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La conquête arabe en Espagne : mythe ou réalité ?

(15-01-2007) - Soumis par Jaime Marquès - Dernière mise à jour : (15-01-2007)

Casque de cavalier arabe. On nous dit, on nous enseigne avec une belle unanimité depuis des années combien fut
fascinante la civilisation musulmane en Espagne et combien instructif peut être l'exemple laissé par cette civilisation, si
tolérante. Une tolérance dont l'Europe aurait bien fait de s'inspirer et une civilisation à laquelle elle doit tant... Mais si la
fameuse conquête arabe n'était qu'un mythe ? Si la péninsule ibérique n'était devenue musulmane que parce qu'elle
le voulait bien ? Si cette civilisation était plus celtibérique et wisigothique qu'arabe ? Tel est du moins l'opinion de
certains historiens de renom qui n'hésitent pas à faire voler en éclats nos certitudes... Au VIIe siècle, l'empire byzantin
croule par pans entiers sous la poussée des Arabes. Entre les troupes d'Héraclius et les soldats de Mahomet, la bataille
décisive s'engage le 20 août 636, dans la vallée du Yarmouk. Conduites par un chef militaire prestigieux, Mo'âwya, les
troupes arabes écrasent l'armée d'Héraclius, pourtant supérieure en nombre et en moyens militaires. -Allâh et notre
prophète Mahomet, s'écrie le fougueux Mo'âwya, sont les artisans véritables de notre victoire. Nos armes, à elles seules,
auraient-elles pu vaincre l'immense empire byzantin ? Non, par Allâh ! Cette victoire, nous la devons, ô mes frères, à la force
de notre foi ! Maintenant, le vaste monde est ouvert devant nous ! Plus rien n'arrêtera la marche triomphale de l'islam.
Les unes après les autres, en tout cas, les places fortes syriennes sont submergées par la vague déferlante des
conquérants arabes : Antioche, Alep, Jérusalem, Gaballah, Césarée, Palmyre, la célèbre capitale de la reine Zénobie.
Sous la conduite énergique de Mo'âwya, les cavaliers arabes mènent une " Blitzkrieg " (guerre éclair) fantastique,
digne des meilleures campagnes d'Alexandre. Les Byzantins, défaits, découragés, stupéfaits par cette irrésistible
avance, cherchent refuge derrière la chaîne du Taurus, limite nord de la Syrie, en Cilicie et en Cappadoce. À la même
époque, l'empire perse est attaqué à son tour, par les troupes de Khâlid. En 637, dans la plaine de Gadisya, en
Mésopotamie, les guerriers de l'islam infligent une lourde défaite aux armées de Iezdedjerd III, empereur de Perse. Ils
s'emparent, quelques mois plus tard, de Ctésiphon, « la plus grande et la plus belle cité royale de l'Asie ».
Cinq ans après, en 642, à Nehâwend, le vieux monarque perse, qui fuyait de ville en ville depuis la défaite de
Gadisya, est de nouveau vaincu. C'est la « victoire des victoires », selon l'historien arabe Ibn Khaldun. Les portes de
l'Asie sont désormais ouvertes à la ruée des cavaliers arabes qui vont se lancer vers le Kurdistan, l'Azerbaïdjan et
jusqu'au Caucase, à l'Arménie et à la Géorgie.
Une autre vague, conduite par Amr ibn el-As, se répand vers l'ouest et s'empare de l'Égypte, entre 639 et 642.
« Si les flots ne m'avaient arrêté... »
Cavalier arabe. Après ses nombreuses victoires, Mo'âwya est proclamé gouverneur de la Syrie.
Poussé par son irrésistible désir de conquête, il forme une flotte de sept cents vaisseaux et s'élance vers
Chypre. Il assiège la capitale de l'île, Constantia, et réclame la reddition sans combat des Chypriotes. Mais ceux-ci
refusent, espérant recevoir bientôt des secours de Constantinople. Après une longue résistance, ils finissent par être
vaincus. Mo'âwya s'empare de la ville et ordonne sa destruction. Il s'installe au palais de l'archevêque et reste le maître
de l'île pendant quelques mois.
Après Chypre, le gouverneur de Syrie, en 649, réussit à conquérir la Crète puis, l'année suivante, l'île de Rhodes.
C'est là, dit-on, que Mo'âwya lance son cheval au milieu des flots et s'écrie :
-Si les flots ne m'avaient arrêté, ô Dieu de Mahomet, j'aurais conquis à notre foi les pays les plus lointains.
Tout en menant ces campagnes sur mer et sur terre, l'infatigable Mo'âwya définit et applique, dans sa province
syrienne ainsi que dans les autres territoires conquis, une politique fort habile à l'égard des populations qu'il contrôle.
Certes, le pouvoir réel est confié à la caste des cavaliers arabes, qui devient l'aristocratie militaire et politique du régime,
son épine dorsale. Mais les peuples soumis sont loin d'être opprimés. Ceux qui veulent garder leur religion peuvent le
faire, moyennant le paiement d'un impôt spécial. Et les autochtones sont invités à participer à la gestion des affaires
publiques. À part l'armée qui reste le domaine réservé des Arabes, toutes les administrations, que Mo'âwya a héritées
des Byzantins et préservées, sont ouvertes aux élites syriennes de toutes religions. De nombreux fonctionnaires
nommés par les Byzantins sont maintenus en place.
Peu à peu, en l'espace de vingt ans, la province syrienne devient la plus prospère de l'empire arabe naissant, parce
que la mieux gérée.
En 661, Mo'âwya reçoit le titre de calife, « successeur de Mahomet, l'envoyé d'Allâh », et fonde la dynastie des
Omeyyades qui va régner presque un siècle à Damas, devenue la capitale d'un empire brillant.
Dès lors, les conquêtes reprennent. À partir de l'Égypte conquise, les Arabes lancent une offensive vers les rivages
nord-africains. Progressant comme l'éclair, le long du littoral tripolitain, ils s'emparent de Barcah, de Tripoli et de Gabès,
sous la conduite du redoutable Oqba ibn Nafi. Malgré la résistance acharnée des Berbères, la vague arabe traverse la
Tunisie, prenant soin, toutefois, de contourner la Carthage byzantine, solidement fortifiée.
Arrivé dans le centre du pays, Oqba y fonde, en 670, une place d'armes islamique, la ville de Kairouan, et y fait
construire une mosquée qui sera une des plus célèbres du monde musulman. Après quoi, il reprend sa marche,
traverse l'Algérie et atteint, dit-on, les rivages de l'océan Atlantique.
La conquête de la Berbérie ou Ifriqiya ne sera achevée que dans les premières années du VIIIe siècle, après la
mort de la reine berbère Kahina, tuée en 702, à Tabarka, après avoir combattu les envahisseurs arabes jusqu'au dernier
souffle.
Une fois les tribus berbères soumises, celles-ci, avec à leur tête un des leurs, Tarik, se lancent à la conquête de
l'Espagne, battent en 711 le roi wisigoth Rodéric, qui sera ainsi le dernier souverain de la dynastie wisigothique régnant
sur l'Espagne depuis 476 (pour le nord-ouest du pays depuis 585). En 712, le gouverneur arabe de l'Ifriqiya, Moussa ibn
Nossaïr, vient renforcer la petite armée de Tarik, pour parachever sa conquête.
Vingt ans plus tard, les troupes arabes franchissent les Pyrénées, envahissent le sud de la France et parviennent
jusqu'à Poitiers. Là, en 732, Charles Martel réussit à arrêter leur expansion.
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Une énigme non résolue : l'islamisation de la Berbérie
Coutelas arabe. Telles sont, si l'on en croit les historiens arabes et à leur suite les auteurs de manuels scolaires
en Occident, les grandes étapes de l'épopée militaire mahométaine. Cependant, cette conquête n'a pas manqué de
susciter quelques controverses. Devant son caractère prodigieux, certains historiens se sont demandé si cette épopée
n'était pas plus mythique que réelle. La conquête arabe et l'islamisation du Proche-Orient, de l'Afrique du Nord et de
l'Espagne, ont-elles été obtenues par les armes ? Faudrait-il rechercher leurs origines ailleurs ?
Au sujet de l'Afrique du Nord, le grand orientaliste Georges Marçais, pourtant acquis à la thèse classique que nous
venons d'exposer, ne cacha pas son désarroi :
L'islamisation de la Berbérie, écrit-il dans son Art musulman d'Occident, soulève un problème historique que nous
n'avons pas l'espoir de résoudre... Ce pays avait été une des terres d'élection du christianisme. Introduit par Carthage
et les villes de la côte, il avait gagné les villes de l'intérieur. L'Africain Tertullien disait à la fin du IIe siècle : « Nous
sommes presque la majorité dans chaque cité ». L'Église, à cette époque, comptait déjà de nombreux martyrs ; elle devait
s'imposer également par ses docteurs. Persécutée, elle se glorifiera de posséder un saint Cyprien ; triomphante, elle
fera entendre la grande voix de saint Augustin à la chrétienté tout entière. Au reste, la religion du Christ ne recrutait pas
seulement ses adeptes dans les villes... Le nombre étonnant de sanctuaires modestes, de chapelles sommairement
édifiées, dont nous rencontrons les ruines à travers les campagnes d'Algérie, exprime la diffusion de l'Évangile chez les
ruraux berbères...
Or, en moins d'un siècle, les fils de ces chrétiens auront en grande majorité adopté l'islam avec une ardeur
capable d'affronter l'épreuve du martyre. L'oeuvre de conversion s'achèvera au cours des deux ou trois siècles qui
suivront, oeuvre définitive et quasi totale, ne laissant que des îlots infimes dont l'existence semble douteuse... Comment
expliquer cette déchristianisation et l'islamisation qui en est le corollaire ?
Dans un autre ouvrage, La Berbérie musulmane et l'Orient au Moyen Âge, le même Georges Marçais note que
l'annexion de l'Afrique du Nord, amorcée en 647, « ne peut être considérée comme à peu près réalisée que vers 710.
Il n'avait pas fallu moins de cinquante-trois ans pour acquérir un résultat d'ailleurs précaire, car l'ère des difficultés
allait bientôt s'ouvrir. Elle ne prendra fin qu'au début du IXe siècle. Soit plus de cent cinquante ans de lutte ouverte ou
d'hostilité latente, un siècle et demi pendant lequel la conquête arabe avait subi des échecs qui avaient allure de
faillites et qui remettaient en question l'avenir de l'islam en Occident ».
" Les Arabes n'ont jamais envahi l'Espagne "
La conquête de l'Espagne pose, on s'en doute, des problèmes aussi épineux.
Ces problèmes, Ignacio Olagüe les aborde dans un texte au titre volontairement paradoxal, Les Arabes n'ont jamais
envahi l'Espagne (Flammarion, 1969). Extrêmement dense, nourrie d'arguments, passionnante de bout en bout, même
si elle comporte, çà et là, quelques inexactitudes de détail, l'oeuvre d'Olagüe propose une vision historique entièrement
nouvelle de l'épopée arabe. Une épopée qui s'explique, selon l'éminent professeur à l'université de Madrid, plus par les
« mouvements internes des sociétés qui ont adhéré à l'islam » que par la victoire des armes.
S'agissant précisément de la conquête de l'Espagne, Olagüe montre la rareté, la précarité et, surtout,
l'incohérence des sources traditionnelles sur lesquelles les historiens se sont appuyés jusque-là pour décrire cette
conquête.
Puis l'auteur examine les difficultés de l'entreprise. Comment une poignée d'Arabes a-t-elle pu venir à bout, en
l'espace de trois années, d'un pays immense, très montagneux et très compartimenté, que les légions romaines,
militairement supérieures aux troupes musulmanes, avaient mis trois siècles à conquérir et encore, partiellement -
certaines régions, particulièrement inaccessibles, ont en effet toujours échappé à l'autorité de Rome. Un pays, de
même, que les armées napoléoniennes ne réussiront pas à conquérir entièrement, y subissant des désastres comme
la capitulation, à Bailen, de l'armée envoyée soumettre l'Andalousie.
Terroriser les Espagnols
D'abord, comment ont-ils franchi le bras de mer qui sépare l'Europe de l'Afrique ? Dans quelles conditions le
général, non pas arabe mais berbère, Tarik -qui donnera son nom au rocher dominant à l'ouest ce détroit (Djebel Tarik
en arabe ou Gibraltar)- a-t-il réussi à faire passer ses 7 000 soldats sur le soi ibérique ?
La tâche est d'autant plus rude, il faut l'avouer, que ni les Berbères ni les Arabes ne disposent de flotte. Par ailleurs,
le détroit en question, parcouru de courants et balayé de vents violents, est particulièrement difficile à traverser. Selon un
chroniqueur arabe, écrit Olagüe, « un certain Olban (le « comte Julien »), chef byzantin du littoral nord-marocain, a prêté
quatre barques aux Arabes ; attribuons à ces embarcations une capacité de transport maxima : cinquante hommes en
plus de l'équipage. Pour passer l'armée de Tarik, il fallait trente-cinq voyages, soit soixante-dix jours ; il faut bien, en
effet, à ce type d'embarcation, un jour pour effectuer la traversée. Avec les semaines de mauvais temps, où celle-ci lui
est impossible, nous arrivons vite à trois mois ; un débarquement aussi lent n'aurait pu se réaliser sans que les premiers
arrivés eussent été massacrés avant que les suivants ne les eussent rejoints ».
Ibn Abd al-Hakkam en a attribué la réussite à l'utilisation d'un stratagème :
Dans une île, raconte-t-il, les gens de Tarik firent prisonniers des paysans, en tuèrent un et le firent cuire dans une
marmite ; dans une autre, ils firent cuire de la viande. Escamotant les plats, ils laissèrent croire aux paysans qu'ils
mangeaient de la chair humaine ; ceux-ci en colportèrent la rumeur dans tout le pays.
La réputation d'anthropophagie des Arabes serait donc passée sur le continent et les Ibériques, loin de
massacrer les premiers arrivants, les auraient reçus avec considération, préférant gagner leur bienveillance en se
soumettant plutôt que de figurer à leur menu... Outre que cela n'est guère convaincant, il faut remarquer qu'il n'y a pas d'île
dans le détroit de Gibraltar ; l'isla del Perejil (l'île du Persil) où Victor Bérard a situé l'antre de Calypso, n'étant en fait
qu'un rocher.
Pour passer les 7 000 hommes de Tarik dans des conditions normales, poursuit Olagüe, il fallait au moins cent
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embarcations ; seul un peuple essentiellement marin, les gens de Cadix, pouvait réaliser l'opération. Depuis le IIIe
millénaire préchrétien, ils allaient en Angleterre chercher de l'étain ; ils avaient déjà longé la côte occidentale de
l'Afrique, dont ils avaient peut-être même fait le tour, selon Strabon. Ce sont vraisemblablement eux qui, au Xe siècle,
ont fait passer les Vandales, en sens inverse ; l'époque accusait une grande décadence maritime, mais au début du
VIIIe siècle, ils pouvaient encore avoir une flotte suffisante pour effectuer un transport de troupes.
Cependant, pourquoi ces Andalous auraient-ils rendu ce service à ceux qui venaient les asservir ? Et en admettant
que Tarik ait trompé les Ibériques sur ses intentions, pourquoi les gens de Cadix auraient-ils passé les renforts
amenés par Moussa, quelques mois plus tard ?
De l'arianisme à l'islam
Nous n'avons pas l'intention, ici, de passer en revue tous les arguments historiques, linguistiques, sociologiques,
artistiques et religieux invoqués par l'auteur. Le lecteur soucieux de les connaître pourra lire avec intérêt l'ouvrage lui-
même qui est, répétons-le, excellent tant par sa tenue intellectuelle que par sa rigueur.
S'il faut toutefois résumer la thèse centrale du livre, disons que, pour le professeur Olagüe, la conquête de
l'Espagne par les Arabes n'a pas été obtenue par les armes mais par l'adhésion volontaire de la population ibérique
qui, à cette époque, avait déjà, en majorité, abandonné le christianisme romain, trinitaire, pour embrasser le christianisme
arien, hérésie de monothéisme unitaire, l'islam lui apparaissant ensuite comme l'étape ultime de cette hérésie.
La mosquée de Cordoue. La péninsule ibérique, écrit Olagüe, fut la réduction du vaste ensemble que
constituaient l'Orient et l'Occident : les régions riches, les plus évoluées, passèrent au monothéisme unitaire ; les
régions pauvres et arriérées se convertirent au christianisme trinitaire. Aux IXe et XIe siècles, ces dernières furent
raffermies ou reconverties à l'orthodoxie par la croisade française inspirée par Cluny ; le Sud hérétique suivit la même
évolution que le Proche-Orient, vers une civilisation nouvelle dont l'islam, issu du syncrétisme arien, fut le moteur. Plus
tard, quand l'Occident eut rattrapé son retard et réussi à se former une personnalité, il put achever la conquête -et non
la « reconquête »- de la péninsule au catholicisme ; peut-être est-ce là le sens profond des appellations de Rois
Catholiques, sous laquelle Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon sont passés à la postérité, et de « Majesté Très
Catholique », attribuée au roi d'Espagne ?
Si nous voulons comprendre et expliquer l'évolution des idées religieuses dans la péninsule Ibérique durant le
haut Moyen Âge, il faut bien garder en vue qu'à la fin du IVe siècle il existait dans la Bétique [l'actuelle Andalousie] et sur
le littoral méditerranéen, une société riche et conservatrice, qui fut peu à peu gagnée par des idées émanant d'une
société identique existant en Orient ; ces conceptions nouvelles provenaient essentiellement du monde juif : à côté du
judaïsme, qui possédait, dans la Péninsule, des racines anciennes et fortes, le christianisme parvint à faire tache d'huile,
mais sous des formes diverses, voire opposées. À partir du Ve siècle, le monothéisme antitrinitaire ou unitaire acquit la
prépondérance, favorisé par les monarques wisigoths, d'obédience arienne ; puis, comme au Proche-Orient, le
syncrétisme arien évolua vers un syncrétisme musulman.
Ignacio Olagüe en voit une preuve, notamment, dans ce fait très frappant : les fouilles archéologiques ont fait
apparaître que la célèbre Grande Mosquée (aujourd'hui cathédrale) de Cordoue, édifice majeur de l'islam ibérique, est
le développement architectural de l'église Saint-Vincent, dont les restes en constituent l'embryon et parfois le modèle,
jusque dans le détail.
La civilisation hispano-mauresque n'est pas un « miracle arabe »
D'ailleurs le professeur Olagüe n'est pas seul à remettre en question la thèse classique de la diffusion de l'islam et
des premières conquêtes musulmanes.
Un groupe de jeunes historiens arabes a tenté de « réécrire » en quelque sorte les débuts de l'épopée
mahométane dans un esprit nouveau. Groupés autour d'une revue mensuelle historique d'une très haute tenue, Al
Kudda el Jadida (La Nouvelle méthode), qui paraissait à Beyrouth (jusqu'en 1976), ces jeunes mousquetaires
n'hésitèrent pas à affronter les tenants de l'orthodoxie islamique.
En se fondant sur l'archéologie, la numismatique, la sociologie et bien d'autres disciplines, le groupe de Beyrouth
saccagea les constructions laborieusement édifiées par les générations successives de chroniqueurs arabes. Le rôle de
Mahomet et celui des quatre premiers califes de l'islam apparaissaient sous un jour tout à fait inattendu. La grande «
chevauchée » victorieuse à travers le Proche-Orient puis l'Afrique du Nord était disséquée et réduite à des dimensions
plus modestes.
Concernant la « conquête » de l'Espagne, les animateurs de La Nouvelle méthode aboutirent à des conclusions
assez proches de celles d'Olagüe, bien que s'appuyant sur des arguments tout à fait différents. Selon l'un de ces
mousquetaires, Radouane Hamdi, « il faut repenser entièrement cette affaire et renoncer une fois pour toutes aux
images d'Épinal qui ne nous aident guère à nous faire une opinion exacte sur ce qui s'est réellement passé dans la
Péninsule [...]. Tout nous y invite : le bon sens et la géographie ».
Peinture murale de l'Alhambra de Grenade représentant des dignitaires musulmans. S'agissant particulièrement
de ce qu'il est convenu d'appeler la « civilisation andalouse », Hamdi note, non sans raison, « qu'elle n'a pu être une
création exclusivement arabe ou musulmane [...]. Peut-on, d'ailleurs, parler d'un « art musulman » proprement dit ? »
Certes, poursuit-il, il n'est pas question de dénigrer ou même de minimiser l'apport arabe, mais il est juste de
reconnaître que les plus récentes recherches archéologiques établissent d'une façon formelle que la civilisation qui a vu
le jour en Espagne musulmane doit beaucoup à la Perse, à Byzance et aussi à l'héritage celtibérique. L'art wisigothique et
certaines traditions romaines qui, apparaissent particulièrement dans les palais andalous ont joué un rôle très important
dans l'éclosion et le développement de cette civilisation. C'est pourquoi il nous semble extrêmement difficile
d'accueillir, sans réserve, la thèse selon laquelle la civilisation de l'Espagne musulmane serait un « miracle arabe ».
Comment des Bédouins, originaires d'un désert aride, vivant jusque-là sous la tente, auraient-ils créé, ex nihilo, une
civilisation essentiellement urbaine ?
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Le charme des monuments hispano-mauresques
Un art hispano-mauresque s'est créé en Espagne, mélange d'art purement arabe, d'art mozarabe (l'art des
chrétiens d'Espagne vivant sous la domination arabe) et d'art mudéjar (l'art des Maures soumis aux chrétiens après la
reconquête espagnole).
De cette pénétration subtile sont nées les églises-mosquées qui n'ont pas d'équivalent en Europe.
Lorsque les Arabes, et surtout les Berbères, se sont installés en Espagne, ils ont assimilé les traditions ibériques
et romaines, ou romano-hellénistiques, et aussi l'art wisigothique, art déjà orientalisé par le fait que les Wisigoths avaient
subi l'influence byzantine lors de leur installation en Thrace au IVe siècle puis lors de l'occupation de l'Andalousie, entre
554 et 624, par les Byzantins de Justinien et de ses successeurs. La mosquée, type principal de l'architecture
musulmane, dérive donc en Espagne de l'église byzantine et wisigothique, mais elle n'en garde pas moins toute son
originalité pour deux raisons essentielles : La cour des Lions à l'Alhambra. d'une part, contrairement à la religion
chrétienne, le Coran défend la représentation de la figure humaine et, cette interdiction devenant de plus en plus
formelle et rigoureuse, les Arabes sont amenés à un système de décoration particulier d'où ils tirent un parti merveilleux ;
d'autre part, des modèles byzantins et wisigothiques, imités dans une mentalité et une civilisation radicalement
différentes, ne peuvent sortir que des formes nouvelles et originales.
Ainsi, malgré les mutilations et les transformations subies, c'est peut-être en Espagne que l'on trouve les plus beaux
monuments arabes. Construits à divers moments de la domination musulmane et appartenant donc à des écoles diverses,
ils présentent tous, dans le chassé-croisé d'influences subies (ibères, romaines, wisigothiques, byzantines), la même
originalité, le même attrait grandiose et fascinant, le même charme un peu mystérieux, que ce soient la mosquée de
Cordoue, l'Alhambra de Grenade, l'Alcazar de Séville et celui de Tolède ou les palais et les forteresses, les ponts et les
aqueducs...

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