She clings onto the nanny’s legs205, crying and demanding

affection.

Slowly, Louise wins over the child. Day after day, she tells her stories with the same

recurring characters206; orphans, lost little girls, imprisoned princesses and castles abandoned

to hideous ogres. Strange fauna populate Louise’s imagined207 landscapes; birds with warped

noses, one-legged bears and gloomy unicorns. The little girl stays quiet208, watchful and

restless, she remains close to Louise. She begs for the return of the characters. Where do

these stories come from? They emanate from her, continuously flowing, without her having

to think about them, without her memorising or imagining them. Yet, from which dark lake,

or deep forest, did she fish out these cruel tales; where good people die at the end, not

without having saved the world?


203
Nous avons créé une seule phrase ici pour une lecture plus logique et fluide.
204
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture plus fluide.
205
Nous avons aussi lié ces deux phrases pour éviter la répétition du pronom ‘elle’ qui rend la lecture moins
saccadée.
206
Nous avons créé une seule phrase ici qui nous semble plus logique.
207
Nous avons ajouté le mot ‘imagined’ pour clarifier le sens de la phrase et nous avons changé l’ordre de
mots pour que la phrase se lise d’une manière logique.
208
Ici aussi nous avons créé une seule phrase afin d’éviter la répétition des phrases qui commence avec le
pronom ‘elle’.

75
Myriam est toujours déçue quand elle entend s’ouvrir la porte du cabinet d’avocats dans

lequel elle travaille. Vers 9 h 30, ses collègues commencent à arriver. Ils se servent un café,

les téléphones hurlent, le parquet craque, le calme est brisé.

Myriam est au bureau avant 8 heures. Elle est toujours la première. Elle n’allume que la

petite lampe posée sur son bureau. Sous ce halo de lumière, dans ce silence de caverne, elle

retrouve la concentration de ses années d’étudiante. Elle oublie tout et se plonge avec

délectation dans l’examen de ses dossiers. Elle marche parfois dans le couloir sombre, un

document à la main, et elle parle toute seule. Elle fume une cigarette sur le balcon en buvant

un café.

Le jour où elle a repris le travail, Myriam s’est réveillée aux aurores, pleine d’une

excitation enfantine. Elle a mis une jupe neuve, des talons, et Louise s’est exclamée : « Vous

êtes très belle. » Sur le pas de la porte, Adam dans le bras, la nounou a poussé sa patronne

dehors. « Ne vous inquiétez pas pour nous, a-t-elle répété. Ici, tout ira bien. »

Pascal a accueilli Myriam avec chaleur. Il lui a donné le bureau qui communique avec le

sien par une porte qu’ils laissent souvent entrouverte. Deux ou trois semaines seulement

après son arrivée, Pascal lui a confié des responsabilités auxquelles des collaborateurs

vieillissants n’ont jamais eu droit. Au fil des mois, Myriam traite seule les cas de dizaine de

clients. Pascal l’encourage à se faire la main et à déployer sa force de travail, qu’il sait

immense. Elle ne dit jamais non. Elle ne refuse aucun des dossiers que Pascal lui tend, elle

ne se plaint jamais de terminer tard. Pascal lui dit souvent : « Tu es parfaite. »

76
Myriam is always disappointed when she hears the door open at the law practice where

she is employed. At around 9.30am, her colleagues begin to arrive. They make themselves a

coffee, telephones ring loudly, the floor creaks; the silence is broken.

Myriam is at the office before 8am, always the first to arrive209, switching on only the

small lamp on her desk. Beneath this halo of light, in a den like silence, she regains the

concentration of her student days. Oblivious to everything210, she delightedly immerses

herself in her case files. Sometimes she walks along the sombre hallway, holding a

document, talking to herself. She smokes a cigarette on the balcony while drinking her

coffee.

The day Myriam returned to work, she woke at dawn filled with a childlike excitement.

She put on a new skirt and high heels, Louise exclaimed; “you look beautiful”. On the

doorstep, with Adam in her arms, the nanny ushered her employer outside. “Don’t worry

about us, she repeated, everything will be fine.”

Pascal warmly welcomed Myriam. He assigned her the office adjoining his own with a

connecting door that they frequently left ajar. A mere couple211 of weeks after her arrival,

Pascal entrusted her with responsibilities that older associates were never allowed. Over the

following months, Myriam handles a dozen cases on her own. Pascal encourages her to gain

hands-on experience212 and to utilise the immense work ethic213 he knows she has. She never

says no214, or refuses any case Paul gives her, neither does she complain about working late.

Pascal often praises215 her, “you are amazing216.”


209
Nous avons créé une seule phrase ici pour éviter la répétition du pronom ‘elle’.
210
Nous avons employé la modulation ici qui est plus idiomatique.
211
Nous avons traduit ‘deux ou trois semaines’ par ‘a mere couple’ car il est plus littéraire.
212
Nous avons traduit l’expression ‘à se faire la main’ par son équivalente ‘to gain hands-on experience’.
213
Nous avons traduit ‘force de travail’ par ‘work ethic’ qui convient mieux au contexte.
214
Nous avons fusionné ces trois phrases pour une lecture fluide.
215
Nous trouvons ‘praises’ plus stylistique ici.
216
De même, nous n’avons pas traduit la phrase littéralement car nous pensons que ‘you are amazing’
convient mieux au contexte.

77
Pendant des mois, elle croule sous les petites affaires. Elle défend des dealers minables, des

demeurés, un exhibitionniste, des braqueurs sans talent, des alcooliques arrêtés au volant.

Elle traite les cas de surendettement, les fraudes à la carte bleue, les usurpations d’identité.

Pascal compte sur elle pour trouver de nouveaux clients et l’encourage à consacrer du

temps à l’aide juridictionnelle. Deux fois par mois, elle se rend au tribunal de Bobigny, et

elle attend dans le couloir, jusqu’à 21 heures, les yeux rivés sur sa montre, et le temps qui ne

passe pas. Elle s’agace parfois, répond de manière brutale à des clients déboussolés. Mais

elle fait de son mieux et elle obtient tout ce qu’elle peut. Pascal le lui répète dans cesse :

« Tu dois connaître ton dossier par cœur. » Et elle s’y emploie. Elle relit les procès-verbaux

jusque tard dans la nuit. Elle soulève la moindre imprécision, repère la plus petite erreur de

procédure. Elle y met une rage maniaque qui finit par payer. D’anciens clients la conseillent

à des amis. Son nom circule parmi les détenus. Un jeune homme, à qui elle a évité une peine

de prison ferme, lui promet de la récompenser. « Tu m’as sorti de là. Je ne l’oublierai pas. »

Un soir, elle est appelée en pleine nuit pour assister à une garde à vue. Un ancien client a

été arrêté pour violence conjugale. Il lui avait pourtant juré qu’il était incapable de porter un

coup à une femme. Elle s’est habillée dans le noir, à 2 heures du matin, sans faire de bruit, et

elle s’est penchée vers Paul pour l’embrasser. Il a grogné et il s’est retourné.

Souvent, son mari lui dit qu’elle travaille trop et ça la met en rage. Il s’offusque de sa

réaction, surjoue la bienveillance. Il fait semblant de se préoccuper de sa santé, de s’inquiéter

que Pascal ne l’exploite. Elle essaie de ne pas penser à ses enfants, de ne pas laisser la

culpabilité la ronger.

78
For months, she is swamped217 with small cases. She defends petty drug dealers, half-wits,

bungling burglars, drink drivers and an exhibitionist. She works on bankruptcy cases, debit

card fraud and identity theft.

Pascal relies on her to find new clients and encourages her to devote some time to

providing free legal aid. Twice a month she attends Bobigny218 Court, waiting in the corridor

until 9pm, eyes glued to her watch; on time that stands still. Sometimes she becomes

frustrated with her dysfunctional clients answering them abruptly. Yet, she does her best and

obtains all she can. Pascal constantly reminds her, “you have to know your case inside

out219.” She follows his advice220, rereading statements late into the night. She picks up on

the slightest ambiguity, spotting the smallest procedural error. She applies herself

tenaciously, and it eventually pays off. Former clients recommend her to their friends. Her

name circulates among inmates. A young man, whom she helped avoid a prison term,

promises to repay her. “You got me out of this mess221. I won’t forget it.”

One evening, in the dead of night, she is called to assist a detainee in police custody. A

former client had been arrested for domestic violence. He had, however, sworn he was

incapable of hitting a woman. At two in the morning, she dressed silently in the dark, leant

over and kissed Paul222. He grunted and turned over.

Her husband frequently tells her that she works too much, which infuriates her. With

exaggerated benevolence, he is offended by her reaction. He pretends to worry about her

health and is concerned that Pascal is exploiting her. She tries not to think of her children, to

not let guilt gnaw away at her.


217
Nous avons traduit l’expression ‘crouler sous le travail’ par ‘to be swamped with work’.
218
Il y a une perte de sens ici car nous n’avons pas trouvé une façon efficace de démontrer la connotation
associée avec le quartier Seine-Saint-Denis où se trouve le tribunal de Bobigny.
219
Nous avons employé la modulation ici; nous avons traduit ‘par cœur’ par ‘inside out’ au lieu de ‘by heart’
car il convient mieux au contexte.
220
Nous n’avons pas traduit cette phrase littéralement, nous avons opté pour une traduction plus idiomatique.
221
Nous avons étoffé la phrase avec ‘this mess’ pour clarifier le sens.
222
Nous avons réorganisé l’ordre de mots dans cette phrase pour qu’elle se lise d’une manière logique.

79
Parfois, elle en vient à imaginer qu’ils sont tous ligués contre elle. Sa belle-mère tente de la

persuader que « si Mila est si souvent malade c’est parce qu’elle se sent seule. » Ses

collègues ne lui proposent jamais de les accompagner boire un verre après le travail et

s’étonnent des nuits qu’elle passe au bureau. « Mais tu n’as pas des enfants, toi ? » Jusqu’à

la maîtresse, qui l’a convoquée un matin pour lui parler d’un incident idiot entre Mila et une

camarade de classe. Lorsque Myriam s’est excusée d’avoir manqué les dernières réunions et

d’avoir envoyé Louise à sa place, la maîtresse aux cheveux gris a fait un large geste de la

main. « Si vous saviez ! C’est le mal du siècle. Tous ces pauvres enfants sont livrés à eux-

mêmes, pendant que les deux parents sont dévorés par la même ambition. C’est simple, ils

courent tout le temps. Vous savez quelle est la phrase que les parents disent le plus souvent à

leurs enfants ? “Dépêche-toi!” Et bien sûr, c’est nous qui subissons tout. Les petits nous font

payer leurs angoisses et leur sentiment d’abandon. »

Myriam avait furieusement envie de la remettre à sa place mais elle en était incapable.

Était-ce dû à cette petite chaise, sur laquelle elle était mal assise, dans cette classe qui sentait

la peinture et la pâte à modeler ? Le décor, la voix de l’institutrice la ramenaient de force à

l’enfance, à cet âge de l’obéissance et de la contrainte. Myriam a souri. Elle a remercié

bêtement et elle a promis que Mila ferait des progrès. Elle s’est retenue de jeter au visage de

cette vieille harpie sa misogynie et ses leçons de morale. Elle avait trop peur que la dame

aux cheveux gris ne se venge sur son enfant.

80
Sometimes she even comes to imagine that they are all pitted against her. Her mother-in-law

tries to convince her that “if Mila is so frequently sick, it is because she feels abandoned223.”

Her colleagues never invite her for after-work drinks and are shocked by the evenings she

spends at the office. “Don’t you have children”, they ask224. Including Mila’s teacher, who

summoned her one morning to discuss a silly incident between Mila and her classmate.

While Myriam was apologising for having missed the previous parent-teacher meetings and

for sending Louise instead, the grey haired teacher made a sweeping gesture with her hand.

“If only you knew! It’s the scourge of the century. All these poor children left to fend for

themselves225, while both their parents are consumed by the same ambition. It’s simple;226

they are always rushing. Do you know the most common phrase parents say to their

children? - ‘Hurry up!’ Naturally we bear the brunt227 of it all. The little ones make us pay

for their distress and sense of abandonment.”

Myriam had a furious desire to put her in her place, yet was unable to do so. Was it

because of the small chair on which she was awkwardly sitting, in this classroom that smelt

of paint and play dough? The decor and the teacher’s tone brought her firmly back to her

own childhood, to a time of obedience and restraint. She foolishly thanked her and promised

that Mila would improve. She restrained herself from throwing this old shrew’s misogyny

and moral lessons back in her face228, too afraid the grey-haired woman would take it out on

her child.


223
Nous avons traduit le mot ‘seule’ par ‘abandoned’ car il transpose mieux le sens de la remarque faite par la
belle-mère.
224
Nous avons ajouté ‘they ask’ pour souligner le jugement que ses collègues portent envers elle.
225
Nous avons traduit ‘se livrer à eux-mêmes’ d’une manière idiomatique qui convient mieux au contexte.
226
Nous avons ajouté un point-virgule ici pour l’effet stylistique.
227
Nous avons traduit ‘subissons tous’ par l’expression idiomatique ‘to bear the brunt of something’.
228
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture facile.

81
Pascal, lui, semble comprendre la rage qui l’habite, sa faim immense de reconnaissance et

de défis à sa mesure. Entre Pascal et elle, un combat s’engage auquel ils prennent tous les

deux un plaisir ambigu. Il la pousse, elle lui tient tête. Il l’épuise, elle ne le déçoit pas. Un

soir, il l’invite à boire un verre après le travail. « Ça va faire six mois que tu es parmi nous,

ça se fête non ? » Ils marchent en silence dans la rue. Il lui tient la porte du bistrot et elle lui

sourit. Ils s’assoient au fond de la salle, sur des banquettes tapissées. Pascal commande une

bouteille de vin blanc. Ils parlent d’un dossier en cours et, très vite, ils se mettent à évoquer

des souvenirs des leurs années étudiantes. La grande fête qu’avait organisée leur amie

Charlotte dans son hôtel particulier du dix-huitième arrondissement. La crise de panique,

absolument hilarante, de la pauvre Céline le jour des oraux. Myriam boit vite et Pascal la fait

rire. Elle n’a pas envie de rentrer chez elle. Elle voudrait n’avoir personne à prévenir,

personne qui l’attend. Mais il y a Paul. Et il y a les enfants.

Une tension érotique légère, piquante, lui brûle la gorge et les seins. Elle passe sa langue

sur ses lèvres. Elle a envie de quelque chose. Pour la première fois depuis longtemps, elle

éprouve un désir gratuit, futile, égoïste, Un désir d’elle-même. Elle a beau aimer Paul, le

corps de son mari est comme lesté de souvenirs. Lorsqu’il la pénètre, c’est dans son ventre

de mère qu’il entre, son ventre lourd, où le sperme de Paul s’est si souvent logé. Son ventre

de replis et de vagues, où ils ont bâti leur maison, où ont fleuri tant de soucis et tant de joies.

Paul a massé ses jambes gonflées et violettes. Il a vu le sang s’étaler sur les draps.

82
Pascal229 seemed to understand the rage inside her, her immense hunger for recognition

and challenges befitting her potential. A sort of competition begins between Pascal and

Myriam, in which they both take an obscure pleasure. He pushes her and she holds her own.

He drains her and she doesn’t disappoint him. One evening after work, he invites her for a

drink. “You’ve been with us for six months now, we 230 have to celebrate no?” They walk

silently in the street. He holds the Bistro door open for her, she smiles at him. They sit down

the back on upholstered seats. Pascal orders a bottle of white wine. They chat about an on-

going case and very quickly begin to reminisce on their student days231; of the big party their

friend Charlotte had organised in her residence in the 18th arrondissement, of the hilarious

panic attack that poor Céline had the day of the orals. Myriam drinks quickly and Pascal

makes her laugh. She doesn’t want to go home. She would like not to have to let anybody

know where she was, to have no one waiting for her 232, but there is Paul and the children.

A slight erotic and sharp tension burns in her throat and breasts. She licks her lips233; she

feels a primal longing overcome her234. For the first time in a long while she feels a selfish,

vain and gratuitous desire. A desire for herself. She loves Paul but it is futile235, her

husband’s body is laden with memories. When he enters her, it is into her womb that he

enters, her heavy womb, where Paul’s sperm frequently lodged. Her womb of folds and

ridges, where they built their nest236, where so many joys and worries have blossomed. Paul

massaged her swollen purplish legs. He saw the blood spread across the sheets.


229
Nous avons supprimé le pronom ‘lui’ car il donne une lourdeur inutile à la phrase. Nous avons traduit ‘sa
faim’ littéralement car il est plus idiomatique, Nous avons aussi étoffé la phrase avec le verbe ‘to befit’.
230
Nous avons remplacé le pronom ‘ça’ avec ‘we’ qui est plus idiomatique en anglais.
231
Nous avons lié ces trois phrases pour une lecture logique et fluide.
232
De même, nous avons créé une seule phrase ici afin d’éviter une lecture saccadée.
233
Nous avons opté pour une traduction idiomatique ici, pour faciliter la compréhension.
234
Nous avons reformulé cette phrase et créé une seule car une traduction littérale ne conviendrait pas ici.
235
Nous avons étoffé cette phrase pour que le sens soit plus clair.
236
Nous avons traduit ‘maison’ par ‘nest’ car il est plus poétique.

83
Paul lui a tenu les cheveux et le front pendant qu’elle vomissait, accroupie. Il l’a entendue

hurler. Il a épongé son visage couvert d’angiomes tandis qu’elle poussait. Il a extrait d’elle

ses enfants.

Elle avait toujours refusé l’idée que ses enfants puissent être une entrave à sa réussite, à

sa liberté. Comme une ancre qui entraîne vers le fond, qui tire le visage du noyé dans la

boue. Cette prise de conscience l’a plongée au début dans une profonde tristesse. Elle

trouvait cela injuste, terriblement frustrant. Elle s’était rendu compte qu’elle ne pourrait plus

jamais vivre sans avoir le sentiment d’être incomplète, de faire mal les choses, de sacrifier

un pan de sa vie au profit d’un autre. Elle en avait fait un drame, refusant de renoncer au

rêve de cette maternité idéale. S’entêtant à penser que tout était possible, qu’elle atteindrait

tous ses objectifs, qu’elle ne serait ni aigre ni épuisée. Qu’elle ne jouerait ni à la martyre ni à

la Mère courage.

Tous les jours, ou presque, Myriam reçoit une notification de la part de son amie Emma.

Elle poste sur les réseaux sociaux des portraits au ton sépia de ses deux enfants blonds. Des

enfants parfaits qui jouent dans un parc et qu’elle a inscrits dans une école qui épanouira les

dons que, déjà, elle devine en eux. Elle leur a donné des pronoms imprononçables, issus de

la mythologie nordique et dont elle aime à expliquer la signification. Emma est belle, elle

aussi, sur ces photographies. Son mari, lui, n’apparaît jamais, éternellement voué à prendre

en photo une famille idéale à laquelle il n’appartient que comme spectateur.

84
He held her hair and forehead as she hunkered down and vomited. He listened to her cry out.

He sponged her face, covered in angiomas while she pushed;237 he delivered their children

from her.

She had always rejected the idea that her children could hinder her success, or

autonomy238. Like an anchor dragging towards the bottom, pulling the face of the drowned

into the sludge. This realisation firstly plunged her into a profound sadness. She found it

unjust and terribly frustrating. She had come to realise that she would never again be able to

live without feeling incomplete, incompetent239, like she is sacrificing one part of her life for

another. In refusing to renounce the dream of this ideal motherhood, she made a big deal

about it240, persisting in her conviction that she could achieve all her goals and would not be

bitter or exhausted. That she would not play either the Martyr or Mother Courage.

Almost every day Myriam receives a Facebook241 notification from her friend Emma. She

posts242 sepia filtered photos of her two blonde children. Two perfect children playing in the

park, enrolled in a school that will nurture the talents she already senses in them. She gave

them unpronounceable names deriving from Norse mythology, whose meaning she enjoys

explaining. Emma243 also looks beautiful in the photos. Her husband never features in these

images, eternally destined to photograph the perfect family to which he belongs only as a

spectator.


237
Nous avons lié ces deux phrases avec un point-virgule car nous trouvons cet effet stylistique reflète mieux le
style de Slimani.
238
Nous avons traduit ‘liberté’ par ‘autonomy’ plutôt que ‘freedom’ car il convient mieux au contexte.
239
Nous n’avons pas traduit ‘de faire mal les choses’ littéralement. Nous avons opté pour le mot
‘incompetent’ qui est plus littéraire.
240
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture plus logique et facile.
241
Nous avons employé la stratégie d’explicitation ici en ajoutant le mot ‘Facebook’.
242
Nous avons supprimé ‘réseaux sociaux’ car il est clair qu’elle poste ses photos sur Facebook.
243
Nous avons supprimé le pronom ‘elle’ car cela donne une lourdeur inutile à la phrase.

85
Il fait pourtant des efforts pour entrer dans le cadre. Lui, qui porte la barbe, des pulls en laine

naturelle, lui qui met pour travailler des pantalons serrés et inconfortables.

Myriam n’oserait jamais confier à Emma cette pensée fugace qui la traverse, cette idée

qui n’est pas cruelle mais honteuse et qu’elle a en observant Louise et ses enfants. Nous ne

serons heureux, se dit-elle alors, que lorsque nous n’aurons plus besoin les uns des autres.

Quand nous pourrons vivre une vie à nous, une vie qui nous appartienne, qui ne regarde pas

les autres. Quand nous serons libres.

86
He makes however, various244 attempts to get in the shot. He has a beard, wears jumpers

made from natural wool and tight uncomfortable trousers to work.

Myriam would never dare to confide in Emma the fleeting thought she has when

observing Louise and her children, this idea that is not cruel, but rather shameful245; we will

not be happy, she tells herself, until we no longer need one another. When we can live our

own lives, a life that belongs to us alone, and does not concern anyone else - when we will

be free.


244
Nous avons ajouté le mot ‘various’ pour démontrer qu’il fait plusieurs efforts pour entrer dans ces photos
idéales.
245
Nous avons réorganisé l’ordre des mots dans la phrase pour qu’elle se lise d’une manière logique. Nous
avons aussi lié ces deux phrases avec un point-virgule qui rend la phrase plus poignante.

87
Myriam se dirige vers la porte et regarde à travers le judas. Toutes les cinq minutes, elle

répète : « Ils sont en retard. » Elle rend Mila nerveuse. Assise sur le bord du canapé, dans

son affreuse robe en taffetas, Mila a les larmes aux yeux. « Tu crois qu’ils ne viendront pas ?

-Mais bien sûr qu’ils viendront, répond Louise. Laissez-leur le temps d’arriver. »

Les préparatifs pour l’anniversaire de Mila ont pris des proportions qui dépassent

Myriam. Depuis deux semaines, Louise ne parle que de ça. Le soir, quand Myriam rentre

épuisée du travail, Louise lui montre les guirlandes qu’elle a confectionnées elle-même. Elle

lui décrit avec une voix hystérique cette robe en taffetas qu’elle a trouvée dans une boutique

et qui, elle en est certaine, rendra Mila folle de joie. Plusieurs fois, Myriam a dû se retenir de

la rabrouer. Elle est fatiguée de ces préoccupations ridicules. Mila est si petite ! Elle ne voit

pas l’intérêt de se mettre dans des états pareils. Mais Louise la fixe, de ses petits yeux

écarquillés. Elle prend à témoin Mila qui exulte de bonheur. C’est tout ce qui compte, le

plaisir de cette princesse, la féerie de l’anniversaire à venir. Myriam ravale ses sarcasmes.

Elle se sent un peu prise en faute et finit par promettre qu’elle fera de son mieux pour

assister à l’anniversaire.

Louise a décidé d’organiser la fête un mercredi après-midi. Elle voulait être sûre que les

enfants seraient à Paris et que tout le monde répondrait présent. Myriam s’est rendue au

travail le matin et elle a juré d’être de retour après le déjeuner.

Quand elle est rentrée chez elle, en début d’après-midi, elle a failli pousser un cri. Elle ne

reconnaissait plus son propre appartement. Le salon était littéralement transformé,

dégoulinant de paillettes, de ballons, de guirlandes en papier.

88
Myriam goes to the door and peers through the spyhole246, repeating every five minutes,

“they’re late.” She is making Mila anxious. Sitting on the edge of the sofa in her ghastly

taffeta dress, Mila’s eyes fill with tears. “Do you think they aren’t coming?”

-Of course they are coming, Louise responds. Give them time to get here.”

Preparations for Mila’s birthday have taken on proportions that are beyond Myriam’s

comprehension247. For two weeks it is the only thing Louise talks about. In the evening when

Myriam returns home exhausted, Louise shows her the garlands she made herself. She

passionately describes the taffeta dress she found in a shop and that she is sure will make

Mila so happy. Several times Myriam had to restrain herself from reproaching her. She was

tired of these trivialities 248. Mila is so small! She doesn’t see the point of working yourself
249
up into such a state. Louise stares at her with her small eyes open wide 250, taking Mila

who is basking in joy as her witness. All that matters is the happiness of this princess, the

fairy of the upcoming birthday. Myriam swallows her sarcasm. She feels a little caught in

the act 251 and ends up promising to do her best to attend the party.

Louise decided to organise the party for a Wednesday afternoon. She wanted to make

sure all the children would be in Paris and so would all accept the invitation252. Myriam went

to work in the morning and promised to be back after lunch.

When she arrived home in the early afternoon, she almost screamed. She no longer

recognised her own apartment. The living room had literally been transformed, festooned

with sequins, balloons and paper garlands.


246
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture fluide.
247
Nous avons ajouté le mot ‘comprehension’ pour clarifier le sens du verbe ‘dépasser’
248
Nous n’avons pas traduit ‘préoccupations ridicules’ littéralement nous trouvons ‘trivialities’ plus
stylistique.
249
Nous avons traduit ‘se mettre dans des états pareils’ par l’expression idiomatique ‘to work oneself up
into’.
250
Nous avons lié ces deux phrases pour une lecture logique.
251
L’expression ‘prise en faute’ a été traduit par ‘caught in the act’.
252
Nous avons étoffé cette phrase avec ‘to the invitation’ pour que le sens soit plus clair.

89
Mais surtout, le canapé avait été enlevé pour permettre aux enfants de jouer. Et même la

table en chêne, si lourde qu’ils ne l’avaient jamais changée de place depuis leur arrivée, avait

été déplacée de l’autre côté de la pièce.

« Mais qui a bougé ces meubles ? C’est Paul qui vous a aidée ?

-Non, répond Louise. J’ai fait cela toute seule. »

Myriam, incrédule, a envie de rire. C’est une blague, pense-t-elle, en observant les bras

menus de la nounou, aussi fins que des allumettes. Puis elle se souvient qu’elle a déjà

remarqué l’étonnante force de Louise. Une ou deux fois, elle a été impressionnée par la

façon dont elle se saisissait de paquets lourds et encombrants, tout en tenant Adam dans ses

bras. Derrière ce physique fragile, étroit, Louise cache une vigueur de colosse.

Toute la matinée, Louise a gonflé des ballons auxquels elle a donné des formes

d’animaux et elle les a collés partout, du hall jusque sur les tiroirs de la cuisine. Elle a fait

elle-même le gâteau d’anniversaire, une énorme charlotte aux fruits rouges surmontée de

décorations.

Myriam regrette d’avoir pris son après-midi. Elle aurait été si bien, dans le calme de son

bureau. L’anniversaire de sa fille l’angoisse. Elle a peur d’assister au spectacle des enfants

qui s’ennuient et qui s’impatientent. Elle ne veut pas avoir à raisonner ceux qui se disputent

ni à consoler ceux dont les parents sont en retard pour venir les chercher. Des souvenirs

glaçants de sa propre enfance lui reviennent en mémoire. Elle se revoit assise sur un épais

tapis en laine blanc, isolée du groupe de petites filles qui jouaient à la dînette. Elle avait

laissé fondre un morceau du chocolat entres les fils de laine puis elle avait essayé de

dissimuler son méfait, ce qui n’avait fait qu’empirer les choses. La mère de son hôte l’avait

grondée devant tout le monde.

90
More importantly, the sofa had been removed to allow the children to play. Even the oak

table that was so heavy, they hadn’t changed its place since they moved in253 was now on the

other side of the room.

“Who moved all this furniture? Did Paul help you?”

-No, replies Louise. I did it all myself.”

Myriam wants to laugh in disbelief. It has to be a joke, she thinks to herself, while noting

the nanny’s slender arms, as thin as matchsticks. Then she remembers that she has already

witnessed Louise’s astonishing strength. Once or twice, she had been fascinated by the way

she would grasp hold of heavy and cumbersome bags while carrying Adam in her arms.

Behind this slim and svelte254 physique, Louise hides immense strength.

All morning long, Louise inflated balloons and shaped them into animals, taping them

everywhere from the entrance hallway to the kitchen drawers. She made the birthday cake

herself, an enormous red berry Charlotte topped with decorations.

Myriam regrets taking her afternoon off. She would have been so happy in her office

haven 255. Her daughter’s birthday makes her anxious. She is afraid to partake in the

theatrics256 of the children who are bored and cranky. She doesn’t want to have to reason

with those who are bickering, or console those whose parents arrive late to collect them.

Chilling memories from her own childhood flash across257 her mind. She can see herself

sitting on a thick white wool rug, isolated from the other little girls playing house. She had

let a piece of chocolate melt between the wool yarns and tried to conceal her wrongdoing,

which just made things worse. Her host’s mother had scolded her in front of everyone.


253
Nous avons opté de traduire ‘leur arrivé’ par ‘moved in’ qui est plus idiomatique.
254
Nous n’avons pas traduit ‘étroit’ littéralement nous trouvons ‘svelte’ plus littéraire.
255
Nous avons traduit ‘le calme’ par ‘haven’ cela démontre mieux le fait que Myriam trouve refuge dans son
travail.
256
Nous avons décidé de traduire ‘spectacle’ par ‘theatrics’ qui incarne le comportement exagéré des jeunes
enfants.
257
Ici, nous avons traduit ‘reviennent en mémoire’ par ‘flash across her mind’ car ces sont de souvenirs
glaçants qui normalement reviennent tout d’un coup, d’une manière abrupte.

91
Myriam se cache dans sa chambre, dont elle ferme la porte, elle fait semblant d’être

absorbée par la lecture de ses mails. Elle sait que, comme toujours, elle peut compter sur

Louise. La sonnette se met à retentir. Le salon enfle de bruits enfantins. Louise a mis de la

musique. Myriam sort discrètement de la chambre et elle observe les petits, agglutinés

autour de la nounou. Ils tournent autour d’elle, totalement captivés. Elle a préparé des

chansons et des tours de magie. Elle se déguise sous leurs yeux stupéfaits et les enfants, qui

ne sont pourtant pas faciles à berner, savent qu’elle est des leurs. Elle est là, vibrante,

joyeuse, taquine. Elle entonne des chansons, fait des bruits d’animaux. Elle prend même

Mila et un camarade sur le dos devant des gamins qui rient aux larmes et la supplient de

participer, eux aussi, au rodéo.

92
Myriam hides in her room, closing the door behind her, pretending to be engrossed258 in

her emails. As always, she knows259 she can count on Louise. The doorbell begins to chime.

The living room fills with children’s cries. Louise has put on some music. Myriam discretely

comes out of the bedroom and observes the children clumped together around the nanny.

They circle around her completely captivated. She prepared songs and magic tricks. She

disguises herself before the children’s astonished eyes, who are not so easily fooled and

know she is one of them. She stands there vibrant, joyful and playful260, bursting into song

and making animal noises. She even carries Mila and a friend on her back before the others

crying with laughter, begging her to let them play rodeo too.


258
Nous avons traduit ‘la lecture’ par ‘engrossed’ car il est plus littéraire.
259
Nous avons réorganisé l’ordre de mots dans cette phrase pour qu’elle soit plus logique.
260
Nous avons créé une seule phrase ici pour une lecture fluide.

93
Myriam admire chez Louise cette capacité à jouer vraiment. Elle joue, animée de cette

toute-puissance que seuls les enfants possèdent. Un soir, en rentrant chez elle, Myriam

trouve Louise couchée par terre, le visage peinturluré. Sur ses joues et le front, des larges

traits noirs lui font un masque de guerrière. Elle s’est fabriquée une coiffe indienne en papier

crépon. Au milieu du salon, elle a construit un tipi tordu avec un drap, un balai et une chaise.

Debout dans l’entrebâillement de la porte, Myriam est troublée. Elle observe Louise qui se

tord, qui pousse des cris sauvages et elle en est affreusement gênée. La nounou a l’air soûle.

C’est la première pensée qui lui vient. En l’apercevant, Louise se lève, les joues rouges, la

démarche titubante. « J’ai des fourmis dans les jambes », s’excuse-t-elle. Adam s’est

accroché à son mollet et Louise rit, d’un rire qui appartient encore au pays imaginaire dans

lequel ils ont ancré leur jeu.

Peut-être, se rassure Myriam, que Louise est une enfant elle aussi. Elle prend très au

sérieux les jeux qu’elle lance avec Mila. Elles s’amusent par exemple au policier et au

voleur, et Louise se laisse enfermer derrière des barreaux imaginaires. Parfois, c’est elle qui

représente l’ordre et qui court après Mila. À chaque fois, elle invente une géographie précise

que Mila doit mémoriser. Elle confectionne des costumes, élabore un scénario plein de

rebondissements. Elle prépare le décor avec un soin minutieux. L’enfant parfois se lasse.

« Allez, on commence ! » supplie-t-elle.

Myriam ne le sait pas mais ce que Louise préfère, c’est jouer à cache-cache. Sauf que

personne ne compte et qu’il n’y a pas de règles. Le jeu repose d’abord sur l’effet de surprise.

Sans prévenir, Louise disparaît.

94
Myriam admires in Louise her ability to really play. She plays, animated by an

enthusiasm261 that only children possess. Upon returning home one evening, Myriam finds

Louise lying on the floor, her face daubed with paint. Thick black lines on her cheeks and

forehead camouflage her warrior face262. She made an Indian headband from crepe paper. In

the centre of the living room, she built a crooked Tepee with a sheet, sweeping brush and

chair. Standing on the doorstep, Myriam is uneasy. She watches Louise squirming on the

ground, making wild noises, and is extremely disturbed by it. The first thought that springs

to her mind is that the nanny seems drunk263. Louise notices her, she gets up staggering, her

cheeks rosy. “I had pins and needles in my legs”, she explains. Adam hung onto her calf and

Louise laughs a laugh that still belongs to the imaginary world in which their game was

anchored.

Perhaps Louise is also a child, Myriam reassures herself. She takes the games she plays

with Mila very seriously. For example they have fun playing cops and robbers, Louise

allows herself to be locked behind imaginary bars. Sometimes she is the policeman264 and

runs after Mila. Each time she invents a specific geography that Mila must memorise. She

makes costumes and formulates a scenario with several plot twists265. She meticulously

arranges the scene. Sometimes the child becomes bored. “Come on, let’s start!” she begs.

Myriam isn’t aware that Louise’s favourite game266 is hide and go seek267; except there is

no counting, no rules. The game rests predominantly on the element of surprise. Without any

warning, Louise disappears.


261
Nous avons traduit ‘toute-puissance’ par ‘enthusiasm’ car une traduction littérale n’aurait pas de sens.
262
Ici nous avons réorganisé l’ordre de mots pour que la phrase se lise d’une manière logique et nous avons
aussi traduit le verbe ‘faire’ par ‘camouflage’ qui est plus stylistique qu’une traduction littérale.
263
Nous avons aussi lié ces deux phrases et changé l’ordre de mots pour une lecture plus logique.
264
Nous avons employé la stratégie de particularisation ici ; nous avons traduit ‘l’ordre’ par ‘policeman’.
265
Nous avons traduit ‘rebondissements’ par la collocation ‘plot twists’ qui convient bien au contexte.
266
Nous avons ajouté le mot ‘game’ ici pour que le sens de la phrase soit plus clair.
267
Nous avons créé une seule phrase ici qui nous semble plus naturelle et logique.

95
Elle se blottit dans un coin et laisse les enfants la chercher. Elle choisit souvent des endroits

où, cachée, elle peut continuer à les observer. Elle se glisse sous le lit ou derrière une porte et

elle ne bouge pas. Elle retient sa respiration.

Mila comprend alors que le jeu a commencé. Elle crie, comme folle, et elle tape dans ses

mains. Adam la suit. Il rit tellement qu’il a du mal à se tenir debout et tombe, plusieurs fois,

sur les fesses. Ils l’appellent mais Louise ne répond pas. « Louise ? Où es-tu ? » « Attention

Louise, on arrive, on va te trouver. »

Louise ne dit rien. Elle ne sort pas de sa cachette, même quand ils hurlent, qu’ils pleurent,

qu’ils se désespèrent. Tapie dans l’ombre, elle espionne la panique d’Adam, prostré, secoué

de sanglots. Il ne comprend pas. Il appelle « Louise » en avalant la dernière syllabe, la morve

coulant sur ses lèvres, les joues violettes de rage. Mila, elle aussi, finit par avoir peur.

Pendant un instant, elle se met à croire que Louise est vraiment partie, qu’elle les a

abandonnés dans cet appartement où la nuit va tomber, qu’ils sont seuls et qu’elle ne

reviendra plus. L’angoisse est insupportable et Mila supplie la nounou. Elle dit : « Louise,

c’est pas drôle. Où es-tu ? » L’enfant s’énerve, tape des pieds. Louise attend. Elle les regarde

comme on étudie l’agonie du poisson à peine pêché, les ouïes en sang, le corps secoué de

convulsions. Le poisson qui frétille sur le sol du bateau, qui tète l’air de sa bouche épuisée,

le poisson qui n’a aucune chance de s’en sortir.

Puis Mila s’est mise à découvrir les cachettes. Elle a compris qu’il fallait tirer les portes,

soulever les rideaux, se baisser pour regarder sous le sommier. Mais Louise est si menue

qu’elle trouve toujours de nouvelles tanières où se réfugier.

96
She huddles into a corner and lets the children search for her268, often choosing places where

she can continue to observe them. She slips under the bed or behind a door and remains

motionless269, holding her breath.

Mila realises that the game has begun. She screams wildly, clapping her hands. Adam

follows her. He laughs so much he has difficulty remaining upright, falling frequently on his

bottom. They call her name270 but Louise doesn’t respond. “Louise? Where are you?” “You

better watch out, we’re going to find you271.”

Louise says nothing. She doesn’t move from her hiding place, even when they yell, cry

and become desperate. Crouching in the shadows, she spies on Adam’s terror, as he lies

shaking and sobbing on the floor 272 . He doesn’t understand. He calls out “Louise”,

swallowing the last syllable, snot running onto his lips, his cheeks purple with rage. Mila

too, ends up feeling scared. For a moment, she starts to believe Louise has really left,

abandoning them in this apartment where it will soon be dark - that they are all alone and she

will not return. The sense273 of distress is unbearable. Mila pleads with the nanny saying274,

“Louise, it’s not funny. Where are you?” The child loses her temper and stamps her feet.

Louise waits. She watches them as one studies the painful death of a freshly caught fish, gills

bloodied, body convulsing and writhing275 on the boat floor, sucking air with his exhausted

mouth -276a fish that has no chance of escaping.

Then Mila started to discover her hiding places. She realised she had to open doors, lift up

curtains and bend down to look beneath the bed frame. Yet, Louise is so slender she always

manages to find refuge in a new lair.


268
Nous avons fusionné ces deux phrases pour éviter la répétition du pronom ‘elle’.
269
Nous avons employé la modulation ici et nous avons aussi créé une seule phrase pour une lecture facile.
270
Nous avons ajouté le mot ‘name’ qui rend la phrase plus idiomatique.
271
Nous n’avons pas traduit cette phrase littéralement, nous avons opté pour une traduction idiomatique.
272
Nous avons étoffé cette phrase pour qu’elle suive la syntaxe de l’anglais.
273
Nous avons aussi étoffé cette phrase en ajoutant ‘sense of’ qui est plus stylistique.
274
Nous avons lié ces deux phrases qui nous semble plus logique.
275
Nous avons aussi fusionné ces deux phrases pour une lecture cohérente.
276
Nous avons ajouté un tiret qui rend le style de la phrase plus frappant.

97
Elle se glisse dans le panier à linge sale, sous le bureau de Paul ou au fond d’un placard et

rabat sur elle une couverture. Il lui est arrivé de se cacher dans la cabine de douche dans

l’obscurité de la salle de bains. Mila, alors, cherche en vain. Elle sanglote et Louise se

fige. Le désespoir de l’enfant ne la fait pas plier.

Un jour, Mila ne crie plus. Louise est prise à son propre piège. Mila se tait, tourne autour

de la cachette et fait semblant de ne pas découvrir la nounou. Elle s’assoit sur le panier à

linge sale et Louise se sent étouffer.

« On fait la paix ? » murmure l’enfant.

Mais Louise ne veut pas abdiquer. Elle reste silencieuse, les genoux collés au menton.

Les pieds de la petite fille tapent doucement contre le panier à linge en osier. « Louise, je

sais que tu es là », dit-elle en riant. D’un coup, Louise se lève, avec une brusquerie qui

surprend Mila et qui la projette sur le sol. Sa tête cogne contres les carreaux de la douche.

Étourdie, l’enfant pleure puis, face à Louise triomphante, ressuscitée, Louise qui la regarde

du haut de sa victoire, sa terreur se mue en une joie hystérique. Adam a couru jusqu’à la

salle de bains et il se mêle à la gigue à laquelle se livrent les deux filles, qui gloussent à s‘en

étouffer.

98
She slips into the laundry basket, beneath Paul’s desk, or at the back of a cupboard,

lowering a cover over her. Once she277 hid in the shower cubicle in the darkness of the

bathroom. Mila searches in vain. She sobs and Louise doesn’t move an inch278. The child’s

distress has no effect on her.

One day, Mila stops crying out. Louise is caught in her own trap. Mila keeps quiet,

walking around the hiding place, pretending not to have found the nanny. She sits on top of

the laundry basket, Louise feels suffocated. “Want to call a truce279?” the child murmurs.

Louise280 does not want to surrender. She remains silent, her knees pressed to her chin.

The little girl’s feet gently tap against the wicker laundry basket. “Louise, I know you’re in

there”, she says laughing. All of a sudden, Louise brusquely gets up, catching Mila by

surprise and propelling her into the air. Her head bangs against the bathroom tiles. Stunned,

the child starts to cry281. In front of a triumphant and resuscitated Louise, looking down at

her victoriously, Mila’s282 terror transforms into frenzied joy. Adam runs to the bathroom

intertwining himself in the jig that the girls are indulging in, which makes them choke from

laughter.


277
Nous avons employé la voix active ici qui convient mieux à l’usage courant de l’anglais.
278
Nous avons employé la modulation ici.
279
Nous n’avons pas traduit la phrase littéralement nous pensons que l’expression idiomatique ‘call a truce’
convient mieux au contexte.
280
Nous avons supprimé la conjonction ‘mais’ qui donnerait une lourdeur inutile à la phrase.
281
Nous avons créé deux phrases distinctes ici qui facilite la compréhension de la phrase.
282
Nous avons remplacé le pronom ‘sa’ par ‘Mila’ pour clarifier que le pronom fait référence à l’enfant et
pas à Louise.

99
Quatrième Chapitre : Commentaire de la traduction

4.1 Une analyse des défis rencontrés et des stratégies employées


Nous poursuivons maintenant avec une analyse précise des théories, stratégies et

procédés que nous avons mis en œuvre dans notre traduction des neufs premiers chapitres de

Chanson Douce. Comme nous avons souligné dans le deuxième chapitre de ce mémoire, le

grand défi de la traduction de ce roman repose principalement sur la question du style.

Malgré le manque de consensus autour de la notion du style, le fil conducteur parmi la

recherche des théoriciens qui abordent cette notion est l’examen du choix des mots employés

de la part d’un auteur et ensuite de la part d’un traducteur. Comme Brannen souligne ;

[t]he generally accepted meaning of style as the individualistic


mark of a writer from another, that quality of expression
differentiating one writer from another, is treated in translation
theory as word choice.283

Chez l’auteur ces choix représentent, comme Baker et Boase-Beier montrent, la façon

particulière dont un auteur s’exprime, ainsi que sa vision du monde. Chez le traducteur, ces

choix tentent de refléter l’intention de l’auteur mais qui sont inévitablement marqués par

l’idiolecte du traducteur. La preuve de cette réalité est évidente «any two translations of a

nontrivial nature exceeding a few sentences in length will never be identical.»284 Clifford

Landers, dans son œuvre, Literary Translation : A Practical Guide, nous montre que

l’idiolecte d’un traducteur explique pourquoi il préfère «one word to another equally

acceptable one»285 et par conséquence, «over time, an experienced translator will tend to

make similar decisions when facing decision points ; the result, for better or worse, is


283
BRENNAN Noah, ‘Translating Style’, Japan Quarterly, 1993, Vol. (40) No. (2), p. 142-155. p. 142.
284
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge: Cromwell Press Ltd. p.
90.
285
Ibid. p. 91.

100
style.» 286 Un sentiment que Munday partage dans son œuvre, Style and Ideology in

Translation. Munday essaie d’identifier ces traces linguistiques qu’un traducteur laisse dans

sa traduction et qui constituent sa façon particulière de traduire et comme Landers, Munday

constate que «these linguistic elements, conscious or subconscious on the part of the

translator, obvious or concealed, are the result of the translator’s idiolect.» 287 Comme

Hermans, Munday soutient que l’idiolecte d’un traducteur porte les influences sociales,

politiques, culturelles, économiques et historiques du milieu et de l’époque dont un

traducteur est issu car «the language of all translators, as with all individuals, is revealing of

the ideology (in terms of value systems and sets of beliefs) that is part of their

background.»288 Cependant, cela ne veut pas dire qu’un traducteur a le droit de manipuler le

texte comme il veut, comme Newmark affirme, «you have no right to change words that

have plain one-to-one translations just because you think they sound better than the

original.» 289 Nous voulons plutôt souligner le fait que «any utterance is such a

multidimensional and many-faceted thing that no translator is ever short of a little elbow

room.»290 C’est cette marge de manœuvre qui constitue le style d’un traducteur ; une marge

de libre-choix qui révèle l’affirmation de Vinay et Darbelnet qu’il y a une dimension

artistique de la traduction car «l’art est un choix qui repose sur une certaine liberté.»291 La

traduction littéraire est une série infinie des choix et «as a subfield of literature-and literature

is indisputably an art rather than a science - translation is subjective in essence.»292 Les défis

stylistiques dans la traduction du roman Chanson Douce, révèlent comment nous avons


286
Ibid.
287
MUNDAY Jeremy, Style and Ideology in Translation: Latin American Writing in English, 2008, Oxon :
Routledge. p. 7.
288
Ibid. p. 8.
289
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 36.
290
BELLOS David, Is That a Fish in Your Ear?: Translation and the meaning of everything, 2014, New York :
Faber & Faber. p. 322
291
VINAY Jean. Paul et DARBELNET Jean, Stylistique comparée du français et de l’anglais, 1958, Paris :
Didier. p. 21.
292
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
4.

101
employé cette marge de libre-choix. Ce commentaire examinera les choix que nous avons

faits au cours de notre traduction.

Comme nous avons déjà noté, la question pour nous est de savoir identifier le lien

entre le style de l’auteur du texte source et le style personnel du traducteur. Comme Baker,

Munday préconise que c’est seulement à travers une analyse descriptive entre le texte source

et le texte cible que nous découvrons ce lien. Selon Munday, «analysis of the style of the

translator must take into account the markedness of the ST before determining the

markedness of the TT»293, un travail qui est facilité par l’existence de plusieurs traductions

faites par des traducteurs différentes du texte cible. 294 La publication de la traduction

anglaise officielle de Chanson Douce est prévue pour l’année prochaine par la maison

d’édition Faber et ce sera un point de départ intéressant pour la recherche supplémentaire de

faire une comparaison entre notre traduction et la traduction officielle. Cependant, pour

l’instant, ce commentaire nous fournira avec le recul nécessaire d’identifier les choix que

nous avons faits consciemment et inconsciemment dans notre traduction. Une analyse

profonde méthodique de ces choix souligne les théories sur lesquelles nous nous sommes

basés dans cette traduction et montre la variété des défis auxquels nous étions confrontés,

ainsi que nos tendances stylistiques grâce à notre idiolecte personnel.

Le but de notre traduction est de faire entendre la voix engagée de Slimani en

reproduisant son style précis, succinct et nuancé en anglais. Slimani elle-même a enoncé

dans plusieurs entretiens l’intention du livre, ou bien le message qu’elle veut transmettre à

ses lecteurs, comme nous avons souligné dans notre premier chapitre. Elle écrit au nom des

femmes, elle rejette l’image conventionnelle de la féminité qui, d’après elle, représente la

293
MUNDAY Jeremy, Style and Ideology in Translation: Latin American Writing in English, 2008, Oxon :
Routledge. p 20.
294
Ibid.

102
femme ; «either as sensual creatures or maternal creatures»295et par conséquent, «the woman

who rejects both of those roles and is neither a mother or a whore, doesn’t exist. So we need

to invent that woman. And that is what I try to do when I write.»296Ainsi que sa promotion

de l’égalité chez les femmes, son écriture vise l’écart profond entre les classes en France,

quand on lui demande si son roman traite de la question de classe, elle répond, «certainly, on

how, in our bourgeois society, we pretend that class doesn’t exist. Everyone is the same;

everyone’s nice. When actually that is not the case.»297 Cette voix militante est le fil

conducteur de notre approche de la traduction que nous avons réalisée. Slimani emploie

plusieurs stratégies afin de transmettre cette même voix et d’évoquer chez le lecteur un

regard interrogatif vis-à-vis la société contemporaine française, notamment la forme flash-

back du récit, le ton neutre du narrateur et sa plume acérée.

Pour recréer ce même effet, nous nous sommes appuyés sur le travail de Newmark

qui affirme qu’un traducteur doit identifier «every nuance of the author’s meaning»298 et il

soutient que «serious imaginative literature and authoritative personal statements, have to be

translated closely, matching the writing, good or bad of the original.» 299 Il y a une

contradiction dans cette affirmation quand nous devons traduire des mots qui n’auraient pas

les mêmes connotations dans le texte cible si nous faisions une traduction littérale, cependant

pour la plupart, nous avons essayé d’employer la traduction littérale dès que possible.

Ainsi, la théorie linguistique de Vinay et Darbelnet et les procédés qu’ils ont

développés sont indispensables pour aider notre traduction surtout ; la transposition, la

modulation, l’adaptation, l’explicitation et l’étoffement. La transposition est non seulement


295
http://www.telegraph.co.uk/women/family/chanson-douce-next-gone-girl-authors-book-killer-nanny-next/,
consulté le 29 mai 2017.
296
Ibid.
297
Ibid.
298
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 16.
299
Ibid.

103
le procédé le plus utilisé dans notre traduction mais aussi un des procédés le plus

inconsciemment employé. Au niveau de la syntaxe, c’est la transposition qui nous permet

«to intuitively and automatically make certain conversions; you transpose the SL grammar

(clauses and groups) into their ready TL equivalents»300, et donc nous permet de surmonter

les différences dans les structures grammaticales qui existent entre la langue française et la

langue anglaise. La modulation est employée lorsque une traduction littérale ne serait pas

idiomatique ou quand cela convient mieux à l’usage courant de l’anglais. Nous avons mis en

œuvre l’explicitation, l’adaptation et l’étoffement dans les cas où il y aurait une dimension

d’ambiguïté autour du sens implicite dans la phrase, si nous avions gardé une traduction

littérale, notamment dans la traduction des connotations car, «the literary translator must be

constantly vigilant to select the term that conveys not only denotation but connotation as

well301» Ces trois stratégies incarnent aussi la notion de l’équivalence dynamique proposée

par Nida et qui souligne le fait que les mots n’ont pas de sens figé mais c’est plutôt le

contexte linguistique et culturel dans lequel un mot est employé qui détermine le sens du

mot. Nous préciserons ces cas plus tard dans notre discussion de la mise en œuvre de ces

mêmes stratégies.

De même, nous nous sommes appuyés sur les notions de domestication et

foreignisation, proposées par Venuti. Pour nous, il est très important que le public

anglophone comprenne que l’histoire se déroule en France et plus précisément à Paris, où la

tendance d’avoir une nounou est aussi répandue au sein d’un certain milieu. Nous avons

employé la stratégie de foreignisation en gardant tous les noms de localité, les prénoms et

noms patronymiques du texte source et en fournissant une note du traducteur pour les

lacunes culturelles, par exemple nous avons retenu l’orthographe française de «Myriam» au

300
Ibid. p. 22.
301
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
139.

104
lieu de l’orthographe anglaise, car elle porte d’importantes informations culturelles. En

revanche, au niveau de la fluidité de la lecture, nous avons donné la priorité à la lisibilité car

les éditeurs et les maisons d’éditions «regard readability as the key to the novel’s success

with the Western pleasure reader, and readability may require a degree of domestication.302»

Nous avons employé cette stratégie au niveau de la syntaxe en transformant la syntaxe

française afin qu’elle convienne avec l’usage courant de l’anglais, et également au niveau

des expressions figées qui ont été traduites par leurs équivalentes en anglais, par exemple

nous avons traduit l’expression française ‘bel et bien’ par son équivalente ‘well and truly’.

En ce qui concerne notre idiolecte personnel, sa présence est très évidente dans la

modification de la longueur des phrases, la suppression de la répétition du pronom ‘elle’ et

en évitant des phrases qui commencent par une conjonction. Slimani emploie des phrases

très courtes, souvent sans les connecteurs logiques qui sont nécessaires en anglais. Une

tendance qui, selon Newmark, est très courante dans la langue française car «French tends to

use commas as conjunctions.303» C’est ainsi que nous nous sommes écartée du «close

translation» proposé par Newmark pour suivre l’approche de la traduction du style

préconisée par Noah Brannen. Brannen met l’accent sur le fait que le même genre du style se

manifeste dans des façons différentes dans chaque langue, selon lui, «style is language

specific, i.e., the arrangement of words, phrases and sentences conform to the rules of usage

of a particular language304» donc si on veut recréer un style particulier, il faut adapter le style

à l’usage courant de la langue cible comme Brannen souligne, «since style is tied to

language in this intricate manner, a good functional-equivalence translation must adjust the


302
HARMAN Nicky, “FOREIGN CULTURE, FOREIGN STYLE”, Taylor & Francis, 2006, Vol. (14) No. (1),
p. 13-31. p. 25.
303
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 58.
304
BRENNAN Noah, ‘Translating Style’, Japan Quarterly, 1993, Vol. (40) No. (2), p. 142-155. p. 144.

105
style to conform to the rules of the receptor language305» Nous n’avons pas choisi d’étoffer

ces phrases avec des connecteurs logiques mais nous avons plutôt opté pour une approche

qui refléterait un style précis et direct en anglais. Autrement dit, nous avons créé souvent une

seule phrase au lieu d’étoffer deux phrases courtes, ou nous avons créé deux phrases

indépendantes au lieu d’une seule phrase longue et lourde en anglais. De même, nous avons

aussi essayé d’employer la ponctuation d’une manière qui évite le besoin d’étoffer

inutilement des phrases en anglais et donc reflète mieux le style de Slimani. Comme

Newmark nous rappelle :

Certain transpositions appear to go beyond linguistic differences


and can be regarded as general options available for stylistic
consideration. Thus a complex sentence can normally be converted
to a co-ordinate sentence, or to two simple sentences.306

Nous avons essayé de réaliser une traduction qui incarne la voix de l’auteure et son

style unique. Nous poursuivons maintenant avec l’analyse des choix que nous avons faits au

cours de notre traduction et des exemples concrets de l’emploi des stratégies de traduction.

4.2 La mise en œuvre des stratégies employées

Nous avons divisé en sous catégories les choix et les défis grammaticaux et

stylistiques auxquels nous avons dû faire face. Comme nous avons déjà souligné ; la

traduction littérale est employée autant que possible, ces exemples mentionnés ci-dessous

exposent les cas où une traduction littérale «is considered unsuitable, unidiomatic or

awkward in the TL.»307


305
Ibid.
306
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 87.
307
MUNDAY Jeremy, Introducing Translation Studies: Theories and Applications, 2016, Oxon : Routledge. p.
88.

106
Le Ton du Texte

Le ton neutre est très important dans ce roman car «one thing that Chanson Douce is

not about, Slimani is at pains to point out, is blame.»308 Slimani veut présenter la société

contemporaine française telle qu’elle est, elle veut que ses lecteurs soient actifs, qu’ils

s’interrogent d’une manière profonde et honnête et donc c’est aux lecteurs d’arriver à un

jugement sur le crime de Louise. Elle explique que «le but c’est juste de raconter, de

montrer, pour permettre au lecteur de se faire sa propre opinion.»309 Pour atteindre ce but,

nous avons employé la stratégie de transposition, en transposant la voix active en français en

voix passive en anglais. Ce choix rend la voix du narrateur plus neutre en anglais, un

élément fondamental dans la lecture de ce roman et aussi au niveau stylistique car comme

Landers nous rappelle, «in literary translation how one says something can be as important,

sometimes more important, than what one says.310» Le traducteur doit toujours se rendre

compte du ton du texte dans ses choix des stratégies de traduction et une telle sensibilité au

ton nous permet d’éviter «such traps as slavish fealty to literal meaning that distorts the

author’s intent.»311

Un autre élément qui influence le ton du récit est la façon dont Slimani emploie le temps

présent. D’habitude, quand on raconte une histoire, ou un événement du passé, on emploie le

temps du passé, cependant avec la forme flash-back du roman, Slimani remonte le temps

d’une manière qui rend l’histoire palpable. L’usage du temps présent rapproche le lecteur à

l’engrenage des événements. Cet effet stylistique crée une proximité intime entre le lecteur


308
http://www.telegraph.co.uk/women/family/chanson-douce-next-gone-girl-authors-book-killer-nanny-next/,
consulté le 29 mai 2017.
309
http://www.glamourparis.com/culture/livre-a-lire/articles/chanson-douce-pourquoi-faut-il-absolument-lire-
leila-slimani-/47089, consulté le 27 juin 2017.
310
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
7.
311
Ibid. p. 67.

107
et les personnages, car «lire Leïla Slimani, c’est vivre avec ses personnages, s’immiscer dans

leurs esprits et palper leurs troubles.»312

Connotation et Dénotation : Le Registre

Le registre du texte est profondément lié au ton et donc aussi aux choix des mots

appropriés pour le contexte en question. Les connotations et dénotations implicites dans une

langue sont aussi importantes que le ton car «in literary text, you have to give precedence to

its connotations, since, if it is any good, it is an allegory, a comment on society, at the time

and now, as well as its strict setting.»313 Dans notre traduction, il y a deux instances

particulières où nous avons employé la stratégie d’explicitation et la stratégie d’adaptation,

afin de rendre les connotations implicites dans le texte source, explicites dans le texte cible.

Nous voulions garder l’intention de l’auteure autant que possible et nous avons décidé de

traduire le mot «voilée» par «hijab» car ce mot transmet explicitement en anglais ce que

Slimani veut dire en français. Une traduction littérale ne conviendrait pas ici car en anglais,

il n’est pas forcément implicite que «voilée» veut dire musulmane.

De même, nous avons décidé d’employer la stratégie d’adaptation en traduisant le

logement de Louise par le mot «bedsit» en anglais, afin de souligner sa pauvreté et de

surmonter cette différence culturelle entre le niveau de vie en France et en Irlande. Ce genre

de logement n’est pas du tout courant en Irlande, et contrairement à beaucoup d’autres pays

européens, l’Irlande reste un pays où la quasi-totalité de la population possède leur propre

maison. De plus, cette adaptation explique mieux le statut social de Louise. L’écart entre les

classes n’est pas aussi évident en Irlande qu’en France. L’Irlande est un pays qui

culturellement et historiquement n’a pas le même écart rigide entre les classes sociales. Nous


312
http://www.huffpostmaghreb.com/salma-hamri/chanson-douce-de-leila-slimani-un-roman-glacial-et-
humaniste_b_12865460.html, consulté le 27 juillet 2017.
313
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 16.

108
aborderons dans la section suivante comment nous avons essayé de retenir les préjugés de

classes qui sont présents dans le livre.

La Foreignisation, La Perte et L’Omission

L’histoire se déroule à Paris et malgré le fait que l’auteure elle-même a transposé un

fait divers new-yorkais en France, il est clair que ce roman vise spécifiquement la société

contemporaine française. Nous voulions conserver cet aperçu de la vie française que Slimani

nous donne et pour ce faire nous avons employé la stratégie de foreignisation en gardant

tous les toponymes dans l’original, y compris l’orthographe des prénoms et noms de

familles. La conservation des noms propres véhicule beaucoup d’informations culturelles et

conserve l’extranéité de l’original. Michel Ballard souligne la «fonction d’identificateur

ethnique» des noms propres, en gardant l’orthographe française du prénom Myriam et son

nom de famille maghrébine, Charfa, le lecteur sait «par les sonorités et la graphie de ton nom

que tu es étranger et que tu appartiens à telle ou telle ethnie.»314 La société française est

profondément marquée par l’immigration, notamment de l’Afrique du nord. Les préjugés

entres les classes et entre les ethnicités qui constituent la société contemporaine française,

sont à la base de la organisation sociale du monde domestique que l’écriture de Slimani

dénonce. Le contexte multiculturel de ce roman ; la réalité sociale et politique à laquelle le

livre fait référence, est plus évidente pour le lectorat francophone. Pour un public

anglophone, il faut essayer de conserver ce contexte culturel, il est très important que le

lectorat cible comprenne que Myriam est maghrébine et musulmane afin qu’ils décèlent les

préjugés de classe qui sont présents dans le roman. Par exemple, quand Myriam s’est rendue

dans une agence spécialisée dans la garde d’enfants, la gérante l’a prise pour une nounou

plutôt qu’une cliente potentielle et pourquoi ? Tout simplement : parce qu’elle est

314
BALLARD Michel, « La traduction du nom propre comme négociation » Palimpsestes, n° 11, (Actes du
colloque des 22, 23 et 24 mai 1996: Traduire la culture), 1998, p. 199-223. p. 202.

109
maghrébine et les nounous en France sont souvent des immigrantes ou des Françaises

pauvres comme Louise. En gardant le nom Myriam Charfa, nous espérons que le lectorat

anglophone percevra ces préjugés de classe française.

En même temps, nous nous rendons compte que l’emploi de la stratégie de

foreignisation paradoxalement entraîne une perte pour les lecteurs qui n’ont pas de

connaissance profonde de la culture française, par exemple, l’auteure fait référence au

tribunal de Bobigny qui se trouve dans le quartier de Saint Denis, qui est connu en France

pour son taux élevé de criminalité et taux de chômage élevé, ainsi que la plus forte

proportion d’immigrés de la France métropolitaine. Dans cette façon, le nom propre « sert,

en principe, à designer un référent unique, qui n’a pas d’équivalents.»315La seule stratégie

qui existe afin de rendre cette connaissance explicite pour le lecteur qui n’est pas familier

avec le quartier, est une note de traducteur. Dans notre traduction, nous n’avons opté pour

cette stratégie qu’une seule fois car nous sommes d’accord avec l’affirmation de Landers que

«footnotes break the flow, disturbing the continuity by drawing the eye, albeit briefly, away

from the text.»316

Cependant, nous avons ajouté une note de traducteur pour le mot ‘Khamsa hand’ car nous

pensons qu’il serait important que le lecteur anglophone sache que Myriam est musulmane

et maghrébine. Par conséquent, nous avons décidé d’employer une note de traducteur

seulement si elle contient un élément nécessaire pour une traduction précise de l’intention de

l’auteur. Ainsi, nous avons opté pour la stratégie d’omission dans la traduction de

l’acronyme « SAMU », nous n’avons pas d’association équivalente en Irlande et nous avons

décidé qu’une note de traducteur briserait inutilement la lecture car elle ne contient pas

d’élément nécessaire pour la compréhension du texte.



315
Ibid. p. 201.
316
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
93.

110
Une autre stratégie que nous avons employée en cas de perte est la stratégie de

compensation. Nous avons traduit le mot ‘mairie’ par ‘Town Hall’ qui entraîne une perte du

sens car nous n’avons pas la même institution en Irlande avec les mêmes pouvoirs

administratifs, de plus, la garde d’enfants en Irlande est un secteur privé, l’état joue un rôle

beaucoup moins important qu’en France. Néanmoins, nous avons compensé cette perte en

traduisant ‘ils ne connaissaient personne à la mairie’ par ‘they didn’t have any

connections at the Town Hall’, cette compensation évoque la même idée dans le texte

source ; qu’ils n’avaient pas de contacts avec le pouvoir administratif pour les aider à trouver

une place dans une crèche ou une halte-garderie.

La Répétition et La Lisibilité

Dans son œuvre, Slimani répète souvent le pronom ‘elle’ par contre, «English usage

prefers avoiding repetition.»317 De même, elle commence des phrases souvent avec des

conjonctions, une autre pratique qu’on ne voit pas dans l’usage courant de l’anglais. Ces

tendances révèlent un grand défi pour le traducteur ; «whether to reproduce this, honouring

the author’s style, or to shape a more readable English.» 318 Comme nous avons déjà

souligné, nous sommes d’accord avec Brannen et l’idée qu’il faut adapter le style du texte

source à l’usage courant de la langue cible. Dès que possible nous avons évité la répétition

du prénom ‘elle’ et nous n’avons pas commencé des phrases avec des conjonctions de

coordinations car nous pensons qu’une telle présentation du style de Slimani ne maintient

pas la qualité de son écriture et «the translator has a moral obligation to protect his or her

author, a responsibility that includes safeguarding the writer from looking silly in the new


317
HARMAN Nicky, “FOREIGN CULTURE, FOREIGN STYLE”, Taylor & Francis, 2006, Vol. (14) No. (1),
p. 13-31. p.19.
318
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
133.

111
language»319 Nous avons plutôt opté de lier des phrases qui commencent avec le pronom

‘elle’ et de supprimer de conjonctions au début des phrases. Par exemple, nous avons lié ces

trois phrases suivantes en une seule en anglais :

« Myriam est au bureau avant 8 heures. Elle est toujours la


première. Elle n’allume que la petite lampe posée sur son bureau. »

« Myriam is at the office before 8am, always the first to arrive,


switching on only the small lamp on her desk. »

Cela dit, grâce au style narratif à la troisième personne du texte, il est difficile d’éviter la

répétition du pronom ‘elle’ et nous avons particulièrement visé les phrases pour lesquelles

une telle répétition donnerait une lourdeur inutile à la phrase ou suscite une lecture saccadée.

D’autres stratégies que nous avons employées en ce qui concerne la lisibilité,

intègrent la modulation et la domestication. Nous avons opté pour ces stratégies afin de

rendre la lecture plus idiomatique. Toutes les expressions figées ont été traduites par leurs

équivalentes en anglais, comme par exemple, nous avons traduit l’expression ‘à se faire la

main’ par l’expression ‘to gain hands-on experience’. D’une manière similaire nous avons

employé la modulation dans les contextes où elle suscite une traduction plus idiomatique,

comme par exemple, nous avons traduit la phrase ‘Louise se fige’ par ‘Louise doesn’t move

an inch’. Toutes ces stratégies nous permettent de produire une traduction qui se lit comme

le texte source.

L’Étoffement et La Syntaxe

Slimani emploie des phrases courtes, souvent sans connecteurs logiques, qui ne

convient pas à la syntaxe anglaise. Pour recréer ce style des phrases simples, directes et

précises, nous avons opté de changer la longueur des phrases, ainsi que d’employer la


319
Ibid. p. 84.

112
ponctuation d’une manière qui rend les phrases plus succinctes, plutôt que d’employer

l’étoffement afin de rendre ces phrases grammaticalement correctes en anglais. Par exemple,

nous avons fusionné les trois phrases suivantes en une seule phrase concise :

« Rien ne pourrit, rien ne se périme. Louise ne néglige jamais rien.


Louise est scrupuleuse. »

« There is no waste, nothing goes out of date, not a thing is


neglected; Louise is scrupulous. »

L’inverse est vrai aussi, parfois nous avons créé des phrases distinctes au lieu d’une seule

dans le texte source, comme par exemple :

« Elle se maquille et le fard à paupières bleu la vieillit, dont elle la


silhouette est si frêle si menue, que de loin on lui donnerait à peine
vingt ans.»

«She puts her makeup on. The blue eye shadow ages her. From a
distance, her slender delicate frame makes her seem barely twenty
years old.»

L’étoffement est employé si un changement de la longueur de la phrase ne

conviendrait pas, dans le cas d’ambiguïté autour de sens d’un mot ou d’une phrase et afin

de rendre certaines phrases plus idiomatiques mais seulement pour fournir «as much

information as can be conveyed without resort to artificiality.»320 Comme par exemple,

dans la phrase suivante, nous avons ajouté le mot ‘family’ pour souligner que le mot

‘Rouvier’ est un nom patronymique :

«Elle parle des Rouvier, qui figurent en haut de la liste.»

«She talks about the Rouvier Family, who feature at the top of the
list.»

D’une manière similaire, nous avons dû étoffer la phrase suivante pour expliquer le sens du

mot ‘agence’ pour un public anglophone :


320
Ibid. p. 80.

113
«Pour se rassurer, elle s’est rendue dans une agence qui venait
d’ouvrir dans le quartier»

«To reassure herself, she went to an agency specialising in


childcare services that had just opened in the area.»

Le Lectorat Anglophone et l’Effet Équivalent


Comme nous avons déjà vu, le contexte linguistique, social et politique dans lequel le

roman se situe joue un rôle important, voire primordial, dans la façon dont un lecteur

interprète le texte et l’intention derrière l’écriture de l’auteur. Le but derrière l’écriture de

Slimani est la mise en question de la place des femmes en tant que mères et en tant que

nounous au sein de l’organisation sociale actuelle en France. Newmark souligne que «in

reading, you search for the intention of the text, you cannot isolate this from understanding,

they go together.»321 À travers un fait divers meurtrier, Slimani dénonce l’inégalité et les

préjugés de classe qui dominent le monde domestique en France. Ce message subliminal est

ce que Newmark appelle «the sub-text»322 ; le message derrière le texte qui est à découvrir

entre les lignes du récit. Slimani a précisé plusieurs fois qu’elle veut que le lecteur soit actif.

Elle veut qu’il s’interroge sur la société dont il fait partie, de la réalité socioculturelle et

économique des femmes dans cette même société et la forme de ce roman reflète ce souhait

de la part de l’auteure. Pour le traducteur et le public francophone le «sub-text» est évident

grâce à leur connaissance approfondie de la culture et la vie contemporaine en France.

Autrement dit, pour le lectorat francophone, le contexte dans lequel le livre se situe ainsi que

l’intention implicite de l’auteure, seront plus ostensibles. Par contre, l’effet que le récit aura

sur un public anglophone et bien la façon dont le public anglophone interprétera ou percevra

le «sub-text» du roman n’est pas aussi évidente. Landers souligne que «it’s always a bonus


321
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 12.
322
Ibid. p. 77.

114
when the translator succeeds in retaining the quasi-subliminal elements of a text»323 mais

comment est-ce qu’on peut savoir si on a réussi «to reproduce in the TT the ‘same’ effect

achieved in the ST ?»324

Tout d’abord, Newmark affirme qu’il faut connaître notre lecteur cible, qui dans

notre cas sera en général «an educated, middle-class readership.»325 Nous envisageons qu’un

tel lecteur aurait une connaissance de base des thèmes que Leïla Slimani évoque dans son

écriture, ainsi qu’une connaissance de base de la société française. Nous avons suivi le

conseil de Newmark qui préconise qu’un traducteur «must not write down to [their] reader»

car il croit que le lecteur intelligent sait lire entre les lignes, il sait décerner le «sub-text» et

qu’un traducteur qui privilégie le lecteur cible a une tendance «to go beyond the words of the

original.»326

Afin d’évoquer un effet équivalent chez notre lectorat anglophone nous avons essayé

de trouver un équilibre entre les stratégies mentionnées ci-dessus. La dualité de notre

approche nous a aidé dans cette quête d’harmonie entre les stratégies qui privilégient les

caractéristiques du texte cible, et celles qui privilégient la compréhension chez les lecteurs

cibles. La stratégie de foreignisation nous permet de garder les éléments ‘étrangers’ du texte,

comme les noms de localité, la stratégie de transposition et de domestication nous permettent

de retenir l’effet stylistique de l’écriture de Slimani, tandis que la stratégie d’explicitation et

adaptation nous aident à transposer la nuance des connotations linguistiques dans le roman.

Cependant, le théoricien Nigel Armstrong pense qu’un traducteur ne sait jamais s’il a

vraiment réussi à évoquer un effet équivalent chez son lectorat car «the only effect


323
LANDERS Clifford E., Literary Translation: A Practical Guide, 2001, Trowbridge : Cromwell Press Ltd. p.
70.
324
ARMSTRONG Nigel, Translation, Linguistics, Culture : A French-English Handbook, 2005, Great
Britain : Cromwell Press Ltd. p. 45.
325
NEWMARK Peter, A Textbook of Translation, 2003, Essex : Pearson Education Limited. p. 77.
326
Ibid. p. 80.

115
translators can truly know is that produced on their own minds, and therefore the only

equivalence possible is what seems acceptable to each translator.»327

L’utilisation de ces stratégies et l’analyse des choix que nous avons faits au cours de

notre traduction, mènent à identifier nos habitudes linguistiques, notre façon caractéristique

d’employer le langage, et nos traces personnelles, qui constituent notre style individuel en

tant que traducteur. Selon Baker,

Identifying linguistic habits and stylistic patterns is not an end in


itself: it is only worthwhile if it tells us something about the
cultural and ideological positioning of the translator, or of
translators in general, or about the cognitive processes and
mechanisms that contribute to shaping our translational
behaviour.328

Elle soutient que la motivation derrière nos choix peut seulement être comprise par ce que

nous savons du traducteur en question. Un point qui nous ramène au propos du Frank Wynne

que «the decisions made in a translation are personal, as individual as a pianist’s

interpretation of the Goldberg variations or an actor’s interpretation of a classic role.»329

Dans notre cas, nous nous identifions avec l’auteure en tant que femme, nous partageons la

même vision d’égalité et du monde grâce à notre parcours similaire, nous avons toutes les

deux étudié la science politique. Nous partageons une sensibilité pour les gens ; un regard

sociologique et neutre. Nos choix reflètent cette affinité personnelle que nous avons pour

Slimani et les valeurs pour lesquelles elle lutte. De plus, nous partageons également un style

d’écriture similaire ; le minimalisme. C’est pour ces raisons que nous soutenons que notre

style en tant que traducteur convient au style de Slimani et c’est pour ces raisons que nous

pensons que notre traduction convient mieux qu’une autre. Cependant, notre traduction n’est

327
ARMSTRONG Nigel, Translation, Linguistics, Culture : A French-English Handbook, 2005, Great
Britain : Cromwell Press Ltd. p. 45.
328
BAKER Mona, "Towards a methodology for investigating the style of a literary translator," International
Journal of Translation Studies, 2000, Vol. (12) No. (2), p. 241-266. p. 258.
329
http://www.le-mot-juste-en-anglais.com/2000/12/frank-wynne-traducteur-du-mois-de-decembre-2012.html,
consulté le 29 mars 2017.

116
qu’une seule version possible et c’est à vous notre lecteur, de décider si nous avons réussi à

transmettre et à conserver le style unique de Slimani et sa voix engagée.

117
Conclusion


Dans notre mémoire nous avons essayé de démontrer le côté créatif et subjectif de la

traduction littéraire et notamment la question du style personnel d’un traducteur. En

choisissant de traduire un livre comme, Chanson Douce, nous voulons souligner le rôle

important que joue un traducteur dans la transmission de la littérature d’une langue et culture

aux autres. Nous nous sommes appuyés sur le travail de Benjamin et son idée qu’il y a des

livres qui méritent d’être traduits. Et pourquoi ? La réponse, tout simplement ; parce qu’ils

apportent quelque chose à l’humanité, ils ont une valeur humaine. Une auteure comme Leïla

Slimani et un livre comme, Chanson Douce, incarnent la vision de la traduction que

Benjamin préconise. Slimani écrit «pour regarder les choses en face.»330 Elle aborde des

thèmes qui sont à la fois universels et particuliers à la société française, notamment la place

des femmes dans le monde contemporain d’aujourd’hui. Elle a un style féroce et tranchant,

qui pousse le lecteur à s’interroger d’une manière profonde ; elle nous pousse à regarder les

choses en face. La voix engagée et humaniste de Slimani apporte une énorme importance

dans la lutte pour l’égalité chez les femmes à travers le monde entier, car il y a peu

d’écrivains aujourd’hui qui savent parler au féminin comme Slimani : «de manière

universelle, sans pathos et avec une plume qui va droit aux tripes.»331

Le grand défi auquel le traducteur doit faire face en traduisant ce livre est le style

unique de Slimani. Le récit ne pose pas beaucoup de défis culturels car la base de la trame

narrative a été transposée d’un fait divers new-yorkais. La traduction du style d’un écrivain

suscite un débat autour de la partialité et créativité de la part du traducteur et la notion qu’un

traducteur lui-même possède un style particulier. Nous avons tourné vers le travail de Baker,

330
http://www.glamourparis.com/culture/livre-a-lire/articles/chanson-douce-pourquoi-faut-il-absolument-lire-
leila-slimani-/47089, consulté le 27 juin 2017.
331
Ibid.

118
Hermans et Munday dans notre recherche de la notion du style afin d’identifier un fil

conducteur parmi les perspectives théoriques du style. Nous partageons avec ces théoriciens,

l’opinion que les traducteurs possèdent des styles individuels et qu’ils se manifestent dans

les choix qu’ils font consciemment et inconsciemment lorsqu’ils traduisent. Nous voulons

souligner la réalité qu’un traducteur est un être vivant qui possède un idiolecte personnel,

ainsi qu’une vision particulière du monde et cette réalité influence la façon dont un

traducteur interprète et aborde une traduction. De plus, c’est pour cette raison qu’on constate

une telle variété parmi les traductions du même texte source, comme Bellos souligne, «give

a hundred competent translators a page to translate, and the chances of any two versions

being identical are close to zero.»332 Pour nous, cette année et ce mémoire, représentent

notre quête personnelle à identifier notre style individuel, notre voix, notre empreinte de

pouce en tant que traducteur. La recherche supplémentaire, sous la forme d’une comparaison

entre notre traduction et la traduction officielle, sera nécessaire afin de concrétiser les idées

que nous avons présentées dans ce mémoire autour de la notion du style. Comme Baker nous

rappelle, «if theorists of translation wish to argue convincingly that translation is a creative

and not only a reproductive activity, it is imperative that we begin to explore the notion of

style.»333

Le but principal de cette traduction est de transmettre la voix militante de Slimani, de

recréer son style et l’aperçu qu’elle nous donne de la société contemporaine française. Pour

atteindre ce but nous nous sommes inspirés du travail de Vinay et Darbelnet, ainsi que

Venuti, Landers et Newmark. Avec une variété des stratégies, souvent tirées des théories qui


332
BELLOS David, Is That a Fish in Your Ear?: Translation and the meaning of everything, 2014, New York :
Faber & Faber. p. 8.
333
BAKER Mona, "Towards a methodology for investigating the style of a literary translator," International
Journal of Translation Studies, 2000, Vol. (12) No. (2), p. 241-266. p. 262.

119
sont en apparence opposantes, nous avons essayé de recréer la voix et le style d’écriture de

Slimani. Nous affirmons que grâce à notre parcours similaire et l’affinité que nous portons

envers les valeurs et la vision du monde évidentes dans l’écriture de Slimani, notamment son

regard sociologique et neutre sur les êtres que nous sommes, notre idiolecte se révèle comme

un style de traduction qui se prête bien à ce style et genre de la littérature contemporaine.

Slimani n’est qu’au début de sa carrière, l’écrivaine sortira le 6 septembre un premier

essai, Sexe et Mensonges, qui traite le sujet de la sexualité au Maroc. Elle a passé deux

années de recherche pour recueillir des témoignages des Marocains, pour la plupart des

femmes, qui racontent leurs expériences sexuelles. Ce dernier essai est aussi en train d’être

adapté en bande-dessinée et qui sortira le même jour. De plus, ses deux premiers romans

seront adaptés au cinéma par Jacques Fieschi pour Dans le jardin de l’ogre et par Maïwenn

pour Chanson Douce.334 Leïla Slimani sera un nom que nous entendrons beaucoup dans les

mois et années à venir. Sa plume a été aiguisé et elle est prête de faire entendre sa voix

engagée ; une voix qui vous prend aux tripes.


334
http://www.huffpostmaghreb.com/2017/07/08/leila-slimani-conference-rabat-chanson-douce-
sexualite_n_17423840.html, consulté le 2 août 2017.

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