Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Juridique et Technique
mai 2018
Propos recueillis par Xavier Clarke , Conseiller pour l'architecture, DRAC Nouvelle-
Aquitaine
96 logements collectifs, ZAC Ginko, La Berge du lac, Bordeaux (33) - Marjan Hessamfar &
Joe Vérons architectes associés. Photo X.C.
Dialogue autour des politiques du logement à l’occasion des débats parlementaires autour du
projet de loi évolution du logement, de l’aménagement et du numérique” (ELAN).
En présence de :
Fabien SÉNÉCHAL - Président de l’ANABF
Sylvie ROBERT - Sénatrice d’Ile-et-Villaine
Lionel DUNET - architecte, Président du syndicat de l’architecture
Laurence CROSLARD - architecte, vice-présidente du syndicat de l’architecture
Guymette GLOANEC - co-fondatrice de L’observatoire Mobile
Sylvie ROBERT: En préambule, je voudrais insister sur une forme de contradiction entre
l’ambition affichée en matière d’amélioration du cadre de vie et la volonté de remettre en
question, même symboliquement, la question de l’architecture. La volonté de livrer plus
rapidement et moins cher induit une véritable dé-construction du métier d’architecte. Le choc
de l’offre porté par le projet de loi ELAN risque de produire l’effet inverse à l’objectif
recherché. Les professionnels du BTP constatent déjà une diminution d’activité de 15 à 20%
suite à la baisse des APL et des budgets des organismes HLM. On peut constater un réel
paradoxe entre les efforts investis ces dernières décennies dans la politique de la ville pour
traiter les erreurs du passé et un retour aux modes de pensée qui ont guidés les excès de la
politique des Grands ensembles pour répondre à la crise du logement durant les années 60 et
70. On assiste, à travers cette loi et des éléments de langage qui l’accompagnent, au retour de
préjugés anciens que je pensais disparus : l’architecture ralentit, coûte plus cher et empêche de
répondre efficacement aux besoins en logements. Cette sémantique autour de la notion
d’efficacité est à l’opposé de la question architecturale qui ne se limite pas à la production de
bâti, mais qui participe activement à la fabrication d’un environnement collectif et à
l’organisation de la vie en société. Il faut bien réaliser que l’application du slogan « vite et
moins cher » ne permettra pas de régler les problèmes sociaux, bien au contraire.
L’architecture doit être abordée dans sa dimension globale, à la fois culturelle, éducative et
sociétale. La manière dont nous vivons ensemble est directement liée à la manière dont est
structuré notre environnement architectural et il me semble important que les philosophes, les
géographes, les architectes, les sociologues nous accompagnent et nous aident à redonner du
sens aux politiques d’aménagement que nous portons. J’ai par ailleurs beaucoup de mal à
comprendre comment ce projet de loi peut imaginer traiter de la question du logement social
en affaiblissant le rôle de l’architecte. Le concours d’architecture doit être considéré comme
un temps de réflexion supplémentaire qui permet, au final, de gagner du temps et de l’argent.
Lionel DUNET: Les intitulés du projet de loi, « construire plus, mieux et moins cher » et
« améliorer le cadre de vie », illustrent parfaitement, à mon sens, le métier d’architecte et je
regrette que le contenu du texte aille à l’inverse de ces objectifs en marginalisant et
amoindrissant le rôle de l’architecte. L’architecte a vocation à répondre à la demande de
constructions, de manière qualitative et économique. La rapidité de production n’est
cependant pas cohérente avec l’approche qualitative, même si on observe de nouveaux
besoins d’habiter liés aux phénomènes migratoires, aux familles recomposées ou au
desserrement des ménages qui imposent de construire plus de logements… Il y a une vraie
recherche à opérer et ce n’est pas en supprimant les concours d’architecture que l’on facilitera
l’émergence d’idées. La loi de finance qui précède le projet de loi ELAN a incontestablement
affaibli les sociétés HLM et ralenti la production de logements. Dans mon département, Côtes
d’Armor Habitat propose cette année 100 nouveaux logements à construire contre 250 les
années précédentes. Plus généralement, je ne suis pas persuadé que les 3 ou 4 mois gagnés au
détriment du concours d’architecte améliorent la production qui perdra de toutes façons en
qualité et en capacité à inventer une réponse réellement adaptée aux évolutions de la société.
Fabien SÉNÉCHAL: Il me semble important de souligner l’intérêt des débats qui ont eu lieu
lors de la conférence de consensus malgré l’inquiétude partagée avec l’ordre des architectes
autour de cette première étape d’échanges. Les quatre rencontres organisées à l’occasion de la
conférence de consensus ont permis de mettre en avant l’idée que l’ensemble des acteurs de la
construction et des représentants de la société civile étaient en attente de mieux travailler
ensemble. Les échanges ne se sont pas focalisés sur les normes en tant que telles, mais plutôt
sur la nécessité de stabiliser les lois et de mieux organiser les conditions de communication
indispensables à une application intelligente et efficace des normes en vigueur. La conférence
a confirmé que l’absence de concertation est source de complexification et de ralentissement
et que les vrais obstacles à une production efficace de logements provenaient plus des modes
de fonctionnement en tuyau d’orgue et de l’absence de communication entre les acteurs que
des normes elles-mêmes.
Fabien SÉNÉCHAL: Les ABF sont particulièrement concernés par ce plan d’action qui a
pour origine le rapport d’Yves Dauge à propos de la nécessité impérieuse de revitaliser les
centres-bourgs et les villes moyennes à l’occasion de la mise en œuvre des nouveaux espaces
protégés introduits par la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » (LCAP). Ce
rapport plaçait l’architecte et le projet urbain au centre de la dynamique de revitalisation. On
observe malheureusement une certaine technocratisation du dispositif dans le cadre du projet
de loi ELAN. Le plan action cœur de ville semble en effet, pour l’instant, une nouvelle fois
fondé sur un simple assemblage de procédures et de dispositifs administratifs sans cohérence
globale, sans projet d’ensemble fondé sur la spécificité culturelle du lieu, tel que peut le
concevoir un architecte. Il apparaît vivement souhaitable que l’architecture et le patrimoine
retrouvent une place centrale dans cette dynamique.
Concernant plus particulièrement l’intervention des ABF, on observe également une
antinomie entre l’objectif de reconquête des centres anciens et le dispositif qui vise à affaiblir
l’intervention de l’ABF en remplaçant son accord par un avis consultatif qui ne s’impose pas
au maire pour les opérations de rénovation des bâtiments en péril ou insalubres et pour la pose
d’antennes téléphoniques. Cette disposition ignore délibérément la valeur historique des
immeubles insalubres, ainsi que la capacité de ce patrimoine à accueillir de nouvelles
manières d’habiter et à donner du sens au projet de redynamisation. Elle offrirait, pour la
première fois dans l’histoire des politiques patrimoniales, l’opportunité d’évacuer la
dimension culturelle du patrimoine urbain appréhendée comme un vecteur central de
développement et d’aménagement durable d’une ville. Notre association est particulièrement
inquiète par cette orientation qui nous ramène, comme évoqué précédemment par Sylvie
Robert, à des raisonnements d’une époque révolue qui ont conduit André Malraux à créer la
loi qui porte son nom au début des années 60. À ce propos, il est intéressant de rappeler le
discours de présentation de cette loi devant l’assemblée nationale dans lequel André Malraux
expliquait que l’objectif de sa démarche était inscrit dans la modernité et qu’elle visait
justement à concilier deux impératifs qui avaient été jusque-là mis délibérément en
opposition, à savoir conserver le patrimoine historique et, en même temps, améliorer les
conditions de vie et de confort des Français. On a l’impression, aujourd’hui, que dans l’esprit
de la loi, cette conciliation n’est plus valable et qu’il faut nécessairement réintroduire une
scission, une opposition entre le patrimoine et la modernité, sans tenir compte des avancées de
la loi Malraux.
Sylvie ROBERT: Cette question me paraît essentielle et je le constate tous les jours sur le
terrain, dans le cadre de l’exercice de mes fonctions de sénatrice. Les maires que je rencontre
manifestent une réelle préoccupation pour l’aménagement de leur centre-ville et il me paraît
extrêmement intéressant d’avoir abordé cette problématique sous l’angle de la dynamique de
la revitalisation. Le rapport d’Yves Dauge plaçait la question de l’architecture et du cadre de
vie au centre de sa démarche d’expérimentation en affichant la qualité environnementale
comme un levier essentiel pour la valorisation et le renforcement de l’attractivité des centres
anciens. J’observe, dans le cadre du plan « Action cœur de ville », une disparition de la
dimension culturelle au profit des seuls usages, même s’il est parfaitement légitime de
s’intéresser en priorité à la question des usages. L’activité commerciale reste le principal
critère pour évaluer l’attractivité d’une commune. Je rencontre très fréquemment des maires
qui se désespèrent de la vacance commerciale et de leur difficulté à accueillir de nouveaux
habitants. Il faut toutefois rester attentif à ne pas s’égarer dans une réflexion simpliste qui
oppose l’objectif de simplification et les enjeux liés à la qualité du cadre de vie. On assiste
aujourd’hui à des débats extrêmement binaires qui ne prennent pas en compte la nécessité de
concilier des objectifs contradictoires et de gérer la complexité du monde. Or, l’architecture et
l’urbanisme sont là, en tant que disciplines indissociables des modes de vie, pour nous aider à
apporter des réponses à cette complexité. Le projet urbain favorise l’approche transversale des
problématiques et la mise en synergie du patrimoine et des usages. La création architecturale
peut nous aider à inventer de nouveaux modes d’habiter qui répondent aux besoins de notre
société en constante évolution. Il faut penser le projet de revitalisation dans sa globalité,
comme un mode de vivre, de circuler, d’habiter, de consommer… La loi ELAN apparaît assez
symptomatique de cette tendance à vouloir simplifier à l’extrême, y compris la manière de
penser, en évacuant le temps de la réflexion et du projet architectural ou urbain. Je constate,
heureusement, que les citoyens sont de plus en plus attentifs à la question de l’architecture et
du patrimoine. J’observe en particulier cette appétence des habitants dans le cadre de la
commission locale du patrimoine mise en place à Rennes pour débattre des projets de
renouvellement urbain et d’évolution du patrimoine architectural.
Xavier CLARKE: Dans son plan national en faveur des nouveaux espaces
protégés, Yves Dauge propose un renversement des politiques de l’habitat à
travers une réévaluation des dispositifs fiscaux (Malraux et Pinel) et un
développement ambitieux des programmes d’amélioration de l’habitat, de
lutte contre l’habitat insalubre et de constructions neuves dans le cadre
d’opérations de restauration immobilière (OPAH, RHI-THIRORI…). Quels
sont, selon vous, les principaux freins à la mise en place d’une politique
ambitieuse de requalification du patrimoine existant en accord avec les besoins
liés aux modes de vie contemporains ?
Lionel DUNET: En contrepoint à cette position, je pense que si les outils sont secondaires
par rapport à la vision politique, ils restent toutefois essentiels. Une gestion responsable de la
ville ne peut pas reposer sur le laisser-faire du libéralisme. Elle résulte, certes d’une vision,
mais également d’une maîtrise qui a longtemps manqué à beaucoup de villes moyennes. Le
plan d’action “cœur de ville” apparaît comme une formidable occasion de mettre en œuvre
une stratégie urbaine commune grâce à de nouveaux outils qui permettront d’agir
efficacement.
Sylvie ROBERT: Les outils restent en effet essentiels pour rendre opérationnelle l’ambition
politique, notamment les dispositifs fiscaux, indispensables pour compenser le surcoût imposé
par la restauration du patrimoine historique. Nous travaillons actuellement à la réhabilitation
de l’hôtel Pasteur à Rennes, en concertation étroite avec l’ABF qui reste un interlocuteur
essentiel, mais pas unique. Je suis convaincue de la nécessité de développer, au sein des
politiques de restauration, des process intégrant l’ensemble des évolutions et des
problématiques relevant de la construction : amélioration des performances énergétiques,
utilisation de techniques innovantes, recyclabilité des bâtiments et des matériaux… Cet
investissement dans la phase chantier reste essentiel pour diminuer, à terme, le coût de
fonctionnement des édifices restaurés. Le poids des contraintes administratives, techniques et
financières -procédures de concours, estimation des coûts de maîtrise d’œuvre, normes de
construction- réduit malheureusement trop souvent la possibilité d’investir dans ces process
innovants, notamment en matière de rénovation énergétique qui reste un sujet majeur,
insuffisamment développé. À ce propos, je regrette sincèrement que la possibilité
d’expérimenter ces nouveaux process dans le cadre du permis de faire introduit par la loi
relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine ait été supprimée par le projet
de loi pour un État au service d’une société de confiance, au bénéfice d’un article consacré à
une forme de déréglementation généralisée en dehors de tout cadre expérimental maîtrisé.
Cette réflexion est liée à des enjeux économiques majeurs qu’il convient de ne pas ignorer.
Lionel DUNET: Il me semble que l’on dispose de moins d’outils d’intervention dans les
centres villes en comparaison avec les zones en développement. La situation est nettement
plus complexe là où les acteurs sont plus nombreux, les populations en place plus fragilisées,
des imbrications de fonctions plus prégnantes…
Fabien SÉNÉCHAL: … en fait, on est en présence d’une complexité culturelle liée à la
sédimentation qui fait la richesse du lieu et qui implique un échange renforcé avec les usagers
pour trouver des solutions durables. Par exemple, le phénomène des rues commerçantes qui
ont progressivement fait disparaître les logements en condamnant l’accès aux étages impose
de mettre en œuvre des dispositifs permettant de retrouver des modes d’organisation plus
harmonieux. Ces actions apparaissent en effet complexes, même s’il existe une palette
d’outils spécifiques que maîtrisent bien les villes dotées de services techniques structurés.
J’observe que les villes petites et moyenne rencontrent plus de difficulté à gérer cette
complexité propre aux centres anciens en raison d’un déficit en ingénierie.
Lionel DUNET: C’est aussi, au-delà de la maîtrise des outils, la capacité à organiser la
réflexion collectivement qui est importante pour réussir ces actions de revitalisation. La
capacité à penser ensemble n’est pas encore totalement acquise. Un architecte, par exemple,
aura du mal à traiter seul une problématique commerciale ou des questions relatives aux
déplacements.
Fabien SÉNÉCHAL: Il manque souvent un chef d’orchestre, quelqu’un qui soit capable de
mettre en musique l’ensemble des contraintes dans la bonne temporalité. On peut s’interroger
sur qui est le plus à même de jouer ce rôle de coordinateur chargé d’organiser le dialogue :
l’élu, l’architecte, l’urbaniste ?
Sylvie ROBERT: Au risque de me fâcher avec la profession, je dois avouer que j’ai
rencontré, dans ma vie d’élue, pas mal d’architectes qui considéraient qu’ils produisaient
avant tout une œuvre. Or je pense qu’en matière de logement, la question de l’usage doit être
prépondérante. On observe d’ailleurs l’émergence de nouvelles formes d’association des
habitants aux processus de conception du projet. Cette approche, portée par des collectifs
d’architectes de plus en plus nombreux, est, selon moi, la meilleure façon d’intéresser le grand
public à la question de l’architecture. Il me semble que l’on assiste à une évolution de
l’architecture conçue comme un simple objet vers une appréhension plus politique de la
démarche architecturale. Les architectes, comme les politiques, ont intérêt à trouver la bonne
distance et à faire preuve d’une certaine humilité pour prendre en compte la parole de l’usager
dans une nouvelle forme de processus d’élaboration collective du projet architectural. Notre
expérience de budget participatif à Rennes montre que l’on peut produire de la réflexion
différemment en considérant les citoyens, non pas comme de simples consommateurs, mais
comme des contributeurs à part entière des politiques d’aménagement du territoire.
Fabien SÉNÉCHAL: Je suis très sensible au terme d’”humilité” que vous avez employé à
propos des architectes et je pense qu’il peut s’appliquer à l’ensemble des intervenants, du
maître d’ouvrage au concepteur en passant par l’élu ou par l’ABF qui reste conscient que son
intervention au regard de l’insertion du projet dans son contexte s’inscrit dans un processus
décisionnel complexe. Face au maître d’ouvrage ou au maître d’œuvre, l’ABF a vocation à
approfondir les liens qui se tissent entre le projet et son environnement. On a tous intérêt à
faire preuve d’humilité face à cette dimension collective de l’acte de bâtir qui a vocation à
s’inscrire durablement dans un contexte à forte valeur culturelle. On revient à ce que l’on
disait précédemment concernant l’intérêt à mettre tout le monde autour de la table pour bâtir
la complexité.