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Philippe Hugon
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Philippe Hugon
La politique économique
de la France en Afrique
La fin des rentes coloniales ?
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nouvelles puissances asiatiques, et avec la réorientation
de la France vers l’espace européen et mondial. En même
temps, la France reste au cœur de l’Afrique par sa présence
militaire, culturelle, géopolitique mais également par
ses intérêts économiques et le rôle des réseaux. On
observe également un certain découplage entre les
intérêts économiques et les enjeux géopolitiques dans
la tradition de l’époque coloniale où dominait un capi-
talisme rentier bénéficiant des protections alors que
le capitalisme dynamique s’investissait ailleurs.
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nouvelle. Se pose alors, au regard de ce hiatus grandissant, la question de savoir
s’il existe véritablement une politique économique de la France en Afrique,
héritée de l’empire, ou si ne se déploient sur le continent que les stratégies
de moins en moins coordonnées de firmes françaises multinationales, engagées
comme leurs concurrentes dans la mondialisation, et donc à ce titre très inégale-
ment attirées par les marchés africains.
On discutera ici des évolutions des trois volets principaux des relations
économiques entre la France et l’Afrique : les relations commerciales, les liens
monétaires et la politique d’aide et de développement. On conclura à la diver-
gence croissante entre la politique économique à proprement parler et les
intérêts économiques français, qui se redéploient hors de la zone franc.
1. J. Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984.
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extérieur français décroître ; c’est tout particulièrement vrai pour l’Afrique
francophone, pourtant un partenaire historique du capitalisme français. Ainsi,
la France demeure le premier fournisseur du continent dans son ensemble
mais n’est que son second client avec respectivement 15 % des importations
du continent et 10 % de ses exportations (50 milliards de dollars US en 2005 2).
À titre de comparaison, notons que les États-Unis comptaient la même
année pour 7,5 % des importations et 21 % des exportations de l’Afrique
dans son ensemble (70 milliards de dollars US, exportations plus importations).
Le poids de la zone franc dans le commerce extérieur français est tombé à
seulement 1,0 % en 2006, alors que la France a absorbé à elle seule environ un
quart des exportations de la zone. Maghreb compris, la part de l’Afrique dans
les exportations françaises est passée de 8,7 % en 1970 à 5,6 % en 2006, et le
continent a fourni cette dernière année 4,5 % des importations françaises.
Les relations commerciales avec l’Afrique permettent à la France de déga-
ger un excédent commercial confortable – elles contribuent à cet excédent
pour 3,2 milliards d’euros en 2004, dont 1,8 milliard pour l’Afrique subsaha-
rienne. On constate également aujourd’hui le maintien des firmes françaises
dans le secteur pétrolier ou dans des niches liées à des situations de quasi-
monopole qui résultent de la connaissance du terrain ou de plus grandes prise
de risques. Dans l’ensemble, les marchés africains sont rentables pour les
firmes françaises. Celles-ci bénéficient des avantages liés à la monnaie unique
dans les pays de la zone franc, des mécanismes de coopération monétaire et
d’appuis directs de l’État français, des soutiens de la Compagnie française
d’assurance du commerce extérieur (Coface), une société publique qui garantit
les risques des exportateurs français, et des réseaux français. Jusqu’à la fin des
années 1990, l’aide liée a ouvert des contrats à des firmes françaises, notamment
de bâtiment et travaux publics (Bouygues, Dumez) ou dans l’eau et l’électricité
(Bouygues, Électricité de France, Lyonnaise des Eaux, Vivendi). Mais les intérêts
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57 La politique économique de la France en Afrique
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nications et des filières coton.
On note toutefois, dans l’ensemble, que les firmes françaises qui s’insèrent
dans la globalisation tendent à se retirer d’Afrique francophone ou à diversifier
leurs implantations (exemple de Total). Le stock d’investissements directs
français détenus par la France en Afrique est estimé à 4,9 milliards d’euros,
soit 1,5 % des IDE français dans le monde et 4 % seulement des stocks d’inves-
tissements directs étrangers (IDE) en Afrique – la France vient en quatrième
rang des investisseurs après la Grande-Bretagne (13 % du stock), les États-Unis
(8 % du stock) et les Pays-Bas (5 % du stock). En revanche, les IDE français
comptent pour 20 % du total des IDE réalisés dans la zone franc. Les trois quarts
de ces investissements portent sur le Gabon, le Cameroun, la Côte d’Ivoire
et le Congo Brazzaville. Hors zone franc, les intérêts économiques en Afrique
sont essentiellement miniers et pétroliers (Angola et Nigeria). La firme Total
est implantée dans 40 pays africains ; elle est le premier distributeur d’hydro-
carbures, possède 7 raffineries et est présente dans plus de 10 pays dans
l’exploration. En outre, les firmes françaises sont présentes de manière signi-
ficative en Afrique du Sud. En dehors de la zone franc, où sont installées
731 filiales d’entreprises françaises, c’est ce pays qui totalise le plus de filiales
françaises (170) 4. Ce redéploiement du capitalisme français résulte prin-
cipalement des enjeux pétroliers et de la volonté d’être présent sur des marchés
plus conséquents que ceux des pays francophones de l’Afrique, notamment
en Afrique du Sud.
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français et la disparition des contrôles des changes. La zone franc n’a pas non
plus disparu avec la dévaluation des francs CFA en janvier 1994 ou la mise en
place de l’euro en 1999. Elle a, en revanche, évolué. D’espace commercial pré-
férentiel, elle est devenue un espace financier privilégié ; de système centra-
lisé et hiérarchique de défense externe de la monnaie dans un espace protégé,
elle s’est muée progressivement en une institution plus souple de coopération
monétaire et de souveraineté concertée, même si des relations asymétriques
demeurent entre la monnaie clé ou véhiculaire, l’euro, et les monnaies CFA
satellites. Avec la mise en œuvre de la dévaluation en 1994, l’approfondissement
des intégrations régionales internes au cours des années 1990, le contrôle des
indicateurs de convergence au sein des unions monétaires, et la mise en œuvre
de politiques rigoureuses et de règles prudentielles par des banques régionales
plus indépendantes des pouvoirs politiques, les unions monétaires d’Afrique
occidentale et centrale sont désormais moins dépendantes du Trésor français
dès lors que sont mises en place des politiques de convergence et d’équilibres
financiers au sein des deux unions monétaires. La mise en place de l’euro n’a
pas supprimé les liens entre le Trésor français et les banques centrales africaines,
mais elle les a rendus moins exclusifs et plus transparents, en accroissant le
droit de regard de la Banque centrale européenne. On note également une
évolution divergente des deux unions monétaires, la Cemac et l’UEMOA.
Cette évolution tient à la fois aux changements des règles de convertibilité
des monnaies entre les deux monnaies CFA et aux conjonctures asynchrones
des deux unions monétaires : ainsi en 2006, la Cemac a connu une très forte
croissance liée au boom pétrolier, alors que l’UEMOA, malgré une croissance
significative (de l’ordre de 5 % par an), a subi les effets néfastes de la crise ivoi-
rienne. La zone CFA qui fut longtemps un vecteur de pénétration des marchés
pour les firmes françaises l’est de moins en moins. D’une part, le rattachement
à l’euro concerne l’ensemble des pays européens de la zone euro. De l’autre,
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un rôle important. Avec la fin de la Guerre froide, la dimension géopolitique
s’est réduite et a conduit à une forte chute de l’APD. Le nombre de coopérants
a baissé fortement – ils ont en partie été remplacés par le personnel des ONG.
La communauté française en Afrique est de l’ordre de 200 000 personnes
en 2006, dont 100 000 binationaux ; une bonne moitié de ces expatriés (102 000)
est établie en Afrique francophone, contre 140 500 en 1985 8. Les autres Français
se trouvent en Afrique du Nord (84 000) et en Afrique non francophone (14 000).
La tendance à la baisse de l’aide française a été nette au cours des années
1990. L’APD représentait, en 1989, 0,60 % du produit national brut (PNB)
français, et seulement 0,37 % dix ans plus tard. Entre 1994 et 2002, elle est
passée de 7,17 milliards d’euros à 5,35 milliards, soit une baisse d’environ
un quart, puis, entre 2002 et 2006, l’aide a connu une hausse apparente 9 :
de 0,31 % du revenu national brut (RNB) français en 2001, l’APD est passée
à 0,47 % en 2006. Mais cette hausse relève largement de l’illusion d’optique :
entre les gels de crédits et la manipulation des statistiques de l’APD (avec
5. Nous passerons plus rapidement sur cet aspect qui est traité dans un autre article du dossier.
6. Créée en 1994, l’UEMOA vise la convergence des politiques économiques des pays membres :
Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo. Créée plus tôt, en 1964, la Cemac
regroupe les pays d’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale,
Tchad), et a pour objectif la création d’un marché commun.
7. Le champ était la zone d’intervention privilégiée de la France en Afrique. Il comptait, vers la fin
des années 1980, 34 pays africains dont la plupart étaient francophones ou lusophones.
8. Le Monde, 14 février 2007, citant une source du ministère des Affaires étrangères.
9. En 2004, le montant de l’APD est programmé à 6,8 milliards d’euros soit 0,43 % du produit intérieur
brut. Voir J.-M. Debrat, J.-J. Gabas et P. Hugon, « La politique française de coopération au
développement », in L’Aide et la coopération française, Paris, La Documentation française, 2004 ;
Coordination Sud a recalculé l’aide en la réduisant de moitié. Voir Coordination Sud, « L’APD fran-
çaise et la politique de coopération au développement », Paris, novembre 2005.
LE DOSSIER
60 France-Afrique. Sortir du pacte colonial
l’intégration de dépenses telles que celles liées à l’accueil des réfugiés et des
étudiants étrangers, les aides aux TOM ou encore des annulations et des
allègements de dette), l’État affirme avoir alloué 8 milliards d’euros à l’APD,
alors que les dépenses réelles n’ont été que de 4,1 milliards d’euros. On peut
donc parler d’une augmentation en trompe-l’œil de l’APD. Les mesures
d’allègements, par exemple, portent essentiellement sur de vieilles créances
des pays pauvres très endettés (PPTE), de toute façon irrécupérables, et la
réorientation apparente de l’APD française vers ces pays tient en fait largement
à cet allègement de la dette.
Il ne faut toutefois pas présumer que ces réductions signifient un désen-
gagement vis-à-vis de l’Afrique. Car l’aide est aussi un vecteur d’influence
diplomatique. La France demeure l’un des premiers pays donateurs tant en
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valeur absolue qu’en pourcentage du RNB. L’aide française continue d’ailleurs
de s’orienter pour les deux tiers vers l’Afrique, et pour moitié vers les pays les
plus pauvres. En 2006, l’aide française s’oriente prioritairement vers l’Afrique
subsaharienne notamment francophone puis vers l’Afrique du Nord et
l’Océanie (Territoires français d’Outre-mer). On constate ici un découplage
significatif entre les zones les plus aidées et celles où les intérêts commerciaux
et énergétiques sont les plus importants – les principaux partenaires commer-
ciaux de la France, le Nigeria, l’Angola et l’Afrique du Sud, sont parmi les moins
aidés. Contrairement aux pays asiatiques nouveaux venus sur le continent,
l’État français semble aujourd’hui moins que par le passé utiliser son APD
en appui des intérêts commerciaux ou énergétiques de ses entreprises. Les trois
piliers, économiques, politiques et militaires, de la politique française en
Afrique sont ainsi déséquilibrés.
Cette tendance à se focaliser sur l’Afrique s’applique de manière plus géné-
rale à la politique française de coopération 10, ce dernier terme se référant non
seulement à l’APD mais aux relations générales entre la France et l’Afrique ainsi
qu’à leurs liens institutionnels. La « nouvelle politique française » vis-à-vis de
l’Afrique à partir de 1997 traduisait à la fois une volonté de réduire la caco-
phonie institutionnelle liée à la pluralité des centres de décision, de rééqui-
librer les structures chargées de la coopération, de rompre avec des relations
clientélistes de la « France-Afrique », de couper le cordon ombilical avec les
anciennes colonies, de définir de nouvelles priorités pour le développement
et de changer de cap. Elle reflétait, en même temps, un certain désenchantement
à l’égard du continent africain oscillant entre l’indifférence et l’ingérence. Il
s’agissait encore de rationaliser la gestion, de favoriser la concertation entre
les différents acteurs et d’élargir les zones de coopération par la création de
la zone de solidarité prioritaire 11. Cette réforme a accordé un rôle prédominant
au ministère des Finances et au Trésor tandis que l’Agence française de
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Afrique est destinée aux hôpitaux, dont deux tiers sous forme d’assistance
technique. Et si l’on note bien une augmentation des appuis aux secteurs
sociaux depuis la mise en place des Cadres stratégiques de réduction de la
pauvreté (CSRP) qui se sont substitués aux programmes d’ajustement, le
montant en restait en 2004 inférieur à 10 % 12.
Un effort important est aussi affiché pour le désendettement. La France
s’est ainsi engagée à annuler la totalité de ses créances d’APD sur les pays
éligibles à l’initiative PPTE 13. Les contrats de désendettement-développement
(C2D) reposent sur un mécanisme de refinancement par dons, afin que les
volumes financiers libérés par l’arrêt des remboursements soient utilisés
dans les CSRP et qu’ils soient cohérents avec la « stratégie-pays » définie par
la France. Pour la France, qui est, avec le Japon, le principal créancier d’aide
publique du continent, les montants sont conséquents. Par ailleurs, les pays
bénéficiaires demeurent en nombre limité. En 2006, 14 pays africains seulement
avaient atteint le « point d’achèvement » leur permettant de bénéficier d’une
réduction forte de la dette. Les annulations de dette ne garantissent pas un
désendettement significatif de l’Afrique, ni l’accès aux capitaux publics dont
elle a besoin.
La politique française affiche un souci d’une coopération citoyenne, qui
favorise la société civile et la démocratie participative et représentative, ainsi
10. Sur la réforme de la coopération, on se reportera au texte de J. Meimon dans le présent numéro.
11. Voir sur cette question G. Cumming, « Normalisation without banalisation: towards a new era in
French African aid relations », Modern and Contemporary France, n° 3, 2000, p. 359-370.
12. J.-M. Debrat, J.-J. Gabas et P. Hugon, « La politique française… », art. cit.
13. Le PPTE se réfère à l’initiative de forte réduction de la dette multilatérale pour les pays pauvres
très endettés. Voir M. Raffinot, « L’annulation de la dette en débat », Cahiers français, n° 310, 2002,
p. 79-96
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soutien aux filières agricoles africaines. Les liens entre l’aide française et les
biens publics mondiaux, renvoyant à la gestion de biens communs et d’inter-
dépendance entre le Nord et le Sud ont été affirmés notamment par l’Agence
française de développement et par la Suède et ont conduit notamment à
l’adoption par la France d’une taxe sur les voyages aériens, affectée à des
dépenses de santé. La France a, par ailleurs, délié l’essentiel de son APD, suivant
sur ce point avec retard l’exemple d’autres pays notamment du Royaume-
Uni. Ce déliement découle des accords d’Helsinki de décembre 1991. La part
des dons et des prêts à des taux bonifiés a augmenté dans l’aide.
D’autres infléchissements concernent les aides programme (destinées à
financer un ensemble de mesures) et projet (destinées à financer des projets
précis) au profit de l’aide budgétaire (assurant le financement des dépenses
d’investissement public notamment, voire de fonctionnement). L’aide pro-
gramme a enregistré une forte baisse depuis 1994 en raison de la réduction
des fonds alloués aux programmes d’ajustement structurel. Sur la période
1994-2000, les aides projets avaient baissé de plus de 60 % du fait d’une réduc-
tion des financements alloués dans le cadre du Fonds de solidarité prioritaire
(FSP), un outil budgétaire géré par le ministère des Affaires étrangères, ainsi
que de ceux financés par le Trésor. Les pays pétroliers sont toujours favorisés ;
un accent fort n’est toujours pas mis sur la pauvreté ; les C2D offrent peu de
capitaux frais et les mesures d’allègement de la dette demeurent insuffisantes.
Il existe donc toujours un écart entre le discours et la pratique de la politique
d’aide de la France.
Bien entendu les relations économiques entre la France et l’Afrique ont
d’autres dimensions. La question migratoire est importante avec des besoins
économiques de la France en main-d’œuvre non qualifiée et de plus en plus
en travailleurs qualifiés et en « cerveaux », avec une forte pression migratoire
de la part de certaines régions africaines (notamment de la Moyenne vallée du
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découplage croissant entre les intérêts économiques et géopolitiques. Les
interventions militaires en 2007 au Tchad (où la France n’a pas d’intérêts pétro-
liers) et en Centrafrique en sont le signe.
14. J.-M. Debrat, J.-J. Gabas et P. Hugon, « La politique française… », art. cit. ; Comité d’aide au déve-
loppement de l’OCDE, Rapport Coopération pour le développement, Paris, 2005.
15. À Johannesburg, au sommet du développement durable en août 2002 dans son discours sur la
« maison qui brûle », Jacques Chirac a souligné l’urgence des mesures à prendre dans le domaine
environnemental.
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unies en 2000. Depuis la doctrine d’Abidjan, exposée par le Premier ministre
Édouard Balladur en septembre 1993, et la dévaluation de janvier 1994, les règles
du jeu ont largement changé. Les pays africains membres de la zone franc
ont ainsi perdu leurs « droits de tirage automatique » qui leur avaient long-
temps permis de voir leurs déficits couverts par la France. Celle-ci est devenue
un prêteur résiduel, qui se situe au second rang par rapport aux institutions
de Bretton Woods et de plus en plus derrière la Chine, et qui intervient après
mobilisation des organisations multilatérales, notamment la Banque africaine
de développement (BAD). Il en résulte une certaine normalisation des relations
des pays africains avec l’ancienne « mère nourricière ». L’éligibilité à l’aide
multilatérale et bilatérale est subordonnée au fait d’être « on track » (sur les rails)
dans les négociations avec les institutions internationales. On peut ainsi parler
d’un oligopole de l’aide partiellement coopératif avec leader et donc d’une
coordination hiérarchisée 16. La politique africaine de la France s’est pro-
gressivement inscrite dans un contexte de multilatéralisme (OMC, Fonds
monétaire international, Nations unies) et de plurilatéralisme (multiplicité
des accords de libre-échange et accord de partenariat économique au sein de
l’Union européenne). Il en est résulté un alignement relatif sur des politiques
plus libérales privilégiant l’ouverture, la libéralisation interne et externe, le
secteur privé, et la bonne gouvernance. Certaines compagnies françaises,
déjà bien engagées dans les logiques de la globalisation, ont su tirer parti
de cette nouvelle politique libérale, notamment en se positionnant au mieux
dans les appels d’offre des réformes de privatisation. À bien des égards,
les privatisations, loin de faire décliner l’influence du capitalisme français,
ont contribué à le renforcer. On peut toutefois observer que le déraillement
de la locomotive ivoirienne a réduit fortement la présence de PME française
et que seuls les grands groupes (Bolloré, Bouygues) ont su conserver leurs
avantages.
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membres sont de moins en moins nombreux à avoir des liens ou une proximité
géographique avec l’Afrique. Le Fonds européen de développement (FED)
affecte seulement un tiers de ses décaissements à l’Afrique subsaharienne,
soit 2,1 milliards euros en 2004, et l’aide va en priorité aux nouveaux entrants
européens. On rappellera ici que les fonds structurels européens versés aux
dix nouveaux pays entrants représentent plus de 500 euros par habitant et par
an contre moins de 15 euros d’APD de l’Union européenne aux pays africains.
Par contraste avec son ouverture sur les anciens pays de l’Est, l’Europe n’est
guère audacieuse vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne. On observe une
cohérence accrue entre les politiques des États membres d’une part et entre ceux-
ci et la politique de l’Union européenne d’autre part. On constate, par ailleurs,
un essai de mise en œuvre du principe de subsidiarité. La complémentarité
s’applique à des secteurs comme celui de la coopération au développement,
où l’Union européenne partage ses compétences. La subsidiarité s’applique
à d’autres secteurs tels que ceux de la politique commerciale ou monétaire,
où la Communauté a une compétence juridique 18. La politique commerciale
française vis-à-vis de l’Afrique se fait dans le cadre européen alors que l’essentiel
de la politique d’aide demeure déterminée par les autorités françaises.
L’Accord de Cotonou (2000), devant conduire à la signature des Accords
de Partenariat économique en 2007, est moins axé que les anciens accords
16. Voir J. Coussy, « L’appui de l’Union européenne aux ajustements structurels », in Gemdev,
La Convention de Lomé en questions, Paris, Karthala, 1998.
17. L’Afrique devrait fournir, en 2015, un quart des besoins américains. Elle couvre actuellement 30 %
des besoins de la Chine.
18. P. Hugon, « French and European coherence in international cooperation for development »,
in J. Forster et O. Stokke, Policy Coherence in Development Cooperation, Londres, Frank Cass, 1999.
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croître les marges de manœuvre dans les négociations internationales et dans
les relations avec la France. Toutefois, dans l’ensemble, les relations économiques
se situent, sauf avec l’Afrique du Sud, dans un registre postcolonial : le conti-
nent reste un réservoir de matières premières et un déversoir de produits
manufacturés. Les prêts à taux zéro conduisent à un réendettement des pays
africains. Les petites « colonies de peuplement » asiatiques et en particulier
chinoises, peuvent à terme créer des tensions. L’Inde et la Chine sont posi-
tionnées sur des produits concurrents des nouvelles spécialisations africaines
(textile, agroalimentaire). Enfin, les pratiques indiennes et surtout chinoises
permettent de contourner les règles de la communauté internationale et
sont peu regardantes vis-à-vis du non-respect des droits de l’homme ou des
normes environnementales. Elles concurrencent ainsi fortement les firmes
françaises notamment dans le domaine du BTP, de la vente d’armes, des
télécommunications.
Sur la longue durée et malgré les scories de l’histoire, on observe une
certaine normalisation des relations entre la France et son ancien empire
colonial, que précède un relâchement de leurs liens économiques.
que l’immigration tracasse et tourmente, ceux qui voient sans cesse un risque
de déstabilisation pour la Nation 22. » Selon Segolène Royal, la politique fran-
çaise doit être transparente et contrôlée par le Parlement tout en faisant appel
aux acteurs de la société civile et à une démocratie participative. La cellule
élyséenne doit disparaître et les accords de défense et de coopération mis à
plat. La question prioritaire soulevée par la campagne demeure néanmoins
une question de politique intérieure, en l’occurrence celle de l’immigration.
On note des différences de fond, au-delà du consensus entre Ségolène Royal
et Nicolas Sarkozy sur le lien entre codéveloppement et migration. S. Royal
croit davantage aux mesures décentralisées et aux actions participatives et
son discours affirme renvoyer à une « utopie réalisable », tandis que celui de
N. Sarkozy renvoie plus à la realpolitik. Celui, plus combatif, de F. Bayrou
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dénonce les politiques « criminelles » agricoles des États-Unis et de l’Europe.
Dans ces prises de positions, beaucoup de questions restent sans réponses.
La France doit-elle se désengager de l’Afrique ou du moins normaliser ses
relations avec un continent marqué par des crises lointaines et complexes,
ou doit-elle au contraire affirmer sa présence, au vu des nouveaux enjeux
stratégiques – l’accès aux ressources naturelles, la montée de nouvelles puis-
sances, les interdépendances environnementales ou épidémiologiques, le
terrorisme ? La France doit-elle mener une politique africaine réaliste, et
maintenir ses bases militaires, sa ligne diplomatique et ses alliances durables
avec certains États africains, malgré leur fermeture politique ? Doit-elle plutôt
s’orienter vers plus de transparence, une meilleure utilisation des fonds de
coopération et une diversification de ses partenaires ? Doit-elle transférer l’es-
sentiel de ses prérogatives à l’Europe, dans le domaine monétaire, militaire et
diplomatique ? Doit-elle, au contraire, avoir une « diplomatie transforma-
tionnelle », assumant un devoir d’ingérence, exerçant une pression en faveur
de réformes politiques ?
La question du devenir de la zone franc demeure importante pour la poli-
tique française à l’égard de l’Afrique. Certains y voient une survivance désuète
19. Le Stabex (Stabilisation des recettes d’exportation) limite au profit des pays ACP les fluctuations
des recettes d’exportation résultant des variations des marchés. Le Sysmin est un mécanisme de
soutien et de subvention à la production minière. Ces deux systèmes, créés dans le cadre la convention
de Lomé de février 1975, seront supprimés en 2008, après la conclusion des accords de partenariats
économiques régionaux et la suppression des avantages commerciaux dont bénéficient les
pays ACP.
20. Voir les extraits de son discours dans les documents en annexe.
21. Cité par Jeune Afrique / L’intelligent, n° 2391, 2006, p. 20-28.
22. Discours de Lille de décembre 2006 également cité en annexe.
LE DOSSIER
68 France-Afrique. Sortir du pacte colonial
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La politique de la France est mise en question par les principaux débats
concernant l’aide – qualité ou quantité ? conditionnalité ou sélectivité ? accroisse-
ment des flux ou des capacités d’absorption ? appuis bilatéraux ou multi-
latéraux ? Alors que les pays africains ne peuvent accéder aux financements
de marché, l’aide est nécessaire. Elle n’est cependant pas suffisante, du fait de
la faiblesse des organisations tant privées que publiques, à laquelle s’ajoutent
des effets pervers, des gaspillages et des fuites d’épargne – tout dépend en
fait de la nature de l’aide. Il y a priorité à coordonner l’aide avec les objectifs
des bénéficiaires et à harmoniser les procédures entre les donneurs. L’aide
ne peut être efficace que si elle accompagne des dynamiques internes et
donc si elle s’intègre dans des politiques cohérentes conçues au niveau des
États récipiendaires.
Des arguments forts – économies d’échelle, réduction des coûts de transaction
et des gaspillages, augmentation des capacités de négociation, notamment
vis-à-vis des institutions de Bretton Woods – plaident en faveur d’une subsi-
diarité qui donnerait la primauté à l’Union européenne dans plusieurs
domaines, et ils ne peuvent plus être ignorés par la France. Les capacités
financières significatives de l’Union européenne pourraient remettre en
cause l’oligopole qu’exerce de fait la Banque mondiale dans le domaine de
l’aide au développement, même si les ressources humaines et les capacités
institutionnelles de l’Union européenne demeurent insuffisantes. Pour ce faire,
les pays européens auront, bien entendu, besoin d’accepter des compromis.
À l’heure actuelle, les intérêts nationaux des États membres, tels que la France
et les pays du sud de l’Europe d’un côté, et les pays scandinaves et les nouveaux
États membres de l’autre, demeurent forts et divergents.
Économiquement, l’Afrique reste marginalisée, et les intérêts à court et
moyen terme poussent les opérateurs français vers les marchés des pays
industriels ou des pays émergents. Mais du fait de ses ressources naturelles,
Politique africaine
69 La politique économique de la France en Afrique
elle est aussi un enjeu stratégique. Alors que les conflits se multiplient autour
de l’énergie et des questions environnementales (biodiversité, forêts puits
de carbone, risques de désertification), au regard d’intérêts géopolitiques et
économiques à long terme, il paraît souhaitable, pour la France comme pour
l’Europe, de maintenir des liens privilégiés avec l’Afrique, même si cela va
à l’encontre des modes et des idéologies libérales en vogue. Une politique
de coopération active est nécessaire pour gérer les interdépendances envi-
ronnementales ou démographiques, et pour lutter contre les extrémismes
intégristes ou terroristes qui se nourrissent du chaos et contre les réseaux qui
lient les États voyous et les circuits criminels internationaux. Les investisseurs
français sont relativement frileux pour investir en Afrique malgré des taux
élevés de rentabilité car les risques sont considérés comme très élevés et que
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de nombreux pays africains jouissent d’une mauvaise réputation. Leur présence
plus importante est un pari sur l’avenir qui pourrait s’avérer profitable.
Une mise en perspective du développement à long terme permettrait de
réconcilier des intérêts contradictoires et de donner plus de cohérence aux
politiques d’aide et de coopération. Il est de l’intérêt de l’Europe et de la
France, à l’instar du Japon dans l’espace est-asiatique ou des États-Unis dans
l’espace américain, que leurs espaces de proximité ou périphériques connais-
sent une dynamique d’élargissement des marchés et de croissance des revenus
et soient une zone de stabilité évitant un environnement de turbulence ■
Philippe Hugon
Université Paris X-Nanterre
et Institut de relations internationales et stratégiques