Revue française de sociologie

Chartier Anne-Marie, Hébrard Jean, Discours sur la lecture (1880-

2000).
Clara Lévy

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Lévy Clara. Chartier Anne-Marie, Hébrard Jean, Discours sur la lecture (1880-2000).. In: Revue française de sociologie, 2002,
43-4. Actualités wébériennes : perspectives d'analyses et principes de traduction. pp. 806-809;

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Revue française de sociologie
dans quelle mesure et comment il met au
service de son investigation présente son
expérience passée et les conditions dans
lesquelles il a opéré la « rupture épisté-
mologique » avec le savoir indigène qu'il
maîtrise parfaitement par ailleurs. La
deuxième porte sur le statut accordé à la
« critique sociale ordinaire » dans
l'architecture de l'argumentation. La confusion
parfois introduite entre celle-ci et ce que
l'on pourrait appeler la critique
sociologique ordinaire conduit, semble-t-il, à lui
accorder une force injustifiée au regard
des apports factuels de l'ouvrage. En
effet, les volets les plus contestables
(pour les pratiquants ? pour le
sociologue ?) sont très inégalement (et souvent
très faiblement) soumis à la controverse
dans le milieu des joueurs. Que ces
derniers soient imprégnés de « culture
critique » (par la lecture d'ouvrages de
sciences sociales notamment) ne signifie
pas qu'ils adoptent au final des postures
critiques (boycott des jeux par trop
ethnocentristes par exemple), l'auteur
reconnaissant du reste la timidité de ces
critiques (p. 267). Enfin, Laurent Trémel
se montre particulièrement sceptique
envers les analyses qui, parlant de la
jeunesse au singulier, concluent à la
substitution d'une solidarité de classe d'âge à
la solidarité de classe d'antan. Invalidant
ces approches, il précise combien
demeurent des oppositions de classes et
argumente, sur la base de son enquête, le
maintien d'un clivage social notoire entre
certaines catégories de jeunes. Toutefois,
l'opposition terme à terme ne se
révèle-t-elle pas essentiellement
manichéenne et finalement faiblement
opératoire ? Même si recrutement social et
identité pour soi les distinguent sur bien
des points d'autres individus du même
âge, les « rôlistes » - ainsi que le
reconnaît l'auteur lui-même - souscrivent
(certes sur un mode critique) aux
principaux symboles de la « culture jeune ».
Ces derniers commentaires ne
sauraient faire oublier l'intérêt d'un
ouvrage qui précise, avec force, que « la
production des jeux de rôles [et vidéo sur
806
support multimédia] constitue un
excellent révélateur d'interrogations atteignant
la société globale, traduites par des
groupes juvéniles, directement confrontés
à ces problèmes, dans le domaine
ludique » (p. 93).
Cédric Frétigné
Travail et Mobilités
Université Paris X-Nanterre
Chartier (Anne-Marie), Hébrard
(Jean). - Discours sur la lecture
(1880-2000).
Paris, BPI-Centre Georges Pompidou,
Fayard (Nouvelles études historiques),
2000, IV-763 p., 27,50 €.
Cet ouvrage consiste en la version
revue et corrigée - et en l'occurrence
largement complétée - d'un ouvrage déjà
paru sous un titre identique (1989), à
cette réserve près que les discours sur la
lecture n'y étaient alors envisagés que
jusqu'en 1980. Le texte initial constituait
la réponse à une commande adressée par
la Direction du livre et de la lecture au
service des Études et de la recherche de
la Bibliothèque publique d'information
du Centre Georges Pompidou. Il
s'agissait de tenter de cerner sur un siècle, et
dans une perspective socio-historique,
l'ensemble des discours portés en France
sur les pratiques de lecture. Les auteurs
signalaient alors que, contrairement à
leur hypothèse de départ, force leur avait
été de constater que la lecture n'a pas été
de toute éternité l'objet de discours ;
c'est seulement entre la Monarchie de
Juillet et le Second Empire que l'on a
commencé à s'y intéresser.
Les discours ont pu être étudiés à
partir de la collecte d'une multitude de
documents disparates et hétéroclites
formant un double corpus. Celui-ci a, en
effet, été élaboré à partir de deux types de
textes : des textes prescriptifs d'une part
(c'est-à-dire des textes indiquant ce que
doit ou ne doit pas être la lecture ; textes
émanant des Églises, de l'école, des
professionnels du livre, etc.) et des textes

« mettant en représentation » la lecture et
les lecteurs d'autre part (textes rédigés
par des critiques littéraires, des écrivains,
des journalistes, des auteurs de récits
biographiques, etc. Une certaine attention
est aussi portée aux images - peintures,
photographies ou affiches publicitaires).
Pour la nouvelle édition, dans laquelle les
auteurs tentent de mettre au jour les
permanences et les mutations des propos
sur la lecture, une attention particulière a
été portée aux nouveaux discours
émergeant dans les deux dernières décennies
du XXe siècle. La juxtaposition des
monographies a permis de mettre en
évidence d'abord les trois pôles
principaux autour desquels s'organisent les
discours sur la lecture - l'Église, l'école,
l'État -, ensuite l'évolution de leurs
influences respectives sur le modèle
social dominant de ce que doit être la
lecture. Pour les années 1980 et 1990, ont
de plus été envisagés les discours
récurrents sur le problème de l'illettrisme,
ainsi que la prise en considération des
effets d'Internet sur le livre et la lecture.
L'évolution des discours de l'Église
sur la lecture est symptomatique de deux
tendances symétriques : la place
croissante du livre dans la société française et
le déclin de l'influence de l'Église et de
ses prescriptions/proscriptions. Dès le
XVIe siècle, l'Église considère comme
relevant de son devoir de tenir un double
discours sur la lecture : l'un envers les
clercs et les lettrés - « dont le but est de
penser l'écriture à travers l'efficacité de
ses effets, de construire sans cesse le
lecteur idéal d'une rhétorique
apologétique » (p. 16) ; l'autre envers les laïcs et
les moins lettrés, pour lesquels sont
martelés sans relâche les dangers des
mauvaises lectures. Or ces clivages entre
lettrés et non-lettrés, entre lecteurs et
non-lecteurs sont extrêmement mouvants
et tendent sinon à s'abolir totalement, du
moins à considérablement s'estomper au
XIXe siècle. Le livre, l'imprimé, la
lecture sont désormais accessibles à tous.
«Entre 1880 et 1980, l'Église s'efforce
de résister aux formes envahissantes de la
Les livres
modernité et découvre peu à peu Г
obsolescence de son autorité [...] Alors que les
discours directs sur la lecture prolifèrent
au début du siècle, les voix autorisées se
taisent peu à peu. » (p. 17). Ce retrait
progressif de l'Église des débats sur la
lecture n'est bien sûr pas contredit entre
1980 et la toute fin du XXe siècle - bien
que la puissance éditoriale de l'Église,
notamment pour la presse enfantine, ne se
démente nullement.
L'école, quant à elle, est prise entre
deux feux, deux discours qui ne se
rejoignent pas entièrement. En effet, « deux
discours parlent de l'école et, dans
l'école, parlent de la lecture. L'un
interne, spécialisé, discours des
professionnels ou des administrateurs ; qu'il
dise les fins ou les moyens, il est installé
dans l'évidence de cette vocation
naturelle : l'école est le lieu où la lecture
s'apprend. L'autre externe, apparemment
venu des porte- voix du grand public que
sont la presse, les médias, mais chargé
d'une sédimentation discursive peut-être
séculaire. Il juge : L'école faillit ou ne
faillit pas à sa tâche, trahit ou ne trahit
pas ses engagements. Elle apprend ou
n'apprend pas comment il faut apprendre
et ce qu'il faut apprendre, elle fait lire ou
ne fait pas lire, bien lire ou mal lire. »
(pp. 211-212). C'est là une des
spécificités du discours scolaire sur la lecture :
il est perméable aux influences
extérieures à l'institution scolaire et se nourrit
des discours externes. Entre 1880 et
1980, le discours scolaire sur l'école
connaît deux ruptures. Autour des années
mille neuf cent est remis en cause le
modèle, hérité du Second Empire, de la
lecture pour s'instruire. Sont en effet
proposés des manuels spécifiques à
chaque discipline (histoire, sciences,
etc.), dans lesquels les textes ont une
visée explicitement instructive. La
lecture devient donc lecture de morceaux
choisis ; « dans les manuels qui sont
édités à cet usage, ne sont proposés que
des textes de bonne tenue, à la fois
morale et stylistique, et qui appartiennent
tous au genre du récit » (p. 381). Avec les
807
Revue française de sociologie
années trente, apparaissent deux
nouvelles conceptions - dont la seconde
triomphera progressivement de la
première. La première approche institue
le roman scolaire en modalité d'accès
privilégiée à la lecture de textes longs. La
seconde approche marginalise ce type de
lectures dans le temps scolaire (entre
deux activités, en bibliothèque ou même
à la maison), « fait de la lecture le pivot
des activités de "français" et définit une
pratique du lire scolaire compatible avec
les exercices qui conduisent à la
production écrite » (p. 382).
Mais à cette conception scolaire de la
lecture - imposée, lente, collective et
concernant des textes classiques -
s'oppose la conception des bibliothèques
- lecture libre, rapide, individuelle et
portant sur l'actualité. Or c'est cette
seconde conception qui a pris le pas sur
la première, dans le contexte particulier
de la crise de la lecture des années
soixante-dix. Paradoxalement, le succès a
mené cette modalité de lecture, au départ
opposée à la modalité scolaire, à se
scolariser. Cette scolarisation est perceptible
simultanément dans plusieurs espaces :
l'espace scolaire, où lecture-plaisir et
lecture-obligation deviennent
conjointement des obligations, mais aussi
l'ensemble des autres espaces où la
lecture est encouragée et accompagnée.
Ainsi, alors même que l'école commence
à être suspectée d'inefficacité quant au
double objectif de faire lire et de faire
aimer lire, c'est néanmoins une forme de
pédagogie scolaire qui est appliquée dans
le domaine de l'action culturelle pour
tenter de résoudre la crise de la lecture.
Dans les années quatre-vingt et
quatre-vingt-dix, s'est posé avec de plus
en plus d'acuité le problème du recul de
la lecture. L'expression la plus
emblématique et la plus intense de ce recul s'est
cristallisée sur la question de
l'illettrisme. Cette thématique occupe une
place croissante - tant dans les articles de
la presse que dans des publications plus
spécialisées (rapports, enquêtes, études,
essais, etc.) - et emprunte une double
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direction : d'une part, la prévention qui
passe essentiellement par la lutte contre
l'échec scolaire ; d'autre part, la
qualification professionnelle et l'action sociale.
Mais le recul de la lecture concerne aussi,
pour la première fois, une partie des
membres des catégories supérieures :
« Les paradigmes de la lecture studieuse
ont tellement changé qu'on peut
effectivement trouver des "non-lecteurs" (de
livres) parmi les futurs cadres
économiques, mais aussi parmi les chercheurs et
les universitaires de demain (et
d'aujourd'hui). Les études scientifiques
et techniques - très prenantes en temps,
fortement encadrées et guidées, à forte
majorité masculine - allient un faible
usage de la bibliothèque et un fort usage
de la salle informatique à des loisirs
ludiques [...] comprenant (le cas échéant) des
lectures distrayantes sans ambition
culturelle. » (p. 675). Ce point est à relier à la
très récente explosion d'Internet (à partir
de 1994), qui suscite une triple révolution
dans le domaine du lire : premièrement,
révolution des techniques de production
et de reproduction des textes (plus de
division du travail entre l'auteur,
l'éditeur et l'imprimeur) ; deuxièmement,
révolution du support (c'est désormais
l'écran qui impose une lecture verticale et
immobile) ; troisièmement, révolution
des manières de lire (et c'est la que
résident les plus grandes incertitudes quant
au futur, puisque peuvent coexister, chez
le même lecteur, diverses modalités de
lectures, en rapport avec le support).
L'ouvrage balaie donc, sur plus d'un
siècle, l'ensemble des représentations -
et parfois, ponctuellement, des pratiques
- de la lecture telles qu'elles se sont
succédées, concurrencées, juxtaposées
parfois. Les études de cas, très
documentées, fournissent des informations
précises sur des- domaines circonscrits,
tandis que les introductions synthétiques
placées en tête de chaque grande partie
permettent au lecteur de se former une
image plus générale de l'évolution des
discours entre 1880 et 2000. La large
période considérée permet d'une part de

situer chaque discours dans une évolution
historique continue, et d'autre part de
contextualiser permanences et mutations
des pratiques discursives des multiples
acteurs se sentant autorisés à intervenir
sur les questions de la lecture.
Clara Lévy
LASTES - Université de Nancy H
Smadja (Isabelle). - Harry Potter,
les raisons d'un succès.
Paris, Presses Universitaires de France
(Sociologies d'aujourd'hui), 2001, 134 p.,
15 €.
« Lorsqu'on se propose d'étudier
Harry Potter, une question vient presque
naturellement à l'esprit : comment
expliquer l'ampleur du succès ? » (p. 1). C'est
sur cette interrogation que s'ouvre
l'analyse proposée par Isabelle Smadja à
propos des Aventures ď Harry Potter. La
lecture à laquelle elle nous convie
s'oriente dans quatre directions :
premièrement, il s'agit d'un « conte de fées
[qui] puise sa matière dans les arcanes de
l'inconscient et de l'imaginaire » (p. 4) ;
deuxièmement, il s'agit d'un texte nourri
de références implicites à l'histoire du
monde occidental ; troisièmement, il
s'agit d'un texte permettant au jeune
lecteur de réaliser, par le biais de la
fiction, ses désirs infantiles ;. enfin,
quatrièmement, il s'agit d'un texte
porteur d'un enseignement moral et d'une
pédagogie.
La série de romans publiés par J. K.
Rowling met en effet en scène le
personnage traditionnel de l'enfant mal aimé,
poursuivi par la haine tenace d'un tyran à
laquelle il survit miraculeusement. Les
épreuves auxquelles il est successivement
confronté - depuis la mort de ses parents,
qui constitue la première et la plus
douloureuse - sont autant de rites
initiatiques qu'il doit passer pour accéder à
l'âge adulte. Or les enfants lecteurs de
ces aventures sont amenés à s'identifier
largement avec le jeune héros, du fait du
réalisme paradoxal avec lequel est décrit
Les livres
le monde des sorciers auquel Harry
appartient. « L'"effet de vie" du collège
de Poudlard est renforcé par le caractère
artificiel, trop outré ou caricatural du
monde des Moldus (les non-sorciers). On
sait que Rowling s'est donné comme
consigne de faire grandir son héros de
papier au rythme d'un enfant réel : il faut,
en temps réel, un an pour que le prochain
épisode de Harry Potter, qui montrera
Harry âgé d'une année de plus, soit
publié. Cette présence organique du livre
est la preuve incontestable qu'un des
soucis majeurs de l'auteur est de faire en
sorte que Harry se détache le plus
possible du personnage de fiction, afin
d'être perçu à la manière d'un être
vivant. » (p. 12).
Mais les romans n'empruntent pas
uniquement à la structure de contes de
fées habilement insérés dans une réalité
connue des jeunes lecteurs. Selon Isabelle
Smadja, les textes regorgent également
d'allusions plus ou moins explicites à
l'histoire et à la situation géopolitique :
nazisme, totalitarisme, écologie
constitueraient ainsi des thématiques
sous-jacentes mais primordiales des
Aventures de Harry Potter. Signalons que
si la mise au jour de certaines de ces
thématiques paraît convaincante (la
relation entre les puissances du mal et les
régimes totalitaires est ainsi démontrée
de manière rigoureuse), il n'en est pas de
même pour d'autres (ainsi de la pierre
philosophale comme métaphore
improbable de la bombe atomique).
Enfin, se produit une identification du
lecteur avec Harry Potter - et une
assimilation de la confrontation des sorciers et
des Moldus avec celle des enfants et des
adultes. « L'univers des sorciers dans
lequel l'auteur nous introduit n'est autre
qu'un univers qui consacre la réalisation
fantasmatique des désirs les plus
puissants de l'enfant, certes, mais aussi des
désirs les plus refoulés puisqu'ils sont
issus d'une vision extrêmement négative
des parents et de la société absurde et
détestable dans laquelle ils se
complaisent. » (p. 59). Les différents tomes de
809