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23/08/2016 Renée Bourassa — Les Arts Trompeurs

Renée Bourassa
De Les Arts Trompeurs

Chercheure affiliée au CRIalt et au laboratoire NT2, Renée Bourassa est


professeure titulaire à l'école de design de l’Université Laval. Ses
recherches intermédiales portent sur les fictions issues des médias
numériques, les effets de présence des personnages de synthèse et la culture
numérique. Avec Bertrand Gervais, elle a co-édité l’ouvrage en ligne
Figures de l’immersion (2014) et avec Louise Poissant, Personnage virtuel,
corps performatif : effets de présence (2013) et Avatars, personnages et
acteurs virtuels (2013). Elle a publié Fictions hypermédiatiques : mondes
fictionnels et espaces ludiques (2010).

Lors de son intervention à l'Atelier scientifique international : Le lexique


des techniques d'illusion, dans la quatrième table ronde Simulation et effet
de « présence absence », pour une redéfinition du photoréalisme ?, Renée
Bourassa a rappelée rappelée cette idée de Lev Manovich d'une
remédiation sans fin du réalisme, depuis les premières années du cinéma.
Avec l’image de synthèse, des algorithmes vont permettre de simuler des
processus physiques qui vont donner l’illusion du réel : comme Stephen
Prince l’a proposé, le photoréalisme serait peut-être à repenser en tant que réalisme perceptuel. C’est pourquoi
Renée Bourassa évoque davantage les notions d’effet de réel ou d’effet de présence car on observe une présence
médiatisée par les outils numériques, qui vont rechercher à travers le calcul de détails et de mouvements
microscopiques un degré de réalisme encore plus grand dans la simulation d’un corps humain (par exemple).
Ces détails et micromouvements habituellement imperceptibles manquent pourtant s’ils n’existent pas, tout en
produisant sur le spectateur un effet de trouble (uncanny valley).

Sommaire
1 Transcription de la présentation de Renée Bourassa lors de l'atelier scientifique international Le
lexique des techniques d'illusion
1.1 Discussion avec les participants de l'atelier
2 Intervenant suivant de la table ronde Simulation et effet de « présence absence », pour une
redéfinition du photoréalisme ?
3 Autres intervenants de la seconde session De l’archéologie à la naturalisation de l’image de synthèse
au cinéma : les évolutions terminologiques des effets d’un nouveau réalisme
3.1 Table ronde De la caméra à l’ordinateur, quel langage pour les techniques d’illusion
3.2 Table ronde Simulation et effet de « présence absence », pour une redéfinition du
photoréalisme ?
4 Intervenants de la première session Signification(s) de l’effet « spécial » visuel, entre transparence et
opacité
4.1 Table ronde Cerner l’effet, entre visibilité, invisibilité et imperceptibilité
4.2 Table ronde Décrire l’effet visuel, du spécial au non-spécial
5 Corrélats avec le lexique
6 Références bibliographiques

Transcription de la présentation de Renée Bourassa


lors de l'atelier scientifique international Le lexique
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23/08/2016 Renée Bourassa — Les Arts Trompeurs

des techniques d'illusion


J’ai fait beaucoup de travaux sur les effets de présence. Le contexte du projet des Arts trompeurs
(http://dev.labex-arts-h2h.fr/artstrompeurs/index.php/Accueil) se trouve dans une certaine continuité des
techniques d’illusion qui ont été étudiées dans un groupe de recherche qui a eu lieu pendant 10 ans, entre 2004
et 2014, avec Louise Poissant. Deux volumes collectifs sur cette recherche on été publié aux Presses de
l’Université de Québec [1]. C’est une recherche surtout consacrée aux personnages virtuels, à la fois théorique
et pratique. Il y a à la fois des éléments de recherche-création et des éléments de réflexion.

Le développement des images du numérique, des technologies de simulation, démultiplie les procédés de
fabrication et d’altération de l’image. Ce sont des procédés qui vont composer des hybridations entre l’image
photographique et l’image synthétique. Le but de ces hybridations est de simuler des objets, des êtres qui sont
parfois sans référent dans le monde réel. Ces transformations nous invitent à réfléchir à la question du
photoréalisme, qui est au cœur du cinéma et au cœur des images de synthèse.

Premièrement, la session s’intitule « Pour une redéfinition du photoréalisme », mais je me demande si l’on doit
parler d’une « redéfinition ». Il faut peut-être le penser, ou le repenser simplement, en fonction de ces nouvelles
modalités de mise en forme. Pour moi, le photoréalisme reconduit les mêmes principes qui ont été utilisés dans
la prise de vues réelles et qu’on reproduit dans l’image de synthèse et la simulation. Dans ses nuances
terminologiques que l’on souhaite établir, tout à l’heure on a parlé « d’impression de réalité », de réalisme, de
réel... Le le terme important qui surgit est ce que j’appelle l’effet de réel.

L’effet de réel existe depuis toujours au cinéma. Qui dit « effet » ne dit pas « réel ». On parle d’effet spécial
mais, en fait, le cinéma est une question d’effet de réel. D’abord et avant tout, on peut distinguer deux types de
réalisme : le premier va toucher les genres, on va parler de néoréalisme italien… Le mot « réalisme » au cinéma
est très chargé, évidemment parce qu’on l’utilise dans des sens extrêmement différents, en tant que genre, mais
aussi en tant que support de matière à expression. C’est évidemment ce deuxième type qui nous intéresse plus
particulièrement lorsque l’on parle des effets d’image de synthèse.

Que nous disent les technologies de simulation sur la médiation technologique en regard du réalisme ? De
quelle façon les images de synthèse parviennent-elles à « tromper » nos sens ? (parce que l’on est toujours dans
une affaire de tromper les sens) Comment vont-elles prolonger les stratégies illusionnistes qui ont marqué
l’histoire du cinéma ? Lorsque l’on parle de prolonger, c’est parce que nous ne sommes pas dans un schème de
rupture mais plutôt de prolongation dans ce qui existait de façon antérieure.

Si je reviens à Bazin, le réalisme cinématographique était d’abord tributaire de la nature objective de la


photographie. C'est cette fameuse impression de réalité qui découlerait, selon Bazin, de la saisie mécanique du
réel par la caméra, sans qu’il n’y ait interprétation humaine de cette image. L’analyse des premiers théoriciens
du cinéma était de poser ainsi la question du réalisme, mais c'est une façon datée de voir le réalisme, puisque
l’on sait que la représentation n’est jamais le réel. La représentation se distingue du réel par ses manques et par
ses suppléments. Il y a forcément manque car on ne peut pas atteindre le réel dans son intégrité, et il y a aussi
toujours des suppléments qui sont ajoutés. Par exemple, le brouillard est un effet esthétique du cinéma. C’est un
ajout à une réalité qui pourrait être profondément banale aux spectateurs. Le réalisme cinématographique est
d’abord une question de convention sur le point de vue technique, du style et de l’esthétique et chaque époque
va voir se déterminer des nouvelles configurations.

Depuis ses débuts, le cinéma a pour principe la dissociation, mais c’est un art de la composition, il agence des
fragments de réel pour donner une signification, selon un point de vue déterminé. Plutôt que de restituer une
réalité, il institue un regard particulier sur le monde, en lui imprimant une valeur. Au départ, c’est comme ça
qu’il faut poser la question du réalisme, pour voir s’il y a transformation ou si l’on se retrouve sur le même
schème sur le plan du réalisme.

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En suivant Manovich[2], chaque médium doit comparer son degré de réalisme non pas au réel, mais aux autres
médias. L’arrivée de la photographie va modifier profondément les critères de jugement du réalisme par rapport
à la peinture. Au cinéma, la recherche de réalisme constitue un processus illimité d’additions technologiques et
de substitutions sur le plan stylistique. Le degré de réalisme d’une image est toujours jugé en fonction d’une
forme de représentation antérieure, il s’agit d’un processus de remédiation sans fin, car le réel lui-même, dans
son intégralité, n’est jamais atteint. Ce processus va se prolonger dans les esthétiques de l’image de synthèse et
dans ses hybridations avec l’image cinématographique. En ce sens, si l’image de synthèse ajoute une panoplie
de moyens au cinéma, elle ne remet pas en question la finalité qui est la recherche de l’effet de réel.

Autre point : les artifices de l’image de synthèse sont ancrés dans les sciences de la vision. Ces sciences vont
viser à étudier les processus de la propriété physique de la perception visuelle pour en comprendre les principes
puis, à partir de ce point, simuler l’apparence des objets ou des êtres, et leurs mouvements. En cela, ils vont
perpétuer l’histoire du cinéma dans cette rencontre entre art, science et technologie qui a présidé dès la
naissance du cinéma et dans ses transformations subséquentes sous toutes ses formes. On retrouve, avec un
déplacement de l’intérêt, le cinéma en tant que science, ou plutôt les relations du cinéma avec la science, dans
les images de synthèse.

La simulation d’images de synthèse va tromper nos sens de façon précise et méticuleuse. C’est une tromperie
qui est contrôlée et qui a pour but d’aller chercher le tissu du réel dans ses propriétés physiques. Elle ne
fonctionnera plus comme une trace indexicale, en tant que technique d’enregistrement, mais elle est entièrement
construite à partir d’algorithmes qui vont simuler des processus physiques, ceux-là même qui rendent possibles
les phénomènes du monde naturel. On comprend la relation étroite, dès le départ, entre l’image de synthèse et le
réalisme. On comprend pourquoi c’est si important. Ces simulations de propriétés physiques vont inclure des
sources d’information sur les positions des objets dans l’espace 3D, les transformations de ces objets, les
principes anatomiques pour cette transformation des corps, la densité des détails des textures, des
comportements de la lumière dans ses interactions avec le monde physique, des principes physiques du
mouvement, la physique des systèmes dynamiques comme ceux qui vont produire des fluides comme les
nuages, du feu, de l’eau. Ce sont des principes physiques qui rendent visibles les phénomènes qui sont
concernés par l’image de synthèse.

Ces techniques de simulation vont multiplier ces « puissances du faux », comme disait Deleuze, à travers un
concept de réalisme perceptuel qui a été proposé par Stephen Prince. Cet auteur propose de repenser le
photoréalisme sous le concept de réalisme perceptuel, qui est un réalisme qui va tromper nos sens d’une façon
telle que, même si l’on sait très bien que ce qui nous est présenté est une créature fantastique, par exemple le
cas de Gollum, il est rendu de façon si crédible à notre œil, à nos sens, que l’on a vraiment l’impression qu’il
existe. On lui pose une valeur d’existence, une crédibilité au sens perceptuel. Même si l’on sait que c’est une
fiction, on va s’abandonner à cet effet de réel que j’appelle aussi effet de présence.

Je vais proposer une définition des effets de présence, qui désignent une transformation de la présence :
« effet » de présence, donc. Il y a une transformation qui va être induite par les dispositifs technologiques qui
agissent sur la perception même de l’observateur, ou encore, qui vont modifier la corporéité du performeur dans
le cas des arts de la scène, en la médiatisant. Certains vont parler de « présence médiatisée » plutôt que d’effet
de présence et donc ce terme d’ « effet » va renvoyer à ce qui agit, ce qui opère, pour moduler la présence.
L’effet va exercer une puissance performative sur la présence, pour l’augmenter, l’altérer ou la simuler sous
forme d’illusion ou de subterfuge.

Dans le cas des personnages, les effets de présence veulent nous faire croire à la réalité du simulacre. En jouant
sur les mécanismes de la tromperie, du leurre, ils vont nous inciter à accorder aux êtres artificiels des propriétés
du vivant. Dans ce sens là, ils viennent prolonger un désir millénaire qui est celui de créer des êtres artificiels
qui nous ressemblent. Le processus de fabrication d’un personnage de synthèse est une tâche d’une redoutable
complexité. Il n’y a aucun objet au monde qui est plus difficile à simuler que le corps humain, et en plus un
corps humain qui est doté de nuances expressives infinies. Être capable de simuler un être vivant est en quelque
sorte le Saint Graal de la production de l’image de synthèse. On a parlé de modélisation : un modèle est une
typologie à la base, une forme géométrique qui va être composée de millions de polygones. C’est une sculpture
numérique.
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On parlait de la convergence du cinéma graphique avec le cinéma réel : on réussit aujourd’hui, avec des
techniques de peinture, à donner à un visage en image de synthèse un certain degré de réalisme. Dans les
différentes étapes, il y a un modèle à haute résolution qui va permettre ensuite de simuler des textures de la
peau, avec des détails qui vont aller s’ajouter au réalisme perceptuel du modèle. Cette géométrie sous-jacente
va servir de support à la texture de peau et à l’animation qui va se faire par l’intermédiaire de squelette animé.
Les attributs de la peau dans l’image de synthèse sont extrêmement importants car ils ajoutent des couches de
réalisme, des couches d’expressivité à la figure, tout en se raccordant à l’histoire de la peinture en général. Une
chair grise et terne va signifier autrement qu’une peau vive et pigmentée. Les crevasses vont exprimer l’âge, on
va colorer la peau pour exprimer la bonne santé… Le regard du réalisateur de l’image est aussi un regard de
plasticien. C’est pourquoi on va s’intéresser de près aux pores de la peau, on va s’intéresser de manière presque
microscopique à la texture de la peau...

On trouve ici un regard qu’un réalisateur ne poserait pas s’il était en prises de vues réelles. Il ne se demande pas
quels sont les pores de la peau de l’acteur qu’il est en train de filmer. Dans la simulation des phénomènes
physiques, nous avons aussi le subsurface scattering, l’équivalent français pour « algorithme de la dispersion de
la lumière vers la peau ». Voyez comme c’est plus synthétique en anglais. Lorsque la lumière frappe notre peau,
elle traverse l’intérieur de trois couches de peau qui sont les unes par dessus l’autre : l’épiderme de surface, une
couche intermédiaire et la couche profonde où se situe le réseau des veines avant d’être réfractée et de revenir à
la surface. Pour avoir cet effet de réalisme dans la peau de synthèse, il faut constituer une série de trois couches
superposées qui vont recouvrir le modèle géométrique. Ces trois couches peuvent être ajustées de façon
extrêmement précise afin de donner cette illusion de la lumière qui traverse la peau et qui apporte cette
impression de réel beaucoup plus grande. Le subsurface scattering simule la trajectoire physique de la lumière
traversant ces couches de la peau et restituer ensuite par réfraction.

Pour rajouter au réalisme, des travaux de recherche tentent de simuler les mouvements microscopiques des
déplacements de la peau, qui font varier le degré de spécularité. Non seulement on a un modèle géométrique,
mais il y a des algorithmes qui viennent regarder la variation microscopique de spores de la peau. Pour le
réalisme, un visage s’anime à cause d’une série de mouvement, la peau ne reste jamais immobile. En bougeant,
elle module la spécularité de l’image et notamment les hightlights (hautes-lumières). On l’observe de façon
globale, sans pouvoir dire véritablement que l’image change, mais on perçoit pourtant un degré de réalisme plus
grand.

On sait que le visage occupe une place centrale dans l’expressivité humaine : c’est ce qui est aussi le plus
difficile à simuler dans le corps humain, en particulier l’œil. Un œil humain bouge constamment. Il n’est jamais
immobile. L'un des problèmes de l’image de synthèse au début, qui donnait ce caractère irréel à l’image, était
les animations avec les yeux qui restaient fixes. Spielberg a utilisé ça sciemment dans son film A. I. pour donner
l’impression que le petit garçon est un robot et non un être humain, il a retiré un photogramme sur 2 et donc
l’œil est curieusement fixe. C’est ce détail qui va permettre de faire la différence entre un petit garçon et un
robot qui essaie de simuler la vie d’un petit garçon.

La question de l’œil est donc d’une grande importance, comme on le voit dans le concept de la Vallée de
l’étrange, l’Uncanny Valley, qui est un principe défini par un chercheur en robotique dans les années 1970, avec
bien évidemment des références à Freud sur lesquelles il s’est basé pour ce concept. Plus on essaie de se
rapprocher du réalisme d’un être humain, plus on n’arrive jamais totalement à y arriver. Il y a toujours des petits
manques microscopiques qui produisent une impression de malaise chez le spectateur, qui crée une réponse
négative. On est mal à l’aise avec ces figures. Un corps vivant produit des mouvements extrêmement fins des
épaules par exemple, qui sont dus à la respiration. Si un corps est présenté sans les effets de micro–animations
qui sont vraiment peu perceptibles, vous avez l’impression que ce n’est pas un être vivant et il y a un malaise
qui s’installe. Ici, ce sont bien dans les manques ou les lacunes de l’Uncanny Valley que l’on va retrouver dans
toutes ces petites imperfections qui vont nous faire dire que non, ce que nous voyons n’est pas un être vivant, ce
n’est pas un être humain réel mais un personnage simulé. C’est ce défi que les artistes et chercheurs en images
de synthèse essaient, de façon certainement utopique, de franchir.

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Avec le déploiement des technologies de capture de mouvement, arrive un autre tournant dans le degré
d’illusionnisme possible d'atteindre, car on va croiser pour la première fois un mouvement qui est divorcé de sa
source. C’était déjà le cas avec toutes les techniques d’enregistrement : les techniques d’enregistrement
reposent sur le principe d’un divorce entre une source et ses données. Dans le cas de la capture de mouvement,
vous avez ce divorce d’un mouvement naturel d’un corps humain, qui est finalement une captation, un
enregistrement d’une grande fidélité des articulations de mouvements ou de mouvements des articulations,
posées ensuite sur une enveloppe de synthèse, pour lui donner cette impression de naturalité qui est très
importante. La capture de mouvement consiste donc à enregistrer les données de mouvement qui proviennent
d’un acteur dans l’espace réel. Contrairement à une captation vidéo, ce qui est enregistré n’est pas une simple
représentation bidimensionnelle, mais un modèle tridimensionnel qui va contenir de façon virtuelle une infinité
d’angles de vue potentielle.

Je pense que le mot modèle est important. Il y a ici un immense saut par rapport à l’enregistrement de la
caméra. Les points de capture sont concentrés dans les articulations et le résultat donne un nuage de points qui
est enregistré et qu’il est possible de modifier complètement pour voir le corps sous tous les angles possibles :
en dessous, derrière, devant… Ce qui pose des difficultés, quand on travaille un modèle, car on le regarde
souvent de face, alors qu’en réalité l’espace qui est créé est un espace à 360° et tridimensionnel. Ce nuage de
données formé sur un modèle n’est pas contraint à une position particulière, il n’est pas figé dans une
représentation de façon définitive.

Une différence de terminologie s’observe entre capture de mouvement et capture de performance. La capture de
mouvement est simplement l’enregistrement des mouvements des articulations du corps et dans la capture de
performance, on va avoir une caméra qui va enregistrer pendant la performance les mouvements expressifs des
images, ce pourquoi on parle aussi de capture d’interprétation. On est capable de saisir beaucoup plus les
mouvements du corps. Le statut de l’acteur change donc considérablement, puisqu’on arrive à se demander si
un acteur comme Andy Serkis pourrait avoir un jour un Oscar. C’est un mouvement et un jeu d’acteur qui ne
dépendent plus du physique puisque, justement, l’enveloppe est divorcée du mouvement qui le produit. Dans
Benjamin Button, nous assistons à la tentative de reproduire un corps humain qui est celui d'un acteur archi-
connu, tout en parvenant à dissimuler complètement l’effet.

Discussion avec les participants de l'atelier


Réjane Hamus-Vallée : Concernant Andy Serkis et sa requête pour être nominé aux Oscars, c’est
problématique, car quand on parle avec des graphistes qui ont travaillé sur ses films, on comprend qu’une partie
du personnage est dû aussi aux animateurs qui vont récupérer les données pour x ou x raisons, ne serait-ce parce
qu’entre un visage humain et un visage de singe, il y a un certain nombre de points à remettre, à ajuster, des
problèmes techniques d’interpolation, etc. Il se trouve que l’interprétation tient aussi pour une part aux
animateurs qui travaillent. L’Oscar, on le donne à qui ?

Renée Bourassa : On se retrouve effectivement dans une véritable hybridation car la capture de mouvement
n’est jamais utilisée en tant que telle. Il va toujours il y a avoir des transformations, notamment à cause des
problèmes techniques comme les occlusions. Les caméras vont entourer le performeur mais, s’il y a deux
performeurs, avec par exemple un performeur qui passe devant l’un des marqueurs de l'autre performeur, il y a
une rupture dans l’enregistrement caméra. Souvent une capture de plus de 2 minutes est compliquée à faire, il y
a toujours des interruptions de ce type, il y a donc toujours des modifications à faire. Ces données sont des
données à modifier et à reconstruire et c’est le travail des animateurs. On ne parle même pas d’un seul
animateur, mais de groupes entiers d’animateurs. On se trouve effectivement avec un résultat final qui est une
composition entre ce qu’un acteur a donné et ce que des animateurs ont complété. Mais il faut tout de même
comprendre que ce ne sont que des retouches qui sont faites. C’est comme si nous avions un keyframe installé
par la capture et ce que les animateurs font, c’est venir interpoler dans les trous de la capture qu’il y a eue, c’est
ajouter des détails… Mais j’ai envie de dire que c’est la même chose pour un acteur devant une caméra. La
manière dont la photographie va être faite va venir chercher dans l’acteur des choses précises, ne serait-ce
qu’un gros plan. Et puis, grâce à la signature motrice des mouvements enregistrés, on va reconnaître les
spécificités de tel ou tel acteur.

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23/08/2016 Renée Bourassa — Les Arts Trompeurs

Giusy Pisano : Tu utilises l’expression « effet de présence ». Il y a toute une partie d’universitaires qui
travaillent sur ça, et d’autres comme moi qui ne sont absolument pas d’accords sur cette idée car ça n’a pas de
sens. Ça veut dire quoi « effet de présence » dans un film ? Pour moi, soit tout est effet, soit tout est présence.
Ce n’est pas parce qu’il y a des images de synthèse, ou un robot, que l’on cherche à recréer la présence de
l’acteur. L’acteur, une fois qu’il est à l’écran, il est « virtuel ». Ce concept d’effet de présence pour moi il est
incompréhensible. Pour le spectateur, tout est effet et tout est présence au cinéma. Une fois qu’il est devant le
film, il y croit.

Renée Bourassa : Oui tout à fait, tout est effet et présence. J’utilise effet de présence pour bien faire la
distinction avec la présence pure. Un effet de présence peut être plus fort, comme l’effet qu’ont eu les premiers
spectateurs de cinéma.

Giusy Pisano : Mais pourquoi « présence » ? Au théâtre je peux encore comprendre, avec la présence en chair
et en os de l’acteur devant les spectateurs, mais au cinéma ? Il n’y a pas de présence de l’acteur. L’acteur, une
fois qu’il a été mis en lumière, mis en scène, une fois que l’on a choisi un cadrage, ce n’est plus la personne en
chair et en os.

Renée Bourassa : Mais c’est qu’il y a « effet de », on est dans un mécanisme d’illusion…

Hugues Namur : J’ai peut-être une piste là-dessus. Le cinéma, un certain cinéma, aime entretenir pour des
spectateurs, qui sont aussi des voyeurs, le fantasme que derrière le comédien il y a une vraie personne, et que le
personnage qu’il interprète à l’écran résonne avec ce qu’il est dans la vie. Quand on regarde le film, il y a
toujours ce petit soupçon quelque part, on l’on se dit, « ça résonne tellement bien avec ce que je sais de cette
personne qui existe vraiment, de ce que je sais d’elle, qu’il y a forcément une part de vrai ». Les Américains
sont assez friands de ce genre de chose : quand on donne à Robert Downey Jr le rôle d’Iron Man, c’est un
personnage alcoolique, dépressif… Quand on connaît le parcours de l’acteur, c’est troublant. Une partie du
succès du film vient donc peut-être en partie du fait qu’en tant que spectateur, on fait cette association. Quand il
s’agit d’un personnage en image de synthèse, même s’il est joué par un être en chair et en os comme Andy
Serkis, pour le coup, on sait qu’il n’y a pas de lien entre la vie d’Andy Serkis et celle de King Kong donc on
sait qu’on a affaire à un personnage totalement fabriqué… Peut-être que c’est une piste pour faire la distinction
entre un effet de présence, et une présence espérée ou supposée.

Christian Guillon : J’ai l’impression, au contraire, que le fait qu’un personnage de synthèse soit animé par
mocap lui confère un supplément d’âme, du mot « animé », par un vecteur qui est peut-être difficile à cerner
mais qui est quand même lié à la richesse de la mocap. C’est comme ça que je comprends l’expression « effet
de présence » : si le personnage est animé par keyframe, c’est une image de synthèse, un simple double, une
enveloppe ; s’il est animé par mocap, on sent que derrière il y a un acteur, peut-être un acteur que l’on connaît,
ou que l’on reconnaît, comme Sigourney Weaver, à ce moment là, il est animé, ou peut-être ré-animé en terme
médical, mais en tout cas il a une « âme ». Ce n’est pas qu’un double de synthèse, il a sa propre gestuelle.

Renée Bourassa : C’est pour ça que je parle d’effet de présence. « Effet de » car le mouvement de l’acteur va
transparaitre dans l’image de synthèse. C’est un mouvement qui a une autre expressivité. Il y a une signature
motrice propre à chacun et on est capable de pouvoir reconnaitre avec la mocap la personne auquelle est liée
une enveloppe de synthèse, même si cette enveloppe ne ressemble pas du tout à la personne réelle. Vous pouvez
avoir un acteur qui est très très grand et on va appliquer ses mouvements dans le tout petit corps d’un nain.
L’enveloppe est profondément différente du corps qui a produit le mouvement, mais on va tout de même y
reconnaître la signature motrice. Il y a donc un effet de présence dans la mesure où ce n’est pas le mouvement
de Jean que l’on voit, mais le mouvement de Jean appliqué à un personnage fictif, mais on va reconnaître le
mouvement comme étant celui de Jean. Cette signature motrice est de l’ordre de l’empreinte digitale.

Christian Guillon : Ca fait 5 ans que je travaille dans les doublures numériques. On appelle ça la
« caractérisation «  du personnage. Cette caractérisation est ce qui est unique chez une personne, elle passe par
plusieurs vecteurs différents et chacun de ces vecteurs peut constituer une signature. Il y a le vecteur de la
morphologie, le vecteur de la texture, le vecteur de la gestuelle qui est, à mon avis, l’un des plus importants. Je
pourrais vous montrer une vidéo où l’on voit un robot très sommaire auquel on a appliqué la gestuelle de
l'acteur français très connu Fabrice Luchini, qui est très reconnaissable, avec une gestuelle très expressive, et on
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le reconnaît tout de suite, même si elle est appliquée à un robot qui ne ressemble en aucun cas à l’acteur. Un
seul des vecteurs peut constituer un effet de présence ou un effet de réalisme, mais ça a une valeur. Si on réunit
tous les vecteurs pour composer une image de synthèse, on va avoir le rendu réaliste, une animation réaliste et
riche et si en plus l’animation du personnage est reconnaissable, un autre vecteur apparaît qui est plutôt de
l’ordre des métadonnées, qui est qu’on sait que le personnage s’appelle Fabrice Luchini. C’est de l’ordre de la
métadonnée, mais c’est super important. Là on atteint un niveau où l’Uncanny Valley est en train de devenir
obsolète.

Cécile Welker : J’avais tiqué sur la signature motrice… Même si on nous reconnaît à notre façon de bouger ou
à notre façon de parler, les exemples qui me viennent à l’esprit comme Avatar font que l’on reconnaît plus les
marionnettes de synthèse, parce que, pour le coup, ce sont vraiment des marionnettes de synthèse, qui sont
manipulées par les acteurs réels, en prises de vues réelles, qui se transposent dans leur avatar numérique. On les
reconnaît plus physiologiquement que par leur capture de mouvement.

Renée Bourassa : C’est-à-dire que, dans ce cas, on n’essaie pas de créer une équivalence entre un acteur et un
double de synthèse. Fabrice Luchini, on le reconnaît en tant que Fabrice Luchini, alors qu’Andy Serkis, on ne
peut jamais le reconnaître en tant qu’Andy Serkis. Il disparaît derrière son interprétation et on ne cherche pas à
ce moment là la signature motrice, bien qu’elle demeure encore. Mais le résultat de la performance qu’il fait
pour habiter ses personnages est caractérisé par sa manière de donner l’impression d’une animalité. Dans
l’histoire des effets spéciaux, il y a eu des marionnettes animées pour représenter des créatures fantastiques, on
se retrouve avec la même chose avec la mocap. Il y a effet de présence dans le sens de la naturalité du
mouvement qu’on va percevoir et qu’on arrive à faire très difficilement par keyframe. Dans les animations
keyframe, on est suffisamment loin de l’Uncanny Valley pour que ça nous dérange, les mouvements trop lisses
ne nous dérangent pas, car le style, l’esthétique, sont acceptés en tant que tels.

Intervenant suivant de la table ronde Simulation et


effet de « présence absence », pour une redéfinition
du photoréalisme ?
Gaspard Delon

Autres intervenants de la seconde session De


l’archéologie à la naturalisation de l’image de
synthèse au cinéma : les évolutions terminologiques
des effets d’un nouveau réalisme
Table ronde De la caméra à l’ordinateur, quel langage pour les
techniques d’illusion
Christian Guillon
Gilles Méthel
Cécile Welker
Christian Rajaud

Table ronde Simulation et effet de « présence absence », pour une


redéfinition du photoréalisme ?
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23/08/2016 Renée Bourassa — Les Arts Trompeurs

Gaspard Delon
Hugues Namur
Dominique Vidal

Intervenants de la première session Signification(s)


de l’effet « spécial » visuel, entre transparence et
opacité
Table ronde Cerner l’effet, entre visibilité, invisibilité et imperceptibilité
Paul Houron
Jean-Michel Durafour
Guillaume Méral

Table ronde Décrire l’effet visuel, du spécial au non-spécial


Réjane Hamus-Vallée
Pascal Martin
Sophie Lécuyer et Laurence Caunézil

Corrélats avec le lexique


Image de synthèse
Réalisme

Références bibliographiques
1. Renée Bourassa, Louise Poissant, Personnage virtuel, corps performatif : effets de présence, Presses de
l'Université de Québec, 2013 ; Renée Bourassa, Louise Poissant, Avatars, personnages et acteurs
virtuels, Presses de l'Université de Québec, 2013
2. Lev Manovich, Le Langage des nouveaux médias, Les presses du réel, 2010, traduit de l'anglais
(américain) par Richard Crevier (titre original : The Language of New Media, MIT Press, 2001)

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