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A drifting soul de
La discrétion est l’une des qualités les
plus paradoxalement expressives de
l’œuvre de Lamia Joreige. Elle engage
presque partout dans ses photos, peintu-
res et films, une certaine lumière
intérieure, au sens fort – le contraire d’un
éclairage. À se demander, pour reprendre
une question de Rilke sur la danse,
si éclairer pour elle, n’est pas “taire
l’essence d’un cri”.
Sa “visite des lieux”, après l’agression
la plus dévastatrice dont souffre encore
le Liban, doit au moment choisi pour
sa “tournée” et à l’apparence faussement
paisible du paysage sudiste, approché
avec retenue, une tension dramatique
qui n’a rien à envier à la récolte d’images
choquantes, réelles et parfois, hélas,
truquées, offertes à nous, forçats du
spectacle, pendant et après cette
guerre. Visiter, dans ces cas, se dit
en arabe “tafaqqada”, où la perte est
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Lamia Joreige
L’Odyssée d’un instant
le fond indéfini de tout ce que peuvent
percevoir nos sens.
Nos sens que représenteraient ces cinq
poutres en treillis plantées là, sans
aucun rôle précis, comme les cinq doigts
d’une main (gauche) sortant de la terre
en signe de détresse? Je ne m’aventure-
rai pas à l’affirmer. Non! Le symbolisme
en est trop facile, trop étranger aussi
à l’esthétique de Joreige pour être
“voulu”. En fait, dans l’œuvre d’où
est tirée cette photo, comme dans
l’ensemble de ses œuvres, l’expression
n’est jamais polarisée par un détail qui
prendrait par là un statut de symbole.
Tout est dit, avec l’économie du détail qui
s’ensuit, dans cette qualité de la lumière,
signe spatial, s’il en est, d’une tempora-
lité indécise, voire paradoxale où, pour
citer un autre poète, Homère, “les
chemins du Jour sont près des chemins de
la Nuit” (L’Odyssée, X, 86).
Un détail, pour-
tant, “qui n’est
pas tourné vers
nous” semble
donner son titre
à cettephoto.
Une errante – si bien à sa place, dira-t-on,
dès qu’on s’en aperçoit – lève une tête
extasiée, que rien ne semble démarquer du
paysage. Rien, sauf que notre regard l’a
re-marquée. “Yesterday I was a drifting
soul”, lit-on en forme de sous-titrage à
côté de cette figure. La temporalité
doublement problématique d’un hier
(yesterday) indéterminable et d’une
perception qu’aucun “arrêt sur l’image”
n’aurait permis de faire “dans le film”,
c’est-à-dire pendant la projection, engouf-
fre l’âme errante de la photo dans l’Odyssée
d’un instant. Le détail devient la dérive de
l’image.
Jacques Aswad