Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Retard pubertaire
Delayed puberty
T. Edouard *, M. Tauber
Unité d’endocrinologie pédiatrique, maladies osseuses, génétique et gynécologie médicale, hôpital des enfants de Purpan,
CHU de Toulouse, TSA 70034, avenue de Grande-Bretagne, 31059 Toulouse cedex 9, France
Disponible sur Internet le 4 novembre 2009
Résumé
Le retard pubertaire est évoqué, chez la fille, devant l’absence de développement des seins après l’âge de 13 ans et chez le
garçon, devant l’absence de développement des testicules (< 4 ml) après l’âge de 14 ans. Une démarche diagnostique
simple permet de différencier les hypogonadismes centraux ou périphériques et les retards pubertaires simples, qui sont un
diagnostic d’élimination. Chez la fille, le retard pubertaire est relativement rare (une fille pour deux garçons), et doit alors
faire évoquer une cause organique, en particulier le syndrome de Turner. Chez le garçon, il s’agit, le plus souvent, d’un
retard pubertaire simple. Le traitement des hypogonadismes repose sur le traitement étiologique, quand il est possible, le
traitement substitutif par stéroïdes sexuels (œstrogènes chez la fille et testostérone chez le garçon) et la prise en charge
psychologique. Dans tous les cas, la prise en charge précoce et prolongée est essentielle pour assurer une croissance et un
développement pubertaire optimaux, une sexualité normale et une fonction de reproduction satisfaisante.
ß 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Delayed puberty is defined in girls by the absence of breast development beyond 13 years old and in boys by the absence of
testicular enlargement (< 4 ml) beyond 14 years old. Simple investigations lead to the diagnosis of central or peripheral
hypogonadism and constitutional delay of puberty. In girls, delayed puberty is rare and often organic, and then Turner
syndrome should be systematically suspected. In boys, delayed puberty is often constitutional and functional. Treatment is
etiologic when possible, hormonal replacement therapy (oestrogen in girls and testosterone in boys) and psychological
management.
ß 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
recherchée systématiquement), évocatrice de syndrome de l’examen biologique essentiel qui va permettre de distinguer les
Kallman, doit faire réaliser une olfactométrie. causes centrales ou hypogonadisme hypogonadotrope (taux
Les courbes de croissance staturopondérale sont réalisées : bas), et des causes périphériques ou hypogonadisme hyper-
une croissance insuffisante et loin de la taille cible depuis gonadotrope (taux élevés).
plusieurs années doit faire évoquer en premier lieu un Chez le garçon, les dosages de l’inhibine B et de l’hormone
syndrome de Turner ou, plus rarement, un déficit hypo- antimüllérienne (AMH), marqueurs de la fonction sertolienne
physaire. peuvent être également utiles.
L’examen clinique évalue le stade pubertaire selon le score Si une pathologie centrale est évoquée, une IRM hypo-
de Tanner ; il est important de noter s’il existe ou non le thalamo-hypophysaire avec mesure de la hauteur hypophysaire,
développement d’une glande mammaire, que l’on peut de la tige pituitaire et des clichés centrés sur les bulbes olfactifs
mesurer, et/ou d’une pilosité pubienne et son ancienneté est réalisée à la recherche d’une malformation congénitale de
d’apparition. Cet examen clinique recherche des petits signes l’axe hypothalamo-hypophysaire, d’une agénésie des bulbes
pour orienter vers un syndrome de Turner, chez la fille ou vers olfactifs (en faveur d’un syndrome de Kallmann) ou d’une cause
un syndrome de Klinefelter, chez le garçon. tumorale ou infiltrative.
L’échographie pelvienne est indispensable chez la fille et Si on évoque une cause périphérique, un caryotype sanguin
complète l’examen clinique. Elle permet de vérifier la présence est réalisé pour rechercher, en particulier, un syndrome de
d’un utérus, de rechercher des signes d’imprégnation utérine et Turner, chez la fille (formule chromosomique : 45 X0), ou un
de visualiser la présence des ovaires, leur aspect, l’existence syndrome de Klinefelter, chez le garçon (formule
d’une activité folliculaire. chromosomique : 47 XXY).
La réalisation d’autres examens complémentaires est fonction En fonction du tableau clinique, des analyses génétiques plus
de l’âge osseux (AO) évalué selon l’atlas de Greulich et Pyle précises sont réalisées.
(Fig. 1) [1]. Ainsi, une croissance régulière avec ralentissement Enfin, la densitométrie osseuse est utile pour apprécier le
récent associé à un âge osseux de moins de 11 ans, chez la fille, et niveau de la minéralisation osseuse et pour décider du moment
de moins de 13 ans, chez le garçon, est en faveur d’un retard de la mise en route du traitement dans le cadre d’un retard
pubertaire simple et justifie une surveillance de six mois sans pubertaire simple.
autre examen complémentaire, surtout si l’interrogatoire a noté
un retard pubertaire familial. En revanche, un âge osseux 3. ÉTIOLOGIES
supérieur à 11 ans, chez la fille, et 13 ans, chez le garçon, doit faire
compléter le bilan pour rechercher un hypogonadisme. Les étiologies des retards pubertaires sont résumées dans le
Le diagnostic de retard pubertaire est clinique ; il peut être Tableau 1. Les retards pubertaires peuvent être congénitaux ou
confirmé sur le plan hormonal par un dosage bas d’œstradiol acquis, isolés ou associés à d’autres déficits hormonaux.
(< 10 pg/ml), chez la fille, et de testostérone (< 0,5 ng/ml), En pratique, la majorité des retards pubertaires sont
chez le garçon. Le dosage des gonadotrophines (LH et FSH) est secondaires à une pathologie chronique ; un diagnostic précis
Tableau 2
Étiologies des hypogonadismes hypogonadotropes d’origine génétique.
Migration des neurones à GnRH Syndrome de Kallmann KAL1 (anosmin), KAL2 (FGFR1), KAL3 (PROKR2), KAL4 (PROK2)
Régulation de la sécrétion de la GnRH Obésité et hypogonadisme Leptine et son récepteur, POMC
Hypogonadisme isolé GPR54 et KISS1
Hypoplasie congénitale des surrénales DAX1
et hypogonadisme
Récepteur de la GnRH Hypogonadisme isolé Récepteur de la GnRH
Facteur de transcription hypophysaire Insuffisance antéhypophysaire Prop1, LHX3, HESX1
Synthèse LH Déficit isolé en LH LH (sous-unité b)
Synthèse FSH Déficit isolé en FSH FSH (sous-unité b)
Syndromes Prader-Willi Région 15q11-q13
Bardet-Biedl Polygénisme
Charge CHD7 et SEMA3E
90 % des adolescentes développent une insuffisance ovarienne mise au repos ovarienne par les analogues du LHRH ou par
précoce (IOP). La fréquence des pubertés spontanées est plus pilule œstroprogestative. Il n’y a, actuellement, aucun
élevée dans le cas de mosaïques que dans les monosomies (40 % consensus établi. L’orientation actuelle va vers le développe-
vs 9 %), mais seulement 2 à 5 % des filles auront des ment d’une conservation de cortex ovarien par cryoconserva-
menstruations et garderont une fertilité spontanée ; 10 % tion dans l’optique d’une maturation folliculaire in vitro.
d’entre elles présentent des règles spontanées, mais seulement Dans tous les cas, un suivi de l’évolution de la fonction
5 % ont des cycles réguliers neuf ans après la ménarche. Des ovarienne doit être proposé à ces filles. Actuellement, la
grossesses spontanées sont aussi décrites [6]. réserve folliculaire ovarienne peut être appréciée par le dosage
de l’inhibine et de l’AMH.
3.2.1.2. Syndrome de Klinefelter. La prévalence du syndrome
de Klinefelter est de 1/500 à 1/1000 dans la population générale, 3.3. Retard pubertaire simple
ce syndrome étant responsable de 3,1 % des infertilités chez
l’homme. Le diagnostic est rarement évoqué dans l’enfance Le retard pubertaire simple est peu fréquent chez la fille
devant des anomalies génitales (petits testicules : 98 %, (une fille pour neuf garçons) et est un diagnostic « a
micropénis : 22 %) ou une gynécomastie prépubère (50 %). posteriori ». Le caractère familial, l’absence de cause organique
À l’adolescence, il existe un hypogonadisme avec retard identifiable ou de pathologie associée, le retard de maturation
pubertaire qui justifie un traitement par testostérone. Le osseuse sont en faveur de ce diagnostic. L’absence de
caryotype retrouve une formule chromosomique XXY ou des démarrage pubertaire avec un âge osseux inférieur à 11 ans
formes en mosaïques. Le plus souvent, il n’existe aucun signe chez la fille et 13 ans chez le garçon est en faveur d’un retard
clinique, et le diagnostic est fait à l’âge adulte devant une pubertaire simple. Néanmoins, seule la négativité des explo-
infertilité (spermatogenèse anormale dans 99 % des cas). rations permet de porter le diagnostic [8]. La limite entre
Les cas diagnostiqués en anténatal par un caryotype sur certains hypogonadismes partiels d’origine génétique reste
amniocentèse sont de plus en plus fréquents. Chez ces patients, parfois incertaine avec description de pubertés différées et
il n’existe pas de retard mental historiquement décrit mais des hypogonadismes certains dans une même famille [9].
troubles d’apprentissage améliorés par une prise en charge
précoce [7]. 4. TRAITEMENT
diagnostic précoce permet de débuter rapidement un reflétant la croissance résiduelle, et une échographie pelvienne,
traitement par hormones de croissance (growth hormone, pour apprécier le développement des organes génitaux
GH) pour permettre un rattrapage statural, et le traitement internes, sont également réalisés dans le cadre de la surveillance
œstrogénique substitutif peut alors être débuté à un âge et pour adapter le traitement. Un bilan biologique, comprenant
physiologique, c’est-à-dire vers 11 à 12 ans. En revanche, si le profil lipidique, glycémie à jeun et bilan hépatique, est réalisé
diagnostic est fait tardivement, le traitement inducteur de la avant la mise en route du traitement. Le dosage d’œstradiol est
puberté est souvent différé pour permettre un traitement par parfois réalisé, mais n’a pas un grand intérêt pratique.
GH pendant au moins un an.
En cas de retard pubertaire simple, les patients vont avoir un 4.2.2. Chez le garçon
démarrage pubertaire spontané qui peut, dans certains cas, être Le traitement du retard simple de puberté est réalisé par
très différé. Le traitement d’induction est proposé, le plus une injection intramusculaire de 50 mg d’énanthate de
souvent, du fait du retentissement psychologique de l’absence testostérone (Androtardyl1) toutes les trois ou quatre
de développement des caractères sexuels secondaires et semaines pendant trois à six mois. Si la puberté ne se produit
surtout du ralentissement de la vitesse de croissance [11]. Ce pas dans les six mois, une seconde cure peut être proposée.
traitement est également justifié pour permettre l’acquisition L’absence de puberté spontanée après une seconde cure est en
d’un capital osseux satisfaisant car il semble exister une fenêtre faveur d’un déficit gonadotrope [14,15].
assez courte pour obtenir ce capital [12]. Le traitement du déficit gonadotrope se fait par injection
En l’absence de déficit en GH (growth hormone deficiency, intramusculaire d’énanthate de testostérone (Androtardyl1)
GHD), le traitement par GH recombinante n’est pas indiqué débuté à 50 mg, puis augmenté de 50 mg tous les trois mois
chez les enfants présentant un retard statural secondaire à un jusqu’à la dose substitutive de 250 mg toutes les trois ou quatre
retard pubertaire. À l’inverse, les retards pubertaires associés à semaines. Il existe également des patchs transcutanés de
un GHD dans le cadre d’une atteinte hypophysaire peuvent testostérone, non remboursés à l’heure actuelle mais utiles
bénéficier d’un traitement par GH. dans certains cas, permettant d’éviter les pics trop importants
de testostérone en début de traitement.
4.2. Conduite du traitement
5. CONCLUSION
Le traitement substitutif est débuté en général lorsque l’âge
osseux est de 11 à 12 ans, chez la fille, et 13 à 14 ans, chez le La surveillance régulière de la croissance et de la puberté
garçon ; il est parfois retardé, notamment si un traitement par chez l’enfant permet à un praticien de déceler sans retard les
hormones de croissance est en cours pour améliorer le anomalies de la puberté et de dépister précocement certaines
pronostic de taille finale. maladies graves. Une démarche diagnostique simple permet de
Le traitement des hypogonadismes hypogonadotropes par différencier les hypogonadismes centraux, les hypogonadismes
l’administration de gonadotrophines, LH et FSH n’a d’indication périphériques et les retards pubertaires simples, qui sont un
qu’à l’âge adulte pour obtenir une fertilité. diagnostic d’élimination. La connaissance des gènes impliqués
dans certains hypogonadismes centraux devrait permettre de
4.2.1. Chez la fille mieux appréhender la physiologie du déclenchement puber-
Le 17b-estradiol (E2) est l’œstrogène le plus utilisé taire. Le traitement des hypogonadismes repose sur le
actuellement. L’administration est orale ou percutanée, ce traitement étiologique, quand il est possible, le traitement
qui permet une bonne imprégnation œstrogénique ; la voie substitutif par stéroïdes sexuels (œstrogènes chez la fille et
percutanée évite le passage hépatique et donc certains effets testostérone chez le garçon) et la prise en charge psycholo-
secondaires. gique. Dans tous les cas, la prise en charge précoce et
Le traitement substitutif est débuté par de faibles doses prolongée est essentielle pour assurer une croissance et un
d’œstrogènes (1/8e de la dose adulte, soit 0,2 mg/j d’E2), développement pubertaire optimaux, une sexualité normale et
augmentées progressivement (en deux à trois ans) pour se une fonction de reproduction satisfaisante.
rapprocher le plus possible de la physiologie et éviter une
maturation osseuse trop rapide [13]. Après le pic de croissance 6. CONFLIT D’INTÉRÊT
pubertaire, lorsque l’âge osseux est de 13–13,5 ans, des doses
substitutives plus importantes (2 mg/j d’E2) peuvent être utilisées. Aucun.
Après deux ans, les progestatifs sont introduits et un
traitement cyclique est débuté : 2 mg/j d’E2 du premier au RÉFÉRENCES
21e jour du mois et progestatifs du dixième au 21e jour. Des
pilules œstroprogestatives peuvent également être utilisées. [1] Anderson M. Use of the Greulich-Pyle ‘‘Atlas of skeletal development of
Pendant ce traitement, l’adolescente est suivie tous les six the hand and wrist’’ in a clinical context. Am J Phys Anthropol
mois en consultation. L’examen clinique apprécie le stade de 1971;35:347–52.
[2] Bona G, Marinello D, Oderda G. Mechanisms of abnormal puberty in
développement pubertaire et recherche des signes de mauvaise celiac disease. Horm Res 2002;57(Suppl. 2):S63–5.
tolérance au traitement (tension mammaire, hypertension [3] Arrigo T, Rulli I, Sferlazzas C, et al. Pubertal development in cystic fibrosis:
artérielle). Un âge osseux, pour évaluer la maturation osseuse an overview. J Pediatr Endocrinol Metab 2003;16(Suppl. 2):S267–70.
200 T. Edouard, M. Tauber / Archives de pédiatrie 17 (2010) 195–200
[4] Bondy CA. Care of girls and women with Turner syndrome: A guideline of [10] Delemarre EM, Felius B, Delemarre-Van de Waal HA. Inducing puberty.
the Turner syndrome study group. J Clin Endocrinol Metab Eur J Endocrinol 2008;159(Suppl 1):S9–15.
2007;92:10–25. [11] Mobbs EJ. The psychological outcome of constitutional delay of growth
[5] Saenger P, Wikland KA, Conway GS, et al. Recommendations for the and puberty. Horm Res 2005;63(Suppl 1):S1–66.
diagnosis and management of Turner syndrome. J Clin Endocrinol Metab [12] Finkelstein JS, Neer RM, Biller BM, et al. Osteopenia in men with a history
2001;86:3061–9. of delayed puberty. N Engl J Med 1992;326:600–4.
[6] Pasquino AM, Passeri F, Pucarelli I, et al. Spontaneous pubertal [13] Ankarberg-Lindgren C, Elfving M, Wikland KA, et al. Nocturnal application
development in Turner’s syndrome. Italian study group for Turner’s of transdermal estradiol patches produces levels of estradiol that mimic
syndrome. J Clin Endocrinol Metab 1997;82:1810–3. those seen at the onset of spontaneous puberty in girls. J Clin Endocrinol
[7] Lanfranco F, Kamischke A, Zitzmann M, et al. Klinefelter’s syndrome. Metab 2001;86:3039–44.
Lancet 2004;364:273–83. [14] Richman RA, Kirsch LR. Testosterone treatment in adolescent boys with
[8] Traggiai C, Stanhope R. Delayed puberty. Best Pract Res Clin Endocrinol constitutional delay in growth and development. N Engl J Med
Metab 2002;16:139–51. 1988;319:1563–7.
[9] Seminara SB, Messager S, Chatzidaki EE, et al. The GPR54 gene as a [15] Richmond EJ, Rogol AD. Male pubertal development and the role of
regulator of puberty. N Engl J Med 2003;349:1614–27. androgen therapy. Nat Clin Pract Endocrinol Metab 2007;3:338–44.