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Velázquez
Zimmermann Michel. Protocoles et Préambules dans les documents Catalans du Xe au XIIe siècle: évolution diplomatique et
signification spirituelle I Les protocoles. In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 10, 1974. pp. 41-76;
doi : https://doi.org/10.3406/casa.1974.895
https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1974_num_10_1_895
ÉVOLUTION DIPLOMATIQUE
ET SIGNIFICATION SPIRITUELLE
I LES PROTOCOLES
*
*
— l'invocation
— la notification
— - les formules finales,
débute par la formule: «Notum sit omnibus... universis» '. Il faut attendre
le premier quart du XIe siècle pour voir apparaître, très isolées, les
premières formules de notification: «Patulum extat quomodo...» 2; elles tendent
à devenir un peu plus fréquentes et précises dans la seconde moitié du
siècle: «Presentibus namque cundis atque omnibus etiam posteris pates-
cat...» 3, «Noverit universitas hominum» 4, «Cundis vero utriusque ordinis
hominibus. Plenius fiat cognitum...» 5, II faut, en fait, attendre le premier
tiers du XIIe siècle pour que la nouvelle formulation s'impose, tout en
préservant une assez grande diversité:
II est tout à fait exceptionnel que les actes catalans comportent une formule de
salutation: «In nomine domini ego Savarichus et uxor mea. Eterno in domino
salutem...» (Bibl. Cat., perg. 2.190, 26 juin 1031).
A. Cap. Div. A. 1.809 (17 avril 1055).
Villan, ouvr. cité, t. X, append. 4 (6 avril 808).
Marca Hispanica, ouvr. cité append. 56 (1er décembre 898).
Voir R. d'Abadal y de Vinyals. La batalla del adopcionismo en la desintegraciôn
de la Iglesia visigoda. (Discurso... de la Real Academia de Buenas Letras de
Barcelona, 1949, 188 p.) Un document du milieu du Xe siècle comporte à cet égard
une invocation nettement antiadoptionniste: «Anno incarnati verbo, qui in prin-
cipio apud Patrem Deus semper existit...» (Villan, ouvr. cité, t. VI, app. 14,
23 août 940).
Villan, ouvr. cité, t. XII, append. 19 (9 juin 969).
PROTOCOLES ET PRÉAMBULES DANS LES DOCUMENTS CATALANS-Xe-XIIe 47
1 «... in dei eterni et salvatoris nostri ihesu christi», Bib. Cat. 1988 (12 avril 1134)
et 3.820 (1er juin 1180), «in nomine domini eterni et salvatoris nostri...» (A. Cap.
Div. B. 1.493, 24 septembre 1083).
2 M. Hisp., append. 214 (15 juillet 1035).
3 A. Cap. Div. B, 1.297 (22 février 992).
4 A. Cap. Div. B, 719 (21 février 1028).
5 M. Hisp., append. 231 (15 novembre 1046). Voir à ce sujet M. Zimmermann, op. cit.
PROTOCOLES ET PRÉAMBULES DANS LES DOCUMENTS CATALANS-Xe-XIIe 51
était maintenant infligé par surcroît, s'il n'était qu'un moyen d'assurer
l'éxecution des autres clauses; peut-être de fait en a-t-il toujours été
ainsi, mais il n'est pas indifférent qu'un tel aveu transparaisse dans
l'écriture.
Par suite, les clauses pénales de l'eschatocole expriment une nouvelle
conception du temps humain et des rapports entre l'homme, son créateur
et son prochain. Les documents insistent bien davantage sur la durée
des clauses — tant pénales que comminatoires — et lient généralement
la cessation du châtiment spirituel à l'exécution des sanctions matérielles.
Avant l'an 1000, c'était pour l'éternité qu'était condamné l'infracteur:
«et requiem numquam inventât neque hic neque in perpetum neque in fu-
turum seculb) 1. Maintenant, la faute se situe à l'intérieur du temps
humain, dans le cadre de la vie de l'individu («et... hoc maneat firmum
per omnia tempora vite vestre» 2; mieux, la faute est rachetable dans des
limite temporelles précises: «et postea iram dei incurrat... donec resipiscat
et ecclesie illi cui ftaudem fecerat satisfaciat» 3. Seul celui qui a refusé
de s'amender sera soumis à un châtiment dans l'au-delà: «si inemendatus
discesserit ab hac vita, sit particeps in pena cum traditore Domini Juda» 4.
La responsabilité de l'homme dans son salut est affirmée, et l'horizon
spirituel s'éclaire à partir du deuxième tiers du XIe siècle, même si le
répit accordé en cette vie ne préjuge pas des peines réservées dans l'au-
delà: «sed iudicio sancti spiritus... in inferno puniatur eius anima post,
obitum et in hac vita gladio Sancti spiritus feriatur donec predicte canonica...
componah 5.
De ce fait découlent des conséquences remarquables; d'abord le
caractère spirituel des clauses pénales s'atténuant, ou du moins sa portée
se rétrécissant, on assiste dans les documents du XIIe siècle, surtout après
1130, à une réapparition en nombre des^témoignages^d' autorité
souveraine; à «1' ira dei» se substitue «l'iram meam» du comte 6; et l'on voit
à nouveau réapparaître le «bannum» comme garant de la légitimité du
châtiment, «iram dei... incurrat et episcopo suo bannum episcopale et
A. C. A., perg. Ram. Bereng. IV, 28 (15 avril 1134). On retrouve presque
exactement une formulation antérieure de deux siècles: «bannum régis componat».
Villan, t. VI, append. 14 (23 août 940).
A. Cap. Div, B, 638 (12 juin 1101).
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tère didactique plus prononcé. Les documents les plus chargés ont beau
être peu fréquents, voire exceptionnels, leur diminution rapide au XIe
siècle est un fait notable; dès 1060-1070, on ne trouve plus que des
formules de malédiction courtes et stéréotypées.
La richesse de ces documents, leur variété mériteraient une étude
systématique; sans doute la plupart de ces formules appartiennent-elles
à un univers culturel plus vaste que la Catalogne; il peut être très
révélateur cependant de voir comment elles sont traitées, utilisées dans un
espace géographique et politique homogène. En effet, l'imagination des
scribes peut se donner libre cours, ainsi que leur talent de rédacteur et
beaucoup de documents en acquièrent une originalité certaine; tel croit
pouvoir faire appel à la mauvaise conscience du fautif («in ista vita in
omni actu suo se omnimode esse senciat impeditus x; tel autre transpose sur
le plan des relations vassaliques le châtiment promis («nullus christia-
n us... societatem osculi exhibeat» 2; tel autre, estimant que la faute envers
Dieu est incommensurable, fixe à un taux aberrant le montant de la
composition («componat ista hec omnia centuplichata») 3; tel encore ne
peut résister à l'envie de faire étalage de culture («non hoc valeat vindi-
care set fiat ei sicut Psalmista cecinit ex ipsis qui ereditatem Sanctuarium
Dei iniuste desiderant possidere vel possident» 4; tel autre enfin n'hésite
pas à faire un jeu de mots: «-Si quis disrumpere temptaverit disrumpat eum
deus a regno suo» 5. Quel que soit l'intérêt de ces cas particuliers, il nous
semble plus important de considérer les thèmes qui reviennent le plus
fréquemment et constituent en quelque sorte l'ossature de ces formules
comminatoires. Il faut en fait distinguer deux niveaux, celui des principes,
plus abstrait (le pécheur est qualifié et son châtiment s'exprime dans le
cadre de certaines institutions juridico-canoniques) et celui des effets,
plus pratique (où l'on trace à l'intention du pécheur un tableau des
peines qui lui sont réservées). Au niveau des principes, le trangresseur est
— nous l'avons déjà signalé — - un sacrilège 6; à ce titre il subit le châtiment
correspondant à sa faute («penam sacrilegii incurrat») 7, mais ce
châtiment est temporaire («sit... sacrilegus donee ad satisfactionem veniat» 8,
Patres malediccionem haccipiat. (A. C. A. Cancill, perg. Ram. Borrell, 112 (10
novembre 1015).
8 A. C. A. Cancill, perg. Ram. Bereng. I, 181 (13 janvier 1056).
9 A. Cap. Div. A, 702 (27 janvier 1073).
10 Villan, t. XI, append. 12 (1145). La casuistique peut être plus précise: «Quod si
fecerit, nisi reddiderit aut si potuerit reddi non fecerit, aut commonitus, aut se
maie fecisse, recognoscens non emendaverit, débite excommunicationis feriatur
vindicta...» Villan, t. XIV, append. 16 (4 octobre 1069).
11 A. C. A., perg. Santa Cecil. Mont, sin numéro (28 septembre 1139).
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que nous livre l'Epître aux Corinthiens *; son sens véritable est «le
Seigneur est venu»; mais au Moyen-Age cette formule d'action de grâces
avait (associée à anathema), une valeur imprécative, et était prise dans
le sens de «le Seigneur viendra»; 1' «anathema maranatha» est celui qui
sera damné au moment de la parousie. Nous avons même rencontré un
texte qui commente et explique la formule: «et sit anatema maranatha
hoc est peiditio (perdictio?) in adventum domini» 2.
Un tel châtiment est si grave qu'il ne peut être infligé sans recours;
aussi n'est.il souvent que le lot des rebelles, de ceux qui ont refusé de
se soumettre aux peines temporelles correspondant à leur faute («nisi
satisfaciens juxta legem poenituerit») 3, «nisi resipuerit» *, surtout si
on les y a invités plusieurs fois («nisi secundo tertiove commonita
resipuerit atque correxerit anathema sit») 5. Et même lorsque l'anathème a
été prononcé, le pécheur garde toute chance d'en être relevé: «donec
emendet, anathema sit» 6, (donee resipiscat anatematis gladio feriatur» 7;
la législation canonique s'en porte gai ante: «donec ad dignam satisfac-
tionem secundum sententiam toletani concili XI»... 8.
Quelle relation notie documentation suggère-t-elle enfin entre
excommunication et anathème? Lorsque les deux châtiments sont évoqués
à propos d'une même cause, trois cas peuvent se présenter:
— les deux sanctions, placées sur le même plan sans que rien ne les
distingue, sont coordonnées au point de constituer une seule expression:
«sit excommunicatus et anathematizatus» 9; plus souvent, les deux termes
ne sont que des éléments dans une longue suite d'expressions quasi-
synonymes: «excomunicatus et anatematizatus et a liminibus sancte dei
ecclesie extraneus» 10. Tout au plus, ces expressions peuvent-elles être
1 I. Cor. XVI, 22. «Si quelqu'un n'aime pas le seigneur qu'il soit anathème.
Maranatha.» Voir à ce sujet: F. Vigouroux. Dictionnaire de la Bible, t. IV, Paris, 1908,
col. 712-714.
2 A. C. A., perg. Santa Maria de Amer, 7 (28 mai 1034). La lecture «perditio» est
difficile, mais elle correspond exactement au sens de la formule au Moyen Age.
3 M. Hisp. append. 427 (13 octobre 1157).
4 A. G. A., perg. S. B. B., 427 (29 mars 1 153). De même S. B. B., 434, 456, 457, 467, 479.
5 S. C. V., cart., 928 (25 avril 1134).
6 M. Hisp., append. 273 (27 octobre 1070).
7 Villan, t. VI, append. 43 (1107).
8 M. Hisp., append. 309 (26 mai 1091).
9 M. Hisp., append. 210 (14 décembre 1034).
10 A. C. A., perg. S. B. B. 408 (8 janvier 1129). Il est même des séries plu? longues:
«... eos excommunicamus et anatematizamus atque abominamus et alienamus
eos atque abiecimus a liminibus sancte Dei ecclesie et segregamus eos a corpus
et sanguine Domini nostri Jesu Christi et a consortio christianorum fidelium,»
Villan, t. X, append. 22-991).
PROTOCOLES ET PRÉAMBULES DANS LES DOCUMENTS CATALANS-Xe-XIIe 61
A. C. A., perg. Santa Cecil. Mont (30 avril 1059). Les deux formules conservent
dans ce cas un symbolisme propre: «anathematis gladio eos percussit ac vinculo
excomunicationis innodavit. (Villan, t. XI, append. 1, 1079.)
M. Hisp., append. 292 (8 novembre 1080).
M. Hisp., append. 182 (20 novembre 1019).
S. C. V., cart. 636 (27 juillet 1063).
M. Hisp., append. 369 (17 octobre 1120).
Villan, t. X, append. 23 (991).
M. Hisp., append. 217 (16 décembre 1037).
62 MICHEL ZIMMERMANN
en deux sections, séparées par «et postea» (et non «et insuper») c'est
à dire qu'ils ne s'accumulent pas les uns sur les autres, mais se succèdent
et se répondent dans le cours d'un développement historique, les deux
membres de phrase utilisant des formulations parallèles pour définir
le double éclairage de la faute:
excommunicatus
secundum canonicam anathema maranatha
auctoritatem
a liminibus sanctae
Dei ecclesiae extraneus cum Datan et Abiron...
...ipsis qui dixerunt...
sit particeps.
«Anathème» aurait ici le sens que lui donne St. Paul (Romains IX, 3), celui de
séparation finale, non pas de l'amour mais de la présence même du Sauveur.
Villan, t. XVI, append. 13 (23 avril 1168).
Villan, t. XII, append. 31 (1021).
PROTOCOLES ET PRÉAMBULES DANS LES DOCUMENTS CATALANS-Xe-XIIe 63
A. C. A. Cancill, perg. Wifred I, 8. Miro, 15, 17, 19, 20, 23, 48, 50. Seniofred 21
— Borrell, 13, 29 — Voir éd. F. Udina Martorell, ouvr. cité (documents n° 10, 50,
52, 54, 57, 58, 84, 86, 110, 180, 197).
M. Hisp., append. 51 (31 juillet 890).
Les documents du fonds de chancellerie manifestent plus de continuité. Il est
vrai que le plus récent est de 984!
Dans un certain nombre de cas, à la colère de Dieu est associée celle de la Vierge
(assez rarement, la Vierge Marie n'ayant pas fonction de se mettre en colère; elle
le fait cependant ou menace de le faire), en 1075 («iram Dei ejusdemque genitricis».
M. Hisp,, append. 284), en 1157 (M. Hisp., append. 427), ou celle du saint auquel
est consacrée l'abbaye (ainsi Saint Martin en 1084 à Saint Martin du Canigou
[M. Hisp., append. 295], Saint Michel et Saint Germain, puis Saint Michel seul à
Saint Michel de Cuixa [M. Hisp., append. 97, 325, 360...], Saint Cucufat à San
Cugat del Vallès en 1132 [A. C. A., perg. S. C. V., 471]), ou même de tous les saints
(«iram Dei incurrat et Sanctorum eius». A. C. A., Cancill, perg. Bereng. Ram.
1«, 29 [22 février 1020]).
PROTOCOLES ET PRÉAMBULES DANS LES DOCUMENTS CATALANS-X e-XIIe 65
1 L' «ira dei», expression omniprésente, peut de temps à autre céder la place à des for,
mules synonymes: «ultione divina feriatur». A. Cap. Div. A, 1820 (6 mars 1010)-
«omnipotens Deus... ei résistât» (M. Hisp., append. 151, 4 juin 1003).
2 S. C. V., cart. 153 (28 avril 983).
3 A. C. A., perg. Santa Cecil. Mont, 32 (3 avril 1027).
4 A. C. A., perg. Santa Cecil. Mont, 34 (1er mai 1029).
5 A. C. A. Cancill, perg. Ram. Bereng. I, 446 (17 septembre 1073).
6 S. C. V., cart. 25 (26 octobre 946).
7 A. C. A., perg. S. B. B. 551 (22 février 1198).
8 S. C. V., cart. 39 (3 avril 955).
9 S. C. V., cart. 107 (9 février 975). A. C. A., perg. Santa Cecil Mont, 3 (27 janvier 959)
A. Cap. Div. C (a) 31 (9 février 975).
10 A. C. A., perg. S. B. B. 327 (15 mai 1064).
11 A. C. A. Cancill. Ram. Bereng. IV, 102 (14 septembre 1140).
12 A. C. A. Cancill, perg. Bereng. Ram. II, 56 (14 septembre 1088).
13 A. C. A. Cancill. Ram. Bereng. III, 28 (9 août 1095). M. Hisp., append. I (Ie*
novembre 819).
14 Villan, t. VI, append. 44 (21 mai 1108).
5. — Mélanges.
66 MICHEL ZIMMERMAN N
1 A. C. A., perg. S. B. B. 144 (1019), et perg. Santa Cecil. Mont, sin numéro (26
septembre 1022).
2 S. C. V., cart,. 211 (30 octobre 987).
3 M. Hisp., append. 288 (20 octobre 1077).
4 Villan, t. XIII, append. 31 (8 mars 1114).
5 Villan, t. V, p. 254 (25 avril 1149).
6 Villan, t. X, append. 5 (28 juillet 815). A Cap. Div. A, 1809 (17 avril 1055).
7 «In profundissimo stagno inferni» A. C. A. Cancill. Ram. Benreng. I, 46 (22
octobre 1041) L'image répond bien à l'usage du verbe «dimergere».
8 Villan, t. VI, append. 34 (8 décembre 1066).
9 A. Cap. Div. B, 719 (21 février 1028).
10 A. C. A. Cancill. Ram. Bereng. I, 24 (31 août 1039).
11 Villan, t. XII, append. 18 (juin 1090).
12 Villan, t. VIII, append. 32 (2 juillet 1019).
13 M. Hisp., append. 218 (21 septembre 1038). La juxtaposition des deux châtiments
est par elle-même savoureuse.
14 A. C. A., perg. S. B. B., 327 (15 mai 1064).
15 S. C. V., cart. 685 (1 octobre 1075).
16 «Penis gehennalibus... perhenniter cruciandus». A. Cap. Div. B, 231 (2 juillet 1173)
— «in gehenna ignis particeps fiat» A. C. A., perg. San Marsal de Montseny, 875 — -
(29 novembre 1221). Le mot «gehenna» est d'ailleurs très souvent synonyme
PROTOCOLES ET PRÉAMBULES DANS LES DOCUMENTS CATALANS-Xe-XHe 67
rares encore sont les références à sa propre histoire; si l'on excepte une
mention à 1' «apostate angelo» 1, un seul texte nous parle de «Lucifer
qui de celo propter superbiam cecidit» 2. Sa présence en enfer n'est pas
affirmée avant le début du XIe siècle 3; elle n'est jamais fréquente (nous
n'en avons trouvé qu'une dizaine d'exemples entre 1012 et 1118); de
plus, le mot enfer n'est utilisé explicitement que pour «Beelzebub prin-
ceps demoniorum» 4 et pour «Sathanas» 5.
Le plus illustre habitant de l'enfer, le réprouvé par excellence est en
revanche Judas. Sa personne encombre les formules de malédiction. Alors
que celles-ci s'appauvrissent dès la fin du XIe siècle, Judas hésite à
s'effacer; à l'extrême fin du XIIe siècle, il arrive encore que le partage du
sort de Judas — avec la colère de Dieu, souvent avant elle, parfois sans
elle— soit la sanction qui menace les infracteurs. Donner des chiffres ne
peut avoir, dans notre propos, qu'une valeur indicative; signalons
cependant que, sur un ensemble de 202 documents où Judas apparaît, si le
plus grand nombre se situe avant l'an 1000,61 — ce qui ne peut nous
étonner — pour les trois demi-siècles suivants, la formule manifeste une
assez étonnante stabilité:
— 48 de 1000 à 1050.
— 47 de 1050 à 1100.
— 36 de 1100 à 1150.
Nous avons encore relevé 10 mentions de Judas entre 1150 et 1200.
Judas «résiste» à la sécularisation des protocoles. Il faut sans doute
imaginer que l'histoire de Judas — et bien entendu le fait n'est pa? propre à
la Catalogne — constituait un symbole accessible, facilement exploitable
de plus dans un contexte féodal: destin d'un homme sur la responsabilité
duquel on se plaît à insister: «... Juda, quis prius vir apostolicus, postea
vilis apostata factus» 6. Destin que sont appelés à partager tous les
infracteurs: «cum Judas Scarioth participacionem abeat» 7, «cum iuda...
particeps fiat» 1, «cum Juda... abeat porcionem» 2 etc.. Destin qui, bien
avant l'an 1000 est scellé, «cum Juda Scariot participationem abeat in
inferno inferiori» 3. Dans la quasi-totalité de notre documentation, le nom
de Judas est commenté, qualifié; un groupe de quatre documents
contemporains, de San Cugat del Vallès choisit l'épithète polémique de «pseudo-
apostolus»; 4 mais la formulation générale se situe dans une perspective
historique et didactique; si Judas est damné («damnatus» 5, «in perpétua
damnatione damnatus» 6, c'est parce qu'il a trahi; il a trahi le Seigneur
(«qui Dominum tradidit» 7), notre Seigneur («qui dominum nostrum Jhesum
Christum tradidit» 8), mais aussi son propre seigneur («qui dominum suum
tradidit» 9); il est le traître («Judas traditor» 10), le pire des traîtres («cum
iuda pessimo traditore» u). Une variante — assez fréquente — (nous en
avons rencontré une quinzaine d'exemples) précise que Judas, non
content de trahir, a livré lui-même son maître: il est «Judas proditor» 12; son
sort ne peut être que la mort éternelle («cum Juda... hereditariam. mortem
habeant» 13), c'est à dire l'enfer 14. Mais lui est condamné à jamais, alors
que les infracteurs qui partageront son sort peuvent espérer y échapper
s'ils respectent les clauses pénales 15; même dans le cas contraire un espoir
leur demeure, celui de la clémence divine au jour du Jugement dernier 16.
comme des parjures («voti sui fraud atoribus» x); on comprend mieux ainsi
la valeur symbolique de leur témoignage dans une société féodale fondée
sur le serment. Dans cette perspective, il n'est pas indiffèrent de constater
que plus de la moitié des documents portant mention d'Anania et Saphira
émanent de la chancellerie comtale, et que ces deux personnages,
probablement peu connus des contemporains, sont encore invoqués au XIIe
siècle, c'est à dire à un moment où les formules comminatoires devenaient
rares et sommaires.
Les autres hôtes infernaux font des apparitions plus fugitives;
quelques-uns nous sont familiers: les habitants de Sodome et Gomorrhe 2,
Barablas bien injustement associé à Satan 3, Hérode et Pilate 4, Néron
enfin dont on ne situe pas explicitement la place en enfer 5; quelques autres,
entr'aperçus, sont vite oubliés, tel Simon le Magicien 6, dont l'histoire
nous est contée par les Actes des Apôtres (VIII, 5-24). Mais l'enfer est
assez grand pour accueillir tous ceux, encore anonymes, qui refusent
l'appel de Dieu: «... eis qui dexerunt Domino Deo: Recede a nobis, scien-
tiam viarum tuarum nolumus...» 7; la menace est renouvelée huit fois
entre 806 8 et 1123 9. De façon plus générale, elle s'adresse à tous les
«filios diffidencie» 10, à tous les impies ", que rien ne distingue aux yeux
térieuses de leur mort. L'expression «mucrone Apostoli Pétri vulnero» (M. Hisp,,
append. 300, 29 août 1087) est plus énigmatique. Fait-elle allusion au même
événement ou au coup d'épée de Pierre au serviteur du Grand Prêtre?
1 A. C. A. Cancill, perg. Ram. Bereng. IV, 14 (19 septembre 1132) et 27 (3
janvier 1135).
2 «Descendant vivi in infernum sicut Sodomitae» (M. Hisp., append. 200, 22 avril
1026), id. A. G. A. Cancill, perg. R. Bereng. III, 217 (décembre 1119).
3 «... cum baraban et Sathanas» (A. Cap. Div. C [b] 79 b, 30 avril 1126).
Remarquons à cet égard l'habitude de présenter par paires les habitants de l'enfer,
Judas restant en revanche l'homme seul par excellence.
4 «Cum... herode atque pilato in inferno puniatur eius anima post obitum» A. Cap.
Div. B, 1.426 (24 septembre 1123).
5 «Et sub anathemathe marantha innodatus in exemplum impiissimi Neronis ab
hominibus deiciatur » (F. Udina Martorell, ouvr. cité, doc. 138, p. 300, 10 juin 957).
6 A. C. A. Cancill, perg. Ram. Bereng. II, 25 (6 décembre 1077). Voir à ce sujet le
document n° 1 placé en appendice.
7 M. Hisp., append. 218 (21 septembre 1038). La phrase est une citation du livre de
Job (XXI, 14).
8 Villan, t. X, append. 4 (6 avril 806).
9 A. C. A., perg. S. B. B., 405 (18 mai 1123).
10 A. C. A., perg. Sa. Cecil Mont, sin num. (4 septembre 1078).
11 «Habeant partem cum impiis sicut scriptum est: Non est pax impiis, dicit Do-
minus» (Villan, t. VI, append. 36, XIe siècle), «cum impiis quos divina severitas
perpetuo incendio condemnat, in infernum tormenta sustineant» (M. Hisp., append.
290, 7 mars 1079).
PROTOCOLES ET PRÉAMBULES DANS LES DOCUMENTS CATALANS-Xe-XIIe 73
1 «Et animas eorum, cum de hoc seculo exierint cum paganis et iudeis permaneant»
(S. C. V., cart. 449, 26 juillet 1012).
2 «... et christiane societatis licentiam perdat, quia velut infidelis ausus est Ghristi
violare ecclesiam». Villan, t. VIII, append. 32 (2 juillet 1019).
3 «... instinctu diabolico» (A. Cap. Div. C [c] 1, 1100-1108), «maligno spiritu infla-
tus» (M. Hisp., append. 322, 1099).
4 «... maligna cupiditate» (M. Hisp., append. 65, 1er septembre 916).
5 «Superbia inflatus», S. C. V., cart. 931 (31 décembre 1135).
6 «Malicia plenus», S. C. V., cart. 931 (31 décembre 1135).
7 «Prava praesumptione». M. Hisp., append. 290 (7 mars 1079).
8 M. Hisp., append. 427 (13 octobre 1157).
9 M. Hisp., append. 207 (24 juillet 1032). De même «in memoria (a) lem aput Deum
neque in isto seculo neque in futuro non fiat». S. C. V., cart. 127 (26 février 978).
10 A. C. A. Cancill, perg. Ram. Bereng. IV, 14 (19 spetembre 1132).
74 MICHEL ZIMMERMANN
4321 M. C.
S.
A. C.
Hisp.,
V.,
A.,
A. Cancill,
cart.
perg.
append.
79Santa
perg.
(3218
maiMaria
(21
Ram.
965).
septembre
deBereng.
Amer, 1038).
II,
15 25
(20(6octobre
décembre
1128).
1077).
... diabolus dux eius sit semper in vita sua et supra picem et
carbones eius denigratam infelicem animam a corpore egressam.
in Flegetontis ardentis fluvii profundam imergat undam; et ultri-
ces cum traditore Domini et his qui fidem abiecerunt Christi,
eterni incendii sentiat flammas...