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DEUXIÈME SECTION

DÉCISION
Requête no 11657/16
Vladimir FILAT contre la République de Moldova
et 4 autres requêtes
(voir liste en annexe)

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant


le 19 mars 2019 en un comité composé de :
Ivana Jelić, présidente,
Valeriu Griţco,
Darian Pavli, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites aux dates indiquées dans le
tableau joint en annexe,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT
1. La liste des parties requérantes figure en annexe.

A. Les circonstances de l’espèce

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants,
peuvent se résumer comme suit.
3. Les requérants sont ou étaient incarcérés (voir la liste en annexe) dans
des lieux de détention en Moldova. Dans leurs requêtes, ils dénoncent les
conditions de leur détention, qu’ils décrivent en détail.

B. Le droit interne et les textes pertinents

4. Le 1er janvier 2019, des modifications au code de procédure pénale,


introduites par les lois no 163 du 20 juillet 2017 et no 272 du 29 novembre
2 DÉCISION FILAT c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET AUTRES REQUÊTES

2018, sont entrées en vigueur. Elles prévoient la mise en place d’un nouveau
recours préventif et compensatoire pour se plaindre des mauvaises
conditions de détention.
5. Selon ces nouvelles dispositions, les personnes qui ont une requête
pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme, relative aux
conditions de leur détention peuvent exercer, dans un délai de quatre mois à
partir du 1er janvier 2019, le recours susmentionné.
6. Le droit et les documents internes pertinents ainsi que les textes du
Conseil de l’Europe sont énoncés dans Draniceru c. République de Moldova
((déc.), no 31975/15, §§ 10-19, 12 février 2019).

GRIEFS
7. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent des
conditions matérielles de leur détention, qu’ils qualifient de contraires à
cette disposition. Dans les requêtes nos 15469/17 et 19317/17, ils allèguent,
toujours sous l’angle de cet article, ne pas avoir reçu des soins médicaux
adéquats en détention.
8. Par ailleurs, les intéressés se plaignent de la violation de différents
articles de la Convention et de ses Protocoles.

EN DROIT

A. Sur la jonction des requêtes

1. Compte tenu de la similitude des requêtes, la Cour estime approprié


de les examiner conjointement en une seule décision, en application de
l’article 42 § 1 de son règlement.

B. Sur le grief tiré de l’article 3 de la Convention relatif aux


conditions matérielles de détention

1. Création d’une nouvelle voie de recours interne


2. La Cour note que, depuis le 1er janvier 2019, les justiciables peuvent
exercer un nouveau recours pour dénoncer les conditions de leur détention.
Dans sa récente décision Draniceru (décision précitée, §§ 26-41), elle a
analysé les dispositions relatives à ce recours et s’est prononcée sur son
efficacité. Il en ressort ce qui suit.
3. Le nouveau recours comprend un volet préventif et un autre
compensatoire. Pour ce qui est du premier, le juge d’instruction saisi par une
DÉCISION FILAT c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET AUTRES REQUÊTES 3

personne condamnée peut, s’il estime la plainte fondée, ordonner à


l’établissement pénitentiaire de redresser la situation dans un délai maximal
de quinze jours et, à l’issue de ce délai, l’administration pénitentiaire doit
informer le juge des mesures concrètes prises. Quant au volet
compensatoire, le juge peut : a) disposer la réduction de la peine du
condamné, à raison de un à trois jours de remise de peine pour dix jours de
détention dans des conditions inadéquates, et b) lorsque la remise de peine
n’est pas suffisante pour dédommager le condamné ou lorsque la détention
dans des conditions inadéquates est inférieure à dix jours, octroyer au
condamné un dédommagement pécuniaire d’un montant maximal de deux
unités conventionnelles, soit 100 lei moldaves (environ 5,10 euros selon le
taux de change officiel en vigueur au 1er janvier 2019), pour chaque jour de
détention dans des conditions inadéquates.
4. Les personnes détenues non condamnées peuvent être dédommagées
par le tribunal qui fixe l’éventuelle peine privative de liberté, selon la
formule suivante : deux jours de remise de peine pour un jour de détention
provisoire dans de mauvaises conditions. Dans le cas de figure où la remise
de peine ne peut pas être appliquée, le prévenu/l’accusé peut engager une
action civile pour être dédommagé.
5. La Cour rappelle avoir déjà estimé que la nouvelle voie de recours
instaurée en République de Moldova pouvait a priori être considérée
comme effective et qu’elle présentait, en principe, des perspectives de
redressement approprié des violations de la Convention résultant des
mauvaises conditions de détention (Draniceru, décision précitée, § 41).

2. Épuisement de la nouvelle voie de recours interne


6. La Cour rappelle que les principes pertinents applicables en matière
d’épuisement des voies de recours internes instaurées à la suite d’un arrêt
pilote sont désormais bien établis (voir, parmi beaucoup d’autres,
Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99 et 7 autres,
§§ 69-70 et 87-88, CEDH 2010, Stella et autres c. Italie (déc.), nos 49169/09
et autres, §§ 38-41, 16 septembre 2014, et Domján c. Hongrie (déc.),
no 5433/17, §§ 31-34, 14 novembre 2017). Il résulte notamment de cette
jurisprudence que, même si l’épuisement des voies de recours internes
s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour,
cette règle souffre des exceptions qui peuvent se justifier par les
circonstances d’une affaire donnée, en particulier lorsqu’une voie de recours
a été instaurée à la suite d’un arrêt pilote de la Cour.
7. La Cour a déjà estimé que le nouveau recours en matière de
conditions de détention introduit dans l’ordre juridique moldave était a
priori effectif, qu’il était justifié d’appliquer l’exception au principe de
l’épuisement des voies de recours internes, et que les justiciables devaient
l’exercer (Draniceru, décision précitée, §§ 41, 43-44).
4 DÉCISION FILAT c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET AUTRES REQUÊTES

8. Se tournant vers la présente affaire, la Cour note que le nouveau


recours est ouvert aux requérants et que ceux-ci peuvent l’exercer dans un
délai de quatre mois à partir du 1er janvier 2019.
9. À la lumière de ce qui précède, elle considère que les intéressés, pour
autant qu’ils allèguent avoir été incarcérés dans des conditions matérielles
contraires à l’article 3 de la Convention, doivent se prévaloir du nouveau
recours en question afin d’obtenir au niveau national la reconnaissance de la
violation et, le cas échéant, une compensation adéquate. En même temps,
elle précise que, s’ils n’obtiennent pas gain de cause au niveau national, il
leur sera loisible d’introduire une nouvelle requête devant la Cour dans un
délai de six mois après l’épuisement de la nouvelle voie de recours
(Draniceru, décision précitée, § 45).
10. La Cour précise encore une fois qu’elle se réserve la possibilité
d’examiner la cohérence de la jurisprudence des juridictions internes avec sa
propre jurisprudence ainsi que l’effectivité des recours tant en théorie qu’en
pratique. En tout état de cause, la charge de la preuve concernant
l’effectivité des recours pèsera alors sur l’État défendeur (ibidem, § 46).
11. Il s’ensuit que le grief des requérants tiré des conditions matérielles
inadéquates de détention doit être rejeté pour non-épuisement des voies de
recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

C. Sur les autres griefs

12. Les requérants se plaignent en outre de la violation de différents


articles de la Convention et de ses Protocoles. Par ailleurs, les requérants
dans les requêtes nos 15469/17 et 19317/17 dénoncent, sur le terrain de
l’article 3 de la Convention, une absence de soins en détention.
13. La Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la nécessité
de communiquer ces griefs au gouvernement défendeur conformément à
l’article 54 § 2 b) de son règlement et ajourne leur examen.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare irrecevables le grief tiré de l’article 3 de la Convention relatif


aux conditions matérielles de détention ;
DÉCISION FILAT c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET AUTRES REQUÊTES 5

Ajourne l’examen des autres griefs des requérants, y compris de celui tiré
dans les requêtes nos 15469/17 et 19317/17 de l’article 3 de la
Convention, relatif à une absence de soins en détention.

Fait en français puis communiqué par écrit le 28 mars 2019.

Hasan Bakırcı Ivana Jelić


Greffier adjoint Présidente
6 DÉCISION FILAT c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET AUTRES REQUÊTES

ANNEXE

No Requête No Introduite le Requérant Représenté par Grief relatif aux Grief tiré d’une
Date de naissance conditions absence de soins
Lieu de résidence matérielles de en détention
Nationalité détention
1 11657/16 08/12/2015 Vladimir FILAT Victor MUNTEANU Article 3 -
06/05/1969
Chișinău
moldave
2 15469/17 15/02/2017 Ion MOŢPAN Veronica PASCAL Article 3 Article 3
12/04/1959
Seliște
moldave
3 18095/17 27/02/2017 Vladimir ȚURCANU Andrei BIVOL Article 3 -
23/03/1977
Durlești
moldave
DÉCISION FILAT c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET AUTRES REQUÊTES 7

No Requête No Introduite le Requérant Représenté par Grief relatif aux Grief tiré d’une
Date de naissance conditions absence de soins
Lieu de résidence matérielles de en détention
Nationalité détention
4 19317/17 28/02/2017 Chirică LAZĂR Vitalie ZAMĂ Article 3 Article 3
19/03/1961
Chișinău
moldave
5 27813/17 04/04/2017 Roman ZVEZDENCO Augustin PROCOPOVICI Article 3 -
03/11/1984
Ungheni
moldave

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