DEUXIÈME LEÇON

L'ennemi intérieur
Par Serge Halimi
Le Monde Diplomatique – Décembre 2014

Dans la nuit du 25 au 26 octobre, une grenade offensive de la gendarmerie a tué Rémi

Fraisse, un manifestant de 21 ans. Le gouvernement français a attendu deux jours avant de
réagir. Il s'est montré plus prompt à saluer la mémoire d'un patron de compagnie
pétrolière décédé dans un accident d'avion. De son côté, le président socialiste du conseil
général du Tarn a jugé carrément "stupide et bête" de mourir pour des idées. A vrai dire,
son idée à lui - achever la construction d'un barrage réclamé par les notables de son
département - ne l'a jamais exposé au même type de danger; elle vient même de favoriser
sa réélection au Sénat. Néanmoins, il est désormais probable que la grenade tirée par les
gendarmes aura également tué ce projet de barrage. En France, doit-on mourir dans une
manifestation pour faire triompher ses idées?

En janvier 2011, la ministre des affaires étrangères Michèle Alliot-Marie avait suggéré au
dictateur tunisien Zine El-Abidine Ben Ali de sauver son régime agonisant en s'inspirant du
"savoir-faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité". Un savoir-faire
reconnu, mais à éclipses: sans parler des dizaines d'Algériens assassinés à Paris le 17
octobre 1961 et des neuf personnes tuées au métro Charonne en février de l'année
suivante, cinq manifestants français ont perdu la vie à l'occasion d'affrontements avec la
police.

Rémi Fraisse sera donc le sixième. Peu après sa mort, le commandant du groupement de
gendarmes mobiles opérant sur les lieux a témoigné que le préfet du Tarn avait demandé
aux forces de l'ordre de "faire preuve d'une extrême fermeté vis-à-vis des opposants" au
barrage. Quarante-deux grenades offensives furent tirées cette nuit-là.

Le premier ministre Manuel Valls affectionne les proclamations martiales qui assimilent
quelques islamistes à un "ennemi intérieur". Et son gouvernement a aussitôt rejeté sur des
"casseurs" la responsabilité du "drame" de Sivens. Prolongeant leur raisonnement dans un
savant amalgame, un syndicat de policiers prétend redouter qu'un "frange des militants
verts ou rouges ne bascule vers l'action armée, comme au temps des mouvements
révolutionnaires des années 1970 (1)".

C'est dans ce climat détestable que l'Assemblée nationale vient de voter, à la quasi-
unanimité, une nouvelle loi anti-terroriste. La quinzième du genre depuis 1986.
Officiellement motivée par les dangers que ferait peser sur la France le radicalisme
djihadiste, elle comporte des dispositions générales - interdiction administrative de quitter
le territoire, délit d'"apologie du terrorisme" - qui demain pourraient s'appliquer à n'importe
quel combat.
En 2001, le Parlement français avait déjà adopté une panoplie répressive du même acabit.
Alors un peu penaud, un sénateur socialiste s'en justifiant ainsi: "Il y a des mesures
désagréables à prendre en urgence, mais j'espère que nous pourrons revenir à la légalité
républicaine avant la fin 2003 (2)." Onze ans plus tard, un pouvoir déconsidéré et sans
avenir ne peut plus se passer d'un "ennemi intérieur".

(1) Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat de policiers Synergie-Officiers, cité par Le Figaro du
15 novembre 2014.
(2) Michel Dreyfus-Schmidt, cité par Le Monde, 29 octobre 2001.

Exercices – Première Partie

I. Vocabulaire

Trouvez dans le dictionnaire des synonymes por les mots suivants:

1. prompt:

2. carrément:

3. achever:

4. néanmoins:

5. affrontement:

6. martial:

7. amalgame:

8. redouter:

9. acabit:

10. penaud:

II. Grammaire

1. L'accord: Le pluriel et le féminin

Sans relire le texte, accordez les mots au pluriel et/ou au féminin quand il faut:

a. Il s'est montré plus prompt à saluer la mémoire d'un patron de compagnie pétrolière
décédé____ dans un accident d'avion.
b. Néanmoins, il est désormais probable que la grenade tiré____ par les gendarmes aura
également tué____ ce projet de barrage.
c. ...sans parler des dizaines d'Algériens assassiné____ à Paris le 17 octobre 1961
d. ...et des neuf personnes tué____ au métro Charonne en février de l'année suivant____,
cinq manifestants français ont perdu____ la vie à l'occasion d'affrontements avec la police.
e. Quarante-deux grenades offensives furent tiré____ cette nuit-là.
f. Officiellement motivé____ par les dangers que ferait peser sur la France le radicalisme
djihadiste, elle comporte des dispositions général____.

2. Construction de phrases

Construisez des phrases avec les éléments donnés. Vous pouvez les adapter à vos besoins.

1. répressif / gendarmerie / adopter / attitude

La gendarmerie française adopte une attitude répressive vers les manifestants.

2. grenade / lancer / plus / combat

_______________________________________________________________________________________________.

3. idée / politique / défendre

_______________________________________________________________________________________________.

4. se prononcer / mort / gouvernement / attendre

_______________________________________________________________________________________________.

5. proclamation / climat / délit

_______________________________________________________________________________________________.

Exercices – Deuxième Partie

Répondez aux questions suivantes en rédigeant un paragraphe en français standard de trois

à cinq lignes. Employez vos propres mots et expressions. L'utilisation de extraits du texte sera
pénalisée.

1. Qui est l'”ennemi intérieur” dont parle le texte?

1
2
3
4
5
2. Expliquez l'affirmation suivante: "Nénamoins, il est désormais probable que la grenade
tirée par les gendarmes aura également tué ce projet de barrage."

1
2
3
4
5

3. Répondez à la question proposée dans le texte: "En France, doit-on mourir dans une
manifestation pour faire triompher ses idées?"

1
2
3
4
5

4. La France, a-t-elle déjà une législation anti-terroriste? Quelle motivation a-t-elle pour
approuver une nouvelle loi?

1
2
3
4
5

5. Selon l'auteur du texte, ces dernières actions du gouvernement contribueront-elles à

améliorer la sécurité publique de la France?

1
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