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70 LA DIVISION DE LA SCIENCE SPÉCULATIVE
mener qu'à la cause matérielle, comme lors- nes que non possunt reduci nisi ad
qu'on démontre quelque chose relatif à un tout causam materialem, sicut cum de-
par ses parties: en effet, les parties sont la ma- monstratur aliquid de toto ex parti-
tière du tout, comme il est dit dans le Ir <li- bus: partes enim sunt materia totius,
vre> des Physiques". D'où aussi, dans le Ir <li- ut dicitur in il Phisicorum. Vnde et,
vre des Analytiques> postérieurs', on ramène à in TI Posteriorum, reducitur ad cau-
une cause matérielle la démonstration par sam materialem demonstratio qua
laquelle on démontre que l'angle qui se trouve demonstratur quod angulus qui est
dans un demi-cercle est droit du fait que cha- in semicirculo est rectus ex hoc
cune de ses deux parties est la moitié d'un angle quod utraque pars eius est semirec-
droit". Donc la mathématique n'abstrait pas tus. Ergo mathematica non omnino
totalement de la matière. abstrait a materia.
5. En outre. Le mouvement ne peut être sans 5. Preterea. Motus non potest esse
la matière". Mais le mathématicien doit consi- sine materia. Set mathematicus de-
dérer le mouvement, parce que, comme le mou- bet considerare motum, quia, cum
vement est mesuré selon l'espace, c'est le pro- motus mensuretur secundum spa-
pre du même point de vue et de la même scien- tium, eiusdem rationis et scientie ui-
ce, semble-t-il, que de considérer la quantité de detur esse considerare quantitatem
l'espace, qui appartient au mathématicien, et la spatii, quod pertinet ad mathemati-
quantité du mouvement. Donc le mathémati- curn, et quantitatem motus. Ergo
cien ne laisse pas complètement de côté la con- mathematicus non omnino dimittit
sidération de la matière. considerationem materie.
6. En outre. L'astrologie est une certaine par- 6. Preterea. Astrologia quedam
tie de la mathématique, et, similairement, la pars mathematice est, et, similiter,
science de la sphère rnue'", et la science des scientia de spera mota, et scientia de
poids, et la musique", toutes <disciplines> dans ponderibus, et musica, in quibus
lesquelles on considère le mouvement et les omnibus fit consideratio de motu et
réalités mobiles. Donc la mathématique n'abs- rebus mobilibus. Ergo mathematica
trait pas totalement de la matière et du mouve- non abstrait totaliter a materia et
ment. motu.
7. En outre. La considération du naturaliste 7. Preterea. Naturalis consideratio
est entièrement tournée vers la matière et le tota est circa materiam et motum.
mouvement. Mais certaines conclusions sont Set quedam conclusiones demons-
démontrées en commun par le mathématicien et trantur communiter a mathematico
le naturaliste, comme: si la terre est ronde et si et naturali, ut : utrum terra sit rotun-
elle est au milieu du ciel. Donc il ne se peut pas da et utrum sit in medio celi. Ergo
que la mathématique abstraie complètement de non potest esse quod mathematica
la matière. - Si l'on dit qu'elle abstrait seule- omnino abstraat a materia. - Si di-
ment de la matière sensible, contre <cette affir- catur quod abstrait tantum a materia
mation> : la matière sensible semble être la ma- sensibili, contra: materia sensibilis
tière particulière - parce que les sens portent uidetur esse materia particularis -
sur les choses particulières -, de laquelle toutes quia sensus particularium est -, a
les sciences abstraient; donc la considération qua omnes scientie abstraunt ; ergo
mathématique ne doit pas être dite 'plus abs- mathematica consideratio non debet
traite' que celle des autres sciences. dici 'rnagis abstracta , quam aliqua
aliarum scientiarum.
8. En outre. Le Philosophe, dans le Ir <livre> 8. Preterea. Philosophus, in il Phi-
des Physiques", dit qu'il y a trois négoces sicorum, dicit tria esse negotia : pri-
<scientifiques> : le premier est relatif au mobi- mum est de mobili et corruptibili ;
le et corruptible; le second, au mobile et incor- secundum, de mobili et incorruptibi-
ruptible; le troisième, à l'immobile et incorrup- Ii ; tertium, de immobili et incorrup-
tible. Or, le premier est la <science> naturelle, tibili. Primum autem est naturale,
le troisième la <science> divine, le second la tertium diuinum, secundum mathe-
<science> mathématique, comme Ptolémée maticum, ut Ptolomeus exponit in
--Il TIlOMAS D'AQUIN, SUR BOÈCE DE LA "TR1NlTÉ",
Texte latin révisé et traduction
QUESTION 5, ARTICLE 3
française par C. Lafleur et J. Carrier
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Réponse: Responsio:
Il
§ 1. TIfaut dire que, pour l'éclaircissement de § 1. Dicendum quod, ad euiden-
cette question", il importe de voir de quelle fa- tiam huius questionis, oportet <uide-
Il çon l'intellect, selon son opération, peut abstrai-
re".
re> qua<liter> intellectus, secundum
suam operationem, abstraere possit.
§ 2. TI faut donc savoir que, selon le Philoso- § 2. Sciendum est igitur quod, se-
phe dans le rIT' <livre> De l'âme", il y a une cundum Philosophum in ru De ani-
Il double opération de l'intellect: une qui est dite ma, duplex est operatio intellectus :
'intelligence des indivisibles', par laquelle una que dicitur 'intelligentia indiui-
<l'intellect> connaît de chaque chose ce qu'elle sibilium', qua cognoscit de unoquo-
Il est; et une autre par laquelle il compose et di-
vise, à savoir en formant une énonciation affir-
que quid est; alia uero qua compo-
nit et diuidit, scilicet enuntiationem
mative ou négative. Et, certes, ces deux opéra- affirmatiuam uel negatiuam forman-
Il tions répondent à deux <points> qui sont dans
les réalités. La première opération, certes, re-
do. Et hee quidem due operationes
duobus que sunt in rebus respon-
garde la nature même de la réalité, selon dent. Prima quidem operatio respicit
laquelle <nature> la réalité intelligée obtient un ipsam naturam rei, secundum quam
1 certain degré dans les étants: que la réalité soit
complète, comme un tout, ou que la réalité soit
res intellecta aliquem gradum in en-
tibus obtinet, siue sit res completa,
incomplète, comme une partie ou un accident. ut totum aliquod, siue res incornple-
1 La seconde opération, quant à elle, regarde
l'être même de la réalité, lequel, certes, résulte
ta, ut pars uel accidens. Secunda ue-
ro operatio respicit ipsum esse rei,
de la congrégation des principes de la réalité quod quidem resultat ex congrega-
1
1
72 LA DIVlSION DE LA SCIENCE SPÉCULATIVE
Il tie à une autre partie ou l'accident au sujet ut pars comparti uel accidens sub-
(comme le camus ne peut être intelIigé sans le iecto (sicut simum non potest intelli-
nez); ou bien encore qu'elles soient, selon la gi sine naso}; siue etiam sint, se-
Il réalité, séparées (comme le père ne peut être in- cundum rem, separata (sicut pater
telligé sans l'intellection du fils, quoique ces re- non potest intelligi sine intellectu fi-
lations se rencontrent dans des réalités différen- Iii, quamuis iste relationes inuenian-
Il tes).
§ 6. Mais si une chose ne dépend pas de l'au-
tur in diuersis rebus).
§ 6. Si uero unum ab altero non
tre selon ce qui constitue la <raison' de sa na- dependeat secundum id quod consti-
Il ture, alors l'une peut être abstraite de l'autre par
l'intellect, de manière à être intelligée sans elle,
tuit rationem nature, tunc unum po-
test ab altero abstrai per intellectum,
non seulement si elles sont séparées selon la ut sine eo intelligatur, non solum si
réalité (comme l'homme et la pierre), mais aus- sint separata secundum rem (sicut
Il si si, selon la réalité, elles sont conjointes, soit homo et lapis), set etiam si, secun-
par cette conjonction par laquelle la partie et le dum rem, coniuncta sint, siue ea
tout sont conjoints (comme la lettre peut être coniunctione qua pars et totum con-
Il intelligée sans la syllabe, mais non l'inverse, et
l'animal sans le pied, mais non l'inverse), soit
iunguntur (sicut littera potest intelli-
gi sine sillaba, set non e conuerso, et
aussi qu'elles soient conjointes par le mode par animal sine pede, set non e conuer-
lequel la forme est conjointe à la matière et l'ac- so), siue etiam sint coniuncta per
Il cident au sujet (comme la blancheur peut être modum quo forma coniungitur ma-
intelligée sans l'homme, et inversement). terie et accidens subiecto (sicut al-
bedo potest intelligi sine homine, et
Il § 7. Ainsi donc l'intellect distingue une chose
e conuerso).
§ 7. Sic ergo intellectus distinguit
d'une autre de différentes manières selon ses unum ab altero aliter et aliter secun-
Il diverses opérations: parce que, selon l'opéra-
tion par laquelle il compose et divise, il distin-
dum diuersas operationes : quia, se-
cundum operationem qua componit
gue une chose d'une autre par cela qu'il intellige et diuidit, distinguit unum ab alio
qu'une chose n'est pas dans une autre; tandis per hoc quod intelligit unum alii non
Il que, dans l'opération par laquelle il intellige ce inesse ; in operatione uero qua intel-
qu'est chaque chose, il distingue une chose ligit quid est unumquodque, distin-
d'une autre pendant qu'il intellige ce qu'est cette guit unum ab alio dum intelligit
Il chose sans rien intelliger de l'autre, ni qu'elle
est avec celle-ci, ni qu'elle en est séparée. D'où
quid est hoc nichil intelIigendo de
alio, neque quod sit cum eo, neque
cette distinction n'a pas proprement le nom de quod sit ab eo separatum. Vnde ista
<séparation', mais seulement la première. Or, distinctio non proprie habet nomen
Il cette distinction est dite correctement 'separationis', set prima tantum.
<abstraction', mais alors seulement quand les Hec autem distinctio recte dicitur
choses dont l'une est intelligée sans l'autre sont 'abstractio', set tunc tantum quando
III ensemble selon la réalité. L'animal, en effet,
n'est pas dit être abstrait de la pierre si l'animal
ea quorum unum sine altero intelli-
gitur sunt simul secundum rem. Non
est intelligé sans l'intellection de la pierre. enim dicitur animal a lapide abstrai
III si animal absque intellectu lapidis
intelligatur.
§ 8. D'où, comme l'abstraction ne peut être à § 8. Vnde, cum abstractio non
Ii proprement parIer que par rapport aux choses
conjointes dans l'être, selon les deux modes de
possit esse proprie loquendo nisi
coniunctorum in esse, secundum
conjonction susmentionnés, à savoir <celui> duos modos coniunctionis predictos,
par lequel la partie et le tout sont unis ou <celui scilicet quo pars et totum uniuntur,
Ii par lequel> la forme et la matière <sont unies>,
il y a une double abstraction: une par laquelle
uel forma et materia, duplex est abs-
tractio : una qua forma abstraitur a
-
la forme est abstraite de la matière, l'autre par materia, alia qua totum abstraitur a
iii
74 LA DTVlSION DE LA SCIENCE SPÉCULATIVE
1
THOMAS D'AQUIN, SUR BOÈCE DE LA "1RINJTÉ". QUESTION 5, ARTICLE 3 75
Texte latin révisé et traduction française par C. Lafleur et 1. Carrier
1 ments: d'où l'on ne peut intelliger l'homme niatur in eo anima rationalis et cor-
sans ces parties, mais elles doivent être posées pus compositum ex quatuor elemen-
dans sa définition; d'où elles sont parties de tis: unde, sine his partibus, homo
1 l'espèce et de la forme. Mais le doigt, le pied, et intelligi non potest, set hec oportet
la main, et les autres parties de cette sorte vien- poni in diffinitione eius ; unde sunt
nent après l'intellection de l'homme, d'où la partes speciei et forme. Set digitus,
1 'raison' essentielle de l'homme n'en dépend pes, et manus, et alie huiusmodi par-
pas; et c'est pourquoi on peut l'intelliger sans tes sunt post intellectum horninis,
ces <parties>. Qu'il ait en effet des pieds ou unde ex eis ratio essentialis hominis
Il non, il sera un homme, pourvu qu'il soit consti-
tué d'une âme rationnelle et d'un corps composé
non dependet ; et ideo sine his intel-
ligi potest. Siue enim habeat pedes
d'éléments par la mixtion propre que requiert siue non, dummodo ponatur con-
une telle forme. Et ces parties sont dites 'parties iunctum ex anima rationali et corpo-
Il de la matière', lesquelles ne sont pas posées re mixto ex elementis propria mix-
dans la définition du tout, mais c'est plutôt l'in- tione quam requirit talis forma, erit
verse. Et c'est ainsi que se trouvent par rapport homo. Et hee partes dicuntur 'partes
1 à l'homme toutes les parties désignées, comme
cette âme, et ce corps, et cet ongle, et cet os, et
materie', que non ponuntur in diffi-
nitione totius, set magis e conuerso.
les choses de cette sorte. En effet, ces parties Et hoc modo se habent ad hominem
1 sont certes des parties de l'essence de Socrate'
et de Platon, mais non pas de l'homme en tant
ornnes partes signate, sicut hec ani-
ma, et hoc corpus, et hic unguis, et
qu'homme; et c'est pourquoi on peut, par l'in- hoc os, et huiusmodi. Hee enim par-
tellect, abstraire l'homme de ces parties. Et une tes sunt quidem partes essentie Sor-
1 telle abstraction est <abstraction> de l'universel tis et Platonis, non autem hominis in
à partir du particulier. quantum homo; et ideo potest homo
abstrai per intellectum ab istis parti-
1 bus. Et talis abstractio est uniuersa-
lis a particulari.
§ 11. Et ainsi il y a deux abstractions de l'in- § 11. Et ita sunt due abstractiones
tellect : une qui répond à l'union de la forme et intellectus : una que respondet unio-
1 de la matière ou de l'accident et du sujet, et cel- ni forme et materie uel accidentis et
le-ci est abstraction de la forme à partir de la subiecti, et hec est abstractio forme
matière sensible; l'autre qui répond à l'union du a materia sensibili ; alia que respon-
1 tout et de la partie, et à celle-ci répond l'abs-
traction de l'universel à partir du particulier,
det unioni totius et partis, et huic
respondet abstractio uniuersalis a
c'est l'abstraction du tout, dans laquelle22 on particulari, que est abstractio totius,
1 considère absolument une nature selon sa 'rai-
son' essentielle, indépendamment de toutes les
in qua consideratur absolute natura
aliqua secundum suam rationem es-
parties qui ne sont pas parties de l'espèce, mais sentialem, ab omnibus partibus que
sont des parties accidentelles. Or, on ne trouve non sunt partes speciei, set sunt par-
1 pas d'abstractions qui leur soient opposées <et>
par lesquelles la partie serait abstraite du tout
tes accidentales. Non autem inue-
niuntur abstractiones eis opposite,
ou la matière de la forme: parce que la partie quibus pars abstraatur a toto uel ma-
1 ou bien ne peut être abstraite du tout par l'intel-
lect, si c'est relativement aux parties de la ma-
teria a forma: quia pars uel non po-
test abstrai a toto per intellectum, si
tière dans la définition desquelles le tout est po- sit de partibus materie in quarum
sé ; ou bien encore elle peut être sans le tout, si diffinitione ponitur totum; uel po-
c'est relativement aux parties de l'espèce, com- test etiam sine toto esse, si sit de
me la ligne sans le triangle, ou la lettre sans la partibus speciei, sieut linea sine
syllabe, ou l'élément sans le mixte. Quant aux triangulo, uel littera sine sillaba, uel
Il choses qui, selon l'être, peuvent être divisées,
c'est plutôt la séparation que l'abstraction qui a
elementum sine mixto. ln his autem
que, seeundum esse, possunt esse
lieu. Mais, similairement, lorsque nous disons diuisa, magis habet locum separatio
Il
Il
76 LA DIVlSION DE LA SCIENCE SPÉCULATIVE
1*. Au premier <point>, donc, il faut dire que 1 *. Ad primum ergo dicendum
le mathématicien, lorsqu'il abstrait, ne considè- quod mathematicus, abstraens, non
re pas la réalité autrement qu'elle n'est. En effet, considerat rem aliter quam sit. Non
il n'intellige pas que la ligne est sans la matière enim intelligit lineam esse sine ma-
sensible, mais il considère la ligne et ses 'pas- teria sensibili, set considerat lineam
sions' sans considérer la matière sensible. Et et eius passiones sine consideratione
-
III
TIlOMAS D'AQUIN, SUR BOÈCE DE LA "1RINlTÉ", QUESTION 5, ARTICLE 3 77
Texte latin révisé et traduction française par C. Lafleur et J. Carrier
lill
il
ainsi il n'y a pas de dissonance entre l'intellect materie sensibilis. Et sic non est dis-
et la réalité, parce que même selon la réalité ce sonantia inter intellectum et rem,
III qui est relatif à la nature de la ligne ne dépend
pas de ce qui fait que la matière est sensible,
quia etiam secundum rem id quod
est de natura linee non dependet ab
mais c'est plutôt l'inverse. Et ainsi il est patent eo quod facit materiam esse sensi bi-
qu'« il n'y a pas de fausseté chez ceux qui abs- lem, set magis e conuerso. Et sic pa-
III traient », comme il est dit dans le ne <livre> de tet quod «abstraentium non est
la Physique". mendacium », ut dicitur in Il Phisi-
corum.
Il 2*. Au second <point> il faut dire qu'est ap-
pelé 'matériel' non seulement ce dont une par-
2 *, Ad secundum dicendum quod
'rnateriale' dicitur non solum id
tie est la matière, mais aussi ce qui se trouve cuius pars est materia, set etiam il-
être dans la matière. Selon ce mode la ligne lud quod in materia esse habet. Se-
Il sensible peut être appelée 'quelque chose de cundum quem modum linea sensibi-
matériel', d'où cela n'empêche pas que la ligne lis 'materiale quoddam' dici potest,
puisse être intelligée sans la matière: en effet, unde per hoc non prohibetur quin li-
III la matière sensible ne se rapporte pas à la ligne
comme une partie, mais plutôt comme le sujet
nea sine materia intelligi possit:
non enim materia sensibilis compa-
- dans lequel elle se trouve être; et il en va de ratur ad lineam sicut pars, set magis
même de la surface et du corps. En effet, le ma-
Il thématicien ne considère pas le corps qui est
sicut subiectum in quo esse habet ;
et similiter est de superficie et cor-
dans le genre de la substance, dans la mesure pore. Non enim mathematicus con-
où sa partie est matière et forme, mais selon siderat corpus quod est in genere
Il qu'il est, dans le genre de la quantité, parfait par
trois dimensions, et ainsi il se rapporte au corps
substantie, prout eius pars est mate-
ria et forma, set secundum quod est,
•
substantie - cuius pars est materia
phi sica - sicut accidens ad subiec-
tum.
3*. Au troisième <point> il faut dire que la 3*, Ad tertium dicendum quod
matière n'est pas un principe de diversité selon materia non est principium diuersi-
Il le nombre, si ce n'est selon que, divisée en plu-
sieurs parties <et> recevant dans chaque partie
tatis secundum numerum, nisi se-
cundum quod, in muItas partes diui-
une forme de même 'raison', elle constitue plu- sa in singulis partibus formam reci-
sieurs individus de la même espèce. Mais la piens eiusdem rationis, pIura indiui-
Il matière ne peut être divisée que d'après une dua eiusdem speciei constituit. Ma-
quantité préalablement supposée, laquelle étant teria autem diuidi non potest nisi
- écartée, toute substance demeure indivisible". presupposita quantitate, qua remota,
Il Et ainsi la première 'raison' de la diversifi-
cation des choses qui sont d'une seule espèce
omnis substantia indiuisibilis rema-
net. Et sic prima ratio diuersificandi
réside dans la quantité. Cela certes correspond ea que sunt unius speciei est penes
Il à la quantité en tant que - comme une sorte de
différence constitutive - elle possède dans sa
quantitatem. Quod quidem quantita-
ti competit in quantum in sui ratione
-
'raison' la position, qui n'est rien d'autre que situm quasi differentiam constituti-
l'ordre des parties". D'où aussi une fois que la uam habet, qui nichil est aliud quam
quantité a été abstraite de la matière sensible ordo partium. Vnde etiam abstracta
~ par l'intellect, il est encore possible d'imaginer quantitate a materia sensibili per in-
•
lateros et plures lineas rectas equa-
•
,
78 LA DJV1SI0N DE LA SCIENCE SPÉCULA DYE
les.
4*. Au quatrième <point> il faut dire que les 4*. Ad quartum dicendum quod
choses mathématiques ne sont pas abstraites de mathematica non abstrauntur a qua-
n'importe quelle matière, mais seulement de la libet materia, set solum a materia
matière sensible". Or, les parties de la quantité, sensibili. Partes autem quantitatis, a
d'où semble être tirée une démonstration tirée quibus demonstratio sumpta quo-
en quelque manière de la cause matérielle, ne dammodo a causa materiali uidetur
sont pas la matière sensible, mais elles appar- sumi, non sunt materia sensibilis, set
tiennent à la matière intelligible, qui se trouve pertinent ad materiam intelligibilem,
aussi dans les choses mathématiques, comme il que etiam in mathematicis inuenitur,
est patent dans le VIf <livre> de la Métaphysi- ut patet in vn Metaphisice.
que?'].
5*. Au cinquième <point> il faut dire que le 5*. Ad quintum dicendum quod
mouvement selon sa nature n'appartient pas au motus secundum naturam suam non
genre de la quantité, mais participe <en> quel- pertinet ad genus quantitatis, set
que chose de la nature de la quantité d'un autre participat aliquid de natura quantita-
point de vue, selon que la division du mouve- tis aliunde, secundum quod diuisio
ment se tire ou d'après la division de l'espace motus sumitur uel ex diuisione spa-
ou d'après la division du mobile. Et c'est pour- tii uel ex diuisione mobilis. Et ideo
quoi il n'appartient pas au mathématicien de considerare motus non pertinet ad
considérer les mouvements, mais néanmoins mathematicum, set tamen principia
les principes mathématiques peuvent être appli- mathematica ad motum applicari
qués au mouvement. Et c'est pourquoi en raison possunt. Et ideo secundum hoc quod
de ce que les principes de la quantité s'appli- principia quantitatis ad motum ap-
quent au mouvement, le naturaliste considère la plicantur, naturalis considerat de di-
division et la continuité du mouvement, comme uisione et cominuitate motus, ut pa-
il est patent dans le VIe <livre> des Physiques". tet in VI Phisicorum. Et in scientiis
Et dans les sciences intermédiaires entre la mediis inter mathematicam et natu-
<science> mathématique et la <science> natu- ralern, tractatur de mensuris mo-
relle", on traite des mesures des mouvements, tuurn, sicut in scientia de spera mota
comme dans la science de la sphère mue et et in astrologia.
dans l'astrologie.
6*. Au sixième <point> il faut dire que, dans 6*. Ad sextum dicendum quod, in
les <corps> composés, les <corps> simples et compositis, simplicia saluantur et
leurs propriétés sont conservés, quoique par un proprietates eorurn, licet per alium
mode différent, comme les qualités propres des modurn, sicut proprie qualitates ele-
éléments et leurs mouvements propres se trou- mentorum et motus ipsorum proprii
vent dans le <corps> mixte; mais ce qui est inueniuntur in mixto ; quod autem
propre aux <corps> composés ne se trouve pas est compositorum proprium non in-
dans les <corps> simples. Et de là vient que uenitur in sirnplicibus. Et inde est
plus une science est abstraite et plus sont sim- quod quanto aliqua scientia est abs-
ples les choses qu'elle considère, plus ses prin- tractior et simpliciora considerans,
cipes sont davantage applicables aux autres tante eius principia sunt magis ap-
sciences. D'où les principes de la mathématique plicabilia aliis scientiis. Vnde prin-
sont applicables aux réalités naturelles, mais cipia mathematice <su nt> applicabi-
non l'inverse, parce que la physique présuppose lia naturalibus rebus, non autem e
la mathématique, mais non l'inverse, comme il conuerso, propter quod phisica est
est patent dans le IIr <livre> Du ciel et du ex suppositione mathematice, set
monde", Et de là vient que relativement aux non e conuerso, ut patet in fi Celi et
réalités naturelles et mathématiques, on trouve mundi. Et inde est quod de rebus na-
trois ordres de sciences". Certaines, en effet, turalibus et mathematicis, tres ordi-
sont purement naturelles, lesquelles considèrent nes scientiarum inueniuntur. Que-
les propriétés des réalités naturelles en tant que dam enim sunt pure naturales, que
telles, comme la physique, et l'agriculture, et considerant proprietates rerum natu-
1-
•
Il
-
TI/OMAS D'AQUIN, SUR BOÈCE DE U "1RIN1TÉ",
quelles doivent être abordées séparément et par tiue determinant, de quibus seorsum
ordre, quoique ces trois genres de réalités puis- et secundum ordinem agendum est,
sent être appropriés aux trois sciences. En effet, quamuis illa tria genera rerum tribus
les étants incorruptibles et immobiles appar- scientiis appropriari possint. Entia
tiennent précisément au métaphysicien, tandis enim inconuptibilia et immobilia
que les étants mobiles et incorruptibles, à cause precise ad metaphisicum pertinent,
de leur uniformité et de leur régularité, peuvent entia uero mobilia et incorruptibilia,
être déterminés quant à leurs mouvements par propter sui uniformitatem et regula-
les principes mathématiques, ce qui ne peut être ritatem, possunt determinari quan-
dit des mobiles corruptibles. Et c'est pourquoi tum ad suos motus per principia ma-
le second genre d'étants est attribué à la mathé- thematica, quod de mobilibus cor-
matique du point de vue de l'astrologie. Quant ruptibilibus dici non potest. Et ideo
au troisième, il reste propre au seul naturaliste. secundum genus entium attribuitur
Et ainsi parle Ptolémée". mathematice ratio ne astrologie. Ter-
tium uero remanet proprium soli na-
turali. Et sic loquitur Ptolomeus.
•
•
• NOTES 81
•
•
l. Voir ci-dessus, dans notre traduction, le chapitre 2 du traité De la
Trinité de Boèce, § 4 et le § 5 du Préambule thomasien de cette question
V.
•
2. Cf THOMASD'AQUIN, De ueritate, q. i, a 1,1. 186; S. theol., l, q.
16, a. 2, arg. 2. Cette définition de la vérité est généralement attribuée
par Thomas d'Aquin et les autres scolastiques latins à Isaac IsraéIi dans
son Livre des définitions (ISAAC ISRAÉLI, Liber de definicionibus, éd.
J.T. MUCKLE,AHDLMA 11 [1937-1938], p. 299-340), où cependant elle
ne se retrouve pas; cf. J.T. MUCKLE, «Isaac Israeli's Definition of
Truth », in AHDIMA, 8 (1933), p. 5-8. Comme le signalaient déjà
Guillaume d'Auvergne (De uniuerso, I, 3, cap. 26; éd. Opera omnia,
Paris, 1674, p. 795) et Albert le Grand (éd. BORGNET, t 26, p. 443), on
rassemble plutôt les éléments de cette définition à partir de la
Métaphysique d'Avicenne, I, chap. 8 (AVICENNE,Liber de philosophia
-
prima, Liber de philosophia prima sive scientia divin a, Édition critique
de la traduction latine médiévale par S. VAN RIET. Introduction
doctrinale par G. VERBEKE,Louvain: PeeterslLeiden : BriIl, 1977, 1. I,
-
p.55).
3. Cf ARISTOTE,Metaphysica, IV (1), 7, 101l b 26; AUGUSTIN,En.
Jn Ps. 5, n. 7 (PL XXXVI, 85) : « Si enim hoc dicitur quod est, verum
dicitur ; si autem hoc dicitur quod non est, mendacium est» ; De vera
-
rel. 36, n. 66 (PL XXXIV, 151) : « Sed cui saltem iIIud manifestum est
falsitatem esse, qua id putatur esse quod non est, intelligit carn esse
veritatern, quae ostendit id quod est ».
4. Cf ARISTOTE,Analytica posteriora, I, l, 71 a 12; 7, 75 a 39 -
-
theol., I, q. 65, a 2 : «partes enim sunt quasi materia totius ».
7. ARISTOTE,Analytica posteriora, TI, Il,94 a 20-34; transI. Iacobi,
dans Analytica posteriora, translationes Jacobi, Anonymi siue
«loannis », Gerardi el recensio Gui/lelmi de Moerbeka, éd. L. MlNIO-
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l. 13-27: (extrait final) « [ ...] hoc autem erat eam que in semicirculo
rectam esse»; transI. Gerardi, ibid., p. 262, 1. 14-34: (extrait final)
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« [ ... ] et iste est sermo quod angulus qui est in semicirculo est rectus »
(à l'évidence, Thomas d'Aquin suit fidèlement cette partie de la
traduction de Gérard de Crémone; telle ne semble cependant pas être le
cas pour l'idée exprimée immédiatement après par l' Aquinate (« du fait
que chacune de ses deux parties est la moitié d'un angle droit ») qui n'a
son correspondant ni dans le texte original d'Aristote ni dans aucune de
ses version latines médiévales). Cf. Metaphysica, IX (e), 9, 1051 a 26-
29 (AL,:XXV, 2, p. 181).
8. Cf. ln Metaphysica, IX (e), 9,lect. 10, TI. 1891-1893.
9. Cf ARISTOTE, ln Metaphysica, IX (e), 8, 1050 b 20-22 (AL,
XXV, 2, p. 179).
10. Cf. AVICENNE,Suffie., 1, 8 (ed. Venetiis, 1508, f. 18 sqq.);
ALBERTLEGRAND,Super phys., II, tr. 1, c. 8 (ed. Borgnet, t. 3, p. 109);
Super De Caelo, II, tr. 3, c. 4 (00. Col., 1. V, 1, p. 148, 35) ubi allegatur
MessabalJa liber « De sphaera mota in quo loquitur de stellis et motibus
eorum ».
II. De partibus mathematieae, cf. ALGAZEL,Met., Tr. 1, p. 4,12-17;
DOMINICUSGUNDISALVI,De divisione philosophie, p. 31, 2l-p. 32,2;
PS.-ROBERTUSGROSSETESTE,Summa philosophiae, ID, 6, p. 301, 17-
21 : «Doctrinalem vero in arithmeticam, geometriam, scientiam de
aspectibus scientiarnque de stellis dividunt nec non et in musicam
scientiarnque de ponderibus scientiarnque de ingeniis, quarum etiarn
particuJas Alpharabius evolvit, quem et Algazel secutus est » ; HuGO DE
S. VICTORE,Didascalicon, II, 6, p. 30, 13-15; AVICENNE,Suffie., I, 8
(ed. Venetiis, 1508, f. 18 sqq.) ; ALBERTLE GRAND,Super phys., II, tr.
1, c. 8 (ed, Borgnet, t 3, p. 109).
12. ARISTOTE,Physica, II, 7, 198a29-31; cf. supra, q.5, 0.1, sed
contra, arg. 2.
13. PrOLOMAEUS,Almagestum, I, 1 (ed, HEIBERG,p. 5, 13 - p. 6, 1. 5
et 9-11); secundum versionem greco-latina (Vat Lat 2056, f. Iv):
«Omnium quidem primi motus primam causam, si quis excipiat
secundum simplex, deum invisibilem et immobilem utique aestimabit
huiusque species quaesitiva theologicum, sursum aJicubi circa
elevatissima mundi huiusmodi operatione intellecta utique solum
semelque a sensibilibus substantiis segregata MateriaJis vero semperque
motae quaJitatis scrutativa species quae circa album et caJidum et dulce
et molle (f 2r) et similia versatur, physica utique nomina(bi)tur,
huiuscernodi in essentia in corruptibilibus ut in pluribus et sublunari
sphaera conversante. Verum eius quae secundum species motusque
transitorios attenditur quaJitatis declarativa species, figurae scilicet,
multitudinis et magnitudinis ampliusque loci et temporis et similium
quaesitiva exsistens quasi mathematica determinabitur huiuscemodi
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Il essentia quasi inter illa duo cadente [... ] illis autem quae sempiterna
aethereaeque naturae coobservans immobilem speciei
Il inunutabilitatem ».
14. ARISTOTE,Metaphysica, VI (E), 1, 1026 a 14 (AL, XXV, 2, p.
117).
15. ARISTOTE,De caelo et mundo, Ill, 1,299 a 16; cf. supra q. 4, a
Il 3 et infra ad 6.
16. Loc. parall. Sententia /ibri De anima, III, 2, 8; Super Phys., II, 3,
ll.5.
17. De modis abstractionis, cf. e.g., S. theol., 1, q. 85, a. 1, ad 1 et 2;
Il in Phys., II, 2, lect. 3, n. 5 (Il, 62); in De an., Ill, 4, lect. 8, D. 714-717.
Cf. L.E. GEIGER,Abstraction et séparation d'après Saint Thomas in De
trinitate q. 5 a. 3, dansRSPT31 (1947),3-40; Ph. MERLAN,Abstraction
ln De an., Ill, c. 4, lect, 8, 11.707 seq. ; ln Met., VIl (Z), c. 10, lect. 10,
Il 11.]496; ARISTOTE,Metaphysica, VII (Z), JO, 1036 a 9-12 (AL, XXV,
2, p. 142).
22. qua scripsi cum ed. DECKER(p. 185, 1. 24)J quo ed. GlLS (p. 149,
Il 1. 244)
23. Cf. ARISTOTE,De anima, II,4, 414 a 25-27.
24. De abstractione mathematicae et naturalis, cf. ln De. an., ID, c.
7,lect. 12, TI. 781-784.
Il 25. Pythagoras ut referont ALBERTUSSuper Phys., II, tr. l, c. 8 (ed.
BORGNET,Ill, 108) et THOMASSuper Metaph., 1, 8[JO].
26. Platonici ut refert ARISTOTE, Physica, II, 3, 193 b 35 - 194 a 1
5 (II,62b) ; ln De an., il, c. 5, lect. 12, fi. 379; ln Met., III (B), c. 3, lect.
Il 7, TI. 422 ; S. theol., J, q. 85, a l, ad L
28. Cf. ARISTOTE,Physica, I, 3, 185 a 33 et b 16 sec. Thomam, I
Pars, q. 50, a. 2 et Contra Gentiles, IV, c. 65.
29. Cf. ARISTOTE,Metaphysica, V (,1),10,1022 b 1-3.
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