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sous le pilotage de
Jean Morisset et Éric Waddell
CARNETS DE NAVIGATION
La Traversée
–
Atelier québécois de géopoétique
ATELIER NOMADE: PREMIÈRE TRAVERSÉE, AU RYTHME DES MARÉES
ISLE VERTE, 22-24 MAI 2004
PROGRAMME
Samedi
Circa 17 h 00. ARRIVÉE DES PARTICIPANTS AUX MAISONS DU PHARE
20 h 30 – 21H15. «LE CHEMIN QUI MARCHE» : APERÇU DU FLEUVE, MÉMOIRE DU FLEUVE, PAYS-FLEUVE ET
L’AU-DELÀ DU FLEUVE (Jean Morisset)
Dimanche
09 h 00 – 09 h 45. «L’ŒIL GÉOGRAPHIQUE» OU «CE QUE J’AI VU EN REGARDANT LE FLEUVE» : CONFÉRENCE
INSOLITE SUR LA BATTURE (Éric Waddell)
ATELIER DE CRÉATION LITTÉRAIRE (Christian Paré et Hélène Guy)
10 h 00 – 10 h 30. LE MANDAT
Lundi
10 h 00 – 11 h 00. RENCONTRE À LA «SCULPTURE HABITABLE» DE JEAN-LÉON DESCHÊNES (André Fournelle)
Géopoétique... Voyage, exploration, évocation. Invitation à partir sur les chemins de la terre pour mieux courtiser la
mer.
Ainsi, avons-nous décidé, dès la création de l'Atelier québécois de géopoétique, d'organiser des ateliers nomades, afin
d’amorcer la Traversée qui constitue notre unique raison d’être. Notre but avoué étant de sortir des salles de cours, de
l’univers des «belles-lettres» et des «seules idées» pour aller vers et dans la nature, il fallait donc partir de toute
urgence. Et appareiller à la recherche de balises qui permettent de naviguer entre savoir scientifique et création
littéraire, observation et expérience, raison et sentiments, lectures, architecture de l’espace et univers autochtone
occulté. Nous voulions à la fois investir le paysage, humer l’odeur du large et débusquer la mémoire orale déposée sur
le parchemin des saisons.
Comment débusquer alors le lieu propice aux premiers enseignements? Comment mettre le cap sur l’horizon de
l’espoir, comment s’engager sur la piste qui réponde à la révélation anticipée en évitant de sombrer dans le mirage de
l’errance où seule la promesse tient lieu d’espace géographique? Quoi de plus approprié alors que de partir à la
rencontre d’un phare, d’une île, d’un fleuve: le Saint-Laurent, la Grande Rivière… le «chemin qui marche» des
premiers Canadiens!
Mais à peine y avions-nous réfléchi que l’Isle Verte allait s’offrir spontanément. À la fois «isle» et «isle-à-terres»,
comme disaient les Anciens des lieux où ils pouvaient cultiver la terre et courtiser la mer, mais qu’est-ce donc que
l’Isle-Verte? Mince liséré de quelque 12 km «de bout en bout», ancré à une trentaine de kilomètres à l’est de Rivière-du-
Loup et presque accosté à la rive sud du fleuve, mais faisant directement face à l’embouchure du fjord du Saguenay et
de ses eaux profondes. Isle à deux visages, donc, un faciès sur le fleuve et les terres déforestées et domestiquées; et, un
autre, plus sauvage et plus rocheux donnant sur une mer aux odeurs de golfe. Toute la réalité du pays concentré en
une surface aussi réduite: pas de route asphaltée, pas de magasin, pas de banque, pas d’école et pas d’église, mais un
horizon sans fin englobant tout cela et une seule municipalité appelée Notre-Dame-des-Sept-Douleurs –on se demande
bien pourquoi! Quelques dizaines de résidents permanents en hiver, une mémoire incrustée dans la roche, enfouie sous
la neige et les sapinages. Du côté mer, un phare, automatisé maintenant, pour indiquer aux voyageurs maritimes le lieu
et le chenal, et les maisons du gardien et de l’assistant-gardien, ayant pour nouvelle fonction d’accueillir les
promeneurs terrestres.
C’est ici, l’espace d’une fin de semaine, en mai 2004, que nous avons «ouvert» avant la lettre la saison touristique et
jeté un premier regard sur la Terre-Québec. Vingt-sept rêveurs, dont quatre enfants, se sont présentés un vendredi
après-midi au quai du village de la terre ferme pour entreprendre leur traversée, à marée haute, sur La Richardière,
bateau menant à une isle laissant l’impression de flotter en plein fleuve!
Mélange de textes, d’images, de cartes, de photographies et de collages, les pages qui suivent sont le fruit heureux
de cette trop brève expérience.
Que tous soient invités à les parcourir, s’arrêtant à loisir ici et là, si besoin est, pour mieux se laisser féconder par la
patine d’un rêve et d’une mémoire d’où surgira un continent entier.
Entre les cabanages d’hiver le long des rivières et des vallées appalachiennes de l’intérieur et les camps d’été le long
du Catarakoui, c’est ici que, durant des millénaires, Micmacs et Malécites se rencontraient, chaque printemps, pour y
déposer l'offrande des morts de l’hiver et présenter à l’isle les nouveaux-nés. À l’automne, s’accomplissait le processus
inverse. Voilà pourquoi subsistent jusqu’à ce jour des cimetières dont on n’a jamais déclaré l’emplacement. N’allons
pas demander à ceux qui les veillent de livrer le secret de l’isle, sans livrer le nôtre en échange.
Cette terre insulaire est un lieu de l’esprit, un rendez-vous de l’être comme il en reste quelques-uns sur un territoire
dont on ne connaît guère les refuges sacrés. Comment imaginer alors les allées et venues pré-colombiennes persistant
au fil du fleuve et des saisons sous la protection du mémorial de l’invisible? Mémoire au double sillage, cependant!
Une voix déclare qu’il est des secrets de l’espace et de l’esprit dont il importe de conserver la teneur, au nom de la
dignité du dépossédé et d’une éthique géographique de l’espoir et du rêve. Et, sans jamais employer le mot «sacré» ni
se référer à l’idée de «remontée mythologique», une autre voix se plaît à croire qu’il est un amont de l’esprit et de la
terre, une exploration antérieure qu’une certaine poésie, coincée entre la pensée et le langage, était en passe d’oublier!
Comment apponter alors le fleuve premier au fleuve second? Comment rappeler que l’Isle-Verte avait un nom avant
de devenir «isle-verte»? Et aussi qu’il existe au-delà de toute évidence cartographique, des flux et des faisceaux de
l’âme dont la géographie constitue l’ultime dépôt à travers les chenaux de la mémoire.
Jean Morisset,
saint-bellechasse,
8 février 2005
L’œil géographique devant le regard du fleuve
«Messieurs, dites-moi ce que vous voyez.» C'est là la question que Raoul Blanchard posait à ses étudiants,
apprentis-géographes, lorsqu'il les amenait sur la Terrasse Dufferin, en face du Château Frontenac, à Québec, afin de
les sensibiliser aux fondements de la conscience géographique comme discipline et aussi, à la géographie elle-même
comme regard...
Dès qu'on s'avise de regarder attentivement le paysage, de vraiment s'y attarder et s'y laisser lentement pénétrer, on
se rend compte que le paysage à son tour nous regarde! Et qu'il y a entre notre conscience et le paysage qu'on observe
une relation antérieure aussi profonde que le langage; et que, de fait, le paysage nous habite et nous interpelle
beaucoup plus profondément qu'on l'estime au premier abord.
Comment alors aborder le paysage? Qu'est-ce qu'on peut y lire et qu'est-ce qu'on y recherche aussitôt qu'on accepte
de s'en laisser pénétrer? Comment amener le paysage à livrer son témoignage et à exprimer sa mémoire devant notre
propre conscience? La question est de taille. Et Raoul Blanchard –arpenteur impénitent du pays entre les années trente
et cinquante– l'adressait souvent aux étudiants, lors de ses passages à l'Université Laval. En ayant de cesse d'affirmer
que... la géographie, «ça s'apprend par les pieds!» Façon de dire, évidemment, que sans expérience sensible pas de
géographie possible.
On est tenté de lancer exactement la même invitation depuis ce lieu, le phare de l'Île Verte, «là où le fleuve devient
vraiment mer, avec ses forts courants, ses marées et ses vents, et aussi là où la brume est si souvent présente.»
Si à la question de l’œil géographique, on nous renvoie au pied géographique, on est immédiatement amené devant le
fleuve-devenu-mer à penser au marin. Avoir le pied marin ou le pied géographique, sinon l'un et l'autre: l’œil marin et le
regard sur l'horizon, la ligne de rivage. C'est que le géographe et le marin sont des intimes, tous deux gens de navigations
qui, pour réussir leur traversée, doivent à la fois observer et sentir, garder l’œil sur le proche et jeter un regard sur le lointain.
C'est ainsi que l'œil-qui-regarde apparaît au cœur de la discipline. Discipline qui, entre nous, est passablement
schizophrène, possédant une batterie d'instruments de mesure et un riche bagage de savoir scientifique, d'une part, et
baignant, d'autre part, dans une vaste expérience du terrain où l'émotion n'est jamais loin. Comment concilier autrement ces
désirs multiples qui nous animent, issus aussi bien d'une grande familiarité avec des lieux intimes que de la fréquentation de
lacs et de rivières et cette soif de connaissance de peuples et de nations, de patries et de pays?
Géographie, discipline-carrefour, a-t-on si souvent prétendu. Bien sûr, mais le cheminement géopoétique dévoile quelque
chose de plus. Proposant un va-et-vient incessant entre l'ici et le lointain, l'observation et l'émotion, on a le sentiment d'un
état d'être faisant fenêtre sur un double monde –un monde sensible et un monde de la conscience: bref, un rendez-vous
essentiel entre l’œil et le regard.
Comme si le savoir scientifique et les sentiments humains pouvaient trouver leur pleine convergence avec et par la
naissance du paysage. Je dis bien paysage et non pas espace : cet espace des géographes-aménagistes auquel on veut
toujours nous renvoyer. Un tel espace est pour moi totalement vide: une réalité en deux dimensions. cartésienne,
mathématisée, quantifiable, froide et sans profondeur... Vide qui ne demande qu'à être investi par l'esprit, là où le paysage
tremble dans le creux de la main. Fruit d'un mélange complexe et juteux d'observations, d'expériences, de réflexions et de
sentiments, c'est cette deuxième réalité que je retiens à la suite de ce que Raoul Blanchard tentait de faire sentir à ses
apprentis-géographes.
Quand je pense au paysage, je songe également à l'impact que l'art tribal aura eu sur toute une génération de peintres et
de penseurs européens: Kandinsky, Picasso, Giacometti, Breton et tant d'autres. Confrontés par tous ces objets «venus de
loin» –créations de l'Afrique profonde, de l'Amérique autochtone et de l'Océanie lointaine– ces derniers paraissent avoir saisi
une évidence incontournable, à savoir que les artistes dits «primitifs» ne reproduisaient jamais ce qu'ils avaient sous leurs
yeux; ils recréaient plutôt ce qu'ils savaient. Certes, ils avaient «l’œil», mais c'était davantage un œil qui pense qu'un œil qui
regarde; un oeil sachant spontanément passer du visible à l'au-delà des apparences.
C'est ainsi qu'on discerne peu à peu cet univers pluridimensionnel alimentant l'esprit à la fois par ce que révèle le
paysage et par ce qu'il recèle: à savoir, ce qu'on voit devant soi et, en même temps, ce qui est invisible à l’œil nu pour se
«voir» porté en mémoire. Avec le fleuve à nos pieds et la rive nord du Saint-Laurent devant nous –en face– c'est un
pays/age à la fois séculaire et millénaire qui nous est offert sous la mémoire géographique qui en cimente les
composantes: structures géologiques, bouclier canadien, fjord du Saguenay, processus morphologiques, dunes de
Tadoussac, glissements périglaciaires, socle autochtone, passage des explorateurs européens, villages, havres, phares,
vaisseaux, goélettes, guerres et naufrages!...
Tout demeure inscrit dans le paysage à portée de main, d’œil ou d'esprit, là devant nous. À la condition cependant
de se laisser imprégner d'une patience profonde, d'un désir de connivence, d'une volonté de rencontre, d'une capacité
illimitée d'écoute.
Et... c'est ainsi qu'entre nous et le pays qui nous habite, entre la conscience géographique et le paysage nourricier,
s'installe progressivement ce regard réciproque qui nous exprime et nous transcende. Et sans lequel on ne pourrait
jamais devenir pleinement… géographe.
Éric Waddell
Errance et écrivage
S’écarter des vérités tangibles du fleuve et de l’île, s’égarer de la communauté, errer seul, pour revenir un texte à la
main. Tel était l’objectif visant à produire un écrit vague, volontairement ébauché et commandé par le rivage qui se
dévoilait peu à peu... Une fois ces «écrivages» déposés, nous les avons dits, racontés, là, sur place, dans ce décor de
mer. Nos lectures improvisées, tantôt justes, tantôt maladroites, furent l’occasion d’entrevoir, de sentir le travail de ces
filtres dont causaient nos deux hôtes géographes.
Relire aujourd’hui ces textes ne nous renvoie pas seulement là-bas, sur ce rivage, mais aussi là où nous étions tous :
dans l’esprit de communication, de partage, dans ce que justement Frye appelle l’intelligence et l’émotivité.
Christian Paré
Sur l’île, avec les oiseaux qui charrient le sel des roches délavées, on peut arriver à se sentir étranger. Pas étranger
face à tous les lieux, mais plutôt par bribes, sur le territoire même qui couve les noms de nos ancêtres comme de tant
d’autres.
Peut-être est-ce là ce qui nous amène encore à parler de pays, avec l’œil qui tourne vers les paysages. Et pour en
venir à dire ce pays d’ici, il faut commencer par le bégayer avec des îles. Après on s’enfoncera dans le blanc des cartes
de navigation, ce blanc des côtes au ventre vierge, où le repérage ne semble pas une nécessité, où le désir peut donc
prendre sa place, comme jadis sur les portulans des découvreurs. Pour habiter un pays né dans le voyage, on doit faire
déparler les chiffres de l’exactitude; regarder un pylône et connaître le chiendent qui encercle sa base, le pelage du
lièvre qui y meurt encore.
Ici sur l’île Verte au phare évidé, avec sa stèle gravée qui dit tout sauf le malheur d’une famille déracinée, on amorce
l’errance comme un récit. Ici un cinéaste venu reposer sa fatigue entend encore chanter les mots de Miron. Là-bas l’Île
de la Quarantaine, où le tabac du diable pousse sur un humus de larmes oubliées. Et là-bas encore, au long du vent, le
vieux Riopelle maugréait il n’y a pas longtemps ses derniers jours, assiégé d’oies plus blanches que lui. Dans l’écart
entre ces points, qu’on ne sait plus naviguer, autant de tempêtes que de noyés, des ailes noires et beaucoup d’absence.
Il y a l’œil-compas et l’œil-livre. Entre les deux s’ouvre un regard nu. C’est là que prend place l’écrit minuscule du
poème, avec la sûreté d’un arrimage.
Daniel Laforest
Tu me dis ma main
N’aura jamais la tendresse de la pierre
Son irréductible sincérité
Ma voix n’aura jamais la vérité de leurs cris
Ces maîtres des airs
Ignorant mon inaltérable pesanteur
Mais tu liras peut-être
Ma profonde lenteur
Dans l’étrange gîte de bois de grève
Que je nous construirai
Pour qu’un murmure suffise
À rejoindre une baleine
Il sera éphémère et fragile
Comme notre présence
Et pourtant aussi vieux que nos traces
Aussi durable, protégé des flots
Que les pertes échouées
Qui nous rappellent nos pères
Et les fragiles fissures à même la roche
Regarde ma paume
Elle te dira que moi aussi
Je suis faite de lenteur
Chloé Rolland
La marée monte, le clapotis des vagues se fait plus pressant,
et pourtant… là où la mer et le fleuve se rejoignent,
l’île se baigne, au milieu des mouettes, des canards et des corneilles,
de l’eau à mi-rocher, île couverte de mousse et de sapins,
île verte et… déjà océane
Rachel Bouvet
André Fournelle
on m’a dit ce fleuve son odeur, sa couleur, ses formes, son murmure aussi
on m’a dit son phare érigé blanc et rouge, criard par solidarité, oublié par son gardien, mais
demeuré fidèle à sa maison
on m’a dit son paysage photographié depuis longtemps, resté tel quel, divinement austère
on m’a dit ces chemins bucoliques, imprégnés de nostalgie d’un autre âge, frustrés aussi de ne pas être
asphaltés, sales, poivrés de détours
on m’a dit de renommer l’île « l’herbe » car ce que j’entends partout au soleil levant là-haut,
derrière le temps merveilleux qu’il fait, juste là, l’araignée sur le sable,
le caillou ramassé…
qu’on dit respirer, goûter et pleurer
le goût de «l’herbe » plein les poches
on m’a dit de vous raconter l’île, de vous l’annoncer dans le lourd moutonnement
des jours
Christian Paré
La journée est magnifique et pourtant je frissonne quand je me tourne vers le large et que je contemple le fleuve
lécher la côte. Sentir ce vent salin jouer malicieusement avec les cheveux qui s’échappent de mes tresses, sentir ce vent
caresser affectueusement mes joues n’efface pas les nuits noires de tempêtes où il a giflé d’autres joues. Je regarde le
fleuve et ne vois pas l’autre rive, mais plutôt ces fantômes qui hantent la mémoire collective. J’y vois tous ces trois-
mâts, ces goélettes, ces vapeurs, ces barges, ces bateaux-phare qui y ont un jour une nuit circulé, tangué, qui s’y sont,
une nuit un jour enfoncés.
Aujourd’hui, il fait beau, le soleil s’admire vaniteusement sur la surface de l’eau, mais tout ce que je vois, ce sont ces
remous autour de la coque de l’Empress of Ireland quand le fleuve l’a englouti. Tout ce que j’entends, ce sont les
détonations des trois bouées à gaz qui ont explosé sur le baliseur Scout, les cris des marins, ceux des passagers
paniqués. L’air salin a tout à coup cette odeur de sueur des pilotes qui faisaient la course à l’aviron pour se rendre aux
trois-mâts attendant d’être guidés dans les eaux du Saint-Laurent, ce fils rebelle d’une mer intransigeante. Et ces
rochers que la mer tranquillement recouvre, ces stries rouges de l’ardoise ne peuvent être que le sang coagulé de tous
ceux que le fleuve a engloutis. Jérémie Michaud et Télesphore Caron de L’Isle-Verte avalés en 1950; leur goélette, Rose-
Marie l’indigeste, recrachée par le fleuve capricieux sur l’île Saint-Barnabé en face de Rimouski. Les dix membres
d’équipage du B.F. mystérieusement disparus dans la nuit du 14 mai 1952 avec leur barge de dragage. Le capitaine
Patrice Desrochers et l’équipage du Lady Grey qui les ont rejoints en février 1955. Et tous ces pêcheurs anonymes,
intrépides et imprudents dont le nom ne s’est ancré nulle part dans ce pays qui se targue pourtant de se souvenir.
Aujourd’hui, le rivage de l’Isle Verte est jonché d’épaves de troncs d’arbre qui ont peut-être déjà été mâts, mais qui
sont revenus troncs usés par la salive du fleuve, par des éclats de verre poli ou des morceaux d’ardoise rouge empilés.
Et l’eau du fleuve, comme un miroir dans lequel on ne voit que le reflet du soleil vaniteux. Pourtant, lorsque le vent
se lève et que le soleil disparaît entre la terre et la houle, il n’y a plus que des mètres cubes de sépultures. Alors, les cris
des mouettes comme autant de chants funèbres. Et les corneilles qui les côtoient ne sont-ils pas des oiseaux de deuil?
Roxanne Lajoie
la géopoétique est le frimas
qui transcende
les neiges fondues des écritures
Jean Morisset
Je navigue encore
(prière)
rêves rouillés
d’embrasser la pierre
quand la vague referme sur l’île
ses bras mangeurs d’infini
et je demeure
tremblant sous l’assaut des caresses
dans les coulisses du ciel
(accomplissement)
Denise Brassard
Je suis une mouette-corneille
en écrivage
qui erre d’isle en isle,
à la recherche de son rivage
André Fournelle
∞
«L’infini de l’intérieur se trouve partout.» Comment rendre, sinon par une métaphore, l’esprit mystique se dégageant
autour d’un centre vide d’une œuvre d’art habitable ?
Matériaux : les membres de La traversée
Montage et mise en page : Julien Bourbeau
Anne Brigitte Renaud, André Roy, Laurent Trépanier, Chrisitine Prud’homme, Hélène Guy, Nicole Gauthier, Éric
Waddell, Frédérique Garnier-Waddell, Barbara Waddell, Anne-Célia Waddell, Rachel Bouvet, Mahmoud Hasab-Alla,
Karim Bouvet-Hasab-Alla, Yasmine Bouvet-Hasab-Alla, Christian Paré, Roxanne Lajoie, Jean Morisset, André
Fournelle, Jean-Claude Castelain, Annie Castelain, Diane Caron, Denise Brassard, Daniel Laforest, Caroline Proulx,
Chloé Rolland et Julien Bourbeau.
Remerciements particuliers à Jean-Léon Deschênes et Loraine Guindon