Vous êtes sur la page 1sur 12

L’IMAGE REINE

Jacques-Alain Miller
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
L'École de la Cause freudienne | « La Cause Du Désir »

2016/3 N° 94 | pages 18 à 28
ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040978
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2016-3-page-18.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne.


© L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page18

LE CHAMP DE L’OBJET

L’image
L’IMAGE REINE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
Jacques-Alain Miller

«
L
’image reine », c’est le terme qui m’est immédiatement venu lorsque les collègues
brésiliens m’ont sollicité quant au titre de cette Rencontre*. Ce titre évoque l’ou-
verture plutôt que la fermeture. De plus, il convient bien pour une rencontre à
Rio de Janeiro, ville qui est en soi un spectacle d’une grande beauté – où mieux
étudier la souveraineté de l’image ?
Bien que « l’image reine » ne soit pas une catégorie appartenant à la langue de notre
paroisse – pour reprendre cette formulation d’un de nos collègues – ce titre a tout de suite
été retenu pour ces Journées, suscitant de nombreux travaux, dont certains déjà publiés
dans le volume de la Rencontre.

Un homologue du signifiant-maître

J’ai introduit l’expression « image reine » comme homologue dans l’imaginaire, de


l’expression « signifiant-maître » dans le symbolique. Le signifiant-maître, lui, appar-
tient à notre paroisse, laquelle compte d’ailleurs beaucoup de paroissiens.
Le signifiant-maître n’est pas une catégorie freudienne. C’est une invention de Lacan,
forgée de manière artificielle et qui désigne, à proprement parler, le signifiant par lequel
le sujet cherche à être représenté dans le symbolique, inscrit dans la chaîne signifiante.
Cependant, replacé dans l’œuvre de Freud, dans la terminologie psychanalytique, ce
syntagme regroupe et met en série des concepts qui, sans cela, resteraient déconnectés –
de l’Idéal du moi au Nom-du-Père.
Notre paroisse est habituée à ce terme de signifiant-maître, qui – il faut le dire – se
comprend de lui-même. Ses effets de résonance s’étendent au-delà de notre champ. Et
ce, bien que tout signifiant puisse venir à la place d’un autre. Car rigoureusement il n’y
a pas de signifiant privilégié. C’est la définition même du signifiant – un élément x
susceptible de métaphore et de métonymie. Puisqu’il y a égalité des signifiants, on ne

* Cette conférence d’ouverture de la Ve Rencontre du Champ freudien au Brésil, L’image reine, qui s’est tenue les 29 et
30 avril 1995 à Rio de Janeiro, a été traduite et publiée (transcription et traduction : Maria Lúcia Homem ; révision et établis-
sement du texte : Angelina Harari) sous le titre « A imagem rainha » dans Opção lacaniana, no 14, novembre 1995, p. 12-18.
Traduction : Thierry Jacquemin. Édition : Pascale Fari, avec le concours d’Hervé Damase et de Véronique Voruz.
Texte non relu par l’auteur, publié avec son aimable autorisation.

18
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page19

devrait pas parler de signifiant-maître. Par définition, tout signifiant peut se substituer
à un autre. L’expression même de « signifiant-maître » a donc un caractère paradoxal. On
peut cependant soutenir ce syntagme en pure logique ou, disons, en quasi pure logique.
N’entrons pas dans le détail, qui pourrait faire l’objet d’un séminaire. J’évoque seule-
ment le « signifiant-maître » pour introduire cette tentative que constitue le terme « image
reine ». Peut-il nous servir, pouvons-nous en faire bon usage dans le registre imaginaire ?

Les signifiants imaginaires en psychanalyse


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
Pour en revenir au registre imaginaire, une question se pose d’emblée (et je n’y répon-
drai pas, ou du moins pas complètement, dans cette conférence d’ouverture) – l’image
reine est-elle un élément du registre imaginaire, tout comme le signifiant-maître est un
élément du registre symbolique ? Cette affirmation est difficile à soutenir, sauf à signi-
fiantiser l’image. L’image ne devient vraiment un élément du registre imaginaire qu’à la
condition d’en faire un signifiant.
Ce point doit retenir notre attention. Les images se signifiantisent, elles peuvent se
transformer en signifiants, être prises comme des signifiants, puisque les images, comme
toutes choses, ne sont nommées que par la parole. Nous parlerons alors de signifiants
imaginaires. Un signifiant imaginaire est-il encore une image ? À quelles conditions une
image devient-elle un signifiant ?
Ces questions sont urgentes. L’étonnant est qu’elles n’aient pas été posées, qu’elles
n’aient pas encore de réponse typique dans notre paroisse. Cela aurait pu m’inciter à
proposer, comme titre pour ces Journées, « les signifiants imaginaires en psychanalyse ».
J’ai pourtant préféré « image reine ».

Primat du dicible sur le visible

Les images, c’est un monde, elles abondent. Il y a les images du rêve qui n’ont pas la
même structure que celles que nous percevons au réveil. Il y a les images du champ
perceptif où le visuel prédomine. La prégnance de certaines images a été étudiée par la
psychologie de la forme, la Gestalt Psychology : on a démontré qu’une formalisation opère
de manière spontanée dans la perception visuelle de certaines images. Il y a des images
que nous tentons de situer comme préalables à l’objectivité, la phénoménologie (celle de
Merleau-Ponty en particulier) a essayé de décrire le monde avec de telles images. Il y a
les images de l’art, produites et exposées pour libérer une satisfaction qui n’est pas aisé-
ment situable. Il y a les images qui proviennent de ce que la psychologie académique
appelait la faculté d’imagination. Et que nous rencontrons dans la psychanalyse sous le
nom de fantasme, spécialement en lien avec une satisfaction facilement repérable comme
masturbatoire. En fin de compte, il y a pléthore d’images. Sans oublier les masques, les
déguisements, les doubles, les simulacres et les fétiches…
C’est dans ce monde plein d’images et de théories de l’image que je pénètre avec le
signifiant « image reine » en posant cette question – en psychanalyse, quelles images

La Cause du désir no 94 19
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page20

Le champ de l’objet – L’image

dominent l’imaginaire ? Quand il s’agit de psychanalyse, y a-t-il même encore des


images ? La question mérite d’être posée dans la mesure où l’opération analytique, dans
sa façon de procéder, paraît adéquate pour défaire ce que James Joyce appelle, dans Ulysse,
l’« inéluctable modalité du visible »1.
La modalité inéluctable en psychanalyse est plutôt celle du dicible. Dans la psychanalyse,
le dicible prime sur le visible. Que faisons-nous au juste à nous occuper de l’image, à
commenter des tableaux, au lieu de laisser tranquillement cette tâche aux historiens de l’art
et même aux critiques, puisque c’est leur métier ? Encore que Rubens n’ait pas suscité beau-
coup de critiques sur son art. Mais cela a-t-il à voir avec la psychanalyse ? Si oui, pourquoi ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
J’ai évoqué les images du rêve. Mais Freud ne s’arrête pas tant sur les images du rêve
que sur son récit. Il s’agit de ce qui en est dit et non pas de l’image, de ce qui serait vu
dans une modalité très spéciale du visible.
D’ailleurs, l’expérience analytique prescrit plutôt une suspension, un endormissement
du champ perceptif au profit exclusif de la parole. Au point que recevoir le patient en
face-à-face est toujours un peu inquiétant pour lui, sorte de concession faite à la structure
et qui serait donnée au sujet, comme si le champ de l’Autre, abstrait en tant que tel, devait
s’appuyer sur un support corporel. Avec l’espace laissé au voir, à la perception, dans le
face-à-face, on peut toujours se demander – et les patients se le demandent – si l’on est,
ou pas, dans le discours psychanalytique. Ce peut être le cas, mais cela génère malgré tout
de l’inquiétude quand le visuel, le perceptif, insiste dans le champ analytique. En vérité,
dans une psychanalyse, il n’y a rien à voir et il y a tout à dire. Quand bien même se dérou-
lerait-elle en face-à-face, c’est toujours une invitation pour le sujet à s’abstraire de l’iné-
luctable modalité du visible et à renoncer à l’image au profit du signifiant.

Nos trois images reines

Dans ce naufrage de l’image, certaines subsistent pourtant. Et ce, pour la raison qu’elles
se concentrent dans les dits des patients ou les déductions de l’analyste – la référence élec-
tive à l’image n’est en effet pas l’apanage du patient. Ces images qui survivent au naufrage
du monde de l’image en psychanalyse, nous pouvons les appeler les « images reines » de la
psychanalyse. J’en trouve trois, pas plus – le corps propre, le corps de l’Autre et le phallus.
Premièrement, le corps propre. C’est le corps qui m’appartient. À chacun son « mon
corps ». Pour Lacan dans son stade du miroir, il s’agissait d’une forme visuelle dont il
entendait montrer qu’elle était la matrice du moi. Il a donné au concept freudien de
narcissisme sa référence à partir du corps propre. C’était faire du moi rien d’autre que
l’idée de soi-même comme corps 2, définition qu’il donne dans son Séminaire sur Joyce,
c’est-à-dire dans les derniers moments de son élaboration. L’image du corps propre appel-
lerait bien d’autres développements que je vous épargne.

1. Joyce J., Ulysse, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1929 / 1957, p. 58.
2. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 150 : « l’idée de soi comme corps a un poids.
C’est précisément ce que l’on appelle l’ego ».

20
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page21

Jacques-Alain Miller, L’image reine

Deuxièmement, le corps de l’Autre. C’est celui sur lequel, selon Freud, nous lisons la
castration. Chez Freud, la castration est pour ainsi dire une castration optique. Sa réfé-
rence à l’anatomie – « l’anatomie c’est le destin »3 – concerne en premier lieu non pas
l’anatomie scientifique, mais le champ de la vision. En même temps, cette forme se prête
à la formalisation signifiante, puisque c’est le support d’une présence et d’une absence.
C’est justement ce que Lacan souligne à propos de la troisième image reine, le phallus.
Le phallus n’est pas l’organe masculin de la reproduction, mais sa forme érigée et trans-
formée en signifiant, tout en conservant ses articulations imaginaires. D’ailleurs, c’est à
propos du phallus que Lacan a risqué l’expression « signifiant imaginaire »4 sur laquelle
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
nous pourrions revenir. Les objets qui, dans la clinique, méritent d’être appelés
« fétiches », dérivent du phallus.
Voilà en fin de compte ce que la psychanalyse extrait du monde des images : trois
images reines. Ajoutons que chacune d’elles convoque un opérateur spécial qui agit dans
le champ de la vision. Tout d’abord le miroir qui redouble et divise l’espace en trois
dimensions. Ensuite le voile – appelé vêtement quand il recouvre le corps – qui opère la
conversion magique, et métaphysique, du rien en quelque chose. Voiler une chose, rien
de plus précieux quand c’est le rien qui est voilé. Car voiler le rien, c’est sans doute le faire
exister. Le voile peut être ainsi désigné comme voile du rien pour laisser aux autres le soin
de lui faire révéler définitivement quelque chose. C’est l’opération subtile du travesti.
En troisième lieu, une série de mots, le support, le piédestal, le cadre, la fente, la fenêtre,
bref, toute une série d’opérateurs visuels qui délimitent, isolent, ce qui peut être offert,
exposé, par ce moyen, comme image Une. C’est dans cette série que nous rencontrons
les opérateurs qui, de la meilleure manière, font des signifiants à partir des images. Ceci
vaut aussi pour le miroir et le voile, étant donné que ces opérateurs isolent l’image en
accentuant, en marquant son unité, sa valeur unitaire. Dès lors qu’il y a image Une, elle
est signifiantisée.
Voilà les trois images reines. Je me suis contenté de regrouper trois images reines et
trois opérateurs, une série d’opérateurs du visible qui ont un effet de signifiant. Dès lors,
que vient apporter la catégorie de l’image reine, si, en dernière analyse, quand une image
est réelle, elle est signifiante ? Pourquoi ne pas nous contenter de la catégorie du signi-
fiant-maître ?

L’image, une modalité inévitable du fantasme

Il y a cependant au moins une différence entre signifiant-maître et image reine – les


images reines ne représentent pas un sujet, elles sont coordonnées avec sa jouissance. Je
soumets à la discussion le fait que ces images reines soient toutes trois impliquées dans
le fantasme. Pour ne pas rester dans ce monde si pauvre en images, je réunis ces trois
images reines en tant que présentes dans le fantasme de chacun.

3. Freud S., « La disparition du complexe d’Œdipe », La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 121.
4. Cf. Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, Paris, Seuil, 1966,
p. 823.

21
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page22

Le champ de l’objet – L’image

Le fantasme est sans aucun doute de notre paroisse. Considéré comme une phrase, il
a la fonction d’un axiome. Mais le fantasme relève aussi de l’imaginaire. L’image est une
modalité inévitable du fantasme. Quand il n’y a qu’une phrase, sans qu’elle soit liée à une
image ou à une représentation, il est difficile de qualifier cette instance de fantasme. En
pratique, nous exigeons un élément imaginaire pour parler de fantasme et le reconnaître
comme tel. Il n’y a pas d’objection à ce que je parle ici de « phrase-image » en me réfé-
rant au fantasme. Une phrase-image, nous le savons, est habituellement une image figée.
Évidemment, cette stase est magnifiée lorsque nous sommes captivés. Une image figée
peut être une image-mouvement. Mais quand il s’agit d’une image fantasmatique, un
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
mouvement répétitif fermé sur lui-même prédomine toujours. L’image fantasmatique
est essentiellement une image immobile, un élément suspendu, fixe et erratique.
Disons que la souveraineté de l’image, si elle existe, procède d’une capture signifiante
de la jouissance. Est-ce une souveraineté ultime ? Ces images sont sans nul doute sous
un empire, l’empire du regard. Je parle d’empire parce que le regard n’est pas une image
reine. De plus, dans sa définition, le regard proprement dit est le « sans image ». À travers
lui, nous trouvons une représentation, un supplément. J’y reviendrai, le regard est « en
plus », mais ce n’est pas une image reine.
Ces trois images reines relèvent toutes du corps, il y est question du corps. Elles
marquent une fascination pour le corps, en particulier pour le corps propre de l’homme,
du parlêtre. Cette prévalence unique du regard en comparaison avec le monde animal
dénote une certaine dysharmonie de l’homme avec le monde. Cette prévalence du corps
propre surgit précisément de la dysharmonie signifiante.

Le lieu où l’imaginaire s’amarre à la jouissance

Le corps analytique se distribue selon ces trois images reines, au point que nous pour-
rions dire : « Le corps, c’est ça, nous savons ce que c’est. » Or nous ne savons pas ce que c’est.
Par exemple, quid de l’image reine pour les Grecs de l’Antiquité qui ne connaissaient
pas la psychanalyse ? « Le visage », nous répondraient-ils, ou du moins inscriraient-ils
celui-ci parmi les images reines.
Prosopon, le terme grec pour « visage », désigne ce que nous présentons à la vue des
autres, précisément par contraste avec le reste du corps, plus ou moins voilé par le
vêtement. Il s’agit plus exactement de la face, de la partie située en dessous du metopon,
de la tête. Définissant le prosopon comme la partie de l’homme comprise entre la tête
et le cou, Aristote célèbre la fonction du visage comme ce qui est présenté à l’autre. Car
l’homme, comme l’avait aussi observé Freud, est le seul animal qui se tient debout,
regardant devant lui et projetant sa voix en avant. Le visage grec est celui qui émet en
même temps le regard et la voix, c’est celui qui parle et qui voit – et ce, en même temps
qu’il est vu, dans une parfaite réversibilité. De sorte que le prosopon grec est vraiment
le blason du sujet, ce que chacun porte en lui et qu’il expose aux yeux de tous, mani-
festant ainsi sa propre individualité. Le visage est alors l’image comme signifiant du
sujet.

22
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page23

Jacques-Alain Miller, L’image reine

Curieusement, le même mot est utilisé pour désigner le masque. Mais le masque grec,
comme le montre un érudit dans une œuvre que je viens de terminer, ne masque rien
– contrairement à ce qu’il est pour nous aujourd’hui – ; il représente et identifie.
Seule exception dans toute la littérature grecque, un unique personnage dont le visage
est décrit comme un masque – Socrate, pour lequel, précisément, le visage n’est qu’ap-
parence. Socrate est le seul Grec à penser que le visage n’est qu’une apparence de l’être.
Voilà pourquoi Platon souligne que Socrate ne s’adresse pas au visage d’Alcibiade mais
à son âme. Socrate est le paradigme, l’exemple parfait de sa propre théorie, car il était
d’une laideur parfaite, une laideur achevée. Son visage est un masque au sens où on l’en-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
tend aujourd’hui, il dissimule la beauté cachée à l’intérieur. Vous le savez, son visage est
comme un masque de Silène, masque fort peu attrayant et qui, sous cette apparence,
recèle justement l’objet précieux, l’agalma.
Comme le suggère Lacan, ici commence peut-être quelque chose de la psychanalyse.
L’analyste se veut « sans visage », en tant qu’il dissimule l’image invisible de l’agalma,
l’objet auquel un voile est intimement associé, un voile qui dissimule justement le rien.
Chez les Grecs, il n’y a que Socrate pour annoncer la psychanalyse, puisque celle-ci
consomme la décadence de l’image reine qu’est le visage, le prosopon.
Laissons le visage grec à son Antiquité, ce n’est plus le nôtre, sauf quand, comme
Socrate, nous sommes des boîtes à agalma. Mais retenons que les images reines sont le
lieu où l’imaginaire s’amarre à la jouissance.

Le secret du plus-de-jouir

J’évoquerai à présent ce que j’avais à l’esprit quand j’ai proposé « l’image reine » (non
sans penser à la splendeur visuelle de Rio). Nous connaissons cette référence, l’émoi de
Freud sur l’Acropole d’Athènes et le titre qu’il lui a donné – « Un trouble de mémoire… »
Voici le cœur de la question : quand Freud s’extasie devant le magnifique spectacle de
l’Acropole d’Athènes, il n’a pas de trouble de mémoire. Le titre choisi par Freud est le
résultat du phénomène qui se produit, à savoir ce qui vient à la conscience du sujet Freud
et qui se formule de la manière suivante : Ainsi tout cela existe réellement comme nous
l’avons appris à l’école ! 5
Freud constate que cet énoncé implique une schize, une division subjective devant
l’image splendide. Il y a en lui, d’un côté, une personne qui sait que cela existe réellement
et, de l’autre, une « autre personne » [selon l’expression de Freud] qui paraît douter. Je
n’aurai pas ici le plaisir de suivre la longue analyse des méandres de sa « confusion »
– autre qualificatif employé par lui. J’irai directement à la solution qui, pour lui, résout
ce problème qu’il analyse.
Freud écrit que l’énoncé qui lui est venu à l’esprit implique qu’il a douté que l’Acropole
existe effectivement. C’est la défense contre un autre énoncé. Il a douté de l’existence de

5. Freud S., « Un trouble de mémoire sur l’Acropole », lettre à Romain Rolland, janvier 1936, Résultats, idées,
problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985, p. 223.

23
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page24

Le champ de l’objet – L’image

l’Acropole et a évoqué un doute ancien parce qu’il se défend d’un autre énoncé. C’est la
clef grâce à laquelle, nous dit-il, « toute cette situation apparemment confuse et diffici-
lement descriptible se résout d’un coup ». Cet autre énoncé, que Freud ne considère pas
comme un trouble de mémoire, est – ce que je vois là n’est pas réel. L’image de l’Acropole
provoque chez Freud cet énoncé – Was Ich da sehe [ce que je vois là] ist nicht wirklich [n’est
pas réel]. Il n’est pas question ici de Realität mais de Wirklichkeit.
Ainsi, une seconde division du sujet est dissimulée sous la première évoquée par
Freud ; nous pouvons la nommer avec un terme utilisé pour la perversion, Verleugnung,
soit un véritable démenti qui agit sur un bout de réalité. Quelle est la cause de cette divi-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
sion ? Face à la réalité perçue, ce sentiment d’étrangeté ne parvient pas à s’exprimer ;
Freud préfère parler de « trouble de mémoire » et éviter le sentiment d’étrangeté. Mais
quelle est la cause de ce sentiment contre lequel il se défend ? Le texte n’est pas ambigu,
il s’agit d’une jouissance, d’un plaisir intense, « trop beau pour être vrai ». À la percep-
tion de l’image, Freud a lié une jubilation excessive, et pour cela interdite, provoquant
la première division du sujet et le sentiment d’étrangeté contre lequel il se défend avec
le « trouble de mémoire ».
Sans doute y a-t-il, comme il le dit lui-même, une culpabilité « attachée à la satisfac-
tion d’avoir si bien fait son chemin », mais celle-ci reste fixée à un plus-de-jouir visuel.
Derrière ce mécanisme complexe surgit la figure du père. Freud en vient à évoquer le
surmoi sévère dont la censure frappe le plus-de-jouir visuel et empêche la jouissance (le
terme Genuß, jouissance, figure dans son texte). Puis il fait référence à Napoléon se tour-
nant vers son frère lors de son sacre – « Que dirait Monsieur notre père s’il pouvait être
ici maintenant ? » – autrement dit, Et s’il pouvait nous voir ?… C’est le regard du père qui,
chez Freud, perturbe la perception du spectacle imaginaire de l’Acropole.
Les frères Freud vont sur l’Acropole. La vision les comble. C’est alors que surgit le
regard du père, qui fait retour sur leur jouissance. Faut-il ajouter que ces deux juifs de
Moravie (pour qui, selon la tradition, le plus grand doit rester sans image) sont comme
une tache dans le tableau où resplendit la beauté grecque ? L’Acropole devient ainsi
l’équivalent de la célèbre boîte de sardines6 qui regardait Lacan, cet exemple fameux du
Séminaire XI. C’est aussi pour cela que Lacan pouvait dire – « Freud n’a pas besoin de
me voir pour qu’il regarde. »7
Je ne crois pas déformer le texte de Freud en démontrant que le regard qu’il évoque
(et qui relève peut-être du registre de la culpabilité), surgit avant tout du plus-de-jouir
recelé par l’image perceptive. C’est ce plus-de-jouir qui provoque la censure. La beauté
même de l’image, qui recèle le plus-de-jouir, cache le regard du père.
D’ailleurs, au-delà de l’horreur, de l’impuissance de Freud, qu’est-ce qui est voilé ?
Dans le préambule, Freud se présente comme un homme appauvri dont la production
s’est asséchée. Derrière le plus-de-jouir, derrière l’objet a, comme nous l’écrivons dans
notre paroisse, il y a le – f, la castration. Freud est à la fin de sa vie, il se présente revêtu

6. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 89.
7. Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 92.

24
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page25

Jacques-Alain Miller, L’image reine

de l’emblème de la castration et il la rencontre précisément dans ce qui a été élidé par


le champ scopique. Il n’y a pas de meilleur exemple pour comprendre que l’objet a, le
plus-de-jouir, visuel en l’occurrence, porte secrètement la castration. Freud confesse que
cet épisode l’a ravagé dans sa vieillesse. Le trouble de mémoire qui ne se laisse pas oublier,
c’est que Freud le déchiffre seulement lorsqu’il s’approche de – f en tant que vieil
homme, quasi impuissant, qui en appelle à l’indulgence de l’autre.

Une nouvelle théorie de l’image


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
Sous cet angle, cet exemple nous indique au mieux à quelles conditions se soutient
le champ de la réalité perceptive – expression complexe, sans doute. Le champ de la
réalité perceptive se soutient dans la mesure où nous disons ce que je vois est réel. Nous
ne sommes pas dans la position où Freud s’est trouvé précipité – ce que je vois n’est pas
réel. Habituellement, nous nous promenons dans le monde avec la conviction que ce
que nous voyons est réel. Cet exemple nous montre que cet énoncé banal suppose le
refoulement du sujet, du désir et de tout ce que Freud a été amené à analyser ici. Cela
suppose ce que nous avons rappelé concernant l’extraction de l’objet a, venu s’inscrire
pour lui dans le spectacle comme plus-de-jouir visuel et comme regard. Ainsi, l’homéo-
stase se vérifie dans la perception, tandis que la levée du refoulement, concomitante du
surgissement de l’objet a, s’accompagne de l’énoncé d’un sentiment d’étrangeté, ce que
je vois n’est pas réel.
Se marque ici une antinomie entre le wirklich de la perception, le réel de la percep-
tion, et le wirklich de l’objet a. Nous ne pouvons pas avoir les deux ensemble. D’où le
fait que l’un comme l’autre, chacun à son tour, peut être irréel. C’est au cœur des
exemples que Lacan donne dans le Séminaire qui nous sert de référence, Les quatre
concepts fondamentaux de la psychanalyse. Avant d’aborder le tableau, l’anamorphose, etc.,
évoquant un exemple de sa vie personnelle ainsi que l’un des rêves de la Traumdeutung,
Lacan se demande Qu’est-ce qui réveille ? 8 Toute son analyse est faite pour montrer que
ce qui réveille n’est pas la perception du monde réel, même quand une porte claque. Ce
qui réveille, c’est l’objet a dans le rêve, la rencontre dans le rêve avec une jouissance trau-
matique. La perception n’appelle pas, ou pas directement, le réveil de la conscience, à la
différence des moments où le sujet rencontre l’objet a dans son rêve. Tout se passe dans
l’espace entre perception et conscience, espace où, à travers ce que nous percevons, le
perceptum, la réalité perçue, se répète la relation du sujet avec la jouissance. En ce sens,
c’est le Trieb freudien, la pulsion, qui réveille.
On pourrait approfondir le parallèle qui s’impose entre le rêve du père, dans lequel
son fils mort lui dit Père, ne vois-tu pas, je brûle, et le trouble du fils rapporté par Freud
sur l’Acropole. Le rêve de L’interprétation des rêves où, dans sa douleur, le père vient
regarder son fils au sein de sa propre absence, et l’épisode de l’Acropole tournent autour
de la même chose.

8. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts…, op. cit., p. 57.

25
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page26

Le champ de l’objet – L’image

Lacan propose – et c’est ce qui nous réunit autour de « l’image reine » – une nouvelle
théorie de l’image dans la mesure où le champ de la perception est interrogé à partir du
désir et de la jouissance. Avant Lacan, dans les marges de Freud, le champ de la percep-
tion n’avait été abordé qu’à partir du refoulement du sujet, en éludant le plus-de-jouir.
Avant Lacan, le champ de la perception était toujours apparu comme le modèle même
de l’homéostase, ce qui comportait un certain aveuglement quant à la jouissance.
Si les Grecs ont pu élaborer quelque chose comme la contemplation, c’est dans la
mesure où le champ de la perception, spécialement le visuel, leur apparaissait comme
prévalent, le plus-de-jouir y étant mis à distance, exclu, dominé, nivelé. La phénomé-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
nologie de notre siècle a inclus la présence du corps dans le spectacle du monde, mais elle
n’a pas libéré de la proscription de la jouissance hors du champ de la perception. Elle s’est
efforcée de décrire le monde perçu dans sa pureté, c’est-à-dire hors de la jouissance, à
partir de la pure présence du perçu. Lacan a rétabli que le perceptum, mot latin pour dire
« le perçu », est, en tant que tel, impur. Ainsi a-t-il rétabli la pulsion dans le champ
scopique, s’efforçant de concevoir le champ scopique à partir de la pulsion.

Au-delà du miroir

Cela suppose, spécialement pour Lacan, un renversement complet, car cet effort
implique – prêtons-y bien attention ! – de ne pas réduire l’imaginaire, le scopique, au
spéculaire, soit de ne plus le penser à partir du miroir. Or, dès qu’il s’agit du champ de
la perception, nous sommes focalisés sur le miroir.
Lacan a d’ailleurs été le premier à construire les fondements de la réduction de l’ima-
ginaire au spéculaire, au miroir. Dans l’espace à trois dimensions, le miroir introduit avec
certitude une division entre l’Un et l’Autre, entre l’être et l’apparence. Cela permet de penser
les identifications du moi. Cependant, au motif de penser les identifications du moi, il a long-
temps oublié l’au-delà du stade du miroir, que nous pourrons aborder lors de ces Journées.
Je dirai deux mots sur le parcours de Lacan que j’ai étudié avec minutie cette année9.
Ce qui a conduit Lacan au miroir, c’est le concept freudien de narcissisme, d’où il a
déduit que la libido était de nature narcissique. Tout un pan de l’enseignement de Lacan
s’appuie là-dessus en inscrivant la jouissance dans l’ordre spéculaire. Il en résulte que la
pulsion se retrouve placée sous la dépendance de l’image. L’image est alors reine au sens
où elle semble dominer la jouissance.
J’ai détaillé dans mon cours la transcription symbolique de la libido que Lacan a
tentée avec le terme de « désir », en le concevant comme une métonymie. Lorsqu’il lui
est apparu que cette libido ne pouvait plus être réduite au désir, il a fait le Séminaire
L’éthique de la psychanalyse, situant la Chose en face du grand Autre, tout comme l’objet a
se place en face du sujet. Il a ensuite fait son Séminaire sur le transfert en le centrant sur
un objet libidinal que nous ne voyons pas, un agalma invisible.

9. Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Silet » (1994-1995), enseignement prononcé dans le cadre du Département
de psychanalyse de l’université Paris VIII, inédit.

26
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page27

Jacques-Alain Miller, L’image reine

Puis, après avoir situé l’objet entre le signifiant de l’identification et l’affect d’an-
goisse, il a posé la pulsion scopique comme paradigme. Ce sont nos références du
Séminaire XI ou de « L’objet de la psychanalyse ». Au terme de ce parcours, il a considéré
la pulsion scopique comme un paradigme de l’objet a, dans la limite de l’expérience
analytique. Pourquoi cherchons-nous, aujourd’hui encore, à situer l’objet a par rapport
à la fonction scopique ?

Une formule signifiante pure


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
Quelque chose à propos de cet objet a reste, je crois, incompris. Nous croyons que
c’est une chose. Nous pensons toujours l’objet a sur le modèle du sein ou de l’excrément
ou même du phallus, c’est-à-dire comme un objet plein en relation avec le vide du sujet.
Pendant des années, j’ai essayé sans succès d’extirper de notre usage l’expression de
« semblant d’objet » qui fait accroire que l’objet a est différent du semblant. Or, si Lacan
se réfère électivement à la pulsion scopique pour traiter de l’objet a, c’est pour montrer
que cet objet n’est ni le sein, ni l’excrément, ni le phallus, ni le regard, ni la voix. Que
cet objet a comme tel est un semblant d’être qui n’existe pas, qui n’est pas wirklich. Et
quand il est réel, tout le reste s’éteint.
Puisque nous avons beaucoup parlé de la pulsion scopique, prenons l’exemple de la
pulsion orale. Lacan signale le paradigme, le modèle idéal donné par Freud relativement
à la pulsion orale, soit une bouche qui se baiserait elle-même. C’est dire que l’objet propre
de la pulsion orale n’est en rien quelque chose qui se mange. L’objet oral, comme n’im-
porte quelle chose qui se mangerait, serait justement un leurre, un faux-semblant de la
pulsion orale. Il laisserait la pulsion éternellement insatisfaite.
Quand Lacan invente l’objet a, ce n’est pas comme double de l’objet oral, mais
comme trou, comme vide, semblant qui oblige la pulsion à le contourner. Il doit être
pensé à partir de l’exemple topologique du tore dont le trou central n’a rien de réel, étant
donné qu’il n’y a rien au-delà de sa surface topologique. C’est ce qui empêche, si vous
tracez des cercles le long du tore, de les réduire à un point. Il s’agit simplement de cette
impossibilité de réduire les cercles à un point unique. Voilà pourquoi Lacan recourt à la
topologie, à une topologie idéale, pour situer l’objet a.

27
cause 94v5_70 17/10/16 14:34 Page28

Le champ de l’objet – L’image

Les images proposées par Lacan, ses surfaces topologiques, sont les images reines de
la psychanalyse. L’objet a n’est localisable que sur ces surfaces, car en trois dimensions,
cela devient impossible. C’est une formule signifiante pure. Ce que nous appelons
couramment « objet a » est simplement le support ou l’incarnation de la formule de
l’objet a. Comme si la fonction logique et topologique que Lacan a baptisée objet a
opérait une extraction sur le corps, soustraction nécessaire pour lui décerner sa valeur de
plus-de-jouir. C’est un point sur lequel j’aimerais beaucoup insister dans un Séminaire
pour en finir avec l’expression « semblant d’objet » qui va à contresens de la question.
Le regard est précisément l’incarnation de l’objet a. C’est une incarnation matérielle,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 200.89.66.156 - 13/11/2019 13:32 - © L'École de la Cause freudienne
puisque la relation à la lumière lui est nécessaire. Dans le tableau de Rubens qui illustre
l’affiche de notre Rencontre10, on a cherché à mettre en valeur l’élément brillant permettant
de donner substance à la fonction logique de l’objet a. L’Acropole d’Athènes est sans
aucun doute inondée de lumière. Pour le dire autrement, cette fonction logique trouve
des incarnations dans le point lumineux, dans le point opaque ou dans la tache, mais
toujours en relation avec la lumière. Sans doute, le regard peut être vu comme délimité
et isolé, trouant la métrique de l’espace. Mais Lacan soutient que, si je vois le regard, je
ne vois pas l’espace d’où je suis regardé. C’est pour cela que le point regard semble
toujours surgir d’une autre dimension.
C’est dans l’anamorphose qu’une autre dimension de l’espace se déplie. On l’observe
clairement dans Les Ménines, où il faut en passer par le plan projectif pour rencontrer
l’objet invisible, – f.
Dans l’objet a, il s’agit d’une élision de structure, laquelle ne peut être représentée que
par un supplément. En tant que trou, l’objet a peut être équivalent au cadre, à la fenêtre,
à l’opposé du miroir. L’objet a ne se laisse pas capter, spécialement dans le miroir. Lacan,
qui a passé beaucoup de temps avec le miroir, le souligne. Il s’agit plutôt de la fenêtre que
nous constituons nous-mêmes, en ouvrant les yeux. Voilà qui devrait nous arrêter, car cet
objet a est celui de l’expérience de la passe.
Il ne s’agit pas d’un objet a substantiel, mais d’une pure formule. Ainsi, la chute de
l’objet a, celle qui connote la passe, ne doit pas être conçue comme un renoncement à
un avoir substantiel. Nul renoncement, nulle résignation. La passe comme chute de
l’objet a concerne l’être et ce que vous êtes en tant que fenêtre sur le réel. La passe veut
dire quelque chose comme voir la fenêtre et se connaître comme sujet de la pulsion, soit
ce dont vous jouissez en en faisant le tour dans un sempiternel échec.
En sortant, vous verrez le soleil de Rio légèrement couvert. Vous pourrez dire ce que
je vois est réel. Et alors vous laisserez l’image régner tranquillement sur vous.

10. Il s’agit de La Toilette de Vénus.

28

Vous aimerez peut-être aussi