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Mathieu Bertrand. Le Conseil constitutionnel “législateur positif” ou la question des interventions du juge constitutionnel
français dans l’exercice de la fonction législative. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 62 N°2,2010. pp. 507-
531;
doi : https://doi.org/10.3406/ridc.2010.19952
https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2010_num_62_2_19952
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
« LÉGISLATEUR POSITIF »
Bertrand MATHIEU*
*
Professeur à l’École de droit de la Sorbonne - Université Paris 1, Directeur du Centre de
recherche de droit constitutionnel.
1
C. BEHRENDT, Le juge constitutionnel, un législateur-cadre positif, Bruylant, LGDJ, 2006,
pp. 1 et 2.
2
Cf. P. ARDANT et B. MATHIEU, Institutions politiques et droit constitutionnel, LGDJ,
2009.
3
Cf. B. MATHIEU, La loi, Dalloz, 2010.
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4
Par le Conseil constitutionnel, notamment décision 80-119 DC.
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5
La loi expression de la volonté générale, réed. Dalloz, 1984.
6
Les Grandes délibérations du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2009.
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7
Cf. R. BADINTER, Constitutions, Dalloz, 2010, n° 1.
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8
Cf. B. MATHIEU, « La question de constitutionnalité, une nouvelle voie de droit », JCP
2009, n° 52, p. 54.
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9
Cf. G. ZAGREBELSKY, « Le droit vivant », Constitutions, Dalloz, 2010, n° 1.
10
Cf. M. DISANT, L’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel, LGDJ,
2010.
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11
Les Grandes délibérations du Conseil constitutionnel, p. 348.
12
Cf. les analyses magistrales de M. TROPER au soutien de cette théorie.
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5. L’outil de la proportionnalité
Le contrôle de proportionnalité peut constituer une ingérence directe
dans la fonction législative. Le principe de proportionnalité peut être utilisé
de manière différente par le Conseil constitutionnel. Dans le premier cas, il
veille à ce que la norme édictée respecte l’ensemble des exigences
constitutionnelles qui s’imposent au législateur. Ces exigences étant le plus
souvent contradictoires (respect de la vie privée c. liberté d’information des
journalistes ; liberté individuelle c. exigence de sécurité…), le Conseil
vérifie que la conciliation opérée par le législateur ne soit pas manifestement
disproportionnée au détriment de l’un des principes en cause. Le Conseil ne
se substitue pas au législateur pour déterminer quelle solution doit être
retenue, mais il fixe des seuils, un plancher et un plafond, qui délimitent la
marge de manœuvre du législateur. Lorsque cette conciliation ne peut être
opérée in abstracto et a priori, le Conseil renvoie au juge de l’application de
la loi le soin de l’opérer14 (cf. 94-352DC, s’agissant des mesures de police
nécessitant la conciliation de la protection de l’ordre public et des libertés
individuelles). Dans un second cas, le principe de proportionnalité constitue
une exigence constitutionnelle expresse, il est consubstantiellement lié à tel
13
La semaine juridique, éd. Gale, 2010, n° 11-274.
14
Cf. A. VIALA, Les réserves d’interprétation dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, LGDJ, 1999, p. 171.
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15
Sur cette technique, cf. B. MATHIEU et M. VERPEAUX, Contentieux constitutionnel des
droits fondamentaux, LGDJ, 2002.
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16
Sur cette question, outre les références bibliographiques déjà citées, cf. T. DI MANNO, Le
juge constitutionnel et la technique des décisions interprétatives en France et en Italie, Economica,
1997.
17
Op. cit. supra.
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18
Cf. B. MATHIEU, « Les rôles respectifs du Parlement, du Président de la République et du
Conseil constitutionnel dans l’édiction des ordonnances de l’article 38 », RFDA, 1987, p. 700.
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19
Op. cit., p. 95.
20
Les Grandes délibérations du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2009, p. 345.
21
La portée constitutionnelle des droits et libertés, Economica, 1987, p. 40.
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22
Selon l’expression de G. DRAGO, Contentieux constitutionnel français, 2e éd., PUF, p. 412.
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La réserve peut avoir, dans ce sens, pour objet d’exclure l’une des
interprétations possibles. Ainsi, par exemple, le Conseil a considéré que le
législateur n’a pu vouloir empêcher les réfugiés de bénéficier du droit
d’asile reconnu par la Convention de Genève (décis. 86-216 DC). Dans cette
hypothèse, dite d’interprétation neutralisante23, le Conseil ne retient pas
parmi les interprétations possibles de la loi, ouvertes par le législateur, celle
qui est conforme à la Constitution. Il considère que le législateur n’a pu
vouloir violer la Constitution, cette « présomption d’innocence » le conduit
en quelque sorte à compléter la loi pour la rendre conforme à ce qu’il
suppose être la volonté du législateur. Ainsi le Conseil précise le sens qu’il
convient de donner à des dispositions du règlement de l’Assemblée
nationale et précise que ce n’est qu’en ce que ces dispositions doivent être
interprétées comme ne faisant pas obstacle aux prérogatives du
gouvernement qu’elles sont conformes à la Constitution (cf. décis. 92-314
DC, 95-368 DC, 2004-403 DC). Il peut également déterminer la seule
interprétation conforme à la Constitution. Il considère alors que « toute autre
interprétation méconnaitrait les exigences constitutionnelles » (décis. 97-389
DC).
23
Selon la formule d’A. VIALA.
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3. La tentation de la réécriture
Cependant la frontière est parfois mince qui sépare ce travail
rédactionnel de celui qui tend à opérer une réécriture plus substantielle de la
loi. L’un des exemples les plus flagrants en ce sens est l’intervention du
Conseil relative à la loi sur le pacte civil de solidarité (décis. 99-419 DC).
Dans la décision qui se rapporte à ce texte, le Conseil, notamment, redéfinit
le texte comme établissant un contrat portant communauté de vie,
notamment et implicitement, sur le plan sexuel, ce qui ne ressortissait
évidemment ni du texte voté ni des débats. Au delà de la réécriture de
nombreuses dispositions de ce texte, qui peut alors difficilement être lu sans
la décision qui s’y rapporte, le Conseil tranche là ou le législateur ne l’avait
pas clairement fait sur la nature même de ce contrat. Cette définition ne
conditionne pas tant la constitutionnalité du texte qu’elle répond à une
exigence de sécurité juridique, présupposé qui permet au Conseil lui même
de donner un sens aux diverses dispositions dont il devra contrôler la
constitutionnalité. De même, c’est sous couvert du respect de la volonté du
législateur que le Conseil modifie le champ d’application de la loi en
précisant que la référence faite au respect du droit d’auteur doit s’entendre
compte tenu du contexte dans lequel elle s’insère et qu’elle vise donc aussi
les droits voisins du droit d’auteur (décis. 2006-540 DC).
La correction de la loi peut viser seulement à la compléter, à en combler
une insuffisance. Il en est ainsi lorsque le Conseil précise ce que l’État
devrait faire si telle recette transférée aux départements venait à diminuer
(décis. 2003-489 DC).
Les réserves relatives à l’application de la loi par le juge, ou l’autorité
administrative, constituent autant des directives qui leur sont adressées que
des compléments apportés à la loi. C’est ainsi que s’agissant d’une
disposition législative relative à un préjudice indemnisable, le Conseil
précise que le juge pourra allouer une indemnité complémentaire (à celle
prévue par la loi) et précise les éléments qui devront être pris en compte.
(décis. 98-403 DC). La formulation peut être très précise. Ainsi s’agissant de
dispositions législatives relatives à des contrôles d’identité, le Conseil
précise : « il appartient aux autorités juridictionnelles et administratives de
veiller à les (les précautions prévues par le législateur) respecter
intégralement, ainsi qu’aux tribunaux compétents de censurer, de réprimer,
les cas échéant, les illégalités qui seraient commises et de pourvoir
éventuellement à la réparation des conséquences dommageables » (décis.
80-127 DC). La directive peut être formulée en termes très généraux, il en
est ainsi lorsque le Conseil précise que le pouvoir réglementaire devra
appliquer la loi « de manière à respecter le principe de la liberté
d’association » (décis. 2000-434 DC) ou à ne pas mettre en cause le onzième
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24
Les Grandes délibérations du Conseil constitutionnel, préc., p. 348.
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1984 3
1985 0
1986 3
1987 2
1988 0
1989 1
1990 0
1991 2
1992 3
1993 3
1994 3
1995 2
1996 6
1997 1
1998 1
1999 6
2000 5
2001 5
2002 3
2003 8
2004 10
2005 6
2006 4
2007 6
2008 4
EN GUISE DE CONCLUSION
25
Cf. B. MATHIEU, M. VERPEAUX, L’intérêt général, norme constitutionnelle, Dalloz,
2007.