Vous êtes sur la page 1sur 48

La Traversée

Au rythme des vents


et marées…
© La Traversée – Atelier québécois de géopoétique
Collection «Carnets de navigation»
Montréal, 2005

La Traversée est membre de l’Institut international de géopoétique,


fondé par Kenneth White en 1989.
Au rythme des vents et marées...

Laisses, fragments, poèmes et débris


d’un premier atelier nomade

Isle Verte, mai 2004

sous le pilotage de
Jean Morisset et Éric Waddell

CARNETS DE NAVIGATION

La Traversée

Atelier québécois de géopoétique
ATELIER NOMADE: PREMIÈRE TRAVERSÉE, AU RYTHME DES MARÉES
ISLE VERTE, 22-24 MAI 2004

PROGRAMME

Samedi
Circa 17 h 00. ARRIVÉE DES PARTICIPANTS AUX MAISONS DU PHARE

19 h 30. ACCUEIL ET TI-PUNCH

20 h 30 – 21H15. «LE CHEMIN QUI MARCHE» : APERÇU DU FLEUVE, MÉMOIRE DU FLEUVE, PAYS-FLEUVE ET
L’AU-DELÀ DU FLEUVE (Jean Morisset)

Dimanche
09 h 00 – 09 h 45. «L’ŒIL GÉOGRAPHIQUE» OU «CE QUE J’AI VU EN REGARDANT LE FLEUVE» : CONFÉRENCE
INSOLITE SUR LA BATTURE (Éric Waddell)
ATELIER DE CRÉATION LITTÉRAIRE (Christian Paré et Hélène Guy)

10 h 00 – 10 h 30. LE MANDAT

10 h 30 – 17 h 00. ERRANCE ET ÉCRIVAGE

18 h 00 – 18 h 30. LECTURE ET ÉCOUTE

18 h 30 – 19 h 30. ÉCHANGES ET TÉMOIGNAGES

Lundi
10 h 00 – 11 h 00. RENCONTRE À LA «SCULPTURE HABITABLE» DE JEAN-LÉON DESCHÊNES (André Fournelle)

Circa 17 h 00. L’IMPOSSIBLE DÉPART…


Première traversée

Géopoétique... Voyage, exploration, évocation. Invitation à partir sur les chemins de la terre pour mieux courtiser la
mer.
Ainsi, avons-nous décidé, dès la création de l'Atelier québécois de géopoétique, d'organiser des ateliers nomades, afin
d’amorcer la Traversée qui constitue notre unique raison d’être. Notre but avoué étant de sortir des salles de cours, de
l’univers des «belles-lettres» et des «seules idées» pour aller vers et dans la nature, il fallait donc partir de toute
urgence. Et appareiller à la recherche de balises qui permettent de naviguer entre savoir scientifique et création
littéraire, observation et expérience, raison et sentiments, lectures, architecture de l’espace et univers autochtone
occulté. Nous voulions à la fois investir le paysage, humer l’odeur du large et débusquer la mémoire orale déposée sur
le parchemin des saisons.
Comment débusquer alors le lieu propice aux premiers enseignements? Comment mettre le cap sur l’horizon de
l’espoir, comment s’engager sur la piste qui réponde à la révélation anticipée en évitant de sombrer dans le mirage de
l’errance où seule la promesse tient lieu d’espace géographique? Quoi de plus approprié alors que de partir à la
rencontre d’un phare, d’une île, d’un fleuve: le Saint-Laurent, la Grande Rivière… le «chemin qui marche» des
premiers Canadiens!
Mais à peine y avions-nous réfléchi que l’Isle Verte allait s’offrir spontanément. À la fois «isle» et «isle-à-terres»,
comme disaient les Anciens des lieux où ils pouvaient cultiver la terre et courtiser la mer, mais qu’est-ce donc que
l’Isle-Verte? Mince liséré de quelque 12 km «de bout en bout», ancré à une trentaine de kilomètres à l’est de Rivière-du-
Loup et presque accosté à la rive sud du fleuve, mais faisant directement face à l’embouchure du fjord du Saguenay et
de ses eaux profondes. Isle à deux visages, donc, un faciès sur le fleuve et les terres déforestées et domestiquées; et, un
autre, plus sauvage et plus rocheux donnant sur une mer aux odeurs de golfe. Toute la réalité du pays concentré en
une surface aussi réduite: pas de route asphaltée, pas de magasin, pas de banque, pas d’école et pas d’église, mais un
horizon sans fin englobant tout cela et une seule municipalité appelée Notre-Dame-des-Sept-Douleurs –on se demande
bien pourquoi! Quelques dizaines de résidents permanents en hiver, une mémoire incrustée dans la roche, enfouie sous
la neige et les sapinages. Du côté mer, un phare, automatisé maintenant, pour indiquer aux voyageurs maritimes le lieu
et le chenal, et les maisons du gardien et de l’assistant-gardien, ayant pour nouvelle fonction d’accueillir les
promeneurs terrestres.
C’est ici, l’espace d’une fin de semaine, en mai 2004, que nous avons «ouvert» avant la lettre la saison touristique et
jeté un premier regard sur la Terre-Québec. Vingt-sept rêveurs, dont quatre enfants, se sont présentés un vendredi
après-midi au quai du village de la terre ferme pour entreprendre leur traversée, à marée haute, sur La Richardière,
bateau menant à une isle laissant l’impression de flotter en plein fleuve!
Mélange de textes, d’images, de cartes, de photographies et de collages, les pages qui suivent sont le fruit heureux
de cette trop brève expérience.
Que tous soient invités à les parcourir, s’arrêtant à loisir ici et là, si besoin est, pour mieux se laisser féconder par la
patine d’un rêve et d’une mémoire d’où surgira un continent entier.

Éric Waddell et Jean Morisset


Québec/Bellechasse, 1er mars 2005
Entre Saint-Laurent et Grande rivière de Canada...
à travers les chenaux de la mémoire
Quelquefois je me raconte qu’il est des fleuves-pays qui sont des fleuves-peuples! Et alors, je me dis que du Gange à
l’Indus, de l’Ob-Irtysh au São Francisco, via l’Orénoque et le Dèh-Tcho, il ne peut en être autrement, mais j’hésite!...
Tous les fleuves sont sacrés, seul le regard cesse parfois de l’être; tous les fleuves sont pluriels, seul l’esprit se veut
parfois singulier! Et alors, qu’en est-il? Points d’arrivée et points d’ancrage, points de départ ou rampes oniriques, les
fleuves sont la mémoire de la terre... les chenaux, le devisement du monde. Pour tous ceux qui sont nés d’un fleuve, ce
qu’ils en savent ou ce qu’ils en ignorent devient forcément ce qu’ils savent d’eux-mêmes ou pas. Et s’il est une genèse
géographique du peuple mi-marin mi-tellurien de Canada, c’est la genèse du fleuve qui l’exprime. C’est pourquoi je me
dis que la forme de pollution la plus aiguë que charrie un fleuve est la perte de mémoire; et sa forme de remembrance
la plus incarnée... la parole géographique déposée par les marées!
Quelquefois je me raconte aussi qu’il est des navigations qui jamais ne s’arrêtent, des périples qui jamais ne trouvent
leur hâvre, entraînant ainsi leurs vaisseaux ou leur équipage dans une mouvance identitaire perpétuelle. Mais une fois
encore j’hésite! Sans doute y a-t-il des exceptions et des fixations réussies? Le fleuve devant lequel s’écrivent ces lignes
est un fleuve à marées et une question se pose avant toute navigation. Y a-t-il des esprits qui montent et qui baissent
avec les lunaisons? Des peuples dont le flux identitaire va s’altérant avec les saisons, des peuples-fleuves navigant
entre englacement et débâcle, camp d’été et camp d’hiver, et changeant ainsi de couleur et de tonalité avec les éléments
géographiques qui les trament et les incarnent? Ou sinon, est-ce le fleuve lui-même — le «Catarakoui», la «grande
rivière de Canada», le «chemin-qui-marche», le «fleuve des origines» — qui devient alors, à même son flux incessant,
l’élément de stabilité permettant de fixer le nomadisme des eaux, la cartographie de l’esprit et la sève de l’inspiration,
entre hautes et basses marées, bivouac et ressac, batture et canicule?
Je laisse le fleuve-en-printemps défiler avec ses plaques oranges-albâtre, ses infusions ardentes-argentées, ses glaces
lazulites ou vaseuses, ses eaux libres mauves-grisâtres ou bleues-opalesces; fleuve en mue avec ses courants et sillages
empruntant des tonalités à rendre envieuses mangues sauvages, limettes en pousse ou goyaves bistrées et je me dis que
oui... oui, c’est bien ici que se rencontre la grande tribu des Toucouleurs et la brigade des navigations métissées! Un
moment de silence!
* * *
On affirme que le Saint-Laurent s’avère le fleuve de la planète pénétrant le plus avant à l’intérieur des terres depuis son
embouchure imprécise. Ce qui fait qu’à la longitude de Québec, à quelque mille kilomètres de son estuaire, le fleuve
connaît des marées atteignant parfois les sept mètres et plus. Marées d’eau douce, s’entend (les eaux salées ne
dépassant guère Montmagny)! Difficile alors d’en convaincre un Brésilien, un Australien et tous ceux qui estiment que
la marée s’avère un phénomène exclusivement océanique et de haute mer!
On affirme aussi que de tout l’univers circumpolaire, de tout le «monde ameurasiate», c’est ici que l’Arctique
descend le plus au sud. Et tant qu’à pousser la comparaison, aussi bien préciser que la distance entre Québec et Belle-
Isle (le détroit) est à peu près la même que celle qui s’étend de Dakar à Tombouctou. De fait, c’est la vaste échancrure
du Saint-Laurent — cette vallée fluviale se déployant si largement entre Côte-Nord précambrienne et Gaspésie
appalachienne — qui empêche la péninsule Québec-Labrador de se transformer en Sahara permanent sur la terre de
Presqu’Amérique ! N’était-ce l’évapo-transpiration que génère l’immense bassin-versant laurentien; n’était-ce la
migration jusqu’à Tadoussac et aux profondeurs du Saguenay des conditions océaniennes hyper-boréales; n’était-ce le
jeu des alternances extrêmes été-hiver qui s’ensuit, passant du plus au moins quarante dans le même espace physique
et mental; n’était-ce de tout cela..., jamais marsouins, bélougas, netsiks, baleines et autres cousins marins des eaux du
Septentrion n’auraient pu poursuivre jusqu’ici leur suite du monde et interroger leur destin au fil de ces eaux. Et le
Québec aurait alors comme spécificité de constituer, telle la péninsule arabe, l’un des grands déserts de la planète!
Je me dis qu’il s’agit là de caractéristiques apprises dont on peut sans doute évoquer quelque aspect subliminal,
mais qui jamais ne révèleront quoi que ce soit du senti géographique qui secrète et nourrit l’inspiration! Et moins
encore le pouvoir de transmettre le goût de l’air ou le parfum des grands froids, l’élan des désirs rocheux ou le repli
des crans, le galbe des grès schisteux ou des plages ondulées qui façonnent l’imaginaire des peuples. Habiter le grand-
fleuve, faire corps avec ses baies, rentrants, pointes ou dorsales, c’est avoir été imprégné à son insu de la morphologie
de toutes ces caravelles libérées du glaciaire ou ces vaisseaux arrimés de futaies qu’on appelle isles! C’est avoir été
baigné du paysage à demi domestiqué de ces pontons, caps, grèves, caps, crans ou bourrelets, nommés rives ou
rivages ! Et je me raconte alors que les fleuves ne peuvent nous être offerts si on n’a d’abord senti leur langage se
glisser autour du fuselage de son propre corps, leurs mots se festonner autour de la coque des isles semées dans leur
sillage. «Les isles ne peuvent exister que si on a aimé chez elles», de lancer Dérek Walcott. Et les fleuves alors?
* * *
Du plus lointain que je me souvienne surgit la grande lumière de février: milliers de vaisseaux glaciels parcourant le
fleuve avec de grands crissements d’apocalypse; glaçons-candélabres fondant sur la poitrine de l’estran; cailloux-
verglas sous la cale des banquises. Les yeux aveuglés par les réverbérations sonores se dégageant de cet univers en
liesse se plissent comme des voiles ferlées et c’est alors qu’on voit apparaître la brigade des canots disparus que le
fleuve et les isles conservent en mémoire. Du plein cœur de belle-chasse devant Minigo ou Honguédo qui naviguaient
dans la nuit, nous tous qu’on appelait les «Calumets-d’Saint-Michel» apercevions les «Sorciers-d’l’Isle» et discernions
parmi les glaces les raids des Iroquois en quête de proie humaine et les Malécites surpris, rentrant à l’Isle-Verte en
chasse-galerie devant le regard ahuri des habitants! Rêve, rêve, rêve et chimère! Mirages du fleuve, plus lointains que la
face cachée de la lune!
Arrive le vieux Père-Crépo au visage buriné par la boucane avec ses lèvres roule-cigarettes, ses mains cagneuses-
harponneuses qui pouvaient attraper une anguille au vol. Lui qui jamais ne se blessait en agrippant dans le coffre à
pêche les petits esturgeons et autre fretin qu’il renvoyait à leur liberté. Il y avait dans son marcher et dans son langage
des ouichtas-ouichtas, mots-nageurs et mots-poissons, mots-avirons et mots-godilles; et aussi, des mots arrimés aux
talets et des mots tee-pee plantés-assemblés comme les grandes perches appuyées en demi-wigwams contre la haute
fourche d’une talle de saules, au fond du rentrant.
Au large, passaient et repassaient bateaux et paquebots qui jamais n’allaient soupçonner l’existence du Père-Crépo
et congénères; Lesquels, comme tout habitant du rivage armé de la double vision côtière et hauturière, sauvage et
métisse connaissaient tous les vaisseaux. Sinon par leur nom, du moins par leur tirant d’eau et leur vitesse, de crainte
de voir leur chaloupe emportée par les vagues venues du large. C’est ainsi que perdure la présence des doubles sillages
dans les chenaux de la mémoire. Sillage et secrets du rivage, sillage et surprise du grand large, dont les isles — Isle-
aux-Grues, Isle-aux-Oies, Isle Madame, Isle-Verte — constituent à la fois la persistance, le dépôt et l’évanescence. Qui
révélera le secret des isles en palimpseste derrière l’esprit des lieux?
* * *
Chaque été des gens viennent en pèlerinage à l’Isle-Verte, l’espace d’une journée, visiter la cathédrale sauvage de l’Invisible. L’Isle-
Verte ne se nomme pas isle-verte pour ceux-ci, mais l’«utérus sacré» ou «passage de l’entre- saison» ou «domaine de la chasse
éternelle». Sans s’identifier, sans se révéler, sans se trahir, ces pèlerins se recueillent, contemplant le fleuve, la mer, sa mémoire et son
destin. Ils préparent alors une gerbe de foin d’odeur, de hart rouge, ou un bouquet d’aulnaies, versent une prière et prodiguent une
larme depuis longtemps retenue. Puis, ils rentrent dans quelque anfractuosité, y déposent un peu de kini-kinik, puis repartent.

Entre les cabanages d’hiver le long des rivières et des vallées appalachiennes de l’intérieur et les camps d’été le long
du Catarakoui, c’est ici que, durant des millénaires, Micmacs et Malécites se rencontraient, chaque printemps, pour y
déposer l'offrande des morts de l’hiver et présenter à l’isle les nouveaux-nés. À l’automne, s’accomplissait le processus
inverse. Voilà pourquoi subsistent jusqu’à ce jour des cimetières dont on n’a jamais déclaré l’emplacement. N’allons
pas demander à ceux qui les veillent de livrer le secret de l’isle, sans livrer le nôtre en échange.
Cette terre insulaire est un lieu de l’esprit, un rendez-vous de l’être comme il en reste quelques-uns sur un territoire
dont on ne connaît guère les refuges sacrés. Comment imaginer alors les allées et venues pré-colombiennes persistant
au fil du fleuve et des saisons sous la protection du mémorial de l’invisible? Mémoire au double sillage, cependant!
Une voix déclare qu’il est des secrets de l’espace et de l’esprit dont il importe de conserver la teneur, au nom de la
dignité du dépossédé et d’une éthique géographique de l’espoir et du rêve. Et, sans jamais employer le mot «sacré» ni
se référer à l’idée de «remontée mythologique», une autre voix se plaît à croire qu’il est un amont de l’esprit et de la
terre, une exploration antérieure qu’une certaine poésie, coincée entre la pensée et le langage, était en passe d’oublier!
Comment apponter alors le fleuve premier au fleuve second? Comment rappeler que l’Isle-Verte avait un nom avant
de devenir «isle-verte»? Et aussi qu’il existe au-delà de toute évidence cartographique, des flux et des faisceaux de
l’âme dont la géographie constitue l’ultime dépôt à travers les chenaux de la mémoire.
Jean Morisset,
saint-bellechasse,
8 février 2005
L’œil géographique devant le regard du fleuve

C'est à travers le pouvoir de l'observation, la grâce de l’œil et de l'oreille,


de la langue, du nez et des doigts qu'un lieu s'installe d'abord dans notre
esprit; ensuite c'est la mémoire qui porte le lieu, lui permettant de croître
en profondeur et en complexité; et que, d'aussi loin que remonte notre
souvenir, nous avons tenu deux choses à coeur: le paysage et la mémoire.
Chacun nous imprègne d'un genre de vie différent. Le premier nous
nourrit, au propre et au figuré. La seconde nous protège de la tyrannie et
du mensonge.
Barry Lopez

«Messieurs, dites-moi ce que vous voyez.» C'est là la question que Raoul Blanchard posait à ses étudiants,
apprentis-géographes, lorsqu'il les amenait sur la Terrasse Dufferin, en face du Château Frontenac, à Québec, afin de
les sensibiliser aux fondements de la conscience géographique comme discipline et aussi, à la géographie elle-même
comme regard...
Dès qu'on s'avise de regarder attentivement le paysage, de vraiment s'y attarder et s'y laisser lentement pénétrer, on
se rend compte que le paysage à son tour nous regarde! Et qu'il y a entre notre conscience et le paysage qu'on observe
une relation antérieure aussi profonde que le langage; et que, de fait, le paysage nous habite et nous interpelle
beaucoup plus profondément qu'on l'estime au premier abord.
Comment alors aborder le paysage? Qu'est-ce qu'on peut y lire et qu'est-ce qu'on y recherche aussitôt qu'on accepte
de s'en laisser pénétrer? Comment amener le paysage à livrer son témoignage et à exprimer sa mémoire devant notre
propre conscience? La question est de taille. Et Raoul Blanchard –arpenteur impénitent du pays entre les années trente
et cinquante– l'adressait souvent aux étudiants, lors de ses passages à l'Université Laval. En ayant de cesse d'affirmer
que... la géographie, «ça s'apprend par les pieds!» Façon de dire, évidemment, que sans expérience sensible pas de
géographie possible.
On est tenté de lancer exactement la même invitation depuis ce lieu, le phare de l'Île Verte, «là où le fleuve devient
vraiment mer, avec ses forts courants, ses marées et ses vents, et aussi là où la brume est si souvent présente.»
Si à la question de l’œil géographique, on nous renvoie au pied géographique, on est immédiatement amené devant le
fleuve-devenu-mer à penser au marin. Avoir le pied marin ou le pied géographique, sinon l'un et l'autre: l’œil marin et le
regard sur l'horizon, la ligne de rivage. C'est que le géographe et le marin sont des intimes, tous deux gens de navigations
qui, pour réussir leur traversée, doivent à la fois observer et sentir, garder l’œil sur le proche et jeter un regard sur le lointain.
C'est ainsi que l'œil-qui-regarde apparaît au cœur de la discipline. Discipline qui, entre nous, est passablement
schizophrène, possédant une batterie d'instruments de mesure et un riche bagage de savoir scientifique, d'une part, et
baignant, d'autre part, dans une vaste expérience du terrain où l'émotion n'est jamais loin. Comment concilier autrement ces
désirs multiples qui nous animent, issus aussi bien d'une grande familiarité avec des lieux intimes que de la fréquentation de
lacs et de rivières et cette soif de connaissance de peuples et de nations, de patries et de pays?
Géographie, discipline-carrefour, a-t-on si souvent prétendu. Bien sûr, mais le cheminement géopoétique dévoile quelque
chose de plus. Proposant un va-et-vient incessant entre l'ici et le lointain, l'observation et l'émotion, on a le sentiment d'un
état d'être faisant fenêtre sur un double monde –un monde sensible et un monde de la conscience: bref, un rendez-vous
essentiel entre l’œil et le regard.
Comme si le savoir scientifique et les sentiments humains pouvaient trouver leur pleine convergence avec et par la
naissance du paysage. Je dis bien paysage et non pas espace : cet espace des géographes-aménagistes auquel on veut
toujours nous renvoyer. Un tel espace est pour moi totalement vide: une réalité en deux dimensions. cartésienne,
mathématisée, quantifiable, froide et sans profondeur... Vide qui ne demande qu'à être investi par l'esprit, là où le paysage
tremble dans le creux de la main. Fruit d'un mélange complexe et juteux d'observations, d'expériences, de réflexions et de
sentiments, c'est cette deuxième réalité que je retiens à la suite de ce que Raoul Blanchard tentait de faire sentir à ses
apprentis-géographes.
Quand je pense au paysage, je songe également à l'impact que l'art tribal aura eu sur toute une génération de peintres et
de penseurs européens: Kandinsky, Picasso, Giacometti, Breton et tant d'autres. Confrontés par tous ces objets «venus de
loin» –créations de l'Afrique profonde, de l'Amérique autochtone et de l'Océanie lointaine– ces derniers paraissent avoir saisi
une évidence incontournable, à savoir que les artistes dits «primitifs» ne reproduisaient jamais ce qu'ils avaient sous leurs
yeux; ils recréaient plutôt ce qu'ils savaient. Certes, ils avaient «l’œil», mais c'était davantage un œil qui pense qu'un œil qui
regarde; un oeil sachant spontanément passer du visible à l'au-delà des apparences.
C'est ainsi qu'on discerne peu à peu cet univers pluridimensionnel alimentant l'esprit à la fois par ce que révèle le
paysage et par ce qu'il recèle: à savoir, ce qu'on voit devant soi et, en même temps, ce qui est invisible à l’œil nu pour se
«voir» porté en mémoire. Avec le fleuve à nos pieds et la rive nord du Saint-Laurent devant nous –en face– c'est un
pays/age à la fois séculaire et millénaire qui nous est offert sous la mémoire géographique qui en cimente les
composantes: structures géologiques, bouclier canadien, fjord du Saguenay, processus morphologiques, dunes de
Tadoussac, glissements périglaciaires, socle autochtone, passage des explorateurs européens, villages, havres, phares,
vaisseaux, goélettes, guerres et naufrages!...
Tout demeure inscrit dans le paysage à portée de main, d’œil ou d'esprit, là devant nous. À la condition cependant
de se laisser imprégner d'une patience profonde, d'un désir de connivence, d'une volonté de rencontre, d'une capacité
illimitée d'écoute.
Et... c'est ainsi qu'entre nous et le pays qui nous habite, entre la conscience géographique et le paysage nourricier,
s'installe progressivement ce regard réciproque qui nous exprime et nous transcende. Et sans lequel on ne pourrait
jamais devenir pleinement… géographe.

Éric Waddell
Errance et écrivage

[…] l'intellect et l'émotion ne cheminent jamais ensemble à travers notre


esprit: tous deux alternent et nous maintiennent séparés entre l’un et
l’autre …aussi longtemps qu’on ne fait que regarder le monde.
Northrop Frye

S’écarter des vérités tangibles du fleuve et de l’île, s’égarer de la communauté, errer seul, pour revenir un texte à la
main. Tel était l’objectif visant à produire un écrit vague, volontairement ébauché et commandé par le rivage qui se
dévoilait peu à peu... Une fois ces «écrivages» déposés, nous les avons dits, racontés, là, sur place, dans ce décor de
mer. Nos lectures improvisées, tantôt justes, tantôt maladroites, furent l’occasion d’entrevoir, de sentir le travail de ces
filtres dont causaient nos deux hôtes géographes.

Relire aujourd’hui ces textes ne nous renvoie pas seulement là-bas, sur ce rivage, mais aussi là où nous étions tous :
dans l’esprit de communication, de partage, dans ce que justement Frye appelle l’intelligence et l’émotivité.

Ces traces nous le rappellent trop bien : nous habitons en poète.

Christian Paré
Sur l’île, avec les oiseaux qui charrient le sel des roches délavées, on peut arriver à se sentir étranger. Pas étranger
face à tous les lieux, mais plutôt par bribes, sur le territoire même qui couve les noms de nos ancêtres comme de tant
d’autres.

Peut-être est-ce là ce qui nous amène encore à parler de pays, avec l’œil qui tourne vers les paysages. Et pour en
venir à dire ce pays d’ici, il faut commencer par le bégayer avec des îles. Après on s’enfoncera dans le blanc des cartes
de navigation, ce blanc des côtes au ventre vierge, où le repérage ne semble pas une nécessité, où le désir peut donc
prendre sa place, comme jadis sur les portulans des découvreurs. Pour habiter un pays né dans le voyage, on doit faire
déparler les chiffres de l’exactitude; regarder un pylône et connaître le chiendent qui encercle sa base, le pelage du
lièvre qui y meurt encore.

Ici sur l’île Verte au phare évidé, avec sa stèle gravée qui dit tout sauf le malheur d’une famille déracinée, on amorce
l’errance comme un récit. Ici un cinéaste venu reposer sa fatigue entend encore chanter les mots de Miron. Là-bas l’Île
de la Quarantaine, où le tabac du diable pousse sur un humus de larmes oubliées. Et là-bas encore, au long du vent, le
vieux Riopelle maugréait il n’y a pas longtemps ses derniers jours, assiégé d’oies plus blanches que lui. Dans l’écart
entre ces points, qu’on ne sait plus naviguer, autant de tempêtes que de noyés, des ailes noires et beaucoup d’absence.
Il y a l’œil-compas et l’œil-livre. Entre les deux s’ouvre un regard nu. C’est là que prend place l’écrit minuscule du
poème, avec la sûreté d’un arrimage.

Daniel Laforest
Tu me dis ma main
N’aura jamais la tendresse de la pierre
Son irréductible sincérité
Ma voix n’aura jamais la vérité de leurs cris
Ces maîtres des airs
Ignorant mon inaltérable pesanteur
Mais tu liras peut-être
Ma profonde lenteur
Dans l’étrange gîte de bois de grève
Que je nous construirai
Pour qu’un murmure suffise
À rejoindre une baleine
Il sera éphémère et fragile
Comme notre présence
Et pourtant aussi vieux que nos traces
Aussi durable, protégé des flots
Que les pertes échouées
Qui nous rappellent nos pères
Et les fragiles fissures à même la roche
Regarde ma paume
Elle te dira que moi aussi
Je suis faite de lenteur

Chloé Rolland
La marée monte, le clapotis des vagues se fait plus pressant,
et pourtant… là où la mer et le fleuve se rejoignent,
l’île se baigne, au milieu des mouettes, des canards et des corneilles,
de l’eau à mi-rocher, île couverte de mousse et de sapins,
île verte et… déjà océane

Rachel Bouvet

Baleines de pierre attendent notre regard


pour poursuivre leurs dérives

André Fournelle
on m’a dit ce fleuve son odeur, sa couleur, ses formes, son murmure aussi

on m’a dit ses gens sympathiques, maladroitement chaleureux, accueillants, authentiques,


comme d’une autre époque

on m’a dit son phare érigé blanc et rouge, criard par solidarité, oublié par son gardien, mais
demeuré fidèle à sa maison

on m’a dit son paysage photographié depuis longtemps, resté tel quel, divinement austère

on m’a dit ces chemins bucoliques, imprégnés de nostalgie d’un autre âge, frustrés aussi de ne pas être
asphaltés, sales, poivrés de détours

on m’a dit de renommer l’île « l’herbe » car ce que j’entends partout au soleil levant là-haut,
derrière le temps merveilleux qu’il fait, juste là, l’araignée sur le sable,
le caillou ramassé…
qu’on dit respirer, goûter et pleurer
le goût de «l’herbe » plein les poches

on m’a dit de vous raconter l’île, de vous l’annoncer dans le lourd moutonnement
des jours

sur cette herbe arrachée au monde intact des origines

Christian Paré
La journée est magnifique et pourtant je frissonne quand je me tourne vers le large et que je contemple le fleuve
lécher la côte. Sentir ce vent salin jouer malicieusement avec les cheveux qui s’échappent de mes tresses, sentir ce vent
caresser affectueusement mes joues n’efface pas les nuits noires de tempêtes où il a giflé d’autres joues. Je regarde le
fleuve et ne vois pas l’autre rive, mais plutôt ces fantômes qui hantent la mémoire collective. J’y vois tous ces trois-
mâts, ces goélettes, ces vapeurs, ces barges, ces bateaux-phare qui y ont un jour une nuit circulé, tangué, qui s’y sont,
une nuit un jour enfoncés.
Aujourd’hui, il fait beau, le soleil s’admire vaniteusement sur la surface de l’eau, mais tout ce que je vois, ce sont ces
remous autour de la coque de l’Empress of Ireland quand le fleuve l’a englouti. Tout ce que j’entends, ce sont les
détonations des trois bouées à gaz qui ont explosé sur le baliseur Scout, les cris des marins, ceux des passagers
paniqués. L’air salin a tout à coup cette odeur de sueur des pilotes qui faisaient la course à l’aviron pour se rendre aux
trois-mâts attendant d’être guidés dans les eaux du Saint-Laurent, ce fils rebelle d’une mer intransigeante. Et ces
rochers que la mer tranquillement recouvre, ces stries rouges de l’ardoise ne peuvent être que le sang coagulé de tous
ceux que le fleuve a engloutis. Jérémie Michaud et Télesphore Caron de L’Isle-Verte avalés en 1950; leur goélette, Rose-
Marie l’indigeste, recrachée par le fleuve capricieux sur l’île Saint-Barnabé en face de Rimouski. Les dix membres
d’équipage du B.F. mystérieusement disparus dans la nuit du 14 mai 1952 avec leur barge de dragage. Le capitaine
Patrice Desrochers et l’équipage du Lady Grey qui les ont rejoints en février 1955. Et tous ces pêcheurs anonymes,
intrépides et imprudents dont le nom ne s’est ancré nulle part dans ce pays qui se targue pourtant de se souvenir.
Aujourd’hui, le rivage de l’Isle Verte est jonché d’épaves de troncs d’arbre qui ont peut-être déjà été mâts, mais qui
sont revenus troncs usés par la salive du fleuve, par des éclats de verre poli ou des morceaux d’ardoise rouge empilés.
Et l’eau du fleuve, comme un miroir dans lequel on ne voit que le reflet du soleil vaniteux. Pourtant, lorsque le vent
se lève et que le soleil disparaît entre la terre et la houle, il n’y a plus que des mètres cubes de sépultures. Alors, les cris
des mouettes comme autant de chants funèbres. Et les corneilles qui les côtoient ne sont-ils pas des oiseaux de deuil?

Roxanne Lajoie
la géopoétique est le frimas
qui transcende
les neiges fondues des écritures
Jean Morisset

lignes gravées dans la pierre


sens des marées qui montent
gravir des sommets qui n’ont jamais existé
Hélène Guy

Nomade dans l’âme, dans ton espace


j’ai atteint mon bout du monde
Diane Caron
J’arpente les plages de mon enfance
Je scrute l’horizon

Tension qui traverse les îles


Phares qui les habitent

Lieu précis sur la carte


Balise qui éclaire le chemin

Jeune, je visitais des phares


Je rêvais d’en devenir gardien

Je navigue encore

Les îles sont les seuls endroits


d’où je peux lire et embrasser le monde
Éric Waddell
Île Verte, sans trait d’union…
Comme deux mots séparés,
Deux fragments de terre détachés.
Sans trait d’union et pourtant
Le pont de glace, les piquets de pêches à fascine
qui ajoutent des pattes de mouches à l’Île
et qui dessinent des liens aux riverains…
les chants moqueurs des goélands, les goélettes,
ne sont-ils pas des ponts de trilles ?

Soudainement les Appalaches prennent leurs distances


au rythme des marées.
Sur la carte alchimique de l’Île, tantôt le fleuve odoriférant,
brun, verdâtre et limoneux
Devient bleu et navigable
au rythme des marées, au rythme des glaciers

Si l’Île était une dent ?


De la sagesse qui tient aussi des canines,
une dent tectonique, une dent du fleuve
Entre les Appalaches et le Bouclier canadien.
Une dent tapissée de mousse et de sapinage.
Une dent qui a poussé dans la bouche du fleuve.
Et qui avale
les Pêcheurs d’eau
Au rythme des marées
Julien Bourbeau
Terrassée par la hantise de l’erreur, la fatigue et le mutisme, j’avais veillé, avant mon départ, à me munir de livres.
La peur de ne plus trouver les miens m’obligeait à m’entourer des mots des autres. La rumeur intérieure était si forte, si
étourdissante, que je ne m’entendais plus parler, plus même penser. Et voilà que le fleuve, si vaste ici qu’il se confond
avec la mer, m’ouvrait des bras menus, à dimension humaine, presque des bras d’enfant, pour bercer ma détresse et
accueillir ma prière. Et le silence refait surface.

(prière)
rêves rouillés
d’embrasser la pierre
quand la vague referme sur l’île
ses bras mangeurs d’infini
et je demeure
tremblant sous l’assaut des caresses
dans les coulisses du ciel

(accomplissement)

Denise Brassard
Je suis une mouette-corneille
en écrivage
qui erre d’isle en isle,
à la recherche de son rivage

je suis une sauvagine-moyak


en transhumance
qui avironne de sabord en tribord,
à la lueur de son pelage

je suis le grand marsouin


à quatre-mâts
qui remonte à contre-courant
sous la rade de la découverte

je suis le grand insulaire triomphant


à mille-rentrants
qui libère la lumière
des mythologies vagabondes

que vienne la mémoire ensorcelée


de tous les canotages en dérive
Jean Morisset
Plaine sur l’horizon de la mer Rêve d’insulaire, rêve du bâtisseur

Sourcier désigné Vivre au rythme de la mer


par les forces de la nature
Sourcier solitaire Amener la mer dans sa demeure
Insulaire
La mer spirale les flancs de son refuge
Il érige avec le temps
Beauté solidaire
sa demeure
André Fournelle
Jean-Léon Deschênes est né à Dunrea, au Manitoba, de parents originaires de Rivière-du-Loup et de Saint-Vallier
(Bellechasse). Son enfance et sa jeunesse se déroulent dans la Prairie, près des rails et des silos, dans les gares du CN et
les grands pensionnats.
Arrivant au Québec, après trente ans dans l’Ouest canadien, il travaillera initialement à la mise en œuvre d’un
syndicat en milieu collégial; puis enseignera la sculpture et l’organisation spatiale au Cégep Édouard-Montpetit.
C’est au milieu des années 70 qu’il découvre l’Île Verte, en plein fleuve Saint-Laurent. Séduit par ce lieu, il décide de
s’y installer.
Trouver de l’eau potable à la façon d’un sourcier, construire un bateau comme un insulaire, tels sont ses premiers
gestes d’adaptation. Il transforme par la suite en maison-atelier l’abri ayant servi à la construction du bateau. C’est
alors qu’il entreprend un grand projet : sculpter les lieux. La source, le phare, l’Anse-à-la-Baleine, et, au loin, l’Île Rouge
et le Saguenay deviendront les références qui détermineront l’emplacement d’une œuvre d’envergure singulière.
Sa sculpture habitable, toujours en élaboration, est érigée de façon circulaire en faisant écho au phare qui l’avoisine.
Ainsi, le toit deviendra observatoire, à la fois capteur de lumière et d’espace.
À 72 ans, Jean-Léon Deschênes poursuit la rédaction de son poème-parcours et taquine les visiteurs en se citant lui-

même : Infinite inner space is everywhere.

André Fournelle


«L’infini de l’intérieur se trouve partout.» Comment rendre, sinon par une métaphore, l’esprit mystique se dégageant
autour d’un centre vide d’une œuvre d’art habitable ?
Matériaux : les membres de La traversée
Montage et mise en page : Julien Bourbeau

Ont participé à l’atelier nomade :

Anne Brigitte Renaud, André Roy, Laurent Trépanier, Chrisitine Prud’homme, Hélène Guy, Nicole Gauthier, Éric
Waddell, Frédérique Garnier-Waddell, Barbara Waddell, Anne-Célia Waddell, Rachel Bouvet, Mahmoud Hasab-Alla,
Karim Bouvet-Hasab-Alla, Yasmine Bouvet-Hasab-Alla, Christian Paré, Roxanne Lajoie, Jean Morisset, André
Fournelle, Jean-Claude Castelain, Annie Castelain, Diane Caron, Denise Brassard, Daniel Laforest, Caroline Proulx,
Chloé Rolland et Julien Bourbeau.
Remerciements particuliers à Jean-Léon Deschênes et Loraine Guindon

La Traversée – Atelier québécois de géopoétique


Figura, le Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire,
Département d'Études littéraires,
Université du Québec à Montréal,
C.P. 8888, succ. Centre-ville
Montréal, Qc, H3C 3P8
CANADA

Tél. : 1 (514) 987-3000, poste 2153


Fax : 1 (514) 987-8218
Courriel: la_traversee@hotmail.com
Ce carnet
composé en Palatino corps 10
a été achevé d’imprimer à Montréal
après le nordet et les débâcles vernales
2005
Au rythme des vents et marées
Isle Verte, mai 2004

Vous aimerez peut-être aussi