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Manuel complet de

fortification : rédigé
conformément au
programme d'admission à
l'Ecole supérieure de guerre
(4e [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Plessix, Hippolyte Isidore. Auteur du texte. Manuel complet de
fortification : rédigé conformément au programme d'admission à
l'Ecole supérieure de guerre (4e édition refondue) par H.
Plessix,... et É. Legrand-Girarde. 1909.

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MANUEL COMPLET

DE

PAR

E. LEGRAND-GIRARDE H. PLESSIX
GÉNÉRAL DE BRIGADE COLONEL D'ARTILLERIE EN RETRAITE

Q-UAT.RIÈME ÉDITION REPOSBOB

BERGER-LEVRAULT & Cic, ÉDITEURS


PARIS NANCY
RUE DES DEAUX-ARTS, 5 —7 HUE' DES GLACIS, 18

190I
Des modifications et additions notables ont été
apportées dans la présente édition. En ce qui concerne
la fortification passagère, l'ouvrage a été mis en har-
monie avec les règlements récents et notamment avec
l'Instruction pratique du 24 octobre 1906 sur les tra-
vaux de campagne à l'usage des troupes d'infanterie»
On a donc séparé la fortification de campagne de celle
dite de position. On s'est efforcé de donner au sujet
de l'outillage des renseignements puisés aux sources
les plus récentes. On a fait, en outre, une large part
à l'étude des effets du tir.de l'infanterie et de l'artil-
lerie sur les divers retranchements.
Pour la fortification permanente, si on a cru devoir
maintenir à peu près intégralement l'étude historique
des anciens tracés baslionné et polygonal ainsi que
celle des ouvrages édifiés de 1870 à i885, on a consa-
cré plusieurs chapitres nouveaux aux dispositions les
plus récemment adoptées.
Dans l'attaque et la défense des places, on a tenu
compte de l'Instruction pratique de 1906 sur le service
du génie dans la guerre de siège et on s'est efforcé,
par l'étude des événements du siège de Port-Arthur,
VI PREFACE
de rechercher dans quelle mesure sont encore appli-
cables les procédés d'attaque actuellement réglemen-
taires ou consacrés par l'usage.
Enfin, Vorganisation de l'arme du génie et de ses
services a été mise à jour ; on a donné plus d'exten-
sion qu'autrefois à l'étude ;des ponts militaires; des
additions assez nombreuses ont été faites aussi à divers
chapitres de cette quatrième partie (Chemins de fer,
Télégraphie, Aérostation).
Ainsi que dans les éditions précédentes, on a eu
recours plus d'une fois aux précieux renseignements
de la Revue du Génie, à laquelle ont été empruntés de
nombreux dessins. Le Siège de Port-Arthur de M. le
général Clément de Grândprey, paru tout d'abord dans
cette publication, a été, notamment, mis à contribu-
tion. Que nos camarades dont les travaux nous ont
été si utiles reçoivent ici tous nos remerciements.
Il reste enfin à exprimer notre vive gratitude au
collaborateur dévoué qu'a été pour nous M. le capi-
taine du génie Thabard dans la préparation de la pré-
sente éditions
Remiremonl, janvier igog.

Général LEGRAND-GIRARDE.
MANUEL COMPLET
DE


CHAPITRE I
GÉNÉRALITÉS ET DÉFINITIONS

La fortification est l'art d'organiser une position de ma-


nière que son défenseur puisse résister avec avantage à un
ennemi supérieur en nombre. Par extension, on donne aussi
couramment le nom de fortifications aux ouvrages ou tra-
vaux exécutés dans le but qui vient d'être indiqué.
Certaines dispositions du terrain ou certaines construc-
tions dont il est recouvert, sont parfois susceptibles d'ac-
quérir sans grand travail une sérieuse valeur défensive; on
les désigne alors sous le nom de fortifications naturelles.
Ces définitions sont générales et s'appliquent dans toutes
les circonstances.

La fortification est divisée le plus souvent en : fortifica-


tion passagère, — fortification semi-permanente ou provi-
MANUEL DE l'ORTIVICATION 1
2 I™ PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
soire, et fortification permanente, — suivant le caractère
de durée que présentent les ouvrages qui la constituent.
Les travaux defortificationpassagère ont une importance
variable avec les moyens dont on dispose pour leur exécu-
tion et les nécessités de la situation tactique, d'où la divi-
sion généralement adoptée en fortification de champ de
bataille et fortification passagère proprement dite ou forti-
fication déposition, la première dénomination étant réservée
aux travaux défensifs exécutés à la hâte avant ou pendant
le combat.
En outre, l'instruction du 24 octobre'1906, sur les travaux
de campagne à l'usage des troupes d'infanterie, divise la
fortification de. champ de bataille en fortification de campa-
gne légère, et fortification de Campagne renforcée, la pre-
mière devant, en principe, être exécutée par les troupes
d'infanterie, la seconde par les troupes du génie.
Le sens qu'il convient d'attribuer à ces diverses expres-
sions va être précisé par quelques exemples qui montreront
en même temps l'utilité de la fortification et le rôle impor-
tant qui lui est assigné dans la guerre moderne.
A) Le 6 août 1870, le 20 corps français, attaqué sur
la position de Spickeren par des forces supérieures, voit
vers la fin de la journée sa ligne de retraite menacée par un
détachement s'avançant par la vallée de la Rosselle. En pré-
vision d'une manoeuvre de cette nature, le général Frôssard
avait ordonné la construction de tranchées-abris sur la posi-
tion du Kaninchenberg qui commande la vallée en question.
Ces ouvrages n'eurent pour défenseurs que la compagnie
du génie qui les avait, établis et un détachement de 200 hom-
mes du 2e de.lignc débarqués quelques instants auparavant;
ils suffirent néanmoins à arrêter le mouvement de l'ennemi,
dont le succès aurait pu compromettre la retraite de nos
troupes.
A') Le 18 août de la même.année, notre armée est
GÉNÉRALITÉS ET DEFINITIONS 3

ramenée sous les murs de Metz par son chef et prend posi-
tion sur les lignes d'Amanvillers. Les Outils font défaut àla
plupart des corps et le temps manque pour exécuter des
travaux. En quelques points cependant, à notre gauche, des
tranchées et des épaulements ont pu être édifiés ; bien
défendus par les troupes des 2? et 3e corps, ils nous per-
mettent d'arrêter victorieusement les efforts de l'ennemi
sur ce point.
Les travaux effectués dans ces deux circonstances appar-
tiennent à la fortification. du champ de bataille, caracté-
risée, comme on le voit, par le temps et les moyens limités
dont on dispose pour sa construction et par la nature des-
efforts (ceux des troupes de campagne) auxquels elle sert à
résister.

B) Dans les premiers jours de janvier 1871 (5, 6 et


7 janvier), le général Werder, commandant l'armée alle-
mande qui assiège Belfort, est informé d'un mouvement
offensif tenté par l'armée de Bourbakipour délivrer la place.
Ne disposant que de 43 000 hommes et sachant qu'il va
avoir à résister à des forces considérables (quatre corps
d'année français),, il organise solidement la ligne de la
Lisaine et la ville de Montbéliard, et, grâce aux ouvrages'
de fortification qu'il a établis et garnis de puissantes bou-
ches à feu empruntées à son équipage de siège, il supporte
victorieusement pendant deux jours (i5 et 16 janvier) l'at-
taque des troupes françaises qu'il finit par repousser.
Ici, on a eu plus de temps pour exécuter les travaux ; on-
a en conséquence pu faire plus qu'en plusieurs heures sur
le champ de bataille. Cependant les moyens dont on dispo-
sait étant assez limités, on a dû aller au plus pressé; on a
fait de la fortificationde position on fortification passagère
proprement dite, caractérisée, comme on le voit, et diffé^
renciée de la fortification du champ de bataille, par.l'impor-
tance plus grande des ouvrages. Ceux-ci ne devant du reste
servir que pendant un temps, fort limité, le.nom de passa-
4 I1C PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
gère, donné à là fortification constituée par leur ensemble,
est justifié.

G) Dans la guerre d'Orient, ,en 1877, Osman-Pacha bat-


,
tant: en retraite devant l'armée russe, vient camper autour
de Plewna, ville ouverte et n'ayant par elle-même aucune
valeur défensive sérieuse, mais dont le terrain environnant
constitue une forte position naturelle. Il construit, en quel-
ques semaines, une série d'ouvrages importants et forme de
la sorte un camp retranché, dans lequel,, avec 60 000 hom-
mes et 100 pièces de canon, il résisté pendant quatre mois
et demi à l'armée russe, qui compte à certains moments
110 000 hommes et plus de 5oo bouches à feu, parmi les-
quelles figurent de nombreuses pièces de siège.
L'ensemble des ouvrages défensifs établis, dans ce troi-
sième cas, par Parméé turque, constitue ce que l'on appelle
la. fortification semi-permanente ou provisoire. Ce qui la
caractérise, c'est que : d'une part, elle est destinée à résister
à des: forces considérables et munies d'une artillerie plus
puissante que l'artillerie de campagne ordinaire; d'autre
part, son utifité n'a qu'une durée limitée au temps pendant
lequel la position défendue intéresse le salut de l'armée qui
l'occupe.

La fortification permanente, au contraire, présente ce


caractère particulier que son utilité est pour ainsi dire éter-
nelle. Pour son établissement, on dispose de tous les
moyens .que. fournit l'industrie, de toutes les ressources que
possède le pays. Elle est organisée et armée de manière à
résister aux bouches à feu les jtlus puissantes de l'artillerie
de siège. Elle est établie sur les points qu'il importe de
conserver aussi longtemps que possible, pour arrêter l'inva-
sion ou pour favoriser le mouvement en avant des armées
nationales : « points stratégiques pouvant servir de bases
d'opérations,.points de passage obligés, grandes agglomé-
rations de populations et de richesses toujours confondues
GENERALITES ET DEFINITIONS 0
avec les noeuds de communication et contenant de précieuses
ressources qu'il faut éviter de laisser tomber au pouvoir de
l'ennemi. » En ces points, on exécute, à loisir, pendant la
paix, de véritables constructions, d'immenses travaux assu-
rant la sécurité du pays et formant pour lui de solides froiir
tières, lorsque la nature les lui à refusées ou que dé dou-
loureux revers les lui ont fait perdre.
C'est là ce qu'on a fait de tout temps, dans tous les pays,
et tout particulièrementchez nous, sur la frontière du Nord-
Est, depuis la guerre malheureuse de 1870.

Dans ce qui va suivre on étudiera successivement :


La fortification de campagne ou de champ de bataille ;
La fortification: passagère proprement dite ou de posi-
tion ;
La fortification semi-permanente ;
La fortification permanente.
La première avait pu jusqu'à présent être considérée
comme un cas particulier, ou pour dire mieux, une simpli-
fication de la seconde, par l'exposé de laquelle il convenait
de débuter. Il n'en saurait être ainsi aujourd'hui en raison
de l'extension considérable que les travaux de campagne
ont prise dans les guerres récentes et, notamment, dans la
guerre russo-japonaise. L'instruction ministérielle du 24 oc-
tobre 1906 consacre officiellement le développement de ces
travaux en les introduisant dans l'instruction des troupes
d'infanterie. Il n'est donc plus permis de les considérer
comme accessoires et il convient au contraire de leur donner
ici la première place. On introduira toutefois, dans l'étude
de ces travaux, un certain nombre de considérations géné-
rales qui trouveront également leur application dans les
parties ultérieures du Manuel.
CHAPITRE. II

ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LÀ FORTIFICATION


DE CAMPAGNE

Généralités. -—
La fortification de campagne a pour
objet de diminuer la vulnérabilité du soldat en l'abritant
contre le feu de l'ennemi, tout en lui permettant de faire un
meilleur usage de ses armes.
Elle y parvient en donnant au tireur un couvert qui le
soustrait aux vues et aux coups de son adversaire ; ce cou-
vert est d'autant meilleur qu'il réalise plus complètement
cette double condition. En outre, quand on dispose du
temps et des moyens nécessaires, le couvert est complété
par un obstacle, placé en avant de lui, dont le but est
d'obliger l'assaillant à stationner, plus ou moins longtemps
sans protection, sous le feu du défenseur abrité.
Ces deux éléments, couvert et obstacle,: peuvent être :
soit obtenus par l'aménagement des accidents du sol, soit
créés de toutes pièces.
Dans !e premier cas, les couverts couramment employés
sont les fossés, les levées de terre, les chemins creux ou en
remblai, les murs de clôtures, les grilles, les maisons, les
villages, les haies, les bois, etc.
Certains d'entre eux, murs, grilles, sont en même temps
des obstacles.
D'autres accidents peuvent être utilisés uniquement
comme obstacles ; ce sont les ruisseaux, les marécages, les
clôtures, etc.. Ils doivent alors être complétés par la créa-
tion d'un couvert.
ELEMENTS PRINCIPAUX DE LA. FORTIFICATION DE CAMPAGNE 7
Dans le deuxième cas, quand le couvert est créé de toutes
pièces, il consiste généralement en une tranchée dont les
terres, jetées du côté de l'ennemi, "forment un bourrelet
appelé le parapet.
Quand le couvert prend des dimensions importantes,
comme dans la fortification dé position, les terres qui doi-
vent constituer le parapet peuvent être prises à la fois dans
la tranchée et dans une autre excavation ménagée du côté
de l'ennemi, et qui s'appelle lefossé.
Lorsque ce dernier a de grandes dimensions, il peut ser-
vir d'obstacle, mais cette condition n'est généralement plus
réalisée dans la fortification passagère. L'obstacle, quand
on doit le créer, est constitué par les dispositifs qui seront
décrits au chapitre XIII sous le nom de défenses accessoires.
Profil et tracé. — Dans toute espèce de fortification,
il y a lieu, pour juger de la protection et de la facilité de tir
qu'elle assure au défenseur, d'étudier le profil et le tracé.

Fig. 1. — Profil d'une fortification de campagne.

Le profil est la section faite, dans la fortification, par un


plan vertical perpendiculaire à sa direction sur le plan
horizontal.
Le tracé est la disposition, sur le plan horizontal, des
lignes tout le long desquelles règne le profil.
O Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
Il sera fait au chapitre X une étude complète du profil qui
est nécessaire seulement lorsqu'on considère les travaux de
grande dimension utilisés dans la fortification de position.
Dans la fortification de campagne, le profil (fig. J) est
des plus simples ; il comprend, comme on l'a vu plus haut,
une simple tranchée dont les terres, jetées en avant, forment
le parapet.
Une banquette, ménagée à une hauteur convenable au-
dessous de la crête de feu, permet au défenseur de prendre
une position de tir commode.

Dénominations des feux d'après leur direction


Dans le cours de cette étude, il sera fait un usage fréquent
de certaines expressions servant à dénommer, d'après leur
direction, les feux dirigés contre les défenseurs de la for-
tification. Avant de l'entreprendre, il est donc indispensable
d'ouvrir ici une parenthèse, pour définir d'une manière
précise le sens qu'il convient d'attribuer à ces expressions.

On appelle d'abord coups directs ou coups défont ceux


qui sont dirigés perpendiculairementà la crête qui couvre
les défenseurs auxquels ils sont destinés.
Le parapet offrant aux défenseurs une protection très
efficace contre les coups de front, l'assaillant aura intérêt à
se placer de manière à diriger ses feux obliquement par
rapport à la crête. Il exécutera alors ce qu'on appelle des
feux d'écharpe ; chaque projectile arrivera dans l'ouvrage
suivant une direction faisant un angle plus ou moins pro-
noncé avec la perpendiculaire à la crête et deviendra par
suite plus dangereux.
Si celui qui attaque peut s'établir sur le prolongement de
la crête, ou dans le voisinage de ce prolongement, ses pro-
jectiles tomberont dans l'ouvrage suivant une direction
parallèle (ou à peu près parallèle) à la crête, et ses feux
ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LA FORTIFICATION DE CAMPAGNE g
porteront alors le nom de feux d'enfilade. De pareils feux
sont évidemment très redoutables pour les défenseurs.
Lorsque, sur le terre-plein d'une face ainsi enfilée, il y à
des pièces en batterie, ces pièces sont alors dites prises en
rouage.
Dans le cas où l'assaillant, dépassant le prolongement de
la face qu'il attaque, parvient, à se placer en arrière d'elle,
on dit qu'il la prend à revers, tant que ses coups, qui por-
tent alors le nom de coups de revers, conservent une cer-
taine obliquité par rapport à la crête; on dit qu'il la prend
à dos lorsque ses coups sont, dirigés au contraire à peu près
normalement à cette crête.
De pareils coups de revers sont évidemment des plus
dangereux, et la position des défenseurs de l'ouvrage serait
intenable si on les y laissait exposés. On doit donc prendre
toutes les dispositions possibles pour les y soustraire.

Si l'on considère maintenant la direction des coups dans


le plan vertical, on dira qu'ils sont directs ou de plein-fouet
lorsqu'ils arrivent dans l'ouvrage sous une faible inclinai-
son : c'est ce qui a lieu lorsqu'ils sont tirés à faible distance,
ou à. fortes charges pour les projectiles de l'artillerie. •
On dira au contraire qu'ils sont indirects ou plongeants
lorsqu'ils tombent en faisant avec l'horizon un angle de
chute prononcé : c'est ce qui a lieu lorsqu'ils sont tirés de
loin, ou à faibles charges pour les projectiles de l'artillerie.

Mode de représentation adopté

D'après la définition qui en a été donnée précédemment,


le tracé d'un ouvrage est la disposition, sur le plan hori-
zontal, des lignes tout le long desquelles règne son profil.
Ce profil une fois adopté, il suffit donc, pour déterminer
la forme générale d'un ouvrage, de représenter la projection
sur le plan horizontal de l'une de ses lignes principales. On
10 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
choisit habituellement la crête intérieure ou ligne de feux,
et c'est ainsi que l'on procédera dans ce qui va suivre pour
le figuré du tracé des divers ouvrages (').

Considérations générales sur le tracé


Feux directs et feux de flanc

Le tracé des ouvrages doit permettre de battre par le fusil


.
tout le terrain en avant de la position.
C'est un fait d'expérience que les hommes placés derrière
un. couvert ont une tendance naturelle à tirer droit devant
eux.
Cette tendance s'explique par le désir de se mieux cour
vrir par l'épaulement et aussi par la gêne qui résulte poul-
ie tireur du voisinage de ceux qui l'encadrent, dès qu'il
veut tirer obliquement.
Lorsque l'instruction du tireur était moins développée
qu'elle ne l'est aujourd'hui, il était d'ailleurs de règle de
recommander au soldat de tirer exclusivement dans cette
direction; aussi n'a-t-on longtemps compté que sur des feux
dirigés perpendiculairement à la crête. En admettant qu'au-
jourd'hui, eu égard à la meilleure instruction donnée aux
tireurs, on puisse obtenir des feux inclinés de 3o° (ce qui
est un grand maximum) sur cette direction normale Bm ou
Bo, il n'en est pas moins vrai que pour un saillant ABC
(/%. 2), la face AB ne battra efficacement que l'angle ABp,
et la face BC, que l'angle CBn. La partie comprise entre

Dans le dessin complet des ouvrages de fortification, on représente les


(•'.)
différentes intersections des plans qui constituent le parapet et le fossé, en
marquant d'un trait plus fort la crête intérieure. Les abris ou autres parties
cachées sont indiqués par des lignes poinlillées, qui en marquent les contours,
et quelquefois par des hachures à l'intérieur. On place des cotes à tous les
points d'intersection de crêtes, et, plus généralement, partout oii cela est
nécessaire. L'échelle des dessins est variable de i/5oo à 1/2 000 ; on est même
souvent obligé d'adopter des échelles plus grandes pour les ouvrages de cam-
pagne, eu égard à leurs faibles dimensions.
ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LA FORTIFICATION DE CAMPAGNE II

les deux droites Bnet Bp, faisant avec les crêtes des angles
de 120°, sera donc théoriquement privée de feux. On lui
donne pour cette raison, en fortification, le nom de secteur
privé defeux.
Ce terme ne doit pas être pris dans toute sa rigueur, car
il sera toujours possible de placer, au saillant même, un où
deux hommes donnant des coups de feu dans l'angle/?Bn;
mais il n'en est pas moins évident que, sur cette partie du

terrain, la densité des iéux sera toujours beaucoup moindre


que devant une ligne droite, et, à plus forte raison, que
dans un rentrant.
D'une façon générale, il faut donc considérer un saillant
comme un point faible (d'autant plus faible qu'il est plus
aigu), et, par suite, comme un point d'attaque.
Si, au contraire d'un saillant, on considère deux crêtes
formant un angle rentrant Çfig. 3), c'est-à-dire un angle
ouvert vers l'ennemi, les feux des deux crêtes se superpo-
sent sur tout ou partie de la zone comprise en avant d'elles.
Dans le cas de la figure 3, la zone nBp seulement est
battue à la fois par les feux de AB et de BC.
Lorsque les deux crêtes font un angle au plus égal à i20p
(Jî-g. 4-), c'est tout l'angle rentrant qui est doublement battu.
12 PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
Dans ce cas, tout ennemi XYmarchant vers AB est sou-
mis, à la fois, au feu direct venant de AB et au feu de BC
qui l'atteint en flanc. Ce feu est, -pour cela, appelé feu de

flanc et on dit que la crête BC flanque la crête AB. Inver-


sement, AB flanque BC.
Ces feux de flanc, qui prennent l'ennemi d'écharpe ou
d'enfilade, sont très efficaces et d'autant plus gênants pour

l'ennemi que ce dernier ne peut y répondre qu'en suspen-


dant son mouvement et en faisant face à une nouvelle direc-
tion.
Ce qui précède montre que l'angle rentrant fourni par
deux tranchées qui se flanquent l'une l'autre doit être com-
pris entre i5ô° et 120°. Plus petit, les défenseurs des d'eux
ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LA FORTIFICATION DE CAMPAGNE I3

ouvrages risqueraient de diriger leurs coups les uns contre


les autres; plus grand, il serait incomplètement battu.

Tracé des ouvrages de campagne


Le tracé le plus simple d'un ouvrage serait évidemment
la ligne Idroite; mais, sauf des cas tout à fait particuliers,
on ne peut adopter cette disposition pour plusieurs raisons :
i° la forme du terrain s'y prête rarement sur une certaine
étendue, les, inclinaisons des différentes parties de la ligne
découvrant souvent le défenseur, qui se trouve alors exposé
.
sans protection au feu de l'ennemi; 2° une pareille ligne ne
serait point flanquée, et les feux de flanc ont, comme on l'a
déjà fait remarquer, une très grande efficacité dans la dé-
fense des ouvrages; 3° aucun point de la ligne ne présentant
à l'ennemi une facilité plus grande pour l'attaque, le défen-
seur serait obligé de répartir également ses forces sur toute
son étendue et risquerait de se trouver trop faible numéri-
quement au point où cette attaque se produirait; 4° l'ou-
vrage serait absolument sans défense contre une attaque de
flanc.
Il est donc nécessaire d'adopter pour les ouvrages de for-
-tification des tracés affectant la forme de lignes, brisées, pré-
sentant par conséquent soit des angles rentrants, soit des
angles saillants, soit une combinaison des uns et des autres.
On a fait ressortir l'avantage que présente la juxtaposi-
tion de deux crêtes formant un angle rentrant, qui, en se
flanquant réciproquement, couvrent de feux d'écharpe le
terrain situé en aArant de chacune, d'elles. On doit donc s'at-
tendre a priori à voir cette disposition fréquemment em-
ployée dans le tracé des ouvrages.
Mais, un ouvrage qui serait exclusivement formé de deux
crêtes ainsi disposées, serait facilement tourné par les extré-
mités de ces crêtes dirigées du côté de l'ennemi. D'où la
nécessité d'adopter, dans lés tracés, des angles saillants
l4 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
dont les faces, repliées au contraire du côté du défenseur,
ont leurs extrémités mieux garanties.
Il est vrai qu'un saillant, considéré isolément, est un
point faible; mais on se rendra compte aisément que les
saillants peuvent se flanquer mutuellement, en même temps
qu'ils donnent des feux croisés en avant de l'intervalle qui
les sépare.
.
Celte simple remarque montre que, pour couvrir de feux
le front d'une position, il n'est pas indispensable de l'oc-
cuper par une ligne ininterrompue de défenseurs abrités. On
peut obtenir le même résultat en n'occupant sur la position
qu'un certain nombre de points convenablement choisis et
organisés que l'on appelle des points d'appui.
Par leurs feux de front, ils battent le terrain en avant
d'eux ; par leurs feux de flanc, ils se flanquent mutuelle-
ment et couvrent leurs intervalles de feux croisés, à là con-.
dition évidemment que la distance qui les sépare n'excède
pas la bonne portée du fusil.
La direction des crêtes flanquantes les expose au danger
d'être enfilées par le feu de l'ennemi. On cherche à les y
soustraire en les dissimulant aux vues par leur position sur
le terrain ou en arrière d'un masque (village, bois). Lors-
qu'on ne peut y arriver par ce moyen, on réduitleur longueur
au minimum.

Ouvrages et lignes
Ce qui précède montre que les couverts qu'utilise la forti-
fication passagère se groupent en deux catégories : i° les
ouvrages simples, ou pièces de fortification isolées, couvrant
toujours sur le terrain une surface relativement assez faible;.
20 les lignes ou travaux de fortification, continues ou non,
dont les diverses parties se prêtent un mutuel appui.
-
Lignes ou. ouvrages se composent du reste toujours des
mêmes parties principales, auxquelles on donne le nom.de
faces et de flancs, agencées diversement suivant les tracés..
ELEMENTS PRINCIPAUX DE LA FORTIFICATION DE. CAMPAGNE 11>

Les faces sont les crêtes dirigées vers l'ennemi et battant,


.
par des feux de front, la position qu'il occupe; les flancs
sont celles qui sont destinées à flanquer les précédentes, ou
à défendre un ouvrage contre une attaque de flanc.
La réunion de deux faces AB et AG dirigées vers l'en-
:.
.
nemi {fig. 2) forme ce que Ton a appelé précédemment un
saillant; la bissectrice de l'angle formé par leurs crêtes
prend alors le nom de capitale, et la partie comprise entre
leurs extrémités A et C, opposées au saillant, celui de gorge.
D'une façon plus générale, on appelle gorge d'un ouvrage
la partie de cet ouvrage placée du côté opposé à l'ennemi,
ou tournée vers la portion du terrain sur laquelle il y a le
moins de chances de le voir s'établir.
Les ouvrages dont la gorge n'est munie d'aucun parapet
sont dits ouverts à la gorge ou simplement ouverts; ceux
dont la gorge est défendue sont appelés fermés à la, gorge
ou simplementfermés.
Les ouvrages ouverts présentent le grave inconvénient de
pouvoir être emportés assez aisément, lorsqu'ils sont dé-
fendus par des troupes peu éprouvées. Si une attaque de
flanc est prononcée assez fortement pour menacer la gorge,
les défenseurs, se trouvant pris à revers, abandonnent en
effet volontiers la position. Il est donc nécessaire de les ap-
puyer sur lés flancs et en arrière. Par contre, ces ouvrages
sont plus vite construits ; les mouvements de troupe y sont
plus commodes ; ils ne donnent pas de couvert à l'ennemi
qui s'en est emparé; il est, par suite, facile de les lui re-
prendre; enfin, ils immobilisent moins les défenseurs,, dans
le cas où il s'agit de passer de la défensive à l'offensive.
On peut d'ailleurs obvier aux inconvénients des ouvrages
ouverts à la gorge en les appuyant par des ouvrages annexes
qui empêchent de les tourner,
Les ouvrages fermés ont les. qualités et .les défauts in-
verses. Il doit paraître évident, d'après cela, qu'ils doivent
être seuls employés pour assurer la défense d'un point par
un ouvrage unique.
iG Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Ouvrages ouverts à la gorge. — Parmi les formes
très Arariées que peuvent prendre les ouvrages ouverts à la
gorge, il convient d'énumérer les suivantes qui sont les
plus généralement employées :
i° La coupure, portion de retranchement ordinairement
en ligne droite (fig. 5), qu'on emploie pour barrer une rue,
un chemin, une digue, un étroit défilé; lorsque l'on veut
obtenir des feux croisés en avant de la ligne, on donne à la
coupure la forme d'un V très ouvert, au sommet duquel,on
ménage un passage défendu en arrière par un second re-

Fig. 5. — Coupure.

tranchement. Dans tous les cas, les extrémités de la cou-


pure doivent être appuyées à de sérieux obstacles (rivières}
marais, escarpements, constructions défendues), qui puis-
sent empêcher l'ennemi de la tourner. Sa longueur ne sau-
rait excéder une quarantaine de mètres.
2° Le redan, petit ouvrage simple, formé de deux faces
(Jîff. 6) et affectant la forme d'un saillant. Il a un secteur
privé de feux, auquel on peut remédier, comme il a été dit
précédemment, en pratiquant un pan coupé vers ce saillant.
De plus, ses faces vont ficher dans la portion du terrain
occupée par l'ennemi, et sont par conséquent en prise aux
feux d'enfilade. Cette défectuosité est d'autant plus pro-
noncée que l'angle saillant est plus aigu; et comme, d'autre
part, le secteur privé de feux augmente au fur et à mesure
que cet angle diminue, il y a toutes sortes de raisons pour
ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LA FORTIFICATION DE CAMPAGNE 17

ne pas le laisser descendre au-dessous d'un certain mini-


mum, qui est généralement de 6o°. Eu égard aux feux d'en-
filade, auxquels elles sont exposées, les faces ne doivent
d'ailleurs pas avoir plus de 5o à 60 mètres de longueur.

•Fig. 6. — Redan.

3° La flèche, petit redan dont les faces ont moins de 20


ou 3o mètres de longueur.
4° Le double redan ou redan renforcé (fig. 7), ouvrage
plus grand, affectant la forme générale du redan, mais por-
tant, vers le milieu de chaque face, une brisure qui permet
de donner pins de longueur à l'ensemble, sans accroître

Fig. 7. — Double redan.

pour les défenseurs le danger des feux d'enfilade. Cette bri-


sure fournit en outré un flanc, dont la crête donne des feux
en avant du saillant principal et fait disparaître par suite le
secteur privé de feux. On peut du reste, comme le montre
la figure, donner aux deux parties de chaque face brisée
une direction différente, ce qui est parfois avantageux, pour
bien battre le terrain en avant de ces faces.
MANUEL DE FOIITU'ICATION ï
l8 11C PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
(fig. 8), sorte de redan aux faces duquel on
5° La lunette
a ajouté des flancs à peu près parallèles à la capitale.
L'avantage de ce tracé est de permettre l'emploi de faces
ayant des directions voisines de la perpendiculaire à la ca-
pitale, ce qui diminue le secteur privé de feux et rend ces
faces plus difficiles à enfiler. On ne pourrait pas donner au
redan un angle saillant aussi ouvert sans l'exposer outre
mesure aux attaques de flancs. Les flancs de la lunette ga-
rantissent ce dernier ouvrage contre un pareil danger.
Les faces de la lunette peuvent atteindre une assez grande
longueur, les flancs ont rarement plus de 20 à 3o mètres ; il
y a toujours intérêt à ne pas les l'aire trop longs, pour ne

pas augmenter la profondeur de l'ouvrage et par suite ses


chances d'être atteint. Il doit en effet paraître évident que
les défenseurs seront mieux couverts dans une lunette large
et peu profonde que dans une lunette à front étroit et à
grande profondeur, ayant même développement de crête
que la première.
Quant à la symétrie des flancs, qui existe sur la figure 8,
rien n'oblige à la respecter : il peut y avoir intérêt à tenir
l'un des flancs plus court ou plus incliné que l'autre par
rapport à la capitale; cela dépend du terrain et, plus géné-
ralement, des circonstances dans lesquelles est établie la
lunette.
6° La demi-redoute (fig. o), lunette dont les faces sont
remplacées par une crête unique réunissant les deux flancs.
S ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LA FORTIFICATION DE CAMPAGNE 10'
S Elle a son front principal mieux disposé pour battre direc-
| tentent le terrain du côté de l'ennemi; mais ses secteurs
j privés de feux sont plus étendus devant chaque saillant.

f| Fig. g. Demi-redoute.
•—

I C'est un ouvrage qui se plie aisément au terrain, en raison


* des dimensions variables que peuvent avoir ses crêtes.

jy, Ouvrages fermés.—Les ouvrages fermés portent le


8 nom de redoutes lorsqu'ils sont d'une faible capacité. Lors-
)" qu'ils atteignent des dimensions plus considérables, on leur
if donne, celui de forts ou fortins.
|| Leur forme, essentiellement variable, est le plus ordinai-
fy rement celle d'une lunette ou d'une demi-redoute (fig- /o)
l| fermée à la gorge par un parapet.
«rt D'une manière générale, on ne s'astreint pas à donner de

3 Fig. 10. — Redoutes.

j formes régulières ou symétriques aux ouvrages ouverts ou


*.%.

ç| fermés. On en trace les divers côtés de manière à bien dé-


/ couvrir le terrain, à le battre par un nombre de fusils suffi-
^ sant, à bien se protéger contre les coups partant des points
» dangereux et, en particulier, on cherche à offrir le moins de
*
prise possible à l'artillerie ennemie.
20 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Lignes. — Les lignes continues exigent un gros travail
pour leur construction. Elles ne se justifient que lors-
qu'elles sont un obstacle en même temps qu'un couvert,
parce qu'alors elles facilitent la surveillance et évitent les
surprises.
C'est le cas des enceintes des places fortes, dans la forti-
fication permanente ou semi-permanente.
On peut en constituer dans la fortification de position si
on a le temps de leur donner un relief suffisant pour qu'elles
constituent un obstacle en même temps qu'un masque qui
dissimule à l'ennemi les mouvements du défenseur. Les
Russes en; ont fait usage à Port-Arthur.
Dans la fortification de champ de bataille, une ligne con-
tinue ne serait, à cause de son faible profil, ni un masque,
ni un obstacle, et elle deviendrait une gêne pour les mou-
vements des troupes de manoeuvre; l'emploi dans ce cas en
sera donc tout à fait exceptionnel, aussi leur étude sera-
t-elle reportée au chapitré XI, relatif au tracé dans la forti-
fication de position.
C'est là également qu'on examinera les combinaisons
d'ouvrages et de groupes d'ouvrages auxquelles on donne
également le nom de lignes.
CHAPITRE III

EFFETS DU TIR

On a vu (chap. II) qu'en fortification passagère, on s'ef-


force avant tout de donner.au soldat un couvert qui l'abrite
contre le feu de l'ennemi. L'obstacle vient par surcroît.
Le couvert doit arrêter les projectiles ennemis : c'est un
boucher.
Avant donc d'étudier les conditions à remplir par les
couverts naturels et de discuter les formes et les dimen-
sions à donner aux retranchements, il est indispensable de
connaître les effets des projectiles de l'infanterie et de l'ar-
tillerie.

§ 1
— Effets du tir de l'infanterie
L'infanterie est armée de fusils et de mitrailleuses qui
tirent la même cartouche.
Chez toutes les puissances, ces armes ont un petit calibre
(6mm5 à 8mm); leur projectile possède une grande vitesse
initiale (800 à 600 mètres), une trajectoire tendue, une
grande portée (3 000 mètres environ) ; elles sont à tir
rapide.
Les balles peuvent encore tuer un homme à 2 000 mètres.
Aux distances ordinaires de tir, elles traversent plusieurs
hommes.
Le fusil modèle 1886, M. g3, a un calibre de 8"™, une
portée maxima de 3 200 mètres sous un angle de projection
22 I™ PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
de 33°. La vitesse initiale de sa balle est, en moyenne, de
638 mètres.

Pénétration des projectiles. —•


Les tableaux qui
figurent à la suite du Règlement du 3i août 1906 sur l'ins-
truction du tir de l'infanterie donnent des renseignements
complets sur la pénétration des balles. On en retiendra les
résultats essentiels qui suivent :

I. Matériaux meubles. —La balle ne traverse pas 80 cen-


timètres de terre. Exceptionnellement cependant, lorsqu'il
s'agit de terre végétale forte, non tassée et humectée, et
pour une distance de tir inférieure à i5o mètres, la balle
traverse 1 mètre de terre, mais à 200 mètres, elle n'en tra-
verse déjà plus que 76 centimètres.
Une épaisseur de 80 centimètres de terre peut donc être
considérée comme suffisante pour arrêter la balle du fusil.
Dans le sable de rivière, le gravier, le ballast, la pénétra-
tion est environ deux fois moindre.

IL Bois et métaux. — La balle pénètre, dans le sapin,


de imo3 à 100 mètres, de 60 centimètres à 4oo mètres; dans
le chêne, la pénétration est environ deux fois moindre.
Les arbres n'offrent donc qu'exceptionnellement une pro-
tection suffisante contre la balle du fusil.
La balle traverse : à 100 mètres, gmm3 de fer, 5 millimè-
tres d'acier chromé; à 3oo mètres, 5mm6 de fer, 2mm8 d'acier
chromé. La pénétration dans l'acier ordinaire est intermé-
diaire entre celles du fer et. de l'acier chromé.

III. Maçonneries. — Les murs en pisé de 3o centimètres


d'épaisseur sont traversés jusqu'à 600 mètres.
Les murs en moellon ordinaires ne sont jamais traversés.
Les murs en brique, toujours moins épais que les murs
en moellon, peuvent être traversés s'ils n'ont que 11 centi-
mètres d'épaisseur (briques à plat).
EFFETS DU TIR 23
Un mur de 22 centimètres ne peut être traversé que par
un groupement de balles tiré à i5o mètres au maximum.
Tension de la trajectoire, ses conséquences. —
La tangente de l'angle de chute de la balle du fusil 86 M. g3
est de : ,: •

a 000 mètres ;
1 000

48,'Q-
— a 1 000 mètres ;
1 000
120 à
1 000 mètres ;
1 000
242,6, ;
a 2 000 mètres.
1000 .
.
-

Elle est donc inférieure à 1/.20 pour les distances de tir


inférieures à 1 000 mètres.
Ce n'est que pour une distance de tir de 2 000 mètres, à
la vérité exceptionnelle, qu'elle atteint 1/4.

Zone dangereuse. Angle mort. — On rappellera


ici quelques définitions :
La zone dangereuse, pour un but de hauteur donnée, est
l'espace compris entre le point où la trajectoire du projec-
tile frappe le sol et celui où elle passe au-dessus du sol à
une hauteur égale à celle du but.
Cette zone est donc d'autant plus étendue que la hauteur
du but est plus grande et que la trajectoire est plus tendue.
Si, au lieu d'un but à atteindre, on suppose, sur le sol,
un obstacle capable d'arrêter le projectile, l'espace situé
entre cet obstacle et le point de chute du projectile dont la
trajectoire rase le sommet de l'obstacle échappe aux coups;
il est dit en angle mort.
L'étendue de l'angle mort augmente avec la hauteur de
F obstacle et la tension de la trajectoire
: par conséquent, en
faisant usage du tir plongeant on la diminue.
24 I1C PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Si la trajectoire d'un projectile affecte une forme sensi-
blement parallèle à celle du terrain, celui-ci est dit rasé.
Toute l'étendue de la zone rasée est zone dangereuse ; mais
si, en revanche, on élève en avant de cette zone un obstacle
arrêtant les projectiles et ayant au moins la hauteur d'un
homme, elle devient en angle mort.

§' 2
— Effets du tir de l'artillerie

Les canons, les obusiers (canons courts) et les mortiers


lancent des projectiles de deux sortes : les obus à balles,
obus à mitraille ou shrapnels, contenant des balles et une
petite charge de poudre, et les obus chargés eu explosifs
brisants (mélinite, écrasite, lyddite, coton-poudre, etc.).
Les uns et les autres explosent grâce à l'adjonction d'une
fusée et peuvent généralement être tirés soit fusants, soit
percutants.
L'obus est dit fusant lorsqu'il éclate, avant d'atteindre
l'objectif, en un point convenablement réglé de sa trajec-
toire. Il est dit percutant lorsqu'il éclate par le contact avec
le sol ou un obstacle.

I. Obus à balles tirés fusants. — L'éclatement du projec-


tile donne naissance à une gerbe de balles conique dont
l'axe est le prolongement de la trajectoire.
-
L'ouverture de la gerbe, qui augmente avec la distance,
ne dépasse pas 200 pour l'obus de 75mm. Elle est de i6°3o
à 2 5oo mètres.
Cette gerbe bat, aux portées moyennes, une zone large
de 25 mètres, profonde de i5o mètres.
La densité est de une balle par mètre carré de surface
verticale.
Pour l'obus à mitraille de i55, la gerbe est ouverte de
220 environ et elle est creuse, en ce sens que la plupart des
éclats se trouvent dans un espace conique annulaire, tandis
EFFETS DU TIR

que la partie centrale ne renferme que la fusée, le culot et


quelques fragments de tube,
La figure n montre la forme de la gerbe à 2 5oo mètres
pour l'obus à balle de 75.
Les balles des shrapnels ont une pénétration très infé-

Fig. 11. — Gerbe de l'obus à balle de -j5mm fusant.

rieure à celle de la balle du fusil : elles sont arrêtées par


25 centimètres de terre, même par le sac du fantassin. •

IL Obus à balles tirés percutants.—L'obus qui atteint le


sol sous un angle inférieur à 170 (environ) ricoche en creu-
sant un sillon, puis, grâce au retard de la fusée, n'éclate

Fig. 12. — Gerbe de l'obus percutant après ricochet.

que 2 mètres plus loin sur la branche ascendante de sa


trajectoire, dont l'angle de relèvement o' est plus grand que
l'angle de chute a (fig. 12).
L'obus qui atteint le sol sous un angle supérieur à 170
environ pénètre davantage dans le sol et y éclate; il fait
fougasse, les balles restent en terre. S'il s'agit de canons de
campagne, l'effet du projectile est presque nul en raison de
la faible charge de poudre qu'il contient.
.
26 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
Les obus à mitraille des canons de 120, de i55, tirés per-
cutants, créent des entonnoirs d'une certaine importance
dont les dimensions seront données en même temps que
pour les obus explosifs.
III. Obus explosifs. — Les obus à mélinite sont générale-
ment tirés percutants.
Le canon de 77 allemand tire deux obus explosifs, l'obus
brisant (Sprenggranate), muni d'une fusée à double effet, et
Pobus-torpille, muni d'une fusée percutante.

Fig, i3. — Éclatement de l'obus de go au repos.

Les effets des obus à explosif brisant sont tout différents


de ceux des shrapnels.
Dans l'éclatement au repos' de l'obus allongé de 90
(fig. i3), les éclats se répartissent en trois gerbes : une gerbe
antérieure,.creuse, de 120 éclats; une gerbe postérieure,
pleine, de i5o éclats, et une nappe latérale, la plus impor-
tante, de 2 000 éclats.
Cette nappe est mince ; prise à 20 mètres du point d'écla-
tement, elle n'est encore que d'environ 6 mètres.
Dans l'éclatement de l'obus en mouvement, la vitesse
restante du projectile se compose, pour chaque éclat, avec
la vitesse résultant de l'éclatement.
EFFETS DU TIR 27
Il en résulte que la gerbe antérieure est un peu moins
ouverte, la gerbe postérieure un peu plus, et que la nappe
latérale se ferme légèrement vers l'avant, constituant une
gerbe très ouverte. -
Dans l'éclatement de l'obus de 77 allemand (fig- /4)3Tes
.

éclats forment une gerbe unique creuse et ouverte, moins


ouverte cependant que dans Fobus allongé de 90 français.
Les documents officiels ne renseignent pas sur les effets
de l'obus à méliiïite de 75. Comme sa charge d'explosif
(826 grammes) est moitié moindre que celle de l'obus
allongé de 90, mais très supérieure à celle de l'obus brisant
de 77 allemand (135 grammes), on peut en conclure que ses
effets doivent être intermédiaires entre ceux des deux autres.

Fig. 14. — Eclatement de l'obus allemand de 77 en mouvement.

Pour tous ces obus, les éclats, très nombreux, sont aussi
très petits. Quoique animés de vitesses considérables qui
peuvent atteindre 1 200 mètres, ils perdent rapidement.leur
vitesse à cause de leur faible masse et de leur forme irrégu-
lière. Au delà de 35 mètres, peu d'entre eux sont capables
de traverser une planche de sapin de 20 millimètres d'épais-
seur. Par contre, ils produisent, paraît-il, des blessures très
douloureuses. Le bruit de la détonation est très A'iolent; il
impressionne les troupes au début, mais l'expérience des
guerres récentes a montré que le soldat s'y habitue vite.
Les gaz de l'explosion produisent un ébranlement d'autant
plus considérable que la charge d'explosif est plus grande;
il est faible pour l'obus brisant allemand (i35 grammes);
pour l'obus de campagne français, le souffle, quoique plus
violent, n'est plus dangereux au delà de 4 mètres.
28 I"- PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
En résumé, l'effet de ces projectiles est très violent, mais
très localisé.
L'obus à mélinite percutant, comme le shrapnel, ou bien
ricoche et éclate sur sa trajectoire ascendante, ou bien pé-
nètre dans le sol. et fait torpille, suivaut que l'angle de chute
est inférieur ou supérieur à environ 17°.
La quantité dont l'obus pénètre dans le sol dépend de la
résistance de ce dernier et du retard de la fusée. Suivant la
quantité dont il s'est enfoncé et sa charge d'explosif, ou
bien il crée un entonnoir en projetant les terres, ou bien
fait camouflet, c'est-à-dire ne produit aucun effet extérieur.
Contre les obstacles, ces obus sont beaucoup plus effi-
caces que les shrapnels.
Pour les calibres supérieurs à celui du canon de cam-
pagne, ils reçoivent de grosses charges de mélinite, res-
pectivement 4) 12 et 36 kilos pour les calibres de 12, 15
et 22cm.
Le tableau ci-dessous donne les dimensions des enton-
noirs produits par les obus de divers calibres, tirés sans
retard, sous des angles de i5 à 45° en terrain naturel très
résistant (tuf crayeux ou calcaire, sable) :

KAl'URE DES PROJECTILES ~^


Diamètre

mètres
ENTONNOIRS
""^^ ^
Profondeur

mètres
^ Volume

met. cub,
-

Obus altonqé de 120 )


\ 2,:)0 ' 0,90 2,600
Obus ordinaire de 100 S

Obus allonoéde i55


.........
)
Obus ordinaire
( 3,5o
_ 1,10 „
0,000
. de 220. .\ .

I
Obus abonné de 220.
Obus de
...........)
, lroiscabbi.es de 270 .\
4,6°
„ I/I°
, i3,3oo
„ „
.

Dans les terrains argileux, le déblai peut atteindre le


double de ces chiffres, et, dans les terres rapportées, le
triple.
CHAPITRE IY

OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE

L'établissement des ouvrages de fortification nécessite des


hommes et des outils. A la guerre on est toujours assuré
de trouver les travailleurs, mais l'outillage lait souvent dé-
faut; aussi a-t-on, depuis longtemps, pourvu les armées en
campagne des outils dont elles peuvent avoir besoin. Jusque
vers 1878, en France, les troupes du génie étaient seules
suivies de parcs d'outils qu'on mettait, le cas échéant, à la
disposition de l'infanterie. Les événements de la guerre
russo-turque de 1877 démontrèrent la nécessité de doter
les unités d'infanterie d'outils spéciaux, afin qu'en toutes
.
circonstances, elles fussent en mesure d'exécuter elles-mê-
mes les travaux de campagne destinés à lés abriter. Ces
outils sont d'un modèle plus léger que ceux du génie, afin
de réduire, dans la plus large mesure possible, la surcharge
imposée à l'homme. Leur poids est cependant loin d'être
négligeable et la préoccupation très légitime d'alléger le
lourd fardeau du fantassin avait conduit au bout de quel-
ques années à réduire le nombre des outils portatifs primi-
tivement attribués aux unités d'infanterie.,
La guerre d'Extrême-Orient de 1904-1905 a fait ressortir
de nouveau, avec une évidence indiscutable, d'une part la
nécessité de ne pas séparer le travailleur de son outil pen-
dant les marches et le combat, et d'autre part l'impossibi-
lité, dans certaines circonstances, de progresser sous le feu
de l'ennemi, sans recourir à l'abri que le sol peut donner.
Sous l'empire de ces enseignements de là guerre la plus
3o Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
récente, soutenue par deux armées également valeureuses
et animées l'une et l'autre de l'esprit offensif, on s'est dé-
cidé chez nous à augmenter notablement la dotation en
outils portatifs de l'infanterie.
Cette arme dispose en outre d'outils de parc, du modèle
du génie, portés sur voitures et peut recourir, enfin, aux
ressources des parcs du génie qui seront indiquées ci-après.
Si l'outil portatif surcharge le fantassin, il a le grand
avantagé d'être toujours à sa disposition immédiate; en
outre, on peut, dans la répartition qui en est faite dans
l'unité, tenir compte de la profession des hommes, ce qui
assure un meilleur emploi. Par contre, si le porteur d'un
outil fait défaut, ce dernier disparaît également.
L'outil transporté sur voitures nécessite une distribution
préalable, d'où perte de temps et répartition moins bonne
dès outils d'après la profession du travailleur. La voiture
d'outils allonge les colonnes et ne peut suivre les troupes
dans tous les chemins, ni à plus forte raison, à travers
champs. Mais les outils portés sur voitures sont d'un mo-
dèle plus lourd et, par suite, plus puissants.
Les deux modes de transport ont donc des avantages et
des inconvénients entre lesquels il faut faire la balance.
On fait usage aussi, pour les troupes alpines, du trans-
port d'outils sur animaux de bât; son rendement est infé-
rieur à celui de la voiture, mais l'animal bâté suit l'homme
à peu près partout, et cet avantage est capital pour les
troupes appelées à opérer en pays montagneux.
Le Japon a adopté ce mode de transport pour les outils
non portatifs de chaque bataillon.

Outils actuellement réglementaires

Les principaux outils ainsi transportés par les troupes


sont : les outils de terrassier (pelles et pioches) ; les outils
de destruction (haches, scies, serpes, pinces, pics, etc.); et
32 Iro PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
quelques outils d'ouvriers d'art, dont on peut avoir besoin
dans certains cas.

Outils de terrassier des troupes du génie. —


Les outils de terrassier sont ceux dont le transport est le
plus difficile, en raison de leur poids et de leur volume. Les
gros outils, outils du modèle des parcs du génie, qui ont la
dimension ordinaire des outils du commerce, sont exclusi-
vement transportés sur des voitures ou sur des animaux de
bât, comme il a été dit ci-dessus.
Les sapeurs du génie sont pourvus individuellement de
pelles et de pioches, à peu près du même modèle que ces
derniers, mais de dimensions un peu plus restreintes, et
d'un poids un peu moindre.
La pelle réglementaire des sapeurs du génie, emmanchée,
a im3o de longueur; — la pioche 80 centimètres de lon-
gueur de manche et 4o centimètres de longueur de fer.
Outils de terrassier de l'infanterie. — Ces outils
de terrassier du génie, suffisants pour produire un bon tra-
vail, sont d'un poids trop considérable et d'une forme trop
embarrassante pour les hommes d'infanterie. Il a donc fallu
chercher autre chose pour ces derniers.
La pelle qui sert de véhicule aux terres est, en raison de
la longueur du. manche, celui de ces outils qui est du plus
difficile transport. On a donc essayé de la transformerj en
la rendant plus petite et plus légère, et en changeant un
peu son mode d'emploi. La modification de ce genre la plus
répandue a été imaginée par un Autrichien, nommé Linne-
man; elle a été successivement adoptée par l'Autriche
d'abord, par l'Allemagne ensuite, puis par la France, en
1878.
La pelle-bêche Linneman du modèle réglementaire en
France pour l'infanterie (fig. i5, page 3i) est un fer rectan-
gulaire, légèrement courbé dans sa largeur, et terminé à sa
partie supérieure par un renfort. Elle est munie d'un man-
OUTILLAGE DES ARMEES EN CAMPAGNE 33
che droit, fixé par une douille et par un renfort en fer de
lance. Deux des faces de la pelle sont taillées en biseau ; la
troisième est munie de dents de scie. Sa longueur totale est
de 53 centimètres, et son poids de 760 grammes. Elle est
enfermée dans un étui en cuir, qui permet de la porter soit
au sac, soit au ceinturon. Le poids total de l'instrument,
avec son étui, est de 1 kilo.
Pour se servir de cette pelle, l'homme met un genou en
terre et enfonce l'outil par son tranchant ; il ne doit appuyer
le pied sur le rebord supérieur que s'il éprouve une résis-
tance qu'il ne peut.vaincre à la main. Les biseaux et la dent
de scie permettent de couper les racines qui pourraient
arrêter le travailleur.
La pioche portative d'infanterie (fig. 16) a également des
dimensions réduites : 37 centimètres de longueur de fer et
46 centimètres de longueur de manche. Elle pèse ik3i6o
avec son étui.
Il existe aussi une hache portative d'infanterie, du poids

;'.•''
de iks66o avec l'étui, et d'une longueur totale de 45 centi-
mètres.

Les outils de terrassier de forme réduite, qui viennent


d'être décrits, sont d'un emploi beaucoup moins commode
.
que les grands outils ordinaires portés sur les voitures ;
placés entre les mains de travailleurs exercés au maniement
de ces derniers, ils donnent un rendement très sensiblement
inférieur. Mais, des travailleurs aussi peu accoutumés à
l'exécution des mouvements de terre que le sont générale-
ment les hommes d'infanterie, obtiennent, avec ces petits
outils et avec les grands, des résultats au contraire très
comparables.

Outils de destruction. — Les outils de destruction


de formes
sont assez variées.
Pour percer des créneaux dans les murs, on se sert : de
pics (fig. 12), sortes de pioches dont on a supprimé le bout
MAMJEL DE FORTIFICATION S
34 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
tranchant, — ou de pinces, barres de fer terminées en pointe
(fig. 18). On peut également employer à cet usage les pio-
ches ordinaires.
Pour l'abatage des arbres, on emploie les scies, les haches
et les serpes. Les troupes possèdent deux espèces de scies :
La scie passe-partout (fig- ig), qui sert plus particulière-
ment à couper les, arbres abattus, à les débiter en mor-
ceaux, et qui peut cependant être employée également pour
l'abatage. La manoeuvre de cette scie exige une certaine
habitude, et, entre les mains de travailleurs inhabiles, elle
ne produit pas de très bons résultats. EUe a, en outre, l'in-
convénient d'être d'un difficile transport. — On a imaginé
alors de donner aux hommes une scie articulée (fig. 20,
page 3i), dont les différentes parties se replient sur elles-
mêmes, et peuvent être contenues dans un étui de petite
dimension. Aux extrémités de cette scie, on fixe des man-
ches en bois auxquels les scieurs s'attellent à l'aide de
ficelles. La manoeuvre de cet instrument est des plus aisées,
et les hommes les moins exercés réussissent rapidement à
en obtenir de bons résultats.

Outils d'ouvriers d'art. — Les troupes du génie


transportent en outre avec elles quelques outils spéciaux,
dits d'ouvriers d'art, servant à confectionner des mortaises,
à percer des trous de tarière, et plus généralement, à l'exé-
cution d'ouvrages exigeant une certaine habileté profession-
nelle. Il doit suffire ici de les mentionner.
L'outillage portatif de l'infanterie qui vient d'être décrit
est actuellement l'objet d'études ayant pour but de le rendre
plus efficace sans cependant augmenter son poids.

Répartition de l'outillage

En France, les outils d'une armée sont répartis en trois


échelons, savoir :
OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE 35
A) Les outils des corps de troupe :

{ Les outils portatifs ;
Pour. 1 întanterie
. \ outils j voitures
„ Les
. j 2° T .-i des •. de
i compagnie.
™ •

Pour la cavalerie. Les outils portatifs.


j i° Les outils portatifs ;
Pour le qeme•, . \
,., des
outils , parcs de, compagnie.
•' n .Les
. . j 2° T

B) Les outils des parcs du génie de corps d'armée;


C) Les outils du parc du génie d'armée.
Chaque échelon assure le ravitaillement de l'échelon pré-
cédent et fournit les outils complémentairesnécessaires aux
besoins généraux et passagers de l'unité à laquelle il appar-
tient.

Infanterie. — Chaque compagnie d'infanterie, autre que


celle affectée à la défense des Alpes, possède (instruction du
24 octobre 1906) 181 outils portatifs du modèle de l'infan-
terie, saAroir :
i44 outils j 112 bêches (7 par escouade),
de terrassier. | 32 pioches (2 par escouade),
/ 12 hachettes (1 par escouade non
1 pourvue de hache),
4 haches (1 par escouade non
outils
_.,
07
1

,'
, destruction.
de .
\
I
pourvue de 1 l .. \
J hachette),
i
\
t n
10 serpes ,
(1 par escouade),
^

[ 4 cisailles à main (1 par section),


\ 1 scie articulée.

Les compagnies de chasseurs à pied ont le même assorti-


ment, mais deux des haches portatives à main du modèle
de l'infanterie sont remplacées par des haches portatives
du modèle du génie.
Les sapeurs hors rang du régiment portent :

1 scie articulée (caporal sapeur),


6 haches portatives du modèle du génie,
6 pics à tète portatifs.
36 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Les pourvoyeurs de munitions portent, en outre :

i hache portative ordinaire (modèle du génie),


i serpe de parc,
et le sergent artificier :

i scie articulée.
Chaque compagnie d'infanterie est dotée en outre d'une
voiture qui renferme :

j 16
pelles rondes et 2 manches de rechange,
de
-, terrassier
• f
„ carrées,
' '
, ,., " i/ 2 pelles
(modèle
v 1 12 pioches
• , et 2 manches
, , rechanqe.
de ,
. parcs).
des j l v
Outils' ( 4 haches de bûcheron,
de destruction, j 2 serpes.

Auxquels s'ajoutent :

4 scies passe-partout,
2 pinces de 6o centimètres,
i pince de i mètre,
i caisse d'outils d'ouvriers d'art,

qui sont placées sur l'une des voitures de compagnie du


régiment (irc compagnie du Ier bataillon).
La caisse d'outils d'ouvriers d'art renferme :
i masse à tranche, i plane,
i burin de serrurier, i rénette,
i pince coupante, i scie égohine,
i pince plate, Les 8 poignées des scies passe-
i bédane, partout,
i ciseau-bédane, 2 tarières (1 creuse et 1 torse),
1 ciseau de charpentier, 1
tenaille,
1
hache a main, 2 vrilles,
2 limes tiers-point, 1
pierre a affiler,
3 manches de lime, 2 kilos de pointes.
1 marteau,
OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE 37
Les compagnies de chasseurs alpins, les compagnies des
régiments d'infanterie affectés à la défense des Alpes ont
un assortiment d'outils portatifs différent de celui des com- -
paqnies ordinaires d'infanterie.
En outre, dans les régiments d'infanterie de la défense
des Alpes, les outils non portatifs sont portés, d?une part
par des mulets de bât (à raison de deux par bataillon dans
les régiments actifs et de un seulement dans les régiments
de réserve), d'autre part dans une voiture régimentaire
existant autrefois dans tous les corps.
Chaque compagnie de chasseurs alpins est dotée aussi
d'un mulet d'outils.
La voiture d'outils régimentaire porte :
Outils \ 5o jielles rondes et 15 manches de rechangé,
de terrassier. | 2.5 pioches et 25 manches de rechange;
(20
haches de bûcheron,
20 serpes,
\ 4 scies passe-partout,
, destruction.
de ,
/ 2 pinces
. de oo
,> centimètres,
,.•
-, . t

\ i pince de i mètre ;

plus une caisse d'outils d'ouvriers d'art dont la composition


a été indiquée ci-dessus.
Le chargement d'un mulet comprend :

/ 6 pelles rondes, Outils ( 2 haches,


„ ...
Outils [ L.
io pioches,
, de 4 pics à tête,
. <

1 4 manches de destruction. (
2 pinces de 1 m.
terrassier, f
\ rechange
, ;

dans les bataillons de chasseurs et


Outils de j 12 pelles rondes, Outils de j 4 haches de bû-
terrassier. ( 8 pioches ; destruction. ) cheron ;

dans les régiments d'infanterie affectés aux Alpes.


Le chargement de ces outils sur le mulet est assuré à
38 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
l'aide de porte-outils formés de deux planches disposées
verticalement et accrochées sur l'avant et l'arrière du bât
(fig. 21).
Ces planches portent des trous marqués d'une lettre; les
trous de, la planche d'avant et ceux de la planche d'arrière
correspondant au même outil sont marqués d'une même
lettre.
Le chargement s'effectue simultanément des deux côtés

.
Fig. 21. — Porl.e-oulils des mulels de bât (1/20).

du bât, afin d'éviter que celui-ci ne tourne. Les outils ayant


été placés dans les trous qui leur correspondent suivant un
ordre déterminé sont ensuite assujettis à l'aide de cordes
de brêlage qui viennent se fixer au bât. De cette manière
on empêche les mouvements de la charge et la chute de
celle-ci.

Cavalerie. — Chaque escadron de cavalerie possède 8 sa-


peurs pourvus d'outils, savoir : 4 pioches, i pelles rondes,
2 haches, 4 scies articulées, 4 cisailles. Ces outils sont fixés
à la selle.
Dans un régiment, deux sous-officiers et deux brigadiers
sont destinés à encadrer le groupe des sapeurs des quatre
escadrons. L'instruction de ces hommes est dirigée par un
officier.
OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE 3g

Artillerie. — Chaque batterie de campagne transporte :


pelles rondes,
( 6
43 outils de terrassier, j 16
pelles carrées,
(21 pioches ;
/ 3 haches,
1 16 hachettes,
3g outils de destruction. 6 serpes,
<
i
.
12 scies articulées,
2 scies passe-partout.
[

Génie. — Les compagnies du génie possèdent 210 outils


portatifs du modèle spécial à cette arme, savoir : 66 pelles,
66 pioches, 2 masses à tranche et 2 burins ; 4 cisailles à
main, 4 limes tiers-point et 200 mètres de cordeau à tracer,
répartis en quatre chargements ; 2 ciseaux de charpentier et
2 compas, 4 haches à main, 38 haches, i4 serpes, 4 mar-
teaux de charpentier avec 75 pointes, 2 planes et 2 pelotes
de ficelle, 4 scies articulées et 4 limes tiers-point, 2 scies
égohines et 2 limes tiers-point, 2 tarières et 4 vrilles.
Chaque compagnie du génie est dotée en outre d'un parc
composé de trois voitures de sapeurs-mineurs et d'une voi-
ture légère d'explosifs.
Les voitures de sapeurs-mineurs n° 1 et n° 2 ont un char-
gement presque identique. Elles contiennent au total :

,,
.-il
q4, outils
60 pelles rondes,
,, carrées,
4, pelles ,
de terrassier.
.
{
) r.
\ 00 pioches ;
; i 20 d'infanterie,
l 42 haches 16 de parc,
<

112 outils J ( 6 de charpentier ;


de destruction. ] 6 pics,
I 3o serpes,
\ 34 scies diverses ;
plus des outils d'ouvrier en bois, de maçon, des agrès de
pont, des instruments de lever, des explosifs (70 kilos de
mélinite) et 5 radeaux-sacs Habert.
40 lre PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
La voiture de sapeurs-mineurs n° 3 ne porte pas d'outils,
mais seulement des accessoires. Elle servira fréquemment
à transporter les sacs d'une section.
La voiture légère d'explosifs transporte 123 kilos de
mélinite et les artifices nécessaires à leur mise en oeuvre.
La compagnie du génie dispose donc de :
226 outils de terrassier,
182 outils de destruction,

ce qui lui permet, le cas échéant, d'outiller tous ses hommes


en outils de terrassier ou en outils de destruction.
Parc du génie de corps d'armée. parc, qui marche
— Ce
normalement au train de combat du corps d'armée, assure
le ravitaillement des unités ci-dessus (artillerie exceptée) et
apporte un complément d'outils et de matériel pour les
besoins généraux du corps d'armée.
Il se compose de dix-sept voitures :

g prolonges à couvercle d'outils de pionnier,


2 prolonges ordinaires d'outils portatifs,
1
prolonge de rechange d'outils de sapeur-mineur,
' 1 prolonge de cordages et agrès de pont,
1 forge de campagne,
2 caissons à mélinite,
1 voiture légère de télégraphie.

Chaque prolonge à couvercle d'outils de pionnier trans-


porte :
293 outils ( J75 Pelles rondes de Parc>
de terrassier. a8 Pel]es carrées>
{
go pioches de parc ;
i3o haches de parc,
G haches de charpentier,
10 cisailles ou pinces coupantes,
de destruction, j 4 scies passe-partout,
1
6 pics,
1 55 serpes ;
OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE 41

soit, en chiffres ronds :

( 3oo dé terrassier,
4oo outils. j
..
, destruction.
^ j ioo de 7 .

Pour les neuf prolonges :

3 636 outils.
(2
j
637 de terrassier,
( j destruction.
99g de , . ..

Chaque prolonge d'outils portatifs de rechange contient :

,
. terrassier
de ,
(modèle
.
„,,„.,,•
de I infanterie).
% )
>„.,'•
l
280 bêches emmanchées,
00 pioches
i
portatives
. ;

!4o cisailles à main portatives (mo-


dèle du génie),
..do'haches à main (modèle de l'in-
fanterie),
80.pics (modèle de l'infanterie),
4o scies articulées, :

5o manches de rechange de haches,


1
pics ou pioches ;

soit, au total, pour les deux prolonges :

1 1G0 outils portatifs de rechange.

La prolonge ordinaire chargée d'outils portatifs du génie


et de rechanges de sapeur-mineur transporte :
81 outils de terrassier (portatifs),
110 outils de destruction.

Parc du génie d'armée. — Le parc d'armée assure le


ravitaillement des parcs de corps d'armée et transporte le
matériel de complément nécessaire pour les besoins géné-
raux de l'armée (travaux de siège ou de défense, ouverture
de voies de communication, etc.).
42 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Le parc se compose de 71 voitures, dont 5g voitures
techniques, formant trois divisions de chacune trois sec-
tions :
ire DIVISION
i3 prolonges à couvercle d'outils
de pionnier,
3 prolonges ordinaires d'outils
de chacune f de pionnier,
[
1 prolonge d'outils portatifs.
section
1
)
.,
, yoitures
de .,,, , .
télégraphiques.
}
)
0 voitures,

2* DIVISION

sections
2 1

,., Comme ci-dessus,


. •

de ..
. voitures d., outils. )

section
de
1 .,
1
voitures , réparations.
de ,. , )
}
\
0 voitures,

3e DIVISION

( 1 caisson à poudre,
1 section d,, explosils.
, .„
a, melmite.
<
1 j 0„ caissons
. M< •.

1
section de rechanges. 7 voitures.
1 section
de
1 _ * • 1 de
matériel> J ponts.
^
(° voitures,
)

Le parc d'armée possède donc :

4 prolonges d'outils portatifs,


24 prolonges d'outils de pionnier (12 ordinaires et
12 a couvercle).

Les prolonges à couvercle d'outils de pionnier ont un


chargement identique à celui des voitures de même nom
du parc de corps d'armée.
OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE 43
Chaque prolonge ordinaire d'outils de pionnier contient :
!i5o pelles rondes de parc,
28 pelles carrées,
76 pioches de parc,
5 pics.
75 outils ( 3o haches,
de destruction, j 45 serpes.

Chaque prolonge à couvercle d'outils portatifs trans-


porte :
/ 320 bêches,
4.20 outils 1
80 pioches,
de terrassier, j 10 pelles rondes (modèle du génie),
(
10 pioches (modèle du génie).
(32 haches à main,
45 pics,
' 18 haches (modèle du génie),
de destruction.
.
j 20c scies,
[
2 cisailles.

Les vingt-quatre prolonges d'outils de pionnier transpor-


tent ensemble en chiffres ronds :
6700 outils de terrassier,
2 200 outils de destruction.

En tout, près de g 000 outils.


.
Les quatre prolonges d'outils portatifs de rechange trans-
portent 2 25o outils.

Outillage des armées étrangères

Allemagne. — L'instruction du 8 juin 1906 sur les tra-


vaux de fortification de campagne donne les indications
suivantes, qui diffèrent peu de celles qui résultaient des
règlements antérieurs de 1893 et 1894.
44 l'° PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Infanterie. — Outils portatifs : 4oo petites bêches,
4o pics-hachettes, 20 hachettes ; sur voitures : 20 grandes
pelles, 10 pioches, 8 haches, i5 hachettes, 4 scies de char-
pentier, par bataillon.

Cavalerie. — Outils portatifs : 32 petites bêches,


16 pics-hachettes, 32 hachettes de campagne, 2 pinces à
fil de fer, 16 scies articulées; sur voitures : 1 pioche,
12 grandes pelles, i4 hachettes, 1 scie.de charpentier, par
régiment.

Artillerie. — Une batterie de campagne possède : 27 pio-


ches, 33 pelles, 7 haches, 3o hachettes.
Une batterie d'obusiers possède : 35 pioches, 109 pelles,
3 haches, ig hachettes, 4 pinces à fil de fer, 6 scies
(1 égohine, 3 à main, 2 de charpentier), 4 tenailles à mors,
1
forge avec accessoires.
Une batterie de mortiers possède : i3g pioches, 181
pelles, 5 haches, 27 hachettes, 4 pinces à fil de fer, 10 scies
(1 égohine, 4 à main, 5 de charpentier), 4 tenailles à mors,
16 maillets, forge avec accessoires.
1

Génie. — Une compagnie de pionniers possède les outils


portatifs ci-après : 55 pioches, 110 pelles, 58 haches, 22 ha-
chettes. Au total 245, soit un outil par homme. Dans les
compagnies à effectif de 200 hommes, les chiffres se rédui-
sent à 88 pelles, 45 haches, 18 hachettes.
Son parc se compose : i.° d'une voiture d'outils portant
3o pioches, 60 pelles, 20 haches, 1 hachette, 12 cisailles,
6 pinces à fil de fer, i4 scies (2 égohincs, 6 à main, 6 de
charpentier), 2 tarières, 4 ciseaux, 2 bisaiguës;
20D'une voiture de mineurs contenant un nombre insi-
gnifiant d'outils.
Le détachement de pionniers d'une division de cavalerie
porte avec lui 6 pioches, 13 pelles, 8 haches, 3 hachettes et
OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE 45

sur une voiture de réserve quelques outils pour ouvrier en


bois. L'équipage de ponts divisionnaire porte sur trois voi-
tures : i53 pioches, 606 pelles, g3 haches et hachettes,
3o scies.
L'équipage de siège des pionniers (56 voitures) porte
en gros : 3 o5o pioches, 4 o5o pelles, 5oo haches, 55o ha-
chettes, 110 scies.

Angleterre. — Dans l'infanterie, un homme sur deux


est pourvu d'une pelle-bêche. En outre, des outils sont pla-
cés sur les voitures des bataillons à raison de i5o pioches,
i5o pelles, 17 haches et 42 serpes, soit 309 outils par
bataillon.
Dans la cavalerie, un sous-officier et quatre hommes,
par compagnie, sont pourvus d'un outillage spécial pour
la destruction des voies ferrées et des lignes télégraphi-
ques^).

Autriche. — Infanterie. — Chaque file de deux hom-


mes possède bêche Linuemann portée par l'homme du
1
premier rang. En outre, dans la compagnie, quatre hommes,
pionniers, sont munis, savoir : les n0"- 1 et 2 chacun d'une
pelle et d'une pioche ; les nos 3 et 4 chacun de deux haches
et d'une scie.
Lé total des outils d'une compagnie est ainsi de 99 bêches,i
2 pelles, 2 pioches, 4 haches et 2 scies.
Les pionniers peuvent être réunis par bataillon,
La moitié des caissons à munitions de compagnie portent
1
pelle et 1 pioche.
Total des outils d'un bataillon: 396 bêches, 10 pelles,
10 pioches, 16 haches, 8 scies.

(') Capitaine LAUTII, Etal militaire des puissances étrangères au printemps


de i8g4. — Berger-Lcvrault et Ç'«, éditeurs.
46 l'e PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Le régiment (à quatre bataillons) dispose en outre de
6 pelles et 6 pioches, placées sur lès voitures à vivres.
Le bataillon isolé a, de la même manière, i pioche et
2 pelles supplémentaires.

Cavalerie. — Chaque escadron possède cinq pionniers


porteurs de 2 pelles, i pioche, i hache, i hachette, i saco-
che; le 4° peloton du 6e escadron est en outre organisé en
détachement de sapeurs; il compte trente-six hommes
munis des outils ci-après : io pelles, 5 pioches, 5 haches,
5 hachettes et 5 sacoches à outils de destruction.

Belgique. — Le bataillon d'infanterie dispose comme


outils portatifs de 4oo pelles à manche court, 2l\. pioches,
48 haches à main, 12 scies à main, 36 serpes.
La compagnie du génie a 225 chargements d'outils porta-
tifs comprenant, en particulier, 96 pelles, 47 pioches,
28 grandes haches, 24 haches à main. Elle a deux voitures
d'outils portant chacune 3i pelles, 11 pioches, 20 serpes,
i3 grandes haches, 2 haches à main, 6 scies et 16 pinces à
couper le fil; et deux voitures d'explosifs.
Il existe, en outre, un parc du génie de 44 voitures et
2 forges.
Dans la cavalerie, chaque peloton reçoit 2 pelles Linne-
mann, 1 pioche, 2 hachettes à marteau, 1 sacoche avec
petit outillage. Chaque escadron possède, en outre, un
outillage spécial pour travaux de chemins de fer et de télé-
graphe (').

Italie.
— Le Manuel de campagne de l'officier du génie
(1895) donne les indications suivantes :
Les bataillons d'infanterie et de bersagliers possèdent

(') Capitaine DÉGUISE, Fortification passagère.


— Bruxelles, i8g3.
OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE
47
chacun : i caporal-major, i caporal et 32 sapeurs; les com-
pagnies alpines ont i caporal-major, i caporal et 20 sapeurs ;
le régiment de cavalerie, 1 sous-officier, 6 brigadiers et
48 sapeurs. L'outillage de chacune de ces unités est résumé
dans le tableau ci-après :

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» ^ri "3 ..^

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« «(-,.« Î5
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P, s,g
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/Caporal-major. i i i 3 3 » » » » » »
Inraiiterie \ Caporal.
et (Sapeurs. . . .
... i
16
i
»
i
»
3
»
3
»
»
iO
»
»
»
16
»
16.
»
»
»
»
bersagliers. I M. . . . . 8 » » » » 8 8 » » » »
\ Id 8 » » » » » » » » 8 8

TOTAUX. 34 2 2 6 6 24 8 16 16 8 8
. .

-/Caporal-major. 1 1 1 3 3 » » » »

»
\ Caporal.' 1 1
.
1 3 3 » » » » » »
Compaqmes
_ . . . .
„Sapeurs....
J *
< 6 » » » » 6 » G 6 » »
alpines.
, .
1
1
,,
j Id 6„ . » » » .
» G 6 » » » •-»
\ Id 8 » » » » » » » » 8 8

TOTAUX. 22 2 2 6 6 12 G G 6 8 8
. .

„.
Régiment
.
,
( Sous-offîciers.
l1 _Brigadiers.
.
. .
1
6„
»
»
1
6
»
6
»
6
»»»»»»
6 » » » » »

cavalerie.
„„ , . I)
Sapeurs....
', 24 » » » » » 24 24 » » »
[ ld 24, » » » » » » 24 » 24 »

TOTAUX. 55 » 7 6 6 6 24 48 » 24 »
. .

Les bataillons alpins possèdent, en outre, deux assorti-


ments d'outils et d'engins de mineur, dont i6kg5 de gélatine
explosive et cent amorces de fulminate. Les régiments de
cavalerie ont, en outre, trois assortiments spéciaux pour
destruction de voie ferrée, chacun d'eux se compose de
deux clefs Samuel pour le déboulonnage des rails et de
vingt-quatre cartouches d'explosifs avec accessoires pour
leur emploi.
48 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE.
La récapitulation des outils dont disposent les grandes
unités de l'armée italienne est indiquée au tableau suivant :

DIVISIONS
CORPS
OUTILS PRINCIPAUX ~ '" —"^^""
d'armée
T .
Infanterie
, . Cavalerie
_ , .

Pelles rondes ' 544 172 3 248


Pioches 522 3oo 2073
Haches 337 a57 1 132
Serpes à bout carre 3io 338 1 180
Scies égohines . . .
i46 121 588
Pelles carrées 62 » 260
Haches de sapeurs 3i » 97
Scies. G2 » »
Haches i main 58 10 »
Serpes. '. 47 18 »
Torches i4G 20 1 fl38
Scies » 24 »
Caisses d'engins explosifs » 12 n
Clefs Samuel » 24 »

Russie.
— La Revue militaire de l'Etranger (novembre
1898) donne sur l'outillage de l'armée russe les renseigne-
ments suivants :

Infanterie. — Chaque compagnie possède ioo outils


portatifs (80 pelles Linneinann et 20 haches de 1 kilo)
et 3i outils de transport chargés sur les voitures du train
divisionnaire : 16 grandes pelles, 8 haches, 3 boyaux,
3 pics, 1 pince.

Artillerie. — Ne possède que des outils portés sur voi-


lures ; leur nombre est de 70 environ par batterie et la com-
position de l'outillage diffère avec la nature de l'unité.

Cavalerie. — Chaque escadron dispose de : i° 4o outils


portatifs, savoir : 20 pelles Linneinann et 20 haches de
1
kilo; 20 2 pelles et 2 pioches sur les voitures du train
OUTILLAGE DES ARMÉES EN CAMPAGNE 4g
régimentaire. Les régiments possèdent, en outre, des outils
de destruction et des explosifs portés sur voitures ou che-
vaux de bât ; quelques-uns ont également du matériel télé-
graphique.

Génie. — Les compagnies de sapeurs ont 208 outils por-


tatifs : 100 pelles, 70 haches, 10 pics, 20 boyaux, 8 scies et
io4 outils sur voitures : 4o pelles, 4o haches, 5 pics,
5 boyaux, 8 pioches, 2 scies, 2 pinces, 2 clefs tire-fond, plus
100 sacs à terre et'16 kilos de fils de fer; elles ont, en outre,
des outils d'ouvrier d'art, des outils de mineur et explosifs
(327kg5oo de pyroxyline), plus le matériel de pont et des
téléphones.

Suisse. — Le tableau ci-après résume l'outillage des


troupes suisses, d'après le Manuel des troupes du génie,
du capitaine Egger (1892).

m «
S w
w
3
[^
af s
o
w
oa<
.g
G
2E S
0- w

Outils portatifs (Pelles Limicmann, petites pioches, scies articulées)


i Compagnie.... 40 20 8 4

Régiment
......
Bataillon 1G0
480 240
80 32
96 48
16

jGros outils
! Bataillon 20 10 10 5 Dans les fourgons de bataillon.
Id., et dans les voilures d'ou-
Rcgiment.
....
Cavalerie. — Pas d'outillage.
260 i3o 71 3o l tils de pionniers d'infan-
terie.
. » » » »
I Batterie 24 i5 21 1
Artillerie, < Brigade 144 go 126 6
( Parc de division.
.
75 35 14 7
1 Compagnie de sa-
Génie. P°urs ">8 48 5o 14
j Compagnie de pon-
\ lonnicrs 40 20 22 9

MAHUISI. DE ruRTIFIGATION 4
5o 1" PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Récapitulation. — Outillage d'une division :

P 0 R T A T11" S """^ SUR VOITURES


"
Infan-
lerie
"^
Cava-
lerie
Artil- „. .
lerie "cme

Pelles Liiinemann 080 Pelles i oGo 148


. .. a » 219
Petites pioches
Scies articulées .
... 1040
. .
208
Pioches
Haches et. serpes.
.
53o
294
»
»
125
140
68
72
Serpes et hachetles Scies diverses 125 » i3 23
de cuisine 41G . . .

Japon. — (Revue militaire des Armées étrangères.


décembre igo5.)

Infanterie. — La compagnie possède : 68 pelles carrées,


17 pioches, 8 hachettes, 5 scies articulées, 5 cisailles à main,
soit io3 outils portatifs pour 217 hommes ou un outil pour
2 hommes. (Il aurait été récemment décidé de munir chaque
soldat d'un outil.)
L'outil est porté sur le sac pendant les marches, au cein-
turon lors du combat, quand l'homme laisse son sac en
arrière et ne conserve plus que son manteau, sa toile de
tente, ses cartouches et ses vivres.
En outre, il existe une réserve d'outils de bataillon de
72 outils charges sur deux chevaux de bât : 48 pelles rondes
(de im3o), 16 pioches (de omgo), 8 haches.
Le bataillon d'infanterie dispose donc de 484 outils.

Génie. — La compagnie de génie possède 2i5 outils por-


tatifs pour 226 combattants : 100 pelles rondes, 5o pioches,
22 haches, 12 hachettes, 6 serpes, 6 grandes scies à main,
9 scies articulées, 10 cisailles à main.
Le parc de compagnie transporte 198 outils, dont 84 pel-
les, 3o pioches.
On remarquera le nombre relativement élevé des cisailles
à main, 20 par bataillon d'infanterie, 10 par compagnie du
génie, cet outil est spécialement utile dans l'offensive pour
OUTILLAGE DES ARMEES EN CAMPAGNE 01
détruire les défenses accessoires; ceux qui le portent sont
choisis parmi les volontaires et c'est une marque de bra-
v oure que d'être
désigné pour cette mission.

Tableau comparatif. — Le tableau ci-dessous résume les


renseignements précédents, en ce qui concerne l'outillage
du bataillon d'infanterie dans l'armée française et lesarmées
étrangères.

OUTILS
OUTILS des voilures
PAYS ' de compagnie TOTAL
portatifs ou
de bataillon

France 720 i44 8G4


Russie . .
4°o 120 020
Allemagne 45° 5o -5oo
Autriche 44o » /J4O
Italie Go » Go
Angleterre 400 3Go 7G0
Japon 4°0 7° 47°
Suisse 290 5o 34o
Belgique . . .
.' 520 » 520

Ce tableau montre que l'infanterie française est la mieux


outillée.
Toutefois il est possible que, cédant aux mêmes considé-
rations qui nous ont déterminé à augmenter notablement
notre outillage, d'autres puissances modifient également le
leur. — IJ sera par suite prudent de suivre les renseigne-
ments venus de l'étranger, et notamment ceux que fournil la
Revue militaire des Armées étrangères, pour se tenir au cou-
rant de cette importante question qu'on doit considérer
comme étant toujours à l'étude.
CHAPITRE V

TRANCHÉES-ABRIS

La fortification du champ de bataille a pour but, on le


sait, de donner un abri pendant le combat ; elle est donc
nécessairement exécutée par ceux-là même qui la doivent
utiliser, à l'aide des outils dont ils sont pourvus.
L'instruction du 24 octobre 1906 (§ 12) recommande
avec raison de tirer parti de tous les obstacles du sol en
les aménageant au besoin ; lorsque ceux-ci font défaut ou
que leur utilisation exigerait un travail excessif, on crée
de toutes pièces un couvert sur le sol naturel par la tran-
chée-abri.
L'idée de réduire au minimum le couvert défensif et de
supprimer l'obstacle dans les retranchements appartient
aux Américains ; c'est dans la guerre de Sécession que, pour
la première fois, les rifle-piisfurent employés sur une grande
échelle. Le but de ces retranchements improvisés est de
donner au soldat d'infanterie l'arme défensive qu'il ne peut
porter avec lui; on cherche seulement à le couvrir, et on
abandonne l'obstacle qui ne pourrait être obtenu en si peu
de temps. D'ailleurs, cette disposition offre l'extrême avan-
tage de permettre à la troupe de prendre l'offensive sans
difficulté et échappe ainsi au reproche, longtemps adressé
aux retranchements, d'attacher les hommes au terrain.
L'instruction précitée divise la fortification de champ de
bataille en fortification de campagne légère et fortification
de campagne renforcée.
La première comprend les travaux qui peuvent et doivent,
TRANCKÉES-ABRTS 53

en principe, être exécutés par les troupes d'infanterie avec


l'outillage dont elles disposent.
La seconde comprend des travaux analogues, mais un peu
plus résistants, dont on confie l'exécution aux troupes du
génie en raison des aptitudes spéciales et de l'outillage plus
puissant de cette arme.

§ 1 Tranchées de fortification de campagne légère,



à l'usage des troupes d'infanterie
L'instruction de 1906 donne trois types de tranchées, dont
les dimensions, qui n'ont rien d'absolu, sont modifiées
quand la nature du terrain le rend nécessaire.
Il faut toujours, cependant, s'efforcer d'obtenir un para-
pet de 80 centimètres au moins d'épaisseur pour assurer la
protection contre la balle du fusil, et un relief aussi faible
que possible pour rendre la tranchée moins visible de loin,
par suite moins vulnérable au tir de l'artillerie.
On distingue trois profils de tranchées de fortification
de campagne légère (fig. 22, 23 et 2/f).
Ces trois profils permettent d'obtenir, à des degrés de
plus en plus satisfaisants, la protection de la troupe dans
des positions commodes d'attente et de tir.
En outre, tout en étant d'une exécution aussi rapide que
possible, par la réduction du déblai au minimum, ils se
prêtent à une construction progressive, c'est-à-dire qu'on
passe d'un profil au suivant sans remanier aucune partie des
terrassements déjà faits; enfin, ils sont utilisables aux divers
degrés d'avancement du travail.
La tranchée pour tireur debout (fig. 2/j) est qualifiée par
le règlement « d'ouvrage de fortification de campagne le
plus complet » ; elle s'impose quand on veut se fixer solide-
ment au terrain, par exemple dans le cas de combat défensif
ou d'occupation d'un terrain conquis. Elle permet une posi-
tion d'attente commode et défile aux vues un homme debout
54 l'c PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
au fond de la tranchée. Sa durée totale d'exécution varie
de une heure quinze à deux heures trente; on l'exécute en
principe avec des outils de parc.
La tranchée pour tireur à genoux (fig. 23) assure au
tireur une protection suffisante dans la position de tir et

Fin. 22. — Tranchée pour tireur assis (n° i").

Fi(j. a3. — Tranchée pour tireur à genoux (n° 2).

Fjcj. 24. — Tranchée pour tireur debout (n° 3).

dans une position d'attente accroupie. On s'efforce de la


réaliser chaque fois qu'il est nécessaire de tenir le terrain
pendant un certain temps ; son exécution avec des outils
portatifs demande de trente minutes à une heure et demie.
La tranchée pour tireur assis (fig. 22) est une forme
transitoire. Elle ne permet pas à l'homme de prendre une
position d'attente commode complètement à l'abri des
.
balles.
TRANCHEES-ABRIS 55
C'est également le profil que doivent s'efforcer de réaliser
deux camarades de combat travaillant ainsi qu'où le verra
plus loin. Elle s'exécute en vingt minutes à une heure avec
des outils portatifs. ' •

On passe de \a tranchée pour tireur assis à la tranchée


pour tireur à genoux en enlevant la terre de la banquette
(fig. 25) et la jetant en avant du parapet pour l'épaissir; la
transformation demande de dix à trente minutes.

Fig. a5. — Transformation du n" i en n" 2.

F'ig. 26. — Transformation du n° 2 en n° 3.

On passe de la tranchée pour tireur-à genoux à la tran-


chée pour tireur debout en trois phases de travail, comme
l'indique la figure 26. Cette transformation demande de
quarante-cinq minutes à deux heures.
La première phase donne la hauteur du couvert de im4o
nécessaire pour le tireur debout; la deuxième et la troisième
phase aménagent la tranchée pour la position d'attente tout
en augmentant l'épaisseur du parapet.
Les tranchées ci-dessus peuvent être exécutées dans la
56 i" PARTIE FORTIFICATION l'ASSAGÈRE

zone exposée au feu de l'ennemi, mais à la condition toute-


fois que les travailleurs échappent momentanément aux vues
de ce dernier, qui ne manquerait pas de diriger son tir sur

-a
a
o
o
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' to
g
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O
0

rt
C
-o

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a
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c
d
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H
I

•S5

un rassemblement aussi vulnérable. On doit le plus généra-


lement les établir avant le combat.
Au cours même de la lutte, s'il est nécessaire de demander
au sol l'abri momentané, faute duquel l'assaillant serait
TRANCHÉES-ABRIS 67
contraint à la retraite, on se borne à créer-un masque,
un simple bout de tranchée.
Le règlement prescrit alors que deux camarades de com-
bat unissent leurs efforts pour assurer leur mutuelle protec-
tion. Ils travaillent à cet effet, alternativement, en parlant de
l'attitude couchée, commencent à créer en avant d'eux un
bourrelet de terre, augmentent ensuite progressivement les
dimensions de ce masque et se relèvent au fur et à mesure
que le couvert le permet. La figure 27, empruntée à t'Ins-
truction sur les travaux de campagne de l'infanterie, montre
les phases successives de l'avancement du travail.
Le masque pour tireur couché et la tranchée pour tireur
assis ont le caractère de retranchement individuel, particu-
lièrement utilisables dans l'offensive; ils constituent en
quelque sorte la forme embryonnaire du retranchement de
champ de bataille.
Il n'est pas sans intérêt de faire ressortir les différences
qui existent entre les profils de tranchées-abrisprescrits par
l'instruction de 1906 et ceux qu'ils ont remplacés et qu'a-
vaient définis une instruction du i5 novembre 1892; celle-ci
annulait d'ailleurs des instructions antérieures à '1870.
Le tableau suivant résume les caractéristiques de ces
ouvrages.

PROFILS
ANTKR1EUIIS A 1892 1892 IgoG

H E V H E V H E V

G 0,40 0,60 o,3o G o,5o o,5o 0,42 A 0,40 o,5o 0,40


A 0,60 0,60 o,Go D o,Go 0,80 0,70 G o,4o 0,80 0,48
D 0,70 0,80 i,iu D 0,80 2,00 1,75 D o,0o 0,80 i,o4

Position A


tireur assis.
:
G : tireur à genoux.
;
v, : tireur debout.
D ,
.,,,,,
....
H :
Dimension en mètres.
hauteur du bourrelet.
E : épaisseur du
. ,
, bourrelet.
, . .
V : volume de la tranchée au mètre
courant en mètres cubes.
58 I'c PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
Il ressort de l'examen des chiffres précédents que l'ins-
truction de 1892 avait marque, par rapport aux profils
antérieurs, un accroissement du déblai, par conséquent du
travail à accomplir, et du temps nécessaire à l'exécution des
ouvrages. Son profil intermédiaire, pour tireur debout,
n'assurait au tireur qu'un couvert très insuffisant, im 10,
et exigeait l'adjonction d'aménagements. Le règlement de
1906 a réduit le relief des tranchées, en augmentant l'épais-
seur du bourrelé! de terre, sans chercher cependant à dé-
passer celle qui suffit pour arrêter la balle du fusil; il a
réduit notablement le cube du déblai.
Sans reproduire ici les types abrogés, on dira qu'en 1892
on .avait augmenté la protection du tireur en supprimant une
berme qui séparait, antérieurement, le parapet de la tran-
chée. En 1906, on a réduit les dimensions en largeur de cette
dernière en l'approfondissantun peu; cette réduction a pour
effet de donner plus rapidement au tireur une protection
suffisante; la réduction du relief diminue en même temps la
vulnérabilité de l'ouvrage. L'épaisseur de 80 centimètres du
bourrelet de terre arrête les balles du fusil à toutes les
distances de combat.
En résumé, les nouveaux profils adoptés en France sont
de nature à fournir, dans le minimum de temps, le bouclier
nécessaire au fantassin dans l'offensive comme dans la dé-
fensive. On peut dire qu'ils répondent aux nécessités du
combat moderne.

Tracé des tranchées. — L'emplacement des tranchées


est choisi de manière à permettre à leurs occupants de voir
sur une aussi grande étendue que possible le terrain à battre.
A cet effet, l'officier ou le gradé chargé du tracé place
l'oeil à la même hauteur que celui du tireur supposé dans la
tranchée, et détermine ainsi les points qui donnent le plus
complet champ de tir dans la zone à battre.
« Le tracé des tranchées doit s'adapter aux formes du ter-
rain ; on ne s'astreint pas à le composer de portions droites. »
TRANCHÉES-ABRIS 5g
La direction des tranchées doit être sensiblement normale
à la direction du tir sur les points abattre. Cette indication,
extraite du règlement de igo6, ne saurait dispenser de cher-
cher un accroissement de puissance de la valeur défensive du
tracé en combinant les tranchées de manière que les diverses
parties se flanquent réciproquement ainsi qu'on l'a expliqué
au chapitre II.
Toutes les tranchées doivent échapper aux vues d'enfi-
lade, et, autant que possible, aux Arues d'écharpe. Ce danger
est surtout à craindre pour les tranchées construites afin de
donner des feux de flanc; aussi doit-on s'efforcer de dissi-
muler ces dernières à l'ennemi.
Dans le tracé d'une ligne de tranchées, on cherche tou-,
jours à incorporer les couverts et obstacles existants sus-
ceptibles d'être aménagés sommairement, pour réduire le
travail à exiger de la troupe. Le développement des tran-
chées est calculé à raison de 70 centimètres par occupant.
Le tracé de la tranchée est marqué par des gaulettes, des
pierres, ou même des jalonneurs.

Composition des ateliers. — Le tracé étant effectué,


les travailleurs sont répartis en ateliers.. On désigne ainsi
l'ensemble des hommes travaillant à une tâche commune.
La longueur de l'atelier est calculée à raison de un pas,
de j5 centimètres, par travailleur, tandis que chaque tireur
n'occupe que 70 centimètres de crête; on se ménage ainsi
la place nécessaire pour les gradés qui n'ont pas contribué
effectivement à la construction de la tranchée.
Les tranchées sont exécutées soit au moyen des outils
portatifs, soit au moyen des outils de parc.
Les premiers qui ont un faible rendement, mais sont en
grand nombre à la disposition immédiate des troupes, con-
viennent aux tranchées pour tireurs assis ou à genoux.
La tranchée pour tireurs debout, au contraire, doit, être,
en raison de son plus fort profil, exécutée avec les outils de
parc.
60 I,e PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Le nombre des travailleurs d'un atelier est choisi de façon
que chaque atelier comporte un piocheur.
Si on ne dispose que des outils portatifs de l'infanterie, on
constitue en principe, pour tenir compte de la composition
de cet outillage, des ateliers de quatre ou cinq hommes.
Si on dispose d'outils de modèles divers, en nombre suffi-
sant pour pouvoir adopter la proportion de pelles et de
pioches la plus avantageuse, on donne normalement à un
atelier :
i° En terrain facile à creuser: 3 hommes, 2 pelles et
1 pioche.
20 En terrain dur : 2 hommes, 1 pelle et 1 pioche.
Dans le cas où on disposerait d'un nombre d'outils insuf-
fisant pour en doter chaque homme, on pourrait n'en donner
qu'un seul pour deux hommes.
Chaque atelier comprendrait, comme il est dit ci-dessus,
soit deux pelles et une pioche, soit une pelle et une pioche,
mais le nombre des ^travailleurs serait doublé, c'est-à-dire
porté à six dans le premier cas et à quatre dans le second.
La durée d'exécution n'est pas ainsi sensiblement aug-
mentée grâce à l'effort continu qu'on peut obtenir en faisant
travailler sans arrêt une moitié des hommes, pendant que
l'autre se repose ; grâce aussi à la gêne moins grande
éprouvée par les travailleurs opérant dans un espace plus
grand.
Cette manière de faire s'impose dans le cas où la tranchée
est exécutée de nuit.

Exécution des tranchées. — La tranchée étant jalon-


née et les ateliers constitués, les travailleurs sont conduits
à leur emplacement.
La tâciie est indiquée à chaque atelier. Les hommes dis-
posent leur fusil et leur sac sur le revers, à portée de la main,
et marquent d'un trait la ligne du tracé et les limites laté-
rales de l'atelier.
Puis, ils amorcent le parapet en constituant le plus vite
TRANCHÉES-ABRIS 6l
possible un masque de 3o centimètres de hauteur tenu à
pente raide.au moyen des premières mottes extraites de la
fouille. Si elles sont gazonnées, le gazon est mis en dessous.
Ce masque peut, au besoin, être exécuté par un homme
dans la position couchée, qui se redresse de plus en; plus
derrière le parapet dont la hauteur croît au fur et à mesure
de la continuation de la tranchée.
Au-dessus du masque de 3o centimètres, le talus intérieur
est tenu à la pente naturelle des terres, parce que cette dis-
position rend plus commode la position de tir. Par contre,
la tranchée est creusée avec des parois aussi A'erticales que
possible, afin de ne pas diminuer la protection que la masse
couvrante donne au défenseur contre les coups directs et.
celle qu'il reçoit du revers contre les éclats en retour des
obus explosifs.
On ne s'astreint pas à donner aux talus une forme régu-
lière, on l'évite au contraire soigneusement, parce que des
plans bien réglés et bien damés, se coupant suivant des
arêtes nettes, seraient rendus visibles de très loin par le
contraste de leurs éclairements. Il y a, notamment, avantage
à adoucir le plus qu'on le peut le talus extérieur de manière
à le raccorder au. sol par une pente insensible.
On s'efforce en outre de dissimuler le plus possible les
tranchées; en donnant au parapet un aspect qui se con-
fonde avec celui du terrain avoisinant ; dans ce but, lorsque
la couleur des terres remuées tranche d'une manière trop
marquée avec celle du sol, on recouvre, sans régularité, le
parapet de mottes gazonnées, de chaume, d'arbustes, de
branchages, etc. ; certains de ces matériaux peuvent être
utilisés pour dissimuler la tête des tireurs.

Aménagements individuels. — Quand les tireurs


viennent occuper la tranchée, chacun d'eux, s'il en a le
temps, aménage son emplacement.
A cet effet, il abaisse ou élève, si sa taille l'exige, le
niveau du fond de la tranchée ou de la banquette de tir.
62 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Il peut aussi pratiquer sur la plongée avec le manche de
l'outil ou la crosse du fusil une petite échancrure pour
placer l'arme, ce qui augmente la protection de sa tête
{fig. 28).
Enfin il recoupe dans la pente adoucie de la partie supé-
rieure du talus intérieur un gradin appuie-coude, de 3o cen-
timètres de largeur sur 3o centimètres de hauteur, qui lui

Fig. 28. — Aménagement individuel d'une tranchée.

permet de tirer avec le ou les coudes appuyés et d'avoir le


corps mieux en contact avec le couvert.
On trouve parfois avantage à réaliser un gradin continu
sur tout le développement d'une tranchée.

§2
— Tranchées de fortification de campagne renforcée

Les ouvrages de fortification de campagne légère, qu'on


vient d'examiner, sont insuffisants pour résister à un tir sys-
tématique de l'artillerie et, notamment, aux coups percu-
tants.
Aussi, dans le but de constituer des ouvrages plus résis-
tants et assurant un meilleur défilement au personnel qu'ils
abritent, l'Ecole de fortification de campagne, approuvée
par le ministre le i5 décembre 1906, prévoit la construction
de tranchées plus fortes qui constituent les ouvrages de for-
tification de campagne renforcée.
TRANCHEES-ABRIS 63

Ces ouvrages (fig. 2g) dérivent de la tranchée pour tireurs


debout par élargissement et, au besoin en outre, par appro-
fondissement. Les terres sont employées non à surélever le
parapet qui conserve sa hauteur de 60 centimètres, mais à
porter son épaisseur à environ 2m5o. L'expérience a, en
effet, montré, qu'avec un faible relief, un parapet de cette
épaisseur ne peut être détruit par l'artillerie de campagne
sans une consommation exagérée de munitions.

Fig. 29. — Tranchées renforcées.

« L'exécution de ces ouvrages, ainsi que celle des travaux


spéciaux qui s'y rattachent (abris, défenses accessoires...),
incombe aux troupes du génie auxquelles on adjoint, s'il y
a lieu, des auxiliaires d'infanterie. »
Ces derniers opèrent sous la direction immédiate de leurs
chefs et reçoivent des tâches déterminées et distinctes de
celles données aux sapeurs.
Ils sont, s'il y a lieu, complétés en outils par ceux des
prolonges du parc du génie de corps d'armée, de préférence
à ceux du train de combat des compagnies du génie.
En principe, la compagnie du génie doit disposer pour
elle-même de tous ses outils, afin que, « dès l'achèvement
de sa tâche propre et sans attendre la fin des travaux confiés
6/| Ilc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE

aux auxiliaires, elle puisse être envoyée avec tout son ma-
tériel en un autre point où sa présence est jugée nécessaire ».
Ce principe, posé par l'École de fortification de campagne,
paraît pouvoir comporter quelques tempéraments dans son
application. En effet, puisque le nombre des outils de pion-
niers du parc de la compagnie de sapeurs-mineurs est supé-
rieur à l'effectif de cette unité, il y aurait, semble-t-il,
avantage à en confier l'excédent à d'autres hommes que les
sapeurs. En outre, les ressources du parc de corps d'armée
sont souvent assez éloignées pour qu'il y ait intérêt à com-
mencer le travail avant leur arrivée.
La tranchée renforcée peut être édifiée par le procédé de
construction progressive; mais on ne procède ainsi que si
l'attaque de l'ennemi est à craindre au cours de l'exécution.
Les ateliers sont disposés comme pour les tranchées
légères, mais on ajoute à chaque atelier un travailleur sup-
plémentaire, muni d'une pelle, qui se tient sur le parapet
pour reprendre les terres et les régaler.
La transformation d'une tranchée légère en tranchée ren-
forcée exige une à deux heures de travail. La durée totale
de la construction d'une tranchée renforcée avec emploi
continu des outils du parc (ou portatifs du génie) varie de
deux à cinq heures et demie.

§ 3
— Profils allemands

Toutes les nations ont adopté des retranchements d'une


exécution rapide pour le champ de bataille.
Ils ont entre eux de grandes analogies. On se contentera
d'indiquer ici les profils allemands donnés par l'Instruction
du 8 juin igo6 sur les travaux defortification de campagne.
Il est. vraisemblable que les autres armées ont modifié ou
modifieront les profils qu'elles avaient adoptés, pour les
mêmes raisons qui ont déterminé des changements en
France et en Allemagne.
TRANCHÉES-ABRIS 65
Les profils allemands (fig- 3o, planche A) sont plus
nombreux que les nôtres, on n'y trouve cependant pas de
tranchées pour tireurs assis.
Ils se distinguent des nôtres par une tendance à diminuer
la hauteur des bourrelets de terre, en vue de rendre les
ouvrages moins vulnérables ; l'un d'eux même ne comporte
pas du tout de parapet, disposition qui peut être bonne
lorsque le site de l'ouvrage lui assure des vues suffisantes,
mais qui exige une durée de construction assez notable et
qui serait tout à fait incompatible avec un terrain semé de
quelques accidents. Ces profils comportent comme les nôtres
une petite banquette appui-coude à 3o centimètres au-des-
sous de la crête. '

Les talus de la tranchée sont tenus aussi raicles que le


permet la consistance du terrain ; la tranchée est aussi étroite
que possible ; 60 centimètres sont considérés comme le
minimum,.
Ainsi qu'on peut s'en rendre compte à la seule inspection
des profils, la multiplicité des types se justifie par la néces'-
sité de les adapter aux divers terrains.
Le règlement français, plus simple, laisse aux exécutants
le soin de modifier le profil réglementaire lorsque la nature
du sol l'exige.
Le profil n° 1 correspond à notre tranchée pour tireurs à
genoux.
Le profil n° 9 (tranchée renforcée), à notre tranchée pour
tireurs debout.
A partir du moment où les travaux ne peuvent plus de-
meurer dissimulés aux vues de l'ennemi, le règlement alle-
mand admet l'augmentation du relief, qui permet d'assurer
mieux la surveillance du terrain.
Pour éviter tout mouvement de troupe à découvert, les
tranchées d'infanterie sont mises en communication entre
elles et avec les couverts de l'arrière au moyen de boyaux
de communication. Les unes et les autres sont exécutés sur.
une largeur restreinte puis élargis.
MAKUEI, DK FOIITIFICATION 5
65 bis Planche A

Fig. 30. — Profils de tranchées allemandes (j^).


66 PARTIE —- FORTIFICATION PASSAGERE
Le règlement allemand admet aussi que, dans la défen-
sive, on pourra donner plus de force aux ouvrages, et
même parfois prendre la terre nécessaire dans un fossé
extérieur à l'ouvrage qui lui sert alors d'obstacle contre
l'assaillant.
Ainsi renforcée, la tranchée devient de la fortification de
position. On a cru devoir cependant la mentionner ici afin
de ne pas la séparer des autres renseignements extraits du
règlement allemand.

Effets du tir de l'artillerie contre les tranchées


et les troupes qui les occupent. — Après avoir passé
en revue les types d'ouvrages du champ de bataille, il con-

Fig. 3i. •— Obus fusant tiré de plein fouet.

vient de se rendre compte du degré de protection qu'ils


offrent à leurs défenseurs, en étudiant l'effet produit sur ces
retranchements par le tir de l'artillerie.
Dans le tir fusant de l'obus à balles de campagne, l'incli-
naison des balles les plus dangereuses ne dépasse pas 160.
Cette inclinaison, qui est la somme de l'angle de chute o
(fig. 3i) et de la demi-ouverture de la gerbe a, est, à
2 5oo mètres pour le canon de 75, de I3°I5, comme le
montre la figure; elle augmente avec la distance.
L'angle de i5° correspond à peu près à la pente de i/3,5.
Comme le parapet de 80 centimètres est plus que suffisant
pour arrêter la partie de la gerbe qui viendrait à le rencon-
trer, aucune balle ne pourra atteindre la zone située au-des-
TRANCHÉES-ABRIS 67
sous de la ligne AB à i/3,5 dans laquelle le défenseur sera
à l'abri de ce tir fusant.
L'obus à balles des canons de campagne tiré fusant est
donc absolument inefficace contre une infanterie abritée
dans une tranchée, en position d'attente, c'est-à-dire ados-
sée à la masse couvrante. Mais il redevient efficace dès que
le défenseur se découvre pour tirer.
La protection du défenseur est moindre contre le tir fu-
sant des obus à balles exécuté avec les pièces courtes qui
figurent dans l'artillerie de siège et place et dans l'artillerie
lourde d'armée. Ces pièces, en effet, font du tir plongeant,
l'angle de chute du projectile est beaucoup plus grand et,

Fig. 32. — Obus fusant, tir plongeant.

ainsi qu'on l'a dit déjà page 24, sa gerbe d'éclatement est
généralement plus ouverte. ^
Le canon de i55 court tiré à charge variable permet d'at-
teindre tous les objectifs au delà de 1 5oo mètres sous des
angles de chute de 3o° à5o°. La demi-ouverture de la gerbe
est peu supérieure à io°. Les balles les plus dangereuses
ont donc une inclinaison de 4o° à 6o°, c'est-à-dire de 1/1 à
2li(fig.32).
L'angle mort dans lequel le défenseur est à l'abri se trouve
donc réduit.
Il en est de même si on considère le tir d'obus à mélinite.
L'obus brisant de 77 allemand tiré fusant a, entre 2 5oo
et 3 000 mètres, un angle de chute voisin de 6°; la demi-
68 PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
ouverture de la gerbe est environ de 55°; les balles les plus
dangereuses ont donc une inclinaison de 6o°, soit environ
2/1. Le défenseur, même accroupi sur la banquette, est im-
parfaitement abrité (fig. 33).
C'est certainement afin d'atteindre le défenseur derrière
la masse couvrante que les Allemands avaient prévu le tir
fusant de cet obus. .
Pratiquement, ce tir ne. donne que des résultats mé-
diocres, parce que le défenseur ne peut être atteint que si

Fig. 33. — Obus à mélinite, fusant.

l'obus éclate exactement au-dessus de la crête de feu. L'écla-


tement se produit-il en un autre point, même peu éloigné,
alors, en raison de la faible épaisseur de la gerbe et du faible
rayon d'action des éclats, l'efficacité est nulle, même sur
des défenseurs dans la position de tir.
Un réglage parfait de la portée et de la hauteur d'écla-
tement est donc nécessaire; en admettant qu'il soit obtenu,
à cause de l'écart probable en portée et de celui de la fusée,
1111e faible proportion des coups seulement AÙennent éclater
assez près de la crête pour être efficaces.
Aussi les Allemands semblent-ils avoir renoncé à tirer
fusant leur obus brisant de 77.
TRANCHÉES-ABRÏS 6g
L'obus à mélinite de campagne, tiré percutant sur une
tranchée, produira un effet s'il tombe en avant et dans le
voisinage immédiat de la crête de feu.

Fig. 34. — Obus à mélinite fusant après ricochet et percutant.

S'il ricoche et que la distance du point de chute à la


crête de feu soit telle qu'il éclate exactement au-dessus de
cette crête, on obtiendra l'effet indiqué (fig. 34-d) dans
le cas de l'obus brisant de 77 allemand (i35 grammes de
70 I™ PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
mélinite) et celui de la figure 34-6 dans le cas d'un obus à
plus forte charge (obus de 75 français, 825 grammes).
S'il éclate plus en arrière (fig. 34-c), les éclats en retour
seront seuls dangereux et en partie arrêtés par le revers.
S'il pénètre dans le parapet (fig. 34-d), il fera un en-
tonnoir dont le diamètre pour l'obus à mélinite de 75 doit
être d'environ 1 mètre. Les matériaux projetés ne seront
dangereux que pour les deux ou trois défenseurs les plus
voisins.
Ce tir nécessite donc un réglage parfait de la portée et,
même avec ce réglage, une faible proportion des coups
tombent assez près de la crête pour être efficaces.
En outre, ce tir a sur le personnel des effets très loca-
lisés.
Il pourrait servir à raser le parapet, mais il ne faut pas
s'exagérer ce danger ainsi que le fait remarquer M. le gé-
néral Lauglois, car la théorie et l'expérience montrent que,
pour raser une simple tranchée-abri de 100 mètres de déve-
loppement, une batterie devrait épuiser presque tous ses
caissons en les supposant remplis d'obus brisants.
Donc, le tir des obus de campagne, chargés en mélinite,
sur un retranchement est peu efficace contre le personnel et
contre la masse couvrante elle-même.
Généralement, l'artillerie de campagne tirera à obus à
balles fusant sur des tranchées occupées, dans le seul but
d'obliger les défenseurs à se terrer et, par suite, à ne pas
faire usage de leurs fusils.
Les pièces de siège et place et les pièces courtes de l'artil-
lerie lourde d'armée tirent des obus contenant une forte
charge d'explosif dont l'effet local sur un retranchement et
sur ses défenseurs serait sérieux. Mais, en raison de la dis-
persion des coups, le poids de munitions à dépenser pour
raser une tranchée avec ces obus serait supérieur au poids
des obus de campagne qui seraient nécessaires.
Le résultat serait hors de proportion avec la dépense en
munitions.
TRANCHEES-ABRIS 71
« Tirer contre une tranchée avec un obusier de i5, c'est
prendre une massue pour tuer une mouche ; encore a-t-on
grande chance de la manquer. » (Général Langlois.)
Les considérations qui précèdent justifient pleinement les
profils adoptés pour les tranchées-abris.
Leur parapet est peu considérable, mais" sa protection
contre le tir percutant résulte beaucoup moins de son épais-,
seur que de son invisibilité, d'où l'avantage qu'il y a à adop-
ter des parapets de faible relief et à les dissimuler,le mieux
possible.
La tranchée elle-même est profonde, étroite et à parois
aussi verticales que possible pour donner le maximum de
protection contre le tir fusant des shrapnels et celui des
obus explosifs.

Les balles des fusils ont, en raison de leur grande vitesse,


des angles de chute assez faibles. Par contre, leur pénétra-
tion dans la terre est en général supérieure à: celle des balles
provenant des obus. Il résulte de là que si un retranche-
ment assure à ses défenseurs une protection efficace contre
le tir fusant de l'artillerie, il les garantit également contre
les balles du fusil, à condition que son parapet ait l'épais-
seur minima de 80 centimètres.
Cette condition étant remplie pour les divers types de
retranchements qu'on a examinés, on peut en conclure
que ceux-ci sont de nature à mettre leurs défenseurs égale-
ment à l'abri des coups de l'artillerie et de ceux de l'infan-
terie.

Améliorations des tranchées-abris. — Les tran-


chées-abris qui ont été étudiées, y compris la tranchée
renforcée, et même des retranchements de plus fort profil
ne garantissent pas entièrement le défenseur dans la posi-
tion de tir, ni dans la position d'attente.
Pour que le tireur, monté sur la banquette, puisse faire
usage de son arme, la hauteur de la crête au-dessus de la
72 I"" PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
banquette ne doit pas dépasser i'"4o. Il en résulte que le
tireur a la tête et les épaules à découvert.
Dans la position d'attente, si l'occupant a soin de se blot-
tir contre la masse couvrante, il ne peut être atteint, ni par
les balles du fusil, ni par les balles des obus à balles, mais il
reste exposé aux éclats que les obus à explosifs brisants
lancent de haut en bas et latéralement, et a fortiori aux
éclats, moins nombreux d'ailleurs, que ces mêmes obus lan-
cent en retour.
En outre, le parapet ne donne qu'une protection impar-
faite contre les coups d'écharpe et n'en procure aucune
contre les coups d'enfilade, à reArers ou à dos.
On doit donc se préoccuper d'améliorer la protection du
défenseur par un aménagement convenable des tranchées.
Ces aménagements, en raison du temps et, dans certains
cas, des matériaux qu'ils nécessitent, reçoivent surtout leur
développement dans la fortification de position; mais l'avan-
tage qu'ils procurent étant éminemment utile, ou doit y
recourir toutes les fois qu'on le peut, pour l'amélioration
des simples tranchées; on les proportionne, dans ce cas,
au temps et aux ressources dont on dispose.
C'est ainsi qu'on exécute : d'abord, les aménagements
individuels qui consistent à approprier la hauteur de la
masse couvrante à la taille de l'homme en approfondissant
ou relevant le fond de la tranchée; puis, des rainures dans
le parapet pour recevoir le canon de l'arme. On recouvre le
parapet de gazons et branchages pour les dissimuler aux
Auies.
Enfin, on a recours aux dispositifs ci-après qui seront
examinés plus complètement lors de l'étude de la fortifica-
tion de position, mais dont il convient de signaler dès à
présent ceux qui s'appliquent à la fortification de champ de
bataille.

Bonnettes. — Au premier rang, parmi ces dispositifs,


on citera d'abord les bonnettes (fig. 35).
TRANCHÉES-ABRIS 73
Elles consistent en des masses de terre placées sur le
parapet et entre lesquelles le tireur peut faire le coup de feu
tout en étant à peu près couvert.
Leurs intervalles sont des sortes de créneaux que l'on
évase vers l'extérieur pour ne pas trop diminuer le champ
de tir.
On peut aussi, pour leur établissement, se servir de sacs
à terre disposés comme l'indique la figure 35. C'est un
moyen fort commode, qu'il est' très avantageux d'employer
quand on possède l'approvisionnement de sacs nécessaire.

Fig. 35. — Bonnettes en terre et en sacs à terre.

L'emploi de sacs à terre comme bonnettes se plie d'ail-


leurs à toutes les formes de la fortification du champ de
bataille, aussi certains auteurs ont-ils émis l'avis que le
soldat devrait être muni d'un sac à terre conjointement avec
son outil. Sans partager cette opinion parce qu'on estime
dangereux de charger le fantassin de tout ce qui ne lui est
pas rigoureusement indispensable, on a cru devoir la citer
comme preuve de l'avantage que procure une bonnette.
Traverses. —
Cesont des masses couvrantes en terre,
faisant corps avec le parapet, disposées en arrière et perpen-
diculairement à lui.
Dans la fortification de champ de bataille où on leur de-
mande de résister seulement aux éclats, leur épaisseur est
de 5o centimètres à i mètre. On tient leurs talus aussi raides
que possible, pour ne pas réduire la place laissée aux dé-
fenseurs (fig. 36).
7^1 l'c — FORTIFICATION PASSAGÈRE
PARTIE
Les traverses doivent avoir une longueur suffisante pour
fermer la tranchée dans toute sa largeur.
On permet la circulation autour des traverses à l'aide
d'un passage dont la largeur au fond de la tranchée peut
être très réduite.
Dans l'exécution des travaux, on ménagera à l'avance
l'emplacement des traverses.
Si l'on doit établir des traverses dans une tranchée déjà
construite, on peut se servir de sacs à terre, de tonneaux,
gabions, caisses remplis de terre, de sable ou de cailloux.

Fig. 30. — Traverse dans une tranchée-abri.

En aucun cas, les traverses ne doivent dépasser la crête


du parapet, afin de ne pas augmenter la visibilité de la tran-
chée et surtout pour ne pas servir de point de mire.

Abris. —Le but des abris est de protéger les défenseurs


contre les projectiles de l'ennemi.
Généralement ils sont destinés aux troupes en position
d'attente ; quelquefois, ils servent aussi dans la position de
tir.
On a vu que les défenseurs, dans la position d'attente,
trouvaient protection en se blottissant contre le parapet ou
les traverses. Cette protection est suffisante contre le tir du
fusil et celui des obus à balles des canons de campagne,
en raison de la grande tension de leur trajectoire et de la
faible ouverture de la gerbe. Elle ne l'est plus si on consi-
TRANCHÉES-ABRIS .'
75
dère le tir même de plein fouet des obus à mélinite ou le tir
plongeant des obusiers, quelle que soit la nature de leurs
obus (voir p. 66). Il sera donc toujours avantageux et par-
fois indispensable d'aménager des abris pour améliorer la
protection des troupes.
Pour se protéger contre la mitraille, dont la pénétration
est très faible, il suffît d'abris légers, d'une réalisation fa-
cile, rapide et, par suite, presque toujours possible.
Si on veut créer des abris capables de résister au tir per-
cutant des obus de campagne, il.faudra un blindage solide
en bois, en rails ou en tôle ondulée recouvert d'une épaisse
couche de terre. Le: temps et les moyens nécessaires à leur
construction dépassent les ressources ordinaires de la forti-
fication de champ de bataille.
A plus forte raison ne saurait-on penser, dans les mêmes
circonstances, à demander des abris capables de résister aux
effets destructeurs des obus à grande capacité de .l'artillerie
lourde. Il faut, en effet, 5 à 6 mètres de terre pour résister
à l'obus à mélinite d'un obusier de i5.
Mais il ne résulte pas de là que des abris plus légers
soient inutilisables. Ils garantissent des éclats et ne sont
détruits que si le projectile tombe dans leur voisinage im-
médiat. Or, le tir plongeant des obusiers est peu précis et,
par suite, il faut tirer un nombre considérable d'obus pour
obtenir quelques coups heureux sur des objectifs aussi
étroits que des abris. Ce tir sera d'ailleurs d'autant moins
efficace que les abris seront plus petits et mieux dissimulés.
L'effet de ces rares coups heureux sera ainsi localisé.

Emplacement des abris. — Les abris sont constitués


dans les retranchements eux-mêmes ou en dehors. En cons-
truisant les abris dans les retranchements, on réduit au
minimum le temps nécessaire aux défenseurs pour se porter
à leur poste de combat et on utilise, pour l'abri, l'excavation
de la tranchée, ce qui réduit'le travail.
En construisant les abris en dehors du retranchement, on
76 Irc PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
peut souvent les mieux dissimuler ; en tout cas, on offre à
l'artillerie ennemie un plus grand nombre d'objectifs et on
divise ainsi son action.
En les plaçant à 100 ou i5o mètres en arrière des inter-
valles qui séparent les tranchées, on soustrait les abris au
tir d'artillerie dirigé sur ces dernières, tout en permettant
aux défenseurs de se porter assez rapidement à leur poste
de combat.
Il est bon que le chemin que les défenseurs ont alors à
suivre soit défilé des Ames et des coups de l'ennemi. Si ce
défilement ne peut être réalisé par l'utilisation des formes
du terrain ou des couverts naturels, on peut être obligé de
réunir les abris aux tranchées par des boyaux de communi-
cation formés de tranchées donnant un couvert de im8o et
protégées contre les coups d'enfilade par leur tracé en zig-
zag ou en crémaillère. 11 ne faut pas se dissimuler que la
construction de semblables tranchées nécessite le plus sou-
vent un effort incompatible avec les conditions inhérentes à
la fortification de champ de bataille.

Abris légers. — Quand on peut se procurer des pan-


neaux (volets, portes, etc.) ou même de simples planches,
on utilise aArantageusement ces matériaux comme l'indique',
la figure 3y.
Pour prendre la position de tir, on glisse les panneaux
sur le revers en les soulevant le moins possible.
L'École de fortification de campagne qui indique ces
types spécifie bien qu'ils ne sont bons que contre le tir fusant.
Là protection qu'ils assurent est tellement précaire qu'on
n'en fera sans doute usage que s'ils ne demandent pour ainsi
dire aucun effort pour leur établissement.
On peut aussi obtenir simplement des abris contre le
tir fusant en transformant des portions de tranchée pour
tireur debout en tranchées-refuges comme l'indique la
figure 38.
Le ciel est constitué par une couche de terre de 3o cen-
TRANCHEES-ABRIS 77
timètres environ d'épaisseur supportée par des planches,
des rondins, des fascinages.

Fig. 37. -^ Panneaux et planchers servant d'abris légers dans une tranchée.

Une telle tranchée est un abri pour la position d'attente,


elle est inutilisable pour le tir.

Fig. 38. .— Tranchée-refuge.

On se bornera ici à la description des abris les plus légers


et les plus simples; l'étude de la fortification de position
contiendra celle des types d'abris mieux aménagés ou plus
résistants.
78 lre PARTIE •.
FORTIFICATION PASSAGÈRE
Pr'otection des talus. — Ily a intérêt à ce que les
talus des tranchées soient tenus aussi raides que possible
afin d'augmenter la protection des hommes ; lorsque les
terres ne permettent pas d'obtenir ce résultat, on a recours
à des dispositifs de protection dits revêtements dont l'étude
trouvera sa place dans celle de la fortification de position.

Défenses accessoires. — Aucun des retranchements


de la fortification de champ de bataille ne forme obstacle.
Il peut y avoir intérêt dans certains cas à disposer en avant
d'eux un obstacle artificiel qui arrêtera l'ennemi quelque
temps sous le feu du défenseur. On réserve l'examen de ces
obstacles, dénommés défenses accessoires, à la fortification
de position.
On se bornera à dire ici que les réseaux de fil de fer pa-
raissent être celle des défenses accessoires qui trouverait le
plus aisément son application dans la fortification de champ
de bataille.
CHAPITRE VI

ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS


DU TERRAIN

Les divers retranchements dont l'étude vient d'être faite,


étant exclusivement formés de terre, permettent, en toute
circonstance, de donner aux troupes l'abri qui peut leur être
nécessaire. Mais il arrive souvent (') que l'on peut fortifier
une position à moins de frais et plus rapidement, en utili-
sant les formes du terrain, les accidents qu'il présente et
les constructions dont il est couvert, toutes choses dont
l'ensemble peut être désigné sous le nom de fortification
naturelle.
L'importance de la fortification naturelle est considérable,
eu égard à la simplicité des moyens qu'elle met en oeuvre.
Aussi, ses éléments font partie de l'instruction donnée
aujourd'hui au soldat; on s'attache, dans les exercices tac-

(') Au nombre des circonstances qui peuvent amener un défenseur à modifier


les retranchements étudiés dans les chapitres précédents, on citera la présence
de la neige. On peut, en l'employant, obtenir assez rapidement un couvert suffi-
sant contre les balles et le canon, dans des circonstances où il sérail, souvent
fort difficile, sinon impossible, d'élever des retranchements en terre. L'épaisseur
à donner aux parapets de neige pour résister aux balles actuelles doit être de
i'"8o, si cette neige est fortement tassée, et de 3m2o si elle ne l'est pas. Contre
les projectiles de l'artillerie de campagne, il ne faudrait pas moins de 8 mètres.
Le fumier peut également remplacer la terre et présente une grande résistance
à la pénétration des projectiles ; on l'emploie toujours, quand on le peut, pour
constituer le blindage des abris, parce qu'il est plus maniable, plus léger que la
terre et tout aussi résistant. Son seul inconvénient.est de s'enflammer quand les
projectiles d'arlilleric éclatent à l'intérieur ; aussi esl-il bon de le recouvrir tou-
jours d'une cerlaine quantité de terre.
8o Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
tiques, à développer chez lui le sentiment qui le pousse
instinctivement à se couvrir d'un arbre, d'un pan de mur,
d'un pli de terrain, etc.,.pour faire usage de ses armes sans
se laisser apercevoir de l'ennemi, et l'instruction du 24 octo-
bre 1906 indique les travaux à exécuter pour accroître la
valeur défensive de ces accidents.
On va passer en reAuie, dans ce chapitre, les divers pro-
cédés employés dans ce but. L'exposé qui va suivre con-
tiendra non seulement l'organisation des éléments de forti-
fication naturelle qui correspondent aux tranchées de la
fortification du champ de bataille, tels que levées de terre,
haies, murs, mais encore celle des bois, maisons, fermes,
AÙUages qui constituent proprement des points d'appui,
c'est-à-dire un groupe d'éléments. Pour ces derniers même
on indiquera leur organisation complète, telle qu'on peut
la réaliser seulement dans la fortification de position.
Cette méthode, qui laisse'place à quelques objections, a
paru néanmoins préférable à celle consistant à scinder en
trois parties différentes l'étude de l'organisation défensive
des accidents du sol.

Aménagements sommaires des arbres,


amas de pierres, etc.
On rappellera tout d'abord les dispositifs qu'indique l'ins-
truction du 24 octobre 1906 pour l'utilisation par le tireur
des arbres, bornes, amas de pierres ou autres couverts
accidentels. Les premiers sont insuffisants pour arrêter les
balles, on s'efforce donc de les doubler d'un 'masque de
terre pris dans une tranchée où le tireur s'abrite. Les
derniers ont souvent besoin d'être releA'és ou épaissis pour
garantir l'homme entièrement ; il y a, en outre, intérêt à les
recouvrir de terre pour éviter les éclats dangereux que pro-
duisent les balles frappant la pierre.
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN 8I

Organisation défensive des digues, fossés, ruisseaux,


chemins, routes, murs de clôture, etc.

Levées de terre. — Les levées" de terre que l'on ren-


contre sur le sol, telles que digues, chemins en remblai, etc.,
fournissent un excellent parapet. Il suffît d'entailler le talus
du côté opposé à l'ennemi pour y pratiquer une banquette
(fig. 3g) et de rejeter les terres en arrière, de manière à
former une rampe d'accès. S'il y a des arbres sur ces rem-
blais, on augmentera la valeur défensive du parapet obtenu

Fig. 3g. '

comme il vient d'être dit, en les abattant et les rejetant en


aArant.

Rigoles et fossés. — On peut tirer parti des rigoles et


fossés, soit comme obstacles, soit comme couverts.
S'ils sont pleins d'eau, on ne peut éAddemment les utiliser
que comme obstacles ; on construit alors en arrière une
tranchée-abri d'un profil en rapport aAec le temps dont on
dispose (fig. 4ç)-
S'ils sont secs et que leur profondeur et la raideur de
''.
pente de leurs talus en puissent rendre le franchissement
difficile, on les mettra en oeuvre de la même manière, en
ayant soin de ménager des flanquements à l'intérieur. Us
seront tout naturellement flanqués lorsque leur tracé prér
MANUEL DE FORTIFICATION 6
82 Irc PARTIE -- FORTIFICATION PASSAGÈRE
sentera des angles rentrants. Dans le cas contraire, on utili-
sera les ponceaux qui les traversent pour y établir des
parapets prenant d'enfilade la rigole ou le fossé; s'il n'en
existe pas, on placera de distance en distance de petits

Fig. 4o.

tambours en palanques ou des levées de terre, pour les


remplacer (fig. 4i)-
Si les fossés ou rigoles ont, au contraire, leurs talus en
pente douce, on les .emploiera comme tranchées; on en-
taillera alors le talus du côté de l'ennemi de manière à y
ménager une banquette, en relevant plus ou moins celle-ci,

Fig. /„..

suivant que le terrain en avant se découvre plus ou moins


facilement.

Routes et chemins. —- On peut les organiser comme


les levées de terre s'ils sont en remblai, comme les fossés
s'ils sont en déblai, en observant toutefois qu'il est dange-
reux de se placer derrière une route pavée ou empierrée,
parce que les projectiles ricochent et éclatent en couvrant
les défenseurs de débris de pierres et d'éclats. Souvent, on
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN 83
utilise les fossés qui bordent les routes en les complétant
comme tranchées-abris. Enfin, on abat les arbres et on les
rejette en avant (fig. 42).
Les chemins creux, comme les ressauts de terrain, sont
le plus souvent utilisés en entaillant le talus du côté de
l'ennemi de manière à y aménager une banquette. Il est

bon aussi de pratiquer des gradins de distance en distance


pour permettre aux occupants de se porter en avant.
Pour ces divers travaux, les ateliers sont organisés
comme pour la construction des tranchées. Le temps à y
consacrer varie aArec le cube du terrassement ; pour le cal-
culer, on se rappellera que les hommes d'infanterie remuent
en moyenne omc4oo à l'heure.

Haies. — Les haies fournissent un rideau derrière lequel


le défenseur échappe aux vues de l'ennemi; lorsqu'elles sont
suffisamment fortes et épaisses, elles constituent même un
obstacle de quelque Araleur. On les complète par l'adjonction
d'un parapet en terre.
Pour dissimuler l'organisation défensive de la haie, on se
borne souvent à faire, intérieurement, une tranchée dont le
terre-plein est à environ 2 mètres au-dessous du sommet
de la masse couATante, de manière que le défenseur debout
sur ce terre-plein soit entièrement soustrait aux vues de
l'ennemi (fig. 4S). Pour permettre de tirer au traA'ers de
cette haie, on enhVve les menus branchages, en conservant
84 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
les maîtresses tiges et la partie supérieure de la feuillée. Si
la haie est très basse et touffue, on peut y placer une tran-
chée-abri pour tireur assis ou à genoux (fig. 44) en profitant
des parties dégarnies du pied pour y passer le fusil.

Les travailleurs seront disposés comme précédemment; il


sera bon cependant d'ajouter, par deux ateliers, un homme
muni d'une serpe pour ébranchcr. Le 4emps nécessaire
Avarie avec l'importance du terrassement.

Murs de clôture. — Les murs forment obstacle et


arrêtent tous les projectiles d'infanterie, mais ils sont tra-
Aersés par les obus, déterminent leur éclatement et, si ces
obus sont chargés en mélinite, les éclats latéraux sont très
dangereux pour les défenseurs. 11 ne faut pas cependant
s'exagérer l'action de l'artillerie : s'il suffit en effet de deux
ORGANISATION DEFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN 85
obus de campagne à mélinite atteignant le but pour ren-
verser i mètre courant de mur de clôture ordinaire, il faut
qu'une batterie consomme environ le tiers ou le quart de
son approAdsionnement total de projectiles pour ouvrir une
brèche de 5o à 60 mètres, aux distances moyennes de com-
bat (1 5oo à 2 5oo mètres) et à la condition que son tir soit
bien réglé.
Les gros projectiles de l'artillerie lourde d'année ont un.
effet plus puissant que ceux de campagne, mais la précision
de leurs pièces étant moindre, la consommation totale de
munitions est sensiblement plus élevée.
Il résulte de ces considérations qu'un mur constitue un

abri insuffisant contre le tir de l'artillerie, mais que, le plus


souvent, ce tir ne pourra le détruire ni empêcher le défen-
seur de l'utiliser.
On peut à la rigueur mettre les murs à l'abri des coups
de l'artillerie en les doublant d'un véritable parapet en
terre. Mais cette organisation n'est guère admissible que
pour des murs peu élevés, à cause de l'énorme volume de
terre à remuer. Elle exige toujours un temps assez long.
Les murs d'une faible hauteur (moins de im3o) sont uti-
lisés pour abriter des tireurs à genoux Ou debout, suivant
les cas; on complète leur organisation en plaçant de dis-
tance en distance, sur le dessus du mur, des sacs à terre
ou des mottes de gazon faisant office de bonnettes et pro-
tégeant la tête des tireurs (fig. 45). H sera bon, si on en a
86 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
le temps, de creuser une tranchée à l'intérieur et de rejeter
les terres provenant de la fouille de l'autre côté du mur, de
manière à le protéger et à le renforcer.
Si le mur a moins de im8o et plus de im4o, on se
contente de l'écrêter de mètre en mètre, à 5o centimètres
de profondeur environ, pour donner des créneaux aux
tireurs, et on creuse alors en avant (du côté de l'ennemi)
un fossé dont on relève les terres contre la maçonnerie.
Les murs d'une hauteur supérieure à im8o (fig. 46) sont
percés de créneaux au moyen de pics, de pioches où de

pinces; l'opération se fait en descellant une pierre ou quel-


ques briques. Il est difficile de donner au créneau une forme
et des dimensions déterminées : il suffit donc d'indiquer
que, si le créneau est évasé Arers l'intérieur, il protège mieux
le tireur, mais est moins commode pour la surveillance que
lorsqu'il est éArasé A'crs l'extérieur. Les créneaux sont placés
de mètre en mètre et à une hauteur telle que l'ennemi ne
puisse les emboucher; on peut du reste, sans les élever
comme il vient d'être dit, éA'iter cet incoiwénient en faisant
précéder le mur d'un fossé; on conserve alors l'aA'antage
des créneaux bas, qui donnent des feux plus rasants et sup-
priment l'angle mort en avant du mur.
Lorsque les créneaux sont élevés, comme il a été dit tout
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN 87
d'abord, les défenseurs y accèdent en montant sur une ban-
quette en terre établie derrière le mur. Si on a le temps,
et si les matériaux nécessaires sont à proximité, on installe
deux étages de créneaux, en plaçant le second étage de
tireurs sur un échafaudage en planches supporté par des
tonneaux, des tables, des arbres, etc. (fig. 4j)- Cette dis-
position de tireurs sur deux étages n'est pas à employer
d'ailleurs si la direction du mur le laisse en prise aux feux

d'écharpe, car, dans ce cas, les hommes de l'étage supé-


rieur sont très exposés.

Le temps nécessaire pour percer un créneau dans un mur


ordinaire est d'environ trente minutes. On rappellera à cet
effet qu'une compagnie d'infanterie possède comme outils
susceptibles d'être employés à l'exécution de ces créneaux :
12 pioches de la voiture de compagnie ;
32 pioches portatives (ces outils conviennent mal pour
percer des créneaux).
Il y a en outre, dans le régiment, 6 pics portés par les
sapeurs.
88 I1C PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Une compagnie du génie dispose de :
6 pics, 66 pioches portatives, 3o pioches de parc.

' Clôturés en bois. — Les clôtures en planches peuvent


être utilisées comme les haies, à la condition de les dou-
bler d'un parapet obtenu soit par une tranchée intérieure,
soit par un fossé. On complète cette organisation en prati-
quant des créneaux dans la paroi en planches.

Grilles. — Les grilles constituent des obstacles très


sérieux, en raison de leur difficile destruction. Si elles

reposent sur un mur, on les utilise en doublant ce mur


d'un parapet (fig. 48). On peut encore en tirer parti en se
plaçant à une certaine dislance en arrière (3o à oo mètres);
elles forment dans ce cas une défense accessoire très puis-
sante.

Ruisseaux. — Indépendamment de leur valeur comme


obstacles, lorsqu'ils coulent en avant de la position, les ruis-
seaux peuvent servir à fournir des inondations, qui sont
très efficaces, lorsqu'elles sont bien défendues en arrière.
Pour tendre une pareille inondation, il suffit de barrer le
ruisseau par une digue placée en aval.
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN 8g

Organisation défensive des bois

Les bois fournissent au défenseur un bon couvert contre


les Ames de l'ennemi ; ils arrêtent une grande partie des
balles, sont d'un parcours souvent difficile et peuvent aisé-
ment être transformés en obstacle sérieux.
La ligne de défense d'un bois organisé défensivement est
formée par la lisière, d'où l'on aperçoit bien le terrain sur
lequel l'ennemi doit s'avancer. C'est sur cette lisière que le
défenseur doit chercher à se maintenir le plus longtemps
possible, car, dès qu'il l'a perdue, il se trouve clans la même
situation que son adversaire. Assurément, un bois peut
être repris après la perle de la lisière; mais il est éA'ident
qu'on doit chercher à éAÙter cette dernière éventualité.
Dans certains cas, on peut.se porter en aArant de la lisière
pour mieux voir le terrain et étendre son champ de tir,
mais il y aurait inconvénient à ériger cette exception en
règle générale. On peut, à la vérité, prétendre qu'en occu-
pant la lisière on indique à l'ennemi sa position et on faci-
lite le réglage du tir de l'artillerie adverse. Mais ce tir est
peu efficace contre un défenseur abrité derrière une levée
de terre et dont la présence n'est décelée ni par son tir sans
fumée, ni par une organisation défensive qui ne modifie pas
l'aspect extérieur de la lisière. L'adversaire est donc astreint
à un tir systématique qui consomme beaucoup de muni-
tions. Le défenseur, par contre, bénéficie entièrement du
couvert formé par le bois, pour opérer, sans être vu, les
mouvements de ses renforts et de ses réserves.
Si la lisière présente des parties saillantes et rentrantes,
cette disposition sera lstvorable à la défense en raison des
flanquements qu'on en peut tirer. Si elle est formée de
ongues parties en ligne droite non battues naturelle-
ment, on assurera le ilanquement sans difficulté en mo-
difiant d'une manière convenable le tracé de la levée de
gO Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
terre établie à l'intérieur du bois qui sert d'abri aux défen-
seurs.
La défense et l'organisation défensive sont partagées en
secteurs limités par les routes ou chemins traArersant le
bois, et occupés chacun par des unités constituées.
'•-Il y aura toujours avantage à faire organiser chaque sec-
teur par les troupes chargées de le défendre, les hommes
ayant alors un intérêt direct à travailler aArec activité. Cette
répartition en secteurs est extrêmement importante, afin de
laisser à chaque commandant d'unité subordonnée une por-
tion de lisière où son action puisse se faire sentir efficace-
ment et où son initiative trouve à s'exercer.

L'organisation défensive d'une lisière de bois comprend


(fig. 4g) :

i° La création d'un couvert capable de garantir les défen-


seurs contre les effets du feu; ce couvert est le plus souvent
une tranchée-abri placée à quelque distance en arrière de
la lisière, de manière à échapper aux vues de l'ennemi.. La
difficulté de creuser une tranchée de quelque profondeur,
ORGANISATION DEFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN gi
dans un terrain rempli de racines d'arbres, obligera le plus
souvent à constituer le couvert par un simple parapet ,en
enleArant la terre meuble sur une largeur aussi grande que
possible;
2° La création d'un obstacle formé par des arbres abattus.
Les abatis se font sur une profondeur de quatre ou cinq
rangées d'arbres, en, ayant soin d'abattre en dernier lieu les
plus gros, qui servent à maintenir lés autres. Pour augmen-
ter la valeur de l'obstacle, on réunit les troncs par des tra-
Arerses et des fils de fer, que des brigades spéciales de tra-
vailleurs placent pendant que d'autres préparent les abatis.
Si cette organisation d'un obstacle ne peut être poussée à
fond, l'ennemi se chargera, généralement de la compléter
par le tir de son artillerie dont l'effet se fera surtout sentir
sur les arbres de la lisière.
Il peut arriver que le bois ait de telles dimensions qu'en
raison de l'effectif dont on dispose, il soit impossible de
garnir de troupes toute sa lisière. On établit alors dans
certaines parties, si on en a le temps, des abatis passifs;
c'est-à-dire que l'on abat des arbres sur une grande pro-
fondeur (5o à 60 mètres), de manière à former un obstacle
infranchissable, pour la surveillance duquel suffisent quel-
ques hommes. Ces sortes d'abatis sont organisées de préfet
rence sur les portions de la lisière comprises entre les
saillants et les rentrants, ou sur les côtés dont les A'ues sur
le terrain des attaques sont les moins efficaces.
Par cette disposition, on conserve au défenseur les sail-
lants (points d'attaque de l'ennemi) et les rentrants, qui
permettent de couvrir de feux les portions de terrain en
avant des saillants.
Sur les .portions de lisière prises d'enfilade par l'ennemi,
on peut installer des traArerses faites de rondins, tels que
l'on'en trouve souvent de tout coupés dans les bois, par-
dessus lesquels on place une bonne épaisseur de terre,
mais ceci demande du temps et ne peut guère s'exécuter
que dans' la fortification de position. Les Allemands en
92 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
avaient organisé de semblables au parc de Coeuilly, près de
Ghampigny (Paris).
On devra s'attacher à couvrir d'une manière spéciale tous
les débouchés de route qu'il est nécessaire d'interdire à
l'ennemi et que l'on a intérêt à conserver pour se ménager
la possibilité de prendre l'offensive ; pour cela, on établira,
sur une certaine étendue en avant de chacun d'eux, de forts
abatis défendus en arrière par de solides retranchements
placés à cheAral sur la route même.
Cette disposition a l'inconvénient de couper complète-
ment la communication qu'il s'agit de défendre; on pourra
l'éviter en remplaçant les ouvrages qui viennent d'être indi-
qués par des tranchées placées latéralement et en arrière,
et battant bien l'abord des abatis.
L'artillerie ne se place à la lisière d'un bois pour utiliser
le couvert qui s'y trouve que si toute autre position défilée
lui fait défaut. Les communications y sont difficiles entre
les échelons, et les batteries perdent de leur mobilité. Pour
participer à la défense d'un bois, il n'est d'ailleurs nullement
nécessaire que les pièces s?y installent. Le plus souvent, les
batteries sont placées en arrière et sur les flancs, de manière
à prendre d'écharpe le terrain d'attaque de l'ennemi. Cette
disposition est d'ailleurs générale dans la plupart des orga-
nisations défensives ; on la retrouvera plusieurs fois dans
ce qui YSL suivre.
Bien que la lisière constitue la principale ligne de dé-
fense, on peut en organiser d'autres à l'intérieur du bois; il
faut alors ménager, en avant de chacune d'elles, un champ
de tir convenable.
On profitera donc des clairières, ravins, ruisseaux ou
routes parallèles à la lisière et, si on en a le temps, on les
organisera en lignes de défense, comme la lisière elle-
même, en les faisant précéder d'une étendue de terrain
(200 à 3oo mètres environ) que le défenseur puisse battre
de ses feux.
Il reste enfin à organiser les communications à l'intérieur
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN ()?)

du bois. Il faut que les réserves puissent parvenir facile-


ment sur la lisière; si cela est nécessaire, on percera donc,
en abattant des arbres en quantité suffisante, des chemins'
permettant aux troupes placées dans les carrefours à l'inté-
rieur du bois de se porter en avant.
Il est important de se ménager la possibilité d'arrêter le
débouché de l'ennemi si celui-ci s'est rendu maître du bois.
On sait la difficulté, certains auteurs disent même l'impos-
sibilité, qu'éprouve l'infanterie à déboucher d'un bois sous
le feu de l'ennemi. La cohésion des unités est désorganisée
par la traversée du bois et les hommes quittent difficile-
ment le couvert pour s'avancer sur un terrain battu. Il suit
de là que si l'on peut, en arrière du bois et à la distance
de portée très efficace du fusil, établir, quelques ouvrages
tenant sous leur feu la lisière, on gênera considérablement
le débouché de celle-ci par l'ennemi. Cette action retarda-
trice sera encore augmentée si des circonstances spéciales
telles que l'existence d'un ravin, d'un étang sur la lisière
arrière diminuent l'étendue des débouchés de l'ennemi.
Le temps nécessaire à la mise en état de défense d'un
bois dépend surtout de la durée de l'abatage des arbres.
Les expériences exécutées à cet égard donnent les résultats
suivants.
Au polygone de Satory, des soldats du génie, munis de
tous les outils nécessaires et répartis à raison de deux ou
trois hommes par mètre courant, ont organisé une lisière,
d'une manière suffisante, en deux heures (y compris le
temps nécessaire pour l'abatage des arbres et la pose des.
réseaux de fils de fer).
En Autriche, 84 travailleurs ont fait, en trois heures,
i5o mètres d'abatis ayant 45 mètres de profondeur.
Ce ne sont évidemment là que des données particulières,
parce que l'abatage se fait avec des vitesses très différentes
suivant le diamètre des arbres et l'outillage employé, et
qu'à la guerre on risquera surtout d'être retardé par le
manque d'outils.
94 I™ PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
D'une façon plus générale, on peut prendre pour base le
calcul suivant :
Le régiment.d'infanterie à quatre bataillons possède :
i° 4 scies passe-partout, 17 scies articulées, non com-
prises les 4 scies des sergents artificiers, 70 haches de bû-
cheron ou de sapeur ; ~

2° 192 hachettes, 206 serpes (pour mémoire).


Les outils du premier groupe peuvent servir à l'abatage
des:arbres et donneront en une heure les résultats suivants :

4 scies passe-partout. 16 hommes 20 arbres


17scies articulées
70 haches
...
.

.
68
i4o
.

•—
68 —
r4o —
Total. '-.
.
224 hommes 228 arbres
. .

Les outils du deuxième groupe serviront au débroussail-


lement, à l'appointage des branches, etc.
L'outillage du premier groupe sera bien utilisé en le
répartissant entre deux compagnies, les hommes de com-
plément étant munis de hachettes et de serpes ou servant
au transport des arbres abattus.
Ces deux compagnies pourront abattre de 25o à 3oo arbres
si le diamètre de ces derniers est inférieur à. 3o centimètres :
elles mettront ainsi en état de défense, sur 20 mètres de
profondeur, une longueur totale de 200 mètres de lisière.
Il faudra avoir soin de disperser les feuilles des arbres
abattus, qui forment quelquefois, en aArant des abatis, des
couverts dangereux pour le défenseur.

Exemple d'organisation défensive d'un bois. — Comme


exemple d'organisation défensive d'un bois, exécutée d'après
les principes qui viennent d'être exposés, on peut citer celle
du bois de Brévannes (fig. 5o, pageg 5) qui formait une
partie de la ligne d'investissement des Prussiens autour de
Paris, en.1870-1871, dans le secteur compris entre la Seine
et la Marne. La position était placée en seconde ligne, aussi
Fig. 5o. — Organisation défensive du bois de"Brévannes (1870-1871);
96 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
était-elle fortement appuyée; néanmoins, son organisation
était dirigée de manière qu'elle pût résister par elle-même
à nos attaques. Les circonstances dans lesquelles cette
organisation a été réalisée montrent qu'elle, appartient à la
fortification de position.
Le bois proprement dit est limité au nord-ouest par le
chemin de Yalenton à Sucy; il est fermé sur la face opposée
par le château de Brévannes, le village du même nom et le
parc de Gessac, qui permettaient d'établir une seconde
ligne de défense. En avant du bois, vers la partie nord-est,
se trouve un petit bouquet masquant les vues de la lisière
principale; on avait abattu cette portion, et les bois obtenus
servirent à faire des abatis sur toute la lisière.
Celle-ci se prête naturellement à la défense, par suite de
son tracé en crémaillère; cependant, sur la face nord-ouest,
au carrefour de chemins qui s'y trouvent, un petit ouATage A,
en forme de demi-redoute, couvrait le débouché des routes
et flanquait la face principale de la position. Pareille dispo-
sition n'avait pas été prise en avant du carrefour central B,
qui, placé dans un rentrant, se trouvait naturellement dé-
fendu. Le profil donné à la lisière était Aariable; dans les
parties où le bois n'était pas clos, on avait fait un parapet
en terre appuyé aux arbres abattus (fig. 5i); sur la face
sud-ouest, bordée d'une haie, on avait utilisé cette haie
pour y adosser le parapet ; sur la face nord-est, on avait de
même tiré parti d'une clôture en planches. Des pièces étaient
placées de part et d'autre du carrefour central, pour enfiler
les directions probables de nos attaques.
La seconde ligne de défense était formée par le mur du
parc du château de Brévannes, par l'extrémité du village et
le parc de Cessac ; en avant de toute celte ligne, une large
coupure avait été faite dans la forêt, en abattant, les arbres,
pour dégager les vues. Sur la face nord-est, un retranche-
ment demi-circulaire C donnait un flanquement qui ne pou-
A'ait être obtenu par la disposition même de la lisière. La
ligne de défense élait formée, ,sur cette face, par le mur du
ORGANISATION, DÉFENSIA'E DES. ACCIDENTS DU TERRAIN 97
parc de Gessac, crénelé et bordé d'une levée de terre. En
arrière, une batterie D flanquait la position.
Enfin, une batterie E était placée, au nord-ouest du
bois, sur un mamelon dominant le-terrain de 8 à 10 mètres-;
mais cette position n'était justifiée que par la présence
d'autres ouvrages en avant, et la batterie aurait certaine-
ment dû être évacuée si les ouvrages de la première ligne
avaient été enlevés. Au nord-est, un petit bouquet de
bois F, appuyé à la route nationale n° 19 (route de Paris

Fig. 5i. — Lisière du bois de Brévannes.

à Baie), avait été occupé également par un parapet bordé


d'abatis, analogue au précédent, et contribuait au flanque-
ment de la position.

Organisation défensive d'une maison

Les maisons isolées, ou celles qui font partie d'une ligne


de défense, fournissent un bon couvert contre les balles et
sont facilement transformées en obstacles sérieux; mais elles
sont d'une occupation dangereuse sous le feu de l'artillerie.
98 I'e PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
L'obus à balles agit alors par ses balles, qui d'ailleurs
sont arrêtées par la moindre cloison. L'obus à mélinite,
beaucoup plus efficace, agit par ses éclats animés d'une
grande A'itesse et par son souffle, d'autant plus A'iolent que
l'explosion se produit en lieu clos ; les cloisons intérieures
sont renversées ainsi que les portes et les croisées; tous les
occupants de la pièce où a lieu l'explosion sont générale-
ment tués.
Mais, quel que soit l'obus tiré, tant que la façade exposée
au tir n'est pas démolie, la façade opposée reste intacte.
Donc, s'il faut éviter d'occuper l'intérieur d'une maison
sous le feu de l'artillerie, on peut mettre une troupe à l'abri
des obus derrière une maison.
Il en est des maisons comme des murs et des villages : si
les obus peuvent en chasser momentanément les défenseurs,
il est rare-qu'ils détruisent complètement leur valeur comme
fortification naturelle, et une maison bombardée par l'ar-
tillerie peut encore, dans maintes circonstances, permettre
une résistance prolongée, à condition de ne la faire occuper
par ses défenseurs qu'après cessation du tir de l'artillerie.
L'organisation défensive d'une maison dans les condi-
tions moyennes de temps que comporte la fortification du
champ de bataille se résume à dégager le champ de tir,
barricader les ouvertures, pratiquer des créneaux, préparer
enfin la retraite des défenseurs en assurant leur protection
par des positions défensives occupées en arrière.
Pour ces divers traA'aux, on s'inspirera utilement des don-
nées ci-dessous qui se rapportent à une organisation défen-
sive très complète dont l'exécution exige plusieurs jours et
qui doit normalement trouver place dans la fortification de
position.
Dans la mise en état de défense complète d'une maison,
on procède d'abord à l'organisation de la défense exté-
rieure. A cet effet, on débarrasse les abords des couverts
dangereux; on barricade les portes et les fenêtres; on peut
creuser, tout autour de la maison, un fossé dont on rejette
ORGANISATION DEFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN 99
les terres contre les murailles; on perce des créneaux dans
les murs, à une hauteur suffisante pour que l'ennemi ne
puisse pas les emboucher; on organise des flanquements,
en appuyant la défense de la maison par des tranchées dé-
bordant en arrière.
Si on dispose du temps nécessaire, on organise ensuite
la défense intérieure de la maison. Pour cela, on s'arrange
de manière que l'ennemi, ayant pénétré dans la première
pièce, rencontre devant lui une .nouvelle ligne de défense

Fig. 5a. — Organisation défensive du vestibule d'une maison.

capable de l'arrêter, et l'on dispose les communications


entre les différentes pièces, au rez-de-chaussée et au pre-
mier étage, de telle façon que l'assaillant ne puisse passer
de l'une dans l'autre sans essuyer le feu des défenseurs.
Enfin, on organise pour ces derniers une bonne ligne de
retraite.
Pour barricader une porte, on place par derrière, hori-
zontalement ou Arerticalement, des planches, madriers ou
poutrelles, que l'on maintient contre la porte à l'aide de
poutres d'un plus fort équarrissage que les premières, dis-
posées perpendiculairement à celles-ci et soutenues en
arrière par de solides arcs-boutants appuyés soit contre les
solives du plancher, soit contre des traverses engagées par
leurs extrémités dans la maçonnerie (fig. 53),
100 .'•
Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
On perce des créneaux dans la porte et on creuse un fossé
par devant. Si la porte s'ouvrait en dehors, on la- main-
tiendrait en clouant, sur la face intérieure, une traverse
dépassant à droite et à gauche et s'appuyant contre ses
montants, et en creusant par deArant un fossé dont on rejet-
terait les terres contre sa face extérieure.
Les fenêtres du rez-de-chaussée sont fermées au moyen
des volets, qu'on double de planches, comme les portes, et

Fig. 53. — Organisation défensive des abords d'une porte.

dans lesquels on perce des créneaux. Si le plancher du rez-


de-chaussée est à une faible hauteur au-dessus du sol exté-
rieur, ces créneaux sont pratiqués dans la'partie supérieure
des volets, de manière que l'ennemi ne puisse pas les em-
boucher ; on y accède alors en montant sur des meubles.
Ces barricades n'étant pas à l'épreuve de la fusillade, on
deA'ra, pour mettre le défenseur à l'abri des balles, les dou-
bler, jusqu'à hauteur des créneaux, de récipients (sacs,
caisses, tonneaux, meubles, etc.) remplis de terre ou, mieux,
de sable ou de pierres cassées.
Les soupiraux sont bouchés avec des sacs à terre, des
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN IOI
bûches de bois, ou par la terre du fossé qu'on a creusé au-
tour de la maison.
Les fenêtres du premier étage n'ont pas besoin d'être
solidement barricadées comme celles du rez-de-chaussée.
On en ferme les volets pour cacher le défenseur aux vues -
de l'ennemi, et on crée en arrière une masse couvrante
pour les tireurs, comme on l'a fait pour les fenêtres du rez-
de-chaussée.
On peut aussi tirer à genou par des créneaux ménagés
dans les volets à hauteur de l'appui.
Les matelas dont l'emploi était autrefois recommandé
pour obstruer les ouvertures sont
un abri insuffisant contre les balles
des fusils actuels.
Lorsque les matériauxmanquent
pour créer aux tireurs placés aux
ouvertures une protection efficace,
ou bien lorsqu'on veut augmenter
le nombre de tireurs, on perce des
créneaux dans les murs.
Les balcons peuvent servir uti-
lement pour battre directement le
pied des murailles, mais le dis-
positif qu'on préconisait autrefois Fig. 54- — Aménagement d'un
les renforcer et repré- balcon pour les tireurs.
pour que
sente la figure 54 n'a de valeur
que si le blindage en bois peut être doublé par une plaque
de tôle assez épaisse.
Le toit de la maison, s'il n'est en chaume (auquel cas on
doit l'enlever entièrement ou, mieux encore, ne pas occuper
la maison), est au besoin percé d'ouvertures à travers les-
quelles on puisse faire feu. Il suffit pour cela de déplacer
quelques tuiles de la couverture.

A l'intérieur de la maisonon barricade les portes que


:
l'on veut condamner, en amoncelant des meubles en arrière.
102 Ire PARTIE •
FORTIFICATION PASSAGERE
Près de celles par lesquelles le défenseur doit battre en re-
traite, on accumule les matériaux nécessaires pour les bar-
ricader rapidement. Les murs de refend ayant vue sur ces
dernières et, plus généralement, sur les portes conservées,
sont percés de créneaux assez élevés pour que l'ennemi ne
puisse pas les emboucher.
On perce en outre des créneaux dans le plancher du pre-
mier étage, de manière à pouvoir donner des feux verticaux
sur ces passages et en avant d'eux.
On pratique de larges ouvertures dans les planchers du
rez-de-chaussée, sur le chemin que doit suivre l'assaillant
lorsqu'il est parvenu à s'introduire dans la maison, et dans
ceux du premier étage, pour pouvoir y pénétrer en éva-
cuant les pièces du rez-de-chaussée. On détruit les esca-
liers, que l'on remplace par des échelles ; les bois pro-
venant de leur démolition sont utilisés pour la défense
intérieure.

Enfin, il faut avoir le soin : d'éloigner de la maison tous


les objets combustibles ; de préparer des provisions d'eau
et de fumier pour étouffer les commencements d'incendie ;
de multiplier sur les abords, et surtout en avant des sail-
lants, les défenses accessoires (fils de fer, etc.).
La ligne de retraite est prise du côté le moins exposé aux
attaques de l'ennemi ; on se ménage à cet effet une porte
(ou une fenêtre) communiquant avec la dernière chambre
où le défenseur pourra résister, et l'on prépare à l'avance,
comme il AÙent d'être dit, tout ce qu'il faut pour la barri-
cader rapidement.

Exemple de maison mise en état de défense. <— La


figure 55 (page i o3) représente une maison mise en état de
défense d'après ces principes.
L'ennemi, entré dans le vestibule A, se trouve arrêté par
une barricade R placée vers le milieu, et interdisant l'accès
dans la partie postérieure de la maison.
ORGANISATION DEFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN
Iû3
Dès qu'il a pu forcer les portes i et 2, il pénètre dans les
pièces B et D. Les défenseurs de la pièce B se retirent en C
et font feu par les créneaux percés dans le mur de sépara-
tion de ces deux pièces ; ils gagnent ensuite la pièce placée
au-dessus de C par la trappe O, ménagée dans le plancher
du premier étage, et retirent l'échelle qui a servi à assurer

Fig. 55. —•
Organisation défensive d'une maison.

leur retraite. Les défenseurs de la pièce D passent de même


au premier étage par la trappe M.
Si l'ennemi parvient à les suivre et les chasse des pièces
du premier étage, ils redescendent dans les pièces G et E
par les trappes S et T. Ils y rejoignent les défenseurs de
ces deux pièces. Lorsqu'une plus longue résistance devient
impossible, tous gagnent ensemble la seconde partie du
vestibule H, où se trouvait la cage de l'escalier démoli, et
s'échappent par la ligne de retraite K.
Des réseaux de fils de fer placés en F et en V arrêtent
Iû4 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
l'ennemi un certain temps sous le feu du défenseur avant
qu'il puisse faire sauter la porte d'entrée P.
Cette organisation suppose que le côté de la maison où
se trouve située la porte K est battu par des troupes en
arrière qui protégeront la retraite et assurent le flanque-
ment des abords de la maison.

Il est impossible d'indiquer d'une manière quelque peu


précise le temps nécessaire à la mise en état de défense
d'une maison, en raison des dispositions essentiellement
variables que nécessite une pareille opération. D'une ma-
nière générale, il faudra y consacrer une ou deux journées
de travail, si l'on dispose des outils nécessaires. C'est assez
dire qu'une organisation de cette nature est réservée à la
fortification de position.

Organisation défensive d'une ferme

Une ferme est généralement composée d'une maison


d'habitation, d'une grange, de cours entourées de murs, et
de clos, vergers ou jardins, formant un ensemble suscep-
tible d'une bonne défense. Les clôtures des cours, jardins
et vergers servent à former la première ligne ; on les org'ar
nise, à cet effet, comme cela a été indiqué en détail précé-
demment, et l'on couA're en outre, par de petits ouvrages et
par des défenses accessoires, les portes qui y sont prati-
quées. On fait de même pour tous les points qui peuvent
servir à flanquer utilement l'ensemble de la position.
Lorsque les défenseurs seront forcés d'abandonner cette
première ligne, ils viendront se réfugier dans les bâtiments
qu'ils auront éA'ité avec soin d'occuper tant que l'artillerie
ennemie les prendra pour objectifs; on doit protéger leur
retraite en faisant défiler l'ennemi qui les poursuit, sous le
feu des murs crénelés de la maison.
Les bâtiments ne sont pas tous également propres à être
ORGANISATION DÉFENSFVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN

'
défendus; les hangars et les granges sont parfois ouverts

On peut, lorsqu'ils sont fermés, barricader les portes;


en y amoncelant de la terre, et les disposer intérieure-
ment de manière que l'ennemi, pénétrant dans la cour de
Io5

sur tout un côté, ils n'offrent dans ce cas guère plus de res-
sources qu'un mur isolé.

la ferme, soit exposé à des feux partant de plusieurs côtés


à la fois.
On met la maison d'habitation en état de défense, en se
conformant aux principes indiqués plus haut; on la relie
aux autres constructions, si cela est nécessaire, et on dis-
pose, sur le côté le moins exposé, une porte de sortie, que
l'on couvre par un petit ouvrage, redan ou lunette, permet-
tant au défenseur de la conserArer jusqu'à la fin.

Exemple d'organisation défensive d'une ferme. — La


figure 56 (page 106) fournit un exemple d'organisation dé-
fensive de cette espèce. La ferme comprend : un bâtiment
d'habitation A, des étables B, une écurie C, une grange
fermée E et une autre grange D ouverte sur la cour inté-
rieure de la ferme. Un clos entouré de murs F est contigu
au bâtiment D, et un verger ou jardin G, entouré d'une
haie, complète la ferme, qui est placée à l'embranchement
de deux routes. On suppose que l'ennemi s'avance par ces
deux routes et que son attaque se déAreloppe sur le terrain
compris dans l'angle formé par leurs directions.
On organise, comme première ligne, le mur du clos F et
les haies qui font face à l'assaillant; on barricade la porte C
et on la protège par des abatis. Au saillant dirigé vers l'en-
nemi on place un petit tambour en terre H.
Sur la route de gauche, la position est fermée par le mur
du clos F et le bâtiment E; mais, comme les défenseurs du
mur seront pris à dos par l'ennemi, il conviendra de placer
en cet endroit un très petit nombre d'hommes, que l'on
couvrira en perçant les créneaux très bas, de manière que
le mur d défile en partie les tireurs. La défense de la route
106 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
de gauche sera surtout assurée par aine barricade T que
l'on appuiera au bâtiment A.
Les défenseurs de cette première ligne se retireront par
les portes d et g et par l'ouverture y pratiquée dans la haie.

Fig. 56. — Organisation défensive d'une ferme.

Cette ouverture est couverte par la tranchée-abri m prolon-


geant sur la route le côté droit de la haie la plus aArancée.
La seconde ligne est formée par la haie bordant la route
de droite et par les bâtiments C et D; la porte e, pratiquée
dans le mur de ce dernier, sera barricadée aussitôt que les
derniers défenseurs l'auront franchie. La porte d'entrée
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN IO7
principale a sera également barricadée, et l'on réunira les
bâtiments E et A par une ligne de palanques; de cette façon,
si l'ennemi pénètre dans la cour intérieure, il est en prise
à des feux partant de tous les côtés. Les bâtiments C, B, A
et E sont organisés comme il a été dit plus haut, et le dé-
fenseur a, pour se retirer au dernier moment, la porte b pra-
tiquée dans l'étable-jS et couverte par un redan L en avant
duquel est établi un fort réseau de fils de fer..
La route en arrière, qui sert de ligne de retraite, est cou-
verte par les ouvrages T et L qui assurent au défenseur
toute sécurité.

Organisation défensive d'un village

Les A'illages qui se présentent le mieux pour le défenseur


sont ceux dont les maisons sont groupées autour d'un
centre, du réparties à courts intervalles le long d'une route
parallèle à la ligne de défense. Ceux qui, au contraire, ont
leur longue dimension dirigée dans le sens de la marche
des attaques, n'ont à opposer à l'ennemi qu'un front étroit,
sont pris d'enfilade et deviennent plus difficiles à organiser
défensivement.
On peut cependant les utiliser et en tirer bon parti,
comme les Allemands l'ont fait en 1870 pour le village du
Bourget, à la condition d'y créer une série de lignes de dé-
fenses successives.
On n'installe jamais l'artillerie dans l'intérieur d'un All-
iage, sa place est en arrière et sur les flancs. Mais on peut,
tirer très bon parti des mitrailleuses pour la défense des
rues en ligne droite. La valeur de ces engins est considéra-
blement accrue si on peut les faire tirer derrière un mur, au
travers d'un créneau, pièce et servants étant alors abrités.
On constitue une série de lignes de défense ayant pour
but d'épuiser successivement les efforts de l'adversaire.
La première est établie en avant des maisons, sur la ligne
Iû8 Ire PARTIE -—• FORTIFICATION PASSAGÈRE
des clôtures qui les entourent et d'où l'on a généralement
des Arues étendues sur les abords de la position. Au besoin,
on complète cette ligne par des ouvrages en terre (tranchée-
abri), afin d'occuper les points du terrain qui donnent les
vues les plus efficaces et qui permettent de mieux flanquer
les autres portions de la ligne. Il faut éAriter de rechercher
une ligne de défense rectiligne et ménager, au contraire, des
parties saillantes et rentrantes.
Les clôtures dont la direction est voisine de la perpendi-
culaire au front ne peuvent être utilisées; elles seraient
prises d'enfitade et n'auraient, en général, que des vues
très limitées. On se contente alors d'y pratiquer de distance
en distance des brèches permettant au défenseur de par-
courir les différentes parties de sa ligne; mais on se garde
de les abattre entièrement, car lorsque l'ennemi aura percé
la première ligne, ses attaques seront divisées par la pré-
sence de ces clôtures longitudinales, et ses efforts, étant
moins unis, auront moins de chances de succès.
La première ligne ainsi formée à l'extérieur est la princi-
pale; c'est elle que le défenseur doit organiser le plus soli-
dement. Il y a plusieurs raisons à cela. D'abord, cette ligne
n'offre, qu'un but très restreint à l'artillerie ennemie, et il
sera par suite relativement facile aux défenseurs de s'y
maintenir. En outre, elle a des Arues plus étendues que
toutes les autres. Une autre cause, d'ordre moral, contribue
à lui donner la plus grande importance : c'est que, pour
obtenir des hommes une défense opiniâtre, il faut les con-
vaincre que la ligne qu'ils défendent est la principale, sans
quoi ils sont tentés d'aller se réfugier sur la ligne en arrière,
y arrivent découragés par leur premier insuccès, tandis que
l'ennemi est enhardi par sa marche en avant.
On peut utiliser comme seconde ligne de défense les mai-
sons formant la lisière extérieure du côté de l'ennemi. Mais
il y a lieu de tenir compte ici des observations qui ont été
faites précédemment au sujet des effets du tir de l'artillerie
sur les maisons. On se gardera donc de faire occuper ces
ORGANISATION DEFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN 109
constructions tandis qu'elles sont exposées au feu de l'artil-
lerie. Mais on se rappellera que des troupes de réserve
peuvent être tenues à l'abri dans l'intérieur d'un village et
venir occuper la seconde ligne de défense au moment du
besoin.
Pour le même motif, on pourra prolonger la résistance
dans le village même en organisant des lignes de défense
successives, voire même un réduit. Mais il ne faut pas se dis-
simuler que ces organisations sont longues à établir. Elles
seront donc rarement employées dans la fortification de
champ de bataille et relèvent plutôt de la fortification dé
position.
La défense à l'intérieur du village doit, comme dans un
bois, être subdivisée en secteurs. Ici, plus encore que dans
les bois, la défense est essentiellement morcelée. Il est donc
indispensable que chaque commandant de fraction consti-
tuée ait à défendre un terrain bien défini, dont il connaît
les communications, les points forts et faibles, et organisé
par lui s'il est possible.
Une des parties les plus importantes de la mise en état
de défense d'un village est le barricadement des routes.
Pour construire une barricade, on amoncelle des matériaux
de toute nature (terre, pavés, voitures, meubles, etc.) en
travers de la route, en ayant soin de les enchevêtrer et sur-
tout de disposer une banquette pour les tireurs. Les barri-
cades (fîff- 5f) sont fréquemment divisées en deux parties
se recouvrant l'une l'autre et laissant entre elles un passage
pour permettre les mouvements offensifs ; il convient, dans
tous les cas, de les appuyer à des bâtiments mis en état de
défense et disposés de manière à défendre leurs abords et
à empêcher qu'elles ne soient tournées.
A l'intérieur du village, on organisera le mieux possible
certaines maisons (ou certains groupes de maisons), en
choisissant de préférence les plus solides et surtout celles
qui, par leur emplacement, ont des vues sur plusieurs direc-
tions : les maisons d'angle, celles des carrefours et des
jIO i" PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
places publiques. On les isolera au besoin des bâtiments
voisins non défendus, pour dégager leur champ de tir et
empêcher l'ennemi d'y mettre le feu. Il ne faut pas oublier
cependant que la destruction d'un bâtiment est une opéra-
tion toujours longue à exécuter, et que les décombres, qui
en proviennent donnent un couvert à l'assaillant ; aussi
scra-t-il souvent plus commode de les désorganiser, pour

Fiç|. 07. — Barricade.

empêcher l'ennemi de s'en servir, en enlevant les portes et


fenêtres et en pratiquant de larges ouvertures du côté du
défenseur.
L'ensemble des maisons défendues à l'intérieur pourra
être disposé de manière à former une seconde ligne de dé-
fense organisée par secteurs comme la première.
Enfin, il restera à organiser un réduit. Dans un village,
en effet, les lignes de retraite sont toujours en nombre très
restreint; il faudra donc que l'ennemi, poursuivant le délen-
ORGANISATION DEFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN III

seur, utilise des points de passage obligés, et on pourra l'y


arrêter par un réduit. Celui-ci, pour remplir son office, doit
être un bâtiment solide, isolé autant que possible des cons-
tructions voisines, ayant un bon champ de tir et placé sur
les lignes de retraite, de manière à en interdire l'accès. On
devra bien se garder cependant de le faire traverser par les
lignes de retraite, ce qui aurait pour conséquence d'y en-
traîner l'ennemi à la suite des défenseurs.
Les conditions qui viennent d'être indiquées sont assez
généralement remplies par l'église, l'école, la mairie, une
maison importante sur la place principale. On organise
complètement, comme on l'a indiqué plus haut,..celle qui
convient le mieux.
Ge réduit reçoit une garnison spéciale qui n'entre en jeu
qu'au dernier moment, alors qu'elle possède encore tout le
sang-froid nécessaire pour contenir un ennemi victorieux.
En arrière du village, au débouché des lignes de retraite
et à une certaine distance, une maison isolée, un ouvrage,
seront du plus grand secours pour contenir l'ennemi et
l'empêcher de s'établir trop facilement sur la position qu'il
aura conquise. Il faudra surtout que l'artillerie amie ait pris
position en arrière de façon à tenir le village sous son feu,
à bonne portée.
On a fait remarquer plus haut que les réserves peuvent,
trouver place à l'intérieur.d'un village grâce à l'abri qu'elles
reçoivent des constructions. Il est intéressant de se rendre
compte de la profondeur des zones abritées que l'on peut
ainsi occuper.
Tant que le canon de campagne est seul à craindre, ces
zones sont profondes, car les balles les plus dangereuses
tombent sous l'inclinaison de i/3. Mais, si les obusiers de
campagne ou de siège entrent en jeu, leurs éclats tombant
à 2/1, la profondeur des zones défilées diminue beaucoup
et les réserves doivent être collées, pour ainsi dire, aux
maisons qui les couvrent.
C'est là une des raisons principales qui militent en faveur
112 lre PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
de l'emploi de l'artillerie lourde d'armée dans l'attaque des
villages. Mais un pareil tir est aveugle, consomme beau-
coup de munitions, et les pièces en question, en raison du
poids considérable des projectiles, sont approvisionnées à'
un petit nombre de coups.
« Rêver la destruction de Woerth ou de Saint-Privat
« serait absurde ; avec l'approvisionnement en obus brisants
« d'une armée entière, on n'y arriverait peut-être pas ('). »
Le meilleur moyen de chasser les défenseurs d'un village
serait l'incendie, mais les projectiles actuellement en usage
mettraient difficilement le feu aux habitations. L'obus à mé-
linite n'a aucun pouvoir incendiaire et l'artillerie doit faire
usage dans ce but de projectiles spéciaux, ce qui est tou-
jours une difficulté dans la constitution des approvisionne-
ments.
Les villages présentent, pour la défense, des points d'ap-
pui très solides et ont joué de la sorte, dans maintes batailles
célèbres, un rôle des plus importants. L'histoire des guerres
montre, jusqu'à l'évidence, que l'on ne doit pas les consi-
dérer comme perdus, lorsque l'ennemi s'est emparé des
clôtures extérieures et même des premières maisons, et
qu'un défenseur' opiniâtre, ainsi forcé dans sa première
ligne, peut encore tenir tête très longtemps à son adver-
saire.
Néanmoins, certains auteurs et notamment le général
Brialmonl conseillent de ne pas pousser trop loin la dé-
fense intérieure, en raison des difficultés qu'elle présente et
des occasions nombreuses qui sont offertes à l'assaillant de
tourner son adversaire et de le faire prisonnier. On ne sau-
rait ici partager cette opinion.
En réalité, toute troupe chargée de défendre une posi-
tion doit accomplir jusqu'à l'entier épuisement de ses
forces la mission qui lui est confiée. Or, tant que la lutte
se passe à l'intérieur d'un lieu habité, elle garde de part et


(') General LANGI.OIS, Questions de défense nationale.
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN Il3
d'autre un tel caractère d'imprévu et de difficulté que les
deux adversaires peuvent à tout instant espérer fixer la
victoire. C'est ainsi que l'histoire de toutes les guerres
abonde en exemples de villages maintes fois pris et repris ;
chacun se souvient à ce propos des noms d'Essling et d'As-
pern. Mais si la situation de deux adversaires combattant
dans une localité reste à peu près égale, elle devient très
différente quand l'un d'eux en est entièrement chassé, l'autre
acquérant dès ce moment une incontestable supériorité.
Il faut remarquer également qu'une défense de village
est toujours appuyée par des troupes, placées à l'extérieur.
Ce sont ces troupes qui, agissant sur les flancs de l'ennemi
engagé dans le village, pourront le contraindre à la retraite.
Il est évident que leur coopération ne saurait se produire
utilement à partir du moment où la localité sera aban-
donnée par le défenseur.
Il est donc permis de poser eii principe qu'une bonne
troupe exécutera toujours la défense opiniâtre d'un village
et n'en abandonnera chaque partie qu'après une lutte pied
à pied. L'organisation défensive doit par suite faciliter à la
garnison l'accomplissement de sa mission en préparant à
l'intérieur d'un village des lignes successives de résistance
et un réduit.
On croit devoir répéter ici une fois de plus que l'organi-
sation complète, telle qu'on vient de la décrire, exige un
temps très long et que la plupart du temps, sur le champ
de bataille, on se bornera à l'organisation des lisières et
clôtures extérieures, à des barricades rapides et au choix
d'un réduit sommairement préparé.
A défaut d'exemple historique réalisant les conditions
générales exposées ci-dessus, on se contentera ici d'une
étude théorique :

Exemple d'un village mis en étal de défense. — Le village


représenté sur la figure 58 {page n4) offre la disposition
générale d'un groupe de maisons massées, au point de con-
MAKUEL DU FOIVIIFICATION 8
Ïl4 Ir° PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
cours de plusieurs routes, avec des clôtures à ^extérieur.
Pour former la première ligne, ces clôtures sont organisées

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défensivement suivant abcdef. Eh fg> pour établir la con-


tinuité, on utilise une route, en créant une levée de terre
ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS DU TERRAIN Il5
qui réunit les deux murs /et g. La ligne de défense se ter-
mine sur la droite au cimetière k. A gauche, elle est pro-
longée par une tranchée-abri renforcée ou non. La maison
isolée m qui se trouve sur cette première ligne n'est pas
occupée, parce qu'elle est trop en prise à l'artillerie enne-
mie; mais, pour empêcher qu'elle ne puisse être retournée
contre le défenseur, on la met hors d'état de servir à l'as-
saillant en pratiquant de larges baies dans ses murs, du
côté du village. Des passages sont pratiqués dans les diffé-
rentes clôtures en prise aux feux d'enfilade, pour assurer
les communications.
Là seconde ligne est formée par les maisons bordant, du
côté de l'ennemi, la route qui traverse le milieu du village.
Elle se retourne A'ers la gauche de manière à s'opposer aux
mouvements tournants. La maison/),, isolée sur la gauche,
ayant de bonnes vues de ce côté, est organisée défensive-
ment, ainsi que les maisons des carrefours et l'église placée
au centre du A'illage. Le réduit se trouve à la croisée des
chemins qui serviront à la retraite : c'est un bâtiment en-
touré d'un clos et suffisamment séparé des constructions
voisines pour empêcher qu'il ne soit tourné. Il est soutenu
à droite par une tranchée-abri renforcée, et à gauche, par
l'organisation défensive, sur une certaine étendue, de l'une
des routes choisies comme lignes de retraite.
.
La coopération de l'artillerie à la défense du village est
marquée par l'indication schématique de deux batteries eh
arrière et de chaque côté.
L'ensemble de la position est partagé en quatre secteurs
limités aux routes transversales et pouvant être défendus
par une compagnie.
Le village choisi dans l'exemple théorique ci-dessus
offre une disposition favorable à la défense. Comme exemple
de mise en état de défense de localités se présentant d'une
manière défectueuse pour le défenseur, on peut citer l'orga-
nisation du village du Bourget par les Allemands en 1870
II6 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
{Voir, la fig. 5g hors texte,, page 116 bis). Leur première
ligne était formée par les. maisons les plus avancées et s'ap-
puyait au chemin de fer. La seconde, distante de 3oo mètres
environ de celle-ci, 'suivait le tracé du chemin de Drancy à
La Courneuve et se retournait le long des murs d'un parc
qui borde la route pour.se terminer au cimetière. Entre ces
deux lignes, les constructions avaient été rasées et, derrière
la seconde, on avait tendu une inondation en retenant les
eaux de la Molette par un barrage. Enfin, une troisième
ligne était formée par le gros des maisons et un long retran-
chement appuyé de deux batteries placées derrière l'inon-
dation de la Molette. D'autres batteries se trouvaient en
arrière, à droite et à gauche.
Le Bourget, perdu après l'affaire malheureuse du 3o oc-
tobre, fut attaqué par nos troupes le 21 décembre avec
beaucoup d'énergie; malgré les efforts déployés et tout l'in-
térêt qu'il y avait à reprendre ce village pour compenser
l'effet produit par le précédent échec; on ne put arriver à
percer les lignes organisées par l'ennemi.
1

o
CD

tu

oo;
CHAPITRE VII

ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE

Ayant examiné, dans les chapitres précédents, les retran-


chements du champ de bataille et l'organisation défensive
des accidents du terrain qui constituent les éléments essen-
tiels de toute fortification, il reste à voir maintenant com-
ment on utilise les uns et les autres.
Il'est nécessaire pour cela de rappeler quelquesprincip.es
posés par le Règlement'sur lés manoeuvres de l'infanterie, du
3 décembre i go4 :
Toute troupe chargée d'une mission offensive ou défensive
se répartit en trois groupes:
La troupe engagée qui, par son feu et son mouvement,^
fixe l'ennemi et s'efforce de gagner du terrain en avant! ou
de conserver celui qu'elle occupe. Elle ne peut agir que droit
devant elle et ne possède plus sa liberté de manoeuvre ;
La troupe de manoeuvre qui, profitant des abris du terrain
et de la protection qu'elle reçoit de la troupe engagée, se
tient à proximité de celle-ci, prête à appuyer son action
pour attaquer, contre-attaquer ou faire un retour offensif;
La réserve, enfin, plus en arrière, à l'abri des émotions
de la lutte, achève le combat, complète le succès ou limite
l'insuccès.

a Les points d'appui (lieux habités, bois, défilés, points


saillants du terrain, etc.) et la fortification du champ de ba-
taille jouent un rôle considérable dans le combat. Dans
l'offensive comme dans la défensive, ils donnent un surcroît
IIO lve PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
de forces 'en permettant d'économiser les troupes, d'arrêter
l'adversaire avec moins de monde, d'assurer la conservation
du terrain conquis, de préparer la manoeuvre. »
Il résulte de là que les points d'appui doivent offrir: Aux
troupes engagées, la possibilité : i° de faire usage de leur feu
en donnant à ce dernier son maximum de puissance, 2° de
se porter en avant;
Aux troupes de manoeuvre et aux réserves, des abris à
proximité des premières et des cheminements défilés leur
permettant d'intervenir efficacement dans la lutte.
Un champ de bataille organisé n'est, en résumé, qu'une
ligne discontinue formée de points d'appui dont chacun
réalise les conditions indiquées ci-dessus et disposés de ma-
nière à battre complètement les intervalles qui les séparent
les uns des autres.
.L'occupation de ces points d'appui est d'ailleurs conforme
au principe de l'économie des forces ; ils permettent de
n'immobiliser que peu de inonde en laissant disponible pour
la manoeuvre décisive la majeure partie des troupes.
Les villages et les bois, dont on a étudié l'organisation
défensive au chapitre précédent, sont bien effectivement des
points d'appui ; ils accroissent la puissance du feu des
troupes engagées, abritent les troupes de manoeuvre et fa-
cilitent leurs mouvements, ils multiplient le degré de résis-
tance des troupes immobilisées dans la défense.
A défaut de ces points d'appui naturels, la fortification
donne le moyen d'en organiser en utilisant les propriétés
du terrain et les développant par des travaux convenable-
ment appropriés. On crée ainsi des points d'appui artificiels.
D'ailleurs, là où l'un des partis est contraint de rester
sur la défensive momentanée, il doit opposer à l'adversaire
une série de lignes successives, dont chacune soit capable
d'être défendue isolément et disposer ces lignes de manière
qu'elles se prêtent un mutuel appui, c'est-à-dire que chaque
ligne puisse battre celle qui la précède, lorsque celle-ci est
tombée au pouvoir de l'ennemi.
.
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE I IQ
Il faut se garder, cependant, d'abuser des lignes succes-
sives; on arriverait de la sorte à multiplier outre mesure les
travaux à exécuter, à immobiliser trop de monde pour les
occuper, à diminuer la confiance que chacune d'elles doit
inspirer aux troupes qui l'occupent.
On se rappellera que la fortification a surtout pour but de
suppléer à l'insuffisance numérique du défenseur, c'est-à-
dire de lui permettre d'occuper un point avec des forces
moindres qu'il ne lui en faudrait sans elle, et non pas d'im-
mobiliser des troupes sur le terrain. C'est en tombant dans
ce défaut qu'on est arrivé parfois à discréditer la fortifica-:
lion. Aujourd'hui surtout, où la fortification de champ de
bataille est devenue d'un emploi si général, où elle forme
une nouvelle arme entre les mains des troupes, il faut se
préoccuper du but qu'on poursuit, des moyens et du temps
dont on dispose,.et construire les ouvrages en conséquence.
Veut-on se défendre à outrance contre un adversaire plus
nombreux et conserver à tout prix le terrain qu'on oc-
cupe? On multipliera les ouvrages. S'agit-il, au contraire,
de prendre l'offensive? La fortification ne doit plus être alors
qu'un bouclier, permettant à celui qui s'en sert de parer les
coups de son ennemi et de profiter de la supériorité des
armes portatives actuelles quand elles sont maniées par un
tireur abrité ; les ouvrages qu'on construit dans ce cas
sont disposés de manière à ne gêner en aucune façon les
mouvements en avant.

Principes d'organisation des points d'appui

« La mise en état de défense méthodique d'un point d'ap-


pui comprend l'organisation de la lisière extérieure et des
issues et celles des lignes de résistance successives.
« Le choix de la première ligne est le plus souvent
subor-
donné aux vues qu'elle donne sur le terrain des attaques.
La lisière même se prêtant tout particulièrement au réglage
120 I" PARTIE -FORTIFICATION PASSAGÈRE
du tir de l'artillerie, il y a intérêt à ne pas y installer la dé-
fense au début de l'action. Dans les localités, les troupes
s'établissent généralement en avant. -

« Les saillants, les ailes et tous les points faibles sont


renforcés par des tranchées ; les issues sont barricadées ; un
réduit est organisé s'il y a lieu ; des communications défilées
sont créées entrëtles différentes lignes pour faciliter les
mouvements des renforts.
: « Si le temps le permet, on exécute des travaux sur les
positions extérieures d'où il est possible de battre efficace-
ment les ailes du point d'appui et les issues, de manière à
empêcher l'ennemi d'en déboucher et à préparer ainsi la
reprise de l'offensive. » (Règlement sur les manoeuvres d'in-
fanterie, art. 274.)
On ne saurait faire un .meilleur exposé de l'organisation
des points d'appui que celui du règlement. On y trouve l'in-
dication de toutes les conditions que ceux-ci doivent rem-
plir. En le rapprochant de l'étude faite au chapitre précé-
dent de l'organisation des bois,, villages et autres points
d'appui: naturels on y trouvera la justification des disposi-
tions qui ont été indiquées. •••,'-.•
Le paragraphe suivant (275) du même règlement trace la
règle à suivre lorsque le temps fait défaut pour procéder à
une organisation complète des points d'appui.
« Dans les péripéties d'un combat, les troupes d'infanterie
ont fréquemment à occuper ou à défendre des points d'ap-
pui, sans avoir le temps de procéder à leur mise en état de
défense méthodique. Dans ce cas, elles se bornent à garnir
la lisière extérieure et à barricader les issues; les renforts
s'établissent en arrière, ils reconnaissent et créent au besoin
les communications qui leur permettront de se porter en
avant, et organisent, pendant le combat même si la chose est
possible, des lignes de défense intérieures. »

Du réduit. — Le réduit d'un point d'appui est une sorte


de petite citadelle, qui, lorsque l'ennemi a réussi à forcer
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE 121
une ou plusieurs lignes de résistance, permet aux troupes
de la défense de ne pas lâcher pied, favorise leur retraite, et
donne quelquefois aux troupes de manoeuvre le temps de
tenter un retour offensif.
Le réduit doit donc tenir sous son feu les voies de retraite
de la défense; mais on doit éviter qu'elles ne le traversent;
car, en se retirant, les défenseurs du point d'appui entraîne-
raient avec eux les défenseurs du réduit et y amèneraient l'en-
nemi. De là résulte la nécessité de placer dans le réduit une
garnison spéciale à laquelle on doit faire connaître; que son
rôle commence quand,les,troupes en avant se retirent. Le
mouvement de repli de ces troupes n'est pas alors une sur-
prise pour la garnison du réduit. C?est au contraire l'ennemi
qui se trouvé surpris par la résistance d'une troupe fraîche
au moment où tout semblait plier devant lui.

Distance entre deux points d'appui. — La dis-


tance entre deux points d'appui est'déterminée par la né-
cessité de flanquer convenablement leur intervalle.
Tout le terrain compris entre eux doit être vu et battu par
le fusil de l'un au moins des deux.
Il est très désirable que leurs feux se reeroisent au milieu
de l'intervalle et il serait encore plus avantageux que les
feux de flanc de chacun d'eux permissent de battre le terrain
,
en avant de l'autre.
Si cette condition était réalisée, l'ennemi attaquant un
point d'appui se trouverait exposé au feu direct partant de
ce dernier ainsi qu'aux feux de flanc, non moins efficaces,
provenant des points d'appui voisins.
En admettant que l'efficacité du- tir du fusil s'étende à
iooo mètres, si la distance entre deux points d'appui n'ex-
cède pas ce chiffre, la condition ci-dessus sera réalisée.
En portant cette distance à 2 000 mètres et supposé qu'au-
cun obstacle ou pli de terrain n'arrête la vue et les balles,
on battrait encore l'intervalle. Mais, dans la pratique, la
disposition du terrain s'opposera de plus souvent à un tel
122 I'"- PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
accroissement d'autant mieux que si la puissance du fusil
est efficace à i ooo mètres, il est malaisé de surveiller avec
attention à cette distance; on a donc tout intérêt à la ré-
duire et à prendre 5oo mètres comme intervalle entre les
points d'appui. '

Organisation d'un point d'appui artificiel

On a vu qu'un point d'appui doit procurer :


•i° Aux tireurs, un abri actif, leur permettant de faire
usage de leur feu ;
2° Aux renforts et aux troupes de manoeuvre, des couverts
et des débouchés pour la manoeuvre et la reprise de l'offen-
sive.
Comment réaliser les uns et les autres ?
Pour les tireurs, il est créé des tranchées de fortifica-
tion de campagne légère ou renforcée. Elles peuvent être
construites par petits éléments, pour une section, générale-
ment reclilign es ou épousant la forme du terrain; elles
peuvent aussi affecter la forme d'ouvrages (lunette, demi-
redoute, etc.) pour une compagnie. Tous ces éléments
doivent être disposés de manière à se soutenir mutuelle-
ment et à former ainsi un tout susceptible d'une bonne
défense. Les tranchées peuvent être améliorées par des
abris légers ou des traverses, comme il a été dit au cha-
pitre VI.
Pour les renforts, si le terrain n'offre pas d'abris naturels,
il est créé des tranchées-refuges (chapitre VI) ou même de
simples tranchées-abris améliorées par un ciel léger contre
les shrapnels. Elles sont placées, soit dans le prolonge-
ment des tranchées actives, soit en arrière. La dislance des
renforls à la ligne de feu ne doit guère excéder ioo mètres.
La raison en est que, lorsque l'infanterie ennemie arrivera
à 200 ou 3oo mètres de nos tranchées, l'artillerie .enne-
mie allongera son tir; si les renforts ne sont pas à plus de
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE 123
ioo mètres, ils pourront parvenir sur la ligne avant l'en-
nemi, tout en n'ayant que peu à souffrir du feu de l'ar-
tillerie.
Les règlements antérieurs à l'Instruction de 1906 sur les
travaux de campagne donnaient des indications sur un type
d'ouvrage simple susceptible d'être défendu par une compa-
gnie et sur le groupement de plusieurs d'entre eux pour un
ouvrage de bataillon. '

Toutes ces indications ont disparu aujourd'hui et il semble


que le règlement ait donné sa consécration à l'opinion émise
dans un fort intéressant Essai sur l'emploi tactique de la
fortification de campagne, dû à la plume autorisée de
M. le lieutenant-colùnel de Mondésir, professeur à l'École
de guerre, et ainsi formulée :
« Pour la ligne principale de feux, le meilleur fraction-
nement est la section. La section est commandée par un
officier. Le front de la tranchée pour elle ne dépasse pas
4o mètres
...
« Il faut aujourd'hui renoncer définitivement, dans la
fortification de champ de bataille, à l'idée de faire des
ouvragesfermés ou demi-fermés (redoute, lunette, etc.).
« Avec la justesse de tir actuelle et sa rapidité, la concen-
tration des feux sur un ouvrage sera excessivement dan-
gereuse...
« L'ouvrage permet l'investissement. Toutes les fois qu'une
unité s'est trouvée investie sur le champ de bataille au
moment de l'attaque décisive, elle a été prise ou anéantie. »
En spécifiant que cette exclusion des ouvrages ne con-
cerne que la fortification du champ de bataille, il semble
qu'on ait quelque peu affaibli la valeur des arguments
contenus dans les deux derniers alinéas.
Si un ouvrage est vulnérable, de par sa forme, il l'est en
toutes circonstances et si sa garnison est destinée à l'inves-
tissement elle le sera quels que soient le profil de l'ouvrage
et son organisation intérieure.
N'est-il pas permis de penser qu'en préconisant les ouvra-
124 Ire PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE

g es très simples, réduits à une tranchée pour une sec-


tion, on a voulu surtout réagir contre F abus des ouvrages
compliqués et difficilement réalisables qui devenaient en
quelque sorte un épouvantair pour les: troupes appelées à
les construire. Mais, par contre, en réduisant à une septioii
au maximum la garnison d'une tranchée, on morcelle le com-
mandement, on atténue son action. Dans la défensive surtout^
il se présente telle circonstance où l'occupation d'un point
important doit être confiée à une unité tactique, compagnie
ou bataillon, qui puise dans la solidité de ses cadres l'éner-
gie nécessaire à l'accomplissement de sa mission.
La nécessité du groupement des fractions retranchées est
d'ailleurs reconnue par l'auteur de l'excellent travail cité
plus haut qui recommande d'obtenir « le soutien récipro-
que » de ces fractions par le tracé des retranchements, afin
que'l'unité'à laquelle elles appartiennent retrouve sa cohé-
sion.
En résumé, on ne croit pas devoir.interpréter ici la sup-
pression de tout type d'ouvrage de compagnie ou de batail-
lon dans le règlement comme l'interdiction de réunir les
fractions de ces unités pouf la défense d'un même ouvrage
ou d'un groupe d'ouvrages.
Il semble logique, dans ces conditions, de chercher une
solution au problème de l'organisation d'un point d'appui
artificiel par une ou plusieurs compagnies. Il est d'ailleurs
évident qu'un retranchement rectiligne ou épousant simple-
ment les formes du terrain serait insuffisant et qu'il convient
de recourir aux ouvrages simples.
Si on suppose une compagnie chargée d'occuper un point
d'appui on peut admettre qu'elle aura deux sections en pre-
mière ligne et deux autres servant, à la fois, de renfort et de
troupe de manoeuvre.
Les premières seront installées dans une tranchée dont lé
profil dépendra du temps dont on dispose et dont le déve-
loppement total atteindra une centaine de mètres environ.
On sera naturellement amené à rabattre, en arrière du front,
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE 125
les extrémités de cette tranchée qui devient ainsi lunette ou
demi-redoute selon les formes du terrain. Les deux autres
sections trouveront abri dans des tranchées établies de part
.et d'autre en échelons débordants en arrière, disposition qui
appuie singulièrement la défense de l'ouvrage principal.

TRANCHÉES POUR UNE COMPAGNIE.

Si, au lieu d'une compagnie, on en suppose deux, chacune


d'elles ayant la moitié de son effectif en première ligne, une
section en renfort, une autre en réserve, formant troupe de
manoeuvre, on sera amené à conjuguer les tracés des deux
ouvrages de première ligne pour obtenir un appui récipro-
126 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
que, à placer chaque renfort en échelon débordant en arrière
de chaque aile et la réserve dans une tranchée-refuge en
arrière.
"Les croquis de la figure 60 montrent d'après ces prin-.
eipes le schéma de dispositions dont le terrain indiquera
lui-même le détail. Il est clair notamment que l'emplace-
ment des tranchées destinées aux échelons de manoeuvre
sera souvent déterminé par les couverts existants que les
troupes peuvent utiliser pour se porter en avant.

Emplacements de l'artillerie

Au cours de l'étude des organisations défensives faite au


chapitre précédent on a indiqué à diverses reprises que l'ar-
tillerie appuyait efficacement les troupes chargées de la dé-
fense en occupant des emplacements en arrière et sur les
flancs des points d'appui. L'obligation où se trouvent les
batteries de se défiler aux vues de l'ennemi sous peine d'être
rapidement annihilées, interdit, d'une part, de leur assigner
une position fixe. Leur mobilité et la grande portée de leurs
pièces permettent, d'autre part, de leur laisser plus d'indé-
pendance dans le choix de l'emplacement à occuper, dans
les limites où elles peuvent concourir au but assigné par le
commandement.
On croira cependant utile d'appelerl'attention sur l'effica-
cité des batteries dites « encaponnière », c'est-à-dire instal-
lées en arrière d'un point d'appui, masquées par lui aux vues
de l'adversaire et dirigeant leur tir de manière à flanquer
le point d'appui voisin. Lorsqu'en particulier ce tir enfile
un cheminement dont l'ennemi pourrait profiter, ainsi que
l'indique la figure 61, l'action des batteries est extrêmement
puissante.
La disposition reproduite ici montre que dans l'orga-
nisation d'un champ de bataille, les points d'appui dits
naturels, c'est-à-dire préexistants, tels que bois, fermes,
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE 127
villages et ceux créés de toute pièce sont conjointement
employés. Les premiers exigeant moins de travaux pour
leur organisation complète, sont nécessairement préférés

Fig.'6i. — Organisation d'une série de points d'appui.


A, village; 13, point d'appui artificiel; C, bois; D, batterie capbnnièrc ;
15, portion de route organisée.

aux seconds et ceci explique l'importance des localités sur


le champ de bataille.

Choix des positions

Dans tout ce qui précède, on a fait complètementabstrac-


tion des accidents du terrain ; il convient d'examiner main-
tenant comment on doit tenir compte des formes réelles du
sol pour arriver, suivant la pittoresque expression de Vau-.
ban, à « marier la fortification au terrain ».

Tout point d'appui doit avoir devant lui un bon champ


de tir, c'est-à-dire une zone de terrain bien découverte,
ayant une profondeur au moins égale à la bonne portée du
128 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
fusil : on utilise ainsi toute la puissance de ce dernier dans
la défensive ; on facilite la reprise de l'offensive.
II est avantageux, en outre, de réaliser les conditions sui-
vantes :
Echapper aux vues et par suite aux coups de l'artillerie
éloignée ;
Battre, au contraire, les abords par sa propre artillerie ;
Disposer, en arrière du point d'appui, d'un terrain défilé
pour opérer les mouvements des réserves à l'abri des vues
de l'ennemi;
Placer l'assaillant sur un terrain d'un parcours difficile.
Ces conditions théoriques sont rarement réalisées toutes
à la fois et, le plus souvent, le choix des points d'appui est
déterminé par la situation tactique ou par l'existence des
bois et localités, qui, on l'a vu précédemment, sont des
points d'appui tout désignés.
On s'efforce cependant de s'en rapprocher dans la plus
large mesure possible dans l'organisation d'un point d'appui
artificiel. L'utilisationjudicieuse des formes du terrain per-
met d'y contribuer beaucoup.
Pour s'en rendre compte on va prendre le cas d'une suc-
cession de plateaux et de vallées parallèles entre eux et per-
pendiculaires à la direction de marche des deux adversai-
res. Un plateau présente un profil schématique analogue à
celui qu'indique la figure 62 ; CTest la crête topographique,
la ligne des points culminants; CM la crête militaire, c'est-
à-dire la ligne à partir de laquelle on bat la pente forte MP
dite quelquefois versant plongeant; P est le pied de cette
pente et T le thalweg.
D'instinct.on cherche à occuper le haut du terrain, on se
sent toujours plus fort lorsqu'on domine son adversaire.
En se plaçant sur la crête militaire CM on voit bien tout
le terrain devant soi mais on ne le bat réellement (au moins
par des feux directs) que si sa pente n'excède pas le quart;
de plus l'ennemi n'arrive sur vous qu'à bout de souffle. Il
faut se défier cependant des pentes très raides et les sur-
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE 120.
veiller de flanc, car une bonne infanterie ne connaît pas de
pentes infranchissables. Nous en avons donné nous-mêmes
la preuve à la bataille de l'Aima, dans laquelle nos troupes
ont enlevé des positions qui pouvaient sembler inattaqua-
bles, malgré les pentes raides qui les bordaient, et peut-être
même à cause de ces pentes et de l'angle mort qui en ré-
sulte. En revanche, le terrain en arrière de la position occu-
pée, le versant TM, dit rasant, est battu par l'ennemi si ce
dernier occupe lui-même une crête dans les limites de portée
de son artillerie. II faut alors que, sur le versant rasant, le
défenseur trouve des couverts naturels, bois, haies, plis de

Fig. 62. — Coupe schématique d'un plateau.

terrain, capables de masquer ses monvemenls. II va de soi


que l'inconvénient cju'on vient de signaler disparaît s?il
n'existe aucune crête à bonne portée.
Sur la crête topographique et plus encore sur la ligne A,
de changement de pente, on a l'avantage d'occuper une posi-
tion défilée aux vues de l'ennemi, où qu'il se place, mais on
perd le bénéfice du champ de tir bien battu, puisque le ver-
sant plongeant et une notable partie de la vallée sont en
angle mort. Ce dernier inconvénient ne disparaîtrait que si
la largeur du plateau avait au moins la portée du fusil, et
encore faudrait-il battre les pentes du versant, plongeant
par .des positions de flanc, sous peine de laisser à l'ennemi
tout le loisir de procéder à la marche d'approche.
Un procédé avantageux pour battre ces pentes et gêner
l'adversaire, lorsque la position principale est sur la crête
MANUEL DE FORTIFICATION Cl
l3û Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
topographique ou sur la contre-pente, consiste à occuper la
crête militaire par une avant-ligne ou des avant-postes de
combat.
En s'établissant au pied des pentes P, on perd la supério-
rité du commandement et on a derrière soi un terrain vu
par l'ennemi, à moins que des couverts naturels ne le lui
dérobent. Mais lorsque ceux-ci existent et que la vallée a
une largeur assez grande, on est placé dans la meilleure
situation pour la battre de feux rasants. Les points d'appui
ainsi placés conviennent bien à une avant-ligne ou à des
avant-postes de combat, à condition cependant que des
cheminements défilés les relient à la position principale.
Telles sont les propriétés essentielles inhérentes aux for-
mes du terrain ; comme une position comporte toujours
une série d'échelons en profondeur, on trouvera le plus sou-
vent à utiliser pour ceux-ci les lignes successives qui se pré-
senteront.
Dans le tracé de ces lignes on se souviendra d'ailleurs de
ce principe général que tout saillant doit être établi sur une
portion élevée du terrain, et tout rentrant, dans une partie
basse.
La raison d'être de ce principe est fort simple : le saillant
étant un point faible par lui-même, parce qu'il peut être en-
veloppé, doit être placé sur une partie élevée du sol qui
augmente sa valeur défensive et lui donne des vues étendues ;
le rentrant, au contraire, étant bien défendu par les feux qui
se croisent en avant, a sa place marquée dans les parties
basses. On reviendra sur ce principe à propos du défile-
ment (Chap. XVI, page a//5).
Ces principes généraux étant posés, on va en faire l'appli-
cation à quelques cas particuliers et en tirer la conclusion
applicable à l'ensemble du champ de bataille.

Cours d'eau. Tête de pont. — Un cours d'eau est un


obstacle derrière lequel une armée peut s'abriter et dont la
défense est relativement facile. On occupe les points culmi-
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE l3l
liants de la rive amie, ceux qui commandent la rive oppo-
sée ; ces positions forment, pour ainsi dire, les saillants de
la ligne de défense.
Dans une semblable ligne, les ponts ont, évidemment,
une importance considérable et doivent être défendus avec
un soin tout particulier. C'est pourquoi on les couvre habi-
tuellement en avant par des ouvrages spéciaux qui portent
le nom de têtes de pont (fîg. 63).

Fig. 63. — Tête "de pont.

Les coudes étaient les points que l'on choisissait de pré-


férence autrefois pour l'établissement des ponts. Les rivières
y sont ordinairement moins larges que dans les parties
droites, et la rive concave, enveloppant et dominant près-
que toujours la rive convexe, offre d'excellentes positions
.

pour l'artillerie, dont les feux se croisent alors sur cette


dernière, et flanquent efficacement la tête de pont qui y est
établie. L'augmentation de portée et les propriétés actuelles
de l'artillerie ont fait disparaître cet avantage qu'atténuent
quelques inconvénients techniques, et il n'y a plus d'avan-
tage tactique à choisir un coude pour point de passage.
(Ecole de ponts, 1907.)
Les têtes de pont se composent en général d'une ligne
d'ouvrages (retranchements ou localités mises en état de dé-
l32 Ire PARTIE -.— FORTIFICATION PASSAGÈRE
fense) situés assez loin en avant du pont pour le garantir
des coups de l'artillerie ennemie (soit aujourd'hui 3 à 5 ki-
lomètres) et appuyés par les feux partant de la crête des
hauteurs de la rive amie. Les ouvrages sont placés de ma-
nière à se prêter un mutuel appui (soit 5oo à 800 mètres de
distance entre deux ouvrages voisins) et soutenus en arrière
par des batteries placées dans les intervalles et par l'artil-
lerie établie sur l'autre rive.
Cette première ligne permettra au possesseur des ponts
de laisser à soii armée le temps de battre en retraite, ou de
se déployer pour un mouvement en avant, suivant le sens
de la marche: Si cette ligne est perdue, le défenseur se reti-
rera en occupant, s'il le peut, des points intermédiaires entre
les premiers om'rages et les ponts en arrière. Quelques au-
teurs conseillent d'établir en ces points une ligne continue,
comme l'avait fait le général Chasseloup dans les têtes de
pont qu'il proposait au commencement du dernier siècle,
alors que les armes à feu n'avaient pas la portée actuelle.
L'inconvénient d'une pareille ligne est de gêner notablement
les communications, et comme l'intérieur de la position est
bien battu par les batteries de la rive amie, il ne semble pas
indispensable de l'établir.
Le réduit de la position est formé par une série de petits
ouvrages placés en avant de chacun des ponts de manière à
en couvrir le débouché. Ces petits ouvrages, en forme de
flèches ou de lunettes, doivent présenter des passages suf-
fisants pour ne pas retarder la marche du défenseur.
Dans cette organisation, les lignes de retraite passent par
le réduit, ce qui a été signalé à plusieurs reprises, dans ce
qui précède, comme une défectuosité ; mais cette disposition
est ici inévitable. Pour en atténuer les inconvénients, on
fermera la gorge de cet ouvrage par une ligne de palanques
limitant le passage et isolant les défenseurs de la troupe qui
bat en retraite. Ces petits ouvrages, qui constituent actuel-
lement les réduits, formaient seuls autrefois la tête de pont ;
ils peuvent être encore d'un certain secours aujourd'hui
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE l33
pour servir de poste de combat à la troupe chargée de la
garde d'un pont en pays ennemi, cette troupe n'ayant en
général à redouter que des partisans sans artillerie.

Défilé. — Un défilé peut être défendu de trois manières,


« en avant, en arrière, ou à l'intérieur ».

En avant, la défense est en général peu favorable ; on est


adossé à un obstacle et, si l'on éprouve dans le combat un
échec sérieux, l'armée engagée dans le défilé peut voir sa
retraite compromise. Il y a cependant des cas où cette dispo-
sition est imposée ; on peut citer, comme exemple, celui où
l'on veut conserver le défilé à tout prix pour une retraite ou
une marche offensive. La défense du défilé offre dans ce cas
les plus grandes analogies avec celle d'un pont ; aussi les
dispositions à prendre sont-elles identiques à celles qui
viennent d'être indiquées pour les têtes de pont. On cons-
titue à 3 ooo ou 5 ooo mètres en avant une série d'ouvrages
entourant le débouché et le garantissant des coups de l'ar-
tillerie. Pour qu'elles puissent facilement battre en retraite
au moment opportun, les bouches à feu de la défense sont
établies sur des points peu éloignés de l'entrée du défilé et
assez dominants pour leur permettre, malgré cette position
un peu retirée,' d'agir efficacement en avant, en utilisant les
longues portées qu'elles possèdent aujourd'hui.

En arrière, la disposition est meilleure, l'ennemi ne pou-


vant déboucher que sur un front très étroit et ayant derrière
lui un long boyau resserré, à l'intérieur duquel ses commu-
nications sont difficiles. Les ouvrages à construire devront
être moins nombreux, plus rapprochés du débouché (4oo à
5oo mètres environ) de manière à le bien battre. Les batte-
ries sont placées de manière à enfiler la route et à prendre
d'écharpe l'ennemi qui se présente. Il faut de plus surveiller
les abords du défilé pour empêcher que l'ennemi ne puisse
tourner la position. Toutes les routes et sentiers dont il
ï34 I" PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
pourrait profiter pour cela doivent être reconnus avec soin
et coupés au besoin, comme le défilé lui-même.

A l'intérieur, la défense n'est possible que dans un défilé


de montagne réellement bordé de part et d'autre de hau-
teurs d'un accès difficile et qui empêchent de tourner la route
principale, tout en permettant au défenseur de s'établir sur
un certain front. On choisit, à cet effet, les parties les plus
larges du défilé pour y développer le plus de troupes pos-
sible et reproduire à plus petite échelle les dispositions
qu'on prendrait pour défendre le défilé en arrière. Dans une
pareille défense, il importe, plus encore que précédemment,
de couper les routes en avant et de surveiller les abords et
les sentiers de la montagne. II ne faut pas oublier que, dans
certains pays, les hommes habitués aux passages qui parais-
sent impraticables à première vue peuvent utiliser ces sen-
tiers et tourner les défenses. Pendant l'insurrection carliste,
une troupe nombreuse d'insurgés a pu échapper à la pour-
suite de l'armée espagnole en pénétrant en France, avec
armes et bagages, par le cirque de Gavarnie, le long d'es-
carpements dont les touristes entreprennent rarement l'es-
calade.

Champs de bataille. — Les principes successivement,


exposés dans tout ce qui précède reçoivent leur application
dans l'organisation des champs de bataille.
Une semblable organisation présente en effet une série de
positions se rattachant plus ou moins complètement à l'un
des types principaux précédemment étudiés, mais dont la
disposition générale doit, répondre avant tout au but pour-
suivi par le commandement.
C'est à dessein qu'on énonce tout d'abord ce principe,
car en matière d'organisation défensive il doit primer tous
les autres. If importe en effet de ne pas oublier que si la for-
tification est susceptible de donner aux troupes un appoint
d'une haute valeur, c'est à la condition essentielle qu'elle
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE. l35
soit employée conformément aux vues d'ensemble qui pré-
sident à la direction du combat.
« Il ne faut jamais combattre sans un but; il ne faut ja-
mais combattre sans un plan », a dit le maréchal Bugeaud ;
et toutes les dispositions ordonnées, qu'elles se rapportent
aux mouvements des troupes ou aux travaux de fortification,
doivent être en harmonie avec le plan qu'on a formé.

Bien que, d'une manière absolue, l'offensive soit la seule


règle de conduite capable de mener au succès, il n'en est
pas moins vrai que la défensive, au moins momentanée, peut
s'imposer à chacun des adversaires suivant la situation dans
laquelle il se trouve.
Le défenseur possède en effet une véritable force de résis-
tance qu'il puise dans sa connaissance du terrain, dans le
parti qu'il peut tirer de ses armes et dans la protection que
lui offre la fortification.
Le combat défensif convient donc à celui des deux partis
qui, pour une raison quelconque, ne cherche qu'à main-
tenir sa position actuelle, tout au moins pendant un certain
temps. • • -
C'est le cas, par exemple, de Pavant-garde d'un corps
prenant l'offensive, lorsqu'elle se heurte à des forces supé-
rieures, dont elle ne peut triompher, et qu'elle attend le
secours du gros de la colonne.
C'est encore la situation des troupes qui', sur un vaste
champ de bataille, occupent les parties dont on veut simple-
ment s'assurer la possession. Pour être en mesure de concen-
trer toutes ses forces sur le point décisif, on ne fait occuper
les autres, dont il est question en ce moment, que par un
effectif restreint.
Il peut arriver enfin qu'une armée tout entière, se trouvant
inférieure à son ennemi, se maintienne sur la défensive dans
l'espoir d'user les forces de ce dernier contre des obstacles
et de l'accabler ensuite sous le choc d'une troupe fraîche
tenue en.réserve.
l36 Ire PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
Ces divers exemples montrent que la défensive devient
dans certains cas l'auxiliaire naturel d'un assaillant; ils ex-
pliquent et justifient son emploi partiel ou momentané.
Ils font ressortir également que le front total d'un champ
de bataille ne saurait être uniformément occupé.
Certaines parties, dans lesquelles on se propose de
produire l'effort principal, constituent le champ offensif;
d'autres, au contraire, destinées seulement à assurer la
possession du terrain qu'on occupe, forment le champ
dèfensif.
On examinera rapidement quel secours la fortification
peut apporter dans l'une et l'autre de ces parties.
Dans le champ offensif, les travaux à exécuter peuvent se
rattacher à deux ordres d'idées principaux : il est bon, pre-
mièrement, qu'une troupe, dans l'offensive, se mette en
garde contre un insuccès possible, et qu'elle prenne ses dis-
positions pour en réduire les conséquences ; elle y arrivera
sûrement en faisant organiser en arrière d'elle quelques
points principaux formant comme le squelette d'une position
de défense, lui permettant, en cas d'échec, d'effectuer sa
retraite dans des conditions plus favorables. — Seconde-
ment, il faut, après un succès, et lorsqu'on a emporté une
position, se prémunir contre un retour offensif de l'ennemi
et pour cela s'organiser sur le terrain conquis. Le règlement
en fait d'ailleurs une obligation. Dans ces deux cas où la
fortification est appelée à jouer un rôle, il est évident qu'elle
ne recevra pas un grand développement et que les travaux
à exécuter seront essentiellement rapides et légers, cette
double condition étant imposée par le manque de temps et
parfois d'outils.
Dans le champ dèfensif la fortification joue au contraire
un rôle prépondérant. Elle doit offrir une série de résistances
successives capables d'user les efforts de l'adversaire : elle
comprendra donc plusieurs lignes.
La ligne principale sera formée d'une série de points d'ap-
pui, ouvrages ou localités organisés défensivcment, disposés
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE 187
de manière à se prêter un mutuel soutien et à battre com-
plètement de leurs feux les intervalles qui les séparent. Cette
disposition permettra aux troupes de manoeuvre de prendre,
en temps opportun, l'offensive qui reste toujours le moyen
le plus efficace d'obtenir le succès.
Si une pareille ligne ne comportait qu'une seule série
d'ouvrages, elle tomberait tout entière dès qu'elle serait
percée en un point. Aussi convient-il de la dédoubler en
organisant deux lignes placées l'une derrière l'autre et dis-
posées de telle sorte que les points fortifiés de la seconde
correspondent aux intervalles de la première. Pour pouvoir
se prêter réciproquement un appui efficace et ne pas tomber
simultanément, il convient que ces deux séries ou lignes
d'ouvrages soient distantes l'une de l'autre de 5oo à 800 mè-
tres. On emploiera exclusivement, pour la première, des
ouvrages organisés de telle sorte qu'ils ne puissent être
retournés contre la seconde.
En arrière de cet ensemble qui constitue la ligne princi-
pale, il faut organiser quelques points d'appui ou positions
de retraite destinés à assurer au défenseur, eii cas d'échec,
la possession certaine de ses lignes de retraite. Ces positions
recevront le maximum de développement compatible avec
les ressources dont on dispose en hommes, en outils et en
temps ; elles seront placées de manière à commander entiè-
rement les routes de retraite.
L'organisation de la route principale pourra comprendre
en outre quelques postes avancés; ce seront des points ayant
une situation topographique avantageuse pour la défense ou
situés de manière à commander les débouchés de l'ennemi.
Ils seront fortement organisés et défendus, ainsi que le
prescrit le règlement ; mais, comme ils sont destinés à
tomber les premiers, il faut qu'ils ne puissent être utilisés
par l'ennemi contre la position principale ; leur gorge devra
donc être bien battue par cette dernière.
Dans toute organisation défensive, il est essentiel de ne
pas perdre de vue que le moyen d'action le plus efficace
l38 lre PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
pour tenir l'ennemi à distance est l'emploi du feu de l'artil-
lerie. On recherchera donc avec soin les emplacements de
batterie les plus favorables et on les aménagera pour faci-
liter le service et l'action des pièces.
On se rappellera d'ailleurs que le défenseur, étant subor-
donné à son adversaire, est par cela même incertain sur la
direction dans laquelle se produira l'action de ce dernier, et
par conséquent on devra prévoir et préparer des emplace-
ments de batterie pour commander ces diverses directions,
ce qui entraînera quelquefois à en élever en plus grande
quantité qu'on n'en pourrait garnir à la fois avec les pièces
dont on dispose.
Pour terminer cet exposé succinct, il convient d'observer
qu'une position, quelle qu'elle soit, comporte toujours un
réseau d'avant-postes- Ceux-ci donnent au défenseur le
moyen de se renseigner sur la force de l'ennemi et la direc-
tion par laquelle il se présente, et dé gagner le temps néces-
saire pour prendre les dispositions de combat. Les avant-
postes auront fréquemment recours à de légers travaux de
fortification pour assurer leur position. L'ensemble de ces
travaux reçoit assez généralementle nom d'avant-ligne, bien
que par leur nature même ils ne forment pas une ligne'de
résistance, dans la véritable acception de ce mot.
M. le colonel Delambre, dans son remarquable ouvrage :
La Fortification dans ses rapports avec la tactique et la
stratégie, a résumé comme il suit les conditions générales
auxquelles doit, satisfaire toute organisation défensive :
i° Permettre au défenseur d'utiliser la puissance de son
•feu, au moins dans la limite de son action la plus efficace ;
20 Assurer la sécurité du défenseur ;
3° Préparer la supériorité d'action du défenseur, sur le
point attaqué, par la convergence possible de ses efforts et
de ses feux sur ce point ;
4° Permettre de contester à l'ennemi les progrès qu'il a
faits et ne pas lui fournir, en cas de retraite partielle, des
avantages décisifs ou des points d'appui sérieux ;
ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE l3o,
5° Etre disposée de manière à ne pas entraver l'offen-
sive.
L'étude attentive de ces cinq principes en fera reconnaître
toute la justesse et la haute valeur. Ils résument en effet
toute la tactique du défenseur; leur application aux travaux
d'organisation destinés à seconder ce dernier est évidem-
ment le moyen le plus efficace d'assurer le lien indispensable
entre la tactique et la fortificatioiij celle-ci ne devant jamais
être qu'un auxiliaire de celle-là.
CHAPITRE VIII

PRINCIPES CONCERNANT L'EXÉCUTION


DES TRAVAUX

En dehors des considérations théoriques générales qu'on


a examinées dans l'étude de l'organisation défensive des
champs de bataille, il en est d'autres, d'un ordre plus pra-
tique, qui ont une assez grande importance dans la réalité.
Elles se rapportent à l'exécution même des travaux.

Trois éléments entrent en jeu dans une semblable opéra-


lion :
Les hommes, les outils, le temps.
JJhomme qui a marché dans la journée, qui peut être ap-
pelé à combattre le lendemain, ne saurait produire, sans
danger pour le succès final, un effort capable de l'épuiser;
il faut savoir ne lui demander qu'un travail en rapport avec
ses forces.
Dans les conditions ordinaires de la guerre, il ne semble
guère possible de dépasser une durée de quatre à six heures
de travail dans une journée.

Les outils à la disposition immédiate des troupes sont, en


majorité, du modèle portatif, peu solides et d'un faible ren-
dement. Par suite, dans une organisation de quelque impor-
tance, il est nécessaire de faire appel aux ressources du pare
du génie et il faut tenir compte du temps indispensable
pour amener à pied d'oeuvre les voitures qui le composent.
PRINCIPES CONCERNANT L'EXÉCUTION DES TRAVAUX l4l
Pour un corps d'armée marchant en une seule colonne,
par exemple, le parc du génie est à six heures et demie de
marche environ de Pavant-garde, si on l'a laissé à sa place
normale au train de combat. Lorsqu'on est en station^
comme le parc est, avec raison, relégué sur les derrières, il
faut souvent un temps assez considérable pour l'amener au
point où il doit être employé.

Le temps enfin est un facteur d'une importance capitale


en pareille matière ; il serait superflu de le démontrer.

Ceci posé, il convient de voir de quelle manière peuvent


être employés les éléments dont on dispose.
On peut, à ce propos, formuler les quelques principes qui
suivent :
a) Au sujet de l'ordre d'urgence des travaux.
« Dans l'organisation d'un champ de bataille dèfensif, il

après : .'-'.
y a lieu, sur chacun des points qui doivent être mis en état
de défense, d'effectuer les travaux dans l'ordre d'urgence ci-

« i° Travaux ayant pour but de faciliter l'action du feu,


dégagement, du champ de tir, repérage des distances (tra-
vaux difficiles à exécuter en présence de l'ennemi);
« 2° Création de couverts contre les feux et, les vues;
« 3° Travaux de communication ;
« 4° Travaux complémentaires concernant la création des
obstacles à opposer à la marche de l'ennemi, l'interdiction
de certains points de passage, la construction de défenses
accessoires. » (Instruction du 24 octobre 1906, § 11.)
b) Au sujet de l'emploi des hommes et des outils.
i°Les groupes de travailleurs doivent correspondre aux
unités de commandement, de manière à ne jamais soustraire
les hommes à leurs chefs naturels;
20 II ne faut jamais prendre la totalité des hommes d'une
compagnie pour un travail de quelque durée, mais toujours
laisser au moins 1/10 de l'effectif destiné aux diverses
l4'2 I1C
— FORTIFICATION PASSAGÈRE
PARTIE
corvées (préparation des aliments, transmission des or-
dres, etc.);
3° Chaque groupe de travailleurs doit recevoir une tâche
nettement délimitée de l'exécution de laquelle il est respon-
sable;
4° Dans les circonstances où les outils portatifs sont utili-
sés, il ne faut jamais séparer l'homme de son outil; on le lui
fait ainsi apprécier comme une propriété personnelle et on
développe chez lui l'habileté manuelle qui assure un meilleur
rendement;
5° De même, les outils des voitures de compagnie, le lot
,

d'outils suplémentaires de chaque régiment doivent .être


laissés autant que possible aux unités auxquelles ils appar-
tiennent.
Mais c'est là un principe moins absolu que le précédent,
surtout dans l'intérieur d'un même bataillon.
Si, par exemple, une compagnie d'un bataillon est char-
gée de travaux de destruction, tandis qUe les trois autres
font des terrassements, il est naturel de mettre à la dispo-
sition de la première compagnie, en outre de ses propres
outils, les outils de destruction des voitures des trois autres
compagnies, tandis qu'elle pourra prêter à une unité voisine
les outils de terrassiers de sa voiture de compagnie.
« Les troupes du génie disposent de la totalité de leurs
outils portatifs et des outils de leur train de combat. Ces
derniers outils ne sont pas en principe destinés à compléter
l'outillage de l'infanterie ; il est essentiel en effet que, dès
l'achèvement de sa tâche propre, une troupe du génie puisse
être envoyée avec son matériel sur un autre point où sa pré-
sence est jugée nécessaire. » (École de fortification de cam-
pagne.)
Ce principe a été posé tout récemment par l'Ecole de
fortification de campagne.
Auparavant, la compagnie du génie possédait, tant sur
les hommes que dans ses voitures de sapeurs-mineurs, un
nombre d'outils supérieur à ses besoins, et il était admis
PRINCIPES CONCERNANT INEXECUTION DES TRAVAUX l'4'3
qu'elle pouvait mettre à la disposition des unités d'infan-
terie les outils qu'elle n'utilisait pas.
Une modification récente au chargement des voitures, de
sapeurs-mineurs les a allégées en réduisant le nombre d'ou-
tils qu'elles portent, en.soiie que, maintenant, la compagnie
du génie ne possède que les outils nécessaires pour outiller
tous ses hommes soit en outils de terrassier, soit en outils
de destruction.
Le nouveau principe posé par l'Ecole de fortification de
campagne est le corollaire de cette modification (').
Quoi qu'il en soit, aux termes dé l'instruction en question,
si l'infanterie doit recevoir un complément d'outils, il sera
mis à sa disposition par le parc du génie de corps d'armée;
6° L'outil portatif est l'outil habituel du fantassin, loin du
feu comme sous le feu;
Il serait illogique d'imposer à l'homme de porter ce far-
deau pendant de nombreuses marches pour ne l'utiliser
qu'en de rares circonstances, telles que l'organisationrapide,
sous le feu de l'ennemi, d'un point qu'on vient de con-
quérir.
L'opinion contraire trouve cependant crédit auprès de
quelques personnes dont la haute compétence est reconnue
de tous ; elle se fonde prine-ipale-ment sur le peu de résis-
tance des outils portatifs, qui les expose à être rapidement
détériorés lorsqu'on veut les employer fréquemment, et sur
la difficulté de remplacer ces engins lorsqu'ils sont mis hors
de service. Tout en reconnaissant la valeur de ces raisons,
il semble qu'on y peut aisément répondre comme il suit : Les
outils, comme tout le matériel au service des armées, sont
faits pour être mis en oeuvre ; ils seront d'autant moins aisé-
ment détériorés que les hommes auront davantage l'habitude

(l) On fera observer cependant que le nombre total d'outils dont dispose
une compagnie du génie (terrassement et destruction) est sensiblement le double
de son effectif. Elle n'en utilisera donc jamais qu'une moitié à la fois. Serait-il
logique de laisser l'autre moitié sans emploi alors qu'elle pourrait rendre des
services ailleurs ?
l44 IrC PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
de s'en servir ; il serait puéril de les ménager au point de ne
les.utiliser que très rarement ; enfin, leur remplacement, bien
que difficile, n'est pas absolument impossible, puisque les
parcs du génie de corps d'armée et d'armée en contiennent
un certain nombre de rechange.
La question est d'ailleurs résolue aujourd'hui, puisque
l'instruction du 24 octobre 1906 prévoit la construction de
tranchées pour tireurs assis et à genou, à l'aide des outils
portatifs ; seule la tranchée pour tireurs debout s'exécute
avec des outils de parc ;
70 « Les diverses unités d'infanterie construisent elles-
mêmes les retranchements à faible profil (fortification de
campagne légère) qu'elles sont chargées de défendre et or-
ganisent les couverts et obstacles qu'elles sont appelées à
occuper. Les troupes du génie qui leur sont adjointes
exécutent, en principe, les retranchements à fort profil
(fortification de campagne renforcée), construisent des abris,
établissent les défenses accessoires, organisent les réduits,
créent des points de passage à travers les obstacles, amélio-
rent les communications, procèdent aux destructions impor-
tantes et, en général, à tous les travaux qui exigent des
connaissances techniques spéciales. » (24 octobre 1906.
N° 22.)
.
Le génie est en proportion si faible dans les armées que
ce serait mal l'utiliser que de lui confier des travaux que
l'infanterie peut exécuter elle-même. On trouvera toujours
à le mieux employer.

Pour l'emploi des compagnies du génie, trois cas sont à


considérer :
i° L'unité est isolément chargée d'un travail tel que l'or-
ganisation d'un point d'appui sur la ligne de retraite, la
création de chemin de colonne, etc.
Aucune observation à faire.
20 Elle est adjointe à une nnité d'infanterie plus'forte
qu'elle.
PRINCIPES CONCERNANT L'EXÉCUTION DES TRAVAUX 145
Dans ce cas, l'unité du génie est l'auxiliaire de l'infan-
terie..
S'agit-il, par exemple, d'un bataillon chargé de l'organi-
sation défensive d'une localité auquel on adjoint une com-
pagnie du génie ? Celle-ci doit se considérer comme la
5e compagnie du bataillon d'infanterie,
Le chef de bataillon donne les ordres nécessaires ; il est
seul responsable du choix des emplacements à occuper et
de la répartition des défenseurs (p.l\ octobre igo6.. N° 23)..
Il arrête les travaux à exécuter. La détermination de ces-
travaux est faite au .cours, de la reconnaissance qu'il effec-
tue accompagné des représentants des unités qui doivent y
participer et du commandant de la compagnie du génie.
Le chef de bataillon fait la répartition en confiant au génie
.

les travaux qui conviennent à son outillage et à ses aptitudes


techniques.
3° La compagnie du génie est chargée d'un travail spécial
pour lequel son effectif est insuffisant, étant donné le temps
dont on dispose.
Des unités d'infanterie peuvent alors être mises à la dis-
position des troupes du génie.
S'agit-il, par exemple, pour une compagnie du génie;
d'organiser un point d'appui solide sur une ligne de retraite ?
Une compagnie d'infanterie peut lui être adjointe pour
l'aider.
Dans ce cas, cette compagnie d'infanterie est l'auxiliaire
du génie.
L'officier du génie qui dirige le chantier attribue en prin-
,
cipe à la compagnie d'infanterie ou à ses sous-unités des
tâches bien déterminées et distinctes de celles données aux
fractions du génie.
Les travailleurs d'infanterie opèrent sous la direction im-
médiate de leurs chefs qui reçoivent des officiers du génie les
indications techniques se rapportant au travail : composition
des ateliers, dimensions de l'ouvrage, progression à observer
pendant l'avancement du travail, etc.
MANUEL DE FORTIFICATION 10
146 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
On a admis dans ce qui précède que les deux pelotons ou
même les quatre sections de la compagnie du génie pour-
raient être séparés afin d'être mis à la disposition d'unités
d'infanterie différentes.
La division en deux pelotons est commode, parce que
chacun d'eux peut recevoir une des deux voitures de sa-
peurs-mineurs, dont le chargement en outils est à peu près
identique.
La division en sections oblige au partage des outils de ces
voitures; c'est une comrylication et une perte de temps.
D'ailleurs le capitaine parviendrait difficilement à faire
vivre une unité ainsi disloquée.
Il vaut donc mieux éviter le fractionnement en sections.

Utilisation des outils du parc du génie


de corps d'armée

Quand il est nécessaire, l'approvisionnement de l'infan-


terie en outils est augmenté momentanément à l'aide des
« prolonges d'outils de pionniers ».
Le parc du génie de corps d'armée possède neuf « pro-
longes à couvercle d'outils de pionniers » portant chacune,
en chiffres ronds, 3oo outils de terrassiers et ioo de des-
truction.
Le commandant du corps d'armée envoie au parc du
génie les ordres nécessaires pour l'affectation de ces outils.
A défaut d'ordres, le commandant du parc met les pro-
longes d'outils à la disposition des généraux de division
qui les demandent, dans la limite de trois prolonges par
division (').
L'intervention des outils du parc du génie est moins in-
dispensable depuis que la compagnie d'infanterie possède
181 outils portatifs. Elle a cependant l'avantage, quand elle

(') Service du génie en campagne.


PRINCIPES CONCERNANT INEXECUTION DES TRAVAUX l47
est possible, de doter les troupes d'outils plus solides et
d'un meilleur rendement.
La prolonge(4oo outils) semble convenir à un bataillon,
qui se trouve ainsi pourvu d'outils de parc à raison d'un
pour deux hommes.
Le bataillon n'eût-il pas d'autres outils, cette propor-
tion serait suffisante pour -un travail de quelque durée.
En effet, pour des travailleurs aussi peu entraînés que les
soldats d'infanterie, les pauses de travail doivent être sépa-
rées par des pauses de repos d'égale durée. Il est par suite
possible de, diviser les travailleurs en deux équipes qui se
relèvent alternativement et utilisent les mêmes outils.
Les neuf prolonges du parc du génie de corps permettent,
si on accepte cette base, de doter neuf bataillons sur les
trente-deux du corps d'armée. Cela sera en général très
suffisant, parce que tous les bataillons d'un corps d'armée
n'auront pas à exécuter simultanément des travaux assez im-
portants pour nécessiter l'intervention des outils de parc.

On juge superflu de reproduire à nouveau l'étude faite,


dans les précédentes éditions du Manuel, de la répartition
des outils et des travailleurs entre les divers travaux à entre-
1 prendre et en tenant compte des pauses successives de l'exé-
cution.
Deux motifs justifient .cette suppression :
Le premier est que l'expérience a fait ressortir qu'en gé-
néral on se dispensait de réaliser cette étude, aisée à faire
cependant, mais exigeant une certaine habitude pour ne pas
entraîner de perte de temps.
Le second provient de l'augmentation très notable de
l'outillage de l'infanterie, qui a pour conséquence de simpli-
fier beaucoup le problème, jadis ardu parfois, de la réparti-
tion des outils entre les travailleurs.
Il serait sans utilité réelle, maintenant, sauf dans des cas
exceptionnels, de procéder aux études en question, et on a
cru devoir, par leur suppression, alléger le Manuel.
l48 Ire PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE

Considérations générales sur le but et l'emploi


de la fortification du champ de bataille

On ne saurait terminer l'étude de la fortification du champ


de bataille sans faire ressortir tout le parti qu'on en peut
tirer dans les diverses formes de la lutte.
Elle est un moyen et non un but, et son emploi reste
toujours subordonné à l'application des règles générales
du combat. En aucune circonstance elle ne doit entraArer les
intentions du commandement.
Son but est de donner au tireur le bouclier qui lui fait
défaut et que rend plus que jamais nécessaire l'accroisse-
ment de puissance des feux d'infanterie et d'artillerie.
Placé derrière un simple bourrelet de terre, une haie
habilement disposée, un mur convenablement organisé,
le fantassin, se sentant à l'abri et ayant toute facilité pour,
bien appuyer son arme, fera de ses munitions un usage
plus profitable. Il tiendra facilement tête pendant long-
temps à son adversaire^ et, quand il lui aura fait subir des
pertes sérieuses, rien n'empêchera de le lancer résolument
à .l'attaque d'un ennemi à demi épuisé. Le modeste outil
qu'il porte avec lui ne doit donc pas lui sembler trop
lourd, puisqu'il doit si largement contribuer à faciliter la
victoire.
C'est en s'appuyant sur ces considérations fort justes
que l'on était arrivé à formuler le principe que la défensive
possède la supériorité tactique, lequel avait inspiré le règle-
ment français de 1868 qui introduisait chez nous un mode
de combat, fondé sur l'emploi exclusif de la défensive.
Mais, si le défenseur possède une supériorité matérielle
sur l'assaillant, celui-ci a pour lui la supériorité morale que
donne la volonté de vaincre son adversaire et qu'entretient
la marche en avant. — Et, dans la lutte, la valeur morale
triomphe toujours de l'obstacle matériel.
PRINCIPES CONCERNANT INEXECUTION DES TRAVAUX l49
Le principe, ainsi posé dans ces termes absolus, est donc
faux. v

Pour le faire comprendre, il n'est besoin d'invoquer ni


l'antipathie qu'il rencontre dans le caractère français, ni les
succès des armées prussiennes, dus à l'emploi d'une forme
toute différente de combat.
Il suffit de considérer qu'à la guerre le but final est tou-
jours la conquête du terrain jusque-là occupé par l'adver-
saire. C'est en avançant, en conquérant, qu'on ruine les
ressources de son ennemi, qu'on coupe ses communications,
qu'on jette le désarroi dans ses projets d'abord, et bientôt
dans ses armées, qu'on lui enlève ses moyens d'action,
qu'on l'affaiblit, en un mot, moralement et physiquement
àda fois.
Quelle est la mesure de la victoire, sinon le terrain que
l'on gagne sur son adversaire, les prisonniers qu'on lui fait,
les trophées, qu'on lui enlève ?
.
On n'a donc rien gagné, ou peu de chose, quand on a in-
fligé un échec à son ennemi en restant complètement sur la
défensive. L'exécution de ses desseins est retardée, sans
doute; on l'a empêché de conquérir; mais le résultat est
purement passif, à moins que, par là, on n'ait favorisé l'ac-
tion offensive d'une autre partie des armées nationales qui,
elle, aura remporté une victoire féconde.
Telle est précisément l'utilité réelle de la défensive : son
succès, improductif par lui-même, permet ailleurs l'obten-
tion des plus grands résultats ; et il en est ainsi, non seule-
ment pour les armées agissant en combinaison sur des
champs de bataille séparés, mais encore, et c'est le cas de
beaucoup le plus fréquent, pour les différentes parties d'une
même armée aux prises avec l'adversaire..
Qu'elle attaque ou qu'elle se défende au début, une
armée qui livre bataille à en effet toujours le même objectif :
« Remporter la victoire et, si c'est possible, une victoire
fructueuse. »
Si elle attaque, elle a choisi sur la ligne ennemie le point
100 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
dont la possession lui semble devoir entraîner la dislocation
et la défaite de l'adversaire. C'est sur lui qu'elle va concen-
trer ses principaux efforts. Mais il faudra bien compter que
l'ennemi choisira, lui aussi, sur la ligne de l'assaillant (s'il
ne l'a déjà fait à l'avance), un point qui, une fois emporté,
lui assurera le succès définitif.
Lors donc que l'action sera complètement engagée, cha-
cune des armées poursuivra un double but : conserver le
point important de sa propre.ligné, de la possession duquel
l'ennemi espère la Adctoire; et enlever à l'adversaire le
point de la sienne qui doit entraîner sa dislocation et sa
défaite.
Chaque armée aura donc à appeler à son secours toutes
les ressources de la fortification passagère, pour s'assurer, de
la manière la plus -certaine et avec le moins de monde pos-
sible, la conservation du point que l'autre médite de lui
enlever.
On pourrait se dispenser de rien ajouter, pour mettre en
évidence toute l'importance de ce genre de fortification dans
la guerre moderne. Et cependant, si, dans les circonstances
générales ordinaires, c'est-à-dire dans le combat pour la
victoire productive, on est amené à en faire un tel usage,
combien plus grand encore est le parti qu'on en pourra tirer
dans les cas particuliers, où, pour immobiliser sur un point
l'une des armées ennemies, pendant qu'on se prépare à en
écraser une autre à quelque distance, on ne pourra disposer
que de forces relativement faibles, et où l'on sera par suite
réduit à livrer une bataille exclusivement défensive !
« Si la puissance de l'armement et les enseignements des
guerres récentes ont montré la nécessité, pour les troupes
d'infanterie, de faire un usage fréquent de la fortification
de champ de bataille, il convient aussi de ne pas perdre
de vue que la protection à rechercher contre les projec-
tiles ne doit, en aucun cas, diminuer l'esprit d'offensive
de notre infanterie, ni entraver son aptitude au mouve-
ment. »
PRINCIPES CONCERNANT L'EXÉCUTION DES TRAVAUX l5l
Ce principe essentiel, emprunté à l'Instruction du 24 oc-
tobre 1906, où il est rappelé à plusieurs reprises, doit servir
de guide dans l'emploi de la fortification du champ de ba-
taille et son application bien entendue permet d'éviter tous
les reproches qu'on a pu adresser à cette dernière.
Si, dans la défensive, son utilité n'a jamais été sérieuse^
ment contestée, il n'en est pas de même dans l'offensive. :

Le règlement de manoeuvre de l'infanterie et l'instruction


précitée fixent maintenant d'une manière absolue les avan-
tages que peut procurer la fortification dans cette forme du
combat. .''•''••
D'une manière générale, dès que le mouvement en avant
est suspendu, volontairement ou non, la fortification inter^
vient pour augmenter la capacité de résistance de l'infan-
terie. « Dans sa progression en avant, l'infanterie auradonc
de fréquentes occasions démettre en état de défense certains
points de terrain, d'organiser les couverts ou obstacles
qu'elle aura enlevés à l'ennemi ou atteints dans sa marche et
qu'elle voudra conserver, soit pour les mettre à l'abri des
retours offensifs, soit pour favoriser la reprise de la marche
en avant. »
Dans le combat, où la marche s'effectue par bonds suc-
cessifs, amenant les groupes de tireurs à se pelotonner
derrière les accidents du sol, « les moindres abris attireront
les combattants ». Le règlement prévoit que pour aménager
ces abris, augmenter la protection qu'ils offrent, permettre
aux tireurs de faire de leurs armes l'usage judicieux qui
favorisera un nouveau bond en avant, la fortification inter-
viendra fréquemment.
Ce que l'on recherche aujourd'hui dans la fortification du
champ de bataille, c'est seulement la protection momentanée
contre les coups de l'adversaire; on renonce à l'obstacle qui
faisait jadis partie intégrante de toute fortification et qu'on
trouvera dans les ouvrages de position ou permanents. La
puissance du feu de l'infanterie, sa longue portée qui per-
met l'ouverture de la lutte à des distances jadis insoup-
102 Ire PARTIE -— FORTIFICATION PASSAGERE
çonnées, ont pour conséquence de réduire l'importance de
l'obstacle adjacent au couvert, dans les travaux de champ
de bataille. Le léger avantage qu'il procure dans la dernière
phase de la lutte est toujours moindre que l'inconvénient
qu'il entraîne en gênant la marche en avant. Aujourd'hui
que le sentiment de l'offensive est entré dans l'esprit de
tous, on se résout volontiers à ne plus demander à la forti-
fication qu'un abri momentané contre les projectiles.
Le véritable obstacle à opposer à l'ennemi, c'est la volonté
-.
de vaincre, de lui imposer, notre volonté en marchant à lui
résolument.
C'est en employant la fortification sous cette forme qu'elle
est réellement un moyen et non un but et qu'elle assure à
son défenseur un appui toujours efficace sans jamais l'en-
traver.
CHAPITRE IX

FORTIFICATION DE POSITION

Son but et son emploi


La fortification de position se différencie nettement de
celle du champ de bataille par son but, partant son mode
d'emploi et par la nature des moyens mis en oeuvre pour
l'exécuter.
Son but est de donner à une troupe astreinte à la défen-
sive, par sa situation stratégique,' le maximum de renfort
qu'elle est susceptible de recevoir du terra in judicieusement
aménagé.
De même que la fortification du champ de bataille, elle
doit être employée conformément au dessein que s'est assi-
gné le commandement; elle est un moyen mis à la disposi-
tion des troupes, non un but. Mais les circonstances dans
lesquelles on l'emploie étant différentes, les sujétions qui
lui sont imposées diffèrent également. Sur le champ de ba-
taille tout est, en quelque sorte, subordonné à la nécessité
du mouvement en avant, on s'astreint de parti pris à écarter
un dispositif qui rendrait ce dernier plus difficile, même s'il
assurait une protection meilleure. Il n'en est plus de même
pour la fortification de position.
La troupe qui y recourt a pour but de retenir le plus long-
temps possible son adversaire, d'user ses forces afin de ga-
gner du temps et de contribuer ainsi au succès de l'ensem-
ble. Mais le défenseur, étant par hypothèse inférieur à son
adversaire, ne peut songer pour le moment à prendre cette
offensive, seule forme de la lutte qui conduit au succès.
l54 Ire PARTIE —' FORTIFICATION PASSAGÈRE
A ce but et ce mode d'emploi différents correspondent
des ressources et des moyens d'action plus puissants et, en
général,;on dispose, pour établir la fortification déposition,
de temps, d'hommes et outils en quantité suffisante pour
entreprendre des travaux exigeant un gros effort.
En général aussi, les ouvrages de position ont à résister
aux plus puissantes pièces d'une armée en campagne, c'est
dire qu'il faut compter avec l'artillerie lourde d'armée dont
les calibres sont ceux de certaines pièces de siège. Toute-
fois, cette artillerie ne dispose que d'un approvisionnement
de munitions assez restreint qui limite sa puissance et lui
interdit tout gaspillage.
Il résulte de ce qui précède que la fortification de position
comporte des profils plus puissants, des abris plus nom-
breux, des obstacles plus sérieux que ceux dont on se con-
tente sur le champ de bataille. Il convient en effet de mettre
en oeuvre toutes les ressources, pour opposer à l'adversaire
une résistance aussi énergique que possible sur laquelle
doivent venir se briser ses efforts. La principale de ces res-
sources sera souvent le terrain, lorsqu'on en utilisera judi-
cieusement toutes les propriétés. Par conséquent, au lieu
de subordonner les dispositions de l'organisation défensive
à la nécessité de permettre le passage à l'offensive, on pla-
cera en première ligne l'obligation de tirer le. maximum
d'avantages du terrain et de la fortification. Dans ces condi-
tions, on pourra être conduit à préférer les positions qui,
par elles-mêmes, ont une valeur défensive susceptible d'être
développée par la fortification, à celles qui, au contraire,
facilitent les manoeuvres et dont on a fait ressortir les avan-
tages sur le champ de bataille.
Les circonstances dans lesquelles on a recours à la forti-
fication de position ont été indiquées d'une manière générale
au chapitre I. Il n'est pas inutile de les passer ici en revue.
Dans une place forte, ainsi qu'on le verra dans la secondé
partie du Manuel, la ligne principale de défense comporte
des ouvrages permanents séparés par de larges intervalles ;
FORTIFICATION DE POSITION IOO
ceux-ci doivent être défendus par l'organisation convenable
d'un certain nombre de positions.
Inversement, dans un siège, l'armée qui s'installe autour
d'une place, dans le dessein de s'en emparer, a pour premier,
objectif l'investissement de la garnison, de manière à lui
couper toute communication avec l'intérieur,. Elle y par-
vient en organisant tout autour de la place une ligne d'in-
vestissement assez solide pour rendre vaines toutes les ten-
tatives du défenseur en vue de la percer.
Dans les deux cas qu'on vient d'envisager, il est clair que
le défenseur de la place d'une part, l'assiégeant de Pautre
ont. tout intérêt à accumuler les travaux défensifs sur la
ligne qu'ils ont choisie et que, dans le choix de celle-ci, ils
tiendront le plus grand compte des propriétés du terrain.
Les places du moment qu'une armée peut être amenée à
organiser dans certaines circonstances, comme celle où s'est
trouvée l'armée d'Osman-Pacha en 1877, les positions d'ar-
rêt qu'on aménage en vue d'opposer un barrage solide dans
un passage obligé appartiennent également à la fortification
de position. Le but que poursuit celui qui les organise n'est
pas de ralentir le mouvement de son adversaire pour passer
lui-même à l'offensive, mais bien d'user les forces de ce
dernier pour faciliter la tâche ultérieure des armées de ren-
fort qui se constituent à la faveur de cette résistance.
Dans ces conditions, on ne craint pas-d'accumuler les obs-
tacles devant soi, si on en peut tirer un surcroît de puissance.
La fortification de position trouve éventuellement son
emploi sur le champ de bataille, lorsque les circonstances
obligent à mettre tout en oeuvre pour assurer une ligne de
retraite. La position qu'on choisit alors doit être forte par
elle-même, elle n'entrera en jeu que si celui qui l'a organisée
a perdu déjà sa position principale. Inférieur à son ennemi,
il s'efforce de racheter cette inégalité par l'emploi de toutes
les ressources de la fortification.
Ayant ainsi indiqué le but et le mode d'emploi de la for-
tification de position, on va, comme on l'a fait pour celle du
156 Ir,î PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
champ de bataille, étudier les conditions auxquelles elle
doit satisfaire pour assurer la protection des défenseurs.
On est ainsi conduit à examiner les effets du tir des projec-
tiles de tout calibre dont dispose l'artillerie de campagne
contre les retranchements et les abris en usage dans la for-
tification de position. -

Effets des projectiles de campagne

'Les renseignements qui vont suivre sont, comme ceux


qu'on a donnés au chapitre III, extraits d'une note ministé-
rielle du 7 novembre 1896 sur les effets et l'emploi des pro-
jectiles tirés par les batteries de 80, 90, g5 et 120 court.

Le tir s'est exécuté sur l'ouvrage dont la figure 64 repré-


sente le profil, complété par un abri couvert d'une masse
de terre de im 5o d'épaisseur formant traverse en arrière
du parapet.
On a tiré d'abord avec l'obus allongé de 90 (charge
1
600 grammes de mélinite environ).
On a cherché à faire brèche dans le parapet en tirant d'a-
bord à 2 000 mètres, puis à 1 4oo mètres.
a) A 2 000 mètres, 3o coups furent tirés, 12 atteignirent
le parapet et pratiquèrent deux brèches distinctes, ayant
chacune 2 mètres de largeur ;
b) A 1 4oo mètres, on tira 3o coups, 10 touchèrent le but ;
ils ouvrirent une nouvelle brèche de 3 mètres.
FORTIFICATION DE POSITION 167
Le tir fut ensuite dirigé contre la traverse : on tira 3o coups
à 2 000 mètres, 3o à r 4oo mètres. A chacune de ces distan-
ces, 12 projectiles atteignirent la traverse, qui fut entamée,
mais l'abri ne fut pas ruiné.
Un nouveau tir fut fait à 2 5oo mètres afin d'avoir un
angle de chute plus fort : 78 obus tirés donnèrent 23 au but
qui laissèrent l'abri intact.
On entreprit alors un tir à 1 4oo mètres pour raser métho-
diquement les terres protégeant l'abri. Sur 4i coups, 27
atteignirent la traverse et rendirent l'abri intenable.
Il avait donc fallu tirer 179 obus allongés de 90 pour dé-
truire cet abri.
Voici maintenant les résultats d'un tir à obus allongé de

120 (4 kilogr. de mélinite environ) sur un retranchement


identique :
a) Sur 7 obus tirés à 1 900 mètres, 3 atteignent le para-
pet et forment des entonnoirs de grandes dimensions ;
b) Sur i4 obus tirés à 1 4oo mètres, 3 atteignent le para-
pet et achèvent de le bouleverser.
On a ensuite attaqué la traverse pour détruire l'abri.
a) On tira, à 1 900 mètres, 44 obus dont 10 atteignirent
l'objectif; puis, à 1 4oo mètres, 4o coups dont 8 furent au but.
La figure 64 bis représente l'effet produit par ces tirs.
Il fallut tirer encore 20 coups dont 10 au but pour défon-
cer complètement l'abri.
En tout, la destruction de l'abri avait coûté io4 obus
allongés de 120 dont 28 au but.
158 lre PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Un tir à obus explosifs de r55 donnerait des résultats plus
considérables, surtout avec le i55 long, dont la trajectoire
tendue obtiendrait sur le parapet un plus grand nombre
d'atteintes.
h'instruction provisoire sur le service de l'artillerie dans
la guerre de siège dit que 5 ou 6 obus allongés de 155 con-
venablement groupés sont suffisants pour ouvrir une tran-
chée de 3 à 5 mètres de largeur et de im,5o de profondeur,
dans un épaulement en sable de io mètres d'épaisseur.
Mais pour arriver à grouper convenablement 5 ou 6 obus,
il faut en tirer un beaucoup plus grand nombre.
Il est essentiel, pour conclure, de remarquer que les ré-
sultats qu'on vient d'indiquer ci-dessus sont obtenus, sur le
polygone, après un tir parfaitement réglé et par des batte-
ries dont le personnel n'a aucune des préoccupations qui
résultent de la présence d'un adversaire réel.
On peut donc affirmer, sans crainte d'erreur, que le chiffre
déjà considérable de munitions consommées pour obtenir
ces résultats doit être affecté d'un fort coefficient pour repré-
senter la consommation réelle qui serait nécessaire pour les
reproduire à la guerre,
Donc, si l'artillerie lourde d'armée, comme celle de siège,
est parfaitement en mesure de ruiner des retranchements
d'un fort profil, elle doit y consacrer une grande quantité
de munitions.
Le transport de ces pièces et de ces munitions représente
un effort considérable ; il exige du temps et des moyens
d'action puissants. La somme d'énergie mécanique cor-
respondant à cette consommation de munitions donne la
mesure de la puissance à mettre en oeuvre pour vaincre la
résistance matérielle de la fortification. Lorsque celle-ci
abrite des défenseurs au coeur bien placé et doués d'énergie
morale., il faut, pour les vaincre, dépenser aussi une somme
d'énergie dont la précédente ne donne qu'une faible notion.
Telle est la raison d'être de la fortification de position.
CHAPITRE X

DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION


DE POSITION

Parties constitutives du profil.— Le profil complet


d'un ouvrage de position se compose essentiellement de
trois parties principales, savoir : i° Y obstacle, destiné à
arrêter la marche de l'ennemi ; 20 le couvert, qui protège le
défenseur contre les coups de son adversaire et lui permet
de faire usage de ses armes dans de bonnes conditions;
3° le terre-plein, qui forme la partie de l'ouvrage sur laquelle
le défenseur peut circuler à l'abri des coups de l'ennemi.

L'obstacle est constitué par un fossé 1JKL {fig. 65,


page /6'J), dontv la largeur et la profondeur, essentielle-
ment variables suivant la nature des ouvrages, seront indi-
quées et discutées tout à l'heure. Il peut l'être aussi par
des défenses accessoires, comme dans la fortification de
campagne.
Le couvert est formé par une masse de terre CDEFGII,
dite parapet, dont l'épaisseur et la hauteur, variables égale-
ment suivant la force de l'ouvrage, sont déterminées par des
considérations multiples.
Le terre-plein est formé par un second fossé pratiqué en
arrière du parapet, comme on le voit en AA'B'B.

Nomenclature du proiil. — L'obstacle, le parapet et


le terre-plein qui constituent l'ensemble du profil sont eux-
l6o I1C PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
mêmes formés de diverses parties, ayant chacune un nom
particulier, qu'il importe de bien connaître pour comprendre
sans difficulté ce qui Ara suivre.
En y ajoutant les noms de certaines parties .qui n'appar-
tiennent à proprement parler à aucun de ces trois éléments
principaux, on trouve dans le profil, en allant de l'extérieur
(côté de l'ennemi) à l'intérieur (terre-plein) :
Le glacis NML dont le point M représente la crête;
La contrescarpe ou talus de contrescarpe LK; — le fond
du fossé KJ ; — et l'escarpe ou talus d'escarpe JI ;
La berme III ;
Le talus extérieur IIG; — la plongée GF; — le talus
intérieur FE; -— la banquette ED ; — le talus de ban-
quette DC;
La crête extérieure, représentée par le point G, et la crête
intérieure ou ligne defeu, représentée par le point F (cette
crête intérieure est marquée sur les plans ou tracés par un
trait plus fort que les autres);
La tranchée BB'A'A, dont le fond forme le terre-plein,
et qui est reliée au sol par des gradins.
On donne le nom de hauteur du parapet à la hauteur Ff
de la crête intérieure, au-dessus du sol naturel; et celui
d'épaisseur du parapet à la distance/^ qui sépare les deux
plans verticaux passant par les crêtes intérieure et exté-
rieure.

Discussion du profil. — Un fort relief peut être im-


posé par les formes du terrain que l'ouvrage doit battre de
ses feux, mais, le plus souvent, on peut l'éviter par un choix
judicieux de l'emplacement; il augmente le défilement des
défenseurs, mais on obtient aussi bien ce résultat en appro-
fondissant le fossé intérieur.
Il est à remarquer cependant qu'un relief atteignant, au
moins im8o, en terrain horizontal, a l'avantage de dissi-
muler aux vues de l'ennemi, les mouvements de troupe en
arrière.de l'ouvrage et met à l'abri des balles du fusil les
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION DE POSITION l6l
renforts qui, pendant l'attaque, se porteront dans le retran-
chement.
Par contre, un tel relief a l'inconvénient d'offrir à l'artil-
lerie un but visible et facile à atteindre, ce qui doit le faire
proscrire chaque fois qu'on peut espérer, en employant de
faibles reliefs, soustraire les-ouvrages aux vues lointaines.
Mais, dans les cas où il est impossible de dissimuler à l'en-
nemi les tranchées les plus faibles, soit en raison de la
proximité des adversaires, soit à cause de la nature du sol,
soit enfin par suite de la longue durée de la lutte, comme
dans la guerre de siège, les gros reliefs donnent une protec-
tion meilleure ; ils n'ont plus alors d'autre inconvénient que
le travail important qu'ils nécessitent.
On peut admettre. 2 mètres comme limite maximum de la
hauteur du parapet et i'"4o comme le chiffre qu'on cherche
à ne pas dépasser le plus généralement.
Uépaisseur du parapet doit être suffisante pour per-
mettre de résister à un tir soutenu de l'artillerie de cam-
pagne exécuté à obus à balles percutant. Il suffit pour cela
de donner au parapet 3 mètres s'il est en sable, 4 mètres
s'il est en terre forte, 5 mètres s'il est en argile.
Un pareil profil serait insuffisant pour résister à un tir
prolongé des obus explosifs de l'artillerie de campagne ou
de l'artillerie lourde d'armée. Mais les canons de campagne
sont surtout approvisionnés en obus à balles et les canons
courts de l'artillerie lourde d'armée, dont le tir est moins
précis, ne disposent que d'un petit nombre de munitions.
Ce profil est, à plus forte raison, insuffisant contre le tir
des pièces de siège, mais la fortification de position ne peut
avoir pour but de résister à ces engins qui viennent à bout,
des abris de la fortification permanente.
Lorsque éventuellement un ouvrage, par suite de sa situa-
tion, échappe au tir de l'artillerie, il suffit de donner à son
parapet 80 centimètres d'épaisseur.
On donne au parapet une forme telle que les tireurs puis-
sent commodément faire le coup de feu. A cet effet, on
MANUEL ni! FORTIFICATION 11
IÔ2 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
ménage à im4o(I) en dessous de la crête une banquetteDE,
à laquelle on donne une largeur de 5o à 80 centimètres,
quand elle ne doit servir qu'à un seul rang de tireurs (ce
qui est le cas général), et de im,2o lorsqu'elle est destinée à
deux rangs. Cette banquette est reliée à la crête par le talus
intérieur EF, qu'on fait aussi raide que possible, pour rap-
procher davantage le tireur de la masse couvrante, et dont
l'inclinaison, maintenue par des revêtements, atteint 3/i
ou 2/1 (c'est-à-dire 3 ou 2 de hauteur pour 1 de base). Le
talus de banquette CD relie le sol à la banquette. Il y aurait
intérêt à le faire assez doux, à l'inclinaison du 1/2 par
exemple, pour faciliter l'accès ; c'est ce qu'on fait dans les
retranchements à fort relief. Mais, avec les parapets peu
élevés, cette disposition.* qui éloigne la tranchée de la masse
couvrante, peut présenter des inconvénients ; aussi le fait-on
parfois à 1/1 ou le remplace-t-on par des gradins. Il faut
remarquer d'ailleurs que, si la banquette est peu élevée au-
dessus du sol, on y accédera toujours aisément, quelle que
soit l'inclinaison du talus de banquette.
La plongée FG, qui termine le parapet à sa partie supé-
rieure, limite par son plan la portion de terrain que peuvent
atteindre les coups du défenseur. On a donc intérêt à l'incli-
ner autant que possible; mais on ne peut dépasser certaines
limites, sous peine de diminuer notablement l'épaisseur de
la masse couvrante aux environs de la crête intérieure, ce
qui nuirait à la solidité du parapet. On la tient généralement
à une pente variant du i|5 au 1/6 et ne descendant pas au-
dessous de 1/4.
Le talus extérieur GII forme pour l'adversaire un obstacle

(') L'Instruction du 24 octobre 1906 et l'appendice à l'École de fortification


de campagne du i5 décembre de la même année ont consacré, pour hauteur de
la crête d'infanterie au-dessus de la banquette, le chiffre de im4o. Jusqu'alors,
en France, on avait toujours admis im3o et parfois même im20. Cet accroisse-
ment a pour but de mieux couvrir le tireur, mais il exigera, dans bien des cas,
qu'on entaille le parapet d'une rainure. Si, dans le cours du présent Manuel, on
retrouve encore parfois la hauteur de im3o, c'est qu'elle se rapporte à des tra-
vaux antérieurs à la susdite instruction.
Fig. 65. — Profil norcnaFd'un ouvrage de position.
l64 I1C PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
d'autant plus difficile à franchir que sa pente est plus raide.
Mais, si on exagère cette raideur, les terres tiennent diffici-
lement, et, comme il est exposé aux coups de l'ennemi, il
est prompteinent détruit par le tir; c'est pourquoi on lui
donne habituellement l'inclinaison naturelle des terres :
1/1 ou 4/5 pour les terres moyennes, 2/3 pour les terres
sablonneuses, 3/2 pour les terres fortes.
La benne III n'a d'autre utilité que de reporter à une cer-
taine distance de l'escarpe le poids des terres du parapet,
qui tendrait à la renverser dans le fossé ; elle retient aussi
les terres éboulées du parapet. Elle a l'inconvénient de
former un palier de repos et un lieu de rassembleinentpour
l'ennemi qui a franchi le fossé; c'est pourquoi on la sup-
prime souvent. Quand elle existe, on lui donne de 5o centi-
mètres à i mètre de largeur.
Le fossé 1JKL peut servir d'obstacle, mais doit, pour
cela, avoir au moins 4 mètres de largeur et i mètres de
profondeur, de manière à ne pouvoir être franchi facilement
par un homme équipé. On ne saurait, d'autre part, lui
donner plus de 4 mètres de profondeur, sans augmenter
considérablement les difficultés de construction de l'ou-
vrage. Le fossé, comme tout obstacle, n'a de valeur que s'il
est battu par le feu, mais, s'il ne l'est pas, il peut devenir
dangereux parce que les troupes d'assaut y trouvent un lieu
de rassemblement à l'abri des coups. Le cas s'est présenté
plus d'une fois dans les guerres modernes et notamment
dans celle de Mandchourie. Il faut alors le doubler de dé-
fenses accessoires. On verra plus loin dans l'étude du tracé
comment peut être résolu le problème du flanquement du
fossé.
Bien qu'il, y ait intérêt à raidir l'escarpe IJ, pour augmen-
ter la valeur de l'obstacle, on ne lui donne habituellement
que la pente naturelle des terres (I/I à 3/2) ou une incli-
naison un peu plus forte, pour lui permettre de résister : à
la poussée du parapet, qui tend à la renverser dans le fossé,
cl au choc des projectiles auxquels elle est exposée.
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION DE POSITION 165
La contrescarpeKL, qui est garantie des coups de l'ennemi,
est au contraire tenue aussi raide que possible (2/1 à 3/2).
Au delà.du fossé se trouve le glacis MN(\ae l'on forme
habituellement des terres en excédent provenant de la fouille
du fossé. La présence de ce glacis diminue l'angle mort qui
sera défini un peu plus loin.
Enfin, la tranchée intérieure A A' B' B procurera, au dé-
fenseur, une protection d'autant meilleure qu'elle sera plus
profonde, plus étroite et aura des talus plus raides. On juge
de la protection qu'un parapet ou une masse couvrante
quelconque assure aux défenseurs, par l'inclinaison de la
ligne FX qui joint le sommet de cette masse couvrante ou
la crête intérieure avec le point du terre-plèin le plus éloi-
gné de cette crête, relevé de 2 mètres ou de im8o (hauteur
d'un homme).
Pour qu'un retranchement soit établi dans de bonnes con-
ditions, l'inclinaison de celte ligne FX doit être au moins
de i/4 et autant que possible de i/3. Le défilement au i/3
met un homme debout, sur le terre-plein à l'abri des balles
des schrapnels de campagne. Il est encore insuffisant pour
l'abriter contre le tir plongeant des obusiers et des mortiers.
On voit tout l'intérêt qu'il y a, pour augmenter la protec-
tion, à faire des tranchées profondes et étroites.
C'est dans ce même but qu'on raidit autant que possible
tous les talus qui limitent, la masse couvrante du côté du
fossé intérieur et qu'on réduit, quand on ne la supprime pas
tout à fait, la benne BC qui sépare la tranchée du parapet.
En ménageant au fond de la tranchée une pente vers l'in-
férieur de la position, on augmente la protection qu'elle
procure aux défenseurs et on facilite l'écoulement des eaux
qui s'y accumulent à la longue.

Angle mort. — On a fait remarquer précédemment que


le plan de la plongée prolongé limitela portion de terrain
qui échappe aux vues du défenseur. Cette portion de terrain
et, en général, tout l'espace GHIJKLM couvert de hachures
l66 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
{fig. 65) et compris sous la plongée, est dit en angle mort
ou, plus simplement, angle mort. Il faut évidemment cher-
cher à en diminuer l'étendue, et on voit que le glacis permet
d'obtenir en partie ce résultat, puisque sa masse occupe la
portion comprise entre le plan de la plongée et le sol. On ne
peut pas toujours amener le dessus du glacis dans le plan
même de la plongée ; mais, pourvu qu'il ne soit pas à plus
de 5o centimètres en dessous, on atteint le résultat cherché,
car un tireur Occupe toujours au moins cette hauteur.

Profil triangulaire. — Le profil qu'on vient de dé-


crire est normal pour toute fortification de position et a
longtemps été le seul en usage. On a proposé, depuis quel-
ques années, une modification consistant à substituer un
plan unique à ceux de la plongée, des talus extérieurs et de
l'escarpe. On obtient ainsi ce qu'on nomme le profil trian-
gulaire {fig. 66, page 163).,
Il présente le double avantage :
i° De supprimer l'angle mort et, par suite, la nécessité
de flanquer le fossé qui, ainsi qu'on l'a signalé, devient dan-
gereux pour le défenseur s'il est mal battu ;
2° D'éviter une succession de plans qui se découvrent de
loin par Popposition de leurs éclairements et rendent très
visibles les ouvrages à profil normal lorsqu'on n'a pas pris
le soin de les dissimuler par des gazons ou des branchages.
,
En adoptant le profil triangulaire, on perd le bénéfice de
l'obstacle constitué par le fossé. C'est une perte réelle dans
le cas de la fortification permanente ; mais, dans les ouvrages
de la fortification de position, la défense accessoire que peut
abriter le fossé triangulaire (ainsi que l'indique la figure),
bien battue par les feux directs de l'ouvrage, vaut mieux
comme obstacle qu'un fossé insuffisamment ou mal flanqué.
On peut reprocher au profil triangulaire de réduire l'épais-
seur du parapet dans le voisinage de la crête de feu, en
raison de l'inclinaison plus grande de sa plongée; mais on
obvie à cet inconvénient en conservant une plongée hori-
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION DE POSITION 167
zontale de 80 centimètres d'épaisseur, raccordée par un
arrondi à la plongée inclinée.
L'inconvénient le plus sérieux de ce profil est d'éloigner
le centre de gravité du fossé de celui du parapet et d'aug-
menter, par suite, le travail et la durée de construction de
l'ouvrage.
Certains auteurs lui attribuent l'avantage de faciliter les
ricochets des obus qui tombent sur sa plongée.
Bien qu'aucun document officiel n'ait consacré le profil
triangulaire, il a paru nécessaire d'en faire mention et de
signaler la faveur qu'il rencontre actuellement.

Équilibre des déblais et des remblais. — Enfin,


on observera que, l'ouvrage terminé, il faut que le volume
des terres du parapet et du glacis soit égal à celui des terres
extraites de la tranchée et du fossé. C'est ce qu'on nomme
Véquilibre des déblais et des remblais.
On l'obtient le plus ordinairement en faisant en sorte
que la somme des surfaces qui, dans ce profil, représentent
les remblais, surpasse légèrement la somme de celles qui
représentent les déblais, les terres foisonnant, c'est-à-dire
augmentant d'environ 1/10 de leur volume, lorsqu'on les
ameublit.
Lorsque le profil remplit cette condition, il y a à peu près
équilibre entre les volumes; les légères différences qui
pourraient exister seront rachetées en éparpillant les terres
sur le glacis s'il y a un excédent, ou en approfondissant un
peu le -fossé s'il en manque.
On peut, à la rigueur, calculer ces volumes en multipliant
la surface du parapet, et, celle des déblais par la longueur
des lignes médianes, savoir : i° pour le parapet, la crête in-
térieure; 20 pour le fossé, une ligne située à 2 mètres en
avant de la berme ; et 3° pour la tranchée, une ligne située
au milieu de cette tranchée. On forme ainsi une relation
dont l'inconnue est la largeur du fossé, qu'il est alors facile
de calculer.
Fig. 67. — Retranchementrapide français antérieur à 1884. ;

Fig. 68. — Retranchementrapide français réglementaire de j884 à i8g3.


Fig. 6g. — Retranchementrapide français réglementairede i8g3 à 1906.

Fig. 70. — Retranchementd'exécutionrapjde(École de fortification de campagne).


I7O I,e PARTIE —- FORTIFICATION PASSAGERE
Profils divers de retranchements de campagne.
— Gomme exemple de profils d'ouvrages de position, on
donnera la série des types de retranchements rapides qui
ont été réglementaires en France depuis une trentaine
d'années.
.
i° Le retranchement rapide abandonné en j884 {fig- 6f).
Son fossé constituait un réel obstacle, mais sa construc-
tion demandait un temps considérable ; contre l'armement
moderne, il n'abriterait les défenseurs que d'une manière
insuffisante, malgré son relief notable ;
20 Le retranchement rapide réglementaire de 1884 à i8g3
{fig. 68) dont le relief est de im70 et l'épaisseur du parapet
de 3 mètres; sa tranchée intérieure, profonde de 1 mètre
à im20 et large de 2m4o, protège bien les tireurs; son fossé,
large de 3m20, profond de im8o, est un obstacle assez sé-
rieux;
3° Le retranchement rapide réglementaire de 1893 à 1906
{fig. 6g); son relief est de im3o au-dessus du sol, et le
terrain naturel y sert de banquette poui* les tireurs placés
sur un seul rang; le parapet a 3 mètres d'épaisseur; de
chaque côté du parapet se trouve une excavation dont le
déblai fournit les terres nécessaires à ce dernier; ces deux
excavations sont identiques ; l'une sert, de tranchée interne
et de terre-plein, l'autre ne peut constituer un obstacle.
Ce type a disparu en 1906 de l'Instruction sur les travaux
de campagne de l'infanterie et de l'École de fortification
de campagne ; il n'y a pas été remplacé.
La comparaison de ces types successifs fait ressortir une
tendance très nette vers la simplification, la diminution du
relief et, aussi, vers la réduction du fossé, qui ne peut plus
être considéré comme un obstacle.
En donnant à ces profils le nom de retranchements ra-
pides, on indiquait, par cela même, qu'on pouvait en exé-
cuter de plus importants.
Rien ne s'oppose non plus aujourd'hui à l'adoption de
retranchements de cette dernière catégorie, et l'Ecole de for-
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION DE POSITION I7I
tification de campagne donne de ceux-ci un exemple qui est
représenté par la figure 70.
Son examen ne fait ressortir aucune disposition saillante.
L'Instruction allemande du 8 juin 1906 sur la fortification
de campagne n'indique aucun type de retranchement avec
fossé extérieur, et les quelques mots qu'elle consacre à ce
fossé montrent qu'elle ne lui attribue qu'une valeur insigni-
fiante comme obstacle. ...-..:'
CHAPITRE XI

DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION


DE POSITION

Les principes généraux du tracé qui ont été exposés au


chapitre II à propos de la fortification du champ de bataille
trouvent encore ici leur application, mais, toutefois, dans
d'autres conditions, qui résultent de la différence même des
objectifs visés dans l'emploi des deux genres de fortifica-
tion.
Sur le champ de bataille, le retranchement est le bouclier
dont on se couvre un instant pour parer le coup de l'adver-
saire, mais qu'on rejette pour avoir les mains libres dès qu'il
s'agit de passer à l'offensive. Toutes les dispositions sont
donc subordonnées à la condition de ne pas entraver cette
offensive. Donc pas de ligne continue, pas même de grands
ouvrages et, sauf exceptions très rares, jamais d'ouvrages
fermés.
Dans la fortification de position, le défenseur est décidé
à renoncer, momentanément du moins, à l'offensive; abrité
derrière son rempart et donnant à son feu le maximum de
puissance, il est la digue sur laquelle vient déferler et user
ses forces le flot de l'assaillant. Il facilite ainsi soit la
retraite, d'une partie.de ses troupes, soit, au contraire,' la
préparation de l'offensive d'autres troupes. Conséquemment,
il doit mettre en jeu toutes les ressources de Part pour déve-
lopper le surcroît de puissance qu'il peut tirer de l'emploi
judicieux du terrain.
DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION DE POSITION 178
On trouvera donc ici et des lignes continues et des ou-
vrages fermés, si l'on en peut tirer quelque avantage. Il con-
vient donc d'examiner ces formes du tracé.

Lignes continues. — Les lignes continues sont d'un


emploi commode dans la défense d'une position qui ne per-
met pas à la troupe de prendre l'offensive. Elles donnent en
tout point, au défenseur, un couvert,contre l'assaillant; mais
ellesne.se prêtent pas aux mouvements offensifs, à moins
de leur donner un faible profil. Si leur relief est assez élevé
pour couvrir un homme debout, elles permettent d'effectuer
à l'abri des vues tous les mouvements du défenseur. Quel que
soit leur relief, elles offrent àPassaillant un aspect uniforme
qui empêche de reconnaître les parties occupées de celles
qui ne le sont pas et oblige, par suite, à battre toute leur
étendue. D'où augmentation dans la consommation des mu-
nitions ou diminution de la densité des feux en chaque
point. On leur reproche : i° d'exiger une garnison nom-
breuse ; à cela, on peut répondre qu'elles n'en demandent,
pas plus que des lignes à intervalles comprenant les mêmes
ouvrages principaux dont elles sont formées, car le défen-
seur doit, dans les deux cas, surveiller les portions de ter-
rain qui séparent ces ouvrages ; il ne peut donc qu'être se-
condé dans cette tâche par le parapet qui lui permet d'aller
à couvert d'un point à un autre; 2° de tomber entièrement
au pouvoir de l'ennemi dès qu'elles sont forcées en un
point ; mais il est évident que, si l'ennemi a pu forcer une
courtine par exemple, il aurait, à plus forte raison, pénétré
dans l'intervalle vide qui, sans elle, aurait séparé les deux
ouvrages.
Leur plus grave inconvénient est le travail considérable
que demande leur construction, et cette dernière considéra-
tion fait qu'on renonce souvent à les employer.
Mais, lorsque le défenseur dispose d'un temps suffisant ou
s'il trouve sur le terrain même les éléments nécessaires, les
lignes continues peuvent rendre de précieux services. La
174 I'e PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE

guerre russo-japonaise en fournit des exemples ; les deux


suivants sont à retenir :
Pour défendre l'isthme de Kintchéou, dont la possession
offrait pour eux une grande importance, les Russes avaient
une triple ligne de défense sur la position de Nanchan :
a) au pied des pentes, une ligne continue, constituée par un
retranchement entourant toute la position et se prolongeant
jusqu'à la mer. Cette ligne était renforcée et flanquée par
deux redoutes et deux lunettes distantes entre elles de 5oo
à 1 000 mètres; b) à mi-côte, une ligne analogue à la précé-
dente ; c) au sommet, une redoute centrale fermée et des
batteries (').
A Poil-Arthur, sur la ligne de défense extérieure, on
trouve de nombreuses lignes continues d'une certaine éten-
due. L'une d'elles était formée par le mur chinois qui reliait
la gorge des ouvrages du front nord et a beaucoup contri-
bué à faire échouer les attaques.des Japonais. Ceux-ci ne
pouvaient déborder un ouvrage ni forcer un intervalle sans
se heurter à ce.niur que les Russes avaient aménagé en le
renforçant, en avant, par un parapet en terre. De'nombreux
abris y étaient appuyés, ils recevaient les défenseurs et leurs
mitrailleuses qui, au moment de l'assaut, devaient prendre
leur emplacement de tir.
Est-il besoin de rappeler aussi que dans l'attaque des
places, ainsi qu'on l'expose dans la troisième partie du Ma-
nuel, l'assaillant occupe de longues places d'armes ou pa-
rallèles qui ne sont autres que des lignes continues ? '
Donc, ce genre de fortification ne saurait être considéré
comme inutilisable aujourd'hui dans les travaux de position.
Il convient par suite d'énumérer les principales formes qu'il
peut emprunter :
La ligne à redans (fig. 71) et la ligne à redoutes {fig. 72),
formées de redans ou de redoutes réunis par des courtines.

(>) Revue militaire des Armées étrangères, mars 1907.


I76 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Pour se prêter un appui efficace, ces redans ou redoutes
doivent être distants de 1 000 mètres au plus.
La ligne tenaillée {fig. y3) a une grande profondeur, ses
côtés sont en prise à l'enfilade, et elle offre, par suite, un
but facile à l'artillerie ennemie. Enfin, dans le premier
tracé, tous ses saillants, étant égaux, peuvent également
servir de points d'attaque à l'ennemi ; ce dernier inconvé-
nient n'existe pas avec le second tracé de la figure, dans
lequel un saillant sur deux est placé en arrière des autres.
La ligne à crémaillère {fig. y4)> sorte de ligne à tenailles,
dans laquelle toute une série de faces ont été réduites à une
faible dimension (20 à 3o mètres au plus), ce qui permet
d'étendre les autres, sans craindre de leur donner une direc-
tion trop enfilable. Cette ligne jouit des propriétés de la
ligne tenaillée, sans en avoir les inconvénients. Elle convient,
très bien pour relier un ouvrage placé sur une hauteur avec
les lignes placées dans les parties basses, qui sont toujours
en arrière {fig j5). Dans ce cas, il faut avoir bien soin de
diriger les flancs de la crémaillère de manière qu'ils voient
la partie du terrain placée au-dessus d'eux ; sans cela, les
défenseurs postés sur ces lianes seraient pris à dos par l'en-
nemi, et la disposition de leur terre-plein, qui monterait
vers l'intérieur de la fortification, le rendrait difficile à cou-
vrir.
Il est, du reste, évident que l'on peut imaginer les combi-
naisons les plus diverses des différents types qui viennent
d'être indiqués, et que, dans chaque cas particulier, la meil-
leure est celle qui utilise le mieux, pour la défense, les
formes du terrain.

Ouvrages fermés. — Les ouvrages fermés facilitent la


surveillance ainsi que la défense à l'aide d'un effectif res-
treint; ils donnent à la garnison qui les occupe le maximum
de sécurité et lui permettent de déjouer les surprises. Ils se
prêtent évidemment fort mal à la reprise de l'offensive.
Ces propriétés trouvant leur utilisation toute marquée
DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION DE POSITION I77
dans une défense de longue durée, elles perdent, au con-
traire, leur avantage sur le champ de bataille et c'est ainsi
que l'emploi des ouvrages fermés est aussi indiqué dans la
fortification de position qu'il l'était peu dans celle de cam-
pagne.
On a défini l'ouvrage fermé une redoute (voir chap. II,
p. ig). Celle-ci peut affecter des formes très variées qui sont
toujours imposées soit par celles du terrain sur lequel l'ou-
vrage est assis, soit par la direction et l'importance des
directions qu'il doit battre.
On verra au chapitre XV, relatif à l'organisation des
ouvrages, comment peuvent être aménagés les ouvrages
fermés.

Groupes d'ouvrages. — Si l'ouvrage unique de posi-


tion diffère dans son tracé, et plus encore dans ses disposi-
tions intérieures de celui du champ de bataille, on peut aussi
relever des différences marquées entre les groupes d'ou-
vrages destinés à la défense d'un point particulier dans
l'une et l'autre des espèces de fortification.
Lorsque l'on organise un point d'appui artificiel dans la
fortification du champ de bataille, on demande à ses élé-
ments du front de tête d'avoir un bon champ de tir et, si
possible, de recroiser leurs feux entre eux. On s'attache à
les séparer par des intervalles assez larges pour ne pas
gêner l'offensive en sacrifiant au besoin le flanquement réci-
proque.
Lorsque au contraire on procède aune organisation ana-
logue dans la fortification de position, on recherche une
combinaison de tracés assurant aux divers ouvrages l'appui
de ceux qui les entourent ; on réduit au besoin leurs inter-
valles ; on en groupe les divers éléments de manière à donner
à leurs feux le maximum de puissance. Il résulte de là que
la nature, la forme et la disposition des ouvrages de posi-
tion d'un point d'appui seront différents de ceux qu'on
adopterait dans la fortification de campagne.
MANUEL DE FORTIFICATION 12
I78 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
Et la divergence se manifestera d'autant plus que le
défenseur aura sur son adversaire une infériorité plus mar-
quée et qu'il disposera pour s'organiser de plus de temps et
de moyens d'action plus considérables.
Comme exemple à l'appui de ce qu'on vient d'énoncer, on
indiquera le groupement d'ouvrages dont les éléments se

Fig. 77. — Ligne à lunettes détachées.

prêtaient un appui mutuel constituant ce qu'on nommai t pen-


dant longtemps les lignes à intervalles. Elles ont été em-
ployées à maintes reprises et on citait encore celles que le
général Rogniat préconisait au début du siècle dernier, ou
celles que le général autrichien Pidoll fit établir autour de
Vienne en 1866. Les unes et les autres seraient inutilisables
aujourd'hui, il suffit donc de les mentionner simplement.
DU TRACE DANS LA FORTIFICATION DE POSITION I79
Il paraît en outre peu conforme à la nécessité de plier
aux formes du terrain un ensemble d'ouvrages répartis sur
une grande étendue, de se figurer ceux-ci. comme constir
tuant des lignes, ce mot évoquant l'idée de continuité ou de
régularité. Toutefois, l'usage l'a sanctionné et en donnant
ci-après deux exemples dits lignes à redoutes ou à lunettes
détachées, on veut simplement montrer comment la combi-
naison convenable des tracés permet d'accroîtrela puissance
d'un ensemble d'ouvrages.
Les lignes à redoutes détachées (fig. 76), formées de
redoutes séparées par des intervalles de 25oà5oo mètres et
soutenues en arrière par des redans, dont les faces flanquent
le prolongement des flancs des redoutes.
Ces lignes ne présentent en aucune partie d'ouvrages
solides, capables d'être défendus isolément avec vigueur.
Si on veut constituer une seconde ligne très résistante, avec
des ouvrages fermés, on peut employer les lignes àt lunettes
détachées {fig. "jf), dans lesquelles les retranchements sont
disposés sur trois lignes : une première, formée de lunettes
ouvertes à la gorge ; une seconde, de redans flanquant les
faces des lunettes ; une troisième, de 4oo à 5oo mètres en
arrière, formée de lunettes fermées à la gorge, placées en
face des. lunettes de première ligne, et pouvant couvrir de
feux l'intérieur du terre-plein de ces dernières.

Du flanquement. — Il reste enfin, pour achever de


marquer les différences qui existent entre les conditions
auxquelles est astreint le tracé dans les deux espèces de
fortification, à examiner la notion du flanquement.

L'étude du profil qui a été faite dans le chapitre précé-


dent a mis en évidence que : tout couvert dèfensif précédé
d'un obstacle a devant lui une portion de l'espace qu'il ne
peut battre de ses feux et qui porte le nom d'angle mort.
La présence de cet angle mort est un grave inconvénient
auquel on remédie par le flanquement.
l8o. Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Si l'on considère un retranchement quelconque AB
(fig. 78), la portion de terrain en angle mort est repré-
sentée par la bande ABMN, couverte de hachures inclinées
vers la droite. Au delà de cette ligne, tout le terrain est
battu.
Si, maintenant, une autre crête BG est placée à l'extré-
mité de la première et fait avec elle un angle voisin de
l'angle droit, on voit que cette crête, ayant en angle mort
la bande BPOC, pourra couvrir de feux toute la portion
AMPD, qui est en angle mort pour AB, et que, récipro-
quement, AB couvrira de feux la portion DNCO en angle
mort pour CB.
On dit alors que les deux crêtes se flanquent l'une l'autre,

et la ligne secondaire BC, qui flanque la ligne principale


A B, reçoit le nom de flanc.
On donne le nom de ligne de défense à la distance AB,
mesurée du flanc à l'extrémité de la ligne flanquée, et l'angle
ABC formé par les deux crêtes est appelé angle de défense.
La longueur de. la ligne de défense est marquée par la
bonne portée du feu de mousqueterie. Autrefois on admet-
tait, conformément à ce principe, que la ligne de défense
ne devait pas excéder 3oo mètres ; les nouvelles armes por-
tatives permettent de la porter à 5oo ou 600 mètres ; mais
il convient d'observé^ toutefois, qu'à cette distance, l'ac-
croissement de la ligne de défense a pour conséquence une
diminution dans l'efficacité du tir, en raison des difficultés
qu'elle entraîne pour la visée.
DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION DE POSITION l8l
Il est du reste évident que les deux crêtes A B et BC, qui
se flanquent réciproquement, laissent toujours en angle
mort absolu le parallélogramme BPDN placé dans l'angle
rentrant Q). On peut donc dire que tout angle rentrant est
accompagné d'une portion de terrain en angle mort d'une
étendue variable avec le profil employé.
Il résulte de l'exposé précédent que la nécessité du flan-
quement ne se fait sentir qu'à partir du moment où le profil
comporte un obstacle constitué par un fossé en angle mort,
et lorsque ce dernier atteint des dimensions importantes.
C'est pour ce motif qu'il n'a pas été question de flanque-
ment dans la fortification du champ de bataille et qu'on ne
s'en préoccupe dans celle de position que pour les ouvrages
d'un fort profil.
Tous les tracés d'ouvrages étant formés de saillants et de
rentrants comportent tous, par suite, des parties en angle

Fig. 7g. — Tracé bastionné.

mort ; un seul fait exception à la règle : le tracé bastionné


dont il convient de faire ici mention, et dont l'étude trou-
vera sa place dans la fortification permanente.
(') Les dimensions de ce parallélogramme se déterminent aisément. En effet,
la largeur de chacune des handes de terrain en angle mort est égale au produit
de l'inverse de la pente de la plongée par la distance verticale qui sépare la
crête du sol relevé de 5o centimètres. Si la hauteur du parapet est de 2m5o,
celte hauteur sera de 2 mètres, et, avec une plongée inclinée à 1/6, la largeur
de la bande sera de 2 X 6 = !2 mètres.
102 I"" PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
Le tracé bastionné {fig. 70) supprime en effet l'angle
mort. Tout le fossé compris entre les saillants de deux bas-
tions est flanqué par les feux des flancs EG et FII.
Mais, il faut remarquer que si le profil du retranchement
est peu considérable, il pourra y avoir danger pour les
défenseurs de la face, lorsque ceux du flanc tireront dans le
fossé ; ce qui conduit à n'employer le tracé bastionné qu'a-
vec des profils assez forts. Aussi n'est-il guère usité que
pour les ouvrages semi-permanents. Lorsqu'on fait usage de
ce tracé avec de petits profils, c'est simplement pour avoir
deux ouvrages (les bastions) qui s'appuient réciproquement,
et. on néglige dans ce cas la question du flanquement des
fossés.
On peut aussi battre les fossés au moyen d'organes cons-
truits au fond du fossé lui-même, ils seront décrits sous le
nom de coffres flanquants à propos de l'organisation inté-
rieure des ouvrages, et on les retrouvera en fortification per-
manente dans le tracé polygonal.
Longs à construire et presque impossibles à établir avec
assez de solidité pour résister au tir de préparation de l'ar-
tillerie, ces organes ont peu de chance de subsister au mo-
ment où ils devraient entrer en jeu ; ils ne sauraient donc
rendre de services dans les ouvrages de position que très
exceptionnellement. On a voulu toutefois les mentionner ici
parce que, théoriquement, ils apportent une solution à la
question du flanquement des fossés.
CHAPITRE XII

CONSTRUCTION DES OUVRAGES

La construction d'un ouvrage comprend la série des opé-


rations suivantes.: le tracé, le piquetage, la détermination
du relief, le profilement, le tracé des ateliers, la détermina-
tion du nombre des travailleurs, et enfin, l'exécution des ter-r
rassements.

Tracé. — Le plan de l'ouvrage étant donné sur une


carte (fig. 80), il faut rapporter ce tracé sur le terrain
même. Pour cela, on choisit sur la carte deux points X et Y
faciles à retrouver sur le terrain : un angle de maison et un
arbre isolé par exemple ; on mesure sur la carte (à l'échelle
du dessin) les perpendiculaires Aa, Bb, Ce, etc., abaissées
l84 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
dès points-.A, B, C... sur la ligneXY, et les distances Xa,
Xb, Xc... des pieds de ces perpendiculaires au point X; on
reporte ces longueurs sur le terrain même à partir du point
X pour les secondes, à partir de la ligne AfFpour les pre-
mières, et on obtient la position sur le sol des divers sail-
lants de l'ouvrage et, par suite, le tracé de la crête intérieure.
On place alors à chacun des saillants une perche un peu
longue, dont l'utilité sera indiquée tout à l'heure.

Piquetage. -— Cette opération consiste à déterminer sur


le terrain la projection des différentes lignes du retranche-
ment; elle ne peut en général être faite à l'avance qu'avec
des ouvrages dont lé profil est le même sur toute la lon-
gueur des crêtes. Cependant, lorsqu'on possède un plan très
exact, on peut déterminer à l'avance, sur ce plan même, les
intersections des talus avec le sol ; il ne reste alors qu'à les
reporter sur le terrain. En réalité, on détermine le plus sou-
vent ces intersections sur le terrain même en faisant le pro-
filement.
Le tracé ayant donné la projection des crêtes intérieures,
on élève, à l'extrémité de chaque face, une perpendiculaire
à la crête, sur laquelle on porte successivement l'épaisseur
du parapet, la projection du talus extérieur, la benne, la
largeur du fossé, etc. En chacun de ces points on plante
un petit piquet et l'on obtient ainsi des lignes, figurées par
deux points au moins chacune, donnant les projections de
la crête extérieure, du pied du talus extérieur, de l'es-
carpe, etc.
Pour piqueter rapidement un ouvrage à profil constant,
on emploie avec avantage le procédé suivant : on marque,
au moyen de noeuds, sur une corde de faible grosseur, les
différentes distances que l'on doit porter sur le sol à partir
de la trace horizontale du profil : largeur de la tranchée,
benne, talus de banquette, banquette, etc. Il suffit alors
d'appliquer cette corde sur le terrain, de distance en dis-
tance, en faisant coïncider avec la projection de la crête déjà
CONSTRUCTION DES OUVRAGES 185
figurée, le noeud qui y correspond (marqué d'un signe par-
ticulier) et de planter un piquet à côté de chacumdes autres
noeuds.

Détermination du relief. — On marque ensuite sur


chacune des perches plantées aux divers saillants, le point
correspondant à la crête intérieure, c'est-à-dire la*- hauteur
du parapet. Pour cela, si on a déterminé à l'avance la cote
exacte de chaque sommet, on prend sur le sol un point de
repère dont la cote soit connue, et, au moyen d'un niveau
et d'une mire, on détermine la cote exacte de chacun des
piquets placés aux divers saillants, d'où on déduit la hau-
teur à prendre sur la perche qui figure la position exacte de
chacun. Quelquefois on détermine cette hauteur directe-
ment sur le terrain en cherchant à défiler l'ouvrage d'un
point dangereux. (Voir Défilement, ch^. XVI.)

Profilement. — Le prolîlement a pour, but de figurer


les formes du retranchement au moyen de profils construits
avec des tringles en bois ou des gaulettes minces, de ma-
nière à guider les travailleurs qui exécuteront l'ouvrage. On
établit des profils aux extrémités de chaque face et en un
nombre de points intermédiaires suffisants pour que la dis-
tance entre deux profils n'excède pas i5 à 20 mètres.
Voici comment s'exécute la construction de chacun de
ces profils, lorsque le piquetage se fait en même temps que
le profilement, ce qui est le cas ordinaire. La perche Aa
{fig. 81) étant placée à l'aplomb de la crête intérieure, on
plante à une distance a b de cette perche, égale à l'épaisseur
du parapet, et sur une perpendiculaire de la crête, une
seconde perché b B, que l'on réunit avec la première par
une tringle CD, dont on vérifie exactement l'horizontalité à
l'aide d'un niveau de maçon. Cette tringle CD a pour but
de substituer une ligne horizontale à la surface ondulée du
sol, pour la mesure des hauteurs. Il est avantageux de la
placer exactement à im4o au-dessous du point A de la
l86 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
crête ; car, de la sorte, son prolongement constitue la ban-
quette lorsque celle-ci est horizontale ; on peut alors placer
la tringle Ai? représentant là plongée en mesurant à partir
du point Cune distance GB égale à la distance DA dimi-
nuée du produit de l'épaisseur du parapet par la pente de
la plongée. La position de la tringle BHK, qui représente
le talus extérieur, se détermine en prenant une longueur
Cil qui soit à Ci?,dans le rapport inverse de la pente de ce
talus. On. détermine de même la position des tringles Ai? et
F G, qui représentent le talus intérieur et le talus de ban-
quette. Pour le profilement des fossés, on se contente de

Fig. 81. — Exécution d'un profil.

marquer par des piquets L et M les bords des talus d'es-


carpe et de contrescarpe, et de venir appuyer en ces points
des tringles ayant l'inclinaison que l'on veut donner à ces
talus; ces tringles suffiront pour bien guider le travailleur
dans la fouille. On peut aussi marquer par des piquets m et
/la projection, sur le sol, du fond de fossé.
Ces profils, étant établis aux points marqués i sur la
figure 82, on établit les profils intermédiaires portant le
n° 2 sur la même ligure, par comparaison avec les deux pro-
fils voisins, en s'assurant que les différentes tringles qui
représentent la plongée sont bien dans un même* plan. Il
faut ensuite établir les profils portant les n0i 3 ou profils
d'angle. On se sert pour cela des profils 1 et 2 appartenant
aux deux faces qui viennent se rencontrer au saillant. Pour
CONSTRUCTION DES OUVRAGES 187
la construction de ces profils n° 3, on plantera les' tringles
correspondant à chaque crête, de manière qu'ils se trouvent
à la fois sur le prolongement des crêtes appartenant aux
deux faces.
Enfin, il reste à établir les profils en talus (4) qui termi-

Fig. 82.

nent les faces libres de l'ouvrage. Pour cela, sur la perche


Aa, qui termine la face {fig. 83), on appuie une tringle AB
à laquelle on donne l'inclinaison du profil en talus, et, par
le pied i? de cette tringle, on trace la ligne MJVquï marque

Fig. 83. — Profil en talus.

la trace du talus su. le sol; on peut alors, en prenant l'inter-


section de cette ligne avec les différentes arêtes du retran-
chement, déterminer les points où ces arêtes coupent le
profil en talus, et construire ce profil.
Il faut observer que si les crêtes du retranchement ne sont
pas horizontales, ce qui est le cas général, les profils ainsi
obtenus ne donnent pas aux différents talus la pente exacte
l88 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
qu'ils doivent avoir, puisqu'on a mesuré ces pentes sur des
perpendiculaires aux arêtes et non pas suivant des lignes de
plus grande pente. Lorsqu'on lient absolument à donner
aux talus la pente exacte, il faut déterminer les horizontales,
ce qui se fait évidemment sans grande difficulté.
Les différents profils étant construits, on réunit les divers
points de la crête par des cordeaux qui marquent le tracé
de cette ligne.

Tracé des ateliers — Nombre des travailleurs

L'ouvrage à construire est partagé en un certain nombre


d'ateliers. Pour cela, on divise la contrescarpe en portions
de 2 mètres et la crête intérieure en un même nombre de
parties, et l'on joint deux à deux les points ainsi obtenus.
Chacun des quadrilatères tracés de la sorte constitue un
atelier.
Pour déterminer le nombre de travailleurs, on tient
-

compte de deux éléments : la nature de la terre et l'impor-


tance du retranchement.
L'expérience montre que la terre qui a été remuée à la
pioche présente la même facilité pour le travail de la pelle,
quelle que soit sa nature. C'est pourquoi on prend pour
unité le travail d'un pelleteur et on adjoint à ce dernier le
nombre de piocheurs nécessaires pour lui fournir la terre
remuée en quantité suffisante.
On appelle en conséquence : terre à un homme, celle
qu'un pelleteur peut remuer directement; terre à deux hom-
mes, celle où un piocheur est nécessaire pour fournir du
travail à un seul pelleteur; terre à un homme et demi, celle
où un piocheur suffit à deux pelleteurs, et d'une manière
générale, terre à n hommes, celle où il faut (n— i) pio-
cheurs pour un pelleteur. Pour déterminer cette proportion,
il suffit de faire piocher le terrain par un seul piocheur pen-
dant un nombre déterminé a de minutes, et de compter
CONSTRUCTION DES OUVRAGES 189
ensuite le nombre 6 de minutes que met un seul pelleteur à
enlever la terre ainsi ameublie. 11 est évident que la terre
essayée est alors de la terre à ( i + j ) hommes.
Pour tenir compte du second élément (l'importance du
retranchement) dans la détermination du nombre des tra-
vailleurs, voici comment on opère : on a remarqué qu'un
bon pelleteur lance en moyenne la terre à 4 mètres de dis-
tance horizontale et à 2 mètres de distance verticale. Si
donc, on suppose la masse du déblai et celle du remblai
réduites chacune à leur centre de gravité, et si l'on appelle
D la distance horizontale de ces deux points et i/leur dis-
tance verticale, il est évident qu'il faudra pour le mouve-
ment total de la terre un nombre de pelleteurs de relais égal

Au commencement du travail, le nombre de travailleurs


ainsi calculé sera un peu grand, mais à la fin il sera trop
faible, et une compensation s'établira. Si on emploie des
travailleurs d'infanterie, il faudra réduire le relais vertical
à im6o et, par suite, la formule précédente deviendra

Eh résumé, on placera dans chaque atelier, pour une


H + %D „
terre a n hommes, (n— i) piocheur et
i r N • ! pelleteurs,
auxquels on ajoutera, pour deux ateliers, un homme chargé
d'égaliser les terres sur le remblai et un autre pour les da-
mer : soit un régaleur et un dameur.

Exécution des terrassements

La fouille dû déblai s'exécute par couches horizontales de


5o centimètres, en taillant les talus d'escarpe et de contres-
carpe en gradins {fig. 84), de manière à ménager le plan du
igO Ire PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
talus lui-même; on recoupe ensuite ces gradins et on donne
le talus définitif. Le remblai s'exécute de la même manière
par couches horizontales, qu'on dame au fur et à mesure,
en ayant soin de disposer les mottes de gazon ou les gros
blocs de terre vers les talus, afin de donner plus de consis-
tance à ceux-ci.
La rapidité d'exécution des terrassements varie avec'la
nature de la terre et le genre de travailleurs employés, car
des hommes peu exercés travaillent beaucoup moins lors-
qu'ils sont resserrés. L'École de fortification de campagne

Fig. 84. — Exécution du terrassement.

admet : comme travail à la journée, pour des travailleurs


d'infanterie, omc4oo par heure de terre pelletée à un relais;
et comme travail à la tâche, omc8oo, et même i mètre cube;
mais ce chiffre est rarement atteint.

Procédés pour activer l'exécution des retranchements

Les opérations qui viennent d'être indiquées, méthodiques


mais longues, conviennent surtout pour l'exécution des
retranchements à très fort profil construits à loisir, par
exemple, dans la fortification semi-permanente.
Il est des cas où, tout en construisant des retranchements
de plus fort profil que ceux décrits à propos de la fortifica-
tion de champ de bataille, on cherchera à.gagner du temps
CONSTRUCTION DES OUVRAGES igi
dans l'exécution des travaux, tant sur la durée du travail
lui-même que dans les dispositions préliminaires.

Tracé et profilement. — On adopte alors un profil


constant, et le tracé est fait directement sur le terrain
comme pour de simples tranchées-abris.
On ne construit pas les profils d'angle. On simplifie les
profils conservés en se dispensant de figurer par des trin-
gles le plan de la plongée et celui de la banquette.
On apporte néanmoins une certaine attention à bien mar-
quer, d'un trait de pioche, les bords des deux excavations,
intérieur et extérieur, afin de faciliter le travail des ateliers.

Exécution. — On met en chantier le plus grand nom-


bre possible de terrassiers. Ils travaillent ainsi dans des
conditions moins commodes, le rendement individuel est
diminué, mais, grâce au nombre, l'exécution est accélérée.
Le nombre des travailleurs à adopter est naturellement
d'autant plus grand que le profil est plus fort, les excava-
tions plus grandes,
« On emploie ordinairement trois, quatre ou cinq travail-
leurs par mètre courant de crête et on conserve une réserve
de un dixième pour remplacer les hommes fatigués ou aider
les autres sur les points où le terrain présente plus de diffi-
cultés. •
« Les travailleurs... sont répartis à leur arrivée sur le
chantier en ateliers de douze, seize ou vingt hommes corres-
pondant à une longueur de crête de 4 mètres.
« Dans chaque atelier, les hommes du premier rang atta-
quent la tranchée intérieure, ceux du second rang le fossé, »
(Ecole de fortification de campagne.)
Pour tenir compte du surcroît de besogne résultant des
angles saillants, lorsque la répartition générale est faite, on
peut installer en ces points des ateliers supplémentaires qui
trouvent à s'y loger aisément.
Enfin, dans ces divers travaux, il faut observer soigneu-
192 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
sèment de délimiter dès la mise en chantier la tâche de
chaque atelier qui devient dès lors responsable de son exé-
cution.
L'exécution du retranchement de im 70 {fig. 70, p. 16g)
exigerait environ trois heures à raison de cinq travailleurs
par mètre courant de crête.
Retranchement progressif. — Les circonstances
dans lesquelles on exécute les retranchements à la guerre
sont telles qu'on ignore souvent le temps dont on pourra
disposer pour leur établissement.
On peut s'attendre à être attaqué à chaque instant et
cependant désirer construire un retranchement ayant une
certaine importance.
La méthode déjà indiquée, qui consiste à monter le para-
pet par couches horizontales, ne conviendrait pas en pareil
cas, On doit diriger le travail de manière à se créer rapide-
ment un couvert. ,
Un premier procédé (fig. 85) consiste à passer par les
profils des tranchées-abris dans l'ordre naturel :
Tranchée pour tireur assis ;
.
Tranchée pour tireur à genou ;
Tranchée pour tireur debout ;
Tranchée renforcée.
Une fois ce dernier profil obtenu, si le relief définitif, de
la crête de feu doit être supérieur à 60 centimètres, il faut
entailler le parapet obtenu et en reprendre les terres pour
le surélever.
Ce remaniement du parapet n'est pas sans inconvénients,
car il entraîne un surcroît de besogne et, au cours de son
exécution, les tireurs sont mal protégés; il ne doit donc
être entrepris qu'à un moment où l'irruption de l'ennemi
n'est pas à craindre.
Un autre procédé {fig. 86) consiste à monter le parapet
dans sa forme définitive et sans s'astreindre à passer par le
profil des tranchées-abris.
s*
>
y.
G
PI
C*

K
O

a
O
a

Fig. 85. — Exécution progressived'un retranchement(premier-procédé).

Fig. 86. — Exécutionprogressived'un retranchement (deuxième procédé).


ig4 I'e PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Mais alors, on doit diriger le travail de manière à créer
rapidement un couvert de 60 centimètres de hauteur et de
80 centimètres d'épaisseur, puis épaissir ce parapet. Si on
est interrompu dans la phase d'épaississement, les tireurs
prennent la position assise.
Ensuite, on porte, le plus rapidement possible, la hauteur
du parapet à 1 mètre, sur 80 centimètres d'épaisseur, après
quoi, on épaissit ce parapet. Si on est interrompu pendant
cette nouvelle phase, les tireurs prennent la position à genou.
On passe de même à la hauteur de ira 4o correspondant à
la position debout.
CHAPITRE XIII

DÉFENSES ACCESSOIRES

Après avoir étudié les dispositions essentielles que doivent


présenter les ouvrages de campagne, il reste maintenant à
énumérer et à décrire les traAraux que l'on a coutume d'exé-
cuter pour renforcer ces ouvrages et compléter leur organi-
sation.
En première ligne figurent, parmi ces derniers, ceux qui
portent le nom de défenses accessoires. On comprend, sous
ce titre général, tous les dispositifs ou arrangements du ter-
rain destinés à entraver la marche de l'assaillant aux abords
de l'ouvrage et à le retenir plus longtemps sous le feu du
défenseur. Le but des défenses accessoires n'est pas d'ar-
rêter l'ennemi, elles ne sauraient avoir pour cela une puis-
sance suffisante, mais simplement de le retarder. Elles
donnent, de la sorte, aux défenseurs abrités par le parapet
en avant duquel elles sont établies, le temps d'agir puis-
samment par leurs feux, et leur sont, par conséquent, d'un
grand secours. Il est évident, d'après cela, qu'on les emploie
rarement seules, à moins de leur donner de très grandes
dimensions. Dans ce cas, elles peuvent servir à protéger des
points de la ligne de bataille pour la garde desquels on ne
dispose pas d'un effectif suffisant. Elles peuvent enfin rendre
d'utiles services pour intercepter une routé, une voie de
communication, etc., dont, on veut interdire à: l'ennemi la
trop facile disposition.
Palanques. — On place ordinairement au premier rang,
parmi les défenses accessoires, les palanques {fig. 87), qui
I96 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
sont à proprement parler de véritables parapets d'une or-
ganisation différente de celle des parapets en terre. Les
palanques sont formées de fortes pièces de bois, de 20 à
3o centimètres d'épaisseur, équarries plus ou moins gros-
sièrement, enfoncées en terre par une de leurs extrémités
et juxtaposées aussi complètement qu'on peut le faire. Sur
chaque joint, on place un rondin de plus faible équarrissage
destiné à augmenter l'épaisseur du bois en cette partie. La
hauteur des palanques varie de 3m5o à 4 mètres; on les
enfonce en terre de 1 mètre à im5o. De mètre en mètre on
perce des créneaux, et, pour éviter que l'ennemi ne puisse

Fi(j. 87. — Palanques.

s'en servir en les embouchant, on les place à im70 ou im8o


au-dessus du sol, ce qui exige la présence d'une banquette
du côté du défenseur. Cette banquette doit, toujours être-an
moins à 2 mètres en dessous du sommet des palanques,
pour que les défenseurs qui sont montés dessus restent bien
abrités. Les créneaux ont 7 à 8 centimètres au moins d'ou-
verture ; on les évase légèrement vers l'extérieur. On creuse
devant les palanques un fossé dont on rejette les terres
contre les bois, ce qui augmente leur résistance aux pro-
jectiles et accroît la valeur de l'obstacle. Les palanques.
assez employées autrefois, sont insuffisantes contre les nou-
velles balles et peuvent, toujours être ruinées par le canon.
On obvie en partie à cet inconvénient en donnant au para-
DEFENSES ACCESSOIRES ig7
pet une épaisseur d'au moins 5o centimètres à la partie
supérieure et en le renforçant au besoin à l'aide de pierres
cassées. L'École de fortification de campagne prévoit même
la possibilité de doubler en quelque sorte la palanque d'un
matelas en pierres cassées maintenues par un. coffrage enbois.
Cette solution, théoriquement bonne, semble d'une réalisa-
tion difficile et exigerait un travail bien considérable.
Il faut environ trois à quatre corps d'arbre par mètre de
palanques. Pour leur établissement, l'atelier peut être com-
posé de : 2 terrassiers pour faire la fouille, 2 hommes pour
placer les corps d'arbre et damer la terre autour, et 1 char-
pentier pour faire les créneaux. Cet atelier, muni de :
3 pelles, 3 pioches, 1 scie, 1 ciseau, 1 masse et 1 hache, peut
construire de 5 à 7 mètres de palanques par jour. Il faut tenir
compte, en outre, du transport des corps d'arbre à pied
d'oeuvre, qui exige toujours un temps assez long.
Tambours. —On désigne sous le nom de tambours des
ouvrages en palanques ayant le plus souvent trois faces, et
que l'on place fréquemment aux angles des lignes à flanquer
ou à l'intérieur des ouvrages.
Abatis. — Ce sont des arbres abattus et placés de ma-
nière à présenter à l'ennemi l'extrémité de leurs branches

Fiçj. 88. — Abatis naturel.

taillées en pointe. On les appelle abatis naturels, quand ils


sont établis sur le point même où les arbres dont ils sont
formés ont été abattus; dans ce cas, on laisse le tronc adhé-
rent à la souche pour rendre leur destruction plus difficile
{fig-88).
I98 lre PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Les abatis artificiels ou de transport (fig. #0) sont faits au
moyen d'arbres transportés sur le terrain où on les veut éta-r
blir; on emploie, dans ce dernier cas, des arbres dont le
tronc n'a pas plus de i5 à 20 centimètres de diamètre.
Il faut environ de trois à quatre, arbres par mètre courant
de ligne d'abatis, mais on peut faire des abatis sur plusieurs
rangées de profondeur. Les troncs sont fixés au sol au moyen
de piquets à crochet et de fil de fer, ou au moyen de perches
transversales. A défaut de corps d'arbre ou de grosses
branches, on peut faire des abatis avec de petites branches,
en attachant leurs extrémités à des pièces transversales et en
couvrant de terre ces extrémités.
Les abatis forment une excellente défense accessoire, mais
ils ont besoin d'être garantis du feu de l'artillerie ennemie

Fig. 8g. — Abatis de transport,

par une levée de terre, ce qui augmente un peu le temps


nécessaire à leur construction. On les place ordinairement :
dans les fossés des ouvrages, pour augmenter l'obstacle; en
avant des glacis, couverts par un épaulement; en travers
des voies de communication que l'on Areut barrer, etc., etc.
Le temps nécessaire à la confection des abatis dépend
surtout du temps employé pour'l'abatage et le transport
des arbres. Le temps nécessaire pour le transport ne peut
évidemment être indiqué d'une manière générale ; celui de
l'abatage varie avec les différents outils dont on se sert.
i° Avec la hache de bûcheron, deux charpentiers (ou bû-
cherons) sont nécessaires, et l'abatage dure de vingt-cinq mi-
nutes à deux heures et demie, pour des arbres d'un diamètre
variant entre 4o centimètres et 1 mètre. Il est bon d'adjoindre
à l'atelier plusieurs manoeuvres, qui s'attellent sur des cordes
DEFENSES ACCESSOIRES 199
attachées, à la partie supérieure de l'arbre et assurent la di-
rection de sa chute ;
20 Avec la scie passe-partout, un arbre de 4o centimètres
à 1 mètre de diamètre est coupé en huit à quarante-cinq mi-
nutes, suivant sa grosseur. Il faut : 4 hommes pour la ma-
noeuvre de la scie; i pour enfoncer des coins en bois dans
l'entaille, afin d'empêcher que le poids de l'arbre ne vienne
serrer la lame, et 4 auxiliaires tirant sur des cordages fixés
à l'arbre, comme il vient d'être dit, pour le faire tomber du
côté convenable ;
3° Avec la scie articulée, qui peut suffire pour abattre des
arbres d'un diamètre inférieur à 5o centimètres, il faut comp-
ter sept, à quinze minutes, suivant, la grosseur. A la rigueur,
quatre hommes suffisent ; mais il vaut mieux en mettre quatre
à la manoeuvre de la scie et deux aides pour assurer la direc-
tion de la chute.
On ne peut employer les serpes et les haches à main que
pour appointer les branches ou abattre le taillis.
Dans des conditions moyennes, la constitution d'un abatis
à la lisière d'un bois exige un homme par mètre courant et
deux heures de travail.
S'il s'agit d'un bois de futaie, la moitié des hommes seule-
ment sont munis d'outils.
S'il s'agit d'un taillis, presque tous les hommes reçoivent
des outils parmi lesquels les serpes sont nombreuses. L'obs-
tacle est alors constitué par l'abatage des arbres dans une
bande de 12 à i5 mètres de largeur. -

Réseaux de fil de fer. — Les réseaux de fil de fer


(fig. go) sont constitués par des piquets verticaux, de 1 mètre
à i™5o de hauteur, placés en quinconce à 2 ou 3 mètres de
distance les uns des autres, et sur lesquels on vient entre-
lacer des fils de fer de 3 à 5 millimètres qu'on retient après
les piquets au moyen de pointes! On peut rendre le passage
plus difficile en tendant, entre les gros fils de fer, du fil plus
mince, de 2 millimètres de diamètre. Il faut avoir soin d'en-
200 I(e PARTIE— FORTIFICATION PASSAGÈRE
trelacer sans méthode, afin de rendre la destruction plus
1
difficile. Cette défense accessoire est excellente en ce qu'elle
ne donne que fort peu de prise à l'artillerie, qui ne peut la
détruire qu'en y consacrant un grand nombre de projectiles
à la mélinite. Ces réseaux de fil de fer se placent très avan-
tageusement en avant d'un ouvrage, sur les glacis, car ils
n'obstruent pas les vues du défenseur. Il est désirable, dans
ce cas, que la profondeur de l'obstacle soit de ro mètres. On
peut aussi faire des haies de fil de fer, qu'on place sur la
berme, ou au pied des talus d'escarpe ou de contrescarpe,
de manière à arrêter l'ennemi. On les emploie également à la
lisière des bois, les arbres conservés servant de piquets.

Fig. 90. — Réseaux de fil de fer.

Pour faire des réseaux de fil de fer ayant 10 mètres de


profondeur, il faut environ, par mètre courant : 10 pieux,
70 mètres de fil de fer de 3 à 4 millimètres, 100 mètres de
fil de 2 millimètres, 10 à i5 mètres de fil à ligature et des
pointes. On constitue des brigades de quatre hommes sous
la conduite d'un chef, chacune d'elles est munie de: 1 masse
carrée, 1 maillet, 1 scie à tenon, 4 pinces, 1 vrille, 1 marteau,
1 tenaille.
Chaque pieu est enfoncé par deux hommes; le gros fil
est développé par deux hommes tandis que deux autres le
fixent au moyen de pointes sur les pieux. Lorsque le travail
est assez avancé, des hommes isolés posent le fil mince.
Chaque brigade fait environ 10 mètres carrés à l'heure.
DEFENSES ACCESSOIRES 201
Trous de loup. — Les trous de loup (fig. gi") sont des
excavations coniques, de 2 mètres de diamètre à la partie
supérieure et 70 centimètres au fond, ayant une profondeur
moyenne de im3o. On les dispose en quinconce, les centres
à 3 mètres de distance les uns des autres. La terre qui pro-
vient de l'excavation est rejetée entre les trous, de manière
à former un bourrelet qui en augmente la profondeur. Au fond

Fig. 91. — Trous de loup.

du trou, on place habituellement des piquets terminés en


pointe vers le sommet; on fait de même sur les portions de
terrain environnant ces trous. Les trous de loup forment
une défense accessoire indestructible par l'artillerie, mais
ne produisant qu'un ralentissement dans la marche de l'en-
nemi. Ils ont l'inconvénient de pouvoir servir d'abri à des
tirailleurs ennemis.
Un homme, muni d'une pelle et d'une pioche, fait un trou
de loup en trois ou quatre heures.
202 Ire PARTIE --- FORTIFICATION PASSAGÈRE
Petits piquets. — Les petits piquets, dont la. hauteur
doit être variable, entre 4o et 60 centimètres, et que l'on
serre de manière à en placer seize en moyenne par mètre
carré, sont une bonne défense quand ils sont cachés par
l'herbe ou recouverts d'eau. On «mploie quelquefois, dans
le même but, des planches armées de clous. Ce genre.de
défenses accessoires convient surtout pour le fond du fossé
ou le glacis.

Palissades. — Les palissades (fig. $2) étaient autrefois


très fréquemment employées ; elles le sont moins aujourd'hui,
en raison de la facilité avec laquelle l'artillerie les détruit.

Fig. 92. — Palissades.

Cependant dans un fossé, au pied d'une escarpe ou d'une


contrescarpe, elles peuvent encore rendre certains services.
On les forme au moyen de palis, pièces de bois de 2m5o de
longueur environ, qu'on enfonce en terre de 80 centimètres
à 1 mètre.
Ces palis sont généralement triangulaires et ont une lar-
geur de 10 à i5 centimètres ; on les appointe à la partie su-
périeure et on les réunit par un liteau horizontal. Il faut
environ trois ou quatre palis par mètre de palissade.
Pour confectionner les palis, on organise des brigades de
quatre hommes qui, en un jour, en produisent quarante en-
viron. (Outils : 4 haches, 1 scie de long, 2 masses carrées,
8 coins en bois.)
DÉFENSES ACCESSOIRES 203
La pose des palissades se fait par brigades de trois hommes,
dont un charpentier, munis de : i pelle, i pioche, i tarière,
i marteau, i hache et i serpe. La brigade de trois hommes
peut poser 12 mètres environ de palissades par jour.

Fraises. — Les fraises (fig. g3) sont des palissades qu'on


place horizontalement sur la berme, surplombant le fossé ;

Fig. g3. — Fraises.

elles sont toujours difficiles à défiler des coups de l'artillerie


et sont par suite assez peu employées.

Chevaux de frise. — Les chevaux de frise (fig. g4),


formés d'une poutre horizontale traversée par des lances en

Fig. Çj/\.
— Chevaux de frise.

bois, ne servent plus guère aujourd'hui que de fermeture


aux ouvrages ; ils ne résistent, ni à l'artillerie ni aux agents
explosifs.
204 lre PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Chausse-trapes. — Les chausse-trapes(fig. g5) soni des
pièces de fer ou de fonte, présentant quatre pointes dispo-
sées de telle sorte que l'une d'elles se trouve toujours en Pair,
quelle que soit la manière dont la chausse-trape est placée.

Fig. g5. — Chausse-trape.

Elles sont longues à construire, lourdes à transporter, effort


peu en usage aujourd'hui.
Planches à clous. — Les planches à clous sont for-
mées d'une planche dans laquelle on a enfoncé de longues
pointes à quelques centimètres les unes des autres, et que
l'on place sur le sol. Pour empêcher que l'ennemi, en ap-
puyant sur les pointes, ne les enfonce et ne les fasse sortir
de la planche, on a soin de clouer une seconde planche sous
la première, par-dessus les têtes de ces pointes. Les Alle-
mands ont fait un assez grand usage de cette défense acces-
soire dans l'organisation de leurs positions autour de Paris
en 1870-1871.

Fougasses. — On donne le nom de fougasses » à des


«
dispositifs de formes variées, consistant essentiellement en
une sorte de puits contenant une certaine quantité de poudre
(ou autre agent explosif) qui, enflammée en temps opportun,
projette sur l'assaillant des pierres ou différents autres pro-
jectiles. L'effet de ces fougasses a donc lieu à distance et ne
peut être empêché par l'ennemi.
DÉFENSES ACCESSOIRES 205
Les fougasses ordinaires sont formées tout simplement de
charges de poudre de 10 à 20 kilos, placées dans le sol à
2 ou 3 mètres de profondeur. On peut arriver à établir très
rapidement un dispositif de cette nature au moyen de la
barre à mines. Cet appareil, est formé d'une série de tubes
creux se vissant les uns aux autres, et terminés à l'extrémité
par un pistolet de mine, masse d'acier pleine destinée à.
broyer les terres et les pierres. En soulevant et laissant re-
tomber cet instrument, on produit en fort peu de temps un
forage. Si on place, à l'extrémité de ce forage, une cartouche
de mélinite, et qu'on la fasse détoner, une chambre se produit.
Il suffit alors de replacer la barre à mines, dont on a préala-
blement enlevé le pistolet, de verser la poudre, par le tube
creux, dans la chambre formée par la mélinite, et la fougasse
est disposée. On peut ainsi établir une fougasse en moins
d'une demi-heure, avec une brigade de quatre hommes.

hesfougasses-pierriers lancent des pierres dans la direc-


tion même de l'assaillant ; leur portée est plus grande que
celle des fougasses ordinaires, et leur effet est aussi plus
considérable. Elles sont toutes organisées de manière à pré-
senter une surface inclinée, dans laquelle on méuage la
chambre aux poudres; par-dessus cette charge, on place un
fort plateau de bois de chêne, qu'on charge de pierres. Elles
ne varient que par la profondeur de l'excavation et la charge.
Cette dernière peut se calculer par la formule P = -=-, ou
=
P 1 + 10 V. (P est le poids de poudré en kilogrammes;
le poids de pierres; V le volume de pierres en mètres
TC

cubes.)
On donnait autrefois deux types différents de fougasses-
pierriers : dans le premier les terres extraites de l'excavation
formaient en arrière de celle-ci un bourrelet destiné à empê-
cher que l'explosion ne produisît ses effets en arrière. On a
reproché à ce dispositif d'être très visible de loin et on l'a
supprimé de l'École de fortification de campagne. Il avait
20Ô I 10 PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE

en outre le défaut d'exiger un temps très long pour son éta-


blissement; on le nommaitfougasse en déblai; l& figure 96
en donne une idée suffisante.
L'École de fortification de campagne n'indique plus que

Fig. 96. — Fougasse en déblai.

la fougasse rase (fig. gj) : trois hommes la construisent en


cinq heures. Les terres en sont dispersées pour ne pas atti-
rer l'attention de l'ennemi. Son angle de tir étant de 6o°, il

Fig. 97. — Fougasse rase.

arrive parfois qu'une partie de la charge est projetée en


arrière, par suite de la rupture du talus de tête. On la
charge ordinairement de 7 à 8 kilos de poudre. Lorsque le
terrain sur lequel la fougasse est établie ne doit pas être
parcouru par le défenseur, on en masque l'ouverture à l'aide
DÉFENSES ACCESSOIRES ' 2O7
de planches, fascines ou rondins recouverts de terre, ainsi
que l'indique la figure. Son effet est ainsi très augmenté.
La mélinite (ou les explosifs de même nature) permet
d'obtenir rapidement des fougasses ; deux cartouches de

Fig. 98. -—
Petites fougasses à la mélinite. Coupe verticale par l'axe (1/10).

i35 grammes, placées au fond d'une excavation de 25 à


3o centimètresdont les terres sont rejetées vers l'arrière, com-
blée ensuite à l'aide de pierres de moyenne grosseur, donnent

Fig. gg. — Fougasse en tranchée.

un dispositif efficace et rapidement établi (fig. g8), on peut


les multiplier sur la ligne de défense et en échelonner les
explosions successivement..
Dans le même ordre d'idées, on peut creuser une tranchée
triangulaire de 5o centimètres de profondeur au fond de la-
208 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
quelle on dépose un cordeau détonant sur lequel, de mètre
en mètre, on place une cartouche de mélinite. Les terres du
déblai sont replacées moitié dans la tranchée, moitié en bo ur-
relet du côté du défenseur. On obtient ainsi un dispositif
(fig. gg) de nature à produire un assez grand effet moral.
C'est de cette manière qu'on peut réaliser le plus aisément
les torpilles terrestres pour lesquelles on avait imaginé jadis
des dispositifs très compliqués, dont le moindre inconvénient
était le plus souvent de ne pas fonctionner.

Inondations. — Enfin, on peut faire entrer dans la


catégorie des défenses accessoires les inondations, que l'on
•produit en retenant, au moyen d'une digue, les eaux qui
existent dans le voisinage de la position. Lorsque le pays est
peu accidenté, on n'obtient souvent qu'un blanc d'eau,
c'est-à-dire une large étendue de terrain recouverte d'une
légère couche d'eau, qui gêne néanmoins les mouvements
de troupe. Les Allemands avaient utilisé les petits cours
d'eau autour de Paris, la Morée par exemple, pour couvrir,
par des inondations, leur ligne d'investissement pendant le
siège de 1870-1871. :

Emplacement des défenses accessoires. — On


admet généralement qu'il est avantageux de placer les dé-
fenses accessoires (à l'exception bien entendu de celles qui
complètent l'obstacle du fossé) à une certaine distance du
retranchement, de 5o à 100 mètres; on obtient ainsi le ré-
sultat d'arrêter l'assaillant qui cherche à les détruire ou à
s'ouvrir un passage au travers, sous le feu le plus efficace du
défenseur sans que, par sa proximité trop immédiate de ce
dernier, il exerce sur lui une influence morale capable de
-rendre son tir incertain.
Il convient de signaler toutefois l'opinion contraire sui-
vant laquelle il y a intérêt à rapprocher le plus possible
la défense accessoire de la crête. Parmi les arguments en
faveur de celle manière de voir il en est un dont la valeur
DÉFENSES ACCESSOIRES 209
est indiscutable, c'est que : devant un saillant, l'étendue des
défenses accessoires et par suite le travail nécessaire à leur
exécution croît proportionnellement avec leur distance à la
crête de feu. Mais on fera remarquer, à ce propos, que : de-
vant un angle rentrant, c'est précisément l'inverse qui se
produit.
Il ne paraît pas d'ailleurs qu'aïrec les armes actuelles il soit
sensiblement plus aisé de procéder au travail de destruction
ou de franchissement à ioo mètres qu'à 10 mètres et il vaut
mieux, pour le défenseur, qu'après cette opération l'assail-
lant ait encore une certaine distance à parcourir sous.le feu.
Le règlement étant muet sur ce point, il paraît donc
permis de conserver la disposition généralement admise.

Effets du tir de l'artillerie contre les défenses


accessoires
Ainsi qu'on l'a fait précédemment pour les murs et les re-
tranchements, on croit devoir indiquer les effets du tir de
l'artillerie contre les principales défenses accessoires. Les
renseignements ci-dessous sont extraits textuellement d'une
note ministérielle du 7 novembre 1896 à laquelle il a été fait
déjà de nombreux emprunts.

« Réseaux de fil de fer. — Les obus allongés sont,


seuls efficaces contre les réseaux de fil de fer et il suffit,
pour la destruction de ce genre d'obstacles, d'employer le
canon de 90. Toutefois, il y a lieu de remarquer que le ré-
glage du tir sera difficile par suite du peu de visibilité du
but, et il conviendra, dans ce cas, de se servir d'éclaireurs
d'objectifs qui devront se rapprocher le plus possible duré-
seau de façon à pouvoir fournir des indications.sur le sens
des coups. Il importe de ne pas oublier qu'il faut un nombre
considérable de projectiles pour obtenir une brèche prati-
cable d'une faible largeur. »
MANUEL DE FORTIFICATION [i
210 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE

« Abatis. — Il est difficile, avec les obus allongés de 90,


sans faire une consommation exagérée de munitions, d'ou-
vrir une brèche praticable dans les abatis organisés solide-
ment et abrités derrière un glacis.; ce résultat pourra être
plus facilement obtenu par l'emploi d'obus allongés de 120
court pour le tir desquels il conviendra toujours d'employer
la charge normale.
« De même que dans le tir contre les réseaux de fil de fer,
il y aura lieu de prendre dés dispositions spéciales pour
l'observation des coups,^qui sera généralement difficile. »
CHAPITRE XIV

REVÊTEMENTS

L'étude des divers profils, qui a été faite dans le cha-


pitre X, a mis en évidence que certains talus de la fortifica-
tion doivent, avoir une pente plus forte que celle sous
laquelle se tiennent naturellement les terres (2/3 pour les
terres légères, 4/5 ou i /1 pour les terres moyennes, 3/2 pour
les terres fortes). Pour arriver à maintenir les terres dans
ces conditions, on est obligé de revêtir les talus, c'est-à-dire
de les former avec des matériaux capables de les empêcher
de s'ébouler.

Fascinages. — Pour l'exécution de ces revêtements,


on emploie le plus souvent le bois, qui ne fait généralement
pas défaut en campagne. Les menus bois, qui conviennent
le mieux pour cet usage, sont mis en oeuvre sous le nom de
fascinages.
Ces fascinages sont de formes ou de constitutions varia-
bles suivant leur affectation habituelle. Ceux qui servent à
l'exécution des revêtements dans la fortification passagère
sont de trois sortes : les gabions, les fascines et les claies.
Les gabions (fig. ioo, page 212) sont des espèces de
grands paniers cylindriques et sans fond, formés d'un cer-
tain nombre de piquets (7 ou 8) autour desquels on a en-
roulé, en les recroisant, des branchages flexibles ou clayons.
Les gabions donnent de bons revêlements, solides, faciles
à exécuter et à réparer, et ne consommant pas beaucoup de
bois. Il existe en France deux modèles de gabions régie-
212 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
mentaires : i° le gabion du génie, qui a 60 centimètres
de diamètre, 80 centimètres de hauteur de clayonnaqe et
1 mètre
de hauteur de piquets ; 20 le
gabion de l'artillerie, qui a 56 centi-
mètres de diamètre, 1 mètre de clayon-
nage et im i5 de hauteur de piquets. Un
atelier de deux hommes fait, habituelle-
ment un gabion en une heure ou même
quarante-cinq minutes, un homme pré-
parant, pour deux ateliers, les harts, ou
Fig. 100. — Gabion. liens qui servent à fixer le clayonnage
aux piquets.
Les fascines (fig. 101) sont des fagots réguliers, ayant
2m5o de long et 20 centimètres de diamètre, maintenus soli-
dement par quatre harts en fil de fer ou en branches flexibles,
placées à 60 centimètres de dislance les unes des autres et
à 35 centimètres des extrémités. Les fascines donnent de
bons revêtements, un peu moins faciles à bien exécuter que
les revêtements en gabions, mais fort solides ; elles ont ce-
pendant l'inconvénient de consommer beaucoup de bois.

Fig. 101. — Fascine. Fig. 102. — Claie.

trois hommes contectionnent habituellement une lascine


de cette dimension en une demi-heure.
Les claies (fig. 102) sont de grands clayonnages pleins,
qui peuvent suffire dans maintes circonstances pour conso-
lider et retenir les terres d'un talus. Elles consomment fort
peu de bois, mais aussi maintiennent les terres bien moins
solidement que les gabions et surtout que les fascines.
REVETEMENTS 2l3
Elles peuvent être construites à l'avance, de la même ma-
nière que les gabions, et leur construction demande le même
temps ; on peut aussi les établir à l'emplacement même
qu'elles doivent occuper.

Revêtements en gabions. — Pour revêtir un talus à


l'aide de gabions (fig. io3), on prépare d'abord, en creu-
sant les terres, la place qu'ils devront occuper ; puis on les
gauchit, c'êst-à-dire qu'on les frappe obliquement sur le

Fig. io3. — Revêtement en gabions. Fig. 104. —•' Revêtement en fascines.

sol, de manière à leur donner l'inclinaison que doit avoir


le talus et à augmenter leur résistance à la poussée des
terres. On met ensuite ces gabions en place et on les
remplit de terre que l'on dame fortement; on a soin égale-
ment de bien damer les terres du parapet derrière les ga-
bions.
Lorsque le talus à revêtir a une hauteur supérieure à
80 centimètres (hauteur des gabions), ce qui est le cas gé-
néral, on peut établir une seconde rangée de gabions au-
dessus de la première et un peu en retraite, ou, lorsqu'il
s'agit d'un talus intérieur de ini 4o, couronner les gabions à
2l4 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
l'aide d'une ou deux rangées de fascines maintenues par les
piquets des gabions.
Nota. — On peut exécuter, par le même procédé, des re-
vêtements avec des tonneaux vides, lorsque l'on en a à sa
disposition, et obtenir un résultat satisfaisant.

Revêtements en fascines (fig. io4, page 2/3). — Ce


revêtement s'exécute en creusant, au pied du talus à revêtir,
une rigole dans laquelle on place une première rangée de
fascines maintenues solidement au moyen de piquets qui
les traversent. Par-dessus cette première rangée, on en
place une autre qu'on relie à la précédente par des piquets ;
on a soin de ne pas placer les extrémités des fascines les
unes au-dessus des autres, mais au contraire de les re-
croiser.
On élève ainsi progressivement le revêtement, en ayant
soin de damer fortement la terre en arrière, au fur et à
mesure.
Pour empêcher les fascines de se renverser, on plante
dans l'intérieur du parapet de forts piquets, auxquels on
attache des harts, dites de retraite, qui viennent s'enrouler
autour d'une fascine; en plaçant ces harts à im5o de dis-
tance environ, sur une rangée, et en attachant ainsi les dif-
férentes rangées de fascines de quatre en quatre, on arrive
à donner au revêtement toute la solidité nécessaire.

Revêtements en claies. — Lorsque les claies ont été


faites à l'avance, on les amène à l'emplacement du talus, on
enfonce leurs piquets en terre et on maintient chaque claie
.
par des piquets et des harts de retraite, comme on l'a indiqué
précédemment pour les fascines. Les différentes rangées de
claies sont placées les unes au-dessus des autres, en alter-
nant les joints et en ayant soin que chaque rangée soit un
peu en arrière de celle qui est immédiatement au-dessous.
Lorsque les claies sont construites sur place, on plante
les piquets à la distance et sous l'inclinaison voulues, on
REVÊTEMENTS 2l5
l'ait le crayonnage, et, au fur et à mesure qu'il s'élève, on
maintient les piquets par des harts de retraite. "

Le même procédé est applicable aux revêtements en bran-


chages, qu'on obtient en plantant d'assez forts piquets
maintenus par des harts, et derrière lesquels on amoncelle,
le long du talus que devront avoir les terres, de menues
branches qui sont appuyées contre les piquets par lapoussée
même des terres.

Revêtements en treillis métalliques. — On lait


fréquemment usage aujourd'hui de revêtements en treillis
métalliques obtenus par le même principe : piquets de dis-
tance en distance retenus par des harts, contré lesquels on
appuie le treillis, qui suffit à retenir les terres. Ce mode de
revêtement est d'une exécution très rapide. On utilise le
treillis du commerce, à maille de 3 à 4 centimètres de pré-
férence; si les mailles sont plus grandes, on le double. Il
est préférable pour la solidité du revêtement d'employer les
longues bandes de treillis en évitant de les fractionner.
Gazons ; briques crues ; sacs à terre ; pierres
sèches. — En dehors des fascinages dont on vient d'in-
diquer l'emploi, on peut utiliser pour les revêtements d'au-
tres matériaux d'un usage moins commode et moins rapide,
mais qui permettent de suppléer aisément les premiers.
Les principaux sont les gazons, les briques crues, les sacs
à terre, les pierres sèches.
Les gazons sont coupés de préférence dans les emplace-
ments où l'herbe est courte et serrée ; on les détache à l'aide
d'une pelle droite ou louchet, en les découpant en boutisses
(de 3o sur 4o centimètres) et panneresses (3o sur 3o cen-
timètres). L'épaisseur des gazons varie de 12 à i5 centi-
mètres ; il en faut cinquante par mètre carré de revêtement.
Les briques crues sont obtenues en malaxant de la terre
argileuse dans de l'eau, de manière à lui donner une cousis-
2i6 Ile PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
tance assez molle pour qu'on puisse la mouler dans des for-
mes ayant 4o centimètres de long, 20 de large et 10 de haut.
Les briques moulées sont ensuite séchées pendant un cer-
tain temps, ou employées de suite.
Les sacs à terre, dont l'emploi est très fréquent dans la
fortification, et qui se prêtent aux usages les plus variés,
sont en grosse toile et munis d'une coulisse dans laquelle
passe une ficelle permettant de les fermer. Vides, ils ont
65 centimètres de long et 3g de large; pleins et empilés, ils
ont 3o centimètres de haut, 20 de large et 45 de long; il
en tient cent cinquante par mètre cube.

Revêtements en gazons (fig. io5). — Les gazons


ayant été coupés comme il a été dit plus haut, on ménage

Fig. io5. •—
Retranchement en gazon ou briques crues.

leur emplacement et on les pose, l'herbe en dessous, en


alternant les boutisses et les panneresses. Les différents lits
sont superposés pleins sur joints, pour donner plus de cohé-
sion à l'ensemble. On dame la terre par derrière, au fur et
à mesure qu'on élève le revêtement, et on arrive ainsi aie
lier fortement, aux terres. Lorsque le talus est revêtu, on
abat à la serpe ou au louchel les irrégularités qu'il présente ;
c'est pour cette raison qu'on a eu la précaution de mettre
l'herbe des gazons en dessous, afin de pouvoir les recouper
plus aisément.
REVÊTEMENTS 21 7
Revêtements en briques crues, sacs à terre,
pierres sèches. — Ces revêtements s'exécutent exacte-
ment de la même manière que les revêtements en gazons,
en ayant soin de placer alternativement en long et en large
les sacs à terre ou les briques, et en recroisant les joints
dans les lits successifs.

Revêtements en pisé et en charpente. — On citera


pour mémoire, en terminant, les revêtements en pisé, obte-
nus en amoncelant, entre Pépaulement et un coffrage en
planches placé le long du talus, un mélange de terre glaise
et de paille hachée, délayé dans de l'eau, qui, en séchant,
donne un revêtement très résistant.
Dans les ouvrages de fortification semi-permanente, où
les talus ont de grandes dimensions, on emploie des revê-
tements en charpente dans le détail desquels il n'y a pas
lieu d'entrer ici.

Remarque. — Les travaux ci-dessus sont exécutés, le


plus souvent, au cours même de la construction de l'ouvrage,
par des ateliers spéciaux, et n'augmentent pas sensiblement
le temps nécessaire à cette construction.
CHAPITRE XV

ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES


DE POSITION

On a vu, dans les chapitres précédents, de quels éléments


essentiels sont composés les ouvrages et quelles dispositions
générales il convient d'adopter pour leurs diverses parties
constitutives. Lorsqu'un ouvrage, établi d'après ces prin-
cipes, est terminé, il reste à l'organiser intérieurement,
c'est-à-dire à ajouter à ce gros oeuvre divers perfectionne-
ments, qui sont de nature à augmenter la sécurité des
défenseurs et la force de résistance de l'ouvrage lui-même.

Bonnettes. — Au premier rang, parmi ces dispositifs


complémentaires se placent les bonnettes dont il a été ques-
tion déjà au chapitre V, page 72, et qui trouvent leur emploi
sur toute espèce de retranchements.
De sérieuses expériences faites en Autriche ont montré
que ce dispositif diminuait notablement les perles subies
par le défenseur.
Un capitaine de l'armée autrichienne, nommé Tizler, a
proposé de donner à la plongée même du parapet une forme
ondulée qui produit à peu près le même résultat. Il suffi-
rait, pour cela, de tenir la crête intérieure à im 80 au-dessus
de la banquette et de creuser, de mètre en mètre, dans le
parapet même, des rigoles évasées vers l'extérieur. L'exé-
cution de ce dispositif demande évidemment une certaine
habileté et un temps assez long ; aussi ce procédé est-il fort
peu employé.
ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 2ig
L'école de fortification de campagne désigne sous le nom
de masques pour tirailleurs de véritables bonnettes consti-
tuées à l'aide de gabions ou de sacs à terre, disposés avec
régularité sur le parapet, de manière à ne présenter à la vue
de l'ennemi aucun point saillant et laissant entre eux des
créneaux, généralement de mètre en mètre.

Traverses ; parados. — On a signalé déjà, chapitre V,


l'utilité des traverses pare-éclats dans les tranchées-abris
pour garantir les défenseurs contre les coups d'écharpe et
pour localiser les effets latéraux des obus explosifs.

Fig. 106. — Pare-éclats.

Dans les ouvrages de position, appelés à résister plus


longtemps, l'emploi de ces dispositifs est plus nécessaire
encore; il faut y ajouter, en outre, des traverses assez
épaisses pour résister aux obus percutants qui prennent la
crête d'écharpe ou d'enfilade, ou, éventuellement, à revers.
Les pare-éclats (fig. 106) ont 80 centimètres à 1 mètre
d'épaisseur au sommet ; on peut les établir à l'aide de ga-
bions remplis de terre et couronnés de fascines ou avec des
fascines entassées entre des perches plantées en terre verti-
calement. On recommande de leur donner la forme d'une
croix, de manière à arrêter les éclats venant de divers côtés.
2 20 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Bien que l'instruction ministérielle ne le mentionne pas, il
paraît nécessaire de ne pas donner aux pare-éclats, non plus
d'ailleurs qu'aux traverses, une hauteur supérieure à celle
du parapet, afin de ne pas former point de repère pour le tir.

Fig. 107. — Traverse.

Les traverses (fig. 107), de même que les parados, reçoi-


vent une épaisseur au sommet de 3 à 4 mètres, et les talus
qui les bordent sont à la pente naturelle des terres, à moins
que ces talus ne soient absolument opposés à la direction

Fig. 108. — Traverses et parados.

des coups, auquel cas on peut raidir leur pente à 3/i ou 2/1
par un revêtement, ce qui augmente la place laissée au
défenseur sur le terre-plein et la banquette. Dans les
ouvrages fermés, on place souvent un parados le long de la
gorge pour garantir les défenseurs des coups passant, au-
dessus du parapet de tête (fig. 108).
ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 221
Abris; magasins. — Les dispositifs qui précèdent
sont encore insuffisants et il est indispensable de les com-
pléter par des abris sous lesquels les défenseurs pourront
éviter les effets du tir de l'artillerie.
On en a fait ressortir déjà la nécessité, même dans la for-
tification de champ de bataille (voir chap. V, page 74),
mais là, on doit se borner à des abris extrêmement légers.
Ceux des ouvrages de position sont plus résistants et. l'on
dispose pour les établir de moyens plus efficaces.

Fig. 109. — Abris légers, types allemands.

On va passer en revue les types principaux :


a) D'abris légers, du même genre que ceux dont il a été
question, mais d'une construction plus compliquée, emprun-
tés à l'étranger;
b) D'abris plus résistants ;
c) D'abris capables de recevoir les défenseurs également
dans la position d'attente et dans celle de tir; on les dénom-
mera abris actifs.
22 2 I 10 PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Abris légers. —- L'instruction allemande du 8 juin 1906
sur la fortification de campagne donne de nombreux types
d'abris légers qui ont l'avantage de ne pas interrompre
la crête de feu.
Chacun d'eux est lait d'un ciel en bois, rail ou tôle
ondulée, recouvert de 45 centimètres de terre. Ces abris,
qui peuvent recevoir cinq ou six hommes, sont séparés les
uns des autres par des masses de terre d'au moins 1 mètre
sur lesquelles repose le ciel de l'abri. Ils sont complétés par
des portes mobiles (fig. 10g). Cette solution est ingénieuse,

Fig. 110. — Abris légers, types russes.

mais elle a l'inconvénient d'exiger, pour des abris à


l'épreuve seulement des balles, beaucoup de matériaux et
une mise en oeuvre délicate.
Les Russes ont employé pendant la guerre de Mand-
chourie des abris légers analogues aux précédents : la
figure 110, empruntée à la Revue militaire des armées
étrangères (mars 1907), en indique deux formes différentes.
L'expérience a l'ait préférer le second type. Avec le pre-
mier, l'arrivée d'un obus près de la crête couvrait de
terre et de débris de bois les hommes assis sur la ban-
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 223
quette. On a été ainsi conduit à réduire à quelques centi-
mètres l'épaisseur de la terre ou même à la supprimer.
Dans ces conditions le ciel de l'abri pouvait être utilisé
comme appui-coude pendant le tir.

Abris plus résistants. — Les abris légers sont toujours


nécessaires dans un ouvrage important sur lequel on peut
craindre que l'ennemi ne dirige un tir prolongé. Les shrap-
nels et obus à mitraille d'une part, les armes à magasin
de l'autre, couvriront l'intérieur du retranchement d'une
véritable pluie de projectiles sous laquelle il serait impos-
sible de maintenir les hommes à découvert. Il devient néces-
saire, dès lors, de protéger ceux-ci par des abris. Mais ces
abris légers sont insuffisants contre des projectiles percu-
tants : il faut autre chose.
On ne saurait avoir la pensée de construire dans un
ouvrage de campagne des abris capables de résister aux
effets destructeurs des projectiles de l'artillerie chargés
avec les nouveaux explosifs. On se borne donc à chercher
une protection, d'ailleurs facile à obtenir, contre les effets
des projectiles de campagne organisés pour le tir contre les
troupes, tels que les obus à mitraille français.
Un abri satisfaisant à ces conditions se compose essen-
tiellement d'un blindage, c'est-à-dire d'un sorte de plafond
formé de matériaux capables d'arrêter les projectiles. Il
faut, pour cela, une matière résistante, comme le bois, le
fer ou la maçonnerie, surmontée d'une couche de terre assez
épaisse pour amortir le choc. Un projectile de campagne
ordinaire est arrêté par une ou deux couches de rondins de
3o centimètres de diamètre surmontés de im5o à 2 mètres
de terre.
La terre, dans un blindage, peut êj,re remplacée par du
fumier ou des fascines. On place encore, assez souvent, un
lit dé fascines au-dessus du bois du blindage pour empê-
cher la terre de tamiser. Il est essentiel, dans un ouvrage de
campagne, de ne.pointdonner aux abris, comme d'ailleurs à
224 Ire PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE

une partie quelconque du retranchement, de saillie marquée


sur le parapet. Une semblable disposition a pour effet de
faciliter le repérage et le réglage du tir de l'ennemi et,
conséquemment, d'amener une destruction rapide de la
partie qu'on voulait protéger. Les parois des abris sont
généralement enterrées, afin dé les soustraire aux projectiles
ennemis. Le type d'abri le plus simple est la tranchée cou-
verte; on peut d'ailleurs l'aménager de telle sorte que la
ligne de feu ne soit pas interrompue.

Fig. ni. — Tranchées couvertes, types français.

La figure ni, empruntée à l'École de fortification de cam-


pagne, représente une disposition d'abris de cette nature;
des tireurs à genou peuvent occuper la portion de crête
correspondant à l'emplacement de l'abri.
Le ciel en est formé de solives de 10 centimètres d'équar-
rissage recouvertes de fascines ou de planches et de 3o cen-
timètres de terre : il suffit largement contre les balles et les
éclats, tandis que le parapet protège l'abri contre le tir
ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 220
percutant.,Cette protection est complète contre les projec-
tiles des canons de campagne dont l'angle de chute est
d'environ 6° (soit une pente de i/io); elle n'est que par-
tielle contre le tir percutant des obusiers dont l'angle de
chute est beaucoup plus considérable, 36° (pente i J2) pour
l'obusier allemand de io5mm, 4o à' 5o° (pente 1/1) pour le
canon de 155 court français.
Il faut donner à ces abris un double débouché, tant pour
hâter la sortie des occupants que pour la rendre possible
en cas d'obstruction d'une issue; de cette-façon, aussi, on
assure dans de meilleures conditions l'aération et l'éclai-
rage. Les issues sont protégées par des pare-éclats.

Fjg. 112. -- .tranchée couverte, type russe.


.

La longueur de l'abri ne doit pas dépasser 8 mètres; on


peut ainsi loger une escouade dans l'abri simple et une
demi-section dans l'abri double. Il va de soi que l'emplace-
ment d'un abri de ce genre doit être recherché ailleurs que
sur les parties d'ouvrages exposées au tir d'enfilade.
Les Russes ont fait, en Mandchourie, un large emploi
d'abris analogues, dont la figure 112 donne un exemple.
Il est installé dans une tranchée approfondie; le blindage
se compose d'un rang de poutres de 5o centimètres d'équar-
rissage réunies par des clameaux, surmonté de 90,centi-
mètres de terre. — Afin d'empêcher celle-ci de tamiser, on
MANUEL DE MORTIFICATION 15
2 26 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
interpose soit, un rang de madriers, soit une feuille métal-
lique (zinc ou tôle ondulée).
La figure 112 est empruntée à la Revue militaire des armées
étrangères (mars 1907), la tranchée ouverte qui est à la
gauche de l'abri représente probablement une communica-
tion desservant ce dernier.

Fig. 11 S. — Abri.

La figure n3 représente des types d'abris qui permet-


tent une évacuation plus rapide par les occupants, mais
qui sont moins aisés à construire.

Abris actifs. — Tous les abris que l'on vient de décrire


ne protègent le défenseur que dans la position d'attente et,
non dans celle de tir. On peut réaliser des dispositifs qui
assurent à la fois cette double protection. Par opposition
aux premiers qui sont passifs, on dénommera ceux-ci abris
actifs.
Un exemple est fourni par les Russes en Mandchourie
ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 227
(organisation de la position de Nanchan). La figure n4 le
fera suffisamment comprendre. Il se compose d'une tran-
chée couverte par une visière formée de deux planches ayant '
ensemble une largeur de 45 centimètres environ. Elles sont

Fig. il4. •—
Tranchée russe avec créneaux.

supportées, de distance en distance, par des piquets maii>


tenus à l'aide de sacs à terre. Entre cette visière et la plon-
gée, se trouve une embrasure permettant au tireur de faire
le coup de feu.
La protection assurée aux tireurs par ce dispositif est

Fig. n5. — Tranchée couverte avec créneaux.

assez médiocre; on peut obtenir davantage en recouvrant


entièrement la tranchée, ainsi que le montre la figure n5.
Il faut nécessairement ménager, dans ces dispositifs, entre
la banquette sur laquelle se tiennent les tireurs et le ciel de
l'abri une hauteur de im8o au minimum pour que les hom-
228 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE

mes debout puissent se loger. Lés embrasures placées de


distance en distance sont moins visibles que dans la tran-
chée russe puisqu'elles se projettent sur un écran sombre,
au lieu de se détacher sur le ciel. Des expériences de tir
réel contre des abris de ce genre ont été faites, en France
notamment : elles ont démontré toute l'efficacité de la pro-
tection qu'ils procurent.

Magasins. — En outre clés abris pour les hommes, il


peut être nécessaire d'installer clans l'ouvrage des magasins
pour les munitions.
On forme quelquefois, dans l'intérieur du parapet, des
magasins à cartouches, en y plaçant, à portée des tireurs,

Fig. 116. — Magasins à cartouches dans le talus intérieur du parapet.

des caisses ouvertes vers l'inférieur, des tonneaux ou des


gabions noyés dans les terres de la masse couvrante et
remplis de munitions d'infanterie (fig. 116). Les Turcs, à
Plewna, ont fait un grand usage de ce dispositif fort
simple, qui leur a permis de couvrir, à certains moments,
de feux très nourris les abords de leurs retranchements.
On pourrait constituer des niches plus vastes et plus
résistantes soit sous le parapet, soit sous les traverses ou
les parados, en se servant de châssis analogues aux châssis
des galeries de mine ou, en général, d'assemblages en char-
pente formés d'un chapeau supportant le blindage, de mon-
tants maintenant le coffrage latéral et d'une semelle des-
ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 22g
tinée à empêcher les montants de s'enfoncer en terre.
Lorsque des abris de cette nature doivent recevoir de la
poudre et des munitions, il faut avoir soin de bien protéger
l'entrée contre les coups de l'ennemi et d'installer dans

Fig. 117. — Magasin blindé.

l'abri un plancher, séparé du sol, pour préserver les pou-


dres de l'humidité (fig. ri7).
On doit éviter d'agglomérer dans un ouvrage des muni-
tions sur un même point.
Dans le but de remédier à cet inconvénient, on peut mul-

Fig. 118. — Abri en tranchée couverte.

tiplier les abris en utilisant certaines parties de la tranchée


qu'on approfondit et qu'on recouvre à cet effet d'un blin-
dage ainsi que l'indique la figure 118.
Toutefois ce dispositif a l'inconvénient de supprimer la
230 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
crête de l'eu sur toute la longueur qu'il occupe, défaut que
ne présentent pas les types de la figure ni, p. 224.

Blockhaus. —Les blockhaus sont des abris fermés et


blindés, destinés à couvrir des tireurs d'infanterie logés

Fig. 119. —Blockhaus.

Fig. 120. — Plan du blockhaus.

dans leur intérieur. Une ou plusieurs de leurs faces doivent


être découvertes de manière à voir le terrain à battre. On
les installe quelquefois à l'intérieur des ouvrages pour en
défendre l'entrée, et pour servir de réduit (ou de citadelle)
aux défenseurs. Parfois même le blockhaus forme à lui seul
un véritable petit ouvrage destiné à occuper le point que
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 231
l'on veut défendre; cette disposition, fréquemment em-
ployée en Afrique, dans les guerres contre les Arabes, n'est
admissible que si on n'a pas à craindre le tir de l'artillerie,
qui démolit rapidement ce genre de constructions.
Quand le blockhaus est isolé, son tracé présente des
angles rentrants, de manière que ses différentes faces soient
bien flanquées (Jig. 120). Les parois sont faites de palan-
ques'-ou de poutres superposées, maintenues par des po-
teaux et disposées de manière à ménager un grand créneau
horizontal. Le blindage de la toiture surplombe d'une cer-
taine quantité pour garantir au besoin des éclats de pro-
jectiles. Tout autour du blockhaus, on creuse un fossé
dont on relève les terres contre la paroi pour la protéger.
Si l'on se propose de garantir le blockhaus contre les coups
de l'artillerie, on donne à cette couche de terre une épais-
seur de 2 à 3 mètres ; mais c'est beaucoup de travail pour
obtenir de faibles résultats, le blockhaus n'offrant jamais,
par ailleurs, une solidité suffisante pour résister convena-
blement.
Pendant l'insurrection carliste, en 1876, il a été fait usage,
en quelques circonstances, de blockhaus construits avec des
rails de chemin de fer superposés et maintenus en parois
verticales par des rainures pratiquées dans des piliers de
maçonnerie. Les créneaux horizontaux étaient obtenus en
interposant quelques taquets entre deux des rails de la
paroi, choisis à hauteur convenable.

Coffres flanquants. — On désigne sous le nom de


coffres flanquants des espèces de blockhaus qu'on place
dans les fossés pour les flanquer et supprimer l'angle mort,
sans modifier dans ce but le tracé de l'ouvrage. (On retrou-
vera la même disposition en fortification permanente dans le
tracé polygonal.) Les coffres flanquants (fig. 121, page 356)
ont toujours des dimensions assez restreintes ; la largeur
du fossé détermine leur longueur, et leur largeur doit être
d'environ 2m5o, s'ils n'ont de: créneaux que sur une face, et
232 -I" "PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
de 5 mètres s'ils en ont sur les deux faces. On les place de
préférence aux angles saillants, car de cette manière ils
échappent mieux aux coups de l'artillerie qui enfilent le
fossé. Ils communiquent à l'intérieur de l'ouvrage par une
galerie de mine, ou, quelquefois encore, ils débouchent
dans un corridor de circulation ménagé entre le pied du
talus d'escarpe et une ligne de palissades établie en avant
de ce talus. Il faut avoir soin de flanquer leurs abords en

Fig. 121. —.'Coffre-flanquant.

ménageant des créneaux dans la palissade. Leur emploi est


toujours restreint aux ouvrages d'un assez fort relief, car
leur construction demande un temps assez long.

Dispositions pour l'entrée des ouvrages. — Pour


être bien garantie contre les surprises, l'entrée des ouvrages
fermés doit être disposée de manière qu'on n'y puisse péné-
trer sans défiler devant une crête ou une ligne de palanques
permettant au besoin d'interdire le passage.
Ce résultat peut être obtenu de diverses manières. L'in-
ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 233
terruption du parapet qui forme l'entrée peut être défendue
en arrière par une traverse séparée Çjîg. 122) ou simple-
ment coudée (^fig. 123), à laquelle on donne un profil dé-
fensif. Autrement, on peut construire en avant de cette
entrée un petit ouvrage, une flè-
che, par exemple (Jîg. 12S), qui
donne des feux de flancs en avant
de la gorge. Lorsque l'ouvrage
est fermé par une ligne de palan-
ques, on donne à cette ligne un
tracé analogue à celui des dis-
positifs qui viennent d'être indi-
qués; et l'on ferme le passage qui
forme porte, par une barrière en
bois. Fig. 124.
Pour permettre de traverser le
fossé, on laisse ordinairement vis-à-vis l'entrée un remblai
de terre d'une largeur convenable comblant ce fossé; mais
il faut avoir soin de bien battre ce passage par une crête en

Fig. 120. — Blockhaus défendant l'entrée d'un ouvrage.

arrière. Les dispositifs de pout-levis improvisés, ou autres


analogues, bien que très ingénieux pour la plupart, sont
en général trop compliqués et trop délicats pour être d'une
application pratique en campagne.
Pour fermer le passage et défendre l'entrée des ouvrages
on employait volontiers jadis un blockhaus d'un assez fort
2 34 Ir° PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
profil, recouvert d'une bonne couche de terre du côté de
l'ennemi et organisé défensivement vers l'entrée (ftg. 125).
Des massifs de terre formant parados le protégeaient latéra-
lement. '
L'idée en est excellente, mais sa réalisation de nos jours
serait impossible dans les conditions où on le faisait autre-
fois, le relief du blockhaus le rendrait trop visible et amè-
nerait sa destruction par l'artillerie. On pourrait avanta-
geusement substituer à cette construction trop volumineuse
une tranchée couverte avec créneaux dont on a indiqué le
type précédemment à propos des abris actifs {voirpage 22j,
ûg. II// et J/5).
Les différents dispositifs indiqués pour couvrir l'entrée
peuvent être combinés avantageusement avec l'emploi des
défenses accessoires, fils de fer, abatis ou autres, qui
augmentent la sécurité du défenseur à l'intérieur de l'ou-
vrage.
Réduits. — On a indiqué déjà (organisation des points
d'appui, chap. VII, p. 120) le rôle d'un réduit, dernier
refuge du défenseur pour couvrir sa retraite et faciliter,
éventuellement, le retqur offensif.
A vrai dire, les ouvrages de campagne ne comportent
presque jamais de réduit, l'établissement de cet ouvrage
demandant un temps considérable dont on ne dispose pas
ordinairement. Il y a lieu du reste de faire remarquer à
ce sujet: i° que, dans de pareils ouvrages, le réduit étant
exposé au feu de l'artillerie pendant toute la durée de l'at-
taque, risquerait d'être détruit avant le moment où il pour-
rait être de quelque utilité ; 20 qu'il n'y a pas à proprement
parler de lignes de retraite pour les défenseurs d'un ouvrage
de campagne; ceux-ci s'échappent par tous les points du
parapet lorsque l'ouvrage vient à être forcé, et il en résulte
que les zones à faire battre par le réduit sont difficiles à
définir en pareil cas..
ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 235

Dispositions générales des ouvrages

Les ouvrages peuvent être ouverts ou fermés et présenter


les formes générales indiquées au chapitre III (redan,
lunette, demi-redoute, redoute).
On a indiqué d'autre part, au chapitre XI, les motifs
qui justifient l'emploi des ouvrages fermés dans la fortifi-
cation de position, tandis que la fortification de champ de
bataille n'en offre que de rares applications;
D'ailleurs la sécurité inhérente à l'ouvrage fermé, en
cas de surprise, résulte plus de là continuité de l'obstacle
que de celle de la crête de feu. Un ouvrage fermé à la
gorge par une simple tranchée-abri mais complètement
entouré par des défenses accessoires, permet au défenseur
d'envisager sans inquiétude l'éventualité d'une attaque
enveloppante.
L'organisation des, dispositifs destinés à abriter les dé-
fenseurs contre les projectiles de l'artillerie (pare-éclats,
traverses, abris) est extrêmement importante, et de sa
bonne exécution dépend dans une large mesure la capacité
de résistance de l'ouvrage.
Il faut que pendant toute la durée du tir de préparation
par l'artillerie la garnison soit hors d'atteinte des coups ;
à cet effet on ne laisse dans l'ouvrage qu'une garde réduite
installée dans un abri à l'épreuve, qui se borne à surveiller
le terrain par quelques sentinelles. Le reste de la garnison
sera en position d'attente dans des couverts du terrain, par-
fois hors de l'ouvrage à condition d'être reliée à ce der-
nier par des cheminements bien défilés, au besoin par des
tranchées. Elle occupera sa position de combat à partir du
moment où l'ennemi sera dans la zone d'action efficace'du
fusil. Si les couverts du terrain font défaut aux abords de
l'ouvrage, on sera amené à y substituer des abris légers
dissimulés aux vues; dans d'autres cas et notamment lors-
236 Ire PARTIE —-FORTIFICATION PASSAGÈRE
qu'il s'agira d'ouvrages fermés, les abris seront installés à
la gorge ou le long du front de tête.
C'est par le développement donné aux abris, aux com-
munications et surtout aux défenses accessoires que. la for-
tification de position diffère de la fortification de champ de
bataille, plus encore peut-être que par les forts reliefs, les
larges parapets et les fossés profonds.
Les règlements actuels, tant en France qu'en Allemagne,
ne donnent pas de types normaux d'ouvrages. Des règle-
ments antérieurs avaient cru devoir le faire pour faciliter la
tâche des officiers. Les types qu'ils indiquaient devaient,
non pas être considérés comme des modèles invariables,
mais servir simplement de guides.
L'Instruction abrogée du i5 novembre 1892 indiquait
comme ouvrage de compagnie destiné à renforcer un point
important d'une ligne de défense, une demi-redoute assez
aplatie dont le développement total devait être suffisant
pour recevoir trois sections. Si l'on suppose à la compagnie
un effectif de 200 hommes, en accordant 70 centimètres de
crête par homme, on est ainsi conduit à une longueur de
crête de 100 mètres environ. Les faces devaient, d'ailleurs,
être assez grandes pour abriter trois sections placées sur
deux rangs, soit 60 mètres au minimum. Les flancs, disposés
pour protéger l'ouvrage contre les attaques venant de droite
ou de gauche, avaient des dimensions restreintes. Si les ou-
vrages voisins n'assuraient pas suffisamment celui-ci contre
les attaques à revers, on appuyait à l'extrémité des flancs
des portions de tranchée-abri de i5 à 20 mètres de lon-
gueur. Enfin, pour donner abri à la quatrième section, en
réserve, pendant le tir de l'artillerie ennemie, on disposait
â la gorge une tranchée renforcée de 20*mèl.res de longueur
environ, mais cette tranchée, dont le parapet faisait face au
saillant de l'ouvrage, n'avait pas de rôle défensif propre-
ment dit. Il semble qu'elle aurait pu être remplacée par un
couvert naturel quelconque suffisamment rapproché de
l'ouvrage.
ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 237
Le profil des faces et des flancs était celui du retran-
chement de im3o de relief et de 3 mètres d'épaisseur; les
tranchées appuyées aux flancs avaient un parapet de 80 cen-
timètres, celle de gorge un parapet de 2'" 60 avec 80 cen-
timètres de relief.
La figure 126 donne le tracé de l'ouvrage en question.
On a cru utile de reproduire ce type d'ouvrage de compa-
gnie parce qu'il est le dernier en date de ceux qui ont
successivement été réglementaires en France. Il est loin
cependant d'être sans défaut et on s'explique difficilement
par exemple la disposition de la tranchée de gorge.

Fig. 126. — Ouvrage de compagnie, type de 1892.

Il fait ressortir, en outre, qu'à l'époque où on le préco-


nisait on rejetait, en France, l'idée d'introduire dans un
ouvrage soit des abris intérieurs, soit des travaux de défi-
1ement. On recherchait principalement la simplicité des •
formes et des détails, favorable à une prompte exécution;
Cette tendance du règlement français d'alors se retrouve
également dans l'Instruction du pionnier allemand de i8g4
où l'on a complètement supprimé les types d'ouvrages qui
existaient encore dans un règlement sur la fortification de
campagne de i8g3. Des modifications aussi radicales, se
succédant à intervalles aussi rapprochés, pouvaient, donner
à penser, comme on l'indiquait ici même, dans l'édition
de 1900, que la mode qui a écarté les abris les ramènerait
238 I'° PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE

sans doute un jour. On ajoutait : les nouveaux projectiles


de l'artillerie sont organisés de manière à donner un grand
nombre de balles ou de petits éclats sans effet sur les masses
de terre, même de petites dimensions, mais, par contre,
très dangereux pour les hommes. Il semble donc que l'ad-
jonction d'abris fort simples à un ouvrage de campagne
soit de nature à augmenter notablement sa valeur en per-

Fig. 127. — Communications défilées réunissant des tranchées-abris.

mettant aux défenseurs de subir, sans grandes pertes, les


effets du tir de l'artillerie.
L'événement a justifié ces prévisions et l'Instruction alle-
mand,, du 8 juin 1906, sur les travaux de fortification de
campagne (y compris la fortification de position et les tra-
vaux dans la guerre de siège), insiste sur la nécessité de
créer dans les ouvrages de nombreuses traverses et abris.
Elle ne donne toutefois aucun type d'ouvrage.
D'après cette instruction :
« Les groupes
d'ouvrages comportent habituellement des
239 bis Planche C

Fig. 128. — Redoute de compagnie (Ancien type français).

Coupe suivant l'axe (^).

hJlaff\fii<f.fft'./-. ;.v,:,":r. LIT H I-FCRS:-:^: - i.cvit/.vr:


ORGANISATION INTERIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 2 3g
tranchées-abris avec flancs en retour et dispositifs en échelon
derrière les ailes, des tranchées couvrantes pour les sou-
tiens et les réserves, et, quand on le peut, des obstacles.
« On cherchera des communications défilées entre les
tranchées-abris et les tranchées couvrantes, soit en utilisant
le terrain, soit en creusant des communications. »
Ces communications ont au moins im8o dé hauteur et
peuvent être couvertes.
Les traverses sont surtout nombreuses dans les tranchées
couvrantes où chaque abri est encadré par deux traverses,
comme le montre la figure 127.
L'Instruction ministérielle du 24 octobre 1906 se rapporte
exclusivement aux travaux du champ de bataille et ne pou-
vait comporter de type d'ouvrage.
Peut-être l'École de fortification de campagne actuelle-
ment en préparation marquera-t-elle un retour vers l'emploi
judicieux des abris.
A. titre d'exemple des dispositions qui peuvent être em-
ployées dans ce genre on donnera (fig. 128, page 23g bis)
un type de redoute de compagnie qui fut réglementaire il y
a quelques années en France et dont on pourrait utilement
s'inspirer pour l'avenir. 11 y a lieu d'observer, d'ailleurs,
que l'installation de masses couvrantes à l'intérieur d'un
ouvrage fermé, tel que celui indiqué à la figure 128, se jus-
tifie plus encore dans un ouvrage ouvert à la gorge, puisque
les défenseurs qui l'occupent sont exposés à des coups ve-
nant de toutes les directions.

Ouvrage russe de Nanchan. — La guerre russo-


japonaise a fourni l'occasion d'exécuter de nombreuses
organisations défensives. Celle de Nanchan, près de Kin-
Tchéou, a déjà été citée à plusieurs reprisés; on y trouvait
des ouvrages de position : la description de l'un d'entre eux
montrera de quelle manière les Russes ont résolu le'pro-
blème (fig. 12g, page 2//0).
Le terrain sur lequel l'ouvrage fut construit est de nature
240 I 10 PARTIE — FORTIFICATION PASSAGERE
rocheuse ; il était impossible, par suite, d'y creuser au delà
d'une certaine profondeur; on adopta, en conséquence, un

Fig. 12g. — Lunette n° l\ de la position russe de Nanchan.

lossé large de 4m 20 et profond de imo5 qui fut renforcé par


l'installation d'un réseau de fil de fer. Aucune disposition
n'était prévue pour assurerle flanquement. Le parapet avait
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 24l
90 centimètres de relief et 4™20 d'épaisseur: la tranchée
qui le bordait était, comme le fossé, profonde de imo5; on
voit que les défenseurs debout s'y trouvaient strictement à
couvert. La gorge était fermée par une tranchée de imo5 de
profondeur, bordée d'un parapet de 45 centimètres de relief
tourné vers l'intérieur de l'ouvrage. Cette tranchée est celle
qui reliait entre eux les points d'appui de la ligne de dé-
fense située au pied des pentes de Nanchan. L'ouvrage en
question constitue par suite un dès points forts de cette
ligne qu'il est destiné à flanquer conjointement avec quel-
ques autres.
Sur chacune des faces de l'ouvrage se trouvent des tra-
verses avec abris et niches à munitions. On accédait auprès
de chacun d'eux par des boyaux de communication en zig-
zag, partant de la tranchée de gorge.
Le parapet était organisé selon le profil indiqué ci-dessus
(fig. 114, page 227), c'est-à-dire avec visières et embra-
sures pour les tireurs.
La caractéristique de cet ouvrage est son faible relief,
uniforme pour tous ses parapets, qui devait le rendre
peu visible de loin ; en outre les communications entre
la gorge et les fronts de tête ou les flancs sont bien
^ouvertes.
La disposition du parapet de gorge dirigé vers le front
de tête, semblable à celle qu'on a relevée plus haut (voir
fig. 126) dans un ancien type français, s'explique dans ce
cas particulier puisque l'ouvrage fait partie d'une ligne
continue. Il est permis de se demander cependant si, dans
l'éventualité où la ligne en question aurait été percée en un
de ses points, il n'eût pas été préférable, pour les défen-
seurs de l'ouvrage, de disposer d'une gorge fermée par un
parapet tourné en sens contraire.

Travaux complémentaires. — Les dispositions gé-


nérales de l'ouvrage doivent être complétées, d'ailleurs,,
par des travaux extérieurs.
MANUEL ]>!•: l'OKTII ICATION 16
242 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Il convient notamment de déblayer avec soin le terrain
des abords sur une étendue aussi, grande que possible, et
toujours au moins de 4oo à 5oo mètres, de manière à faire
disparaître les couverts masquant les feux des défenseurs
et permettant aux assaillants de s'approcher sans danger ;
de même les arbres isolés, les signaux de quelque nature
qu'ils soient, grâce auxquels l'artillerie ennemie peut régler
et repérer son tir, doivent être supprimés avec le plus grand
soin.
Toutefois, si la présence d'arbres isolés à proximité d'un
ouvrage doit être considérée comme dangereuse, il y a
intérêt au contraire à maintenir les rideaux d'arbres
continus qui ne présentent pas le même inconvénient.
Ils offrent en effet l'avantage de gêner le réglage du tir
fusant de l'artillerie ennemie et peuvent servir à dissimuler
les mouvements des troupes de réserve. En avant de l'ou-
vrage, il suffit de les ébrancher dans la partie avoisinant
le sol pour qu'ils ne masquent pas les vues des tireurs;
en arrière ou sur les flancs, ils favorisent les retours
offensifs du défenseur. Dans le même ordre d'idées, les
dépressions du sol,- les chemins creux, les carrières consti-
tuent des abris précieux pour les réserves, et leur présence
peut influer sur le choix de l'emplacement d'un ouvrage de
campagne.
Enfin, toutes les fois qu'on le peut, il y a lieu de faire
usage de défenses accessoires pour renforcer la valeur de
l'ouvrage. Les abatis (à condition qu'ils ne soient pas assez
épais pour masquer les vues), les fils de fer semblent indi-
qués comme devant être le plus souvent employés. On
signalera, à ce propos, dans les approvisionnements des
parcs du génie divisionnaires de certaines armées (en Bel-
gique notamment) l'existence de fils de 1er en assez grande
quantité. On peut, en effet, se trouver souvent dépourvu
du matériel nécessaire à l'établissement de réseaux de ce
genre et il y a grand avantage à en posséder dans ses appro-
visionnements.
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES DE POSITION 243
Comme mesures de précaution utile et aisée à prendre, il
faut retenir celles destinées à rendre les retranchements
moins visibles de loin, telles que le placement de gazons
et de branchages verts sur les parapets. Un travail de ce
genre est facile à exécuter et rend souvent de grands ser-
vices, aussi ne doit-il jamais être négligé chaque fois que
sa réalisation est possible.
CHAPITRE XVI

DÉFILEMENT DES OUVRAGES

Les considérations tactiques et les formes générales du


terrain ayant conduit à adopter pour l'infanterie une posi-
tion, il faut, dans le choix de l'emplacement précis des
ouvrages, comme dans le choix de leur profil et de leur
tracé, se préoccuper du défilement.
Ce défilement résulte à la fois du relief et du tracé.
On verra ci-après comment on résout le problème du
défilement, en donnant aux diverses parties du parapet des
hauteurs variables suivant la disposition du terrain en
avant de l'ouvrage; mais, avant d'en arriver au défilement
par le relief, il faut chercher à profiler autant, que possible
des formes mêmes du sol pour obtenir ce résultat.
Il est aisé de se rendre compte que lorsque l'ouvrage est
établi à une ligne de changement de pente, la position la
plus avantageuse à lui donner peut se trouver au change-
ment de pente lui-même ou un peu en avant.
Ces formes peuvent, en définitive, se rattacher aux quatre
types suivants (fig. 12g bis) :
i° Pente descendante douce, suivie d'une pente plus forte
dans le même sens (1); on s'établira alors en P, au change-
ment de pente même ;
20 Pente descendante forte, suivie d'une pente douce dans
le même sens (2) ; on s'établira alors sur cette dernière en 0,
un peu en avant du changement de pente, pour mieux défi-
ler le terre-plein;
DÉFILEMENT DES OUVRAGES 245
3° Pente ascendante forte, suivie d'une autre pente ascen-
dante plus douce (3) ; on s'établira alors en M sur la crête,
le terre-plein de l'ouvrage restant sur la pente plus forte ;
4° Pente ascendante faible, suivie d'une autre pente ascen-
dante forte (4) ; on s'établira alors en N, en avant du chan-
gement de pente, pour avoir un terre-plein mieux défilé.
Il faut du reste avoir toujours présent à l'esprit que les
pentes plus douces que la pente du i /4 peuvent être battues
facilement par un ouvrage placé sur la crête ; mais que les

Fig. 129 bis.

pentes plus fortes sont difficilement surveillées de la crête


même, et qu'il est alors nécessaire de les battre par des
ouvrages placés latéralement.
On a, au chapitre VII, page i3o, à propos de la répar-
tition des ouvrages sur le terrain et du tracé des lignes,
énoncé le principe que : Tout saillant doit être établi sur
une portion élevée du terrain; et tout rentrant, dans une
partie basse.
Ce principe trouve une nouvelle justification dans la
nécessité du défilement. En plaçant, en effet, les saillants
sur les parties élevées, et les rentrants dans les parties
246 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
basses, les lignes joignant chaque saillant au rentrant
voisin possèdent une inclinaison de même sens que la par-
tie descendante de la trajectoire des projectiles ennemis
et sont par conséquent bien défilées; si on adoptait la dis-
position inversé (les saillants plus bas que les rentrants),
ces lignes seraient au contraire tout à fait en prise aux feux
de l'ennemi.

En dernier lieu, dans les cas où les conditions désirables


sont difficiles à réunir, où les unes doivent être sacrifiées,
et où il s'agit.de faire un choix, on doit chercher avant tout
à diriger les crêtes de manière à bien voir et à battre effica-
cement les points importants. On se rappellera d'ailleurs,
pour déterminer au mieux le choix du tracé, que les feux
partant d'un parapet peuvent avoir une certaine obliquité
par rapport à la crête, et qu'il n'est pas nécessaire par con-
séquent, pour qu'une crête batte efficacement un point,
qu'elle soit dirigée perpendiculairement à la direction du
point considéré.
Si la disposition du terrain n'a pas permis de donner, par
.

le tracé même, à l'ouvrage établi d'après ces considérations,


une garantie suffisante contre les feux d'enfilade, on cher-
chera alors à obtenir ce résultat par une disposition conve-
nable du profil. On aura ainsi à résoudre ce que l'on appelle
le problème du défilement.

Défilement

Un ouvrage serait évidemment établi dans les meilleures


conditions possibles au point de vue de la sécurité de ses
défenseurs, s'il était disposé de manière à les soustraire aux
vues de l'ennemi, et à les garantir complètement contre ses
projectiles.
Il est relativement aisé de satisfaire à la première de ces
conditions ; mais la seconde est à peu près irréalisable
DÉFILEMENT DES OUVRAGES 24y
aujourd'hui, eu égard à la puissance et à la justesse des
armes à feu actuelles, dont le tir conserve son efficacité
jusqu'à des distances très grandes, et dont les projectiles
tombent alors sur le but en faisant des angles prononcés
avec l'horizon.
On est donc obligé de renoncer à assurer aux défenseurs
une protection complète contre les projectiles et l'on se
contente de disposer les crêtes de l'ouvrage de telle manière
que les défenseurs placés sur le terre-plein, en un point
quelconque, soient complètement soustraits aux vues de
.
l'ennemi établi dans une certaine zone qui porte le nom de
terrain dangereux, et que ceux qui sont placés sur les ban-
quettes ne lui laissent apercevoir que la partie de leur corps
dépassant la crête.
La zone de terrain dangereux comprend toute la partie
du terrain, dont l'ennemi peut être considéré comme maître
située dans un rayon égal à la limite de portée des armes.
Dans cette zone, les points d'où l'on découvre le mieux
l'ouvrage, c'est-à-dire ceux d'où la vue dans l'ouvrage a la
direction la plus plongeante, portent le nom de points dan-
gereux. Comme limite de portée des armes, on admet
généralement 2 5oo ou 3 000 mètres ; il serait assez inutile
d'étendre au delà la profondeur du terrain que l'on doit
considérer comme dangereux, car, outre qu'à partir de
3 000 mètres on ne peut plus apercevoir grand'chose, il
est évident qu'au fur et à mesure qu'on s'éloigne, la hau-
teur des points dangereux restant la même, les vues devien-
nent moins plongeantes.
Cette dernière considérationexplique que : de deux points
compris dans la zone qui vient d'être définie, le plus dange-
reux n'est pas toujours le plus élevé. II suffit, pour s'en
rendre compte, de jeter un coup d'oeil sûr la figure i3o ; le
point B, dont le relief est sensiblement plus fort que celui
du point A, a sur l'ouvrage M des vues moins plongeantes,
et est par suite moins dangereux que ce dernier, parce qu'il
est beaucoup plus éloigné de la masse couvrante M.
248 l'e PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
Ceci posé, il doit paraître évident que les défenseurs cir-
culant sur le terre-plein! de l'ouvrage M (fig- i36) seront
complètement soustraits aux vues de l'ennemi, si les crêtes
de cet ouvrage sont disposées dans un plan passant à im5o
au-dessus des points les plus dangereux (im5o représentant
la hauteur moyenne de l'oeil) et laissant à 2 mètres au-
dessous de lui le point N du terre-plein le ;plus éloigné de
la crête (2 mètres étant la hauteur maxima d'un homme
avec sa coiffure et ses amies).
Le problème est donc ramené à la détermination de ce
plan, auquel on donne le nom de plan de défilement.
On le simplifie, en substituant tout d'abord au plan de
défilement ainsi défini, un plan parallèle, situé verticale-
ment à im5o au-dessous de lui, et devant remplir, par

conséquent, les deux conditions d'être tangent au terrain


aux points les plus dangereux et de passer à 5o centimètres
au moins au-dessus du point ./Vie plus éloigné de la croie.
Ce dernier plan est appelé/j/an de site; lorsqu'on l'a obtenu,
comme cela va être indiqué, il suffit de relever de im5o les
points qui servent à le déterminer pour avoir le plan de
défilement.
Dans la pratique, voici comment on opère. L'ouvrage
étant tracé sur le terrain, et le point le plus dangereux étant
bien déterminé, on plante, à 3 mètres environ l'une de l'autre,
deux perches m M et Nn (fig. I3I), sur la partie du terre-
plein la plus exposée, c'est-à-dire sur celle qui est la plus
éloignée des crêtes dans la direction du point dangereux. A
3 ou 4 mètres en avant de la lu.pte.mn, on place ensuite une
DÉFILEMENT DES OUVRAGES 24g
troisième perche Pp, plus rapprochée du point dangereux
que les précédentes. Sur les deux perches mM et nN, on
fixe, à 5o centimètres'au moins au-dessus du sol du terre-
plein, une tringle MN qui doit être disposée de telle sorte
que son prolongement n'aille point rencontrer la partie du
terrain réservée à l'ouvrage. On appuie sur la tringle MN
d'une part, et contre la perche Pp d'autre part, une tringle
mobile MP, ou mieux un cordeau MPN, dont on relève
progressivement la partie antérieure P jusqu'à ce que le
plan MPN ainsi déterminé vienne raser le terrain au point
-
le plus dangereux, en laissant au-dessous de lui tous les
autres points du terrain dangereux. L'opération se fait de

la manière la plus simple, en se plaçant un 'peu en arrière


de la tringle MN, de manière à bien apercevoir en même
temps les arêtes supérieures des tringles ou cordeaux qui
forment le plan NMP et le terrain en avant. On obtient
ainsi le plan de site, dont on prend l'intersection avec les
différentes perches placées aux saillants de l'ouvrage. En
relevant les points ainsi obtenus de im5o, on a les intersec-
tions de ces perches par le plan de défilement, et par suite,
la hauteur qu'il faut donner au parapet en chaque point
pour être défilé.
Lorsqu'on veut déterminer le plan de défilement sur un
dessin représentant l'ouvrage et le terrain environnant, le
problème, est réduit à la recherche d'un plan dont on con-
naît une droite et un point. La droite est la ligne qui joint
les points du terre-plein les plus exposés, relevés de
2 00 l,e PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE

2 mètres, et le point est le point dangereux auquel on donne


la cote du sol augmentée de im5o. Les différentes crêtes de
l'ouvrage étant contenues dans ce plan, il devient aisé dès
lors.d'en déterminer les cotes. Il faut remarquer, toutefois,
qu'après avoir déterminé le plan de défilement au moyen
du point jugé le plus dangereux, il convient de Arérifier que
ce plan passe bien au-dessus de toutes les autres parties du
terrain dangereux ; s'il n'en est pas ainsi, on doit le relever
de manière qu'il remplisse cette condition.
Cette méthode, connue sous le nom de défilement par le
relief, conduit parfois à des résultats inadmissibles. Si, par
exemple, les points dangereux sont trop élevés par rapport
à leur éloignement, on arrive à des hauteurs de crête dépas-

sant celles qu'on peut admettre pour des ouvrages de posi-


tion. Si ces points dangereux sont les uns à droite de l'ou-
vrage, les autres à gauche, il peut devenir très difficile de
défiler l'ensemble du terre-plein par un même plan de défi-
lement. On a alors recours à d'autres procédés.
Lorsque la hauteur de crête obtenue, en opérant comme
il vient d'être dit, dépasse le maximum imposé aux ouvrages
de position par les faibles moyens et le temps réduit dont
on dispose pour leur construction, on arrête cette hauteur
maxima à la partie du parapet qui devrait avoir une hauteur
plus considérable et l'on creuse le terre-plein en arrière,
comme l'indique la figure i32, de manière à le tenir tout
entier à 2 mètres au moins au-dessous du plan de défile-
ment. C'est ce qu'on appelle défilement par le terre-plein.
DEFILEMENT DES OUVRAGES 25l
On peut encore opérer autrement. Après aAroir donné au
parapet M (fig. i33) la hauteur maxima, on construit au
point N, où le terre-plein cesse d'être défilé, une traverse
dont on détermine la hauteur (comme il a été dit pour le
parapet lui-même), de manière à défiler le reste du terre-

plein. Cette solution est plus avantageuse que la précédente,


car la traverse ainsi établie sert de parados à la gorge.
Cette méthode est également celle que l'on emploie quand
le point dangereux est situé dans une direction latérale par
rapport à l'ouvrage. On place alors en capitale une tra-
verse CF (fig. i3£) qui partage le terre-plein en deux par-

Fig. i34. — Défilement par une traverse.

ties : la première est défilée par le parapet ; la seconde par


la traverse.
Enfin, lorsqu'il s'agit d'un ouvrage dont le profil est fixé
à l'avance, les tranchées de siège, par exemple (fig. i35),
2&2 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
le problème du défilement consiste à déterminer, non plus
la hauteur de la crête, mais la direction qu'il faut lui donner
pour que les défenseurs échappent aux vues de l'ennemi.
C'est le défilement par le tracé.
Voici comment on l'exécute : le profil étant donné a
priori, on connaît l'inclinaison de la ligne allant de la crête
à l'extrémité du terre-plein relevée de 2 mètres, inclinaison
que le rayon visuel partant du point dangereux, relevé de

Fig.. i35. — Tranchée de siège.

Fig. i36. — Défilement par le trace.

im5o et rasant la crête ne doit pas dépasser pour que le


défenseur placé à l'extrémité du terre-plein soit défilé.
Soit \\n cette inclinaison, c'est-à-dire la tangente de l'angle
formé par la ligne ainsi définie avec l'horizon. Si la pente
du plan passant par la crête et le point dangereux relevé de
im5o, mesurée perpendiculairement à la crête, ne dépasse
pas 1 \n, il est évident, que l'ouvrage sera défilé, puisque le
défenseur (dont la hauteur totale est au plus de 2 mètres),
placé à l'extrémité du terre-plein, sera tout entier au-des-
sous de ce plan. Le problème consiste donc à mener par le
DÉFILEMENT DES OUVRAGES 2 53
point A où doit commencer la tranchée (fig. i36) et par
le point dangereux relevé de im5o, un plan incliné à \\n,
et à prendre pour direction de la crête la perpendiculaire
à la ligne de plus grande pente de ce plan passant par le
point A.
Si le terrain sur lequel on opère est horizontal, le pro-
blème sera résolu en menant par le point A un plan tangent
à un cône droit de révolution ayant son sommet au point
dangereux relevé de imoo et pour génératrices des droites
inclinées de i/n sur l'horizon. L'intersection de ce plan tan-
gent avec le plan horizontal qui passe par le point A de la
crête donnera la direction de cette crête.
Exemple : Le terrain est coté 20, le point dangereux S
est coté 25 (fig. i36). La hauteur du parapet étant de im20
et n étant égal à 6, sur la figure i35, le cône aura pour base,
sur le plan horizontal coté 2im2o, qui doit contenir la crête
cherchée, une circonférence ayant son centre en S et un
rayon égal à 6 (25 + i,5o — 21,20)= 6 X 5m3o = 3im8o.
La tangente AX à ce cercle, menée par le point A, donnera
la direction de la crête.

Mais si le terrain, au lieu d'être horizontal, possède une


certaine pente, on n'obtiendra plus, en opérant de cette
façon, le résultat cherché, parce qu'alors l'inclinaison du
plan ne sera plus perpendiculaire à la direction de la crête.
On procédera alors par tâtonnement, en modifiant la direc-
tion obtenue de manière à ce qu'elle remplisse la condition
imposée, comme cela sera indiqué pour l'établissement des
tranchées dans les travaux de siège (chap. XLV,page 647).

La solution qui vient d'être indiquée est évidemment in-


complète, ainsi qu'on l'a fait observer tout d'abord. Elle
soustrait bien le défenseur placé sur le terre-plein aux vues
de l'assaillant, mais ne le garantit point contre ses coups.
vSi l'on veut
que cette dernière condition soit satisfaite, il
faudra tenir compte de la direction plongeante des balles et
2 54 IrC PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
éclats de projectiles dans le-voisinage du but, et défiler le
terre-plein au i/4 ; c'est-à-dire donner cette inclinaison à
la ligne joignant le sommet de la masse couvrante au point
à couvrir relevé de 2 mètres. Gela conduira à approfondir
les parties du terre-plein un peu éloignées du parapet.

Enfin, d'après la définition qui a été donnée du défilement,


il faut que les défenseurs soient garantis non seulement sur
le terre-plein, mais encore sur les banquettes. Or, si le
parapet est très élevé, le terre-plein pourra être couvert à
2 mètres, en adoptant les dispositions ci-dessus indiquées,
sans que la banquette soit soustraite aux vues de l'ennemi.
Il en sera surtout ainsi lorsque le point dangereux sera

Fig. 137: —•
Parados.

placé latéralement. Il faudra alors faire usage de parados ou


de traverses (fig. i3y) pour donner aux défenseurs de la
banquette la protection nécessaire. C'est la disposition à
laquelle on est très fréquemment obligé d'avoir recours dans
les ouvrages de fortification permanente, dont le relief est
en général beaucoup plus fort que celui des ouvrages de la
fortification passagère.

L'exposé qui précède indique les diverses solutions théo-


riques que peut recevoir le problème du défilement. Elles
étaient plus fréquemment employées autrefois qu'elles ne le
seront sans doute dans l'avenir, non pas que leur valeur ait
diminué, mais par suite de l'emploi de plus en plus accentué
des profils à faible relief, même dans la fortification de posi-
tion. Ceux-ci ne peuvent assurer le défilement que de la
tranchée qui borde immédiatement le parapet et non du
DÉFILEMENT DES OUVRAGES 255
terrain en arrière. C'est par la multiplication des masses
couvrantes à l'intérieur des ouvrages, ainsi que le montrent
les exemples empruntés à l'organisation russe de la position
de Nanchan, qu'on pourra assurer des communications
défilées.
Il est bon néanmoins de connaître ces solutions géomé-
triques du défilement pour s'en inspirer au besoin dans
l'organisation et le tracé des ouvrages.
CHAPITRE XVII

ÊPAULEMENTS POUR L'ARTILLERIE


DE CAMPAGNE

Installation de l'artillerie

Dans tout ce qui précède il n'a été question que des dis-
positions à prendre pour assurer la protection des tireurs,
et on n'a pas envisagé celle des pièces d'artillerie ou de
leurs servants.
Cela tient à ce que, sauf dans des circonstances excep-
tionnelles, il ne saurait être question aujourd'hui d'installer
de l'artillerie dans un ouvrage de campagne ; on lui enlè-
verait sa mobilité, qui constitue un de ses principaux avan-
tages. En la fixant en un point bientôt repéré, on la rendrait
plus vulnérable, on attirerait enfin le feu de l'artillerie
ennemie sur les défenseurs qui l'entoureraient.
Pour ces motifs, l'étude des dispositifs jadis employés
pour l'installation des pièces derrière un parapet n'offre
plus qu'un médiocre intérêt. On se bornera, à rappeler que
tantôt les pièces tiraient par une échancrure du parapet
qu'on nommait embrasure (fig. i38); tantôt elles étaient
installées sur une plate-forme située à une distance au-
dessous de la crête, égale au plus à la hauteur de genouil-
lère. Cette plate-forme se nommait barbette. La figure i3g
donne la disposition adoptée au saillant d'un ouvrage, mais
on pouvait aussi placer la barbette en un point quelconque
d'une face.
Fig. i38. — Embrasure.

Fig. i3g. —. Barbette.

MANUEL DE FORTIFICATION- J7
2.58 l,e PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
On prévoyait jadis pour la plate-forme des pièces une
profondeur minima de 7m5o, destinée à permettre le recul.
Il est clair qu'on pourrait aujourd'hui se contenter de
dimensions beaucoup plus restreintes, puisque les pièces
sont munies de freins, et reculent sur leur berceau, sans
déplacement de l'affût.

Épaulements. — L'artillerie cherche parfois à se cou-


vrir contre le tir de l'adversaire en s'abritant derrière un
épaulement en terre.
L'adoption des boucliers et l'occupation de positions
défilées ont cependant diminué la vulnérabilité des batteries
de campagne en ce qui concerne le personnel et le matériel.
Mais les boucliers protègent incomplètement le personnel
.
contre le tir fusant et les balles du fusil ; ils ne descendent
pas jusqu'à terre ; c'est pourquoi il sera toujours bon de
fermer le vide qu'ils laissent au-dessous d'eux par un bour-
relet de terre qui protégera les jambes des servants.
D'ailleurs, le tir masqué ne peut toujours être employé ;
dans bien des circonstances, une batterie ne remplira sa
mission qu'en se montrant, notamment lorsque ayant reçu
comme objectif l'infanterie ennemie, elle ne veut laisser en
avant d'elle aucun angle mort.
Or, toute batterie qui se montre est exposée à être
démolie par le tir percutant de l'artillerie ennemie.
Elle ne peut trouver une protection relative que dans la
construction d'épaulements.
Les batteries lourdes d'armée, non munies de boucliers,
obtiennent une sécurité parfaite dans les grands défile-
ments que permet leur matériel, mais à la condition toute-
fois qu'un épaulement protège leur personnel contre le tir
fusant avec lequel les batteries de campagne battront des
zones très étendues.
Les figures i4o et I4I montrent des types d'épaulement
puisés dans des règlements français abrogés, et que les
règlements actuels n'ont ni reproduits, ni remplacés.
Fig. i/|0. — Épaulement pour pièces de campagne (ancien type français).

rig. 141. — Jipaulemcnt (.ancien type Irançaisj.


260 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
Les figures 142 à 144 représentent des types extraits de
l'Instruction allemande du 8 juin 1906 sur les travaux de
fortification de campagne.

Fig. 1/I2. — Epaulement allemand.

L'épaulement de la figure 142 peut être construit après


la mise en batterie, en profilant des interruptions du tir.
Les autres, dans lesquels la pièce est. enterrée, doivent
être construits avant la mise en batterie.
ÉPAULEMENTS POUR L'ARTILLERIE DE CAMPAGNE 261

;
Pour les canons de campagne, la hauteur de genouillère
de l'épaulement doit être de 80 centimètres. Elle est supé-
rieure pour les obusiers.
Le règlement allemand signale que, dans un terrain sec
ou sablonneux, le départ du coup soulève une poussière
telle, qu'on perd le bénéfice de la poudre sans fumée ; par

Fig. i43. — Épaulement allemand.

suite, s'il n'est pas possible d'arroser le sol, de le recouvrir


de paillassons ou de prendre une mesure de ce genre, il
vaut mieux, dans certains cas, renoncer à élever une masse
couvrante en avant des pièces.
Afin de rendre plus difficile à l'ennemi l'observation des
emplacements, il est recommandé de réunir entre eux les
couverts des pièces isolées par un relief de même hauteur,
mais de moindre épaisseur.
On peut construire, en arrière des batteries, des abris
262 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE

pour les caissons de munitions, si le terrain est dépourvu

Fig. i/|4- —• Epaulement allemand.

d'abris naturels. Le plus souvent, on préférera éloigner un


peu les voitures et ne pas s'astreindre à ce travail.
CHAPITRE XVIII

ATTAQUE ET DÉFENSE DES POSITIONS


FORTIFIÉES

Depuis i8g4; toute disposition spéciale à l'attaque et à la


défense des positions fortifiées a disparu du Règlement sur
les manoeuvres de l'infanterie. Ces opérations présentent
cependant des particularités sur lesquelles il convient d'ap-
peler l'attention. C'est ce qu'on va s'efforcer de faire en
s'inspirant des principes généraux du règlement.

Attaque des positions fortifiées


Toute attaque comprend les phases suivantes : la recon-
naissance, la détermination du point d'attaque, la prépara-
tion par l'artillerie, le combat et la marche d'approche de
l'infanterie, l'assaut.
Ces phases ne se succèdent pas d'ailleurs comme les actes
d'un drame, mais se poursuivent presque simultanément.
C'est ainsi que la reconnaissance se complète au fur et à
mesure de la marche d'approche et que celle-ci s'accomplit
au cours de la préparation par l'artillerie.
La reconnaissance est plus nécessaire peut-être devant
une position fortifiée que dans tout autre cas, puisqu'il faut
déterminer l'importance de l'obstacle à vaincre ; elle est
aussi plus précise. C'est qu'en effet, au lieu de.fournir un
renseignement sur la position momentanée de l'adversaire,
2Ô4 l'e PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
elle détermine au contraire une situation fixe, presque inva-
riable, de laquelle on peut déduire des conclusions fermes
sur des intentions qui sont, en quelque sorte, écrites sur le
terrain en caractères indélébiles.
Une autre particularité de l'attaque des positions forti-
fiées réside dans la nécessité, avant de procéder à l'action
de vigueur finale, de la préparer en débarrassant les abords
de l'ouvrage des obstacles matériels que le défenseur n'a
pas manqué d'y accumuler. Cette opération est assez im-
portante pour le succès final de l'entreprise et son exécution
suffisamment difficile pour que la destruction des défenses
accessoires devienne une phase essentielle de l'attaque.
La destruction sera commencée de loin par l'artillerie,
mais, ne pourra être achevée que de près par les troupes
chargées, de donner l'assaut et, spécialement, parmi elles,
par les détachements de sapeurs.
Si. l'artillerie ne peut, dans tous les cas, ouvrir la voie à
l'infanterie au travers des défenses accessoires, elle n'en
remplit pas moins un rôle prépondérant dans la prépara-
tion de l'attaque. C'est par son tir que l'ennemi abrité ou
masqué pourra être atteint, c'est elle seule qui sera en me-
sure de bouleverser les abris et les parapets. L'importance
de l'artillerie dans ces opérations peut donc être aussi
considérée comme une de leurs particularités.

Reconnaissance de la position. — La reconnais-


sance de la position a pour but de donner à l'assaillant tous
les renseignements indispensables sur la nature du terrain
occupé par le défenseur, sur l'effectif de ses troupes, sur les
dispositions qu'il a prises, les travaux qu'il a exécutés, et
les obstacles utilisés ou créés par lui pour arrêter la marche
des troupes de l'attaque. Elle présente généralement de
sérieuses difficultés, en raison des mesures de protection
que le défenseur n'aura pas manqué de prendre, et notam-
ment de la présence d'un réseau d'avant^postes. Aussi les
reconnaissances d?officiers isolés seront-elles souvent insuf-
ATTAQUE ET DEFENSE DES POSITIONS FORTIFIEES 265
lisantes, à moins que les circonstances locales -né viennent
les favoriser.: Gomme l'assaillant a le plus grand: intérêt,
cependant, à être renseigné sur la position de son adver-
saire, il pourra être conduit à lancer des reconnaissances
offensives, c'est-à-dire à confier à une troupe d'un faible
effectif le soin de s'approcher de la position afin de la
reconnaître, en chassant devant elle les avant-postes enne-
mis Une semblable opération peut entraîner de graves
^
conséquences et amener même un engagement général*
Aussi le Règlement sur le service des armées en campagne
ordûnne-t-il de ne l'entreprendre que sur l'ordre du com-
mandant en chef. La troupe qui en est chargée doit pousser
rapidement de l'avant, pour donner aux officiers qui l'ac-
compagnent le moyen de s'approcher de la position; elle
doit éviter de s'engager à fond, à moins qu'elle n'en ait
reçu l'ordre formel, de manière à se trouver en mesure de
rompre le combat, au moment opportun, sans subir de
pertes sérieuses. Il est d'ailleurs nécessaire de disposer, en
arrière d'elle, des forces en nombre suffisant, pour la dé-
gager au besoin, la recueillir ou enfin l'appuyer, si elle se
trouve contrainte à soutenir la lutte.
Des officiers d'état-major et d'armes spéciales l'accompa-
gnent, afin d'être en mesure de donner au commandement
les rapports techniques qui lui sont nécessaires.

Choix du point d'attaque. — Ainsi renseigné sur


les dispositions prises par le défenseur et connaissant,
d'autre part, les points par lesquels il est plus facile de
s'approcher à couvert des positions qu'il occupe, l'assail-
lant choisira le point d'attaque le plus convenable.
Parmi les considérations qui influent sur cette détermi-
nation, les unes sont d'ordre tactique, les autres d'ordre
stratégique.
Les premières conduisent à rechercher le point le plus
faible, le saillant, le plus prononcé, celui qu'il est le plus
facile de couvrir de feux croisés, ou encore la portion de
266 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
ligne sur laquelle les défenses n'ont pu être poussées suffi-
samment. Ces mêmes raisons font choisir de préférence un
saillant placé vis-à-vis de cheminements, c'est-à-dire établi
sur un point dont il est facile de s'approcher à couvert.
Cependant il ne faut pas perdre de vue que les considéra-
tions tactiques ne sont pas toujours prépondérantes. Si, en
effet, une ligne de défense est facile à percer en un de ses
points, il ne suit pas de là que la victoire partielle qu'on y
aura remportée sera d'un grand profit pour l'assaillant.
Aussi voit-on souvent les Considérations d'ordre stratégique
prendre le pas sur les autres cl déterminer le général à faire
attaquer le point le plus fort de la position, parce que sa
chute entraîne celle de l'ennemi.

Préparation par l'artillerie. — C'est dans la prépa-


ration de l'attaque par son artillerie que l'assaillant trouvera
le moyen le plus efficace de balancer à son profit l'avantage
que le défenseur espère tirer des dispositions qu'il a prises
pour se couvrir et des travaux qu'il a exécutés pour ren-
forcer sa position. 11 devra donc, dès le début, cherchera
acquérir rapidement la supériorité de feu qui lui est néces-
saire.
Pour cela, s'il ne fait tirer tout d'abord que le nombre de
batteries jugé suffisant, il doit tenir les autres prêtes à
entrer en action. Ces dernières seront en position de sur-
veillance ou en position d'attente, de manière que, sans perte
de temps et grâce à une préparation de tir poussée aussi
loin que possible, elles soient en mesure d'agir contre de
nouveaux objectifs dès que la présence de ceux-ci sera
révélée, ou de concentrer leurs feux sur un objectif insuffi-
samment battu.
Les batteries s'établiront à des distances variant de 2 000
à 5 000 mètres, cherchant à prendre d'écharpe ou, mieux
encore, d'enfilade, les lignes de défense principales de l'en-
nemi. Elles occuperont de préférence des emplacements
bien défilés, car l'artillerie de la défense doit connaître le
ATTAQUE ET DÉFENSE DES POSITIONS FORTIFIEES 267
terrain et l'avoir repéré, aussi toute batterie qui s'installe-
rait à découvert risquerait d'être rapidement anéantie.
Il convient, dans ce travail de préparation par l'artillerie,
de répartir les rôles.
Certaines batteries s'efforcent de neutraliser celles dé la
défense, ce sont les contre-batteries.
D'autres sont chargées « de faciliter la marche progres-
sive de l'infanterie, d'appuyer ses attaques partielles et
d'enrayer celles de l'adversaire » ; celles-là tirent par rafales,
ce sont les batteries d'infanterie.
Lorsqu'on passe à l'attaque décisive, celle-ci est «pré-
parée spécialement par une concentration rapide, violente
et intense des feux de toute l'artillerie et des troupes d'in-
fanterie qui peuvent battre l'objectif choisi ». A ce moment,
l'infanterie ennemie est l'objectif principal, l'artillerie étant
d'ailleurs contre-battue.
La mission de faire brèche dans les obstacles est confiée
à des batteries de brèche; d'autres « surveillent les abords
et les débouchés de la position à enlever(bois, ravins, etc.)
par où les contre-attaques pourraient se produire », ce sont
les batteries de contre-attaques ; enfin, d'autres batteries,
dites d'accompagnement, sont chargées « d'accompagner
l'infanterie de l'attaque, afin de lui prêter un concours ma-
tériel et moral de tous les instants ».
L'importance de la préparation de l'attaque par l'artil-
lerie est, pour ainsi dire, évidente et les exemples abondent
qui permettent de la faire ressortir. Le 18 août 1870, la
Garde prussienne tente, sur le village de Saint-Privat, une
attaque insuffisamment préparée par le canon, avant d'avoir
réuni tous les moyens d'action dont elle disposait, et sans
attendre le concours du XIIe corps (saxon), qui devait
menacer la droite de la position française. Elle perd
6000 hommes en moins d'un quart d'heure; elle est con-
trainte de s'arrêter, puis de se replier sous le feu meurtrier
de notre infanterie. Le prince de Wurtemberg fait alors
avancer toute l'artillerie de son corps d'armée, à laquelle se
268 Ire PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
joignent en partie celles des Xe et XIIe corps, et bientôt
vingt^six batteries canonnent le village, qui succombe enfin
devant la supériorité écrasante des forces qui lui sont oppo-
sées. La voie qui mène de Sainte-Marie-aux-Ghênes à Saint-
Privat, direction générale de l'attaque, est aujourd'hui
bordée de tombes qui disent assez l'importance des pertes
subies dans cette mémorable journée par la Garde prus-
sienne. :
.
En 1877, les Russes éprouvèrent, dans les batailles autour
de Plewna, des échecs successifs, malgré la valeur et la
ténacité de leur infanterie, parce que celle-ci se portait à
l'attaque des positions fortifiées des Turcs sans attendre
que l'artillerie lui eût préparé la voie. Le général Skobelev,
qui faisait partie de la fraction d'armée du prince Imere-
tinsky, et dont l'énergie entraînante est restée légendaire
parmi ses soldats, fut contraint, lui-même, de rappeler à
ses subordonnés les sages principes que ceux-ci avaient
oubliés, et d'ordonner qu'à l'avenir on ne fît marcher l'in-
fanterie qu'après que l'attaque aurait été préparée par le
canon.
Les pièces de campagne, dont le tir sur le personnel
découvert est si efficace, sont à peu près sans action contre
les obstacles, aussi la plupart des puissances ont introduit
dans leurs formations de campagne des bouches à feu d'un
calibre supérieur à celui des susdits canons. En Allemagne,
les « parcs légers de siège » sont constitués avec des bat-
teries d'obusiers de 12e et de i5c, et des batteries de mor-
tiers de 21e. L'artillerie de corps d'armée compte trois
batteries d'obusiers légers de 10e 5.
Les pièces de cette nature possèdent deux qualités qui
les rendent précieuses pour l'attaque des positions fortifiées.
D'une part, leur tir plongeant permet d'atteindre les dé-
fenseurs derrière les parapets, les réserves derrière les
couverts, les batteries défilées là où les canons de cam-
pagne avec leur tir tendu sont sans action.
D'autre part, les projectiles à forte charge d'explosifs ont
ATTAQUE ET DÉFENSE DES POSITIONS FORTIFIÉES 269
une grande puissance de destruction contre les obstacles.
Ils ruinent les abris, les parapets et exercent une impres-
sion profonde sur le moraldes défenseurs.
Il ne faut pas oublier, toutefois, que ces résultats ne sont
obtenus qu'au prix d'une grande consommation de muni-
tions, difficiles à renouveler. L'emploi de ces pièces est
particulièrement indiqué dans l'attaque des positions forte-
ment retranchées dont il sera question plus lobù

Combat d'infanterie; destruction des défenses


accessoires; assaut. •—
La période de préparation par
l'artillerie est nécessaire, ainsi qu'on vient de le voir, au
succès final de l'opération. On aurait tort de croire que le
temps qu'on y consacre ne peut être utilisé par l'infanterie;
celle-ci, arrivant en formation de marche, trouve précisé-
ment, pendant cette période, le temps nécessaire à son dé-
ploiement. Il importe, en effet, de placer en face de leur
objectif les troupes chargées de l'attaque, afin qu'elles
n'aient plus qu'à marcher droit devant elles au but qui leur
sera assigné. Elles gagneront ensuite la limite extrême des
couverts situés en aA'ant de la position, d'où elles partiront
pour marcher à l'attaque de celle-ci. Les formations à
prendre doivent être suffisamment dispersées pour garantir
les troupes des effets du tir de l'adversaire, sans cependant
les soustraire à la direction de leurs chefs. On a pensé, à
une certaine époque, qu'il était possible d'utiliser la puis-
sance toujours croissante du feu de l'infanterie pour secon-
der l'artillerie dans la préparation de l'attaque et le Règle-
mentdu 29 juillet i884(titre IV)avait consacré cette opinion.
On a renoncé à maintenir une semblable prescription qui
soulevait des critiques justifiées. En effet, le feu d;infarite-
rie, si puissant qu'on le fasse, est toujours sans action
contre des obstacles matériels et, en raison de la tension
considérable de leurs trajectoires, les balles ne peuvent
atteindre les défenseurs derrière les parapets. Dans ces
conditions, les tireries, selon l'énergique expression du
27O Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
maréchal Bugeaud, conduisent à une consommation exa-
gérée des munitions, immobilisent l'assaillant, dont la force
morale réside dans le mouvement en avant, et rendent plus
difficile le maintien des soldats dans la main de leurs chefs.
La marche d'approche de l'assaillant doit se faire en uti-
lisant tous les couverts du terrain qui permettent de la dé-
rober aux vues et aux feux du défenseur; c'est dans le choix
des itinéraires à suivre que les chefs des diverses unités
feront, sentir leur action. On procède par bonds successifs
de position en position, en traversant aussi rapidement que
possible les espaces découverts; chaque prise de possession
d'une position nouvelle marque un temps d'arrêt dont on
profitera souvent pour procéder à une rapide organisation,
de manière à parer aux. retours offensifs du défenseur.
L'outil portatif du fantassin trouvera là un judicieux emploi.
L'assaillant pousse ainsi ses têtes de colonne jusqu'au
point où le défenseur a établi les défenses accessoires.
Pour continuer la marche en avant, il est nécessaire de
détruire ces dernières en faisant appel au concours des
détachements de travailleurs d'infanterie et de soldats du
génie. La reconnaissance de la position ayant renseigné sur
la nature des obstacles qu'on rencontrera, on a muni les
travailleurs des outils (haches, pinces, scies, etc.) et des
engins de destruction (poudre, dynamite, mélinite, etc.)
qui leur sont nécessaires. Pour permettre aux sapeurs d'in-
fanterie et du génie d'accomplir leur tâche aussi périlleuse
qu'importante, les tirailleurs et l'artillerie doivent donner
au feu le maximum d'intensité, afin d'obliger le défenseur
à rester sous ses abris. Des passages aussi nombreux que
possible sont pratiqués dans les défenses accessoires; on
relève les fils de fer coupés, on fait sauter les abatis, on
comble les trous de loup de manière à faciliter la marche
de la colonne d'assaut.
Les événements de la guerre russo-japonaise ont fait res-
sortir quelles difficultés pouvaient éprouver de vaillantes
troupes chargées d'enlever des positions fortifiées bien dé-
ATTAQUE ET DEFENSE DES POSITIONS FORTIFIEES 271
fendues. Ils ont montré aussi que, malgré toute la puissance
du feu, des gens résolus au sacrifice volontaire de leur vie
sont capables de venir à bout de tous les obstacles. On ne
saurait trop admirer l'héroïsme dont ont fait preuve cer-
taines troupes japonaises dans ces circonstances.
La colonne d'assaut s'est avancée sous la protection des
troupes d'approche, en diminuant progressivement la dis-
lance qui l'en sépare ; elle n'a pas encore fait usage de son
feu, ses pertes sont minimes en comparaison de celles'
qu'ont subies les unités qui la précèdent ; elle est bien dans
la main de ses chefs; elle réunit toutes les conditions re-
quises pour produire un effort décisif. Elle doit être amenée,
en profitant des couverts du terrain, devant le point où son
action doit se faire sentir, de manière à n'avoir plus qu'à
marcher droit devant elle et à produire un choc irrésistible.
Sa formation est aussi dense que possible, pour faciliter
l'action personnelle des chefs de tout grade qui, en ce mo-
ment critique de la lutte, doit atteindre son dernier degré
d'énergie. Le passage de la zone des défenses accessoires
dans les trouées que les sapeurs y ont créées aura lieu avec
la vitesse maxima et on s'élancera dans le fossé de l'ouvrage.
Maître de ce point, qui lui fournit un palier de repos et
de rassemblement, l'assaillant se répand rapidement autour
de l'ouvrage pour donner l'assaut de tous les côtés à la fois,
et, à un signal donné, gravit le parapet.
Alors s'engage avec le défenseur une lutte presque corps
à corps, dans laquelle la supériorité morale est à l'assaillanU
animé par un premier succès, et qui doit, selon toute ATai-
semblance, se terminer par la prise de la position.
Si cette première attaque est refoulée cependant, l'assail-
lant se retire sur le glacis, couvre l'ouvrage d'un feu aussi
violent que possible et donne à la réser\re de la colonne
d'assaut le temps d'anrver. Cette réserve, de force égale à
la colonne même, marchant à quelque distance en arrière
d'elle, ne tarde pas à lui apporter le renfort nécessaire pour
tenter un nouvel assaut.
272 I •
PARTIE FORTIFICATION PASSAGERE
Si l'ouvrage est pris, l'assaillant s'établit à la gorge, se
couvre du mieux qu'il peut en utilisant tous les obstacles,
et:creuse au besoin la terre pour se garantir. 11 ne doit pas
hésiter un instant à entreprendre immédiatement dans ce
but quelques traAraux de terrassement, lorsque cette gorge
est sous le feu d'ouvrages établis en arrière. Maints exem-
ples tirés de la défense des retranchements turcs de Plewna
sont, à ce sujet, extrêmement significatifs. Le rapport du
•général Skobelev mentionne, en effet, que plusieurs fois les
Russes ont été chassés de positions fortifiées, qu'ils Amenaient
d'enlever au prix des plus grands sacrifices, par le feu
meurtrier de leurs adArersaires établis derrière une seconde
série de retranchements. Il montre les soldats russes cher-
chant à se couA'rir en pareil cas par tous les moyens pos-
sibles, et entreprenant de fouiller le sol, même aArec des
couvercles de gamelle, pour se procurer un abri.
L'assaillant deATa donc, en pareille circonstance, faire
usage de ses outils portatifs ; quelque peu disposé qu'il y
puisse être au premier moment, après une opération san-
glante comme l'assaut qu'il Arient de donner, il ne tardera
pas à comprendre la nécessité des quelques bouts de tran-
chée qu'il peut obtenir rapidement de la sorte. Il faudra, en
même temps, détruire ou retourner contre lui le matériel
abandonné par l'ennemi, éventer et couper les mines et
torpilles préparées par le défenseur. A cet effet, un déta-
chement de canonniers convenablement outillés suivra la
réserve de la colonne d'assaut, et joindra ses efforts à.ceux
des traA'ailleurs du génie.

"Une action telle que celle qui Arient d'être décrite sera
dirigée sur chacun des saillants attaqués, par une colonne
dont l'effectif total, double ou triple de celui des troupes de
la défense, sera subdiArisé, comme on l'a dit ci-dessus, en :
i° Une troupe de préparation qui exécute la marche d'ap-
proche et qui, par suite, arrive devant la position, trop
éprouvée pour réussir à elle seule l'attaque décisive ;
ATTAQUE ET DÉFENSE DES POSITIONS FORTIFIÉES 278
20 Un groupe de travailleurs chargé de la démolition des
obstacles ;
3° Une colonne d'assaut ou troupe de choc qui s'avance
sous la protection du rideau formé par la première ligne et
à qui incombe la mission décisiAre d'enleArer PouA'rage ;
4° Une réserve de la colonne d'assaut, d'un effectif égal
au.sien, qui poursuit l'ennemi après le succès ou, en cas
d'échec, Adent donner un nouArel effort sur la position et per-
met à la première ligne de se reformer pendant ce temps.
Toutes les troupes chargées de l'attaque d'une position
doiArent, une fois amenées devant leur objectif, n'aAroir plus
qu'une préoccupation : atteindre celui-ci le plus tôt pos-
sible sans se laisser arrêter par la crainte des contre-
attaques.
Le soin de repousser ces dernières, de diriger sur les
flancs ou la gorge des ouvrages des démonstrations ou
même des attaques réelles, en un mol de manoeuATer, doit
incomber à une force spéciale.
Dans quelle mesure sera-t-il possible de constituer tous
les échelons dont on vient de tracer le rôle, c'est ce que
tout chef chargé de l'opération aura à décider d'après les
ressources dont il dispose. Mais il est essentiel de bien
séparer : d'une part, la troupe de préparation de celle
d'assaut et, d'autre part, l'ensemble de celles-ci de la
troupe de manoeuvre. Rien ne s'opposerait, semble-t-il, à
ce que cette dernière lut en même temps réserve de la
colonne d'assaut.

Si la position possède un réduit, les troupes de l'attaque


doivent de suite s'établir fortement sur les premières lignes
après s'en être emparées. Lorsque le réduit est de quelque
importance, on le fait d'abord battre par l'artillerie, qui dé-
molit les constructions dans lesquelles il est établi, et y met
le l'eu si la chose est possible. Des tirailleurs munis de
charges d'explosifs A'iennent s'appliquer contre les mu-
railles; on les fait soutenir par une tête de colonne qui
MANUKI. DE FORTIFICATION 18
274 Ire PARTIE — FORTIFICATION PASSAGÈRE
cherche à emboucher les créneaux et à enfumer les défen-
seurs, et lorsqu'on a réussi à y faire une brèche praticable,
on lui donne résolument l'assaut.

Attaque des ouvrages très fortement retran-


chés. •— Les dispositifs d'attaque qui viennent d'être indi-
qués s'appliquent aux ouArrages ordinaires du champ de
bataille, dont le profil, et l'armement sont relatiA'ement
faibles.
Ils seraient insuffisants deArant des retranchements plus
considérables, soutenus par une artillerie puissante et for-
tement reliés entre eux.
Contre de semblables ouvrages, il est nécessaire de faire
appel à d'autres moyens, qui se rapprochent, de ceux qu'on
emploie dans la guerre de siège.
Les exemples historiques montrent d'ailleurs que, dans
de pareilles circonstances, l'assaillant a dû, pour arriver au
succès, modifier ses procédés dans le sens qu'on Arient d'in-
diquer.
En 1864, devant les lignes de Dùppel, qui se composaient
d'une série d'ouvrages à fort profil, reliés entre eux par des
lignes de retranchements, les Prussiens n'hésitèrent pas à
employer la tranchée dans une certaine mesure, pour se
donner un couvert contre le défenseur.
En 1877, à Plewna, les Russes et les Roumains durent
également demander aux mouA'ements de terre une protec-
tion contre les feux des redoutes turques qu'ils attaquaient,
pendant fout le temps nécessaire à leur artillerie pour affai-
blir celle des défenseurs.
Il en sera de même, sans doute, encore dans l'avenir et la
prise de possession du terrain par l'assaillant sera marquée
certainement par des travaux de fortification, destinés à lui
procurer des couverts successifs et à le garantir contre les
conséquences d'un retour offensif de son adversaire. Les
outils portatifs seront appelés alors à jouer un rôle de plus
en plus important.
ATTAQUE ET DÉFENSE DES POSITIONS FORTIFIÉES 275
Mais on est en droit de redouter l'insuffisance de ces
moyens, et, en considérant la puissance que donnent à l'ar-
tillerie de nos jours les noweaux explosifs, il est permis
d'affirmer que, dans les conditions qu'on examine, l'em-
ploi des parcs légers de siège, dont il a été question plus
haut, deviendra indispensable. C'est à ces pièces que l'as-
saillant demandera l'appui nécessaire à la marche de son
infanterie et la destruction des obstacles qui lui seront
opposés.

Défense des positions fortifiées

L'étude qui Arient d'être faite des dispositions à prendre


pour l'attaque permet de tracer aisément le rôle du défen-
seur. Il importe tout d'abord de se rendre compte bien
exactement de sa situation. Au point de vue matériel, il est
mieux abrité que son adA'ersaire; il connaît son terrain,
possède en abondance des munitions qu'il renouvelle aisé-
ment, et peut faire un usage très redoutable de ses armes
portatives. C'est là son grand avantage. Par contre, son
artillerie ne peut s'étendre sur un aussi grand espace ; ses
feux sont diA'ergents, à l'encontre de ceux de son adversaire
qui convergent sur lui; enfin il est moins nombreux. Au
point de vue moral, il est inférieur à l'assaillant dont chaque
pas en avant surexcite l'ardeur, et dont il subit l'initiative
sans pouvoir lui imposer la sienne. 11 ne peut trouver quel-
que compensation que dans la sécurité que lui inspire l'ou-
vrage qui le protège; on ne doit donc rien négliger pour
développer ce sentiment.
Pour bien définir le rôle du défenseur, il suffira, du reste,
de reprendre une à une les diverses périodes de l'attaque,
et d'indiquer ce qu'il doit faire dans ces différentes circons-
tances.
Tout d'abord, en ce qui concerne les reconnaissances : il
doit s'efforcer d'empêcher l'ennemi de s'approcher, en dis-
276 Irc PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
posant en avant de ses ouvrages des avant-postes suffisants
pour repousser les démonstrations; il dissimulera autant
que possible les traA'aux qu'il a exécutés par des rideaux
d'arbres, des feuillages abattus sur les plongées, des levées
de terre couvrant les défenses accessoires. Au contraire,
dans les parties non occupées, il trompera son ennemi en
lui laissant aperceA'oir des travaux capables de lui donner
le change sur la force de la position.
A l'exception des avant-postes ou des détachements qui,
poussés en aArant, préA'iennent des mouvements de l'ennemi,
arrêtent ses reconnaissances et l'obligent à se déployer, « le
reste des troupes est maintenu momentanément en arrière,
les unes pour défendre les points d'appui, les autres pour
constituer les renforts et les troupes de manoeuvre qui agis-
sent offensivement au moment opportun.
« La défensive passiA^e, en effet, est vouée à une défaite
certaine, elle est à rejeter absolument, seule une défensive
agressive donne des résultats.
« Tant que le combat n'est pas imminent, les troupes
maintenues en arrière restent en position d'attente, à l'abri
des vues de l'ennemi. Les chefs des unités spécialement
désignées pour tenir la lisière des points d'appui étudient
la partie du terrain qu'ils auront à défendre; ils font repérer
les distances de tir et tout spécialement celles des points de
passage probables de l'ennemi (f). »
« L'artillerie aura tiré parti du temps disponible pour
préparer le tir, organiser sans les occuper les emplacements
probables, leurs Afoies d'accès, leurs débouchés (-). » Les
batteries restent en position d'attente, c'est-à-dire attelées,
prêtes à se porter aux emplacements préparés. La prépara-
tion du tir doit être assez complète pour permettre une
ouverture du feu rapide et efficace. Grâce au temps dont
elle dispose, l'artillerie peut réaliser ces conditions, même

(') Règlement sur les manoeuvres de l'infanterie (3 décembre igo4).


() Service de l'artillerie en campagne.
ATTAQUE ET DEFENSE DES POSITIONS FORTIFIEES 277
en utilisant des positions défilées qui lui permettront de
tenir tête à une artillerie plus nombreuse.
Dès que la direction dans laquelle se présente l'assail-
lant est connue, un certain nombre de batteries occupent
les emplacements préparés battant cette direction et se
mettent en surveillance; elles complètent la préparation de
leur tir.
A la reconnaissance succède l'artillerie ennemie. Les em-
placements les plus convenables pour' son établissement
sont généralement connus à l'aArance par le défenseur,; lors
donc qu'elle se présente pour lesoccuper, toutes les batte-
ries établies sur la position pour concourir directement à
sa défense peuvent ouArrir le feu contre elle. Elles ont le
double avantage d'être toutes prêtes et généralement bien
couvertes et bien installées; elles devront en user pour
retarder le plus longtemps possible la mise en batterie de
l'artillerie adverse.
Elles ne pourront pas évidemment parvenir à l'empêcher,
et la lutte entre les deux artilleries commencera bientôt;
cette lutte fournit d'ailleurs au défenseur le moyen d'obtenir
un avantage sur son adversaire. A cet effet, il doit mettre
en ligne toutes ses batteries et s'efforcer de réduire au
silence celles de l'assaillant; il a d'ailleurs sur ce dernier le
sérieux aArantage de connaître mieux le terrain qui les.
sépare l'un de l'autre et de disposer immédiatement de la
totalité de ses ressources.
Si la lutte tourne à son désavantage, le défenseur retire
ses batteries les plus exposées, ne laissant en position que
celles auxquelles leur situation favorable donne le moyen
de tenir tête à l'adversaire. Par là, le défenseur constitue
une réserve d'artillerie qui lui sera du secours le plus pré-
cieux lors de la défense rapprochée de la position. « Dès
que les troupes assaillantes prononcent leur mouvement,
les unités chargées de la défense garnissent leurs emplace-
ments de combat. Elles agissent d'abord par le feu. » Selon
le cas, elles l'oirvrent à grande distance ou cherchent à pro-
278 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
duire des effets de surprise ; elles tirent toujours par rafales,
lancées au moment où l'assaillant se présente en formations
plus ou moins denses sur des terrains décomrerts (Règle-
ment de manoeuvres, art. 26g). Le feu de tireurs bien abri-
tés, connaissant le terrain, sera alors d'une grande effi-
cacité et, pour lui donner toute sa puissance, il faudra
approAnsionner les hommes de toutes les munitions néces-
saires.
Cette dernière condition est d'ailleurs facile à réaliser,
puisque des dépôts de cartouches peuvent être installés
dans l'ouvrage même et presque dans le talus intérieur du
retranchement, ainsi qu'on l'a Aru au chapitre XV page 228.
Rien ne deATa être négligé sous ce rapport, car on peut
ainsi donner au défenseur un réel avantage sur son adver-
saire.
Mais le moyen le plus efficace cpie possède le défenseur
réside dans l'emploi des contre-attaques. C'est par elles
que la défense est agressive, ainsi que l'ordonne le règle-
ment. A cet effet, des troupes de manoeuvre maintenues
jusqu'alors à l'abri se dirigent sur les flancs de la colonne
d'attaque et essaient de la culbuter et d'y jeter le désordre.
Elles sont appuyées par le tir des batteries établies sur la
position, ainsi que des mitrailleuses. Ces contre-attaques,
bien dirigées et souvent renouvelées, jettent la perturbation
dans les troupes de l'assaillant, arrêtent leur mouvement en
aA'ant, et, si elles sont exécutées convenablement et avec
des effectifs suffisants, peuvent, parfois, arriver à les re-
pousser complètement.
Si, malgré ces efforts, les assaillants parviennent à s'ap-
procher de l'ouA'rage, pendant qu'ils s'arrêtent pour per-
mettre aux travailleurs de ruiner les défenses accessoires,
et que les colonnes d'assaut s'avancent, les défenseurs
doivent faire un feu aussi nourri que possible, de manière à
couvrir les abords de leur position d'une grêle de projec-
tiles qui causera de grandes pertes à l'ennemi.
Si celui-ci parvient à tenter l'assaut, les défenseurs, sans
ATTAQUE ET DÉFENSE DES POSITIONS FORTIFIEES 279
chercher alors à se couATir, montent sur les plongées, fusil-
lent les assaillants, et les attaquent à l'arme blanche s'ils
ont pénétré dans l'ouvrage.
En ce moment, une contre-attaque bien dirigée peut faire
échouer l'entreprise de l'adversaire ; le défenseur aura donc
dû préparer les moyens de l'exécuter.
Si l'ennemi parvient jusque dans l'ouvrage, il faut lui
disputer chaque pouce de terrain, s'abriter derrière les tra-
Arerses ou les parados, et continuer la lutte à outrance pour
donner aux troupes voisines le temps de venir tenter un
retour offensif.
« Partout doit régner la même activité, le même souci
de manoeuvrer, la même attention à surprendre toutes les
fautes et toutes les défaillances de l'ennemi. Les troupes
qui exécutent ces attaques s'engagent toujours à fond,
sans arrière-pensée, en se conformant aux principes posés
pour le combat offensif. » (Règlement de manoeuvres,
art. 270.)
La résistance devient-elle impossible, on deATa, en quit-
tant l'ouvrage, détruire tout le matériel qu'on y abandonne
et faire partir toutes les mines et torpilles préparées, dont
l'explosion au milieu des assaillants produira les plus grands
effets. Il suffit de citer à cette occasion l'exemple donné
par les Russes à Sébastopol et les pertes sérieuses infligées
à nos troupes dans Malakoff même par l'éclatement de dis-
positifs de cette espèce.
Les ouvrages établis en arrière de celui que l'ennemi
vient de conquérir doivent, aussitôt que les défenseurs l'ont
abandonné, le couvrir des feux de leur artillerie et de leur
mousqueterie, de manière à en rendre l'occupation très dan-
gereuse pour l'assaillant, et à empêcher celui-ci de s'y éta-
blir. Pendant ce temps, les défenseurs se reforment et dès
qu'ils sont réunis en nombre suffisant, ils tentent des retours
offensifs. Les exemples abondent dans l'histoire militaire
d'ouvrages ainsi perdus et repris plusieurs fois de suite, et.
si le succès couronne définitiA'ement les efforts de l'assail-
280 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
lant, le défenseur a du moins la consolation d'avoir fait
payer chèrement sa défaite.
Quant aux défenseurs du réduit, leur tâche est particu-
lièrement importante ; ils doivent résister jusqu'à la dernière
extrémité, de manière à protéger la retraite des troupes
chassées des ouvrages placés en avant, et à arrêter la pour-
suite de l'ennemi.

Lorsque la position às défendre est formée d'une ligne de


retranchements, l'assaillant aura prononcé son attaque sur
un ou plusieurs saillants. En admettant qu'il soit parvenu à
les enlever, leur perte ne deATa pas entraîner l'abandon de la
ligne entière. Le défenseur devra prolonger la lutte, en uti-
lisant les accidents du sol et les portions de lignes dont la
direction est perpendiculaire à la ligne générale pour diriger
une nouvelle tentative contre l'assaillant et l'empêcher de
se répandre sur l'ensemble de la position.

Effectif de la défense.—L'effectif des troupes de la


défense peut être évalué à deux hommes par mètre courant
de crête occupée ; on obtient de la sorte une densité de
feux très considérable, tout en conservant une petite ré-
serve pour chaque ouvrage. Dans la défense d'une ligne
composée de plusieurs retranchements, il faudra disposer
en outre d'une réserve générale destinée à opérerles contre-
attaques. L'effectif de cette réserve devra être en principe
égal à celui des défenseurs postés dans les ouvrages mêmes.
11 est d'ailleurs certaines parties d'une ligne qui peuvent

être occupées bien moins fortement que d'autres; ce sont


celles par où l'ennemi a peu de chances de pénétrer, en
raison de leur situation ou des obstacles puissants dont on
les a couvertes. Sur ces parties, un homme par mètre cou-
rant sera suffisant.
Dans les lignes continues par exemple, on se contentera
d'occuper fortement tous les saillants et les courtines adja-
ATTAQUE ET DEFENSE DES POSITIONS FORTIFIEES 201
centes aux saillants d'attaque; les autres seront simplement
surveillés.
Si la position comporte deux lignes successives, chacune
d'elles pourra recevoir une garnison spéciale, quoiqu'il soit
raisonnable d'admettre que la garnison de la deuxième
ligne doive se composer en partie des troupes battues sur
la première.
En résumé, une moyenne de quatre à cinq hommes par
mètre courant pour l'ensemble d'une position défensive
comprenant deux lignes, sera suffisante pour constituer la
garnison des ouA'rages et les réserves nécessaires.
CHAPITRE XIX

FORTIFICATION SEMI-PERMANENTE

Après avoir exposé clans les chapitres qui précèdent ce


qui a trait aux ouvrages de fortification passagère, il convient
de dire quelques mots de ceux qu'on peut établir lorsqu'on
dispose d'un temps assez considérable et qu'on veut être en
mesure de résister à des engins plus puissants que le canon
de campagne.
Les ouvrages de cette nature constituent ce qu'on nomme
la fortification semi-permanente ou provisoire et trompent,
leur emploi dans l'organisation des places qu'une armée
peut être amenée à édifier au cours d'opérations de longue
durée en vue d'une utilisation déterminée, ce sont les
places du moment. Ils peuvent aussi rendre des services
pour compléter la défense des grandes places de seconde
ligne.
Avant i885 et l'apparition des obus-torpilles à grande
puissance, il était possible de résister aux effets des pro-
jectiles de siège, au moins pendant un certain temps, aArec
des parapets de 5 à 6 mètres d'épaisseur et avec des abris
dont le blindage était constitué par des couches successives
de poutres ou de rails recouvertes de 2 à 3 mètres de terre.
C'est ainsi qu'en 1866 les Autrichiens à Vérone et à Dresde
édifièrent des ouvrages très sérieux et qu'en 1870, àEelfort,
le colonel Denfert-Rochereau fit construire les forts des
Hautes et Basses-Perches,devant lesquels les Prussiens subi-
rent un échec.
A titre de renseignement sur l'organisation d'ouvrages
283.ï»s Planche D

Fig. 145. — Forts de Dresde (1866). Échelle du (—)• !

Coupe DEF (sèô)

EJ.<:t/nt/it/-drJ-. rwiicy. LITU-UIERGER -!.t?.'R,v.i!i '• c"


FORTIFICATION SEMI-PERMANENTE 283
de cette nature, on trompe ci-après, figure i45, le plan et
les profils d'un des forts de Dresde en 1866.
Leur forme générale est celle d'une lunette de 90 à
100 mètres de faces et de 60 à 70 mètres de flancs ; la gorge
est fermée par un parapet en ligne droite (voir la fig. i45,
page 282 bis.)
Le relief des faces et des flancs est de 4m4°> l'épaisseur
du parapet, est de 6 mètres ; la profondeur des fossés 3m20
et leur largeur 10 mètres emiron; la gorge n'a que 2m5o
de relief. Au pied du talus extérieur règne une palissade
défensive laissant derrière elle un chemin de ronde qui
permet de surveiller le fossé. Le flanquement de celui-ci est
assuré par un coffre flanquant double, établi au saillant, et
par deux coffres simples ou ailerons placés aux angles
d'épaule (voir la coupe DEF), de manière à être garantis
par les terres de la contrescarpe. Ces coffres, dont la face
tournée du côté de l'ennemi est enterrée sur la plus grande
partie de sa hauteur, ont leurs parois en bois avec créneaux
horizontaux ; le blindage est formé d'une couche de poutres
recouvertes de béton.
Sur les faces et les flancs sont placées des traArerses,
dépassant la crête de 2 mètres et recouvrant dés abris
blindés organisés comme les blockhaus, quant à la toiture.
Des rampes nombreuses permettent d'amener les pièces
d'artillerie entre chaque traverse et facilitent aux hommes
l'entrée dans les abris et l'accès sur les banquettes.
Un réduit AB se trouve deA'ant la gorge de l'ouvrage ;
c'est un blockhaus enterré dont les créneaux sont au ras du
sol ; il bat l'entrée de l'ouvrage et l'intérieur de la cour. Le
petit bâtiment M placé de l'autre côté du passage est une
baraque servant de corps de garde. Les communications
sont faciles : on entré dans l'ouvrage en traversant le pont
en bois XY, dont une partie est fixe, tandis que l'autre peut
être retirée au besoin ; pour se rendre dans le chemin de
ronde, derrière les palissades, on trouve une poterne en
galerie de mines placée dans l'axe d'une traverse et dont la
284 Ire PARTIE FORTIFICATION PASSAGÈRE
figure i45 montre les coupes DEF ; c'est en passant par ce
chemin de ronde qu'on se rend dans les coffres flanquants
placés aux saillants.
Il serait téméraire aujourd'hui d'espérer résister aux nou-
veaux projectiles de l'artillerie àArec dés ouvrages sembla-
bles à celui-là ; les blindages qu'il renferme seraient désem-
parés par un seul coup d'une pièce de gros calibre et le
travail considérable qu'exige leur construction se trouverait
perdu entièrement. D'autre part, il n'est point nécessaire
d'avoir des abris aussi résistants pour protéger les hommes
et le matériel contre les balles de l'infanterie ou celles des
shrapnels, ainsi que contre les éclats de ces derniers. Enfin,
ainsi qu'on l'exposera plus loin à propos de l'organisation
des grandes places, on sépare aujourd'hui des ouvrages
destinés à assurer sa protection, le canon qui doit entrer
en lutte avec celui de l'assiégeant.
Pour ces divers motifs, un fort analogue à celui que
représente la figure i45 ne répond plus aux besoins mo-
dernes.
Il semble, d'après les études qui ont été faites par divers
auteurs étrangers, que dans la fortification semi-permanente
il y ait lieu dorénavant d'établir deux sortes d'ouvrages :
des batteries et des points d'appui pour l'infanterie soutenue
par quelques pièces légères bien abritées.
Ces points d'appui comprendraient des parapets peu
éleArés, afin d'être moins Arisibles de loin, suffisamment épais
pour résister au canon (6 à 8 mètres par exemple), un
obstacle constitué par des réseaux de fil de fer profonds,
masqués, si faire se peut, par un glacis. Dans ces ouvrages
on multiplierait les petits abris à l'épreuve des balles et
éclats de projectiles, afin de protéger les hommes et les
munitions et de restreindre l'étendue des pertes résultant
de la chute d'un gros projectile sur l'un d'eux. Peut-être
pourrait-on y installer un ou deux abris réellement à
l'épreuA'e du canon et dont le blindage serait formé par
des pièces métalliques (rails ou poutres) recouvertes par
FORTIFICATION SEMI-PERMANENTE 285
une couche de béton. Afin d'augmenter la résistance de ces
abris, on en diminuerait la portée qui n'excéderait pas 4'ou.
5 mètres.
* L'artillerie légère installée dans ces ouvrages pourrait
aArantageusement trouver place sous des coupoles transpor-
tables, analogues à celles dont il sera question ci-après,,
chapitre XXXV. Là ne se bornerait pas d'ailleurs l'emploi
des cuirassements d'après les idées ayant cours à l'étranger,
où on recommande instamment les mantelets métalliques
pour protéger les tireurs ou les servants des pièces. Tou-
tefois, un matériel de cette nature ne s'improvisarit pas
au moment du besoin, il coirviendrait d'en doter au préa-
lable les équipages de siège et les magasins des places
fortes. '
Quant aux batteries, les unes, destinées aux pièces à tir
indirect, seront protégées par leur emplacement même en.
arrière de la ligne dès points d'appui et seront dérobées
aux vues de l'assiégeant ; elles pourront ne receA'oir qu'une
faible protection ; les autres, destinées aux pièces à tir tendu
et occupant les crêtes, seront, comme les points d'appui,
protégées par des réseaux, de fil de fer et fermées à la gorge
par un retranchement. Les unes et les autres devront être
dotées d'abris à munitions nombreux et de niches pour pro-
téger les servants dans les intervalles du tir.
Il est difficile d'entrer dans des détails plus circonstanciés
au sujet des ouvrages de la fortification provisoire, attendu
qu'il n'en a pas été construit depuis i885 et que les idées
sur celte question sont encore assez vagues. D'ailleurs, lors-
qu'on devra construire des ouvrages de ce genre, il est une
condition qui primera toutes les autres : celle du temps
qu'on pourra y consacrer et des ressources dont on dispo-
sera, car de là dépendra le genre de solution que pourra
recevoir ce problème, l'un des plus complexes qui se posent
aujourd'hui aux ingénieurs militaires.
La guerre russo-japonaise n'a pas apporté, jusqu'à présent
du moins, d'éléments nouveaux à cette partie de la fortifi-
286 I1C PARTIE -— FORTIFICATION PASSAGÈRE

cation. Les Russes ont disposé à Port-Arthur d'un temps


suffisant pour édifier de forts ouATages, mais ils ne parais-
sent avoir utilisé que de faibles profils, dont il a été donné
des exemples plus haut (voir chap. XV). Cette circons-
tance tient peut-être à la nature rocheuse du sol, recomrert
seulement d'une légère couche de terre, qui interdisait, par
suite, tout travail de quelque importance. Quoi qu'il en soit
on ne peut, pour le moment, donner aucune solution ré-
cente du problème de la fortification semi-permanenteayant
reçu la sanction de l'expérience.
DEUXIÈME PARTIE

FORTIFICATION PERMANENTE

CHAPITRE XX

PRÉLIMINAIRES

D'après la définition qui en a été donnée dans le chapitre I


(page 4); la fortification permanente est l'ensemble des tra-
Araux exécutés en temps de paix aA'ec toutes les ressources
de l'industrie, sur des points dont l'importance militaire
est constante, parce qu'elle résulte de leur situation géo-
graphique. '
Les ouvrages de cette espèce diffèrent de ceux qui ont
été étudiés dans la première partie, par la nature des efforts
auxquels ils sont appelés à résister et par les moyens mis en
oeuATe pour leur construction.
Depuis l'époque où le canon a fait son apparition, jusqu'à
la découverte de l'artillerie rayée, la puissance des projec-
tiles de siège n'a subi que peu de modifications importantes
et durant toute cette période, la fortification, ayant à lutter
toujours contre le même adversaire, se perfectionnait lente-
ment et avait acquis, Arers i84o à i85o, une très grande
efficacité.
Vers 1860, l'artillerie rayée obligea les ingénieurs à se
préoccuper d'augmenter la résistance de leurs ouATages et
à apporter des améliorations aux anciennes méthodes encore
200 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

en usage. La période de 1860 à 1870 fut employée aux


éludes de ce genre dans les différents pays, et on était
arrivé à une solution théorique satisfaisante lorsque sur-
AÏnrenl les événements de la guerre de 1870.
Nos anciennes forteresses, à peine en A^oie de transfor-
mation, étaient insuffisantes et, aussitôt après la conclusion
de la paix, on se mit à l'oeuvre avec activité pour rétablir
sur notre frontière les ouvrages nécessaires à la défense du
Pays-
L'artillerie rayée aA?ait d'ailleurs acquis une puissance
nouvelle par l'emploi de l'acier dans la construction de son
matériel ; mais il semblait que, pour un instant, son progrès
dût demeurer stationnaire. C'est sous l'empire de ces idées
que furent construits, sous l'habile direction des généraux
Séré de Rivières et Cosseron de Villenoisy, l'immense quan-
tité d'ouvrages qui existent actuellement encore sur notre
frontière et qui, à l'époque de leur construction, satisfai-
saient pleinement aux conditions qu'ils avaient à remplir.
Les principes d'après lesquels ces ouvrages ont été édi-
fiés constituent un corps de doctrine en matière de fortifi-
cation, et leur étude est, actuellement encore, la meilleure
manière de se rendre un compte exact des relations qui
doivent exister entre la fortification et les engins auxquels
elle est appelée à résister. Depuis leur construction cepen-
dant, en i885, l'artillerie a fait, un nouveau et considérable
progrès en utilisant dans le chargement des projectiles des
explosifs d'une puissance bien supérieure à celle de la
poudre.
On a exécuté dans divers pays, et notamment en France,
des expériences destinées à guider les ingénieurs dans les
transformations à imposer à la fortification pour la mettre
à même de résister à son nouvel adversaire. La diversité des
solutions adoptées montre qu'on est encore actuellement
dans une période d'études où les principes à suiATe ne sont
pas nettement fixés. Peut-être, lorsqu'on connaîtra entière-
ment les enseignements à tirer du siège de Port-Arthur,
PRÉLIMINAIRES 289
sera-t-on mieux orienté, mais ce résultat n'est encore obtenu
que très imparfaitement.
Aussi a-t-on cru devoir, dans ce Manuel, conserver une
place importante à l'étude des fortifications de l'époque qui
se termine en i885, bien qu'elles aient perdu de leur valeur.
Des chapitres sont ensuite consacrés à l'examen des condi-
tions actuellement imposées à la fortification et des solu-
tions proposées en vue d'y satisfaire.

Caractère des ouvrages permanents


Les ouATages de la fortification permanente sont principa-
lement caractérisés par les grandes dimensions de leurs
profils, qu'il est indispensable d'organiser de manière qu'ils
puissent résister convenablement au tir des puissantes bou-
ches à feu de l'artillerie de siège.
Ces ouvrages comprennent essentiellement : i° un obs-
tacle constitué par le fossé ; 20 un parapet, servant de cou-
vert défensif ; 3° un terre-plein, c'est-à-dire une étendue de
terrain sur laquelle le défenseur peut circuler à l'abri. Mais
ces trois éléments constitutifs de toute fortification sont,
dans les ouvrages permanents, beaucoup plus étendus et
plus complets qu'ils ne peuvent l'être dans les ouvrages de
campagne.

Installation de l'artillerie dans les ouvrages.


Importance des abris. — La fortification permanente
présente une différence essentielle avec la passagère. Cette
dernière, en effet, ainsi qu'on l'a fait ressortir dans le cha-
pitre XVIII, ne doit pas recevoir d'artillerie ou, exception-
nellement, ne doit en contenir que la quantité strictement
nécessaire à sa défense propre. Les ouATages permanents,
jusqu'en i885, au contraire, n'étaient guère en réalité que
des porte-canons. Ils permettaient d'installer à l'avance,
dans des conditions de nature à en faciliter le service, les
MANUEL DE FOll'J'U'ICATIOK 19
29O 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
bouches à feu les plus puissantes que possède l'artillerie,
de manière à résister aA'antageusement aux lourdes pièces
de siège, au moins dans la première partie de la lutte.
Pour parer aux inconArénienls inhérents à la présence de
_
l'artillerie dans les ouATages, incoirvénients qui ontétéénu-
mérés au chapitre XVIII, et qui sont d'autant plus considé-
rables que les armes employées par l'adversaire sont plus
puissantes, il fallait que les remparts fussent convenable-
ment disposés et, en particulier, munis d'abris assez nom-
breux et assez solides pour soustraire les hommes et le
matériel, dans la mesure du possible, aux effets meurtriers
du tir de l'artillerie de siège. La guerre de 1870 avait parti-
culièrement fait ressortir l'insuffisance de nos ouvrages,
sous le rapport des abris, et, dès ce moment, on s'était
efforcé de les munir abondamment de cette partie essen-
tielle de leur organisation.
Depuis lors, l'adoption, vers i883, des obus à mitraille
aA'ec fusée fusante précise a rendu plus précaire qu'aupa-
ravant le service des pièces à découA'ert sur les remparts ;
elle a rendu, par suite, les abris plus nécessaires. Peu après,
l'emploi des obus-torpilles a eu pour effet de rendre infini-
ment plus difficile l'établissement de ces derniers. On a été
amené ainsi à enlever la majeure partie de l'artillerie des
ouvrages permanents. On se borne à y installer un petit
nombre de pièces extrêmement puissantes qu'on entoure
de toutes les dispositions permettant d'en assurer le sendee
et la conservation.
C'est à ces quelques pièces qu'incombe la mission d'agir
dès le début sur l'adversaire et de relarder son établisse-
ment ; mais elles sont insuffisantes pour soutenir à elles
seules la lutte contre toute l'artillerie assiégeante. Le défen-
seur, qui ne peut assurer une pareille protection à tous ses
canons, est obligé alors de se placer dans la même situation
que son adversaire et doit rendre son artillerie mobile pour
lui permettre de soutenir Ta lutte. C'est ainsi que le nou-
veau progrès des projectiles tend à rapprocher les uns des
PRÉLIMINAIRES 2g I
autres les ouvrages permanents et ceux de campagne en les
réduisant au rôle de points d'appui.des positions que l'ar-
tillerie occupe dans leur A'oisinage.

Emploi de la maçonnerie et du fer. — Si la com-


munauté des dangers auxquels elles sont exposées rap-
proche les deux espèces de fortifications, en reAranche, la
nature des matériaux qu'elles mettent en oeuvré crée entre
elles une essentielle différence.
Tandis que la terre et parfois le bois constituaient à eux
seuls les ouATages de campagne, il faut à la fortification
permanente des matériaux plus résistants. Jusqu'en 1885,
la terre et la maçonnerie suffisaient à cette tâche, de la
manière suivante :
Un obus de l'artillerie rayée, quel que soit son calibre,
ne pénètre jamais dans la maçonnerie au delà de i mètre à
im5o, les plus gros, ayant à détruire une plus forte quantité
de matière, n'étant pas, sous ce rapport, beaucoup plus
puissants que les petits. De plus, lorsque ces projectiles
frappent la maçonnerie dans une direction trop éloignée de
la normale à la surface de cette dernière, la composante de
la vitesse restante parallèle à cette surface acquiert une
valeur assez grande qui fait ricocher le projectile, dont l'effet
sur la maçonnerie est alors à peu près insignifiant. Pour
obtenir ce résultat important, le défenseur s'efforçait de
couvrir ses murailles aux vues et, lorsqu'il aA'ait réussi aies
défiler des coups tombant sous une inclinaison inférieure à
celle du i/4 (c'est-à-dire formant avec l'horizon un angle
de i5°), il pouvait compter'sur leur conservation presque
indéfinie. :
Dans les terres, l'obus chargé de poudre ordinaire pro-
duisait une excavation dont le déblai se trouvait rejeté tout
à l'entour, comblant en partie les excaA'ations Aroisines, de
telle sorte qu'une masse de terre pouvait supporter "un
long bombardement sans perdre pour cela sa valeur pro-
tectrice.
292 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Par suite, une maçonnerie résistante, recouverte d'un
matelas de terre suffisamment épais, pouvait défier un tir
prolongé et assurer une protection efficace aux hommes et
au matériel qu'elle abritait.
Les nouveaux projectiles agissent différemment : après
avoir pénétré de 2 ou 3 mètres dans la terre, leur explosion
détermine un A'éritable déblaiement du matelas protecteur
et la mise à nu de la maçonnerie, qui est détruite au bout
de quelques coups, par suite des vibrations qui se trans-
mettent à l'intérieur de sa masse.
Pour s'opposer à ces nouveaux effets, on a cherché d'une
part à constituer un massif de maçonnerie suffisamment
épais et homogène pour être en mesure de résister et on a
recours à. cet effet au béton. D'autre part, on a demandé au
fer, ou à l'acier, que l'industrie produit aujourd'hui aisé-
ment en grandes masses, un bouclier capable de briser les
projectiles et de déterminer leur explosion à quelque dis-
tance, de manière à en atténuer les effets. On trouvera plus
loin les renseignements nécessaires à ce sujet.

Dépense. — Dans les ouvrages de campagne, le temps


nécessaire à la construction joue, comme on l'a vu, un
rôle fort important; dans les ouATages permanents, cette
considération disparaît le plus souvent, mais pour faire
place à une autre : la dépense résultant de leur établisse-
ment.
La création d'un ouvrage de ce genre conduit toujours à
mettre en balance : d'une part, l'intérêt que peut présenter
la protection du point qu'il s'agit d'occuper, et, d'autre
part, la charge pécuniaire qui résultera, pour le budget, de
cette construction.
Une discussion de ce genre ne saurait évidemment trouver
place dans une étude théorique ; on conçoit cependant
qu'elle joue un rôle important dans la réalité, et, dans
l'examen critique d'une fortification existante, il comdendra
de ne point la perdre de vue.
PRÉLIMINAIRES 2g3

Aperçu général sur l'attaque des places

Pour bien comprendre la raison d'être et la valeur des


divers éléments de la fortification qui vont être étudiés dans
le cours de cette deuxième partie, il est essentiel de con-
naître la marche générale des opérations que l'on exécute
habituellement pour les conquérir.
La première de ces opérations, dont l'ensemble constitue
ce que l'on appelle le « siège régulier », porte le nom d'in-
vestissement. Elle a pour but d'isoler le défenseur de la for-
tification attaquée, en le privant de toutes communications
avec le reste du pays, et de le réduire uniquement à ses
propres ressources. Pour l'exécuter, l'armée assiégeante
s'établit solidement tout autour de la place de manière à
l'enserrer dans un cercle, qu'elle s'efforce de faire aussi
étroit que possible et de rendre infranchissable, tant pour
les troupes de la garnison que pour celles qui, venant du
dehors, tenteraient de la secourir.
A l'investissement succède le siège proprement dit. Bien
plus encore que les ouvrages de la fortification passagère,
les ouvrages permanents opposent à l'assaillant un obstacle
qu'il ne peut espérer franchir qu'après l'aAroir en partie
détruit et en avoir rendu la défense impossible. Il faut, par
conséquent, que le canon A'icnne ruiner tout d'abord la plu-
part des défenses et travaux qui protègent l'assiégé. Le
siège débute donc par une lutte d'artillerie, dans laquelle
l'assiégeant a évidemment la supériorité, puisque sa position
est enveloppante par rapport à celle de son adversaire, et
qu'il peut renouveler son matériel et ses munitions, tandis
que l'assiégé ne dispose que de ressources essentiellement
limitées.
En même temps que l'artillerie accomplit son oeuvre, l'in-
fanterie, par une série de combats successifs, conquiert des
positions de plus en plus rapprochées de la place, qu'elle
2g4 2°. PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
organise de manière à se garantir contre les retours offen-
sifs de l'assiégé. C'est la marche d'approche. Elle amène
l'assaillant à la limite de la zone découArerte qui touche la
fortification à enlever. Cette opération n'est pas sans, dif-
ficultés ; car, en admettant que les remparts aient été for-
tement atteints et les abris à peu près détruits par l'ar-
tillerie, la masse principale des parapets est encore debout,
et le défenseur,; bien qu'affaibli déjà, y tromperait aisément
le couvert suffisant pour repousser les efforts d'un assiégeant
que rien n'abriterait contre ses coups.
Pour gagner du terrain, celui-ci est alors obligé d'avoir
recours à des travaux de fortification ayant quelque analogie
avec les ouvrages simples de campagne, et consistant en
tranchées plus ou moins profondes, précédées chacune d'un
parapet en terre, derrière lequel il peut circuler sans trop
de danger, ou combattre à l'abri, si le défenseur tente
quelque sortie. Il construit de la sorte des parallèles ou
places d'armes successiAres, de plus en plus rapprochées
des ouvrages qu'il se propose d'emporter tout d'abord. Ces
parallèles, reliées entre elles par des bogaux de communi-
cation qui permettent d'y accéder sans être aperçu, et orga-
nisées de manière à former autant de solides points d'appui,
marquent en quelque sorte les étapes dans sa marche vers
la place; marche lente mais sûre, qui finit par l'amener
jusque sur le glacis de la fortification.
Arrivé là, si le canon de l'attaque a réussi à faire brèche
à la.place (ce qui est possible, même de loin, comme on le
Arerra dans la troisième partie, en employant le tir indirect),
l'assiégeant peut tenter d'y pénétrer de vive force, c'est-à-
dire donner l'assaut. Pour cela, il réunit ses troupes dans
les dernières tranchées, accable de feux le défenseur pour
le tenir enfermé dans ses abris, puis, à un signal convenu,
s'élance de toutes parts sur les brèches et tente de s'établir
dans l'intérieur des ouATages. S'il est repoussé, il reA'ienl
dans ses tranchées et continue sa canonnade contre la partie
de la fortification attaquée, jusqu'à ce que le moment soit
PRÉLIMINAIRES 2g5
venu d'engager une nouvelle action. Du reste, de même que
pour la lutte d'artillerie, l'assaillant a la certitude de finir
par l'emporter, car il est enveloppant par rapport à un
adversaire dont les ressources sont limitées et ne peuvent
par conséquent durer indéfiniment.
En résumé, l'attaque méthodique d'une place comprend
essentiellement : l'investissement, l'établissement des bat-
teries et la lutte d'artillerie,Ta marche d'approche, les tra-
Araux d'approche et l'assaut. Cette série d'opérations, qui
constitue un « siège régulier », est d'ailleurs loin d'être
toujours nécessaire ; l'étude complète de l'attaque des
places qui sera faite dans la troisième partie montrera, en
effet, que dans maintes circonstances (devant des ouvrages
défectueux, mal approA'isionnés, niai défendus, etc.), d'au-
tres procédés plus expéditifs peuvent réussir. Quoi qu'il en
soit, la méthode précédente, dont les grands principes ont
été posés par l'immortel Vauban, reste toujours pour l'assié-
geant un moyen long, mais certain, d'atteindre le but qu'il
poursuit.
CHAPITRE XXI

DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION


PERMANENTE

Des différentes parties du profil

Les diverses définitions qui ont été données, en étudiant


le profil dans la fortification passagère, s'appliquent de tous
points aux ouvrages permanents.
On a vu notamment dans le chapitre précédent que le
profil de ces derniers comprend comme parties essentielles :
le parapet, le terre-plein et le fossé. A ces éléments consti-
tutifs de tout retranchement, il faut ajouter, dans le cas par-
ticulier de la fortification permanente, le chemin couvert,
qui n'est, à proprement parler, qu'un second ouvrage enve-
,
loppant l'ouATage principal, par delà son fossé, et formant
pour le défenseur, entre la place et le terrain extérieur, une
position intermédiaire qui facilite les sorties et la surveiL
lance des abords.
Les conditions d'établissement de chacun de ces éléments
diffèrent assez sensiblement de celles qui ont été examinées
dans la discussion du profil des ouvrages de fortification
passagère ; il y a donc lieu d'y revenir et d'examiner à nou-
veau chacun d'eux. Au cours de cette étude on fera ressortir
comment les progrès successifs de l'artillerie ont conduit les
ingénieurs à modifier les divers éléments du profil. Il y aura
lieu de se reporter aux figures i46, 147 et i48 (pages 2g8
et 2gg) qui indiquent les profils successivement adoptés en
France.
DU PROFIL. DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 297
Parapet. — La hauteur du parapet est variable avec le
site et la nature de la fortification. En principe, pour, que
les ouvrages aient des vues aussi étendues que possible, il
faut en élever la crête. Cette disposition a d'ailleurs F avan-
tage de permettre déloger, sous le parapet même, les locaux
servant d'abris, mais elle offre l'inconvénient de rendre l'ou-
vrage plus vulnérable. En outre, plus le relief est prononcé,
plus le profil tient de place sur le terrain et, conséquem-
ment, plus la dépense nécessitée par son établissement est
grande. Il y a donc une balance à établir entre ces divers
éléments.
Pendant longtemps, on a adopté des reliefs considérables,;
de 6 à 12 mètres, dans le but d'accroître l'action de l'artil-
lerie. Cette disposition se justifiait principalement dans les
forts détachés où isolés^ qui étaient considérés alors comme
des porte-canons. Aujourd'hui les ouvrages de même nature
sont surtout destinés à l'infanterie et, dans ces conditions,
un relief de 4 mètres à 4m5o suffît largement; on peut d'ail-
leurs se contenter de moins encore et on a ainsi l'avantage
de mieux dissimuler les ouvrages à l'ennemi.
L'épaisseur du parapet a constamment augmenté avec la
puissance de destruction des obus de siège. Cette épaisseur
qui était de 6 mètres avant l'artillerie rayée a été portée à
8 mètres après son apparition (1860). L'introduction, en
i885, des obus-torpilles a conduit à une nouA7elle augmen-
tation de l'épaisseur. Actuellement on lui donne 12 mètres.
Ce chiffre n'a rien d'absolu, il convient à des terres moyennes ;
s'il s'agit d'un sol argileux, il faut porter l'épaisseur à i4 ou
i5 mètres; avec du sable, au contraire, 10 mètres suffisent.
L'épaisseur peut être réduite si on renforce le parapet par
une masse de béton ou d'autre substance plus résistante que
la terre.
L'inclinaison de la plongée varie du 1/4 au 1/8; on la
maintient le plus habituellement entre 1 [6 et 1 \^, de manière
à atténuer suffisamment l'angle mort, tout en conservant une
certaine résistance à la partie du parapet voisine de la crête.
Échelle du i/^oo.
Fig. il\Q. — Profil des ouvrages antérieurs à 1860.

ailaeliéo (<ïe JS6O à iSS5^). i/4oo.


Fig. i48. — Profil d'un ouvrage actuel (i/4oo).
300 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
En raison de sa grande hauteur, conséquence forcée du
relief du parapet, le talus extérieur, qui doit être disposé
de manière à résister aux projectiles ennemis, est en général
tenu à la pente des 2/3. Avec des terres très fortes on peut
admettre la pente des 4/5 ; mais c'est là une disposition très
rarement employée. On le coupe quelquefois par des bennes,
placées de distance en distance et ayant i mètre environ
de largeur (Voir fig. i53, page 3i3). Ces bennes, sur les-
quelles on fait des plantations de haies vives; servent à re-
tenir les terres dans leur chute et préviennent l'éboulement
du parapet. On peut, par exemple, établir deux bennes dans
la hauteur totale, en donnant : au talus situé au-dessous
de la plus basse, la pente de I/I, — au talus immédiate-
ment supérieur,Ta pente de 4/5, —et au plus élevé, celle
de 2/3 (2 de hauteur pour 3 de base).

Vers l'intérieur de l'ouvrage, à im3o au-dessous de la


crête (hauteur moyenne de l'épaule), on ménage une ban-
quette d'infanterie, large de 2 mètres au moins, et reliée à
la crête par un talus fort raide (3/i), que l'on maintient sous
cette inclinaison à l'aide de revêtements. En temps de paix,
ce talus intérieur est laissé à la pente naturelle des terres
(1 /1), et le reArêtement, dont il vient d'être parlé, ne s'établit
qu'au moment de la mise en état de défense. La banquette
d'infanterie existe en principe sur toute l'étendue de la crête
dans les 'ouATages les plus récents. Dans les parties où il
peut être nécessaire de placer à un moment donné quelques
pièces de campagne, la largeur de la banquette est portée à
4m5o ou même 6 mètres, et sa distance à la crête est rendue
égale à la hauteur de genouillère, généralement inférieure à
im3o. Dans ces parties, on ménage pour l'infanterie, à im3o
sous la crête, un couloir de 1 mètre de large. Pour installer
les canons de gros calibre, on établit à 2 mètres sous la
crête une banquette d'artillerie à laquelle on donne 9m5o
de largeur. Là aussi on peut ménager le long de la crête,
et à im3o au-dessous, une banquette d'infanterie dont on
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 3ûl
réduit alors la largeur à 5o centimètres en la faisant en
maçonnerie.

Terre-plein. — Au delà de la banquette se trouve le


terre-plein, c'est-à-dire la partie de T'ouvrage. sur laquelle
les défenseurs peuvent circuler à l'abri des vues et jusqu'à
un certain point des coups de l'ennemi, tout en étant à
proximité de leur poste de combat.
Le terre-plein avait, avant i885, une largeur habituelle
de 6 mètres. La distance au-dessous de la crête aArait été,
jusqu'en 1860, de 2m5o, ce qui permettait de cacher com-
plètement un homme à cheval ; à l'apparition de l'artillerie
rayée, cette distance fut portée à 4m5o,en même temps que
le talus à 1/2 qui réunissait le terre-plein à la banquette
était raidi à 1/1; ces modifications avaient pour but de
mieux défiler les hommes et le matériel, Le terre-plein était
relié au sol naturel par un talus à 4/5 ou 1/1, dit talus de
rempart, souvent remplacé par la façade des locaux voûtés
placés sous le parapet.
Dans les ouvrages actuels, de faible relief, le terre-plein
peut être constitué par le sol naturel ou même être en déblai.
Dans les enceintes des places fortes, on appelle rue du
rempart la portion de terrain naturel placée au pied du pa-
rapet et le séparant des maisons Jes plus voisines ; la largeur
de cette rue ne peut pas descendre au-dessous.d'un certain,
minimum qui a été fixé à 7m6g (4 toises) par la loi du
10 juillet 1791.

Fossé. — Dans les ouvrages permanents, l'obstacle doit


être assez sérieux pour que le défenseur n'ait pas à redouter
de Aroir l'ennemi pénétrer par surprise dans la place ni l'en-
lever de-vive force. Or cet obstacle est constitué essentielle-
ment par un fossé dont il y a lieu de considérer les éléments
essentiels : largeur, profondeur, murs ou talus qui le bor-
dent, savoir escarpe et contrescarpe.
Le mur d'escarpe soutenant les terres du parapet forme
302 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

une barrière infranchissable qui constituait longtemps l'obs-


tacle principal. On s'est donc efforcé de le protéger effica-
cement contre les effets du tir de l'ennemi. Les conditions
à remplir pour assurer cette protection ont eu leur réper-
cussion sur les deux autres éléments du fossé : largeur et
profondeur. En ce qui concerne la largeur du fossé, avant
l'artillerie rayée, le canon ne pouvait faire brèche à l'escarpe
que par le. tir direct, et l'assaillant devait, à cet effet, s'éta-
blir sur le chemin couvert. On se contentait alors de masquer
le mur aux vues de l'extérieur et on donnait au fossé une
largeur de 20 mètres au minimum.
L'artillerie rayée, en obligeant à assurer la protection du
inur contre le tir indirect, a conduit à réduire la largeur du
fossé de manière à rapprocher ce mur de la masse couvrante
formée par la crête du glacis. On a, dès lors, admis que la
largeur de 20 mètres était un maximum.
On se garde, d'autre, part, de trop la diminuer pour mieux
couvrir l'escarpe ; car on atténue ainsi la valeur de l'obs-
tacle, et l'on risque de voir le fossé comblé par les débris
de la contrescarpe, lorsque l'assaillant l'aura renversée par
la mine, de manière à découArrir le mur d'escarpe pour le
battre en brèche plus aisément. C'est pourquoi l'on consi-
dère la largeur de 8 à 10 mètres comme un minimum indis-
pensable, et au-dessus duquel il est toujours préférable de
se maintenir.

La profondeur du fossé est, au contraire, tout à l'avan-


tage du défenseur. Elle augmente la valeur de l'obstacle et
contribue à assurer la protection donnée à l'escarpe; car il
est évident que, toutes choses égales d'ailleurs, un mur de
hauteur déterminée est d'autant mieux abrité que sa base
repose sur un fossé plus profond. Mais on ne peut malheu-
reusement pas augmenter cette dimension sans accroître
beaucoup la dépense. Dans les fortifications antérieures à
1860, le fossé, très large, n'avait guère qu'une profondeur
de 6 mètres. La diminution de largeur rendue nécessaire
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 3o3
pour assurer la protection de l'escarpe contre l'artillerie
rayée a conduit à chercher une compensation dans l'aug-
mentation de la profondeur, qui a atteint, ainsi, de 8 à
10 mètres dans les ouvrages antérieurs à 1885. Dans ceux
de l'époque actuelle, on a été amené, fréquemment, à sup^
primer le mur d'escarpe (Voir fig. i48), qu'on ne '-pouvait
protéger contre les obus-torpilles, et à le remplacer par un
talus à terre coulante précédé d'une grille défensive. L'obs-
tacle principal est alors constitué par la contrescarpe, qui,
par sa position, a échappé au tir ennemi. '
On verra plus loin comment ont été organisés les murs
d'escarpe et de contrescarpe.

Laberme, ménagée entre le pied du talus extérieur et le


sommet du mur d'escarpe, sert à reporter en arrière le poids
des terres qui chargent cette maçonnerie et tendent à la ren-
verser dans le fossé. Pour économiser le terrain, on ne: lui
donne généralement qu'une faible largeur, et, souvent
même, on la réduit à la seule épaisseur de la partie supé-
rieure de la muraille. '

Magistrale. — La ligne qui forme l'intersection du


plan de cette berme.el de la face extérieure du mur. d'es-
carpe, supposé prolongé, jouit d'une certaine importance
dans la fortification permanente. Cette ligne, qui est repré-
sentée par le point A sur la figure 147, a reçu le nom de
magistrale ; elle marque la séparation entre le fossé et le
parapet, et sert, pour cette raison, à l'exécution du tracé
des ouvrages permanents.

Organisation de l'escarpe, — L'escarpe des ouvra-


ges permanents construits jusqu'en i885 est, le plus souvent,
reA'êlue d'un mur en maçonnerie qui augmente les difficultés
de l'escalade et supporte, en même temps, le poids des
terres du parapet. Mais le sommet de cette muraille, dont
la conservation a une importance capitale, eût été fort mal
3o4 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
abrité contre les coups passant par-dessus la crête du che-
min couvert, si on lui avait donné une trop grande hauteur
au-dessus du fond du fossé. On se gardait donc d'exagérer
cette dimension, pour laquelle 8 ou g mètres étaient un maxi-
mum admis, tout en lui conservant une valeur telle que
l'escarpe ne puisse être franchie, soit 4 à 5 mètres au mi-
nimum.
- A cette époque l'artillerie ruinait les maçonneries en les
frappant au tiers inférieur de leur hauteur à partir de la
base ; on garantissait donc ce point contre les coups tombant
sous l'inclinaison du i/4 et la protection de l'escarpe était
ainsi assurée. Ce résultat était obtenu également lorsque le
.
point situé à 5 mètres au-dessus du fond du fossé était cou-
vert de la même manière. En aucun cas la partie supérieure
du mur, ou cordon d'escarpe, ne devait être vue de l'inté-
rieur.
L'escarpe qu'on vient de décrire (fig. i4f) est ce qu'on
nomme une escarpe pleine et
attachée, c'est-à-dire qu'elle
est complètement adossée
aux terres. Etablie clans ces
conditions, elle doit avoir
une épaisseur suffisante pour
que la poussée des terres ne
puisse la renverser. Cette
condition oblige à lui donner
une épaisseur très grande qui
peut atteindre 3 ou 4 mètres.
Il résulte de là que ces es-
Fig. i4g. — Escarpe avec voul.es carpes sont d'un prix assez
en décharge. élevé. En vue de remédier à
cet inconvénient, on a eu
l'idée, tout en conservant leur profil extérieur, de les creuser
à l'intérieur, en y pratiquant des Ajoutes fermées du côté du
fossé par un mur de masque. Cette disposition, qui procure
une certaine économie de maçonnerie, donne ce que l'on
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 3o5
appelle des escarpes attachées avec voûtes en décharge
(fig. i4g)- Les Ajoutes sont à un ou deux étages (le plus
souvent à un seul étage) et ont une épaisseur de i mètre
ou im2o, avec une profondeur suffisante pour que les terres
qui, à l'intérieur, prennent leur talus naturel, ne viennent
pas exercer de poussée sur le mur de masque.
En fermant ces voûtes du côté des terres par une seconde
muraille (fig. i4g) et en pratiquant des créneaux dans le
mur de masque, on peut, en outre, établir des défenseurs
dans leur intérieur et envoyer ainsi, directement, des coups
de feu dans le fossé. On a soin, dans ce cas, d'établir les
créneaux à des distances égales les uns des autres, afin
de ne pas indiquer à l'ennemi l'emplacement des pieds-
droits des Aroûtes.
Les escarpes attachées, qui forment un obstacle excellent,
très difficile à franchir et très résistant, présentent un incon-
Arénient : leur destruction entraîne la chute des terres du
parapet; ces terres AÙennent alors combler le fossé en partie
et suppriment l'obstacle. A la vérité, cependant, les escarpes
avec Ajoutes en décharge étaient difficiles à détruire avant
l'introduction des obus-torpilles, à cause de l'a direction des
génératrices des voûtes; celles du fort d'Issy, par exemple,
ont pu subir, en 1870-1871, un tir en brèche de plusieurs
mois sans que le parapet qu'elles, soutiennent ait été ren-
versé dans le fossé.
Pour éviter l'inconvénient qui vient d'être signalé^ on a
imaginé de séparer complètement l'escarpe des terres du
parapet et créé ce qu'on appelle des escarpes détachées
(fig. i5o).
Le talus extérieur descend alors jusqu'au fond du fossé,
ou jusqu'à i ou 2 mètres au-dessus. Il se termine inférieu-
rement par une large berme, en avant de laquelle s'élève le
mur d'escarpe dont la hauteur totale est au minimum de 4
ou 5 mètres (plus généralement de 6 ou 7 mètres), et l'épais-
seur de imoo à 3 mètres. Ce mur, tout le long duquel la
berme forme un chemin de ronde intérieur, muni, si cela
MA.NUKL DK FORTIFICATION %0
3o6 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
est nécessaire, d'une banquette pour surélever le tireur, est
percé de créneaux dont l'ouverture extérieure débouche à
2 mètres au moins au-dessus du fond du fossé, de manière
que l'ennemi qui y sera parvenu ne puisse les emboucher.
L'escarpe détachée est plus facile à garantir que l'escarpe
attachée, car on peut la placer à 6 mètres, par exemple, de
la contrescarpe, le fossé conservant néanmoins une largeur
suffisante au niveau du sol. Lorsqu'on a réussi à la reiwerser,

Fig. i5o. — Escarpe détachée.

ses débris, non recouverts de terre, forment pour l'assail-


lant un obstacle plus difficile à franchir que les parapets
éboulés des murs attachés. Par contre, elle offre une résis-
tance plus faible aux coups de l'artillerie, elle est plus faci-
lement détruite à l'aide d'engins explosifs et inspire peut-
être moins de sécurité aux défenseurs, bien que ses partisans
la considèrent comme un obstacle plus sérieux que le mur
attaché, parce qu'il faut à la fois l'escalader et en descendre
pour pénétrer dans la place.
On a employé aussi des escarpes dont la constitution par-
ticipe des deux précédentes : ce sont les murs demi-déla-
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 3o7
chés (fig. I5I), qui font corps aArec les terres, sur une
hauteur de 4 à 5 mètres à partir du fond du fossé, et qui
sont terminés par une portion de mur détachée, derrière
laquelle se place le chemin de ronde ou corridor de surveil-
lance. Quelquefois, la portion détachée est percée de cré-
neaux, permettant de donner des feux dans le fossé ; d'autres
fois elle est munie d'une banquette placée à.ita3o en dessous
de la crête, afin que le tireur puisse tirer par-dessus, et
le mur, qui se termine
à la partie supérieure
par une petite plongée
inclinée, est alors dit à
bahut. Dans tous les
cas, la hauteur'de cette
portion détachée au -
dessus du corridor de
surveillance doit être
de 2 mètres au moins,
afin de protéger les dé-
fenseurs qui y circu-
lent. L'escarpe demi- Fig. I5I. —• Escarpe demi-délaehce
détachée pu à bahut a ou à bahut.
les avantages et les in-
convénients des deux précédentes ; elle forme un bon obstacle
et permet de surveiller le fossé; en couvrant au i/4 toute s'a
partie attachée, on lui permet de résister fort longtemps à
l'artillerie ennemie et, par suite, de conserver au défenseur
l'obstacle qui le protège.
Quel que soit, du reste, le genre d'escarpe adopté, il est
important, pour en assurer la stabilité, de donner au pare-
ment extérieur du mur un certain fruit, c'est-à-dire une
inclinaison par rapport à la verticale. Ce fruit est ordinaires
ment de i/io à. 1/20, comme l'indiquent les figures i5o
et I5I ci-dessus.

Les divers genres d'escarpe qu'on vient de décrire se rap-


3o8 2e PARTIE : FORTIFICATION PERMANENTE
portent plus spécialement aux types de fortification anté-
rieure à i885; on emploie plus souvent aujourd'hui les
escarpes à terre coulante. Elles sont généralement à la pente
des 2/3 ; la grille qui les précède (Voirfig. 148) est à 2 mètres
en aA'ant du pied, afin que les éboulements de terre ne puis-
sent la recouvrir ; elle a 3 à 4 mètres de haut. On la conso-
lide à l'aide d'arcs-boutants placés vers l'intérieur ; on en
augmente les difficultés de franchissement par des tiges
appointées placées vers le sommet et inclinées à 45° vers
l'extérieur, de manière à rejeter en arrière les hommes qui
chercheraient à franchir la grille.
Les montants, les fuseaux et les arcs-boutants sont scellés
dans un massif de béton de ciment descendu d'environ
3 mètres dans le sol et protégé par un buisson de rocaille
qui diminue la pénétration des projectiles.

Organisation de la contrescarpe. — Jusqu'en 188.5,


la contrescarjie était construite en maçonnerie, pleine ou
avec voûtes en décharge. Dans ce dernier cas, on ne plaçait
pas habituellement de mur de masque pour fermer les
Aroûtes ; on se contentait de maintenir les terres au moyen
d'un mur en pierres sèches.
La contrescarpe recevait une grande hauteur; on avait
ainsi le double avantage d'éleArer le sommet de la masse
couvrant l'escarpe et d'augmenter l'obstacle offert par la
contrescarpe. Le sommet de celle-ci atteignait le niveau du
sol ou même le dépassait de 5o centimètres à 1 mètre.
Des contrescarpes ainsi établies sont incapables de résister
aux obus explosifs à grande capacité; lorsque ceux-ci, après
avoir pénétré dans la terre, viennent faire explosion au
contact de la paroi interne du mur, ils en déterminent le
renversement. C'est pourquoi on construit aujourd'hui les
contrescarpes en béton, et, comme on ne leur demande
plus de protéger l'escarpe, on leur donne par économie la
hauteur strictement suffisante pour qu'elles constituent un
obstacle sérieux.
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 3og
En principe, cette hauteur est de 5 mètres; cependant,
on s'est contenté souvent de contrescarpes moins élevées,
que l'on a, par contre, surmontées d'une grille de 2 mètres
à 2m5o de hauteur.
La contrescarpe en béton de ciment-(Voir fig. i52) pro-
tégée par un massif de pierrailles qui lui est adossé et
recouverte par les terres du glacis, constitue un excellent
obstacle, difficile, sinon impossible à détruire de loin.
Les maçonneries sont pleines ou évidées en forme de ga-
lerie de im20 de largeur sur 2 mètres de hauteur. Cette
galerie constitue une communication permettant d'accéder
a couvert aux coffres de contrescarpe dont if sera parlé plus

Fig. i52. — Contrescarpe evidée et avant-glacis (i/4oo).

loin ; elle a, en outre, l'avantage d'augmenter économique-


ment l'épaisseur de la contrescarpe et, par suite, la résis-
tance au renversement.
Les considérations qu'on vient de lire sur la valeur res-
pective, comme obstacles, des escarpes, avec du sans grille,
et des contrescarpes sont celles généralement admises
aujourd'hui. Si l'on doit accepter les conclusions d'un
défenseur de Port-Arthur (lieutenant-colonel von Schwarz),
elles seraient infirmées par l'expérience du siège de cette
place. .'....
L'escarpe du fort Ehrlong, constituée par des couches de
pierres rapportées et recouvertes d'un parement en maçon-
nerie, a subi pendant un mois le tir d'obusiers de i5cm et n'a
été entamé que de 70 centimètres dans'son épaisseur. Ce
310 ,2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

mur offrait ainsi contre l'escalade un obstacle plus sérieux


qu'une grille qui aurait été recouverte par les.débris de
pierre. L'auteur en question.conclut en faveur, des escarpes
attachées en béton, précédées d'un fossé de io mètres de
large ; il propose d'augmenter la protection de celte escarpe
en donnant au fossé, en droit de ce mur, une profondeur
de 3 mètres plus grande qu'à la contrescarpe (l).

Fig. 102 bis.

Là figure schématique i52 bis fera comprendre l'idée de


ce dispositif.
Cunettes. —- Le fond du fossé est formé par deux plans
inclinés qui se réunissent, vers le milieu, dans une rigole
nommée cunette, dont la profondeur Avarie de 5o centimètres
à i mètre. La cunette est destinée à recevoir lés eaux et à
les conduire au dehors.
Chemins couverts et glacis. — Les ouvrages anté-
rieurs à i885 possèdent généralement un chemin couvert;
c'est une véritable enceinte extérieure de l'ouvrage dont le

(') A?oir Revue du. Génie, janvier igo8.


DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 31 I
but est de permettre au défenseur de circuler en dehors du
fossé et de lui faciliter les sorties.
Le profil de cet ouvrage consiste en une banquette d'in-
fanterie et un terre-plein en contre-bas (Voir fig. i46,
page 2g8). Il faut que le défenseur placé sur le parapet
puisse apercevoir le chemin couvert et le battre de-ses feux,
afin d'empêcher l'ennemi de s'y établir.
On trouve rarement des chemins couverts dont la crête
ait plus de 2m5o de relief par rapport au sol naturel.
.

Le glacis, qui raccorde la crête du chemin couvert au


terrain extérieur, est tenu à une pente assez douce pour que
son plan passe en dessous de la crête du parapet, afin que
le défenseur puisse l'apercevoir complètement et le battre
de ses feux ; mais on se garde d'adoucir cette pente au delà
de cette limite, car, en exagérant cette disposition, on aug-
mente considérablement l'étendue de terrain occupée par la
fortification.
Autrefois, pour empêcher l'ennemi de pénétrer dans le
chemin couvert, qui n'est garanti, par aucun obstacle, on
établissait au pied du talus intérieur, sur la banquette, une
palissade de 2 mètres de hauteur, derrière laquelle le défen-
seur pouvait faire le coup de feu, et se mettre en garde
contre les surprises de son adversaire.
Depuis de longues années on n'a plus construit de chemins
couverts parce qu'on se préoccupait surtout de la défense
à grande distance et qu'on accordait moins d'importance à
la lutte rapprochée. D'après le colonel von Schwarz, les
défenseurs du fort Ehrlong à Port-Arthur auraient vive-
ment senti la nécessité d'un chemin couvert pour assurer
la surveillance des abords immédiats de l'ouvrage et la
protection des organes de flanquement (coffres de contres-
carpe) dont il sera parlé plus loin. Il conviendrait toutefois
de doter ce chemin couvert d'abris à l'épreuve comme le
reste de la fortification(I).

(') Voir Revue du Génie, janvier 1908.


312 2 e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
On organise presque toujours, en avant de la contres-
carpe, un glacis intérieur ou avant-glacis (Voir fig. i52)
qui abrite une défense accessoire, généralement un réseau
de fil de fer, destinée à renforcer l'obstacle qu'amoindrit
forcément la suppression de l'escarpe maçonnée.
Cette adjonction de défenses accessoires existait déjà dans
la fortification antérieure à i885 : elle constitue un incon-
testable surcroît de valeur. Il ne faut pas ..oublier cependant
que ces défenses peuvent être aisément détruites par l'assail-
lant, si elles ne sont bien battues par le tir du défenseur.

Angle mort. — Les dimensions qui ont été indiquées


plus haut pour les différentes parties du profil, montrent
que le prolongement du plan de la plongée laisse au-dessous
de lui. la totalité du fossé. Il résulte de là que ce dernier
est en angle mort pour le parapet placé en arrière. Comme
les dimensions de ce fossé sont très grandes et permet-
traient à une troupe ennemie assez nombreuse de s'y établir
à l'abri des A'ues du défenseur, il importe de supprimer cet
angle mort, c'est-à-dire de flanquer.les fossés. L'étude du
tracé (chap. XXII) montrera comment on obtient ce
résultat.

Modifications du profil normal. — Le profil qui


vient d'être décrit peut subir d'importantes modifications
lorsque le site auquel il doit s'appliquer présente des carac-
tères particuliers, tels que, par exemple, la présence de
l'eau ou celle du roc à une faible profondeur au-dessous
de la surface du sol.

En site aquatique, l'eau qui remplit les fossés de la forti-


fication formant à elle seule un obstacle à peu près infran-
chissable, on peut supprimer complètement l'escarpe et la
contrescarpe en maçonnerie, et alors il n'y a plus d'intérêt
à réduire la largeur du fossé, auquel on donne souvent,
dans ce cas, 3o ou 4o mètres et même davantage (fig. i53).
Fig. i53. — Profil de fortification en site aquatique, antérieur à 1880 (i/4oo).

Fig. i54. — Profil triangulaire (i/4oo).


3l4 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Quant à la profondeur, il suffit de lui conserver une valeur
telle que dans les plus basses eaux le niveau soit toujours
à 2 mètres au moins au-dessus du fond du fossé. Le talus
extérieur est, en pareil cas, coupé de nombreuses bennes,
dont la dernière doit être située à 5o centimètres au-dessus
du niveau des plus hautes eaux.
Dans les places construites en pareils terrains, on alter-
nait autrefois, lorsque la chose était possible, les fossés secs
et les fossés pleins d'eau ; de cette manière, on augmentait
beaucoup les difficultés qu'offre le franchissement de ces
divers fossés. Les ouvrages actuels ne comportent plus un
pareil luxe de fossés qui serait d'ailleurs sans grand intérêt.

Lorsque la fortification est établie sur des assises de roc,


il n'y a pas à craindre que les escarpes ne soient détruites
par le canon ennemi. On peut alors prendre moins de pré-
cautions pour les couvrir, et il n'y a, par conséquent, pas
lieu d'hésiter à leur donner une certaine hauteur, si les
difficultés de la fouille n'obligent pas à réduire leurs dimen-
sions.

Profil triangulaire. — Le profil normal qu'on vient


d'étudier crée, par son fossé, un obstacle sérieux, mais
présente l'inconvénient d'exiger, pour faire disparaître
l'angle mort, des organes de flanquemenl coûteux et, diffi-
ciles à protéger.
Le profil triangulaire, sans angle mort, dispense de la
construction de ces organes spéciaux.
Dans ce profil (Voirfig. i54), la plongée, le talus extérieur
et l'escarpe sont remplacés par un plan unique qui Ara de la
crête de feu au fond du fossé, en sorte que ce dernier est
battu par les feux du défenseur du parapet.
La contrescarpe est conservée et construite soif en ma-
çonnerie ordinaire, soit mieux, en béton de ciment.
L'obstacle est renforcé par un réseau de fil de fer de i5 à
3o mètres de largeur installé sur la plongée, à partir du
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 3l5
pied de la contrescarpe, et par une grille disposée à environ
10 mètres de la contrescarpe et dissimulée aux vues par la
crête du glacis.
Ce profil séduit, a priori, par sa simplicité ; il n'en offre
,
pas moins de nombreux inconvénients.
Tout d'abord, la nécessité d'avoir une contrescarpe de
hauteur suffisante et une plongée à pente douce (i/4 au
plus) conduit à donner à la fortification une grande profon-
deur qui oblige à des acquisitions parfois onéreuses. Ce
profil n'est d'ailleurs pas applicable si le terrain a une pente
égale ou supérieure au quart, puisque, dans ce cas, la
plongée ne rencontrerait pas le sol.
En outre, lorsqu'une fortification de cette nature aura été
soumise aux effets d'un tir prolongé, sa plongée sera semée
de nombreux entonnoirs qu'un assaillant pourrait utiliser
pour se couvrir des feux partant de la crête.
Ce feu risque, de plus, d'être mal ajusté si le défenseur
est fusillé par des tirailleurs assaillants installés sur la crête
du glacis, ou si l'assaut a lieu de nuit ou par brouillard.
Le Manquement du fossé est donc mieux assuré par des
organes spéciaux qui le battent dans toute sa longueur,
dont les défenseurs sont soustraits au tir de l'ennemi et
n'ont, pour ainsi dire, qu'à tirer devant eux sans ajuster.
Enfin, la garnison, abritée d'un assaut par un simple
talus à pente douce, un réseau de fil de fer qu'elle sait fran-
chissable, ne se sent pas en sécurité comme derrière un
bon fossé. On peut craindre que sa manière de combattre
n'en soit influencée.
Pour toutes ces raisons, le profil triangulaire n'est em-
ployé en France que pour des ouvrages d'importance secon-
daire. Il est probable que les défenseurs de Port-Arthur
l'auraient peu apprécié, si on se reporte aux conclusions
citées plus haut (page 3og).

Commandements. — Pour terminer cet exposé du


profil dans la fortification permanente, il convient de définir
3l6 2e PARTIE -— FORTIFICATION PERMANENTE
ici la notion du commandement qui, surtout autrefois, avait
une grande importance.
Le commandement absolu d'un ouvrage sur un autre est
la distance Arerticale dé la crête du premier à celle du second.
Le commandement absolu d'un ouvrage Sur une partie dé-
terminée du terrain emàronnant est, de même, la hauteur
verticale de sa crête au-dessus du terrain en question.
Un principe général, dont on fait une application cons-
tante dans la fortification permanente, est que : tout ou-
vrage faisant partie d'un ensemble doit commander ceux
qui sont en avant de lui et être commandé par ceux qui sont
en arrière. La conséquence de ce principe est que : Fennemi
établi dans un otivrage est en prise aux coups du défenseur
retranché en arrière de lui, et ne peut Aroir les mouvements
de son adversaire.
On obtient ce résultat non seulement en donnant aux
crêtes un relief d'autant plus grand que les ouvrages sont
plus rapprochés de l'intérieur de la fortification, mais
encore en disposant leurs plans de manière que chacun
d'eux passe au-dessus de tous ceux situés eh- aArant de lui.
C'est ce qu'on exprimé en disant que : lé commandement
doit être à la fois offensif et défensif c'est-à-dire qu'il doit
donner au défenseur posté dans un ouvrage le moyen d'agir
offensivenient sur l'ennemi établi dans un retranchement
placé en avant, en même temps que la protection néces-
saire pour se défendre contre lui.
Dans les constructions de la fortification moderne, qui
comporte l'occupation de positions souvent fort éloignées
les unes des autres, il peut arriver parfois qu'un ouvrage
de première ligne commande ceux qui sont établis en arrière
et dans lesquels on se défendra après la chute du premier.
On se contente alors de défiler ces derniers de tous ceux
qui les précèdent sur le terrain des attaques, d'après les
principes qui ont été exposés au chapitre XVI.
En résumé, le profil de la fortification permanente depuis
l'apparition de l'artillerie rayée (1860) jusqu'à nos jours,
DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 3l7
a traversé deux phases. La première, qui va jusqu'en i885,
est caractérisée par :
i° Une augmentation d'épaisseur et de relief du parapet ;
20 Une augmentation de profondeur et une diminution
de largeur du fossé pour assurer une meilleure protection
à l'escarpe ; -
3° Un approfondissement du terre-plein et de la ban-
quette d'artillerie pour défiler les hommes et le matériel des
coups tombant sous une inclinaison plus grande qu'autre-
fois.
Dans la seconde, qui date de i885, le profil se distingue
.dû précédent par :
i° Une nom^elle augmentation d?épaisseur du parapef ;
2° Une diminution de son relief ;
3° La suppression de l'escarpe maçonnée et son rempla-
.

cement par une escarpe à terre coulante doublée d'une


grille;
4°La substitution du béton de ciment à la maçonnerie
ordinaire pour la construction de la contrescarpe ;
5° La suppression du chemin couvert et la création d'*un
avant-glacis protégeant un réseau de fil de fer.

Il est possible qu'une phase nouvelle s'ouA're maintenant,-


qui amènerait un retour aux dispositions signalées ci-dessus
comme supprimées (§§ 3 et 5) ; on ne saurait l'affirmer abso-
lument, mais il comdent d'accorder la plus grande attention
aux opinions émises par les ingénieurs ayant acquis l'expé-
rience du siège de Port-Arthur.
CHAPITRE XXII

DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION


PERMANENTE

Importance de l'angle mort — Du flanquement


Ainsi qu'on l'a déjà fait remarquer dans le chapitre pré-
cédent, en étudiant les diverses parties constitutives du
profil de la fortification permanente, le fossé qui constitue
l'obstacle est en angle mort, c'est-à-dire qu'il échappe com-
plètement aux vues du défenseur placé sur la banquette.
En raison des dimensions toujours assez grandes de ce
fossé, il y a là évidemment un grave inconvénient auquel
on a dû s'efforcer de porter remède. On s'est alors ingénié
à disposer les différents organes de la fortification de telle
sorte que ce fossé, dans lequel les défenseurs placés sur le
parapet en arrière ne peuvent donner des feux, soit battu
efficacement par d'autres ouvrages : c'est-à-dire que l'on a
organisé le flanquement. Cette expression a déjà été définie
dans la première partie du Manuel ( Voir pages 17g et
suiv.); il n'y a par conséquent pas lieu de s'y arrêter de
nouveau.
Ceci posé, on remarquera tout d'abord que certaines dis-
-
positions déjà signalées, telles que les Ajoutes en décharge
placées dans les escarpes lorsqu'on les ferme du côté des
terres et qu'on perce des créneaux dans le mur de masque,
donnent le moyen de résoudre, en partie, la question, puis-
que les créneaux ainsi pratiqués procurent des vues dans le
DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 3l9
fossé et permettent d'y envoyer des coups de feu. C'est ce
qu'on nomme \e flanquement direct. Mais cette solution est
imparfaite, car la suppression d'une des casemates (ou
même d'un des créneaux) laisse toute une portion du fossé
en angle mort. Comme c'est au moment, d'un assaut, alors
que l'escarpe est plus ou moins détruite, qu'il importe sur-
tout d'y posséder des feux bien nourris, on pourrait donc
se trouver complètement dépourvu, si l'on n'avait d'autre
manière d'obtenir ce résultat, que les casemates placées dans
l'escarpe.
Le flanquement proprement dit, celui dont l'action est
la plus puissante, consiste, par suite, à enfiler le fossé
par des feux partant d'un ouvrage placé à l'une de ses
extrémités.

Différents tracés. — Pour y arriver, on a imaginé


diverses solutions : i° on peut disposer les crêtes de manière
que certaines d'entre elles battent les fossés ; les feux flan-
quants, partant de ces crêtes, sont alors plongeants par
rapport à l'ennemi parvenu au pied des escarpes ; 2° on
peut placer, dans le fond même du fossé, des organes spé-
ciaux munis de casemates pour recevoir des pièces ou des
tireurs, dont les feux sont, en ce cas, rasants ou parallèles
au fond de ce fossé.

La première solution subordonne le tracé des ouvrages à


la nécessité du flanquement. Elle a été en grande faveur,
surtout en France, aux siècles précédents et jusqu'en 1870.
Elle était très avantageuse à une époque où les armes à feu
étaient loin d'avoir acquis toute leur puissance, et où, par
suite, la défense des abords immédiats de la fortification
avait la plus grande importance.
En examinant successivement les différents tracés de la
fortification passagère, on a fait ressortir que deux d'entre
eux, « le tracé tenaillé et le tracé bastionné », satisfaisaient
assez complètement à cette condition.
320 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
lie tracé tenaillé a l'inconvénient de laisser toujours, dans
l'angle rentrant, une petite portion du fossé en angle mort;
à moins d'avoir recours à des casemates placées dans l'es-
carpe, pour doubler les feux partant du parapet. Ses faces
sont, d'autre part, en prise aux feux d'enfilade de l'ennemi.
Ce tracé ne constitue donc en somme qu'une solution
imparfaite du problème; aussi ne l'a-t-on jamais beaucoup
employé.
Le tracé baslionné, au contraire, supprime la totalité de
l'angle mort : à la condition de donner à la contrescarpe
un tracé convenable. Il répond donc bien aux conditions
exigées; aussi a-t-il été, pendant de longues années, l'objet
d'une faA^eur justifiée.

La seconde solution du problème du flanquement. :


« l'emploi d'un ouvrage spécial placé dans le fond du
fossé », est la dernière en date et présente elle-même quel-
ques inconvénients. Il est notamment difficile d'arriver à
bien flanquer les abords mêmes de cet organe; de plus,
tout le flanquement repose sur la conservation de cet
unique ouvrage. Aussi a-f-on hésité longtemps, en France,
à adopter cette solution. Les conditions nouvelles imposées
à l'établissement des ouvrages de fortification ont donné à
ce système, qui constitue le tracé polygonal, des aArantages
certains qui ont décidé son emploi presque général ; ils
seront mis en évidence dans la suite de cette étude.
Le tracé polygonal est, d'ailleurs, une invention toute
française, que les nations étrangères ont adoptée dès son
apparition et employée presque exclusivement depuis le
commencement du dix-neuvième siècle, tandis que nous
sommes restés de longues années sans l'appliquer dans nos
places.

Indépendance de l'escarpe et du parapet. — Un


principe applicable à toute espèce de tracé et qui a été énoncé
pour la première fois au commencement du dix-neuArième
DU TRACE DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 021
siècle par Choumara (L), c'est que l'escarpe (obstacle ayant
une valeur pàssiA^e et exclusivement défensive) et le parapet
(couvert défensif, ayant une action lointaine offensive) ne
doiArent pas nécessairement avoir des tracés parallèles; c'est-
à-dire que la magistrale et la crête sont indépendantes l'une
de l'autre.
Il est bien éA'ident, en effet, que, l'escarpe étant cous-
truite, s'ilest utile de briser la crête .pour obtenir des feux
dans une nouvelle direction, on peut le faire sans rien
changer à la disposition de ce mur et conserver par consé-
quent à l'obstacle toute sa valeur sans modifier en rien le
flanquement.
Il fallut cependant, chez nous, un temps assez long pour
admettre et surtout pour appliquer ce principe. A l'étranger,
on reconnut plus promptement ses conséquences heureuses
et les avantages qu'on poiiA'ait en retirer. Aujourd'hui, son
application est constante, et l'étude des tracés polygonaux
en fournira bientôt de nombreux exemples.

Définition des parties principales du trace


Avant d'aborder l'étude des divers tracés, il est indispen-
sable de préciser la signification d'un certain nombre de
termes qui y seront fréquemment employés.
Toute enceinte de place forte, tout ouvrage, si peu
étendu qu'il soit, est inscrit dans un polygone irrégulier
d'un certain nombre de côtés. On dispose les tracés de
manière que chaque côté de ce polygone soit en état de se
flanquer lui-même, et on donne le nom de front de fortifi-
cation à l'ensemble des ouATages établis sur l'un de ces

(') Choumara, chef de bataillon du génie français, auteur de plusieurs écrits


sur la fortification et inventeur des fourneaux de cuisine en usage dans les
casernes, est resté célèbre par la lutte qu'il soutint contre le ministre de la
guerre de son temps. La plupart de ses idées sont empreintes d'un grand carac-
tère d'originalité et ont servi de point de départ à plus.d'un perfectionnement
dans la fortification.
MANUEL DE l'OllTIFICATION 21
322 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
côtés. Suivant, le mode de flanquement employé, chacun
des fronts ainsi obtenus est alors dit : bastionné, tenaillé ou
polygonal.
Ainsi qu'on l'a déjà fait ressortir à diverses reprises, la
disposition en usage pour le flanquement créant la princi-
pale différence entre les ouvrages, il suffit d'étudier les
détails de cette disposition sur un seul front, puisqu'on
peut la répéter sur les côtés successifs du polygone fortifié.
Toute fortification permanente, place forte ou ouvrage
simple, comprend un parapet continu, bordé d'un fossé
dont l'ensemble constitue ce qu'on peut appeler le corps de
place, c'est l'enceinte d'une ville fortifiée. En outre, une
fortification peut comprendre et a compris, suivant l'époque,
le lieu et la destination, une ou plusieurs des parties acces-
soires suivantes : i° des ouvrages intérieurs au corps de
place, mais ayant cependant une action extérieure sur la
campagne; i° des dehors, c'est-à-dire des ouvrages compris
à l'intérieur du fossé, entre le chemin couvert et le corps de
place, et destinés à protéger certaines parties de ce dernier,
à croiser leurs feux avec ceux de l'enceinte, de manière à
battre plus efficacement le terrain en avant, et à retarder la
marche de l'assiégeant ; 3° des ouvrages avancés, qui sont
situés en. dehors du chemin couvert, mais à une distance
assez faible cependant, de manière que leurs fossés puissent
être flanqués directement par le corps de place. Ils occu-
pent certains points du terrain extérieur ayant des vues
plus efficaces que celles de l'enceinte. Autrefois, ils avaient
une assez grande importance, parce que l'attaque rappro-
chée était alors considérée comme la plus redoutable; mais
ils sont abandonnés de nos jours; 4°des ouvrages détachés,
placés en aArant de l'enceinte, recevant d'elle une certaine
protection, en ce sens que le corps de place empêche l'en-
nemi de les tourner par l'arrière, mais disposés de manière
à se défendre par eux-mêmes. Peu employés dans les an-
ciennes fortifications, ils prennent maintenant une impor-
DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 323
tance de plus en plus marquée, en raison du rôle considé-
rable qu'ils sont appelés à jouer dans la défense des places
modernes.

Dans l'étude qui va être faite des deux tracés principaux,


le « bastionné » et le « polygonal », chaque front sera accom-
pagné de tous les dehors qu'il est susceptible de posséder.
Bien qu'on doive signaler au fur et à mesure l'importance
plus ou moins grande de chacun d'eux, il est nécessaire
cependant de bien préciser, dès le début, qu'ils sont loin
d'être tous indispensables et que, dans la pratique, il est
très rare de les voir tous réunis autour d'un même point de
la fortification. En ce qui concerne les dehors et les ouvrages
avancés, leur importance a singulièrement diminué de nos
jours par suite des progrès de l'artillerie ; ils étaient d'une
grande efficacité sans doute pour retarder la marche de l'as-
siégeant aux abords de la place, mais leur présence aug-
mente les difficultés qu'on éprouAre à couvrir les maçonneries
du corps de place. Comme il est en outre certain que l'artil-
lerie actuelle les aurait détruits de loin avant que l'assiégeant
soit arrivé sur les glacis de la fortification, on les supprime
dans les ouvrages modernes. Néanmoins, il en existe encore
dans les anciennes places, aussi convient-il de les étudier
en indiquant le rôle qui leur était réservé.

Représentation des ouvrages de fortification


La méthode employée pour représenter les ouvrages per-
manents est la même que celle dont on a fait usage précé-
demment pour les ouvrages de campagne.
On trace sur un plan la projection des différentes lignes
ou crêtes de la fortification, en indiquant la cote de chacune
d'elles au-dessus d'un plan idéal de comparaison. Les
crêtes intérieures ou lignes de feu et les magistrales sont,
en raison de leur importance, marquées d'un trait plus fort.
324 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
Les lignes représentant la projection de parties en terre ou
en bois sont tracées en noir; celles qui se rapportent à des
maçonneries sont figurées en rouge. Les eaux sont repré-
sentées par un trait bleu indiquant leur intersection avec les
terres. Les cotes placées près de ces différentes lignes sont
écrites de la même couleur que les traits auxquels elles se
rapportent.
Les abris ou autres constructions souterraines sont
figurés par des traits ponctués : rouges pour la maçonnerie,
noirs pour le bois et la terre, indiquant les limites inté-
rieures ou dans oeuvre des locaux. Quelquefois, dans les
plans à petite échelle, on se contente de tracer des hachures
sur l'emplacement occupé par ces divers dispositifs.
Sur les talus dont la pente est plus douce que 1/1, tels
que : talus extérieurs, glacis, plongées, etc., on trace en
.traits pointillés les horizontales de cote entière, en indi-
quant de distance en distance leurs cotes par des séries de
chiffres placés le long des arêtes ou d'une ligne de plus
grande pente.
Lorsqu'on fait le lavis à effet des dessins de fortification,
on dispose des teintes dégradées de haut en bas sur les talus
autres que les rampes, banquettes et terre-pleins, qui, dans
aucun cas, ne doivent être mis en couleurs.
Ces teintes sont d'autant plus foncées que le talus est
plus raide, sans jamais rendre confuse la lecture des des-
sins ; pour augmenter l'intensité de la teinte, on emploie
l'encre de Chine sur les talus à pente plus forte que le i/4-
Les talus des fortifications existantes reçoivent la teinte
verte; ceux des fortifications en projet, une teinte de gomme-
gutte ; les fonds des fossés, une teinte sépia très légère.
Dans les coupes, on adopte les mêmes teintes que précé-
demment, mais plus foncées. On marque par une teinte
jaune très légère les parties du parapet en remblai; et par
une teinte sépia, les parties formées par le terrain naturel.
Lorsque les crêtes d'un ouvrage sont établies dans un
plan de défilement, on trace l'échelle de pente de ce plan
DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE 325
par deux traits bleus parallèles et très rapprochés ; le trait
situé à droite, pour un observateur ayant la pente ascen-
dante du plan de\rant lui, est alors un peu plus fort que
l'autre.
Les échelles employées dans les dessins sont le 1/20 000,
le 1/10000 et le i/5 000, pour les plans d'ensemble; le
1/2 000, le 1/1 000 et le i/5oo pour les ouvrages isolés ou
les fronts; le i/5ob et le 1/200 pour les coupes.
Dans les dessins exécutés à petite échelle (le 1 \i 000 et au
delà), on supprime les horizontales sur les talus ou' ban-
quettes, et l'on simplifie le dessin des intersections. Aux
échelles plus petites encore, on se contente souArent de
figurer la magistrale, la crête intérieure du parapet, la
crête du chemin couA'ert ou des amorces de glacis. Souvent,
pour rendre les figures plus claires, on met un semis de
points dans les fossés et des hachures sur l'emplacement
des locaux couverts. Cette disposition sera fréquemment
employée dans cet ouvrage.
Pour compléter la représentation des ouvrages de fortifi-
cation, on emploie très souvent des profils et des coupes,
dont on indique la trace sur les plans. Une coupe diffère
d'un profil en ce qu'on y indique non seulement les parties
situées dans le plan par lequel on a fait la section, mais
encore celles qui se trouvent derrière ce plan, par rapport
au spectateur. Les lettres correspondant au plan de coupe
doivent être inscrites en commençant par celles qui se trou-
vent à gauche du spectateur, et en allant vers la droite;
cette remarque est importante, car sur deux coupes AB et
BA les parties représentées en projection sont opposées les
unes aux autres.
CHAPITRE XXIII

TRACÉ BASTIONNÉ

L'étude du tracé bastionné, telle qu'on Ara la trouver au


cours de ce chapitre et du suivant, doit être envisagée prin-
cipalement au point de Arue historique. Si, en effet, le prin-
cipe même de ce tracé, c'est-à-dire le flanquement du fossé
par les crêtes, est encore susceptible d'application de nos
jours, il n'en est pas de même des dispositions compliquées
longtemps employées dans les ouATages de fortification de
ce système.
Cette étude paraît devoir être conservée néanmoins, non
seulement en raison du grand nombre de Aieux ouvrages de
ce genre existant encore actuellement, mais aussi pour
montrer comment l'agencement des divers organes d'un
front de fortification peut accroître la valeur défensive de
celui-ci.
De même que les langues anciennes dont la nôtre est
dériArée fournissent l'origine des mots et l'explication des
tournures du langage moderne, ainsi l'examen raisonné des
vieux ouATages permet de se rendre compte des motifs pour
lesquels on a été conduit à adopter telle ou telle disposition
actuelle.
La logique rigoureuse exigerait d'employer le passé dans
tout le cours de l'exposé qui \& suivre; toutefois, par sim-
plification, on a cru devoir conserver le présent en bien
des cas.
TRACE BASTIONNE 337

Front bastionné

Pour exécuter le tracé d'un front bastionné, on opère


habituellement de la manière suivante : on figure d'abord
la ligne AS'qui joint les deux points où s'appuie le front à
construire (fig. i55). Sur le milieu de cette ligne AB, qui
porte le nom de côté extérieur, on élève une perpendicu-
laire CD dont la longueur varie entre 1/6 et 1/8 de AB. On
joint les deux points A et B à l'extrémité D de cette per-
pendiculaire, et, sur les deux lignes ainsi obtenues, on
prend des longueurs AE et BF égales à la longueur de la

Fig. i55. — Tracé haslionné.

ligne de défense, c'est-à-dire à la distance à laquelle on


admet que le flanquement puisse s'exercer efficacement. La
ligne EF, qui joint les extrémités de ces lignes de défense,
est ce qu'on appelle la courtine. Au point E on élève, sur la
ligne AE, une perpendiculaire EH que l'on prolonge jus-
qu'à sa rencontre avec la ligne BF; au point F on élève de
même, sur la ligne BF, une seconde perpendiculaire F G
que l'on prolonge jusqu'à son intersection avec la ligne AE.
On détermine ainsi les deux demi-bastions A-GF.el BHE,
dont les lignes A G et BH forment ce qu'on appelle les
faces, et les lignes GF et HE, les flancs. La ligne brisée
A GFEHB, tracée de la sorte, représente la magistrale du
front. Pour obtenir la contrescarpe, on décrit, des points A
et B pris comme centres, des arcs de cercle ayant pour
328 2e PARTIE —- FORTIFICATION PERMANENTE

rayon la largeur du fossé, et l'on mène par les points G


et II des tangentes à ces arcs; ou bien, on se contente de
tracer tout simplement des parallèles aux faces AG et B1I,
à une distance de chacune d'elles égale à la largeur du
fossé.
On remarquera que, dans ce tracé, chacun des flancs peut
couvrir de feux le fossé placé en avant du demi-bastion
opposé et. de la demi-courtine adjacente. L'angleAZÏ77'(ou
B F'G) se nomme angle de défense : on l'a pris ici égal à
go°. Certains auteurs ont recommandé d'en porter la A-aleur
à ioo°; en aucun cas, il ne doit descendre au-dessous de
900, car la direction des flancs se rapprochant trop de celle
de la capitale du front CD, ceux-ci seraient alors exposés,
outre mesure, aux feux d'enfilade, et seraient mal disposés
pour battre le fossé des bastions. L'angle AB H (ou BAG)
porte le nom d'angle diminué; plus cet angle est ouvert,
plus le tracé offre de profondeur, ce qui est un inconvé-
nient, puisqu'on occupe ainsi plus de terrain et qu'on offre
un but plus étendu à l'artillerie ennemie. L'angle B HE (ou
AGI?) est Yangle d'épaule; sa valeur est toujours environ
de 1100 à i3o° : cela est avantageux pour la solidité de l'ou-
Arrage, et, par cette disposition, on supprime en partie le
secteur privé de feux.
Lès différentes parties du tracé qui vient d'être indiqué
sont du reste assujetties, comme on va voir, à certaines con-
ditions.
i° Les lignes de défense AE et BF doivent avoir une
longueur suffisante pour que le fossé puisse être battu effica-
cement. On admettait autrefois 260 à 3oo mètres comme un
maximum pour la longueur de ces lignes, parce que c'était
la portée maxima des feux de mousqueterie. Cette limite a
été conservée longtemps, parce qu'elle répondait à la bonne
portée de la vue et à la distance à laquelle on pouvait tirer
sans changer la hausse des fusils. On pourrait évidemment
porter aujourd'hui, sans grand inconvénient, la longueur
TRACÉ BASTIONNÉ 32g
de la ligne de défense à 4oo mètres et même à 600 mètres,
puisque le flanquement est encore très efficace à pareille
distance avec les armes portatives actuelles, et que, d'ail-
leurs, le flanquement des ombrages de la fortification per-
manente est, le plus souvent, opéré à l'aide de bouches
à feu.
De cette considération il résulte que le côté extérieur doit
rester inférieur à 5oo ou à 800 mètres, suivant la ligne de
défense adoptée.
20 Pour que les feux partant de la crête des flancs puis-
sent battre complètement le fossé de la courtine, il faut que
ces feux se recroisent, au plus, à 5o centimètres au-dessus
du fond de ce fossé. Or, en admettant une profondeur de
6 mètres pour ce dernier, un commandement de 7 mètres
pour la crête (ce qui est une limite assez faible) et une
pente de 1/6 pour la plongée, on voit que : pour que le coup
de feu partant de la crête du flanc atteigne le fossé de la cour-
tine à 5o centimètres au-dessus du sol, il faut que la lon-
gueur de la demi-courtine soit égale à 6+7 — o,5o
12,5 X 6 = 75 mètres, ce qui donne un minimum de cour-
tine égal à i5o mètres environ. Ce minimum peut à la
rigueur descendre à 120 ou i3o mètres, en diminuant un
peu les hauteurs précédentes, mais ne saurait aller au delà.
Or, à moins d'avoir des bastions très exigus, dans lesquels
le défenseur peut difficilement se mouAroir et dont les faces
n'ont plus le développement nécessaire pour recevoir de
l'artillerie, cette longueur minima de la courtine entraîne
une longueur minima du côté extérieur égale à 200 mètres
environ.
Donc, le tracé bastionné ne peut s'adapter qu'à des côtés
extérieurs dont la longueur est comprise entre 200 et 800
mètres.
3° En raison de leur direction, toujours quelque peu
voisine de celle de la capitale, les flancs du front bas-
tionné sont évidemment en prise aux feux d'enfilade
330 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
et, quelquefois même, exposés aux feux de revers. Il con-
vient donc de ne leur donner que la longueur strictement
nécessaire pour assurer le flanquement efficace du fossé ;
4o ou 5o mètres sont en conséquence un maximum qu'il
serait imprudent de dépasser. Il semble difficile, d'autre
part, de leur donner moins de 20 mètres. C'est donc entre
20 et 5o mètres qu'il sera possible de faire varier leurs
dimensions.
Dans ce qui va suivre on admettra d'ailleurs pour le front
bastionné le profil antérieur à 1860, tel qu'il a été donné
dans la figure i46 du chapitre XXI, et, pour fixer les
idées, on supposera que le commandement des saillants de
bastion au-dessus du sol est de 7 mètres exactement. Les
crêtes des faces et des flancs, étant tenues dans un plan
incliné descendant vers la place, se raccorderont aArec celles
de la courtine placées 'à 6m5o au-dessus du sol, disposition
qui facilite le défilement du terre-plein du bastion.
Avant de quitter le bastion même, il convient d'ailleurs
de signaler l'existence assez fréquente, au saillant, d'un pan
coupé de 3 à 4 mètres, destiné à supprimer en partie le sec-
teur privé de feux que le tracé crée en avant de ce point.

Dehors du front bastionné


Ainsi qu'on l'a fait observer au début du présent chapitre,
l'étude du tracé bastionné ne peut se faire complètement
que sur un ouvrage de fortification ancien. Cette observation
s'applique tout spécialement à ce qui va suÎA're, relatif aux
dehors dudit tracé ; non seulement on n'a plus édifié d'ou-
A'rages de cette nature depuis longtemps, mais les diverses
propriétés qui justifiaient pleinement leur existence, avant
l'apparition de l'artillerie rayée, ont disparu depuis l'adop-
tion des armes modernes et des puissants explosifs dont
elles disposent. La figure i56 (page 33o bis) se rapporte
donc à un ancien tracé.
Planche B 330bie

Fig. 156. — Front d'étude bastionné. Échelle du (g^).

KJ.e<?txtti*£t/ti£.
TRACÉ BASTIONNÉ 33 I
Les dehors du front bastionné, c'est-à-dire les ouvrages
compris entre le corps de place et le chemin couvert, sont
les suivants : la tenaille; — la demi-lune ; — le réduit de
demi-lune; — les contre-gardes; — les places d'armes sail-
lantes et rentrantes;— les réduits de places d'armes.
Tenaille. — Cet ouvrage est une masse de terre desti-
née à couvrir l'escarpe de la courtine qui, à cause de l'élar-
gissement du fossé en ce point, est plus exposée aux coups
de l'artillerie que les faces des bastions. Bien que, par sa
position rentrée, la courtine ne soit pas une partie de la for-
tification où la brèche soit favorable, il faut' cependant la
protéger contre le canon.
Le tracé de la tenaille,peut être une simple ligne droite
parallèle à la courtine, ou une ligne brisée formée de deux
faces aboutissant aux angles d'épaule des demi-bastions.
C'est à cette forme, qui est la plus habituellement employée
pour ce dehors, que la tenaille doit son nom. Elle peut aussi
se retourner à ses extrémités, parallèlement aux faces ou
aux lianes, en affectant la forme d'un tracé bastionné,
comme l'indiquent les figures i56 (page 33o bis) et i56 bis
(page333).
Dans les anciennes fortifications, la tenaille recevait un
profil défensif, et ses crêtes étaient tenues à 3 ou 4 mètres
environ au-dessous de celles de la courtine, car elles ne
sont pas destinées à exercer une action sur l'extérieur. Le
massif de terre de la tenaille était alors soutenu, en avant et
en arrière, par des murs de revêtement laissant, entre eux et
l'escarpe de la courtine et des flancs, un fossé de io mètres
de large environ. Une partie de ce fossé est en angle mort,
et c'est là un des inconvénients de ce premier dehors.
Ultérieurement, la tenaille a été le plus souvent réduite au
rôle de simple masse couvrante; sa partie tournée vers l'ex-
térieur est alors au talus naturel des terres.
Demi-lune. — Le dehors le plus important du front
bastionné est la demi-lune. C'est un ouvrage affectant la
332 2e PARTIE —- FORTIFICATION PERMANENTE
forme.d'un redan, dont les faces viennent ficher sur celles
des bastions, à une certaine distance de l'angle d'épaule,
et dont le saillant est situé à 80 ou 100 mètres en aArant du
côté extérieur. Le fossé qui entoure la demi-lune débouche
dans celui du corps de place; les deux contrescarpes se réu-
nissent : celle du corps de place étant interrompue sur
toute, la largeur du fossé de ce second dehors.
Les demi-lunes fournissent des feux croisés très puissants
en aA'ant des saillants des bastions, suppriment par suite
les secteurs privés de feux qui s'y trouvent, et donnent au
tracé bastionné tous les avantages du tracé tenaillé. De
plus, lorsque les côtés extérieurs de deux fronts adjacents
font entre eux un angle voisin de 1800, les demi-lunes de ces
deux fronts placent le bastion qu'elles comprennent dans
une sorte d'angle rentrant et augmentent les difficultés d'ap-
proche. Mais, pour donner ces propriétés à la demi-lune,
on a été conduit parfois à porter son saillant à une grande
distance en avant du côté extérieur, ce qui a pour effet de
rendre ses faces très longues et très enfilables.
Les crêtes de la demi-lune sont plus basses que celles du
corps de place. C'est une application du principe, énoncé
précédemment (chap. XXI, page 3i6), que les ouvrages
placés en arrière doivent toujours avoir un commandement
sur ceux qui sont en aArant, afin de pouvoir contre-battrc
dans de bonnes conditions les retranchements que l'ennemi
tentera d'y établir lorsqu'il s'en sera emparé. (Exception
est faite pour la tenaille, dont le rôle se borne à celui de
masse couvrante, et qui gênerait lé flanquementdes fossés, si
son relief était déterminé d'après le principe général que l'on
vient de rappeler.)
Le saillant de la demi-lune est, en nombre rond, de
1 mètre
plus bas que le saillant des bastions : soit 6 mètres
environ de relief ; les extrémités de ses faces sont à 5o cen-
timètres en dessous du saillant : soit 5m 5o de relief. La
pente ainsi donnée aux crêtes de l'ouvrage a pour but de
faciliter le défilement de son terre-plein.
TRACE BASTIONNE
Le profil de la demi-lune est un peu plus faible que celui
du corps de place; le fossé peut être un peu moins large et
l'escarpe moins haute. •

Les faces de la demi-luné viennent passer à 3o mètres


environ de l'angle d'épaule et fichent sur les faces des bas-

Fig. i56 bis. — Glacis-masque fermant la trouée du fossé de demi-lune.

tions, pour fermer les trouées qui existent entre les flancs
de ceux-ci et la tenaille. De cette manière, le fossé de ce
dehors est bien flanqué par le corps de place ; mais cette
disposition a l'inconvénient de découvrir l'escarpe du bas-
lion sur toute sa hauteur, dans le prolongement du fossé de
la demi-lune ; et, lorsque l'ennemi est entré dans ce dernier
334 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
fossé, il pénètre sans difficulté dans celui du corps de
place, qui est de niveau avec le précédent.
Pour obAÙer à ces inconvénients, la meilleure solution,
qui est due au général Noizet, consiste à placer dans le
fossé de demi-lune un glacis-masque (fig. i56 bis), terminé
par un mur sur le fossé du corps de place, et formant un
long plan incliné battu par la crête du bastion, lorsque
celle-ci tire dans la direction du saillant de la demi-lune.
Afin d'éviter de supprimer l'obstacle, entre la demi-lune
et le chemin couvert, on a soin de ne donner à ce glacis-
masque qu'une hauteur inférieure de 3 à 4 mètres à celle
de l'escarpe de la demi-lune, ou, mieux encore, de laisser
entre les deux un fossé de 4 mètres de large. Plus simple-
ment, on peut rendre indépendants les fossés de la demi-
lune et du corps de place, en conservant entre eux une
différence de niveau de 2 mètres ; ou accepter franchement,
ce qui s'est fait encore assez souArent, les inconvénients pro-
venant de leur communication directe, pour éviter les com-
plications du glacis-masque ou des autres dispositifs du
même genre.

Réduit de demi-lune. — A l'intérieur de la demi-


lune, on établit généralement un ouvrage qui permet au
défenseur de s'y maintenir, lors même que l'ennemi est
maître du saillant. C'est le réduit de demi-luné, qui affecte
la forme d'un redan, dont les faces, parallèles à celles de la
demi-lune, sont prolongées par des flancs de 10 mètres de
longueur environ prenant à revers les brèches faites par l'en-
nemi au saillant des bastions. Le profil donné au réduit de
demi-lune comporte une escarpe moins haute que celle de
la demi-lune elle-même ; devant cette escarpe règne un fosse
de 10 mètres de large environ, dont la contrescarpe est
formée par le mur qui soutient les terres du parapet de la
demi-lune. Pour rendre ce fossé indépendant de celui du
corps de place, on maintient son niveau à 3 ou 4 mètres
environ au-dessus du fond de ce dernier.
TRACÉ BASTIONNÉ 335
Les crêtes du réduit sont horizontales ou légèrement
inclinées et à 5o centimètres au-dessus de celles de la demi-
lune. Pour éviter qu'une même batterie ne puisse enfiler à
la fois les faces de ces deux ouvrages, on donne quelquefois
à celles du réduit une direction différente de celles de la
demi-lune, contrairement à ce qui a été dit ci-dessus.
La demi-lune et son réduit sont fermés, à la gorge, par un
mur placé dans le prolongementde la contrescarpe des faces
du bastion et terminant l'obstacle vis-à-vis de la courtine.

Contre-garde. —.
La contre-garde est un ouvrage
qu'on place dans le fossé, parallèlement aux faces des bas-
tions, dont il est destiné à redoubler les feux. Il a de plus
l'avantage de protéger l'escarpe des bastions, car le fossé
qui le sépare de ce mur peut n'avoir que 10 à 12 mètres de
largeur, en reportant en avant de la contre-garde le fossé
plus large formant obstacle. Il est vrai que cette disposition
n'est pas toujours employée : les deuxfossés sont flanqués
alors par le même flanc. Si, comme dans la figure i56
(page 33o bis), la contre-garde est rejetée en avant, son fossé
est flanqué par la demi-lune. Les crêtes de la contre-garde
sont tenues à 1 mètre environ au-dessous des crêtes du bas-
tion. Cet ouvrage n'a pas été fréquemment employé, parce
qu'il augmente la profondeur de la fortification sans donner
de feux dans des directions nouvelles; il n'a que le seul
avantage de protéger l'escarpe des bastions.

Places d'armes saillantes et rentrantes. — En


étudiant le tracé du chemin couvert, on voit que, vis-à-vis
de chaque saillant, le terre-plein de cet ouvrage est plus
étendu par suite de l'arrondissement de la contrescarpe en
arrière. Cette partie un peu plus large, qui peut servir de
lieu de rassemblement aux troupes, forme ce qu'on appelle
une place d'armes saillante. Il en existe une de cette espèce
devant le saillant de chaque bastion et devant celui de la
demi-lune.
336 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
A l'angle rentrant formé par le fossé de la demi-lune et
celui de la face du bastion, le chemin couvert est modifié
dans son tracé de manière à présenter une sorte de redan,
dont les faces ont environ 4o à 5o mètres de long, et des
directions à peu près parallèles à celles des grandes bran-
ches du chemin couvert. Ces ouvrages, qui forment pour les
troupes des lieux de rassemblement analogues aux précé-
dents, mais plus sûrs, portent le nom déplaces d'armes
rentrantes. On leur donne le profil du chemin couvert,
en relevant légèrement leur saillant (de 5o centimètres
environ). Les places d'armes rentrantes flanquent puissam-
ment les branches du chemin couvert; pour les fermer, dans
la portion comprise entre la crête de cet ouvrage et la con-
trescarpe, on place des traverses qui reçoivent un profil
défensif et-dont la crête atteint la hauteur de celle du che-
min couvert.

Réduit de places d'armes rentrantes. —Pour con-


server au défenseur un point d'appui sur le chemin couvert,
lorsque l'ennemi s'est établi à son saillant, on peut cons-
truire, à l'intérieur des places d'armes rentrantes, des
ouvrages spéciaux qu'on nomme réduits de places d'armes.
Le tracé de ces oiwrages est celui d'un redan très aplati,
afin de laisser au terre-plein de la place d'armes une dimen-
sion suffisante. Leurs crêtes sont légèrement surélevées au
saillant, mais plus basses que celles de la demi-lune. Le
profil comporte un fossé de l\ mètres de large environ, indé-
pendant du fossé du corps de place et de la demi-lune,
et une escarpe de même hauteur. Le terre-plein est battu
à la fois par le corps de place, par la demi-lune et par son
réduit.

Chemin couvert. — On connaît déjà le tracé d'en-


semble de cet ouvrage qui suit la contrescarpe des faces des
bastions et de la demi-lune, en formant des places d'armes
dans les rentrants. Son relief au-dessus du sol est de 3m5o
TRACÉ BASTIONNÉ 337
à 4 mètres. Comme dans toutes les autres parties du front,
on donne à ses saillants un commandement de 1 mètre ou
de 5o centimètres sur les rentrants, afin de mieux défiler le
terre-plein. Mais, en raison de la longueur des faces de
l'ouvrage, et pour morceler la défense en empêchant l'en-
nemi, maître du saillant, de se répandre sur toute l'étendue
de son terre-plein, on coupe chacune de ces faces par deux
ou trois traA'erses distantes entre elles de 4o à 5o mètres. Ces
traverses, perpendiculaires à la contrescarpe, ont une hau-
teur égale à celle de la crête du chemin couvert ; elles reçois-
vent un profil défensif tourné vers le saillant et ont une
épaisseur de 4 à 6 mètres au sommet. Les crêtes du chemin
couvert peuvent affecter un tracé en crémaillère, ce oui a
l'avantage de mieux les soustraire à l'enfilade; chaque tra-
A'crse masque alors un des crochets, et l'on ménage un petit,
passage entre sa tête et la crête du chemin couvert. Autre-
ment, cette dernière crête conserve une direction générale en
ligne droite et contourne l'extrémité de chaque traArerse, en.
laissant tout autour un intervalle de 2 mètres, pour le pas-
sage. Ce dernier tracé, dit à clameaux, a l'inconvénient de
laisser en angle mort les petits passages ménagés à la tête
des traverses.

Glacis. — Les glacis doivent être battus par le corps de


place ou ses dehors, ainsi qu'on l'a vu dans l'étude du profil.
Ce sont par conséquent des plans qui s'appuient aux crêtes
des différentes brisures du chemin couvert et qui sont diri-
gés de manière à rester bien en prise, aux feux des ouATages
situés en arrière. Leurs intersections forment ce qu'on
appelle des arêtes ou des gouttières, suiA^ant leur dispo-
sition.

Coupures. — Lorsqu'une face d'ouA'rage a une lon-


gueur assez grande cl une direction telle que les feux d'en-
filade y soient à craindre, on peut obAier à cet inconvé-
nient en y établissant une coupure. On désigne ainsi une:
MANUEL DE FORTIFICATION '2Î
338 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
brisure de la crête et du parapet dirigée perpendiculaire-
ment à la face en question, et précédée d'un fossé, de 8 à
io mètres de largeur et de 4 mètres de profondeur. Cette
disposition, employée parfois sur les faces de la demi-lune
et même sur celles des bastions, a l'avantage de morceler la
défense, mais présente en retour l'inconvénient de créer
une foule de petits ouvrages, dans lesquels les communica-
tions sont très difficiles, et qui deviennent de véritables
nids à bombes. Le fossé de la coupure, qui a la profondeur
minima de 4 mètres, est fermé, du côté du fossé général,
par un mur détaché ou batardeau destiné à rétablir en ce
point l'obstacle dans toute sa hauteur. La partie supérieure
de ce batardeau est ordinairementtaillée en forme de toit et
porte, sur le milieu de son arête, une dame ronde en ma-
çonnerie, qui achève d'y rendre la circulation impossible.

Communications dans le front bastionné. —


Pour faciliter l'accès du terre-plein aux défenseurs, et pour
permettre d'y amener les bouches à feu de l'artillerie, on
ménage, en arrière, des rampes ayant une inclinaison aussi
douce que possible (i/6 au maximum). Ces rampes sont
accolées au talus de rempart ; les horizontales du plan dans
lequel est contenue leur face supérieure sont perpendicu-
laires à la ligne de foulée, afin que les roues de voitures qui
y circulent soient au même niveau. Leurs places les plus
avantageuses sont le long de la courtine, ou des faces de
bastion. Elles doivent toujours être aussi nombreuses que
possible.
Une galerie en maçonnerie, inclinée, A'oûtée et noyée
dans les terres du parapet, permet de descendre du. corps
de place dans le fossé. Cette galerie, qui porte le nom de
poterne (fig. I5J), a son entrée au milieu de la courtine,
au niveau du sol naturel ; elle débouche dans l'escarpe der-
rière la tenaille, à i mètres au-dessus du fond du fossé. La
communication avec le fond du fossé même est établie à
l'aide d'un escalier (ou rampe) mobile en bois, que l'on
TRACÉ BASTIONNÉ 33 g
peut supprimer à volonté, de manière à interdire l'accès
de la poterne.
On peut aussi faire déboucher cette communication au
niveau du fond du fossé et l'interrompre à l'intérieur par un
ha-ha, petit fossé de 4 mètres recouArert d'un pont mobile.
La poterne a ordinairement 2m 5o de largeur et une hau-
teur égale.
Deux petits escaliers, dits pas-de-souris, accolés contre
le milieu du mur qui soutient en arrière les terres de la
tenaille, permettent de monter du fond du fossé sur le
terre-plein de cet ouATage.
On traverse la tenaille sous une poterne horizontale éta-

Fig. 157. — Poterne.

blie au niveau du fond des fossés, ce qui n'a pas d'inconvé-


nient, parce que cette galerie ne donne aucune autre com-
munication.
La traversée du fossé du corps de place se fait suiArant la
capitale et sous la protection d'un ouvrage spécial appelé
double caponnière (fig. ioy bis). C'est un simple passage de
3 mètres de largeur en moyenne, situé au niAreau du fond du
fossé et bordé, à droite et à gauche, d'un parapet en terre
de 3 mètres environ de relief, organisé défensivement. Son
profil comporte : à l'intérieur, une banquette d'infanterie,
et à l'extérieur, des glacis à la pente douce de i /8 ou de i /1 o.
Afin de ne pas diminuer la hauteur du mur qui soutient
340 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
la gorge des. réduits de demi-lune, on coupe la crête de la
double caponnière à 3 mètres de ce mur, ce qui permet en
même temps au défenseur de suiA're la muraille terminant
la demi-lune et son réduit, pour se rendre dans les places
d'armes rentrantes.
On entre dans le réduit de demi-lune par deux pas-de-
souris placés le long du mur de gorge, symétriquement par
rapport à la capitale. Du terre-plein bas du réduit on arrive
sur le terre-plein haut à l'aide de rampes accolées aux talus
de rempart de l'ouvrage ou d'une rampe en capitale.
Pour arriver dans la demi-lune, on passe sous une
poterne de 2 mètres de large, qui fait communiquer le
terre-plein bas du réduit de demi-lune aArecson fossé; de là,

Fig. i!)7 bis. — Double caponnière dans un tracé bastionné.

on accède au terre-plein de la demi-lune (ou des coupures)


au moyen de rampes accolées au talus de rempart de cet
ouvrage, ou de pas-de-souris placés contre la muraille lors-
qu'il y en a une.
Cette disposition a pour conséquence d'obliger les défen-
seurs de la demi-lune à traverser le réduit, lorsqu'ils battent
en retraite. Elle est contraire au principe énoncé à diverses
reprises dans la première partie du Manuel, sous la forme
suivante : Les lignes de retraite ne doiventjamais traverser
le réduit, parce que l'ennemi poursuivant les défenseurs
serait amené de la sorte dans ce dernier ouvrage.
Ainsi, pour obvier à cet inconvénient, on a quelquefois
raccourci les faces du réduit de demi-lune, de manière à
laisser, entre leurs extrémités et la contrescarpe, l'espace
suffisant pour loger une rampe avec ha-ha. (Voir page 342
TRACÉ BASTIONNÉ 34l
et fig. i5g), qui donne accès directement du fossé du corps
de place sur le terre-plein bas de la demi-lune.
Pour aller dans les places d'armes rentrantes et dans le
chemin couvert, on suit, en sortant de la double caponnière,
le mur de gorge de la demi-lune et de son réduit : au
débouché du fossé de demi-lune, on traverse une capon-
nière simple, petit ouvrage identique à l'une des moitiés de

Fig. i58. — Sortie de chemin couvert.

la double caponnière placée en capitale, et protégeant le


défenseur des A-ues de l'assiégeant établi au saillant de la
demi-lune. Ces caponnières simples sont coupées à 3 mètres
du mur de contrescarpe de la demi-lune, afin de ne pas
diminuer l'obstacle qui sépare les places d'armes rentrantes
du fossé. On accède aux places d'armes rentrantes par des
escaliers accolés aux murs qui les terminent sur chacun des
fossés, et débouchant sur le terre-plein de l'ouvrage. De là,
on passe dans le fossé du réduit de place d'armes par une
poterne inclinée qui traverse le massif du parapet, et on
342 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
monte de ce fossé sur le terre-plein du chemin couvert par
des rampes accolées à la contrescarpe des réduits.
On passe du chemin couvert sur le glacis par des sor-
ties de chemin couvert, petites rampes un peu raides, de
3 mètres environ de largeur, allant du terre-plein de l'ou-
vrage au niveau du glacis (fig. i58) et formant, par consé-
quent, dans le parapet, de légères interruptions que l'on
ferme au besoin par des barrières.
Lorsqu'il y a une contre-garde, on y accède par des pas-
de-souris placés dans, la contrescarpe, à chaque extrémité

Fig. i5g. — Ha-ha dans un pas-de-souris.

de l'ouvrage. Pour se rendre au chemin couvert, on traverse


alors le fossé de la contre-garde, sous la protection d'une
caponnière simple, et on arriA-e aux escaliers du réduit de
place d'armes.
Gomme on le Aroit, toutes ces communications sont établies
de manière à défiler le défenseur des ATies de l'ennemi.
Cette condition est évidemment indispensable; mais il faut,
en outre pouvoir interdire au besoin les passages ainsi pra-
tiqués dans les différentes parties de la fortification. Pour
cela : dans les poternes, on dispose des portes, barrières ou
grilles derrière lesquelles on peut faire le coup de feu ; dans
les escaliers (ou rampes) accolés aux maçonneries, on
place des ha-ha, c'est-à-dire que l'on y pratique des inter-
TRACÉ BASTJONNÉ 343
ruplions ayant 4 mètres de largeur que l'on franchit sur
des poutrelles ou des madriers disposés à cet effet et faciles
à retirer au moment voulu (fig- i5g).
On adopte du reste, pour l'ensemble du front, une dispo-
sition ayant pour objet de défiler entièrement les défenseurs
circulant dans le fossé, entre le corps de place et les princi-
paux dehors. C'est une application du principe suivant,
auquel on donne quelquefois le nom de « principe des trois
points ».
Lorsque trois masses couvrantes A, B et C (fig. 166) sont
établies en ligne droite, de telle manière que les deux
extrêmes A.ei B étant d'un côté de cette ligne, l'intermé-
diaire C soit placée du côté opposé, un coup de feu; tiré

dans une direction parallèle à 45 ne peut atteindre les


hommes placés entre les points A et B ou au-dessous de la
ligne ACB, et tout l'espace situé à droite de la masse B,
par exemple, est défilé aux vues de la partie du terrain
située à gauche de la masse A.
Conformément à ce principe, on établit sur la même ligne
droite : le saillant du bastion, — l'extrémité de la face de la
demi-lune (ou du glacis-masque, lorsqu'il en existe un), —-
et l'extrémité de l'a double caponnière, la plus rapprochée
de la contrescarpe, afin de garantir entièrement la commu-
nication entre le corps de place et le réduit de demi-lune.
On place de même en ligne droite : l'extrémité de la face
du réduit de place d'armes rentrante dirigée vers la demi-
lune, — l'extrémité de la face de la demi-lune, — et l'angle
d'épaule du bastion opposé, afin que l'ennemi ne puisse
344 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
faire brèche à la courtine par la trouée existant entre le
liane et la tenaille.

On remarquera, d'autre part, qu'il est important de mul-


tiplier autant que possible les communications et de les
installer de manière que le défenseur puisse y circuler com-
modément et à l'abri des coups de l'ennemi. On reproche
avec raison à celles du tracé baslionné, qui viennent d'être
décrites, d'être seulement défilées aux vues, ce qui en rend
l'usage dangereux et la destruction facile.

Ouvrages intérieurs
On donne le nom d'ouvrages intérieurs à divers retran-
chements établis à l'intérieur même du corps de place. Les
plus usités dans les fronts bastionnés sont : les cavaliers,
les retranchements intérieurs et les réduits.

Cavalier. — Le cavalier est un ouvrage intérieur dont


les crêtes dominent celles du corps de place, et dont le
grand commandement permet d'obtenir des vues étendues
sur la campagne ÇVoirJig. i56, page 33o bis). Il est le plus
souvent organisé pour recevoir de l'artillerie ; son relief au-
dessus du sol atteint aisément 10 ou 12 mètres, et même
davantage ; son parapet doit avoir l'épaisseur minima de
8 ou 9 mètres, car il est destiné à recevoir un grand nombre
de projectiles; son talus extérieur, sans maçonnerie, est tenu
à l'inclinaison naturelle des terres. On place de préférence
les cavaliers dans les bastions; leurs faces sont dirigées
parallèlement à celles de ces derniers, ou perpendiculaire-
ment aux capitales, de manière à envoyer des feux dans ces
directions.
Ces ouvrages ont été fort en honneur dans la fortifica-
tion jusqu'en 1885 : ils procuraient des vues et facilitaient
l'installation des locaux voûtés. Ces deux avantages ont dis-
TRACÉ 1ÎASTI0NNÉ 345
paru parce que, en raison même de leur grand commande-
ment qui les signale à l'ennemi, les cavaliers sont, plus que
toute autre partie de la fortification, exposés à une destruc-
tion rapide et, avec eux, les pièces qu'ils portent et les
locaux qu'ils recouvrent.

Retranchement intérieur. — A l'époque où les


places fortes se composaient le plus souvent d'une simple
enceinte, on devait se préoccuper d'en assurer la conserva-
tion après que l'ennemi'avait réussi, par un tir méthodique,

Fifl. i6i. — Retranchement intérieur.

à y ouvrir une brèche praticable pour ses colonnes d'as-


saut. Pour atteindre ce résultat, on recommandaitd'établir,
dans chaque bastion du point d'attaque, un retranchement
intérieur, c'est-à-dire un parapet fermant la gorge de ce
bastion et donnant des feux sur le saillant. De la sorte, on
isolait le point où l'ennemi avait fait brèche et on rétablis-
sait la continuité de l'enceinte.
Ce retranchement pouvait affecter : soit la forme d'une
tenaille ABC appuyée aux faces ou aux flancs du bastion
(,/ig. 161), soit celle d'un front haslionnè DJ'JF GifK appuyé
3/|6 2 e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

aux flancs ou aux extrémités de la courtine, disposition qui


assurait son flanquement d'une manière complète.
On ne s'arrêtera pas à discuter la valeur relative de ces
diverses solutions d'un problème qui se pose actuellement
dans des conditions toutes différentes.

Réduit. — Dans le même but de prolonger la résistance


d'une place en morcelant la défense de son enceinte, on
avait eu l'idée d'organiser chaque bastion de manière à lui
permettre de résister à une attaque venant de l'intérieur de
la ville, lorsque l'ennemi a pénétré dans la place par la
brèche. Pour cela, on avait proposé de fermer la gorge du
bastion par un retranchement, de forme bastionnée ou
autre, dirigé vers la place. De cette manière, chaque bastion,
recevant une garnison spéciale, pouvait continuer à se
défendre isolément. Cette disposition, qui n'a jamais reçu
son application chez nous, avait l'inconvénient d'affaiblir la
garnison au moment où la cohésion lui est plus nécessaire
que jamais; plus que d'autres encore elle est devenue abso-
lument surannée. On verra d'ailleurs, dans l'étude de l'or-
ganisation complète d'une place, comment doit être entendu
maintenant le mot réduit s'appliquant aux forteresses.
CHAPITRE XXIV

ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS BASTIONNÉS

Historique. — Pour retrouver l'origine du tracé bas-


tionné qui vient d'être décrit, il faut remonter jusqu'aux
anciennes enceintes formées de hautes et puissantes mu-
railles précédées d'un large fossé servant à tenir éloignées
les machines de guerre, et flanquées de distance en distance

par de grosses tours ayant dans le principe la forme circu-


laire (fig. 162). Cette disposition laissait évidemment une
partie AMB assez notable de chacune des tours entièrement
cachée aux vues des défenseurs placés sur les tours voi-
sines ; mais cet inconvénient était d'assez faible importance
à une époque où l'on considérait la courtine (partie de l'en-
ceinte comprise entre deux tours voisines) comme la seule
portion de la muraille ayant besoin d'être efficacement pro-
tégée. Lorsque les premiers progrès de l'artillerie eurent
obligé les constructeurs à doubler leurs murailles d'un
épais matelas de terre, et que, par suite, les tours eurent
pris de plus grandes dimensions, eu égard à l'accroissement
348 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
de leur profil, on dut chercher à supprimer leur partie non
flanquée, et on leur donna un tracé se rapprochant déjà du
tracé bastionné. Cependant, la courtine demeura longtemps
encore la partie que l'on considérait comme important de
bien flanquer, et le flanc des tours ou bastions fut en consé-
quence établi perpendiculairement à sa direction. C'est le
tracé que l'on retrouve chez tous les ingénieurs français et
italiens du seizième siècle.
L'ingénieur français PAGAN comprit le premier que le
bastion progressivement développé était devenu la partie la
plus importante du tracé, celle qui réclamait le flanquement
le plus efficace, et il en modifia la forme dans ce sens.
Après lui, l'illustre VAUBAN vint donner à ce tracé bastionné
sa forme définitive, et sut l'organiser d'une façon telle
qu'après lui les plus habiles ingénieurs n'ont eu que des
modifications de détail à y apporter.

Tracés de Vauban. — On s'accorde à classer les


divers tracés de Vauban (qui diffèrent tous entre eux parce
qu'ils étaient tous appropriés à des sites différents) suivant
trois systèmes, que l'on peut aisément réduire à deux : les
deuxième et troisième étant construits d'après un principe
unique et présentant de très grandes analogies.

PREMIER SYSTÈME DE VAUBAN {planche F, page 348 bis).


— Dans le premier système, le tracé porte sur un côté exté-
rieur ayant en moyenne 36o mètres (en réalité, Vauban l'a
exécuté sur des côtés variant de 25o à 8oo mètres); la per-
pendiculaire est à peu près i/6 de ce côté extérieur et les
flancs ont environ 5o mètres.
Le profil du corps de place (Jig. i64) montre que
l'escarpe s'élève jusqu'à la plongée, c'est-à-dire que le talus
extérieur est remplacé par un mur de soutènement. Cette
disposition, que l'on rencontre dans un grand nombre d'ou-
vrages construits par ce célèbre ingénieur, s'explique par le
peu de puissance de l'artillerie de son temps; elle n'existe
Fig. 163. — Premier système de Vauban. Échelle du (g^gg).

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ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS BAST10NNÉS 34g
déjà plus dans ses derniers tracés et disparaît après lui. La
crête intérieure du corps de place est à 8 ou g mètres au-
dessus du sol naturel, de manière à avoir un fort comman-
dement. Le fossé a 5™ 5o environ de profondeur et l'escarpe
10 mètres de hauteur, non compris le mur de soutènement
du parapet ; la largeur du fossé atteint 3o ou 4o mètres.
Les flancs des premiers ouvrages construits par Vauban
portent en saillie, sur le tiers environ de leur longueur, une
portion arrondie à laquelle on a donné le nom d'orillon
{fig. J63). Les orillons étaient destinés à protéger, contre
les coups de l'artillerie ennemie, le flanc proprement dit,
placé en arrière dans une partie rentrée, et affectant un
tracé courbe qui augmente sa longueur de crête et le ga-
rantit contre les feux d'enfilade. Cette disposition fut aban-
donnée dès que l'expérience eut démontré que l'orillon était
rapidement démoli par l'artillerie assiégeante ; elle avait
cependant l'avantage de bien couvrir le débouché des esca-
liers conduisant au fossé, placés dans le revers de l'orillon.
La tenaille affecte la forme bastionnée.
Dans les premiers tracés, la demi-lune n'a pas de réduit,
mais elle est, parfois, munie de flancs parallèles à la capi-
tale, destinés à prendre à revers les brèches au saillant du
bastion. Plus lard, Vauban imagina le réduit de demi-lune,
en lui donnant une étendue assez restreinte. On remarquera
que dans ces tracés (fîg. i63) la saillie de la demi-lune, sur
le côté extérieur, est assez faible : elle dépasse rarement
8o mètres; celte disposition avait pour effet de la mieux
garantir des coups d'enfilade.
Le premier système de Vauban ne comprend pas d'autres
dehors. Les fossés de tous les ouvrages communiquent entre
eux, ce qui est un inconvénient. Les communications sont
peu couvertes, car la double caponnière n'existe pas. C'est,
en somme, d'après ce qui précède, un tracé identique, sauf
quelques détails, à celui qui a été étudié comme front-type
dans le chapitre précédent; et, en effet, les successeurs de
Vauban n'ont fait autre chose que de perfectionner ce nou-
350 2e PARTIE •
FORTIFICATION PERMANENTE

veau tracé, en y ajoutant quelques dehors et en modifiant


quelques dispositions de détail.

DEUXIÈME ET TROISIÈME SYSTÈMES DE VAUBAN (Seconde


manière; planche G, page 35o bis). — A la fin de sa car-
rière, lorsque Vauban fortifia Belfort, Landau et Neuf-Bri-
sach, il adopta un principe, nouveau qui consistait à séparer
le corps de place en deux enceintes : l'une, extérieure,
organisée de manière à former une enceinte complète, rece-
vant la plus grande partie du canon et soutenant la lutte
avec l'assiégeant; l'autre, d'une profondeur moindre, ga-
rantie par la première des coups de l'artillerie ennemie,
constituant par suite une enceinte de sûreté qu'on pouvait
conserver jusqu'au bout, et formant l'obstacle opposé à
l'ennemi. En vue d'assurer un flanquemenl puissant à cette
seconde enceinte, Vauban plaçait à chacun de ses saillants
une tour en maçonnerie, renfermant de solides casemates,
dans lesquelles on installait des tireurs et de l'artillerie.
Dans le deuxième système, l'enceinte intérieure est recti-
ligne entre les deux tours voisines; dans le troisième, elle
est au contraire bastionnée : c'est la différence principale
qui existe entre ces deux tracés.
Comme on le voit, cette disposition inaugurait un nou-
veau principe, celui de la séparation de l'enceinte en une
ligne de combat et une ligne de sûreté, la première proté-
geant la seconde.
L'enceinte de combat (fig. i65, page 35o bis) se compo-
sait d'une série de bastions déterminés comme cela a été
indiqué précédemment; mais chacun de ces bastions était
coupé au point où la courtine devait commencer, et fermé
à la gorge par un mur affectant un tracé rentrant vers l'inté-
rieur. La tenaille, dont les faces prolongeaient celles des
bastions, formait un massif s'étendant en arrière jusqu'à
l'emplacement qu'aurait occupé la courtine ; elle était sé-
parée des bastions par un fossé de 10 mètres. Chacun des
éléments de cette première ceinture était du reste organisé
fi Fig. 165. — Troisième système de Vauban. Tracé de Neuf-Brisach. Échelle du (5^5).
1
s.
5.
s.-

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Fig. 166. — Profil dans le front de Neuf-Brisach. Échelle du (j^g).
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35Ibis Planche H

Fig. 167. — Coupe FG par l'axe de la poterne de la tour.

Fig. 168. — Coupe transversale ABCD.

Fig. 169. — Plan de l'étage inférieur de la tour.

EJxamntltfjJ'. (MNcr.i.i-1H-BERGER - LV-VRAUI- " *-


ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS BASTIONNÉS 351
.

de manière à jouer le rôle qui lui était réservé dans le tracé


bastionné ordinaire.
L'enceinte intérieure s'appuyait à un côté extérieur paral-
lèle au premier et situé à 18 mètres de la gorge de la
tenaille. Dans le tracé de Landau {deuxième sgstème), elle est
en ligne droite ; dans celui de Neuf-Brisach (troisième sys-
tème), elle est bastionnée, mais la perpendiculaire n'a que
io mètres de longueur. Les flancs de cette enceinte sont
dans le prolongement de ceux des bastions détachés. A
chaque saillant, une tour de forme pentagonale, en saillie
de 12 mètres sur la face du bastion, flanque les fossés. Elle
est munie d'un étage inférieur de casemates; sa partie supé-
rieure reçoit un profil défensif et peut être garnie d'un
certain nombre de tireurs. Les figures 167, 168 et.169
(planche H, page 351 bis) en font voir la disposition. Les
crêtes des deux enceintes sont à la même hauteur (6 mètres
au-dessus du sol); les tours dépassent la crête de l'enceinte
intérieure de 60 centimètres environ. En somme, toute l'en-
ceinte intérieure est bien protégée par l'autre ; aussi Vau-
ban lui donnait-il une escarpe de 10 mètres montant jusqu'à
la plongée, le fossé en avant n'ayant que 5 mètres de pro-
fondeur (Voir fig. 166, page 35o bis). Sur les bastions dé-
tachés, au contraire, qui doivent recevoir de nombreux pro-
jectiles, la plongée est terminée par un talus extérieur et
l'escarpe n'a que 6 mètres de hauteur : celte disposition
n'existe toutefois que dans le troisième système; dans le
second, les bastions détachés reçoivent un revêlement qui
monte jusqu'à la plongée. L'escarpe des tenailles est encore
moins élevée et n'atteint que 4.mètres; le sommet de celle
escarpe ne dépasse le sol que d'une faible quantité; c'est ce
que Vauban appelait des demi-revêtements. En avant des
bastions de l'enceinte extérieure, on trouve dans ce tracé
une demi-lune avec réduit. Un fossé de même profondeur
règne autour de tous ces ouvrages ; le chemin couvert est
organisé comme dans le premier système.
Les communications sont meilleures que dans les autres
352 2 e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
tracés, mais laissent cependant encore à désirer. — Pour
pénétrer sur les bastions détachés, on entre dans la tour
par une poterne (fig- i6y et i6g, page 351 bis), on suit une
galerie qui en fait, le tour, on descend dans le fossé et on
remonte sur le bastion par un des deux pas-de-souris placés
dans le mur de gorge (fig. i65, page 35o bis). — On se
rend de même sur la tenaille, par un escalier identique qui
la réunit au fond du fossé, ou en passant par lès bastions
détachés, au moyen d'une poterne placée sous le parapet
et d'un pont mobile jeté sur le fossé qui sépare ces deux
ouvrages. — Pour aller dans la demi-lune et son réduit, on
traverse le massif de la tenaille sous une poterne, à niveau
du fond du fossé, et le fossé dans une double caponnière ;
des escaliers conduisent, à la demi-lune, à son réduit, ou
aux places d'armes saillantes et rentrantes.
Cette deuxième manière de Vauban montre toute la puis-
sance de ce grand ingénieur; elle contient en germe la plu-
part des idées qui, développées plus tard par d'autres, ont
produit les nouveaux systèmes de fortification. Il convient
de faire remarquer que déjà la hauteur des crêtes au-dessus
du sol a subi une diminution considérable, afin d'offrir un
but moins visible à l'artillerie ennemie et de faciliter la pro-
tection des maçonneries ; cette disposition sera conservée
par les ingénieurs suivants. Les escarpes de l'enceinte exté-
rieure exposées à l'ennemi sont moins hautes que les an-
ciennes, et. le parapet des ouvrages de combat est, par
suite, d'une destruction plus difficile. On voit apparaître
aussi, dans l'enceinte intérieure, le principe du tracé poly-
gonal : c'est-à-dire le Manquement, des fossés par un ouvrage
spécial. Ce flanquemenl est ici assuré par les feux des case-
mates ménagées non seulement dans les tours des saillants,
mais encore dans les flancs des bastions de cette deuxième
ligne. Enfin, la séparation de l'enceinte en deux parties,
l'une de combat et l'autre de sûreté, est en quelque sorte
l'embryon du principe même de l'organisation des places
modernes avec enceinte et, forts détachés.
ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS BASTIONNÉS 353
Il est assez étrange que les ingénieurs qui suivirent
n'aient pas continué dans la Aroie que Vauban leur avait
ainsi tracée; ils furent arrêtés sans doute par les inconvé-
nients que présentaient les tours de Neuf-Brisach, inconvé-
nients inhérents au mode de construction et non au principe
lui-même. En effet, les casemates de ces tours étaient mal
ventilées, le service des pièces y était fort incommode. De
plus, ces voûtes étaient construites de manière que leur
axe fût parallèle aux façades de la tour, ce qui avait pour
effet de présenter les pieds-droits à l'ennemi, disposition
regrettable au point de vue de leur solidité. Enfin, la partie -
supérieure étant tout entière en maçonnerie, les projectiles
qui y arrivaient projetaient des éclats de pierre de tous côtés
et rendaient impossible le séjour sur les parties voisines. Il
n'y aurait eu cependant que de faibles modifications à y
apporter pour transformer ces tours en véritables capon-
nières, telles que celles qui seront décrites plus loin en étu-
diant le tracé polygonal.

Tracés postérieurs à Vauban. — L'étude com-


plète d'un de ces tracés ayant été faite lors de la description
générale du front bastionné, il est inutile d'y insister à nou-
veau. L'ingénieur français postérieur à Vauban qui résume le
mieux les idées de son époque, est CORMONTAIGNE, dont les
notes recueillies et publiées, longtemps après sa mort, sous
le titre de Mémorial, ont formé pendant de longues années
le corps de doctrines de.l'Ecole française.
Ce qui caractérise la fortification de Cormontaigne, c'est
la dimension du relief des parapets et des. escarpes, dans le
but, de les mieux dissimuler à l'assiégeant et de protéger
ainsi les murailles ; c'est aussi quelques perfectionnements
apportés dans les communications, et notamment la créa-
tion des caponnières simples au débouché des fossés des
demi-lunes ; c'est enfin l'adoption de nouveaux dehors :
réduits de places d'armes rentrantes et contre-gardes.
Les ingénieurs de cette époque se montrent du reste
MANUEL DU FORTIFICATION 23
354 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
essentiellement préoccupés de la lutte contre l'assiégeant
aux abords immédiats de la fortification, et l'action des
ouvrages sur le terrain éloigné est souvent sacrifiée par eux
pour obtenir un meilleur défilement des terre-pleins et battre
plus complètement la zone la plus rapprochée. L'exemple
le plus remarquable de cette disposition est fourni par le
fort Bellecroix (Metz), construit par Cormontaigne et placé
de manière à échapper complètement à l'ennemi établi à
quelques centaines de mètres, mais n'ayant par contre que
des vues fort limitées.
A l'étranger et notamment en Hollande, se forma une
autre école, rivale de l'Ecole française, à la tête de laquelle
se trouve GOEHORN, qui, ayant à appliquer le tracé bastionné
à des pays perpétuellement inondés, le modifie très heureu-
sement pour utiliser cette circonstance en vue d'augmenter
la valeur de la fortification.
Après Cormontaigne, les ingénieurs français poursuivent
l'oeuvre entreprise et suivent la même voie de perfectionne-
ment du tracé bastionné en vue de la défense rapprochée.
A cet effet, chaque ouvrage est morcelé par dés réduits et
des coupures qui arrêtent les progrès de l'ennemi maître
d'un saillant et l'obligent à de nouveaux travaux. L'améliora-
tion la plus originale et la plus réelle est la création, par le
général NOIZET et VEcole de Metz, du glacis-masque établi à
l'extrémité du fossé de demi-lune, comme cela a été indi-
qué un peu plus haut (Voirpage 334). On peut citer égale-
ment les dispositions ayant pour but d'isoler chaque fossé
des voisins et d'assurer l'indépendance des diverses commu-
nications intérieures.
Le front bastionné muni de tous ces perfectionnements
forme un ouvrage merveilleusement organisé en vue de
résister aux.travaux d'approche et au genre d'attaque usité
autrefois ; les différents ouvrages se prêtent un mutuel
appui et obligent l'assaillant à passerpar une série de longs
et, pénibles travaux. Mais cet organisme si parfait a de nos
jours un grave inconvénient : c'^est qu'il est détruit avant
ÉTUDE DE QUELQUES TRACES BASTIONNÉS 355
d'avoir réellement servi, car les projectiles de l'artillerie
sont venus en ruiner les différentes parties et l'oeuvre si
bien conçue fait défaut au moment du besoin.
On avait d'ailleurs pressenti cet inconvénient, et, en
France, où le système bastionné était alors seul en usage,
les travaux exécutés pendant la première moitié du dix-neu-
vième siècle sont beaucoup plus simples que ces différents
tracés ; assurément, la raison d'économie y était pour quelque
chose, mais on reconnaissait, aussi qu'il était désormais inu-
tile d'accumuler tant de chicanes.
On peut citer, comme exemple, les fronts de l'enceinte
.
de Paris, construits vers i84o, qui ne possèdent absolument
aucun dehors, et ceux des forts de la même place, dont les
fronts comportent seulement une tenaille réduite au rôle de.
masse couvrante et une place d'armes rentrante formée par
le chemin couvert devant le fossé de la courtine. Les forts
de Metz, à peine achevés au moment de la guerre de 1870,
étaient également construits d'après ces principes;, les
tenailles étaient de simples, masses couvrantes se retournant
devant les flancs et la courtine, et le seul dehors était une
place d'armes rentrante placée devant cette courtine.
Dans les ouvrages construits depuis 1870, en faisant
usage du tracé bastionné, on a supprimé toute espèce de
dehors, sauf quelquefois la tenaille.
1:1 faut
remarquer enfin que le flanquement obtenu par la
crête des flancs peut être doublé de feux donnés par des
pièces établies dans des casemates derrière l'escarpe. Cette
disposition, inspirée des tours casematées de Vauban, pro-
cure au tracé bastionné une partie des avantages du tracé
polygonal; mais, eu égard à la situation des flancs, placés
à l'extrémité de longs fossés que l'artillerie ennemie peut
prendre d'enfilade, les casemates qu'on y installe sont
assez facilement destructibles de loin. Néanmoins, on a
quelquefois adopté ce système sur les fronts peu exposés»
dans lesquels on veut obtenir un flanquement énergique.
CHAPITRE XXV

TRACÉ POLYGONAL

Le principe du système polygonal, déjà indiqué précédem-


ment, consiste à rendre le flanquement, des fossés indépen-
dant du tracé de la crête du parapet. Pour obtenir ce résul-
tat, on place dans le fossé un ouvrage spécial, qui reçoit
des pièces et des tireurs envoyant des feux rasants, c'est-à-
dire dirigés parallèlement au fond du fossé. Cette disposition
est logique en principe, et semble même préférable à celle
qui consiste à subordonner le tracé de la crête au flanque-
ment du fossé, surtout aujourd'hui que l'action des ouvrages
s'exerce à des distances plus grandes et que la défense rap-
prochée a perdu une partie de l'importance qu'elle avait
autrefois. Les avantages et les inconvénients de cette dispo-
sition ressortiront complètement de la discussion compara-
tive des deux tracés, qui sera faite dans le chapitre XXVII.
i
Pour le moment, il résulte de l'énoncé même du principe
ci-dessus, que les tracés polygonaux peuvent affecter les
formes les plus Avariées et se prêtent aux plus multiples com-
binaisons, surtout lorsqu'on admet dans leur établissement
l'indépendance du parapet et de l'escarpe, que rien n'em-
pêche plus d'adopter, puisque le flanquement est assuré par
des dispositifs spéciaux. Il est en conséquence impossible
de faire l'étude du tracé polygonal sur un front type repré-
sentant en quelque sorte une moyenne parmi les construc-
tions de ce genre. Il faudra donc se borner à passer en revue
les dispositions principales qu'affectent les différents or-
ganes dans un certain nombre de fronts de cette espèce,
TRACÉ POLYGONAL 35?
choisis parmi ceux qui paraissent le plus convenablement
disposés.

Caponnière et coffre de contrescarpe


L'organe de flanquement du fossé est une caponnière ou
un coffre de contrescarpe.
Ce dernier est logé dans la contrescarpe ; la caponnière,
au contraire, en est séparée par un fossé ; elle peut être

Fkj. 170. — Coffre de contrescarpe.

attachée à l'escarpe ou, au contraire, en être séparée par


un fossé.
Lé coffre de contrescarpe (fig. 170) est, par sa situation,
à l'abri des coups directs ; mais on lui reproche de pouvoir
être détruit par la mine plus facilement que les caponnièrès
i.fl9- '71) lorsque l'assiégeant s'est établi sur le glacis. En
outre, ses communications avec l'ouvrage sont difficiles, ce
qui tend à isoler du reste de la garnison le détachement qui
occupe le coffre et qui cependant est chargé d'un service
iort important au moment d'un assaut. C'est pourquoi
l'emploi des caponnièrès a prévalu tant qu'on a pu consti-
tuer ces ouvrages assez solidement pour résister à l'artil-
358 2e PARTIE —- FORTIFICATION PERMANENTE
lerie. Mais les obus-torpilles trouent les caponnièrès anté-
rieures à i885 construites en maçonnerie et terre; le béton
de ciment, avec des murs verticaux exposés aux coups
directs, finirait aussi par être détruit; le métal donne une
solution très coûteuse. Ces considérationsjustifient la faveur
dont jouissent actuellement les coffres de contrescarpe en
béton de ciment, malgré leurs inconvénients qu'on a d'ail-
leurs atténués dans la mesure du possible.

Fig. 171. — Caponnière au saillant..

On va maintenant passer en revue les dispositions succes-


sivement adoptées pour ces deux organes de flanquement.

Caponnière

Position sur le front. — La caponnière peut être


placée en un point quelconque du fossé, pourvu que sa dis-
tance au point le plus éloigné qu'elle doit battre ne dépasse
pas 5oo à 600 mètres, limite extrême du flanquement effi-
cace. Cela permet, en la plaçant au milieu du côté extérieur,
d'avoir des fronts de 1 000 à 1 100 mètres, sans qu'il soit
d'ailleurs besoin, comme dans le front bastionné, de fixer
une limite inférieure à la longueur de ce côté extérieur. Il
en est évidemment de même lorsqu'on place les caponnièrès
sur les saillants de manière que chacune d'elles flanque
deux fossés différents.
La caponnière doit être garantie le mieux possible des
TRACÉ POLYGONAL 35g
coups que l'ennemi peut lui envoyer par-dessus la contres-
carpe et de ceux qui viendraient à enfiler le fossé. Lorsque
ce dernier est en prise à de pareils feux d'enfilade, il faut
donc avoir soin de placer la caponnière à l'extrémité la plus
rapprochée dé l'ennemi, de manière à la couvrir par le
massif des terres appuyées à la contrescarpe.
En la plaçant au saillant comme l'indique la figure 171,
on la garantira convenablement contre les coups de l'artil-
lerie ; mais on l'exposera, d'autre part, à être emportée dans
une attaque pied à pied, le saillant formant toujours une

Fig. 172. — Caponnière au rentrant.

partie faible de la fortification. Si on la place au contraire


dans un rentrant (fig. 172), ses abords seront mieux cou-
verts, mais elle sera en revanche plus en prise aux coups de
l'artillerie; cet, inconvénient est évidemment beaucoup plus
grave que celui qui résulte de la position de la caponnière
au saillant.

Réunion au corps de place. — La caponnière peut


être attachée à l'escarpe et au corps de place, ou, au con-
traire, en être séparée par un fossé.
La première disposition, indiquée sur les figures 171 et
172, a l'avantage de rendre plus faciles et plus sûres les
communications du corps de place avec la caponnière, et,
par suite, de permettre une plus longue résistance dans cet
ouvrage, puisque ses défenseurs sont toujours assurés de
leur ligne de retraite. Elle a, par contre, l'inconvénient de
36o PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
créer une sorte de marchepied au milieu de la hauteur du
parapet et de diminuer la valeur de l'obstacle en ce point.
De plus, l'ennemi qui a réussi à s'emparer de la caponnière
et à s'y maintenir, trouve un chemin tout tracé pour entrer
dans l'ouvrage, à moins que la poterne servant de commu-
nication n'ait été munie de dispositifs destinés à inter-
rompre le passage.
Lorsqu'au contraire on détache la caponnière du corps
de place (fig. i?3), on obtient les avantages inverses ; seu-
lement, si l'on veut conserver aux faces de cette caponnière
une longueur suffisante, il faut : ou élargir le fossé, ce qui

Fig. 173. — Caponnière détachée du corps de place.

est un inconvénient assez sérieux ; ou briser la crête et


l'escarpe en arrière, de manière à former une sorte de cour-
tine séparée de la caponnière par un espace suffisant, ce qui
enlève au tracé polygonal sa précieuse simplicité et crée
sur le front des portions de crêtes eniilables.
Forme générale. — La forme générale de capon-
la
nière comporte deux faces, dont la direction est voisine de
la perpendiculaire à l'un des fossés, et une tête, c'est-à-dire
une partie qui la termine vers la contrescarpe.
Les faces sont le plus souvent parallèles quand la capon-
nière est placée au milieu d'un côté rectiligne ; quelquefois,
cependant, on les a faites légèrement convergentes pour
diminuer la largeur de la tête (fig. IJ3). Quand l'ouvrage
TRACÉ POLYGONAL 361
est établi à un saillant (fig. 171), les deux faces sont néces-
sairement divergentes.
La tête de la caponnière affecte des formes très différentes.
Souvent on lui donne le tracé d'un redan (fig- "73), de
manière que les fossés en avant, qui ont toujours moins de
largeur que le fossé principal, puissent être flanqués par le
parapet du corps de place, dont on brise la crête à cet effet.
Plus simplement, on termine la tête de caponnière par
des côtés parallèles à l'escarpe et à la contrescarpe ; on
place alors une galerie flanquante sur toute la longueur de
chacun de ces côtés, dont l'extrémité forme un orillon en '
saillie sur la face correspondante, de manière à la garantir
des coups de l'ennemi et à donner des feux en avant d'elle.
C'est la forme la plus usitée dans la fortification antérieure
à i885 (fig. 171 et 172) et celle qui assure la meilleure pro-
tection aux maçonneries de l'escarpe de la caponnière.

Disposition intérieure. — La disposition intérieure


de la caponnière est également très variable. Les premiers
ouvrages construits comportaient une série de casemates
accolées pour chaque direction de fossé à flanquer, les deux
bâtiments ainsi formés étaient alors séparés par une cour
intérieure. Cette disposition, adoptée presque universelle-
ment en Allemagne pendant toute la première partie du dix-
neuvième siècle, a l'inconvénient de rendre fort difficile le
défilement des maçonneries ; elle augmente en outre la su-
perficie couverte par l'ouvrage et, par suite, sa vulnérabilité.
On préfère depuis longtemps réunir les deux séries de case-
mates dans un même massif en les séparant par un couloir
central de communication (fig. 174, page 362 bis).
Le nombre des casemates varie avec la largeur du fossé ;
dans les anciennes constructions, il n'était pas rare d'en voir
sept ou huit, et même davantage. Dans les fortifications
d'Anvers, par exemple, établies en site aquatique et ayant
par suite de très larges fossés, les caponnièrès comportent
quatorze pièces de chaque côté. Les fossés modernes ayant
362 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
des largeurs beaucoup plus restreintes, le nombre des case-
mates dépasse rarement quatre ou cinq.
Le sol de la caponnière est généralement élevé de i à
2 mètres au-dessus du fond du fossé pour obtenir un certain
commandement sur le terrain à battre.
Chaque casemate a une largeur de 4 mètres et une pro-
fondeur de 6 mètres environ ; la voûte qui la forme est haute
de 2m5o à 3 mètres et épaisse de i mètre au moins pour
résister aux projectiles de l'artillerie ; la masse de terre dont
elle est recouverte doit avoir 2 ou 3 mètres d'épaisseur, au
minimum. On a utilisé parfois ce massif de terre pour y
installer une seconde ligne de feux pour l'artillerie ou l'in-
fanterie.' Cette disposition, employée à Anvers, donne au
tracé polygonal les avantages du flanquement haut, par la
crête, et des feux rasants partant des casemates; elle n'au-
rait plus de valeur aujourd'hui.

Fossé diamant. Les. faces de la caponnière sont



mises à l'abri des coups de main que l'ennemi pourrait
tenter pour pénétrer dans l'ouvrage, au moyen d'un fossé
en avant ayant, de 4 à 5 mètres de largeur et de 3 à 4 mètres
de profondeur ; on le nomme fossé diamant.
Ce fossé peut être flanqué par des casemates établies soit
dans l'escarpe, soit dans le revers de l'orillon ou dans la
saillie de la. tête de caponnière. Les casemates établies dans
l'escarpe sont exposées à être détruites de loin par l'artil-
lerie; la seconde disposition est de beaucoup préférable.

Flanquement de la tête. — La tête de caponnière


est flanquée par une brisure de la tête du parapet ; quand
sa direction ne permet pas l'emploi de cette disposition, ce
qui arrive le plus souvent, on la flanque directement par
des créneaux-mâchicoulis établis dans la galerie qui l'en-
toure.
A cet effet, la galerie de tête est formée d'un certain
nombre de voûtes de 4 mètres de portée, ayant leur axe
Fig. ±74. —• Plan d'une caponnière montrant la disposition intérieure des locaux.

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TRACÉ POLYGONAL 363
perpendiculaire à la tête de caponnière, et profondes de
2m5o à 3 mètres. Le mur de tête de la caponnière, qui ferme
ces voûtes, est percé de créneaux permettant aux tireurs de
battre le fossé.
Ces créneaux sont de formes diverses.
Il en existe de verticaux (fig. iy5), formés de deux plans

Fig. 170. — Créneaux verticaux..

s'évasant vers l'intérieur de la voûte et laissant une ouver-,


ture extérieure de 10 centimètres au maximum.. Ces cré-
neaux peuvent être enfilés par les tireurs ennemis établis
sur la contrescarpe, mais ils permettent, d'autre part, d'aper-
cevoir ce mur sur toute son étendue.

Fig. 176. — Créneaux horizontaux.

Ailleurs ce sont des créneaux horizontaux (fig. 176),


formés d'une voûte très surbaissée, de 1 mètre de large
environ, recouvrant une sorte de plongée en pierres placée
au-dessous, à 10 ou i5 centimètres au maximum. Pour
arrêter les projectiles de l'ennemi, on forme souvent la sur-
364 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
face de la voûte, celle de la plongée et celle des faces laté-
rales par des gradins qui empêchent les ricochets.
Enfin, on emploie beaucoup les créneaux-mâchicoulis ou
créneaux de pied (fig. 177), qui permettent de battre direc-
tement le pied même du mur de tête de la caponnière. Pour
éviter qu'ils ne constituent un danger pour l'ouvrage, on
est parfois obligé de les fermer par une grille ou une barre
de fer.
Ces différentes dispositions s'appliquent également aux
casemates établies dans l'escarpe et servant à flanquer les

Fig. 177. —•
Créneaux-mâchicoulis.

faces de la caponnière ou le fossé diamant. Elles sont d'un


emploi très fréquent, dans les constructions modernes.
On augmente quelquefois le flanquement du fossé de.tête
par des galeries établies dans la contrescarpe et ayant un
mur de tête organisé comme il vient d'être dit pour la galerie
de tête de la caponnière. Ces galeries communiquent alors
avec la caponnière par une poterne placée sous le fossé, ou
par une porte donnant sur le fossé même.
Embrasure-tunnel. — Les casemates de la capon-
nière sont exposées à être détruites par l'artillerie ennemie,
TRACÉ POLYGONAL 365
lorsque celle-ci peut prendre le fossé d'enfilade. Pour les
protéger contre les feux de cette espèce, on a imaginé de
faire précéder la voûte qui les forme d'une autre voûte
nommée visière ou embrasure-tunnel (fig. 17b, page 362 bis,
et 178), au travers de laquelle la pièce peut tirer. La visière
ayant sa tête dirigée vers l'ennemi se présente dans les
meilleures conditions de résistance, puisque l'artillerie est
obligée de la faire tomber tranche par tranche; en outre,

Fig. 178. — Embrasure-tunnel.

elle garantit complètement la pièce des coups les plus obli-


ques qu'on pourrait diriger contre elle. Afin de permettre
aux gaz de la poudre de s'échapper, on sépare assez
ordinairement la visière, de la casemate, par un intervalle
de 1 mètre environ, ou bien l'on dispose dans cette dernière
une cheminée d'aérage.
Quelquefois, pour éviter que les débris de la voûte-tunnel
366 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
et des terres qui la surmontent ne viennent obstruer l'em-
brasure, on place le fossé diamant sous la visière, mais dans
ce cas le flanquement de ce fossé devient assez difficile. C'est
pourquoi l'on préfère généralement disposer dans la voûte
une plongée assez inclinée, le long de laquelle on pourra
faire glisser les débris en les repoussant avec une drague.
L'étude détaillée qui vient d'être faite de la caponnière a
surtout pour but de montrer comment les différentes dis-
positions qu'on donne à cet ouvrage peuvent influer sur la
constitution générale du front ou faire dévier le tracé poly-
gonal de sa simplicité primitive, et même de son principe
essentiel.

Caponnièrès bétonnées ou cuirassées. — Les


divers types de caponnièrès décrits ci-dessus ont mainte-
nant, tous, un commun défaut, celui de n'être plus suffi-
samment résistants contre les nouveaux projectiles et, par
suite, d'être extrêmement difficiles à conserver. Dans les
expériences exécutées en France, au fort de la Malmaison,
en 1886, un obus-torpille de 22 centimètres, chargé de
33 kilos de mélinite, ayant porté en plein sur une capon-
nière organisée d'après les principes précédents, y fit, dit-
on, une brèche d'environ 8 mètres de diamètre, mettant
ainsi l'ouvrage hors de service.
On a cherché à obvier à ce grave inconvénient, dont la
conséquence immédiate est de priver la fortification du flan-
quement qui lui est indispensable, et diverses solutions ont,
été proposées dans ce but.
On a tout d'abord pensé, sans rien changer au mode de
flanquement des fossés, à établir les caponnièrès en béton
de ciment. Mais l'expérience a prouvé que leurs murs verti-
caux en béton ne résistaient pas à un tir prolongé d'obus-
torpilles de gros calibres. Aussi ne peuvent-elles être em-
ployées que sur les fronts où elles ne sont pas en prise à un
tir soutenu, notamment à la gorge des ouvrages. Excep-
tionnellement on en fait usage pour les fronts de tête de
TRACÉ POLYGONAL 367
certains ouvrages construits en pays de montagne, qui ont
moins à craindre un tir à obus-torpilles de gros calibre, en
raison de leur grand commandement et de la difficulté pour
l'ennemi d'installer de la grosse artillerie.
Les pièces à tir rapide sans recul, canons-revolvers et
mitrailleuses, qui donnent le moyen de couvrir de feux
puissants l'espace restreint que constitue le fossé avec un

Fig. 179. — Caponnière cuirassée de l'enceinte de Strasbourg.

très petit nombre de bouches à feu, n'exigent pour leur


installation que des casemates de dimensions très réduites.
Ces pièces peuvent être avantageusement placées dans
des caponnièrès cuirassées reposant sur un massif de béton
qui les entoure sur toutes les faces ; c'est ainsi que les Alle-
mands ont organisé le flanquement de l'enceinte de Stras-
bourg ; la figure 179 ci-dessus, empruntée à la Revue du Génie
(août 1898), indique les dispositions de ces caponnièrès.
368 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Un ouvrage de dimensions aussi restreintes a de grandes
chances d'échapper aux projectiles des mortiers de 220 qui,

Fig. 180. — Caponnière métallique.

seuls, seraient en état de le démolir, s'ils venaient éclater


directement au contact de la voûte supérieure.
TRACÉ POLYGONAL 36g
On pourrait aussi bien adopter à la place de cet ouvrage
une tourelle à éclipse émergeant d'un massif de béton. Si
l'une et l'autre de ces solutions n'ont pas reçu de nom-
breuses applications, c'est que, en outre de leur prix élevé,
elles ont un autre inconvénient. Sous peine de créer un angle
mort important sur leur pourtour, ces organes ne peuvent
avoir qu'un faible relief et leur tir peut alors se trouver
masqué par les moindres débris tombés dans le fossé. Si.on
augmente leur relief, il faut les raccorder par un long glacis
qui oblige à relever le fossé et la contrescarpe dans les
parties correspondantes. Cet inconvénient s'atténue si le.
fossé est large et plein d'eau,, comme c'est le cas pour
l'enceinte de Strasbourg.
La figure 180 montre une autre disposition de casemate
métallique. L'expérience a montré que ces casemates résis-
tent assez bien au tir, mais se détachent du massif de béton
par suite des vibrations. On ne pourrait donc les employer
que là où elles ne seraient pas exposées à un tir soutenu,
mais, dans ce cas, les caponnièrès en béton sont suffisantes
et plus économiques.

Coffres de contrescarpe. — Parmi les solutions pro-


posées pour remplacer les anciennes caponnièrès, l'instal-
lation de pièces de flanquement dans des coffres ou galeries
de contrescarpe est une des plus heureuses et des plus
simples. Cette solution est assez en faveur, parce qu'elle est
d'une réalisation relativement facile dans les anciens ou-
vrages qu'on veut transformer ; c'est elle notamment que
les Allemands ont appliquée dans tous les forts de Metz et
dans un certain nombre de ceux de Strasbourg.
Ce n'est pas qu'on ait oublié les inconvénients inhérents
à ces organes : danger de destruction par la mine, diffi-
culté des communications et, surtout, isolement relatif des
défenseurs qui les occupent. Mais on s'est efforcé d'y remé-
dier le mieux possible, ainsi qu'on le verra plus loin, et
comme ces. coffres conservent le grand avantage d'être à
MANUEL DE FORTIFICATION 24
370 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
l'abri des coups directs, tandis que les caponnièrès sont
vouées à la ruine, l'hésitation n'était pas possible.
Un coffre est simple lorsqu'il bat un seul fossé, double
lorsqu'il bat deux fossés adjacents. Le coffre double consiste
d'ailleurs en deux coffres simples accolés et réunis par un
couloir.
Chaque coffre comporte une ou plusieurs casemates à
canon dont les pièces, enfilant le fossé, tirent par des
embrasures dont le seuil doit être à environ im5o au-des-
sus du fond du fossé, de façon que le tir ne soit pas gêné
par les moindres débris. Pour éviter qu'un ennemi auda-
cieux ne vienne emboucher ou obstruer les embrasures,
on protège le coffre par un fossé diamant dont le fond
est à environ 3 mètres au-dessous du seuil de ces em-
brasures..
Le flanquement de ce fossé diamant, comme celui des ca-
;.
ponnièrès, est assuré par des créneaux de pied analogues à
ceux qui ont été décrits page 364 (fig- J77)-
Comme il est à craindre que l'ennemi ne jette du haut du
glacis des matières enflammées ou asphyxiantes qui gêne-
raient le service dans le coffre, il est avantageux de le doter
d'une visière constituée simplement par le prolongement
des voûtes ou des dalles qui couvrent les casemates au delà
du mur de masque (fig. 182, p. 372, coupe AB)
La construction est tout entière en béton de ciment. Le
mur de fond et les voûtes, exposés aux coups, ont générale-
ment 2m 5o d'épaisseur et sont, protégés par un massif de
•pierraille. Le mur de masque, abrité des coups directs, est
moins épais.
Les casemates peuvent être couvertes en dalles de béton
armé, obtenu par l'incorporation de barres d'acier doux
dans du béton de ciment ; l'épaisseur de ces dalles peut
alors être, réduite.
L'ensemble de ce massif oppose une sérieuse résistance
aux entreprises du mineur ennemi.
La figure 181 montre les dispositions variables qu'on
TRACE POLYGONAL 071
peut donner aux coffres doubles, suivant l'angle que font
entre eux les deux fossés à battre.
La figure 182 donne un exemple de coffre simple. L'or-
ganisation intérieure d'un semblable ouvrage comporte les
accessoires indispensables pour que les hommes y puissent

T 'I' : Casemates a canons


f : Casemates de galeries
de fusillades

Fig. 181. — Coffres de contrescarpe doubles.

séjourner sans interruption (lits de camp ou bancs à rabat-


tement, tinettes).
L'armement d'un organe de flanquement de cette nature,
comme d'ailleurs celui d'une caponnière, doit comporter
des pièces à tir rapide de petit calibre (telles que mitrail-
leuses et canons-revolvers), destinées à agir sur les hommes,
et aussi une pièce plus forte pour renverser les travaux que
l'assaillant pourrait établir dans le fossé. On utilise volon-
372 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
tiers, dans ce but, d'anciens canons qui suffisent parfaite-

Fig. 182. — Coffre de contrescarpe simple.

ment à battre un espace aussi restreint, à la condition tou-


tefois qu'ils permettent un tir accéléré.
TRACÉ POLYGONAL 373
La communication entre le coffre et l'ouvrage'.peut se
faire : soit à ciel ouvert, soit par une galerie souterraine.
Dans le premier cas, il faut, pour se rendre au coffre, suivre
dans le fossé principal un assez long trajet, franchir le fossé
diamant sur une échelle mobile ou un madrier qu'on retire
à l'intérieur du coffre après y avoir pénétré; enfin, fermer
derrière soi une solide porte en fer. Cette solution, écono-
mique, offre de multiples dangers : les fossés ne sont pas à
l'abri des projectiles ennemis ; la circulation des défenseurs
dans le fossé peut donner lieu à des méprises ; l'entrée du
coffre peut être surprise ou forcée ; enfin, les défenseurs du
coffre échappent à l'action du commandement, et ce grave
défaut est à peine atténué par la création d'une communi-
cation téléphonique ou acoustique.
Il convient donc de doter les coffres d'une communication
souterraine. On peut utiliser dans ce but la contrescarpe,
lorsque celle-ci est évidée et réunie par une communication
défilée avec l'intérieur de l'ouvrage. Cette condition est
rarement réalisée : on doit alors créer un passage direct,-
sous le fossé, entre l'ouvrage et le coffre.
Il est prudent de prévoir le cas où, le passage souterrain
étant détruit, les défenseurs des coffres auraient leur retraite
coupée. Pour parer à ce danger, le général Brialmont
conseille de ménager dans le coffre une porte de secours,
murée par une maçonnerie légère dissimulée.sous l'enduit
extérieur et, doublée intérieurement d'une grille en fer.
Le défenseur, pour sortir du coffre, aurait à démolir cette
maçonnerie.

Éclairage des fossés. — On n'a jamais prévu encore


de dispositions spéciales pour assurer l'éclairage des fossés,
qui eût été d'ailleurs impossible à réaliser autrefois. Il
semble résulter des événements du siège de Port-Arthur que
la sécurité d'un ouvrage ne peut être assurée réellement si
cette condition n'est pas remplie. On pourra y arriver aisé-
ment aujourd'hui à l'aide de sources lumineuses puissantes
374 2° PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
(électricité, acétylène, appareils à incandescence) et de
réflecteurs convenablement disposés. Les caponnièrès et
coffres de contrescarpe se prêteront, avec peu de modifica-
tions, à l'installation de ces engins.
Il convient, pour compléter l'étude du tracé polygonal,
d'examiner les ouvrages intérieurs et les dehors qui le
complétaient éventuellement. On fera observer, comme on
l'a fait pour le bastionné, que ces ouvrages ont surtout un
intérêt historique et qu'ils ont aujourd'hui perdu leur im-
portance et leur valeur.

Ouvrages intérieurs

De même que le tracé bastionné, le tracé polygonal peut


comporter, comme ouvrages intérieurs : les cavaliers et les
retranchements intérieurs.
Cavalier. — Les cavaliers sont identiques à ceux dont
on a parlé dans l'étude du front bastionné et peuvent être
placés en un point quelconque du front.
Le plus souvent, cependant, on les installe aux saillants
mêmes, et leurs crêtes sont alors : soit parallèles, ou à peu
près, à celles du corps de place dont elles redoublent l'action
lointaine ; soit perpendiculaires à la capitale du saillant, de
manière à battre le secteur privé de feux.
On peut aussi les mettre au milieu du front,, derrière la
caponnière, lorsque celle-ci est détachée du corps de place;
ils servent, ainsi à masquer la trouée qui y est produite. On
trouvera, dans le chapitre suivant, des exemples de ces deux
dispositions qui, pour les raisons exposées précédemment
(page 344), n'ont plus actuellement qu'une efficacité dis-
cutable.
Retranchement intérieur. — Le but de ces retran-
chements est, ainsi que cela a déjà été spécifié (V. chap.
XXIII, page 345), d'isoler l'ennemi qui s'est emparé d'un
TRACÉ POLYGONAL 375
point de l'enceinte et d'arrêter ses progrès à l'intérieur de
la place*. On sait également que ces ouvrages dont, par rai-
son d'économie, on n'avait jamais fait grand emploi, ont
aujourd'hui perdu toute valeur.
Lorsqu'on y avait recours, leur emplacement était natu-
rellement marqué au saillant, ou en arrière de la capon-
nière, c'est-à-dire en des points dont l'ennemi cherchait à
s'emparer.

Dehors

Les dehors dans le tracé polygonal sont moins nombreux


que ceux du tracé bastionné, ce sont : le ravelin et son
réduit, les couvre-faces, les chemins couverts, les places
d'armes saillantes et rentrantes avec leurs réduits.

Ravelin. —En vue de donner au tracé polygonal les


avantages que possède le tracé bastionné, c'est-à-dire d'avoir
des feux croisés très puissants devant chaque saillant, on a
eu l'idée de placer en avant de la caponnière, au milieu du
front, un ouvrage ayant la forme d'un redan et jouant le
même rôle que la demi-lune dans le tracé bastionné. Cet
ouvrage est le ravelin.
Comme la demi-lune, il peut avoir des flancs ou se réduire
simplement à un redan. Son fossé communique avec celui
du corps de place, ou, du moins, une même contrescarpe
les entoure. Pour le flanquement de ce fossé, on emploie :
soit des casemates placées à l'extrémité des faces du ravelin,
soit une brisure de la crête. La dispositionadoptée constitue,
avec la forme de la caponnière, la raison principale des diffé-
rences qui existent entre les tracés polygonaux. On en verra
des exemples dans ce qui va suivre.
Le ravelin est doublé quelquefois d'un réduit ayant ou
non ses faces parallèles à celles de l'ouvrage principal et
disposé comme le réduit de demi-lune. Le plus souvent,
quand la caponnière est munie d'une tête en forme de rédan,
376. 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
cette tête est organisée en parapet défensif et constitue le
réduit de ravelin.

Couvre-faces. •— On a vu que, dans le front bastionné,


pour garantir l'escarpe du corps de place, on installait
quelquefois une contre-garde dans le fossé, c'est-à-dire un
second parapet ayant ses faces parallèles à celles du bastion
dont il redouble les feux. L'ouvrage tout à fait semblable à
la contre-garde se nomme ici couvre-faces ; on en verra un
exemple dans la fortification de Carnot appliquée au fort
Alexandre (fig. i°3, page 382 bis).

Chemin couvert. — Dans le système polygonal, le


chemin couvert est organisé de la même manière que dans
le système bastionné ; il suit le tracé du corps de place et
du ravelin, avec une disposition en crémaillère ou en cro-
chets autour de chaque traverse, comme on l'a vu précé-
demment (page 336).

Places d'armes saillantes et rentrantes. — Le


tracé général du chemin couvert autour du corps de place
et du ravelin a pour effet de produire à chaque saillant un
élargissement du terre-plein qu'on nomme place d'armes
saillante et qui peut servir aux rassemblements.
Dans l'angle rentrant formé par le ravelin et le corps de
place, on brise la crête du chemin couvert de manière à pro-
noncer un saillant dans l'intérieur de cet angle et à obtenir
une nouvelle place d'armes, qui porte le nom de place
d'armes rentrante.

Réduit de place d'armes. — A l'intérieur de la place


d'armes rentrante, on a placé parfois un réduit comme on
l'a fait dans le tracé bastionné, afin d'y maintenir le défen-
seur quand l'assaillant s'est emparé du saillant du chemin
couvert. On pourrait organiser cet ouvrage d'une manière
identique au réduit de place d'armes du tracé bastionné ;
TRACÉ POLYGONAL 377
mais, comme la plupart de ceux qu'on a construits l'ont été
à l'étranger, où d'autres idées dominent, on leur a donné le
plus souvent des tracés circulaires formés par une série de
bâtiments voûtés, accolés les uns aux autres et munis de
façades percées de créneaux, à travers lesquels les défen-
seurs peuvent couvrir de feux le terre-plein de la place
d'armes.

Communications. — Eu égard à la très grande variété


que présentent dans leurs détails les principaux ouvrages
du système polygonal actuellement existants, les communi-
cations ménagées à l'intérieur des uns et des autres sont
disposées de manières si différentes qu'il est impossible
d'en faire une description offrant quelque caractère de géné-
ralité. On verra, du reste, dans le chapitre suivant, en étu-
diant les principaux fronts de ce système, comment, dans
chacun d'eux, sont établies ces communications intérieures.
Il doit donc suffire de faire remarquer ici que, dans les
fronts polygonaux, qui comportent l'existence de nombreux
locaux voûtés, et sont tous de construction relativement ré-
cente, les communications sont mieux couvertes que celles
du système bastionné, et qu'elles se font le plus souvent
sous des voûtes à l'épreuve de la bombe*
CHAPITRE XXVI

ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX

Historique. — Vers la fin du dix-huitième siècle, un


officierde cavalerie, le marquis DE MONTALEMBERT, après avoir
formulé un certain nombre de critiques contre les fortifica-
tions de son temps, proposa pour les remplacer un système
de constructions différant essentiellement de toutes celles
que l'on avait élevées jusqu'alors, et procédant d'un prin-
cipe entièrement nouveau. Inspirées peut-être des travaux
de FILLEY, de LA CHICHE et de quelques constructions ou
essais de construction de divers auteurs allemands, les pro-
positions de Montalembert en étaient du moins, bien cer-
tainement, séparées de toute la distance qui existe entre un
projet raisonné, nettement formulé, et l'énoncé nuageux de
quelques idées vagues présentant tout le caractère d'une
utopie. Une lutte ardente s'engagea bientôt entre les parti-
sans, peu nombreux en France, du marquis de Montaicm-
bert et les ingénieurs de l'époque, défenseurs énergiques de
la fortification bastionnée. Cette discussion mit en lumière
le mérite des travaux de Montalembert, origine évidente et
incontestable du tracé polygonal qui domine actuellement
dans la fortification des divers Etats militaires de l'Europe.
Montalembert reprochait à la fortification bastionnée :
i° la mauvaise direction de ses faces et de ses flancs, qui ne
voient pas le terrain des attaques ; 1° la position rentrée de
sa courtine, qui lui enlève la plus grande partie de son
action lointaine; 3° le manque d'abri sous les remparts et
surtout le peu d'artillerie qu'on y pouvait installer.
ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX 379
Comme remède, il proposa tout d'abord un tracé tenaillé,
dans lequel les angles rentrants étaient de 900, et qu'il dési-
gnait en conséquence sous le nom de tracé perpendiculaire.
Les faces étaient garnies de plusieurs étages de voûtes en
maçonnerie destinées à recevoir du canon, et le flanque-
ment des fossés était assuré par des casemates placées dans
l'angle rentrant. Ce projet était irréalisable, pour plusieurs
raisons : d'abord, les faces en étaient plus mal dirigées: en-
core, plus enfilables et plus profondes que celles du tracé
bastionné; en second lieu, les constructions en maçonnerie
dont elles étaient formées n'auraient pu résister au tir-de
l'artillerie, si faible qu'il fût à cette époque, parce qu'elles
n'étaient pas protégées par de la terre; enfin, cette fortifi-
cation eût exigé une beaucoup trop nombreuse garnison.
Les secondes propositions de Montalembert, celles qu'on
désigne habituellement sous le nom de Fort-Royal et de
front de Cherbourg, sont du pur tracé polygonal. Le corps
de place est en ligne droite, suivant le côté extérieur ; et les
fossés sont flanqués par une véritable caponnière établie
sur le milieu de ce côté.
Il restait encore, sans doute, à perfectionner certains
détails, ceux, par exemple, ayant trait à la construction,
qui laissaient, beaucoup à désirer dans ces premiers essais ;
mais c'était déjà, à proprement parler, le système polygonal
tel qu'on le définit aujourd'hui, et le mérite de l'avoir ima-
giné revient bien tout entier au marquis de Montalembert,
car il n'existe absolument rien d'analogue dans aucun des
ouvrages édifiés, avant ses dernières propositions, par les
différents ingénieurs allemands auxquels on a voulu en
attribuer la paternité.
Le célèbre CARNOT, ingénieur français contemporain de
Montalembert, vint bientôt après apporter aux propositions
de ce dernier ce qui leur avait manqué jusque-là, ce que
pouvait seul donner un officier ayant construit, défendu et
attaqué des places fortes : l'expérience d'un ingénieur mili-
taire.
380 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Les reproches qu'il adressait à la fortification de son
temps portent sur douze points principaux, parmi lesquels
on retiendra : le manque d'abris, l'absence de retranche^-
ments intérieurs, l'insuffisance d'artillerie sur les remparts,
la difficulté que le défenseur éprouve à se porter au dehors
en passant par les sorties du chemin couvert et, enfin, l'in-
convénient que présentent les escarpes attachées d'entraî-
ner le parapet dans leur chute, ce qui a .pour effet de com-
bler le fossé et de donner à l'ennemi une rampe d'accès
dans l'ouvrage.
Carnotne propose pas de tracé particulier, mais il apporte
aux tracés bastionnés existants, ainsi qu'aux tracés tenaillés
et polygonaux de Montalembert, les perfectionnements que
lui suggère l'examen de leurs défauts. Ce qui caractérise
son système, c'est le profil qu'il préconise, dans lequel:
l'escarpe est détachée du parapet et percée de créneaux
avec un couloir de surveillance en arrière, et la contres-
carpe remplacée par un talus en pente assez douce, dit
talus à contre-pente, permettant au défenseur de sortir de
son enceinte par un grand nombre de points à la fois.
Pour rendre à l'escarpe la protection que lui enlève cette
disposition de la contrescarpe, Carnot enveloppe tout son
corps de place d'un couvre-faces terminé vers la place par
un mur et comportant un profil défensif. L'application du
profil et du tracé de Carnot fut faite exactement par les
Allemands au fort Alexandre, à Coblentz (Voir fig. i83,
page 382 bis.)
Carnot imagina aussi de placer des caves à mortier au
saillant de chaque ouvrage, derrière l'escarpe, afin de cou-
vrir de feux les abords de ces points vulnérables. L'idée
était fort ingénieuse et a reçu depuis de nombreuses appli-
cations en Allemagne ; mais l'auteur en avait exagéré le
développement jusqu'à démontrer, par le calcul, qu'en
moins de dix jours il pouvait, à l'aide de ces caves à mortier,
détruire l'armée assiégeante jusqu'au dernier homme.
Quelles que soient les exagérations que Montalembert et
ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX 381
même Carnot aient pu apporter dans leurs propositions,'-il.
leur reste la gloire d'avoir créé un nouveau système de foe>
tification qui a pris depuis une extension bien justifiée. De
leur vivant, leurs idées sur ce sujet lurent constamment
repoussées en France ; mais elles trouvèrent, en Allemagne,
un accueil plus favorable et reçurent leur application dans
tous les ouvrages construits, depuis le commencement du
dix-neuvième siècle, par les ingénieurs militaires de ce
pays. Il a fallu la guerre de 1870 pour les introduire chez
nous, où elles ont maintenant droit de cité. L'examen de
quelques places étrangères va montrer d'ailleurs que, si les
ingénieurs allemands ont appliqué dès son début le système
polygonal, ils en ont, souvent altéré la simplicité primitive,
et, que leurs travaux ne procurent, pas plus que les nôtres
de la même époque, la protection indispensable aujourd'hui
aux maçonneries, aux hommes et aux pièces en batterie
sur les remparts.

Tracé du fort Alexandre, à Coblentz


Ce tracé offre un exemple de l'application à peu près
complète des propositions de Carnot au front polygonal.
Le côté extérieur a 420 mètres environ et, le corps de place
affecte une forme analogue au tracé bastionné, mais avec
une profondeur moindre et des flancs formant avec les faces
un angle très ouvert (Voirfig. i83, page 382 bis).
Devant la courtine, est placée la caponnière. Elle est
détachée du corps de place, avec lequel elle communique
par une poterne placée en capitale et débouchant dans le
fossé, qu'on est obligé de traverser pour pénétrer dans
l'ouvrage. La tête de la caponnière figure un saillant que
flanquent des casemates basses placées sur les flancs du
corps de place.
Les constructions de la caponnière forment tin bâtiment
•A\QC cour intérieure élevée de 2 mètres au-dessus du fond
382 2e PARTIE -— FORTIFICATION PERMANENTE
du fosse. Les casemates sont à deux étages occupés par les
pièces de flanquement, avec Un sous-sol servant de maga-
sin. Une couche de terre de 5o centimètres recouvre l'en-
semble de ces locaux, dont la partie supérieure est à 2m5o
au-dessous des crêtes du corps de place et à iom 5o au-des-
sus du fond du fossé.
Un ravelin entoure la caponnière ; ses crêtes sont à
3 mètres au-dessous de celles du corps de place, et son
fossé est flanqué par une batterie basse appuyée à l'extré-
mité des faces.
Un couvre-faces enveloppe le corps de place. Son fossé
est battu par une casemate logée dans la face du ravelin et
analogue à celle qui flanque la tête de caponnière. Tous les
fossés ont environ 2o à 22 mètres de largeur.
Les glacis en contre-pente (de Carnot) qui existaient pri-
mitivement ont été supprimés et remplacés par un chemin
couvert avec contrescarpe maçonnée. La crête du chemin
couvert a un relief de 2m5o au-dessus du terrain naturel.
Dans les places d'armes saillantes se trouvent des block-
haus, réduits entourés d'un petit fossé, qui donnent au
défenseur un dernier point d'appui dans l'ouvrage.
Sur le corps de place, le ravelin et le couvre-faces, exis-
tent des escarpes détachées, séparées du parapet par un
chemin de ronde, dont le flanquement est assuré par de
petits blockhaus placés dans les saillants, derrière l'es-
carpe. Ce chemin de ronde contourne, par derrière, les
casemates établies dans le parapet et destinées à flanquer la
tête de caponnière et le fossé du couvre-faces.
Les murs qui terminent la gorge du ravelin et du couvre-
faces sont doublés d'une galerie donnant des feux de revers
dans le fossé du corps de place et servant en même temps
de débouché aux galeries de mines dont l'ouvrage est
pourvu.
Enfin, aux saillants du corps de place et du ravelin, se
trouvent : sur la crête, des batteries couvertes destinées à
recevoir des pièces battant au loin le terrain extérieur ; et,
Fig. 183. — Tracé du fort Alexandre. Échelle du (^).
1
S:

2
a
o
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P.

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fcQ
5"
ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX 383

sur le sol naturel, des caves à mortier tirant par-dessus le


parapet.
En résumé, d'après les remarques ci-dessus, les maçon-
neries des escarpes sont assez bien couvertes, mais celles
de la caponnière et des diverses batteries flanquantes le
sont fort peu, en raison de leur disposition même et de leur
situation à l'extrémité de fossés qui permettent à l'artillerie
ennemie de les battre sur toute leur hauteur.

Front de Koenigsberg ou front néo=prussien


L'aspect général de ce tracé, tel que le représente la.
figure 184 (page 384 bis), est celui d'un tracé bastionné;
mais il faut remarquer que la portion d'enceinte qui y est
figurée est comprise entre les saillants de deux ravelins et
comporte deux caponnièrès. Le front proprement dit, c'est-
à-rdire la portion flanquée par un seul ouvrage, se rapproche
davantage delà forme habituelle du tracé polygonal. Néan-
moins, la figure 184 montre que le système polygonal, muni
de ses différents dehors et affecté de certaines brisures de
crêtes, offre, quant à la direction générale des parapets,
d'assez frappantes analogies avec le tracé bastionné.
Le front, envisagé comme la partie flanquée par une seule
caponnière, est tracé sur un côté extérieur de 64o mètres
environ; le corps de place suit le tracé du côté extérieur
sur une longueur de no mètres à partir de chaque saillant
et sur 200 mètres au milieu du côté ; la partie intermédiaire
est brisée de manière à présenter une petite crête de 20 mè-
tres destinée à flanquer les fossés du ravelin.
La caponnière est, détachée du corps de place ; elle est
couverte par un ravelin faisant saillie de i4o mètres sur le
côté extérieur et dont les faces viennent ficher à la même
distance du saillant. Ces faces ont n5 mètres de longueur
et sont terminées par de petits flancs de 4o mètres parallèles
à la capitale, qui peuvent tirer dans le fossé du corps de
384 2 e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
place et lui donner de la sorte un flanquement par les
crêtes.
L'ouvrage est entouré d'un chemin couvert avec places
d'armes rentrantes et tracé général en crémaillère.
La portion d'enceinte établie au saillant et formant une
sorte de bastion a un commandement de 11 mètres au-
dessus du sol, tandis que la partie moyenne de l'enceinte,
ainsi que le raArelin, sont élevés seulement de gm 5o. On
remarquera, d'ailleurs, que, le corps de place étant, inter-
rompu dans la partie située en arrière du ravelin, il n'y a
aucun inconvénient à. donner le même relief à ces deux
ouvrages. Le chemin couvert a 5 mètres ou 5m 5o de relief;
le fossé a 4 mètres de profondeur,
Les caponnièrès indiquées sur la figure i&!± (page 384 bis)
sont de deux sortes. L'une, celle de gauche, affecte la
forme d'un fer à cheval et possède une cour intérieure; elle
est séparée du fossé et du massif des terres du ravelin par
un fossé diamant de 4 mètres de large, flanqué par un mur
crénelé dans sa partie rectiligne et par de petits blockhaus
sur la portion arrondie. Le bâtiment est à trois étages de
voûtes ; les deux étages supérieurs reçoivent du canon et
l'étage inférieur de la mousqueterie seulement. Il est sur-
monté d'un massif de terre qui lui donne un relief général
de 11 mètres au-dessus du sol. A chaque extrémité des
branches du fer à cheval, se trouve une sorte de terrasse
entourée de murs dépassant le massif des terres de im5o
environ; établi dans cette espèce de tourelle, le défenseur
peut surveiller très efficacement la plate-forme supérieure
delà caponnière. La cour intérieure est fermée par un mur
crénelé, qui permet d'isoler l'ouvrage du corps de place et
en forme une sorte de réduit.
La seconde caponnière, celle de droite, est. plus simple-
ment disposée. Elle consiste en un flanc retiré du ravelin,
dans lequel est installé un bâtiment casemate à trois étages
de feux, mais d'une dimension beaucoup plus restreinte
que la grande caponnière en fer à cheval. Afin d'isoler les
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s;

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Profil du corps de place au saillant. Échelle du (^.


Fig. 184 bis. _

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I g:
co'
ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX 385
défenseurs établis dans la batterie flanquante et dans le
ravelin, on a fermé la gorge de ce dernier par un mur cré-
nelé affectant un tracé demi-circulaire en sa partie médiane,
de manière à en couvrir l'entrée.
Le profil adopté pour ce front comporte une escarpe de
8m5o, attachée sur 3™ 5o et détachée sur 5 mètres de hau-
teur, avec un corridor de surveillance en arrière. Ce cor-
ridor, comme dans le front de Coblentz, contourne en
arrière la batterie casematée qui flanque les fossés du ra-
velin. Le fossé n'a pas de contrescarpe.
Les communications de ce front sont les suivantes : une
poterne, placée sous le parapet, conduit les défenseurs de
l'intérieur de la place dans le chemin de ronde, derrière la
batterie casematée. Pour se rendre dans le ravelin, on fran-
chit sur des ponts mobiles les retours du fossé diamant bor-
dant la caponnière. On se rend dans le fossé par un escalier
souterrain qui débouche dans un des flancs du ravelin et dont
la sortie sur le fossé se trouve dans la gorge de cet ouvrage.
On accède au chemin couvert par des rampes accolées à la
contrescarpe, derrière les places d'armes rentrantes.
Comme ouvrages particuliers, on peut remarquer une
traverse casematée pour canons, placée au saillant du ra-
velin et tirant sur la campagne, et des réduits-blockhaus
dans les places d'armes rentrantes.
L'ouvrage ainsi organisé, auquel on donne le nom de
front néo-prussien, est, celui que les Allemands ont cons-
truit, avec quelques modifications plus ou moins profondes,
dans leurs places de Stettin, Posen, Kcenigsberg, aux envi-
rons de 1860. A Posen, ils ont ajouté au saillant du ravelin
des caves à mortier comme en préconisait Carnot; mais ces
dispositifs n'ont pas, été maintenus dans la place de Kcenigs-
berg, construite la dernière. A Stettin (1862-1863), le corps
de place est, continu ; les parties environnant les saillants
affectent plus fortement, l'allure bastionnée et, dominent le
resté de l'enceinte; la caponnière, en fer à cheval, est atta-
chée au corps de place, au milieu de la courtine.
MANUEL DU FORTIFICATION 15
386 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Qn peut remarquer que l'escarpe de ces ouvrages est très
mal couverte contre les coups de l'artillerie, surtout dans
la partie Aroisine de l'angle rentrant formé par le ravelin et
le corps de place. A la vérité, il existe en ce point une sorte
dé glacis-masque de forme triangulaire, mais sa hauteur
est insuffisante pour défiler les maçonneries. La même
observation s'applique à. l'énorme massif de terres et de
murailles formé parla caponnière, qui se trouve fort exposé
aux coups de l'artillerie et dont la destruction pourrait faci-
lement avoir lieu de loin, ce qui supprimerait tout à fait le
flanquement au moment de l'assaut. Là seconde disposition
de caponnière sous les flancs retirés du ravelin est mieux
garantie contre la destruction.
Cet examen des derniers ouvrages construits en Alle-
magne avant la guerre de 1870 montre que les dispositions
employées dans ce pays n'étaient pas mieux que les nôtres
en mesure de résister à l'artillerie de cette époque.

Front polygonal en site aquatique ou Front d'Anvers


Ce nouvel exemple montre les modifications que subit le
tracé polygonal en s'adaptant à un site aquatique ; il est
emprunté aux ouvrages construits à Anvers, en 1860, par
le général BRIALMONT.
Le côté extérieur (fig. i85, 186 et 187, page 387 bis) a
1 000 ou 1 100 mètres dé longueur, et le corps de place en
suit le tracé sur la plus grande étendue. Au milieu,.cepen-
dant, se trouve une sorte de courtine reliée par deux flancs
inclinés, en arrière de laquelle règne la crête d'un grand
cavalier central ; mais la direction générale du corps de
place est continuée par deux branches que forme le parapet
de la caponnière.
Ce dernier ouvrage, établi au milieu du côté, se compose
de deux bâtiments casemates séparés.par une cour inté-
rieure et contenant chacun quatorze pièces. Ils sont recou-
ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX 387
verts d'un puissant massif dé terre dans lequel on a entaillé
un parapet d'artillerie donnant un second étage de feux
dans le fossé. Ce parapet se.retourne le long du côté exté-
rieur, suivant deux crêtes dirigées perpendiculairement aux
faces de la caponnière et prolongeant le corps de place.
L'organe flanquant est entièrement isolé par un fossé plein
d'eau, qui communique avec le grand fossé et peut être
franchi sur deux ponts. La tête de la caponnière est sail-
lante ; elle est flanquée par les crêtes réunissant la courtine
au corps de place et par des batteries casematées établies
sous leur parapet.
Le relief du corps de place est de 10 mètres, celui du
cavalier de 13m 5o et celui du parapet de la caponnière de
7 mètres. La largeur du fossé A'arie de 46 mètres, près de la
caponnière, à 70 mètres, aux saillants.
Comme dehors, on remarque un ravelin assez ouvert et
entouré d'un fossé plein d'eau. Cet ouvrage est flanqué par
un retour de crête, à l'extrémité des faces, et par des batte-
ries basses placées sous le parapet de ce retour. Les crêtes
du ravelin sont brisées de manière à donner des feux de
flanc devant le corps de place; leur tracé affecte la forme
générale d'une lunette à angle saillant très ouvert, munie
de longs flancs redoublés. En aArant du saillant, une batterie
casematée donne des feux parallèles au côté extérieur.
Cet ensemble de dispositions est fort ingénieux : on ne
pouvait lui reprocher que la situation des batteries flan-
quantes du fossé qui les rend faciles à détruire par l'artillerie.
.A l'intérieur, se trouve un réduit séparé : du ravelin
même, par un fossé sec, et de la tête de caponnière, par un
fossé plein d'eau annexe du grand fossé. La crête suit le
tracé du fossé sec qui est flanqué par le corps de place situé
en arrière.
Un grand chemin couvert, affectant un tracé en crémaillère
devant le ravelin et donnant des places d'armes rentrantes,
enveloppe tous ces ouvrages. Son relief est de 2 mètres;
celui du ravelin en arrière est de 4 mètres, sauf la batterie
387 bis Planche L

Tracé polygonal en site aquatique.


Fig. 185. — Front d'Anvers.
Échelle du (g-fgg) CTOOIS pour 10 mètres.

Fig. 186. — Profil du corps de place. Échelle du (j^g).

Fig. 187. — Coupe transversale de la caponnière centrale. Échelle du (j^).


l~Si.cn)
____^__

7ïJ,rt/rtt,-i({</<?/.
388 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
casematée placée au saillant qui est à 7m 5o au-dessus du
sol; le réduit du ravelin a 6 mètres de hauteur de crête.
Les communications sont les suivantes : on traverse le
corps de place sous des poternes ayant leur entrée dans le
talus intérieur du cavalier central, et on passe le fossé plein
d'eau de la caponnière sur des ponts mobiles. Si on veut se
rendre au ravelin, on suit les extrémités du massif de terre
formant corps avec l'organe de flanquement et, après avoir
franchi le fossé sûr un pont, on arrive sur une sorte de jetée
rattachée au massif du ravelin et permettant d'entrer dans
cet ouvrage ou dans son réduit, puisque les deux ne sont,
séparés que par un fossé sec d'une faible profondeur.
Enfin, pour aller dans le chemin couvert, on passe à l'ex-
trémité des faces du ravelin, derrière les retours destinés
au flanquement du fossé, et on pénètre dans la place d'armes
rentrante en passant sur un pont. Une sortie de chemin
couvert débouche, en face de ce pont, dans le parapet de la
place d'armes, et le passage est couvert par une levée de
terre.
Les progrès de l'artillerie laissaient encore, avant i885,
une grande valeur aux fronts d'Anvers; assurément, les
maçonneries des organes de flanquement étaient vulné-
rables et auraient assez mal résisté au canon; mais, grâce
à la précaution qui avait été prise de surmonter les case-
mates d'un puissant massif de terre formant parapet, on
pouvait flanquer les fossés par la mousqueterie, même après
la destruction de ces organes.
La disposition d'ensemble du front et des dehors est
d'ailleurs excellente; la forme du ravelin est particulière-
ment originale et remplit bien le but cherché, de flanquer
les abords du corps de place sans donner trop de profondeur
à l'ouvrage. Le profil du corps'de place et du ravelin, avec
escarpe à terre coulante et large fossé plein d'eau, est une
heureuse utilisation des forces naturelles du site et rend
toute cette fortification invulnérable à l'artillerie. Enfin, l'al-
ternance des fossés secs et pleins d'eau, entre les différents
ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX 38g
dehors, a pour effet de rendre les cheminements plus diffi-
ciles et contribue à renforcer la position. Le massif des
terres du cavalier est utilisé pour loger des abris casemates.

Tracé polygonal appliqué aux forts de 1870 à 1885


Les ouvrages construits, tant en France qu'à l'étranger,
de 1870 à i885 consistent surtout en forts détachés entou-
rant les places fortes, ou en forts d'arrêt servant à garder
les points de passage importants.
L'élude qui sera faite plus loin (chap. XXXIet suivants),
de l'organisation des places de cette époque, montrera les
conditions que devaient remplir ces ouvrages. Il suffit de
signaler ici, dès maintenant, qu'en principe, on s'efforçait
de réduire leurs dimensions autant que possible, ce qui
conduisit à y appliquer presque exclusivement le tracé
polygonal.
Les forts étant surtout, établis pour exercer une action
lointaine, il n'y a pas lieu d'y placer de dehors, et le tracé
est, réduit à ses formes les plus simples, comme l'indique la
figure 187 bis (page 3go bis).
Les fronts sur lesquels ce tracé s'applique ont en général
une étendue de 200 à 3oo mètres au maximum, souvent
même très inférieure à ce chiffre ; mais ils pourraient être
beaucoup plus grands sans que le tracé perdît aucune de
ses propriétés.
La caponnière (fig. 174, page 36-2 bis) est toujours atta-
chée au corps de place et formée d'un seul ensemble de
locaux casemates placés sous le même massif de terre. Le
plus souvent, le front est brisé en dehors, afin d'avoir deux
directions pour les faces des forts et de mieux battre le ter^
rain avoisinant; aussi la caponnière est-elle établie sur un
saillant. Elle contient trois ou quatre pièces au plus de
chaque côté; ces pièces sont protégées en avant par des
visières, lorsqu'on craint les coups d'enfilade pour le fossé.
3gO 2° PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
Une galerie de flanquement entoure la tête de capon-
nière, de manière à battre le fossé qui la sépare de la con-
trescarpe, fossé dont la largeur est réduite à 8 ou même à
6 mètres pour mieux protéger les maçonneries. Cette galerie
flanquante se prolonge latéralement par un orillon qui
couvre les faces de l'ouvrage. Le fossé étant profond, 8 à
9 mètres en moyenne, et la caponnière établie seulement
pour un étage de feux, on arrive de celte manière à défiler
les maçonneries à une inclinaison extrêmement forte, i/4
et même plus.
La caponnière communique à l'intérieur de l'ouvrage par
.

une poterne placée sous le rempart ; un- fossé diamant


règne devant les faces.
Parfois, des casemates sont, établies dans la contres-
carpe et communiquent avec la caponnière, soit par une
poterne placée sous le fossé, soit par une porte débouchant
au fond de ce fossé, dans lequel on peut se rendre par une
des casemates de la caponnière ou par l'orillon qui prolonge
la galerie de tête.
Pour flanquer les abords de l'ouvrage, on dispose der-
rière l'escarpe une série de voûtes casematées pour tireurs.
La figure 174 (page 362 bis) montre l'ensemble de leur
disposition.
Le seul dehors conservé est le chemin couvert, qu'on
réduit même le plus souvent à un simple corridor de sur-
veillance, afin de mieux couvrir le mur d'escarpe.
Le profil habituel se rapproche de celui qui a été indiqué
au chapitre XXI, avec les modifications de détail l'appro-
priant à chaque cas particulier. On adopte l'escarpe atta-
chée ou l'escarpe détachée, suivant les circonstances; en
terrain de roc, la première est préférable; la seconde est
plus souvent appliquée, car elle est plus facilement cou-
verte.

On voit, d'après cela, que les ingénieurs, français ou


étrangers après 1870, ont réduit le tracé polygonal à ses
Planche M 39Gb!s
.

Elegianâdel. LiÛ.Berfier-LevraultS C''Nancy.


ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX 3gi
éléments essentiels, lui conservant ainsi tous ses avantages,
comme cela ressortira de la discussion qui sera faite dans
le chapitre suivant.

Tracé polygonal appliqué aux ouvrages postérieurs


à 1885

Comme dans la période précédente, les ouvrages cons-


truits depuis i885 consistent surtout en forts détachés ou
en forts d'arrêt. .
' '

Les effets des obus-torpilles et des obus à mitraille ont


.

conduit à enlever des forts la plus grande partie de l'artil-


lerie de gros calibre et à mettre sous casemate ou sous tou-
relle les canons laissés dans les ouvrages. Les forts déta-
chés qui, avant 1885, étaient de véritables batteries, sont
devenus des points d'appui d'infanterie. Cette transforma-
tion du rôle qui leur est dévolu a permis d'apporter à leurs
dimensions, déjà réduites après 1870, ,une nouvelle réduc-
tion, imposée d'ailleurs parle prix élevé qu'atteignent les
constructions en béton et surtout les cuirassements.
Les forts construits actuellement sont donc, comparés
aux ouvrages antérieurs, de dimensions restreintes; en
outre, leur tracé est simplifié le plus possible pour réduire
le nombre des organes de flanquement des fossés.
La figure 188 (page 3g2) représente un type de fort qua-
drangulaire fréquemment adopté. On a quelquefois même
employé, pour le, tracé, la forme triangulaire, dans le but
de faire l'économie d'un coffre de contrescarpe (forts de
Namur, forts de Molsheim).
Dans le fort de la figure 188, le fossé de face et les fossés
de flanc sont flanqués par un coffre double et un coffre
simple, reliés entre eux et avec l'intérieur du fort par une
galerie de contrescarpe. Sur ces côtés, l'escarpe est à terre
coulante, renforcée par une grille, et la contrescarpe est en
béton. A la gorge, où c'est la contrescarpe qui est exposée
Fig. 188. — Type de fort postérieur.à 18S0.
A, coffre double; 13, coffre simple; C, caponnière de gorge: F, lbs.se diamant: M, casemate de ilaiiquemenl ; ï. tourelle
observaloïrc cuirassé L. lojeiueJifs et magasins.
pour deux cuuons de 7Ô ; t, tourelles pour inîl.raîlieuscs; O, ;
ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGONAUX 3o3

aux coups directs, le profil est inversé ; l'escarpe est ma-


çonnée et la contrescarpe à terre coulante. Une caponnière,
faisant corps avec la caserne de gorge, flanque le fossé. On
pourrait aussi bien adopter pour la gorge le tracé pseudo-
bastionné, c'est-à-dire battre le fossé au moyen de deux
coffres d'escarpe.
La suppression de l'obstacle sur la contrescarpe de la
gorge a pour conséquence de permettre à l'assaillant de
descendre facilement, dans le fossé de gorge. S'il pouvait
passer, de là, dans les fossés des flancs, il franchirait sans
peine l'escarpe de ce fossé, parce qu'elle est à terre cou-
lante, et se trouverait dans le fort sans avoir rencontré aucun
obstacle. Il est donc indispensable d'interdire à l'ennemi de
passer du fossé de gorge au fossé de flanc; c'est dans ce but
qu'on dispose à la jonction des deux fossés un réseau de fil
de fer ou un fossé diamant.
Dans les forts actuels, le chemin couvert a disparu pres-
que toujours. On le considérait comme intenable, à moins
qu'il ne fût pourvu d'abris, et inutile, parce qu'on ne pensait
pas que la faible garnison des petits forts actuels pût tenter
une action extérieure, et qu'enfin le feu des défenseurs du
parapet devait suffire à battre les approches.
L'expérience du siège de Port-Arthur tendrait à faire
revenir sur cette opinion : on y a constaté en effet que pour
surveiller les abords immédiats d'un fort et, notamment,
pour empêcher l'ennemi de tenter la destruction, par la
mine, des coffres de contrescarpe, la présence d'un chemin
couvert était nécessaire. Il faudrait alors le munir d'abris à
l'épreuve et le relier à la gorge du fort par des communi-
cations couvertes.
Les ouvrages de fortification étant le plus souvent en-
tourés de réseaux de fil de fer, ceux-ci sont protégés pat-
un avant-chemin couvert.
CHAPITRE XXVII

DISCUSSION COMPARATIVE DES SYSTÈMES


BASTIONNÉ ET POLYGONAL

Les deux systèmes de fortification bastionné et poly-


gonal étant supposés connus dans leur ensemble, d'après
la description faite dans les chapitres précédents, on peut
maintenant essayer de les comparer et rechercher les causes
qui, après avoir fait adopter presque universellement le pre-
mier, ont amené à le modifier progressivement et à lui
substituer le second dans un très grand nombre de cas.

Le tracé bastionné, existant de fait avant lui, mais auquel


Vauban sut apporter des perfectionnements si importants
et si complets qu'il en est en quelque sorte le véritable
créateur, répondait pleinement, de son temps, au but que
l'on poursuivait.
La puissance de l'artillerie était alors relativement assez
faible ; l'obstacle matériel opposé par le rempart, était puis-
sant, difficile à détruire; pour s'en emparer, l'assaillant
était obligé d'y arriver par des cheminements, pied à pied,
et dès lors, la phase de la lutte où les adversaires se rencon-
traient, dans le voisinage immédiat de l'ouvrage, prenait
une importance considérable. Dans ces conditions, le flan-
quement des fossés, assurant au défenseur la possession des
abords de la place, avait une importance capitale, et il
était naturel de lui subordonner le tracé tout entier des
ouvrages. C'est pourquoi l'idée, si simple et certainement
COMPARAISON DES SYSTÈMES BASTIONNÉ ET POLYGONAL 3Q5
antérieure à Montalembert, de flanquer le fossé par un petit,
ouvrage placé à l'intérieur, fut très mal accueillie au début.
On ne pouvait admettre que la défense de ce fossé, princi-
pale préoccupation des ingénieurs militaires du dix-hui-
tièmè siècle et de leurs successeurs immédiats, reposât tout
entière sur un seul ouvrage, la « caponnière », dont la con-
servation était véritablement problématique. Les premières
propositions de tracé polygonal échouèrent donc devant
cette objection principale, que : si la caponnière venait à
être détruite, le défenseur serait dans l'impossibilité de sur-
veiller le fossé.
Avec le tracé bastionné, au contraire, alors même que les
faces et les flancs des bastions ont leurs escarpes ruinées
par le canon ennemi, et que les parapets sont réduits à des
masses informes de terre, il est toujours possible au défen-
seur de se creuser un logement dans les flancs, d'y installer
quelques tirailleurs et d'interdire à l'assaillant le passage
du fossé.
Aujourd'hui, cependant, il paraît bien difficile de conser-
ver intact un flanquement par les crêtes, après une lutte
d'artillerie aussi violente que celle à laquelle on doit s'at-
tendre.

D'autre part, le flanquement par le tracé conduit à briser


les crêtes d'une manière illogique pour l'action que l'ou-
vrage doit exercer sur le terrain en avant. Les flancs notam-
ment peuvent être placés vis-à-vis de points fort peu utiles
abattre; les faces sont infléchies sur le côté extérieur; la
courtine, rentrée et masquée par les dehors, n'aplus qu'une
action fort affaiblie.
En outre, la direction des faces les rend plus enfilables
que ne l'est le côté extérieur lui-même, et celle des flancs
les expose non seulement aux coups d'enfilade, mais encore
aux coups de revers. Toutefois, en ce qui concerne ce der-
nier danger, il faut remarquer que les flancs d'un front ne
peuvent être pris à revers que par les établissements de
3g6 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
l'ennemi situés non pas en face de ce front même, mais
vis-à-vis des fronts collatéraux, ce qui entraîne l'assaillant
à étendre beaucoup ses travaux s'il veut battre de la sorte
les flancs attaqués.
Enfin, l'ensemble du tracé bastionné a certainement une
assez grande profondeur, ce qui est un inconvénient au
double point de vue de la dépense et de l'étendue du but
offert à l'ennemi.
Les partisans du tracé bastionné ont pu longtemps ré-
pondre, il est vrai, à ces critiques, dont ils ne pouvaient

Fig. 189. — Fort Léopold, à Rasladt.

méconnaître la justesse, que la plupart des constructions


élevées dans le système polygonal présentent la même pro-
fondeur et les mêmes brisures de crêtes que le tracé bas-
tionné, et que, si le tracé polygonal réduit à son expression
la plus simple est exempt de ces reproches, il n'en est pas
de même des travaux exécutés d'après ce système.
Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner, par exemple,
le tracé du fort. Léopold à Rastadt (fîg. i8y).
Ils en concluaient que le tracé théorique, réduit à sa plus
COMPARAISON DES SYSTEMES BASTIONNÉ ET POLYGONAL 3g7
simple expression, ne répond pas suffisamment à ce qu'on
doit attendre d'une fortification, puisque les ingénieurs qui
l'ont appliqué se sont crus obligés d'y apporter ces modifi-
cations.
Comme toujours, la vérité est entre les deux opinions
extrêmes.
D'une part, on peut fréquemment, en utilisant les dispo-
sitions du sol sur lequel est établi un front bastionné, mo-
difier suffisamment la direction des faces et des flancs pour
obtenir du même coup un flanquement efficace et une action
puissante sur le terrain extérieur. D'autre part, il n'est pas
besoin de donner au tracé polygonal toutes les complica-
tions que l'on rencontre dans lès constructions allemandes
de la première moitié du dix-neuvième siècle, pour lui
assurer toutes ses qualités.
En second lieu, la nature des feux de flanquement cons-
titue une différence essentielle entre les deux tracés. Dans
le bastionné, les feux partent d'une crête relativement
élevée et sont par conséquent plongeants ; dans le poly-
gonal, ils partent de la caponnière et sont rasants par rap-
port au fond du fossé.
Les partisans du système bastionné font valoir que les
feux plongeants ont un effet moral plus grand sur l'en-
nemi ; ceux du système polygonal, que les feux rasants sont .
plus efficaces. A cela, les premiers répondent qu'il suffit
d'un assez faible éboulement de terres ou de maçonnerie
pour arrêter complètement ces feux rasants et laisser, par
suite toute une portion du fossé en angle mort, et que celte
circonstance se produira notamment sur les fronts où l'en-
nemi aura fait brèche, c'est-à-dire précisément sur ceux
qu'il importe essentiellement de conserver. Alors, disent les
« polygonaux », les banquettes découvertes des flancs sont,
tellement difficiles à habiter que le flanquement des fossés
par des feux partant de cette partie des bastions peut éga-
lement être considéré comme d'une faible efficacité. Moins
3g8 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
difficiles qu'on pourrait le croire, répondent leurs adver-
saires, car le flanquement est surtout nécessaire lors de
l'assaut, et à ce moment l'assaillant est bien obligé d'inter-,
rompre son feu, s'il ne veut tirer sur ses propres troupes.
Le troisième point sur lequel porte la discussion est
l'étendue qu'on peut donner au côté intérieur. Ici, tout
l'avantage est au tracé polygonal, et c'est là une des raisons
déterminantes qui ont conduit à son adoption dans les
constructions modernes.
Dans le tracé bastionné, en effet, les deux lignes de
défense en avant des flancs se recroisent sur une étendue
égale à la moitié de la courtine, et les feux partant des deux
crêtes doivent passer au moins à 5o centimètres ou i mètre
au-dessus du fond.du fossé. Il résulte de là, comme on l'a
déjà vu (page 326), qu'il y a, pour la longueur de la cour-
tine, une limite inférieure, facile à calculer et Aroisine de
120 mètres avec les dimensions habituelles des profils. En
conséquence, le côté extérieur lui-même ne peut descendre
au-dessous d'un certain minimum qu'on a reconnu être
d'environ 200 mètres. D'autre part, les lignes de défense
se recroisant devant la courtine, on perd sur chacune d'elles
une longueur égale à la moitié de cette crête, et, par suite,
le tracé bastionné ne peut s'appliquer à des côtés extérieurs
ayant plus de 8oo ou 900 mètres, même en donnant à la
ligne de défense son développement maximum de 000 à
600 mètres.
Avec le tracé polygonal, au contraire, on peut : d'une
part, diminuer à volonté le côté extérieur, puisque les feux
de flanquement sont rasants, et, de l'autre, porter sa lon-
gueur jusqu'à 1 000 et même 1 200 mètres, en plaçant la
caponnière au milieu du côté et en adoptant une ligne de
défense maxima. Ce tracé est donc incontestablement plus
maniable que le tracé bastionné, et, aujourd'hui surtout que
la plupart des constructions consistent en forts dont on
cherche à réduire les dimensions au minimum, tant pour
COMPARAISON DES SYSTÈMES BASTIONNÉ ET POLYGONAL 3gg
diminuer l'étendue du but offert à l'ennemi que pour atténuer
la dépense, on l'y emploie d'une façon presque absolue.

La facilité d'application sur le terrain, quatrième point


important de la comparaison des deux tracés, a été très
diversement jugée par les différents auteurs (et ils sont
.
nombreux) qui ont discuté la valeur relative des deux sys-
tèmes. A priori, il semble que le tracé bastionné, avec ses
brisures de crêtes, doive s'appliquer difficilement sur le ter-
rain, en conservant à toutes ses parties des inclinaisons
convenables pour défiler les défenseurs. L'expérience prouve
cependant le contraire, et cela s'explique aisément si l'on
réfléchit que, dans les' limites encore assez étendues (25o à
800 mètres) imposées au côté extérieur, on trouve le plus
souvent sur la surface du sol deux points un peu plus élevés
que ceux qui les environnent, sur lesquels on établit les
bastions, tandis que la courtine occupe la partie basse du
terrain intermédiaire. Aussi les défenseurs du système bas-
tionné pouvaient-ils dire que ce tracé était d'une application
facile en raison des crêtes nombreuses et relativement
courtes qu'il comporte. Ils soutenaient alors que les longues
lignes droites du tracé polygonal trouvent au contraire fort
difficilement un emplacement sur lequel elles peuvent s'é-
tendre sans avoir bientôt des inclinaisons dangereuses.
Cette dernière critique est évidemment peu fondée, en
raison des limites fort larges entre lesquelles il est loisible
de faire varier le côté extérieur, et l'on peut dire en somme
que les deux tracés sont d'une application aussi facile l'un
que l'autre, dans les proportions que chacun d'eux com-
porte, et qu'ils se marient également bien au terrain, lors-
que celui-ci a été convenablement étudié.

Le prix de revient ne donne pas non plus d'argument décisif


en faveur de l'un ou de l'autre de ces deux systèmes. On peut
en effet les simplifier suffisamment tous les deux, pour que
la différence entre la dépense à effectuer soit sans importance.
4oO 2e PARTIE '— FORTIFICATION PERMANENTE
Il ne reste donc plus à examiner que le degré de résis-
tance offert par chacun aux effets destructeurs,'de l'artil-
lerie. Pour résoudre cette question, il faut évidemment
considérer deux ouvrages établis avec le même profil et
dans les mêmes conditions chronologiques, et non prendre
comme type de comparaison, dans le système bastionné, un
ouvrage de construction ancienne, dont les escarpes mal
défilées et la surabondance de dehors, créant des trouées
très défavorables à la conservation de ces maçonneries, sont
autant de défectuosités que l'on n'introduirait évidemment
pas dans une construction neuve.
Le système bastionné réduit au corps de place sans dehors
présente, vis-à-vis de la courtine, un élargissement du fossé
des plus dangereux pour l'escarpe. C'est afin d'en atténuer
les effets que l'on place une tenaille en cet endroit. Mais,
comme la protection donnée par ce petit ouvrage n'équivaut
pas à celle qui est assurée aux faces de bastion, il en ré-
sulte que les flancs, et même la courtine, sont, dans le voi-
sinage du sommet de l'angle formé par leurs crêtes, en
prise aux coups de l'artillerie dé l'attaque.
Dans le tracé polygonal, au contraire, le fossé entourant
la tête de la caponnière peut être réduit, suffisamment pour
que la.trouée produite en avant de l'escarpe soit insigni-
fiante. Le tracé polygonal présente donc un avantage sur
ce point.

Dans les deux systèmes, les communications peuvent


être également bien couvertes en les plaçant sous des po-
ternes; mais le tracé polygonal, présentant forcément des
locaux casemates, en rend évidemment l'établissement plus
facile, ce qui constitue pour lui un petit avantagé.
Le manque d'abris sur les remparts, que l'on a reproché
au front bastionné, n'est pas inhérent à ce tracé, mais aux
constructions élevées dans ce système, à des époques où il
n'y avait pas lieu de se préoccuper, comme aujourd'hui, de
cette importante question. On peut, sans aucune difficulté,
COMPARAISON DES SYSTÈMES BASTIONNÉ ET POLYGONAL 4» I
établir des abris casemates dans la fortification bastionnée
et les garantir des coups de l'artillerie ennemie, dans les
mêmes conditions que dans la fortification polygonale.
Celle dernière n'a donc de ce chef aucun avantage.

Pour bien saisir la valeur des arguments mis en avant-


dans la discussion qui précède, il est essentiel de se reporter
à l'époque, vieille à peine d'un quart de siècle, à laquelle ils
se rapportent, c'est-à-dire antérieurement à l'apparition des
nouvelles substances explosibles.
La question s'est déplacée depuis lors; on verra plus
loin que l'ouvrage de fortification ne forme plus qu'une
partie, fort importante il est vrai, de l'ensemble des défenses
d'une position. La nécessité de séparer l'artillerie des rem-
parts de la fortification, pour assurer la conservation de
ces derniers, oblige à créer des batteries autour de l'ou-
vrage, et l'ensemble de tous ces travaux, se. prêtant un
mutuel soutien, constitue l'organisation, défensive de la po-
sition. L'ouvrage fortifié, réduit au rôle de point d'appui, n'a
plus que des dimensions aussi restreintes que possible, pour
diminuer.sa vulnérabilité et ses formes se simplifient con-
sidérablement.
Dans ces conditions, il semble à peu près impossible
d'utiliser dans l'avenir le tracé bastionné et les brisures
compliquées de ses crêtes, mais, en revanche, l'organe spé-
cial destiné à flanquer les fossés ne ressemble que bien peu
aux anciennes caponnièrès qui. ont été précédemment
décrites.
Il a paru
,
nécessaire
.
'...''
cependant de rappeler avec quelques
détails la discussion entre les tracés bastionné et potygonal,
parce qu'elle a été, durant de longues années, l'objet prin-
cipal des polémiques entre les ingénieurs et qu'elle fait res-
sortir le mode d'emploi ides armes dans le but particulier
du flanquement. •-...
MANUEL DU FORTIFICATION 26
CHAPITRE XXVIII

ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES


PENDANT LA PÉRIODE DE 1870 A 1885

Quel que soit le système adopté pour le flanquement du


fossé et le tracé de l'enceinte, les ouvrages de fortification
présentent un certain nombre de dispositions intérieures
destinées à faciliter le service des hommes et des pièces qui
les occupent. Ces dispositions sont naturellement en rapport
avec la nature et la puissance des projectiles auxquels elles
doivent résister ; elles sont par suite semblables entre elles
dans les divers ouvrages construits à la même époque, dont
elles marquent, pour ainsi dire, la caractéristique.
II convient, dès lors, d'étudier avec quelques détails
l'organisation intérieure des ouvrages de la période qui
prend fin en 1885, en raison de l'importance de cette der-
nière.
On passera successivement en revue les dispositions qui
se rapportent à l'organisation intérieure proprement dite, et
celles qui ont trait à l'installation de l'artillerie.

Défilement. — On a vu, dans l'étude de la-fortification


passagère, que pour défiler l'intérieur d'un ouvrage aux vues
et aux coups de l'ennemi, on disposait ses crêtes dans un
plan passant au-dessus des points les plus élevés du terrain
occupé par l'adversaire, points auxquels on a donné pour
cette raison le nom de points dangereux.
Les crêtes des ouvrages permanents doivent présenter exac-
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES 4°3
tement la même disposition. C'est pourquoi, ainsi qu'on l'a
déjà fait remarquer en étudiant, dans les chapitres précé-
dents, les divers tracés en terrain horizontal, les saillants des
bastions ou du corps de place, des demi-lunes et des chemins
couverts sont tenus à une cote supérieure à celle des extré-
mités de ces mêmes ouvrages, de manière à donner au
plan qui en contient les crêtes une direction ascendante vers
d'extérieur. Dans les fortifications construites en terrain
accidenté, on a soin de diriger de même le plan de ces crêtes.
Il peut donc arriver, par exemple, que la face et le flanc
droit d'un bastion, ou le côté droit d'un front polygonal,
soient plus éleA'és que la partie gauche, afin de défiler l'inté-
rieur de l'ouvrage d'un point dangereux situé sur la droite.
En se reportant au chapitre XVI, on comprendra aisé-
ment comment on détermine la cote des points principaux
de ces diverses crêtes.
On verra d'ailleurs, dans ce qui va suivre, que le défile-
ment aux vues des ouvrages permanents est obtenu, en
quelque sorte indirectement, à l'aide des dispositions prises
pour abriter les défenseurs des coups d'enfilade, dont la
direction est naturellement plus plongeante que celle des
rayons visuels partant des mêmes points.

Organisation des parapets. Traverses. — Lorsque


les ouvrages de fortification étaient surtout destinés à rece-
voir des bouches à feu, ils devaient être organisés de ma-
nière à pouvoir résister pendant la lutte d'artillerie qui
s'engageait entre ces pièces et celles de l'attaque. L'action
la plus efficace étant exercée sur le personnel et sur le
matériel d'artillerie lui-même, il convenait de chercher à
localiser les effets de l'explosion d'un projectile, en rédui-
sant autant que possible l'espace dans lequel pouvaient
pénétrer ses éclats.
On obtenait ce résultat en disposant, sur les banquettes
d'artillerie, des masses de terre transversales, nommées
traverses, qui divisent le parapet en un certain nombre de
4o4 2e PARTIE —• FORTIFICATION PERMANENTE
compartiments. L'idée première de cette disposition appar-
tient à Vauban, mais elle a été considérablement développée
depuis.
Les figures igo, igi, ig2 (page 4o5) montrent la dispo-
sition d'une traverse; c'est un massif de terre, épais de
4 mètres au sommet, dépassant généralement la crête de
2 mètres à 2m 5o, terminé latéralement et en tête par des
talus à pente naturelle des terres (I/I ou 4/5). La traverse
s'arrête au pied du talus de banquette, afin de laisser libre
la circulation sur le terre-plein; elle est terminée sur cette
face par un mur vertical.
L'intérieur de la traverse contient le plus souvent un abri
voûté, en maçonnerie, de 4 mètres de large sur2m5o de
hauteur, dont la voûte a i mètre d'épaisseur. Il est destiné
à mettre à l'abri, à proximité du lieu de combat, les servants,
les munitions et même le matériel; à cet effet, il commu-
nique avec la banquette par un corridor suivi d'un escalier
placé le long du talus intérieur. Le débouché de celle petite
poterne se trouve naturellement du côté opposé à la direc-
tion des coups dangereux. Parfois, la traverse ne dépasse
pas la crête et, dans ce cas, ne contient pas d'abri voûté :
elle est alors dénommée pare-éclats.
Les traverses ainsi organisées ont le grave inconvénient de
signaler à l'ennemi l'emplacement des pièces et de lui servir
de points de repère ; aussi cherchait-on à les masquer par des
plantations. Cet inconvénient est devenu plus grave aujour-
d'hui, en raison de la précision du tir, et il paraît préférable
de n'avoir plus que des pare-éclats. Il faut observer aussi
que la voûte de l'abri n'offre qu'une résistance insuffisante
aux nouveaux projectiles, ainsi qu'il sera expliqué ci-après.
On plaçait, généralement une ou, au plus, deux pièces
entre-chaque traverse ; ainsi organisé, le rempart, ne pouvait,
recevoir qu'un petit, nombre de bouches à feu par rapport
au développement de ses crêtes; cet inconvénient, assez
grave autrefois, serait de peu d'importance aujourd'hui,
puisqu'on cherche à éloigner l'artillerie de, la fortification.
Fig. igo. — Traverse et pare-éclats. Plan.

Fig. igi. —.Traverse et pare-éclats. Vue perspective.

Fig. 192. — Coupe d'une traverse.


4o6 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Parados. — Les ouvrages construits de 1870 à i885
consistent presque généralement en forts dont une ou plu-
sieurs faces sont diamétralement opposées à la direction de
l'attaque probable. Pour protéger ces parties contre les
coups de revers et même de dos, on disposait fréquemment
en arrière du parapet une forte masse de terre, parallèle à
ce dernier et destinée à arrêter les projectiles. La hauteur
de celte masse est déterminée par son éloignement du point
qu'elle doit couvrir et par la condition de garantir ce der-
nier contre les coups tombant sous la pente du 1 \l\. On lui
donnait une épaisseur de 6 mètres au sommet, qui serait
aujourd'hui insuffisante.
Dans les forts et ouvrages précités, on a le plus souArent
utilisé les parados pour y installer des poternes permettant
de circuler à couvert dans toute l'étendue de la fortification.
Ces poternes communiquent alors avec les abris du parapet
par d'autres poternes transversales, logées sous des tra-
verses, qui se réunissent au parados et que, pour ce motif,
on nomme traverses enracinées.

Des abris
Les dispositions précédentes (traverses, parados, etc.)
suffisent pour défiler les défenseurs contre les coups tom-
bant sous une inclinaison inférieure à celle du 1 /4, mais ne
sauraient les protéger contre leurs éclats. Elles sont égale-
ment inefficaces contre les projectiles lancés par les mor-
tiers et tombant sous des inclinaisons très voisines de la
verticale.
Pour se protéger contre ces derniers, on a reconnu, de
tout temps, la nécessité d'installer sur la fortification des
locaux voûtés, à l'épreuve de la bombe, donnant abri aux
hommes, au matériel ainsi qu'aux approvisionnements de
toute espèce.
Carnot et Montalembert signalaient déjà le manque
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES 4«7
d'abris dans les ouvrages de leur temps, et préconisaient
de nombreux locaux voûtés de toute nature. A cette époque
et avant l'invention de l'artillerie rayée, il suffisait d'avoir
une voûte de i mètre d'épaisseur pour arrêter tous les
projectiles. Après l'adoption de l'artillerie rayée, il fallut
recouvrir ces voûtes d'une couche de terre de i mètre
pour en assurer la conservation, et, dans la période
de 1870 à i885, on avait porté cette épaisseur à 2 et
3 mètres pour les locaux ordinaires, et 4 à 5 mètres
pour les magasins à poudre. C'est dans ces conditions
qu'on a organisé les traverses-abris dont il a été question
ci-dessus, ainsi que tous les nombreux locaux qui étaient
installés dans les fortifications de cette époque et qu'on va
passer rapidement en revue.
On peut diviser les abris en question en trois catégories,
savoir :
i° Ceux qui, devant servir de logement aux troupes de
la garnison ou abriter certaines denrées alimentaires dont il
importe d'assurer la bonne conservation, ont besoin d'être
aérés et bien éclairés par la lumière du jour;
20 Ceux qui sont destinés aux approvisionnements (pro-
jectiles) et au matériel, et qui peuvent indifféremmentêtre
ou n'être pas éclairés directement;
3° Ceux qui doivent recevoir la poudre nécessaire à la
défense, et qu'il est indispensable d'enterrer de toutes
parts, de manière à les mettre complètement à l'abri du
canon ennemi.

Casernes et magasins. — Les locaux de cette


nature, qui doivent recevoir le jour et l'air, sont disposés
de manière que leur façade soit dirigée vers une partie du
terrain sur laquelle l'ennemi ne peut pas venir s'installer.
Dans l'étude des différents fronts, on a vu qu'on les plaçait
souvent sous des cavaliers, à l'intérieur des bastions, sous
les courtines, ou le long des faces dans le tracé polygonal.
On les forme d'une série de voûtes (fig. ig3, ïg4 et ig5)
Fig.. ig.'l. — Abris. Coupe, transversale.

Cour- de îa caserne
Fig. ig/|. — Abris. Plan.
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES 4û9
de 6 mètres de largeur sur 3 mètres à 3m5o de hau-
teur, auxquelles on donne une longueur variable de 10 à
20 mètres, suivant la place dont on dispose. Ces voûtes
sont accolées les unes aux autres et superposées sur deux
ou trois étages. Celte disposition est économique, car il
suffit évidemment que l'a voûte supérieure soit à l'épreuve

Fig. HJ5. — Abri. Coupe longitudinale.

de la bombe pour protéger tout le reste, et les différentes


voûtes intermédiaires ne sont plus alors que de simples
planchers.
Une gaine (ou corridor) de circulation règne à la partie
postérieure des chambres, et les gaines des divers étages
sont, réunies par des escaliers placés de distance en dis-
sauce. Les locaux d'habitation se trouvent isolés du massif
des terres et sont, par suite moins humides. On peut aussi,
4lO 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

comme lé montre la figure ig5, placer à hauteur de Fun des


étages (celui qui* est à niveau du sol), un balcon qui permet
de se rendre directement dans la cour de l'ouvrage.
Lorsqu'on établit trois étages de voûtes, il arrive presque
toujours que l'étage inférieur est enfoncé dans le sol ; pour
l'éclairer, on pratique alors une petite cour de 4 à 6 mètres,
ou, mieux encore, on creuse le sol jusqu'au niveau du plan-
cher de cet étage et l'on raccorde, par une rampe, le fond
de l'excavation avec le terrain naturel. Les locaux du rez-
de-chaussée, disposés comme il vient d'être dit, sont,
réservés au matériel ou aux approvisionnements, ceux des
étages supérieurs étant seuls affectés au logement des
hommes.
Les pieds-droits des voûtes extrêmes doivent avoir une
épaisseur très forte, pour résister à la poussée qu'ils
éprouvent; afin d'économiser la maçonnerie, on les perce
assez souvent d'un corridor parallèle aux chambres, sur
lequel viennent prendre air et jour de petites voûtes trans-
versales formant une série de pièces qu'on peut utiliser
pour les sous-officiers ou pour toute autre destination. On
y place aussi fréquemment des escaliers réunissant les
divers étages.
Les portes et fenêtres de la façade sont aménagées pour
recevoir, en temps de guerre, un blindage fait de poutrelles
en bois maintenues dans des rainures verticales ou par des
barreaux de fer scellés au mur, afin d'arrêter les éclats de
projectiles. Cette disposition a l'inconvénient assez grave
d'enfermer les hommes dans une pièce close de toutes parts,
et l'on peut se demander si toutes les maladies qui survien-
draient dans ces conditions n'auraient pas d'effets plus
désastreux que les éclats d'obus.
Pour prévenir un pareil danger et pour combattre, dans
la mesure du possible, l'humidité toujours considérable de
ces casernes, on dispose de nombreuses cheminées de ven-
tilation faisant appel d'air dans la gaine et par suite dans
les différentes chambres.
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES l±Il
Lorsque les casernes sont placées sous un rempart ou
sous un cavalier, on réunit les chambres d'habitation aux
abris placés dans les traverses du rempart, au moyen
d'escaliers qui permettent aux hommes de se rendre sans
danger du lieu de repos au terrain de combat, et facilitent
ainsi le service de la garnison.

On peut aussi, lorsqu'on manque d'abris pour le maté-


riel ou les approvisionnements, placerd.es voûtes enfoncées
dans le massif des terres et communiquant seulement avec
les gaines. Mais ces locaux sont forcément très humides
et ne peuvent recevoir que des projectiles non chargés ou
autres matériaux peu susceptibles de détérioration.

Magasins à poudre. — L'installation des magasins à


poudre est celle qui exige le plus de précautions. On doit
en effet : i° les abriter complètement des coups de l'ennemi
et, pour cela, les entourer de terre de tous côtés; 2° les
établir dans des conditions telles que les poudres ne s'y
détériorent pas sous l'action de l'humidité ; 3° les éloigner,
autant que possible, des locaux d'habitation.
Les magasins à poudre (fig. ig6 et ig7) sont formés par
des voûtes ayant au moins im20 à im5o d'épaisseur, et
recouvertes de 4 à 5 mètres de terre au minimum.
On donne ordinairement 5 à 6 mètres de largeur à la
voûte principale et on la divise en deux étages par un plan-
cher-voûte, de manière que l'étage supérieur, où sont placées
les poudres, soit isolé des terres. Tout autour de cette voûte
règne un corridor destiné à éloigner l'humidité.
Pour éclairer ces magasins, on dispose, à l'une des extré-
mités, une chambre complètement isolée de la pièce qui
contient la poudre. Cette chambre est séparée du magasin
par un mur percé de baies que l'on ferme au moyen de
glaces scellées dans la maçonnerie. Derrière ces glaces, on
place des lampes dont la lumière, projetée par des réflec-
teurs, éclaire l'intérieur de la chambre aux poudres.
4l2 2e PARTIE —- FORTIFICATION PERMANENTE
Le magasin est précédé d'un vestibule communiquant
avec la poterne par laquelle on y accède.
Cette disposition, qu'on signalait, en i883, comme devant

Fig. ig6. — Magasin à poudre. Plan.

Fig. 197. — Magasin à poudre. Coupe transversale.

cesser bientôt d'être suffisante, est, dans la fortification de


cette époque, celle dont la modification s'impose le plus.
Si, en effet, la destruction d'un abri ordinaire est un événe-
ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES 4l3
ment regrettable, elle n'a cependant d'autre conséquence
que de priver la garnison d'un des locaux dont elle dispo-
sait. Il en est tout autrement lorsqu'un magasin à poudre
vient à être percé par les obus de l'attaque, car son explo-
sion entraîne la destruction de l'ouvrage tout entier avec sa
garnison.
CHAPITRE XXIX

INSTALLATION DE L'ARTILLERIE
DANS LES OUVRAGES DE 1870 A 1885

Les dispositions prises pour installer l'artillerie dans la


fortification de cette époque constituent l'une de ses carac-
téristiques principales. Il est naturel de leur consacrer une
étude spéciale, mais il convient de rappeler que ces dispo-
sitions, qui subsistent encore dans un grand nombre d'ou-
vrages existants, ne répondent plus aux exigences actuelles,
ainsi qu'on pourra s'en rendre compte au cours des chapitres
suivants.
Cette artillerie pouvait, être placée à ciel ouvert ou sous des
abris; on décrira séparément ces deux modes d'installation.
Installation à ciel ouvert. — Les pièces à ciel ouvert
sont placées sur la banquette d'artillerie située à 2m3o en
dessous de la crête et dont la profondeur est de gm5o, afin
de permettre le recul. On compte une largeur de 6 mètres
pour l'espace nécessaire à chaque canon. Les affûts em-
ployés dans le service des places ayant, des hauteurs de
genouillère variant entre im8o et i mètres, on voit qu'il a
suffi d'une entaille peu profonde dans le parapet pour livrer
passage à la volée de la pièce; il n'y avait, donc pas lieu d'y
pratiquer d'embrasures proprement dites. Si les circons-
tances obligeaient à se servir d'affûts de moindre hauteur,
on exhaussait la plate-forme de la pièce plutôt que d'avoir
recours à des embrasures d'une profondeur dépassant 5o
ou 76 centimètres, eu égard aux graves inconvénients que
INSTALLATION DE L'ARTILLERIE DANS LES OUVRAGES 4J5
présentent de pareilles ouvertures. Lorsque les pièces doi-
vent tirer sous de grands angles, on a employé des embra-
sures à contre-pente, mieux dissimulées à l'ennemi, affai-
blissant moins le parapet et n'ayant, par conséquent, aucun
des inconvénients de celles qui viennent d'être proscrites.
Pour abriter les servants, on creuse à droite et à gauche
de la plate-forme des rigoles dans lesquelles ceux-ci se
réfugient.
Les traverses et pare-éclats dont il a été question au cha-
pitre précédent assurent d'ailleurs, dans une certaine me-
sure, la protection nécessaire aux bouches à feu et en faci-
litent le service. Lorsqu'on a placé une pièce entre deux
traverses, on a réservé habituellement l'un des abris aux
servants et l'autre aux munitions, de manière à diminuer
le danger en cas d'explosion.
Les pièces à ciel ouvert sont considérées alors comme
les plus faciles à servir, parce que l'on a, tout autour, de
l'air et de l'espace ; ce sont généralement celles qui Aroient
le mieux le terrain des attaques ; elles peuvent, en outre,
être déplacées sans grandes difficultés : retirées, si leur
conservation paraît compromise ; replacées en batterie^ si
un nouvel effort est jugé indispensable. Pour ces diverses
raisons, on a préféré, en général, l'installation à ciel ouvert ;
toutefois, comme on. s'est rendu compte de l'insuffisante
protection qu'elle donne aux servants, les ingénieurs ont
été amenés à créer un certain nombre d'abris ou casemates,
permettant d'assurer à une grande partie au moins de l'ar-
tillerie de la défense une protection plus efficace contre
les coups de celle de l'assiégeant.

Installation sous casemate. — Les pièces placées


sous casemate, échappant à l'inconvénient signalé plus
haut, semblent, en effet, a priori, fournir le moyen de sou-
tenir avec grand avantage la lutte contre une artillerie
placée à ciel ouvert. Leur supériorité n'est pas cependant,
aussi grande qu'elle le paraît tout d'abord. Le service dans
4l6 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
les casemates est pénible, à cause surtout du bruit, assour-
dissant des pièces et des gaz suffocants dont elles remplis-
sent bientôt cet étroit espace. Il a fallu d'assez nombreux
essais aArant d'obtenir un système de-ventilation' qui permît
de se débarrasser de ces gaz qui rendent insupportable,
par exemple, le séjour à l'intérieur des casemates établies
par Vauban dans ses tours de Neuf-Brisach. La solution
considérée comme la plus satisfaisante a consisté à prati-
quer, pour la A'olée de la pièce, une petite embrasure, à
travers laquelle la bouche du canon sort d'une certaine
quantité. Il s'établit alors, à la suite de chaque coup tiré, un
A'iolent appel d'air, qui entraîne au dehors tous les gaz, si la
partie'postérieure de la casemate est suffisamment ouverte.
La question la. plus difficile à résoudre, dans l'installa-
tion des casemates à canons, a été sans contredit celle de la
protection des maçonneries qui les constituent. On n'en-a
point imaginé, dans les ombrages considérés, de solution
pleinement, satisfaisante. L'artillerie, possédant une préci-
sion de tir suffisante pour pouvoir répéter ses coups en un
même point et ajouter, par suite, à l'effet produit par un
projectile l'effet du projectile suivant, armre effectivement,
au bout d'un certain nombre de coups, à détruire les blin-
dages les plus résistants, comme les maçonneries les plus
solides.

Casemates avec visière. — On a vu, dans l'organisa-


tion des caponnièrès, comment on protège les canons de
flanquement en disposant, en avant, de la A'oûle qui les
contient, une seconde Ajoute ayant ses génératrices paral-
lèles à la direction du tir. Cette voûte, que chacun des
projectiles ennemis n'entame que très légèrement, et dont
l'artillerie ne peut déterminer l'ébouleincnt que par tranches
successiA'es, est capable de. résister à un tir très prolongé
et constitue. bien une excellente solution du problème.
Malheureusement, elle n'est applicable qu'au cas particulier
des 'caponnièrès',.parce que les pièces placées derrière une
INSTALLATION DE L'ARTILLERIE DANS LES OUVRAGES l^l'J
visière n'ont qu'un champ de tir extrêmement restreint, qui
serait insuffisant pour une pièce destinée à une action loin-
laine. D'ailleurs, une visière placée sur un parapet, décou-
verte sur toute la hauteur de la Aroûte et des pieds-droits,
serait plus exposée que ne le sont celles des caponnièrès et
résisterait par suite moins longtemps.

Casemates à.tir indirect. — Le tir indirect a pris


une importance très grande et présente de sérieux avan-
tages. Le principe de ce tir consiste à placer la pièce
destinée à l'exécuter derrière une masse de terre qui la
cache complètement aux Aaies de l'ennemi et par-dessus la-
quelle elle lance ses projectiles. Mais, pour que cette masse
de terre donne une protection suffisante, il faut que la ligne
qui en joint le sommet à la bouche du canon ait une incli-
naison relativement forte, afin d'arrêter un grand nombre
de projectiles. La pièce ainsi masquée ne peut alors faire
usage que du tir sous les grands angles : conséquemment,
si elle emploie sa charge normalej elle ne peut agir qu'à des
distances considérables ; si, au contraire, pour exercer son
action sur des points plus rapprochés, elle fait usage de
charges réduites, ses projectiles perdent beaucoup de leur
puissance et de leur précision.
Néanmoins, le tir indirect rend de précieux services, ainsi
que. l'a démontré la défense de Belfort en 1870-1871.
Pendant cette lutte si remarquable, on employa fréquem-
ment, et avec succès, des pièces placées sous des casemates
ouvertes à leur partie antérieure et masquées aux vues de
l'ennemi par une masse de terre capable d'arrêter les pro-
jectiles de ce dernier.
Utilisant l'expérience acquise, on a parfois installé, dans
les ouA'rages construits de 1870 à i885, des casemates des-
tinées à recevoir les pièces en arriéré des grands massifs de
terre (parapet ou cavalier) de la fortification. Le plus sou-
vent, on s'est contenté de prévoir l'emploi du tir indirect
en installant les pièces au moment du besoin sous les nom-
MANUEI. IJK FOUTII'IOATION 27
4l8 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
breuses poternes que contiennent les ouvrages et dont le
débouché est toujours masqué aux vues de l'assaillant.
Il est inutile d'entrer dans de plus longs développements
sur les dispositions des casemates de ce genre, dont on
comprendra sans peine l'organisation.

Casemates à tir direct à la Haxo. — En outre de


ces casemates à tir indirect, et même bien longtemps aA'ant
leur adoption, on a tenté l'emploi de casemates à tir direct
dans la fortification. Le premier essai sérieux fait dans cette
voie remonte au commencement du dix-neuvième siècle ; il
est dû au général Haxo.
La casemate destinée à recevoir la pièce est une voûte
dont la partie antérieure se rétrécit jusqu'à n'avoir plus que
les dimensions nécessaires aux mouvements de la bouche de
la pièce. La maçonnerie qui forme la tête de la voûte est,
protégée par un fort blindage en bois, reposant sur des
pieds-droits noyés dans la terre, comme tout le reste de la
construction.
Ces casemates étaient à peine suffisantes: à l'époque du
général Haxo, et l'apparition de l'artillerie rayée avait,
accru encore leurs défauts, qui tiennent à deux causes prin-
cipales :
i° L'ouverture de la casemate, si étroite qu'on la fasse,
peut donner passage à un projectile ennemi et, avec la pré-
cision du tir, il est relativement aisé, pour l'assaillant, de
faire ce qu'on appelle le sabord, c'est-à-dire -d'envoyer
un projectile par l'embrasure à l'intérieur même de la case-
mate;
20Le blindage en bois du général Haxo est absolument
insuffisant, et quelques coups réussissent à le détruire.

Casemates cuirassées. Tourelles et coupoles.


— Pour remédier à ces graAres inconvénients, on cherche,
depuis que l'industrie métallurgique a permis de produire
de grandes masses de fer et d'acier, à remplacer par un
INSTALLATION DE L'ARTILLERIE DANS LES OUVRAGES 4l9
blindage métallique le bois des casemates Haxo. On arrive
également à réduire la dimension de l'embrasure au strict
minimum en faisant tourner la pièce autour d'un point
voisin de la tranche de la bouche, à l'aide de dispositions
spéciales de l'affût.
Les casemates cuirassées ainsi organisées, ainsi que les
tourelles et coupoles, sortes de cloches métalliques recou-
vrant la pièce et lui permettant de faire un tour complet
d'horizon, ont été employées dans les ouATages de fortifi-
cation appartenant à la période considérée. Mais les dis-
positions adoptées alors ont reçu de notables perfectionne-
ments et constituent aujourd'hui un des éléments essentiels
de la fortification. Ces constructions déjà anciennes ne
diffèrent, d'ailleurs de celles qui seront, décrites plus loin
(Chapitre XXXV) que par la nature et l'épaisseur du
métal employé ou par leur mécanisme ; on se bornera par
suite à signaler leur emploi sans entrer dan s une description
qui serait, aujourd'hui dépourvue d'intérêt.
CHAPITRE XXX

ORGANISATION DES PLACES MODERNES

La fortification permanente a pour but,, ainsi que cela a


déjà été indiqué à plusieurs reprises dans ce qui précède,
d'assurer la possession de certains points importants, tels
que : noeuds de communication, ponts sur les grands cours
d'eau, centres industriels ou commerciaux renfermant des
richesses qu'il importe de préserver de la destruction et de
ne pas laisser tomber au pouvoir de l'ennemi. Elle sert éga-
lement, dans d'autres circonstances, à maîtriser des routes
ou passages à travers la frontière, par l'occupation de posi-
tions propres à cet usage.
Il résulte de là que les ouvrages qui la constituent peu-
A'ent être divisés en deux catégories : les placesfortes pro-
prement dites, ou forteresses, c'est-à-dire les fortifications
éleArées autour d'un centre de population ; les ouvrages
isolés ou forts d'arrêt, construits en des points inhabités
n'ayant d'autre importance que celle qui résulte de leur
situation par rapport aux A'oies de communication qu'ils
commandent.
Il s'agit maintenant, d'examiner comment il convient d'or-
ganiser les uns et les autres.

Constitution d'une place forte

Dans les conditions actuelles de puissance des armes, un


centre de population de quelque importance, dont les mo-
numents, les édifices publics et les habitations représentent
ORGANISATION DES PLACES MODERNES 4^1
une grande valeur, ne peut être considéré comme protégé
par une simple enceinte, c'est-à-dire par une ligne de forti-
fication continue, entourant les constructions à faible dis-
tance. Armé des puissantes bouches à feu de siège lançant
aisément aujourd'hui à 6, 8 et 10 kilomètres des projectiles
explosifs et incendiaires, doués pour la plupart d'une force
de pénétration énorme, l'ennemi qui se présenterait devant
une place aussi faiblement organisée pourrait la réduire en
cendres sans même s'exposer au feu de l'artillerie établie
sur les remparts. Réduite à une simple enceinte, la fortifi-
cation ne remplirait donc que très imparfaitement, dans ce
cas, le but qui a été indiqué tout d'abord, puisqu'elle serait
impuissante à préserver de la destruction une partie des
richesses nationales.
D'ailleurs, une place ainsi organisée exposerait sa garni-
son et ses habitants à toutes les horreurs d'un bombarde-
ment;, elle pourrait mettre le gouverneur dans la pénible
nécessité d'employer une partie de ses troupes à maintenir
dans le deAroir une population exaspérée par la souffrance.'
On ne saurait admettre une semblable organisation, même
pour la conservation d'un point n'ayant qu'une importance
stratégique.
Une simple enceinte, quelque solide qu'elle puisse être,
ne peut donc suffire, de nos jours, pour constituer ce qu'on
appelle une « place forte ». Il est évidemment indispensable
d'y ajouter une ceinture d'ouvrages disposés de manière à
tenir l'ennemi à une distance suffisante des habitations pour
que la Aille soit à l'abri d'un bombardement. Ces ouvrages,
qui rentrent dans la catégorie de ceux que l'on appelle déta-
chés, prennent eux-mêmes le nom de forts.
La fortification d'une place moderne comprendra donc :
une ligne extérieure de forts et une enceinte ou chemise en-
tourant la ville proprement dite ou noyau central. L'en-
semble de tous ces ombrages constitue ce que l'on appelle
une place à forts détachés, ou quelquefois, assez impropre-
ment, un camp retranché.
42 2 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE .
Les deux lignes de fortification : celle des forts détachés
et celle du noyau central, sont nécessairement assez éloi-
gnées l'une de l'autre, et il existe le plus souvent, dans
l'intervalle, des positions, favorables à la défense, qu'il est
important de ne pas abandonner à l'ennemi après la perte
des forts de la première ligne. On y établit alors des ouvrages
de seconde ligne, permettant de ne céder le terrain que pas
à pas, suivant le grand principe qui doit servir de guide
au défenseur.
Ces ouvrages ne sont généralement pas construits dès le
temps de paix. Outre la'considération de dépense, on doit
en effet remarquer que leur présence ne sera ultérieurement
nécessaire que dans la région située en arrière des forts
attaqués. On ne les élèvera donc qu'au moment de la mise
en état de défense de la place, ou au cours même de la lutte,
et ils rentreront alors dans la catégorie des oirvrages semi-
permanents, dont, il a été question dans le chapitre XIX.

Noyau central

Si l'utilité d'une ligne extérieure de forts est incontes-


table et universellement reconnue, il n'en est pas de même
de l'enceinte (ou chemise) du noyau central, à laquelle on
adresse assez souvent le reproche d'être « inutile, tant que
les forts subsistent, et insuffisante dès que ceux-ci sont
tombés au pouvoir de l'ennemi ».
Cependant, la ligne des forts est nécessairement organisée
avec de larges intervalles que la portion mobile des troupes
de la défense surveillera sans doute, mais au traArers des-
quels on peut craindre, si les circonstances le favorisent, que
l'ennemi ne vienne pousser une pointe hardie, incendier ou
détruire les approA'isionnements, jeter l'effroi dans la popu-
lation, quelquefois même dans la garnison, et déterminer,
par suite, une reddition prématurée.
En outre, si on suppose la place convenablement appro-
ORGANISATION DES PLACES MODERNES 423
visionnée, peut-on consentir à l'abandonner lorsque l'en-
nemi, s'étant emparé de deux ou trois forts voisins et des
ouvrages de soutien élevés en arrière, se présentera devant
la ville elle-même ? Faut-il la rendre, alors que la garnison
est encore capable d'une solide résistance ? Laissera-t-on du
moins l'assiégeant pénétrer dans la cité, la rançonner et s'y
établir, tandis que l'on se renfermera dans les forts que l'on
possède encore, auxquels cette situation de l'ennemi au
centre du noyau enlèvera une partie souvent considérable
de-leur valeur?
Une pareille hypothèse n'est évidemment pas admissible,
-
et, quelque pénible que puisse devenir, pour les habitants,
une défense acharnée faite dans ces conditions, un gouver-
neur énergique n'hésitera jamais à l'entreprendre, de son
propre mouvement. Les règlements militaires l'imposent
d'ailleurs, de la manière la plus formelle, à celui dont l'âme
serait moins bien trempée.
Si donc l'enceinte n'existait pas, il faudrait alors la cons-
truire. Du reste, en prenant la question au point de vue pra-
tique, les places de guerre actuelles datent généralement de
fort loin, et, dans la presque totalité des cas, leur ancienne
fortification sert aujourd'hui de chemise au noyau central.
L'enceinte existe donc, et il n'y a pas lieu d'en discuter l'éta-
blissement.
D'après tout ce qui précède, le rôle de cette enceinte est
de mettre la ville proprement dite à l'abri d'un coup
de main et de donner une ligne de défense intérieure à
celle des forts. Dans les places de création récente,, on la
forme d'une série de fronts de fortification englobant la
ville et ses faubourgs principaux, de manière à laisser un
espace libre suffisant pour ne pas arrêter le développement
de la cité.
En vertu d'un principe dont on a déjà vu de nombreuses
applications, le polygone ainsi fortifié a ses saillants placés
sur les parties culminantes, tandis que les rentrants corres-
pondent aux points faibles : entrées des cours d'eau, des
424 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
grandes routes ou des A'oies ferrées, parties basses du ter-
rain, etc.
Le système de fortification qu'on applique dans ces cons-
tructions pouvait être autrefois bastionné ou polygonal,
suivant que les circonstanceslocales rendaient plus ou moins
avantageux l'emploi de l'un ou de l'autre.
Dans les constructions d'enceinte les plus récentes, on s'est
attaché à avoir le tracé le plus simple possible, avec des
fronts très étendus, sans dehors, sauf sur les saillants d'at-
taque qu'il est nécessaire de renforcer.
Souvent on se contente d'un profil organisé pour l'infan-
terie, présentant, de distance en distance, des emplacements
réservés pour les pièces.
Il semble nécessaire d'établir partout une escarpe, c'est-
à-dire de créer un bon obstacle, puisque l'enceinte a surtout
pour but de mettre la ville à l'abri d'un coup de main. Aussi,
dans certaines places, s'est-on contenté, comme chemise,
d'un simple mur de 3 à 4 mètres de hauteur, sans fossé, avec
une banquette en arrière et des créneaux de distance en dis-
tance. Assurément, cette disposition constitue un strict
minimum, qui peut sembler souArent insuffisant, mais des
constructions de cette nature ont été exécutées depuis 1870
dans divers pays et en France même.

Ouvrages avancés

Dans les très anciennes places fortes, on rencontre quel-


quefois, en aArant de l'enceinte, des ouvrages placés en
dehors du chemin couvert, mais dont les fossés sont flan-
qués par le corps de place ou ses dehors : on les désigne
sous le nom à'ouvrages avancés.
Avec l'ancien mode d'attaque des places, ces ouvrages
permettaient d'occuper des points dangereux pour l'assail-
lant et de l'obliger à de nouveaux travaux. Ils ont perdu
aujourd'hui toute importance et on n'en établit plus jamais.
ORGANISATION DES PLACES MODERNES 425
Leur forme habituelle était celle d'une lunette ou d'un
ouvrage à corne : ils étaient toujours ouverts à la gorge pour
qu'on pût battre leur intérieur lorsqu'ils étaient tombés aux
mains de l'ennemi. On n'en parlera ici que pour mémoire.

Forts détachés
D'après ce qui précède, le principal but des forts déta-
chés est de mettre la place qu'ils entourent à l'abri d'un
bombardement immédiat; mais ils possèdent en outre des
avantages d'une autre espèce qu'il est important de mettre
en relief.
Ils étendent considérablement le périmètre de la place et
obligent de la sorte l'assiégeant à un plus grand déploie-
ment de forces et à l'exécution de travaux beaucoup plus
développés, comme cela sera mis en évidence dans la
IIIe partie (Attaque des places).
S'ils occupent dans la campagne des points culminants, ils
ont des Arues très étendues, souvent très efficaces, et peuvent
servir à maîtriser les A'oies de communication dans un rayon
parfois assez grand autour de la place ; ils lui permettent
ainsi d'exercer une protection immédiate sur le point occupé
et une action offensive sur les environs.
Laissant entre leur ligne et la Aille une étendue de terrain
assez considérable, dans laquelle l'ennemi ne peut tenter
aucune action ayant chance de succès, si la garnison est
vigilante, ils permettent aux défenseurs d'accumuler des
approvisionnements, et facilitent leur entretien. De cette
zone de terrain dont la possession leur est assurée, les
troupes mobiles de la défense peuvent exécuter des coups
de main sur celles de l'attaque, les harceler, tenter de percer
leurs lignes : en un mot, leur causer des dommages et des
fatigues incessantes qui peuvent devenir un grand embarras
pour l'assiégeant.
Par contre, les forts ont aussi quelques inconvénients.
426 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
L'accroissement qu'ils donnent au périmètre défendu en-
traîne a immobiliser dans les places des garnisons très nom-
breuses. Leur construction est très onéreuse. La ligne qu'ils
constituent étant généralement insuffisante pour protéger
la place contre un coup de main, le défenseur est dans l'obli-
gation d'exécuter de nombreux travaux dans les inter-
Aralles, et la garnison d'être continuellement, en alerte pour
les surveiller. Cette dernière critique vise spécialement les
forts construits de 1870 à i885.
Malgré ces défauts, dont le premier a pour conséquence
de réduire dans un grand pays comme le notre l'effectif des
troupes disponibles pour les opérations en campagne, la
nécessité d'avoir des forts détachés autour d'une place est
reconnue de tous aujourd'hui. Nul ne songe à la contester,
quelques critiques qu'aient pu soulever les dispositions
adoptées dans certaines constructions.

Citadelles
On désignait, autrefois sous le nom de citadelle un ou-
vrage, fermé de toutes parts, établi sur l'enceinte même de
la place et organisé de manière à servir de grand réduit à
la garnison après la chute de celle enceinte. La citadelle
ainsi définie était séparée des maisons de la ville par un
grand espace A'ide nommé esplanade, assurant un champ
de tir en avant des fronts tournés vers l'intérieur de la
place.
On n'a pas construit d'ouvrages de ce genre depuis de
longues années. Les citadelles actuellement existantes
remontent donc toutes à une époque reculée, et elles se-
raient aujourd'hui hors d'état de rendre les services qu'on
s'était alors proposé d'en obtenir.
On ne peut admettre, en effet, qu'il y ait UArantage à en-
fermer la garnison de la place dans un ouvrage de ce genre
et possibilité d'y soutenir un siège, car l'action des deux
ORGANISATION DES PLAGES MODERNES 427
artilleries (celle de l'attaque et celle de la défense) sur
les maisons de la ville aurait rapidement pour résultat de
ruiner celle-ci de fond en comble. Il faut donc maintenant
étendre le sens du mot « citadelle » dans la même pro-
portion qu'on a étendu celui du mot « place forte », et
comprendre sous cette désignation l'ensemble des forts
restés au pouvoir du défenseur après la chute du noyau cen-
tral. On peut organiser du reste, à l'aArance, quelques-uns
des forts pour remplir ce rôle ; et çiest ce qui existe déjà
,

dans quelques places modernes : à Metz, par exemple, où


le fort Manstein, le fort Frédéric-Charles et le fort Alvens-
leben sont disposés de manière à tenir un certain temps
encore après la chute de l'enceinte et du noyau central.

Voies de communication

On ne peut tirer tout le parti possible d'une forteresse


que si les différents ouvrages qui la constituent sont reliés
entre eux et avec le noyau central par des voies de commu-
nication bien organisées : c'est là un point capital, dont l'im-
portance se fait, surtout sentir lorsque le moment est venu
de mettre en oeuA're les ressources de la fortification. Les
mouA'ements énormes de matériel, de troupes, d'approvi-
sionnements, etc., qu'il s'agit alors d'exécuter, exigent que
de bonnes routes, bien entretenues et bien défilées des vues
de l'ennemi, aient été établies à l'avance; et, si l'on réflé-
chit qu'eu égard aux distances souvent très grandes sépa-
rant les différents ouvrages, les communications parAroie de
terre, même les mieux disposées, peuvent devenir insuffi-
santes, on sera conduit à considérer comme à peu près indis-
pensable, dans un assez grand nombre de cas, l'existence d'un
chemin de fer spécial, desservant tous les forts, les reliant
au noyau central, établi de façon à n'avoir rien à redouter
des entreprises de l'ennemi, et se rapprochant assez des
ouvrages pour réduire au minimum les charrois sur routes.
428 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
L'étude qui sera faite plus loin des places de Metz et de
Strasbourg, montrera comment cette question peut être ré-
solue, et comment il faut saAroir consentir à la grosse dépense
nécessitée par la construction d'une voie ferrée d'une utilité
assez faible pendant le temps de paix, lorsqu'on en attend
les plus précieux services au moment d'un siège.

Communications électriques et aériennes


Dans une place moderne, dont l'étendue est sorwent très
considérable, il est nécessaire que de nombreuses communi-
cations soient établies entre le gouverneur, chef suprême de
la forteresse, et les commandants des forts et des positions
principales de première ligne. En outre, l'emploi du tir in-
direct, qui se développe;de plus en plus avec les progrès de
l'artillerie rayée et le perfectionnement des méthodes de
repérage, exige l'installation de nombreux observatoires
destinés à fournir aux batteries les renseignements sans les-
quels ce genre de tir perd toute son efficacité. Il convient
donc de rechercher sur le terrain tous les emplacements
favorables à une semblable installation et de les créer au
besoin. Il faut de plus que ces observatoires soient reliés
entre eux et avec les batteries par des communications
rapides et sûres. Ce résultat ne peut être obtenu que par
l'établissement d'un réseau télégraphique ou téléphonique
extrêmement serré et organisé de telle sorte qu'il ne soit
pas détruit par le bombardement, ce qui exige que les maî-
tresses lignes soient souterraines et que l'emplacement des
autres soit aussi peu exposé que possible. Toutefois, il est
évident qu'on ne saurait construire en temps de paix la tota-
lité de ce réseau, puisqu'il est destiné à servir des batteries
dont l'emplacement devra varier avec les besoins de la lutte.
L'organisation télégraphique intérieure d'une place forte
deArra donc comprendre la création : i° d'un certain nombre
de grandes artères reliant entre eux les principaux ouArrages
ORGANISATION DES PLACES MODERNES 42g
et le noyau central, les observatoires et les positions de
batteries les plus probables ; 2P d'un approvisionnement de
matériel télégraphique léger et facilement transportable,
destiné au service des batteries édifiées au moment du
besoin.
Le réseau télégraphique et téléphonique intérieur assure,
comme on vient de le voir, la bonne utilisation des éléments
de la défense.
II est non moins important de permettre à la place investie
de communiquer aArec l'extérieur. Ainsi on lui apporte l'ali-
ment intellectuel et moral que peut seul procurer la liaison
avec le reste du pays, et on lui permet de faire concourir
sa garnison aux opérations. des armées s'avançant a son
secours. La télégraphie optique peut, dans certains cas,
procurer aux places ces communications extérieures, la
situation élevée de certains ouvrages permettant l'installa-
tion d'appareils dont la portée peut atteindre 4o, 60 et même
80 kilomètres.
Les ballons libres et les pigeons voyageurs ont été aussi,
dans certains cas, notamment à Paris, en 1870, des auxi-
liaires précieux pour le maintien des communications entre
les places assiégées et le reste du territoire.
Mais ces procédés sont imparfaits : les postes optiques
extérieurs à la place peuvent être la proie de l'ennemi ; les
ballons non dirigeables peuvent bien sortir de la place, mais
sont incapables d'y entrer ; les pigeons ne peuvent être en
nombre illimité et beaucoup se perdent.
Par contre, les progrès récents de la science permettent
de doter les places de moyens de communication extérieure
autrement efficaces, à savoir : la télégraphie sans fil et les
ballons dirigeables.
La télégraphie sans fil permet de communiquer à grande
distance, d'une place forte à une autre ou avec l'intérieur
du pays. Cette communication a l'avantage d'être perma-
nente. A vrai dire, ce mode de télégraphie présente encore,
à l'heure actuelle, de graves imperfections. Les télégrammes
43o 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
envoyés'peuvent être reçus par tous les postes, amis ou
ennemis, établis dans le rayon d'action de l'appareil; il est,
en outre, facile à l'ennemi d'apporter le trouble dans les
communications en lançant dans l'air les ondes de ses
appareils. On peut espérer cependant que, dans un aArenir
prochain, les recherches faites en A'ue de réaliser la « synto-
nisation » des appareils supprimeront ces imperfections de
la télégraphie sans fil.
Quant aux ballons dirigeables, ils sont un admirable
moyen de reconnaissance et permettent à quelques passa-
gers d'entrer dans la place ou d'en sortir sinon absolument
à leur gré, au moins dans la proportion des journées utili-
sables, c'est-à-dire en moyenne une sur deux.
CHAPITRE XXXI

ORGANISATION DES PLACES DANS LA PÉRIODE


DE 18 70 A 1885

Les principes généraux relatifs à l'organisation des pla-


ces, exposés dans le chapitre précédent, ont reçu, tant en
France qu'à l'étranger, une large application dans la période
de 1870 à i885. On va passer en revue, avec tout le soin
que comporte un ensemble de traA'aux aussi considérable,
subsistant encore en partie, les dispositions généralement,
adoptées à cette époque.
C'est principalement, dans les conditions relatives au
choix de l'emplacement des forts et à leur organisation
générale que réside la marque distinctive de la fortification
dont on Ara s'occuper. Aussi la description de ces ouvrages
occupera-t-elle la partie principale de cette étude.

Éloignement des forts

L'éloignement des forts, ou leur distance à l'enceinte du


noyau, est déterminé par la nécessité de mettre la place à
l'abri d'un bombardement. Si donc on admet que le tir
d'une batterie de siège possède encore quelque efficacité à
8 ou g kilomètres, et qu'une semblable batterie puisse être
établie à 1 5oo ou 2000s mètre d'un ouvrage bien armé, les
forts devront être éloignés de la place de 6 à 7 kilomètres
432 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

au minimum. Ce sont à peu près, en effet, les chiffres


admis en France. En Allemagne, pour des ouATages de
construction un peu plus ancienne, on a souArent adopté des
distances moindres, 4 à 5 kilomètres.
D'ailleurs, l'indication fournie par le raisonnement précé-
dent n'a rien d'absolu ; dans la pratique, on s'efforce tou-
jours de donner aux forts une situation favorable qui, tout
en protégeant la ville, procure, à l'ouvrage même des Arues
étendues et efficaces sur le terrain extérieur et en assure la
sécurité. On n'hésite pas à porter l'éloignement à 8 et même
à io ou 12 kilomètres, lorsque la disposition du terrain est
telle que le fort placé à 6 ooo mètres serait commandé par
une hauteur en avant ou n'aurait que desAaies insuffisantes.
On observe cependant qu'en éloignant trop les forts, on
augmente l'étendue du périmètre et, par suite., l'effectif de
la garnison, les difficultés de surveillance et les dépenses.

Écartement des forts

L'écartement des forts, c'est-à-dire la distance qui sépare


deux forts A'oisins, est plus Arariable encore que l'éloigne-
ment.
Sur le polygone extérieur, deux forts consécutifs doivent
évidemment, être placés d'une façon telle que l'ennemi ne
puisse se glisser dans l'intérieur de ce polygone, en passant
dans l'intervalle qui les sépare. Il faut donc que les forts
battent bien tout cet intervalle ; on conçoit par suite
quelles différences il pourra y aA'oir entre les écartements
successifs, suivant les dispositions que présente le terrain.
La zone battue efficacement par un fort ne pouvant, en
tout cas, dépasser 3 ooo mètres, on a admis 6 kilomètres
comme limite supérieure maxima de l'écartement de deux
forts voisins.
Cependant, lorsque la portion de terrain qui les sépare
est remplie par un très sérieux obstacle (cours d'eau, étang,
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A l885 433
marais, etc.) qui empêche l'ennemi de pénétrer dans l'inter-
valle, on a dépassé considérablement cette limite. C'est
ainsi que sur le polygone extérieur de la place de Paris on
peut compter 14 kilomètres entre les forts de Cormeilles et
de Marly, séparés l'un de l'autre par la vallée de la Seine,
fort sinueuse dans cette partie de son cours.
Souvent aussi des ouvrages annexes, battant les plis de
terrain qui échappent aux Aiies des forts mêmes, ont permis
de se tenir au-dessus de la limite d'écartement précédem-
ment indiquée.
On a considéré d'ailleurs que, si les forts constituent la
partie essentielle de la première ligne, dont ils représen-
tent les points d'appui permanents, cette ligne doit cepen-
dant être complétée au moment du siège par l'occupation
des localités et des positions faArorables à la défense, et par
la construction, sur les points importants, d'ouvrages de
fortification passagère ou de batteries analogues à celles de
l'attaque. Et c'est ainsi que, dans certaines circonstances,
on a laissé subsister entre deux forts permanents un écarte-
ment assez considérable, parce qu'on avait l'intention de
les relier ultérieurement, en temps opportun, par des ou-
vrages de ce genre.
On peut dire tout de suite que cette conception de l'écar-
tement considérable des forts est condamnée maintenant
pour les places de première ligne, parce que l'on s'est rendu
compte qu'il serait impossible d'organiser les intervalles en
temps voulu.

Forme — Mode de flanquement


Les forts construits de 1870 à i885 affectent des formes
très différentes, suivant la situation qu'ils occupent et le
rôle qui leur est destiné.
D'une manière générale, ils possèdent: un ou plusieurs
fronts de tête faisant face Arers l'extérieur du camp retranché
MANUEL I)E l'OnïIFICAÏIOK 2S
434 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
et battant bien les points principaux ; des flancs dirigés
vers l'intervalle qui les sépare des forts voisins, et une
gorge tournée vers le noyau central. Cette gorge, qui a
surtout pour but de mettre l'ouvrage à l'abri d'une tenta-
tive de vive force, reçoit en conséquence une organisation
spéciale.
Sur un terrain idéal et pour une place circulaire, un
ouvrage ayant la forme d'une lunette remplit complètement
les conditions énoncées plus haut. Cette forme est effective-
ment celle dont on s'est rapproché le plus généralement
dans la pratique, en donnant à chacun des côtés de l'ou-
vrage une longueur d'autant plus grande que le but qu'il
doit battre est plus important.
Mais on a été souvent aussi conduit à l'adoption de for-
mes toutes différentes, en raison de la situation des voies
de communication qu'on veut maîtriser, de l'emplacement
particulier du fort ou, même, de la l'orme du terrain sur
lequel il est, établi. L'étude des fortifications existantes
fournit de nombreux exemples de forts affectant les formes
les plus variées.
Dans le choix des directions à donner aux faces des
ouArrages, on a été guidé par les considérations suivantes :
i° Les crêtes doivent battre efficacement les points impor-
tants du terrai» extérieur et être bien défilées des points
dangereux ;
2° La profondeur des ouvrages doit être diminuée dans
toute la mesure du possible.
En étudiant les tracés de la fortification passagère, on a
déjà fait ressortir qu'il y avait intérêt à construire des
ouvrages larges et peu profonds. Cette disposition est en
quelque sorte plus nécessaire encore pour les ouvrages de
la fortification permanente, puisque en leur donnant une
plus grande largeur, on n'augmente pas sensiblement leurs
chances d'être atteints par les projectiles des canons de siège,
dont les écarts en direction sont, extrêmement, faibles (quel-
ques mètres seulement), tandis qu'en réduisant leur pro-
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A l885 435
fondeur on diminue, au contraire, très sérieusement leur
vulnérabilité, les écarts en portée des mêmes bouches à feu
étant, beaucoup plus considérables, surtout dans le tir sous
les grands angles, où ils atteignent quelquefois une centaine
de mètres aux bonnes distances de tir.
Le fort peut être établi sur un point tel qu'on doive don-
ner aux flancs une assez grande longueur et, par suite, aug-
menter la profondeur de l'ouvrage; on obAiait à cet inconvé-
nient en partageant l'intérieur en plusieurs portions de
faible étendue, par des massifs de terre, ou parados, qui
arrêtent les projectiles ayant passé par-dessus les premières
crêtes.
Il y a grand intérêt à ce que les dimensions des forts
détachés soient toujours assez restreintes. Un ouATrage qui
contient dans son intérieur une cour de quelque étendue
devient en effet un véritable nid à projectiles lorsque 'l'en-
nemi le bombarde ; les communications y sont très dange-
reuses et le service impose alors à la garnison des fatigues
qui l'épuisent rapidement. Les forts construits autour de
Paris en i84o présentaient cette disposition défectueuse;
aussi, pendant le siège de 1870, étaient-ils devenus d'une
occupation si difficile que leur garnison aArait été contrainte,
pour circuler d'une partie à l'autre de l'ouvrage, de creuser,
dans l'intérieur des cours, de véritables tranchées analogues
aux tranchées de siège. On proscrivit donc, après 1870, ces
grandes cours intérieures, qui ont en outre l'inconvénient
d'augmenter beaucoup la dépense, et, pour restreindre les
dimensions au minimum, on répartit parfois l'armement sur
deux étages, au moyen d'un caAralièr.
L'armement d'un fort dépassait, du reste, rarement 4o à
5o pièces ; il n'y avait pas avantage à accumuler, sur un
terrain relativement étroit, un plus grand nombre de
bouches à feu ; on cherchait déjà à les disperser en occu-
pant dans la campagne certains points par des batteries
de circonstance. De cette manière, on pouArait conserver
son artillerie, plus longtemps et, lorsque l'attaque aArait
436 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
repéré la position des pièces de la défense, on espérait la
dérouter en venant occuper d'autres positions préparées à
l'avance.
Dans la pratique, le front de tête d'un fort ne dépassait
guère 25o à 3oo mètres ; il était souvent moindre, et pres-
que toujours on le brisait suivant deux directions. Les flancs
avaient 5o à 80 mètres au maximum ; la gorge seule pouvait
atteindre 4oo à 5oo mètres. Dans ces conditions, on Aroit
que l'emploi du tracé bastionné, qui ne s'applique efficace-
ment qu'à des côtés supérieurs à 25o ou 3oo mètres, est à

Fig. 198. — Fort avec crête unique.

peu près inadmissible ; aussi le tracé polygonal fut-il déjà


presque exclusivement adopté pour ce genre d'ouA'rage.
Cependant, à la gorge, dont les dimensions sont plus gran-
des, comme il vient, d'être dit, on a pu appliquer avan-
tageusement le tracé bastionné ; il suffit alors de rentrer
fortement la courtine du front, comme l'indique la figure 198,
pour diminuer sensiblement la profondeur totale de l'ou-
ATage et par suite sa Arulnérabilité.

Par application du principe, plusieurs fois énoncé, de


l'indépendance des escarpes et des parapets, la disposition
des crêtes est du reste fréquemment différente de celle des
fossés. Pour obtenir un plus grand nombre de brisures, de
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A l885 437
manière à bien battre les différents points du terrain exté-
rieur, on donne souvent à la crête un tracé affectant six ou
huit directions différentes et précédé d'un fossé rectangu-
laire que deux caponnières suffisent à flanquer.
En admettant, pour les forts, la forme générale d'une
lunette, on a établi habituellement une caponnière double
au saillant principal, de manière à flanquer les deux fronts
de tête. Aux angles d'épaule, c'est-à-dire à l'intersection
des flancs et du front de tête, on a placé des caponnières
simples, ou ailerons, dont la face est tournée vers l'intérieur
de la position, de manière à présenter à l'ennemi la portion
enterrée ; par cette disposition, on rapproche l'ouvrage du
massif des terres de la contrescarpe, qui se trouve ainsi
mieux défilée. Si l'on a adopté pour le front de gorge le
tracé bastionné ou le tracé tenaillé, le flanquement de ses
fossés est donné par des casemates à canon placées dans
l'escarpe de manière à renforcer les feux de la crête flan-
quante ; dans l'hypothèse contraire, les fossés de là gorge
sont flanqués par une' caponnière double établie en son
milieu.
Lorsque les forts n'ont point la forme générale de la
lunette, le nombre des caponnières est variable avec le tracée
On cherche souvent, par raison d'économie, à réduire ce
nombre autant que possible ; on détermine alors leur empla-
cement de manière que les faces des caponnières soient
tournées vers les points les moins dangereux, afin que
l'ennemi ne puisse les détruire en établissant une batterie
dans le prolongement du fossé. Lorsqu'une face de capon-
nière est exposée par suite de la direction du fossé, on la
garantit par une visière comme cela a été indiqué précé-
demment {page 365).
La disposition de ces caponnières était toujours fort
simple et se rapprochait plus ou moins du type représenté
par la figure 174 (page 36o bis), le flanquement de la tête
étant assuré par une galerie spéciale disposée pour recevoir
des tireurs et garnie de créneaux et de mâchicoulis.
438 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE

Organisation des crêtes — Répartition de l'artillerie,


de l'infanterie et des locaux d'habitation

Un fort de l'époque considérée est essentiellement un


ouvrage destiné à porter le canon de là défense et à le garan-
tir des surprises de l'ennemi. Il sert en même temps d'abri
à une fraction de la garnison et de magasin aux approvision-
nements de toute nature qui lui sont destinés.
Il résulte de là que les parapets des fronts de tête et des
flancs, destinés à exercer une action sur le terrain éloigné,
sont organisés surtout en vue de recevoir de l'artillerie.
Cette condition en détermine le tracé.
Cependant, pour assurer la défense rapprochée et se
garantir des surprises, il est indispensable de réserver une
certaine longueur de crête à l'infanterie. Il faut en outre
avoir, à l'intérieur du fort, des massifs de terre assez puis-
sants jDour recouvrir les locaux voûtés nécessaires à la gar-
nison.
Pour satisfaire à ces différentes obligations, on peut
employer évidemment diverses dispositions. Dans tous les
cas, les fronts de tête et ceux des flancs, qui ont surtout à
supporter le feu de l'artillerie ennemie, sont toujours
précédés d'un fossé profond et étroit, avec escarpe bien
défilée.
La gorge, au contraire, qui n'a que peu à craindre du til-
de l'assiégeant et qui doit toujours être en mesure d'arrêter
les tentatives de vive force, est munie d'une escarpe plus
haute et d'un i'ossé plus large, de manière à opposer un
obstacle sérieux à l'ennemi qui tenterait de pénétrer par là
dans l'intérieur du fort.

En ce qui concerne la répartition des hommes et des


pièces, on adopta les principales dispositions suivantes :
i° Installer l'infanterie sur une crête basse, bordant le
ORGANISATION DES PLACES DE 187O 4^9 A l885
fossé, et réserver en certains points, notamment aux sail-
lants, quelques emplacements pour des pièces assurant la
défense rapprochée. L'artillerie destinée à la lutte à grande
distance est alors établie sur un cavalier qui reçoit en même
temps les locaux d'habitation.
Cette disposition (Jig. igg) a l'avantage d'assurer une
protection efficace aux locaux ; elle fournit deux étages de
feux et permet de donner au cavalier un tracé différent de
celui de la crête basse ; tous les saillants peuvent être puis-
samment battus, et le massif du cavalier forme en outre un

Fig. 199. — Forl. avec crèlc haulç d'artillerie el. crète basse d'infanterie.

excellent parados pour la gorge. Par contre, elle présente


quelques inconvénients : les communications et les mouve-
ments de matériel sont difficiles, parce qu'il faut faire
monter les pièces et les projectiles au sommet du cavalier ;
de plus, les traverses de ce cavalier, qui protègent les pièces
de l'armement,de combat, se voient de très loin et se dis-
tinguent très nettement, car elles se détachent sur le ciel ;
aussi le tir de l'ennemi est-il plus aisément repéré ;
a0 Considérant que l'artillerie forme la partie essentielle
des forces actives d'un fort, supprimer la crête d'infanterie
ou plutôt donner à cette crête et au parapet correspondant
une organisation pour l'artillerie, tout en conservant un
44Ç 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
.

commandement assez faible, ce qui offre certains avantages


pour battre aisément les glacis. Les locaux d'habitation
sont alors installés dans un grand massif de terre central
formant parados pour la gorge et dont la hauteur dépasse
notablement celle du parapet. La partie supérieure de ce
massif peut recevoir une banquette et un terre-plein pour
l'infanterie, mais plutôt pour la surveillance que pour le
combat Çfîg. 206).
Cette disposition ne présente plus les deux inconvénients

Fig. 200. — Fort avec crête basse d'artillerie et massif central à profil défensif.

reprochés à la précédente, mais elle ne donne pas aux bou-


ches à feu de l'artillerie un aussi grand commandement.
Elle a surtout le grand avantage de masquer l'emplacement
des pièces et des traverses, parce que celles-ci, au lieu de
se détacher sur le ciel, se projettent sur le talus des terres
du massif central ;
3° Supprimer complètement le massif central et n'avoir
qu'une seule crête dont certaines portions seulement sont
réservées à l'infanterie, la plus grande étendue étant orga-
nisée pour l'artillerie (fig. ig8,page 436). Dans ce cas, les
casernes sont placées sous le parapet de tête, qui doit avoir
un commandement assez considérable, ce qui conduit par-
fois à des glacis très étendus. On peut aussi les installer
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A l885 44 *
sous le parapet de gorge, prenant jour et air sur le fossé,
et garanties par la masse du terre-plein. Cette seconde
disposition rend les communications peu commodes et
peut faciliter des surprises par la gorge; elle n'a guère été
employée qu'en Allemagne.
La suppression du massif central a pour conséquence
d'exposer fortement les défenseurs de la gorge et ceux qui
circulent dans l'intérieur du fort, quelque restreinte que
soit la cour intérieure. On peut, pour'y obvier, établir un
parados le long de la gorge ou des flancs, et une grande
traverse, en capitale de l'ouvrage, de manière à arrêter les
coups obliques.
.
Lorsqu'il y a dans le fort des casemates cuirassées, elles
sont placées vis-àr-vis des points ou des voies de communi-
cation les plus importants à battre et, autant que possible,
à l'abri des coups de l'ennemi.
S'il y a des tourelles ou coupoles, on les installe là où
elles possèdent un grand champ de tir, afin de profiter .de
tous leurs avantages. On a quelquefois proposé de les placer
au sommet d'un cavalier découvrant la campagne sur un
tour d'horizon ; cette disposition, bonne en théorie, rencon-
tre en pratique des difficultés assez sérieuses au point de
vue de la construction et des communications. Dans les
forts détachés, on arrive à un résultat satisfaisant en plaçant
les coupoles au saillant et souvent sur l'enceinte basse, de
manière que, se projetant sur le massif des terres, elles
soient moins facilement vues de loin.

Abris — Communications intérieures

En dehors des locaux d'habitation, les principaux abris


organisés dans l'intérieur des forts sont : i° les magasins à
poudre, que l'on s'est efforcé d'éloigner autant que possible
des casernes ; on trouve assez souvent leur emplacement
sous les parados des flancs et on les réunit, par une poterne
442 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
,

couverte, aux locaux servant d'abris, placés sous le parapet;


2° les manutentions, magasins aux vivres et aux projectiles,
pour lesquels on utilise les différentes voûtes qu'on n'a pas
employées au logement des hommes, ainsi qu'on l'a vu dans
l'étude d'une caserne voûtée.

Les communications sont organisées avec tout le soin


possible. Les caponnières sont reliées à l'intérieur du fort
par des poternes qui communiquent avec les gaines et cor-
ridors entourant les locaux d'habitation, de manière que
tous lés mouvements puissent se faire à couvert. Lorsqu'il
existe une caponnière centrale pour le front de tête, et que
le fort affecte une forme régulière, une grande poterne placée
en capitale et traversant tous les locaux réunit cette capon-
nière de tête à l'entrée placée dans la gorge.
Diverses poternes, gaines et corridors, placés sous les
grandes traverses enracinées, réunissent les différentes par-
ties des locaux souterrains par des communications cou-
A'ertes. Leur disposition varie d'un fort à l'autre, mais, en
toutes circonstances, on s'est efforcé d'établir dans l'ouvrage
un système complet de passages permettant aux défenseurs
de se rendre dans toutes les parties du fort sans craindre
les projectiles de l'ennemi. Ces passages ont généralement
3 mètres de large.

Entrées
L'entrée des forts est placée sur la face la moins exposée
aux coups de l'ennemi, sur la gorge par conséquent. On
choisit un rentrant s'il y en a un, comme cela a lieu, par
exemple, lorsque le tracé de la gorge est bastionné ou
tenaillé.
On couvre le débouché de la route d'accès par un petit
ouvrage, flèche ou redan, contenant un corps de garde
chargé de la surveillance, et dont les crêtes sont disposées
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A 1885 443
de manière à prendre d'enfilade une partie au moins de
cette route.
Pour se rendre du corps de garde ou de l'ouvrage dans
l'intérieur du fort, on traverse un pont dormant ou pont
fixe, puis un pont-levis.
La figure 201 montre la disposition d'un de ces engins. Il
se compose essentiellement d'un tablier en bois, de 4 mètres

Fig. 201. — Pont-levis à la Poncelet.

de portée, soutenu et maintenu en équilibre, dans toutes


ses positions, par un système de contrepoids (ou bascule)
dont l'agencement, variable avec chaque modèle, a pour
but de permettre une manoeuvre facile de l'appareil. Les
systèmes de ponts-levis sont du reste très nombreux ; parmi
les plus usités, on peut citer les systèmes Poncelet, à bascule
en dessous ou en dessus, à la Derché, etc.
Quelquefois, ces ponts sont placés sous le feu même
de la caponnière de gorge ; d'autres fois, on fait passer la
444 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
route d'accès par l'intérieur de la caponnière, mais cet agen-
cement dangereux n'est pas recommandé.
Les dispositions précédentes destinées à protéger l'entrée
d'un ouvrage sont toujours complétées par l'emploi de
défenses accessoires telles que réseaux de fils de fer, abatis,
ressauts dans les glacis, avec murs de soutènement, etc.,
qui augmentent les difficultés d'une surprise ou d'une ten-
tative de vive force et favorisent la surveillance de la part
du défenseur.
On trouvera plus loin l'indication des défenses acces-
soires les plus employées dans les ouvrages permanents.
Elles ont actuellement une très grande valeur, et leur em-
ploi, déjà prévu en i885, ne peut que se ^généraliser dans
l'avenir.

Approvisionnement en eau
L'approvisionnement en eau est une question de pre-
mière importance dans l'établissement d'un fort, car il n'est
pas possible d'admettre que la garnison soit obligée de se
procurer, au dehors, cet élément indispensable à son exis-
tence. Lorsqu'il n'existe pas de nappes souterraines ni de
sources permettant de créer des puits, on creuse des citer-
nes disposées de manière à recevoir l'eau qui tombe sur
toute la surface du fort, et, à cet effet, les chapes des voûtes,
c'est-à-dire les enduits en ciment ou en bitume qui en
recouvrent l'extrados, sont disposées de manière à former
une série de plans inclinés sur lesquels cette eau s'écoule et
vient se rassembler dans les citernes.

Dehors
Les seuls dehors qui aient été conservés dans les forts
détachés de cette époque sont une petite place d'armes des-
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A l885 445
tiuée à en couvrir l'entrée, et un chemin couvert entourant
tout l'ouvrage.
Ce chemin couvert n'est lui-même souvent qu'un simple
corridor de surveillance, c'est-à-dire que l'on réduit son
terre-plein à 2 mètres de largeur, afin de rapprocher la crête
couvrante du mur d'escarpe, de manière à le mieux protéger.
Il y a cependant un assez grand intérêt à posséder autour
du fort un ouvrage donnant une liaison avec le terrain
extérieur.
.
Le fort est quelquefois placé sur un piton isolé dont il ne
peut occuper toute l'étendue et dont les pentes échappe-
raient ainsi aux vues de l'ouvrage. On place alors un avant-
chemin couvert bordant la crête militaire et entourant à la
fois le fort et les batteries annexes qu'il comporte. Le fort
Manstein à Metz (F. chap. XXXVI) offre un exemple de
cette disposition. .

Modes d'occupation du terrain — Batteries annexes

Le défenseur d'une place forte ne peut être considéré


comme maître de l'une quelconque des positions dont
l'ensemble forme autour de cette place ce que nous avons
appelé le polygone extérieur, que s'il est en mesure de
battre efficacement, dans une certaine étendue en avant de
cette position, les routes, les ponts et les parties de terrain
qui peuvent servir à l'ennemi de points de rassemblement,
tout en exerçant, sur celles qui précèdent immédiatement
ses glacis, une action de nature à garantir sa propre sécu-
rité.
Or, un ouvrage unique, ne peut remplir à la fois ces
conditions multiples que si le terrain sur lequel il est assis
est découvert sur une grande profondeur et formé de pentes
très douces.
Si, au contraire, certains plis dérobent aux vues de cet
ouvrage des directions importantes ou lui masquent quel-
446 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

ques parties de l'horizon; si, par exemple, le plateau qu'il


occupe, tout en ayant des dimensions restreintes, est trop
grand pour être entièrement couvert par des constructions
et trop peu étendu, cependant, pour que les vues, nécessai-
rement limitées à ce plateau même, puissent être considé-
rées comme suffisantes, la possession de la position ne
saurait, être assurée par ce seul fort.
Il faut alors recourir à l'emploi de batteries annexes, qui
donnent des feux dans les directions importantes échappant
aux vues de l'ouvrage principal et forment, comme leur
nom l'indique, les compléments indispensables de ce der-
nier.
Ces batteries annexes offrent d'ailleurs des avantages.
Elles disséminent l'artillerie de la défense sur une plus
grande étendue et éparpillent par suite les coups de l'en-
nemi.
Lorsque la position est occupée par un fort unique,
comme on l'a supposé dans ce qui précède, les pièces en
batterie sur cet ouvrage, immobiles par leur nature même,
attirent sur lui et sur ses abris tous les feux de l'adversaire ;
les projectiles mal dirigés qui manquent le but particulier
auquel ils étaient destinés rencontrent presque inévitable-
ment une autre partie de la fortification, qu'ils dégradent,
et concourent de la sorte à sa destruction.
Lorsque au contraire le fort est doublé de pareilles batte-
ries annexes, ces dernières écartent de l'ouvrage principal
la plus grande partie des coups de l'artillerie ennemie. C'est
entre ces batteries annexes et celles de l'assiégeant que
s'établit la lutte aux grandes distances, et les pièces qu'elles
contiennent, pouvant au besoin se déplacer sans trop de
difficultés, sont dans de meilleures conditions pour la pro-
longer. Au dernier moment, quand l'artillerie de la défense
a été réduite au silence et que l'assaillant s'approche, il a
devant lui non plus un fort démantelé, effondré par les
projectiles, mais au contraire un ouvrage qui a peu souffert
du l'eu et qui peut fournir une résistance bien supérieure.
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A l885 44?
Ces considérations, d'une valeur indiscutable, ont conduit
les ingénieurs à prévoir, autour des ouvrages de la période
de 1870 à i885, la construction de nombreuses batteries du
moment, construites comme les batteries de siège et desti-
nées à recevoir la majeure partie de l'artillerie de la défense.
Le fort n'est plus alors qu'un point d'appui, un réduit et
un magasin général servant à ces différentes batteries.
Il y a donc lieu de distinguer différents modes d'occupa-
tion d'une positionsur le polygone extérieur. On peut les
classer de la manière suivante :
i° Ouvrage unique. — Si le fort a été établi sur un terrain,
bien découvert qui lui permette d'avoir des vues très éten-
dues et. en même temps de bien battre ses abords, ou si, au
contraire, on a choisi un piton isolé assez petit pour ne lais-
ser place qu'à un seul ouvrage, on construit pendant le
temps de paix un fort unique, réservant alors à la période
de siège la construction des batteries de circonstance.
Tels sont : dans le premier cas, les différents forts de
l'enceinte de Strasbourg et le fort du Haut-B.uc, du polygone
extérieur de Paris ; dans le second cas, le fort de Ghelles,
à l'est de la même enceinte.
On peut aussi faire rentrer dans cette catégorie les ouvra-
ges comportant un avant-chemin couvert sans artillerie,
analogue à ceux dont il a été question plus haut (page 445).
2° Groupes d'ouvrages. — Si le terrain, bien qu'assez
étendu, présente une configuration telle qu'un seul ouvrage
ne peut voir qu'une partie des directions importantes, on
ne pourra les battre toutes que par l'occupation de deux ou
trois points voisins de celui sur lequel est établi l'ouvrage
principal.
Si la position à occuper a la forme d'un plateau allongé
dans le sens du rayon de la place, et que, pour bien décou-
vrir le terrain en avant, il faille se porter à l'extrémité la
plus éloignée de ce plateau, l'ouvrage ainsi établi se trou-
vant trop en l'air par rapport à l'ensemble formant la cein-
448 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
ture, il est nécessaire de l'appuyer en arrière et sur les
flancs par d'autres constructions qui le relient à l'enceinte
extérieure.
On obtient, dans l'un et l'autre cas, un groupe d'ouvrages
portant tous indifféremment le nom de forts.
Gomme exemples de la première disposition, on peut
citer : i° le groupe des forts de Montmorency (fig. 202,
page 448 bis), la disposition du terrain autour de ce point
comportant trois vallons, dans le prolongement de chacun
desquels on a dû établir un fort qui le batte efficacement ;
20 le groupe des forts de Saint-Cyr, Bois-d'Arcy et Bouvier.
' L'ensemble des forts Manstein et Frédéric-Charles sur le
Saint-Quentin (enceinte extérieure de la place de Metz,
(chap. XXXVI) offre un exemple de la seconde disposition.
3° Forts avec batteries annexes.
— S'agit-il, au contraire,
d'une bonne position avec des abords bien battus, mais à
laquelle échappent certaines directions qu'il importe de
commander, on construit un fort principal sur cette position
même et des batteries annexes sur es différents points d'ordre
1

secondaire. Le rôle du fort est alors double : il agit comme


ouvrage ayant des vues étendues ; il sert, en outre, d'appui
et de réduit aux batteries.
On peut citer un grand nombre d'exemples de ce mode
d'occupation : notamment, le fort de Palaiseau, avec ses
deux batteries annexes, celui de Villeneuve-Saint-Georges,
avec la batterie annexe de Limeil, etc.
4° Batteries annexes avec réduit. Pour l'occupation

d'un plateau d'étendue moyenne, mais brisé ou à bords
dentelés, un seul ouvrage établi sur la partie centrale n'au-
rait évidemment que des vues restreintes et serait, par suite,
insuffisant. On essaierait en vain de le porter sur l'un des
bords, car on ne battrait alors qu'une ou deux des direc-
tions principales. Dans ce cas, on occupe un certain nombre
de points, sur le périmètre du plateau, par des batteries
annexes jouant le rôle de simple porte-canons, avec quel-
ques abris construits à l'avance, et, pour soutenir tous ces
Planche N 448bia

£'-<9>r>«</<&/.. \V~4V ".,,1,-BHKa,»,,.^.:.:.


, c-
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A l885 449
ouvrages placés en l'air, on occupe solidement le centre
même du plateau par un bon réduit traité comme fort uni-
que, mais disposé de manière à battre la gorgedetout.es les
batteries.
C'est le cas du plateau de Marly (fig. 2o3, page 448 bis),
des ouvrages de Verrières, etc.
Il y a, entre ce mode d'occupation et le précédent, une
différence importante, c'est que le fort central n'est destiné
qu'à conserver à coup sûr la position même sur laquelle
l'ensemble est assis.

Communications extérieures
Les différents ouvrages constituant un même ensemble
sont reliés entre eux et avec l'ouvrage principal par de
bonnes communications, bien défilées des vues de l'ennemi
et soigneusement entretenues. On avait prévu depuis plu-
sieurs années l'emploi de voies ferrées portatives, telles que
la voie Dccauville, pour faciliter le service des pièces ainsi
que les mouvements de matériel. La nécessité de ces engins
est généralement reconnue aujourd'hui et on a étudié leur
application dans toutes les places.

Armement et garnison des forts


Eu égard à la diversité des cas et à la variété des disposi-
tions qui peuvent se présenter, il est évidemment impossible
de fixer, d'une manière générale, avec quelque précision,
l'armement et la garnison d'un fort détaché.
Les ouvrages qu'on vient de décrire ont été construits
pour recevoir 20 à 5o bouches à feu, non compris les pièces
de flanquement, dont le nombre est toujours restreint. Cet
armement se compose des pièces du plus fort calibre (220
et i55mm)avec quelques pièces de 120 et de 'o5mm et un cer-
MANUEl, DE l'OllTIl'ICATION 20
450 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
tain nombre de bouches à feu de campagne destinées à
appuyer les troupes de sortie.
Quant à la garnison, on compte en moyenne 20 hommes
par pièce, ce qui donne environ 800 hommes pour un grand
fort.

Des réduits dans les forts

Un fort de l'époque considérée est donc, en définitive, un


ouvrage de petites dimensions, organisé de manière à rece-
voir une artillerie importante, muni d'abris vastes et solides
contenant des approvisionnements de toute sorte, tant pour
sa garnison propre que pour celle des batteries annexes qui
l'entourent, et formant, dans un grand nombre de cas, sinon
dans tous, une sorte de réduit de la position qu'il occupe.
Etait-il nécessaire d'établir un réduit dans un ouvrage de
cette nature ? Fallait-il en morceler la défense de manière à
essayer de s'y maintenir encore après que l'ennemi se sera
emparé de ses remparts? Telle est la question qui a été
souvent posée.
En France et en Allemagne, dans les fortifications édifiées
depuis 1870, on n'a pas considéré comme avantageuse la
construction à l'intérieur des forts d'un ouvrage de ce genre,
qui devait entraîner, outre une augmentation de leurs
dimensions, une complication dans leur tracé et dans leur
organisation, et l'on n'en a établi nulle part.
Mais cette opinion n'a pas prévalu partout à l'étranger
et, en Belgique notamment, elle a trouvé un illustre adver-
saire dans le général Brialmont.
Voici les arguments principaux qu'on peut faire valoir
pour la combattre.
Le fort est un petit ouvrage ; ses fossés, par suite des
faibles dimensions que nécessite le défilement des escarpes,
sont des obstacles parfois peu considérables, dont la valeur
doit être encore amoindrie par le tir prolongé du canon de
l'assiégeant. Qu'un ennemi audacieux et entreprenant, favo-
45 Ibis Planche O
ORGANISATION DES PLACES DE 187O A l885 45 ï
risé par les circonstances extérieures ou une négligence de
la garnison, vienne à tenter une surprise du côté de la gorge.,
et qu'il réussisse, voilà toute la défense de la forteresse
désorganisée par la perte d'un point du polygone, extérieur,
qui était cependant encore en état de servir. A F appui de
cette opinion, on peut citer l'assaut des forts de Kars, donné
par les Russes en 1877, et couronné d'un plein succès,
assaut qui a fait tomber entre leurs mains une place solide
et à peine entamée par la lutte d'artillerie. ;

C'est pour ces motifs qu'on a pu considérer comme


,
néces-
saire, l'existence, dans chaque fort détaché, d'un réduit
isolé du rempart, ayant Une action sur la cour intérieure,
muni d'une escarpe et d'un fossé capables de défier les esca-
lades et donnant aux défenseurs la possibilité ,dç se refor-
mer, après une surprise, pour chasser l'assaillant victorieux.
Malgré ces raisons d'une valeur incontestable, on n'a pas
cru devoir construire de réduits dans les forts français où
allemands de 1870 à i885. On a évité ainsi un notable
accroissement de dépenses résultant de l'édification d'un
ouvrage qu'on pouvait, à juste titre, craindre de voir ruiné
avant d'avoir servi, les hautes murailles nécessaires pouf le
mettre à l'abri d'une surprise n'étant point assurées d'une
protection efficace.
Il convient d'observer d'ailleurs que, pour une garnison
résolue à disputer son fort pied à pied, il existe tous les
éléments d'une défense morcelée dans les parados, les cava-
liers et les traverses qui garnissent les ouvrages.
Quant aux attaques par surprise, on s'en prémunit; en
entourant le fort d'un bon fossé, dont les dimensions sont
plus grandes du côté de la gorge que sur le front de tête,
parce que c'est là que les surprises sont le plus à craindre.
Il faut d'ailleurs que la garnison soit ténue constamment en
haleine par le gouverneur, et sa surveillance ne devra
jamais se relâcher. :
Voici néanmoins (Jig. 2o4,page451 bis),commeexemple
d'un fort muni d'un réduit, le plan de l'un de ceux qui ont
452 2° PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
été construits vers 1860 autour d'Anvers, par le général
Brialmont. Le réduit est placé dans un saillant que prononce
la gorge ; il a la forme d'un double fer à cheval contenant
tous les locaux casemates de la garnison et surmonté d'un
parapet en terre, dont la crête domine de 8m5o les crêtes
du fort lui-même. Il est entouré d'un fossé de 8 mètres de
large et d'un glacis couvrant presque toute l'étendue du fort.
Ce réduit possède une entrée spéciale placée au saillant de
la gorge (celle du fort se trouve sur l'un des côtés de cette
gorge), et son débouché est couvert par un massif de terre.
Cette solution du problème, bien que très réussie pour
l'époque à laquelle elle a été construite, a néanmoins perdu
sa valeur depuis longtemps. La cour intérieure du réduit
serait, en effet, facilement enfilée par les projectiles, et les
maçonneries des abris ne tarderaient certainement pas à
être détruites par le canon. La présence dé ce réduit a d'ail-
leurs pour effet d'augmenter considérablement la profon-
deur du fort et, par suite, sa vulnérabilité ; enfin, les com-
munications y deviennent de la sorte extrêmement difficiles.
Une raison toute particulière justifie, du reste, l'existence
de réduits dans les fortifications d'Anvers. Les fossés des
forts sont pleins d'eau, sans escarpe ni contrescarpe ; c'est
une conséquence forcée du site dans lequel ils sont établis.
Or, pendant une période assez longue de l'année, l'eau gèle
dans les fossés, et, par suite, tout obstacle aux tentatives de
vive force ou de surprise est supprimé. Le réduit obvie évi-
demment à cet inconvénient et met la garnison à l'abri
d'entreprises de cette nature.
Les forts de Cologne, construits vers i845, étaient égale-
ment pourvus de réduits, et l'on en trouverait d'autres exem-
ples dans bien des ouvrages étrangers de la période anté-
rieure à 1870 ; mais ces constructions sont loin de présenter
la perfection de celles d'Anvers et, bien plus encore que
ces dernières, auraient été détruites même avant les nou-
veaux progrès de l'artillerie.
CHAPITRE XXXII

LA FORTIFICATION DEPUIS 1885

Influence de l'obus à balles et de Tobus=torpille


On a déjà indiqué précédemment et à diverses reprises
que, vers i885, l'artillerie avait vu croître sa puissance
meurtrière par la mise en service de l'obus à balles avec
fusée à double effet, tandis que l'emploi de substances
explosives nouvelles dans le chargement des.obus en aug-
mentait énormément le pouvoir destructeur. Il est résulté de
là pour la fortification permanente une crise aussi soudaine
et plus grave encore que celle qu'avait causée l'adoption de
l'artillerie rayée vingt-cinq ans auparavant.

L'obus à balles. — C'est vers 1880 que furent adoptés


en France ces nouveaux obus. La fusée était connue et uti-
lisée depuis longtemps, mais jusqu'alors elle avait été trop
imparfaite pour permettre un réglage sûr de l'éclatement.
Les anciens obus ne donnaient qu'un petit nombre d'éclats
(une vingtaine). L'obus à balles donnait au contraire une
gerbe dense d'environ 3oo balles ou éclats et était doté
d'une fusée à double effet beaucoup plus précise que celles
utilisées jusqu'alors.
,
L'artillerie possédait donc le moyen d'atteindre, derrière
leurs parapets ou leurs épaulemenls, les tireurs d'infanterie
et les servants des pièces. Le défilement au quart donné
dans la fortification de 1875 à ces derniers ne leur assurait
plus la sécurité. Comme, à la même époque, l'artillerie de
4-54 2C PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
siège avait acquis la pratique du tir indirect, il devenait
possible de faire converger sur les forts, généralement visi-
bles de loin, le tir à balles d'un grand nombre de batteries
dissimulées aux vues de la défense. Une telle pluie de fer
devait sans aucun doute obliger les servants des pièces à
cesser leur tir pour chercher un abri en. se plaçant contre
le parapet.
Il était urgent de remédier à cet état de choses ; deux
solutions se présentèrent : la première consistait à enlever
l'artillerie des forts et à l'installer dans les intervalles, où
elle pourrait, comme celle de l'attaque, se dérober aux
Aaies ; la seconde, à laisser cette artillerie dans les forts,
en lui créant des abris à l'épreuve non seulement du tir à
balles mais encore du tir percutant de tous les obus.
On voit donc que, déjà, avant l'apparition des obus-tor-
pilles, on avait reconnu la quasi-impossibilité de laisser
l'artillerie de la défense entassée à ciel ouvert dans les forts.
L'expérience du siège de Port-Arthur a montré en outre
que, sous le feu incessant des obus à balles ou shrapnels, il
est. à peu près impossible de maintenir sur les parapets des
observateurs pour surveiller les mouvements de l'ennemi
et des tireurs pour battre les abords de l'ouvrage, si on ne
les protège par des dispositifs à l'épreuve des balles et des
éclats. C'est ainsi que « la canonnade dirigée sur les forts
Kikouan-nord et Ehrlong empêcha leurs défenseurs non
seulement de prêter l'aide de leurs fusils aux ouvrages
intermédiaires attaqués, mais encore ne leur permit pas
d'observer les mouvements de l'ennemi ; en un mot elle les
priva de mains et d'yeux » Q).
Donc la fortification doit être pourvue d'abris blindés
pour tireurs ou mitrailleuses, ainsi que d'observatoires.

L'obus-torpille. — Cette conséquence de l'emploi de


l'obus à balles était à peine entrevue lorsque apparut en i885

(') Voir Revue du Génie, novembre 1907.


LA FORTIFICATION DEPUIS 1885 455
l'obus-torpille. L'Allemagne tout d'abord utilisa dans le
chargement des projectiles le coton-poudre en grains, qu'elle
abandonna pour un autre explosif en 1888. En France, la
découverte de la mélinite, en 1886, vint donner à notre
artillerie une puissance égale à celle de ses rivales. Depuis
lors, toutes les armées sont en possession d'une matière
explosible douée d'une grande force de destruction et suffi-
samment maniable pour être employée sans danger dans le
chargement des projectiles. On connaît les noms de roburite,
hellhoffite, bellite, écrasite, etc., qui, presque tous, mas-
quent des produits connus depuis longtemps, tels que l'acide
picrique ou la nitrobenzine, dont on n'avait pas su tirer
parti jusque-là.
Il n'entre pas dans le cadre de ce Manuel d'étudier les
substances dont il s'agit, mais il est nécessaire d'indiquer
ce qu'on sait des effets qu'elles sont capables de produire.
De nombreuses expériences ont été faites à ce sujet : en
Allemagne, à Gosel et à Gummersdorf ; en France, au fort
de La Malmaison; à Schoorl, en Hollande, en 1892 ; en
Autriche, etc. Leurs résultats ont été tenus secrets pendant
les premières années qui les ont suivies. On les connaît
toutefois suffisamment pour en déduire les renseignements
nécessaires au point de vue des épaisseurs à donner aux
maçonneries des ouvrages de fortification. Ceux qui suivent
sont extraits de l'ouvrage de M. le général Brialmont :
L'influence du tir plongeant et des obus-torpilles sur la for-
tification, ou de la Revue du Génie militaire (avril et août
i8g5, janvier 1908). Les indications empruntées à ce der-
nier fascicule sont relatives au siège de Port-Arthur.
Les expériences de Cosel (i883, Brialmont) ont démontré
que les bombes de 2icm chargées de 19 kilos de coton-
poudre percent une voûte de 1 mètre d'épaisseur de bonne
maçonnerie ancienne, surmontée de 80 centimètres de béton
recouvert de 1 mètre à im5o de terre; ces même voûtes, sans
carapace de béton, mais avec 3 mètres de terre, sont percées
également ; elles résistent si le matelas de terre a 5 mètres.
456 2 e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Les mêmes projectiles pénètrent de 4 mètres dans la terre
sablonneuse du polygone de Cummersdorf.
D'après von Forster, un obus de i5cm, de 6 calibres de
longueur, chargé à n!'s5 de coton-poudre, placé sur une
voûte de 5 mètres de portée, de 90 centimètres d'épaisseur
avec un matelas de terre de 80 centimètres, y a fait en
éclatant un trou de im6o à im8o de diamètre.
A La Malmaison (d'après Brialmont), un obus de 22cm
chargé à 33 kilos de mélinite fit une brèche de 8 mètres de
diamètre dans une caponnière ; ce même projectile fit une
ouverture de 4 mètres de diamètre dans un magasin à pou-
dre recouvert de 4 mètres de terre ; éclatant derrière des
murs d'escarpe en décharge, ces mêmes obus y produisi-
rent des brèches de 12 à i5 mètres de largeur.
A Schoorl, on a constaté que, pour résister au tir des
bombes de 2icm, pesant i55 à i58 kilos, chargées en fulmi-
coton (21 kilos) ou en bellite (23 kilos), les voûtes en béton
déciment doivent avoir une épaisseur de im5o si leur portée
est inférieure à 4 mètres et de 2 mètres pour les portées
supérieures. Les murs verticaux sont efficacement protégés
contre le tir des obus de i5cra (poids 3ilcs 6, charge ikS75
poudre noire, vitesse restante 4o6 à 4i5 mètres) par un
revêtement de 2 mètres d'épaisseur en débris de briques.
On a constaté que l'interposition d'un matelas de sable
entre la voûte et sa carapace de béton avait un effet plutôt
nuisible qu'utile.
Les expériences autrichiennes, faites avec des bombes de
2icm (pesant i54 kilos, chargées à 23ks8 d'écrasile), ont
démontré que les voûtes de 2 mètres d'épaisseur et de 2
mètres de portée résistent à tous les tirs ; avec 4 mètres de
portée et 2 mètres d'épaisseur, dont moitié en béton de
ciment ('), la résistance est encore suffisante, à la condition

(') Le béton de ciment s'obtient en mélangeant, dans des proportions déter-


minées, des pierres, dures concassées, ayant les dimensions de celles qui servent,
à l'empierrement des routes, avec du mortier de ciment obtenu lui-même en
mélangeant, ensemble du ciment, du sable et de l'eau.
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 457
de ne pas interposer de matelas de sable entre la maçon-
nerie ordinaire et le béton ; à 5 mètres de portée, l'épais-
seur de 2 mètres, dont moitié en béton de ciment, est à
peine suffisante. Les bombes de 2icm, de 5 calibres,
ayant environ 180 mètres de vitesse restante, ont donné
les pénétrations suivantes : dans l'argile 7 mètres, dans le
sable 4 mètres, dans les cailloux 3 mètres, dans la pierraille
2 mètres.
A Port-Arthur on à constaté que les voûtes en béton de
90 centimètres d'épaisseur résistaient parfaitement au tir -
des bombes de i5cm : celles-ci produisaient dans l'extrados
des voûtes un trou de 10 à i3 centimètres de profondeur et
d'autant de diamètre. La chute de deux bombes sur le
même point doublait, le diamètre du trou et augmentait sa
profondeur de 3 à 5 centimètres, en détachant de l'intra-
dos de la voûte des morceaux de 2 à 4 centimètres d'épais-
seur. Une couche de terre de im 35 à i", 5o préservait par-
1

faitement les voûtes contre ces projectiles.


Les bombes de 28cm ont percé les voûtes nues de 90 cen-
timètres, mais n'ont produit dans une mêine voûte, recou-
verte de 90 centimètres de terre, qu'un trou profond de
23 centimètres. Une autre voûte de 90 centimètres recou-
verte de imo5 de terre et 45 centimètres de décombres
et de cailloux (im5o au total) est restée intacte jusqu'à
la fin du siège, malgré des chutes fréquentes de bombes
de 28e"1.
Donc, si les nouveaux projectiles ont sur les maçonneries
un effet de destruction notablement plus considérable que
les anciens, leur efficacité contre les parapets en terre n'est
pas accrue dans la même proportion. Sans doute, les enton-
noirs qu'ils produisent sont plus vastes qu'autrefois, mais
le tir d'un grand, nombre de projectiles ne réussit pas à
supprimer un parapet, attendu que les entonnoirs successifs
sont comblés par les terres provenant des explosions ulté-
rieures.
Des expériences plus récentes ont porté sur la résistance
458 V PARTIE —- FORTIFICATION PERMANENTE
du béton armé (T) qui s'est montrée supérieure à celle du
béton ordinaire.,
Son emploi permet de réduire d'environ un tiers l'épais-
seur des maçonneries. En outre, on peut atteindre des por-
tées plus considérables avec des voûtes plus surbaissées
et, pour les portées restreintes, non supérieures à 4 mètres,
remplacer la voûte par une dalle. Cette diminution dans
l'épaisseur du béton et dans la montée des voûtes réduit
la hauteur totale des locaux, en facilite l'installation et
notamment permet de les moins enfoncer en terre.
Un autre avantage du béton armé est la localisation de
l'effet des obus plus grande que dans le béton ordinaire ;
les fissures ne s'y propagent pas sous l'action des coups
répétés et on est moins exposé à voir se détacher de l'intra-
dos des voûtes des blocs de maçonnerie dangereux pour les
occupants.
On peut en définitive conclure des résultats acquis jus-
qu'à ce jour :
i° Que le service des pièces accumulées à découvert dans
les forts, déjà si difficile avec les obus à balles, est impos-
sible désormais ; que par suite l'artillerie des forts doit être,
ou dispersée dans les intervalles, ou, si conservée dans les
forts, placée sous casemates ou tourelles ;
2° Que les organes et les abris, en maçonnerie recou-
Arerte de terre, des ouvrages construits avant 1885 n'offrent
plus Une protection suffisante. Ils doivent être construits,
dorénavant, soit en béton de ciment, avec une épaisseur
de im5o à 2ra5o suivant le cas, soit en béton armé avec
une épaisseur égale aux deux tiers de la précédente, soit
complètement métalliques. Ces épaisseurs, très supérieures
à celles des voûtes qui ont résisté à Port-Arthur, permet-
tront de parer aux progrès ultérieurs de l'artillerie.

(l) Le béton armé est obtenu par l'incorporation, dans le béton de ciment,, de
barres d'acier doux de 10 millimètres de diamètre. Les couches de béton de 10 a
20 centimètres d'épaisseur alternent, avec les couches de barres, disposées en deux
épaisseurs formant, im quadrillage d'environ 10 centimètres de côté.
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 459
De ces deux conséquences résulte la nécessité d'appor-
ter des modifications dans l'organisation de la position prin-
cipale de défense, dans le rôle de ses différentes parties,
dans l'armement et l'agencement des forts et de leurs inter-
valles. On étudieraici, tout d'abord, les propositions faites,
tant en France qu'à l'étranger, en vue de rendre à la fortifi-
cation son ancienne Araleur, puis, la solution qui a été
adoptée par la France et, avec quelques variantes, par la
plupart des grandes puissances. On donnera nécessairement
plus d'importance à cette seconde partie.
CHAPITRE XXXIII

LA FORTIFICATION DEPUIS 1885

Organisation des places et des ouvrages


Classification des systèmes (T)

Les places munies de forts détachés, telles qu'elles exis-


tent dans la fortification antérieure à i885, présentent deux
vices principaux : i° les forts, points d'appui de la défense,
renferment trop d'artillerie qui, rendue immobile et insuffi-
samment couverte, est assurée d'une destruction certaine
et se trouve dans des conditions inférieures à celles de l'as-
siégeant; il est à peine besoin de rappeler aussi que les abris
de ces mêmes ouvrages ont perdu leur A'aleur prolectrice ;
20 les intervalles qui séparent les forts sont trop grands
pour être efficacement battus par l'artillerie des remparts ;
ils exigent pour leur défense un nombre d'hommes considé-
rable, qui épuise les ressources de la garnison et conduit à
immobiliser trop de inonde dans les places fortes, au détri-
ment des armées en opérations.
On a pu, en outre, au siège de Port-Arthur, se convaincre
de la nécessité d'assurer par le feu de l'infanterie la défense
des intervalles des ouvrages, en permettant aux tireurs de
« viser clairement et distinctement le jour, ou bien la nuit à

(') Dans l'étude qui va suivre il sera fréquemment question de coupoles, ton-
Telles et batteries cuirassées, dont on n'a pas parlé jusqu'à présent, mais ces
termes sont trop familiers aujourd'hui pour qu'il soit nécessaire d'en donner une
définition préalable. L'examen détaillé des dispositifs de ces engins lera l'objet
du chapitre XXXV.
LA FORTIFICATION DEPUIS 1885 461
l'aide de projecteurs » ('). Ce résultat ne peut être atteint
qu'en réduisant à 2 000 mètres environ l'écartement des
ouvrages principaux, et à la condition d'établir entre eux
un ouvrage intermédiaire.
Pour obvier à ces inconvénients, généralement reconnus,
divers systèmes ont été proposés qu'on peut ramener à trois
types principaux :
A) On substitue aux grands forts à larges intervalles une
série de petits ouvrages plus rapprochés, n'exigeant qu'une
faible garnison et capables de battre efficacement le terrain
qui les sépare les uns des autres. Ces ouvrages sont munis
d'artillerie sous coupole ;
B) Les forts actuels, convenablement aménagés, renfor-
cés par de nouveaux ouvrages, construits dans leurs inter-
valles, ne sont plus destinés qu'à battre la zone sur laquelle
ils sont établis et ne reçoivent plus, dès lors, que de l'infan-
terie avec quelques pièces.
La lutte d'artillerie est reportée sur une ligne de batteries
établie dans les intervalles de la ligne des forts cl protégée
par ceux-ci;
G) Enfin, on propose de modifier simplement l'organisa-
tion des forts, pour rendre à leur artillerie la protection
nécessaire, et de leur conserver leur ancienne mission.

Ligne de petits ouvrages à intervalles rap-


A)
prochés. — Le général von Sauer, de l'artillerie bavaroise,
qui, un des premiers, a mis en relief les défauts de la forti-
fication de i885, est l'auteur de ce système, qui consiste à
répartir sur la ligne des anciens forts une série de coupoles
isolées, devant contenir chacune une ou deux pièces, dis-
tantes de 600 mètres, si on les place sur un rang, de 1 000
ou 1 200 mètres, si on les répartit sur deux rangs, en quin-
conce.
Il va sans dire que des défenses accessoires puissantes

(') Voir Revue du Génie) novembre 1907.


462 2e PARTIE •
FORTIFICATION PERMANENTE
relieraient ces coupoles. Avec une pareille organisation, il
n'est plus besoin de garnison dans les secteurs, car on peut
admettre qu'aucun assaillant ne viendra s'aventurer entre
des coupoles armées de mitrailleuses qui couvriront d'une
grêle de projectiles le terrain qu'elles occupent. La garnison
de chaque coupole étant réduite à 20 hommes et le nombre
des ouvrages de ce genre, nécessaire pour obtenir deux
rangs de coupoles, aïrec intervalles de 1 000 mètres, autour
d'une place ayant 60 kilomètres de périmètre, s'élevant à
120, on arrive à ce résultat, quelque peu surprenant, qu'il
suffit de 2 4oo hommes pour occuper une semblable forte-
resse.
Ces coupoles isolées n'offrant à l'artillerie assiégeante
qu'un but de dimension si restreinte qu'il est très difficile
de l'atteindre, on peut espérer les conserver longtemps. Ce
système de fortification semble donc remplir entièrement la
condition nécessaire de protéger la place du bombardement
et de conserver au défenseur un point stratégique important
en y employant peu de monde.
Qui ne voit cependant les défauts de cette organisation,
toute séduisante qu'elle paraisse ! Où trouvera-t-on assez de
chefs expérimentés, pleins de sang-froid et de ténacité pour
commander cette multitude de postes, sans lien entre eux?
Comment assurer l'action commune de tous ces ouvrages,
le réglage du tir de toutes ces pièces, de manière à concen-
trer leurs effets simultanément sur un même but et obtenir
qu'ils se soutiennent réciproquement ? Que deviendra la
place enfin lorsqu'un fragment, de cette ceinture aura été
détruit et livrera passage à l'assiégeant ?
Il faut encore, dans une place de ce genre, une réserve
générale qui puisse porter la lutte sur le front d'attaque et
soit en mesure de gêner l'établissement des batteries enne-
mies qui contrebattront les pièces des coupoles. Si on sup-
prime cet élément indispensable de la défense, l'assiégeant
dirige sur les coupoles un tir de polygone dont le succès m;
se fera pas attendre; on voit donc que l'économie sur l'ef-
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 463
fectif de la garnison est plus apparente que réelle, et il ne
reste plus dès lors que l'accroissement de dépense considé-
rable qu'un pareil système entraîne avec lui.
Toutefois, si une semblable organisation n'est pas de
nature à augmenter la durée de résistance d'une place forte
contre une attaque en règle, telle qu'elle sera décrite à la
troisième partie de cet ouvrage, on doit reconnaître qu'elle
assure convenablement sa sécurité. Elle la met en effet à
l'abri des attaques brusquées et, en particulier, de celles

Fig. ao5. — Lignes du Sereth.

que préconise son inventeur, le général von Sauer, et qui


feront l'objet d'un examen spécial (Voir chap. XLV11).
La conception du général von Sauer a été appliquée par
le major allemand Schumann à l'organisation des lignes du
Sereth, en Roumanie. Celles-ci forment, en avant du cours
d'eau et d'un de ses affluents, trois têtes de pont établies
l'ace à la Russie.
La plus importante de ces têtes de ponts est formée de
batteries échelonnées sur trois lignes concentriques, dis-
tantes de 3oo à 4oo mètres l'une de l'autre (fig. 2o5).
La première ligne comporte 4o batteries C armées chacune
de 5 canons de 37""" T. R. sous coupole transportable ; la
deuxième possède 15 batteries B recevant chacune 6 canons
de 53mm T. R. sous coupole à éclipse; la troisième, enfin,
464 2° PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
est constituée par 6 batteries A, du type dit normal. La
figure 2o5 bis montre l'organisation schématique de ces
batteries normales : au centre, un ensemble M formé d'un
canon de i2cm sous coupole et de i mortiers du même
calibre placés à l'abri du massif bétonné qui reçoit la cou-
pole. Pour protéger cet ensemble M, un parapet TV, de forme
circulaire et à profil triangulaire, établi en avant, reçoit
6 tourelles à éclipse pouf canons de 53mm, alternant avec
des abris blindés. Latéralement, deux parapets en terre P',

Fig. ao5 bis. — Batterie normale.

munis également d'abris blindés, viennent s'appuyer au


noyau M et, aux extrémités du parapet A7/ ils se prolongent
au delà de ce dernier par des emplacements pour sept cou-
poles transportâmes destinées à des canons de 37™'" T. R.
Des défenses accessoires sont installées en avant du pa-
rapet N ainsi que sur le glacis circulaire séparant, le noyau M
du parapet N. En avant de cet ensemble, un parapet, R csl
disposé pour recevoir sept, coupoles transportables pour
canons de 37"™ T. R.
La tête de pont ne comporte pas de noyau central. L'ar-
mement total comprend : 362 coupoles transportables ;
i38 coupoles à éclipse pour 53mm T. R. ; 68 coupoles à
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 465
éclipse pour canons de i2cm et 3o mortiers de 12e1" sur affût
cuirassé qui sera étudié au chapitre XXXV (p. 5iy fig. 22y).

B) Organisation d'une série de points d'appui


avec batteries intermédiaires. — Le principe d'après
lequel sont établis les systèmes de ce genre consiste dans la
séparation marquée entre l'artillerie destinée à entrer en
lutte avec celle de l'assaillant et l'artillerie qui a pour mis-
sion de défendre la zone des forts. Ce principe, énoncé plu-
sieurs fois déjà dans la deuxième partie de ce Manuel, sem-
ble particulièrement juste et capable de produire de bons
résultats.
Il est d'ailleurs conforme à celui qui, sur un champ de
bataille, ou dans une organisation défensive, sépare l'artil-
lerie des positions d'infanterie, pour laisser à chaque arme
la liberté d'action qui lui est nécessaire, tout en la faisant
coopérer au but commun.
Toutefois, il convient d'observer que l'occupation d'une
position fortifiée autour d'une place a non seulement pour
but de protéger celle-ci contre le bombardement, mais encore
et surtout de diriger le feu de ses propres pièces sur un
passage, une voie de communication dont on veut interdire
l'usage à l'ennemi. Il faut donc qu'à tout instant la fortifica-
tion soit en mesure de remplir ce rôle. Pour y arriver, il
faut que les ouvrages points d'appui, qui seuls subsistent
en tout temps, possèdent quelques pièces auxquelles on
assure une protection particulière à l'aide de coupoles. Ces
mêmes pièces sont également destinées à engager la lutte
avec les premiers établissements de l'assaillant et à procu-
rer ainsi au défenseur l'avantage d'être prêt le premier.
Les points d'appui doivent aussi assurer au défenseur la
possession de la zone sur laquelle ils sont établis et lui per-
mettre d'installer dans leurs intervalles une série de batte-
î'ies. Pour obtenir ce résultat, on convient généralement
que l'ouvrage doit renfermer de l'artillerie, car l'infanterie
seule n'a qu'une action peu efficace au delà des petites dis-
MANUKL DE J'OIITIFICATION 30
466 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
tances, et, pour tenir le terrain à l'aide de cette infanterie,
on serait obligé de multiplier le nombre des ouvrages dans
une trop grande proportion.
La protection des pièces chargées de la mission de battre
les intervalles des forts peut être obtenue assez aisément

en les défilant complètement aux vues de l'ennemi. Si les


ouvrages sont distants entre eux de la bonne portée du
canon, soit 2 000 à 3 000 mètres, par exemple, et que cha-
cun d'eux ait des vues efficaces sur les abords des ouvrages
voisins, on pourra obtenir la défense du front de fortifica-
tion qu'ils comprennent, de la même manière que dans le
système bastionné, c'est-à-dire en. assignant à l'un des
ouvrages la mission de battre le terrain en avant de l'autre.

Dès lors, les pièces destinées à ce service n'ont nul besoin


d'avoir des vues sur le front de l'ouvrage où elles sont éta-
blies ; on peut alors les installer sur les flancs ou même
à la gorge de celui-ci, dans une sorte d'orillon ou de ravelin,
et elles se trouvent, ainsi protégées par toute la masse du
fort. On a donné assez fréquemment aux batteries de cette
nature le nom de traditores, parfois aussi on les appelle
caponnières d'arrière et, chez nous, casemates de Bourges.
La figure 206 donne l'idée d'une organisation de ce genre
qui équivaut, en résumé, à n'utiliser que la gorge de l'ou-
vrage pour l'installation de l'artillerie chargée de la défense
de la ligne des forts.
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 46 7
De nombreux systèmes de ce genre ont été proposés :
par le lieutenant-colonel Voorduin, du génie néerlandais,
par le général-major Schoot en Allemagne, par le comman-
dant (aujourd'hui général) Laurent, en France. La concep-
tion en est originale, et l'application de ces divers systèmes
donne d'excellentsrésultats lorsque la disposition du terrain
à fortifier s'y prête, mais c'est là que gît la principale diffi-
culté à vaincre.
L'efficacité de ce système de défense des intervalles des
forts ne saurait plus être mise en doute depuis le siège de
Port-Arthur. Les forts Kikouan-nord et Ehrlong, grâce à
des organes de ce genre, mal organisés cependant, ont
pu, dans la nuit du 23 au 24 août igo4, arrêter l'assaut
des Japonais et infliger à ceux-ci des pertes que le géné-
ral Kondratenko évaluait à 3 000 hommes. Les Japonais
essayèrent de ruiner ces caponnières d'arrière par un feu
prolongé et c'est seulement le 28 décembre qu'ils arrivèrent
à démolir partiellement celle d'Ehrlong : encore ses défen-
seurs réussirent-ils à en dégager les embrasures (').
La sécurité de l'ouvrage contenant à. la fois les pièces
sous coupole destinées à l'action lointaine et des batteries
traditores doit être assurée aussi complètement que possi-
ble, et il y a lieu d'y appliquer les principes énoncés au
chapitre XXI, pages 297 et suivantes, au sujet du profil à
donner aux nouveaux ouvrages.
La ligne des forts ainsi constitués a pour but, comme on
l'a vu, de procurer au défenseur le moyen d'établir dans les
intervalles les batteries destinées à la lutte contre l'assail-
lant. Le général-major Schoot, dans le projet qu'il présente,
voudrait, que cette ligne lût un rempart continu reliant,
entre eux les points d'appui et sur lequel les pièces trouve-
raient place aisément. Cette solution est celle à laquelle se
rallie le colonel russe von Schwarz, défenseur de Port-
Arthur, dont les propositions sont examinées plus loin. On

(l) Voir Revue du Génie, novembre 1907.


468 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
peut, dire dès à présent que, si elle est commode pour le
défenseur, elle a le grave inconvénient d'être difficilement
réalisable. Il est peu de sites sur lesquels on trouverait un
emplacement favorable pour le rempart continu et peu de
pays qui voudraient supporter la dépense qu'entraînerait sa
construction.
On ne peut cependant laisser sans préparation, dès le
temps de paix, la ligne sur laquelle les batteries devront
être établies. Le travail à effectuer pour construire les
ouvrages de toute nature que comporte une semblable orga-
nisation est trop considérable pour qu'on puisse songer à
l'effectuer, en temps utile, surtout dans les places de pre-
mière ligne. Il avait paru possible, au premier abord, de se
borner à développer le réseau ferré de la place de manière
à rendre aussi aisé que possible le transport des pièces et
des matériaux nécessaires aux plates-formes et aux abris
et, par suite, à simplifier le travail de mise en état de
défense. De la sorte, on aurait, construit les batteries com-
plémentaires aux endroits les plus favorables pour contre-
battre celles de l'assiégeant, et l'artillerie de la place aurait,
eu, comme celle de l'attaque, une semblable mobilité.
Poussant plus loin encore ce principe, on avait étudié le
moyen de faire tirer les pièces sur des plates-formes rou-
lantes qu'on aurait déplacées le long d'une voie ferrée
abritée des vues et des coups de l'assiégeant.
L'idée qui préside à la conception d'une semblable orga-
nisation est à coup sûr très séduisante, mais elle ne paraît,
pas répondre entièrement aux véritables besoins d'une place
assiégée. Construire les batteries et leurs abris au moment
où l'attaque a établi les siennes, c'est se mettre par rapport
à elle dans une A'éritable infériorité. Placer les pièces sur
des affûts mobiles ou des plates-formes roulantes, si même
on arrivait à réaliser de pareils engins fonctionnant avec
satisfaction, c'est s'exposer à laisser ruiner son matériel
faute de pouvoir le déplacer si les coups de l'ennemi réus-
sissaient à démolir une partie de la voie ferrée.
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 46 9,
A l'étranger et principalement en Allemagne, ainsi qu'on
peut le voir dans l'étude qui sera faite des places de Metz
et de Strasbourg, on s'est franchement décidé à multiplier
dès le temps de paix les batteries cuirassées, les abris pour
les hommes et les munitions, les ouvrages d'infanterie des-
tinés à les soutenir, les observatoires permettant de régler
le tir. On ne peut méconnaître qu'une place ainsi organisée
offre de grosses difficultés à ceux qui en étudient l'attaque
et il semble que ce soit là le véritable moyen de donner aux
places nouvelles la force et la valeur dont elles ont besoin-
pour être en état de résister, à tout instant, à une attaque
puissante.
Il va de soi, d'ailleurs, qu'une organisation de cette nature
n'est nullement exclusive de l'emploi de batteries du mo-
ment, établies hors des vues de l'ennemi et armées à l'aide
des pièces de la réserve de la place ou de celles retirées des
secteurs non attaqués. L'établissement de batteries de cette
nature exige la présence de voies ferrées périphériques dès-
servant l'intérieur de la ligne principale de défense et reliées
aux magasins de la place.
C) Points d'appui contenant de l'artillerie. — Le
général Brialmont est le principal défenseur du troisième
système d'organisation de la ligne des forts dont on a parlé ;
il veut procurer à toute l'artillerie de la défense la protec-
tion que donnent les coupoles et, pour cela, il la réunit
dans les forts qui, bien qu'organisés sur des bases diffé-
rentes de celles des anciens ouvrages, conservent néan-
moins la mission qu'avaient ces derniers.
Il est inutile de revenir une fois de plus sur les inconvé-
nients que présente l'accumulation des pièces de la défense
dans un même ouvrage ; il suffira d'indiquer comment l'é-
minent général assure aux pièces placées dans les points
d'appui la protection qui leur est indispensable.
Ces pièces, sous coupole, sont réunies dans un massif
central entièrement -en béton, qu'entourent les crêtes du
4?° 2e PARTIE • FORTIFICATION PERMANENTE
fort, disposées pour l'infanterie, et quelques canons à tir
rapide. Le massif central contient également les locaux et
abris indispensables à la garnison et au service des pièces.
Les conceptions du général Brialmont ont été appliquées
par lui aux fortifications de Bucarest (1889) et à celles de
Liège et de Namur (1891).
Les ouvrages de Bucarest sont de trois types : grand
fort à caponnières et ailerons bétonnés ; petit fort à coffre
de contrescarpe ; enfin, batteries intermédiaires, cuirassées,
comme les forts, mais à profil triangulaire.
La place comporte 18 forts grands ou petits et un nombre
égal de batteries intermédiaires, qui au total possèdent :

43 tourelles pour 86 canons de i5cm ;
74 tourelles pour 74 mortiers de 21cm ;
18 tourelles pour 18 obusiers de 12e" ; 1

Un grand nombre de tourelles pour canons de 57mm à tir


rapide ;
.
54 observatoires cuirassés.
L'armement total atteint 1070 pièces de tout calibre.
On donnera, à titre d'exemple, le plan d'un des ouvrages
en question, dont le tracé affecte la forme triangulaire
(fig. 207, p. 470 bis).
Cette forme est avantageuse à plusieurs points de vue:
elle occupe peu de place, s'adapte aisément au terrain et
exige un nombre de caponnières minimum.
L'ouvrage renferme 12 coupoles, savoir :
Une (s), au centre, pour 2 canons de 12e" ; 1

Quatre (t) contenant chacune 1 canon de i5cm ;


Trois (s) pour obusiers de 21cm ;
Quatre (q) contenant 1 ou 2 canons de 57m,n, à tir rapide.
La figure 208 (p. 471) donne une idée de l'organisation
du massif central (').

(') La plupart des figures de ce chapitre sont empruntées à la Revue du


Génie, et notamment, à un excellent article de M. le capitaine Bertrand, publié
d'ans la 6e, livraison, année 1888.
Fig. 207. — Fort triangulaire, sans réduit. Plan (1/2,200).
Les cotes sont les suivantes : Plate-forme du massif central (i5,oo). — Crète inférieure (14,00). — Crête extérieure (i3,oo).
Fond du fossé (4.oo). — Crète du glacis ia,5o).
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 471
Le général Brialmont a proposé de nombreux types de
forts dont quelques-uns contiennent une plus grande quan-
tité d'artillerie et même un réduit.
Enfin, il convient de remarquer que la ligne des forts
doit être complétée par des batteries intermédiaires renfer-
mant de l'artillerie sous coupole.
Il est difficile de se prononcer sur la valeur d'un système
de fortification qui n'a pas subi la sanction de l'expérience,
quelque autorité qui puisse s'attacher au nom de son auteur.
Il s'agit en particulier de savoir : si les constructions pro-
posées sont bien en état de résister à la lutte d'artillerie pro-
longée; si le service de la garnison serait possible dans un

Fig. 208. — Coupe du massif central d'un fort..


T, grande coupole tournante ; ï", petite coupole à éclipse pour canon à tir rapide ;
O, observatoire; G, galerie intérieure; P, pont roulant; E, issue avec clôture en
fer conduisant sur la plate-forme du massif.

semblable ouvrage, si enfin les dépenses qu'entraînera son


établissement ne dépassent pas la limite des sacrifices qu'une
nation peut et, doit s'imposer.
Il reste en outre, dans ce système de fortification, un
point inquiétant : c'est la défense des intervalles entre les
ouvrages. On a vu dans les pages précédentes de ce chapitre
quel soin est apporté à l'étranger aux dispositions destinées
adonner à la ligne principale de défense une sorte de conti-
nuité. Le motif qui a conduit les ingénieurs chargés de ces
travaux à porter leur attention avec un soin aussi minutieux
sur cette question paraît être la crainte qu'ils ont éprouvée
de voir un adversaire audacieux diriger contre la place une
472 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
attaque brusquée. Ce danger est, en effet, très réel lorsque
l'organisation de la place laisse subsister de larges inter-
valles battus simplement par les feux des forts voisins. Il
est juste de reconnaître que l'artillerie sous coupole des
forts de Brialmont échappe entièrement aux effets des
shrapnels qui, au contraire, sont très puissants contre des
pièces à ciel ouvert. Mais peut-on répondre que des coupoles
ou autres engins mécaniques ne subiront jamais un temps
d'arrêt ? que des défenseurs se sentant bien abrités dans un
ouvrage aussi puissant auront toujours la vigilance indis-
pensable ? Ce sont là des problèmes que la pratique de la
guerre pourra seule résoudre, mais, en attendant que cette
solution se soit produite, il paraît plus prudent de parer, si
on le peut, au danger qu'on vient de signaler.

Les divers systèmes examinés ci-dessus, quelque bien


agencées que soient leurs dispositions, ont un commun
défaut : celui de n'avoir pas reçu la sanction de l'expérience ;
pour ce motif, un doute subsiste sur leur efficacité.
A défaut de système de fortification ayant subi cette
épreuve, il est intéressant de connaître les idées d'un ingé-
nieur militaire ayant pris part à la défense de Port-Arthur.
Le colonel von Schwarz, du génie russe, a exposé, dans
un mémoire couronné par l'académie du génie Nicolas et
dont la Revue du Génie (octobre 1907-février 1908) a donné
l'analyse détaillée, des propositions qui méritent de fixer
l'attention, en raison de l'expérience de guerre que son
auteur a acquise.
Frappé des résultats obtenus par les défenseurs du secteur
Nord-Est de la place, derrière les ouvrages duquel existait
un ancien mur chinois formant parapet continu, l'auteur
estime que sur toute l'étendue des secteurs d'attaque la
position principale de défense doit comporter un sembable
retranchement continu, précédé d'un bon obstacle (fossé
de 8 m sur 8), et muni d'abris. Les forts, placés à une
centaine de mètres en avant' de cette enceinte, dont ils
LA FORTIFICATION DEPUIS 1.885 4?3
couvrent les passages, en deviennent en quelque sorte les
bastions ; ils sont distants de 2 100 jnètres; entre eux existe
un ouvrage intermédiaire pourvu de caponnières d'arrière
(ou batteries traditores) chargées de battre les intervalles
par le canon. Les forts eux-mêmes reçoivent uniquement
des tireurs d'infanterie (4oo hommes par ouvrage) et des
coupoles pour canon à tir rapide de 57"™,. La crête de la
face antérieure de l'ouvrage est doublée, en arrière-, par
celle d'un parados : on y trouve l'avantage de former écran
derrière cette première crête et de donner au défenseur une
seconde ligne de feux dont l'utilité a été reconnue lors des
assauts livrés aux forts de Port-Arthur.. C'est, en somme, uiv

Fig. 20g. —' Organisation de la position principale de défense,


d'après les idées du colonel von Schwarz.
F, F, forts ; 0, ouvrage intermédiaire.
Retranchement continu en arrière. — B, 13, batteries ; C, C, casernes bétonnées ;
M, M, magasins à poudre et à munitions.

retranchement intérieur analogue à ceux qu'on établissait


dans l'ancienne fortification bastionnée (Voir chap. XXIII
p. 345). Les défenseurs des flancs, qui sont nécessairement
plus exposés que ceux de la face, sont installés dans une
galerie en béton de ciment, et, couverts, en tête, à l'aide de
boucliers d'acier chromé ; ils tirent au travers d'une visière.
On leur assure ainsi une protection presque absolue contre
les balles des shrapnels.
Le retranchement, continu est destiné à recevoir des
tireurs et des canons à tir rapide au moment d'un assaut. Il
est, à cet effet, pourvu d'abris pour les uns et les autres, •
474 2° PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
En arrière du retranchement, se trouve une ligne de ca-
sernes bétonnées, de la contenance d'une compagnie, à
raison de deux par intervalle entre les forts (fîg. 20g).
En arrière de ces casernes, sont réparties, dans des posi-
tions défilées, les batteries pour canons à longue portée et
obusiers, chacune pour deux à quatre pièces, groupées par
trois ou quatre sous le commandement d'un chef installé
dans un observatoire blindé et relié avec chacune d'elles
par des communications téléphoniques souterraines.
En arrière de chaque groupe de batteries (à 3oo ou 4oo m)
un magasin, avec une réserve de cinq jours, est relié aux
batteries et nécessairement avec la place par des voies
ferrées.
La situation défilée des batteries, la multiplicité des

emplacements permettent à l'artillerie de la défense d'é-
chapper aux effets de destruction foudroyante qui ont été
réalisés sur l'armement des forts de Port-Arthur. Une
seconde ligne de défense peut être établie en arrière de
celle-ci, à 2 ou 3 km, avec forts plus espacés.
Le noyau central ne comporte aucune fortification.
Dans l'ensemble des propositions qu'on vient de résumer
on trouvera sans doute plus d'une idée formulée antérieu-
rement, réalisée même dans certains pays, et l'auteur du
mémoire n'en revendique pas la paternité. Elles sont inté-
ressantes à retenir cependant comme conclusions d'un ingé-
nieur qui vient d'acquérir l'expérience des faits de guerre.
On fera remarquer que le détail de certaines dispositions
aurait besoin d'une mise au point ; les forts du colonel von
Schwarz sont très profonds, donc très vulnérables ; la gale-
rie bétonnée des flancs coûterait fort cher sans rendre plus
de services que quelques tourelles pour mitrailleuses, beau-
coup plus économiques. La disposition caractéristique de
ces fortifications, c'est la continuité du rempart de la posi-
tion principale de défense que le général-major Schott avait
déjà préconisée.
L'expérience du siège de Port-Arthur, si elle est exacte-
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 4?5
ment interprétée, a prouvé aux défenseurs de la place le
sérieux avantage de la continuité du retranchement ; ce
point n'est donc pas à discuter si on n'envisage que la
valeur défensive de la place. Mais, en admettant qu'une
grande forteresse ait reçu une garnison solide et bien pour-
vue, celle-ci ne serait-elle pas considérablement gênée
dans ses opérations extérieures par la présence du rempart
continu ? Denlèrt à Belfort eût-il souhaité pareil obstacle à
franchir? Il est permis d'en douter et, tout en rendant
hommage aux défenseurs de Port-Arthur, de constater que
leur résistance héroïque a cependant été passive. Si elle ne
pouvait être différente, en raison des circonstances particu-
lières où se trouvait la garnison, on peut, souhaiter en
réaliser de meilleures,' qui permettront aux défenseurs de
renouveler les hauts faits de Meunier à Mayen ce, de Todle-
ben à Sébastopol et de Denfert à Belfort. Pour des opéra-
tions de cette nature l'existence du rempart continu serait
une gêne.
Enfin, pour .toucher un autre côté de la question, il est
peu probable qu'un État entreprenne des travaux aussi
coûteux autour de ses principales forteresses.
Des diverses solutions ci-dessus exposées, celle qui a eu le
plus de faveur chez nous et chez les grandes puissances qui
étaient déjà pourvues d'un système de défense avant i885,
est la seconde : dispersion de l'artillerie hors des forts,
ceux-ci devenant des organes de défense rapprochée ;
emploi modéré des cuirassements (individuels en France,
groupés par batterie en Allemagne).
Les Allemands cependant ont inauguré autour de Metz
une conception différente dans les nouvelles positions avan-
cées organisées à grande distance de la place.
Les éléments de la ligne des positions avancées sont
séparés par de larges intervalles allant jusqu'à 7 kilomètres,
tandis que sur l'ancienne position de défense, constamment
améliorée, les forts, batteries, abris bétonnés laissent à
peine entre eux des intervalles.
476 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Les éléments dont il s'agit sont de véritables petites for-
teresses ; les Allemands les appellent non pas Forts mais
Festen. Leur superficie atteint de 20 à 3o hectares, soit
celle d'une ancienne place (Toul, intra muros, a 5o hectares) ;
on peut ainsi disperser les organes et séparer, jusqu'à un
certain point, ceux de la lutte lointaine de ceux de la
défense rapprochée.
Le dessin de la figure 210, purement, schématique et ne
correspondant à aucun ouvrage existant, donnera une idée
générale de cette organisation.
Pour la défense rapprochée, la Feste possède un fort (F),
solide ouvrage d'infanterie, bétonné, doté de mitrailleuses
ou canons de -petit calibre sous tourelles, d'une caserne à
l'épreuve, d'un fossé flanqué par des coffres de contrescarpe.
Ce fort est à la fois le réduit et le principal organe de la
défense rapprochée ; celle-ci est assurée en outre par un
retranchement continu à profil triangulaire qui forme cein-
ture ; ce retranchement, préparé pour l'infanterie, abriterait
peut-être, le moment venu, des mitrailleuses, ou des. canons
sous tourelles traiisportables. A proximité sont de nombreux
abris de combat bétonnés pour les défenseurs (A). On voit
donc reparaître ici comme organe de défense rapprochée le
retranchement continu, analogue à celui que réclame von
Schwarz.
Les éléments de la lutte éloignée sont des batteries cui-
rassées (B) construites à l'intérieur de cette enceinte, les
unes à vues directes, les autres défilées.
Chaque élément, fort, ou batterie, est entouré d'un réseau
de fils de fer et ces réseaux partiels sont reliés entre eux de
façon à entourer la Feste d'un obstacle continu.
L'organe principal peut être complété par des retranche-
ments avancés (G), destinés à mieux battre certaines parties
des abords. Ces ouvrages, entourés d'un réseau continu et
dotés d'un abri bétonné, tirent protection de la Feste placée
en arrière, comme les ouvrages avancés des anciennes
enceintes.
Fig. 210. — Type de Feste.
/178 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
En somme, les Feste apparaissent comme l'adaptation
moderne de très anciens principes de fortification ; elles
réalisent ce que beaucoup d'ingénieurs préconisaient comme
place idéale : la forteresse sans population civile.
Il est permis de penser qu'à elles seules, les Feste séparées
par de larges intervalles seraient insuffisantes pour consti-
tuer une ligne de défense; elles doivent leur sécurité à la
présence de la place forte située en arrière, dont la position
principale de défense devient en quelque sorte l'enceinte
de leur noyau central.
Pour terminer cet exposé des principales solutions du
problème de la fortification, on ajoutera que la France,
ainsi que la plupart des grandes puissances militaires, se
sont accordées pour donner la préférence à la séparation
des organes de défense rapprochée (forts et ouvrages inter-
médiaires) et des batteries destinées à l'action lointaine,
avec emploi modéré des cuirassements.
Les autres solutions ont été adoptées, au contraire, par
les petits Etats qui cherchent peut-être à compenser la fai-
blesse de leurs effectifs par la prodigalité du béton et des
cuirassements.
11 semblerait logique de conclure à la supériorité de ces
dernières solutions, puisqu'elles paraissent convenir à ceux
auxquels la fortification est le plus nécessaire, mais il faut
tenir compte des considérations d'ordre politique ou finan-
cier, étrangères aux choses militaires, qui peuvent décider
les Etats secondaires à recourir à l'industrie de telle ou
telle grande puissance.
On persiste donc à croire à la supériorité militaire de la
solution qui a prévalu chez nous : le chapitre suivant est
consacré à son étude.
CHAPITRE XXXIV

LA FORTIFICATION DEPUIS 1885

Système adopté par les grandes puissances


Ainsi qu'on vient de l'indiquer au chapitre précédent, la
plupart des grandes puissances ont, adopté la solution consis-
tant à disperser l'artillerie hors des ouvrages et à organiser
ceux-ci de manière à constituer une solide position de
défense pour l'infanterie et les pièces de petit calibre à tir
rapide.
Dans l'examen de cette solution on procédera comme il
suit : Exposé du principe. Etude de l'organisation de la
ligne principale de défense. Forts, ouvrages intermédiaires,
intervalles. Organisation des positions extérieures et des
secondes lignes.

Dispersion de l'artillerie et des munitions

Il ne doit plus en principe entrer de pièces de gros cali-


bre dans les forts, sauf toutefois dans les deux cas suivants :
i° Si la fortification doit maîtriser par le canon un point
important, par exemple un défilé ou un noeud de communi-
cations, il importe de le faire par des pièces de gros calibre
sous tourelle, mises à l'abri par leur installation dans un
fort;
2° Au début des opérations d'un siège, pour gêner l'ins-
tallation de l'ennemi à grande distance, quelques pièces de
48o 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

gros calibre profiteront de la sécurité que l'obstacle du fort,


leur assure, contre la surprise et, l'insulte, pour se placer à
l'intérieur de l'ouvrage. Elles l'abandonneront dès que l'ad-
versaire aura installé son artillerie et viendront se mettre
en batterie dans les intervalles.
Cette utilisation de l'artillerie n'est possible que si les
forts ont des vues étendues : c'est le cas de la plupart, des
forts antérieurs à i885.

L'artillerie étant dispersée, l'accumulation des munitions


dans les ouvrages présenterait de sérieux inconvénients. Le
transport de ces munitions serait long et dangereux. Leur
présence dans un fort soumis à un feu violent est un danger
pour elles et pour lui.
Il est évident que les munitions, comme les canons, peu-
vent trouver la protection dans la dispersion en arrière de
la ligne de combat.

Organisation de la ligne principale de défense


L'obligation de mettre à l'abri des insultes de l'ennemi
l'artillerie et les munitions dispersées dans les intervalles
conduit à organiser ces derniers en vue de la défense par
l'infanterie, en sorte que la ligne principale de défense
« comprend, à proprement parler, une position d'artillerie
de place et une ligne de couverture de cette artillerie ».
Les forts et les ouvrages intermédiaires sont les points
d'appui principaux de cette position de combat de l'infan-
terie. Ils en forment l'ossature. Les intervalles ne peuvent
être forcés tant que les forts n'ont pas succombé et, ceux-ci
ne peuvent être pris qu'après une très longue lutte.

Forts. — Le fort détaché est donc un point d'appui


d'infanterie particulièrement solide auquel on demande en
outre de flanquer les intervalles par le canon; il n'est pas
LA FORTIFICATION DEPUIS 1885 481
fait pour la lutte éloignée. On peut le caractériser comme il
suit :
Ses locaux, à l'épreuve des obus à mélinite, sont construits
en béton de ciment ou en béton armé.
Il est entouré d'un obstacle battu généralement par les
canons des coffres de contrescarpe.
Son faible relief le rend difficile à repérer par les batteries
ennemies.
,
Ses dimensions sont restreintes, comparées.à celles des
forts de la période précédente, qui contenaient toute l'artil-
lerie et toutes les munitions. Cependant, il est coûteux en
raison du prix élevé du béton de ciment.
Il a une faible garnison, puisqu'on ne demande à celle-ci
aucune action extérieure.

Profil et tracé. — L'étude, complète du profil et du


tracé en ayant été faite dans les chapitres XVI et XXI, on se
bornera à en rappeler ici les dispositions essentielles.
L'épaisseur des parapets en terre a été portée à 10 ou i5
mètres; on peut la réduire par l'emploi d'une masse de
béton. Cette solution a toutefois l'inconvénient d'exposer le
personnel à des éclats dangereux. ' -.
Il n'y a plus qu'une seule banquette placée à im3o sous
la crête, mais elle est suffisamment large, au moins par
endroits, pour donner place au besoin au canon léger. Il
faut prévoir des dispositifs de protection pour les tireurs.
Le terre-plein est souvent constiluépar le terrain naturel,
raccordé à la banquette par des dispositions permettant d'y
accéder aisément.
L'obstacle est, le plus souvent, constitué par une contres-
carpe bétonnée et une escarpe à terre coulante que renforce
une grille. Ce n'est qu'en terrain de roc que l'escarpe atta-
chée est conservée.
On a signalé, d'ailleurs, au chapitre XXI, page 3og, que
'expérience du siège de Port-Arthur semblerait conduire
vers un retour aux escarpes attachées en béton. .'..
MANUEL DE FORTIFICATION 31
482 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
Pour augmenter la valeur de l'obstacle, on fait usage de
réseaux de fil de fer très solides, disposés dans le fond du
fossé et sur le glacis, où on les protège par une avant-con-
trescarpe qui les masque aux vues ainsi qu'aux coups de
l'adversaire.
Le tracé polygonal est la règle, le tracé bastionné n'étant
employé que pour les fronts de gorge des ouvrages ou dans
des circonstances toutes spéciales.
Le coffre de contrescarpe bétonné est le mode normal de
flanquement des fossés; la caponnière bétonnée ou cuirassée
est l'exception.
Dans les ouvrages secondaires, on a souvent adopté le
profil triangulaire, afin de faire l'économie des organes de
flanquement.

On va maintenant passer en revue les abris de la garni-


son, le flanquement des intervalles et la défense propre de
l'ouvrage.

Abris de la garnison. — L'infanterie, tant qu'elle


n'est pas appelée derrière le parapet pour repousser une
attaque rapprochée de l'ennemi, est mise à l'abri :
i° Sous des abris de combat établis à proximité du para-
pet et destinés aux hommes de garde;
2° Sous des abris-logements ou abris passifs, plus éloi-
gnés du parapet, et où se trouvent des lits pour une partie
de la garnison.
Les abris de combat (fig. 211) sont généralement consti-
tués par un parapet durci, creux, dont la galerie commu-
nique de distance en distance avec la banquette par des
escaliers, ou bien encore par. une traverse, bétonnée et,
creuse, mais ne faisant pas saillie au-dessus de la crête de
feu. Ces abris sont munis de bancs.
Dans la première solution, le massif de béton de l'abri
constitue en même temps un parapet impossible à déraser
comme s'il était en terre ; en outre, la galerie sert de coin-
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 483
munication sûre entre les divers points de la crête de feu
et les nombreux organes : tourelles, observatoires qui sont
installés dans son voisinage.
Les ouvertures des abris sont toujours coudées afin de
briser le souffle des projectiles qui viendraient à éclater à
proximité, disposition dont le siège de Port-Arthur a consa-
cré l'efficacité et la nécessité.
Les abris passifs consistent en une caserne installée le
plus souvent à la gorge et dont la façade en béton constitue
l'escarpe. Elle est protégée en avant par un épais massif de
terre. Elle se compose de casemates accolées, ayant souvent

Fig. 211. •—
Abris de combat, sous parapet.

5 mètres de portée, et communiquant toutes avec un cou-


loir de circulation et d'assainissement.
Le mur de fond est en béton de 2m5o d'épaisseur, la
voûte est en béton de même épaisseur ou en béton armé.
Les pieds-droits intermédiaires, bien protégés, sont eu
maçonnerie ordinaire.
Les détails de l'organisation intérieure sont très variables.
Ce casernement ne comporte généralement qu'un rez-de-
chaussée. Cependant, lorsque le fossé de gorge peut être
approfondi suffisamment sans trop de frais, la caserne peut
recevoir un étage.
Dans le cas d'ouvrages isolés exposés de tous côtés au
tir de l'ennemi, il faut construire des locaux complètement
484 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
souterrains et se résoudre à les ventiler et éclairer artificiel-
lement.
La caserne de gorge peut présenter la forme d'une
caponnière ou la forme pseudo-bastionnée, dans le but de
flanquer le fossé de gorge.
Les ouvertures sont de dimensions restreintes et assez
élevées au-dessus du sol pour être moins exposées aux
éclats et au souffle des projectiles. Pour parer à ce même
danger, on peut créer un couloir le long de la façade et n'y
percer des ouvertures qu'en face des murs de séparation
des chambres. En cas de siège, ces ouvertures pourront être
blindées à l'aide de rails.
Alors que, dans les anciens ouvrages, le casernement
pouvait recevoir la garnison entière, on ne lui donne plus,
en raison du prix très élevé des abris, qu'une contenance
égale aux deux tiers ou même au tiers de la garnison.
Les hommes sont couchés sur des lits de camp continus
à un ou deux étages ; ils n'ont pas de place attitrée ; le
cube d'air est très restreint; les ouvertures, étroites et blin-
dées, étant insuffisantes pour l'aération, celle-ci doit être
assurée par des ventilateurs à bras disposés dans les cou-
loirs.
Ces diverses dispositions des logements, réalisées déjà en
France et chez les grandes puissances européennes depuis
quelques années, faisaient totalement défaut aux ouvrages
de Port-Arthur. Aussi les défenseurs de la place en ont-ils
vivement ressenti la nécessité comme encore celle de com-
munications sûres et bien défilées entre la caserne et les
«abris de combat.

Flanquement des intervalles. — Les intervalles,


on l'a vu, doivent être flanqués par des pièces placées dans
les forts et les ouvrages intermédiaires. On emploie des
canons de campagne ou d'un calibre légèrement supérieur,
et on leur donne une protection permanente, car ils doivent
pouvoir agir à un moment quelconque de la lutte.
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 485
Cette protection peut être obtenue par plusieurs moyens :
i° Pièces à ciel ouvert. — On prépare des emplacements
pour ces pièces à l'extrémité des flancs voisins de la gorge ;
à cet effet la crête est abaissée et on établit une traverse du
côté dangereux de manière à assurer la protection des

Fig. 212. — Casemate de flanquement.

pièces. Celte traverse en béton contient un abri pour le


personnel, les munitions et même pour la pièce, qui n'est
mise en batterie qu'au moment du besoin.
Celle solution coûteuse n'assure aux pièces de flanque-
ment qu'une protection insuffisante pendant le tir: c'est son
principal inconvénient.
486 2e PARTIE —- FORTIFICATION PERMANENTE

2° Casemates de flanquement. — C'est la solution déjà


exposée au chapitre XXXIII, page 466. La disposition que
représente la figure 212 peut être adoptée. Le plus souvent,
les casemates, contenant chacune un canon, sont accolées
par deux sur les flancs de l'ouvrage.
Les embrasures, que leur direction met à l'abri des coups
directs, sont protégées par un mur d'aile en béton et le
retrait de la deuxième casemate par rapport à la première.
Leur champ de tir est limité; elles ne voient généralement
que jusqu'à 5oo mètres en avant des forts. Cette condition,
indispensable à leur sécurité, est aussi leur plus sérieux
inconvénient. L'ennemi attaquant un intervalle ne tombera
sous leur feu que lorsqu'il sera près d'arriver sur la ligne
des forts.

3° Pièces sous tourelle. — Le flanquement peut être


assuré par des canons sous tourelle.
Cette solution est plus coûteuse, mais des canons ainsi
protégés peuvent intervenir dans la lutte éloignée comme
dans la défense propre de l'ouvrage etbattre les deux inter-
valles adjacents. Leur champ de tir est illimité, si la tourelle
est isolée.
Mais en raison même de la multiplicité des rôles que ces
pièces sont en état de remplir, on peut craindre que, le
moment venu, le flanquement, des intervalles ne soit négligé
pour une autre mission, par exemple pour battre les glacis
de l'ouvrage, quoique les canons ne soient pas destinés à
cet, emploi.
Le personnel d'une casemate de flanquement, constam-
ment tenu à l'affût et préoccupé de battre l'intervalle dès
que l'ennemi s'y montre, doit échapper, s'il est vigilant, à
l'inconvénient ci-dessus.

Défense propre des forts. — On entend par défense


propre du fort la riposte de ce dernier à des assaillants
marchant à l'assaut. On n'envisage, ici, ni le flanquement
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 487
des fossés, déjà étudié, ni la lutte à soutenir contre un
ennemi qui attaquerait le fort par la mine.
La défense rapprochée peut être assurée par le fusil, la
mitrailleuse ou le canon à tir rapide, ou mieux par la colla-
boration de ces trois armes.
L'emploi du fusil est excellent tant que le moral du tireur
n'est pas atteint; il est toujours possible. Pendant le bom-
bardement, le tir à mitraille de l'attaque oblige le tireur de
la défense à rester dans ses abris de combat; mais, dès que
l'assaillant allonge son tir d'artillerie pour ne pas atteindre
sa propre infanterie, ce tireur, sortant de ses abris, court à

Fig. 213. — Bouclier transporlable.

son poste de combat, et, quel que soit le bouleversement du


parapet, peut s'y installer, s'y abriter et faire le coup de feu.
La nécessité d'abriter le tireur contre les effets des shrap-
nels est deArenue presque impérieuse aujourd'hui et c'est un
des points sur lesquels insiste avec le plus d'énergie le colo-
nel russe von Schwarz dans le travail dont il a été question
au chapitre précédent. Il propose de l'obtenir, d'une part,
à l'aide des boucliers métalliques, d'autre part, en plaçant
le tireur dans une galerie de fusillade.
La première solution a déjà été réalisée et la figure 2i3
donne le dispositif d'un bouclier transportable, du poids de
25 kilos, formé d'une plaque de tôle d'acier de 8 millimè-
tres, supportée par des arcs-boutants et percée de créneaux.
488 2e PARTIE —^- FORTIFICATION PERMANENTE
La figure 214, empruntée à l'ouvrage du major italien Bor-
gatti, représente un type de bouclier fixe, à rabattement,

Fig. 214. •—
Bouclier fixe à rabattement..

qui peut garantir le tireur à la fois dans la position d'attente


et dans celle de tir.
La galerie de fusillade proposée par le colonel von
Schwarz est représentée par la figure 215, empruntée à la

Fig. 210. — Galerie de fusillade blindée.

Revue du Génie; elle comporte deux murs en béton dont


l'un n'a pas moins de 2m 75 d'épaisseur et que renforcent des
contreforts, de distance en dislance; l'espace qui les sépare
est couvert par une plaque en acier chromé appuyée sur
ces murs et laissant une visière pour le tir. On a fait observer
LA FORTIFICATION; DEPUIS 1885 48y
déjà que cette galerie serait sans doute efficace, mais que
son prix.de revient atteindrait un chiffre élevé:; qu'en outre
elle n'est indispensable que sur les flancs et qu'on peut la
remplacer par des mitrailleuses sous coupole.
La mitrailleuse permet de donner un feu très dense en
exposant fort peu de monde. Son tir équivaut, au point de
vue du nombre de balles envoyées, à celui d'une section
d'infanterie et il est moins influencé que celui du fusil par
l'état moral des tireurs; cet engin constitue une véritable
infanterie mécanique, mais ne peut remplacer complète-
ment le fantassin, parce que, si l'assaillant n'est pas arrêté
par le l'eu, il faut pouvoir recourir à la baïonnette.
Les mitrailleuses tirent sous tourelle ou à ciel ouvert ;
dans ce dernier cas, elles sont remisées sous un abri à
l'épreuve et transportées rapidement, au moment dû be-
soin, à leur poste de combat.
La première solution est meilleure, surtout si un dispo-
sitif de la tourelle permet de battre automatiquement tous
les abords par un feu rasant passant à i mètre au-dessus du
sol. On peut ainsi, même de nuit ou par le brouillard, être
assuré d'un tir efficace.
Les mitrailleuses, ne pouvant tirer plus de quelques
minutes sans arrêt, par suite de réchauffement, sont tou-
jours accolées par deux.
Le canon à tir rapide peut servir à la défense rapprochée
du fort, ; afin d'assurer son entrée en action au moment
voulu, on le place sous tourelle, et afin que celle-ci puisse
être manoeuvrée à la main dans toutes les directions par le
pointeur, on emploie des pièces de petit calibre (de 37mm
à 75mm).

Organes de surveillance. — La surveillance des


abords pendant le bombardementest assurée par des obser-
vatoires cuirassés (fig. 216), à l'épreuve des obus, et des
guérites blindées (fiq. 217), à l'épreuve seulement de la
balle.
4gO 2e PARTIE— FORTIFICATION PERMANENTE
Les observatoires émergent d'un massif de béton; on y
accède par une échelle. Ils sont généralement, constitués

Fig. 216. — Observatoire cuirassé.

par une calotte métallique fixe, portant une fenêtre qui peut
être fermée par un volet en tôle.
Les guérites sont disposées sur la banquette, abritées
par le parapet en béton.

Fig. 217. — Guérite blindée.

La nuit, la surveillance n'est effective que si les abords


sont éclairés. La solution consiste à installer des projecteurs
sous tourelle à éclipse. L'emploi de ces engins à Port-
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 491
Arthur a montré tous les avantages qu'on en peut tirer : il
y a lieu de supposer qu'il prendra dans l'avenir une plus
grande extension.

Ouvrages intermédiaires.'— Un bon flanquement


des intervalles est un des éléments de la sécurité de la nom-
breuse artillerie qui y est installée.
La distance des forts détachés antérieurs à i885, qui
.
atteignait souvent 6 kilomètres, a dû être réduite en inter-
calant entre eux des ouvrages permanents auxquels on a
déjà donné le nom d'ouvrages intermédiaires.
Comme les forts, ce sont des points d'appui qui ont en
outre un rôle de flanquement des intervalles. On les a
cependant traités plus simplement, par économie, et aussi
parce que les anciens forts, édifiés aux points les plus
importants de la ligne de défense, avaient.reçu, en raison
de cette situation, une ampleur que les nouveaux ouvrages
ne comportaient pas au même litre. Dans une place à créer
de toutes pièces, certains des ouvrages comporteraient une
organisation plus solide que les autres : ceux, par exemple,
qui, placés à un saillant de la ligne, seraient plus'exposés
aux attaques de l'ennemi ; toutefois, la différence entre eux
serait moins marquée que dans les places remaniées, où les
forts et les ouvrages intermédiaires sont d'époques diffé-
rentes.
L'ouvrage intermédiaire diffère généralement du fort par
les dispositions suivantes :
Il peut être à profil triangulaire avec contrescarpemaçon-
née ou bétonnée, grille et réseau de fils de fer au pied de la
plongée. On a exposé au chapitre XXI, page 3i4 les avan-
tages et les inconvénients de ce profil. L'ouvrage est moins
étendu, moins bien doté en fusils, mitrailleuses et canons
sous tourelles pour la défense propre. La garnison étant
moins nombreuse, la caserne et les magasins sont réduits
en conséquence. Les organes de flanquement des intervalles
ont seuls la même importance.
4g 2 2e PARTIE —- FORTIFICATION PERMANENTE

Emplacement des forts et ouvrages intermédiaires


Dans la fortification antérieure à i885, les forts avaient
pour mission de battre, du plus loin possible, certaines
directions dangereuses : on recherchait donc pour leur em-
placement un site élevé, aux vues étendues. Ils étaient, par
ce fait même, exposés de loin au feu de l'assiégeant.
On ne demande plus aujourd'hui aux forts et aux ouvrages
intermédiaires que d'assurer au défenseur la possession
incontestée de la première ligne de défense : dans ces condi-
tions, il suffit que leurs vues s'étendent en avant et sur les
flancs à la limite de bonne portée idu fusil. On peut se
contenter ainsi de positions moins dominantes et, par suite,
moins exposées de loin.
Par contre, plus qu'autrefois,,on compte sur ces ouvrages
pour battre efficacement et puissamment, par la fusillade,
les intervalles qui les séparent des uns des autres, et ceci a
conduit à réduire dans une très forte proportion leur écar-
tement. On doit considérer 3 ooo mètres comme une limite
extrême à ne jamais dépasser; en se tenant à i 5oo mètres,
on assure au feu de-l'infanterie toute son efficacité.

Organisation des intervalles. — Cette organisation


comporte l'installation de nombreuses batteries et des or-
ganes nécessaires à leur ravitaillement, ainsi que la création
.
d'une position d'infanterie en avant des batteries et des
abris nécessaires à cette arme en arrière de la position.

Position d'infanterie. — Son organisation, étudiée à


l'avance, n'est que partiellement réalisée en permanence;
elle est complétée à la mobilisation.
Des points d'appui sont créés dès le temps de paix, dans
le but d'assurer la sécurité pendant les premiers jours de
la guerre, où la garnison n'est pas encore au complet. Ce
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 493

Fig. 218. — Abris dé combat pour troupes de secteur.


4g4 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

sont généralement des ouvrages en terre, à profil triangu-


laire, à réseau de fils de fer et abris à l'épreuve contre les
balles et les éclats. On tend à les améliorer en donnant au
tireur un abri dans la position de tir au moyen de masques
en ciment armé.
Des emplacements sont prévus pour l'installation, der-
rière le parapet, de mitrailleuses portatives ou sous tou-
relles transportables.
Il est nécessaire de procurer aux défenseurs des retran-
chements une position d'attente à l'abri du bombardement.
C'est dans ce but que l'on construit en arrière de la ligne
des abris de combat (fig. 218), défilés des vues de l'attaque,
de ses observatoires et de ses ballons. Ils sont sous roc ou
en béton. Les Allemands ont été les premiers à en cons-
truire et le siège de Port-Arthur en a fait reconnaître
l'absolue nécessité. Comme ils sont coûteux, le nombre en
est restreint. Ce ne sont que des corps de garde pour de
petites unités destinées à parer à une surprise et à donner
aux renforts le temps d'arriver. Ces abris ne sont munis
que de bancs.
Si les secteurs ne sont pas dotés de pareils abris, la gar-
nison devra construire des abris de fortune (baraquements
en bois ou hangars métalliques démontables), dont la sécu-
rité résultera des emplacements choisis de manière à
échapper aux vues extérieures et aux effets du tir dirigé sur
la position principale. Ces abris doivent être reliés aux
postes de combat par des communications défilées.
A la mobilisation, l'organisation est complétée au moyen
des ressources de la fortification passagère, par l'aménage-
ment d'obstacles naturels, par la construction de nouveaux
retranchements, enfin par un large emploi des défenses
accessoires.
Pour localiser les mouvements partiels de retraite et ser-
vir de base aux retours offensifs, « on doit prévoir... l'or-
ganisation, en arrière des intervalles, de réduits de position
qu'occuperont de petites garnisons spéciales. Ges réduits
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 4g5
font partie intégrante de la ligne principale de défense ; ils
consistent en ouvrages fermés ou localités de peu d'étendue,
dont les emplacements, convenablement choisis, doivent,
autant que possible, rester complètement dérobés aux vues
de l'assiégeant dans sa marche sur le terrain des attaques. »

Batteries des intervalles. — On a fait ressortir au cha-


pitre XXXIII, page 468, l'impossibilité de réserver, pour le
jour de la mobilisation, l'installation de nombreuses batte-
ries, à cause du travail colossal qu'elle nécessite. Il est
d'ailleurs indispensable d'avoir en place, dès le temps de
paix, un armement de sûreté, destiné à parer à une attaque
par surprise et à retarder les premières opérations de l'en-
nemi. A l'étranger, notamment en Allemagne, on a large-
ment employé les batteries cuirassées. Pour les autres batte-
ries, tirant à ciel ouvert, les emplacements peuvent être
préparés à l'avance.
Les batteries des intervalles sont armées de grosse et de
moyenne artillerie (calibre égal ou supérieur au calibre de
campagne) : canons longs, canons courts ou obusiers et
mortiers. Elles sont en principe défilées aux Ames et font du
tir indirect. Seules, sont à vues directes les batteries dont
la mission comporte le tir sur des buts mobiles ; ce sont
surtout des batteries de moyen calibre. Pour diminuer la
vulnérabilité des batteries,défilées, il y a intérêt à les placer
le plus possible en contre-bas des crêtes, afin de dissimuler
leurs lueurs à l'ennemi et d'en dérober l'emplacement aux
observateurs des ballons. On donne donc aux batteries lé
plus grand défilement que comporte lé matériel.
Il en résulte que les pièces à tir courbe peuvent être très
défilées : on les dit hors de vues, tandis que les canons longs,
à trajectoire tendue, doivent être généralement placés beau-
coup plus près des crêtes, d'où leur nom de batteries de
crête; ces canons n'en font pas moins du pointage indirect.
Des observatoires bien placés, réunis aux batteries par le
téléphone, permettent l'observation et le réglage du tir.
.
4Q6 2° PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Les batteries de crête sont complètement enterrées et
entourées d'un réseau de fils de fer.
Les batteries hors de vues, beaucoup moins exposées, ne
sont que partiellement enterrées et couvertes par un épau-
lement peu important.
La figure 219 représente une portion de batterie enterrée
construite dès le temps de paix. Les emplacements des
pièces y sont séparés par des traverses larges de 12 mètres
destinées à localiser les effets destructeurs des obus qui
atteindraient la batterie. Une rigole de 5o centimètres est-
réservée de part et d'autre de chaque plate-forme, et, à
l'arrière, existe une communication continue qui se prolonge
sur les ailes, si possible, jusqu'en des points qui permettent
d'entrer dans la batterie sans être vu. Ces retours sont quel-
quefois organisés pour servir de parapets d'infanterie. Il
peut-être installé dans la communication une voie étroite
raccordée au réseau de la place. Des rampes d'armement
sont ménagées dans le revers. Le talus de genouillère et les
traverses sont revêtus d'un mur en maçonnerie dans lequel
sont établis des abris pour les servants et dés niches à
munitions. Ils ne sont pas à l'épreuve du tir percutant, mais
ils ont bien peu de chances d'être atteints en raison de leurs
petites dimensions et de leur invisibilité.
Les batteries construites à la mobilisation seraient d'un
type analogue, mais leurs revêtements et leurs abris ne
seraient pas en maçonnerie.
En raison de la faveur dont jouit à l'étranger et particu-
lièrement en Allemagne le système des batteries cuirassées
établies dans les intervalles de la ligne des forts, on croit
devoir donner, d'après la Revue du Génie (juin 1898), un
exemple d'ouvrage de cette nature, emprunté au cours du
capitaine Schroeter, professeur à l'académie de guerre de
Berlin.
La batterie (fig. 220, p. 4g8) comprend essentiellement,
.
deux ou quatre tourelles logées dans un massif de béton,
qui.reçoit également les abris pour les servants et les
G

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4g8 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
munitions ; ceux-ci prennent jour sur une cour intérieure
dont le fond est à 6 mètres au-dessous du sol ; les tourelles
sont placées à niveau du sol naturel.

Fig. 220. — Batterie cuirassée pour deux obusiers de 2iomm.

Un parapet d'infanterie de forme ovale, dont la crête est


seulement à i mètre au-dessus du sol, entoure complète-
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 499
ment le massif; il est lui-même entouré d'un réseau de fils
de fer. Des batteries aussi peu saillantes sur le terrain,
environnées de plantations qui les masquent entièrement
atix vues, sont extrêmement difficiles à atteindre et à dé-
truire : on est en droit de supposer qu'elles offriraient à
l'assaillant une résistance énergique.
L'installation permanente d'une place ainsi organisée
comprend, ainsi qu'on l'a dit déjà, en outre des forts et
ouvrages intermédiaires, des abris à l'épreuve pour l'infan-
terie, des observatoires cuirassés et, en arrière, des maga-
sins à munitions. Elle est complétée au moment du besoin
par des parapets destinés à l'infanterie, renforcés par un
certain nombre de coupoles transportables. C'est à l'abri de
cette puissante organisation qu'on peut alors construire les
batteries du moment.

Munitions d'artillerie. -— L'artillerie ayant été enle-


vée des forts, le maintien des munitions dans ces ouvrages
n'était plus possible.
Logiquement, on les a réparties dans les intervalles où
leur dispersion contribue beaucoup à assurer leur protec-
tion. Les forts et ouvrages intermédiaires n'abritent plus
que les munitions de leur armement propre.
Les munitions sont naturellement disposées en profon-
deur et les échelons successifs sont constitués par : les ma-
gasins de batterie, les dépôts intermédiaires, les magasins
de secteur, les magasins centraux.
Les magasins de batterie (fig. 221) reçoivent en principe
les munitions pour une journée. Construits à proximité des
batteries, ils sont quelquefois à l'épreuve du tir percutant,
mais le plus souvent ils sont en maçonnerie ordinaire et
seulement à l'épreuve des balles et des éclats. On les dissi-
mule en les enterrant complètement ou en les faisant pré-
céder de plantations.
Les dépôts intermédiaires forment une réserve en prévi-
sion d'une interruption du ravitaillement des batteries par
500 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
les magasins de secteur. Ils sont installés dans les mêmes
conditions que les magasins de batterie, enterrés, ou sous
roc.
Les magasins de secteur contiennent les approvisionne-
ments nécessaires pour subvenir aux besoins courants de
l'artillerie des secteurs. Établis en arrière des positions de

Fig. 221. — Magasin de batterie.

soutien, afin qu'on puisse les ravitailler, le cas échéant,


ils doivent, en raison de la grande quantité de munitions
qu'ils renferment, être construits à l'épreuve, c'est-à-dire
en béton, ou sous roc, avec une épaisseur suffisante.
Un tel magasin n'est pas seulement un dépôt de pro-
jectiles ; il comprend en outre des ateliers de chargement.
Ces magasins sont généralement humides. Ce n'est pas
un grave inconvénient en temps de siège, parce que les
LA FORTIFICATION DEPUIS 1885 5oi

Fig. 222. — Magasin de secteur enterré.


502 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
munitions y sont renouvelées fréquemment, mais il serait
inadmissible en temps de paix ; on y obvie en utilisant
d'autres locaux. L'adoption de caisses étanches pour les
poudres a simplifié d'ailleurs les conditions d'organisation
des magasins, qui autrefois comportaient de nombreuses
précautions contre l'humidité et les chances d'explosion.
La figure 222 représente le plan d'un magasin de secteur
creusé dans le roc.
Les magasins centraux ont une organisation, analogue
aux précédents. Situés à l'intérieur ou à proximité du corps
de place, ils contiennent la majeure partie des approvision-
nements et d'importants ateliers de confection des munitions
et de réparation du matériel.

Voie ferrée. — Les transports considérables que né-


cessitent l'armement et le ravitaillement des batteries ont
conduit à créer dans les grandes places un réseau ferré à
voie étroite, pouvant se plier suffisamment au terrain pour
être défilé dans toutes ses parties. Ce réseau relie tous les
magasins précédemment énumérés. Des parties de la voie
longent la position principale de défense et peuvent per-
mettre le service des pièces sur affût-truc. Dans aucun
pays, ces pièces n'existent en grand nombre.

Positions de résistance en avant et en arrière


de la ligne principale

La ligne principale de résistance, renforcée parles ouvra-


ges permanents, est la plus forte barrière opposée à l'as-
saillant, celle qui doit l'obliger aux lenteurs d'une attaque
régulière ; mais, quelque grandes que soient l'importance
de cette ligne et la durée des efforts qu'elle impose à l'assail-
lant, un défenseur actif et énergique peut et doit retarder
la reddition de la place en disputant pas à pas à l'ennemi
le terrain en avant et en arrière de la ligne principale.
LA FORTIFICATION DEPUIS l885 5o3
On examinera, dans la troisième partie du Manuel (Dé-
fense des places), le rôle et le but des positions avancées
qu'un défenseur peut être amené à occuper; il suffit de les
mentionner ici.
Le terrain qui sépare les positions avancées de la ligne
principale doit être utilisé ; on y installe une série de posi-
tions, échelonnées de telle sorte que chacune d'elles flanque
celle qui est en avant. Ainsi le défenseur peut disputer pied
à pied le terrain à son adversaire et retarder sa marche. La
zone comprise entre la ligne principale et le noyau central
renferme le plus souvent des positions favorables à la dé-
fense. Il importe de les disputer à l'ennemi. Mais, par éco-
nomie et parce que cette ligne de défense est utile seulement
en arrière des forts attaqués, on ne l'organise qu'au moment
du besoin. Dans les places qui ont reçu une nouvelle cein-
ture de forts (Paris, Anvers), les anciens forts constituent
naturellement l'ossature de cette position.
L'enceinte est avant tout une chemise de sûreté destinée
à soustraire le noyau central aux conséquences d'un coup
de main hardi de l'infanterie ennemie. Mais elle peut, dans
certains cas, constituer une ligne de défense. Après sa
chute, la résistance peut être continuée parfois en dispu-
tant à l'ennemi, possesseur du noyau central, quelques
ouvrages permanents formant un ensemble susceptible de
résister.
En résumé :
Les forts détachés et, parfois, l'enceinte constituent la
partie permanente de la place forte, dont l'organisation est
complétée, au moment du besoin, au moyen des ressources
de la fortification passagère. Ainsi, on oppose à l'assaillant
une série de lignes successives de défense, savoir :
i° Des positions avancées ou de première résistance ;
20 Une ligne principale de défense ;
3° Dans les secteurs d'attaque, une ou plusieurs lignes de
défense en arrière de la position principale ;
4° Uenceinte du noyau central ;
5o4 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
5° Éventuellement, des réduits, extérieurs au noyau cen-
tral, qui permettraient d'opiniâtrer la résistance même après
la chute de l'enceinte.
Le colonel von Scliwarz considère comme inutile une
enceinte au noyau central et n'envisage que l'établissement
d'une seconde ligne de défense en arrière de la principale
dans le secteur d'attaque.
Sur ce point spécial et jusqu'à ce qu'une épreuve con-
cluante ait été laite, nous nous séparons nettement du
défenseur de Port-Arthur.
CHAPITRE XXXV

CUIRASSEMENTS

L'idée de protéger les pièces d'artillerie par des cuiras-


sements métalliques remonte déjà à d'assez nombreuses
années, et la marine l'a adoptée depuis longtemps. L'Angle-
terre, dans les travaux de fortification de ses ports, emploie
également des blindages métalliques pour les pièces des-
tinées au tir contre les navires. Dès 1.860 enfin, le général
Brialmont a placé des ' tourelles cuirassées dans ceux des
forts de la place d'Anvers spécialement destinés à battre
les passes de l'Escaut.
Pendant longtemps, les ingénieurs de fous pays se sont
montrés rebelles à l'application des tourelles et cuirasse-
ments aux ouvrages de (erre, et leur résistance s'explique
aisément. Un blindage, si épais qu'il soit, capable de résis-
ter au choc des pièces les plus puissantes de la marine, est
presque sans valeur contre l'artillerie de terre, malgré l'in-
fériorité de calibre de cette dernière par rapport aux pièces
des navires. C'est qu'en effet, celles-ci, en raison de la
mobilité du vaisseau qui les porte, ou contre lequel elles
ont à tirer, ne peuvent que très difficilement répéter leurs
coups au même point de la surface du blindage ; si donc
celui-ci est en mesure de résister à un premier choc, il est,
complètement efficace.
Une pièce placée à terre et tirant sur un but immobile
peut, au contraire, envoyer ses projectiles dans un espace
assez restreint pour que leurs effets successifs, s'ajoutant
les uns aux autres, finissent par amener l'entière destruction
5o6 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
du massif métallique le plus épais. C'est l'effet de la goutte
d'eau capable d'user la pierre et on peut dire qu'une pièce
d'artillerie, si légère qu'on l'imagine, peut, avec le temps,
venir à bout de la cuirasse la plus forte.
Seulement, en matière de fortification, il ne s'agit pas
,
d'obtenir une résistance indéfinie, mais bien de placer les
hommes et les pièces qui occupent un ouvrage dans une
situation avantageuse pendant une durée aussi longue que
possible. Or, il est incontestable que des servants et une
bouche à feu bien abrités contre un certain nombre de
coups sont capables de produire des effets puissants et de
ruiner un nombre supérieur d'adversaires moins bien pro-
tégés. C'est pour ce motif qu'on a été amené à adopter les
cuirassements dans les ouvrages de fortification, et leur
emploi ne peut évidemment que renforcer ces derniers.
On peut diviser ces engins en deux catégories distinctes.
Les uns sont fixes et constituent des casemates ou batte-
ries cuirassées. Les autres sont susceptibles, soit de tourner
sur eux-mêmes, soit de disparaître pendant un certain temps
aux vues de l'assaillant. Ils participent donc, dans une cer-
taine mesure, aux avantages des cuirassements du navire et,
a priori, semblent doués d'une plus grande force de résis-
tance. On peut ranger dans cette catégorie les tourelles et
les coupoles tournantes et à éclipse.
On peut également différencier les divers types de blin-
dage par la nature du métal qui les constitue. Ce métal
peut en elfet présenter une surface assez résistante pour
amener la rupture du projectile qui le frappe; dans ce cas,
les vibrations produites par le choc amènent un ébranlement
et bientôt une désagrégation de la masse du blindage. C'est
ce qu'on obtient dans les cuirassements en fonte durcie.
Le blindage, au contraire, peut se laisser pénétrer plus
ou moins profondément par le projectile, dont la force vive
se trouA'e absorbée par ce travail de pénétration ; il faut
alors que l'épaisseur de la cuirasse soit suffisante pour ne
pas laisser passer entièrement le projectile, et l'expérience
CUIRASSEMENTS' 5û7
démontre qu'il n'en est plus ainsi au bout d'un certain
nombre de coups se répétant au même point.
Un système mixte consiste à construire les blindages de
plaques alternatives de 1er et d'acier soudées ensemble
(métal compound) entre lesquelles on interpose parfois des
plaques de fer laminé. Il participe nécessairement, aux
avantages et inconvénients des deux systèmes précédents.
Il est assez difficile, pour ne pas dire impossible, de se
prononcer sur la valeur relative de ces divers systèmes ; la
fonte durcie, dont l'usine allemande de Grûson avait eu
longtemps le monopole, resta en faveur jusqu'au jour où'
l'artillerie fit usage de projectiles en acier qui eurent vite
raison de sa résistance. Le fer laminé et le métal compound
ont pris sa place avec avantage et paraissent, posséder plus
de puissance, ainsi qu'on le verra plus loin, à propos des
expériences de Bucarest.

Casemates et batteries cuirassées


Ce genre de cuirassement possède, comme on le sait, le
défaut d'être immobile, ce qui rend sa destruction plus
facile ; en outre, il ne donne aux pièces qu'il abrite qu'un
champ de tir des plus restreints. Son avantage est d'être
plus économique que les tourelles et les coupoles, aussi
l'emploie-t-on parfois pour la défense d'une passe ou d'un
défilé, en pays de montagne, circonstances dans lesquelles
les défauts qu'on vient de signaler perdent de leur impor-
tance.
La figure 223 montre le profil d'une casemate cuirassée
en fonte durcie du système Gruson ; le blindage, de forme
renfléç à l'avant, présente, vers le sabord, une épaisseur de
fonte de plus de 3o centimètres, tandis qu'à la partie supé-
rieure les A'oussoirs n'ont plus que le tiers ou le quart de
cette épaisseur. La casemate peut être largement ouverte
vers l'arrière, ce qui facilite sa ventilation.
5o8 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

Fig. 223. — Profil d'une batterie fixe cuirassée pour canons de 21e" (3/ioo).
1

Fig. 223 bis. — Perspective d'une batterie fixe cuirassée.


CUIRASSEMENTS 5og
Des casemates de cette nature peuvent être accolées pour
constituer une batterie, ainsi que J'indique la figure 223 bis.
Les cuirassements de chaque voûte sont réunis par des
sortes de nierions également en fonte dure, simplement
juxtaposés, sans soudures avec les voûtes.
Grâce à cette disposition, les différentes pièces de fonte
qui constituent la batterie se coincent les unes contre les
autres lorsqu'un projectile vient les frapper, et leur solida-
rité se trouve ainsi réalisée.
La nature du métal employé ainsi que son épaisseur
montrent, que la disposition qu'on vient de décrire est déjà
ancienne de quelques années : on trouve des exemples de
son emploi à Bremerhaven (batterie de côte de Langlutjen-
sand); à Anvers, au fort Calloo, front de l'Escaut; en Hol-
lande, à l'entrée du port d'Ymuiden ; en Italie, à Exillès,
au fort de Fenile, au débouché du tunnel du mont Cenis, et
à Valli-dei-Signori, sur la route de BoA'eredo à Schio.
On peut reprocher à ce type de casemate de laisser cons-
tamment à découvert le sabord et la bouche de la pièce,
aussi a-t-on cherché dans d'autres constructions à garantir
cette partie délicate du cuirassement par une pièce spéciale. •

Il existe plusieurs dispositifs permettant de supprimer,


cet inconvénient; certains d'entre eux sont combinés de
telle sorte que le recul de la pièce, après le départ du coup,
assure la fermeture du sabord. On ne croit pas devoir donner
de détails à ce sujet, car, si les cuirassements ont pris dans
les ouvrages les plus récemment construits un développe-
ment important, c'est presque exclusivement sous forme de
coupoles ou tourelles, dont il va être question maintenant.

Coupoles et tourelles

Ces deux dénominations, assez souvent confondues, s'ap-


pliquent aux ouvrages destinés à assurer aux pièces qu'ils
abritent un champ de tir horizontal de 36o°, et au cuirasse-
510 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
ment une mobilité qui rend plus difficiles les coups d'em-
brasure ainsi que la répétition des coups aux mêmes points.
Les tourelles et coupoles se composent essentiellement
d'une chambre cylindrique contenant les pièces, protégée
sur une hauteur plus ou moins grande par un blindage
métallique, et noyée, par sa partie inférieure, dans un
massif de terre et de maçonnerie, protégé lui-même quel-
quefois par un cuirassement.
Dans les tourelles, le blindage du cylindre occupe une
certaine hauteur, et c'est au travers de sa paroi que sont
percés les sabords ; la partie supérieure de la chambre est
fermée par des plaques affectant une forme plane ou très
légèrement bombée et se réunissant à la partie cylindrique'
par une arête bien tranchée.
Les coupoles, au contraire, affectent la forme d'une ca-
lotte aplatie, renflée parfois à la partie inférieure, vers le
sabord, et reposant sur un bâti cylindrique non blindé,
noyé entièrement dans un massif. Elles ne présentent pas
d'arête vive et, par leur forme même, facilitent le ricochet
des projectiles mieux que les tourelles; elles constituent
aussi un but moins visible.
Dans les ouvrages de ce genre, l'affût des pièces peut
faire corps avec le cuirassement lui-même ou en être indé-
pendant ; la première solution, recommandée par le lieute-
nant-colonel Schumann, est assez en faveur en Allemagne;
la deuxième est adoptée dans les tourelles de la marine et
dans celles construites en France sous la direction du com-
mandant Mougin, ainsi que pour les ouvrages présentés par
ce dernier et exécutés dans les usines françaises de Saint-
Chamond.
Les tourelles ou coupoles peuvent contenir plusieurs
pièces; lorsqu'il y en a deux, on les place côte à côte, ou
dans le prolongement l'une de l'autre; on peut même en
mettre quatre suivant deux diamètres en croix. Ces dernières
dispositions, employées exclusivement dans, les tourelles de
bord ou de côte, ont leurs avantages et leurs inconvénients;
CUIRASSEMENTS OU
la multiplicité des bouches à feu dans un même ouvrage
conduit à diminuer le prix de revient de l'installation de
chacune d'elles, mais augmente la vulnérabilité du cuirasse-
ment en créant un plus grand nombre de sabords qui cons-
tituent des points faibles.
Le mouvement est donné à ces ouvrages à l'aide de
moteurs à bras, à vapeur ou hydrauliques, et le poids de
l'appareil est, suivant les systèmes, reporté sur un pivot
central ou sur des galets périphériques.
On donnera, à titre d'exemples de tourelles et coupoles,
les deux modèles qui ont été présentés au gouvernement
roumain en i885, l'un par l'usine française de Saint-Cha-
mond, d'après les plans du commandant Mougin, l'autre
par l'usine allemande de Gruson, à Magdebourg, et qui,
dans son ensemble, se rapporte aux types du lieutenant-
colonel Schumann. Ces deux ouvrages diffèrent nettement
l'un de l'autre et ont reçu la sanction d'épreuves de tir.

Tourelle de Saint-Chamond (fig. 224). — La tou-


relle de Saint-Chamond a 4m 80 de diamètre extérieur, 3m 90
à l'intérieur. Son cuirassement, en fer laminé, épais de
45 centimètres, a im20 de hauteur; il est formé de trois
voussoirs. La partie supérieure, plane, également en fer, a
18 centimètres d'épaisseur; elle est vissée sur le cuirasse-
ment. Le massif qui contient cette tourelle est protégé par
une collerette en fonte durcie de 3o à 44 centimètresd'épais-
seur, noyée dans le béton.
La tourelle entière repose sur un énorme pivot central par
l'intermédiaire d'une charpente métallique; afin d'adoucir
le frottement de ce pivot dans la crapaudine, une pompe à
glycérine injecte du liquide entre les deux surfaces. Des
galets placés sous la muraille cylindrique guident son mou-
vement de rotation, mais ne portent pas le poids du cuiras-
sement.
La tourelle contient deux pièces disposées parallèlement et
dont les sabords sont distants de 96 centimètres. Ces pièces
512 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
tournent autour de leur embrasure et sont reliées à de puis-
sants ressorts-freins, système Belleville, qui emmagasinent
le travail du recul et servent à remettre la bouche à feu en
batterie. Le pointage de ces pièces est toujours indirect.
En résumé, cette tourelle est en fer, cylindrique, reposant
sur un pivot central et indépendante de ses deux pièces.
Coupole Gruson (fig. 225). — La coupole Gruson
affecte la forme d'une calotte sphérique de 6 mètres de dia-
mètre, formée de six plaques-voussoirs et d'une plaque
centrale ; le voussoir des sabords et les deux voisins, ainsi
que la plaque centrale, sont en-fer laminé; les trois autres
en métal compound. Leur épaisseur est de 20 centimètres,
et une collerette en fonte durcie de 35 centimètres d'épais-
seur, noyée dans le béton, entoure la coupole; cet ensemble
peut osciller légèrement autour du pivot, dans une limite
marquée par quatre galets à ressorts qui glissent sur un rail
circulaire placé au niveau de la collerette.
Les pièces de la coupole sont au nombre de deux et sont
reliées au cuirassement par un collier, muni de tourillons
placés vers la bouche de la pièce, de sorte que, dans le tir,
la coupole tout entière oscille sur son pivot et n'est ramenée
dans la position d'équilibre que par les galets à ressorts.
Le pointage des pièces se fait, directement au début, au
moyen d'un trou d'homme, et en utilisant au besoin un
canal.de visée percé également dans la coupole parallèle-
ment à l'axe des pièces. Les sabords sont pratiqués dans un
renflement du voussoir, destiné à diminuer l'inclinaison du
cuirassement sur l'horizon. La coupole Gruson est donc
plus spacieuse que la tourelle française; elle est immobile
en principe et n'est mise en mouvement que pendant le
pointage et afin de présenter à l'ennemi sa partie la moins
vulnérable.
Les deux engins dont on vient de donner ici une descrip-
tion sommaire ont été éprouvés au polygone de Cotroceni,
tant sous le rapport du service et de la justesse du tir de
CUIRASSEMENTS 5l3


Fig. 224. — Tourelle de Saint-Cbamond.

Fig. 225. — Coupole Gruson.

MANUEL DE FORTIFICATION 33
5l-4 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
chacun d'eux, que sous celui de la résistance aux projec-
tiles. On trouvera dans le n° 64g (3o juin 1886) de la Revue
militaire de l'Etranger, à laquelle ces renseignements sont,
empruntés, des détails circonstanciés sur les expériences
qui ont eu lieu à ce sujet et dont on se bornera à donner ici
un résumé succinct.
La justesse du tir des deux ouvrages est très comparable,
quoique un peu à l'avantage de la tourelle française ; mais
la rapidité est plus grande pour cette dernière, qui, dans un
tir rapide d'épreuve, put envoyer cinquante coups, tandis
que l'autre n'en tirait que quarante et un.
La durée du pointage, sur un but apparaissant soudain,
est en revanche moins grande pour la coupole, qui emploie
le pointage direct; mais il y a lieu d'observer que celui-ci
présente de sérieux dangers pour le personnel.
On fit tirer les pièces de chacun des deux engins; la
tourelle supporta cette épreuve sans être endommagée,
tandis que les voussoirs de la coupole se déplacèrent un
peu et que quelques boulons tombèrent.
Soumis au tir d'une batterie d'un canon de Bange de
i55mm et de deux canons Krupp de i5cm lançant des obus
de rupture en acier trempé, pesant, 4oksgoo pour les pre-
miers et 3g kilos pour les seconds, avec des vitesses respec-
tives de 470 et 480 mètres, les deux engins se comportèrent
comme il suit :
11 fallut tirer cinquante et un coups pour toucher trente
fois la tourelle, dans laquelle les obus pénétrèrent de 20 à
23 centimètres au maximum ; trois projectiles, tombant au
même point d'un joint, détachèrent un fragment de 26 centi-
mètres ; après ce tir, la tourelle fonctionnait encore parfai-
tement. La coupole, au contraire, en raison de sa forme
peu visible, exigea quatre-vingt-cinq coups pour être atteinte
trente fois. Les projectiles se brisèrent fréquemment, pro-
duisirent, des fissures et disjoignirent un peu les A'oussoirs,
sans cependant en percer aucun. Mais, en revanche, 1<;
mécanisme de la coupole était faussé et le choc des obus
CUIRASSEMENTS 010
déterminait à l'intérieur une véritable pluie de boulons,
dangereuse pour le personnel. Son tir, après cette épreuve,
perdit notablement de sa justesse.
On-,essaya ensuite la limite de résistance du cuirassement:
quarante-trois coups tirés contre un voussoir français l'at-
teignirent trente-trois fois et l'avaient pénétré de 4o cen-
timètres, en le fissurant, mais sans cependant déranger le
mécanisme intérieur. La coupole allemande reçut aussi
trente-trois projectiles qui exigèrent un tir de cinquante-
trois coups; au quinzième coup, la plaque extérieure de mé-
tal compound était arrachée sur i mètre carré de surlace ;
le fer laminé, mis à nu, se laissait pénétrer de 8 centimètres,
et si un second projectile était arrivé en ce point, il ruinait
la coupole.
D'autres épreuves furent encore subies, desquelles il
résulte que la forme sphérique des coupoles est plus avan-
tageuse que celle des tourelles cylindriques; que le fer
laminé a une résistance équivalente à celle du métal, com-
pound; que l'indépendance du canon et du cuirassement
semble préférable à là liaison de ces deux éléments, en ce
qu'il donne plus de justesse au tir. Ces expériences n'ont
pas d'ailleurs affirmé la supériorité absolue d'un des deux
systèmes présentés sur l'autre.

Coupole du Greusot. — Pour compléter ces rensei-


gnements par un type de coupole plus récent, on \a décrire
sommairement, d'après la Revue du Génie (1891, 2e livrai-
son), un des modèles commandés par le gouvernement belge
à l'usine française du Creusot pour les ouvrages dé la
Meuse.
Les coupoles (fig. 226, p. 5/6 bis) sont destinées à rece-
voir deux canons de i5cm ; le cuirassement est en fer laminé,
nui, à l'époque où elles ont été commandées (1888), a paru
iHre le métal le plus convenable, parce qu'il est moins sujet
» se fendre que l'acier; son épaisseur est de 20 centimètres;
1! se compose de trois plaques juxtaposées suivant des joints
5l6 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
plans, verticaux, perpendiculaires au plan de tir. Trois pla-
ques de tôle de 20 millimètres doublent l'intérieur du cui-
rassement pour s'opposer aux chutes de fragments de métal
sous l'effet du tir ennemi.
La collerette ou avant-cuirasse qui entoure la coupole est,
en. fonte dure; son épaisseur est de 32 centimètres à la par-
tie supérieure, 24 centimètres en bas; elle est formée de six
voussoirs ; le joint entre la cuirasse et la collerette est de
5 centimètres, de mauière à parer aux dangers d'arrêt du
mécanisme qui pourraient se produire par suite des refou-
lements de métal sous l'action des projectiles ennemis. Les
pièces sont disposées de manière à ne pas dépasser le
cuirassement ; leur recul est limité à i3 centimètres, de
telle sorle que la fumée du coup tiré ne pénètre pas dans
l'ouvrage ; elles tournent autour de leur bouche et un
anneau élastique assure l'obturation des joints du sabord.
La coupole repose sur une couronne de galets; son mou-
Arement est assuré par un treuil horizontal placé dans les
dessous, mû à bras d'homme. On a évité intentionnelle-
ment toutes les complications du mécanisme susceptibles
de donner des mécomptes dans le fonctionnement. Le
pointage en direction peut se faire soit directement à l'aide
d'un observatoire ou trou d'homme dont on aperçoit la
saillie sur la partie droite de la figure 226, soit indirecte-
ment à l'aide d'un curseur se déplaçant sur une directrice
circulaire graduée permettant de mettre le feu automati-
quement par l'électricité.
La tôlerie qui supporte la cuirasse et constitue la chambre
intérieure est entourée d'une plaque de tôle de 20 millimè-
tres d'épaisseur, qui la ferme hermétiquement et s'oppose à
l'entrée dans la chambre des gaz produits par l'explosion
d'un projectile ennemi. Les ouvertures pratiquées dans
cette-paroi sont fermées par des clapets extérieurs que la
pesanteur maintient ouverts et qu'on peut fermer à l'aide
de tourniquets. L'espace annulaire qui entoure la coupole
permet de visiter la couronne de galets.
PLANCHE P 5I6WS
CUIRASSEMENTS O17
L'observatoire qui, dans la figure 226, est indiqué à sa
position d'ouverture peut coulisser dans une gaine où il est
supporté par-un contrepoids, de manière à ne former aucune
saillie extérieure.
Les dimensions de la coupole sont :
Diamètre intérieur de la chambre de tir, 5ra 4 ;
Diamètre extérieur de la cuirasse, 5m 9 ;
Hauteur maxima sous plafond, 2™ 7 ;
Saillie maxima de la coupole sur la collerette, 1 mètre.
Le poids total de la coupole, sans le canon, est de 224
tonnes, dont 47 >3 pour le cuirassement proprement dit et
83,2 pour la collerette.

Coupoles pour mortiers (fig. 227). — Le lieutenant-


colonel Schumann a proposé également des coupoles desti-

Fig. 327. — Affût cuirassé pour mortier de 2icm (1/100).

nées au tir des mortiers : la pièce est enfermée dans une


sphère en fonte durcie CD, qui émerge d'un trou pratiqué
à la partie supérieure du cuirassement ; cette sphère tourne
sur des tourillons B qui reposent sur les flasques E d'un
affût H en équilibre sur un large pivot G. La manivelle M,
actionnant la roue dentée F, sert à donner le pointage en
5l8 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
hauteur; le pointage en direction est obtenu en agissant,
directement sur l'affût H. Ces dispositions semblent a priori
un peu compliquées, puisque le mortier, étant essentielle-
ment une pièce à tir indirect, peut aisément trouver protec-
tion derrière une masse couvrante quelconque.

Coupoles à éclipse. — Les coupoles et tourelles peu-


vent non seulement recevoir un mouvement de rotation
autour de leur axe, mais encore, à l'aide de dispositifs spé-
ciaux, être organisées de manière à masquer entièrement,
leurs sabords pour ne les découvrir que pendant le temps
nécessaire au départ du coup. Ce résultat peut être obtenu
soit en soulevant entièrement, la tourelle pour laisser passer
la bouche à feu pendant le tir et l'abaisser ensuite comme
une tortue rentrant dans sa carapace, soit en donnant à la
calotte supérieure, dans laquelle sont percés les sabords, un
mouvement d'oscillation qui amène ceux-ci à découvert. Les
coupoles organisées ainsi sont dites à éclipse ; à l'étranger,
on les dénomme parfois affûts cuirassés. On a songé tout
d'abord au premier des systèmes qu'on vient d'énumérer,
celui dans lequel la coupole se soulève tout entière. En rai-
son des difficultés qu'on éprouve à mouvoir d'aussi grandes
masses, on ne plaçait dans les coupoles que des mitrailleu-
ses et leur emploi était réservé au flanquement des fossés.
La figure 228 indique l'organisation d'un de ces engins
d'après les principes du lieutenant-colonel Schumann. La
pièce A repose sur un étrier C par l'intermédiaire du cou-
lisseau H et au besoin sur un support, J; elle est équili-
brée par le contrepoids K. La tige courbe HL, munie d'une
crémaillère, sert à donner le pointage en hauteur ; la mani-
velle M assure le pointage en direction.
! La partie supérieure IB du cuirassement, maintenue en
équilibre par un système de levier et de contrepoids EE',
peut être soulevée en agissant sur la manivelle G' ; un dis-
positif spécial empêche cette calotte de se rabattre avant le
départ du coup et obvie ainsi aux accidents qui pourraient
CUIRASSEMENTS 5ig
se produire par suite d'un long feu du projectile. Les muni-
tions sont disposées dans la cage de support du cuirassement
sur une série d'étagères.
La durée d'éclipsé est de deux secondes comptées.depuis
l'instant où la pièce a fait feu ; le pointage en hauteur
demande une seconde par degré ; celui en direction une
minute par tour avec un homme, ou trente secondes avec
deux hommes ; six hommes suffisent à la manoeuvre de cet
engin.

Fig. 228. — Afïùt cuirassé à éclipse pour canon de i2cm (1/100).

On.applique également ce système aux tourelles destinées


aux plus grosses pièces qui entrent dans l'armement des
places, et les divers modèles proposés ont, de commun, le
principe de maintenir la tourelle en état d'équilibre perma-
nent, dételle sorte qu'avec un effort relativement minime
on puisse la soulever rapidement.
Les mécanismes employés pour/réaliser cette condition
sont assez nombreux; le colonel du génie Souriau a imaginé
dans ce but de plonger la coupole dans un liquide, de façon
à la transformer en un vaste flotteur. Le commandant Mou-
gin l'ait au contraire osciller l'ouvrage autour d'un pivot, de
020 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
manière à masquer~et démasquer alternativement les embra-
sures. Le colonel Galopin a résolu la question d'une manière
beaucoup plus complète, et la tourelle qu'ila imaginée mérite
Ynie description spéciale dont les éléments seront, empruntés
à l'ouvrage du major Borgetti.

Tourelle Galopin (fig. 22g). — Cette tourelle se dis-


tingue des autres surtout par son système d'éclipsé. Elle

Fig. 22g. — Tourelle Galopin (schéma).

est équilibrée par deux contrepoids à balancier roulant non


pas autour d'un point fixe, mais sur une surface cylindri-
que, en sorte que le point d'appui et les bras de levier
varient au cours du mouvement. 11 résulte de celle disposi-
tion que, le système étant en équilibre dans une position
CUIRASSEMENTS 521
moyenne, si on l'en écarte pour l'amener à une position
extrême, la position de tir par exemple, puis qu'on l'aban-
donne à lui-même, la prépondérance du bras de levier de
la tourelle sur celui du contrepoids ramènera l'ensemble à
la position d'équilibre. A cet instant, par suite de la vitesse
acquise, la position d'équilibre est dépassée et alors, le bras
de levier du contrepoids prenant la prépondérance, le mou-
vement se ralentit jusqu'à ce qu'il atteigne la position ex-
trême : la position d'éclipsé. Pour la même raison que ci-
dessus, si le s}rstème reste abandonné à lui-même, il prendra -
un mouvement en sens inverse du précédent et reviendra à
la position de tir. Si donc rien n'intervenait pour arrêter le
mouvement, et si les frottementsn'absorbaient aucune force,
la tourelle oscillerait indéfiniment d'elle-même de la posi-
tion de tir à la position d'éclipsé. C'est ce mouvement oscil-
latoire, théoriquement indéfini, qu'on utilise ; on le suspend
à volonté en maintenant la tourelle dans ses positions
extrêmes à l'aide des A'errous de batterie et des verrous
d'éclipsé; dès que ceux-ci sont déclanchés, la tourelle se
remet d'elle-même en mouvement.
Pratiquement, le mouvement oscillatoire s'éteindrait si
on ne restituait au système le,travail absorbé par les frotte-
ments. C'est ce travail, ainsi réduit au minimum, que l'on
demande aune équipe de cinq ou six hommes, à l'exclusion
de tout autre moteur. Le mouvement est accéléré à l'aide
d'un contrepoids moteur que les hommes chargés de la ma-
noeuvre remontent à l'aide d'un treuil. Ce contrepoids agit
pour produire le mouvement d'ascension de la tourelle ;
celle-ci, possédant d'ailleurs une prépondérance convenable-
ment calculée, agit comme contrepoids pour sa descente.
Grâce à ces dispositions fort ingénieuses, six hommes
suffisent pour assurer en quatre secondes et demie le mouve-
ment aller et retour de cette tourelle qui pèse 25o tonnes.
Pendant que les servants chargent les pièces, ces six hom-
mes ont le temps de remonter le contrepoids moteur. L'in-
tervalle entre les salves est d'environ deux minutes.
52 2 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
L'armement comprend deux canons de i55 long. Le cui-
rassement est composé d'une muraille en acier épaisse de
45 centimètres et d'une calotte en fer laminé de 3o centimè-
tres d'épaisseur, doublée intérieurement d'une tôle d'acier
pour éviter les projections des ménisques de métal.
Le cuirassement repose sur la charpente de la chambre
de tir, qui se prolonge par le pivot tubulaire.
Celui-ci est fermé à sa partie inférieure par une plaque en
acier qui repose par l'intermédiaire de galets tronconiques
sur une sellette supportée elle-même par deux bielles qui
s'articulent avec les leviers du contrepoids d'équilibre.

Le mouvement de rotation est obtenu par l'action d'un
long pignon, mû par un treuil, sur une couronne dentée que
porte extérieurement la paroi de la chambre de tir ; un dis-
positif particulier permet un mou veinent rapide pour dégros-
sir le pointage et un mouvement lent pour l'achever.
Les canons tourillonnent autour de leur bouche ; des
freins limitent le recul à i5 centimètres, et des ressorts,
bandés par le recul, assurent le retour en batterie. La mise
de feu se fait au moyen d'étoupilles électriques. Les deux
pièces partent, simultanément, et leur recul, en déclanchanl,
les verrous de batterie, commande la descente (tir à la volée).
Une disposition spéciale permet de ne pas éclipser aussitôt
(tir en décomposant).
Des sonneries contrôlent le départ des coups ainsi que le
retour des pièces en batterie.
L'aménagement de la tourelle est complété par des monte-
charges et des ventilateurs.

On a également utilisé les coupoles à éclipse pour la pro-


tection des canons à, tir rapide destinés à la défense des
abords immédiats d'un ouvrage ; mais il va de soi que,
dans ce cas, la coupole reste dans sa position découverte
pendant tout, le temps que la pièce fait feu. Le cuirassement
n'est plus destiné alors qu'à protéger la bouche à feu et ses
servants durant les périodes d'inaction.
CUIRASSEMENTS 523
Les systèmes à éclipse ont été également appliqués aux
affûts des pièces, mais l'étude de ces dispositifs ne saurait
trouver place dans le cadre de ce Manuel.

Fig. 23o. — Coupole transportablc "Scbumann pour canon à tir rapide


de 53cm (1/20)..

Fig. 23o bis. — Coupoles transportables installées dans un épaulement.

Le principe des divers systèmes à éclipse est extrêmement


fécond dans ses applications et donne actuellement le maxi-
mum de protection possible aux pièces d'artillerie ; il faut
donc s'attendre aie voir appliquer dans les constructions de
524 2° PARTIE —- FORTIFICATION PERMANENTE
l'avenir. Toutefois, on doit reconnaître que le prix extrême-
ment élevé de ces engins est de nature à en restreindre le
développement.
Enfin, pour terminer l'énumération des dispositifs métal-
liques proposés pour faciliter le service des pièces d'artille-
rie, il est nécessaire de citer les coupoles transportables du
lieutenant-colonel Schumann, dont la figure 23o donne une
idée suffisante. Cette coupole reçoit un canon à tir rapide de
37 ou de 53mm, avec les munitions et l'homme chargé de la
manoeuvrer. Elle peut être placée sur roues et traînée par
des chevaux ; elle pèse 2 o5o kilos avec un canon de 53mm
et 900 kilos avec un canon de 37mm. Ces coupoles s'instal-
lent dans une cavité pratiquée dans l'épaulement, ainsi que
l'indique la figure 2 3o bis.
On peut, à l'aide de celte coupole, armer rapidement un
parapet de pièces capables d'en défendre les abords, tout en
assurant une protection efficace à leurs servants.
Les renseignements qu'on possède sur l'organisation des
places étrangères permettent d'affirmer avec certitude qu'on
a prévu l'emploi de.coupoles transportâmes pour compléter
leur armement au moment du besoin. Ces engins paraissent,
devoir rendre de grands services soit à l'intérieur des ouvra-
ges eux-mêmes, soit dans les ouvrages annexes ou intermé-
diaires.
Ils constituent jusqu'à présent la seule application réalisée
d'un système de fortification mobile (bewegliche Festungs-
anlagë) dû au major allemand Schlibert, qui devait, com-
prendre des pièces et du matériel cuirassé pour abris de
toute nature.

Pour donner une idée du développement qu'ont pris les


cuirassements à l'étranger, on citera les chiffres suivants :
Pour les forts de la Meuse (Liège et Namur), la Belgique
a commandé :
63 petites coupoles à éclipse pour canon à tir rapide de
•J7 1
CUIRASSEMENTS 525
21 coupoles pour obusier de 21™ ;
21 coupoles pour 2 canons de i5cm ;
42 coupoles pour 1 ou 2 canons de 12e™.
La place de Bucarest doit recevoir :
127 coupoles à éclipse pour canon de 57"lm ;
43 coupoles pour 2 canons de i5cm ;
74 coupoles pour obusier de 2icm ;
18 coupoles pour canon de i2cm.
La ligne fortifiée du Sereth (Focsani, Namolvasa, Galatz)
comprend :
362 coupoles transportâmespour canon de 37 etde53ram;
i38 coupoles à éclipse pour canon de 53mm ;
68 coupoles pour canon de i2cm.
Ces renseignements, extraits de la Revue du Génie (1891
et i8g3), disent assez éloquemment la valeur qu'on attache
à l'étranger aux ouvrages cuirassés. Ils dispensent de tout
commentaire et n'enlèvent rien, d'ailleurs, aux observations
finales du chapitre XXXIU, page 478.
CHAPITRE XXXVI

ÉTUDE DES PLACES FORTES DE METZ


ET DE STRASBOURG

Pour compléter les études théoriques qui ont fait l'objet


des précédents chapitres, il a paru intéressant d'en montrer
l'application aux places de Metz et de Strasbourg. Par suite
des transformations considérables apportées à ces places
depuis i885, on verra en outre, dans cette description rai-
sonnée, comme peuvent être maintenus à hauteur des pro-
grès de l'artillerie les ouvrages et les forteresses construits
dans la période de 1870 à i885.

Place de Metz (pi. Q, page 526 bis)


Description du terrain. — .Située au confluent de la
Seille et de la Moselle, la place de Metz occupe, sur la rive
droite de cette dernière, le point le plus étroit de sa vallée,
et commande les communications qui se dirigent : du sud
au nord, de Nancy à Thionville ; et. de l'est à l'ouest, de
Sarrebruck et Sarrelouis sur Paris. Les hauteurs qui bor-
dent la vallée sont assez faibles et doucement mamelonnées
à l'est, où de petits ruisseaux, affluents de la Seille, vien-
nent les découper. Seule, au nord-est, une longue croupe
s'étend dans une direction radiale par rapport à la ville :
c'est le plateau de Sainte-Barbe. Son altitude est de 260 mè-
tres vers Saint-Julien et de 280 à 3oo mètres vers Sainte-
PLO ENVIRONS DE METZ
PLACES UE METZ ET DE STRASBOURG 52 7
Barbe, tandis que l'altitude moyenne de la ville est de
170 mètres seulement. Ce plateau resserré, d'une grande
longueur, est suivi par une route départementale ; il com-
mande la vallée de la Moselle, au nord-ouest, et celle d'un
petit affluent de la Seille, au sud. Aux mains de l'assié-
geant, il constitue une position dangereuse pour la ville.;
de même, il est pour le défenseur, une bonne position
d'appui.
Plus au sud, et sur la même rive de la Moselle, on ne
trouve comme hauteur intéressante que celle du village dé
Oueuleu, à la cote 225, qui commande la route de Stras-
bourg. Toutefois, le terrain s'élève aux environs et, dans.un
rayon de 3 à 6 kilomètres, atteint des altitudes de 244 mè-
tres, près de la Basse-Bevoye, et de 246 mètres, près de
Mercy-lès-Metz.
A l'ouest de la Moselle, le terrain est notamment plus
élevé et les accidents sont plus fortement accusés. Le massif
principal des hauteurs de ce côté est le mont Saint-Ouentin
qui domine la ville et fait infléchir le cours de la Moselle.
Bordé de pentes escarpées vers la place, et s'étendant au
contraire en pentes douces vers l'extérieur, ce massif atteint
36o mètres d'altitude au mont Saint-Quentin ; il n'a plus que
326 mètres, près de Plappeville, et se relève ensuite jus-
qu'à 346 mètres, à 5 kilomètres de là, dans la direction du
nord-ouest. Le massif du Saint-Ouentin domine non seule-
ment la ville, mais la vallée de la Moselle en amont et en
aval ; il bat, les chemins de fer de Thionville, Frouard et.
Reims, et forme une véritable citadelle naturelle, qui est.
précisément celle de la forteresse, comme cela sera expliqué
tout à l'heure.
Plus à l'ouest, et de l'autre côté du ruisseau de Lessy, se
trouve un long plateau s'étendant du nord au sud, aux cotes
34o et 35o environ, sur lequel se trouvent les fermes de
Leipzig, Moscou et Saint-Hubert, rendues célèbres par la
bataille du 18 août 1870.
Indépendamment de sa situation géographique, la ville
528 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
de Metz est une cité importante, renfermant des ressources
considérables, et, de tout temps, on a reconnu la nécessité
de renforcer cette position par des travaux de fortification.
Cependant, il faut reconnaître que, si la place de Metz a,
comme point d'appui stratégique, un rôle considérable à
remplir, elle est moins efficace pour tenir les communica-
tions qui la traversent. En effet, le terrain aux alentours est.
assez peu accidenté, et, en 1870, les Allemands ont pu, sans
grandes difficultés, construire une voie de raccord entre la
ligne de Sarrebruck et celle de Frouard, ce qui leur a per-
mis d'y faire passer leurs approvisionnements et de tourner
la grande ligne ferrée traversant Metz avant que la chute de
la place leur ait livré la voie principale.

Forts détachés. — Un certain nombre des forts actuels


de Metz ont été entrepris par le génie militaire français, en
1868, et se trouvaient suffisamment près de leur achèvement,
au mois de juillet 1870, pour que les Allemands n'aient pu
bombarder la ville. Depuis que la place est en leur pouvoir,
ils en ont, complété la ligne extérieure de défense par la
construction de nouveaux ouvrages.

En commençant par le nord: on trouve, sur la rive droite


de la Moselle, le fort Manteuff'el (ancien fort Saint-Julien),
situé à 2 700 mètres de la place, à l'extrémité la plus rap-
prochée du plateau de Sainte-Barbe et à la cote 260 environ
(fig. 231, page 528 bis). Ce fort est disposé de manière à battre
tout le plateau et les routes qui le traversent, ainsi que la
vallée de la Moselle en amont. C'est un ouvrage bastionné
affectant la forme d'un rectangle, dont le grand côté est dirigé
suivant le périmètre extérieur du polygone. Comme organi-
sation, il se rapproche beaucoup du fort de Oueuleu ou fort,
Goeben dont la figure 233 (page 52g bis) donne le plan.

Le fort Zastrow, à la même distance de l'enceinte, occupe


l'emplacement d'une ancienne radoute française, la redoute
Planche R 528ws
529 bis Planche S
PLACES DE METZ ET DE STRASBOURG 629
des Bordes, à l'extrémité ouest du plateau de Bellecroix. Il
est à la cote 23o environ et bat la route qui, venant de Metz,
se bifurque sur Sarrelouis et Sarrebruck ; le village de Borny
est situé dans son voisinage. Ce fort donne des feux dans
l'intervalle qui sépare les forts Manteuffel et Gcében, dont
la situation est plus importante, et dont il est distant de
2 200 mètres environ. Il est construit dans le système poly-
gonal et sa forme est celle d'une petite lunette ; le flanque-
ment est assuré par des coffres de contrescarpe aux saillants
du front de tête et au saillant de droite de la gorge.
En avant de ces deux forts, aux environs du village de -
Mey, on construit un nouvel ouvrage.

Le fort Goeben, ancien fort de Oueuleu (fig. ,233,


page.Ssg bis), est situé sur le plateau coté 226, à 2 3oo mètres
de l'enceinte de manière à battre la vallée de la Seille. Son
Iront de tête donne des feux d'enfilade sur la route de Stras-
bourg et sur celle de Château-Salins; sa gorge a des vues
efficaces sur la vallée de la Moselle, en amont de là ville. Ce
fort commande également le chemin de fer de Sarrebruck,
au sud; maison a déjà dit qu'il avait été facile, dé le tourner
par une voie de raccord, en 1870.,
La figure 233 montre la disposition générale de cet ouvrage.
Son front de tête prononce un saillant au milieu; il se com-
pose de deux fronts bastionnés dont les côtés extérieurs
sont de 35o mètres environ. Pour assurer le flanquement
des fossés dans la partie située en avant des courtines, on
a été obligé d'en relever le fond en cet endroit de manière à
obtenir des espèces de glacis. Les côtés latéraux du fort
affectent également le tracé bastionné et sont formés chacun
d'un seul front. Les fronts de tête et les flancs sont disposés
pour recevoir de l'artillerie ; la gorge, au contraire, est orga-
nisée pour l'infanterie. Elle prononce uu.rentrant et com-
prend également deux fronts bastionnés ; mais le bastion du
milieu est réduit à des proportions très exiguës et semble
plutôt une caponnière qu'un ouvrage de combat. Le profil de
MANUEL DE l'OllTIFICATION 34
53ô 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
l'enceinte accuse un relief de 6 à 7 mètres sur le terrain,
avec un fossé de i5 mètres de large et 8 mètres de hauteur
d'escarpe.
A l'intérieur du fort, se trouve un cavalier dont les crêtes
sont parallèles au front de tête et aux flancs, et dont le Com-
mandement au-dessus du sol est d'environ 12 mètres. Les
logements et magasins sont établis : en partie, sous la poi-
tion centrale de ce cavalier, et, en partie, sous les fronts de
gorge, avec ouverture sur le fossé, dans l'escarpe. L'entrée,
placée au milieu^ de la courtine du front nord de la gorge,
est couverte en avant par une place d'armes, à l'intérieur
par un cavalier armé d'artillerie.
Les seuls dehors conservés sont les tenailles, réduites au
simple rôle de masse couvrante, et le chemin couvert, avec
blockhaus bétonnés sur les flancs dans l'angle rentrant.
Ce.fort est intéressant à étudier en ce qu'il est une des
dernières applications du tracé bastionné : il montre bien
les inconvénients de ce système appliqué à des ouvrages de
cette nature. Pour avoir des fronts réellement flanqués, on
a dû exagérer beaucoup les dimensions du fort tant en lar-
geur qu'en profondeur ; aussi, malgré la présence du cava-
lier, existe-t-il une grande cbur qui rendrait fort difficiles les
communications intérieures pendant un siège.
Un nouvel ouvrage est en construction près dé Merey, en
avant de la ligne marquée par les forts précédents.

Le fort Prinz August von Wûrltemberg est situé dans le


secteur compris entre la Seille et la Moselle, sur l'emplace-
ment de l'ancienne redoute de Frescaty, à 4 800 mètres
de l'enceinte et à 4 3oo mètres du fort Goeben. Eu égard à
sa position dans un secteur par lequel les attaques sont peu
à craindre, parce que l'assiégeant se trouverait prisenlreles
deux cours d'eau, son rôle consiste simplement à fermer le
polygone de ce côté. Il convient cependant de faire remar-
quer qu'il bat le chemin de fer de Frouard, ce qui lui donne
une certaine importance.
PLAGES DE METZ ET DE STRASBOURG 531
Ce fort est construit dans le système polygonal ; sa dispo-
sition générale se rapproche beaucoup de celle des forts de
Strasbourg qui seront étudiés un peu plus loin.

Entre le fort Prinz-August et le Saint-Quentin, une batterie


.
installée en arrière de la ligne générale des forts, sur un
grand remblai de la voie ferrée et un peu plus près de la
Moselle que du canal, enfile complètement la vallée en
amont. Cette batterie, distante d'environ 2 5oo mètres de
l'enceinte, est à 2 200 mètres du fort Prinz-August et à
2 000 mètres du fort Frédéric-Charles. Elle est disposée de -
manière à exercer une action puissante en cas de siège.
Entre cette batterie et le: fort Prinz-August se trouve
l'ouvrage d'infanterie de la ferme de Bradin.

Le fort Manstein et le fort Frédéric-Charles (fig. 232,


page 528 bis) occupent tout le mamelon du Saint-:Quentin.
Ces deux forts constituent en réalité un ensemble pour l'oc-
cupa tion d'une position, et leur situation leur donne une
importance considérable dans la défense de la place. Ilssont
tous deux placés sur un même rayon de la circonférence : le
premier à 3 800 mètres et le second à 2 goo mètres des mai-
sons de la ville.
Le fort Frédéric-Charles est l'ancien fort Saint-Ouentin ;
il occupe la partie du plateau la plus rapprochée de la ville.
Le fort Manstein, construit par les Allemands, est, au con-
traire, placé à l'extrémité la plus éloignée. Ils sont réunis
par un chemin couvert bordant la crête militaire de la posi-,
tion. •

Comme construction, ils ne présentent ni l'un ni l'autre


rien de particulièrementintéressant : le fort Frédéric-Charles
est un petit fort bastionné carré; le fort Manstein, un fort
polygonal en forme de lunette, se rapprochant du type
général des forts réguliers.
L'ensemble des deux forts est au contraire remarquable
comme occupation de position. Le fort Manstein, au saillant
532 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
ouest du plateau, commande le chemin de fer de Reims, le
ravin de Lessy et enfile la vallée haute de la Moselle ainsi
que la voie ferrée de Frouard. Le fort Frédéric-Charles bat,
au contraire la voie de Thionville et la valléebasse, et étend
son action immédiate sur le plateau même du Saint-Quentin.
Les deux forts, à la cote 36o environ, battent, d'ailleurs le
plateau de Plappeville.
En raison de la raideur des pentes qui bordent le mont
Saint-Quentin, on a établi tout le long de la crête militaire
un chemin couvert dessinant quelques saillants et destiné à
l'infanterie ou à l'artillerie.
A l'intérieur de cette forteresse se trouvent un certain
nombre de batteries, les unes à ciel ouvert, les autres à-cou-
poles cuirassées. Il existe d'ailleurs d'autres pièces sous cou-
poles dans les deux ouvrages.
Cet ensemble forme une citadelle redoutable, toujours
tenue très largement approvisionnée par les Allemands, de
manière à lui permettre de soutenir un siège de longue
durée.
Entre les forts Manstein et Alvensleben se trouvent une
communication couverte, diverses batteries, les unes à ciel
ouvert, les autres cuirassées, protégées en avant par des
parapets destinés à l'infanterie.

Le fort Alvensleben, ancien fort de Plappeville, est. à


4 ooo mètres de la ville et à i 200 mètres du fort Manstein,
dont il est séparé par un ravin. Il voit tout le plateau de
Plappeville, ainsi que les pentes et hauteurs qui bordent la
rive gauche de la Moselle. C'est un fort bastionné analogue
au fort Goeben, mais plus petit. La courte distance qui le
sépare du Manstein est justifiée par la nécessité de battre
fortementtoute la hauteur de Plappeville et, du Saint-Quentin,
constituant le dernier point d'appui de la place et qui,
tombée aux mains de l'assiégeant, serait un danger sérieux
pour la ville.
Entre le fort Alvensleben et celui de Kameke, la redoute
PLACES DE METZ ET DE STRASBOURG 533
de Lorry, au carrefour de chemins situés à l'est de ce village,
est armée d'artillerie sous coupole.

Le fort Kameke, à 2 200 mètres du précédent et à


3 600 mètres de la place, occupe les derniers contreforts des
hauteurs de la rive gauche et a pour mission de battre leurs
pentes. Il est situé près du village de Woippy. Sa forme est
celle d'une lunette très aplatie, fermée à la gorge par un
simple fossé ; il est flanqué par des coffres de contrescarpe.

Le petit fort Hindersin occupe la plaine de la Moselle en


aval. Il est situé près du village de Saiiit-Eloy, à 2 5oo mètres
de la ville et du fort Kameke, et à 2 800 mètres environ du
fort Manteuffel, situé sur la rive droite. Dans cette zone, le
terrain, coupé par des affluents de la Moselle, rend à peu
près impossible toute attaque sérieuse de ce côté ; aussi
l'ouvrage est-il traité très simplement. Il affecte la forme
d'une demi-redoute sans autre flanquement que celui donné
directement par les crêtes.

Enceinte du noyau central. — L'enceinte construite


par nous n'avait subi aucune modification jusqu'en 1899,
époque à laquelle elle a été déclassée ; bien que sa démolition
déjà commencée ne soit, plus qu'une question de temps,
il paraît utile d'en indiquer sommairement les dispositions
générales. Elle est du système bastionné et comporte un
certain nombre d'ouvrages annexes: sur la rive gauche de
la Moselle, le fort Moselle (Voigts-Rhets des Allemands), en
forme de double couronne ; — dans l'île Chambière, un Iront
à orillons avec demi-lune; — sur la partie de l'enceinte est,
dont la Seille remplit les fossés, se trouve, en avant, le fort
Bellecroix (Steinmets), également en forme de doublé cou-
ronne; il fut construit par Cormontaigne. — Au sud de
l'enceinte, on voit encore: la redoute du Patê-Noyé, à fossés
pleins d'eau ; la lunette d'Arçon et l'ouvrage à cornes dit
lunette de Montigny.
534 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
L'enceinte nouvelle de la place de Metz sera vraisembla-
blement reportée sur la ligne des forts qui a été décrite
plus haut et entre lesquels les Allemands ont établi de très
nombreux ouvrages intermédiaires (batteries, abris pour
les hommes et les munitions, parapets d'infanterie, etc.)
qui, en certains points, sont si rapprochés les uns des autres
qu'ils constituent en quelque sorte une ligne continue. On
peut s'en rendre compte sur le plan d'ensemble au i|8ooooc
de la planche.
La place a reçu une considérable extension par la consti-
tution d'une nouvelle ligne de défense en avant de l'an-
.ciertne.
A la différence de cette dernière, elle est constituée par
de véritables petites forteresses que les Allemands appellent,
des « Feste », laissant entre elles de grands intervalles. On
a indiqué au chapitre XXXIII, page 476, figure 210,. le sys-
tème d'après lequel sont, établis ces ouvrages nouveaux.
Trois «Feste» sont construites sur la rive gauche :
La Feste Lothringen (ouvrages de Saulny), qui commande
la route de Briey; la Feste Kaiserin (ouvrages du Point-du-
Jour), qui commande la route de Gravelotte ; la Feste Kron-
prinz (ouvrage de Gorgimont), qui bat la vallée de la Moselle
en amont de la place.

Sur la rive droite, les hauteurs de Saint-Biaise et de
Sommy n'ont pas permis, à cause de l'étroitesse du site,
l'édification de « Feste ».
Les Allemands y ont construit le fort Hseseler et le fort,
de Sommy qui ont été traités comme des forts d'arrêt,
avec un armement de gros calibre cuirassé. Ces forts bat-
tent la vallée de la Moselle et l'embranchement d'Arnaville.
La presse a annoncé la construction de nouveaux ouvrages
à Mey et à Mercy-le-Haut ; d'autres encore seront peut-être
édifiés qui vraisemblablement seront des «Feste» analogues
à celles de la rive gauche.
La place de Metz aura alors un périmètre de 60 kilo-
mètres.
PLACES DE METZ ET DE STRASBOURG 535
Point d'attaque. — Eu égard à la facilité des commu-
nications de ce côté, le secteur est, comprenant les forts
Manteuffel, Zastrow et Goeben, semblerait devoir être choisi
de préférence comme point d'attaque. Il y a cependant lieu
de considérer que, même après leur chute et celle dû noyau
central, on ne sera réellement pas maître de la place tant
que le défenseur possédera le Saint-Ouentin et le Manstein.
Malgré la force de cette dernière position, il y aurait donc
peut-être encore avantage à la choisir comme point d'atta-
que ; la présence de la voie ferrée venant de Reims permets
trait du reste, dans ce cas, d'amener aisément le matériel,
et les approvisionnements nécessaires dans le voisinage
même des parcs de siège.

Place de Strasbourg (pi. T, page 536 bis)

Description du terrain. — La place de Strasbourg


est située sur la rive gauche du Rhin, à 3 kilomètres envi-
ron du bras principal de ce fleuve, et un peu en amont du
confluent de l'Ill, rivière qui traArerse la ville. Le terrain sur
lequel elle est assise, comme celui de ses environs immé-
diats, est très plat et presque marécageux en certains
endroits. Les nombreux bras du Rhin, entourant des îles
boisées et, des bseraies d'une largeur assez considérable,
accroissent la valeur défensive de l'obstacle formé par le
fleuve même.
Sur la rive gauche, les accidents du sol les plus rappro-
chés sont, à 5 kilomètres au moins, les derniers épanouis-
sements de la chaîne des Vosges, dont la hauteur au-dessus
du terrain environnant dépasse alors à peine 3o mètres.
Une croupe de terrain est particulièrement remarquable au
nord-ouest : c'est celle qui se dirige du. nord au sud,
entre les routes de Wissembourg et de Saverne, près de
laquelle sont bâtis les villages de Mundolsheim, Nieder-
hausbergen, Miltelhausbergen, Obcrhausbergen, et que,
536 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
pour simplifier, on désignera, dans ce qui va suivre, sous
le nom de hauteur des Hausbergen. Au delà, vers l'ouest,
le terrain se relève peu à peu, mais en pentes assez douces
parfaitement vues, du reste, par la hauteur précédente.
Sur la rive droite du Rhin, le terrain des environs est
plus, marécageux encore,-dans un rayon de 7 à 8 kilomètres.
Il est coupé par de nombreux ruisseaux, affluents directs
du fleuve ou de la rivière de la Kinzig qui se jette dans le
Rhin un peu en amont du confluent de 1T11, à quelques
kilomètres au nord de la petite ville de Kehl.
Strasbourg doit surtout son importance militaire à sa
situation en avant des deux seuls ponts fixes sur lesquels
on puisse franchir le Rhin dans cette région : elle en forme
pour ainsi dire la tête et commande, par suite, le passage
d'une rive à l'autre de ce large fleuve. La grandeur de cette
vieille cité, au coeur éminemment français, en fait d'autre
part le noeud des communications de toute la vallée de
l'Alsace, parmi lesquelles il faut citer : au nord, les routes
de Wissembourg et de Lauterbourg ; à l'ouest, celles de
Saverne, de Wasselonne et de Soultz ; au sud, celles de
Mutzig, de Schlestadt et de Colmar. Sur la rive droite du
Rhin, on trouve de même des routes importantes qui
mènent : au sud, à Offenburg et Freiburg ; au nord, à
Carlsrùhe. Dans Strasbourg viennent en outre déboucher
les lignes ferrées qui se dirigent : au nord, sur Germersheim
et sur Saverne (Paris) ; à l'ouest et au sud, sur Mutzig et,
sur Colmar; et enfin à l'est, par-dessus le Rhin, surAppen-
weier et le réseau badois.
Strasbourg française était donc pour nos armées un point
de concentration, qui nous permettait de paralyser, dans
une certain e mesure, un mouvement agressif prononcé sur
notre frontière du nord-est à travers les vallées de la Sarre
et de la Moselle, et, au besoin, de prendre nous-mêmes,
non sans quelque difficulté cependant, l'offensive sur la
rive droite du Rhin.
Aux mains des Allemands, elle forme aujourd'hui pour
)!.. T
FORTS DE STRASBOURG. p. 536Ws
PLACES DE METZ ET DE STRASBOURG 537
eux une tête de pont d'un caractère essentiellement offensif
et bien autrement menaçante pour la France, puisqu'elle
leur donne le moyen de commander la vallée d'Alsace et
d'y déboucher librement en masse.
L'ancienne place française comprenait une enceinte et
une citadelle. Les Allemands l'ont entourée d'une ceinture
de forts à cheval sur le Rhin, ont transformé son enceinte
et, en ont l'ait une place répondant à toutes les exigences
modernes.

Forts détachés. — Les forts de Strasbourg sont au


nombre de quatorze. Ils sont établis en général sur des
terrains très plats, et affectent tous des formes presque
identiques.
On peut diviser ces forts en deux catégories : ceux qui
sont situés en terrain sec, et ceux dont les fossés sont pleins
d'eau. Il y a sept forts du premier type et sept du second.
Les onze premiers, portant les nos i à 10 et le n° 3 bis, se
trouvent sur la rive gauche du fleuve ; les trois autres,
nos II à i3 inclus, sont sur la rive droite.
La place comprend en outre cinq ouvrages moins impor-
tants que les forts, qui ont été construits après coup, pour
fermer les intervalles jugés un peu trop considérables entre
certains forts. Ces ouvrages, qui recevront dans cette étude
le nom d'intermédiaires, sont les uns à fossés secs, les autres
à fossés pleins d'eau. On trouve plus loin (page 543) une
description sommaire des premiers; les seconds en diffèrent
par la suppression des organes de flanquement.
Partant du nord, sur la rive gauche du fleuve, on trouve
d'abord : l'ouvrage intermédiaire n° i, à fossés pleins d'eau,
à i 4oo mètres du fort n° i.

Le fort n° i, dit fort, Fransecky, est situé près de la rive


gauche du Rhin, entre l'Ill et le fleuve, dans un coude de
1*111 et à 5
ooo mètres de l'enceinte. C'est un fort à fossés
pleins d'eau, entouré à gauche par l'Ill et à droite par des
538 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
bras du Rhin, dont les îles boisées augmentent la valeur
défensive de l'ouvrage. Il bat la route et le chemin de fer
de Lauterbourg.

L'ouvrage intermédiaire n° 2, à fossés pleins d'eau, situé


contre la voie du chemin de fer de Lauterbourg, à 1 3oo
mètres du fort n° 1, à 800 mètres du fort n° 2.
Le fort n° 2, ou fort Molthe, est établi derrière le village
de Reichstett, à 5 000 mètres de l'enceinte et à 3 000 mètres
d'axe en axe du fort n° 1. C'est un fort à fossés secs battant
la route de Bischwiller et celle de Wissembourg, ainsi que
le canal de la Marne au Rhin et le chemin de fer de Paris.

Le forln° 3, ou fort Roon, entre la route de Wissembourg


et le chemin de fer de Paris, qui bordent ses deux flancs, à
5 3oo mètres de l'enceinte et à 2 4°° mètres du précédent,
est un fort à fossés secs, de petites dimensions, protégé en
avant par la Souffel (affluent de l'Ill) et enfilant la route de
Wissembourg et le chemin de fer de Paris.

Le fort n° 3 bis, ou fort Podbielski, auprès du village de


Mundolsheim, à 6 000 mètres de l'enceinte et à 1 5oo mètres
du précédent, occupe la partie nord de la hauteur des liaus-
bcrgen, dont on a signalé l'importance dans la description
du terrain. Il est à la cote 17.3 et domine le terrain en avant
de 10 à i5 mètres. C'est un fort à fossés secs.

Le fort n° 4, ou fort, Kronprinz, au milieu de la hauteur


des Hausbergen, et au-dessus de Niederhausbergen, à
5 000 mètres de l'enceinte et à 1 600 mètres du précédent,
est également un fort à fossés secs, à la cote 191, soit-à 3o
mètres au-dessus du terrain en avant.

Le fort n° 5, ou fort Grossherzog von Baden, au sud de


.
la hauteur des Hausbergen, à 4 700 mètres de l'enceinte et,
à 1 600 mètres du fort n° 45 est également, à fossés secs.
PLACES DE METZ ET DE STRASBOURG 53g
Les trois forts précédents occupent une position très
avantageuse sur un plateau isolé, dominant le terrain en
avant ou battant à revers les pentes qui s'y trouvent. Devant
ce plateau coule la Souffel, qui vient placer, pour ainsi dire,
un fossé en avant d'eux. Ils commandent la roule de Sa-
verne et les routes de moindre importance qui se dirigent
vers les Vosges, et, par le fort n° 3 bis, exercent une action
très efficace sur le chemin de 1er de Paris et la route de
Wissembourg. Ils forment à eux trois la véritable clef de la
place.

L'ouvrage intermédiaire n° 3, à i 5oo mètres du fort n° 5,


est à fossés secs ; il est établi en terrain plat, entre les
routes de Saverne et, de Wasselonne, qu'il a mission de
battre.

Le fort n° 6, ou fort Bismarck, à 43oo mètres de l'en-


ceinte et à i ooo mètres de l'ouvrage précédent, auquel il
est relié par un retranchement continu, est également à
fossés secs. Il est situé en terrain plat, près du village de
Wolfisheim, et bat les routes de Wasselonne et de Soultz,
ainsi que le canal de la Bruche. Deux batteries annexes
appuyées à ses flancs complètent cet ouvrage.

Le fort n° 7, ou fort Kronprinz von Sachsen, à 4 300 mè-


tres de l'enceinte et à 3 5oo mètres du précédent, dont il
est séparé par la Bruche (affluent important de l'Ill), et le
canal latéral à celte rivière, est un fort à fossés secs, bordé
par le chemin de 1er de Mutzig, qu'il enfile sur plus de 4 ki-
lomètres. Il bat, la route qui, au village d'Entzheim, se
bifurque sur Mutzig et Schlestadt.

L'ouvrage intermédiaire n° 4» situé au sud du village de


Lingolsheim, à 1 3oo mètres du fort n° 7, à 2 000 mètres du
fort, n° 8, occupe le bord du plateau; il bat la route de
Schlestadt et le chemin de fer de Bâle. Il est à fossés secs.
54û 2° PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Le forl u° 8, ou fort Von der Tann, à 6 ooo mètres de
l'enceinte et à 4 4oo mètres du fort n° 7, est un fort à fossés
pleins d'eau, établi entre la branche supérieure de l'Ill et le
chemin de fer de Bâle, qu'il bat complètement. Il possède
sur sa droite une batterie annexe.
Le fort n° 9, ou fort Werdev, à 7 000 mètres de l'enceinte
et à 3 000 mètres du précédent, est un fort à fossés pleins
d'eau, établi contre le canal du Rhône au Rhin et battant la
route de Golmar.
Sur la ligne droite qui unit les forts 9 et 10 et à égale
distance entre les deux, se trouve l'ouvrage intermédiaire
n° 5, dont les fossés sont pleins d'eau et qui tient la lisière
des bois et oseraies qui recouvrent cette partie du terrain.
Le fort n.° 10, ou fort Schwarshoff, à 8000 mètres de
l'enceinte et à 3 700 mètres du précédent, est un forl. à
fossés pleins d'eau, élevé au milieu des marécages boisés
qui bordent le Rhin, dont il est distant de 25o mètres
environ.
Le forl, n° 11, ou fort Kirchbach, est situé sur la rive
droite, à 6000 mètres de l'enceinte et à 7600 mètres du
fort n° 10. Cette distance relativement considérable est plei-
nement justifiée par la présence du Rhin et la nature des
terrains boisés qui l'avoisinent et rendent impossible toute
opération dans ce secteur. Le fort Kirchbach, placé près du
village de Sundheim, enfile la grande roule de Freiburg;
sesjbssés sont pleins d'eau.
Le fort n° 12. ou fort Bose, à 4 900 mètres de l'enceinte
et à 3 3oo mètres du précédent, dont il est séparé par la
Kinzig, est également un fort à fossés pleins d'eau ; il bat
la route d'Offenburg et le chemin de fer d'Appenweier.
Le fort n° i3, ou fort Blumenthal, à 4 5oo mètres de
l'enceinte, à 3 000 mètres du fort Bose et à 5 600 mètres du
PLAGES DE METZ ET DE STRASBOURG 541
fort- n° i ou fort Fransecky, établi sur la rive gauche, est
également un fort à fossés pleins d'eau ; il bat la route de
Garlsruhe.
L'enceinte extérieure constitue un polygone de 10 kilo-
mètres de diamètre, de l'est à l'ouest, et de 12 kilomètres,
du nord au sud, sur lequel les forts sont à peu près régu-
lièrement espacés, sauf les intervalles traversés par le Rhin
même. L'écartement moyen est d'environ 2 kilomètres ; il
atteint 7 660 mètres au sud et 5 000 mètres au nord, dans
les parties où cet accroissement est justifié par la nature du
terrain et les accidents qui s'y trouvent.

Ainsi qu'on l'a précédemment indiqué, les forts de Stras-


bourg appartiennent à deux types différents : i° les forts à
fossés secs ; 2° Jes forts à fossés pleins d'eau.

Les forts -àfossés secs avaient primitivement la disposition


représentée par la figure 187 bis (/;/. M, page 3go bis); ils
ont subi des remaniements portant en particulier sur le
mode de llanquement, qui est assuré aujourd'hui par des
coffres de contrescarpe.
Ce sont des lunettes de forme aplatie dont la gorge est
bastionnée ; les faces du iront de tête ont i5o mètres; les
flancs 100 mètres, comptés sur la magistrale.
Le parapet de tête et celui des flancs sont organisés pour
l'artillerie, avec des traverses-abris. La gorge reçoit simple-
ment un parapet défensif pour l'infanterie. Le commande-
ment de la crête sur le terrain est d'environ 8m 5o ; le fossé
a 10 mètres de largeur et 6 mètres de profondeur. L'escarpe
est détachée ; elle a 5 mètres de haut et reçoit de la contres-
carpe et du chemin de ronde qui la borde une protection
très grande, puisque la ligne joignant le sommet de l'es-
carpe à la crête couvrante est à l'inclinaison de 1 /4. Le
fossé de la gorge atteint 11 mètres de large et conserve la
même profondeur de 6 mètres ; l'escarpe y est attachée cl
forme la façade des locaux d'habitation.
542 2e PARTIE—- FORTIFICATION PERMANENTE
A l'intérieur du fort on remarque une grande traverse eu
capitale, qui partage le fort en deux moitiés très distinctes
et sert de parados pour chacun des flancs. Des rampes
placées à l'extrémité du terre-plein des flancs, parallèle-
ment à la gorge, forment parados pour le terre-plein bas de
cette partie de l'ouvrage.
Les locaux d'habitation et les magasins, disposés sur deux
étages, sont répartis en trois groupes: au saillant principal ;
à chaque saillant d'épaule; et, enfin, tout le long de la gorge,
prenant jour et air sur le fossé. Les magasins à poudre sont
à l'extrémité des flancs. La disposition adoptée permet de
donner très peu de profondeur à l'ouvrage ; mais elle éloigne
les défenseurs au repos du lieu de combat et, sous ce rapport,
présente certains inconvénients.
Sur un des flancs du fort est établie une batterie annexe
formée d'un simple épaulement se reliant au chemin de
ronde ; c'est un exemple de batterie annexe prolégée direc-
tement par le forl et qu'il est inutile par suite d'entourer
d'un fossé spécial.
Devant chacun des saillants du front de tête se trouve une
galerie de contrescarpe contenant les amorces d'un système
de mines, formées chacune de deux écoutes principales sur
lesquelles les rameaux s'embranchent directement.

Les forts à fossés pleins d'eaà (flg- a3/j) sont tout à l'ait
analogues aux précédents, quant à la disposition générale et
à la forme.
Le Jlanquemenl des fossés de tête est assuré par une sorte
de place d'armes située au saillant dont les lianes casemates
donnent des feux de revers sur ces fossés ; les flancs de l'ou-
vrage sont flanqués par des ailerons. Les locaux d'habitation
sont répartis sous le front de tête dans les forts situés sur la
rive gauche du Rhin ; sous le front de gorge dans ceux de la
rive droite.
Les ouvrages intermédiaires, à fossés secs, sont repré-
.
sentés d'une manière sommaire dans la figure 235 ; ils affee-
PLAGES DE METZ ET DE STRASBOURG 543
tenl. la forme d'une lunette trapézoïdale ; la crête du front
de tête a 70 mètres; celle des lianes, 4o mètres environ; celle

Iri<l. a3/|. — Type Jcs forts à fossés pleins d'eau.

Fi(|. 2,'i5. — Type d'ouvrage intermédiaire à fossés secs


de la place de Strasbourg (1/2 000).

de gorge 80 mètres. Le parapet de tête et celui des flancs


reçoivent, de l'artillerie et portent des Iraverses; celui de la
544 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

gorge est destiné uniquement à l'infanterie. L'escarpe et la


contrescarpe sont à terre coulante; une grille en fer règne
tout le long du pied de la contrescarpe. Le flanquement des
fossés de tête et des flancs est assuré par des coffres de
contrescarpe; celui de la gorge par une petite caponnière.
Les locaux casemates sont répartis sous le front de tête et
sous la gorge ; ils sont reliés entré eux par des communica-
tions placées sous la traverse centrale qui coupe l'ouvrage
en deux.

Enceinte du noyau central. — L'ancienne enceinte


avait une forme allongée de l'ouest à l'est et se rattachait
à la citadelle placée de ce côté, contre le Rhin ; elle était,
bastionnée et munie de dehors assez nombreux. Les Alle-
mands en ont démoli toute la partie nord et ouest et l'ont
reportée en avant, à une distance beaucoup plus grande.
*Le nouveau tracé part de 1*111 en amont et au sud, forme
un demi-cercle ayant sa convexité tournée vers le nord-ouest
et vient rejoindre l'Ill en aval et au nord de la ville. Il tra-
verse alors la rivière, fait un crochet sur la rive droite et,
gagne le canal de la Marne au Rhin, qu'il longe pendant
environ i 5oo mètres en englobant l'Orangerie. Puis il se
retourne brusquement vers le sud et suit, à quelques cen-
taines de mètres en arrière, la rive gauche du petit Rhin
(formant l'île des Épis), jusqu'à l'ancienne citadelle, qui a
été conservée.
Dans toute la partie nord-ouest, l'enceinte est, polygonale,
avec de grands fronts de i ooo à i ioo mètres flanqués par.
des caponnières centrales. Ces caponnières cuirassées sont
représentées sur la figure 179 {page 36j). Au nord et à l'est
l'enceinte est formée de fronts bastionnés très aplatis ; elle se
réduit à une simple chemise de sûreté.
Toute la partie sud, entre le Rhin et l'Ill et même un peu
à l'ouest de celte rivière, est inondable sur une étendue de
2 kilomètres de largeur; il n'y a donc aucune attaque à crain-
dre de ce côté.
PLAGES DE METZ ET DE STRASBOURG 545
L'ancienne citadelle, englobée dans l'enceinte nouvelle,
n'est plus qu'un point fort de cette dernière et ne pourrait
probablement plus remplir d'autre rôle en cas d'attaque.

Résumés et points d'attaque. — Comme on le voit,


la place de Strasbourg remplit toutes les conditions Aroulues
pour être à l'abri d'un bombardement et est organisée de
manière à présenter une grande résistance. C'est dans le
secteur compris entre l'Ill et la Bruche que l'attaque devrait
le plus vraisemblablementchercher son terrain ; dans tous les
autres, l'assaillant se trouverait arrêté par les eaux et aurait
à surmonter des difficultés beaucoup plus grandes. C'est en
outre dans ce secteur qu'est située la voie ferrée venant de
Paris.
L'étude qui a été faite de la position des Hausbergen et
l'examen attentif du terrain mettent, en évidence toute la
valeur défensive de la position et démontrent que la plus
grande force de la place actuelle de Strasbourg est précisé-
ment tournée vers le point d'attaque le plus probable.
De l'enceinte extérieure, les trois forts de la rive droite
sont du reste très vraisemblablement ceux qui tomberaient,
les derniers aux mains d'un assaillant venant de l'ouest.
De l'enceinte du noyau central, l'ancienne citadelle est de
même la partie sur laquelle le défenseur pourrait se main-
tenir le plus longtemps. Leur ensemble peut donc être con-
sidéré comme la véritable citadelle de la place actuelle.

MANUEL DK FOnTIFICATIOX 35
CHAPITRE XXXVII

FORTS ISOLÉS OU FORTS D'ARRÊT


PETITES PLACES

La création des places fortes est fréquemment justifiée


par la nécessité de tenir les noeuds importants de communi-
cations et, notamment, de voies ferrées. Ceux-ci coïncident
le plus souvent avec les grandes villes et c'est ainsi que le
problème de la fortification comporte les solutions étendues
et complètes dont l'étude a fait l'objet des chapitres précé-
dents.
Parfois cependant, la voie ferrée ou de terre qu'on veut
maîtriser traverse un défilé en pays accidenté et peut être
tenue avec une faible garnison appuyée sur un ouvrage uni-
que. Ce dernier prend alors le nom de fort isolé ou fort
d'arrêt.
Il remplace les petites forteresses jadis très nombreuses
sur notre territoire et qu'on a dû déclasser, puis démolir,
parce que leur défense était impossible à soutenir avec une
population exposée aux fatigues et aux dangers d'un siège.
Seules ont pu être conservées les petites places que leur
site met, à l'abri du bombardement ou dans lesquelles il est,
possible de créer des abris suffisants pour recevoir les habi-
tants. Il s'est trouvé d'ailleurs chez nous en 1870, à Bitche
et àPhalsbourg, d'héroïques populations de petites villes
qui ont apporté leur concours à la garnison dont elles ont
partagé le sort.
Les petites places sont toutefois devenues l'exception et
le fort d'arrêt reste la solution la plus générale.
FORTS ISOLÉS OU FORTS D'ARRÊT —- PETITES PLACES 547
On a édifié en France, de 1870 à i885, un certain nombre
d'ouvrages de ce genre, destinés à maîtriser les voies de
pénétration sur notre frontière des Vosges et de la Meuse et
à créer par suite un obstacle infranchissable sur une longue,
étendue. C'est d'après ce principe que sont construits, dans
les Vosges, les forts du ballon de Servance, de Château-
Lambert, de Rupt, du Parmont, à Remiremont ; celui
d'Arches, relié à la place d'Epinal, et, sur les Hauts de
Meuse, entre Toul et Verdun, les forts de Liouville, de
Gironville, du Camp-des-Romains, de Troyon et de Géni-
court.
Le rôle que ces ouvrages ont été appelés à jouer dans
notre système d'organisation défensive est assez important
pour qu'il soit utile de s'arrêter aux particularités qui les
distinguent.
Ces forts isolés ne possèdent plus, comme ceux des places
fortes, l'aA'antage d'être appuyés en arrière par un noyau
central les protégeant de ce côté contre les atteintes du
canon de l'assiégeant. Il en résulte : i° que leur différentes
laces doivent recevoir la même organisation pour l'artille-
rie et la même protection pour les escarpes ; 20 que les
locaux d'habitation qu'ils comportent ne peuvent avoir de
façades découvertes, dont, les projectiles ennemis amène-
raient, promptement la ruine, puisque ceux-ci peuvent,
arriver, théoriquement, de tous les points de l'horizon et,
en réalité, dans plusieurs directions différentes.
Leur établissement est toujours, par suite, assez difficile,
et, dans la pratique, on est généralement obligé de se con-
tenter d'une solution quelque peu approchée du problème
consistant à les défiler complètement des coups de l'adver-
saire.
Il faut signaler, en outre, la nécessité de mettre entière-
ment le fort à l'abri d'un coup de main et, par suite, de
l'entourer d'un fossé sérieux muni d'une bonne escarpe.
Assez souvent les forts d'arrêt établis en pays de montagne
sont construits sur des assises de roc formant une escarpe
548 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
naturelle qu'il est moins nécessaire de défiler qu'un mur
maçonné; on peut alors élargir le fossé sans grand danger.
En raison des petites dimensions de l'ouvrage, le tracé
polygonal s'impose, mais la protection des organes de flan-
quement contre l'artillerie ennemie exige des précautions
particulières.
Dans les forts. détachés des places complètes, l'entrée
était installée dans la gorge. Ici, cette partie du fort n'existe
plus ; il y a cependant toujours un côté moins exposé que
les autres et c'est celuirlà,que l'on choisit pour y placer
cette ouverture.
L'organisation intérieure des forts d'arrêt, présente de
grandes analogies avec celle des forts détachés. On ne doit,
pas perdre de vue, cependant, qu'il est, indispensable de s'y
défiler de tous les côtés, puisque, comme on l'a. fait remar-
quer ci-dessus, il n'existe plus, à proprement parler, de
direction dans laquelle les coups de l'artillerie ne puissent
arriver.
Les abris doivent être très nombreux puisqu'ils doivent,
suffire à tous les besoins de la garnison, durant un siège
dont il faut prévoir la durée extrême. Il faut dès lors de
grands magasins à vivres et à munitions, une manutention,
des citernes, un hôpital, etc.
L'armement d'un fort d'arrêt comprend :
1° Un armement d'interdiction, dont le but est d'empêcher
l'ennemi d'utiliser la voie de communication. Cet armement,
qui doit rester disponible jusqu'au dernier moment, reçoit
le maximum de protection ;
2° Un armement de défense éloignée, destiné à contre-
battre ies batteries' ennemies. On s'efforce de le disposer
de manière à concentrer au besoin le feu du plus grand
nombre possible de pièces sur un même objectif, et, à, cet-
effet, on étend le champ de tir de chacune d'elles autant
qu'on le peut ;
3° Un armement de défense rapprochée : fusils, mitrail-
leuses, canons à tir rapide.
,
FORTS ISOLÉS OU FORTS D'ARRET — PETITES PLACES 54g
L'armement des ouvrages existants est
presque en entier à

Fig. 230. — Forl. isolé.

Coupe transversale dans la cour intérieure.

ciel ouvert, réparti sur tout le pourtour, complètement


tra-
versé et paradossé.
55o; 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Seules, les pièces d'interdiction ont parfois reçu la pro-
tection d'un cuirassement en fonte dure (tourelle ou case-
mate).
Près des forts d'arrêt, il y a eu lieu assez souvent, comme
pour les forts détachés, d'établir quelques batteries annexes
destinées à battre les directions qui échappent au fort lui-
même ; mais on s'est montré plus réservé dans leur emploi,
car il est toujours assez difficile de bien protéger ces batte-
ries pendant le siège. On a eu soin, dans tous les cas, de les
relier au fort par des chemins couverts défensifs battant les
pentes du terrain.
Les locaux d'habitation, afin de recevoir l'air et la lumière,
sont disposés sur les deux longs côtés d'une cour dont la lar-
geur est réduite au strict minimum (6 à 8 mètres) et dont la
grande dimension est dirigée Arers les points du terrain exté-
rieur sur lesquels il y a le moins à craindre de voir l'ennemi
établir ses batteries. Par cette disposition, on se prémunit
contre les coups les plus dangereux. Pour défiler les façades,
on surmonte les casernes d'un massif de terre ayant 3 à
4 mètres au moins d'épaisseur, et, pour rapprocher la crête
couvrante du point à couvrir, le mur de façade se prolonge
à im5o ou 2 mètres au-dessus des voûtes, ce qui. équivaut à
raidir le talus des terres (Voirfig. 236).
Les abris divers sont, l'élément des forts isolés dont, l'or-
ganisation est la plus importante et, dont la valeur s'est le
plus modifiée.
Maintenant que tous les locaux construits avant i885 ont
perdu leur force de résistance, on peut se "demander avec
quelque inquiétude comment la garnison d'un fort isolé
pourrait soutenir un siège et conserver les approvisionne-
ments qui lui sont indispensables.
On est amené ainsi à penser qu'il conviendrait déconsidé-
rer le fort comme un réduit de la position et, de le défendre
par de l'infanterie et par quelques pièces cuirassées, sa prin-
cipale mission étant de garantir les approvisionnements
nécessaires à la garnison qui occuperait le terrain avoisinanl
FORTS ISOLES OU FORTS D ARRET PETITES PLACES 001
et assurerait le service des pièces contenues dans des batte-
ries annexes. Toutefois, dans ces conditions, l'effectif de
celte garnison dépasserait de beaucoup celui qui suffisait
aux ouvrages organisés d'après les principes en vigueur
jusqu'en i885.
Tout en reconnaissant le bien-fondé des critiques qu'on
peut élever contre nos constructions postérieures à la guerre
de 1870, depuis les nouveaux progrès de l'artillerie, on ne
saurait cependant dénier toute valeur à ces ouvrages. II
convient d'observer, en effet, que l'ennemi auquel ils seront
appelés à résister ne pourra disposer d'une artillerie aussi
puissante que celle dont ils sont dotés eux-mêmes et que
son ravitaillement en munitions, toujours fort difficile en
pays accidenté, enlèvera au tir une grande partie de sa
puissance. Si même les pièces de siège démontablesaccrois-
sent la puissance du matériel qu'on peut amener en pays
de montagne, on ne saurait méconnaître que la supériorité
du calibre appartiendra toujours à l'artillerie des remparts,
qui reste aussi la mieux approvisionnée, du moins au début.
On est donc en droit de compter sur un premier avantage
en sa faveur lorsque la lutte s'ouvrira.
Cet avantage, si mince et de si courte durée qu'on le
suppose, n'aura-t-il pas pour conséquence d'arrêter l'enva-
hisseur dans sa marche et de protéger pendant ce temps
nos armées nationales. Dès lors, la fortification qui l'aura
procuré n'aura-t-elle pas accompli la tâche pour laquelle
elle a été créée ? Quelques journées.gagnées par le défen-
seur, quelques corps d'armée immobilisés pour l'envahis-
seur suffiront peut-être pour faire pencher la balance en
faveur du premier et justifieront la création des forts d'arrêt.
Il faut observer enfin que ces ouvrages sont susceptibles
de transformations ; on peut renforcer leurs abris en rédui-
sant le nombre de ces derniers, et puisqu'il est admis que
leur durée de résistance a diminué, ils ont besoin de conte-
nir moins d'approvisionnements qu'autrefois.
Mais, pour que ces ouvrages isolés conservent leur valeur
002 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
et même leur raison d'être, il est indispensable qu'ils bar-
rent réellement les voies de communication et ne puissent
être tournés ; il faut donc éviter avec soin de laisser s'établir
des routes nouvelles dans les régions où ils existent, elles
déboisements doivent, être l'objet d'une surveillance atten-
tive. Sans doute les besoins matériels du pays ont leurs
exigences, mais dans une région ainsi exposée et d'une
importance si grande pour la défense du territoire, l'intérêt
général doit dominer tous les autres, et il faut savoir
sacrifier quelques bouts de chemins, utiles aux localités
qu'ils desservent, pour maintenir dans son intégrité cette
muraille destinée à nous proléger contre les invasions
futures-.
Si les forts organisés comme on vient de l'exposer sont
susceptibles de rendre encore des services, il y a lieu cepen-
dant d'en modifier le type dans l'édification de forts nou-
veaux. Il faut renforcer l'obstacle, la résistance des abris
el,la protection de l'armement.
L'obstacle comprend : un glacis avec un ou deux réseaux
de fils de fer ; un fossé large el profond avec contrescarpe el,
escarpe taillées dans le roc ou bétonnées, flanqué par des
coffres de contrescarpe protégés autant que possible des
coups d'enfilade.
Le parapet sera bétonné, au moins par endroits, recou-
vrant de nombreux abris de combat à l'épreuve du canon,
des tourelles pour mitrailleuses ou canons à tir rapide el
des guérites blindées. Le centre du fort sera occupé par
une masse de béton d'où émergeront les calottes des tou-
relles, des observatoires cuirassés et des projecteurs, et qui
contiendra la caserne, les magasins, Y usine électrique qui
donne la lumière et actionne les projecteurs et les ventila-
teurs. Cet ensemble sera en communication couverte avec
les abris de combat et, les organes de fïanqucmenl.
Si celle solution paraît trop onéreuse, on pourra placer une
partie de l'armement à eiel ouvert, derrière le parapet, par-
dessus lequel il ferait du' tir indirect. Ces pièces devront être
FORTS ISOLÉS OU FORTS D'ARRÊT — PETITES PLACES 553
protégées par des pare-éclats et rendues aussi mobiles que
possible afin de faciliter leur enlèvement rapide el leur mise
à l'abri. L'étude qui sera faite plus loin, au chapitre XLIX,
de l'attaque et de la défense d'un fort isolé, permettra de
conclure qu'un ouvrage constitué comme on vient de le
dire, el bien défendu, ne succombera qu'après une longue
attaque pied à pied qui.demandera à l'ennemi un effort
considérable.

Ouvrages de Molsheim. — Comme complément, à


:;ette élude, on trouvera ci-après quelques renseignements

Fig. 237. — Ensemble des ouvrages de Molsheim (1/80000 environ).

empruntés à la Revue du Génie (juillet 1898), au sujet des


loris isolés construits en Allemagne tout récemment. —
Ceux-ci complètent l'étude de la place de Strasbourg faite
au chapitre précédent.
554 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
A 20 kilomètres à l'ouest de Strasbourg, à i5 kilomètres
environ des forts Bismarck et Kronprinz von Sachsen, au

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point de jonction des voies ferrées de Saveme à Schlestadl


et de Saales à Strasbourg, les Allemands ont construit, de
FORTS ISOLÉS OU FORTS D'ARRÈT PETITES PLACES 555
i8g3 à 1898, un groupe d'ouvrages destinés à tenir ce noeud
de communications, extrêmement important, puisqu'il com-
mande les voies ferrées par lesquelles nous pourrions ame-
ner notre matériel de siège devant Strasbourg.
Ce groupe comprend les forts Guillaume II et Blottèn,
plus un ouvrage au nord vers Dangolsheim, un autre à l'ouest
au-dessus de Mutzig et un certain nombre de batteries an-
nexes. L'ensemble (fig. 23y) forme en quelque sorte une
place entièrement militaire dont les organes principaux sont
les deux forts Guillaume II et Blotten qui constituent le
réduit de la position.
Ces ouvrages se rattachent aux types adoptés par le géné-
ral Brialmont pour les forts de la Meuse.
La figure 238 en donne le plan ; on voit qu'ils affectent
une forme triangulaire et qu'ils comprennent un massif
central en béton portant quatre tourelles pour pièces de
i5cm; un parapet d'infanterie de forme trapézoïdale entoure
ce massif; il est renforcé par des tourelles pour pièces légè-
res à tir rapide ; des observatoires cuirassés occupent les
saillants de l'ouvrage. Les fossés du fort sont profonds de
6 mètres, ont des escarpes et contrescarpes en maçonnerie ;
ils sont flanqués par des coffres, de contrescarpe.
Il a paru utile de signaler les ouvrages de Molsheim
parce qu'ils indiquent non seulement la tendance actuelle-
ment en faveur en Allemagne au sujet des types de fortifica-
tion, mais en outre parce que leur construction démontre
que nos adversaires, loin de faire fi des ouvrages isolés que
chez nous tant d'écrivains ont décriés, sont entrés dans
la voie où nous-mêmes les avions précédés au lendemain de
la guerre de 1870.
CHAPITRE XXXVIII

DÉFENSES ACCESSOIRES
DANS LA FORTIFICATION PERMANENTE

Les différentes défenses accessoires en usage dans la for-


tification passagère, qui ont é(,é énumérées et, décriles dans
le chapitre XIII ( Voir pages i<)5 etsuiv.), sont également d'un
emploi fréquent en avant des ouvrages permanents, dont
elles peuvent contribuer puissamment à assurer la sécurité
et à favoriser la défense rapprochée. Mais la fortification
permanente proprement dite comporte en outre certaines
dispositions spéciales, qui lui sont particulières el consti-
tuent ce que l'on peut appeler ses « défenses accessoires ».
Telles sont, essentiellement, les plantations, les inonda-
tions et les systèmes de mines, dont l'organisation va être
étudiée dans le présent, chapitre.

Plantations
On peut employer les plantations de diverses manières,
suivant les parties des ouvrages sur lesquelles on les établit.
Sur les bennes des talus, des haies vives retiennent bien
les terres éboulées et forment obstacle à la marche de l'en-
nemi au moment de l'assaut. Il y a longtemps déjà que
Vauban les préconisait; il en avait fait établir lui-même sur
les fortifications de Neuf-Brisach.
Dans le but de retenir les terres, on emploie également
DÉFENSES ACCESSOIRES 557
avec succès, sur les talus mêmes, des plantations d'arbres
à racines rayonnantes, tels que les acacias.
Sur les glacis, ces mêmes arbres à haute tige et à racines
nombreuses ont, sans gêner les vues de l'ouvrage, l'avan-
tage de remplir le terrain de souches et de racines rendant
fort difficiles les travaux de sape et retardant d'une manière
très appréciable la marche de l'ennemi.
Sur les plongées, entre les traverses, des haies vives assez
touffues pour former un rideau, tout en permettant aux
tireurs de faire le coup de feu au travers, dissimulent très
heureusement l'espèce d'embrasure que dessinent deux tra-
verses voisines, en se découpant sur le ciel.
Enfin, d'une manière générale, on ne saurait planter trop
d'arbres, en temps de paix, dans l'intérieur des ouvrages.
On peut arriver ainsi à masquer les différents massifs de
terre, et, si ces arbres viennent à gêner au moment d'un
siège, ce ne sera pas alors une grosse besogne que de les
abattre; le bois provenant de cet abatagc trouvera d'ailleurs
toujours un emploi avantageux pour la défense.
Tout ce qui précède s'applique aux ouvrages anciens
dont les parapets sont en terre et qui comportent des cours
intérieures ; il va de soi que les forts en béton du genre de
ceux de Molsheim dont il est question au chapitre précédent
ne comportent plus de plantations qu'à l'extérieur, pour
masquer leur emplacement.

Inondations
Lorsque les places fortes sont établies sur un cours d'eau,
on peut toujours tirer parti de ce dernier en créant des
inondations qui augmentent leur valeur défensive. Il faut
di re cependant que cette opinion n'est pas unanime ; certains
militaires prétendent que les inondations autour des places
fortes sont plus nuisibles qu'utiles, parce que, si elles gênent
considérablement les mouvements de l'ennemi, elles oppo-
OOO 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
sent le même obstacle au défenseur, l'empêchent de faire
des sorties, sont un danger sérieux pour la place quand il
gèle, etc. Il y a évidemment quelque chose de fondé dans
ces objections ; elles ne paraissent point cependant avoir
prévalu, car dans toutes les places établies en site aquatique,
on a cherché à utiliser les inondations.
On distingue, en principe, deux sortes d'inondations :
celle d'amont et celle d'aval.
La première est établie au moyen d'une digue de retenue
placée au point où le cours d'eau entre dans la ville ; elle
s'étend en amont, d'autant plus loin que le pays est plus
plat et la digue plus haute ; elle est facile à conserver, puis-
que le défenseur en tient la clef entre ses mains.
La seconde s'obtient en plaçant,en aval et aune distance
assez grande, une digue protégée par des ouvrages spéciaux;
elle accumule l'eau entre la place et la digue ; elle demande
plus de travail pour son établissement et peut être saignée
plus aisément par l'ennemi. On ne l'établit généralement
qu'à défaut de la précédente.

On utilisait encore autrefois la présence de l'eau pour


l'amener dans les fossés et y obtenir des chasses, c'est-à-
dire la faire circuler dans ces fossés, au moment opportun,
avec une vitesse assez grande pour ruiner les travaux que
l'assaillant pouvait y établir.
Pour obtenir des chasses de cette espèce, deux systèmes
d'écluses sont nécessaires. Les unes, placées dans la rivière
même, servent à arrêter l'eau pour l'envoyer dans les fos-
sés : ce sont les écluses de retenue. Les autres, barrant les
fossés, retiennent l'eau qui s'y accumule et peuvent, à cer-
tains moments, par une manoeuvre très prompte, due à une
disposition particulière, laisser rapidement échapper cette
eau, qui se précipite en aval avec une grande force : ce sont
les écluses de chasse.
L'ensemble de ces dispositions constitue ce qu'on appelle
DÉFENSES ACCESSOIRES 55g
les manoeuvres d'eau, très fréquentes dans les places fran-
çaises du Nord, dont elles renforcent les ouvrages. Il faut
reconnaître que cette défense a perdu une partie de sa valeur.
Si l'on ne veut pas éprouver de mécomptes en temps de
guerre, il importe de s'assurer assez fréquemment, pendant
le temps de paix, que les différentes écluses sont en état de
bien fonctionner.

Le but des inondations est non seulement de rendre le


terrain impraticable, tant que l'eau subsiste à sa surface,
mais encore de détremper le sol pendant un temps assez
long après qu'on en a provoqué l'écoulement, ce qui a pour
effet d'empêcher les travaux d'approche et les mouvements
de troupes.
Aussi, dans certains pays, notamment en Hollande et dans
la Flandre française, a-t-on fondé tout un système de défense
sur l'emploi d'inondations recouvrant une partie quelque-
fois fort considérable du pays. Les clefs de ces inondations
se trouvant dans les places fortes, l'ennemi ne peut les em-
pêcher qu'après s'être emparé de ces places. Cette disposi-
tion, qui présente évidemment tous les inconvénients repro-
chés plus haut aux inondations en général, entraine avec,
elle celui beaucoup plus grave de ruiner à peu près complè-
tement les pays inondés.

Systèmes de mines
On appelle système de mines ou, plus exactement, de
contre-mines, un ensemble de dispositions préparées à
l'avance pour. installer, sous les glacis de la fortification,
des charges de poudre oxifourneaux, dont l'explosion, pro-
voquée en temps opportun, jette le trouble dans les travaux
de l'assiégeant et l'oblige à entreprendre une guerre souter-
raine, toujours fort longue, qui permet à la défense de
gagner du temps.
560 2e PARTIE ;— FORTIFICATION PERMANENTE
En étudiant, dans la IIIe partie, les dernières périodes
d'un siège, on verra les effets produits par ces fourneaux et
les différentes manières de les établir. On se bornera donc à
indiquer ici l'installation générale des systèmes de mines
permanents.
Le but de ces constructions esl, de faciliter au défenseur
l'établissement,en temps opportun, des galeries et fourneaux
qui peuvent lui devenir nécessaires, et non point de prépa-
rer, dès le temps de paix, un système complet qu'il suffirait
de mettre en oeuvre au moment voulu. Une organisation
aussi perfectionnée ne serait pas possible, car l'action des
fourneaux doit être dirigée contre les travaux mêmes de l'en-
nemi : il faut donc laisser au système de mines assez d'élas-
ticité pour se plier aux exigences résultant des dispositions
prises par l'adversaire. Le seul but à poursuivre est, par
conséquent, de s'assurer la possession du terrain inférieur,
dans un rayon de 60 à 80 mètres environ en avant des crêtes
du chemin couvert.
Les systèmes de mines, ayant une action purement locale,
ne seront établis sur l'enceinte d'une place forte que dans
les secteurs présumés d'attaque. Dans les forts détachés au
contraire, où, comme on le verra pjus loin, cette attaque
doit nécessairement se développer sur tout le périmètre de
l'ouvrage, il y aura lieu d'en organiser devant, chacun des
saillants du front de tête.

Les éléments constitutifs d'un système de mines (fig. 23g)


sont les écoutes et les rameaux.
Les écoutes sont des galeries souterraines dirigées à peu
près normalement à la contrescarpe et, servant à porter
le mineur à une certaine distance en avant; elles doivent
donc avoir une assez grande longueur, 5o à 60 mètres par
exemple. Chaque système de mines établi devant un saillant,
comprend un certain nombre d'écoutés, ordinairement trois
ou quatre.
Les rameaux sont des galeries de plus petites dimensions,
DÉFENSES ACCESSOIRES 56 I
s'embranchant sur les précédentes, à des distances varia-
bles, et permettant de s'assurer la possession du terrain
compris entre deux écoutes voisines : soit directement, soit-

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en facilitant, la construction de rameaux en bois, établis au


moment du besoin pour aller placer des fourneaux aux em-
placements reconnus nécessaires.
Pour réunir les écoutes à leur base, on établit derrière la
MANUEL DE FORTIFICATION 36
562 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
contrescarpe une large galerie, formée d'une série de voûtes
accolées. Cette galerie de contrescarpe on base du système
sert de voie de communication entre les diverses écoutes et
avec l'intérieur de l'ouvrage ; elle contient, en outre, les
magasins aux matériaux, les abris des hommes et l'emplace-
ment des ventilateurs destinés à renouveler l'air dans tout
le système de contre-mines.
Les écoutes sont en outre quelquefois reliées par des
galeries perpendiculaires à leur direction, portant le nom
de transversales et servant de base à une série d'autres
rameaux par lesquels on occupe le terrain intermédiaire
(fig, 23g).
Les transversales ont des avantages sérieux au point de
vue des communications, de la ventilation et des facilités
qu'elles procurent pour l'établissement de nouveaux ra-
meaux ; mais on leur reproche d'être un danger pour l'en-
semble du système, car, lorsque le mineur ennemi s'est
rendu maître d'une transversale, il peut s'emparer des
deux écoules latérales ou les rendre intenables en les infes-
tant. Par leur direction même, les transversales sont du
reste assez exposées : aussi renonce-t-on fréquemment à les
employer.
Les écoutes sont organisées en galeries majeures (2 mètres
de hauteur sur 2 mètres, de largeur), dans la première par-
tie de leur étendue, et en grandes galeries (2 mètres de
haut sur 1 mètre de large) dans la partie antérieure. On les
fait même au besoin en demi-galeries (im5o sur 1 mètre).
Les rameaux ont des dimensions plus petites.
Les systèmes de contre-mines sont établis, sauf de rares
exceptions, à des profondeurs assez faibles, 6 à 7 mètres
environ, car la défense n'a pas intérêt à produire de grandes
explosions laissant des entonnoirs dans lesquels l'assaillanl
trouve un abri. Il est, préférable pour elle de se rapprocher
de son ennemi et de n'employer que de petites charges
obtenant le même effet destructif sans créer ces excavations
dangereuses.
DÉFENSES ACCESSOIRES 563
Dans certains cas, il y a cependant intérêt à s'enfoncer
davantage : lorsque, par exemple, il existe une couche de
terre molle entre deux assises de roc, il faut alors s'assurer
la possession de cette couche et on y établit pour cela le
système de mines. Cette disposition a été employéepar les
Russes à Sébastopol.

Les mines paraissent appelées à jouer un rôle sérieux


dans les guerres futures ; la plupart des travaux de fortifica-
tion construits en Allemagne en sont aujourd'hui pourvus.
L'histoire des sièges prouve que les guerres souterraines
sont toujours fort Ipngues et que tel assaillant qui s'était
avancé rapidement jusqu'aux limites d'action du système de
mines de la défense s'est trouvé subitement ralenti dans sa
marche, lorsqu'il a dû entreprendre les travaux nécessaires
à la destruction de ce dangereux obstacle. L'expérience du
siège de Port-Arthur n'est pas de nature à infirmer cette
conclusion.
Il faut donc se garder de négliger ce complément impor-
tant de la fortification moderne ; ce serait, se priver volontai-
rement d'un avantage indiscutable.
CHAPITRE XXXIX

FORTIFICATION DES CÔTES


ET PLACES MARITIMES

Les fortifications élevées sur le bord de la mer, pour la


défense des côtes et la protection des cités maritimes de
quelque importance, se trouvent, par leur situation même,
dans des conditions tout à fait particulières. Ces conditions
et la nature des forces auxquelles les ouvrages doivent
résister nécessitent l'adoption de certaines dispositions dont
il importe de faire ressortir le caractère général.
Il serait impossible d'organiser défensivemcnt les côtes
sur tout leur développement, d'avoir des canons ou des
lignes de torpilles en tous.les points où une flotte ennemie
pourrait bombarder une localité ou tenter un débarquement ;
un pareil développement serait, d'ailleurs inutile. On par-
A7ient à assurer la défense des côtes, aArec moins d'hommes
et moins d'argent, en utilisant non seulement la défense
fixe que donnent la fortification, le canon, la torpille,
mais aussi la défense mobile. Celle-ci comprend : la défense
mobile de mer, assurée par des éléments spéciaux de la
flotte, et la défense mobile de terre, confiée à des forces
rassemblées en des points convenables, que le chemin de
1er transporte rapidement au point menacé, à la condition
toutefois qu'un service de renseignements, bien organisé,
signale en temps utile les entreprises de l'ennemi.
En outre, la flotte de guerre est un élément indirect, mais
très efficace, de la défense des côtes, car le belligérant,
FORTIFICATION DES COTES ET PLACES MARITIMES 565
maître de la mer, craint fort peu pour ses côtes. Mais la dé-
fense des côtes ne doit pas reposer uniquement sur l'emploi
de la flotte, parce que celle-ci peut être mise en échec et
que toute liberté d'action lui est. nécessaire pour se consa-
crer à sa mission essentielle : l'anéantissement des flottes
ennemies.
Les sites maritimes qu'il peut être nécessaire de fortifier
sont les suivants :
i° Les grands ports militaires de la métropole et les points
d'appui de laflotte créés aux colonies sur les grandes routes
maritimes. Ils sont indispensables aux flottes de guerre
pour se réparer et se ravitailler.
Il importe que les ateliers, les approvisionnements et,
éventuellement, les escadres y soient à l'abri ;
2° Les grands mouillages Aroisins des places précédentes
qui, en raison des facilités qu'ils offrent à l'ennemi pour le
stationnement de ses escadres, peuvent constituer un danger
pour les ports, et qui, au contraire, s'ils sont organisés,
peuvent servir de zones de manoeuvre aux flottes amies ;
3° Les îles voisines du littoral, qui pourraient servir de
points d'appui à l'ennemi ;
4° Les points de la, côte favorables au débarquement situés
à proximité d'une place maritime ;
5° Les grands ports de commerce, qu'on ne peut laisser
exposés sans défense aux insultes des flottes ennemies ;
6° Les embouchures des grandsfleuves.

Défense mobile de mer. — La défense mobile de


mer a pour effet :
i° De surveiller le large, de renseigner sur les flottes
ennemies si elles se présentent, de les menacer continuel-
lement;
2° De contribuer à repousser toute attaque des flottes
ennemies sur la côte.
Le service de renseignements qu'elle constitue est com-
plété par les sémaphores qui, de la côte, observent le large
566 2° PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
et communiquent par la télégraphie aérienne avec la flotte
amie.
-
Les bâtiments employés à la défense mobile sont : les
garde-côtes, les Canonnières cuirassées, les contre-torpil-
leurs, les torpilleurs, et les so'us-marins.
On désigne sous le nom de garde-côtes des naAÙres cui-
rassés, à faible tirant d'eau, munis d'un éperon et d'une puis-
sante artillerie installée derrière des cuirasses ou sous des
tourelles, et pouvant circuler dans les rades et les ports de
faible profondeur d'eau, de manière à porter sur les points
convenables "une partie de l'artillerie de la défense, pour
attaquer à propos les naA'ires cuirassés ennemis.
Leur emploi tend à se restreindre, parce que les dépenses
considérables qu'ils nécessitent sont employées plus utile-
ment à renforcer les escadres. :

Les canonnières sont de petits bâtiments, armés de quel-


ques canons, susceptibles, grâce à leur faible tirant d'eau,
de remonter les fleuves.
Les torpilleurs et les sous-marins constituent l'élément
principal de la défense mobile. Ils agissent par la torpille
automobile, dont le type le plus connu est la torpille Whi-
tchead, dont un seul coup heureux met hors de combat les
plus gros cuirassés. Ces bâtiments, de petit tonnage et, par
suite, peu coûteux, peuventêtre construits en grand nombre.
La torpille, lancée avec une faible vitesse par un tube
lance-torpille, continue son mouvement dans la même direc-
tion par ses propres moyens, grâce à ses hélices actionnées
par un moteur à air comprimé. Elle est réglée pour naAriguer
constamment à 3 mètres au-dessous du niveau de l'eau et
Arient ainsi frapper le bâtiment visé au-dessous de sa cuirasse,
c'est-à-dire dans sa partie la plus vulnérable. Le choc fait
exploser la charge de coton-poudre qu'elle contient.
Sa portée varie de 4oo à i ooo mètres.
Le torpilleur, petit navire, non protégé, sans canons,
tient mal la mer et n'a qu'un faible rayon d'action. Il a un
ennemi dangereux, le contre-torpilleur, plus gros, plus ra-
FORTIFICATION DES CÔTES ET PLACES MARITIMES 667
pide, d'un plus grand rayon d'action, tenant mieux la mer,
armé comme lui de tubes lance-torpilles, d'artillerie légère.
La défense mobile trouve dans ces contre-torpilleurs un
excellent instrument de reconnaissance éloignée et une pro-
tection pour ses torpilleurs.
Le sous-marin est un puissant élément de la défense
mobile de mer dont il est superflu de démontrer l'impor-
tance.
Les flottilles de la défense mobile, n'ayant qu'un faible
rayon d'action, ont besoin, pour se ravitailler, se réparer et
faire reposer leurs équipages, de refuges nombreux et orga-
nisés défensivement.

Défense fixe de mer. — La défense fixé de mer


emploie des postes lance-?torpilles, qui dirigent des torpilles
automobiles sur les points à interdire à l'ennemi, mais surtout
des torpilles fixes, qui constituent comme les. défenses
accessoires de la fortification maritime. Placées dans les
passes à défendre, elles peuvent sinon en interdire complè-
tement l'accès, du moins infliger à la flotte ennemie de
grosses perles, car leur charge d'explosif, qui peut atteindre
700 kilos, est capable de détruire un cuirassé même cloi-
sonné.
Les torpilles fixes sont de deux sortes :
Les unes, dites automatiques, vigilantes ou flottantes, se
maintiennent en équilibre à quelques mètres au-dessous de
la surface de l'eau, rattachées à un bloc lourd reposant au
fond. Elles font explosion lorsqu'elles sont rencontrées par
un corps flottant de masse un peu considérable ; leur effet
est, sûr, mais elles gênent autant la flotte amie que la flotte
ennemie. Si elles viennent à se déplacer, et ne peuvent être
relevées, elles constituent, les hostilités terminées, un dan-
ger pour la naA'igation. La guerre russo-japonaise l'a suffi-
samment démontré.
Les autres torpilles, dites de fond ou dormantes, sont
inflammables à volonté; elles sont à cet effet reliées à la
568 2° PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
côte par des fils conducteurs venant se rattacher à une
amorce située dans la torpille et à une pile placée à terre.
On les place sur une ligne traversant la passe à défendre
et, à l'aide de deux observatoires, on recoupe la position
des navires ennemis. Lorsque l'un de ces derniers est si-
gnalé dans le rayon d'action des torpilles, on fait passer le
courant (qui peut être produit d'une manière automatique),
et l'on détermine ainsi l'explosion. Quand ces torpilles sont
en bon état, elles sont préférables aux précédentes, mais,
après un séjour prolongé dans l'eau, leur effet est générale-
ment très problématique.
Les torpilles fixes sont employées en lignes pour interdire
les passes, les goulets. Les torpilles Arigilantes permettent
en outre de rendre dangereuses des rades entières. Les
Russes et les Japonais en ont fait un grand usage devant
Port-Arthur en igo4, où elles ont causé la perte d'un cer-
tain nombre de gros bâtiments.

Défense fixe de terre. — L'artillerie portée par les


navires, dont les places côtières ont à redouter l'attaque,
présente certains caractères qui lui sont propres. Elle se
déplace aisément ; elle est toujours prêle à tirer ; elle porte
ses munitions avec elle ; les pièces dont elle est composée
sont douées d'une puissance énorme, due à leurs forts cali-
bres. En retour, elle a le désavantage de ne pouvoir répéter
ses coups en un même point, par suite de la mobilité du
navire sur lequel elle est établie. A celte artillerie lourde
s'ajoutent les nombreuses pièces à tir rapide et de petit
calibre dont l'effet sur le personnel est extrêmement
puissant.
Les fortifications édifiées sur les côtes sont de trois
sortes :
i° Les batteries de côte ; 2° les forts côtiers ; 3° les forts à
la mer.
Les forts, comme les batteries, sont, avant tout, des porte-
canons.
FORTIFICATION DES CÔTES ET PLACES MARITIMES 56g
Batteries de côte. — Suivant le genre de tir qu'elles
utilisent et la mission qui leur incombe, on les divise en
trois catégories :
i° Les batteries de rupture, destinées à perforer les cui-
rasses des navires en vue d'atteindre ceux-ci dans leurs
oeuvres vives. Elles sont armées de canons des plus forts
calibres, tirant avec une grande vitesse initiale, et sont
placées à une altitude très faible pour être en mesure d'at-
teindre les cuirasses aussi normalement que possible. Ce
sont donc des batteries basses. Elles sont exposées, par
suite, au tir plongeant de la petite artillerie des hunes ;
aussi est-on conduit souA'ent à les organiser en batteries
casematécs ;
2° Les batteries de bombardement, chargées de diriger sur
les navires un tir à mélinite, qui rend tout service impossi-
ble à bord en s'attaquant au personnel non abrité et à tout
ce qui n'est pas protégé par la cuirasse et le pont cuirassé.
Celles de ces batteries qui sont armées de mortiers de
gros calibre peuvent en outre crever le pont cuirassé, moins
épais que la cuirasse qui protège les flancs, et porter la
destruction dans les oeuvres vives des cuirassés les plus
puissants.
Il y a intérêt à donner aux batteries de bombardement
une grande altitude. Lorsqu'on s'élève, en effet, l'horizon
s'agrandit, le défilement contre les vues et les projectiles
de l'ennemi situé en mer s'améliore, si bien que les batte-
ries dont l'altitude atteint 80 à 100 mètres n'ont presque
rien à craindre du canon des navires, comme l'ont vérifié
les faits de guerre les plus récents (Santiago, Port-Arthur).
Les batteries de bombardement sont donc en principe
des batteries hautes.
On doit cependant, parfois, renoncer à une grande alti-
tude si, pour s'élever, on est conduit à s'éloigner trop de la
côte, ce qui diminue le rayon d'action des canons, ou si, en
s'élevant, on crée un angle mort qu'on ne pourrait battre
par d'autres batteries.
570 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Les batteries sont armées, suivant leur rôle, de canons
degrés calibre, ou de moyen calibre, ou de mortiers. Les
batteries de moyen calibre sont souvent placées près des
batteries de gros calibre pour les protéger contre la petite
artillerie des navires ; elles constituent dans ce cas des bat-
teries annexes ;
3° Les batteries de petit calibre à tir rapide, dont la mis-
sion est de: tirer sur le pont des navires et sur les bâtiments
non cuirassés, notamment sur les torpilleurs. En raison de
leur faible portée, on les-utilise surtout pour battre les pas-
ses et l'intérieur dés rades. On les installe sur les jetées et
les musoirs ainsi que dans les forts à la mer.
Les batteries de côte sont presque exclusiArement à ciel
ouvert, afin de donner aux pièces un grand champ de tir.
Lorsque, au contraire, la mission assignée à la batterie se
concilie avec un faible champ de tir, on emploie les batteries
casematées.
.
Enfin, les tourelles sont, utilisées quand on Areut donner
mie protection parfaite à des canons ayant besoin d'un
grand champ de tir.

Batteries à ciel ouvert. L'expérience a montré que le tir


des riaAnres est peu efficace contre ces batteries, si elles rem-
plissent un certain nombre de conditions qu'on peut géné-
ralement réaliser, savoir :
i° Etre peu Adsibles, afin que l'ennemi puisse difficilement
les repérer et observer son tir. Dans ce but, elles ont un
faible relief, et on supprime les arêtes vives, les points de
repère dans le Aroisinage. On évite l'emplacement sur les
crêtes mêmes, et on s'efforce de les reculer légèrement vers
l'intérieur ;
20 Echapper au tir d'enfilade des navires ennemis ;
3° Ne pas comporter, en arrière des pièces, de parados
qui arrêtent les obus el projettent sur les batteries une pluie
de débris des plus dangereux ;
4° Enfin, sauf pour les batteries de rupture, il est, avanta-
FORTIFICATION DÈS COTES ET PLACES MARITIMES 671
geux pour elles d'aAroir une grande altitude, qui diminue
leur vulnérabilité et facilite le réglage de leur tir.
Dans ces batteries, les pièces sont installées sur des plates-
formes en béton dans lesquelles sont noyés les éléments qui
fixent la sellette de l'affût; elles tirent à barbette, en- tour-
nant autour d'un piArot placé au centre-ou "à l'aA^ant de la
plate-forme ; certaines pièces sont même disposées de ma-
nière à pouvoir faire un tour complet d'horizon. Elles sont
protégées contre les coups directs par le parapet et contre
les coups d'écharpe par des traArerses. Toutes les fois que la
chose est possible, le parapet est en sable, aArec une épais-
seur considérable, de 8 à 10 mètres, légitimée par la puis-
sance de l'artillerie dont il aura à subir le feu. LestrErverses
abritent des niches à munitions, ou, mieux, construites com-
plètement en béton, constituent des magasins de pièce,
agencés de manière que les munitions, qui sont d'un grand
poids, puissent être transportées facilement et rapidement,
jusqu'à la pièce.
A la queue des plates-formes et des traverses, s'étend une
banquette de circulation qui facilite le ravitaillement; en
arrière se trouve un terre-plein bas.
La batterie est complétée par un ou plusieurs postes de
commandement, simples alvéoles ménagées dans le parapet,
par un poste téléphonique reliant le commandant de batterie
au commandant du groupe et un poste télémélrique qui
peut être très Aroisin ou éloigné delà batterie.
Enfin, dans le voisinage de la batterie, se trouve un maga-
sin de batterie, bétonné ou sous roc, relié à elle par une
double voie Decauville qui suit le terre-plein bas et sert au
ravitaillement des magasins de pièce.
Les batteries casematées ne présentent, dans la défense des
côtes, qu'une faible part des inconvénients qu'on leur repro-
che dans la fortification terrestre,- parce que le tir des navi-
res est beaucoup moins précis que celui des batteries de
siège et ne peut répéter ses coups sur le même point, que
tout à fait accidentellement. Si, donc, les épaisseurs des
072 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
maçonneries ou des cuirassements sont suffisantes pour
résister au choc du premier projectile, leur mission se trouve
suffisamment remplie.
Les batteries casematées sont employées notamment, pour
les batteries de rupture qui battent les passes, lorsqu'il
n'est pas possible de les défiler auxAaies du large. Il importe
en effet de conserver leur armement intact jusque dans la
dernière phase de la lutte. Ces batteries sont bétonnées ou
construites sous roc.
Les batteries en tourelles cuirassées assurent à la fois la
protection et un champ de tir illimité. Mais, en raison de
leur prix, on ne les emploie, du moins en France, que si
elles sont indispensables, notamment lorsque, par suite de
la faiblesse des. effectifs, on doit réduire fortement le nom-
bre des batteries. Tel peut être le cas aux colonies.
Les batteries sont, autant que possible, construites en
des points inaccessibles et sur lesquels toute tentative de
débarquement est reconnue impossible. On n'a alors rien
à prévoir pour leur défense. Mais, si un certain nombre de
batteries se trouvent groupées dans une zone dont on a un
intérêt sérieux à s'assurer la possession en- cas de débar-
quement, on pourra les entourer de défenses accessoires et
construire à l'intérieur de la position un solide réduit assu-
rant la défense sur terre.
Forts côtiers. — Les forts côliers sont des fortifica-
tions édifiées en des points propices aux débarquements et
sur lesquels il est nécessaire de protéger les bouches à feu
de la défense en les installant dans un véritable fort.
Dans ces forts, le parapet d'artillerie ne comporte généra-
lement qu'une seule crête battant une direction déterminée,
deux tout au plus ; aussi peut-on ne donner qu'une très fai-
ble profondeur à ces ouA'rages. On les entoure d'un fossé
flanqué par des caponnières (ou de toute autre façon) et.
l'on place presque toujours un réduit à la gorge. La lutte
d'artillerie ne deA'ant jamais être de longue durée, on a effec-
FORTIFICATION DES CÔTES ET PLACES MARITIMES 573
tivement de sérieuses chances de conserver ce dernier ou-
vrage, dont la présence sera éAridemment d'un précieux
secours en cas de surprise ou de débarquement.

Forts à la mer. — Pour s'assurer là possession d'un


point important, le commandement d'une passe, la possibi-
lité d'interdire à l'ennemi l'entrée d'un port, etc., on a la
ressource, à défaut de disposition favorable de la côte,
d'établir soit au milieu de la mer même, soit à l'extrémité
des digues ou jetées que l'on veut garantir, ce qu'on appelle
mïfort à la mer.
A cet effet, on crée des enrochements artificiels sur
lesquels on vient élever une construction destinée à porter
le canon.
L'armement y reçoit une installation appropriée à son
objet. Les pièces qui doivent avoir un grand champ de
tir sont installées à ciel ouvert ou sous tourelle. Celles au
contraire dont la mission comporte un champ de tir res-
treint, par exemple pour battre une passe, sont installées
sous casemate.
La construction est tout entière en béton, sauf sur la
face non exposée, s'il en est une, et la table qui supporte
l'armement supérieur abrite de nombreux locaux qui ser-
vent de magasins et de caserne. Ces magasins inférieurs
dispensent, généralement de créer des magasins de pièce
sous traArerse. Des monte-charges, mus à bras ou électri-
quement, relient les magasins inférieurs à la plate-forme
supérieure du fort, où leur débouché se fait sous les traver-
ses ou sous le parapet. Un réseau de voies Decairville relie
les magasins au pied des monte-charges, tandis qu'un autre
réseau relie leur débouché supérieur aux plates-formes des
canons, en sorte que les Avagonnets vont, sans se décharger,
des magasins jusqu'aux pièces.

Organisation d'une place maritime. — Les deux-


dangers principaux auxquels est exposée une place mari-
07-4 2e-PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
time sont le. débarquement de l'ennemi et le bombardement
par sa flotte.
Il est facile de se prémunir contre le premier, parce que
les troupes de débarquement sont toujours peu nombreuses,
qu'elles ont une base d'opérations fort incertaine (la mer),
et que, combattant avec un obstacle à dos, elles sont para-
lysées dans leur entreprise par la crainte de ne pom'oir se
rembarquer en cas d'échec. 11 suffit donc, en général, d'éle-
ver; quelques forts sur les points lés plus importants, pour
donner à là garnison de la place les éléments nécessaires à
une défense A'igoureuse et enlever toute chance de succès à
de pareilles tentatives.
Le second danger est plus difficile à éviter, si la configu-
.

ration de la côte ne A'ient y aider. Lorsque, par exemple, le


port est largement ouvert, ou même seulement à demi fermé
par des jetées et des estacades, il sera: très difficile d'empê-
cher la flotte ennemie de s'embosser à bonne distance et
d'exécuter le bombardement. Il faut, pour que cette éven-
tualité ne; puisse se produire, que le port soit au fond d'un
goulet ou d'une rade précédée d'une longue .passe, dont la
défense suffit alors à protéger la ville.

D'après ce qui précède,: on voit que la fortification d'une


.
-
place maritime deA'ra comprendre :
i° Un certain nombre de batteries, forts côfiers et forts
à la mer, destinés à-tenir-en respect les flottes ennemies.
On les. placera de,préférence dans le prolongement, des pas-
sages obligés, afin qu'ils tiennent les navires de l'adver-
saire plus longtemps, sous leur feu. .Mais, à-moins que le
tracé de la côte.ne s'y prête, qn.; ne pourra évidemment pas
soustraire la ville au. bombardement par l'emploi de, cette
seule disposition.;; .:..,•>-•...
2° Des lignes de torpilles immergées,.'interdisaùt.les,pas-
ses dans l'intervalle des forts, et reliées à des observatoires
convenablement,disposés su:r-lacô'te.;:'des:p.Q.stes;fi,xes-pôuj'
lelancement des torpilles automobiles;, •;,':;;.'. .•.-, '..
FORTIFICATION DES CÔTES ET PLACES MARITIMES b^b
3° Une fortification du côté de la terre, ayant pour but
de mettre la place à l'abri des entreprises d'un: corps de
débarquement, établie comme dans une place ordinaire ;
4° Un certain nombre de forts ou batteries, assurant, dans
un rayon aussi étendu que possible, la possession de tous
les points sur lesquels l'ennemi pourrait aborder.
Cette organisation défensiA7e est complétée par le service
de l'observation (sémaphores), l'organisation de l'éclairage
de nuit (projecteurs) et un réseau très complet de commu-
nications télégraphiques et téléphoniques.
Il est, du reste, bien évident que, placée à l'extrémité d'un
chenal, la place se trouvera dans les meilleures conditions
possibles pour résister, puisque le canon des flottes ne
pourra l'atteindre et que l'étroit passage qu'il est nécessaire
de franchir pour l'aborder sera facilement rendu imprati-
cable par l'emploi simultané de nombreuses torpilles et de
forts convenablement organisés.
.

Défense des rades, des plages et des passes.


— La défense d'une rade ne peut se faire qu'en combinant
les trois éléments dé défense déjà énumérés : escadrilles de
la défense mobile de mer, torpilles de la défense fixe et les.
fortifications.
En ce qui concerne ces dernières, on ne pourra qu'occu-
per vin certain nombre de points sur le pourtour de la rade,
de manière à faire converger à A'olonté, dans son intérieur,
le feu d'un grand nombre de pièces. La flotte ennemie né
cherchera d'ailleurs à pénétrer dans la rade que si celle-ci
lui assure un abri indispensable ou peut, servir à un débar-
quement. Dans l'un et l'autre cas, on doit, compter sui'
une action énergique de sa part, tant sur mer que sur
terre ; on devra donc organiser aussi fortement que possible
les diA'ers onvrages, de manière à les mettre en mesure de
résister aux attaques des deux sortes. Il ne faut pas se dis-
simuler d'ailleurs que ce genre de. défense est extrêmement,
difficile. >.;>•
576 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Les plages de débarquement sont défendues de deux
manières : i° par une série de forts ou de batteries placés
à la côte et dirigeant sur la flotte un tir de bombardement
bu un tir incliné; 20 par des ouvrages établis de manière à
raser, comme un long glacis, la plage sur laquelle on craint
de Aroir débarquer l'ennemi. On disposera autant que possi-
ble ces ouvrages de telle sorte qu'ils croisent leurs feux sur
la plage à défendre ; mais c'est du tir de l'artillerie surtout
et, plus particulièrement, des shrapnels et des pièces à tir
rapide que l'on peut espérer de sérieux résultats.

Enfin, les passes, qui constituent en mer de A'éritables dé-


filés, sont, comme ceux-ci, d'une défense très facile. On peut
y employer toutes les ressources que l'on possède : 1° des
forts ou batteries enfilant le chenal, surtout, si celui-ci forme
un coude, et d'autres répartis sur les deux côtés de ce che-
nal, de préférence sur les promontoires et saillies, de ma-
nière à joindre leur action à celle des forts d'enfilade ;
20 des lignes de torpilles placées en travers el sur plusieurs
rangées de profondeur, combinées avec des postes fixes de
lancement, assurant la destruction de tous les naArires qui.
s'engageraient dans la passe ; 3° des garde-côtes, à faible
tirant d'eau, pouvant aisément, se porter sur tous les points
favorables à la défense; enfin, des torpilleurs et sous-marins.
Le forcement d'une passe bien défendue est une des opé-
rations les plus difficiles à exécuter de vive force : la plupart
de ceux qui y ont réussi n'ont dû le succès qu'à la surprise.

Place d'Anvers et défense du bas Escaut. —


La place d'Anvers, dont il a déjà été question plusieurs fois,
fournit encore un excellent exemple de défense d'une passe
en avant d'une place forte (Voir fig. u3g bis, planche U,
page 5JJ bis).
En raison de la situation particulière de la Belgique, les
fortifications d'Anvers ont dû être organisées de manière à
remplir trois conditions principales, savoir : i° mettre la
FORTIFICATION DES CÔTES ET PLACES MARITIMES 577
place en mesure de résister aune attaque par terre ; 1° sous-
traire la ville aux effets d'un bombardement par mer ;
3° tenir le chenal de l'Escaut, jjour pouvoir tendre la main
à une flotte amie venant au secours de l'armée belge.
La place est actuellement en voie de transformation. En
1907, elle comprenait : trois forts pour la défense de l'Es-
caut : La Perle, Sainte-Marie et Saint-Philippe, maîtrisant
complètement le second coude du fleuve par suite de leur
situation. Le dernier de ces forts est muni de coupoles.
C'est en avant de ces ouATages, Arers la mer, que s'étendent -
en partie les inondations dont les digues sont défendues
par les redoutes de Berendrecht et d'Oorderen et le fort de
Stabroeck.
La fortification du côté de la terre comprend d'abord une
enceinte formée de onze fronts polygonaux, dont l'un dés
types a été décrit dans le chapitre XXVI (page 386). Cette
enceinte s'étend sur la rive droite du fleuve et s'appuie au
nord à la citadelle, placée près du Adllage d'Auslruweel.
Toute la partie du nord-est et la portion de la partie sud
touchant l'Escaut sont inondables. Les fronts de la citadelle
tournés vers la ville ont été démolis, afin de donner la place
nécessaire à la construction de bassins à flot. Cette enceinte
doit disparaître dans le noirveau projet et sera remplacée par
une autre appuyée aux forts édifiés en 1854 pour la protéger.
Ces forts, au nombre de onze, à fossés pleins d'eau, sans
escarpe, sont situés à 3 5oo mètres en moyenne. Le type de
ces divers ouvrages a été décrit dans le chapitre XXXI
(page 4C>2 et fig. 20//, page 45* bis).
Neuf de ces forts sont sur la rive droite et répartis de la
manière suivante : sept au sud-est, entre le haut Escaut et
le Grand Schyn, devant la partie attaquable de l'enceinte ;
un à l'est, entre les deux Schyn ; et un au nord, le fort de
Merzem, de construction récente, près du Vosse-Schyn.
Les deux forts de la rive gauche, forts de Gruybeke et
de ZAvyndrecht, sont, établis près des villages de mêmes
noms, dans la portion de terrain que ne peutcouArrir l'inon-
MAXUEL DE FORTIFICATION 37
578 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
dation. Le dernier de ces ouA'rages est relié au fort Sainte-
Marie, sur l'Escaut, par une sorte de digue fortifiée traA'er-
sant l'inondation et complétant le périmètre de la place de
ce côté.
En arrière des deux précédents, on trouvait, sur la rive
même du fleuve et contre la place, les trois forts de Burght,
de la Tête de Flandre et Isabelle démolis depuis plusieurs
années.
Cet ensemble de travaux élevés en vue de recueillir l'ar-
mée belge tout entière, en cas d'invasion du territoire, a
été conçu et organisé d'une manière très remarquable par
le général Brialmont (vers 1860).
Pour le compléter du côté de la terre et olrvier au peu de
distance qui sépare la place de l'enceinte extérieure, on a
construit de nouveaux forts en avant des anciens. Ce sont,
au sud, les ouvrages de Lierre et de Waelhem, près de Mali-
nes, sur-la rive gauche de la Nèthe, et le fort de Ruppel-
monde; sur l'Escaut, au confluent de ce fleuve et de la Rup-
pel. Au nord, les forts de Cappellen et de Schooten. La ligne
jalonnée par ces ouA'rages sera celle des nouA-eaux forts des-
tinés à protéger l'enceinte nouvelle, établie sur la ligne des
anciens forts au sud et à l'est, appuyée au fort de Merzem
et à la redoute d'Oorderen au nord. De ces nouveaux forts,
trois doivent être déjà entrepris actuellement, ceux d'Est-
brand au nord, Broechem à l'est, Haerdonck à l'ouest, sur
la rive gauche de l'Escaut. La distance de ces forts à la
nouvelle enceinte sera de 8 à 12 kilomètres.
.

Défenses de la place de Portsmouth et de l'île


de "Wight. — La position de Portsmouth, au fond de la
rade de Spithead, est une des plus remarquables au point de
vue. des facilités qu'elle présente pour la défense et des tra-
vaux qu'on y a élevés.
La ville, formée de deux parties, GosportetPortsea, sépa-
rées par un bras de mer (fig. 240, pi. V, page 5jg bis), est
située à l'entrée d'un port immense enfermé dans les terres
FORTIFICATION DES CÔTES ET PLAGES MARITIMES 579
et ne communiquant aArec la mer que par un étroit passage
qu'il est facile d'interdire. Une longue croupe (Portsdown
Hill), s'étendant de l'est à l'ouest, se dessine en arrière et
au nord de la baie et domine complètement la rade et la
ville. C'est une hauteur dangereuse, en même temps qu'une
excellente position défensive.
Mais le port de Portsmouth n'est pas limité à la baie dont
on Arient de parler; il est formé en réalité par la rade de
Spithead, qui sépare la côte de l'Angleterre et celle de l'île
de Wight, située à 5 kilomètres au sud, et communique à
l'ouest, aArec la Manche et l'Océan, par le bras de mer
du Soient, à l'extrémité duquel se trouve la position de
Yarmouth.
La défense de la position de Portsmouth comprend donc :
i° la fortification proprement dite de Portsmouth, tant du
côté de terre que du côté de mer; 20 l'occupation de la rade
de Spithead par des forts à la mer; 3° celle de Yarmouth -,
qui interdit la passe du Soient.
Enfin, comme toutes ces défenses auraient été tournées
et rendues sans effet si l'ennemi avait réussi à débarquer
sur l'île de Wight, on a dû également occuper les côtes de
cette dernière, pour se mettre à l'abri d'une pareille tenta-
tive. Mais, à cet, égard, il n'y avait que fort peu de difficultés
à vaincre : la partie méridionale de l'île est bordée presque
complètement d'une falaise crayeuse escarpée qui défie
toutes les tentâmes de débarquement ; un seul point (la
baie de Sandown) pouvait paraître dangereux, et c'est là
seulement .qu'on a élevé quelques oirvrages.
La fortification de Portsmouth cl de son port comprend
les enceintes de Gosport. et de Porlseaet un certain nombre
de forts sur les deux promontoires de mêmes noms.
Sur la côte sud, et servant en même temps à la défense
de cette côte et à celle de la rade de Spithead, on trouve
d'abord, les forts Cumberland, Eastney, Lumps et la batte-
rie de Southsea-Castle, dans la presqu'île de Portsea,
— puis
• es forts Monkton et Gomer, devant Gosport.
579MB
Planche V
Fig. 240. — Portsmouth.
Croquis d'ensemble des défenses de la Rade de Spithead et de l'Ile de Wight. Échelle du (850000) environ.
580 2e PARTIE —'FORTIFICATION PERMANENTE
Dans l'intérieur des terres, à 2 5oo et 3 000 mètres à
l'ouest de Gosport, on remarque ensuite la ligne des forts
Grange, Rowner, Brockhurst elElson. EnaArant et à l'ouest
de cette première ceinture, on a construit un autre onvrage,
le fort Fareham.
La hauteur de Portsdown au. nord est occupée de même
par cinq forts nommés Wellington, Nelson, Southvvick,
Widley, Pembrook et la redoute Farlington, en face des-
quels la ligne continue d'Hilsea ferme l'entrée de la pres-
qu'île de Portsea du côté de la terre.
Les ouATages établis en avant de Gosport, dus au colonel
Jervois, des ingénieurs royaux, ont la forme de lunettes
flanquées par des caponnières et munies d'un réduit. La dis-
position de leurs différents organes offre assez d'analogie
avec celle des forts précédemment étudiés pour qu'il soit
superflu d'en donner ici une description complète.

La rade même de Spithead est défendue par quatre forts


à la mer établis sur des bancs de sable et dessinant une
ligne qui relie Portsmouth à la pointe de Bembridge (île de
Wight). Ces ombrages portent les noms de : Spit Sand,
Horsesand, Nomansland et Helens. En arrière et dans l'in-
tervalle des deux derniers, se trouve la batterie de Pickpool,
sur la côte nord de l'île, et un fort à la mer en avant, de Ryde.
La baie de Sandown qui, ainsi qu'on l'a vu, constitue un
danger pour l'île de Wight et la rade de Spithead, puis-
qu'elle permettrait de tourner les défenses établies en mer,
est défendue par le fort Bembridge, établi sur un point cul-
minant du promontoire et organisé en fort, isolé. Il a la
forme d'un hexagone irrégulier 'un peu allongé ; ses fossés
sont flanqués par des espèces de caponnières, disposées
uniquement pour la mousquet crie et installées dans les sail-
lants, en travers du fossé, dont elles permettent d'interdire
le passage. Le parapet du fort recouvre des magasins et des
locaux d'habitation.
FORTIFICATION DES COTES ET PLACES MARITIMES 581
Au sud de cet ouArrage, le long de la côte, se trouvent les
forts SandoAvn et les batteries Redcliff, Yaverland et Bar-
racks, organisés de manière à occuper le sommet des escar-
pements par un parapet d'infanterie, et fermées à la gorge
par un mur crénelé disposé pour le flanquement.
Enfin, la passe du Soient et les positions de Yarmouth
sont maintenues également par une série de fortifications*
La côte est occupée par les forts ou batteries : Freshwater
et Needles, au sud; Haterwood et Warden-Point, à l'ouest.
Les forts Golden-Hill, Cliffs-End et Victoria, qui entourent
le promontoire nord, sont disposés de manière à prendre la
passe dans une direction transArersale. Un autre fort, celui
de Hurst-Castle, situé au milieu delà passe, sur un promon-
toire formé par la côte anglaise, enfile complètement le
Soient et le passage Needles, qui le précède.

En résumé, l'organisation défensive de Portsmouth, de


la rade de Spithead et de l'île de Wight offre un merveil-
leux exemple de l'application des principes de la fortifica-
tion des côtes et places maritimes, tels qu'ils ont été énoncés
dans ce qui précède. L'ensemble de ces dispositions consti-
tue une des plus fortes positions existant au monde et
rendrait certainement, en cas de danger, les plus grands
services à l'Angleterre.
CHAPITRE XL

UTILITÉ ET RÔLE DES PLACES FORTES

L'étude qui vient d'être faite des différentes dispositions de


la fortification permanente et celle des procédés d'attaque
et de défense qui seront décrits dans la troisième partie
(chap. XLI et. suiv.) permettent de se rendre compte du
rôle qui incombe actuellement aux places fortes et des ser-
vices qu'elles rendent dans la défense d'un grand pays.

La fortification, d'après sa définition même, donne à la


troupe qui l'occupe le moyen de lutter avec succès contre
un ennemi supérieur en nombre ; mais les circonstances
dans lesquelles cette lutte s'effectue peuvent être très
diverses et il convient de les examiner succinctement.

L'importance d'une place forte résulte surtout de la posi-


tion qu'elle occupe par rapport aux voies de communica-
tion, c'est-à-dire des débouchés qu'elle peut maîtriser;
quelquefois aussi, c'est la valeur même des ressources ren-
fermées dans une cité qui en rend la conservation néces-
saire. Le premier ordre de considérations constitue, pour
ainsi dire, la valeur offensive de la place, le second est
purement défensif. On conçoit donc que ce dernier cède le
pas au précédent dans l'ordre d'importance.
Une forteresse barre complètement une roule ou un
chemin de fer, lorsque les formes du terrain ne permettent
pas de créer une voie dérivée dans une zone relativement
UTILITÉ ET RÔLE DES PLACES FORTES 583
restreinte ; c'est le cas des places en pays de montagnes ou
des forts d'arrêt établis dans les défilés. Nos ouvrages de
la ligne des Vosges appartiennent à cette première caté-
gorie, qui comprend les. fortifications dont la Araleur est
la plus grande, puisque, jusqu'au jour de leur chute, elles
remplissent complètement le rôle pour lequel on les a
établies.
Mais, dans les pays plats ou même moyennement acci-
dentés, les forteresses ne peuvent commander indéfiniment
les voies de communication, car les armées modernes possè-
dent les ressources suffisantes pour créer les dérivations de
routes ou de Aboies ferrées permettant de passer à côté de la
ville que traverse la voie principale. C'est ainsi qu'en 1870
les Allemands construisirent une voie de raccord tournant la
place de Metz, et qu'avant la chute de cette importante for-
teresse, ils purent utiliser pour le transport de leur maté-
riel la Aroie ferrée qui la traversait.
Dans le premier cas, la fortification arrête complètement
la marche des armées ennemies ; dans le second, elle la
ralentit et, après la création des voies dérivées, elle a
encore l'avantage d'immobiliser deA'anl ses murs des forces
bien supérieures à celles qui la défendent et d'affaiblir ainsi
l'armée d'invasion.

Les places fortes rendent encore d'autres services.: elles


constituent un point d'appui pour les manoeuvres dès
armées et parfois un lieu de dépôt pour leurs approvi-
sionnements. C'est en ayant égard à ce rôle qu'on leur
donne parfois le nom de pivots stratégiques ou de places de
dépôt.
La place de Metz, par exemple, depuis qu'elle est aux
mains des Allemands, leur fournit une base pour leurs opé-
rations dirigées contre notre armée en voie de concentration
sur la frontière, non seulement parce qu'elle sert d'abri à
leurs approvisionnements, mais surtout parce qu'elle offre
un point d'appui solide à l'une de leurs ailes.
584 2° PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE
Strasbourg rentre dans la même catégorie, pour des rai-
sons un peu différentes : cette grande place est, en effet,
pour eux, une tête de pont sur le Rhin, d'importance capi-
tale, qui fournirait à leurs armées, battues dans la plaine
d'Alsace, une ligne de retraite assurée, et un débouché
pour reprendre l'offensive après s'être reformées derrière le
fleuAre.
Il en est, du reste, de même, jusqu'à un certain point
cependant, des nombreux ouvrages élevés, depuis le traité
de Francfort, sur notre nouvelle frontière de l'Est. Leur
ensemble, formant de ce côté une sorte de rideau capable
d'arrêter tout au moins les premiers efforts de l'ennemi,
permettrait à notre armée d'effectuer sa concentration à
proximité du théâtre d'opérations et à l'abri du danger. Ils
donnent en outre le moyen de limiter les routes par les-
quelles l'ennemi pourrait pénétrer chez nous, et marquent,
en conséquence, par leurs intervalles, les points de rassem-
blement. Ils remplacent, dans une certaine mesure, les
obstacles naturels que notre frontière a perdus, et fourni-
ront à nos armées en opération des points d'appui d'ailes,
en s'opposant, par leur présence, aux efforts que l'ennemi
pourrait tenter en vue de nous tourner.
On ne saurait sérieusement contester ces propriétés aux
places fortes et, tout en reconnaissant que leur valeur défen-
sive a diminué, on peut, encore fonder sur elles de justes
espérances. Il ne faut pas oublier qu'à la guerre et surtout,
au début d'une campagne, le gain de quelques journées, de
quelques heures même, sur l'adversaire, peut, amener un
succès décisif dont l'effet se fera sentir pendant toute la
durée des opérations. Cet avantage, les places fortes pour-
ront le donner, si on sait en tirer un bon parti, et cette
considération suffit à justifier le déAreloppement considé-
rable de notre organisation défensive.

Cette partie du rôle de la fortification, c'est-à-dire les


rapports qui existent entre elle et les mouvements des
UTILITÉ ET RÔLE DES PLACES FORTES 585
armées, est, de toutes, la plus délicate et celle sur laquelle
se sont produites les plus grandes diArergences d'opinion.
Certains auteurs, au nombre desquels se trouve le gé-
néral Brialmont, veulent que les places fortes soient des
camps retranchés, c'est-à-dire des positions capables
d'abriter des armées entières et de leur donner à la fois un
refuge, en cas d'insuccès, et une solide base d'opérations
pour une action offensive ultérieure. Ils imroquent, à l'appui
de cette opinion, l'autorité toujours considérable de Vau-
ban, créant autour des places de Maubeuge et de Lille, par
exemple, des camps retranchés capables de contenir 3o ooo
ou 4o ooo hommes, c'est-à-dire une armée entière de son
temps.
Mais il ne.faut pas perdre de vue que deux siècles se sont
écoulés depuis. L'idée de Vauban était alors pleinement
justifiée, en raison même des faibles effectifs des armées de
cette époque et de la rareté des voies de communication.
Du vivant de ce célèbre homme de guerre, lorsqu'on entre-
prenait le siège d'une forte place, on devait amener devant
elle une armée de siège au moins triple de la garnison, puis
tenir la campagne aux environs avec une armée d'observa-
tion d'une force à peu près égale, afin de. lutter contre
l'armée de secours qui manoeuArrait pour faire lever le siège.
En comprenant la garnison de la place, il y aArait donc, en
somme, quatre armées différentes immobilisées dans cette
opération. Eu égard au mode de recrutement des troupes
alors en usage, toutes les forces d'un grand pays se trou-
vaient de la sorte absorbées dans le siège d'une ou de deux
places fortes, dont on considérait la prise comme l'objectif
suffisant d'une campagne. Les camps retranchés de Vauban,
donnant le moyen d'augmenter la garnison dans une pro-
portion très grande, avaient donc pour résultat d'exiger un
accroissement de l'armée assiégeante triple de celui de la
garnison nouvelle. Le siège devenait par conséquent im-
possible, puisque son exécution demandait un déplacement
oe forces supérieures à celles dont on pouvait alors dis-
586 2e PARTIE FORTIFICATION PERMANENTE

poser. L'investissement de la place était lui-même hérissé


de difficultés, l'armée enfermée dans le camp retranché
étant en mesure de surprendre celle de l'envahisseur, de
lui infliger des échecs successifs, bref, de l'obliger à battre
en retraite.
En est-il de même aujourd'hui ? La grande majorité des
militaires, se fondant sur l'expérience des guerres récentes,
est' d'un avis opposé, et il ne manque pas non plus de
bonnes raisons à faire valoir à l'appui de cette dernière
opinion.
D'une part, le service obligatoire, dont l'adoption est,
aujourd'hui à peu près universelle, donne aux armées mo-
dernes des effectifs infiniment plus considérables que ceux
des anciennes.
D'autre part, le développementincessant des voies ferrées
dans tous les pays civilisés fournit les moyens de trans-
porter rapidement les grandes niasses d'hommes à des dis-
tances très considérables.
Il résulte de là qu'une place forte, si grande qu'elle soit,
(sauf peut-être Paris, avec ses nouveaux forts, qui forme
dans l'espèce une exception à peu près unique), pourra
toujours être investie complètement sans que l'envahisseur
soit contraint d'arrêter sa marche en avant par suite de
l'insuffisance numérique de ses troupes.
Les sièges de Metz et de Paris, en 1870-1871, ont d'ail-
leurs mis en évidence qu'au delà d'une certaine limite,
l'effectif de l'armée de siège n'augmente plus dans la même
proportion que la garnison, et qu'un accroissement déme-
suré de cette dernière lui suscite bientôt un nouvel et
redoutable ennemi : la famine.
En utilisant les places fortes de cette manière, on les
détournerait donc du but, pour lequel elles sont créées.
Aussi l'idée de camp retranché ou de place de refuge ré-
pugne-t-elle à un grand nombre d'esprits, parce qu'ils esti-
ment que toute armée investie est fatalement condamnée à
succomber, et que la place qui lui a donné asile, loin de
UTILITÉ ET RÔLE DES PLACES FORTES b&~
puiser une nouvelle force dans ce surcroît de garnison, n'y
trouve au contraire qu'un sujet d'affaiblissement par suite
de l'épuisement plus rapide de ses vivres.

11 semble donc rationnel d'admettre aujourd'hui qu'une


forteresse ne doit jamais être considérée comme une base
d'opérations pour une armée, c'est-à-dire qu'elle est insuf-
fisante pour lui fournir indéfiniment un refuge en cas d'in-
succès, ou un débouché pour ses opérations offensives.
Qu'elle lui serve momentanément d'abri ; qu'elle soit pour
elle un point d'appui dans les manoeuATcs stratégiques ;
qu'elle couATe une concentration ou un moiwement, en
maîtrisant les voies de communication dont l'ennemi pour-
rait se servir pour gêner ces différentes opérations, cela est
indiscutable. Mais, en aucun cas, une armée ne devra s'en-
fermer dans une place ni même s'y réfugier assez longtemps
pour que l'ennemi puisse l'y investir complètement.
L'exemple de Plewna ne saurait être invoqué contre cette
opinion. On a déjà indiqué, dans la première partie de cet
ouvrage, comment Osman-Pacha s'établit sur cette position,
comment il la fortifia, les ressources qu'il put en tirer el la
manière dont il les utilisa pour tenir tête à l'armée russe.
Mais il faut remarquer qu'au moment où elle s'arrêta à
PleAvna, et pendant, toute la première partie des opérations,
l'armée turque ne put être investie par les troupes russes,
dont l'effectif était alors trop faible et les communications
difficiles : or, c'est précisément pendant toute cette période
que la lutte tourna à l'avantage des Turcs. Du jour où l'in-
vestissement fut établi, Osman-Pacha et son armée élaienl
condamnés à une chute certaine, malgré la vaillance de leurs
efforts. Loin de donner raison aux partisans de camps
retranchés, le glorieux épisode de Plewna fournit donc, au
contraire, un nouvel argument à ceux qui les condamnent.
Le nom de camp retranché, si tant est qu'il soit néces-
saire de le conserver, s'appliquerait, du reste, à plus juste
litre, aux grandes régions fortifiées comprenant une étendue
588 2e PARTIE — FORTIFICATION PERMANENTE
considérable de territoire et plusieurs places ou forts isolés,
comme il s'en trouve sur notre frontière.
Par leur étendue, en effet, ces régions échappent à l'in-
vestissement et fournissent aux armées un terrain sûr, qui
peut protéger leur retraite et leur permet de se réorganiser
à l'abri pour une nouvelle offensive.
Paris actuel, en raison de son immense déAreloppement',
peut sans doute être comparé à ces régions fortifiées/et

l'on accordera à féminent général Brialmont qu'il en est de
même, jusqu'à un certain point, de sa magnifique place
d'Anvers; mais, comme on l'a déjà fait remarquer précé-
demment, Paris est évidemment, dans l'espèce, un cas tout
à fait exceptionnel — et Anvers, eu égard au rôle théorique
qui lui est destiné dans la Belgique (Voir page 5?6), se
trouve également dans des conditions uniques.
En envisageant de la sorte le rôle des places fortes, on
fait tomber l'objection, fréquemment soulevée contre elles,
d'immobiliser des troupes dont l'emploi en rase campagne
serait plus profitable ; car l'effectif de la garnison qu'elles
exigent est toujours faible relativement à celui des forces
ennemies qu'elles retiennent.
En insistant, comme on l'a fait ci-dessus, sur l'absolue
nécessité de n'y pas enfermer de grandes armées, on met,
d'autre part à néant le reproche, adressé quelquefois aux
puissantes fortifications, d'exercer sur les armées battues
une attraction dangereuse. Un général habile, soucieux de
son deAroir, saura, du reste, toujours profiter de l'appui qu'il
peut.trouver dans une forteresse, sans cependant, s'y laisser
enfermer. Si le contraire venait à se produire, le mauvais
emploi d'un utile instrument n'infirmerait en rien la valeur
de ce dernier, et les conséquences éventuelles d'une sem-
blable faute ne pourraient, en bonne logique, être imputées
qu'à son auteur.
En se gardant soigneusement contre l'exagération du rôle
ainsi dévolu à ces places, on se prémunira, du reste, contre
de terribles désillusions d'une autre sorte. La fortification
UTILITÉ ET RÔLE DES PLACES FORTES 589
est un auxiliaire précieux, on peut même dire indispen-
sable, des armées luttant en rase campagne pour la défense
du territoire national ; mais, quelque bien organisée et,
défendue qu'elle puisse être, elle ne saurait, à elle seule, le
mettre à l'abri d'une invasion. Pour arrêter et chasser
l'ennemi du territoire qu'il a emrahi, il faut le « Araincre »,
et, la fortification, instrument essentiellement passif, peut,
bien faciliter et même féconder, mais non produire la vic-
toire, apanage des armées Arivaces, Araillantes et bien com-
mandées.
TROISIEME PARTIE

ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES

CHAPITRE XLI

MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS

Préliminaires
L'étude de la fortification permanente a pour complément
indispensable celle de l'attaque et de la défense des places
fortes, branche de l'art militaire à laquelle on donnait autre-
Ibis le nom de polioreéUqâe. C'est évidemment en examinant
les dispositifs employés pour s'emparer d'une forteresse et
les difficultés que rencontre leur application qu'on peut se
bien rendre compte de la valeur des fortifications.
Comme guides dans cette étude, on possède maintenant
l'Instruction générale du 4 février 1899 sur la guerre de
siège et le siège tout récent de Port-Arthur dont, malheu-
reusement, tous les faits ne sont pas encore connus avec
'précision. L'expérience à tirer des sièges plus anciens est
insuffisante par suite des progrès considérables réalisés par
l'artillerie et des modifications apportées dans l'organisa-
tion de la fortification. Ceux de Sébastopol et de la guerre
de 1870-1871 sont du nombre, et les conclusions qu'on en
peut tirer ont perdu une partie de leur valeur. D'ailleurs,
5t)2 3e PARTIE ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES

avant même que les progrès en question eussent été réalisés,


il était nécessaire de faire abstraction de la plupart des
sièges soutenus alors par nos forteresses, insuffisamment
armées et approvisionnées, et c'était seulement dans la dé-
fense de Belforl par le colonel Denfert-Rochereau qu'on
pouvait trouver un exemple à suivre et des règles à établir.
La puissance nouvelle des bouches à feu et les difficultés
qu'éprouvent les ingénieurs à lui opposer un obstacle suffi-
sant ont donné à penser à certains esprits que désormais
les fortifications étaient impuissantes à résister aux nou-
Areaux projectiles. Partant de là, ils ont admis qu'à l'avenir
le canon de siège aurait aussi aisément raison des remparts
des places fortes, que les pièces de campagne des ouATages
du champ de bataille ; les opérations autour d'une forteresse
sont devenues pour eux la bataille de siège, cas particulier
de la guerre de campagne. Quelques-uns même, appliquant,
à l'élude de ces questions une apparente rigueur mathéma-
tique, ont cru pouvoir assigner aux forteresses l'exacte
durée de leur résistance, qu'ils ont trouvée fort courte
d'ailleurs.
On ne saurait ici souscrire à cette opinion, à laquelle le
siège de Port-Arthur donne un formel démenti; sans doute,
il y a plus d'analogie aujourd'hui qu'autrefois entre la guerre
de campagne el celle de siège, mais cette dernière conserve
des caractères qui lui sont propres, tels que : la difficulté
qu'éprouve l'assaillant à amener son matériel, à l'installer,
à maintenir ses approvisionnements à hauteur des besoins
de la consommation, et la nécessité où il se trouve de ren-
verser l'obstacle matériel que lui oppose la fortification.
Une autre différence réside dans la situation particulière
des deux adversaires en présence, et il convient de l'exa-
miner.
L'assiégeant a été victorieux en pleine campagne, puis-
qu'il a pu envahir le territoire de l'assiégé. Il a donc la
supériorité morale. II est également le plus fort au point de
vue matériel : i° parce qu'il est le plus nombreux dès le
MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS 5Çf'Ô

début; 2° parce que, enveloppant l'assiégé, il"ne peut être


débordé par lui; 3° parce que ses ressources sont pour ainsi
dire inépuisables, les Aroies de communication dont il dis-
pose lui permettant de se ravitailler au fur et à mesure de
ses besoins. Son but est de faire tomber la place, dans le
plus court espace de temps possible; car ce résultat, avan-
tageux en lui-même, lui permettra en outre de renforcer
l'armée envahissante de tout l'effectif du corps de siège
devenu libre.
L'infériorité de l'assiégé, qui ressort déjà assez clairement
de ce qui précède, se conçoit mieux encore si l'on envisage
les conditions dans lesquelles doivent se trouver les troupes
déjà battues, en général enfermées dans une enceinte rela-
tiArement étroite, privées de toutes communications aArec
l'extérieur, et n'ayant d'autre stimulant que la conscience
du service rendu à la patrie en retenant sous leurs murs
l'armée assiégeante.
L'issue finale de la lutte ne saurait donc être douteuse :
l'assiégé doit finir par succomber. Aussi, le but poursuivi
par ce dernier se borne-t-il, en principe, à retarder le plus
possible cette inévitable solution. Cette tâche en apparence
si ingrate lui semblera séduisante cependant, s'il a su élever
son coeur, et s'il se rend bien compte des conséquences
immenses que peut avoir pour le pays sa chute prématurée.
L'histoire de nos armes contient à ce sujet pour lui de
graves enseignements. Que serait-il advenu, en effet, de
l'armée des alliés, en i8i4, si la place de Soissons avait
tenu quelques heures seulement devant Blûchcr aux abois ?
Et quelle eût été l'issue de la guerre de 1870, si Metz, mieux
défendue, eût retenu quelques semaines encore deA'ant ses
remparts l'armée du prince Frédéric-Charles, contre laquelle
est venu se briser l'élan des jeunes troupes commandées
par le général d'Aurelle de Paladines ? N'est-il pas permis
de se demander également si la défense de Port-Arthur,
poussée jusqu'aux dernières limites possibles, avec le même
héroïsme dont sa garnison avait fait preuve jusqu'à la mort
MANUEL DE FORTIFICATION 38
5g4 3e PARTIE -^- ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
du général Kondratenko, n'eût pas sensiblement modifié la
dernière phase de la lutte en Mandchourie ?
De ce qui précède, il résulte éA'idemment que la ligne de
conduite des deux adversaires se résume, pour l'un et pour
l'autre, en ces trois mots : gagner du temps. Chacun devra
par conséquent s'efforcer d'en gagner le plus possible dès le
début, et d'en gagner ensuite à chaque occasion, ne fût-ce
qu'un jour, ne fût-ce même que quelques heures. Car ces
jours et ces heures s'ajoutent, et leur somme avance ou
retarde d'autant la dernière période du siège, dans laquelle
il faudra sans doute mettre tout en oeuATe pour en gagner
encore, mais dont on ne pourra plus éloigner ni précipiter
l'issue qu'au prix des plus sanglants efforts.
Pour se rendre compte bien exactement de la valeur des
dispositions qui vont être successivement étudiées, d'abord
pour l'attaque, ensuite pour la défense des places, il est
donc indispensable d'avoir toujours présente à l'esprit l'im-
portance considérable du temps en pareilles circonstances.

Diverses opérations contre les places

Une armée d'hwasion qui se heurte aune place forte n'est


pas toujours contrainte de l'enlever. Si la forteresse ne
commande pas de routes ou voies ferrées indispensables à
l'envahisseur, si son importance politique est faible, si elle
ne renferme pas d'approAÏsionnementsconsidérables dont la
prise ou la perte soient de nature à causer un grand préjudice
à l'ennemi, l'envahisseur se bornera à la masquer, à l'in-
vestir ou à en faire le blocus.
Masquer une place, c'est mettre sa garnison hors d'état
d'entreprendre des opérations extérieures sur les lignes de
communication de l'armée d'invasion. Ce résultat est ob-
tenu en laissant devant elle un corps d'obsen'ation qui
s'établit à quelque distance et hors de la portée de ses
canons, de manière à tenir toutes les routes aboutissant à
MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS 5g5
la forteresse. Le corps d'observation prend les dispositions
nécessaires pour être en mesure d'opposer des forces supé-
rieures à celles dont la garnison peut disposer et leur livre
combat en rase campagne. Il n'y a pas ici de guerre de siège
proprement dite. Pour qu'on puisse agir ainsi à l'égard
d'une place forte, il faut qu'elle soit située loin des lignes
d'opérations de l'armée d'invasion. Si, au contraire, la place
est assez rapprochée de ces lignes pour qu'on puisse craindre
une entreprise sérieuse de la part de sa garnison, il deAdent
nécessaire de la bloquer ou de l'investir. Les deux opéra-
tions comportent l'emploi de. procédés identiques, le blocus
n'étant qu'un investissement prolongé. On se bornera donc
à étudier ici la première de ces opérations, la seconde devant
d'ailleurs être examinée en détail au chapitre suivant.

Blocus. —Le blocus a pour objet d'isoler complètement


une place, de s'opposer à son ravitaillement en hommes, en
armes, en munitions et approvisionnements, de l'amener
enfin à se rendre par l'épuisement de ses ressources.
L'envahisseur a recours au blocus s'il veut ménager ses
forces ou s'il ne dispose que de moyens d'attaque insuffi-
sants. Ce procédé amène fatalement la chute de la place,
mais seulement lorsque celle-ci a épuisé ses approA'isionne-
ments ; sa durée dépend donc uniquement de l'importance
de ces derniers.
L'armée du blocus doit être assez forte pour s'opposer à
toutes les tentatives de sortie de la garnison : son effectif
est, par suite, proportionné à celui de cette dernière. Elle
s'établit sur une ligne de résistance qu'elle organise forte-
ment, d'après les principes qui seront indiqués ci-après
pour l'investissement, hors de portée non seulement du
canon des ouvrages, mais encore de l'action des positions
extérieures occupées par la garnison.
Elle évite d'engager la lutte avec le défenseur et se borne
à repousser ses tentâmes de sortie ; elle l'isole rigoureuse-
ment de toute communication avec l'extérieur el attend
5g6 3e PARTIE
— ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
patiemment que la dépression morale el l'usure des res-
sources aient fait leur oeuA're pour amener la garnison à se
rendre.
Le blocus est fréquemment, sinon toujours, l'auxiliaire
de procédés d'attaque réguliers ou irréguliers, la surprise
exceptée. On Ara maintenant examiner ceux-ci.

Différents modes d'attaque des places

Les procédés à employer pour s'emparer d'une place


forte sont de deux sortes : i°les modes d'attaque irrégu-
liers, à l'étude desquels est consacrée la fin de ce chapitre;
2° le mode d'attaque en règle ou siège régulier, qui sera
traité en détail dans les chapitres suivants.
Les modes d'attaque dits « irréguliers » sont au nombre
de trois, savoir :
La surprise;
La vive force ou insulte ;
Le bombardement.
Dans la pratique, ces divers procédés, qu'il faut bien se
garder de considérer comme des méthodes complètes de-
mandant à être appliquées dans leur intégrité, sont du reste
mis .en oeuvre isolément, ou combinés de différentes ma-
nières. C'est ainsi, par exemple, qu'après avoir essayé sans
succès le blocus simple, on pourra y joindre le bombarde-
ment pour hâter la chute de la place, et que, l'emploi simul-
tané de ces deux modes d'attaque ne donnant pas le résultat
désiré, on tentera, en outre, si les circonstances le permet-
tent ou l'exigent, une attaque de vive force qui aura tou-
jours en pareil cas les caractères d'une surprise.
Il faut donc les étudier successivement avec quelque
détail, pour se.rendre compte de leur valeur relative el dis-
cerner les conditions dans lesquelles il coiwiendra de faire
choix des uns ou des autres : soit pour éviter complètement
les lenteurs d'un siège en règle; soit pour abréger, dans la
MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS 597
mesure du possible, l'une ou l'autre des périodes de ce siège
régulier, au cours duquel, comme on le Arerra plus loin, ils
trouvent tour à tour leur application.

1. Attaque par surprise. — Comme sou nom l'in-


dique, l'attaque par surprise consiste à pénétrer dans la
place en profitant : d'un manque de surveillance de la gar-
nison ; d'une partie mal gardée ou insuffisamment fortifiée
des remparts, ou des intelligences cjue l'on est parvenu à
nouer avec les habitants. Son succès dépend surtout du
secret qu'on sait en garder : il faut donc tout disposer pour
l'obtenir.

Le moment le plus favorable à l'entreprise est celui qui


précède de quelques heures le lever du soleil ou son cou-
cher : on profile ainsi d'une demi-obscurité dissimulant el
facilitant par suite l'approche des troupes. Certains états
de l'atmosphère, le brouillard par exemple, peuvent égale-
ment contribuer à en amener la réussite.
En agissant le matin, on dispose de la journée pour s'éla-
blir dans la place, mais on risque d'être repoussé si le
défenseur lutte avec opiniâtreté. Si, au contraire, l'attaque
a lieu le soir, on ne peut s'avancer bien loin au delà des
premiers postes surpris, mais on a toute la nuit pour se
fortifier sur les positions conquises, et l'on peut recom-
mencer le lendemain aA'ec plus de chances de succès.
Pour l'exécution, on forme un certain nombre de colonnes
marchant A'ers la place suivant des directions différentes.
Chacune de ces colonnes, composée surtout de troupes
d'infanterie, est précédée d'un détachement de traArailleurs
du génie et d'un détachement de canonniers, protégés
par une avant-garde d'infanterie. Les travailleurs du génie
sont munis d'engins explosifs convenablement organisés à
l'avance pour briser les obstacles qui pourraient entraver la
marche de la colonne, et des appareils d'escalade indispen-
sables pour pénétrer dans la place par les points mal for-
5g8 3e PARTIE —-ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
tifiés et mal gardés du rempart. Le détachement de canon-
niers porte tous les outils nécessaires pour mettre hors de
service les pièces de la défense.
La troupe s'avance sans bruit, en se dissimulant de son
mieux, et évite de faire usage de ses armes à feu. Aperçoit-
elle quelques sentinelles ou A'edettes, elle s'en débarrasse à
l'arme blanche, le plus rapidement et le plus silencieuse-
ment possible. Mais, dès qu'elle s'est emparée de la porte
par laquelle elle veut pénétrer, ou dès qu'elle a franchi le
rempart, en un mot dès qu'elle est dans la place, elle doit
agir avec la plus grande Aigueur, de manière à donner au
défenseur une idée exagérée de sa force, et disperser au fur
et à mesure qu'elles se présentent les troupes de l'assiégé.
Pendant ce temps, les sapeurs élèArent le plus rapidement
qu'ils peirvcnl quelques ouA'rages en terre, pour faciliter
l'installation de l'envahisseur, et les canonniers retournent
les pièces ou détruisent celles qu'ils ne peuvent utiliser.
Une réserve spéciale, formée de troupes de toutes armes,
A'ient, pendant la marche en avant des colonnes d'attaque,
s'établir dans la campagne, sur une position favorable,
choisie avec soin à l'avance, d'où elle puisse suivre ces
colonnes en cas de succès et couATir efficacement leur ligne
de retraite dans le cas contraire.
Si les colonnes de l'attaque sont repoussées, elles se reti-
rent sous la protection de cette réserve, en faisant à l'ennemi
le plus de mal possible, après aA^oir mis ses pièces hors de
service, fait sauter ses dépôts de poudre, incendié ses appro-
Arisionnements,etc, etc.
Comme on le Aroit, le hasard est pour beaucoup dans une
entreprise de ce genre ; mais, si le succès en est forcément
des plus aléatoires, il faut remarquer que la non-réussite
n'a pas de conséquences bien graves : le défenseur se garde
mieux qu'auparavant, mais l'assiégeant n'est pas démoralisé
pour cela.
On peut donc, au cours d'un siège de quelque durée,
essayer des attaques par surprise sans crainte de çompro-
MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS 5gg
mettre sa propre situation. C'est, un jeu où l'on a tout à
gagner et fort peu à perdre.

2. Attaque de vive force. — L'attaque de vive force


ou insulte présente certaines analogies avec l'attaque par
surprise, en ce sens qu'elle ne peut s'exercer que contre des
fortifications très mal gardées, insuffisantes ou démantelées.
Elle ne saurait réussir contre des ouvrages pourvus de tous
leurs moyens de défense. Elle a été cependant préconisée,
avec quelques Avariantes, par le général d'artillerie bavaroise
von Sauer dont les propositions feront plus loin l'objet d'une
étude spéciale. Mais il convient d'observer précisément que
le point de départ de la méthode von Sauer est l'insuffisance
toute passagère que présentaient les places au lendemain de
l'apparition des obus-torpilles.
L'attaque de vive force doit être considérée en outre comme
un auxiliaire du mode d'attaque régulier qu'il conviendra
d'employer lorsqu'on pourra supposer que la lutte d'artillerie
antérieure a suffisamment démantelé les remparts de la place.
Ce procédé offre d'ailleurs une grande analogie avec celui
qu'on a étudié dans l'attaque des retranchements de cam-
pagne. Il exige ordinairement que les troupes assaillantes
aient pu s'avancer à courte distance des ouvrages à enlever,
l'effort qu'on leur demande ne pouvant être obtenu que si
leur élan ne risque pas d'être rompu parla course qu'elles
ont à fournir.
L'opération est, précédée d'un bombardement énergique
ayant pour but de ruiner le plus possible les remparts ainsi
que le matériel d'artillerie et de contraindre les défenseurs
à abandonner leur poste.
Une reconnaissance exécutée ensuite permet de constater
les résultats du tir et de s'assurer de l'état de délabrement
de la fortification.
Les troupes de l'attaque sont organisées en plusieurs co-
lonnes ayant chacune leur objectif et qui sont composées :
i° d'une tête de colonne, dans la formation normale de
600 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
combat; 20 d'une colonne de travailleurs avec sa réserve;
3° d'une colonne d'assaut en ordre compact, suivie, de
même, en arrière, d'une réserve importante.
L'artillerie ayant préparé l'attaque par un tir prolongé,
destiné à écarter les défenseurs du parapet, la tête de
colonne s'avance jusqu'à ce qu'elle soit arrêtée par les dé-
fenses accessoires ou autres obstacles, et protège alors de
ses feux les travailleurs qui en exécutent rapidement la des-
truction ou en préparent le franchissement.
Pendant ce temps, la colonne d'assaut s'approche en pré-
cipitant sa marche et, dès que la chose est. possible, s'élance
dans l'ouvrage.
Au moment où cette colonne se prépare à franchir le
fossé, elle peut, se trouver arrêtée par le feu des organes de
flanquement; cette période de l'attaque est en conséquence
une des plus critiques pour l'assiégeant. Il faut, pour que
l'affaire réussisse, que les caponnières ou autres dispositifs
de la même espèce aient déjà été affaiblis par un tir préala-
ble. Dans tous les cas, les travailleurs ; munis de dynamite,
de poudre, de matières dont la combustion dégage une
fumée épaisse, etc., se précipitent sur les organes de flan-
quement, dont ils cherchent à faire sauter les murailles,
ou dont ils s'efforcent de chasser les défenseurs en les
asphyxiant.
Lorsque la colonne a réussi à pénétrer sur le rempart,
elle s'étend rapidement à droite et à gauche, appuyée par
de nouvelles réserves, el se répand dans la ville ou dans
l'ouA'rage, de manière à s'assurer immédiatement la posses-
sion d'une partie importante de l'une ou de l'autre. Pour
appuyer ses efforts, les sapeurs taillent, dans les parapets
des logements pour les tireurs, dirigés contre l'intérieur de
la fortification. Si des torpilles, fougasses ou autres dispo-
sitifs de cette nature ont été préparés par le défenseur, on
les déjoue en détruisant les fils conducteurs, qu'un détache-
ment spécial de travailleurs doit être chargé de rechercher
activement.
MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS 601
Il est évident que si l'action de vive force se double d'une
surprise, elle n'a que plus de chances de réussir; aussi
faudra-t-il toujours en dissimuler les préparatifs à l'assiégé.

On peut citer, comme exemple d'attaque de Arive force


couronnée d'un plein succès, la prise de Kars par les
Russes (*), dans la nuit du 17 au 18 noArembre 1877 (5 au
6 noA'embre, style qrec).
La place de Kars est située dans un pays montagneux,
sur une petite riA'ière à bords très escarpés, portant le même
nom que la ville. Elle était alors défendue par une ceinture
de douze forts : sept sur la rive gauche et cinq sur la rive
droite. Trois de ces derniers forts, SouA'ari, Kanly et Hafiz-
Pacha, établis sur un terrain d'un parcours relatiArement
facile, constituaient le front, d'attaque de la place.
Tous ces ouvrages étaient de construction récente, édifiés
à la hâte et pour la plupart dépourvus de fossés. Ceux qui
existaient n'étaient pas flanqués ; les parapets, élevés sur
des terrains rocheux, au moyen de terre rapportée, ne pou-
vaient être réparés aisément et. se trouvaient par suite dans
de mauvaises conditions pour soutenir une lutte d'artillerie.
La place, investie depuis le milieu d'octobre environ,
avait déjà lutté un certain temps contre l'armée russe et
menaçait de fournir encore une longue résistance, lorsque
le grand-duc Michel, commandant l'armée de siège, résolut,
de donner l'assaut.
L'opération, dirigée simultanément contre tous lès forls,
avait pour objectifs principaux ceux de Kanly et Hafiz-
Pacha. Elle fut. exécutée par une nuit claire, à la faveur de
laquelle les troupes russes pouvaient diriger leurs mouve-
ments tout en les dérobant, à l'ennemi. Le secret fut scrupu-
leusement gardé. Les Russes pénétrèrent sans grandes diffî-

(') Voir, pour la prise de Kars, le, rapport du lieutenant iln génie américain
Urncne, publié par M. le i|énéra! J'ierron, dans ses Méthodes (lit guerre (t. lit,
'" parlie, p. 780).
(;02 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
cultes dans les retranchements, mais ils durent soutenir des
combats meurtriers pour s'y maintenir.
Au fort Kanly notamment, dans lequel une caserne for-
mant réduit balayait de ses feux l'intérieur de l'ouvrage, la
lutte fut longue et pénible, el, pendant quelques heures,
alors que tous les forts de la rive droite étaient aux mains
des Russes, trois cents défenseurs tenaient encore dans ce
réduit.
Ce fait met en éA'idence l'utilité de pareilles constructions
dans l'intérieur des ouA'rages dépourvus de. fossés et d'es-
earpes capables de les mettre à l'abri de l'escalade. La
chute rapide des autres forts fait ressortir non moins claire-
ment la nécessité de munir les ouvrages de la fortification
permanente de solides obstacles défiant les tenlatiAres du
genre de celle dont il est ici question. Si l'on objecte que
le fort de Karadagh, le plus important et le plus complet,
fut enlevé par surprise el presque sans coup férir, malgré
ses escarpes et ses fossés, il est facile de répondre qu'en
effet la fortification la mieux organisée ne se défend pas
toute seule, et qu'un ennemi entreprenant et audacieux
insultera toujours aisément celle dont le défenseur manque
de vigilance et de valeur.
En résumé, le succès de cette importante affaire a été
obtenu par la combinaison des deux modes d'attaque irré-
guliers étudiés dans ce qui précède : la surprise et la vive
force. Il fait le plus grand honneur aux troupes russes,
mais il serait évidemment, téméraire de prétendre l'ériger en
méthode de siège régulière. Les Japonais en ont fait la dure
expérience devant Port-Arthur. Une attaque de vive force,
tentée quelques jours après l'investissement, aArec trois divi-
sions, leur coûta i5ooo hommes et ne leur donna d'autre
résultat que la prise de deux redoutes semi-permanentes
(Voir chap. L).
On a A'u, dans la deuxième partie, que les fossés des ou-
vrages détachés autour des places avaient en général une
largeur très réduite, surtout aux abords des caponnières ou
MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS 6O3
autres organes de flanquement, afin de mieux défiler les
escarpes ou. autres maçonneries placées dans le fossé.
Cette circonstance a fait naître l'idée de construire des
dispositifs de franchissement plus ou moins ingénieux, dont
le caractère principal est d'être très légers, afin qu'un petit
nombre d'hommes puisse les jeter en travers de l'obstacle
et fournir ainsi un passage aux colonnes d'assaut. Des expé-
riences de polygone ont prouvé qu'en quelques minutes on
pouvait arriver ainsi à franchir des fossés de 10 à 12 mètres
de largeur.
Bien que ces procédés ne puissent être préconisés comme
une méthode régulière, attendu qu'il suffit d'une garnison
Arigilante pour les déjouer, il n'importe pas moins d'entre-
tenir les troupes de toutes armés, et particulièrement celles
du génie, à leur emploi, en raison de l'avantage qu'on peut
éventuellement en obtenir.

3. Bombardement. — Le bombardement, qui cons-


titue un auxiliaire précieux de tous les autres modes
d'attaque, peut, sans autres travaux que ceux nécessaires à
l'établissement des batteries, amener la chute d'une place
dépourvue d'ouvrages extérieurs, manquant d'abris pour.la-
garnison et la population, et défendue par un gouverneur
peu résolu. En ruinant, les édifices publics et les propriétés
privées, il agit énormément, en pareil cas, sur le moral de
la population, parmi laquelle il ne fait, en somme que peu.
de victimes ('); il empêche les habitants de prendre part à
la défense el les amène le plus souA'enl à peser sur les déci-
sions du gouverneur pour obtenir la reddition de la place.
Il constitue donc un mode d'attaque pouvant donner de
grands résultats. Il en est tout particulièrement ainsi quand

(') Dans Strasbourg, bombardé 38 jours par les Allemands, il y eut 3oo per-
sonnes tuées et 800 blessées sur 68 000 habitants. Bdfort, bombardé 73 jours,
perdit 5o personnes par le feu, sur une population de 4 000 habitants. Il est
vraisemblable que les obus-torpilles auraient des effets plus puissants aussi bien
sur les habitations que sur les personnes.
6o4 3e PARTIE
—- ATTAQUE ET
DÉFENSE DES PLACES
l'ennemi contre lequel il s'exerce est démoralisé par des
défaites importantes et inattendues. En 1870, par exemple,
il a suffi d'un bombardement de quelques heures, exécuté
par de simples pièces de campagne el appuyé d'énergiques
sommations, pour amener la capitulation de certaines places,
et, en 1806, l'armée française, A'ictorieuse à Iéna, obtint sans
plus de.difficultés, des gouA'erneurs de Spandau, de Gustrin,
de Magdebourg, etc., la reddition des places qu'ils étaient
chargés de défendre.
Les bombardements seront sans doute à l'aA'enir aussi
fréquents que par le passé; ils seront d'ailleurs plus dange-
reux pour la Arille qui les subira, en raison de la puissance
des explosifs employés au chargement des projectiles.
Le bombardement est généralement précédé d'une som-
mation de capituler adressée au gouverneur; il est entrepris
dès que les àpproArisionnements de l'artillerie sont en quan-
tité suffisante et que leur renouvellement est assuré, attendu
qu'il entraîne à une forte consommation de munitions.

II est difficile d'indiquer a priori la force relative qu'il


convient de donner au corps chargé de l'exécution du bom-
bardement d'une place forte : car, dans ce mode d'attaque,
l'élément moral, l'intimidation, joue un grand rôle, et c'est
un facteur dont il est impossible de tenir compte numéri-
quement.
Il est indispensable toutefois que ce corps ait. un effectif
assez élevé pour opérer une sorte d'investissement rendant
impossible le départ des habitants, et qu'il soit assez solide
pour repousser sans peine les tentatives de sortie de la gar-
nison.
Il doit être pourvu d'une artillerie nombreuse et puis-
sante : les pièces de campagne conviennent peu pour ce
genre d'opération, en raison de l'insuffisance de leurs effets;
les mortiers et les autres pièces lançant de gros projectiles
sont d'un emploi beaucoup plus avantageux, à tous les points
de Arue.
MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS 6o5
-

Les batteries, ayant à tirer sur un but de très fortes


dimensions, peuvent s'établir à de très grandes distances
de la place : 7, 8 et même 10 kilomètres. Elles ont par
conséquent toute facilité dans le choix de leurs emplace-
ments, qui doivent être déterminés de telle sorte que les
pièces soient complètement masquées aux vues de l'artil-
lerie de la défense et n'aient rien à en redouter. Il suffit que
des observatoires coiwenablement installés pour constater
les effets du tir transmettent aux batteries les indications
nécessaires pour la rectification du pointage.
Il est prudent de ne pas effectuer prématurément l'arme-
ment des batteries ; cependant, il sera bon de ne pas attendre
au dernier moment pour amener le matériel de celles qui
sont à l'abri des Arues de la place et dont l'abord est dif-
ficile.
Toutes les batteries ouvrent le feu simultanément, et les
bouches à feu mises en ligne dès le début doiA'enf être assez
nombreuses pour que l'on n'ait pas à redouter un insuccès
qui augmenterait la force morale de la garnison.
Pour régler le service des batteries, il convient de leur
assigner des objectifs déterminés. On s'attachera, autant
que possible, à inquiéter l'assiégé sur tous les points à la
fois. Cette condition sera aisément remplie dans le cas des
petites forteresses, autour desquelles on pourra répartir les
batteries. Lorsqu'il s'agira de places présentant une grande
étendue, certaines pièces disperseront leur l'eu sur toute la
ville, dans le but de rendre les rues intenables et. la circula-
lion impossible; elles lanceront à cet effet un grand nombre .

d'obus à balles. D'autres concentreront leurs coups sur un


quartier choisi parmi ceux où la population est la plus
dense ; elles allumeront des incendies et continueront à
diriger leur tir sur les points embrasés, afin d'empêcher
l'extinction du feu. Lorsqu'un quartier sera en ruines, on
déplacera méthodiquement le tir pour atteindre le quartier
voisin. D'autres pièces enfin prendront pour but, spécial la
demeure du commandant de place et les habitations des
606 3e PARTIE
— ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
principaux fonctionnaires ou notables, si l'on a pu en déter-
miner la situation.
Quelques batteries mobiles, profitant des couverts natu-
rels, pourront, surtout la nuit, agir de concert avec les
batteries de position; elles auront plutôt pour objet d'in-
quiéter la place que d'y causer des dommages sérieux.
De temps à autre, le feu sera suspendu, de manière à
donner quelque répit à la population et permettre aux habi-
tants de s'entendre pour exercer une pression sur le gou-
verneur. On ne manquera pas d'ailleurs de contribuer à
cette action en adressant à be dernier des sommations
d'aA'oir à rendre la place et en promettant à la population
tous les égards possibles, si la lutte vient à cesser.
Si la garnison tente une sortie, les troupes du corps de
sièges appuyées sur les travaux de mise en état de défense
des localités qu'elles occupent, devront soutenir vigoureu-
sement la lutte et refouler énergiquement le défenseur, pen-
dant que les batteries qui ne pourront contribuer à cette
entreprise redoubleront, l'intensité de leurs feux.
Si le bombardement, se combinant avec d'autres procé-
dés, sert à préparer une attaque de vive force, il est dirigé
principalement sur les ouvrages à assaillir. Comme com-
plément d'un blocus, il a de préférence pour objectifs les ma-
gasins elles maisons d'habitation. Enfin, comme auxiliaire
d'un siège en règle, dont il peut précipiter le dénouement,
il est dirigé à la fois contre les fortifications et l'intérieur de
la ville.
Lorsque le bombardement se combine aA'ec une atlaque
de vive force, le succès de l'opération dépend aA^ant tout du
nombre des pièces mises en jeu el. de la promptitude de
l'attaque; ces deux considérations doiArent alors passer
avant celle de la solidité des batteries.
CHAPITRE XLII

SIÈGE RÉGULIER — INVESTISSEMENT

Lorsque la place que l'on se propose de conquérir est


fortifiée d'après les principes modernes, bien armée, lar-
gement approvisionnée et défendue par une garnison éner-
gique, ayant à sa tête un gouverneur digne de ce nom, les
différents modes d'attaque irréguliers qui AÙennent d'être
successivement étudiés échoueront inévitablement. Le blo-
cus, dont l'infaillibilité a été proclamée dans le chapitre pré-
cédent, amènerait sans doute à la longue le résultat désiré ;
mais, lorsqu'il s'agit d'une place dont la possession est indis-
pensable à la marche en avant des années envahissantes,
on n'a pas le loisir d'en attendre aussi longtemps la reddition,
et il reste alors, comme dernière ressource, l'emploi de
l'attaque en règle ou siège régulier.
C'est avec intention que l'on donne ici le nom de « der-
nière ressource » à ce procédé régulier d'attaque ; car il
exige de celui qui en fait usage de si grands efforts et des
sacrifices de toute nature si considérables qu'on lui préfé-
rera toujours l'un quelconque des modes d'attaque irré-
guliers, lorsqu'on pourra raisonnablement en espérer le
succès.

Périodes successives du siège régulier


d'une place moderne complète
C'est Vauban, le grand preneur de villes, qui aie premier
déterminé une méthode d'attaque régulière des places fortes,
608 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
et, pendant près de deux siècles après lui, on a pu conserver
presque intégralement la marche des "opérations imaginée
et suivie tant de fois avec succès par ce célèbre ingénieur.
Mais, de nos jours, les progrès réalisés par les armes à l'eu
en général, et plus particulièrement par l'artillerie, ont si
profondément modifié les conditions de l'attaque et de la
défense que certaines parties de ce procédé méthodique
demandent à être profondément transformées.
On se bornera à exposer ici les prescriptions de l'instruc-
tion du 4 février 1899 et à donner la description des travaux
d'approche consacrés par l'usage, en supprimant toutefois
ceux d'entre eux dont l'archaïsme est devenu le plus marqué
et en tenant compte des enseignements qu'il est permis de
tirer du siège de Port-Arthur.
Quoiqu'il en soit, pour exposer, dans leur ordre naturel,
la série des travaux méthodiques qui constituent le mode
d'attaque auquel on donne le nom de « siège régulier », il
est indispensable de bien préciser tout d'abord la nature de
la place devant laquelle on se propose de les exécuter.

Le cas le plus général et le plus complet, est celui d'une


grande forteresse moderne, organisée d'après les principes
exposés dans la deuxième partie de cet ouvrage.
On supposera donc, dans tout, ce qui va suivre, que la
place qu'il s'agit d'attaquer régulièrement se compose :
i° d'un noyau central, muni d'une solide enceinte, et ayant,
de 2 à 3 kilomètres de diamètre; 2° d'une ceinture de forts
détachés, dont, l'éloignement moyeu sera de 5 à 6 kilomètres,
ce qui donne i3 à i5 kilomètres de diamètre total et l'écar-
tement de l\ kilomètres en moyenne, avec des ouvrages inter-
médiaires, des batteries à l'air libre ou sous coupole, des
abris pour les hommes et les munitions dans les intervalles,
de manière à mettre ceux-ci à l'abri d'une tentative de vive
force; 3° ces ouA'rages seront couverts le plus souvent, dans
les secteurs favorables à l'attaque, par des positions avan-
cées, organisées à l'aide des ressources de la fortification
SIÈGE RÉGULIER INVESTISSEMENT 609
passagère. En arrière de la ligne principale de défense, la
garnison établira en outre une seconde ligne de résistance
dans toute l'étendue de la zone attaquée.
Dans ces conditions, la chute de la place ne sera complète
que lorsque, l'assiégeant se sera rendu maître : des lignes
successives placées devant le noyau central ; du noyau cen-
tral lui-même ; et, enfin, du ou des forts dont l'ensemble
constitue la citadelle du défenseur.
Il faut remarquer, d'ailleurs, que les entreprises dirigées
contre les forts directement attaqués, contre les ouvrages de
seconde ligne établis en arrière, et contre le noyau central,
seront théoriquement identiques, sauf les différences de
détail qu'entraîne le genre de fortification et les facilités
résultant pour l'assiégeant de l'affaiblissement progressif du
défenseur.
L'instruction du 4 février 1899 caractérise ainsi, qu'il suit
la marche générale du siège (art. 9) :
« Priver par l'investissement le défenseur de toute com-
munication avec l'extérieur, de manière à l'empêcher de
renouveler ses ressources en matériel et en personnel ; à cet
effet, organiser autour de la place une ligne de défense sus-
ceptible de résister à toute attaque de la garnison.
« Installer, en face du front d'attaque, une masse d'artil-
lerie assez puissante par le nombre, le calibre des bouches
à feu, ainsi que par les ressources en raA'itaillement, pour
annuler ou détruire, dans toute l'étendue de la zone corres-
pondante, les moyens de combat, les abris et les obstacles
de la défense.
« Au fur et à mesure des progrès de destruction de
l'artillerie de siège, conquérir avec l'infanterie, par bonds
successifs, une série de positions de plus en plus rappro-
chées de la place, en organisant définitivement chacune
d'elles, de manière à assurer la possession définitive du ter-
rain conquis.
« Progresser ainsi jusqu'au moment où, l'artillerie et le
génie ayant accompli les destructions nécessaires, l'infanterie
MANUEL DE FORTIFICATION 3!)
6lO 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES

sera en mesure d'aborder, d'un seul élan et par un nombre


suffisant de chemins praticables, la position occupée par le
défenseur.
« A ce moment, prononcer sur toute l'étendue du front
d'attaque une attaque décisive qui sera préparée par l'artil-
lerie et exécutée par l'infanterie, dans des conditions analo-
gues et suivant, les mêmes principes que l'attaque d'une
position dans la guerre de campagne.
« RenouA'eler les mêmes efforts contre les lignes succes-
sives de défense et contre le corps de place. »
On Ara maintenant passer en revue les diA'erses périodes
ou phases de la guerre de siège, telles que le règlement les
a fixées. Auparavant, il convient de jeter un coup d'oeil sur
la composition de l'armée chargée de l'opération.

Organisation de l'armée de siège

« L'armée de siège est, en principe, constituée par une


armée ou fraction d'armée de campagne à laquelle on adjoint :
i° des équipages de siège de l'artillerie el, du génie ; 2" un
parc de siège du génie ; 3° des compléments de troupes
techniques spéciales.
« Un équipage de siège d'artillerie est une unité consti-
tuée qui comprend le personnel el, le matériel nécessaires
pour la construction, l'armement et le service d'un nombre
déterminé de batteries de siège, pour le ravitaillement des
bouches à feu, la préparation des munitions et la répara-
tion du matériel, ainsi que pour la construction et l'exploi-
tation des voies ferrées étroites, des réseaux télégraphi-
ques ou téléphoniques affectés au service des batteries de
siège.
« Chaque équipage de siège d'artillerie est fractionné, au
point de vue du matériel et du personnel, en divisions dont
la composition varie avec le but à atteindre: et le genre de
tir à exécuter.
SIÈGE RÉGULIER INVESTISSEMENT 6ll
« Un équipage de siège du génie est une unité constituée
qui comprend :
« En personnel, un nombre déterminé de compagnies de
sapeurs-mineurs, un détachement de sapeurs-mineurs ou-
vriers d'art et un détachement de sapeurs-conducteurs;
« En matériel, un approAusionnement déterminé d'outils
et, d'engins de pionniers, ainsi que du matériel roulant pour
subvenir aux besoins courants du personnel de l'équipage.
« Le parc de siège du génie est un organe de ravitaille-
ment, en outils et engins de pionniers; il est en même temps
un centre d'approvisionnement de matériel spécial de sape
et de mine, de matériel d'assaut et de fous autres matériaux
nécessaires pour l'organisation défensive des positions, la
destruction et le franchissement des obstacles.
« Le matériel du parc de siège du génie, comme celui
des équipages de siège, est fractionné par catégories dont
la composition A'arie avec l'objet auquel chacune d'elles se
rapporte.
« Les compléments en troupes spéciales comprennent :
« i° Des troupes de chemins de fer et de télégraphie, aArec
le matériel technique qui leur est attribué;
« 20 Des compagnies de sapeurs-aérostiers et des parcs
aérostatiques ;
« 3° Une ou plusieurs brigades topographiques (Instruc-
tion précitée, art. n).
Afin de fixer les idées sur l'importance d'un équipage de
siège, on empruntera à un ouvrage étranger, Attaque et
défense des forteresses, par le capitaine Déguise (Bruxelles,
1898), le nombre des pièces entrant dans la composition
d'un équipage français.
Cet, équipage est divisé en deux demi-équipages, l'un
léger, l'autre lourd; le premier comprend : 32 canons(i6de
iô5mm et. 16 de 120 mm), 28 canons de i55mm court el. 20 mor-
tiers de 220""" ; le second : 56 canons (8 de 220""", 16 de
i">5mm, 16 de i20ram, 16 de g5mm) ; 20 canons de i55n™ court
•^ 20 mortiers (8 de 270mm el, 12 de 220mm).
6l2 3° PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
Le personnel d'un équipage de siège d'artillerie comprend
des batteries d'artillerie de forteresse, des détachements
d'ouA'riers d'artillerie, ainsi que le personnel nécessaire
pour le transport des pièces, de leurs munitions et des acces-
soires, tant sur les voies ferrées que sur les routes.
Les équipages de siège d'artillerie sont sous les ordres
directs du commandant de l'artillerie du siège, qui en dis-
pose d'après les besoins de la lutte et en effectue la réparti-
tion entre les secteurs.
Les équipages de siège du génie sont au contraire affec-
tés en principe aux divers secteurs ; toutefois, le comman-
dant du génie du siège peut demander au général comman-
dant l'armée de siège de modifier cette répartition afin de
réunir dans la zone des attaques tous les moyens d'action
qui lui sont nécessaires.
Tout ce matériel représente un poids considérable à trans-
porter et exige en principe l'emploi des Aroies ferrées ; aussi,
pour le début de ses opérations, l'armée de siège ne dispo-
se-t-elle pas de la totalité des équipages qui lui seront,
ultérieurement attribués. L'armée a besoin cependant pour
ses premières opérations de pièces plus puissantes que celles
d'une armée en campagne : elle reçoit donc, pour cet objet,
non seulement des batteries lourdes de campagne, mais
encore des fractions les plus mobiles de ses équipages de
siège d'artillerie. Le complément du matériel arrive lorsque
les diverses Aroies ferrées ont été construites et, aménagées.
Il a été question déjà des commandements de l'artillerie et
du génie du siège, qui constituent deux organes principaux
de l'armée de siège ; ils sont, le plus généralement, confiés
à des officiers généraux.
Le commandant de l'artillerie exerce le commandement
direct des équipages de siège et a la haute direction de la
construction, de l'exploitation des voies ferrées étroites et
du réseau télégraphique ou téléphonique desservant les bat-
teries de siège. Il assure la construction, le service et le ravi-
taillement, de ces dernières.
SIÈGE RÉGULIER INVESTISSEMENT 6l3
Le commandant du génie a la direction d'ensemble du
service de son arme dans l'armée de siège; il propose au
commandant de l'armée les positions à occuper pour l'in-
vestissement et les approches successives, et proA'oque les
modifications à opérer dans la répartition du personnel et
du matériel du génie entre les diverses unités composant
l'armée.
Ces deux officiers généraux sont pourvus d'un étair-
major et sont le plus souvent chargés de la direction immé-
diate des troupes et services de leur arme dans la zone des
attaques.
En outre de ces commandements, l'armée de siège est
pourvue : d'un intendant chargé d'assurer, avec le person-
nel et le matériel dont il dispose, l'alimentation de l'armée;
d'un directeur du service de santé auquel incombe le soin
d'organiser les formations sanitaires et l'évacuation des bles-
sés ; d'un directeur des étapes qui assure la liaison entre
l'armée de siège et la mère patrie et dans les attributions du-
quel entrent, en particulier, l'établissement et l'exploitation
des voies ferrées qui unissent les principaux établissements
de l'armée dé siège avec le réseau général.

Investissement
La première opération du siège est l'investissement, c'est-
à-dire l'établissement de l'armée de siège autour de la place
et l'interruption des communications entre celle-ci et l'exté-
rieur.
La cavalerie de l'armée remplit, dans cette phase, un rôle
fort important ; elle doit, le plus rapidement possible, occu-
per les routes aboutissant à la place, couper les fils télégra-
phiques et les voies ferrées, sans toutefois détruire ces
dernières d'une manière définitive qui empêcherait leur uti-
lisation ultérieure par l'armée de siège ; s'opposer aux des-
Iructions, par la garnison, des oirvrages d'art, des approvi-
6l4 3e PARTIE
-— ATTAQUE ET
DÉFENSE DES PLACES
sionnements de toute nature qui pourraient servir à l'armée
de siège. Elle arrête tous les convois qui cherchent à entrer
dans la place, s'oppose à la sortie des habitants, intercepte
tous les courriers. Si la place est assise sur un cours d'eau,
elle s'efforce d'établir le plus tôt possible des communica-
tions d'une rive à l'autre hors de portée du canon et des
entreprises de. la place. Elle enveloppe celle-ci, en un mol,
d'un réseau à l'abri duquel l'armée de siège va opérer son
déploiement autour de la forteresse.
La cavalerie ne craindra pas de pousser des pointes har-
dies jusque dans l'intérieur de la zone occupée par le défen-
seur, car, celui-ci ne pouvant répartir également ses troupes
sûr tout le pourtour, il y aura forcément des points mal
gai'dés, par lesquels elle pourra parfois pénétrer pour aller
détruire les approvisionnements rassemblés, inquiéter les
troupes mobiles de la défense et agir autant que possible
sur le moral de l'assiégé. D'ailleurs, la certitude d'être for-
tement soutenue en arrière lui permettra de se montrer plus
entreprenante que jamais et de contribuer pour une large
part au refoulement, du défenseur.

Premier investissement. — Sous la protection de


sa cavalerie, l'armée de siège se déploie autour de la place ;
elle peut effectuer ce déploiement soit, en suivant plusieurs
routes convergeant vers la forteresse, soit en partant d'une
direction unique et en s'étendant à droite et à gauche jus-
qu'à ce que Yem'eloppeinent soit complet. La première mé-
thode convient pour de petites places, parce que les diverses
colonnes sont assez rapprochées les unes des autres pour
se prêter appui en cas de besoin ; elle serait dangereuse
devant une grande place si la partie mobile de la garnison
portait tous ses efforts contre l'une des colonnes. La seconde
méthode convient généralement mieux dans ce cas, mais elle
exige quelques précautions. Tandis que l'armée défile en
quelque sorte autour de la place, elle prête le flanc aux
entreprises de la défense mobile; pour parer à ce danger,
SIÈGE RÉGULIER .INVESTISSEMENT 6l5
au fur et. à mesure que chacune des unités de l'armée de
siège est arrivée sur l'emplacement qu'elle doit occuper,
elle choisit une position lui permettant de jouer le rôle de
flanc-garde pour les unités qui défilent derrière elle et doi-
A'ent la déborder. En fait, l'expérience des sièges montre
que l'opération est. le plus souvent couronnée de succès.
L'armée de siège a réalisé ainsi un premier investissement
provisoire au cours duquel elle aura pris contact des postes
avancés de la place ; elle deA'ra attaquer ceux-ci avec la plus
grande énergie en mettant en oeuvre tous les moyens dont
elle dispose.
La A'igueur qu'elle aura déployée au cours des premières
luttes aura non seulement pour effet la conquête de cer-
tains postes, mais encore agira sur le moral de la garnison
de manière à la rendre plus timide dans les phases suivantes
du siège.
Dès que l'armée de siège sera établie autour de la place,
on divisera la ligne qu'elle occupe en secteurs, à la garde et
à la défense de chacun desquels sera affectée une unité
constituée; les limites des secteurs seront bien définies par
des accidents du terrain ; si. une route est choisie comme
limite, ce qui doit, être évité en principe, on aura soin d'in-
diquer à quelle unité son usage est réservé. Chaque com-
mandant de secteur deAdcnt alors responsable du maintien
de l'investissement dans la zone qui lui est affectée, il met
en oeuvre toutes les ressources dont il dispose pour obtenir
ce résultat.

Resserrement de l'investissement. — Ce premier


iiiArestissement laisse encore l'armée de siège trop loin de la
place et étend la position à occuper. Il faut le resserrer, en
entrant en lutte avec le défenseur afin de le chasser de ses
positions avancées. Ici encore la lutte doit être énergique-
ment conduite, avec tous les moyens d'action; la résistance
du défenseur s'accentue, d'ailleurs, car elle s'appuie à des
positions qu'il a pu organiser plus à loisir et pour la défense
6l6 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
desquelles il possède des moyens plus puissants. Aussi
l'assiégeant met-il en oeuvre ses pièces lourdes de campagne
et des fractions importantes de ses équipages de siège; enve-
loppant les positions du défenseur, il devra les lui enlever,
s'il sait conduire ses attaques avec l'énergie nécessaire.

Organisation de la ligne d'investissement. —-


Pour achever son oeuvre, l'assiégeant doit maintenant s'or-
ganiser sur le terrain conquis de telle sorte que la garnison
ne puisse l'en déloger; la position qu'il occupe est dite
ligne d'investissement : son emplacement est déterminé par
le commandant de l'armée de siège, qui prend à cet égard
les aAris des commandants de l'artillerie et du génie. Sa dis-
tance aux ouvrages permanents de la place peut être éA'aluée
à 5 ou 6 kilomètres environ : on est ainsi hors de portée effi-
cace de la plupart des pièces et on échappe en général aux
A'ues du défenseur, mais il est évident que toutes les fois
que la conformation du terrain le permettra, on s'approchera
davantage ; par contre, si la défense a solidement organisé
certains postes avancés qu'on n'a pu enlever de haute lutte,
si le terrain est trop découvert et battu par le canon des
ouvrages, il faudra se tenir dans des limites plus éloignées.
La ligne d'investissement doit « permettre aux troupes
de chaque secteur de repousser avec succès toute attaque
ou tout au moins de résister assez longtemps pour que les
troupes des secteurs voisins ou des réserves générales puis-
sent intervenir en temps utile ».
Elle comprend essentiellement une position de combat
« jalonnée par des points naturels d'appui ou artificiels, éche-
lonnés dans le sens du front comme en profondeur, de manière
que les approches et les intervalles soient efficacement bat-
tus par le feu de l'infanterie qui doit les occuper. Les inter-
valles des points d'appui comportent des parties aménagées
en obstacles passifs et des passages libres pour les mouve-
ments en avant. » (Instruction précitée, art- 38.)
Cette organisation ainsi définie par le règlement, montre
SIÈGE RÉGULIER INVESTISSEMENT 617
que la ligne d'investissement comporte plusieurs positions
successives dans le sens de la profondeur et qu'elle n'est
pas uniforme dans toute son étendue. Ainsi qu'on l'a fait
remarquer dans la première partie de cet ouvrage, chapi-
tre VII (Organisation du champ de bataille), il y a lieu de
tenir compte de la configuration du terrain et des facilités qu'il
donne à la garnison ou à l'armée de siège pour leurs mouve-
ments. Les parties qui ne se prêtent pas aux opérations
offensives sont simplement aménagées en obstacles passifs
(abatis, fils de fer, etc.) ; celles qui sont placées devant les
débouchés utilisables par le défenseur doivent être énergi-
quement battues et reçoivent un grand développement de
travaux; enfin, les espaces par lesquels l'assiégeant peut
aisément prononcer son mouvement en avant sont laissés
libres et on se contente de disposer sur leurs flancs des
ouATages bien armés, capables d'appuyer la marche des
colonnes.
En avant de la position de combat proprement dite sont
établis des avant-postes fortement constitués qui se forti-
fient sur leurs positions, de manière qu'en cas d'attaque de
la garnison, les troupes qui y sont placées puissent résister
assez longtemps pour donner aux gros des forces le temps
de garnir la position de combat. L'ensemble des traAraux
exécutés par les troujies aux avant-postes constitue la posi-
tion d'avant-postes et forme rideau protecteur pour la
position de combat.
L'artillerie de campagne est en général le seul armement
de la ligne d'investissement; sa mission est d'aider l'infan-
terie à repousser les tentatives de l'ennemi et de battre à
grande dislance les débouchés de la place. Une partie seu-
lement des pièces est en position, le surplus étant tenu en
réserve jusqu'au moment du besoin.
On multiplie les abris pour le personnel el le matériel
lant dans les ouvrages qu'au dehors. On dégage les Ames et
ic champ de tir en avant de toutes les positions, en ayant
soin toutefois de ménager les couverts que le commandant
6l8 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
de l'artillerie signale comme susceptibles d'être utilisés
pour l'établissement ultérieur des batteries.
Les troupes de chaque secteur sont cantonnées en arrière
de la. position de combat ou installées dans des camps bara-
qués, de manière à leur offrir le plus de bien-être possible.
Ces camps et cantonnements doivent être tenus hors de
toute portée des canons de la place, soit à 7 ou 8 kilomètres
environ des batteries les plus avancées ; ils doivent être
reliés aux positions de combat par de bonnes routes, défi-
lées aux vues de la place et sur le parcours desquelles on
établit de nombreux poteaux indicateurs, permettant à
chaque unité de Avenir prendre son poste rapidement en cas
d'attaque.
Le senice des troupes est réglé de telle sorte que les
diverses unités viennent successivement concourir au service
d'avant-postes et de garde des secteurs et se reposent, à
tour de rôle dans les cantonnements. Il est bon que le tour
d'avant-postes, qui est le plus pénible, ne reA'ienne qu'une
nuit sur trois ou même sur quatre si possible.
Les travaux à effectuer dans la zone d'investissement
comprennent, en outre de la construction des ouvrages et, de
la mise en état de défense des localités, la création de voies
de communication radiales et. transversales, l'établissement
de ponts et ponceaux sur les cours d'eau, de percées dans
les bois, de manière à assurer la liaison des diverses parties
de la ligne.
On saigne les conduites d'eau alimentant la ville ou qui
lui permettent de tendre, des inondations; on recherche,
pour les couper, les communications télégraphiques ou télé-
phoniques ; on dispose des estacades sur les cours d'eau et
des filets pour intercepter les correspondances par eau. On
établit des observatoires et des stations de ballons captifs,
des réseaux télégraphiques reliant, les divers secteurs entre
eux et aArecle quartier général. On travaille à la confection
des fascinages, bois d'abris et autres matériaux qui seront
nécessaires dans le cours ultérieur du siège.
SIÈGE RÉGULIER INVESTISSEMENT G10

Enfin, le service des étapes s'occupe sans retard de relier


l'armée de siège au réseau ferré, de manière à permettre le
transport, du matériel de toute nature; il utilise également
les cours d'eau lorsqu'ils sont susceptibles de servir aux
transports.

Effectif de l'armée d'investissement. — La force


de l'armée d'investissement est assez malaisée à fixer. A
Metz, en 1870, les Allemands avaient 200000 hommes,
réduits ensuite à 160 000, répartis sur 4o kilomètres ; à
Paris, pour 83 kilomètres, ils en eurent au début i5o 000,
puis, quinze jours après, 236 000 qui furent réduits à
190000 environ à la fin du siège; à Plewna, les Russo-
Roumains, s'étendant sur 70 kilomètres environ, avaient
120000 hommes lorsque le blocus fut établi. L'expérience
des sièges démontre d'ailleurs qu'une fois la ligne d'inves-
tissement organisée, son occupation peut se faire à l'aide de
moins de monde qu'il n'en a fallu pour l'établir. L'avantage
de la fortification est, en effet,, de permettre d'économiser
les troupes nécessaires à la défense d'une position.
L'effectif total de l'armée de siège est d'ailleurs en rela-
tion étroite avec celui de la garnison et il n'est pas besoin
de faire la démonstration de celle proposition don) l'évidence
est assez claire. Mais on ne saurait, traduire cette relation en
formule. Si, à Metz, les Allemands avaient 4 hommes par
mètre courant, tandis qu'à Paris ils n'en avaient que 1,7 au
début et 2,8 ensuite, c'est, que la valeur des troupes compo-
sant les deux garnisons n'était pas la même. Si, à Plewna,
70000 Turcs tenaient tête à 120000 Russes, tandis qu'à
Melz les forces françaises étaient presque aussi nombreuses
que celles de leurs ennemis, c'est que l'accroissement exa-
géré d'une garnison n'entraîne pas une augmentation pro-
portionnelle de l'armée de siège et on trouA'e dans ce fait
une démonstration nouvelle, du principe d'après lequel une
armée de campagne ne doit jamais chercher son salul der-
rière les murs d'une forteresse.
620 3e PARTIE ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
On admettait autrefois, d'après l'expérience des sièges,
que l'effectif d'une armée assiégeante deArait être triple de
celui de la garnison. Si on applique au cas de la place
théorique, qui sert de base à cette étude, les résultats des
investissements de 1870 et de Plewna, on arrive à la conclu-
sion suivante :
La garnison comprend environ 4oooo hommes, soit
24 000 sur la ligne principale de défense, 8 000 de réserve
mobile, 6000 de troupes spéciales et, services auxiliaires.
L'armée d'envahissement, répandue sur un périmètre de
72 kilomètres environ, est forte de i,5 homme par mètre sur
60 kilomètres des secteurs non attaqués, soit 90 000 hommes
environ, y compris les réserA'es, de 4 hommes par mètre sur
12 kilomètres du secteur d'attaque = 48 000, soit au total
i38ooo hommes. Le rapport serait environ 3,4 à 3,5 entre
les chiffres des deux années en présence ; il va de soi que
ces évaluations sont théoriques.

Protection extérieure. — L'ensemble des disposi-


tions ainsi prises contre les tentatives de l'armée assiégée
constitue ce qu'on a longtemps désigné sous le nom de ligne
de contrevallation. Il était d'usage autrefois d'organiser de
même à l'extérieur une ligne continue, dite de circonvalla-
tion, destinée à protéger l'armée de siège contre les entre-
prises des armées de secours. Une pareille disposition
serait aujourd'hui d'une exécution impossible, eu égard à
l'immense développement des travaux qu'elle obligerait
d'entreprendre.
Elle serait d'ailleurs inutile. De nos jours, en effet,.les
sièges s'effectuent le plus ordinairement fort en arrière de
la zone des opérations de rase campagne, car la puissance
des armées modernes permet de détacher des effectifs géné-
raux la troupe nécessaire à leur exécution. Si donc une
armée de secours se présentait, elle aurait à lutter contre
d'autres armées, sa marche serait lente et, par suite le corps
de siège aurait le temps de prendre les dispositions néces-
SIÈGE RÉGULIER INA'ESTISSEMENT 621
saires pour consolider ses positions, de manière à repous-
ser son attaque. C'est, précisément ce qui est arrivé en 1871,
lorsque le général Werder, assiégeant Relfort, dut exécuter
un changement de front pour résister à l'armée du général
Bourbaki venant au secours de la place. Il eut le temps de
fortifier la ligne de la Lisaine, d'y amener des pièces de son
parc, et, favorisé par les circonstances, il put repousser les
efforts de nos troupes.

Exemple d'organisation d'une ligne d'investissement

Pour compléter l'étude théorique de l'investissement qui


vient d'être faite, il serait évidemment utile d'examiner en
détail une opération de cette nature exécutée à notre épo-
que. Un pareil travail exigerait malheureusement un déve-
loppement peu en rapport, avec les limites forcément res-
treintes de cetouATage; on se bornera donc à étudier ici
l'organisation d'une portion de la ligne d'investissement
établie par les Allemands autour de la place de Paris, en
1870-1871.
L'opération fut commencée le 17 septembre 1870 par
les IIIe et IVe armées allemandes, dont l'effectif total était
alors de i5oooo hommes environ el de 620 bouches à feu
de campagne. Les deux armées, partant de Château-Thierry,
devaient se diriger : l'une (IVe armée) au nord de la place ;
l'autre (IIIe armée) au sud, pour se donner la main à
Poissy, après avoir enfermé la ville dans un cercle de
troupes.
La défense, qui ne disposait à cette époque que d'éléments
sans cohésion, ne put faire aucune tentative vigoureuse pour
entraver l'exécution de ce mouvement. Le 19 septembre,
elle livra cependant, sans aucun succès du reste, les combats
du Petit-Bicêtre et de.Châtillon, et l'investissementse trouva
opéré de fait, sans difficulté, le 20 septembre.
L'armée assiégeante entreprit immédiatement les travaux
Ô22 3e PARTIE
— ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
nécessaires pour renforcer les positions sur lesquelles elle
s'était établie.
Au sud, à l'est et au nord, ces travaux reçurent un très
grand développement, parce qu'ils étaient placés Aris-à-vis
des points que, suivant toute probabilité, l'assiégé choisirait
pour tenter quelques sorties, ou sur lesquels les Allemands
voulaient diriger leurs efforts principaux.
Au nord-est, une assez grande étendue de la ligne d'inves-
tissement était formée par les inondations de la Morée, qui
permellaient de réduire de ce côté et les travaux à exécuter
et l'effectif des troupes affectées à leur garde.
11 en était de même au nord-ouest, où les nombreuses

boucles de la Seine formaient, pour l'assiégeant comme


pour l'assiégé, une série de puissantes lignes de défense,
interdisant dims cette région toute opération offensive. Entre
Chalou et, Argenteuil, par exemple, il n'y avait que des Ira-
vaux d'avant-postes sans valeur sérieuse, qui suffirent plei-
nement à fermer de ce côté le cercle d'investissement.
Par contre, dans le secteur ouest proprement dit, dont le
sol accidenté et boisé sépare Paris de Versailles, où siégeait
l'état-major général de l'armée allemande, la ligne d'inves-
tissement, utilisant les mouvements du terrain et les nom-
breuses constructions dont il est recouvert, formait un
obstacle puissant.

Pour donner un exemple d'organisation de cette ligne,


on a choisi, dans le secteur sud-est, vers le confluent de la
Marne et de la Seine, le fragment compris entre Aroisy-le-
Grand au nord et Chennevières-sur-Marne au sud (fig. 24J,
page 623 bis), c'est-à-dire le champ de bataille des 3o no-
vembre .et Ier décembre 1870.
L'importance des travaux exécutés sur ce point par l'as-
siégeant et le rôle qu'ils ont joué dans les journées qui
viennent d'être citées donnent à cette portion de la ligne
générale un intérêt tout particulier, qui doit en faire paraître
le choix bien légitime.
SIÈGE RÉGULIER INVESTISSEMENT 623
Dans cette partie de la zone d'investissement, la Marne,
à l'ouest de laquelle le défenseur s'était retiré dès le début,
formait entre les deux adversaires un obstacle important, pou-
vant servir de première ligne de défense à l'un et à l'autre. A
l'annonce de l'approche de l'ennemi, les ponts existant sur
cette rivière, à Bry,à Joinville, à Champigny, à La Varenne,
aAvaient été rompus par l'assiégé. Si l'on observe que la
boucle de la Marne formant la presqu'île de Joinville est
défendue : au nord, par le fort de Nogent-sur-Marne, à
l'ouest, par la redoute de la Faisanderie el, un peu plus au
sud, par le fort de Charenton, qui en bat efficacement toute
la partie occidentale, on devra considérer comme imprudente
la destruction du pont de Joinville, dont une simple tête de
pont, établie sur la rive gauche, eût suffi pour assurer la
possession. La presqu'île de Join\'ille, inhabitable pour
l'assiégeant, était en effet l'un des points indiqués tout natu-
rellement pour une opération offensive de l'armée de Paris;
il convenait en conséquence de conserver précieusement le
moyen d'y faire passer en temps opportun les troupes néces-
saires, sans recourir à l'emploi de ponts militaires, dont une
crue inopinée de la rivière pouvait suffire à retarder réta-
blissement, comme cela arriva lors de la sortie si brillam-
ment commencée le 3o novembre et si malencontreusement
compromise par un accident de cette nature.
D'après cette courte digression même, le débouché de la

presqu'île de Joinville était, dans cette région, le point
essentiel à couA'rir. Les Allemands s'établirent donc tout de
suite solidement dans le village de Champigny et, pour ne
pas courir le risque d'être tournés dans cette position un peu
avancée, ils l'appuyèrent au nord et au sud par les impor-
tants travaux dont, la figure 241 (page 623 bis) indique la
disposition générale.
Leurs avant-postes, couverts par quelques abatis et ouvra-
ges légers, étaient établis dans le bois du Plant et à L'Huil-
Her, el disposés de manière à battre d'enfilade les deux
routes qui viennent converger un peu en arrière de Joinville-
.Planche X
623bis
Fier 240 Organisation d'une portion des lignes.d'investissement de Paris, en 1870-1871 (jg^ô).
6^4 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
le-Pont. Ils couvraient le village de Champigny, fortement
retranché comme il A'ient d'être dit (') et commandant, d'une
part, la route de Provins, de l'autre, le débouché de l'ancien
pont sur la Marne, rompu, dès le début, par la défense.
Pour soutenir cette première ligne, deux puissantes bat-
teries avaient été établies : l'une à l'est de Champigny, un
peu en arrière du chemin qui relie ce village à la route de
Villiers-sur-Marne ; l'autre à l'est de Bry-sur-Marne, sur les
hauteurs de la rive gauche. Elles étaient, couvertes par quel-
ques tranchées-abris, abatis et ouvrages de campagne
reliant le AÙllage de Champigny à celui de Bry-sur-Marne et,
complétant, dans cette partie, la première ligne de défense
proprement dite.
Au sud, le A'illage de ChenneArières, placé sur la crête
même des hauteurs qui bordent la rivière dans cette portion
de son cours, était fortement organisé et couvert en avant,
par des tranchées-abris courant sur le flanc dvi coteau. Une
autre ligne d'ouvrages de la même espèce, venant aboutir
en avant de la ferme de Mon-Idée, reliait ce village de Chen-
nevières à la batterie établie sur le plateau en arrière, à l'est
de Champigny. De nombreux et solides abatis couvraient le
flanc sud de ce plateau.
Au nord, le village de Bry-sur-Marne, solidement mis en
état de défense et couvert par une longue ligne d'abatis
qui se prolongeait jusqu'en avant des coteaux de Noisy-le-
Grand, formait la partie droite de la première ligne.

En arrière de cette première ligne, les Allemands en


avaient établi une seconde, tout aussi puissamment organi-
sée, quoique moins continue.
Ils l'avaient appuyée au nord au village de Noisy-le-
Grand, relié à la rivière même par des ouvrages légers et
défendu par diverses batteries représentées sur la figure 2/11

(') Ce vill;i(fc l'ut néanmoins enlève brillamment par les troupes de Paris,
dans la nuit du Ier décembre.
SIÈGE RÉGULIER
— INVESTISSEMENT 626
(jiage 623 bis). La plus importante, située au nord-est du
village, en arrière du coude formé par la Marne, enfilait
tout le cours de la rivière en avant de Neuilly-sur-Marne et
rendait très difficile tout mouArement offensif de ce côté.
Une seconde batterie, également très forte, placée au sud
même du village, dans l'intervalle qui le sépare de Villiers,
battait tout le terrain au nord de Bry-sur-Marne et se trou-
vait couverte par la longue ligne d'abatis dont il a été parlé
tout à l'heure.
A i kilomètre au sud, le Arillage de Villiers-sur-Marne
formait le second point d'appui de cette deuxième ligne.
Le cimetière avait été fortement occupé, elles maisons exté-
rieures situées dans l'angle formé par les routes de Noisy et
de Bry, mises en état de défense. Le parc de Villiers, dont
les murs avaient été crénelés et organisés défensivement,
formait une espèce de grand ouvrage contre lequel vint se
briser l'élan des troupes françaises. Cette partie de la ligne
était appuyée par de puissantes batteries établies au nord-
est, au nord et au sud du village, et couvertes en général
par des lignes d'abatis. Une forte redoute, établie au nord
de Villiers, entre le parc et le cimetière, complétait l'orga-
nisation défensive de ce point.
Plus au sud, à 800 mètres eirviron, le petit A'illage de
Goeuilly et son parc constituaient, le troisième point fort de
la seconde ligne. A l'ouest et au sud de ce A'illage, la défense
avait utilisé des murs avancés et s'étendait presque jusqu'à
la route de Villiers à Chennevièrcs. Au nord, sa deuxième
ligne était formée par la lisière du parc deCoeuilly, qui bat-
tait très efficacement le terrain compris entre ce A'illage et,
celui de Villiers-sur-Marne. Deux batteries, bordant, les
crêtes de ce petit plateau, balayaient la vallée située en
avant A'ers l'ouest.
Dans l'intervalle, entre Coeuilly et Chennevièrcs, un peu
en arrière de Mon-Idée, une autre batterie enfilant la route
de Provins fermait la trouée comprise entre ces deux villa-
ges. Enfin, plus au sud encore, en arrière de Chennevièrcs,
MANUEL DE FORTIFICATION 40
626 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
.

le A'illage et le parc d'Ormesson avaient également reçu une


organisation défensive complète.
En résumé, sur la partie principale du front à couvrir, on
retrouve les trois lignes principales dont il a été question
ci-dessus : avant-postes à Le Plant et àL'Huillier; première
ligne à Champigny et sur le chemin de Bry-sur-Marne, aA'ec
batteries en arrière des deux villages; seconde ligne princi-
pale de Noisy-le-Grand à Coeuilly, par Villiers-sur-Marne.
C'est grâce à cette succession de défenses d'une A'aleur
croissante que l'armée allemande réussit à contenir les vigou-
reux efforts de celle de Paris. Les combats du premier joui-
autour de Champigny, bien que couronnés de succès, don-
nèrent à l'adversaire le temps de concentrer ses troupes sur
la seconde ligne, dont la puissante organisation fournit à
celles-ci de tels aA'antages qu'il fut impossible de les y forcer
le lendemain.
CHAPITRE XLII1

SIÈGE RÉGULIER (Satie)


PRÉPARATIFS DU SIÈGE PROPREMENT DIT

L'investissement terminé et l'assiégeant définitivement


établi sur ses positions, le siège proprement dit peut com-
mencer et ses préparatifs vont se poursuivre avec rapidité.
Choix du point d'attaque. — La première opération
à faire est de déterminer la partie du périmètre de la place
dont l'assiégeant cherchera à s'emparer, et qu'on désigne
sous le nom de front ou point d'attaque. C'est en concen-
trant ses efforts sur ce front que l'assiégeant parviendra à
entamer la ceinture fortifiée qui abrite le défenseur. L?im-
portance des ressources en personnel et en matériel qu'exige
l'obtention de ce résultat est telle qu'on ne peut songer à
prendre plusieurs fronts d'attaque différents.
a) Importance des communicationspar voieferrée. — « Le
choix du point d'attaque est subordonné à la direction géné-
rale des opérations el à la nécessité pour l'armée de siège
de rester en relations avec les armées de campagne et aArec
l'arrière.
« 11 est étroitement lié à la nature et à l'état du réseau
l'erré disponible à proximité de la place, pour le raA'itaille-
nient, des équipages de siège, ainsi qu'à la possibilité de
compléter rapidement ce réseau. »(Instr., art. 42.)
On a indiqué déjà au chapitre précédent que le matériel
constituant les équipages de siège représentait un poids
''onsidérable, dont le transport exige impérieusement la
628 3e PARTIE
—- ATTAQUE ET
DÉFENSE DES PLACES

présence de A'oies ferrées ; on conçoit donc que la nature et


l'état du réseau ferré disponible jouent le rôle prépondérant
dans le choix du point d'attaque. Les armées modernes
comprennent d'ailleurs des troupes spéciales de chemins de
fer auxquelles incombe la mission de réparer le réseau ferré
existant, s'il a été détruit antérieurement, et de le compléter
par des embranchements desservant les principaux établis-
sements de l'armée de siège. Cette organisation est de date
récente, mais en 1870 les Allemands étaient loin de dispo-
ser sous ce rapport, de toutes les ressources nécessaires.
Aussi, certains sièges subirent-ils de ce fait un relard impor-
tant. Devant Paris, la destruction du tunnel de Nanteuil les
obligea à rassembler 5oo A'oitures à quatre roues venues
d'Allemagne et 1 000 caissons français pour effectuer leurs
transports entre Nanteuil, d'abord, et Esbly ensuite, jusqu'à
Villacoublay où était établi leur grand parc. Et c'est à cette
circonstance que Paris dut de n'être bombardé qu'en
décembre.
Le réseau ferré de l'armée de siège doit non seulement
assurer sa liaison avec l'arrière, mais encore desservir ses
principaux établissements, et permettre l'armement et le
ravitaillement en munitions de ses batteries. Il comprend,
ainsi qu'on le A'erra plus loin, des voies, à largeur normale et
des A'oies étroites à pose rapide, qui sont plus.particulière-
ment affectées au service de l'artillerie. Le matériel doit donc
être transbordé d'une des A'oies sur l'autre, et ce transbor-
dement, exige la création d'une gare spéciale forl importante,
de l'organisation de laquelle dépend le bon fonctionnement
des services. Par conséquent, dans la détermination du
point d'attaque, il y aura lieu de se préoccuper non seule-
ment de la liaison de l'armée de siège avec l'arrière, mais
encore de l'organisation intérieure du réseau ferré spécial
et, en particulier, de la gare de transbordement.
b) Topographie et nature du terrain. —• L'artillerie est,
au moins dans la première période du siège,. le moyen
d'action le plus efficace de l'assiégeant. Il faut donc que les
SIÈGE RÉGULIER PREPARATIFS DU SIÈGE 629
batteries s'installent sur un terrain favorable, duquel elles
puissent atteindre aisément les travaux du défenseur, où
elles échappent à ses A'ueset où leur ravitaillement soit aisé.
Celte considération entrera donc en ligne dans le choix
du point d'attaque.
c) Couverts naturels du terrain favorisant l'approche de
l'infanterie. *— On tiendra compte également, dans cette
détermination, des facilités que présente le terrain pour la
marche d'approche de l'infanterie. Celle-ci doit enlever les
positions occupées par le défenseur lorsque l'artillerie les a
suffisamment ruinées, mais son action est d'autant plus
facile qu'elle peut mieux s'approcher en restant à l'abri des
A'ues ennemies. Par conséquent, il y aura lieu de tenir grand
compte des facilités que peuA'ent procurer sous ce rapport,
les couA'erts naturels du terrain.
d) Les obstacles que le sol peut apporter à l'exécution des
travaux de terrassement doivent aussi être examinés avec
attention ; un sol rocheux que la pioche ne peut, entamer ou
un terrain marécageux dans lequel l'eau envahit toutes les
excavations seraient de nature à créer à l'assiégeant des dif-
ficultés telles que sa marche ultérieure serait impossible.
Les reconnaissances du temps de paix et les renseignements
qu'on possède sur la place seront d'un grand secours sous
ce rapport.
e) Enfin, la nature el l'importance des ouvrages de la
ligne de défense auront dans le choix du point d'attaque une
part importante. Si la place était incomplètement fortifiée
ou possédait un secteur particulièrement faible, on pourrait
avoir intérêt à choisir ce secteur ou la portion mal défendue,
mais cette circonstance se présente assez rarement, et, au
contraire, le défenseur aura le plus souvent accumulé les
ouvrages devant, le point d'attaque probable qu'il aura pu
étudier et déterminer à l'avance.

Projet d'attaque. — Le commandant de l'armée de


siège ayant, fixé le point d'attaque à la suite des avis des
63o 3° PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
commandants de l'artillerie et du génie, ceux-ci lui soumet-
tent leurs propositions en vue de l'établissement du projet,
d'attaque. Elles se répartissent, comme il suit entre les deux
services :

Artillerie. —Positions à assigner à l'artillerie de siège


et répartition des équipages de siège d'artillerie dans la
zone d'attaque. — Le choix de ces positions a en effet une
importance capitale pour les premières opérations et par
conséquent sur celles qui les suivent ; on conçoit donc
qu'elles forment la base des propositions du commandant
de l'artillerie. On a indiqué d'ailleurs précédemment que la
facilité plus ou moins grande donnée à l'assiégeant pour le
déploiement de ses batteries est. une des considérations qui
influent sur le choix du point d'attaque.

Emplacement des parcs d'artillerie. — Le matériel de


chaque équipage de siège d'artillerie est mis en ordre dans
un dépôt qui reçoit le nom de parc principal; son emplace-
ment doit être dérobé aux A'ues et aux coups de la place :
on l'installe, par conséquent, à 8 ou 10 kilomètres de ses
ouA'rages les plus avancés.
En avant du parc principal, il est constitué, pour chaque
division d'équipage, un parc divisionnaire, réduction du
parc principal, qui subvient aux besoins des batteries de la
division. Entre ce parc et les batteries, sont, établis des
dépôts intermédiaires qui contiennent une réserve de muni-
lions destinées à parer aux besoins imprévus des batteries,
mais ne servent pas à leur ravitaillement normal, assuré
directement par le parc divisionnaire.
Une voie ferrée normale relie le parc principal aux lignes
de communications de l'armée, tandis qu'une Aroie de 60 cen-
timètres le met. en communication avec ses annexes et les
groupes principaux de batteries.
La jonction entre les deux réseaux se fait en principe
dans le parc lui-même qui comprend donc, outre les dépôts
SIÈGE RÉGULIER PRÉPARATIFS DU SIÈGE 631
de munitions et de matériel, une A'éritable gare avec de nom-
breux quais de débarquement et de transbordement.
S'il n'est pas possible d'accoler le parc à la gare de trans-
bordement, on le réunit à elle par une voie de 60 centi-
mètres.
Le commandant de l'artillerie aura donc à intervenir, de
concert aA'ec le directeur des étapes, dans les propositions
relatives à la détermination de l'emplacement de la gare de
transbordement.

Organisation de la. voie ferrée destinée à relier le parc,


les annexes et les batteries. — Cette A'oie est construite et
exploitée par le service de l'artillerie au moyen des ressour-
ces en personnel et en matériel des équipages de siège. Elle
peut, indépendamment des transports propres à ce service,
être utilisée pour les établissements des autres services :
génie, intendance, santé.

Organisation des communications par voie de terre des-


servant le parc de siège. — Le réseau ferré ne peut évidem-
ment suffire à tous les transports du matériel de siège, et
des charrois seront nécessaires sur certains points. L'artil-
lerie, disposant des moyens de transport les plus considé-
rables, sera chargée de ce service.

Prélèvement de personnel et de matériel de l'artillerie


de campagne pour le service des parcs de siège. — Lorsque
l'investissement est complètement établi, on peut sans
inconvénient préleA'er sur les unités de campagne une partie
de leur personnel et de leur matériel d'artillerie pour l'affec-
ter au service des parcs de siège qui, au cours de la lutte
qui va suivre, auront des besoins considérables. Les batte-
ries fourniront donc des servants, des attelages el leurs
conducteurs, voire même des A'oitures et des pièces qui,
dans le secteur d'attaque, rendront les plus grands services
et suppléeront à l'insuffisance des équipages de siège.
632 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
Génie. — Emplacement du parc de siège du génie et
organisation des communications entre ce parc et le réseau
des étapes. — « Le parc de siège du génie a pour objet de
ravitailler les troupes et équipages de siège en outils de
pionnier et matériel de construction el de destruction ou
d'assaut ; il peut recevoir, à titre de dépôt, le matériel,
momentanément inutile, appartenant aux troupes de cam-
pagne et aux équipages de siège du génie.
« Le parc de siège du génie est établi hors de la portée
de l'artillerie de la place, à proximité du parc d'artillerie de
siège.
« Des annexes du parc de siège peuvent être échelonnées,
s'il y a lieu, entre son emplacement et celui des organes à
raA'ilailler (équipages de siège du génie). »
Le matériel attribué en propre à chaque équipage de siège
du génie forme un groupe dénommé section de matériel,
rassemblé en un lieu de dépôt qui porte le nom dépare de
section de matériel.
Enfin, dès que les circonstances l'exigent, des dépôts
intermédiaires d'outils sont créés entre le parc de section
de matériel et les chantiers.
Les transports de matériel du génie ont lieu en principe
par A'oitures attelées. A cet effet, le parc de siège possède
une compagnie de sapeurs-conducteurs et dispose des res-
sources en voitures et attelages affectées normalement au
parc de siège et éventuellement de ressources provenant des
formations de campagne (parcs, équipages de pont) ou de
voitures de réquisition.
Si l'importance du matériel à transporter et les distances
à parcourir l'exigent, il sera construit des voies normales
ou étroites réservées au service du génie. La construction
el l'exploitation en seront assurées par des détachements de
sapeurs de chemins de fer.
Le parc du génie comprendra les équipages de pont ou
du moins la réserve de ceux-ci, l'armée de siège ayant uti-
lisé la majeure partie de ce matériel pour créer des commu-
SIÈGE RÉGULIER PRÉPARATIFS DU SIÈGE 633
nications entre les secteurs séparés par des cours d'eau. Il
est éA'ident que lorsqu'il sera possible d'établir les équipa-
ges de pont à proximité d'un cours d'eau, on ne manquera
pas de le faire, si toutefois il doit en résulter une facilité
pour le transport de ce matériel.
Répartition des éc/uipages de siège du génie et prélèvements
à effectuer sur les grandes unités de campagne à l'armée de
siège. — On a indiqué au chapitre précédent que les équi-
pages de siège du génie étaient en principe affectés aux
troupes de campagne occupant les divers secteurs. Les res-
sources qu'ils renferment leur sont, en effet, indispensables
pour l'établissement de la ligne d'investissement. Mais, une
fois cette opération terminée, une grande partie de ce maté-
riel ainsi que du personnel des troupes du génie devient
moins utile dans les divers secteurs que dans la zone d'atta-
que. Le commandant du génie soumet donc des proposi-
tions au commandant du siège, en vue d'une nouvelle répar-
tition de ce personnel et, du matériel.

Emplacement, de la première position d'approche el des


positions successives. — Les opérations du siège sont, ainsi
qu'on le verra plus loin (chap. XLIV), une progression
constante de l'armée de siège vers la place, marquée par
la conquête et l'organisation de positions d'approche suc-
cessives. Les travaux à exécuter dans ce but assortissent
particulièrement au génie et s'il n'est plus possible de déter-
miner aujourd'hui, comme autrefois, avec précision, l'empla-
cement de chacune de ces positions, on peut du moins
prévoir d'une manière générale la marche à suivre dans la
progression de l'assiégeant. Le commandant du génie éta-
blit donc un projet relatif à ces positions d'approche et, le
soumet à l'approbation du commandant du siège.

Ayant reçu les propositions des commandants de l'artille-


rie et du génie, le commandant du siège arrête le projet
634 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
d'attaque. Il fixe l'étendue de la zone d'attaque, la partage,
s'il y a lieu, en secteurs, et désigne les unités à prélever sur
les troupes d'investissement pour renforcer celles de la zone
d'attaque. Il ne laisse dans les secteurs en dehors de cette
zone que la quantité de troupes nécessaires pour résister
aux sorties de la garnison.
Le commandant du siège exerce en personne la direction
des opérations dans la zone d'attaque ; il est secondé par
les commandants de l'artillerie et du génie qui, ainsi qu'on
l'a dit précédemment, assurent dans cette zone l'exécution
du service de leur arme.
Nécessairement, les opérations ne se développent pas
exactement, comme l'a préA'u le projet d'attaque. Pour aA'oir
à chaque instant un relevé exact de la situation des tra-
vaux de l'attaque et de la défense, le commandant du siège
fait établir un plan directeur des attaques, généralement
au iJ20oooe, sur lequel sont portés au fur et à mesure les
travaux de l'attaque, et ceux de la défense dont on a pu
constater l'existence.
CHAPITRE XLIV

SIÈGE RÉGULIER (Suite)


LUTTE SUR LE FRONT D'ATTAQUE

Dans l'attaque méthodique, telle qu'on en comprenait la


marche avantl'apparition de l'instruction de 1899, l'artillerie
de l'année de siège établissait des batteries à dislance, à
5 000 ou 6 000 mètres des ouA'rages, pour conlrebattre les
pièces les plus avancées de la défense ; elle se rapprochait
ensuite à 2 000 ou 3 000 mètres et, avec des batteries dites
de première position, elle ruinait l'artillerie des ouvrages ou
des batteries intermédiaires et donnait le moyen à l'armée
de siège de prendre pied sur le terrain par la construction
d'une vaste tranchée, ouverte devant chaque ouvrage atta-
qué, à laquelle on donnait le nom de première parallèle. A
partir de ce moment, les troupes du génie poussaient une
série de tranchées en zigzag, défilées des ouvrages attaqués,
reliées par de nouvelles parallèles. L'artillerie, sous la pro-
tection de ces travaux, se rapprochait à son tour et construi-
sait, des batteries dites de seconde position auxquelles incom-
bait le soin de ruiner les remparts et les abris, d'achever la
destruction de l'artillerie de la défense et, finalement,
d'ouvrir la brèche dans la fortification.
L'instruction de 1899 a profondément modifié ces règles
et leur a substitué une méthode nouvelle dans laquelle l'ar-
tillerie et l'infanterie, cheminant de concert, procèdent à
l'enlèvement de positions d'approche successives dont l'or-
ganisation est, assurée par le génie et, par une série de bonds,
636 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
dont le dernier est l'assaut donné à la fortification, amènent
l'assiégeant jusque dans l'intérieur des ouvrages attaqués.
Cette instruction a fait disparaître, sans toutefois les abroger
explicitement, une série de termes, réglementaires jusque-
là, s'appliquant aux batteries ou aux 'travaux, qui avaient
l'avantage de faciliter une classification méthodique de ceux-
ci. Aussi, pour la commodité d'exposition de la méthode
instituée par le règlement de 1899, sera-t-on amené plus
d'une fois à reproduire les anciennes dénominations.

Ligne de couverture de l'artillerie. — Il est de


règle générale qu'une batterie doit être soutenue par de l'in-
fanterie établie en aA'ant d'elle, destinée à soustraire ses
servants aux coups et aux entreprises de l'infanterie adA'erse.
Cette règle s'applique dans un- siège comme en campagne
et le soutien d'infanterie doit même y être plus nombreux
et plus efficace, attendu que le matériel de siège se prête
moins que celui de campagne au tir rapide et à la défense
rapprochée. Conséquemment, avant de déployer son artil-
lerie, l'assiégeant doit s'établir sur une position bien dé-
fendue, en aA'ant de la ligne de ses batteries ; cette position
est dénommée ligne de couverture de l'artillerie.
Sun occupation sera le plus généralement la conséquence
d'une action de vigueur des troupes du secteur d'attaque
soutenues par les batteries lourdes de campagne et les frac-
tions légères des équipages de siège. Cette action s'étendra
latéralement aux secteurs d'attaque sur un front, aussi grand
que le permettront les ressources disponibles. La position
ainsi conquise est, la première position d'approche ; elle doit,
satisfaire à la double condition d'exercer une action ofïénsiA'e
sur le terrain qui s'étend en avant d'elle et d'offrir à ses défen-
seurs un abri efficace; en outre, on doit pouvoir 3' accéder
de l'arrière par des communications bien défilées. La réali-
sation de ces conditions diverses nécessitera l'exécution de
nombreux travaux pour lesquels le concours des troupes du
génie et d'infanterie sera demandé. La ligne de couverture
SIÈGE RÉGULIER
—LUTTE SUR LE FRONT D'A'TTAQUE 63y
de l'artillerie sera, en définitive, constituée d'après les mêmes
principes que la ligne d'investissement, mais, en raison de
sa proximité plus grande des oirvrages de la place, les abris
de toute nature, les masques destinés à les défiler seront
plus nombreux que sur cette dernière ligne. On s'efforcera
de rendre aussi peu A'isibles que possible les parapets et
épaulements qui la constituent.

Construction des batteries de siège. — Sous la


protection des troupes de la ligne de couverture, on entre-
prend la construction des batteries, l'installation des maga-
sins et dépôts de munitions, on poursuit l'achèvement des
voies ferrées reliant le parc aux batteries.
Les batteries de siège font en principe usage du tir
indirect repéré à l'aide des observatoires et des ballons cap-
tifs, et on leur donne le plus grand défilement compatible
aArec la tension de leur trajectoire. Il en résulte que les
pièces qui font du tir courbe peuA'ent être installées dans
les dépressions du terrain et arment des batteries dites
hors de vue, tandis que les batteries de canons longs, les-
quels font du tir de plein fouet, doivent généralement être
construites peu en arrière des crêtes el sont dites batteries
de crête.
Le règlement, n'indique pas la distance à laquelle on les
établit, mais si l'on considère qu'à ce moment de la lutte la
défense possède encore la presque totalité de ses moyens
d'action, on admettra, sans difficultés, qu'elles pourront rare-
ment être plus rapprochées que 5 ooo à 6000 mètres des
ouA'rages. Si même la défense a pu établir en avant de ceux-
ci une position avancée follement garnie d'artillerie de gros
calibre, et cette circonstance se présentera fréquemment,
il paraîtrait téméraire d'installer les premières batteries
de siège à une distance de cette position aA'ancée sensi-
blement moindre que celle qu'on vient d'indiquer. Dans ces
conditions, la justesse du tir est encore assez grande, la
puissance de pénétration des projectiles et leur effet de des-
638 3e PARTIE

ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
truction sont, également considérables et la lutte entre les
deux artilleries sera décisive.
Le dispositif adopté pour la construction de ces batteries
ne sera évidemment pas le même pour les batteries hors de
A'ue que pour celles de crête ; ces dernières étant exposées au
tir direct devront avoir des parapets d'une épaisseur supé-
rieure à ceux des autres. Le type général se rapprochera
sans doute de celui indiqué par la figure 242, en faisant
A'arier l'épaisseur du parapet.
En général, les batteries ne comprendront pas plus de
quatre pièces; chacune d'elles sera pourvue d'un abri aux
munitions relié à la batterie et au dépôt intermédiaire par
des communications défilées, desservies par des voies ferrées
étroites.
Ainsi qu'on l'a indiqué déjà, le serA'ice des batteries sera
facilité par la construction d'observatoires fixes et par l'em-
ploi des ballons captifs,.les uns et les autres étant reliés aux
groupes de batteries qu'ils desservent par une série de com-
munications téléphoniques.
Tous les travaux à faire dans les zones défilées et notam-
ment la construction des batteries hors de A'ue peuvent être
exécutés de jour.
Les travaux visibles" de la place, en particulier les batteries
de crête, sont, exécutés de nuit. Il est admis que l'exécution
de ces batteries demande deux nuits consécutives ; la pre-
mière, on exécute la plus grande partie des terrassements
et abris, la seconde, on installe les plates-formes et on
arme la batterie, qui généralement sera prête à ouA'rir le
feu au jour.
Pendant qu'on amène et qu'on installe le matériel, des
équipes spéciales préparent l'exécution et l'observation du
tir. Le service topographique de chaque équipage de siège
établit, par triangulation trigonométrique, un canevas d'en-
semble sur lequel viennent se greffer et se raccorder les cane-
vas directeurs du tir établis, par triangulation graphique,
dans chaque division d'équipage. Ces caneA'as directeurs
Coupe suivant AB.

Fig. 242. — Batterie de crête.


64o 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
servent à l'établissement des planchettes de tir des batteries,
qui portent, avec l'emplacement de la batterie à laquelle
elles sont destinées, ceux des observatoires, des objectifs et
permettent ainsi la mesure facile des éléments initiaux du
tir et les transports de tir.

Emploi de l'artillerie de siège. — Le rôle principal


de cette artillerie est d'écraser celle de la défense et, pour
atteindre ce résultat, elle doit mettre en ligne un nombre de
pièces très supérieur à celui dont dispose son adversaire ;
conséquemment, toutes les ressources des équipages de siège
doivent être utilisées afin d'obtenir rapidement la supériorité
d'action.
Le feu n'est ouvert que lorsque la presque totalité des bat-
teries est construite, armée, organisée complètement et que
l'approvisionnement en munitions permet de le soutenir sans
crainte d'interruption. Le feu commence simultanément sur
toute la ligne à un signal convenu. Les objectifs sont répartis
entre les batteries, le tir est dirigé d'abord sur les batteries
de la défense dont la position a pu être repérée ; au fur et à
mesure qu'on en découA're de nouvelles, la répartition est
modifiée. Le feu est conduit de manière à écraser successive-
ment, les diverses batteries, soit par la supériorité du nombre
des pièces qu'on leur oppose, soit par une consommation
plus grande des munitions.
Lorsque l'artillerie du siège a pris nettement le dessus sur
celle de la défense, elle dirige ses efforts contre les parapets
et les abris. Mais à la distance où se trouvent, les premières
batteries il leur est difficile d'obtenir un résultat important ;
l'assiégeant se trouve donc conduit à se rapprocher de la place
et, pour y arriver, il doit conquérir de haute lutte ou par une
marche progressive de nouvelles lignes de couverture des
batteries qu'il veut établir; ces lignes de couverture sont
constituées par les positions d'approche successives dont, il
sera question plus loin. Les batteries se rapprochent des
ouvrages attaqués, mais la distance qui les en sépare ne
SIÈGE RÉGULIER LUTTE SUR LE FRONT D'ATTAQUE 641
paraît pas devoir descendre au-dessous de i 5oo mètres,
attendu que les pièces modernes possèdent dans ces condi-
tions une précision de tir remarquable, supérieure le plus
souA'ent à celle qu'on obtenait autrefois à quelques centaines
de mètres. Elles ne peuvent d'ailleurs s'établir à une proxi-
mité aussi grande que si leur emplacement échappe aux
vues du défenseur et, dans ces conditions, elles doivent faire
usage du tir indirect qui comporte l'emploi de charges
réduites et donne, par suite, desA'itesses restantes beaucoup
moindres qui diminuent la puissance de pénétrationdu pro-
jectile. Les batteries rapprochées reçoivent alors des destina-
lions particulières :
Les unes, dites d'enfilade, établies dans le prolongement
des crêtes, ont pour but d'en chasser le défenseur et font
usage principalement de shrapnels ;
D'autres, dites à démonter, seront dirigées contre les cui-
rassements des ouvrages et devront mettre en oeuA're simul-
tanément des pièces tirant de plein fouet et des mortiers
lançant, par un tir vertical, des obus de très fort calibre,
contenant les plus grosses charges d'explosifs brisants;.ces
dernières pièces seront plus rapprochées de leur objectif que
les premières ;
D'autres encore, dites de brèche, auront pour mission de
démolir l'obstacle qui s'oppose à la marche de l'assiégeant ;
elles étaient autrefois les plus rapprochées de la place, elles
peuvent aujourd'hui, grâce à la supériorité de puissance
des nouveaux projectiles., être tenues à une distance assez :

grande ;
D'autres enfin, dites de démolition, seront destinées à rui-
ner les abris par le tir vertical des mortiers ; leur objectif
élant en général plus étendu que celui des pièces du même
genre dirigées contre les cuirassements, elles pourront en
être tenues plus éloignées que ces dernières.
Le service des hommes des batteries de siège est dirigé
par le commandant de l'artillerie du siège. En principe, les
mêmes unités d'artillerie à pied sont affectées aux mêmes
MANUEL DE FORTIFICATION 41
642 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
batteries ; elles sont secondées au besoin par des auxiliaires
appartenant à d'autres armes, mis à la disposition du com-
mandant de l'artillerie par le commandant du siège.

Organisation du service dans la zone d'attaque


Garde des approches. — Dans chaque secteur d'atta-
que, des troupes sont affectées à la garde des positions con-
quises et organisées : elles prennent le nom de garde des
approches. Ces troupes sont commandées par un officier
général ou supérieur de jour qui a également sous ses ordres
les traA'ailleurs de toute nature. Il dirige le service et le
combat de la garde des approches, assure l'exécution des
ordres du commandant du secteur et, en l'absence de ce der-
nier, prend toutes les dispositions urgentes pour garder le
terrain conquis ou pour progresser A'ers la place. Auprès du
général de jour, se troirvenl, suivant un tour établi, un offi-
cier de Fétat-major du commandant de secteur, un autre de
chacun des états-majors des commandants de l'artillerie et
du génie. Il a, en outre, pour le seconder dans son service,
un officier supérieur, désigné à titre permanent, qui prend
le nom de major des approches, auquel sont adjoints plusieurs
officiers subalternes, et dont les attributions consistent à
régler le service des troupes de garde et des travailleurs, à
assurer l'entretien, la propreté et la police des communica-
tions de toutes natures ainsi que des dépôts de munitions el
d'outils, des ambulances et postes de pansement. 11 fait déli-
vrer aux troupes les cartouches nécessaires pour remplacer
celles qui ont été consommées etveille au renouvellement des
réserves de ces munitions.
La garde des approches est montée par vingt-quatre
heures suivant un tour établi ; les traA'ailleurs d'infanterie el
du génie sont de service pendant, douze heures, les gardes
et, travailleurs sont commandés la A'eille et ne fournissenl
aucun autre service.
SIÈGE RÉGULIER LUTTE SUR LE FRONT D'ATTAQUE 643
La garde des approches comprend :
i° La garde proprement dite, dont la mission est de gar-
der la position et de couvrir les troupes en arrière ; elle est
établie dans des couverts ou des tranchées et protégée en
avant par un réseau d'aA'ant-postes ;
2° Une réserve, maintenue à l'abri, en arrière, assez près
de la position pour y arriver avant l'ennemi;
3° Des fractions avancées placées en aA'ant de la garde
proprement dite et qui cherchent à progresser constamment
vers la place. A cet effet, elles conservent leur contact aA'ec
l'infanterie ennemie, saisissent toutes les occasions d'engager
le combat avec elle et de gagner du terrain en prenant pied -

sur des emplacements de plus en plus rapprochés de la ligne


de défense, où elles s'installent en créant des couverts.
L'action de ces fractions aA'ancées est parfois soutenue par
le feu de la garde des approches qui, à cet effet, doit être lar-
gement approA'isionnée en cartouches. Des troupes du génie
font partie de la garde des approches afin d'être en mesure
de commencer sans retard l'organisation défensive du terrain
conquis.

Marche d'approche. — La progression de l'assiégeant


est marquée, ainsi qu'on l'a dit déjà, par l'occupation de
positions de plus en plus rapprochées de la place, qui peu-
vent soit être enlevées de haute lutte à la suite d'une prépa-
ration convenable par le tir de l'artillerie, soit organisées
lentement en utilisant les traA'aux qu'exécutent pour se cou-
vrir les troupes placées aux avant-postes.
L'action de A'igueur a l'incontestable avantage dé se faire
profondément, sentir sur le moral de la garnison, mais elle
conduit souvent à des pertes importantes et comporte tou-
jours avec elle un certain aléa. La progression lente et con-
tinue a les aA'antages et inconvénients inverses, elle exige de
la part de l'assiégeant un effort de volonté soutenu qui, à la
longue, produit une certaine fatigue morale. L'habileté du
chef consistera à choisir tantôt l'un, tantôt l'autre de ces
644 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
procédés, afin de tenir ses troupes en haleine et de les mé-
nager.
L'emplacement à occuper pour chaque position d'approche
est déterminé par le commandant du siège sur la proposition
du commandant du génie.
Si l'on se décide pour une action de. vigueur, il faut tout
d'abord reconnaître les directions à suivre pour amener les
troupes à proximité de la position à enleA'er, en restant à cou-
A'ert des vues de la garnison. L'artillerie de siège prépare
l'action par un tir énergique et l'infanterie enlève la position.
Les troupes du génie procèdent aussitôt, s'il est possible:,
à l'exécution de traA'aux ; mais le plus souA'ent, ceux-ci ne
pourront être commencés que pendant la nuit. Ils consis-
tent alors dans une organisation sommaire des localités,
des bois, dans la construction de tranchées reliant les cou-
verts naturels ; ces travaux sont complétés dans la journée
et pendant les nuits qui suivent.
Si, au contraire, on progresse pied à pied, on utilise les
travaux exécutés par les fractions avancées de la garde des
approches pour installer à couvert des traA'ailleurs qui relient
entre eux ces divers traA'aux, de manière à constituer une
position d'approche continue, que l'infanterie A'ient occuper
ensuite. Il aura fallu, dans ce cas, donner aux fractions avan-
cées les indications nécessaires pour que leurs travaux occu-
pent des emplacements convenablement choisis, de manière
à jalonner en quelque sorte la position d'approche.
Quelle que soit la méthode adoptée pour l'occupation de la
position d'approche, il faudra réunir cette position à celle
qui se trouve en arrière par des communications bien défi-
lées permettant, aux troupes de garde d'y circuler à couvert
du défenseur. Autant que faire se pourra, on utilisera les
couverts naturels ou artificiels du terrain pour ces commu-
nications; à défaut de ceux-ci, on établira des tranchées
dont on dissimulera le mieux possible les parapets aux vues
de l'ennemi, à l'aide de branches ou de gazons, ou par tout
autre procédé.
SIÈGE RÉGULIER LUTTE SUR LE FRONT D'ATTAQUE 645
Devant un ouvrage permanent solidement organisé et bien
défendu, lorsque l'assiégeant est parvenu à la zone entière-
ment découA'erte bien battue par le feu du défenseur, il ne
peut ni continuer à progresser par bonds par les moyens pré-
cédemment employés, ni espérer aborder la fortification d'un
seul élan, même au prix de pertes considérables.
Il doit continuer sa marche vers la place, mais par des
moyens nouveaux : il lui faut recourir à la sape et ultérieu-
rement peut-être à la mine.
CHAPITRE XLV

SIÈGE RÉGULIER (Suite)


— TRAVAUX
D'APPROCHE

On comprend sous le nom de travaux d'approche les


sapes et les mines destinées à donner à l'assiégeant le moyen
de continuer à progresser A'ers la place lorsque les bonds
successifs sont rendus impossibles par le feu du défenseur.
L'instruction du n avril 1906 sur le service du génie
dans la guerre de siège fixe les principes de leur emploi.
Les détails d'exécution se trouvent dans l'École de Sape
(16 aA'ril 1896) et dans l'Ecole de Mines (16 juillet 1901).

Parallèles et cheminements
Les travaux de sape sont de deux sortes. Les uns, les
cheminements, ou boyaux de communication, marchent
vers la fortification en décrivant des lignes brisées, dont
chaque élément forme avec la capitale de l'ouvrage sur
lequel il est dirigé un angle plus ou moins aigu. La suite
des cheminements dirigés vers un même but constitue une
attaque, placée sous les ordres d'un officier supérieur chef
d'attaque. Les autres, les places d'armes, ont une direction
générale parallèle au front des ouvrages attaqués, et consti-
tuent pour l'assiégeant des postes de combat dans lesquels
des fractions de la garde des approches, convenablement
abritées, assurent, aux travailleurs chargés de l'exécution
SIÈGE RÉGULIER TRAVAUX D'APPROCHE 647
des cheminements, une protection efficace. Lorsque la dis-
tance entre la dernière position d'approche et les travailleurs
tend à se rapprocher de celle qui sépare ceux-ci des ouvra-
ges de la défense, on constitue une nouvelle position d'ap-
proche en réunissant entre elles les places d'armes voisines
des diverses attaques (Jnst. sur le service du génie). Cette
position d'approche se nommait parallèle avant l'apparition
des instructions récentes: on lui conservera ici ce nom, resté
dans le langage courant et qui facilite l'exposition.
On voit de suite la différence essentielle qui existe entre
les cheminements et les parallèles, et il est facile de mettre en
évidence les considérations pouvant servir de guide dans
le choix de leurs emplacements respectifs.
Les cheminements, en effet, devant s'approcher de la
place le plus aisément et le plus rapidement possible, recher-
cheront de préférence les parties basses et défilées des abords
de la fortification.
Les parallèles, au contraire, dans lesquelles l'assiégeant
peut avoir à combattre, devront présenter les caractères
ordinaires des bonnes positions militaires et posséder, par
conséquent, des vues efficaces sur le terrain qui les sépare
de la place ; elles seront donc établies autant que possible
sur les crêtes, leur direction même suffisant d'ailleurs, le
plus souvent, à les bien défiler.
En ce qui concerne leurs profils, on comprendra de même
sans difficulté que, pour les cheminements, qui ne sont en
définitive que des passages destinés à permettre de circuler
à l'abri des vues du défenseur, on peut se contenter d'une
tranchée de 2 mètres de largeur au fond, tandis que, pour
les parallèles, qui doivent servir à la fois de communication
cl, de lieu de rassemblement pour les troupes, on sera obligé
de porter à 3 mètres la largeur de l'excavation.
Les uns et les autres, comme le montrent les figures 243
et 244, ont une profondeur commune de im3o près de la
niasse couA'rante, et de im4o au reA'ers, pour faciliter l'écou-
lement des eaux. Leur parapet a un relief uniforme de im3o
648 3e PARTIE
— ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
afin que rien, dans la masse des cheminements, ne décèle
au défenseur l'existence d'une différence quelconque. Une
benne de 4t> centimètres sépare toujours ce parapet du
talus intérieur de la tranchée.
Dans les parallèles, on installe souA'ent des abris pour les
hommes : les figures 245 et 245 bis montrent la disposition
qu'on peut leur donner. On remarquera que l'on y a conservé

Fig. 244- — Profil d'un boyau de communication.

encore le parapet de i'"3o de hauteur, pour éviter de four-


nir un point de mire à l'ennemi, et qu'on prend soin de
maintenir autour de ces abris un passage de 3 mètres, pour
ne pas gêner la circulation.
Enfin,- il faut aménager des portions assez étendues des
parallèles de manière à permettre à la garde des approches
de faire le coup de feu ou de se porter en avant. On est
SIÈGE RÉGULIER TRAA'AUX D'APPROCHE 649
amené de la sorte à créer des gradins de fusillade (fig. 246)
et des gradins de franchissement (fig. 247)*, consistant en
escaliers faits au moyen de fascines, de planches, ou même

Fig. 245. — Abri dans une parallèle. Coupe ÀB (1/100).

Fig. 24» bis. — Plan (1/200).

de pierres, qui facilitent l'installation des tireurs sur la benne


et le franchissement du parapet. La terre nécessaire à la
confection de ces gradins est obtenue en élargissant les tran-
chées en arrière, pour conserver le passage de 3 mètres, et
650 3° PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES

en entaillant dans le revers d'autres gradins symétriques per-


mettant de sortir au besoin de la tranchée.
Le mode d'exécution de ces traA'aux A'arie nécessairement
avec la distance qui les sépare de la fortification. Au fur et,
à mesure qu'on se rapproche, le travail devenant plus diffi-
cile et plus dangereux, il faut prendre des précautions de
plus en plus grandes pour couvrir les traA'ailleurs. '

Fig. 246. — Gradins de fusillade el de revers.

Fig. 247. — Gradins de franchissement.

On distingue donc comme procédés d'exécution :


i" La tranchée simple, qui s'exécute sans couvert et
simultanément sur toute l'étendue de l'ouvrage à construire.
A cet effet, le tracé de la tranchée ayant été marqué par
un cordeau, les hommes, porteurs de leurs outils (pelle et.
pioche) et de leur arme, y sont amenés en silence, à la tom-
bée de la nuit. La longueur de la pelle marque la tâche assi-
gnée à chacun d'eux, et le travail s'exécute, aussitôt que
SIÈGE RÉGULIER TRAA'AUX D'APPROCHE 65 I

tous sont placés, au commandement de : Haut les bras ! fait


à A'oix basse. A la fin de la nuit, la tranchée doit avoir le
profil indiqué figure 248, savoir : im3o de profondeur et
autant de largeur, le parapet ayant 1 mètre de hauteur.

Fig. 248. — Tranchée simple. Travail de la première nuit.

Pendant la journée qui suit, des travailleurs lui donnent ses


dimensions définitives. Un semblable procédé exige évidem-
ment, pour sa réussite, que la A'igilance du défenseur ait été
surprise ; l'expérience des guerres prouve que ce résultat
peut toujours être obtenu en profitant habilement des cir-
constances atmosphériques ;

Fig. 24g. — Sape volante.

20 La sape volante, différant de la précédente en ce que


chaque travailleur dispose pour se convrir; au début du tra-
vail, d'un gabion qu'il pose devant lui et qu'il s'efforce de
l'emplir de terre aussi rapidement que possible pour en faire
un bouclier efficace. Les gabions doivent être alignés le
652 3e PARTIE
— ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
long de la tranchée avant l'arrivée des traA'ailleurs ; on peut
soit les poser tous à la fois, ce qui constitue la méthode par
porteurs, soit successivement, en les faisant avancer' der-
rière ceux déjà posés, c'est la méthode par rouleurs. Après
la première nuit, le profil de la sape volante est celui qu'in-
dique la figure 249 ;
3° La sape pleine ou sape pied à pied, ou encore sape à
terre roulante; celle-ci s'exécute en plaçant le travailleur à
l'extrémité d'une tranchée qu'il doit prolonger en rejetant
constamment devant soi, et du côté de l'ennemi, les terres
provenant de la fouille. La figure 2 5o donne une idée du
mode d'exécution de cette sape.
Un piochcur a creuse l'extrémité delà tranchée et fait pas-
ser la terre, entre ses jambes, à un pelleteur b qui la rejette
en aA'ant et. sur le côté. Lorsque la consistance de la terre
le permet, on augmente la rapidité d'exécution du travail
en repoussant avec une longue drague en bois le bourrelet
de terre placé en aA'ant de la tranchée, au lieu de le faire
tomber en piochant. La tranchée reçoit ainsi sa première
forme, dans laquelle la largeur est réduite à90 centimètres;
deux travailleurs c et d, en arrière des précédents, l'élargis-
sent à sa deuxième forme. Parfois, cependant, on place
deux piocheurs en tête du travail et la tranchée est amenée
immédiatement à sa largeur définitive : c'est la sape sans
forme. La sape à terre roulante donne aux travailleurs une
assez grande sécurité, mais n'avance que très lentement
(1 mètre à l'heure au maximum, dans une terre ordinaire).
11 existe d'autres procédés pour exécuter une sape pied

à pied, c'est-à-dire progressivement; il convient, de citer


parmi eux : la sape en sacs à terre, dont le parapet est
formé par des sacs à terre que l'on déplace, et la sape pro-
fonde, sans parapet, qui a 2 mètres de profondeur ; il ne
paraît pas nécessaire d'entrer dans le détail de leur descrip-
tion. On préconise également, pour la construction des
tranchées, d'utiliser les trous et embuscades des sentinelles
placées en avant des travailleurs, dont on a soin alors de
Fig. 25o. — Sape pleine à terre roulante.

Coupe CD. Première l'orme.

Coupe AB. Deuxième forme.


654 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
régler la position à cet effet. Il suffit de réunir ces excaA'a-
tions par des bouts de tranchée pour obtenir assez rapide-
ment une parallèle ou un boyau de communication.

Ensemble des cheminements


Ces préliminaires posés, A'oici maintenant comment,
depuis Vauban, on a combiné entre eux les parallèles et les
boyaux de communication pour s'approcher de la fortifica-
tion ; cet ensemble de travaux fixé par l'immortel ingénieur
n'a pas subi de modifications pendant deux siècles, et, tout
en reconnaissant que le progrès des armes rend son appli-
cation plus malaisée qu'autrefois, on doit avouer que les
principes sur lesquels il repose ont conservé une grande
A'aleur.
Le point de départ des travaux est une première parallèle
établie devant l'ouvrage sur des points ayant des A'ues éten-
dues, de manière à donner à l'assaillant un appui solide en
cas d'attaque du défenseur et une action offensive sur le
terrain en avant. Vauban la plaçait à 600 mètres des sail-
lants les plus avancés ; plus tard on a cru pourvoir l'éloigner
à 1 000 mètres en raison du progrès des armes. Aujour-
d'hui, sa position sera déterminée par la nature du terrain
et des couverts qu'il présente, par le degré plus ou moins
grand de puissance du feu des remparts. Lorsque la dernière
position d'approche conquiseude A'ive force ou par progression
lente aura été établie, celle qui la.suivra et dont la construc-
tion aura été faite par l'un des procédés qu'on a indiqués ci-
dessus constituera la première parallèle.
Partant de cette parallèle, on s'avance par une série de
boyaux en zigzag, que l'on trace de manière à les défiler
des vues du défenseur ; ce défilement s'obtient, en théorie
ainsi qu'on l'a indiqué Ire partie, page 262 ; en pratique,
on se contente de faire passer la direction du zigzag à
une certaine dislance du saillant dangereux. Les boyaux
Fig. 251. — Ensemble théorique des cheminements contre
un fort.
656 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
sont repliés les uns sur les autres et raccordés par un
retour, servant de refuge, comme l'indique la figure 252 ;
on les limite, théoriquement, à deux lignes placées à droite
et à gauche de la capitale, distantes de 4o mètres de celle-
ci, à hauteur de la première parallèle, et de 3o mètres, à la
troisième parallèle. Il y a avantage à se tenir aux environs
de la capitale, car on a ainsi le minimum de chemin à par-
courir tout en restant dans le secteur privé de feux; mais,

Fig. 252. •—
Retour dans un boyau de communication.

dans la pratique, on se place sur la partie du terrain la mieux


défilée des vues de la fortification.
Lorsqu'on a gagné ainsi un peu moins de la moitié de la
distance entre la première parallèle et l'ouvrage (à 45o mè-
tres environ de ce dernier, si la première parallèle est. à
8oo mètres), on relie les têtes de cheminement par une
seconde parallèle ou place, d'armes, analogue à la première
et de laquelle on repart, de nouveau, en cheminements.
SIÈGE RÉGULIER TRAA'AUX D'APPROCHE 657
A partir de là, on ne fait plus de grandes parallèles ; mais,
comme il faut toujours que la tête du travail soit plus rap-
prochée de la garde des approches, qui la protège, que de
la place, qui la menace, on fait, de distance en distance,
des places d'armes, qui permettent de réaliser cette condi-
tion. Lorsque enfin on arrive à 60 mètres environ de la forti-
fication (ou à 120 mètres s'il y a des mines qui protègent,
celle-ci), on exécute une dernière parallèle, dite troisième
parallèle, qui doit servir de point de départ pour les traA'aux
ultérieurs.
La figure 251 (page 655) donne une idée schématique
de l'ensemble des cheminements qu'on vient de décrire.
Le mode d'exécution employé au cours de ces travaux
varie nécessairement avec la distance qui les sépare de la
fortification, et avec le plus ou moins d'énergie que montre
le défenseur ; on conserve les procédés d'exécution rapide
(tranchée simple ou sape A'olante) aussi longtemps que pos-
sible, pour n'employer la sape pleine que lorsque les autres
procédés sont devenus impraticables. Souvent, pour gagner
du temps, on dérobe, la nuit, quelques mètres de tranchée
en plaçant des gabions que l'on remplit ensuite de terre.
Théoriquement, on admet que la première parallèle s'exé-
cute à la tranchée simple : qu'à partir de la seconde parallèle
la sape A'olante doit être employée, et qu'arrivé à la troisième
parallèle on ne peut avancer qu'à la sape pied à pied.
A partir de la troisième parallèle, et quelquefois même
avant que l'on soit arrivé à la distance indiquée précédem-
ment pour cette nouvelle place d'armes, l'emploi des divers
pi'océdés suivis jusqu'alors pour l'exécution des chemine-
ments deA'ient impossible. Les boyaux de communication
que l'on obtiendrait de la sorte devraient être en effet telle-
ment repliés les uns sur les autres, pour ne pas être en prise
aux feux d'enfilade, que, tout en dépensant beaucoup de
peine et de temps, l'attaque ne ferait que des progrès
insignifiants. On est, alors obligé d'aA'oir recours kl&sapc
double.
MANUEL I)K FOI\TIFICA.TION .'il
658 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
Sape double. — Ce procédé diffère de ceux qui ont
été décrits précédemment en ce que la tranchée est bordée
d'un parapet à droite et à gauche, comme on le A'oit sur la
figure 253, et que, par suite, elle peut être dirigée droit sur
la fortification, puisqu'elle est protégée des deux côtés à la
fois. Il suffit de donner, à chaque partie rectiligne des che-
minements ainsi établis, un développementassez faible pour
qu'elle ne soit pas enfilée sur une trop grande longueur. La

Fig. 253. — Sape double.

sape double s'exécute du reste comme la sape pleine à terre


roulante, mais avec un nombre de travailleurs double.

Crochets et traverses tournantes. — Grâce à ce


nouA'eau mode de cheminement, la forme générale des
approches va changer. On marchera droit sur la fortification
et, pour éviter que la sape ne soit enfilée par les feux de la
place, on fera, de distance en distance (tous les i5 mètres
environ, un crochet parallèle à la crête de la fortification ;
puis, lorsque l'on aura gagné quelques mètres à droite ou
à gauche, on partira de nouveau en sape double, en décri-
A'ant de la sorte une espèce de crémaillère, comme le repré-
sente la figure 254.
A la disposition qui vient d'être indiquée on pourra sub-
.
stituer, si on le préfère, l'exécution de traverses tournantes
(fig. 255) obtenues en séparant la sape double en deux
sapes simples, au moyen d'un massif de terre qui A'ient
Fig. 255.
— Traverse tournante.
660 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
arrêter les projectiles prenant la tranchée d'enfilade, ou bien
encore on appuiera sur les bennes des deux talus un porti-
que, c'est-à-dire une charpente en bois supportant un para-
pet de im3o, formé de fascines et de terre, sous lequel on
approfondira la tranchée à 2 mètres. Lorsque ce dernier
procédé est employé sur une certaine étendue, il prend le
nom de sape blindée (fig. 256).

Fig. 206. — Profil d'un portique ou d'une sape-blindée.

Couronnement du chemin couvert. —Il est impos-


sible de passer sous silence l'opération du couronnement
du chemin couvert, qui a tenu dans les anciens sièges une
place si considérable. Elle consistait à établir tout le long
de la crête de cet ouvrage une tranchée continue, formant,
de multiples crochets et semée de traverses, qui donnait à
l'assiégeant une position solide dans laquelle il établissait
ses batteries de brèche, et où il se rassemblait avant de don-
ner l'assaut. La figure 267 donne une idée suffisante de
cette dernière place d'armes, ainsi que des cheminements
qui y conduisaient. On remarquera dans ceux-ci : le tracé
aaa, dit portion circulaire, établie sur les deux plans formés
par les glacis et dont l'inclinaison en cet endroit était assez
accentuée, pour qu'en cheminant sur l'un d'entre eux on
fût à l'abri des vues de la crête de l'autre; le T, sape double
sur la crête du glacis, dont les deux branches contenaient
SIÈGE RÉGULIER TRAVAUX D'APPROCHE 661
des batteries de petits mortiers destinés à chasser le défen-
seur du chemin-couvert;
Le couronnement du chemin couvert s'exécutait de vive
force ou pied à pied ; qu'il le fût par l'une ou l'autre de ces
méthodes, il représentait une opération longue et périlleuse

Fig. 207. — Couronnement du chemin couvert et cheminements précédents.

qui coûtait cher à l'assaillant. Aujourd'hui, si même on


n'établit plus de chemins couverts, à l'avenir, ce qui n'est
nullement démontré, on pourra être obligé de contourner
la contrescarpe pour amener l'assaillant à proximité immé-
diate de l'ouvrage à enlever. Les Japonais ont dû le faire à
Port-Arthur, puisque, lorsqu'ils renversèrent par la mine la
6Û2 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
contrescarpe du fort Erhlong-Est, leur parallèle fut entraî-
née clans le fossé. On ignore comment elle était organisée,
mais le fait qu'on vient de citer démontre qu'on ne saurait,
avec raison, considérer le couronnement du chemin couvert,
comme une opération irréalisable ou inutile de nos jours. Il
va de soi, cependant, qu'il différera, par le détail, de ceux
qu'on exécutait autrefois.

Les divers travaux dont on vient de faire l'énumération


conduiront généralement l'assiégeant jusqu'au point où la
brèche aura été faite au rempart et où l'assaut devra être
donné. Toutefois, il pourra se présenter diverses circon-
stances qui nécessiteront un nouvel effort de l'assiégeant
avant de procéder à l'acte deA'igueur final qui doit l'amener
dans la place.
Si cette dernière est pourvue d'un système de contre-
mines, le défenseur en fera jouer les fourneaux, et l'assié-
geant devra engager la lutte souterraine pour démolir les
galeries du défenseur. Si la disposition de la contrescarpe
est telle que la brèche n'ait pu être faite de loin par le
canon, il faudra également mettre en action des fourneaux
de mine pour renverser la contrescarpe et, successivement,
les autres obstacles accumulés par le défenseur (grilles ou
murs d'escarpe). C'est ainsi que s'engagera la guerre de
mines.

Guerre de mines
En principe, la guerre souterraine, ou guerre de mines,
est ouverte par le défenseur, qui est prêt le premier, puis-
qu'il a un système de contre-mines déjà établi; d'ailleurs,
les lenteurs que comporte cette lutte sont préjudiciables à
l'assiégeant, dont l'intérêt est d'avancer aussi rapidement
que possible et d'éviter par suite un ralentissement de cette
nature. Toutefois, on a fait ressortir plus haut que, dans
certains cas particuliers, l'assiégeant pouvait être oblige
SIÈGE RÉGULIER TRAVAUX D'APPROCIIE 663
de recourir à ces moyens pour détruire les obstacles qui
s'opposent à sa marche.
Le premier travail à exécuter consistera dans la construc-
tion d'une place d'armes particulière, nommée le logement
des mines, d'où partiront tous les travaux ultérieurs desti-
nés à ruiner les galeries et rameaux du défenseur. Le loge-
ment des mines est flanqué, à droite et à gauche, par
d'autres places d'armes spéciales ou par la troisième paral-
lèle, dont.il a les dimensions.
Il faut ensuite aller chercher le dessous du terrain pour y

Fig. a58. — Puits ordinaires et puits à cadres coffrants.

installer desfourneaux, c'est-à-dire y placer des charges de


poudre dont l'explosion détruira le système de contre-
mines de la défense.
Pour cela, dans le logement des mines, l'assaillant va
creuser des puits, qui le porteront à une certaine profondeur,
et, desquels il partira pour établir des galeries ou rameaux
dirigés vers la place.
Les puits sont de section carrée : ils ont une largeur de
im32, imo4, 87 ou 80centimètres. Ces derniers sont les plus
employés, car leur établissement est le plus rapide de tous.
Dans ces puits, les terres sont maintenues par des coffrages
664 3e PARTIE
—: ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
en planches, retenues elles-mêmes au moyen de cadres en
bois de moyen équarrissage. Pour les puits de 80 centimètres,
dits puits à la Boule, les cadres sont en planches et placés
jointivement ou espacés : ils sont dits coffrants et dispen-
sent d'employer des planches de coffrage spéciales ÇVoirfîg.
258).
Les galeries ou rameaux ont les dimensions suivantes :

HAUTEUR LARGEUR

Galerie majeure. 2moo 2mio


. . .
Grande galerie im85 à amoo imoo
. . . .
Demi-galerie im3o à im5o imoo
Grand rameau
Petit rameau
....
. . . . .
imoo
om8o
om8o
om65
Rameau de combat onl 70 om 60
. .

Gomme dans les puits, les terres des galeries et rameaux


sont maintenues à la partie supérieure par des planches de
coffrage, qui prennent le nom de planches de ciel. De mètre
en mètre, ou environ, des châssis appuient ces planches
contre les terres. Dans les rameaux, on emploie parfois des
châssis coffrants analogues aux cadres coffrants des puits
(Voirfig. a5g).
La construction de ces rameaux, galeries ou puits, est
fort lente dans un terrain ordinaire ; elle le devient plus
encore lorsque l'on rencontre des pierres ou des terres
coulantes qui nécessitent, des précautions spéciales dans la
fouille.
Du logement des mines, on débouche donc par un certain
nombre de puits, servant d'amorces à des galeries et consti-
tuant autant à'attaques. On se dirige sur les galeries du
défenseur, guidé par les bruits que l'on y peut percevoir et
qui suffisent à des mineurs exercés pour discerner la situa-
tion probable de l'ennemi. Dès que l'on est arrivé dans un
rayon d'action suffisant, on établit le fourneau, on remplit
la galerie ou le rameau, en arrière, d'un bourrage destiné à
SIEGE REGULIER TRAVAUX D APPROCHE 665
empêcher que les gaz de la poudre ne fassent leur effet à
l'intérieur, et on donne le feu. L'explosion produit alors,
à la surface du sol, une excavation de forme à peu près
conique à laquelle on donne le nom d'entonnoir, et, dans

Fig. 25g. — Rameau en châssis coffrant.

un certain rayon, les terres sont broyées avec les rameaux


qu'elles peuvent contenir.

On appelle fourneau ordinaire celui dont la charge est


calculée de manière à donner un entonnoir d'un ragon r,
égal à la ligne de moindre résistance h, distance du centre
des poudres à la surface du sol ou au vide le plus voisin. La
charge du fourneau ordinaire est exprimée en kilogrammes
de poudre parla formule c—gh>, dans laquelle g est un
coefficient dépendant de la nature du terrain.
666 3° PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE' DES PLACES
Les valeurs de g sont: « 1,20 dans les terres légères;
i,5o dans les terres ordinaires ; 1,75 dans Je sable fort;
2,2.5 dans l'argile mêlée de tuf; 3 dans de la bonne maçon-
nerie neuve et 3,5o dans la bonne maçonnerie A'ieille. »
Lorsqu'on augmente la charge du fourneau, sans en chan-
ger l'emplacement, l'entonnoir produit est plus grand : on
dit alors que le fourneau est surchargé. Le rapport, n =j
du rayon de l'entonnoir ainsi obtenu à la ligne de moindre
résistance est ce qu'on appelle Y indice du fourneau.'ha.
charge cI correspondante est exprimée par la formule :

Lorsque, au contraire, la charge du fourneau est moindre


que celle d'un fourneau ordinaire, l'entonnoir est plus petit,
et le fourneau est dit sous-chargé. La charge se calcule de
la même manière que précédemment.
L'action d'un fourneau dans les terres s'étend à une dis-
tance verticale égale à h \/2 ou 1 ,l\ 1 h, et aune distance hori-
h.
ou 1,76 //; mais on n'est certain de rom-
zontale égale à 7
Lj-
pre une galerie que dans des limites plus restreintes : //.
A'erticalement, h y'2 horizontalement,.

On appelle camouflet un fourneau dont l'action est tout


entière à l'intérieur et qui ne produit pas d'entonnoir. A une
profondeur h, le camouflet clc charge maximum se calcule
= =
par la formule c gh' (1—o,4i)5 o,2o5 gh>.
L'assaillant, ayant intérêt non seulement à ruiner le sys-
tème de contre-mines de l'ouA'rage attaqué, mais encore à
se donner un logement à la surface du sol pour aA'ancer Arers
la place, n'hésitera pas à faire usage de très fortes charges,
2 000 à 3 000 kilos de poudre, constituant des blocs de com-
pression, qui laisseront des entonnoirs considérables à la
SIÈGE RÉGULIER TRAVAUX D'APPROCHE 667
surface du terrain. Le défenseur, au contraire, éAritera d'en
produire et n'emploiera par conséquent jamais que des four-
neaux d'une charge bien moindre.
Dès qu'un entonnoir est formé, l'assaillant s'y précipite,
en couronne les crêtes par des tireurs, et part de là pour
construire de nouAreaux rameaux et marcher en aA'ant. Il
arrive ainsi à faire aArancer une rangée d'entonnoirs à peu
près à même hauteur sur toute l'étendue du front attaqué,
et remplace ses cheminements à la sape par les excaArations
résultant des explosions.
Mais le défenseur marche aussi à sa rencontre, en cons-
truisant de nouAreaux rameaux et, quand un entonnoir est
produit, il cherche à faire jouer un de ses fourneaux à l'inté-
rieur. Il y a alors lutte de vitesse entre les deux adversaires :
l'assaillant cherchant à détruire la galerie, et le défenseur
partant de cette galerie pour établir un fourneau qui puisse
bouleverser les établissements de l'attaque.
La défense dirige, en outre, sur ces derniers, de petites
sorties qui AÙennent renverser les traA'aux faits dans les
excavations et remettre tout en question ; puis, de ses rem-
parts, elle envoie des bombes ou des grenades à main dans
les entonnoirs, et en rend le séjour très pénible.
On voit qu'à ce moment les difficultés croissent énormé-
ment pour l'assaillant et l'on conçoit qu'une pareille guerre
puisse durer facilement plusieurs semaines.

Il existe, pour l'attaque, un procédé d'établissement des


fourneaux beaucoup plus rapide que la construction des
puits et rameaux; c'est l'emploi des forages.
Un forage (fig. 260) est un long conduit cylindrique que
l'on exécute à l'aide d'appareils spéciaux :
La grande tarière permet d'en obtenir d'une profondeur
de 20 mètres avec 20 à 25 centimètres de diamètre.
Le trépan en donne de 9 à 12 centimètres de diamètre
sur 4 à 5 mètres de long.
La barre à mines à rallonges, d'un emploi infiniment plus
668 3e PARTIE ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
aisé, permet de les pousser jusqu'à 10 ou i5 mètres avec un
diamètre de 6 à 8m5o.
Grâce à ces forages, on peut porter plus ou moins loin
une petite charge de mélinite, dont l'explosion dans les
terres produit une chambre, à l'intérieur de laquelle il suffit
ensuite de Arerser la poudre pour obtenir un fourneau dans
un laps de temps infiniment plus court que celui exigé par
la construction des rameaux ordinaires. En installant des
ateliers de forage, d'abord dans le logement des mines,

Fjg. 260. — Coupe dans l'axe d'un forage.

puis dans les entonnoirs successifs, on peut atteindre très


rapidement les galeries du défenseur. On aura, du reste,
presque toujours la certitude de le gagner de vitesse en
opérant de la sorte, l'exiguïté de ces galeries mêmes, dans
lesquelles il travaille, l'empêchant d'employer les procédés
de forage applicables dans les tranchées.
Cette esquisse rapide d'une guerre de mines peut suffire
à en faire comprendre toutes les difficultés. Elle permet, de
se rendre compte de l'intérêt qu'il y a pour l'assiégeant à
l'éviter autant que possible, puisqu'il y perd presque tous
les avantages que lui a donnés jusqu'ici sa position. Elle
SIÈGE RÉGULIER

TRAVAUX D'APPROCHE 66g
met, par conséquent, en évidence l'utilité de l'établissement
des systèmes de contre-mines en avant des places fortes, et
explique l'importance qu'on y attache de plus en plus dans
la fortification moderne.
Les forages peuvent rendre à l'assiégeant des services
précieux, lorsque l'obstacle qui s'offre àsa marche est cons-
titué par une contrescarpe bétonnée que le tir de l'artillerie
n'a pu détruire. Ils permettent en effet d'aller placer un four-
neau contre la face de ce mur adossée aux terres et de ren-
verser celui-ci. L'existence d'obstacles de. cette nature dans
les fortifications les plus récemment construites donne lieu
de penser que les occasions de recourir à ce procédé de des-
truction seront fréquentes à l'aArenir. On conçoit aisément,
d'après ce qui vient, d'être exposé, de quelle manière il
pourra être employé : lorsque les travaux de sape ou les
logements installés dans les entonnoirs des fourneaux pré-
cédents auront porté l'assiégeant à une dizaine de mètres
de la contrescarpe, il exécutera un ou deux forages distants
entre eux d'une vingtaine de mètres et, après les aAroir char-
gés d'une quantité de poudre suffisante pour produire dans
l'a contrescarpe des ouvertures susceptibles de se rejoindre,
il y mettra le l'eu. La contrescarpe, ainsi abattue sur 20 à
4o mètres de longueur, selon qu'on aura établi un ou deux
forages, donnera une brèche praticable donnant accès dans
le fossé. S'il existait dans ce dernier de nouveaux obstacles
(grille, escarpe maçonnée), ils se trouveront découverts par
la chute de la contrescarpe et le tir de l'artillerie en aura
rapidement raison.
L'emploi des forages sera encore indispensable dans le
cas où les organes de flanquement de la fortificationn'auront
pu être ruinés par l'artillerie; les coffres de contrescarpe,
les caponnières cuirassées sont le plus généralement à l'abri
de son tir et, avant d'entreprendre l'assaut, il faut les mettre
hors d'usage. Les coffres de contrescarpe seront détruits
par le procédé qui a été employé pour le renversement de
la contrescarpe ; une communication précaire les unit aux
670 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
abris de l'ouvrage; si on parvient à la briser, l'organe a
perdu toute sa valeur. Les caponnières cuirassées devront
être mises à découvert par le renversement de la contres-
carpe qui les protège; si la chute de celle-ci et. des terres
qui la recouvrent n'a pas suffi à aveugler leurs sabords, l'ar-
tillerie de l'assiégeant les désemparera assez Ari te dès qu'elles
auront perdu leur protection. Au besoin, on entreprendrait
de nouveaux forages, de manière à les faire sauter.

Descente et passage du fossé. — Dans les anciens


sièges, alors qu'on ne disposait pas encore des procédés de

forage qui viennent d'être décrits, il fallait, après que l'artil-


lerie avait ouvert, la brèche dans l'escarpe, établir une com-
munication souterraine, dite descente de fossé (fig. 261), en
profil de galerie majeure, avec une pente d'un quart, qui
conduisait l'assiégeant dans le fossé. Cette construction
paraît pouvoir être entièrement supprimée dans l'avenir,
puisqu'on dispose de moyens plus expéditifs pour atteindre
le but.
Peut-on en dire autant des travaux désignés sous le nom
de passage du fossé, et consistant dans l'établissement,
d'une sape dans le fond du fosséjusqu'au pied de la brèche?
Il paraît plus simple de détruire les organes de flanquement
par la mine, ou, par le tir des shrapnels, de chasser les
défenseurs des crêtes avant des vues sur le fond du fossé,
SIÈGE RÉGULIER TRAVAUX D'APPROCHE C7I
que d'exécuter, à grand'peine, sous le feu à bout portant de
la défense, un travail aussi compliqué. Cependant, à Port-
Arthur, les Japonais, ayant renversé la contrescarpe sans
réussir à annihiler les organes de flanquement, ont dû con-
tinuer leurs cheminements à travers les débris qui com-
blaient le fossé. Dans le cas où le fossé de la fortification
serait plein d'eau, il y aurait lieu de le combler pour donner
passage aux colonnes d'assaut; il est vraisemblable que,
dans la plupart des cas, les terres proArenant du renverse-
ment de la contrescarpe et de la brèche à l'escarpe suffiraient
à constituer un gué praticable.
L'exposé rapide des procédés à mettre en oeuvre pour
l'exécution des travaux d'approche, la description de l'en-
semble des dispositions adoptées dans les anciens sièges et,
la discussion de la plupart d'entre eux permettent de con-
clure que ces travaux trouveront encore leur application
dans les sièges futurs sous une forme plus ou moins complète.
L'instruction du 4 février 189g en consacre, d'ailleurs, for-
mellement le principe ainsi qu'il suit :
« Devant certains ouATages permanents de la ligne de
défense, il pourra être nécessaire de cheminer à la sape ou
à la mine jusqu'au contact de la fortification, pour achever
ou établir les brèches, pour renverser les contrescarpes,
pour rendre inoffensifs les organes de flanquement. ou les
mines de l'adversaire.
« Ces travaux incomberont exclusivement aux troupes du
génie et seront exécutés^ si le commandant du siège le juge
utile, sous la direction immédiate du commandant du génie
(ht siège » (art. 5i).
Il reste maintenant, pour terminer l'étude du'siège régu-
lier, à examiner la méthode à suivre pour faire brèche à la
fortification,- et les dispositions à prendre pour exécuter
i'acte de vigueur final, qui amènera l'assiégeant en vain-
'jueur dans la place : l'assaut.
CHAPITRE XLVI

SIÈGE RÉGULIER (Fin) BRÈCHES. ASSAUT



OPÉRATIONS FINALES

Pour se rendre maître d'un ouvrage de fortification, il


faut poiwoir y amener des troupes et, par suite, détruire
l'obstacle qui s'oppose à leur marche; ce rôle est le plus
généralement, réservé à l'artillerie, sauf les cas, qui ont été
examinés au chapitre précédent, où la disposition de cet
.
obstacle le rend invulnérable par le canon et où l'on fait
usage de la mine.
L'instruction du 20 octobre 1904 sur le service de l'artil-
lerie dans la guerre de siège ne donne que des indications
assez sommaires sur cette partie du rôle de l'artillerie. On
sera donc obligé de recourir parfois aux dispositions ancien-
nement en vigueur; on s'efforcera cependant d'en faire dis-
paraître ce qui ne paraît plus compatible avec les progrès
actuels de l'arme.

Brèches
Emplacements et dimensions des brèches. —
Faire brèche à un ouvrage, c'est en détruire les obstacles
et renverser les parapets sur une étendue suffisante pour
donner passage aux colonnes d'assaut. Les brèches sont
pratiquées sur les faces des oirvrages, parce que c'est dans
cette partie que leur accès présente le moins de difficultés.
On admettait encore dans l'instruction du 17 mai 1876 sur
SIÈGE RÉGULIER BRÈCHES 673
le service de l'artillerie dans les sièges qu'une largeur de
20 mètres était suffisante pour la brèche. Il serait prudent,
de doubler cette étendue afin de diminuer la profondeur
des colonnes d'assaut. D'ailleurs, la puissance des nouveaux
obus-torpilles rendra plus aisée qu'autrefois l'exécution de
la brèche sur une largeur suffisante.

Batteries de brèche. — Les escarpes et les contres-


carpes en maçonnerie peuvent être attaquées soit par le tir
de face, soit par le tir d'enfilade. Dans les deux cas, les
obus-torpilles sont les plus efficaces.
Le tir d'enfilade, en donnant le moyen de loger contre
le parement intérieur des escarpes ou contrescarpes des obus
à grande puissance explosive, permet d'obtenir dé grands
effets de renversement. Un obus allongé de i55 éclatant en
terre, à une distance de 3 à 5 mètres du parement, peutpro-
duire une brèche praticable de 3 mètres de large (5 mètres
pour l'obus de 220).
En raison de la petitesse des écarts en direction, le tir
d'enfilade peut être exécuté jusqu'aux portées maxima des
obusiers et des mortiers, saA'oir : 6 000 mètres pour le canon
de i55, 4 44° mètres pour le mortier de 220.
Les batteries destinées à prendre d'enfilade les faces des
ouvrages sont nécessairement plus rapprochées de la ligne
des forts que de l'ouvrage même contre lequel s'exerce leur
action. Elles ne peuA'enl donc être installées qu'après que
l'artillerie et l'infanterie assaillantes ont suffisamment pro-
gressé pour acquérir la supériorité sur le défenseur.

Position avancée de l'artillerie de siège. — Les


batteries destinées à faire brèche d'enfilade ne sont pas les
seules qu'il soit nécessaire de rapprocher de la place.
Les casemates de flanquement, bien masquées aux vues,
•l'.ti ont résisté au tir courbe, ne peuvent être attaquées par
le lir de face qu'en installant des batteries à faible dislance
'le la position principale.
MANUEL I>F. FORTIFICATION 43
674 3° PARTIE — ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
En rapprochant ces batteries, on a d'ailleurs l'avantage
de réduire la consommation de projectiles nécessaire à la
destruction des abris bétonnés, tourelles et casemates cui-
rassées.
On ne pourrait, notamment, attaquer les coupoles par le
lir Arertical au delà de 3 000 mètres, car, même à cette dis-
tance, la proportion des coups au but, pour un tir réglé,
est très faible, environ 5 °/0 pour le canon de i55 court et
3 °/0 pour le mortier de 220.
De ces considérations résulte la nécessité de porter en
avant un certain nombre de batteries qui constituent comme
un élément avancé de la position d'artillerie de siège. Ces
batteries aA^ancées prennent, en outre, pour objectifs celles
que le défenseur a installées sur sa seconde ligne de défense
pour tenir sous leur feu la position principale; ces dernières,
en effet, échappent par leur éloignement au tir efficace des
batteries de l'attaque qui n'ont pas changé de position.

Exécution des brèches. — L'instruction sur le service


de l'artillerie dans la guerre de siège ne précise pas le mode
d'exécution du. tir de face et du tir d'enfilade employés pour
faire brèche. Aussi, pour cette partie de l'étude des sièges,
faudra-t-il recourir aux anciens procédés réglementaires.
A l'époque de l'artillerie lisse, la brèche s'exécutait à l'aide
de batteries installées dans le couronnementdu chemin cou-
vert ; avec l'artillerie rayée, on a pu entreprendre des brè-
ches à des distances de 600 à 1 200 mètres (') du mur,
quand celui-ci était suffisamment découvert pour permettre
l'emploi du tir de plein fouet. Lorsque cette circonstance
ne se présentait pas, on aA'ait recours au tir plongeant sous
une inclinaison qui ne devait pas dépasser i/4 et on était
conduit, pour donner aux projectiles une A'ilesse restante
de i5o mètres au minimum, à éloigner la batterie, jusqu'à

(') Pendant la guerre de1870-1871, devant la place de Soissons, les Allcmiinil*


ont même pu faire brèche par le lir direct, à la dislance de 1 G5o mètres.
SIÈGE RÉGULIER

BRÈCHES 676
une distance moyenne de 800 à 1 5oo mètres, qui exigeait
l'emploi de fortes charges.
Dans le cas du tir de plein fouet, l'expérience avait démon-
tré que le meilleur procédé consiste à ouATir une tranchée
horizontale dans le mur, sur une largeur égale à celle que
devait avoir la brèche et, lorsque le mur était ainsi coupé
horizontalement, d'achever sa destruction en pratiquant
aux. extrémités de la coupure deux tranchées Arerticales.
La chute de la muraille était déterminée, alors, soit par la
simple poussée des terres, soit par quelques salves tirées
sur le bloc.
La tranchée horizontale était pratiquée entre le tiers infé-
rieur et la moitié de la hauteur totale du mur d'escarpe."
Quand, au contraire, on devait faire brèche par le tir plon-
geant, le règlement prescrivait de procéder comme ci-dessus
si la précision des pièces rendait possible l'exécution de la
tranchée horizontale, et, dans le cas contraire, de procéder
à un tir de démolition sur toute la surface à battre.
Actuellement, l'emploi des obus-torpilles à grande capa-
cité intérieure et chargés d'une matière explosible puissante
permet de modifier ces procédés et rend beaucoupplus aisée
la destruction des escarpes et des contrescarpes.
On a vu plus haut que le tir d'enfilade est devenu le plus
avantageux, en permettant de loger facilement les obus-tor-
pilles contre la paroi intérieure des maçonneries. Si cepen-
dant on emploie le tir de face pour faire brèche, on le diri-
gera d'abord à quelque distance au-dessous de la crête du
glacis, et on arrivera, au bout d'un temps plus ou moins
long, à renverser la contrescarpe sur une largeur suffisante
pour découArrir Tescarpe (fig. 262); après quoi, on s'atta-
quera à celle-ci.
Les contrescarpes actuelles offrent au canon une résis-
tance très sérieuse parce que leur maçonnerie, adossée aux
terres, ne peut être entamée que si des explosions anté-
rieures ont déblayé le matelas qui la protège. En principe,
ce dernier résultat peut être obtenu par un tir méthodi-
676 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
quement conduit et par l'emploi d'obus-torpilles. Mais, si le
mur de contrescarpe est doublé d'un revêtement intérieur en
pierres sèches d'une assez grande épaisseur, ou si les terres
auxquelles il est adossé sont assez meubles pour que les
explosions successives des obus-torpilles aient pour effet de
combler les entonnoirs antérieurement créés, on sera amené
à faire une telle consommation de projectiles, pour renverser
la muraille, que l'on jugera préférable de recourir aux pro-
cédés de forage décrits au chapitre précédent.

Fig. 262. — Renversement de la contrescarpe.

Lorsque au contraire on fera usage du canon pour démolir


la contrescarpe, on emploiera le tir de plein fouet, comme
étant celui qui laisse aux projectiles le plus de Altesse res-
tante et leur donne par suite une plus grande pénétration ;
les batteries de brèche seront aussi rapprochées que possible
de la fortification, de manière à donner au tir le maximum
de justesse, et on conduira ce tir méthodiquement, pour en-
leArer en quelque sorte les terres du glacis par couches hori-
zontales. A partir du moment où la maçonnerie de la contres-
carpe commencera à se découvrir, on s'efforcera de la déraser
peu à peu, jusqu'à ce que la hauteur du mur, diminuée
d'ailleurs par l'éboulcment des terres dans le fossé, soit
réduite au point de ne plus constituer d'obstacle à la marche
des colonnes d'assaut.
SIÈGE RÉGULIER ASSAUT 677
Si la démolition de la contrescarpe permet de reconnaître
l'existence de grilles d'escarpe ou d'une escarpe maçon-
née, on en Adendra aisément à bout par un tir en brèche,
dirigé contre les soubassements en maçonnerie des grilles
ou contre la muraille d'escarpe.
Il faut cependant se garder de penser que toute valeur est
désormais enlevée aux escarpes, et qu'elles sont destinées à
tomber au bout de quelques salves. Leur position défilée aux
coups, et à l'abri des vues, est au contraire de nature à leur
assurer une protection fort efficace, et un assaillant qui,
escomptant la puissance de ses projectiles, se lancerait à
l'attaque d'une fortification soumise à un tir de quelque
durée dont il n'aurait pu observer les effets, risquerait fort
d'éprouver un échec sérieux.

Assaut
L'assaut est l'acte de vigueur qui doit terminer les opéra-
tions, il importe donc de le préparer aArec le plus grand soin
pour assurer son succès et épargner aux troupes de l'armée
de siège les pertes matérielles et le désarroi moral qu'un
échec entraîne aArec lui.
Il doit être donné sur tout le front de la ligne de défense
compris dans la zone d'attaque et, autant que possible, en
débordant et enveloppant les forts et points d'appui princi-
paux, de manière que les troupes puissent pénétrer par leurs
intervalles et aborder les ouvrages par la gorge.
L'instruction du 4 février 1899 fixe ainsi qu'il suit les con-
ditions à remplir pour donner l'assaut :
« L'artillerie de siège devra être en mesure d'écraser de
son l'eu les batteries que l'assiégé pourrait démasquer au
dernier moment et mettre en oeuvre contre les abords de la
ligne de défense ;
« L'assiégeant, par la supériorité du feu de toutes ses
armes, infanterie, artillerie de siège et de campagne, devra
678 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
être maître de rendre intenables pour les troupes de la
défense tous les terrains où elles se montreront à découvert;
« Les colonnes d'assaut devront disposer, sur tout le front
d'attaque, d'un nombre suffisant de chemins reconnus pra-
ticables, à travers les obstacles permanents ou improvisés
de la fortification. »
Ces obstacles peuArent non seulement être constitués par
les escarpes et contrescarpes, mais aussi par diverses défen-
ses accessoires, telles que réseaux de fil de fer notamment,
dont la destruction pourra être incomplète à la suite du tir
de l'artillerie. Il appartient alors aux. troupes de sapeurs-
mineurs, renforcées au besoin par l'infanterie, d'achever
cette destruction sur place, par des explosifs portés à la,
main ou par des forages rapides. L'exécution de ces pas-
sages, à proximité immédiate de la fortification, sera parti-
culièrement difficile; le règlement prescrit de les faire de
nuit, par surprise, ou de jour, en dirigeant un. feu Adolent
d'infanterie et d'artillerie sur toutes les parties des otwrages
ayant vue sur l'obstacle à détruire, de manière à les rendre
intenables au défenseur.
Si, à un moment quelconque du siège, on constate chez
l'assiégé une défaillance, que les fatigues et les pertes
des journées antérieures produiront sans doute plus d'une
fois dans des troupes mal commandées ou épuisées, on
n'hésitera pas d'ailleurs à donner l'assaut, sans attendre
que toutes les destructions matérielles aient été opérées. La
supériorité morale que donne une offensive A'igoureuse'
suffira dans ces conditions à déterminer le défenseur à la
retraite.
L'heure de l'assaut peut, être choisie, indifféremment à un
moment quelconque de la journée ou de la nuit ; l'essentiel
est de la tenir secrète et de masquer suffisamment les pré-
paratifs de l'opération pour que l'assiégé soit surpris. En
donnant l'assaut au lever du jour, on bénéficie de l'obscu-
rité de la nuit pour cacher les mouvements des colonnes,
mais parfois, comme à Malakoff, on agira en plein midi,
SIÈGE RÉGULIER
— ASSAUT 679
après aAroir trompé les défenseurs par des alertes inutiles
opérées à des heures A'ariables pendant les journées précé-
dentes. Ces alertes consistent en une suspension ou un allon-
gement, du tir; puis, aussitôt que l'infanterie de l'assiégé
vient occuper les remparts, on dirige sur elle un feu violent
de mousqueterie.
On profite d'ailleurs de ces alertes pour faire opérer par
des officiers et des détachements du génie la reconnais-
sance des chemins à suiATe par les diverses colonnes d'as-
saut, des obstacles qui peuArent s'y trouver encore, afin de
déterminer le matériel de franchissement ou les charges
d'explosifs à employer pour supprimer ces obstacles au mo-
ment où l'assaut sera donné.

« L'ordre d'assaut fixe :


« Le nombre et la composition des colonnes d'attaque,
l'emplacement d'attente choisi pour chacune d'elles et l'iti-
néraire pour s'y rendre, l'objectif d'assaut assigné à chaque
colonne ;
« L'emplacement et le rôle des réserves ;
« L'heure de l'assaut ;
« La conduite du tir de l'artillerie et, en particulier,
l'heure à laquelle elle devra, avant l'heure fixée pour l'assaut,
concentrer son feu sur les objectifs des colonnes d'assaut »
(art,. 52).
En principe, on forme autant de colonnes qu'on a reconnu
de chemins praticables sur toute l'étendue du front d'atta-

-
que. Leur composition et leur formation sont déterminées
par la nature de l'objectif qui leur est assigné. Chacune
d'elles comprend un détachement du génie dont l'impor-
tance varie avec celle des obstacles à franchir; ces détache-
ments sont munis des engins de franchissement et des
explosifs dont la nature et l'importance sont déterminées à
la suite des reconnaissances préalables. Lorsque la colonne
est dirigée sur un ombrage armé d'artillerie ou sur une bat-
terie, on lui adjoint en outre un détachement d'artillerie à
680 3e PARTIE ATTAQUE. ET DÉFENSE DES PLACES
pied chargé de mettre le matériel hors de service. Enfin,
chaque colonne est dirigée par un ou plusieurs officiers
ayant reconnu l'itinéraire à suivre, de manière à éviter toute
erreur de direction.

« A l'heure fixée, toutes les batteries de siège ou de cam-


pagne qui peuvent agir sur les objectifs des colonnes
ouvrent un feu A'iolent sur les parapets des ouATages. A
l'instant précis où les colonnes d'assaut se portent en avant,
le feu d'artillerie est allongé pour atteindre les emplace-
ments connus ou présumés des réserves ennemies et s'oppo-
ser à leur marche en avant.
« Sur toute la ligne, les colonnes débouchent simultané-
ment.
« Les colonnes qui ont pour objectifs les intervalles des
ouvrages de la ligne de défense se conforment, pour l'exé-
cution de l'attaque, aux principes prévus dans la guerre de
campagne pour l'attaque d'une position.
« Les colonnes qui ont pour mission de prendre pied sur
les ouvrages mêmes sont couvertes par des tirailleurs qui
ouvrent le feu sur les parapets des ouvrages. En avant d'elles,
des détachements du génie aveuglent les organes de flan-
quement, lorsque ceux-ci n'ont pas été détruits de loin par
l'artillerie, et disposent le matériel d'assaut pour le franchis-
sement des fossés.
« Le gros de la colonne suit à courte distance, de manière
à franchir le fossé dès que le matériel d'assaut est en place.
« L'obstacle franchi, chaque colonne rassemblée et grou-
pée par son chef est lancée en avant contre tous les groupes
ennemis.
« Les détachements de l'artillerie à pied prennent posses-
sion des magasins à poudre et des munitions et mettent les
bouches à feu hors de service.
« Les détachements du génie recherchent les mines et
coupent les communications destinées à faire jouer les four-
neaux.
SIÈGE RÉGULIER
— OPÉRATIONS FINALES 681
« Les réserves suivent de près les colonnes d'attaque et
poursuivent à fond le succès obtenu. »
II était de règle autrefois qu'une colonne d'assaut, ayant
emporté une brèche, construisît, au sommet de celle-ci, un
retranchement dit nid de pie, destiné à l'assurer contre les
retours offensifs de l'assiégé. Le nouveau règlement ne
semble pas enArisager cette éventualité; mais il peut être
utile de se souvenir de cette ancienne prescription dont
l'application serait utile devant un adversaire vigoureux et
énergiquement conduit.

Dernières opérations du siège


Lorsque l'assaillant a réussi à emporter une partie notable
de la ligne principale de défense, il se trouve dans un état
de supériorité morale sur son adversaire qui est particuliè-
rement favorable aux attaques brusquées. Si donc il n'est
pas entièrement épuisé par la lutte, s'il dispose encore de
réserves fraîches, il n'hésitera pas à entreprendre une atta-
que de ce genre contre les lignes de défense établies en
arrière de celle qu'il vient de conquérir.
Si, au contraire, ses forces sont à bout, il se bornera à
garder le terrain conquis et recommencera contre les lignes
successives la lutte qu'il a engagée précédemment devant la
ligne principale.
Cette lutte paraît d'ailleurs devoir être plus courte que la
précédente, parce que l'obstacle à franchir est moins impor-
tant et que l'adversaire est épuisé par les opérations anté-
rieures.
La lutte pourra être poussée jusqu'au corps de place si le
défenseur est énergique, mais, à ce moment, l'assiégeant
disposera d'un puissant auxiliaire : le bombardement de la
ville, qui contribuera le plus souvent à hâter la reddition.
Si loutcfois l'assaut doit être donné au corps de place, il
conviendra, aussitôt que les troupes assiégeantes auront
682 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
pénétré en ville et se seront rendues maîtresses des der-
nières résistances, de remettre l'ordre dans les colonnes
d'assaut et de s'opposer au pillage que le droit des gens
interdit et qui provoque toujours l'indiscipline chez les
troupes qui s'y abandonnent.
Si, enfin, après la chute du corps de place, le défenseur
restait maître de quelques ouvrages et Adulait y poursuivre
la résistance, le commandant de l'armée de siège aurait à
examiner si la prise de possession de ces derniers soutiens
est indispensable au rétablissement des communications
que la place forte maîtrise. Dans ce cas, la lutte se poursui-
Arrait contre eux, de même que devant les autres, mais avec
cet aArantage énorme pour l'assiégeant qu'il pourrait les
attaquer par la gorge ; elle serait sans doute de courte
durée. Dans l'hypothèse contraire, on aurait tout aArantage
à bloquer simplement les dernières troupes ennemies dans
leurs réduits et à attendre que la famine les ait contraintes
à capituler.
CHAPITRE XLVII

ATTAQUES BRUSQUÉES

Attaques brusquées à îa Sauer


Le général Aron Sauer est, ainsi qu'on l'a vu précédem-
ment au chapitre XXXIII {page 46V), l'auteur d'un projet
d'organisation défensive des places fortes à l'aide d'une
ceinture de coupoles assez rapprochées les unes des autres
pour ne laisser entre elles aucun intervalle non battu par
lequel l'ennemi puisse se glisser. Il considère, en effet, que
les places à forts détachés contiennent des parties extrême-
ment vulnérables, ce sont les intervalles des forts, et son
système d'attaque est, ainsi qu'on va le voir, fondé sur une
action de vigueur dirigée contre ces points faibles.
La marche générale de l'attaque d'une place, d'après Aron
Sauer, peut se résumer ainsi qu'il suit :
i° Investissement complet à l'aide de forces nombreuses;'
20 Marche en aArant jusqu'à i ooo mètres emriron des
ouvrages, cl établissement, à cette distance, de batteries à
tir plongeant armées de pièces de campagne et de siège des-
tinées à ruiner l'artillerie et à rendre impossible le service
des pièces, tant dans les ouvrages que dans leurs intervalles ;
3° Lutte d'artillerie,qu'il suppose d'ailleurs deA'oir être très
courte et tourner rapidement à l'avantage de l'assaillant ;
4° Assaut de la ligne des forts, en passant par les inter-
valles qu'ils comprennent, de manière à amener la chute
des ouvrages en les menaçant par la gorge.
L'attaque d'une place dont le périmètre défensif sera
de 6o kilomètres exigera deux corps d'armée qui, devant
684 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
agir simultanément sur tous les côtés, de manière à obliger
le défenseur à disséminer ses forces, seront en mesure de
fournir huit colonnes d'attaque, fortes chacune d'une bri-
gade d'infanterie et de quatre ou cinq batteries de cam-
pagne. On renforcera donc, à cet effet, la proportion d'ar-
tillerie des corps d'armée, et on adjoindra, en outre, à
chaque colonne douze à vingt-quatre pièces de siège em-
pruntées aux parcs mobiles et servies par de l'artillerie de
forteresse. Ces troupes étant réparties autour de la place
assiégée, et la reconnaissance ayant permis de déterminer
les A'oies d'accès les plus favorables, on exécutera la marche
d'approche jusqu'à 2000 mètres des ouvrages, en chassant,
le défenseur des positions qu'il occupe.
Ici se pose une première objection à la méthode von Sauer.
Ces colonnes, fortes d'une brigade, réserves comprises,
réparties sur un front de 60 kilomètres, seront trop distan-
tes l'une de l'autre pour pouvoir se prêter le moindre sou-
lien. Que le défenseur, au lieu d'adopter la même tactique
que son adversaire, concentre son corps mobile en un point,
quelconque, le voilà presque assuré d'une victoire sur la
colonne assaillante qui lui sera opposée. On répondra à cela
que le succès des sept autres colonnes assaillantes sera suf-
fisant pour contre-balancer un seul échec, mais, cependant,
ce dernier peut être d'une nature telle qu'il oblige l'assail-
lant à interrompre sa marche.
Celle-ci terminée, l'assiégeant, utilisant les couverts du
terrain, développe son artillerie à 3 000 mètres environ des
remparts, dans des endroits abrités, et dirige sur les buts
bien Arisibles et connus d'avance que lui offre le défenseur
un tir plongeant de shrapncls qui s'oppose si bien au ser-
vice des pièces de la place que celles-ci, selon von Sauer,
sont, en peu de temps, réduites au silence. Elles ne peuvent,
en effet, quoique supérieures par le calibre, riposter avec le
même succès à des batteries dont elles ignorent l'emplace-
ment; elles sont réduites à battre uniformément par le tir
plongeant les couverts échappant à leurs vues et. dans les-
ATTAQUES BRUSQUÉES 685
quels il y a lieu dépenser que l'assaillant a établi ses propres
batteries. Un semblable tir ne saurait évidemment être bien
efficace. D'ailleurs, si les grosses pièces ont une puissance
supérieure à celle des petites, en revanche la rapidité de
leur feu est moindre, et, dans un tir à shrapnels, on peut
admettre, avec YOU Sauer, que PaA'antage pourrait être en
faveur de l'artillerie de campagne.
En revanche, ce qui paraît moins aisément admissible,
c'est la possibilité d'avoir aussi rapidement raison de l'artil-
lerie de la défense, alors qu'on dispose seulement d'un nom-
bre de pièces légèrement supérieur aux siennes, et que
cette artillerie est, au moins autant que celle de l'attaque,
défilée et difficile à atteindre. En outre, l'organisation du
tir de la défense est plus complète ; ses nombreux observa-
toires possèdent des vues efficaces sur le terrain et il pourra
se faire qu'une partie de l'artillerie assiégeante soit con-
trainte d'accepter la lutte à tir direct. Dans ces conditions,
l'issue de cette dernière serait sans doute favorable à la
défense et l'assaillant, contraint d'amener du renfort de
matériel, perdrait ainsi beaucoup de temps.
Cette première lutte d'artillerie à grande distance a pour
but de rendre possible la marche d'approche de l'assaillant,
et lui donne le moyen d'occuper, à 2000 mètres environ de
la place, les couverts nécessaires à l'établissement des bat-
teries qui Aront engager la lutte décisive avec celles du défen-
seur. Pour obtenir ce résultat, il coiwient encore d'agir sur
tous les points à la fois, en mettant en mouArement toutes les
forces dont on dispose. Le tir de l'artillerie de l'attaque est
réglé de manière à ménager au défenseur des instants de
repos, pendant lesquels il vient réoccuper ses remparts. A
ce moment, le feu recommence jusqu'à ce que le défenseur
soit accablé de nouveau. Ce jeu, combiné avec quelques
attaques partielles, épuise la garnison, et donne à l'assié-
ijeant le moyen de s'avancer jusqu'à l'emplacement où il
compte établir ses batteries.
Ainsi, c'est uniquement par un feu de shrapnels qui rend
686 3e PARTIE
— ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
impossible le service des pièces à tir direct et à ciel ouvert,
que le général A^on Sauer compte assurer le succès de la
marche d'approche. A ceux qui lui objectent que les pièces
sous coupoles et les batteries hors de Arue sont à l'abri de ce
tir, l'auteur répond que cette artillerie est de peu d'effet sur
des buts aussi mobiles que les troupes d'attaque, et que,
par conséquent, il n'y a pas lieu de penser que les pièces
sous coupoles pourront intervenir efficacement dans cette
première partie de la lutte. D'ailleurs, toutes les coupoles
ayant un trou d'homme, qui sont les seules capables d'user
d'un tir direct rapide, n'échappent pas aux effets des
shrapnels.
L'ensemble de toutes les opérations qu'on A'ient de décrire
doit, dans la pensée de l'auteur, être exécuté dans un très
court, espace de temps, soit une ou deux journées, en utili-
sant la nuit qui les sépare. La journée suivante est consa-
crée à la seconde phase de la lutte de l'artillerie, et c'est
encore par l'emploi du tir plongeant et des shrapnels, qu'on
espère, sinon détruire l'artillerie de la défense, du moins en
rendre le service impossible. Les obus-torpilles ne doiA-ent
être employés que contre les parties A'ulnérables et impor-
tantes de la fortification, telles que les batteries cuirassées;
mais, dans une attaque brusquée, afin d'éviter toute perte
de temps, l'assaillant ne cherche pas un seul instant à dé-
truire les locaux voûtés des ouvrages. Le point capital de
la méthode est donc de mettre hors d'état de servir les piè-
ces placées à ciel ouvert dans les intervalles des forts, ainsi
que dans ces derniers eux-mêmes, et de ruiner les coupoles
placées dans les ombrages, qui se signalent aux coups par
leur position même.
De la sorte, l'assiégeant n'aura plus à craindre que les
pièces placées sur le flanc des ouvrages ou celles, en très
petit nombre, disposées pour battre les intervalles des forts;
il compte empêcher le défenseur de les utiliser en accélérant
sa marche en avant, de manière à venir si bien au contact
des troupes de la garnison des intervalles que les pièces des
ATTAQUES BRUSQUÉES 687
forls soient réduites au silence par la crainte de tirer sur
leurs propres troupes.
Ce premier résultat étant obtenu, et la reconnaissance
opérée à courte distance ayant permis de déterminer le
point sur lequel on peut donner l'assaut, on procède à la
destruction des défenses accessoires de manière à assurer
la marche des colonnes assaillantes. Quelque temps aArant
le moment choisi pour l'acte de Adgueur final, on passe,
comme dans la première phase, par des alternatives de tir
redoublé d'intensité et de repos, de manière à épuiser le
défenseur et à juger de son degré de résistance par la
vigueur de ses ripostes dans les moments de-calme. Enfin,
lorsqu'on estime que le moment propice est arrivé, on
donne l'assaut.
L'opération est engagée par une ou deux brigades du
corps de siège, de manière à mettre en ligne 6 ooo à 8000
hommes. Que peut opposer le défenseur à cette troupe ?
Von Sauer, attribuant 60000 hommes de garnison à une
place de douze forts détachés et d'autant d'ouATages inter-
médiaires, qui absorbent dix-huit bataillons pour leur gar-
nison particulière, laissant 2 000 hommes au noyau central
et une brigade en réserve générale, arrive à conclure que le
défenseur ne disposera pas de plus de 4 000 hommes par
intervalle attaqué. Dans ces conditions, l'issue de la lutte
ne peut être douteuse si l'artillerie de la défense est effecti-
vement réduite au silence, et si toutes les défenses acces-
soires ont été détruites de manière à ne pas entraver la
marche de l'assaillant.
La ligne des forts ainsi enlevée, il comâent de poursuivre
le défenseur, l'épée dans les reins, jusqu'au noyau central,
de manière à ne pas lui laisser de répit et à entrer dans la
place sur ses talons. Si on manque cette occasion, en effet,
il faut exécuter, devant chaque ligne de défense intermé-
diaire et devant l'enceinte du noyau central, la même opé-
ration qu'on vient de faire devant la ligne des forts.
Le général von Sauer estime que la bataille ainsi livrée
688 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
peut durer trois jours au maximum depuis le commence-
ment de la marche d'approche jusqu'à la chute de la place.
On voit, par la courte esquisse qui vient d'être faite, que
l'assaut de là ligne des forts ne diffère pas sensiblement de
celui d'une position organisée aArec des ouA'rages de campa-
gne ; par suite, elle n'a de chances de réussite que si on a
supprimé de cette ligne les deux éléments qui constituent,
sa force : les canons de gros calibre et les obstacles maté-
riels. Si les forts sont disposés de manière à conserver
intactes au moment de l'assaut les pièces destinées à battre
les intervalles, si les pièces placées sous coupoles peuvent
encore entrer en action, il va de soi qu'une entreprise con-
duite par la méthode de A'on Sauer ne saurait être couron-
née de succès. Le général bavarois rcconnaîtlui-mêmc que
les places construites d'après ses idées sont invulnérables
contre une attaque brusquée de ce genre. Les coupoles iso-
lées placées dans les intervalles offrent un but trop restreint
et surtout trop peu visible pour que l'artillerie assiégeante
les puisse désemparer ou réduire au silence, et. dès lors, les
troupes d'assaut n'auraient aucune chance-de succès ; il fau-
drait par suite se livrer à une lutte d'artillerie en règle. En
se reportant aux divers systèmes de fortification récemment
proposés et exposés chapitre XXXIII {pages 0i et suiv.),
on en trouverait sans peine plus d'un qui satisferait égale-
ment à cette même condition.
L'étude sommaire qui vient d'être faite de la méthode
A'on Sauer permet néanmoins de tirer quelques conclusions :
i° C'est que, dans les places construites jusqu'en i885, il
existe des points essentiellement vulnérables ; ce sont les
intervalles des forts, et les critiques de l'auteur sont certai-
nement justifiées. C'est donc avec raison qu'on a adopté un
autre mode d'organisation des places fortes;
2° Que le résultat essentiel à obtenir est d'assurer le flan-
quement des intervalles des forts, par des dispositifs qui ne
soient pas à la merci de quelques obus-torpilles et qui pla-
cent leurs défenseurs à l'abri du tir des shrapnels;
ATTAQUES BRUSQUÉES ' 689
3° Que les intervalles des forts et ouATages doivent être
assez restreints pour qu'on soit assuré de les battre très
efficacement par le canon de ces derniers, de manière à ne
pas exiger trop de monde pour leur surveillance. Cette der-
nière condition, une fois réalisée, permet en effet de disposer
d'une plus grande partie de la garnison pour constituer une
réserve que l'on opposera à l'assaillant au point choisi par
lui pour donner l'assaut.
Enfin, la méthode en question ne saurait être considérée
comme un procédé d'attaque susceptible d'une application
générale; c'est la régularisation d'un des procédés i-rrégu-
liers dont il a été parlé précédemment {pages 5gy et suiu.).
Les Japonais ont dirigé contre Port-Arlhur une attaque
brusquée, conformément aux principes de von Sauer. Elle
l'ut cngagéee dans des conditions plutôt favorables :
i° L'artillerie de la défense, à ciel ouvert dans les ouvra-
ges, était annihilée ;
20 Le terrain mouvementé, contenant de nombreuses par-
lies en angle mort et, par contre, peu de grands champs
de tir d'infanterie, était à l'avantage de l'attaque;
3° Enfin, celle-ci avait à son service l'incomparable cou-
rage du soldat japonais.
Après quatre jours de lutte, les Japonais réussirent à
percer l'intervalle entre deux forts et à s'installer dans deux
redoutes. La nuit suivante, ils menacèrent ces forts par la
gorge et les positions en arrière. Us touchèrent peut-être au
succès, mais, finalement, ils échouèrent et ne purent que
conserver les deux redoutes qui leur avaient coûté i5oôo
hommes tués ou blessés {Voir chap. L, Port-Arthur).
L'attaque brusquée est donc un expédient avec lequel il
faut compter, que l'on doit essayer quand l'occasion se
présente, mais sur lequel on aurait tort de fonder actuelle-
ment un trop grand espoir. Il est important, néanmoins, de
e-mnaître celte méthode.

MANUEL DE FORTIFICATION 44
CHAPITRE XLVIII

DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE

« La défense d'une place de guerre demande chez celui


« qui la dirige beaucoup de caractère et d'énergie, un juge-
ce ment prompt et sûr, une audace mêlée de prudence.
« Rarement, tant de qualités sont réunies chez le même
« homme ; c'est pourquoi on voit si peu de belles défenses.
« Le gouArerneur doit trouArer toutes ses ressources en lui-
« même ; on ne peut lui donner que des préceptes généraux,
« des exemples à imiter ; on ne saurait lui imposer des
« règles de conduite absolues, car ce qu'il deATa faire dépend
« de circonstances imprévues et de la conduite que tiendra
« l'assiégeant. On a, au contraire, des deAroirs à remplir
« envers lui :ilfautlui donner un instrument à la hauteur de
« la grave responsabilité qui pèse sur lui, c'est-à-dire une
« place bien organisée et pourvue de tout ce qui est néces-
« saire à la défense. »
(Journal des Sciences militaires, juillet 1882.)

Ces quelques lignes sont extraites d'un remarquable


article du général de Villenoisg. Elles font admirablement,
ressortir toute la difficulté que présente la défense des for-
teresses et le rôle important qui est assigné au gouverneur
d'une place forte. Là, plus que partout ailleurs, le chef
suprême imprime à l'action son caractère spécial, et c'est.
de lui surtout que dépend l'issue plus ou moins heureuse
de la lutte.
L'histoire montre, en effet, que si, grâce à leur indompln-
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE 691
ble énergie, des Meusnier, des Masséna, des Denfert-Roche-
reau ont su conserver à la patrie les forteresses dont on
leur avait confié la garde, d'autres, qu'il est inutile de citer,
mais dont les noms sont cloués au pilori de l'histoire, ont
laissé dans l'inaction des garnisons pleines de coeur et livré
à l'ennemi, parleur incurie ou leur incapacité, des remparts
que de braves gens ne demandaient qu'à défendre et qui
sont ensuite devenus la proie de l'envahisseur.
En vue de préparer le gouverneur d'une place forte aux
fonctions difficiles qui lui sont dévolues, il est nécessaire de
l'installer, dès le temps de paix, dans la place qu'il doit
défendre en temps de guerre, et de lui procurer à l'aA'ance
tous les moyens d'action.
Les décrets des 4 décembre 1886 et 23 mars 1887 ont
organisé en France le commandement des places, en vue
d'obtenir le résultat qu'on vient d'indiquer.
Voici les dispositions générales de ces décrets :
A la tête de chaque place se trouve un officier général ou
supérieur, gouverneur, assisté, pour les plus importantes,
d'un général adjoint, doté d'un état-major et de chefs des
services de l'artillerie, du génie, de l'intendance et de santé.
C'est à cet officier général et à la commission de défense
composée des chefs de service précités qu'incombe la mis-
sion de préparer en temps de paix l'organisation et la mobi-
lisation de la jjlace.
Lorsque le gouverneur ne réside pas en temps de paix
dans la place, il est dit gouverneur désigné, et prend le
commandement effectif au moment de la mobilisation.
La place est pourvue, en outre, en tout temps, d'une
fraction de la garnison qui lui est attribuée à la mobilisa-
lion, ainsi que de la totalité du matériel et des approvi-
sionnements qui lui sont nécessaires. La mobilisation de la
place, c'est-à-dire son passage du pied de paix au pied de
guerre, consiste, pour le personnel, dans la réception du
complément de garnison et dans l'organisation des diffé-
rentes unités qui doivent être constituées. En ce qui concerne
692 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
le matériel, la tâche est plus complexe ; la mobilisation se
double de la mise en état de défense. On a Aru, en effet, que
les ouATages construits en temps de paix doivent, être com-
plétés par d'autres situés dans leurs intervalles, par des orga-
nisations défensives de localités, ainsi que par des batteries;
que des déboisements nombreux doivent être faits sur diffé-
rents points pour dégager les Arues ; que certains ouArrages
d'art doivent être détruits, ou que leur destruction doit être
préparée. En outre, l'artillerie mise en place dès le temps de
paix, qui forme Varmement de sûreté, ne constitue qu'une
partie de la dotation de la forteresse ; il faut mettre en
batterie les bouches à feu de l'armement de mobilisation.
Enfin, il convient de compléter l'approAdsionnement de la
place, en y faisant affluer les ressources alimentaires de
tout genre éparses aux environs et qu'on soustrait ainsi à
l'ennemi.
La simple énumération qui précède, quelque succincte
qu'elle soit, suffit à montrer que la mobilisation et la mise
en état de défense d'une place forte comportent une série de
travaux considérables, et que, pour être assuré de les mener
à bien dans le court espace de temps dont on disposera
peut-être, il faut les avoir préparés et étudiés à l'avance
dans leurs moindres détails. Telle est, la tâche du gouver-
neur et de la commission de défense en temps de paix;
l'ensemble de ce travail forme le plan de mobilisation et de
défense de la place forte.
Lorsque l'état de guerre est déclaré, c'est-à-dire lorsque
l'ordre de mobilisation a été donné, le gouA'erneur procède
à l'exécution du plan de mobilisation et de défense. Il fait
exécuter les traAraux prévus, mettre en place l'armement,
réunir les.approvisionnements en utilisant dans la plus large
mesure les ressourcesque lui offrent l'industrie et la popula-
tion miles. « Il organise un service de renseignements, en
vue d'être avisé des mouvements de l'ennemi à aussi grandi;
distance que possible. Dès que la garnison est constituée,
il veille à ce que.l'instruction des troupes soit complétée en
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE 6g3

ce qui concerne le service spécial de la défense et s'assure


que chacun connaît exactement le poste qu'il devra'occuper
en cas d'alerte. »
Lorsque l'ennemi intercepte les communications de là
place avec l'extérieur ou lorsque les conditions prévues à
l'article 188 du décret du 4 octobre 1891 sont remplies, le
gonverneur déclare l'état de siège et, à partir de ce moment,
possède les pouvoirs les plus étendus. Il n'est plus lié par
le plan de mobilisation et de défense, il prescrit toutes occu-
pations de terrains ou démolitions de constructions et, d'une
manière générale, ordonne toutes les. mesures nécessaires à
la défense de la place. Notamment, il en fait sortir les bou-
ches inutiles (vieillards, femmes et enfants) et expulse les
étrangers et les personnes suspectes.
L'ancien règlement de i883 sur le service des armées en
campagne faisait un deA'oir au gouverneur, en cas de siège,
d'éloigner sa famille et celles des chefs de service. Les faits
de guerre les plus récents sont loin d'avoir démontré l'inu-
tilité de celle prescription.

Effectif de la garnison. — Sa répartition. — L'ex-


périence des dernières guerres montre que la garnison d'une
place forte peut être calculée à raison de 750 hommes par
kilomètre de la ligne des forts, ou, ce qui revient au même,
à raison de 1 5oo hommes par kilomètre de la même ligne
dans la zone d'attaque et de 25o hommes sur le reste du
périmètre. On arrive ainsi, pour la place théorique qui sert
de base dans cette étude, à une garnison de 3o 000 hommes
environ.
Dans ce nombre, les éléments appartenant à l'armée
actiAre entreront pour un quart; le reste sera fourni par la
réserve et l'armée territoriale, afin d'immobiliser aussi peu
de troupes actives que possible dans les places fortes.
L'infanterie constituera les deux tiers au moins de la gar-
nison; l'artillerie le quart ou le cinquième; le génie, la cava-
lerie et les services accessoires formeront le reste.
6g4 3e PARTIE ATTAQUE ET. DÉFENSE DES PLACES
La garnison d'une place est fixée en temps de paix par le
plan de mobilisation ; elle peut comprendre :
Une garnison de sûreté, correspondant au minimum de
troupes nécessaires pour résister à une surprise ou à une
attaque de vive force ;
Un complément de troupes destiné à assurer à la défense
de la place une puissance et une durée proportionnées à son
rôle dans la défense générale. La réunion de la garnison de
sûreté et du complément constitue la garnison de défense.
Selon l'importance de la place, elle reçoit, à la mobilisa-
tion, sa garnison de défense ou celle de sûreté ; cette der-
nière étant complétée ultérieurement par le ministre de la
guerre ou, en cas d'urgence, par le général en chef, ou
même par le gouArerneur à l'aide des troupes ou isolés de
passage dans la place, si celle-ci est menacée d'une attaque
imminente, à moins que ces troupes et isolés ne soient munis
d'un ordre émanant du ministre ou du général en chef. De
toutes façons, le gouverneur s'efforce d'utiliser les ressour-
ces de la population civile pour constituer des corps provi-
soires et fournir des auxiliaires aux divers services (artille-
rie, génie, intendance, santé, etc.).

« La garnison de défense se compose :


« Du gouverneur avec son état-major ;
« Des commandants de l'artillerie et du génie de la place
assistés d'un certain nombre d'officiers adjoints ;
« Des personnels de l'artillerie, du génie, de l'intendance,
du service de santé, du service des chemins de fer, de la
télégraphie, de l'aérostation, de la trésorerie et des postes;
« De troupes de toutes armes;
« De corps proArisoires formés par le gouverneur avec les
hommes des services auxiliaires et les ressources fournies
par la population civile. »
Elle est répartie comme il suit, :
i° Troupes des secteurs extérieurs chargées, dans chaque
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE 6g5
secteur, de la surveillance et de la garde des différentes
lignes de défense ;
2° Garnisons des forts;
3° Garnison du corps de place ;
4° Réserves générales.
Les secteurs extérieurs sont délimités par la forme et la
nature du terrain et, autant que possible, par des obstacles
naturels. Ils s'étendent de la crête des chemins compris du
corps de place à la ligné de défense la plus avancée. Chaque
secteur est sous les ordres d'un commandant de secteur,
chaque fort reçoit un commandant et une garnison ; en prin-
cipe, les commandants des forts sont sous les ordres directs
du commandant de secteur, mais le gouverneur seul peut
modifier la garnison ou l'armement d'un fort et en prescrire
l'éAracuation.
Le corps de place a un commandant et une garnison ; il
peut être lui-même subdivisé en secteurs.
Les diArers commandants sont nommés parle gouverneur,
et la répartition des troupes est arrêtée par lui. Elle est
modifiée au besoin au cours du siège, mais, en principe, il y
a intérêt à laisser les mêmes troupes sur le même terrain.
Lorsque l'assaillant a prononcé son attaque, le gouver-
neur désigne un commandant du terrain des attaques, qui
a sous ses ordres toutes les troupes employées sur ce ter-
rain ; ce dernier peut être, au besoin, subdivisé en secteurs.
Les réserves générales comprennent :
La réserve générale mobile, à la disposition exclusive du
gouverneur et constituée par une unité tactique, comprenant
des troupes de toutes armes ;
La réserve d'artillerie, formée des troupes d'artillerie non
employées dans les secteurs ou les ouvrages, et qui reçoit
en particulier le personnel devenu disponible sur les fronts
non attaqués. Elle est chargée de tous les services dépen-
dant du parc d'artillerie ;
La réserve du génie, comprenantlestroupes de cette arme
non affectées à un service spécial ; elle est chargée des Ira-
696 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES

vaux du parc du génie, de l'établissement des ombrages de


défense et du renforcement des troupes du génie dans le
secteur d'attaque.
Organisation des services. — a) Artillerie et génie.
-—Les commandants de l'artillerie et du génie de la place
dirigent l'ensemble du service de leur arme dans toute
l'étendue de la place, d'après les instructions du gouver-
neur. Us donnent eux-mêmes les instructions relatives à la
construction, à l'armement, à l'approvisionnement en muni-
tions, à l'organisation et à la direction du tir des batteries,
ainsi qu'à l'exécution des travaux de défense. Ils désignent
les unités et le personnel de leur arme à affecter aux diArer-
ses fractions de fa garnison et proposent à la nomination du
gouverneur les commandants de l'artillerie et du génie des
secteurs, des forts, de l'enceinte et du terrain des attaques.
Ils disposent de la réserve et du parc de leur arme. Ils peu-
vent être désignés pour diriger personnellement leur service
dans le terrain des attaques.
Les commandants de l'artillerie et du génie des diverses
fractions sont sous les ordres du commandant de chaque
fraction, mais relèvent du commandant de leur arme pour
ce qui est relatif au matériel et aux approvisionnements.
L'artillerie de chaque secteur est répartie en groupes de
batteries, à la tête de chacun desquels est un commandant,
particulier, chargé de diriger leur tir.
Le parc d'artillerie comprend les approvisionnements de
toute nature nécessaires à l'armement et au ravitaillement,
des batteries ainsi que les magasins et ateliers de réparation
du matériel et de confection des munitions.
Le parc du génie comprend des approA'isionnements
d'outils, d'engins de pionniers, de sape et, de mine et tous
autres matériaux nécessaires à la construction des ouvrages
et à l'organisation défensive des positions.
/;) Intendance. — Un fonctionnaire de l'intendance, chef
du service, assure l'exécution des mesures prévues au jour-
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE 697
nal de mobilisation en ce qui concerne les magasins, appro-
visionnements, moyens de transport, installation des boulan-
geries, la fabrication du pain, l'abat des bestiaux et enfin
les distributions. Il peut y avoir lieu de désigner des fonc-
tionnaires de l'intendance pour les divers secteurs .ou
groupes de secteurs ; ils assurent le service dans la zone à
laquelle ils sont affectés.
c) Santé. — Le médecin chef idu service de santé règle,
dirige et surveille, sous les ordres immédiats du gouverneur,
l'exécution du service dans toute l'étendue du périmètre de
défense.
d) Chemins de fer. — S'il existe dans la place des voies
ferrées étroites exploitées par le service de l'artillerie, c'est
le commandant de l'artillerie qui a la haute direction de
l'exploitation des A-oies existantes. Dans les places où il y
aura lieu d'installer et, dans celles où on utilisera des voies
ferrées autres que celles exploitées par l'artillerie, c'est le
commandant du génie qui aura la haute direction de la
construction et de l'exploitation de ces A'oies. Il se concer-
tera d'ailleurs avec le commandant de l'artillerie pour les
projets de construction ou d'aménagement des voies. Le
gouverneur arrête les dispositions relatives à l'exploitation
des Aboies ferrées, dans tous les cas, de manière à assurer
aux différents services les moyens de transport dont ils ont
besoin.

Règles du service dans les secteurs et le corps déplace. —


Le commandant de chaque secteur règle le service dans
l'étendue de son secteur, se tient en relation avec ceux des
secteurs voisins et, se rend compte chaque jour de la situa-
lion de ses troupes, des travaux de défense et des approvi-
sionnements dans son secteur. Les troupes comprennent de
l'infanterie, de l'artillerie et du génie, et, s'il y a lieu, de la
cavalerie ; leurs effectifs dépendent de l'étendue et de l'im-
portance du secteur.
698 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
Les travaux sont exécutés autant que possible aA'ec des
ouvriers civils, requis au besoin, complétés par des travail-
leurs fournis par les troupes du secteur ou empruntés aux
secteurs voisins ou à la réserve générale, d'après les ordres
du gouA'erneur.
La garde du corps de place est réduite au minimum tant
que la résistance a lieu sur les lignes extérieures de défense
et sur les forts ; elle est complétée lorsque la perte de ces
lignes et forts est imminente.

Conseil de défense. — Dès que l'ordre de mobilisa-


tion a été lancé, le goirverneur constitue le conseil de
défense, qui est composé comme il suit :
Le gouverneur, président ;
Son adjoint, s'il en existe un ;
Le commandant de l'artillerie ;
Le commandant du génie ;
Les deux plus anciens colonels des troupes de la garni-
son ; à défaut de colonels, les deux officiers les plus anciens
dans le grade le plus élevé, mais appartenant à des corps
différents.
Le chef du service de l'intendance et le chef du service
de santé assistent aux séances du conseil avec voix consul-
tative.
En cas d'empêchement d'un des membres du conseil, il
est remplacé, s'il est commandant de l'artillerie ou du génie,
par l'officier qui le supplée dans ses fonctions ; s'il est officier
de troupe, par celui qui. marche immédiatement après lui
sur le contrôle général du corps de troupe.
Le chef du service de l'intendance et le chef du service
de santé sont, également remplacés en cas d'empêchement.
Lorsque la garnison n'est formée que d'un seul corps, le
commandant de ce corps remplace les deux officiers de
troupe. S'il y a dans la place un officier général employé, il
fait partie du conseil ; s'il y en a plusieurs, le plus ancien
dans le grade le plus élevé y est appelé de droit. Dans ces
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE 699
deux cas, un seul colonel ou officier de troupe en fait
partie.
Le rôle du conseil de défense est d'éclairer le gouverneur :
celui-ci a seul le droit de le réunir ; il est tenu de le con-
sulter dans le cas de la reddition de la place.
Les délibérations du conseil restent secrètes ; elles sont
enregistrées. L'avis du conseil ne dégage en rien la respon-
sabilité du gouverneur, qui reste toujours maître de prendre
telle décision que lui dicte sa conscience.

Comité de surveillance des approvisionne-


ments de siège. — La place étant déclarée en état de
siège, dès que le ravitaillement de la population civile est
prescrit, le gouverneur est assisté, pour l'exécution des
mesures consignées sur le journal de raAdtaillement de la
place, en ce qui concerne la zone d'action directe, d'un
comité composé comme il suit :
Le gouverneur, président;
Le commandant de l'artillerie ; ) dans les places où ces
Le commandant, du génie ; j emplois existent ;
Le chef du service de l'intendance ;
Le chef du service de santé ;
Le maire ;
Deux conseillers municipaux, désignés par le conseil
municipal ;
Le président ou un membre de la chambre de commerce,
s'il en existe une dans la place.
Un officier de la garnison, désigné par le goiwerneur,
remplit les fonctions de secrétaire.
En l'absence du gouA^erneur, le comité est présidé par
l'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, à l'exclu-
sion de l'intendant et du médecin.
Le comité seconde le gouverneur dans les opérations de
ravitaillement et dans la surveillance des approArisionne-
ments de la garnison et de la population civile.
Il fait visiter par ses membres les magasins de la place
700 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES

pour s'assurer du bon état de conservation des approvision-


nements ; il signale les améliorations à apporter à l'emma-
gasinement, aux manutentions des denrées, à leur mise en
distribution. Les membres délégués font un rapport de leurs
opérations. Le comité entendu, le gouverneur statue seul et
sans avoir à se conformer aux aAris de la majorité. Le comité
constate par procès-verbaux les pertes et avaries de den-
rées ; il ne peut s'immiscer dans les dispositions que prend
le gouverneur, ni dans les ordres qu'il donne pour la compo-
sition et la distribution des rations.

Organisation de la défense. — Le but que poursuit


le défenseur est-de retenir le plus longtemps possible son
adversaire et d'immobiliserses forces : il ne serait pas atteint
complètement si toutes les ressources de la place étaient
accumulées sur une seule ligne de résistance. Celle-ci, en
effet, tombée au pouvoir de l'assiégeant, la place aurait,
perdu tous ses moyens d'action. Par suite, il convient
d'organiser plusieurs lignes successives capables d'attirer à
elles les forces de l'adversaire et de les retenir un certain
temps. Dans ce but, on aménage : des positions avancées ou
de première résistance, une ligne principale de défense cl,
dans les secteurs d'attaque, une ou plusieurs lignes de
défense, dont la dernière est l'enceinte du noyau contrai.
« Les positions avancées ou de première résistance ont,
pour objet de permettre aux forces mobiles de s'opposer au
resserrement, de l'iinrestissement ainsi qu'à l'occupation, par
l'ennemi, du terrain favorable au déploiement de l'artillerie
destinée à agir contre la ligne principale de défense. » Cette
définition indique que la ligne de première résistance n'a de
raison d'être que dans les directions favorables à l'attaque.
Sa distance aux forts et ouvrages permanents varie avec le
terrain et l'effectif des troupes affectées à sa défense ; elle
doit être telle que le canon de la ligne principale puisse lui
donner son appui, sans que cependant la chute de ces posi-
tions avancées compromette la défense de la ligne principale.
DEFENSE DUNE PLACE FORTE 701
On peut donc admettre que cette distance sera comprise
entre 2000 et 6000 mètres. Dans certains cas, on pourra
être amené à occuper des positions plus éloignées, lorsque
la disposition du terrain sera particulièrement firvorable ;
dans ces cas, elles devraient être plus solidement organisées
et armées de pièces de gros calibre, puisque celles de la
ligne principale de défense ne pourraient les appuyer de
leur tir.
« Les positions avancées sont constituées par des centres
de résistance comportant chacun un certain nombre de
points d'appui (localités organisées défensivement ou otwra-
ges de fortification passagère) et ne sont défendues que par
des troupes de campagne.
« Les positions avancées organisées, même dans la zone
d'attaque probable, ne doivent pas l'être en vue d'opiniâtrer
la résistance comme sur la ligne principale dé défense, car,
à opérer ainsi, on arriverait à déplacer la lutte pour le suc-
cès de laquelle on a accumulé sur cette ligne principale
des moyens puissants, incomparablement supérieurs aux
moyens improvisés que l'on peut mettre enjeu sur les posi-
tions-avancées.
« La ligne principale de défense comprend l'ensemble des
défenses organisées dans la zone dont les forts permanents
occupent les points les plus importants. » Elles sont éche-
lonnées de manière à favoriser l'appui mutuel des différen-
tes armes. Cette ligne est constituée par :
« i° Les forts et les ouvrages intermédiaires (permanents
ou de circonstance), construits dans l'intervalle des forts
quand l'éloignement de ceux-ci aura paru trop considé-
rable ;
« 20 Les batteries construites pour recevoir l'artillerie qui
ne peut trouver place dans les forts. » L'instruction du
4 février 1899 admet que la majeure partie de l'artillerie de
gros calibre sera placée dans des batteries construites à
l'avance dans l'intervalle des ouvrages ; toutefois, elle indi-
que qu'il y a tout avantage, au début du siège, à conserver
702 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
dans les ouvrages quelques pièces à longue portée pour
battre le terrain en aA'ant et tenir l'ennemi à distance ;
3° Les positions de combat de l'infanterie occupent le
terrain en avant de la ligne d'artillerie qu'elles ont mis-
sion de protéger. Elles comprennent des centres de résis-
tance, se prêtant un mutuel appui et formant une ligne
discontinue.
Les forts constituent les réduits de la ligne principale de
défense; les ouATages intermédiaires assurent, sous leur pro-
tection, la défense des intervalles qui les séparent. Les uns et
les autres peuvent contenir de l'artillerie légère destinée à
être mise en batterie au moment de repousser une attaque
de vive force.
« C'est à l'achèvement de ces travaux en cours sur la ligne
principale de défense et à la mise en chantier immédiate de
ceux qui n'auraient pu être entrepris dès le temps de paix,
qu'il convient, au moment de la mobilisation, d'employer
le maximum d'efforts, afin de donner à cette ligne, aussitôt
que possible, la puissance défensive qui lui est néces-
saire. »
En même temps, on organise, dans la mesure des ressour-
ces disponibles, les positions aArancées préA'ues au plan de
défense ou indiquées par ce qu'on sait des projets de l'en-
nemi.

Armement des lignes de défense. — L'armement,


des places fortes se décompose comme suit :
i° L'armement de sûreté, qui comprend toutes les bou-
ches à feu mises en batterie dès le temps de paix et possé-
dant à pied d'oeuvre un approvisionnement de munitions
confectionnées et, en tout temps, un personnel désigné pour
les servir.
Il a pour but de concourir avec les feux de mousqueterie
à repousser les attaques par surprise, de tenir l'ennemi à
distance dans la période d'investissement, de gêner ses mou-
vements et ses travaux, et de favoriser la défense du terrain
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE 703
extérieur. Il est installé pour la majeure partie sur la ligne
principale de défense, dans les ouvrages ou à proximité
immédiate ;
2° L'armement de mobilisation est celui qui doit être en
batterie au moment de la mobilisation, les pièces de l'arme-
ment d'e sûreté en font donc partie. Il a pour but de s'oppo-
,

ser à une attaque de vive force et d'assurer la défense de la


place jusqu'au moment où le point d'attaque est connu. Sa
répartition entre les secteurs dépend donc du degré de pro-
babilité d'une attaque de ceux-ci. Il comprend: a) des pièces
à vue directe, destinées à tirer contre les buts mobiles ; la
majeure partie est formée de pièces légères, battant les
abords des ouvrages et des positions de combat; quelques
pièces de gros calibre les complètent pour la défense des
positions extérieures ; b) des pièces dérobées aux vues,
ayant pour objet principal de battre des points déterminés
du terrain et de soutenir la lutte d'artillerie. Il Ara sans dire
que le tir de ces dernières bouches à feu comporte l'emploi
d'observatoires ef de ballons captifs pour le réglage;
3° L'armement disponible est formé par les bouches à
à feu destinées à renforcer les fronts d'attaque ; il comprend
notamment celles qu'on retire des secteurs non menacés.
Des pièces légères et de gros calibre entrent dans sa com-
position.
Il est disposé soit sur la ligne principale de défense dans
les fronts attaqués, et occupe alors des emplacements déro-
bés aux vues de l'ennemi, soit sur les lignes de défense en
arrière de celle-ci et de manière à avoir vers elle des Arues
directes ;
4° Les batteries mobiles de campagne entrant dans la
composition de la garnison et les batteries attelées d'artille-
rie de siège coopèrent aux opérations actives des troupes
mobiles de la garnison, concourent à la défense et au flan-
quement des positions avancées et sont utilisées enfin
pour la défense des positions successives occupées par l'in-
fanterie.
704 3e PARTIE
— ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
Emploi de l'artillerie. — On connaît le rôle assigné
aux canons des forts et aux batteries mobiles.
L'emploi des batteries fixes dépend de leur calibre et de
la nature de leur tir, tendu, plongeant ou vertical.
Les batteries de campagne, non attelées, sont employées
à surveiller le terrain, c'est-à-dire à battre aux moyennes
distances les rassemblements de troupe, les voies de commu-
nication, à flanquer les diverses lignes de défense, abattre
leurs abords.
Les canons un peu plus puissants (en France le g5) sont
employés aux mêmes usages ainsi qu'à la destruction des
obstacles d'une résistance médiocre.
Les uns et les autres sont, en principe, défilés aux Arues
et font du tir indirect, sauf lorsque leur mission comporte
le tir sur des buts mobiles.
Les canons longs de gros calibre (en France 120 L,
i55 L), en raison de leur grande portée, ont, dans la pre-
mière partie du siège, un rôle de surveillance éloignée ; ils
servent à retarder l'investissement. C'est dans ce but que
quelques pièces sont installées à ciel ouvert dans les forts
ayant des Arues étendues; elles doivent en sortir dès que
l'ennemi a installé ses batteries. Les pièces lourdes sous
tourelle, seules, restent dans les ouvrages.
Tous les autres canons longs de gros calibre sont groupés
en batteries et installés dans les intervalles des forts. Ces
batteries concourent dans la suite àh\lutte d'artillerie. Elles
sonl dérobées aux vues autant que le permettent le terrain et
la tension de leur trajectoire, et comme généralement on est
obligé de les installer peu en arrière des crêtes, elles prennent
le nom de batteries de crête et sont complètement enterrées.
Les obusiers (en France i55 C) et les mortiers, grâce au
tir courbe, peuvent être largement défilés et les batteries,
dites hors de vue, peuvent n'être pas enterrées. Les obu-
siers concourent; à la lutte d'artillerie. Les mortiers rayés
de gros calibre (en France 220, 270), sont employés contre
les abris blindés et les batteries les plus solides.
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE 705
Quelques pièces peuvent être employées sur affût-truc,
qui leur permet de se dérober après aAroir produit un effet
de surprise.
Pendant la lutte d'artillerie, la plupart des batteries lour-
des sont sur la position principale ou peu en arrière. Quand
elles ont le dessous, elles sont retirées progressivement sur
une position de soutien pour y continuer la lutte.
Conduite de la défense. — « En règle générale, la
défense d'une place assiégée est extérieure et active, c'est-à-
dire qu'elle doitaA'oirun caractèreparticulièrement offensif. »
(Inst., art. 37).
Défense extérieure. — La défense extérieure a pour but
de donner à la garnison le temps d'acheArer l'organisation de
sa ligne principale de défense et de retarder l'occupation
par l'assiégeant du terrain nécessaire à l'installation de la
ligne d'investissement et au déploiement, de l'artillerie de
siège. Elle comprend des opérations extérieures et la lutte
sur les positions de première résistance.
Dès que la place est menacée, le gouverneur utilise son
service de renseignements et les reconnaissances qu'il fait
effectuer sur les principales Aroies de communication à déter-
miner la direction par laquelle l'ennemi s'avance. Fixé sur
ce point, il porte au dehors toutes les troupes mobiles
dont, il peut disposer sans compromettre la sécurité de la
place ; celles-ci s'engagent avec les aArant-gardes ennemies

et s'efforcent d'élargir le cercle du premier investissement.
Elles agissent réunies ou en plusieurs détachements, cher-
chent à surprendre l'ennemi, l'attaquent aArec vigueur, mais
évitent de se compromettre à fond. Elles facilitent la ren-
trée des approvisionnements utiles à la place, détruisent
ceux dont l'ennemi pourrait tirer profit, ainsi que les ouvra-
ges d'art cpii pourraient être utilisés par l'assiégeant et
dont la conservation n'a pas été formellement prescrite par
le ministre ou par le général commandant l'armée opérant
autour de la place.
MANUEL DE FORTIFICATION 45
70t) 0e PARTIE ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
La place étant enveloppée, la lutte extérieure se poursuit
sur les positions avancées qui, ainsi qu'on l'a vu, n'occu-
pent que les points particulièrement favorables à la résis-
tance aux progrès de l'assiégeant. C'est donc surtout dans
les secteurs où l'attaque paraît la plus vraisemblable, en
raison des renseignements recueillis ou de la disposition du
terrain et des Aroies de communication, que se trouveront
ces positions avancées. La lutte ne devra pas y être passive,
mais, au contraire, le gouverneur s'efforcera, aA'ec ses
troupes et ses batteries mobiles, avec l'appui des canons de
la ligne principale de défense, d'attaquer l'assiégeant, de le
harceler, et d'entraver ainsi ses progrès, tout en exallant le
moral de la garnison.
.

Défense de la ligne principale. —Lorsque l'assaillant a


prononcé son attaque avec assez d'énergie pour enlever les
positions aArancées, le gouverneur est désormais fixé sur la
direction générale des efforts de son adversaire. Il a dû,
par suite, effectuer les prélèvements nécessaires sur les sec-
teurs non menacés, pour renforcer dans la plus large
mesure les fronts d'attaque; il a dû faire achever tous les
travaux de défense, mettre en place l'armement disponible,
établir des abris, faire repérer les débouchés d'attaque
de manière à être en mesure de les couvrir de feux de
mousquelerie et d'artillerie 'par tous les temps. Il fait entre-
prendre également les travaux de seconde ligne. Pour s'op-
poser aux progrès de l'assiégeant, il dirige des sorties vigou-
reuses contre les batteries en construction cl, par l'action
combinée des troupes mobiles et des canons de la ligne prin-
cipale de défense, peut encore relarder et ent.raArer sérieu^-
semenl l'ouverture du feu. Le moment arrivera cependant
où l'assiégeant aura réussi à construire et à armer ses batte-
ries ; la défense devra diriger le tir de toutes ses pièces dis-
ponibles sur les groupes de batteries ennemies qu'elle
pourra découvrir, de manière à les ruiner successivement;;
elle utilisera principalement dans ce but les pièces hors de
DÉFENSE DUNE PLACE FORTE 7O7
vue. Les pièces à tir direct, trop exposées, seront retirées et
serviront à renforcer les batteries hors de vue ou armeront
la seconde ligne. Ces déplacements se poursuivront d'ailleurs
au cours de la lutte, de manière à ménager l'artillerie de la
place et à éviter que toutes ses pièces ne soient ruinées
dans un combat où l'assiégeant possède évidemment la
supériorité numérique. « Il ne restera sur lé terrain des
attaques que les pièces cuirassées des ouvrages permanents,
les pièces légères mises en réserve pour agir contre les ten-
tatives d'assaut; on y ajoutera, au moment dû besoin, les
batteries mobiles. »
Pendant la période de la lutte d'artillerie, les troupes
des secteurs s'efforcent de contenir l'infanterie adverse et
assurent la défense des points d'appui. A cet effet, elles
sont réparties en deux groupes : les troupes de garde, qui
assurent la sécurité de la ligne principale, se tiennent à proxi-
mité des positions de combat et maintiennent le contact
permanent avec l'ennemi; les réserves spéciales des secteurs,
dont fait partie toute l'artillerie de campagne, sont placées
à l'abri et en arrière des positions de combat. Elles' se por-
tent en avant lorsque l'assiégeant prononce une attaque
générale et sont au besoin appuyées par des fractions plus
importantes de la réserve générale que le gouverneur met,
à cet effet, à la disposition des commandants de secteurs.
La garnison lutte ainsi de position en position, n'abandonne
le moindre point que lorsqu'il est devenu intenable et.
s'efforce,
s dès qu'elle en trouAre le moyen, de passer à l'offen-
sive pour tenter de reprendre à l'ennemi tout ou partie du
terrain perdu.
Cette défense pied à pied du terrain des approches a pour
effet de retarder le plus possible l'attaque des positions de
combat, de la ligne principale; « mais les moyens qu'on y
emploie ne doivent pas entraver l'action prévue et escomptée
des divers organes de cette ligne ; il y a donc lieu dé toujours
réserver en avant de celle-ci une zone de 5oo à 600 mètres
au moins, dans laquelle on ne créera aucun couvert capable
708 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
d'être utilisé par l'ennemi pour ses attaques rapprochées et
de restreindre la profondeur du champ de tir. »

Lorsque l'assiégeant, en gagnant progressivement du ter-


rain, a atteint cette zone laissée intentionnellement décou-
A'erte, il peut, enhardi par ses succès, tenter une action de
viA'e force sur les points d'appui et les intervalles de la posi-
tion principale. Toutes les mesures sont prises par la défense
pour parer à cette éventualité;
La garnison des ouvrages se tient à l'abri, mais toujours
prête à occuper les crêtes à la moindre alerte ; elle éclaire
la nuit les abords des ouArrages à l'aide des projecteurs
électriques dont elle dispose; elle redouble de vigilance
pour répondre aux tentatives d'insulte. Les hommes sont
munis d'abondantes proAÛsions de munitions. Dans ces
conditions, l'assiégeant est obligé d'ouvrir la tranchée et
d'engager les travaux de sape dont il a été question au
chapitre XLV. Pour ralentir leurs progrès, le défenseur met
en oeuvre : les pièces légères, rapidement installées sur le
rempart et enlevées dès que le feu ennemi s'est concentré
sur elles ; le feu de mousqueterie ; les sorties qui boulever-
sent les traA'aux; enfin, les contre-approches. On nomme
ainsi des tranchées analogues à celles de l'assiégeant, ayant
pour but de porter le défenseur, à l'abri des coups de son
adArersaire, sur quelque point du terrain d'où il prend à
reArers les tranchées ennemies. Elles ont toujours été pré-
conisées, mais rarement mises en oeuvre, parce qu'elles
exigent un effort considérable de la part d'une garnison
déjà éprouvée; en outre, elles doivent être conduites de
manière à ne pas pouvoir être utilisées par l'ennemi, s'il
vient à s'en emparer. Il faut pour cela qu'elles soient,
enfilées en arrière par les ouvrages permanents ou que leur
emplacement soit nettement séparé du terrain des attaques;
c'est le cas, par exemple, si un ravin ou un cours d'eau
coupe celui-ci.
De tels travaux peuArent être avantageusement entrepris
DEFENSE D UNE PLACE FORTE 7O9

non seulement dans les secteurs d'attaque, mais encore


dans les secteurs Afoisins.
Lorsque enfin l'assiégeant arrive dans le rayon d'action
des systèmes de contre-mines, on fait jouer les fourneaux
de manière à bouleArerser le terrain et on oblige l'adversaire
à engager la guerre souterraine, où l'avantage est acquis
tout d'abord au défenseur, qui est le premier prêt.
Ce dernier utilise deux genres de fourneaux; les uns, peu
distants de la surface du sol, jouent comme défenses acces-
soires, sous les pieds de l'assaillant, s'il tente une attaque
de Arive force ; les autres, plus profonds, n'ayant qu'une
action souterraine, détruisent les traAraux de mine de l'at-
taque.
Après la ruine du système de contre-mines, la défense par
la mine se continue au moyen des fourneaux ou des fougas-
ses-torpilles préparés derrière les talus de brèche. Enfin,
la mine permet de faire sauter tout ou partie de l'ouA'rage
lorsqu'on est contraint de l'abandonner.

Les sorties constituent enfin un des moyens les plus puis-


sants que la garnison puisse employer, parce qu'il exalte son
moral en lui rendant l'initiative du combat et qu'il entretient
l'adArersaire en perpétuelle alerte.
Pour être fructueuses, ces opérations ne doiA^ent être en-
treprises qu'avec un but bien défini. Ce sera, par exemple,
l'enlèvement d'une position déterminée, la destruction d'un
ouATage, d'une batterie, d'une communication de l'adver-
saire ; parfois môme une simple reconnaissance ou la dis-
persion d'un groupe de travailleurs important. On y emploiera
un effectif proportionné au bul à atteindre; on prendra des
dispositions simples, bien connues des chefs de détache-
ments ; on agira par surprise, condition essentielle du
succès et, le résultat obtenu ou manqué, on regagnera bien
vite des positions abritées, car on est certain que l'assié-
geant, mis en éveil, saura vous opposer des forces supé-
rieures. Parfois, la garnison tout entière ou, du moins, toute
710 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
la partie mobile des troupes exécutera une sortie générale
pour tenter de rompre l'iiwestissement, de réoccuper le
terrain conquis par l'assaillant, ou enfin pour donner la
main à une armée de secours. Ce sont alors des opérations
de.campagne, appuyées par le canon des oitvrages.
Malgré tous les efforts dela garnison, siPassiégeant a réussi
à faire brèche aux orwrages, si sa progression constante Arers
la place n'a pu être arrêtée, il faut se mettre en deAroir de
soutenir et de repousser l'assaut. A cet effet, dès que les
brèches sont ouvertes, on cherche à en embarrasser l'accès
par tous les obstacles dont on peut disposer ; les mesures
sont prises pour que chacun connaisse son poste de combat
et s'y rende à la moindre alerte, pour que les pièces légères
encore disponibles soient mises en batterie sur les points
désignés d'avance, pour que le l'eu des lignes de défense, en
arrière, concoure à repousser l'effort de l'assaillant. Celui-ci
se présente nécessairement en formations profondes et vul-
nérables : on dirige sur lui tous les fusils et tous les canons
dont on dispose, on fait jouer les fourneaux qu'on a pu pré-
parer, et, dès qu'une hésitation se produit dans ses rangs,
la garnison se porte en avant, pour en profiter et y mettre le
désarroi. Les contre-attaques partant des intervalles des
ouA'rages A'iendront utilement en aide aux troupes qui occu-
pent ces derniers.

Défense des lignes en arrière. — Après la chute de la


ligne principale de défense, la résistance se concentre sur
la deuxième ligne, organisée au cours de la lutte précédente
et armée des pièces qu'on aura retirées des lignes antérieu-
res. Leur défense se poursuit d'après les mêmes principes,
mais elle est naturellement moins longue, puisque la gar-
nison a Aru diminuer ses forces et. que les ouvrages qui com-
posent cette seconde ligne sont moins solides.

Lutte pour la défense de la ville. •—• En prévision de la


lutte qu'il doit soutenir sur les remparts de la place, le gou-
DEFENSE DUNE PLACE FORTE 7II
Arerneur, pour entraver l'exécution des travaux d'approche,
l'ait occuper tous les points favorables, en arrière des rem-
parts et abrités des vues de l'assiégeant, par les pièces dont
il dispose encore; il tient en réserve des pièces légères
bien approvisionnées en munitions, pour les mettre en bat-
terie au moment où se produit l'assaut. Enfin, il prend à
l'intérieur de la ville les mesures nécessaires pour se garan-
tir des effets du bombardement. On les trouvera énumérées
plus loin, page 713.
Lorsque l'assaut est donné et que l'assiégeant a pénétré
dans la ville, le gouverneur se défend dans les rues,- qu'il
aura dû organiser en vue de cette éventualité. La guerre de
barricades a pu, dans certaines circonstances, lors des
guerres d'Espagne notamment, causer à l'assiégeant des
pertes considérables; le défenseur, connaissant le terrain sur
lequel il combat, acquiert une supériorité dont il doit savoir
tirer parti.

Réduit. — Si le corps de place est perdu, mais si la gar-


nison possède encore des ressources, elle peut tenir tête à
son ennemi, en s'installant dans les ouvrages extérieurs
que l'assiégeant n'a pas enlevés. Elle est sans doute alors
dans des conditions précaires, mais elle doit épuiser tous
ses moyens d'action aArant de se rendre.

Capitulation. — « Lorsque le gouverneur juge que le


dernier terme de résistance est arrivé, il consulte le conseil
de défense sur les moyens de prolonger le siège. Le conseil
entendu et la séance levée, le gouverneur prend de lui-
même, en s'inspirant de l'avis le plus énergique, s'il n'est
absolument impraticable, les résolutions que le sentiment de
son devoir et de sa responsabilité lui suggère. Dans tous les
cas, il décide seul et sous sa responsabilité de l'époque et
des termes de la capitulation. Jusque-là, il a le moins de
communications possible avec l'ennemi, il n'en tolère au-
cune; il ne sort jamais de la place pour parlementer, il ne
712 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
confie cette mission qu'à des officiers dont la fermeté, la
présence d'esprit et le déArouement lui sont personnellement
connus. Dans la capitulation, il ne se sépare jamais de ses offi-
ciers et de ses soldats, et il partage leur sort avant comme
après le siège En aucun cas il ne doit rendre la place
avant d'avoir détruit les drapeaux. » (Décret du 4 octobre
1891, art. 196.)

Défense contre les attaques irrégulières. —


L'examen précédent des règles de conduite du défenseur
contre une attaque en règle permet d'indiquer très succinc-
tement ce qu'il convient de faire dans le cas où l'assaillant
a recours à un des modes d'attaque, dits irréguliers, qui ont
été énumérés au chapitre XLI.

Pour éviter une surprise, il y a lieu avant tout d'être Adgi-


lant, d'exécuter constamment des patrouilles et reconnais-
sances, de ne négliger aucun moyen d'information. Si,
cependant, on a laissé surprendre un point, il faut réunir
toutes les forces disponibles pour en chasser l'ennemi et
arrêter ses progrès.
Quand une place à simple enceinte a été surprise, la gar-
nison peut parfois tenter une sortie sur les derrières de l'en-
nemi et réussir ainsi à le mettre en fuite, ou, comme cela
arriva à Berg-op- Zoom en r8i4, à le faire prisonnier dans
la ville même.
Une attaque de vive force peut être tentée à tout moment.
Le défenseur doit être en mesure de la repousser. Lorsque
le feu de l'assiégeant A'ient à s'ouvrir, ou si, au cours d'un
siège régulier, il prend tout à coup une violence inusitée, le
défenseur doit se mettre en garde contre l'attaque qu'il va
supporter.
S'il a pu repérer la position des batteries ennemies, il est
en bonne situation pour les écraser du feu de toutes ses
pièces grâce à l'organisation préparée de son tir. S'il est
surpris par des batteries dérobées jusque-là à ses vues, il
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE 7l3
doit s'efforcer de déterminer leurs emplacements et engager
aussitôt la lutte avec elles. Il pourra arriver qu'il ait le des-
sous dans cette lutte, mais elle lui aura fait connaître au
moins le point sur lequel vont se porter les efforts de l'en-
nemi et il concentrera l'action de toutes ses réserves et de
ses pièces mobiles sur ce point, de manière à y accabler
l'assaillant lorsqu'il se présentera. La lutte se poursuivra
alors dans les conditions indiquées plus haut pour l'assaut.
Le bombardement agit surtoutpar l'effetmoral qu'il exerce
sur la population ; il est donc nécessaire que le gouverneur
reste sourd à toutes les tentatives qui pourront être faites
pour l'amener à traiter avec l'ennemi. Pour limiter les effets
matériels de ce mode d'attaque, il y aura lieu de prendre
des dispositions spéciales dès l'ouverture de l'état de guerre.
Chaque maison sera pourvue d'une provision d'eau et de
sable ; des observatoires judicieusement établis permettront
de signaler les incendies qui se déclareront et un service
d'extinction aura été organisé avec les habitants et la garni-
son pour s'en rendre maître dès le début. Les approvision-
nements de toute nature seront abrités le mieux possible et
répartis en un grand nombre d'emplacements afin d'éviter
qu'ils ne soient détruits tous à la fois.
Dans les maisons particulières, les caves seront renfor-
cées afin de servir d'abris ; dans les rues et sur les places
publiques on établira des refuges contreles éclats de projec-
tiles ; les portes extérieures des maisons seront maintenues
ouvertes.
Parmi les méthodes d'attaque irrégulière, celle du géné-
ral von Sauer, qui a été étudiée chapitre XLVII, est à coup
sûr le plus à redouter. Ce procédé est, on le sait, fondé sur
l'emploi de l'artillerie en grande quantité et sur tous les
points du périmètre à la fois. C'est donc par l'artillerie qu'il
conviendra d'y résister, en donnant au canon du défenseur
la même mobilité qu'à celui de l'attaque, et en le dérobant
aux Aaies de cette dernière. Il faudra chercher à déterminer
les emplacements des batteries adverses et les couvrir du
714 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
l'eu le plus intense. Grâce à sa connaissance des abords de
la place et à l'utilisation du tir plongeant, le défenseur aura
quelques chances d'obtenir en certains points la supériorité
dans cette lutte d'artillerie. S'il a le dessous, il ne devra pas
hésiter à retirer ses pièces les plus exposées, afin d'être en
mesure de les remettre en batterie lorsque l'assiégeant don-
nera l'assaut. Cette opération, on le sait, est précédée d'al-
lernatiAres nombreuses de cessation et de redoublement
d'intensité du feu, de manière à fatiguer la garnison. Pour
éviter que les troupes ne soient perpétuellement en alerte,
il faudra les établir en des points à proximité du terrain de
combat et, autant que possible, abritées du feu, de manière
qu'elles n'aient pas trop à se déplacer d'après les mouve-
ments de l'ennemi et qu'au moment où les colonnes se met-
tant en marche seront signalées par les observatoires, on
soit en mesure de leur opposer aussitôt toute la réserve. Il
est d'ailleurs absolumentindispensable au défenseur de con-
centrer ses forces s'il veut obtenir un succès ; son adversaire
cherche à le menacer de tous les côtés à la fois et s'éparpille;
c'est donc en agissant vigoureusement sur un point du ter-
rain avec le plus grand nombre de troupes el de canons
qu'on aura chance d'obtenir un avantage de quelque impor-
tance.
CHAPITRE XLIX

ATTAQUE ET DÉFENSE D'UN FORT ISOLÉ

Les indications générales qui ont été données dans les


chapitres précédents, pour l'attaque et la défense d'une place
forte, s'appliquent éAridemment à celles d'un fort isolé. Elles
comportent cependant, dans ce cas particulier, certaines
modifications de détail sur lesquelles il convient d'appeler
l'attention, et que, pour cette raison, on a groupées dans le
présent chapitre.

Attaque
L'attaque d'un fort isolé débutera par une sorte d'inves-
tissement exécuté à uue distance relativement assez rappro-
chée, 8 ou 10 kilomètres par exemple, parce que dans ces
limites on trouvera toujours sur le terrain des couverts suffi-
sants pour protéger le mouvement de flanc du corps de
siège, et que l'effectif de la garnison est trop faible pour lui
permettre de tenter en rase campagne une action sérieuse
vouée d'avance à un échec certain.
Pour les mêmes raisons, les traAraux de la ligne d'investis-
sement se borneront à assurer la sécurité des parcs el des
cantonnements principaux, par l'organisation défensiA-c de
quelques localités, ou même par la construction d'ouvrages
peu nombreux sur les points à couvrir.
De même que l'investissement, la lutte d'artillerie sera
écourtée, car il sera généralement facile pour l'assiégeant de
716 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
développer autour de l'ouvrage une ligne de batteries com-
prenant un nombre de bouches à feu de beaucoup supérieur
à celui du fort.
Le tir sera dirigé de manière à détruire les canons de la
défense et à inquiéter la garnison dans ses abris. AlaA'érité,
ceux-ci sont en général construits de manière à présenter
leur façade ou leur côté vulnérable A'ers la partie du terrain
la moins favorable à l'établissement des batteries ; mais il
ne faut pas oublier qu'un tir dirigé contre la gorge d'un
ouvrage ou la façade d'une caserne, alors même que son
effet, matériel est insignifiant, produit toujours un très grand
effet moral sur la garnison.
Il faut observer également qu'en pays de montagne, où
ces forts sont établis le plus souvent, la construction et
surtout l'armement des batteries pourront présenter de très
sérieuses difficultés. Dans le cas particulier dont il est ques-
tion, le matériel de siège devra donc comprendre en plus
forte proportion les cabestans, treuils, chèvres et autres
machines facilitant les manoeuvres de force.
Mais, si l'ouvrage attaqué a reçu tous les perfectionne-
ments que l'ingénieur militaire peut trouver dans les ressour-
ces de l'industrie moderne; si son armement, son per-
sonnel, ses approvisionnements sont protégés par des abris
bétonnés ou des cuirassements à l'épreuAre des projectiles
les plus puissants, on n'en obtiendra pas la reddition par
l'effet d'un simple bombardement. Une attaque de Arive
force trouvera sans doute intacts les moyens d'action de la
garnison et aura bien des chances d'être repoussée. En
conséquence, devant un tel ouvrage, bien défendu, force est
de recourir à l'attaque régulière, de mettre en ligne les
bouches à feu de siège des plus gros calibres pour détruire
les organes du fort, et d'employer les travaux d'approche
pour s'en emparer.
Cependant, dès l'ouverture des travaux d'approche, et
dans le cours de la durée du siège, toutes les fois que les
circonstances atmosphériques seront favorables, on profi-
ATTAQUE ET DÉFENSE D UN FORT ISOLÉ 717
tera des moindres défauts de A'igilance de la garnison pour
tenter des actions de vive force ou des surprises dont,
comme cela a été expliqué dans le chapitre XLI {pages 5gy
et suiv.), l'assaillant peut retirer, en pareil cas, d'impor-
tants avantages.
En appliquant au cas du fort isolé le procédé employé
{page 6ig) pour l'évaluation de l'effectif nécessaire à l'inves-
tissement d'une grande place, on reconnaît qu'un corps de
3 000 à 4 000 hommes sera généralement suffisant, pour
mener à bien l'entreprise.

Défense

Pour qu'un fort isolé puisse utiliser jusqu'au bout les res-
sources de la fortification, il faut que ses approAdsionne-
ments soient considérables, puisque le défenseur n'a aucune
espérance de les renouA'eler. Oii peut donc poser en prin-
cipe que les magasins du fort devront contenir au moins
six mois de Arivres et des munitions en proportion.
La garnison devra être, en général, réduite au strict
minimum, pour la même raison. Elle aura détruit, en temps
opportun, les principaux ouvrages d'art existant sur les
routes ou voies ferrées que l'assaillant peut utiliser pour
amener son matériel. Elle aura dû repérer, dès le temps de
paix, les distances des points principaux à battre et, dès
que ses éclaireursj envoyés au loin, signaleront l'arrivée de
l'ennemi, elle ouvrira le feu de ses batteries, qui constitue
son principal et, pour ainsi dire, son seul mode d'action sur
l'assiégeant, puisqu'elle est trop faible pour agir en rase
campagne.
Pendant toute la durée du siège, les troupes occupant un
fort isolé devront montrer une vigilance excessive et ne
reculer devant aucune fatigue pour éviter les surprises. La
garnison ne peut ici espérer aucun secours, ni de l'intérieur,
ni d'une position en arrière analogue au noyau central des
7 18 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
grandes places. Elle trouve toutes ses ressources en elle-
même, et, par suite, si une action de vive force ou une sur-
prise venaient à donner à l'assaillant un pied dans l'ouvrage,
elle se trouverait en présence de troupes plus nombreuses,
encouragées par un premier succès, et ne serait presque
jamais capable de refouler son adArersaire.
D'ailleurs, cette surveillance de tous les instants est ici
d'autant plus indispensable que les nécessités du défilement
ont imposé à la fortification moderne l'obligation de réduire
assez sensiblement les dimensions de l'obstacle. Les fossés
actuels, dont la largeur dépasse rarement 12 à i5 mètres,
sont aisément franchissables, surtout si l'on emploie des
ponts volants très légers et d'un lancement facile, tels que
ceux qui ont été mis à l'étude dans ces dernières années chez
les diverses puissances.
A l'aide de pareils engins, on peut établir aujourd'hui en
quelques minutes, sur un obstacle aussi faible, une passe-
relle permettant à une troupe nombreuse de pénétrer à l'in-
térieur de l'ouvrage. On ne saurait, par conséquent, prendre
trop de précautions pour empêcher l'ennemi de les appro-
cher de la fortification.
Une vigilance constante est donc plus que jamais indis-
pensable, et pour l'obtenir, on dcArra non seulement multi-
plier sur les parties élevées des remparts les observateurs
attentifs et consciencieux, mais encore garnir le terrain
extérieur de nombreuses patrouilles et de sentinelles sans
cesse tenues en alerte, pour signaler et déjouer les tentati-
ves de cette espèce entreprises par l'assaillant.
Afin de faciliter cette besogne, les défenses accessoires
déjà connues (abalis, fil de fer, etc.) seront employées avec
grande efficacité, et il sera prudent, dès le temps de paix,
d'en entreprendre là construction autour des ouvrages de
la frontière placés en première ligne.
Le défenseur d'un fort isolé peut difficilement chercher à
étendre au loin son action par l'occupation de positions
avancées. Il exposerait trop les fractions de la garnison et a-
ATTAQUE ET DEFENSE D UN FORT ISOLE 719
blies sur ces points à voir leurs communications coupées, et
Je moral des hommes qui les composeraient se ressentirait
forcément de cet étal d'inquiétude. 11 devra cependant toutes
les fois que les circonstances s'y prêteront occuper des posi-
tions extérieures à proximité immédiate de l'ouvrage, de
manière à soustraire les hommes au séjour si pénible dans
les locaux casemates. Les sorties et les opérations exté-
rieures auront nécessairement une portée moindre que dans
une grande place, mais elles devront être faites toutes les
fois que l'occasion se présentera, afin de tenir la garnison
en haleine.
L'artillerie de l'ouvrage pourra rarement être mise au
dehors à cause de la difficulté qu'on éprouvera à la déplacer
avec les faibles moyens de transport dont on dispose ; il sera
donc indispensable qu'elle soit abritée le plus efficacement,
possible à l'aide des cuirassements. Si ceux-ci sont bons
el si les abris sont solides, le fort isolé offrira à l'assiégeant
un obstacle très sérieux et pourra longtemps déjouer ses
efforts.
L'assaillant, en effet, peut recourir à trois procédés pour
chercher à s'emparer du fort :
Le bombardement;
L'attaque de vive force ;
L'attaque régulière.
S'il est audacieux, il cherchera tout d'abord à enlever
l'ouvrage de vive force, après un bombardement violent par
une nombreuse artillerie de campagne ou lourde d'armée.
Pendant ce bombardement, le défenseur se terrera; il ne
dépensera pas ses munitions dans une lutte éloignée iné-
gale : il se préoccupera seulement d'interdire les Afoies de
communication par les bouches à feu affectées à ce service.
Ainsi, il ne souffrira pas trop du bombardement et, le mo-
ment de l'assaut arrivé, il se précipitera sur le parapet pour
arrêter l'assaillant, par ses fusils, ses mitrailleuses, ses
canons et ses grenades à main.
L'assaillant repoussé pourra alors (il l'aurait pu avant
720 0e PARTIE ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES

son échec) tenter la destruction des organes du fort par un


bombardement de bouches à feu de gros calibre. Il y réus-
sira peut-être, mais c'est là une opération de siège qui
exige beaucoup de matériel, de munitions et de temps, qui
transforme le fort en ouvrage d'infanterie sans action loin-
taine, mais ne dispense pas de lui donner l'assaut. L'assaut
réussirait-il que le fort a gagné du temps : il a par, suite,
rempli son rôle.
Si l'assaut échoue, il reste l'attaque régulière, pied à
pied, par la sape et la mine ; opération longue, surtout en
pays montagneux ; le temps nécessaire pour la mener à
bien justifie l'existence du fort isolé.
Quoi qu'il en soit, la défense d'un semblable ouvrage
exige de la part de celui qui en est chargé une grande téna-
cité et une volonté énergique. Pareille mission peut incom-
ber à des officiers d'un grade peu élevé ; ils trouAreront en
eux-mêmes la force nécessaire pour l'accomplir s'ils médi-
tent cette parole si profondément Arraie du chevalier Folard :
« La gloire qu'on acquiert clans la
défense d'un méchant
poste est comparable à celle des plus belles résistances
d'une grande place forte et des plus importantes d'un
État. »
CHAPITRE L

PORT-ARTHUR

Au cours des chapitres précédents, on a étudié théorique-


ment les procédés d'attaque et de défense des places, mais
on n'a pu donner, à l'appui des principes exposés, que de
rares faits de guerre de l'époque contemporaine. Celle-ci
offre cependant l'exemple d'un des sièges les plus fameux
qui aient été entrepris depuis de longues années, celui de
Port-Arthur, mais on n'en possède encore que des relations
incomplètes d'où il serait imprudent de tirer des conclu-
sions absolues. La lumière commence cependant à se faire
sur ces événements, grâce à la publication de quelques
rapports d'acteurs ou de spectateurs du drame; on a cité
déjà celui du lieutenant-colonel Schwarz, de l'armée russe,
qu'a analysé la Revue du Génie. Une remarquable étude
de M. le colonel Clément de Grandprey (aujourd'hui gé-
néral) les résume avec netteté; c'est à ce livre (') qu'ont été
empruntés la plupart des renseignements ci-contenus. En
comparant l'opération de siège la plus récente aux indica-
tions puisées clans les règlements, on pourra se rendre
compte du sens dans lequel ceux-ci pourront être orientés
dans l'aArenir.
La description de la place de Port-Arthur, et notamment,
du front de mer, fournira, en outre, une application des

(') Le Siège de l'orl-Arlhar. Paris, 1907. Berger-Levrautt, el Cic.


MANUEL DE F01U1FICATION 4G
Planche Y

721 bis
Presqu'île du Kouantong
72 2 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
principes émis au chapitre XXXIX sur l'organisation dey
places maritimes.

Description de la place. — Port-Arthur, bourgade


chinoise de 10 ooo âmes, possède un bon port libre de glace,
fort bien situé à l'entrée du Petchili. LaAdlle fut transformée,
vers 1888, en port militaire par les Chinois, sous la direction
d'ingénieurs ciArils français {Voir planche Y, page J21 bis).
En 1894, mal fortifiée, inachevée et mollement défendue,
elle ne résista que six heures au maréchal Oyama. En 1898,
la Russie se fit céder ce port par la Chine et entreprit,
immédiatement de le fortifier; en même temps elle y en-
voyait son escadre d'Extrême-Orient.
Port-Arthur est construit sur la rive d'une baie très éten-
due et très bien protégée du côté de la mer par la presqu'île
du Tigre dont l'altitude atteint i5o mètres; celte baie ne
communique avec la mer que par un chenal long de 900
mètres, large de 4oo, dont 80 utilisables, et profond seule-
ment de 6 mètres à marée basse.
Les navires ne peuvent entrer ou sortir qu'un à la fois et,
avec l'aide de remorqueurs. Toute la rade intérieure est,
inaccessible aux gros navires. Les deux tiers du bassin occi-
dental découATent à marée basse et les Russes n'avaient pu
établir qu'une station de torpilleurs sur la côte nord de la
presqu'île du Tigre. Le port militaire se réduit à un bassin
oriental peu vaste (525 mètres sur 310), profond de 9 mètres,
bordé de quais, de docks et d'ateliers.
La rade extérieure, profonde d'au moins 11 mètres, est
accessible en tous les points aux plus gros navires. La baie
du Taho, la baie du Pigeon et la baie Louise sont les points
les plus favorables aux débarquements.
Le projet de défense établi par les Russes comportait
l'organisation du front de mer, la création d'une ligne prin-
cipale de défense sur le front de terre et celle d'une enccini1-
pour le noyau central {Revue du Génie, octobre 1907).
Le front de mer comprenait 25 batteries armées de il 0
PORT-ARTHUR 723
canons, réparties en trois groupes sur la presqu'île du Tigre,
la Montagne d'Or et les collines de la Croix. Les unes, ainsi
qu'on peut s'en rendre compte par le seul examen de la
carte {planche Z, page j25 bis) empruntée à l'ouArrage du
colonel ScliAvarz, sont des batteries basses destinées à agir
sur les plages de débarquement (Ratterie n° i), ou sur la
passe (Ratteries de la Queue du Tigre, n° 12), ou enfin à
flanquer les batteries hautes (Ratteries i4 et i5). Les autres
batteries hautes dirigent leur action sur la mer ou l'intérieur
de la rade, ou appuient celles du front de terre.
Le groupe de la presqu'île du Tigre (11 batteries) battait
la rade extérieure; quelques batteries, dont les pièces étaient
montées sur affûts à châssis circulaire, pouvaient agir aussi
sur la baie du Pigeon.
Le groupe de la Montagne d'Or (7 batteries) opérait sur
la haute mer, dans l'angle mort en aArant de la presqu'île du
Tigre et, par quelques canons de 57""° à tir rapide, sur les
torpilleurs s'approchant de l'entrée du port.
Le groupe de la colline de la Croix (6 batteries) tirait sur
la haute mer et dans la baie du Taho.
Dans chaque groupe, des pièces sur affûts circulaires
pouAraient intervenir sur le front de terre.
La batterie électrique abritait une usine qui alimentait
quatre projecteurs.
Il semble qu'au début de la guerre les Russes n'aient
mis en place aucune torpille fixe, mais ils en avaient-préA'u
l'emploi et en firent dans la suite un grand usage.
La flotte russe de Port-Arthur comprenait au début de la
guerre : 6 cuirassés, 4 croiseurs de premier rang, 2 croi-
seurs de deuxième rang, 4 canonnières, 2 croiseurs-torpil-
leurs, 2 poseurs de torpilles, 18 contre-torpilleurs et un
grand nombre de torpilleurs.

Opérations, —Les hostilités commencèrent, sans décla-


ration de guerre, dans la nuit du 8 au 9 février 1904, par la
surprise de la flotte russe dans la rade extérieure. Les dix
724 3e PARTIE ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
destroyers japonais qui l'attaquèrent réussirent à lui avarier
trois grosses unités. Le lendemain, un croiseur et une
canonnière, attaqués dans le port de Tchemulpo, se firent
couler ou sauter. Ces pertes mirent la flotte russe en état
manifeste d'infériorité.
Dans la suite, la Hotte japonaise se montra fréquemment
devant Port-Arthur et chercha tantôt à bombarder les batte-
ries, l'arsenal et la ville; tantôt à obstruer le chenal et à
enfermer la flotte russe dans le port. En d'autres circons-
tances, elle s'efforça d'attirer la flotte russe au large pour
la battre ou l'entraîner sur des torpilles fixes.
Les bombardements furent sans efficacité. L'amiral Togo,
qui ne voulait pas risquer ses cuirassés dans une lutte avec
les batteries de côte, tirait aux distances de 10 à 14 kilo-
mètres. Le 10 mars, 200 projectiles de 3o5mm ne causèrent
que trois morts chez les Russes. Le 21 mars, 200 projectiles
tirés sur la ville causent cinq morts. Il semble d'ailleurs
que les bâtiments japonais n'aient jias beaucoup plus
souffert du feu des batteries.
Par trois fois (25 février, 25 mars, 3 mai), les Japonais
tentèrent d' « embouteiller » la flotte russe par l'échouage de
vieux vapeurs à l'entrée du chenal. Malgré tout l'héroïsme
déployé et la perte dé 17 bateaux, ils ne parvinrent qu'à
obtenir une obstruction partielle et de courte durée, à leur
troisièmetentative.
Pour défendre le chenal, les Russes y avaient installé de
nouvelles batteries à tir rapide et des projecteurs. Ils y cons-
truisirent ensuite une estacade en arrière de laquelle ils
placèrent trois canonnières.
Les Russes avaient mouillé des torpilles vigilantes, sur
plusieurs lignes, à 3 ou 4 kilomètres du chenal. Les
Japonais en mouillèrent de nuit à l'entrée du chenal ou sur
le trajet habituel des vaisseaux russes. Trois bâtiments russes
et un japonais furent coulés.
C'est donc la torpille qui, dans cette lutte, a porté les
coups'décisifs. La canon, en raison de la grande distance à
PORT-ARTHUR 725
laquelle se tenaient les Japonais, n'a causé que des pertes
insignifiantes. Toutefois, les batteries de côte ont rempli
leur rôle puisqu'elles ont réussi à tenir en respect les navires
ennemis, à les maintenir au loin, et qu'en outre elles ont
puissamment contribué à faire échouer les tentatives d'ob-
struction du chenal.

Front de terre. — Le front de terre, encore inachevé,


était moins bien défendu que le front de mer ( Voirplanche Z,
page j25 bis).
On travaillait, à quatre grands forts et à quatre batte-
ries permanentes. Certains étaient très avancés, mais aucun
n'avait reçu son armement complet; les ouvrages occupaient
généralement l'emplacement des anciennes redoutes chi-
noises. Une enceinte en maçonnerie, inachevée, devait en-
tourer la vieille ville et l'arsenal.
Les Russes profitèrent du long répit qui leur fut laissé
entre le début des hostilités (8 février) et la rupture de la
voie ferrée (6 mai) puis l'investissement de la place (i 5 août).
Ils terminèrent les ouvrages permanents entrepris, construi-
sirent de nombreux ouArrages semi-permanents, des batte-
ries, des tranchées, des défenses accessoires. La garnison
fut considérablement renforcée. Pendant trois mois, le trans-
sibérien ne cessa d'amener des hommes, des vivres et des
munitions.
Au mois d'août, le front de terre avait un développementde
22 kilomètres, le front de mer, de g kilomètres. La garnison
s'élevait à 45 ooo hommes. La place disposait d'environ
4oo canons, et 46o en y comprenant ceux de la réserve
mobile. Dans ce nombre on comptait environ 120 canons ou
mortiers de i5cm ou d'un calibre supérieur.
Les approvisionnements de toute nature (vivres, muni-
tions, matériel divers) étaient en quantités suffisantes.
Le front de terre formait trois secteurs dans lesquels les
ouvrages étaient répartis, ainsi qu'on pourra s'en rendre
compte par la liste suivante.
726 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES

1° SECTEUR EST

.-.,,.„.
Redoute du Taho
. . (
( Ouvrage
,a
nent.
semi-perma-
'
i Garnison : 1 compa-
4 canons de 5-.
4 canons de 57mm.
3mitrailleuses.
Gaponnière n° 1
Batterie permanente . Canons légers.
. . .
( Ouvrage semi-perma-
Ouvrage
_ n° 1 i ,°
. . . .
Batterie A Batterie permanente . 6 canons de i5cm.
( Garnison : 1 compa-
Ouvraqe n° 2 (Kinké- ) ] gnie.
Ouvraqe
_ bétonne
, ,, ,
1 i\
chan-nord)
. . . .
) - . . \j 4,
canons ,.
légers.
2 canons de 57mm.
(
Batterie B (Kikouan- )
...
„Batterie
. permanente
,
.
4 canons de -
, iocm.

( Ouvrage semi-perma-
Kobou
T, ,
( nent. )
2 canons.
1

0v (lunette Kouro- ( Ouvrage semi-perma-


l
)
,.
4, mortiers de r
, 15e™.
,, \
patkme) • (
?
nent . ) ^

2° SECTEUR NORD
Garnison : 1 compa- /
canons
Fort II {Kikouan- j ^bétonné
nora> (
4 légers.
4 canons de 8™' 5.
\ 2 mitrailleuses.
....
( Batterie semi-perma- / 4 canons do campa-
_ ., n° 2 (P)
Caponmere ._,
v J . nente
' '
1 , ) {gne.
Redoute n° 1 (Pan- ( Ouvrage semi-perma-
long-est) ( nent.
Redoute n° 2 (Pan- j Ouvrage semi-perma-
long-ouest) . ( nent.
. . .
Gaponnière n° 3 (Hat- ( Ouvrage semi-perma- j 2 canons de campa-
.
chimaki) ( nent ! gnc. .......
! Garnison : 1 compa-
gnie.
4 canons de i5<™.
3 canons légers.
8 canons de 37mm.
2 mitrailleuses.
PORT-ARTHUR 727
i Garnison : 1 compa-
gnie.
2 canons de i5cm.
5 canons légers.
2 mitrailleuses.
_
batterie semi-perma-
.
(4 canons de 10e™ 7.
Batterie
T> ir
.. • Kourgane.
.
j\ ' )
4, canons de
< .„-
, 7«ma.
1.4 mortiers de 1 ocm.

3° SECTEUR OUEST

n J » du
Redoute J Cimetière.
/-•
f Ouvrage semi-perma- )
»•< ,a l 6„ canons de
, 7e'" o.

I Garnison : 1 compa-
nr/ri
ra J IV
Fort (Itsouchan)s ( ^ort bétonné avec bat- ! ^
4, canons ,.
légers.
v
7
' . 1
! tenes
. •
annexes. . .
<
\j 4,
canons
,d 7e„„,-
de 1115.
I 2 mitrailleuses.
Batterie V Batterie permanente 4 canons de i5cm.
.
Batterie G Batterie permanente 4 canons de i5cm.
.
[ Garnison : 1 compa-
Ouvraqe n° A (Grand i 1 3mQ"
Antséchan) S
Ouvrage
_ bétonne
, , , <
4. canons de ,5«-».
J . . ' . .
J 8canons légers.
[
2mitrailleuses.
[ Garnison : 1 compa-
I
gnic.
\ 2 canons de i5cm.
ir (Tayancrkou) „
(, Ouvraqe semi-perma-
.
Port
17 1 V /m
v
1
J •> '
N
. ! nent. ' J
< 2 canons de i i'mb.
' „,„r
/) 5_ canons ,,légers.
[ 2 mitrailleuses.
2 Baranovsk?
(

f 4 canons de i5cm.
n ,, • D
batterie T\ Batterie
r> .. permanente i l
. ( 2 canons ,,

1 légers.
/ Garnison : 1 compa-
1 gnic.
Ouvrage 7i°5(Yahul- i ) A
canons do iocn'7.
„_,-s Ouvrage bétonne , <
s>oui_) ) J . •. 14, canons ,.légers.
f 4 Baranovsk ?
\ 2 mitrailleuses.
/ Retranchements cons- f Garnison : 1 compa-
p . vf ! traits à femplace- j gnie.
'••••• - ' ' j ment prévu pour le I 4 canons de iocnl7.
1 fort. ' 4 canons légers.
728 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
Sur tout le développement de la position principale, les
Russes aA'aient construit, en outre des ouvrages ci-dessus
énumérés, de nombreuses tranchées, soit dans les intervalles,
soit en avant des ouvrages et des batteries. Ils avaient fait
un large emploi des défenses accessoires et notamment des
réseaux de fils de fer.
Dans les secteurs est et nord, le mur chinois formait
retranchement continu à peu de distance en arrière de la
ligne des points d'appui. Ce mur était un remblai de 2 à
4 mètres de relief et de 4 à 6 mètres d'épaisseur. Les Russes
y avaient créé des gradins, des abris el des traArerses, et ins-
tallé quelques canons.
Plus en arrière avaient été construits d'autres batteries,
d'autres retranchements, notamment sur la Grande Monta-
gne et sur les hauteurs de Wangtaï.
Dans le secteur ouest, le mur chinois ne reliait que la
batterie G à l'ouArrage n° 4, mais les Russes' avaient cons-
truit plusieurs lignes de retranchements et la redoute nG 3
qui formait soutien en arrière du fort V.
Les forts étaient d'un type démodé, avec parapet bas
pour l'infanterie el cavalier pour la grosse artillerie tirant à
ciel ouvert. Ils ne comportaient pas de cuirassements. Les
fossés, creusés souvent dans le roc, étaient bien battus par
des coffres de contrescarpe. Les abris en béton n'avaient
que l'épaisseur nécessaire pour résister aux pièces de i5cni,
le plus gros calibre que comportaient les parcs de siège
japonais avant que fussent amenés les obusiers de côte de
28cm.
Malgré cette imperfection, le secteur est, formait un
ensemble très solide : dans la partie comprise entre Ki-
kouan-est et Ehrlong-ouest, la plus exposée aux attaques
japonaises, les ouvrages étaient très rapprochés les uns des
autres. Sur ce front de 3 5oo mètres se trouvaient en effet
trois forts, un ouvrage bétonné et six ouvrages semi-perma-
nents. La nature du terrain, montueux et coupé de Avalions
aux pentes raides, justifiait cette abondance d'ouvrages par
PORT-ARTHUR 729
la nécessité d'assurer leur flanquement réciproque en rédui-
sant les intervalles qui les séparaient. Ce secteur aurait été
plus solide encore si les Russes avaient organisé solidement
les hauteurs de Siaokouchan et de Takouchan qui flanquent
la ligne et dont la possession est indispensable à l'ennemi
pour l'attaquer.
Dans le secteur ouest, les forts permanents n'étaient qu'à
2 kilomètres de la ville, et les hauteurs (colline 2o3, etc.)
qui dominent les forts, la ville et le port n'avaient pas reçu
d'ouATages permanents.
C'était là le point faible du front de terre.

Enceinte centrale. — En arrière des secteurs est et


nord de la position principale, une enceinte continue entou-
rait la vieille ville et l'arsenal. Elle se composait de quatre
redoutes reliées par un retranchement continu de fort
profil: parapet de 6 mètres d'épaisseur; fossé de 8 mètres
de large et de 4 mètres de profondeur.

Positions avancées
Profitant du répit que leur laissaient les Japonais, les
Russes se décidèrent tardivement à organiser quelques
positions avancées.

En avant du secteur est, on construisit sur le Takouchan


une batterie pour trois canons de campagne que Pon entoura
d'une ligne de retranchements avec réseau de fils de fer. Un
chemin de communication relia cet ensemble à la position
principale.
Le Siaokouchan ne reçut que des tranchées pour l'infan-
terie.

En avant du secteur nord, on aménagea, en travers de la


vallée de Lounho, la position de la Conduite d'eau, formée
73o 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
de la redoute du Rocher, de la redoute de l'Aqueduc et des
redoutes du Temple, reliées par un retranchement continu
précédé d'un réseau de fils de fer.
En avant du secteur ouest on occupa la Montagne Vyso-
kaïa (colline 2o3), la Montagne Plate, la Montagne Longue,
la Montagne Ouglovaïa, la Montagne de la Division.

Opérations extérieures
La première armée japonaise (général Kuroki) a battu le
ier mai les Russes sur le Yalou. La deuxième armée (général
Okou), débarque le 5 mai dans la baie de Yentaï, utilisant
les îles Elliot comme base d'opérations {Voir planche Y,
page j2i bis).
A ce moment, Stackelberg Arenait avec une armée russe
au secours de Port-Arthur, et Stoessel, gouverneur de la
place, s'avançait à sa rencontre.
Okou, manoeuvrant en lignes intérieures, se porta d'abord
contre Stoessel, lui enleva les hauteurs de Nanchan, puis se
retourna contre Stackelberg et le battit à Wafangkou.
Bataille de Nanchan. — L'isthme de Kintchéou ou
de Nanchan, large seulement de 4 kilomètres, est à 45 kilo-
mètres de Port-Arthur. Il est fermé par la ville murée de
Kintchéou et les hauteurs de Nanchan dont l'altitude
atteint go mètres.
Les Russes, pendant des mois, avaient entassé sur cette
position de première importance les ressources de la fortifi-
cation passagère.
Leur description a été donnée ci-dessus(chap. XI, p. 174).
Stoessel disposait de 10 000 hommes pour défendre ce défilé.
Okou tâta la position pendant quatre jours, la bombarda
le 25 mai, enleva Kintchéou dans la nuit suivante et, le 26,
attaqua la position avec trois divisions, 'environ 5o 000
hommes.
PORT-ARTHUR 731
Après un combat acharné, après neuf assauts furieux
poussés jusqu'au corps à corps, les Japonais réussirent à
déborder la gauche russe par des unités qui entrèrent dans
la mer, et un assaut général enleAra la position. Les Russes
perdirent 68 canons.
« A Nanchan, les Japonais donnèrent la preuve que,
malgré tous les perfectionnements des armes à feu, les atta-
ques de front sont encore possibles et que la AroIonté. de
vaincre, traduite par une offensive résolue, reste le plus sûr
moyen de remporter la Arictoire ('). »
La fortification a été insuffisante, dans cette circonstance,
pour arrêter l'élan japonais, parce que les Russes ne dispo-
saient pas d'assez de troupes pour la défendre. Si, aArec ces
mêmes effectifs, ils avaient pu s'appuyer à un fort d'arrêt
permanent, il est probable que le résultat eût été tout autre.
Les Japonais se seraient trouvés dans l'alternative, ou de
s'emparer de cet ouATage, opération longue et difficile, ou
de choisir un point de débarquement au delà du fort, ce qui
aurait exposé leur ligne d'opérations à une menace constante.
Après Nanchan, les Russes se retirèrent sur une nouvelle
position, éloignée de 25 kilomètres de la place, ayant un
front de 20 kilomètres et dont la hauteur dominante de
Kenzan marquait le centre.
Okou se porta vers le nord contre Stackelberg, tandis que
le général Nogi, suiArant les Russes aAr.ec deux diA'isions,
noyau de la troisième armée, s'installa entre la position
russe et Dalny et resta immobile pendant un mois.
Le 26 juin, il fit enlever la hauteur de Kenzan; Stoessel
voulut la reprendre, échoua trois fois, puis se retira sur une
position analogue, à quelques kilomètres en arrière, où il se
fortifia de notweau.
Nogi marqua un temps d'arrêt d'un mois au cours duquel
il reçut des renforts qui portèrent ses forces à 70 000
liommes.

(') CLÉMENT DE GRANDPREY : Le Siège de Port-Arthnv.


732 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
.

Le 26 juillet, sa concentration achevée, il attaqua avec


trois divisions la position russe, défendue par une grande
partie de la garnison de Port-Arthur, et s'en empara après
trois jours de violents combats.
Les Russes occupèrent alors une troisième position, mais
les Japonais ne leur donnèrent pas cette fois le temps de s'y
fortifier et enlevèrent, le 2g juillet, la Montagne du Loup
qui en marquait le centre.
Les Russes se retirèrent alors sur la position principale
de défense de la place, laissant seulement quelques batail-
lons sur des hauteurs avancées aux ailes de leur ligue.
Du 6 au g août, Takouchan et Siaokouchan furent enle-
vés par une division japonaise.
Du 12 au i5 août, les Japonais s'emparèrent clés hauteurs
à l'ouest, qui séparent la baie Louise de la baie du Pigeon,
et, le i5 août, l'investissement était complet.

Observations. — Les opérations extérieures du géné-


ral Stoessel donnent lieu aux observations suivantes :
L'intervalle de trois mois qui s'est écoulé entre le débar-
quement des premières troupes de siège (5 mai) et l'in-
vestissement de la place (i5 août) est dû aux. résistances
successives que les Japonais ont eu à surmonter. Dans ces
attaques de positions fortifiées, ils ont perdu beaucoup
plus de monde que les Russes.
Par contre, il semble que Stoessel ait commis deux fautes :
En occupant trop faiblement l'isthme de Nanchan, il a
perdu en deux jours cette porte du Kouantung où il pou-
vait, espérer retenir longtemps son adversaire.
D'autre part, en se maintenant sur les première el deu-
xième positions, trop étendues et trop éloignées de la place,
il a compromis la résistance qu'il aurait dû faire sûr les
« positions avancées » de la défense, où
l'artillerie de l'as-
saillant devait chercher ses emplacements. Les Russes ont,
évacué sans combattre la Montagne du Loup qui est à 5 kilo-
mètres de la position principale. Ils eussent pu l'organiser
PORT-ARTHUR 733
et la défendre, avec l'appui de la grosse artillerie des forts,
sans crainte d'être coupés de la place. s
On ne doit pas conclure de la chute rapide de la Monta-
gne du Loup et de Takouchan à l'inefficacité des positions
avancées, mais bien à la nécessité de les organiser solide-
ment. Si, au lieu d'y travailler peu de jours avant l'investis-
sement, on avait organisé Takouchan comme la colline 2o3,
cette position aurait retardé considérablement la marche
des Japonais deArant le front nord-est.
On peut, avec le grand Etat-major allemand, remarquer
que les Russes auraient eu plus d'avantage à prendre une
attitude active entre Nanchan et la défense des positions
aArancées de la place, plutôt que d'occuper une série de
positions hors de la portée de l'artillerie de cette dernière.

Opérations du siège
Attaque brusquée. — Nogi organisa une attaque
brusquée à la Sauer sur tout le front avec trois divisions.
L'attaque principale devait avoir lieu sur le front nord-est ; la
ge division en était chargée ; après la prise de quelques
ouvrages elle deArait être poussée vers l'intérieur de la
place.
Le ig août, cette unité ne put que s'approcher des
ouvrages. Dans la nuit, trois assauts échouèrent devant.
les fils de fer des redoutes Panlong. Le 20, le bombar-
dement continua. Le 21 au matin, eut lieu un quatrième
assaut et, dans la nuit, un cinquième : ils échouèrent l'un
et l'autre.
Mais le 22, la division, renforcée par une brigade de
réserve, réussit à enleArer les deux Panlong aux Russes qui
se retirèrent derrière le mur chinois. L'intérieur des Panlong
était coupé de tranchées aboutissant à un réduit. On s'y
battit sept heures.
Dans la nuit suivante, Nogi tenta avec quatre brigades de
734 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
prendre le fort de Kikouan-nord par la gorge et les hauteurs
de Wangtaï, en arrière du mur chinois.
Les Japonais vinrent se heurter au mur chinois. Quelques
unités réussirent à le franchir en un point où sa hauteur,
réduite, s'élevait seulement de im3o à 2m5o. Partout ailleurs,
cet obstacle rompit l'élan des Japonais qui furent ensuite
arrêtés, deArant Kikouan-nord et devant Wangtaï, par les
nombreux projecteurs et les mitrailleuses russes.
Les Japonais, à bout de forces, ne voulurent cependant
pas reculer. Ils se retranchèrent sur place, y passèrent la
journée du 24 et ce n'est que dans la nuit suivante qu'un
ordre de Nogi obligea leurs débris à reArenir en deçà du mur
chinois.
Toutes les attaques de jour avaient été appuyées par un
bombardement continuel qui obligeait les défenseurs à se
terrer. Chaque fort reçut de 1 000 à 2 000 projectiles par
jour. Comme ces ouvrages n'avaient pas d'observatoires
cuirassés, il était presque impossible au défenseur de sur-
veiller les mouvements de l'assiégeant. Celui-ci n'aborda
pas les ouATages russes en colonnes profondes, ni en ligne
déployée, ni même en tirailleurs, mais par petits détache-
ments de 10 à 20 hommes, soutenus en arrière par des
unités plus importantes.
Après une lutte de six jours qui leur avait coûté i5 000
hommes, les Japonais ne purent se maintenir que sur les
deux Panlong, où d'ailleurs les canons de Wangtaï leur
causaient de grandes pertes, et dans le secteur ouest, sur
les collines I3I, 174, 180. L'attaque brusquée, malgré la
furie japonaise, n'avait pas donné les résultats espérés.
Cependant la situation fut un moment très critique pour
les Russes ; on peut s'en rendre compte en lisant les mes-
sages adressés au gouverneur par le général Gorbatovski,
commandant une brigade sur le front nord-est :
« Les redoutes sont bombardées et détruites, les canons
sont hors d'usage...; les rangs s'éclaircissent avec une
rapidité effrayante...; j'ai utilisé les dernières réserves...;
PORT-ARTHUR 735
Kikouan-nord n'est défendu que par 4o hommes...; il est
impossible de résister au plus petit assaut... (:) »
L'attaque échoua parce qu'elle se heurta à des défenses
échelonnées en profondeur : Panlong, mur chinois, Wang-
taï, positions défendues--avec; ténacité par les Russes qui
disposaient de nombreuses mitrailleuses et de projecteurs.
La valeur défensive du mur chinois fut une surprise pour
les Russes qui avaient tout d'abord négligé cet ouvrage
au point d'en extraire les terres nécessaires à d'autres
retranchements. Lorsqu'ils se fendirent compte du parti
qu'ils en pouvaient tirer, ils y organisèrent des abris et
des traArersès.

Attaque régulière. — Après l'échec des tentatives de


vive force, le général Nogi se décida à subir les lenteurs d'un
siège régulier.
Il choisit comme front d'attaque principal la partie-nord-
est, sans aucun doute la plus solide de la place.
Mais il avait déjà pris possession de deux ouvrages semi-
permanents de la ligne et il avait été bien près d'enlever
Wangtaï qui domine la ville et le port. D'autre part, ce sec-
teur est le plus rapproché de la voie ferrée.
Les positions conquises furent reliées avec l'arrière par des
tranchées défilées. Des sapes furent poussées : d'une part
vers Kikouan-est, Kikouan-nord, Ehrlong-est et Ehrlong-
ouest ; d'autre part, vers la colline 2o3 devant laquelle se
développe un front d'attaque secondaire.
Le parc de siège japonais ne comportait au début qu'une
centaine de pièces, mais il fut progressivement renforcé; il
en comptait 200 le 20 septembre et 35o à la fin de novembre.
Il faut y ajouter environ 180 canons de campagne .et de
montagne.
Le parc fut établi près de la voie ferrée, au nord de la
Montagne du Loup où s'éleva une véritable ville comprenant,

(^lïevue du Génie, décembre 1907.


736 3° PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES

outre le parc, les baraquements des troupes, les hôpitaux,


les ateliers.
Les premières batteries furent établies sur la Montagne du
Loup et les hauteurs de Takouchan. Comme elles étaient
défilées, elles prirent rapidement le dessus de l'artillerie de
la défense qui était à découvert dans les ouATages.
Il fut construit 5o kilomètres de voie étroite pour relier
le parc aux batteries.

Deuxième attaque générale. — Dans la nuit du 2


au 3 septembre, les Japonais voulurent enlever par surprise
la colline 2o3, mais échouèrent devant un défenseur attentif
qui fit jouer des fougasses.
Le 19 septembre, Nogi se décida à tenter une nouvelle
attaque générale sur la redoute Kouropatkine, les redoutes
du Temple, la crête Namaoka et la colline 2o3, dont les
parallèles japonaises n'étaient éloignées que de 5o à i5o
mètres.
Après deux jours de combat, les Japonais étaient maîtres
des trois premiers points. Ils continuèrent une lutte acharnée
contre 2o3 et dans la nuit du 22 au 23 réussirent à y prendre
pied. Mais, le lendemain, des réserves russes les en chas-
sèrent.
Ces quatre journées avaient coûté 7 000 hommes aux
assaillants.
Sur le front est, les Japonais n'avaient fait qu'un combat
de démonstration, sans doute trop peu actif, puisque les
Russes aA'aient pu porter de grosses réserves vers l'ouest.

Travaux d'approche et troisième attaque géné-


rale. — Les Japonais, après cet échec, continuèrent leurs
travaux d'approche, que les Russes réussirent à ralentir
par des sorties fréquentes et par l'emploi des grenades lan-
cées à la main, ou au moyen de .mortiers de bois. Les
assaillants usèrent de ces mêmes engins et protégèrent leurs
têtes de sapes par des treillages métalliques ; ils s'ingénie-
PORT-ARTHUR 737
rent à détruire les réseaux de fils de fer, par des procédés
variés.
Celui qui prévalut fut l'emploi de sapeurs couverts d'un
bouclier, suspendu aux épaules par des courroies ; ce bou-
clier portait A'ers le haut une ouverture pour les yeux et, en
bas, une échancrure pour permettre la manoeuvre de longues
cisailles.
Les Japonais firent Arenir des obusiers de côte de 28cm aArec
lesquels ils bombardèrent les organes bétonnés des forts.
Le 16 octobre, ils enlevèrent d'assaut l'ouvrage de Hat-
chimaki, qui gênait l'avancement de leurs cheminements
devant Ehrlong-est. Vers la même époque, ayant découvert
à i4o mètres en avant de Kikouan-nord des fourneaux de
mine qui n'aAraient pas explosé, ils engagèrent une guerre de
mines. Un fourneau mal calculé de la défense ayant crevé la
voûte d'un coffre de contrescarpe, les Japonais purent s'y
installer.
L'opinion publique se montrait impatiente d'apprendre la
prise de la place. Nogi, peut-être pour la satisfaire et pour
offrir Port-Arthur à l'empereur comme cadeau d'anniver-
saire (3 novembre), se décida à une nouA-elle attaque deArive
force qui commença le 26 octobre. Elle fut exécutée sur le
front nord-est par trois diA-isions disposées en colonnes
d'assaut par régiment. Les troupes s'élancèrent vers 5 heures
du soir, après un bombardement qui avait duré toute la jour-
née. Cet assaut n'eut d'autre résultat que la conquête d'une
tranchée en avant d'Ehrlong-est et l'installation des Japonais
sur la contrescarpe d'Ehrlong-ouest.
Nogi fit. renouAreler l'assaut le 3o octobre par des effectifs
plus forts. Les Japonais s'emparèrent de la colline P et de
Kobou, mais durent évacuer ce dernier ouvrage.
Le 3i, une nouArelle entreprise fut dirigée contre le fort
Kikouan-nord dont les organes de flanquement avaient été
détruits par la mine. Les Japonais pénétrèrent dans le fort,
mais les retours offensifs russes les empêché rentde s'y main-
tenir.
MANUEL DE FORTIFICATION kl
738 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES
Dans ces assauts, les colonnes avaient eu à franchir entre
leurs places de rassemblement et les ouvrages des distances
comprises entre 45 mètres pour Kikouan-nord et'45'o mètres
pour Kikouan-est.
Les Japonais avaient perdu i3 ooo hommes dans ces trois
journées.

Travaux d'approche. Quatrième assaut géné-


ral. — Les travaux de sape et de mine furent repris.
Devant les forts Ehrlong-est et Ehrlong-ouest, les Japonais
réunirent leurs cheminements par une parallèle couron-
nant la contrescarpe. Ils foncèrent des puits et, par des four-
neaux de mine, renversèrent la contrescarpe dans le fossé,
puis marchèrent Arers l'escarpe en cheminant au travers des
décombres. Au fort Kikouan-nord, les adArersaires se dispu-
tèrent penclafit un mois la galerie de contrescarpe et le fossé.
Nogi ordonna un. nouvel assaut pour le 26 noArembre.
Partout, la lutte fut acharnée et se prolongea dans la nuit;
les mêmes points furent pris et repris à différentes reprises.
Chaque fois que les Japonais prenaient pied dans les forts,
ils étaient arrêtés par le feu des mitrailleuses et des canons
à tir rapide installés dans des réduits improvisés, puis
chassés par les retours offensifs. Cet assaut coûta aux Japo-
nais 12 000 hommes; sur la seule colline de Kikouan-nord
ils relevaient 5oo cadavres, le 2 décembre.

Attaque par l'ouest. Prise de 203. — Tandis que les


travaux de mine se poursuivaient à nouveau, Nogi se retourna
Arers le secteur ouest. De ce côté, la parallèle japonaise se
trouvait à 45 mètres de la plus avancée des deux tranchées
qui précédaient les ouvrages de la colline 20.3.
Nogi affecta deux divisions à l'attaque de ce secteur et
l'appuya par des obusiers de 28cra. Après huit jours de lutte
(27 novembre-5 décembre), remplis d'alternatives de succès
et de revers, la colline 2o3 resta entre les mains des
assaillants, qui s'en servirent aussitôt comme observatoire
PORT-ARTHUR 73g
pour diriger le tir de leurs pièces sur la ville ainsi que sur
les bateaux amarrés dans le port.

Prise de Kikouan-nord. — Les travaux de mine


continués permirent de créer dans l'escarpe deux énormes
brèches. Un noiwel assaut fut donné au fort et, après une
lutte acharnée à coups de baïonnette et de grenades à main,
les Japonais en restèrent maîtres. C'était le premier fort
permanent dont ils réussissaient à s'emparer (18 décembre).
A partir de ce moment la défense paraît moins énergique ;
les progrès de l'assaillant sont très rapides. Il est permis de
rapprocher ce changement d'attitude des défenseurs de la
mort du général Kondratenko. Cet officier général, sorti de
l'arme du génie, avait su inspirer à son chef et à ses subor-
donnés une confiance que justifiaient ses éminentes qualités.
Il fut tué le i3 décembre par l'explosion d'un projectile à
l'intérieur d'une casemate.
Ehrlong-èst fut pris le 28 décembre et Ehrlong-ouest le 31.
Le icr janvier, Wangtaï fut enleAré sans combat, tandis
qu'à l'ouest, les Japonais s'emparaient de la position de
Yahoutsoui.
Le sort de la place était compromis.
Fallait-il continuer la résistance?
Le conseil de défense réuni fut faAforable à celte solution
énergique. Avec raison, il pensait que, malgré les progrès
décisifs de l'assaillant, on devait essayer quelque chose,
puisque la place avait encore des hommes, des viAnres et des
munitions. Le gouverneur en jugea autrement et demanda
à capituler. Il eut plus tard à répondre de sa conduite et fut
condamné par ses juges; cette sentence sévère est conforme
à notre règlement d'après lequel le gouverneur qui consulte
le conseil de défense doit s'inspirer de l'avis le plus énergique.
Ainsi qu'on l'a dit au début de ce chapitre, il n'est pas
encore possible de tirer avec certitude tous les enseigne-.
menls que comportera un jour l'étude complète du siège de
Port-Arthur, lorsqu'on possédera les éléments permettant de
74o 3e PARTIE ATTAQUE ET DEFENSE DES PLACES
connaître exactement, les faits. On essaiera toutefois de
dégager ici certaines conclusions.
La première est l'inefficacité d'une attaque brusquée,
à la Sauer, contre des ouvrages énergiquement défendus,
alors même que ceux-ci ne remplissent pas tout à fait les
conditions qu'on doit imposer à la fortification moderne.
On objectera en vain que les Japonais disposaient d'une
artillerie de siège inférieure à celle des grandes armées
européennes, car le propre des attaques brusquées est de
ne mettre en oeuvre que les ressources normales d'une armée
en campagne. En outre, leur infanterie a fait preirve d'une
énergie et d'un courage qu'on égalera malaisément. Malgré
ces qualités exceptionnelles, leurs colonnes d'assaut n'ont
pu enlever aucun fort permanent muni d'un fossé flanqué.
Le succès obtenu contre les ouATages semi-permanents de
la colline 2o3 démontre seulement l'infériorité de cette for-
tification à l'égard de la permanente.
Donc, il faut s'attendre à' faire le siège régulier des
grandes places, et ce siège comportera certainement des
traA'aux -d'approche longs, pénibles et qui imposeront de
lourds sacrifices à l'assiégeant. Ainsi que le fait observer le
général de Grandprey, « le temps écoulé entre l'établisse-
ment de l'ennemi au sommet de la contrescarpe et le
dernier assaut a été long. Il est de cinquante-quatre jours
pour Kikouan-nord, cinquante-huit pour Ehrlong-est et
pour Erhlong-ouest. Voilà la meilleure justification d'un
fossé bien flanqué compris entre une escarpe et une con-
trescarpe solides. »
Cette leçon des événements du siège de Port-Arthur
paraît devoir amener une modification au principe posé
dans notre instruction du 4 février 18gg sur la guerre de siège,
d'après lequel « la progression de l'assaillant ne sera plus
en général subordonnée à la lente construction d'un petit
nombre de cheminements de sape dirigés sur les saillants
de quelques ouATages ».
L'État-major allemand a reproché à l'artillerie japonaise
PORT-ARTHUR 741
de n'avoir pas su, conformément aux principes en hon-
neur aujourd'hui, obtenir, la supériorité sur celle de l'ad-
versaire, faute de pièces de fort calibre et d'une suffisante
consommation de projectiles. On touche ici à un point aigu
du débat. Le principe invoqué à Rerlin est exact à coup sûr,
mais son application sera-t-elle toujours possible et dispo-
sera-l-on de moyens de transport assez puissants pour
alimenter les batteries de siège de manière à leur assurer
cette supériorité si nécessaire à l'assiégeant?
Les Japonais, dans la presqu'île de Kouantoung, étaient
moins bien outillés sous ce rapport qu'on ne le sera de part
et d'autre des Vosges, mais le problème de l'armement et
de l'approvisionnement en munitions des batteries de siège
n'en reste pas moins l'un des plus difficiles à résoudre pour
l'assiégeant.
Dans la lutte rapprochée autour des ouvrages, tous les
anciens procédés, hier encore réputés surannés, peuvent
troiwer leur emploi ; les grenades à main n'ont-elles pas fait
une victorieuse réapparition ? A partir du moment où com-
mence le corps à corps, anciens et modernes sont au même
niveau et la supériorité appartiendra à celui qui n'aura pas
oublié les leçons de l'expérience. Nous n'avons sous ce
rapport qu'à étudier notre histoire pour y puiser les meilleurs
enseignements.
Le siège de Port-Arthur a fourni une donnée intéressante
à retenir au sujet de la vitesse d'avancement des tranchées :
en plaine, dans un terrain friable, au delà de 3oo mètres des
ouvrages, cette vitesse atteignit 100 mètres par jour; en
deçà de 3oo mètres, sur des glacis en sol rocheux, elle se
réduisit à i o mètres.
La mine a été employée contre tous les ouvrages perma-
nents attaqués; il fallut user de fourneaux pour renverser
contrescarpes et organes de flanquement. Le sol rocheux se
prêtait peu en général à une A'éritable guerre de mines,
mais, partout où un sylème de contre-mines put être établi,
il y eut lutte au moyen de fourneaux de mine.
742 3e PARTIE ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLAGES
Les assauts ont été donnés à courte distance, toujours à
moins de 100 mètres, parfois à 3o mètres et de jour, mais la
lutte se poursuivait la nuit.
On pourra observer enfin que les Japonais ont divisé leurs
moyens d'action en attaquant successivement le secteur nord-
est, puis celui de l'ouest. En principe, on peut critiquer ce
défaut de concentration des efforts, mais, dans l'espèce, il
peut s'expliquer. Le premier front d'attaque n'avait que
4 kilomètres de développement, étendue inférieure à celles
qu'occuperont normalement les attaques dirigées devant
deux forts collatéraux d'une grande place. Les ressources
des assiégeants, rendues disponibles par l'exiguïté relative
du premier front, ont trouvé leur emploi sur le second.
Une dernière observation peut être faite sur l'efficacité
des défenses accessoires en général, et des réseaux de fils de
fer en particulier, pour la protection des ouvrages. Par
contre, on a constaté l'inutilité complète de certains procé-
dés employés pour renforcer la valeur de ces réseaux, en
essayant de les transformer en conducteurs de courants
électriques.
QUATRIEME PARTIE

ORGANISATION ET SERVICES
DU QÉNIE

CHAPITRE LI

ORGANISATION ACTUELLE DE L'ARME


DU GÉNIE

L'établissement et l'organisation des ouvrages de la forti-


fication passagère ( Voir la première pairie), auxquels par-
ticipent du reste les autres armes (l'infanterie spécialement),
— l'édification de la fortification permanente, qui a été étu-
diée dans la deuxième partie, — et la construction des tra-
vaux d'approche qui tiennent une place si prépondérante
dans les dernières opérations des sièges réguliers ( Voir la
troisième partie), constituent les principales attributions du
corps du génie militaire français.
Cependant, les troupes et les officiers de cette arme
sont en outre chargés, soit en temps de guerre, soit en temps
de paix, de l'exécution ou de la direction d'un certain nom-
bre d'autres travaux, dont rémunérationet l'élude sommaire,
qui vont être faites dans cette quatrième partie, forment le
complément obligé d'un ouvrage tel que celui-ci.
Avant de l'entreprendre, il a paru d'autre pari indispen-
sable d'esquisser rapidement l'organisation actuelle de
l'arme même dont on se proposait d'étudier de la sorte les
divers services, et on y a consacré le présent chapitre.
744 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

Composition de l'arme du génie

L'arme du génie comprend : les troupes du génie et


l'état-major particulier du génie.
« Le génie aux armées est chargé : (art. g du service
en campagne) :
« i° Des travaux de fortification passagère dont le com-
mandement lui confie l'exécution, et des reconnaissances
qui s'y rattachent.
« Des travaux de fortification permanente, ainsi que de
ceux qui sont nécessaires pour l'attaque ou la défense des
places fortes ;
« 2° De tous les travaux concernant l'établissement,l'entre-
tien ou la destruction des A'oies de communication de toute
nature, permanentes ou improvisées.
« 3° De l'exploitation provisoire des chemins de fer et des
Aroies navigables dans la zone de l'arrière, sous l'autorité du
directeur général des chemins de fer et des étapes ;
« 4° Du service de la télégraphie militaire de premièreligne,
de l'aérostation et des colombiers militaires ;
« 5° Des travaux concernant l'installation des troupes et
présentant un intérêt général ;
« 6° De l'approvisionnement de l'armée en outils et en ma-
tériel du génie el de télégraphie militaire. »
En temps de paix, l'état-major particulier du génie est
chargé de la construction, de l'entretien et de la conserva-
tion : i° des bâtiments militaires; 2° des ouvrages de forti-
fication ; 3° de tout ce qui constitué, en général, le domaine
militaire.

Troupes du génie en temps de paix. — Les


troupes du génie comprennent, sur le pied de paix, 26 ba-
taillons, savoir :
21 bataillons de sapeurs-mineurs (n° 1 à 20 et 26),
ORGANISATION ACTUELLE DE L'ARME DU GÉNIE 745
3 bataillons de sapeurs de chemins de fer (n° ai, 22, 23),
1 bataillon de télégraphistes (n° 24),
1 bataillon d'aérostiers (n° 25).
Ces bataillons sont groupés en six régiments de sapeurs-
mineurs et un régiment de sapeurs de chemins de fer
(5e régiment).
Les régiments sont composés ainsi qu'il suit :
1e régiment, à Versailles, comprenant les 4e; 5e, 6e, 20e
1'

et 25e bataillons (le 6e détaché à Verdun, le 20e à Toul).


2e régiment, à Montpellier, comprenant les 16e, 17e, 18e
et 26e bataillons (le 26e, comptant sept compagnies, détaché
en Algérie).
3e régiment, à Arras, comprenant les 1e1', 2e et ^"batail-
lons.
4e régiment, à Grenoble, comprenant les 7e, 8e et i4e
bataillons (le 7e détaché à Besançon).
6e régiment, à Angers, comprenant les gc, 10e et 11e
bataillons.
7e régiment, à Avignon, comprenant les 12e, i3e, i5e et
ig° bataillons.
Le régiment de sapeurs de chemins de fer, stationné à
Versailles, porte le n° 5 et comprend les 21e, 22e et 23e
bataillons. Le 24e bataillon (télégraphistes), stationné au
Mont-Valérien, lui est rattaché.
Les 1e et 5e régiments sont réunis sous le commande-
1'

ment d'un général de brigade et forment la brigade du génie.


Chacun des régiments possède en outre une compagnie de
sapeurs-conduc leurs.
Auprès de chacun des corps précités se trouve une école
placée sous la direction du colonel commandant le régi-
ment el sous les ordres immédiats d'un chef de bataillon,
uniquement chargé de ce service.
Le rôle de ces écoles est d'administrer le matériel assez
considérable nécessaire à l'instruction technique et d'entre-
tenir le matériel des parcs du génie destiné aux diverses for-
mations du temps de guerre.
746 4e PARTIE

ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
Éléments du génie aux armées. — Ces éléments
sont les suivants :
A) Dans chaque corps d'armée :
i° Un étal-major du génie ;
2° Une compagnie de sapeurs-mineurs affectée à chaque
diA'ision ; ces compagnies sont dites divisionnaires;
3° Une compagnie de sapeurs-mineurs, dite compagnie
du génie de corps, comprise dans les éléments non endivi-
sionnés ;
4° Une compagnie d'équipage de ponts ;
5° Une compagnie de parc du génie.
B) Dans chaque division de cavalerie :
r° Un capitaine du génie à l'état-major ;
2° Un détachement de sapeurs-cyclistes;
3° Un détachement de sapeurs-télégraphistes.
C) Dans chaque armée :
i° Une direction du service télégraphique de première
ligne et une compagnie de sapeurs-télégraphistes;
2° Une compagnie d'aérosiiers ;
3° Un parc du génie d'armée ;
4° Un service du génie des étapes ;
5° Une direction du serA'ice de la télégraphie des étapes
et une ou plusieurs sections techniques de télégraphie.
D) Dans un groupe d'armées ou dans une armée opérant
isolément :
i° Une compagnie d'aérostiers ;
2° A la direction des chemins de fer : des compagnies de
sapeurs de chemins de fer, des sections de chemins de fer
de campagne et des seclio/is techniques de télégraphie;
3° A la direction générale des chemins de fer el des étapes :
des compagnies de mariniers.

Composition des unités. — Etal-major du génie d'un


corps d'armée. —• Il comprend : i colonel ou lieutenant-
colonel commandant le génie ; i chef de bataillon, chef
d'état-major; i capitaine; i officier d'administration.
' ORGANISATION ACTUELLE DE L'ARME DU GÉNIE qkl
Compagnie de sapeurs-mineurs. — La compagnie divi-
sionnaire comprend : i capitaine (monté) ; 3 lieutenants ou
sous-lieutenants (montés), dont i de réserve ; i adjudant,
i sergent-major, i fourrier, 12 sous-officiers, 17 caporaux,
16 maîtres ouATiers, i85 sapeurs-mineurs.
La compagnie de corps comprend en plus un deuxième
capitaine.
Chaque compagnie divisionnaire ou de corps possède un
parc qui marche avec elle en toutes circonstances et qui
comprend: 3 voitures de sapeurs-mineurs à trois chevaux
et 1 voiture légère d'explosifs à un cheval.
Les A'oitures de sapeurs-mineurs nos 1 et 2, qui ont un
chargement presque identique, contiennent des outils, des
instruments de topographie, des pétards et cartouches de
mélinite el des engins de mise de feu.
La voiture n° 3 ne comprend pas d'outils, mais seulement
des accessoires, deux paniers à viande, un jour d'avoine, etc.

Compagnie d'équipage de ponts. — Cette unité a comme


cadres : 1 capitaine, 2 lieutenants ou sous-lieutenants de
résenre, 1 officier d'administration, 1 vétérinaire.
Elle comprend 47 voitures dont 38 de matériel, la plupart
attelées de six chevaux, et un détachement de 46 sapeurs-
mineurs. Au tolal : 5 officiers, 231 hommes, 3o3 chevaux,
47 voitures.
Celte grosse unité occupe sur route une profondeur de
7.5o mètres.
Les 38 A'oifures techniques sont groupées en 1 divisions
identiques de chacune 18 voilures et une réserve de 2
voilures.
Chaque division se subdivise elle-même en deux groupes :
Le premier groupe de cinq voitures transporte 2 bateaux,
3 chevalets et, le matériel nécessaire à l'utilisation de trois de
ces cinq corps de support pour construire un pont dont la
porlée atteint de 16 à 22 mètres. On l'appelle quelquefois
groupe d'avant-garde.
748 4e PARTIE ORGANISATION ET SERA'ICES DU GÉNIE
Le deuxième groupe de treize voitures est formé en cinq
sections :
i de culée : i haquet (nacelle), i chariot.
3 de bateaux : 2 haquets à bateau, 1 chariot.
1 de forge : 1 forge, 1 chariot.
Ce groupe permet de lancer un pont de4o mètres, la divi-
.
sion entière un pont de 64 mètres environ.
La réserve comprend 1 haquet (2 chevalets) et 1 chariot.
L'équipage comprend au total : 16 bateaux, 8 chevulets
à deux pieds et permet, si tous ces corps de support peu-
vent être utilisés, l'établissement d'un pont de 128 mètres.
Depuis peu, des bateaux métalliques ont remplacé les
bateaux en bois.
Le détachement de sapeurs-mineurs, composé d'ouATiers
d'art et de mariniers, n'est pas destiné à lancer le pont,
mais à entretenir le matériel. Celui-ci sera mis en oeuvre
par l'une quelconque des compagnies du génie, de préfé-
rence par la compagnie de corps, qui reçoit, à ce point de
vue, une instruction plus complète.
Compagnie de parc du génie de corps d'armée. — Cette
unité a comme cadres : 1 capitaine, 1 lieutenant de réserve,
1 officier d'administration.
Elle comprend 1 g Aroitures, dont 17 de matériel, et, un
détachement de 20 sapeurs-mineurs.
Au total : 3 officiers, gi hommes, 110 chevaux, igAroitures.

Parc du génie d'armée. — Cette unité, commandée par


un officier supérieur, comprend 71 A7oitures, dont 61 de
matériel..
Elle est attelée par une compagnie de sapeurs-conduc-
teurs et possède, en outre, un détachement de 26 sapeurs-
mineurs et un détachement de i3 sapeurs-télégraphistes.
Au total : g officiers (dont 1 médecin, 1 vétérinaire, 2 offi-
ciers d'administration), 310 hommes, 435 chevaux, 71 voi-
tures.
ORGANISATION ACTUELLE DE L'ARME DU GÉNIE 74g
Compagnie de sapeurs-télégraphistes. —• Cette compagnie
comprend six sections et un échelon de matériel.
Chaque section se compose de i officier, 45 sapeurs-
télégraphistes, 6 voitures (i Aroiture dérouleuse, 2 A'oitures
légères, 1 Aroiture-poste, 2 chariots de tarvail). L'échelon
de matériel possède 13 A'oitures (10 chariots de câble, 3 cha-
riots de perches).
Au total : 11 officiers, 2g7 sapeurs-télégraphistes, 118 sa-
peurs-conducteurs, 53 Aroitures.

Compagnie d'aérostiers. — Cette compagnie comprend :


3 officiers, n3 sapeurs-aérostiers, emriron 60 sapeurs-
conducteurs, environ 110 cheAraux, 20 A'oitures.
Elle marche généralement en deux échelons :
Le premier échelon comprend : la compagnie,-la A'oiture-
trcuil, la voiture-fourgon, la A'oiture aux agrès et, éventuel-
lement, 4i A'oitures à tubes.
Le deuxième échelon comprend les autres voitures :
8 voitures-tubes, 1 prolonge à ridelles, 2 fourgons, 2 voi-
tures de réquisition.
Quatre voitures-tubes sont suffisantes pour un gonfle-
ment qui demande une demi-heure. La compagnie peut
marcher avec ballon gonflé.

Compagnie de sapeurs de chemins de fer. — Cette unité


comprend : 8 officiers, dont 5 de réscnre (montés), 25o
hommes, 25 cheA'aux et un parc sur rail comprenant 7 wa-
gons (2 Avagons couverts, 5 Avagons plates-formes)qui trans-
portent les outils, engins et matériaux nécessaires pour
faire les reconnaissances, exécuter les t,ra\raux peu impor-
tants et commencer les travaux de plus grande importance
pour lesquels le matériel et l'outillage sont tirés de l'inté-
rieur du pays au moment du besoin.
Les Avagons couverts (nos 1 et 5) transportent des outils
el du petit matériel disposés sur des étagères, ainsi que de
la mélinite.
75o 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
Les plates-formes nos 2, 3, 4 transportent: 1 voiture de
sapeurs montés (sorle de break), 1 voiture de sapeurs de
chemins de fer(chargée d'outils), 1 quadricycle, des lampes
Wells, des engins divers, du matériel de télégraphie.
La plate-forme n° 6 porte deux changements de voie, des
poutres et des madriers.
La plate-forme n° 7, une chèvre, une sonnette à déclic et
un canot.
Quelques compagnies ne sont dotées que d'un parc sur
route qui comprend :
; 1
voiture de sapeurs de chemins de fer ;
2 A'oitures de sapeurs montés ;
1 prolonge
ordinaire d'outils de chemins de fer;
1 caisson à mélinile ;

1
l'orge de campagne.
Toutes les compagnies ont en outre 2 voitures. à un
cheval et r fourgon à deux chevaux.

Unités des divisions de cavalerie. — Le détachement de


sapeurs-cyclistes comprend : 2 officiers, 3o hommes, 1 voi-
ture légère d'outils el 1 voiture légère d'explosifs.
Les hommes portent sur leurs bicyclettes des outils et des
explosifs.
Le détachement de sapeurs-télégraphistes comprend :
1
officier, i sous-officier, 1 caporal et 3 sapeurs.
Le matériel de pont léger que possèdent les divisions de
cavalerie est mis en oeuA:re par les sapeurs de cavalerie, non
par le détachement du génie.

Autres unités. — Les sections techniques de télégraphie


sont constituées par le personnel de l'administration des
postes et télégraphes militarisé.
Les sections de chemins de fer de campagne sont de même
;

constituées par le personnel dès compagnies nationales de


chemins de fer.
ORGANISATION ACTUELLE DE L'ARME DU GÉNIE 761
Les compagnies territoriales de mariniers comprennent :
7 officiers, 212 mariniers, 135 sapeurs-conducteurs, 224 che-
vaux de halage et 48 péniches ou flûtes.
État-major particulier du génie. — Le service du
génie en temps de paix est assuré par Y état-major particu-
lier du génie qui est réparti, à cet effet, clans les chejjéries.
Celles-ci sont réunies par groupes formant une direction,
à la tête de laquelle est un colonel (ou lieutenant-colonel)
directeur du génie. Lorsqu'il existe une seule direction dans
le corps d'armée, son chef prend le titre de directeur du
génie de la région; lorsque au contraire il en existe plu-
sieurs, elles sont sous les ordres, d'un colonel ou généra!
commandant le génie de la région, dont l'autorité s'étend
également aux troupes du génie stationnées dans ladite
région.
Dans les corps d'armée de la frontière, il a été créé, par le
décret, du 4 aA'iïl 1887, pour chaque place forte principale,
un commandement supérieur de la défense auquel incombe
la mission de préparer la défense en temps de paix el de
l'assurer en temps de guerre. A côté de chacun de ces com-
mandements, exercé par un officier général, est instituée
une direction du génie, dont le chef est le représentant du
service du génie auprès du commandant supérieur et exerce
son action sur les chefferies comprises dans un certain
nombre de subdivisions. Le tableau ci-après fait connaître
la répartition des directions telle qu'elle résulte du décret,
précité :

TABLEAU.
752 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE

COMMANDEMENTS
NUMÉROS COMMANDEMENTS SUnél'iolU's-
1 DIRECTIONS
, "

des du défense
. . de
, région nn
uu
du qénic
corps a,, armée génie . . "'
ports militaires

Paris 1>aris r«*« { Volailles.

icr Lille Lille ....


Dunkerque
Alaubeugc.....Maubeuge.
Dunkerque.
Lille.
?.e » » Amiens.
3<-' » » Rouen.
£e » „ Le Mans.
o^ » » Orléans.
: Châlons-sur-Munie. Ohàlons-sur-Marne.
G<= Ghûlons-sur-Marne.< Reims Reims.
Verdun Verdun.
Bell'ort Belibrl.
Besancon La"9res Langres.
7nc uesançon <
s Besançon Besançon.
Épinal' Epinal.
8° " DlJ°n : Bourges.
ge ; « » Tours.
Cherbourg
,-,, ,
Rennes.
I0C " Cherbourg.
ne Nantes Brest. Brcs(CS'
i2f
i3« .....
..... .
,
»
»
Lyon
»
»
Limoges.
Cl ermont-I'erranci.
Lyon.
i4e I\Yon { Grenoble Grenoble.
Briançon Briauçon.
Nice'
i5r Mai'soiI,c
N* e
goujon. : : : : : : ™?»-
BaslJ" Marseille.
iC«
17c
Montpellier
»
.... »
»
Montpellier..
Toulouse.
,o„
180 " " i( Bavonne.
Bordeaux.
a°c N«i.qr Toul. j ^'cv
.
Alger.
19= Alger < Alger < Oran.
I Conslantine.
Tunisie »
SSSlrte
: : : : :
:|T""«.
1

Chaque direction comprend d'une à quatre cheffcri.es


eiiA'iron : seules, les directions d'Alger et d'Oran en ont.
cinq.
Les officiers attachés à chacune d'elles sont en nombre
variable avec l'importance des services de la région ; ils
sont placés généralement, sous les ordres d'un officier supé-
rieur, chef du génie, qui répartit entre eux les divers Ira-
ORGANISATION ACTUELLE DE L'ARME DU GÉNIE 753
vaux : constructions de bâtiments et d'ouvrages de fortifi-
cation; — ou entretien des bâtiments existants.
L'entretien des bâtiments militaires occupés par des corps
de troupe, autrefois confié exclusiA'ement au service du
génie, incombe en partie aux corps occupants depuis la
promulgation du règlement proA'isoire du 20 juin 1888. Ce
document fait, connaître la liste des travaux que le corps
doit exécuter à l'aide des fonds de la masse de casernement
qui lui sont alloués à cet effet ; ces travaux sont en général
ceux des réparations dites locatives.
Pour seconder les officiers du génie, on a créé un cadre
d'officiers d'administration du génie, recrutés parmi les
sous-officiers de l'arme remplissant certaines conditions de
capacité. Ils dépendent exclusivement des officiers du
génie, qui contrôlent toujours les traA'aux qu'ils peuvent
être appelés à diriger exceptionnellement.

MANUKL DK F011T1FICATION
CHAPITRE LU

DESTRUCTIONS

Outils de destruction. Poudre etmélinite. — Pour


détruire ou renverser les défenses accessoires, murs et obsta-
cles de toute nature qui pourraient entraver la marche des
troupes ; pour rompre les ouvrages d'art des A'oies de com-
munication dont on veut, interdire l'usage à l'ennemi; et,
plus généralement, pour exécuter les divers traAraux de
destruction dont on reconnaît la nécessité, dans les diffé-
rentes circonstances de la guerre de campagne, les troupes
du génie se servent des outils décrits dans la première par-
lie sous le nom d'outils de destruction {Voirpage2g) el des
substances explosibles, « poudre et mélinite », qui entrent
aujourd'hui dans l'approvisionnement des parcs de cam-
pagne.

La poudre est, un explosif relativement lent qui ne doit


être employé, en principe, qu'en fourneaux disposés à l'in-
térieur des terrains ou des .constructions à bouleverser et
bourrés très fortement. En raison de la facilité avec laquelle
elle s'enflamme, sa manipulation exige de grandes précau-
tions.
La mélinite est, un explosif brisant ; elle est avantageuse-
ment employée pour les ruptures au moyen de charges
superficielles, sous faible bourrage ou même sans bourrage.
Ses effets sont presque doubles de ceux de la poudre. Dans
les grosses masses de terre ou de maçonnerie, la mélinite a
DESTRUCTIONS 755
des effets locaux considérables, mais la poudre produit des
effets de dislocation plus étendus.
La mélinite est très peu sensible au choc et ne détone
que par l'explosion du fulminate de mercure. Conséquem-
ment, l'emploi d'une amorce fulminante est indispensable
lorsqu'on fait usage de la mélinite ; elle ne l'est pas avec la
poudre. La mélinite est employée sous forme de pétards et
de cartouches.
Le pétard {fig. 26S) se compose d'une enveloppe parallé-
lipipédique en laiton, étamée intérieurement, munie d'uii

Fig. 263. — Pélard de mélinite.

couvercle soudé portant une douille d'amorçage et conte-


nant une charge de i35 grammes de mélinite. La douille
d'amorçage porte trois petites agrafes destinées à maintenir
l'amorce quand elle y est engagée ; elle est couverte par
une petite bande de laiton qu'on enlèA'e au moment du
besoin.
Les cartouches sont cylindriques el contiennent 100 gram-
mes d'explosif.
Dans l'organisation de la mise du feu, on fait usage de
petits pétards de 60 grammes, ayant la même section que
le pétard de i35 grammes et une longueur moitié moindre;
le corps du pétard est traversé par un tube d'amorçage ter-
miné à chaque extrémité par une alvéole munie d'ailettes
qui s'opposent à la sortie du cordeau sous l'action d'une
traction accidentelle.
Enfin, il existe des pétards prismatiques de 1 kilo, de 10
756 4° PARTIE ORGANISATION ET SERA'IGES DU GÉNIE

et de 20 kilos : les deux derniers sont employés dans la mise


en oeuA're des dispositifs de mine permanents.
La mise du feu aux charges d'explosifs se fait soit au
moyen d'engins pyrotechniques ou artifices, soit au moyen
d'engins électriques.

Artifices. — Les artifices normalement employés dans


le service du génie sont la mèche lente, Y amorcefulminante
et le cordeau détonant.
La mèche lente ou cordeau Bickford est constituée par un
filet de poudre renfermé dans une double enveloppe de filin
goudronné. L'enveloppe extérieure est d'ordinaire sim-
plement goudronnée ; pour rendre la mèche imperméable,
on la recouvre de gutta-percha. Le diamètre extérieur de la
mèche lente est de 5 millimètres ; elle brûle à raison de
1 mètre en go secondes (soit em'iron 1 centimètre, par se-
conde). C'est le plus commode de tous les conducteurs du
feu. Pour l'employer, on coupe l'une des extrémités, de
manière à mettre la poudre à nu, et on l'introduit dans la
charge ou dans le détonateur, suivant le cas ; on taille en-
suite en biseau l'autre extrémité, de manière à découvrir
une plus grande étendue de poudre de ce côté, et on y met
le feu avec de l'amadou ou un autre corps brûlant sans
flamme, une cigarette allumée, par exemple, ou un allu-
meur quelconque.
L'allumeur Ruggieri est une capsule en cuivre renfermant
.un peu de poudre tassée et une petite mèche qui fait saillie
extérieurement. On coiffe aA'ec cette capsule le bout de
mèche lente après l'avoir coupée carrément.
L'amorcefulminante actuellement réglementaire est for-
mée d'un tube en cuivre rouge embouti, ayant 45 millimè-
tres de longueur, 6 millimètres de diamètre, et contenant,
au fond, une charge de isr 5 de fulminate de mercure main-
tenue en place par un petit tube en laiton introduit dans le
premier {fig. 264)-
Cette amorce est utilisée pour faire exploser la mélinite ;
DESTRUCTIONS 707
elle détone elle-même par simple inflammation au moyen
d'un morceau de mèche lente.
Le cordeau détonant est un engin de transmission de feu
extrêmement rapide ; sa A'itesse de combustion atteint

Fig. 264. — Amorce fulminante.

7 ooo mètres par seconde. Le raccordement des morceaux


successifs de cordeau détonant, le branchement de conduc-
teurs secondaires, destinés à provoquer la mise de feu à

Fig. a05. — Mise du feu simultanée.

plusieurs charges, sur un conducteur maître, s'obtiennent :


soit en enroulant l'un sur l'autre, par torsade, les morceaux
de cordeau détonant, soit en les ficelant solidement sur une
cartouche ou un pétard de mélinite. Ce second moyen a
758 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

pour effet de raviver l'explosion; il est à recommander en


particulier lorsque la charge de mélinite à enflammer est
assez éloignée.
La figure 265 fera comprendre comment peut être assu-
rée la détonation simultanée de plusieurs charges à l'aide
des artifices réglementaires.
Dans l'organisation d'un dispositif de transmission du
feu, on doit, autant que possible, n'amorcer le cordeau
maître qu'au dernier moment, et, si la mise du feu ne doit
pas suivre immédiatement cet amorçage, il comment de pro-
téger contre tout choc accidentel les amorces fulminantes.
Lorsque le dispositif est exposé à l'action de l'eau ou de
l'humidité, il faut l'en garantir par un bourrelet d'une com-
position hydrofuge (enduit Chatterton par exemple) appli-
qué à la jonction des amorces avec la fusée lente et le cor-
deau détonant.

Engins et appareils électriques. — Les engins py-


rotechniques décrits ci-dessus sont seuls employés dans la
guerre de campagne. Le génie utilise aussi dans la guerre
de siège des engins électriques de mise du feu.

Fir|. 266. — Amorce électrique.

Ce sont : l'amorce électrique, l'exploseur magnéto-élec-


trique, les conducteurs.
L'amorce électrique du génie se compose essentiellement,
d'une petite hélice a {fig. 266), en fil de platine de i/45 de
millimètre de diamètre, réunie à chacune de ses extrémités
à des fils de cuivre b b isolés l'un de l'autre et maintenus
dans une position invariable, l'un par rapport à l'autre, au
moyen d'un noyau en bois. Le passage du courant fait rou-
DESTRUCTIONS 70g
gir le fil de platine, qui met alors le feu à une petite charge
defulmicofon c. L'explosion suffit pour déterminer la déto-
nation du fulmiuate de mercure de l'amorce.
Pour rendre les amorces inaltérables à l'humidité, on
entoure leur partie supérieure d'enduit Chatterton (mélange
de gulta-percha, de goudron ou de résine).
Cette amorce sera remplacée progressivementpar l'amorce
électrique modèle 1898, basée sur le même principe, mais
qui en diffère en ce qu'elle ne contient pas de fulminate.
Pour déterminer la détonation d'une charge de mélinite,
elle nécessite donc l'intermédiaire d'une amorce fulmi-
nante.
Le feu est mis à une amorce ou à plusieurs amorces si-
multanément au moyen de Yexploseur magnéto-électrique
dont'le courant leur est transmis par les conducteurs.
Cet exploseur se compose essentiellement d'une bobine
tournant autour d'un axe vertical entre les armatures de
trois aimants. II est contenu dans une boîte de dimensions
fort restreintes. La boîte étant fermée, il suffit d'agir sur
une ficelle pour communiquer à la bobine le mouvement de
rotation qui détermine le courant.

Confection des charges de mélinite. — Une charge


composée de plusieurs pétards ou cartouches peut être con-
centrée ou allongée.
La charge concentrée se compose de pétards mis en pa-
quets, toutes les douilles d'amorçage étant tournées du
même côté.
La charge allongée est formée de files de pétards placés
bout à bout et au contact, ayant tous leur douille tournée
du côté du pélard-amorce. On accole, suivant le cas, un
nombre A'ariable de ces files. Une file simple de pétards en
comporte sept au mètre el représente 1 kilo de mélinite
par mètre courant.
Il est commode, pour la mise en oeuvre, de fixer les
charges allongées sur un support (tringle, corde, gaine en
760 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
tissu) de manière que, dans tous les cas, on puisse appli-
quer exactement la charge contre l'objet à rompre.
Charges à employer pour la destruction des di-
vers obstacles. — Il reste maintenant à indiquer les
charges qu'il convient d'employer dans les différentes cir-
constances qui peuA'ent se présenter. La destruction des
ouATages d'art et des voies de communication devant être
étudiée séparément dans les chapitres suivants, on se bor-
nera, dans ce qui va suivre immédiatement, aux indications
relatives à la démolition des obstacles ordinaires.
D'une manière générale, lorsque la poudre ordinaire est
l'agent explosif dont on veut faire usage, on détermine la
charge par la formule empirique déjà donnée dans la troi-
sième partie ( Voir page 665), pour le calcul de la charge
d'un fourneau de poudre placé en terre. En désignant par
c la charge exprimée en kilogrammes, par h la ligne de
moindre résistance exprimée en mètres, par g un coefficient
variable avec la nature des terres, on a, entre ces trois élé-
=
ments, la relation : c gh>.
Cette formule peut recevoir son application dans un grand
nombre de circonstances, en y faisant varier le cofficient g,
dont les valeurs ont été indiquées page 666. Toutefois, lors-
qu'il s'agit d'obstacles isolés, comme ceux qui vont être
successivement examinés, il est nécessaire de lui apporter
tant de modifications qu'on lui substitue généralement, en
pareils cas, d'autres formules empiriques mieux appropriées.
Si, au lieu de poudre, on emploie la mélinite, le calcul de
la charge ne peut se faire par ce procédé ; on verra plus
loin comment ou l'exécute dans chaque cas particulier.
Il convient, du reste, lorsque l'on se propose d'opérer la
destruction d'un obstacle, d'augmenter les chiffres donnés
par le calcul, .afin.de parer aux diverses éventualités qui
peuvent se produire. Il faut cependant se garder en prin-
cipe d'exagérations dont la conséquence serait un épuise-
ment rapide de munitions parfois difficiles à renouveler.
DESTRUCTIONS 761
i" Défenses accessoires. — La destruction des défenses
accessoires se faisant généralement sous le feu de l'ennemi,
par les travailleurs attachés aux colonnes d'assaut, les char-
ges à employer doivent être préparées à l'avance, ainsi qu'on
l'a expliqué ci-dessus. L'expérience a permis d'établir que
les poids convenables dans les différents cas sont les sui-
vants :
Pour les palissades et palanques, si elles sont composées
d'une seule ligne de pieux, on emploie : une file de pétards
pour palis de 10 centimètres et au-dessous; deux files de
pétards pour palis de 10 à 20 centimètres; trois files de
pétards pour palis de 20 à 3o centimètres, et ainsi de suite.
Dans le cas d'une palissade ou palanque composée de
deux lignes de pieux, on double la charge nécessaire pour
détruire la ligne des pieux les plus gros.
Il est recommandé aux traA'ailleurs chargés de l'exécution
de s'éloigner dans la direction même de la palissade, les
éclats y étant beaucoup moins nombreux que dans le sens
perpendiculaire.
Les abatis sont difficilement détruits par les matières
explosibles ; mais il est relativement facile d'y pratiquer des
brèches suffisantes pour le passage de quelques hommes,
qui viennent en compléter la démolition. On peut obtenir
des brèches de 2" 5o à 3 mètres, en employant indifférem-
1

ment des charges de 4 kilos de mélinite ou des charges de


2 kilos de mélinite combinés avec 12 à i5 kilos de poudre.
Avec 6 kilos de mélinite, on obtient une brèche de 4m5o
environ. Il est bon de placer le sac contenant la charge sous
un gros tronc dont la projection soulève les arbres A'oisins.
Pour ces destructions opérées sous le feu de l'ennemi, les
charges sont ordinairement préparées à l'avance dans des
sacs, comme il a été dit ci-dessus. On peut à la rigueur se
contenter de ficeler les cartouches de mélinite sur une trin-
gle ou gaulette en bois. L'amorçage est également préparé
à l'aA'ance. On place la charge contre l'obstacle et on met le
feu immédiatement.
762 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
Les réseaux de fils defer sont assez difficilement détruits
par les explosifs. Une charge allongée de six files de pétards
placée sur l'obstacle ou sous les fils crée une brèche de
4 mètres de large. Une charge concentrée de 5o kilos dé-
gage un espace de 10 à 12 mètres de diamètre.
Les fils de fer sont plus souA'ent détruits au moyen de
cisailles ; on recommande de couper les fils aux environs
des piquets et de les rejeter sur les parties laissées intactes.
Les autres défenses accessoires : « trous de loup, petits
piquets, etc. », ne peuvent être renversées par la poudre
ou la mélinite ; il faut faire usage des outils de destruction.
Sur les trous de loup, on jette des claies ou des bottes de
foin ou de paille; si on le peut, on les comble en partie ou
on les utilise comme trous de tirailleurs.
Les petits piquets sont brisés à la main ou recouverts de
claies.

Murs. — Les murs terrassés sont détruits en plaçant


20
des charges de poudre contre leur parement interne. La
charge se calcule par la formule c=Zh> ou c = l{h'>. Il est
nécessaire d'avoir un bourrage solide et d'enfoncer suffi-
samment les fourneaux pour que la ligne de moindre résis-
tance ne soil pas.dirigée Arers le sol. La charge de mélinite
nécessaire est les trois quarts de la charge de poudre cor-
respondante.
Pour les murs de clôture de plus de 5o centimètres
d'épaisseur, on place au pied du mur une charge allongée
de mélinite, calculée par la formule c = 10 e1 (c étant la
charge en kilos par mètre courant, e l'épaisseur du mur
en mètres). Pour que le mur soit renversé sur toute sa
hauteur, la charge doit s'étendre sur une longueur égale à
celle-ci.
Pratiquement,on met, pour un mur ordinaire, une charge
allongée formée de trois rangées de pétards accolés. Si on
ne peut bourrer complètement, on jette quelques gazons ou
quelques pelletées de terre. On a soin d'ailleurs d'assurer
DESTRUCTIONS 768
un contact aussi parfait que possible de la charge et du
mur.
La poudre ne donne pas de bons résultats, car elle néces-
site un bourrage toujours fort long.
Après la mise de feu, il faut se retirer dans la direction
du mur; à i5 mètres de l'explosion, il n'y a à craindre que
des éclats insignifiants.

3°Pièces de bois. — Les pilots, poteaux télégraphiques,


arbres, etc., sont coupés aisément par la mélinite. Pour les
pilots, il y a tout intérêt à placer la charge sous l'eau à
5o centimètres au moins, parce que cette eau forme un
excellent bourrage. On deA'ra-se rappeler cependant qu'un
trop long contact avec l'eau produit la décomposition de la
mélinite.
Si on emploie des charges allongées disposées en colle-
rette autour de l'arbre, on prendra un nombre de pétards
égal à 7, g, 12, 16 ou 20 suivant que le diamètre de l'arbre
est de 3o, 35, 4o, 45 ou 5o centimètres.
Si l'arbre a un diamètre supérieur à 5o centimètres, on
=
calculera la charge par la formule c 10 cl1 (c charge en
kilos, et d, diamètre en mètres) ou le nombre n de pétards
en fonction de la circonférence p, exprimée en mètres
n 8p\
=Il faut
que le contact, entre l'arbre et la charge soit bien
intime, el, dans ce but, on pratique au besoin des facettes
d'appui sur la circonférence. La chute de l'arbre a lieu du
côté où la charge est la plus forte ; on en règle donc la
répartition en conséquence ; au besoin on ajoute un ou deux
pétards supplémentaires.
Il y a économie à employer des charges placées dans des
trous de tarière pratiqués dans l'arbre ; on en fait cinq le
long de la circonférence et on place deux pétards dans cha-
cun d'eux ; on relie ces diverses charges à l'aide du cordeau
détonant.
Il faut remarquer que ce procédé de renversement des
764 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
pilots et poteaux ne doit pas être appliqué à l'abatage des
arbres, lorsqu'il s'agit de raser un bois de quelque étendue ;
non seulement il serait trop long, mais il épuiserait bien
vite les approA'isionnemcnts des parcs.
Si on A'eut rompre une pièce rectangulaire de dimensions
a et b {a étant la largeur et b l'épaisseur exprimées en
mètres), on place sur toute la largeur une quantité de méli-
nite calculée par la formule c= ioa6ouc i3,5a6 sui-
=
vant que le bois est d'essence tendre ou dure.

4° Pièces métalliques. — On constitue des charges élé-


mentaires placées bout à bout sur toute la largeur de la
pièce à détruire. Chacune de-ces charges est constituée de
pétards de mélinite empilés les uns sur les autres, et le nom-
bre n de pétards qui la compose se calcule par la formule

où m représente le nombre de pièces de tôle superposées


constituant la poutre à détruire et e l'épaisseur totale de
cette poutre exprimée en centimètres.
Pour les grilles et barrières, on s'attaque de préférence
aux gonds, aux serrures ou aux scellements. Pour les grilles,
il suffit de deux pétards de mélinite, placés au point à dé-
truire. Pour une porte ou barrière, on emploie i5 kilos de
poudre ou 3 kilos de mélinite.

5° Glace. — Lorsqu'on A'eut rendre à la navigation une


rivière gelée, ou rompre la glace dans les fossés d'un ou-
A'rage, il est préférable d'employer la mélinite, parce que la
poudre exige des récipients élanches et que son emploi est
par suite plus difficile.
On peut pratiquer les fourneaux dans la glace, et il con-
A'ient de les y placer aussi profondément que possible. Leur
=
charge se calcule alors par la formule : c h> pour la pou-
=
dre, et, c o,6o Iv pour la mélinite.
DESTRUCTIONS 7Ô5
Si, au contraire, on se contente de charges allongées
posées à la surlace, la poudre ne donne pas de bons résul-
tats, tandis que la mélinite rompt aisément des glaces ordi-
naires.
A cet effet, on pratique, à la hache, sur la surface de la
glace, une rigole de 6 à 8 centimètres de profondeur dans
laquelle on dispose des pétards espacés de 80 centimètres
et reliés entre eux par du cordeau détonant. Ce procédé
conA'ient pour une épaisseur de glace inférieure à 3o centi-
mètres ; si la glace est plus épaisse, on y pratique des fo-
rages de im 5o de distance et on charge chacun d'eux d'un
pétard placé au niveau de Feau.
CHAPITRE LUI

TRAVAUX DU CAMP

Préparation du terrain. — Quel que soit l'emplace-


ment choisi par le commandement pour l'installation d'un
camp, il est indispensable tout d'abord de l'aménager
convenablement pour assurer l'écoulement des eaux qui,
sans cela, ne tarderaient pas à le rendre inhabitable ou tout
au moins fort insalubre.
Si le terrain présente une certaine déclivité, on y arrive
facilement à l'aide de rigoles ou fossés, pratiqués suivant les
lignes de plus grande pente et correspondant, autant que
possible, avec les rues el avenues formées par les baraques
ou les lentes.
Si le camp est en plaine, on creuse, aux points les plus
bas, clés puisards assez profonds pour arriver aux couches
perméables ; on les remplit de pierres grossièrement con-
cassées, pour éA'iter les accidents, et on y dirige les eaux
des diverses autres parties du terrain, par des rigoles
toujours tenues en parfait état de propreté.
Construction des baraques et abris. — Les bara-
ques sont construites plus ou moins solidement, suivant la
durée probable du séjour, les ressources en matériaux de la
localité et les fonds dont dispose à cet effet le service du
génie, chargé de leur établissement. Les t}'pes à adopter
varient en conséquence aArec les circonstances; toutefois, on
recherche généralement, en principe, dans chaque cas par-
ticulier, celui qui paraît susceptible de la plus grande rapi-
dité d'exécution.
Les baraques en planches, briques et planches, et, autres
TRAAAUX DU CAMP 767
constructions de cette nature ne sont jamais établies par
les troupes mêmes : il doit donc suffire ici de les citer.
Il en est autrement des baraques en torchis (mélange de
paille hachée et de terre glaise dont la figure 267 offre une
disposition assez usitée). '

La charpente est formée de fermes espacées de 1 mètre


environ el composée de rondins, de 7 à 8 centimètres de
diamètre, assemblés par des entailles grossières et des cor-
dages ou du fil de fer un peu fort. Les montants verticaux
servent d'appui au torchis, que l'on recouvre ensuite d'une

Fiçj. 267. — Baraque en torchis.

épaisse couche de terre glaise. La toiture est formée de


paille, de branchages, de clayonnages ou même de torchis :
cette dernière disposition a l'inconvénient de charger à
l'excès la charpente. Les pignons sont en clayonnage ou en
torchis recouvert de terre glaise; on ménage, dans l'un, une
fenêtre et, dans l'autre, une porte, et l'on munit ces ouver-
tures de fermetures mobiles en clayonnage enduit de torchis
ou revêtu de paille. Autour de la baraque, on trace un fossé
pour recueillir les eaux pluviales et en assurer l'écoulement;
8 hommes mettent environ six jours à construire une bara-
que de ce genre pouvant servir à les abriter.
Les dimensions habituelles des baraques en torchis de ce
modèle sont les suivantes :
7 pas de large sur 10 de long, pour 20 fantassins ou i5
cavaliers-;
768 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

7 pas de large sur 8 de long, pour 16 fantassins ou 12


caA'aliers ;
6 pas de large sur 7,de long, pour 12 fantassins ou 9 ca-
valiers;
4 pas de large sur 8 de long, pour 8 fantassins ou 6 cava-
liers.
A défaut de baraques, on peut loger les hommes dans des
gourbis, constructions légères formées d'une simple toiture

Fig. 267 bis. — Gourbi..

recouvrant une excavation de 80 centimètres em'iron de pro-


fondeur, dans laquelle les hommes perwenl se coucher. La
toiture donnant l'abri est faite en clayonnage, en branchages,
en torchis ou en paille, suivant les circonstances. La figure
267 bis montre l'une des dispositions ordinaires de ce genre
d'abris.
Autrement, les hommes sont logés sous la tente : en
Europe, sous la tente conique réglementaire à 12 hommes
(12 fantassins ou 10 cavaliers) ; hors d'Europe, sous la tente-
abri.
Les chevaux, lorsqu'ils ne sont pas baraqués, ce qui es!
le cas le plus général, sont à la corde.
Il faut en outre citer, comme constructions accessoires
faisant partie des travaux du camp : les cuisines, simples
TRAA'AUX DU CAMP 769
rigoles creusées dans le sol, assez étroites pour que les marmi-
tes puissent, reposer en travers sur les bords, el juste assez
profondes pour que l'on y puisse placer le bois ; les latrines,
qui sont le plus souvent, de simples tranchées, masquées du
côté de la campagne par le remblai provenant de l'excava-
tion, et du côté du camp, par des murs en gazon ou en'
clayonnage ou plus simplement par des branchages piqués
en terre ; les abris pour les postes ; les guérites et les che-

Fig. 268. — Glicvalcl d'armes.

valets d'armes {jig. 268) sur lesquels on place les fusils, de


manière à les présen'er du contact du sol.

Service de l'eau. — L'eau qui entre de diverses


manières dans l'alimentation des hommes el des animaux,
et même celle dont on l'ait usage pour leurs besoins exté-
rieurs, exerce une telle influence sur la santé générale des
troupes que l'on doit, s'efforcer, en toutes circonstances,
de leur en procurer de bonne qualité et en abondance. Il
faut compter dans un camp, pour l'approA'isionnement jour-
nalier : 10 litres d'eau par homme et 4o litres par cheval.
La bonne eau est claire, limpide, insipide et inodore; elle
contient de l'air, dissout le saA'on, bout facilement et cuit bien
les légumes. Les eaux courantes et les eaux de sources un peu
abondantes sont celles qui présentent le plus généralement.
ces divers caractères. On devra donc choisir autant que
possible, pour y asseoir les camps, des terrains qui assurent.
=uix troupes la disposition d'un cours d'eau rapide, à fond
MA.KUUL DE KOUTII'ICATION 49
770 4 PARTIE ORGANISATION ET SERA'IGES DU GENIE
sablonneux, ou celle de sources fournissant en quantité
suffisante de l'eau courante bien aérée.
Si l'on n'a à sa disposition qu'un cours d'eau à fond
A'aseux, ou un étang de même espèce, le seul fait d'y puiser
de l'eau retient cette A'ase en suspension, l'empêche de
reposer, et l'eau n'est plus potable. On creuse alors, à côté
du cours d'eau ou de l'étang, un petit puits dont on garnit
le fond de gravier et de sable fin, additionnés d'alun et de
charbon. On amène l'eau de la rivière ou de l'étang dans ce
puits, en la faisant passer dans une caisse remplie de sable
fin, dont les faces opposées situées sur le trajet du liquide
ont été percées de trous : c'est alors dans le puits seule-
ment que l'on puise l'eau potable.
On peut aussi se contenter, en pareil cas, de placer dans
le cours d'eau ou dans la mare un tonneau défoncé en
dessus, dont le fond inférieur est percé de trous et recouvert
de couches successives de sable fin et de charbon. On
enfonce le tonneau de manière que le dessus de la dernière
couche de ces matières filtrantes soit suffisamment au-
dessous du niveau de l'eau, qui remonte alors dans son
intérieur débarrassée de toutes ses impuretés.
S'il n'existe ni cours d'eau, ni étang, ni mare dans le
voisinage, on creuse des puits pour rechercher l'eau dans
les couches souterraines. Lorsqu'on ne peut y parvenir, on
est réduit à faire usage de citernes, dans lesquelles on
recueille et l'on conserve les eaux pluviales ; mais ce dernier
procédé, qui ne donne qu'un liquide peu salubre, ne doit
être employé qu'à la dernière extrémité.
Pour construire les puits, on peut employer, faute de
mieux, les procédés indiqués dans la troisième partie {Voir
page 663) pour l'exécution des puits dans la guerre de mines.
Mais ce sont là des moyens peu expéditifs; lors donc que la
chose sera possible, on aura recours de préférence à l'emploi
d'appareils de forage instantané, tels que l'appareil Piloy,
dont l'usage est aujourd'hui assez répandu en France.
Cet appareil se compose d'une série de tubes creux, se
TRAA'AUX DU CAMP 771
vissant à A'olonté les uns sur les autres, terminée par un tube-
flèche taillé en pointe à son extrémité, de manière à pouvoir
pénétrer aisément dans les terres. A l'extrémité opposée au
tube-flèche, on visse une tête de Turc, sur laquelle on frappe
à l'aide d'un mouton manoeuvré par deux hommes. Au fur
et à mesure que les tubes s'enfoncent, on en ajoute de nou^
veaux, jusqu'à ce que l'on ait atteint la couche aquifère. On
enlèA'e alors la tête de Turc, et on la remplace par une pompe
aspirante, au moyen de laquelle on peut obtenir l'eau, si
celle-ci n'est pas à une profondeur supérieure à 7 ou 8 mètres.

Lorsque le camp se trouve à proximité d'un cours d'eau,


on organise des abreuvoirs pour les chevaux. On choisit
autant que possible un point accessible par une pente
douce, où le fond soit de gravier uni, la vitesse inférieure à
5o centimètres parseconde et laprofondeur à 75 centimètres.
Si le lit est accidenté et terreux, on y jette des cailloux.
Si les berges sont trop raides, on y entaille des rampes de
5 à 6 mètres de largeur au moins, inclinées à 1/10, et on
les recouvre de graviers, de cailloux, de fascines ou de
menus branchages retenus par des piquets à tête noyée.
On limite l'emplacement réservé à l'abreuvoir par une
barrière en clayonnage ou, mieux, par des poutres flottantes
reliées entre elles. On augmente au besoin dans cette par-
tie la rapidité du courant, en diminuant la section du cours
d'eau à quelque distance en amont, au moyen de barrages
ou de digues en clayonnage.
S'il n'y a pas de cours d'eau, on construit des auges en
bois, que l'on place sur des banquettes en gazon de 70 cen-
timètres de hauteur.

Il faut en outre établir des lavoirs sur radeaux ou sur


pilotis, lorsque l'on possède un cours d'eau. Si l'on n'a que
des puits à sa disposition, on installe auprès d'eux des
baquets et des planches sur tréteaux, en organisant avec le
plus grand soin l'écoulement des eaux sales.
772 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
Abris de bivouac. — Lorsque les troupes doivent
bivouaquer, on construit pour les hommes des abris légers
capables de les préserver contre les intempéries. La figure
269 montre l'une des dispositions qui conviennent le mieux

Fig. 26g. •—
Abri de bivouac.

Fig. 270. — Abri circulaire.

pour ce genre de constructions, auxquelles on se borne,


d'une manière générale, à donner la forme d'une toiture en
clayonnage, en paille, etc., capable de fournir un abri contre
la pluie.
TRAVAUX DU CAMP 773
Lorsque le bivouac est organisé pour une petite troupe,
comme une grand'garde ou un petit poste, et que les cir-
constances permettent d'y faire du feu, on peut employer la
disposition indiquée figure 270, qui est imitée des travaux
exécutés par les Prussiens deA'ant Paris en 1870. Les hom-
mes y ont le haut du corps suffisamment abrité par la toi-
ture circulaire et peuvent appuyer leur tête sur la banquette
en gazon qui règne tout autour.
Enfin, lorsque les troupes doivent biA'ouaquer sur un
sol humide, on fera bien, si on en a le temps, de tresser des
claies, que l'on disposera autour des feux, et sur lesquelles
les hommes pourront dormir à l'aise, em'eloppés dans leurs
manteaux.
Il convient du reste d'aAroir soin, dans l'établissement des
bivouacs de forme circulaire, quelle que soit par ailleurs
leur disposition, de toujours placer l'entrée du côté où
souffle le A'eut, afin que la fumée ne s'y engouffre pas.
Il ne faut pas perdre de vue que toul ce qui peut contri-
buer à la bonne installation desbiA'ouacs et des campements
est d'une importance capitale en campagne. « La guerre,
écrivait le général de Brade, est, l'art, de se battre et dor-
mir, et il faut souvent plus d'habileté pour rendre des l'orces
à sa troupe que pour les user. » Sous sa forme originale,
ce précepte met en évidence, d'une façon saisissante, l'uti-
lité de l'étude de tous ces détails, dont l'aridité est sans
doute peu attrayante, mais qu'il est cependant indispen-
sable de bien connaître, pour arriA'er à entretenir convena-
blement en campagne la santé et, par suite, le moral des
troupes, sans lesquels il n'est point de victoire possible.
CHAPITRE LIV

ROUTES

Définitions. — Une route se compose habituellement


aujourd'hui d'une chaussée pour les voitures et de deux
trottoirs ou accotements pour les piétons.
La chaussée, qui forme la partie centrale, ayant à sup-
porter le roulement presque continu de A'oitures quelque-
fois pesamment chargées, est ordinairement pavée ou
empierrée, c'est-à-dire recouverte de pierres concassées,
agglomérées par une compression énergique. Dans certai-
nes circonstances particulières, on peut se contenter, pour
cette partie principale de la voie, d'un revêtement en bois ;
mais cette dernière disposition est d'un emploi tout à fait,
exceptionnel dans les pays de l'Europe occidentale.
Les trottoirs ou accotements, pour lesquels une aussi
grande résistance n'est pas indispensable, ne sont généra-
lement pas revêtus.

Lorsqu'il s'agit d'établir une route, on en détermine


d'abord le tracé et les profils.
Le tracé s'exécute en représentant l'axe de la A'oie, c'est-
à-dire le lieu géométrique des points milieux de la chaus-
sée.
Le profil en long représente la coupe de la route par une
surface cylindrique à génératrices verticales ayant pour di-
rectrice l'axe même de la A'oie. Ce profil met en éA'idence
les rampes et les pentes, qui ne doivent pas excéder cer-
taines limites, sous peine d'augmenter, dans des proportions
ROUTES 775
excessives, les difficultés de la circulation. Sur les roules
ou chemins militaires, l'inclinaison ne doit jamais dépasser
1/6 (1 de hauteur pour 6 de base); cette limite supérieure
n'est elle-même admissible que pour de très faibles parties
de la A'oie.
Les profils en travers donnent, pour les différentes por-
tions de la route auxquelles ils correspondent, la coupe de la
voie par un plan perpendiculaire à son axe. Ils font ressor-
tir le bombement de la chaussée, destiné à assurer l'écoule-
ment des eaux que l'on recueille dans des fossés latéraux,
et la disposition relative des. trottoirs ou accotements.
En exécutant le tracé, on s'efforce, en général, tout en
restant dans les limites A'oulues pour les pentes, de suivre
autant que possible le terrain lui-même, afin d'éviter les
grands remblais, les grands déblais et les travaux d'art, qui
sont toujours très onéreux. On doit proscrire également les
courbes d'un faible rayon, qui sont une cause de gêne con-
sidérable pour la circulation; le rayon de 10 mètres peut
être considéré comme un minimum qu'il convient de ne pas
dépasser.
Les armées en campagne n'ont du reste que tout à fait
exceptionnellement à entreprendre la construction de routes
proprement dites. Elles ont, au contraire, très fréquemment
à exécuter la destruction et la réparation de celles qui
existent pendant le temps de paix sur le théâtre de leurs
opérations. Elles procèdent alors comme cela va être indi-
qué aA'ec quelques détails.

Destruction d'une route. —Pour détruire une route,


il faut autant que possible s'atlaquer aux ouvrages d'art,
aux grands remblais, aux talus des déblais les plus pro-
fonds ou, mieux encore, lorsqu'il en existe, aux parties de
la route situées à flanc de coteau. La rupture des ouATages
d'art sera, dans le chapitre suivant, l'objet d'une étude par-
ticulière ; on ne s'occupera dans celui-ci que de la destruc-
tion des autres parties de la roule.
776 4° PARTIE ORGANISATION ET. SERVICES DU GÉNIE
Il convient de faire remarquer tout d'abord que la mise
hors de service d'une voie de communication est une opé-
ration que l'on ne doit pas décider à la légère, parce qu'elle
peut entraîner, pour celui-là même qui l'exécute, de très
graves conséquences. Il est bien éA'ident, en effet, qu'en
rendant une route ou un chemin impraticables à l'ennemi,
on s'enlève à soi-même la possibilité de les utiliser ultérieu-
rement pour un mouvement en avant.
On de\'ra donc distinguer avec soin : les cas dans les-
quels il y aura lieu d'exécuter seulement une demi-destruc-
tion, dont le résultat ne sera qu'un simple retard dans les
mouvements, et ceux dans lesquels il convient, au contraire,
d'opérer la destruction totale, ce que l'on pourra faire,
par exemple, au cours d'une marche en retraite entreprise
sans espoir de retour offensif.
Dans les premiers, pour obtenir une simple interruption
momentanée de la voie, il suffira d'eu détruire la chaussée,
dont la réparation pourra toujours s'exécuter ensuite assez
aisément.
Dans les seconds, on renversera de préférence les ouvra-
ges d'art, dont le rétablissement exige généralement un
temps considérable et est la plupart du temps impraticable
avec les ressources ordinaires des armées en campagne.
La destruction des remblais, des grands talus de déblai
et des parties de route à flanc de coteau s'exécute en faisant
jouer Un certain nombre de fourneaux établis à une distance
convenable du talus que l'on se propose de renverser.
Pour calculer la charge de ces fourneaux, on fera, usage
,

=
de la formule simple c ZIv, dans laquelle A représente,
comme cela a déjà été dit précédemment, la ligne de moin-
dre résistance.
La figure 271, qui montre la disposition à donnera ces
fourneaux, fait ressortir que leur distance au talus doit être
eiiA'iron les 5/4 de leur distance au sol de la chaussée, dont
la résistance est toujours plus considérable.
Dans les parties à flanc de coteau où la route est soute-
ROUTES 777
nue par un mur, on emploie la même disposition, en ayant
soin de rapprocher le fourneau du parement extérieur aux
7/8 de la dislance qui le sépare du sol.
La profondeur de chaque fourneau doit être de 3 mètres

Fig. 271. — Destruction d'une roule.

au minimum, et la distance entre deux fourneaux A'oisins de


(i mètres environ.

Lorsque l'on A'eut détruire une route ne présentant pas


de partie en remblai ou en déblai, on dispose en quinconce,
à 3 mètres au-dessous du niveau de la chaussée, une série
de fourneaux de 70 à 80 kilos de poudre, distants les uns
des autres de 6 mètres environ. Ce procédé donne rare-
ment, du reste, une destruction complète de la voie, bien
qu'il soit cependant d'une exécution assez lente. On peut
abréger notablement l'établissement des fourneaux, en em-
ployant la barre à mines Binet ou Augier et en opérant
comme il a été dit dans la troisième parlie {Voirpage 66j).

Réparation d'une route. — Pour réparer une route


en déblai ou en remblai, dans laquelle on a pratiqué un
éboulemenl, le procédé le plus simple consiste à niveler
grossièrement les terres éboulées en adoucissant les rampes
trop fortes, et à recouvrir le tout d'un empierrement conve-
nable.. Si l'opération présente trop de difficultés, il sera
plus simple, du reste, de contourner l'éboulement par une
778 4° PARTIE —- ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
portion de route neuA'e formant lacet, établie sur le sol
même.
On opérera de même s'il s'agit de réparer une route ordi-
naire dont la chaussée a été détruite par une série de four-
neaux disposés comme cela a été indiqué dans le para-
graphe précédent.
Dans l'un et l'autre de ces deux cas, le travail consistera
surtout dans l'empierrement, dont l'existence est indispen-
sable si la route doit être pratiquée par de nombreuses
voitures. A défaut de pierres concassées, on pourra, en

Fig. 272. — Réparation d'une route à flanc de coteau.

pareille circonstance, se servir de grosses pierres plates,


formant une espèce de pavage.
On emploiera, du reste, avantageusement, si les pierres
manquent, et si la portion à réparer n'a pas une trop grande
étendue, un revêtement en fascines serrées. Si le bois est
abondant, on pourra même constituer la chaussée aA'ec des
couches de rondins disposées alternativement dans deux
sens perpendiculaires et recouverts d'une couche de terre
de faible épaisseur. Ce dernier procédé donne un revête-
ment plus résistant que le premier, mais il a l'inconvénient
d'exiger une quantité considérable de bois.
S'il s'agit de réparer une route à flanc de coteau, dont
on a fait ébouler le talus en remblai ou le mur de soutène-
ROUTES 779
ment, l'opération est à la fois plus longue et plus difficile.
Il faut, en effet, de toute nécessité, rétablir les terres ébou-
lées, parce qu'il est généralement impossible, surtout en
pays de montagne, de contourner l'éboulement, et, pour
soutenir ces terres du côté opposé au flanc du coteau contre
lequel est appuyée la route, on est obligé d'établir un revê-
tement solide, capable de les supporter.
Pour constituer ce reA'êtement, on fera usage soit de
gabions empilés, comme on le A'oit sur la figure 272, soit
de murs en pierres sèches, soit de tout autre dispositif
approprié aux circonstances dans lesquelles on se trouve
placé.
En pays de montagne, par exemple, où la terre fait sou-
vent défaut, si le bois est au contraire abondant, on pourra
adopter un système de charpente formé de grands poteaux
reposant sur le roc et supportant une sorte de traAuire en
bois, sur laquelle on établira la chaussée.
Quant aux travaux d'entretien et de réparation des
chaussées accidentellement défoncées par la circulation des
voitures nombreuses et pesantes que les armées modernes
traînent à leur suite, ce sont là des opérations qui rentrent
dans la partie technique du service des officiers des armes
spéciales ; on se bornera donc à les citer ici pour mémoire.
CHAPITRE LV

PONTS MILITAIRES

Pour une armée en campagne, qui traîne obligatoirement


à sa suite un nombre considérable de lourds impedimenta
de toute espèce, le passage d'un cours d'eau de quelque
importance est toujours une opération fort délicate. Il en
est surtout ainsi lorsque l'armée ne dispose point, pour
l'exécuter, de ponts permanents convenables et en nombre
suffisant. Elle est alors obligée d'y suppléer par l'établisse-
ment de ponts militaires, c'est-à dire de ponts improvisés
soit à l'aide du matériel spécial de ses équipages ordinaires ;
soit en mettant en oeuATe les moyens de passage et les maté-
riaux appropriés qu'on peut se procurer sur le théâtre des
opérations.
C'est le génie qui est chargé de la construction des ponts
militaires, aussi bien de ceux construits avec le matériel
d'équipage (réservés, jusqu'en 1894, aux pontonniers de l'ar-
tillerie), que de ceux construits avec les matériaux trouA'és
dans le pays.
La cavalerie cependant possède un matériel de pont léger
qu'elle met elle-même en oeuvre.
En campagne, et à défaut de troupes du génie, l'infanterie
el la cavalerie pourront avoir à improviser des passerelles
pour franchir des cours d'eau de faible largeur.
Définitions. — Tout pont militaire se compose essen-
tiellement : d'un tablier, servant à la circulation, et d'un
certain nombre de corps de support, sur lesquels repose
PONTS MILITAIRES 78 I
directement ce tablier. C'est par la constitution des corps
de support que diffèrent les diverses espèces de ponts mili-
taires, dont on verra plus loin les dénominations.
Quelle que soit, du reste, leur disposition, on nomme
travée la portion de chacun de ces ponts comprise entre
deux supports consécutifs, et culée le support fixe, attenant
à la rive et servant de point de départ ou d'arrivée dans la
construction.
La longueur habituelle d'une travée est comprise entre
4 et 6 mètres, suivant la nature des corps de support em-
ployés.

Constitution du tablier. — Le tablier, dont la consti-


tution est la même pour les différentes espèces de ponts (Voir

Fitj. 373. — Tablier d'un ponl. militaire.

fig. 2/3), se compose essentiellement: i° d'un certain nom-


bre de poutrelles a b, régulièrement espacées et parallèles
à l'axe du pont ; 1° de planches ou madriers jointifs c c, dis-
posés en travers sur ces poutrelles, et formant une sorte de
plancher continu sur lequel s'effectue la circulation.
Le nombre des poutrelles varie de 4 à 6, suivant leur
épaisseur : il est le plus généralement, de 5. La longueur des
madriers, qui donne la largeur totale du pont, est de 4 mètres
environ.
' Chaque poutrelle est fixée sur les deux corps de support
de la travée dont elle fait partie : soit à l'aide de ligatures en
cordes, auxquelles on donne le nom de brêlages, soit à l'aide
782 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
de crochets en fer ou clameaux, dont l'une des pointes est
enfoncée dans la poutrelle même et l'autre dans le corps
de support.
Les madriers, qui forment le dessus du tablier, sont,
maintenus en place par deux poutrelles de guindage d, d,
placées au-dessus des deux poutrelles extérieures de la
travée et reliées avec elles, de distance en distance, par de
menus cordages fortement tordus à l'aide de billots e, retenus
en place, après la torsion, par d'autres cordages plus petits.
L'ensemble de cette disposition, auquel on donne le nom de
guindage, assure' d'une manière très satisfaisante la solida-
rité des diverses parties du tablier.
L'intervalle compris entre les deux poutrelles de guindage
est ce qu'on appelle la voie du pont; il a 3 mètres environ.
A défaut de bois équarris et de madriers, on peut em-
ployer des poutrelles en grume et remplacer les madriers
par des fascines maintenues au moyen de broches ou de
perches de guindage. On recouvre les fascines d'une couche
de terre.
Les tabliers des ponts militaires sont quelquefois, par
mesure de précaution, munis de garde-fous faciles à im-
proviser.

Équipages de pont. — On a vu au chapitre Lit la


composition de l'équipage de pont, élément du corps d'ar-
mée, qui lui donne le moyen de construire rapidement des
ponts.
L'équipage de pont comporte des corps de support de
deux sortes : des bateaux au nombre de 16 et des chevalets
à deux pieds, au nombre de 8.
Le bateau d'équipage est en tôle d'acier. Il a 8m55 de lon-
gueur, ira70 de largeur, 81 centimètres de hauteur; il est
rendu insubmersible par des sacs contenant des débris de
liège. Il pèse 760 kilos et peut porter environ 8 000 kilos. On
le transporte sur un baquet. Le bateau métallique a récem-
ment remplacé le bateau en bois, qui était plus léger (660
PONTS MILITAIRES 783
kilos) à tonnage égal, mais avait le grave inconvénient de
perdre son étanchéité à la suite des transports sur route et
d'une exposition prolongée à la chaleur.
Les bateaux d'équipage conviennent particulièrement
pour les cours d'eau à courant rapide, mais peuvent être
employés toutes les fois que la hauteur d'eau n'est pas trop
faible (5o à 60 centimètres) pour qu'on puisse craindre que,
sous l'effet de la charge qu'ils supportent, ils ne viennent à tou-
cher le fond du cours d'eau et à s'écraser. On peut être amené
également à rejeter leur emploi lorsque les berges sont assez
élevées et de nature rocheuse, auquel cas leur mise à l'eau
serait impossible. En dehors de ces circonstances, ils donnent
une grande rapidité de construction et se prêtent d'une
manière toute spéciale aux passages de vive force en pré-
sence de l'ennemi.
Ils permettent, en outre, de traverser les premières troupes
pendant les préparatifs de la construction du pont.

Le chevalet à deux pieds a été imaginé par le colonel


autrichien Birago. II constitue un corps de support parti-
culièrement léger. Il se compose (fig. 274) d'un chapeau
a a, dans chaque extrémité duquel est pratiquée une large
mortaise ou coulisse, donnant passage à un pied rectangu-
laire b. Chaque pied est terminé, à la partie supérieure, par
une sorte de tenon cylindrique, que coiffe le collier ou grand
anneau d'une chaîne de suspension, et, à la partie inférieure,
par une pointe en forme de pyramide quadrangulaire de
faible hauteur. Une semelle en bois d, suffisamment large
pour s'opposer à la trop grande pénétration de cette pointe
dans un sol de faible consistance, peut être fixée, à l'aide de
deux chaînettes, à des crochets portés par la partie infé-
rieure du pied.
Le chapeau, les pieds et les semelles forment autant de
pièces séparées pour le transport. On ne les assemble qu'au
moment de la pose du chevalet. A cet effet, on introduit
d'abord les pieds dans les coulisses, on fait ensuite passer
784 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
l'extrémité de chaque pied dans le trou central de la semelle
qui lui est affectée et on accroche les chaînettes aux crochets
porte-semelles.
Il existe des pieds de 2 mètres, 3 mètres et 3mgo. Le che-
valet à deux pieds convient à toute profondeur d'eau infé-
rieure à 2m6o. 11 est -particulièrement destiné à servir de
corps de support dans la construction d'un pont d'équipage
aux endroits trop peu profonds pour un bateau. Il est d'un

Fif[. 27/1. — Chevalet Birayo ou à deux pieds.

mauvais emploi sur les fonds vaseux et son poutage est


toujours plus long que celui du bateau.
L'équipage de pont possède deux nacelles. Ce ne sont pas
des corps de support, mais des embarcations légères qui
naviguent bien et peuvent passer librement sous le tablier
du pont.

Ponts d'équipage. — On peut construire avec le


matériel d'équipage des ponts de bateaux et des ponts mixtes
de bateaux et de chevalets, ces derniers étant en principe
placés près des rives, à cause de leur peu de stabilité.
Les procédés à employer pour l'établissement des ponts
PONTS MILITAIRES 785
de bateaux varient avec les circonstances : on compte quatre
méthodes principales de lancement :
i° Par bateaux successifs, qui est la plus généralement
usitée ; elle consiste à amener les bateaux l'un après l'autre
à l'emplacement qu'ils doivent occuper et à les réunir par
la portion du tablier correspondante ;
20 Par portières. On constitue des portions de pont dites
portières, formées de deux ou trois bateaux réunis par le
tablier intermédiaire; ces portières sont.amenées successi-
vement les unes au bout des autres et réunies par des colliers
et des bouts de poutrelle, dits faux guindages. Les points de
jonction des diverses portières constituent des parties
faibles du pont. Cette méthode permet de gagner du temps
et de soustraire aux vues de l'ennemi une partie du travail
de construction ;
3° Par parties. Dans cette méthode on assemble à l'avance
des parties de pont formées de deux ou trois bateaux comme
dans la précédente, mais elles sont incomplètement pontées
et on les réunit les unes aux autres par des travées de jonc-
tions, de sorte qu'après son achèvement le pont est bien
homogène ;
4° Par conversion. Le pont tout entier est construit le
long de la rive et on l'amène en place, d'un seul coup, par
une conversion d'un quart, de cercle. Il faut pour cela dis-
poser sur la rive de départ des points d'amarrage extrême-
ment solides et il faut, en outre, avoir mesuré bien exacte-
ment la largeur du cours d'eau, pour qu'après sa conversion
l'extrémité du pont vienne aboutir exactement au point
qu'on a choisi. Lorsqu'elle réussit, cette méthode est la plus
rapide de toutes et celle qui convient le mieux pour une
surprise.
Quelle que soit la méthode employée pour la construction
du pont, il est nécessaire d'assurer la solidité de l'ouvrage
en amarrant les bateaux à des ancres mouillées en amont
du cours d'eau en nombre d'autant plus grand que le cou-
rant est plus fort, et, aussi, à quelques ancres d'aval.
MANUEL DE FORTIFICATION 50
y86 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
Les ponts d'équipage peuvent être construits : à petites
portées, c'est-à-dire les poutrelles reposant sur les quatre
plats-bords des deux bateaux qu'elles réunissent; à grande
portée, les poutrelles reposant sur les deux plats-bords d'un
des bateaux et sur un bord de l'autre; à très grande portée,
les poutrelles reposant sur un seul plat-bord de chaque
bateau ; cette dernière disposition n'est qu'exceptionnelle-
ment employée.
Dans le pont âge à petite portée, la dislance de bateau à
bateau est de 6 mètres comptée d'axe en axe.
Lorsqu'un chevalet à deux pieds doit entrer dans un
pont, on se sert avantageusement pour sa mise en place

Fig. 275. — Poutrelles à grilles.

d'un bateau, d'une nacelle, ou de deux nacelles accou-


plées. Le chapeau étant soutenu, à l'aide de deux poutrelles,
à une hauteur convenable au-dessus du niveau de l'eau, on
laisse glisser les pieds dans leur mortaise jusqu'à ce qu'ils
reposent sur le fond de la rivière. On fixe alors les chaînes
de suspension ; on enlève les poutrelles qui servaient à
soutenir le chapeau ; on enfonce les pieds en rectifiant leur
position et en même temps celle du chapeau, qui doit fina-
lement reposer sur ces pieds mêmes, à bonne hauteur au-
dessus de la surface du cours d'eau.
Le chevalet ainsi établi manquerait évidemment de
stabilité : le moindre effort, le renverserait aisément, en le
faisant tourner autour de la ligne qui joint les pointes des
deux pieds. Pour obvier à cet inconvénient, on le ponte
PONTS MILITAIRES 787
avec des poutrelles spéciales, dites poutrelles à griffes
(fîg. 2j5), portant à chaque extrémité une griffe qui em-
brasse le chapeau entre les deux taquets dont elle est formée.
Chaque poutrelle en place est solidement brêlée sur le cha-
peau ; celui-ci se trouve de la sorte arc-bouté en avant et en
arrière, dans le sens de l'axe du pont : tout mouvement de
renversement du chevalet devient par conséquent impossible.
Les poutrelles sont ensuite recouvertes de madriers, et le
tablier est achevé comme il a été dit précédemment.
Les chevalets à deux pieds sont aussi employés pour
surélever le tablier des ponts de bateaux, lorsqu'on veut le
raccorder à des berges élevées que l'on n'a pas pu ou pas
voulu entailler. Dans ce cas, on les fait reposer dans les
bateaux auxquels ils se superposent. Pour conserver une
stabilité suffisante, il ne faut pas surélever ainsi plus de
quatre bateaux sur chaque rive.

Ponts de circonstance. — Les ponts de circonstance


sont ceux qui, à défaut de matériel d'équipage, sont cons-
truits avec du matériel ou des matériaux pris dans le pays.
Les corps de support, variés à l'infini, dont on fait alors
usage pour la construction des ponts militaires, forment
deux grandes catégories, savoir :
i° Les supports fixes, tels que les chevalets et les pilots,
qui reposent sur le fond même du cours d'eau;
20 Les supports flottants, bateaux et radeaux, par exem-
ple, qui flottent à la surface.

Ponts de chevalets à quatre pieds. — Le chevalet


ordinaire ou chevalet français (fig. 27G) se compose: d'un
chapeau a, pièce de bois horizontale sur laquelle reposent
les poutrelles, et de quatre pieds obliques /^assemblés
avec le chapeau. L'inclinaison des pieds est d'environ 1/10
dans le sens longitudinal, et de i/4 dans le sens transversal.
Pour maintenir l'assemblage de ces pièces entre elles, on
enfonce de fortes chevilles dans les tenons des pieds et on
788 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
dispose un certain nombe d'écharpes c et de traverses d
assurant l'invariabilité du système. Un coussinet e, placé
directement sous le chapeau, contribue, en outre, dans une
certaine mesure, à en supporter le poids.
Le chevalet français convenablement organisé donne un
corps de support très stable ; mais, pour que le chapeau
soit bien horizontal, il faut que la longueur des divers pieds
soit réglée très exactement d'après la profondeur des points

Fig. 276. — Chevalet à quatre pieds.

sur lesquels ils doivent reposer. Il est par suite indispen-


sable d'exécuter préalablement pour chacun d'eux un son-
dage du cours d'eau. Une fois établis d'après les résultats
de ce sondage, les chevalets offrent l'inconvénient de ne
plus pouvoir servir, sans modification nouvelle, pour des
emplacements autres que ceux pour lesquels ils ont été
organisés.
A cela près, les chevalets à quatre pieds conviennent très
bien pour des rivières dont le fond présente une consistance
telle que les pieds ne puissent s'y enfoncer, et dont la pro-
fondeur n'excède pas 3 ou 4 mètres. Les chevalets dont la
hauteur dépasse 4 mètres sont fort lourds et comme tels
difficilement maniables.
On improvise aisément des chevalets de cette espèce avec
PONTS MILITAIRES 789
des arbres abattus; douze hommes exercés, faisant usage
de gabarits spéciaux, à l'aide desquels on détermine rapi-
dement les dimensions exactes des mortaises du chapeau
et des tenons des pieds, peuvent en exécuter un en moins
d'une heure.
Pour jeter un pont de chevalets, on amène successive-
ment en place chaque chevalet : on le redresse et on l'établit
à sa position régulière ; on pose les poutrelles du tablier,
que l'on brêle ou que l'on clameaude sur le chapeau, et on
place les madriers et le guindage.
La difficulté essentielledans la construction d'un pont de
chevalets à quatre pieds consiste à amener les corps de sup-
port à la place qu'ils doivent occuper. Le règlement donne
de nombreux moyens de le faire : une méthode principale,
dite des longuerines, qui admet des variantes, et plusieurs
méthodes secondaires.
Les longuerines sont des pièces de bois de 8 à 9 mètres
de longueur et de i5 centimètres d'équarrissage (ou 20 cen-
timètres de diamètre) pourvues : à un bout, d'une cheville
d'arrêt et, à l'autre bout, de trois ou quatre bras de ma-
noeuvre.
Disposées sur le tablier, parallèlement à l'axe du pont, à
1 mètre environ à droite et à gauche de cet axe, leur extré-
mité qui porte la cheville dépasse d'environ 1 mètre le der-
nier chevalet placé. Le chevalet à poser est amené en tête
du pont à bras ou sur un haquet improvisé. On l'installe
(fig. 277) les pieds en l'air sur les longuerines, sur les-
quelles on brêle le chapeau, puis on le fait basculer dans
l'eau en guidant et modérant son mouvement au moyen
de gaffes et de cordes. On fait ensuite avancer les longue-
rines et, lorsque le chevalet se trouve exactement au-dessus
de son emplacement (généralement à 4 mètres du précé-
dent), on le laisse reposer sur le fond de la rivière.
En amenant le chevalet par le tablier, on gêne la cons-
truction de ce dernier. On peut éviter cet inconvénient en
faisant flotter le chevalet en tête du pont : on le saisit alors
790 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE

avec l'extrémité des longuerines introduites sous le cha-


peau.
Si la vitesse du courant et la profondeur de l'eau sont
telles qu'en appliquant la méthode exposée ci-dessus, le
chevalet risquerait d'être entraîné avant d'avoir reposé sur
le fond, on emploie un bateau de manoeuvre retenu en
amont, à la rive ou à une ancre. Le chevalet, avant d'être
poussé au large, est amarré au bateau et peut ainsi être mis
en place sans dériver.
On peut utiliser aussi, avec les longuerines, une portière

Fig. 277. — Méthode des longuerines.

de manoeuvre. Cette portière de deux bateaux porte les


longuerines et c'est elle qui amène à sa place le chevalet,
qui, une fois dressé, est coi Ile des poutrelles à griffes qui le
relient au précédent; on le laisse alors reposer. Cette mé-
thode est sûre et rapide, quels que soient le poids des che-
valets et la vitesse du courant. Son seul inconvénient est de
nécessiter l'emploi de deux bateaux.
Parmi les méthodes secondaires pour la mise en. place
des chevalets, on indiquera seulement les plus simples :
i° A bras, en entrant dans l'eau ; méthode simple, sûre,
expéditive, à employer chaque fois que la température et la
profondeur de l'eau le permettent ;
2° Avec une rampe de deux poutrelles reposant sur le
PONTS MILITAIRES 79 I •

dernier chevalet posé et. sur le fond de la rivière. On fait


glisser le chevalet les pieds en avant sur la rampe, puis on
le redresse en poussant le chapeau avec des gaffes, tandis
qu'on maintient les pieds au moyen de cordes ;
3° Avec cordes et gaffes. On amène le chevalet en tête du
pont en le faisant flotter. On replace le chapeau du côté du
large. Pour le redresser, on presse sur l'extrémité des pieds
avec des' gaffes, tandis qu'on exerce une traction sur le cha-
peau avec des cordes. •

Ces deux dernières méthodes sont simples, mais ne s'ap-


pliquent qu'à des chevalets légers et à un courant faible ;
elles ne permettent pas de placer les chevalets aussi régu-
lièrement que la méthode des longuerines.
En résumé, les ponts de chevalets à quatre pieds con-
viennent aux rivières peu profondes et peu rapides. Leur
construction devient difficile dès que la profondeur dépasse
2 mètres et la vitesse im5o. Ils exigent peu de bois. La
durée de leur construction est considérable si on la com-
pare à celle des ponts de bateaux. Un pont de bateaux de
ioo mètres exige rarement plus de deux heures de travail ;
un pont de chevalets à quatre pieds de même longueur
peut demander deux jours et même plus. C'est ce qui justi-
fie l'existence des équipages de pont.

Ponts de pilotis. — Ces ponts, stables, solides, ont


un caractère de permanence que n'ont pas les autres ponts
militaires, mais ils exigent pour leur construction des bois
de grandes dimensions, des engins spéciaux tels que les
sonnettes et un temps considérable.
Toutefois, on réalise sous le nom de pont de pilols légers
un pont, qui n'exige que des pilots de faible équarrissage
que l'on enfonce à la masse et qui est cependant capable
de donner passage aux troupes de toutes armes et à leurs
voitures.
Les uns et les autres conviennent très bien sur les rivières
rapides à fond de sable, d'une profondeur assez faible. Ils
792' 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
ont l'avantage de ne pas rétrécir beaucoup le débouché de
l'eau et, par suite, d'opposer une faible résistance au cou-
rant.
Un pilot est un corps d'arbre bien droit que l'on taille en
pointe à l'une de ses extrémités et que l'on enfonce dans le
fond du cours d'eau, en battant la partie supérieure avec le
mouton.
Les pilots sont enfoncés par files parallèles à l'axe de la
rivière; chaque file forme ce qu'on appelle unepalée (fig.
2j8). Les différents pilots d'une palée sont réunis à leur

Fig. 278. —•
Palée de pilots.

partie supérieure par un chapeau, sur lequel reposent lés


poutrelles du tablier.
Lorsqu'on ne peut obtenir la hauteur nécessaire avec une
seule palée de pilots, on surmonte celle-ci d'une sorte de
chevalet ou palée supérieure assemblée avec la première ;
ce genre de construction est naturellement moins solide
que la palée simple. Les palées formant des corps de sup-
port très résistants, leur espacement dépend uniquement
des dimensions des longerons qui constituent les poutrelles
du tablier. On peut augmenter la portée des longerons en
les soulageant au moyen de sous-longerons maintenus par
des contre-fiches, dont la figure 284 ci-après indique le mode
d'emploi.
PONTS MILITAIRES 798
L'enfoncement des pilots se fait, suivant leur dimension,
soit au moyen de la masse (pilots légers), du mouton à bras
ou de la sonnette.
Le mouton à bras est une masse de bois tronconique
munie de bras et pesant environ 60 kilos. Trois ou quatre

Fig. 279. — SonneLle à tiraudes.

hommes le soulèvent et le laissent tomber sur la tête du


pilot.
La sonnette à tiraudes (fig. 27g) [il en existe une dans
chaque parc d'armée] se compose d'une base, de 2 jumel-
les qui guident le mouton dans son mouvement, 2 bras,
1 rancher, 1 mouton en fonte de 200 à
3oo kilos, 1 poulie,
1 câble et des tiraudes. Le nombre de tiraudes est égal au
794 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
nombre d'hommes nécessaires pour soulever le mouton,
chacun d'eux exerçant un effort de i5 kilos. La sonnette
est établie sur une portière, un radeau, un large bateau
ou sur chevalets. On procède généralement par volées
de trente coups. On considère le pilot comme enfoncé à
refus lorsqu'il ne s'enfonce plus que de 5 millimètres par
volée.
La sonnette des parcs n'est pas la seule employée. Les
troupes de chemins de fer se servent, pour battre les pilots
de leurs estacades en charpente, de la sonnette à déclic et
de la sonnette à vapeur, qui sont plus puissantes.
Dans les sols peu consistants, les pilots peuvent être
munis d'un sabot à vis et enfoncés par rotation.

Pont de pilots légers. — Ce pont diffère des ponts


de pilotis ordinaires par l'emploi de pilots légers (i5 centi-
mètres environ de diamètre), enfoncés seulement à la masse,

Fig. 280. — Palée de pilots légers.

et aussi par la méthode même de construction dont le prin-


cipe consiste à faire avancer aussi vite que possible la tête
du chantier en laissant à un échelon en arrière le soin
d'achever la construction du pont.
Les palées sont espacées de 4 mètres ou 4m 5o„el consti-
tuées comme l'indique la figure 280.
L'échelon de tête amorce successivement les palées en
enfonçant à moitié les deux pilots du milieu de chacune
PONTS MILITAIRES 796
d'elles ; il emploie pour cela soit une passerelle de manoeu-
vre placée d'abord en porte
à faux, soit deux passerelles
de manoeuvre soutenues à
l'avant par un bateau.
Sur ces deux pilots enfon-
cés à moitié, on fait reposer
un tablier provisoire qui fa-
cilite le travail ultérieur.
Un détachement, qui suit
le précédent, plante les pilots
verticaux extrêmes de cha- c
_o .

que palée, achève d'enfoncer o


ceux, du milieu, plante les, u
m
a
contre-fiches, fixe les cha- co
les écharpes. Enfin, c
peaux et W
o
un dernier détachement pose c
t-
-c"
le tablier définitif. y:
La figure 281 montre les
degrés d'avancement succes- o
sifs de la construction. C
c
I

Ponts de bateaux du
commerce. — Lorsque l'on
veut se servir de bateaux
de commerce réquisitionnés
pour construire un pont, on
doit les classer par grandeur
et par hauteur de plats-
bords, afin d'obtenir un ta-
blier présentant, autant que
possible une courbe régu-
lière. Si la hauteur des plats-
bords de quelques-uns d'en-
tre eux est, trop faible pour
qu'on puisse y appuyer directement le tablier, on dispose,
79^ 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
suivant leur axe, des chevalets sur lesquels on fera reposer
les poutrelles de la travée correspondante. Si la charpente
de certains autres paraît incapable de résister aux poids
que le pont peut avoir à supporter, on la consolide et on la
renforce en conséquence.
Ces différentes précautions prises, on procède alors à la
construction du pont, en ayant soin d'amarrer fortement les
bateaux, en amont et en aval, à des ancres placées dans le
lit de la rivière et, à défaut d'ancres, à d'autres corps morts
ou à des pilots. On met ordinairement une ancre d'amont à
chaque bateau ; le nombre des ancres d'aval est variable
suivant la rapidité du courant et la longueur du pont.
Ce genre de ponts convient pour les cours d'eau profonds
et assez rapides, à la condition toutefois que les rives n'en
soient pas trop élevées, ce qui entraînerait la construction
toujours longue de rampes d'accès d'une certaine profon-
deur.
Lorsque les cours d'eau sont sujets à des variations de
niveau, il faut avoir soin de laisser un certain jeu dans les
liens qui fixent le tablier aux corps de support, afin de lui
permettre de prendre les différentes positions qui résulte-
ront des variations dans le niveau de la rivière. Cette pré-
caution est d'ailleurs inutile lorsque les poutrelles sont
simplement brêlées aux corps de support, ce mode de liai-
son laissant par lui-même assez de jeu aux diverses parties
du pont.

Radeaux. — Les radeaux sont des corps flottants dont


la partie supérieure dépasse de très peu le niveau de l'eau.
On peut les constituer: soit au moyen de corps d'arbres,
soit au moyen de tonneaux, de caisses étanches, d'outrés
gonflées et en général de récipients creux, dont la force de
support est égale à la différence qui existe entre leur poids
et celui du volume d'eau qu'ils déplacent.
Les radeaux de corps d'arbres (fig. 282) ont sur les
autres espèces de radeaux énumérées ci-dessus l'avantage
PONTS MILITAIRES 797
considérable de n'avoir point à redouter d'être coulés par
les feux de la mousqueterie. Ils sont construits avec des
troncs d'arbre, que l'on réunit en flotte, en plaçant les plus
volumineux au centre et les gros bouts alternativement en
amont et en aval. Pour diminuer la résistance offerte au
courant, on coupe en sifflet les bouts d'amont, le bec en
dessus, et on donne,à la tête des radeaux une forme en
pointe, en plaçant successivement le sifflet de chaque tronc
en retrait sur celui de son voisin du côté du centre. On

Fig. 282. — Radeau de corps d'arbres.

relie les uns aux autres les arbres ainsi disposés, à l'aide de
traverses placées de telle sorte que le milieu de leur écar-
tement, qui correspond à l'axe du pont, soit un peu en
arrière du centre de gravité du radeau ('). Cette disposition
a pour objet d'établir un contrepoids à la pression exercée
sur l'avant par le cordage d'ancre qui sert à l'amarrage du
radeau. Lorsque les troncs sont assemblés, on place de
champ et en croix sur les traverses du milieu trois supports

(') Le centre de gravité d'un radeau se détermine, avec une approximation


suffisante, en faisant marcher, de l'arrière à l'avant, une rangée d'hommes
alignés, et les faisant, arrêter au moment où la partie, antérieure, d'ahord soule-
vée, s'incline vers l'avant eh faisant relever à son tour la partie postérieure du
radeau.
7g8 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
de même longueur que les madriers du tablier : l'un dans
l'axe du radeau, les autres au-dessus des arbres extrêmes ;
ces supports sont fixés par des clameaiix. On achève quel-
quefois le radeau en installant à sa partie postérieure un
porte-gouvernail pour pouvoir le diriger plus aisément.
L'expérience a démontré qu'un radeau, pour jouir d'une,
stabilité longitudinale suffisante, doit être construit avec
des pièces ayant au moins 12 mètres de longueur. Si les
arbres qu'on emploie n'ont pas celte dimension, on les dis-
pose sur deux de longueur. Tous les gros bouts sont, dans

Fig. a83. — Hadeau de tonneaux.

ce cas, placés au milieu du radeau dont les extrémités sont


alors légèrement effilées comme celles d'un bateau. Lorsque
les arbres dont on dispose n'ont qu'un faible diamètre, on
peut superposer plusieurs rangées d'arbres.
Les radeaux sont alors successivement amenés en place,
amarrés en amont et en aval, et pontés comme il a été dit
pour les bateaux et. les chevalets. Eu égard à la résistance
considérable qu'ils opposent à l'écoulement des eaux, il est.
nécessaire de laisser entre deux radeaux voisins un large
intervalle ; c'est pourquoi on donne ordinairement 10 mètres
de longueur à chaque travée.
Les radeaux de tonneaux (fig. 283) sont formés de cadres
en charpente, présentant une série de rectangles, dans les-
PONTS MILITAIRES 799
quels on place les tonneaux préalablement fermés bien her-
métiquement. Il est évident, du reste, que l'on peut rem-
placer les tonneaux par des caisses, des outres et autres
récipients, sans rien changer à la disposition qui vient d'être
indiquée. Les radeaux ainsi constitués peuvent générale-
ment être considérés comme symétriques et l'on prend alors
pour centre de gravité leur centre de figure même, par
rapport auquel on dispose les supports du tablier, comme
il vient d'être dit. Ils ont l'avantage de posséder une très
grande force de support lorsqu'ils sont fraîchement organi-
sés ; mais ils se laissent pénétrer peu à peu par l'eau et sont,
facilement coulés par le feu de l'ennemi.

D'une manière générale, les ponts de radeaux ont l'avan-


tage d'être d'une construction facile et rapide, lorsque l'on
dispose de bois de densité moyenne en quantité suffisante.
Ces ponts sont, du reste, très stables, en général. Cepeiw
dant, les radeaux, constituant un obstacle à l'écoulement
des eaux dont ils rétrécissent considérablement le débou-
ché, sont d'un emploi malaisé lorsque la vitesse du courant
atteint ou dépasse im5o. Les ponts de radeaux ont, en
outre, l'inconvénient d'avoir leur tablier à une assez faible
hauteur au-dessus du niveau de l'eau, ce qui en facilite la
destruction par les corps flottants de toute nature que l'en-
nemi peut lancer à cet effet dans la rivière même.

Ponts mixtes. — Lorsque, dans la construction d'un


pont, on est obligé de faire usage, à la fois de supports flot-
tants et de supports fixes, ce qui arrive assez souvent dans
la pratique, il faut avoir soin de prendre certaines précau-^
lions. Les supports flottants s'enfonçant toujours sensible-^
ment au moment du passage des lourds fardeaux, il est
nécessaire que la portion de tablier qu'ils soutiennent soit
un peu plus élevée que celle qui repose sur les supports
fixes, de manière qu'il ne puisse pas se produire, entre les
différentes parties de la surface du pont, des différences
800 4e PARTIE
— ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
de niveau excessives, dangereuses pour la solidité de la
construction.

Ponts de voitures, de gabions, etc. — Il peut du


reste arriver que l'on ne dispose ni du temps ni des maté-
riaux nécessaires à la construction d'un pont du genre de
ceux qui viennent d'être, sommairement étudiés. On utilise
alors ce que l'on a sous la main, pour en former des corps
de support et un tablier. Dans les cours d'eau peu profonds,
les voitures, par exemple, fourniront d'excellents corps de
support rapidement mis en place. Des gabions empilés et
remplis de terre ont de même pu donner, en maintes occa-
sions, des supports suffisants, dans des rivières sans pro-
fondeur et sans rapidité.

Service de garde et de protection des ponts


militaires. — Ce service est confié à un officier comman-
dant du pont : c'est en principe l'un des officiers du génie
ayant participé à sa construction.
Le commandant du pont dispose :
i° D'un service de garde, fonctionnant auprès de l'ou-
vrage et comprenant le poste de police et le poste d'entre-
tien ;
2° Dans certains cas, d'un service de protection à dis-
tance assuré par des postes de protection et des postes
d'observation.
La poste de police, fourni en principe par une troupe
d'infanterie, assure la surveillance des abords du pont et y
maintient l'ordre à l'aide de postes d'examen et de senti-
nelles placées aux entrées du pont, et même au milieu, si
le pont est très long. Le commandant du poste de police
reçoit une consigne lui indiquant dans quelles conditions
et par qui le pont peut être franchi..
Le poste d'entretien est chargé de la surveillance tech-
nique du pont et, des travaux nécessaires à sa conserva-
tion. Il est formé par un détachement de sapeurs. Son
PONTS MILITAIRES 8o I
chef, visite fréquemment le pont et fait exécuter tous les
travaux de réparation ou de consolidation nécessaires. Il
se maintient en relation constante avec les postes de pro-
tection.
Les postes de protection (fournis en principe par le génie)
ont pour mission d'arrêter les corps flottants dangereux ou
les tentatives de destruction par l'ennemi.
Ils sont placés en des points qui permettent d'atteindre
aisément les objets dangereux, notamment dans les parties
étranglées du cours d'eau.
Les postes d'observation surveillent à distance et prévien-
nent les postes de protection afin de donner à ceux-ci le
temps de prendre leurs dispositions. Us sont constitués par
une troupe mobile (infanterie ou, mieux, cavalerie).
La communication rapide entre le commandant du pont
et les divers postes du service de protection est assurée par
tous les moyens (téléphone, télégraphe, signaux optiques
ou acoustiques, estafettes).

Précautions à prendre dans le passage sur les


ponts. — Le passage d'une colonne sur des ponts mili-
taires est une opération qui doit être exécutée avec ordre
et méthode, dans. l'intérêt même de la conservation de ces
ponts.
L'infanterie passe en colonne par deux ou par quatre. On
laisse une dislance de quelques mètres entre chaque compa-
gnie, et un intervalle plus grand entre chaque bataillon.
Les officiers montés mettent pied à terre. La troupe doit
rompre le pas avant, de s'engager sur le pont, et, si des
oscillations inquiétantes viennent à se produire, on arrête
le passage par le commandement: Halle/
La cavalerie passe par un ou par deux. Tout le monde
(officiers et soldats) doit, mettre pied à terre. Les chevaux
sont tenus en main et. court, ; ils marchent au pas. Si les
distances se perdent, il ne faut, pas chercher à les reprendre
sur le pont. Pour éviter les encombrements, on maintient
MANUEL DE FOKTIFICATION 51
802 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
de fortes distances entre les escadrons et l'on ne fait remon-
ter à cheval qu'un peu au delà du pont.
\J artillerie passe en colonne par pièce; officiers et soldats
mettent pied à terre, à l'exception des conducteurs de der-
rière. Les chevaux sont tenus en main, comme dans la cava-
lerie ; le sous-verge de devant est conduit par un servant.
Les voitures suivent le milieu de la voie en conservant entre
elles un intervalle de 20 mètres. Les servants marchent,
derrière les pièces.
Les voitures très lourdes (de l'artillerie ou autres) ne
sont admises sur le pont qu'après avoir été allégées d'une
partie de leur chargement. S'il arrivait qu'une voiture pe-
samment chargée menaçât de rompre le tablier, il faudrait
accélérer sa marche et se garder par suite de l'arrêter.
.
Lorsqu'une troupe est engagée sur un pont, la circulation
en sens inverse est formellement interdite. Les estafettes
chargées de transmettre un ordre s'adressent, dans ce cas,
au commandant du pont qui assure leur passage.
Lorsqu'une grande unité doit effectuer un passage, un
officier d'état-major est ordinairement désigné pour sur-
veiller l'opération.

Ponceaux. — On appelle ponceaux des ponts de faible


portée construits sans supports intermédiaires. On les cons-
truit par les procédés qui vont être indiqués pour la répa-
ration des brèches dans les ponts permanents.

Réparation des ponts. — Lorsqu'on se propose de


rétablir le passage sur un pont permanent, dans lequel a
été pratiquée une brèche de quelque importance, il faut
avant tout reconnaître les bords de cette dernière, s'assurer
qu'ils présentent la solidité nécessaire pour donner appui
aux pièces de la charpente de support, et faire ébouler sans
hésitation toutes les parties qui n'inspirent point une con-
fiance absolue. Ce premier travail exécuté, si la largeur de
la brèche ne dépasse pas 6 ou 8 mètres, on la franchira
PONTS MILITAIRES 8o3
aisément, en plaçant entravers un nombre suffisant de pièces
de bois de fort équarrissage, formant un support convenable
pour le tablier.
Si l'ouverture a des dimensions plus fortes que celles qui
viennent d'être indiquées, on devra» créer pour le tablier
des points d'appui intermédiaires, en appuyant sur les par-
ties intactes de la maçonnerie des pièces de bois inclinées
ou contre-fiches,y(ina.ni s'arc-bouter au milieu de la brèche.
Lorsque celle-ci aune étendue de 10 à i5 mètres, les contre-
fiches c (fig. 284), au lieu de s'appuyer directement l'une

Fig. 28/1. — Dispositif à contre-fiches.

sur l'autre, supportent une pièce intermédiaire b appelée


sous-longeron, sur laquelle reposent les poutrelles du ta-
blier.
Lorsque la largeur de la brèche dépasse i5 mètres, on
est obligé d'avoir recours à des dispositifs plus compliqués
et essentiellement variables, suivant les circonstances et les
ressources dont on dispose.
Il est évidemment impossible d'indiquer ici, pour chaque
cas particulier, la manière d'opérer la plus convenable ; on
se bornera donc à citer quelques dispositifs ingénieux em-
ployés avec succès dans les guerres du passé, ayant pour
cette raison un caractère historique et pouvant encore servir
de modèles aujourd'hui.
Pendant la guerre d'Espagne, par exemple, à Ponte-Mur-
8o4 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE

cella, sur l'Alva (1811), un officier du génie français em-


ploya, pour la réparation d'une brèche importante, un pro-
cédé qui convient très bien lorsque l'on ne dispose que de

Fig. 285. — Dispositif de Ponte-Murcclla.

bois d'un faible équarrissage, mais en abondance. Un cer-


tain nombre d'arbres (fig. 285) couchés dans le sens de
l'axe du pont, sur la partie encore existante du tablier, de
manière à surplomber du tiers environ de leur longueur le

Fig. 286. — Dispositif avec cadres arc-houtés.

vide de la brèche, étaient consolidés en arrière par une forte


charge de rondins placés transversalement par-dessus et
d'une épaisse couche de terre. Les extrémités
recouverts
libres de ces arbres, encastrés de la sorte sur les deux tiers
4e leur longueur, étaient, réunies par un fort rondin trans-
PONTS MILITAIRES 8û5
versai servant de support intermédiaire et donnant appui
aux poutrelles du tablier raccordant les deux amorces de
travée ainsi obtenues de chaque côté de la brèche.
Un autre dispositif, également emprunté à la guerre d'Es-
pagne du premier Empire, consiste à construire sur chacune
des rives de grands cadres (fig. 286) que l'on appuie sur
les bords de la brèche et que l'on fait tourner autour de
leur partie inférieure, de manière que leurs extrémités
supérieures se rejoignant forment un support intermédiaire
pour les poutrelles du tablier. On réaliserait aisément au-
jourd'hui cette disposition avec le matériel des lignes télé-
graphiques : poteaux pour les cadres, et fils de fer pour
l'assemblage.
Pour obtenir le ou les points d'appui intermédiaires né-
cessaires lorsqu'il s'agit de franchir une brèche d'une lar-
geur considérable, on peut encore : soit élever des chevalets
sur les débris d'une pile renversée (dispositif employé à
Dresde en 1813), soit placer dans la rivière des bateaux
solidement amarrés et portant eux-mêmes ces. chevalets
corps de support, soit recourir aux procédés, variables à
l'infini, que les circonstances peuvent suggérer.

Ponts Tarron. — Le capitaine du génie Tarron a ima-


giné, il y a quelques années, un système, devenu réglemen-
taire, de ponts improvisés, construits en charpente, fil de
fer et cinquenelles, qui permettent de franchir, sans sup-
ports intermédiaires, des brèches allant jusqu'à 45 mètres.
Ils peuvent servir à la réparation des ponts permanents
et au franchissement des torrents en pays de montagne.
La ligure 287, qui représente le schéma du type le plus
simple, montre que le pont se compose de deux poutres
planes en treillis réunies en leurs noeuds par des pièces
transversales. Ces dernières sont utilisées comme rotules
(fig. 28j bis). Le système, ainsi articulé en chaque noeud,
ne comporte jamais de renversement d'efforts, ce qui sim-
plifie les assemblages.
806 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
Les montants M-i, 1-2, 2-M', soumis à la compression,
sont constitués par des bois en grume et s'appuient sur les
rotules parleurs extrémités convenablement entaillées.

Fier. 287. — Pont Tarron. Schéma.

Les tirants obliques 0-1, 0-2, qui supportent un effort


de traction, sont formés par plusieurs brins de fil de fer
disposés en écheveau.

Fig. 287 bis. — Pont Tarron. Vue perspective du noeud n° i.

Le'tirant horizontal M M' est en bois, parce que, dans


le lancement du pont, il est soumis à une compression.
PONTS MILITAIRES 807
Le pont étant construit sur la rive, son lancement peut se
faire par contrepoids ou à l'aide de cinquenelles.
Dans le procédé par contrepoids, le pont, prolongé vers
l'arrière, est chargé d'un contrepoids. Ainsi équilibré sur
une de ses pièces de culée, il peut être mis tout entier en
porte à faux. On lui donne alors les déplacements (transla-
tions ou rotations) nécessaires pour l'amener en place.
Dans le lancement par cinquenelles, l'extrémité du pont,
qui tout à l'heure était en porte à faux, est suspendue à
des cinquenelles tendues en travers de la brèche sur des
chèvres. L'inclinaison des cinquenelles est réglée de telle
sorte que le pont n'a qu'à descendre pour atteindre la culée
d'arrivée.
Un pont Tarron de 20 mètres de portée peut être construit
en trente heures avec un personnel exercé, si le matériel
est rendu à pied d'oeuvre.

Passerelles. — Les passerelles sont des ponts de lar-


geur et de résistance réduites, destinés seulement au pas-
sage de l'infanterie par deux ou par un et parfois aussi à la
cavalerie en colonne par un.
On se contente d'une largeur de tablier de : -

2 mètres à im 80 dans les passerelles doubles (pour hom-


mes à pied par deux ou cavaliers par un);
1 mètre à 76 centimètres dans les passerelles simples
(hommes à pied par un) ;
om35 même pour donner passage à des hommes isolés se
suivant à grande distance.
Comme les ponts, les passerelles peuvent être établies
sur supports flottants ou fixes.

Supports flottants. — Gomme supports flottants, on


peut employer des barques et nacelles, des radeaux d'arbres,
tonneaux ou sacs.
Les sacs sont remplis de paille, de feuilles, de brindilles.
La sac à distribution d'infanterie, bourré de 10 kilos de
8û8 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
paille bien sèche, peut supporter le poids d'un fantassin et
seulement la moitié de ce poids au bout de six heures d'im-
mersion.
Pour former un radeau, on brêle les sacs en travers sur

Fig. 288. — Passerelle de radeaux de sacs.

une échelle ou sur deux perches, ainsi que l'indique la


figure 288.
Le radeau-sac Haberl constitue à lui seul un support de
passerelle. C'est une sorte de paillasse (2™ 70 - i™ i5-om3o)
affectant la forme d'un bateau à deux becs égaux. L'enve-
loppe, en toile imperméabilisée, peut contenir 80 kilos de
paille. Une série de ces radeaux, placés à 4 mètres d'axe en
axe, permet le passage de l'infanterie par deux en prenant
quelque distance entre les files. En accouplant plusieurs
PONTS MILITAIRES 809
radeaux-sacs, on peut construire une portière permettant
le passage d'une voiture d'artillerie.
Les sacs Habert font partie du matériel des compagnies
de sapeurs-mineurs et des détachements de sapeurs-cyclistes
de la cavalerie.

Supports fixes. — i° Les supports de passerelles


peuvent être des palées de petits pilots en bois de faible
équarrissage; elles sont simplifiées et peuvent se réduire à

Fig. 289. — Chevalet improvisé à quatre pieds

deux pilots et un chapeau ; enfin, leurs éléments sont unis


au moyen de ligatures en corde ou en fil de fer.
20 On peut aussi utiliser un chevalet à quatre pieds im-
provisé au moyen de perches reliées par des ligatures de
corde ou de fil de fer (fig. 28g).
La mise en place est réalisée par un des procédés indi-
qués ci-dessus pour les chevalets à quatre pieds.
3° On préfère souvent à ceux-ci le chevalet à deux pieds
enfoncé modérément par quelques coups de masse, d'où
son nom chevalet-palée. Il se compose d'un chapeau, de
deux pieds appointés réunis par des écharpes (fig. 2go).
4° Le chevalet-bigue (fig. 2gi) se compose d'un chevalet
à deux pieds, analogue au chevalet-palée. On le construit
8lO 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE

à terre et on le met en place dans une position inclinée ; il


est consolidé, après sa mise en place, à l'aide de deux arcs-

Fig. 290. —•
Chevalet-palée.

boutants qui en font une sorte de chevalet à quatre pieds


enfoncé en terre.

Moyens auxiliaires de passage des cours d'eau.


En dehors des ponts, les cours d'eau peuvent être passés

à la nage, à gué, sur la glace, sur des embarcations con-
duites à la rame ou à la gaffe, ou enfin sur des corps flot-
tants retenus contre le courant par des cordages et passant
alternativement d'une rive à l'autre. Ces corps flottants
prennent, suivant la disposition employée, le nom de pont
volant, de traille ou de bac.
PONTS MILITAIRES 8I I
Passage à gué. — La profondeur d'un gué ne doit pas
dépasser :
65 centimètres pour l'artillerie et les voitures dont le
chargement craint l'humidité ;
i mètre pour l'infanterie (80 centimètres en courant ra-
pide);
im 20 pour les chevaux et les voitures dont le chargement
peut être mouillé.
Les cours d'eau sont plus souvent guéables aux endroits
où le courant est rapide qu'à ceux où il est lent et dans les
parties droites que dans les coudes; ils le sont fréquemment
entre deux coudes de sens contraire. Les chemins qui abou-
tissent à un cours d'eau perpendiculairement à sa direction
indiquent d'habitude un gué. •
.
Tout gué doit être reconnu et parfois balisé. Le passage
des troupes à pied améliore souvent les gués ; les chevaux
les détériorent; aussi y a-t-il intérêt à faire passer les
troupes dans l'ordre suivant: infanterie, artillerie, cava-
lerie.

Passage sur la glace. —- La glace doit avoir 9 centi-


mètres pour porter des hommes en files espacées, 12 centi-
mètres pour l'infanterie en colonne de route et la cavalerie,
16 centimètres pour l'artillerie de campagne attelée.
Si la température est très basse, on peut augmenter
l'épaisseur de la glace en répandant, de l'eau entre deux
files de poutrelles ou de madriers; on peut aussi arroser
des couches de paille ou de branchages disposées alternati-
vement dans le sens du courant et dans le sens perpendi-
culaire.

Passage dans les bateaux isolés ou accouplés.


— Le bateau métallique d'équipage transporte 20 fantas-
sins en tenue de campagne.
Dans un courant peu rapide, on peut y mettre 6 cava-
liers tenant leurs chevaux à la longe et placés trois à chaque
8l2 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
bord. Si le courant est rapide, le bateau ne passe que 3 ca-
valiers, dont les chevaux nagent à l'aval.
Deux bateaux accouplés transportent 60 fantassins en
tenue de campagne ou bien une voiture d'artillerie, pièce
ou caisson, avec ses servants, mais sans ses conducteurs ni
ses attelages. Les roues reposent sur un plancher disposé
au fond de chaque bateau.

Passage sur des portières. — La portière de deux


bateaux d'équipage peut recevoir : 60 hommes d'infanterie,
8 chevaux et leurs cavaliers, ou une pièce d'artillerie avec
ses servants, mais sans ses attelages ni ses conducteurs.
Celle de trois bateaux, construite pour entrer dans un
pont (portière de navigation), transporte 80 hommes d'in-
fanterie, 12 chevaux et leurs cavaliers, ou bien une pièce
d'artillerie avec ses attelages, ses conducteurs, mais sans
ses servants.
La portière de trois bateaux, construite spécialement
pour le transport, des troupes (portière de transport), peut
recevoir : 100 fantassins, 16 chevaux et leurs cavaliers, ou
bien une pièce d'artillerie complète avec ses servants, ses
attelages et ses conducteurs.

Passage sur les ponts volants, trailles et bacs.


— Un pont volant est un corps flottant retenu contre le
courant par un cordage amarré à un point fixe, générale-
ment une ancre.
On fait passer le pont volant d'une rive à l'autre en pré-
sentant obliquement l'un de ses côtés au courant. Ce pro-
cédé n'est pas applicable aux rivières ayant un courant de
moins de 1 mètre par seconde.
Le pont volant d'équipage, construit avec six bateaux,
transporte 200 hommes d'infanterie, ou bien 28 chevaux et
leurs cavaliers, ou bien une section d'artillerie avec ses
attelages, ses conducteurs et ses servants.
La traille est un corps flottant retenu contre le courant
PONTS MILITAIRES 8l3
par un cordage appelé bride, lequel porte une moufle qui
se meut le long d'un autre cordage tendu en travers de la
rivière. On fait passer la traille d'une rive à l'autre en pré-
sentant obliquement l'un de ses côtés au courant ; elle ne
convient donc qu'aux rivières à courant rapide.
Le bac, au contraire, est utilisé sur les rivières à courant
très faible. On le fait ordinairement passer en halant sur un
câble tendu d'une rive à l'autre.
.

Destruction des ponts. — Eu égard aux conséquen-


ces ultérieures excessivement graves qu'elle peut entraîner,
la destruction d'un pont est une opération qui ne doit ja-
mais être exécutée que sur l'ordre formel du général en
chef. Ce dernier ne se résoudra, du reste, qu'après les plus
mûres réflexions à se priver volontairement d'un moyen de
passage de rivières: ponts existants ou équipages de ponts
pouvant servir à en établir.
Il est cependant des circonstances où, pour le salut de
l'armée ou. pour la victoire, la destruction des ponts qui
pourraient donner passage à l'ennemi s'impose, et il s'agit
maintenant d'examiner les moyens les plus convenables
pour l'exécuter.
Les ponts de bois, dont la mise hors de service offre natu-
rellement le moins de difficultés, peuvent être simplement
incendiés, ce qui rend ordinairement impossible leur réta-
blissement immédiat. Pour cela, on les enduit de matières,
inflammables (pétrole, goudron, etc.); on amoncelle en
divers points des charges de bois préparées de manière à
activer le mieux possible la combustion de l'ensemble, et
on y met le feu en temps opportun. Cette opération exige
toujours un temps assez long.
Pour les ponts de bois sur supports ilottants, on pourra,
du reste, se contenter de couper les cordages d'amarre, de
trouer les coques des bateaux ou de disperser les bois des
radeaux, selon la nature des corps de support.
8l4 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
Pour les ponts sur supports fixes, les explosifs fourni-
ront de meilleurs résultats. Les chevalets, par exemple,
sont facilement rompus avec 10 kilos de mélinite ou 5o.kilos
de poudre, placés à 2 ou 3 mètres sous l'eau; l'explosion
d'une pareille charge renverse habituellement plusieurs
traArées. On coupera de même les pilots avec des charges
de 1 à 2 kilos de mélinite placées à 5o centimètres au-des-
sous du niveau de l'eau ; la destruction ainsi exécutée est
généralement très difficile à réparer. En faisant usage d'une
charge de 5o kilos de poudre établie à 2 ou 3 mètres de
profondeur, on peut renverser d'un seul coup toute une
palée de pilots. Pour détruire le tablier, on peut placer sur
la partie centrale 5o kilos de poudre, ou un saucisson de
mélinite contenant de 2 à 3 kilos par mètre courant.

S'il s'agit de rompre d'une manière complète et efficace des


ponts ou viaducs en maçonnerie, on s'attaque le plus habi-
tuellement aux supports mêmes de l'ouvrage. Le renverse-
ment d'une seule pile entraîne, du reste, la plupart du temps,
non seulement la chute des deux arches qui s'y appuyaient,
mais encore celle d'un certain nombre d'arches adjacentes
qui ne sont plus maintenues par la butée des autres.
On détruit une pile par l'effet d'un ou plusieurs four-
neaux disposés sur une même ligne horizontale dans l'axe
longitudinal de la pile.
Leur charge de poudre est calculée par la formule
c — g fo dans laquelle g est généralement pris égal à 6.
Sauf le cas de piles d'épaisseurs exceptionnelles, on
prend h inférieur à 3 mètres.
La distance entre deux fourneaux ne doit pas dépasser le
double du rayon d'action des charges.
Les charges de poudre c ainsi calculées sont exprimées
en kilos. Dans la pratique, on force le chiffre c de manière
à obtenir un multiple exact de 5o kilos, c'est-à-dire à com-
poser la charge d'un certain nombre de caisses ou barils
de 5o kilos.
PONTS MILITAIRES 8l5
Lorsqu'il existe un dispositif démines préparé à l'avance,
le chargement du fourneau ne présente aucune difficulté. Il
faut observer cependant que, si l'opération s'effectue long-
temps avant le moment où on mettra le feu, on doit enfer-
mer les poudres dans un vase étanche en métal, pour les
préserver de l'humidité.
Si, au contraire, on ne trouve aucun emplacement pré-
paré pour loger la charge, il faut pratiquer un rameau con-
duisant au centre de la pile. Cette opération est toujours
assez longue ; on peut' l'abréger notablement en employant
les procédés de forage indiqués dans la troisième partie
(page 667).
La mélinite peut être substituée à la poudre dans ces
fourneaux; la charge de mélinite est les trois quarts de
la charge de poudre, agissant sous bourrage complet. Son
emploi permet d'éviter la construction d'un rameau.
En charges allongées, le poids de mélinite en kilos par
mètre courant est égal à 10 e2 si elle n'est pas encastrée et
à 5 e2 si elle est encastrée et étançonnée dans une rainure
ménagée dans la maçonnerie. En charges concentrées, en-
castrées de leur épaisseur, le poids est de 5 e', les four-
neaux étant espacés de 2 e. Dans ces formules e est l'épais-
seur de la maçonnerie exprimée en mètres.
La destruction d'une arche ne produit généralement pas,
dans le pont, une brèche aussi considérable que celle de
l'une des piles. On peut, en revanche, l'exécuter plus rapi-
dement ; aussi ce procédé convient-il spécialement aux
destructions hâtives.
L'emplacement le meilleur à donner à la charge est au
sommet (à la clef) ou aux reins, c'est-à-dire vers le milieu
de la courbe de l'arche. Pour y arriver, on pratique une
tranchée dans la voie jusqu'à l'extrados de la voûte, et on
exécute un bourrage solide après avoir placé la poudre. La
charge pratique, avec laquelle on est presque sûr de pro-r
duire l'effet voulu, est de i5o à 200 kilos de poudre. Dans
les mêmes conditions, la charge de mélinite à employer
8l6 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
serait 6 e3 (e représentant l'épaisseur de la voûte exprimée
en mètres).
On a pu dans certains cas détruire une Aroûte de pont en
plaçant en dessous une charge de 3oo à 4oo kilos de pou-
dre, que l'on faisait reposer sur un plancher en bois retenu
par des poutres et cordages ; mais la réussite de ce procédé
est douteuse.
Enfin, il est utile de rappeler que la destruction d'une
culée de pont est obtenue assez facilement en faisant un
forage dans les terres appuyées au mur, pour y placer une
charge de poudre calculée d'après les formules connues. Ce
procédé est rapide et donne une destruction très difficile à
réparer.

On détruit un pont métallique en coupant une travée le


long d'un ou, mieux, de deux profils convergeant vers le
haut ; on obtient ainsi la chute de la partie sectionnée.
Pour le calcul des charges, on décompose le profil en
parties ayant chacune même épaisseur. On détermine le
nombre de pétards nécessaires pour assurer la rupture de
chacune d'elles par la formule n = 2
- me (dans laquelle
n est.le nombre de files de pétard, m le nombre de tôles
simples qui composent la plaque, e l'épaisseur totale de
celle-ci en centimètres).
Pour placer les charges au contact des parties à rompre,
il est commode de fixer les pétards sur des tringles que l'on
attache ensuite à la place voulue. Toutes ces charges sont
réunies par une file continue de pétards ou par un cordeau
détonant.
Quand on n'a pas le temps de faire cette rupture régu-
lière, qui demande plusieurs heures, on place des charges
concentrées de 20 à 3o kilos de mélinite sur les semelles
inférieures des poutres. Le pont n'est pas rompu complète-
ment, mais, s'il, supporte une voie ferrée, les trains ne
peuvent plus ypasser sans le rompre.
PONTS MILITAIRES 817
Lorsqu'on veut détruire de loin les ponts de l'ennemi, on
lance, en amont, des corps flottants de forte masse; dont le
choc puisse briser les corps de support. On peut aussi
chercher à les incendier avec des bateaux ou radeaux char-
gés de matières enflammées que l'on abandonne à l'action
du courant. On constitue aisément un pareil brûlot avec
une meule de foin allumée placée sur un radeau ; la chaleur
qu'elle dégage suffit pour empêcher les défenseurs de venir
l'écarter du pont. On a fait en outre usage, en maintes occa-
sions, de machines infernales, bateaux ou radeaux, chargés
de poudre, dont l'explosion est provoquée par un méca-
nisme spécial lorsque l'appareil vient rencontrer le pont.
Les Autrichiens en employèrent de semblables, avec succès,
en 1809, pour détruire les ponts qui joignaient l'île Lobau
à la river droite du Danube.
Ces divers procédés ont tous un peu. vieilli. Les progrès
de la pyrotechnie permettent de les remplacer aujourd'hui
par des appareils plus perfectionnés et beaucoup plus puis-
sants, portant le nom générique de torpilles, que l'on se
contentera de citer ici pour mémoire.

La campagne de Madagascar a donné lieu à la construc-


tion de ponts fort nombreux à l'aide de procédés très dif-
férents. On en trouvera la description complète dans l'ou-
vrage Le Génie à Madagascar (Berger-Levrault et GiD).

MANUEL DE FORTIFICATION
CHAPITRE LYI

CHEMINS DE FER

Il serait superflu d'entrer ici dans de longs développe-


ments pour mettre en évidence l'importance considérable
des chemins de fer au point de vue des opérations mili-
taires. Le transport rapide et économique, aux plus grandes
distances, des masses d'hommes, d'animaux et de matériel
de toute sorte, dont l'ensemble constitue les armées mo-
dernes, est un problème qu'ils permettent seuls aujourd'hui
de résoudre convenablement.
L'emploi simultané des rails, qui diminuent dans une
proportion notable les résistances à vaincre ('), et des ma-
chines à vapeur, qui procurent une énorme force de trac-
tion, leur en donne le moyen.

Dans l'organisation fort complexe, du reste, d'une ligne


de chemin de fer, il y a lieu de distinguer : i° la dispo-
sition des rails sur le sol, constituant ce que l'on appelle
la voie; i° l'ensemble des véhicules et machines, formant la
partie mobile et portantlenom général de matériel roulant;
3° le service d'exploitation, c'est-à-dire les règles qui pré-
sident à la mise en oeuvre de ces éléments multiples.

(') Sur les meilleures roules, la force de traction nécessaire est d'environ i/3o
du poids remorqué ; sur les rails bien établis, elle n'est plus que de 0,02 à o,oo5
de ce poids.
CHEMINS DE FER 8ig

De la voie
Dans toute voie ferrée, on distingue : les parties horizon-
tales, auxquelles on donne le nom de paliers, et les parties
inclinées, que l'on appelle les rampes.
Pour les unes comme pour les autres, la voie ferrée com-
prend : i° Y infrastructure, c'est-à-dire les divers travaux de
terrassement, ou travaux d'art, exécutés en vue d'obtenir
une surface régulière, ne présentant que de faibles pentes
et des courbes d'un grand rayon, sur laquelle on pose les
rails destinés à assurer la circulation; 2° la superstructure,
formée de ces rails et des éléments servant à les réunir ou à
supporter le .poids des travées.
On ne peut, en effet, poser directement les rails sur le
sol, parce qu'il faut les maintenir à un écarlement conve-
nable et dans une position qui assure le libre parcours des
véhicules ; ils sont à cet effet fixés sur des traverses qui
leur servent de. supports directs. Entre celles-ci et le sol, il
est. indispensable d'interposer une couche de matériaux ré-
sistants destinés à répartir les pressions sur le sol. Cette
couche se nomme le ballast.
Les rails, autrefois en fer, sont le plus souvent maintenant.
en acier fondu. Us avaient autre-
fois 6 mètres de long ; on tend
maintenant à ne plus employer
que des rails de 8, g, 12 et
même 18 mètres, avec lesquels
les joints sont moins nombreux.
La section du rail présente
l'une des deux formes indi- Fig. 293. — Gabarit des rails.
quées ci-contre (fig- 2Q2 ) :
lune a, est celle du rail à double champignon; 1 autre b,
celle du rail à patin ou rail Vignole.
Ces deux modèles de rails sont également employés. Le
premier semble plus économique, parce qu'il permet de
820 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
faire servir successivement les deux champignons; mais
l'expérience montre que le passage des trains produit, entre
le rail et ses supports, des chocs qui ont pour effet, de
détruire sa partie inférieure ; celle-ci se trouve, par con-
séquent, usée avant d'avoir servi, et l'avantage signalé
ci-dessus devient illusoire.
Le poids d'un rail varie, selon les réseaux, de 38 à 4? ki-
los par mètre courant. Dans le coltinage des rails, chaque

Fig. 293. — Profil d'une ligne à deux voies.

homme ne doit pas porter plus de 35 kilos, il faut donc


dix hommes pour un rail de 8 mètres.
Les rails reposent sur des traverses en bois (fig. 2g3) de
2m5o ou 3 mètres de longueur et d'environ i5 centimètres

Fig. 294. — Coussinet.

d'épaisseur. Ces traverses, que deux hommes portent aisé-


ment, sont d'autant plus rapprochées que la circulation est
plus active, 70 centimètres est leur écartement moyen.
Pour réunir les rails aux traverses, on emploie drvers
procédés suivant la forme même du rail :
i° Avec les rails à double champignon, on place sur la
traverse un coussinet en fonte (fig- 2g4), dans lequel le
CHEMINS DE FER 821
rail est maintenu par un coin b, en bois ou en fer, placé à
l'intérieur; le coin est enfoncé dans le sens de la marche
des trains. Le coussinet est maintenu par des tire-fonds a,
ou vis à bois, que l'on enfonce dans la traverse ;
20 Avec les rails Vignole, on maintient le patin du rail
dans une entaille ou sabotage (fig- 2g5) pratiquée dans la
traverse. On emploie, à cet effet, des tire-fonds ou des cram-
pons, sorte de clous en fer à tête recourbée, que l'on en-
fonce à l'aide de marteaux ou de masses.
Le rail fixé sur la traverse n'est pas vertical ; son axe est
incliné de 1/20 environ vers l'intérieur de la voie, afin d'être

Fig. 2g5. — Mode d'attache du rail Vignole.

normal à la surface des bandages des roues, dont la forme


est conique, comme cela sera expliqué un peu plus loin.
Le ballast est formé de sable de rivière, de pierres con-
cassées ou de mâchefer ; il doit être résistant, incompres-
sible et, perméable à l'eau, afin d'empêcher la pourriture du
bois des traverses.
Pour réunir deux rails consécutifs sur la voie, on emploie
des éclisses ab (fig. 2g6), pièces jumelles en fer, présen-
tant une forme légèrement convexe vers l'extérieur, et pla-
cées de manière à comprendre entre elles l'âme ou partie
verticale du rail. Des trous sont pratiqués dans ces éclisses
et dans le rail; on y passe des boulons qui produisent un
serrage énergique entre les diverses parties.
82 2 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
Pour permettre la dilatation naturelle des rails, on laisse,
au moment de la pose, un léger intervalle entre chacun
d'eux et le suivant, et on donne au trou que traversent les
boulons une forme allongée, grâce à laquelle le déplacement
longitudinal peut alors s'effectuer.
Le joint peut être : libre, c'est-à-dire compris entre deux
traverses rapprochées, à cet effet, à 5o centimètres l'une de
l'autre, ou appuyé, c'est-à-dire reposant sur une traverse.
Les.deux systèmes ont leurs partisans. Lorsqu'on adopte le
second, avec les rails à double champignon, on fait usage
d'un coussinet, en deux parties, qui sert, en même temps
d'éclisse et qui se fixe à la traverse.

Fig. 296. — Eclisses.

Le passage d'un train a pour effet de faire avancer suc-


cessivement chaque rail dans le sens de la marche. Et en
effet, de deux rails qui se suivent, celui sur lequel le
train s'engage tout' d'abord, s'enfonce légèrement sous le
poids considérable du premier véhicule, et quand la roue
de ce dernier arrive à hauteur du rail suivant,, elle bute,
avant de la franchir, contre la saillie qu'il présente, et le
pousse, par conséquent, dans le sens du mouvement. C'est,
pour s'opposer à cet effet que les coins des coussinets sont
enfoncés dans la direction du mouvement, des voilures,
comme cela a été indiqué ci-dessus. On y arrive aussi par
l'emploi de coussinets-êclisses, ou lorsqu'il s'agit de rails
Vignole, de selles-arrêt, tirefonnées sur une traverse et
boulonnées sur l'âme du rail, ou d'éclisses-cornières, fixées
sur deux rails et sur les traverses voisines du joint.
CHEMINS DE FER 823
La largeur des voies ferrées françaises est de i m 44 à
im45 (Voir la figure 2g3, ci-dessus). Cette dimension est la
même pour tous les réseaux européens, sauf ceux' de l'Es-
pagne et de la Russie. La largeur des voies ferrées espa-
gnoles est de i™ 736, et celles des voies ferrées russes de
1 m023. Le matériel employé dans les autres pays ne peut,

par suite, circuler sur les lignes de ces deux Etats, et réci-
proquement : considération qui peut avoir une grande im-
portance en cas de guerre.
Dans le réseau français, lorsqu'il y a deux voies sur une
même ligne, elles sont, séparées par une entre-voies de
2 mètres de largeur, et on laisse de chaque côté des inter-
valles de 1 mètre environ (Voir la figure 2g3).

Particularités de la voie. Points spéciaux. —


Pour bien comprendre ce qui va suivre, il importe de ré-
marquer que la partie de la roue qui frotte directement sur
les rails, et que l'on appelle le bandage, possède une forme
tronconique dont on reconnaîtra plus loin l'utilité. En Arue
de parer aux dérangements qui pourraient se produire
dans la marche, les bandages sont munis à l'intérieur d'une
saillie ou boudin, qui ne touche pas le rail en temps nor-
mal, mais qui vient buter contre lui et peut remettre le
véhicule dans l'axe, lorsqu'une circonstance fortuite l'en
écarte légèrement.
Ceci posé, en alignement droit, les deux rails sont au
même niveau et ne présentent d'autre particularité que leur
inclinaison de 1/20 vers l'intérieur.
Dans les coirrbes, il n'en est pas de même. Pour s'op-
poser à la force centrifuge résultant du mouvement, dont
l'effet pourrait être de rejeter les véhicules en dehors de la
voie, vers l'extérieur, on donne au rail placé de ce côté une
surélévation par rapport à l'autre : c'est ce qu'on nomme le
dévers (fig- 2gy). L'effet de cette disposition est de pro-
duire une composante du poids perpendiculaire à la voie,
qui détruit la force centrifuge. On renforce du reste, en
824 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
outre, le rail extérieur, en augmentant le nombre des
points d'attache qui l'unissent aux traverses.
Il faut encore remarquer dans les courbes une légère aug-
mentation dans la largeur de la voie ; elle est nécessaire
pour permettre aux roues, dont le plan cesse alors d'être

Fig. 297. •—
Profil de la voie en courbe.

vertical, de s'introduire entre les deux rails, sans porter sur


les saillies des bandages.

Bifurcations. — Lorsque deux voies différentes


vien-
nent se raccorder sur un même tronçon, il faut qu'on puisse

Fig. 298. — Changement de voie à rails mobiles.

à volonté donner passage sur l'une ou sur' l'autre. Pour y


arriver, on a imaginé divers systèmes.
Le premier, dit à rails mobiles (fig- 2g8), consiste à
laisser une portion.de voie, une longueur de rails ab et cd,
par exemple, mobile autour de ses éclisses. Cette portion
CHEMINS DE FER 825
de voie peut être mise dans le prolongement de l'une ou
l'autre des lignes à raccorder, de façon à amener à volonté
le passage sur chacune d'elles.
Cette disposition présente quelques inconvénients : i° le
système des deux rails étant dans la position indiquée sur
la figure 298, la voie MN esi ouverte, mais si un train ve-
nant de P se présente pour passer sur le tronçon M, il dé-
raille inévitablement par suite de l'interruption a b' d' c et
de la position transversale du rail c d; 20 si le système des
deux rails est dans une des positions intermédiaires entre
abcd et ab' c d', le déraillement a également lieu à coup
sûr pour les trains marchant dans tous les sens. Il est facile
cependant d'éviter ce dernier inconvénient, en faisant usage

Fig. 29g. — Changement de voie à aiguilles.

d'un levier de manoeuvre à contrepoids, n'ayant que deux


états d'équilibre correspondant aux positions abcd et ab'
cd'. Malgré ses réelles imperfections,le système à rails mo-
biles peut, en raison de sa simplicité, rendre des services
en campagne.
On emploie partout aujourd'hui le changement à aiguilles
(fig. 2gg) qui ne présente pas les mêmes défectuosités.
Voici en quoi il consiste :
Les rails extérieurs, / et 4, des deux voies MNetMP
qui se raccordent en M, sont continus. Les rails intérieurs
2 et 3 sont, au contraire, interrompus sur une- longueur de
rail et remplacés par deux rails effilés ou aiguilles abcd,
mobiles autour des points a et c et solidaires l'une de l'autre.
Ces deux aiguilles ne sont pas parallèles : leur disposition
826 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
est telle que l'une d'elles, cd par exemple, étant appliquée
sur le rail extérieur 4, l'autre ab laisse, entre elle et le
rail 1, un espace de 4 ou 5 centimètres suffisant pour
le passage [de la saillie intérieure ou boudin des roues du
matériel.
La figure 299 indique les deux seules positions que peu-
vent prendre ces aiguilles. Dans la première, abcd, l'ai-
guille c d est appliquée contre le rail 4; la voie MN est ou-
verte. Dans la seconde, ab'cd', l'aiguille ab est appliquée
en ab' contre le rail /_, et ouvre, au contraire, la voie MP.
Il y a donc toujours une voie ouverte, et par suite les trains
venant du côté M ne sauraient, en aucun cas, dérailler, tout
au plus pourraient-ils être dirigés sur la voie qu'ils ne de-
vaient pas prendre.
Il est facile de s'assurer, d'ailleurs, que les déraillements
des trains marchant dans le sens contraire sont également
rendus impossibles. Supposons les aiguilles dans la position
abcd, c'est-à-dire la voie MN ouverte, et admettons qu'un
train vienne du côté P pour entrer sur la voie M. Le bou-
".
din ou saillie des roues gauches de la machine va s'engager
dans l'angle compris entre le rail 4, cl l'aiguille cd, et
pousser celle-ci vers la droite. L'aiguille ab, entraînée dans
ce mouvement, va s'appliquer en a b' contre le rail 1, ou-
vrant ainsi la Aroie au train venant de P. L'aiguillage aura
donc été obtenu automatiquement ou, d'après l'expression
consacrée, à l'anglaise.
Cette manière de manoeuvrer l'aiguille n'est pas employée
couramment; elle constitue seulement une sécurité. L'ap-
pareil est habituellement manoeuvré par un levier placé sur
le côté de la voie et relié aux aiguilles par une tige coudée
passant sous le rail. Grâce à son contrepoids, ce levier ne
peut prendre que deux positions d'équilibre qui correspon-
dent aux dispositions figurées en a b c d et a b' c d'.

Traversées et croisements. — Les circonstances


.
dans lesquelles deux voies ferrées se traversent sont assez
CHEMINS DE FER 827
rares. Cette disposition est cependant nécessaire : i° dans
les gares, pour les voies de service destinées à relier aisé-
ment plusieurs voies parallèles qu'elles traversent perpendi-
culairement; on obtient de la sorte ce que l'on appelle des
traversées normales; 2° à la suite d'une bifurcation, sur les
lignes à double voie; dans ce cas, au contraire, l'angle que
font entre elles les deux voies est assez petit, et dans la pra-
tique, pour simplifier les constructions, on n'adopte que des
traversées sous des angles de 5° et de 7°5.
Dans la traversée normale (fig- 3oo), l'une des voies AB

Fig. 3oo. — Traversée normale.

est beaucoup plus importante que l'autre, parce qu'elle


donne passage à des trains circulant à grande vitesse ; la
voie CD n'est donc que secondaire. Or, d'après ce qui a
été dit précédemment (page 823), la forme des roues est
telle que pour laisser passer leurs boudins, il faut inter-
rompre les rails de l'une ou de l'autre. Une pareille solu-
tion de continuité pourrait amener des accidents si on la
pratiquait sur la voie principale, c'est pourquoi les inter-
ruptions portent seulement sur la voie secondaire CD. Celte
dernière est alors surélevée par rapport à l'autre, de sorte
que dans le parcours de la petite interruption, les roues cir-'
culant sur CD reposent par leurs boudins sur le rail de la
828 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
voie AB. Cette disposition, qui serait tout à fait inadmis-
sible pour une ligne principale, est sans inconvénient sur la
voie CD où ne passent que des voitures traînées par des
chevaux ou poussées par des hommes d'équipe.
La traversée oblique (fig. Soi) est d'une construction
plus complexe. Les deux voies ayant, en effet, la même im-
portance ne peuvent être disposées, l'une par rapport à
l'autre, comme dans le cas précédent ; en outre, l'angle
sous lequel elles se coupent étant très petit, l'interruption
forcée dans les rails acquiert des dimensions beaucoup plus

Fig. 3oi. —•
Traversée oblique.

grandes (80 centimètres environ), ce qui la rend plus dan-


gereuse.
L'inspection de la figure 3oi montre que la traversée
comporte quatre points critiques, symétriquesdeux à deux,
A et D, Bet C.
Les deux premiers, A et D, prennent le nom particulier
,

de croisements; on va les étudier tout d'abord. Les deux


rails en angle aigu se réunissent en une seule pièce a, que
l'on nomme la pointe de coeur; les interruptions pour le pas-
sage des boudins sont en ab et ac. Ces interruptions ont
pour effet de retirer: à la roue même qui circule en ce
point, le support qui lui est nécessaire, et au boudin de
cette roue l'appui latéral qui doit assurer la direction. Pour
y remédier, on place le long du rail opposé, sur chacune
f
des deux voies, des contre-rails et g qui, agissant sur le
CHEMINS DE FER 829
boudin de la roue conjuguée, empêchent celle qui passe de a
en b ou de a en c de sortir de la voie. En outre, pour sou-
tenir la roue de a en b et de a en c, on retourne chacun des
rails en c d et b e le long de la pointe de coeur ; il en résulte
alors que, par suite de la largeur assez grande (10 à 11 cen-
timètres) du bandage de la roue,.celle-ci repose pendant le

Coupe par l'axe

Fig. 3o2. — Plaque tournante.

passage de l'interruption sur le rail coudé qui prend le nom


de contre-coeur ou patte de lièvre.
Aux points B et C, les rails forment un angle obtus et des
interruptions. Au passage de ces interruptions la roue
trouve son point d'appui sur le rail de la voie transversale
et sa direction est assurée par un contre-rail placé vis-à-vis
de la solution de continuité, le long du rail opposé. Comme
830 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
l'essieu pourrait tourner autour de l'une des roues et faire
quitter le rail à celle qui passe sur l'interruption, on
exhausse le contre-rail de manière à créer un appui suppo-
sant aux mouvements de rotation.

Plaques tournantes. — Les plaques tournantes


(fig. 3o2) sont destinées à faire passer les véhicules d'une
voie sur une autre voie faisant un certain angle avec la
première. Elles se composent d'une charpente en fer por-
tant des rails croisés à angle droit, et reposant elle-même :
au centre, sur un pivot, et à la circonférence, sur des galets
qui roulent sur une voie circulaire. Des taquets assurent
sa position invariable lorsqu'elle se trouve placée en corres-
pondance avec l'une des voies qu'elle raccorde.
Divers autres appareils accessoires, d'un emploi trop
rare pour qu'il y ait lieu d'en donner ici la description, peu-
vent aussi être employés dans le même but: telles sont les
voies transversales desservies par un chariot mobile et ser-
vant à relier plusieurs voies parallèles.

Quais d'embarquement. — L'utilité des grands quais


spéciaux pour l'embarquement des troupes n'a pas besoin
d'être démontrée ; peu de gares en sont pourvues en quan-
tité suffisante, et parfois on pourra être appelé à en cons-
truire. Ces quais doivent avoir 4 mètres de largeur au
moins; leur hauteur au-dessus de la voie doit être de
i mètre, et le mur ou le coffrage vertical qui les termine
sera éloigné de 85 centimètres du rail. L'expérience a
montré que ces chiffres sont ceux qui répondent le mieux
aux diverses nécessités du service.

Matériel roulant
Une description détaillée du matériel roulant ne saurait,
évidemment trouver place dans le cadre de cet ouvrage; on
CHEMINS DE FER 83 I
se contentera,par-conséquent,d'en indiquer rapidement les
dispositions essentielles.

Roues et essieux. — Le caractère distinctif du maté-


riel roulant en usage sur les A'oies ferrées, c'est que les
roues sont calées sur les essieux, qui tournent avec elles,
et que l'ensemble de ces roues est placé sous la caisse de la
voiture.
La première disposition est nécessaire pour empêcher le
déraillement quand les trains circulent à grande vitesse. La
seconde est exigée par la largeur relativement faible de la
voie ; elle conduit à n'avoir que des roues assez petites
pour assurer la stabilité du véhicule.
Les roues étant calées sur les essieux, il en résulte que

Fig. 3o3. — Roues de chemins de fer.

les deux qui sont conjuguées font le même nombre détours


et que, si leur diamètre est le même, elles parcourent des
chemins égaux. Or, dans les courbes, le rail intérieur est
plus court que le rail extérieur; si donc les roues avaient
des jantes cylindriques, il faudrait nécessairement que l'une
d'elles glissât pour suivre l'autre. C'est pour cette raison
qu'on a donné aux bandages une forme conique (fig- 3o3).
De cette façon, quand une paire de roues circule dans une
courbe (fig. 3o4), la roue extérieure monte sur le rail de ce
côté, par suite de la direction même de ce rail et du frotte-
ment qui se développe à l'entrée de la courbe ; elle roule
alors sur un cercle plus grand, tandis que l'autre, entraînée
832 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

par ce mouvement latéral, roule sur un-cercle plus petit;


l'équilibre se produit quand les cercles de roulement sont
dans le même rapport que les chemins à parcourir.
La conicité des bandages, qui est, indispensable dans les
courbes, a également pour effet d'assurer la régularité du
parcours en alignement droit, parce qu'elle ramène cons-
tamment le véhicule vers l'axe de la voie, lorsqu'il vient à
en être écarté par une cause quelconque.
Les essieux sont prolongés au delà des plans extérieurs
des deux roues jumelles par des fusées d, ;d'un diamètre
moindre (fig. 3o3)j sur lesquelles repose le châssis du wa-
gon. A cet. effet, les côtés .de ce châssis parallèles à la voie sont

Fig. 3o4- — Roues circulant sur une courbe.

munis de plaques de garde, qui comprennent entre leurs


branches des boites à graisse, remplies de matière lubri-
fiante, dans lesquelles passent les fusées d'essieux. On voit
donc que le poids des véhicules est transmis aux essieux
par ces deux intermédiaires : plaques de garde et boîtes à
graisse. On laisse à dessein un certain jeu entre ces deux
parties, qui ne sont pas invariablement réunies; cette dispo-
sition permet aux essieux de prendre, dans les courbes,
une légère obliquité l'un par rapport à l'autre, et de se dé-
placer latéralement, lorsqu'il y a trois essieux pour un wa-
gon et que la voie n'est pas rectiligne.
Ce jeu de quelques centimètres est suffisant lorsque
l'écartement des essieux est faible, ce qui a lieu seulement
CHEMINS DE FER 833

pour les petits wagons. Les nouveaux véhicules de grande


longueur ne pourraient circuler s'ils étaient montés de la
même manière : leurs essieux ne trouveraient plus à se
placer dans les courbes. On a obvié à cet inconvénient eh
faisant reposer ces longues caisses sur de petits véhicules
spéciaux, dits boggies, par l'intermédiaire d'un pivot. Le
boggie s'inscrit toujours dans la courbe et la caisse du wa-
gon cesse d'être parallèle à l'axe des supports.
Les wagons sont réunis entre eux par des systèmes de
ressorts (fig- 3o5) destinés à diminuer la violence des chocs
au départ et à l'arrivée. A cet effet, sous la caisse du véhi-
cule, contre l'une des traverses du châssis, on place un

Fig. 3o5. — Appareils de choc et de traction.

puissant ressort à lames R, appuyé, mais non fixé sur le châs-


sis. Sur les deux extrémités de ce ressort, sont rivées de
longues tiges ab terminées par des tampons. Ces tiges tra-
versent des taquets e, attenant aux longerons du châssis^ et
contre lesquels peuvent venir s'appuyer les extrémités à des
ressorts B. Au milieu de ceux-ci sont fixées d'autres tiges
c d, terminées par des crochets qui servent à retenir les ten-
deurs à vis, au moyen desquels on réunit les deux wagons
consécutifs. Au départ, le ressort se bande en se courbant,
s'appuie par ses extrémités sur les taquets e, et transmet la
traction sans choc. A l'arrivée, l'effet inverse se produit, les
tampons b sont en contact et se pressent, le milieu du res-
sort B s'appuie contre la traverse du châssis, et le ressort se
tend en se redressant.
MANUEL DE I'Oin'Il'ICATION - 53
834 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
Les tendeurs à vis (fig. 3o6) sont composés de deux étriers
terminés par des pièces taraudées en sens inverse, formant
écrou pour les deux extrémités d'une vis, filetées également
dans deux sens différents.
La rotation de cette vis a nécessairement pour effet de
rapprocher ou d'écarter les tendeurs et, par suite, d'aug-
menter le serrage des voitures l'une contre l'autre.
On rappellera également, sans s'y arrêter plus longtemps,
que sur la plupart des lignes de chemins de fer les wagons

Fig. 3o6. — Tendeur à vis.

sont pourvus de freins, mus par l'air comprimé ou par


l'électricité, qui permettent d'arrêter très rapidement.

Locomotives. — La force motrice qui entraîne les voi-


tures sur.les rails est produite par la locomotive (fig. .3oy).
On y remarque : la chaudière tubulaire G qui produit la
vapeur ; le dôme de prise de vapeur B ; les cylindres M,
dans chacun desquels se meut un piston sur lequel elle agit ;
les tiroirs N,. qui servent à la distribuer alternativement des
deux côtés du piston; les bielles motrices G, qui transmettent
aux roues E la force engendrée sur le piston.
Gomme appareils accessoires, quoique d'une utilité très
grande et même indispensables à son bon fonctionnement,
on peut citer : Yinjecieur Giffard, qui sert à amener l'eau ;
les appareils de. changement de marche agissant sur une
coulisse de Stephenson S; les sifflets d'alarme K; les tubes
indicateurs de niveau d'eau;.les robinets de purge, etc.
Chaque machine est conduite par un mécanicien aidé
CHEMINS DE FER 835
d'un chauffeur; elle traîne derrière elle un tender portant
l'eau et le charbon.
Il est utile de faire observer que la puissance de traction
de la machine ne dépend pas uniquement de la force motrice
qu'elle est capable de produire. Entre ces deux éléments,
il existe en effet un intermédiaire, l'adhérence ou frotte-
ment entre le rail et la roue, mesurant en quelque sorte
l'appui que peut prendre la machine pour entraîner le train.

Fig. 307. — Locomotive.

Or, cette adhérence est, comme tout frottement, proportion-


nelle au poids ; on peut donc dire que les machines les plus
puissantes sont celles dans lesquelles les roues actionnées
directement par les bielles transmettent au rail le poids le
plus considérable. Ces roues E (fig. 3oy ) sont, pour cette
raison, dites « roues motrices ».
L'adhérence dépend en outre de la nature des surfaces
frottantes; elle s'exprime par un coefficient qui varie de
i/5, par les temps secs, à 1/9, par les temps humides et
brumeux. Ce coefficient, multiplié par la fraction du poids
de la machine transmise aux rails par les roues motrices,
indique la valeur supérieure que peut atteindre la résistance
du train.
En adoptant, par exemple, pour ce coefficient le chiffre
836 4C PARTIE
— ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
moyen 1/7, une locomotive de 3o tonnes, à trois essieux,
dont deux moteurs, pourra vaincre une résistance égale à :

- ( 3o 000 kilos X 5) ou environ 2 860 kilos.

Or, sur les rails, la résistance au roulement n'est que de


0,02 à o,oo5 du poids remorqué. Sur une voie horizontale
ou, pour employer l'expression technique, sur palier, la
machine en question traînera donc un poids de :
100 , „„ 1 000
2 „n
800 X a2 860 X —?— ; soit r a, 070
., 100 _ _ tonnes.
,
2 5
Sur des rampes un peu fortes et dans des circonstances
atmosphériques défavorables (neige ou verglas), il peut
arriver que, la composante du poids parallèle à la voie venant
s'ajouter à la résistance au roulement, la machine ne trouve
plus sur le rail un appui suffisant et roule sans avancer; on
dit alors qu'elle patine sur place. On remédie quelquefois
à cet inconvénient en faisant tomber du sable sur les rails
en avant de la roue, pour augmenter le frottement et, par
suite, l'adhérence de cette dernière.

Service d'exploitation des voies ferrées


Le service d'exploitation des voies ferrées a pour but
d'organiser la circulation des trains de manière à prévenir
autant que possible les retards et à empêcher les collisions.
Réservoirs d'eau. — A cet effet, il est nécessaire de
pourvoir les lignes de certains appareils accessoires, parmi
lesquels on doit citer tout d'abord les réservoirs d'eau ser-
vant à alimenter les machines, qui se trouveraient sans eux
dans l'impossibilité de continuer leur marche, lorsqu'elles
auraient épuisé leur provision d'eau. On conçoit dès lors
l'intérêt qu'une armée peut avoir à les détruire ou à les pro-
téger, suivant les cas.
CHEMINS DE FER 837
Signaux. — Il est indispensable, d'autre part, d'établir
des signaux destinés à transmettre aux mécaniciens les
indications des agents de la voie, pour prévenir les collisions.
Ces signaux ont toujours force de loi et tout employé doit
y obéir, quel que soit son grade.
Les appareils de la voie destinés à les fournir en perma-
nence sont : les disques à distance, les disques d'arrêt
absolu, les sémaphores et les signaux d'aiguille.

Les disques à distance (fig. 3o8) sont placés en avant des


points à couvrir, à 800 ou 1 000 mètres par exemple, afin

Fig.. 3o8. — Disque à dislance.

que le mécanicien ail tout le temps voulu pour arrêter son


train.
Us consistent en un disque circulaire AB, porté par un
pied en fonte haut de 4 mètres environ. Le disque est blanc
d'un côté, rouge de l'autre. Il peut prendre deux positions :
l'une, parallèle à la voie et la face blanche tournée de son
côté, signifie voie libre; l'autre, perpendiculaire et la face
rouge tournée vers le train qui arrive, commande l'arrêt.
La nuit, une lanterne G, fixée au support du disque, montre
son feu blanc, quand celui-ci est parallèle à la voie, et appa-
raît rouge, au contraire, quand il est à l'arrêt. La coloration
838 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
est produite, dans ce dernier cas, par une plaque de verre
rouge d, portée par le disque qui, en prenant sa position
d'arrêt, l'amène devant une lanterne.
La manoeuvre de l'appareil se fait de la gare même, à l'aide
d'un levier et d'un fil de fer de transmission, et, afin que la
nuit on puisse s'assurer de la position du disque, celui-ci
porte un petit appendice E, muni d'un verre bleu qui se
place devant la lanterne, de manière à être aperçu de la
station, lorsque la voie est ouverte.
Une sonnerie électrique, mise en mouvement quand la

Fig. 3og. — Sémaphore.

voie est libre, donne également des indications qui sont


malheureusement sujettes à faire défaut.
Les disques d'arrêt absolu sont identiques comme prin-
cipe aux précédents ; mais ils sont de forme carrée et souvent
manoeuvres au pied même. Le mécanicien ne doit, sous
aucun prétexte, atteindre le point où ils sont placés ; des
pétards, mus par l'appareil, se posent sur les rails quand le
disque est à l'arrêt, et avertissent les agents de la voie des
infractions qu'on pourrait commettre à cette injonction.
Les sémaphores (fig. 3og) permettent d'indiquer au con-
ducteur de la machine qu'il doit « s'arrêter., ralentir, ou
passer librement ». Ils sont formés d'un bras dont la face
visible pour le train qui arrive est peinte en rouge. Ce bras,
mobile autour d'un axe horizontal, peut prendre trois posi-
tions : l'une, horizontale, commande l'arrêt immédiat; la
CHEMINS DE FER 83g
seconde, inclinée à 45°, signifie le ralentissement ; la troi-
sième, verticale, indique que la voie est libre. La nuit, des
verres de couleur, rouge pour la première position, verte
pour la seconde, blanche pour la troisième, complètent ces
indications.
Les signaux d'aiguille (fig. 3io) servent, dans les bifur-
cations, à indiquer celle des deux voies suivant laquelle
l'aiguille est dirigée.
Sur les lignes de l'Ouest et du Nord, ils sont formés d'un
bras vert, dont une partie est masquée, et dont l'autre
Réseau du Nord et de l'Ouest Réseau de l'Est.

Fig. 310. — Signaux d'aiguille.

apparaît du côté de la voie fermée. Lors donc que le bras


est à droite, comme l'indique la figure. 310, c'est la voie de
gauche qui est libre, et réciproquement. La nuit, deux lan-
ternes sont placées l'une à droite, l'autre à gauche du signal.
Le bras portant un verre de couleur verte marque celle qui
correspond à la voie fermée.
Sur la ligne de l'Est, le signal d'aiguille est une équerre
dont un côté est toujours vertical; l'autre côté étant alors
horizontal, à droite ou à gauche, indique celle des deux
voies qui est ouverte.

A ces signaux qu'on nomme fixes, il faut ajouter les


signaux mobiles que peuvent donner les agents de la voie.
Quelle que soit sa couleur, un drapeau roulé et parallèle
à la voie signifie que la voie est libre : un drapeau rouge
84o 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
déployé commande l'arrêt; un drapeau vert, déployé, le
ralentissement. La nuit, des lanternes de même couleur,
blanche : rouge et verte, remplacent ces indications.
Enfin, tout agent agitant vivement devant le train un
drapeau, une lanterne, un objet quelconque ou seulement
les bras, commande un arrêt immédiat. Un pétard placé sur
la voie ou des coups de trompe répétés ont la même valeur.

Le mécanicien, sur sa machine, peut également donner


des indications aux agents de là voie ou à ceux du train :
Un coup de sifflet long demande la voie à gauche ;
.
Trois coups de sifflet longs demandent la Aroie à droite ;
Un coup de sifflet bref indique de desserrer les freins ;
Deux coups brefs indiquent de serrer les freins ;
Coups multipliés brefs indiquent la machine en détresse.

Grâce à ces différents signaux, on peut protéger les points


spéciaux de la voie, tels que les bifurcations, sur lesquels
les dangers sont à craindre.
Pour en bien comprendre le fonctionnement, il faut savoir
que, sur les lignes à deux voies, les trains circulent sur la
voie de gauche et se laissent réciproquement, à droite.
Si donc on a une bifurcation (fig. 3n),les voies AB, AB'
servent aux trains venant du tronçon commun, les voies CD,
CD' à ceux qui s'y rendent : les flèches indiquent d'ailleurs
le sens de ces divers mouvements.
Pour protéger les trains, on place sur chaque voie condui-
sant à la bifurcation : i° un signal indicateur b, qui com-
mande le ralentissement pour fous les trains ; 1° un signal,
d'arrêt absolu a, à 60 mètres environ du point à couvrir ;
3° un disque à distance c,à 1 kilomètre environ, pour cou-
vrir les trains arrêtés. C'est ce qu'on trouve sur chacune
des voies A, D' etD. En outre, sur le tronçon commun A, il
existe un signal d'aiguille placé en F, à la bifurcation même.
Chaque train venant du tronçon A demande, par des coups
de sifflet, la voie qu'il doit prendre, et ne s'y engage que
CHEMINS DE. FER, 841
lorsque le signal lui indique qu'elle est libre. Sr, au contraire,
un train vient de D' sur le tronçon C, il faut arrêter les trains
allant de A vers B et ceux venant de D, afin de couvrir la
traversée E et la bifurcation F'.
La manoeuvre des disques est, on le voit, assez compli-
quée ; pour l'opérer sans erreur, on a eu l'idée de rendre
solidaires les leviers de manoeuvre des aiguilles et ceux des
disques, de manière, par exemple, qu'on ne puisse donner
passage au train allant de A vers B qu'après avoir fermé les
deux disques de D', fait l'aiguille pour B et placé le signal
d'aiguille au point voulu. Les appareils d'enclenchement

Fig. 3n. — Bifurcation avec les signaux.

des leviers sont des systèmes Vigier ou Saxby etFarmer;


ce dernier est le plus en faveur.
Marche des trains. — En troisième lieu, il faut, pour
éviter les collisions, régler avec soin la marché des différents
trains, en tenant compte de leur vitesse.
La vitesse de marche des trains omnibus est d'environ
3o kilomètres à l'heure; c'est la vitesse habituelle des trains
militaires ; mais celle des trains express est beaucoup plus
considérable : sur certaines lignes, elle atteint 80 kilomètres
et même davantage.
Les intervalles qui doivent séparer deux trains consécutifs
sont fixés, sur les lignes à deux voies: à dix minutes, lorsque
les deux trains sont de même nature, et à cinq minutes,
quand le premier est express ou que le second est un train
de marchandises, le premier étant omnibus.
842 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
A la suite des nombreux et graves accidents survenus dans
ces dernières années, on a adopté presque universellement,
sur les lignes à double voie, un mode d'exploitation dit
block-system, qui consiste à partager la ligne en un certain
nombre de tronçons d'assez,faible longueur et à ne jamais
laisser deux trains s'engager à la fois dans le même tronçon.
Ce résultat est obtenu au moyen de sémaphores combinés
avec des signaux télégraphiques. Bien que parfaite en théo-
rie, cette disposition, qui est impuissante à pallier la négli-
gence des employés ou le mauvais entretien des appareils,
n'a pas suffi, jusqu'à présent, à prévenir complètement le
retour de terribles catastrophes.
Sur les lignes à voie unique, la marche des trains ne peut
plus être réglée de la même manière, parce qu'il faut évidem-
ment empêcher que deux trains marchant en sens contraire
ne s'engagent ensemble sur la même portion de voie. On
dispose dans certaines stations des voies d'évitement, sur
lesquelles les trains peuvent attendre que le tronçon suivant,
soit débarrassé de ceux qui marchent en sens contraire.
Dans ces conditions, l'intervalle qui sépare deux trains
consécutifs marchant dans le même sens doit être égal au
temps nécessaire pour franchir le plus long des deux tron-
çons compris entre deux évitements voisins ; conséquem-
ment, la circulation sur les lignes de cette espèce est
forcement moins active que sur les précédentes.
Pour que les agents de l'exploitation puissent se rendre
compte de la marche des convois et régler le service, on
construit des tableaux graphiques indicateurs de cette mar-
che, sur lesquels les gares successives occupent les diffé-
rentes lignes d'une colonne verticale et sont séparées par
des distances •proportionnelles à leurs distances réelles,
tandis que les différentes heures sont figurées en abscisses
sur une ligne horizontale. La marche de chaque train est
alors indiquée par un trait qui permet de connaître à cha-
que instant sa situation.
Sur chaque train se trouvent plusieurs agents chargés
CHEMINS DE FER 843
d'assurer le service; ils sont placés tous sous les ordres du
« chef de train », qui est responsable de l'exécution des règle-
ments. Toutefois, la conduite de la machine reste exclusi-
vement confiée au mécanicien, qui seul doit répondre des
retards qu'il a pu occasionner.
Lorsque, au cours de la marche, un accident arrête le
train ou l'oblige à ralentir suffisamment pour qu'un homme
à pied puisse le suivre, l'un des agents se porte rapidement
au poste télégraphique le plus voisin pour demander du
secours et informer de l'accident, tandis qu'un autre va
placer sur la voie, à i kilomètre en arrière, des pétards
ou des signaux commandant l'arrêt, afin de prévenir les
collisions.
Les transports militaires par chemins de fer font l'objet
de deux règlements, l'un du 18 novembre 1899 sur les trans-
ports ordinaires, l'autre du 19 novembre 1899 sur les trans-
ports stratégiques.
Le nombre des véhicules pouvant entrer dans la compo-
sition d'un train militaire a été fixé à cinquante, au maxi-
mum, lorsque parmi eux se trouvent plus de quatre voitures
à voyageurs. — La vitesse normale de marche des trains
militaires composés de plus de vingt-quatre voitures ne doit
pas dépasser 4o kilomètres à l'heure.
Quant au nombre de trains qu'on peut expédier en un
jour sur une ligne, il varie énormément avec le profil de la
voie, les facilités d'alimentation en eau et, surtout, la capa-
cité des quais de débarquement ; il serait superflu de vouloir
indiquer ici un chiffre moyen.

Lignes à voie étroite. Tramways. — Les chemins


de fer ayant une voie normale de im445, dont il vient d'être
question, sont de beaucoup les plus répandus et ceux dont
l'emploi est le plus général. On construit cependant des
lignes d'intérêt local, à voie réduite de 1 mètre, qui pro-
curent de grands avantages économiques par suite des faci-
lités que présente leur établissement.
844 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
La voie étroite, en effet, en raison des plus petites dimen-
sions du matériel, permet l'adoption de courbes de plus
faible rayon, ce qui évite souvent des travaux d'art assez
sérieux. Au point de vue militaire, ces lignes ont en con-
séquence une grande importance, puisqu'elles peuvent être
employées aisément en campagne et qu'elles se plient
mieux aux accidents du terrain. Il faut remarquer cepen-
dant qu'elles ont l'inconvénient d'exiger un matériel rou-
lant de dimensions spéciales.
Les chemins de fer à voie de i mètre sont établis d'après
les mêmes principes que ceux à voie normale. Mais on uti-
lise aussi des voies plus étroites encore qui ont l'avantage
d'être démontables et transportables. Le type Decauville,
de 4o à 60 centimètres de large, est lé plus répandu; la
voie est formée de tronçons, ayant généralement 6 mètres,
dont les deux rails sont réunis par des traverses en fer,
fixées à demeure. La pose de la voie se fait en ajoutant ces
tronçons les uns au bout des autres et marche très rapide-
ment.
Lorsque ces éléments de voie sont établis sur une plate-
forme dressée et qu'ils reposent sur un sol assez ferme ou
sur une couche de ballast, ils peuvent recevoir la circulation
de véritables trains remorqués par des locomotives.
Un matériel de cette nature entre dans la composition
des parcs de siège et rendra certainement de grands ser-
vices pour les communications à établir entre le parc d'ar-
tillerie, les dépôts et les batteries. On l'utilise à plus forte
raison dans les places fortes.
On peut tirer un excellent parti de ce matériel pour des-
servir les installations d'une place forte ou d'une année
de siège parce qu'elles comportent une fixité relative et
qu'on peut ainsi donner à la voie une certaine stabilité, in-
dispensable à son bon rendement. Il serait dangereux de
conclure des résultats ainsi obtenus à la possibilité d'utiliser
le matériel à voie étroite pour desservir les communications
d'une armée en campagne.
CHEMINS DE FER 84»
La plupart des grandes puissances sont dotées de maté-
riel complctàvoie étroite(voie, matériel roulant, machines).
Celui qui a été adopté en France, en 1888, est dû aux études
du capitaine (aujourd'hui colonel) Péchot; les Allemands en
avaient amené un semblable, en 1900, au corps expédition-
naire du Petchili.

Destruction des voies ferrées


La destruction d'une voie ferrée peut être exécutée d'une
foule de manières différentes, suivant le temps et les moyens
dont on dispose. Elle peut, varier aussi suivant le but qu'on
se propose et la durée de l'interruption de service que l'on
veut produire. En effet, toute voie de communication et a
fortiori toute voie ferrée ne doit être détruite entièrement
que si l'on a complètement perdu l'espoir de marcher en
avant : c'est le cas, par exemple, d'une retraite définitive,
ou encore celui d'une place forte qui est dans l'attente d'un
siège imminent et prépare sa défense en coupant les cheT
mins de fer, de manière à interdire le passage aux parcs de
siège de l'ennemi. Souvent, au contraire, la destructiondoit
se borner à une interruption momentanée, et la réparation
n'exiger qu'un travail de quelques jours. C'est au comman-
dant en chef qu'appartient seul de décider une opération de
ce genre et d'assigner l'étendue qu'elle comporte, et l'on
conçoit aisément que là, plus que partout ailleurs, il con-
vient d'observer la lettre même des ordres qu'il a donnés.

Les destructions peuvent porter :


i° Sur la voie et ses ouvrages d'art;
20 Sur les appareils accessoires d'exploitation;
3° Sur le matériel roulant.

Destruction de la voie. — Pour mettre rapidement


une voie ferrée hors de service pendant quelques heures, il
846 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
suffit de quelques pétards de mélinite. Les meilleures dis-
positions à employer sont les suivantes :
i° Avec deux pétards de mélinite placés l'un contre l'au-
tre, en contact immédiat avec l'âme ou partie centrale du

Fig. 3i2. •—
Destruction rapide de la voie.

rail, du côté extérieur de la voie, on obtient une brèche de


20 à 4o centimètres (fig. 312).
Sur les voies Vignole on peut rompre à la fois le rail et la
traverse en employant quatre pétards disposés d'une manière
analogue, au droit d'une traverse. La brèche est alors de
60 centimètres à 1 mètre.
20 En employant deux charges, a et b, de deux pétards

Fig. 3i3. — Couple de la cavalerie.

chacune, réunies par un même cordeau détonant et dispo-


sées à 1 m5o l'une de l'autre, des deux côtés d'une traverse et,
alternativement sur les deux faces du rail, on obtient une
rupture double. Si les deux charges sont bien liées au rail
de manière que leurs explosions soient simultanées, on pro-
duit le plus souvent une rotation de la partie du rail qui
les sépare. Cette disposition (fig- 3i3) se nomme couple
de la cavalerie.
CHEMINS DE FER SliJ
Lorsqu'on emploie l'un des deux procédés qui viennent
d'être décrits, il est utile d'amonceler un peu de ballast
contre les cartouches, tant pour les maintenir au contact du
rail que pour produire un léger bourrage.
Dans le voisinage de l'ennemi, les destructions à la méli-
nite ne sont pas sans inconvénient. Le bruit de l'explosion
attire l'attention de l'adversaire, le met sur ses gardes et,
dans maintes occasions, peut nuire au succès d'une opéra-
tion bien conduite par ailleurs, en enlevant à celui qui l'a
entreprise le bénéfice de la surprise.
On peut, du reste, exécuter parfaitement la mise hors de

Fig. 3i/|. — Fausse aiguille.

service de la voie sans avoir recours à ces bruyants pro-


cédés.
On enlève, par exemple, les éclisses opposées de deux
rails, ainsi que les crampons ou autres attaches qui les
relient aux traverses, et on les dévie légèrement lorsqu'on
les a ainsi rendus libres : c'est ce qu'on appelle créer une
fausse aiguille (fig- 3i4^) dont l'effet est d'amener un dérail-
lement.
Quand on fait des destructions de cette nature sur cha-
cune des voies d'une ligne à double voie, il faut avoir soin
de les disposer comme l'indique la partie inférieure de la
ligure 3i4, de manière que le mécanicien d'un train circu-
848 4° PARTIE — ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
lant sur l'une d'elles n'aperçoive pas les dispositifs préparés
sur l'autre, qui éveilleraient son attention.
On peut encore, si on a le temps, enlever les rails ou bri-
ser les coussinets à l'aide d'une forte masse. Ce procédé,
extrêmement simple, est à recommander toutes les fois qu'on
a le loisir de l'appliquer.
On peut préparer un déraillement, sur une courbe, en en-
levant les attaches du rail extérieur. Un accident de cette
nature entraîne toujours une longue interruption, parce qu'il
faut retirer les wagons brisés qui encombrent la voie. La
remise en état est surtout difficile lorsque la courbe est
dans un déblai, puisqu'on n'a plus, dans ce cas, la ressource
de jeter les décombres sur les côtés.
Une destructionplus radicale consiste à enlever complète-
ment la voie en emmenant les rails et les traverses. Pour
cela, on organise des trains de trucs vides et des équipes de
travailleurs formées en quatre groupes : le premier, chargé
de dégager les traverses du ballast ; le deuxième, d'enlever
les éclisses ; le troisième, de dégager les rails de leurs atta-
ches; le quatrième, de porter sur les trucs les rails et tra-
verses. Un chantier de 200 hommes, bien organisé, enlève
200 mètres de voie en une heure, soit 1 5oo à 1 800 mètres
par jour : mais comme la réparation, ou plutôt la recons-
truction, n'exige pas beaucoup plus de temps, on voit que
ce procédé n'a d'autre avantage que de conserver le maté-
riel de la voie.
On peut opérer d'une manière plus expéditive en formant
des bûchers avec les traverses et en plaçant, les rails sur ces
bûchers : la chaleur les courbe et les met ainsi hors de ser-
vice.
Plus simplement encore, on peut jeter du haut en bas d'un
grand remblai (ou d'un pont) des travées entières de rails et
traverses; les rails se faussent dans leur chute et sont ainsi
mis hors d'usage.

Les destructions de la voie qui portent sur les points spé-


CHEMINS DE FER 84g
CI aux (aiguillages, traverses, etc.) ont des conséquences
plus importantes, car elles conduisent à des réparations plus
longues et plus compliquées.
Pour détruire les aiguillages (fig- 3i5), on place deux
pétards de mélinite entre chaque aiguille et le rail extérieur ;
l'explosion, rompant les deux pièces, met les deux voies
hors de service. On peut également briser les leviers de ma-
noeuvre.
Les croisements (fig. 3i5) sont détruits par trois pétards de
mélinite placés contre la pointe de coeur ou entre les pattes
de lièvre, de manière à les rompre toutes les deux; la pièce
de coeur, ayant une forme spéciale, ne peut être aisément
remplacée : on produit donc ainsi une sérieuse interruption.

Fig. 3i5. — Destruction d'une bifurcation.

Les plaques tournantes, pour être mises hors de service,


sont placées d'abord en non-coïncidence avec les différentes
voies .qu'elles font communiquer, puis on dispose une charge
de deux ou quatre pétards de mélinite contre l'axe ou sur la
voie circulaire servant aux galets. Un autre procédé consiste
à enlever le plateau supérieur, à faire tourner légèrement la
plaque pour que ses rails cessent de coïncider avec les diffé-
rentes voies, puis à lancer un wagon qui tombe dans la fosse
et empêche toute circulation pendant un laps de temps assez
long.
Destruction des oxivrages d'art. — Les opérations
de ce genre entraînent toujours de longues interruptions
dans la circulation, parfois même son interdiction complète
pendant toute la durée d'une campagne. Elles peuvent por-
MANUEL DE l'ORTlFlCATION 54
85o 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
ter sur les ponts, viaducs, tunnels, grands remblais et
grandes tranchées.
Les procédés à employer pour la destruction des grands
remblais et des grandes tranchées, et pour celle des ponts
et viaducs, ont été décrits dans les chapitres LIV et LV
(pages JJ6 et 8i4)\ il n'y a pas lieu d'y revenir.

Pour les tunnels, on fait usage de deux dispositifs, dont


l'un convient à une démolition partielle, et l'autre à une
démolition totale.
Le premier, qui a pour but de produire le renversement
de la tête du tunnel, consiste à placer : i° deux fourneaux
latéraux, contenant chacun 600 kilos de poudre, élevés de
4 mètres au-dessus du sol, à i5 mètres environ du talus de
tête et à 6 mètres du parement interne du pied-droit ; 2° un
troisième fourneau supérieur, de 1 000 kilos, à 6 mètres
au-dessus de la voûte et éloigné de 6 mètres des précédents
du côté de l'intérieur du tunnel.
Le second dispositif s'installe au milieu du tunnel; il
comprend quatre fourneaux latéraux de 600 kilos, places à
12 mètres de distance les uns des autres, et un cinquième
fourneau supérieur de 1 000 kilos.
Dans le cas d'un mauvais terrain, on peut obtenir une
interruption sérieuse en employant un troisième dispositif
qui consiste à miner directement, sur une longueur de i5 à
20 mètres, les pieds-droits que l'on perce pour arriver à
l'emplacement des charges. Comme il est difficile de donner
au bourrage une grande résistance, ce dispositif n'est vérita-
blement avantageux qu'avec la mélinite. La charge et l'espa-
cement des fourneaux sont calculés comme il a été dit pour
la destruction des murs errasses.
1

Pour bien mettre en évidence l'importance des des-


tructions de cette nature, on rappellera qu'en 1870 le bom-
bardement de Paris fut retardé de trois mois, parce que les
Prussiens ne purent utiliser la voie ferrée de l'Est, inter-
ceptée par la rupture du tunnel de Nanteuil.
CHEMINS DE FER 851
Destruction des appareils d'exploitation. — On a
fait ressortir précédemment(page 836 et suiv.) toute l'im-
portance des signaux, des réservoirs d'eau et autres organes
accessoires, au point de vue de l'exploitation des voies
ferrées. La suppression des uns ou des autres est donc de
nature à entraver très sérieusement le service.
C'est principalement sur les réservoirs d'eau qu'il con-
viendra de faire porter les destructions, parce qu'une voie
privée de ces réservoirs sur une certaine étendue est im-
praticable aux trains qui n'emportent pas avec eux leur pro-
vision d'eau ou des appareils d'alimentation de fortune tels
que les pulsomètres. Il suffira du reste pour cela de les
percer à l'aide d'un outil ou mieux encore de faire détoner
à l'intérieur, près du robinet de prise, une charge de deux
pétards de mélinite.
La destruction des signaux est chose,plus facile encore.
On brisera, à l'aide de la mélinite, ceux que l'on ne pourra
supprimer par d'autres procédés.
Enfin, les télégraphes et autres appareils fonctionnant par
l'électricité sont d'une destruction facile et leur suppression
augmente considérablement les difficultés de l'exploitation.

Destruction du matériel roulant. — Les plus im-


portantes destructions à opérer sur le matériel roulant sont
naturellement celles qui ont pour objet les locomotives, car
leur réparation est toujours extrêmement difficile.

Pour mettre une locomotive hors de service pendant un


temps assez long, il suffit d'enlever ou de détruire l'une des
pièces suivantes :

L'injecleur Giffard, ou même tout simplement sa tige


centrale qui se dévisse aisément: cet appareil est placé à
gauche sur la chaudière ;
Le tube du niveau d'eau placé devant le mécanicien et
qu'on brisera facilement puisqu'il est en cristal;
852 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
Une bielle, une lige du tiroir, l'excentrique du tiroir, la
fige d'un des pistons, dont on obtiendra toujours la rupture
avec deux pétards de mélinite ;
Le fond d'un des cylindres, qu'il est généralement facile
de déboulonner ou tout au moins de pétarder.
Un dérangement très sérieux, assez difficile à reconnaître
et surtout à réparer, consiste à modifier le réglage du tiroir,
en agissant sur le macaron qui assure la position de ce der-
nier. La marche de la locomotive devient dès lors très dif-
ficile;, quelquefois même impossible.
On peut aussi faire détoner un pétard de mélinite dans
un des tubes de la chaudière, ou encore ouvrir les robinets
de'celle-ci pour la vider et pousser le feu afin de brûler le
métal. Ces deux destructions sont toujours très complètes
et d'un effet certain.
Les roues, essieux et plaques de garde des locomotives et
des wagons sont brisés aisément avec la mélinite employée
à la charge de deux à cinq.pétards.
Un procédé plus radical consiste à incendier les wagons
en les enduisant de pétrole ou de goudron.
Enfin, comme l'ont fait les Américains dans la guerre de
Sécession, on peut lancer à toute vapeur un train sur un
déraillement préparé, ou deux trains l'un contre l'autre. Le
matériel est mis en pièces et la voie obstruée pendant
un temps très considérable.

Réparation des voies ferrées


Les réparations simples peuvent être effectuées par toutes
les troupes du génie ; celles, au contraire, qui exigent des
travaux sérieux sont confiées aux compagnies de sapeurs de
chemins de fer ou aux sections techniques.
On citera d'abord quelques-unes parmi les premières.
Pour remplacer des rails mis hors de service, on peut
employer les fers à T, qui entrent aujourd'hui dans la cons-
CHEMINS DE FER 853
titution des planchers de la plupart des maisons de cons-
truction récente et dont les magasins des marchands de fer
sont du reste généralement pourvus. A leur défaut, des rails
en bois garnis d'une plate-bande en fer peuvent faire le
même office, mais on ne doit y faire circuler les voitures
qu'avec de grandes précautions.
A défaut de coussinets, on peut se servir, dans différents
cas, de tasseaux en bois cloués fortement sur les traverses et
maintenant les rails de chaque, côté.
Les aiguillages seront remplacés aisément par des chan-
gements de voie à rails mobiles que l'on obtiendra en fai-
sant osciller une paire de rails, placés l'un en face de l'autre,
autour des éclissesqui les réunissent aux rails fixes. Il con-
viendra de manoeuvrer ces aiguilles improvisées à l'aide de
leviers permettant seulement deux positions d'équilibre cor-
respondant à chacune des deux voies à réunir.
Pour réparer une traversée de voies, dont la plaque de
coeur a été mise hors de service, on installera à chaque
angle obtus un rail pivotant qui, venant se placer dans le
prolongementde l'un ou de l'autre rail, pourra donner passage
sur chacune des deux Aroies. Cette réparation assez délicate
n'est généralement exécutable que par des troupes spé-
ciales.

Déviations

Les travaux les plus difficiles et les plus longs consistent


dans la réparation des ouvrages d'art. Ils peuvent être
assez importants pour qu'on se voie obligé d'y renoncer et
de recourir à la construction d'une déviation. Les dévia-
tions sont également entreprises pour tourner les places
fortes ou les forts d'arrêt.
Les Allemands en 1870 en ont exécuté plusieurs.
La première et la plus longue est la ligne de Remilly à
Pont-à-Mousson, construite pour contournerMetz. Elle avait
32 kilomètres et demanda quarante-neufjours de travail avec
854 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
3 ooo à 4 ooo ouvriers, tant pionniers que soldats de toutes
armes et paysans requis.
La deuxième fut, faite pour contourner le tunnel de Nan-
teuil, sur la ligne de Paris à Strasbourg, que les Allemands
ne purent rétablir. Elle avait 5 kilomètres et, demanda qua-
rante-quatre jours.
Une troisième déviation, sur la ligne de Paris à Creil, était
destinée à contourner un pont qui franchissait l'Oise à 15 mè-
tres au-dessus de l'étiage et que les Allemands ne crurent
pas pouvoir être rétabli à ce niveau. La déviation, de i 200
mètres, demanda trois mois de travail.
Ces travaux seraient aujourd'hui d'une exécution plus
rapide, parce qu'ils sont confiés à des troupes spéciales en-
traînées à ce service et dotées d'un matériel de ponts métal-
liques démontables qui accélère la réparation et la construc-
tion des ouvrages d'art.
Il ne saurait être question d'indiquer ici dans le détail
comment on étudie et on trace une déviation sur le terrain,
comment on l'exécute. On se bornera à donner une idée
générale de la méthode suivie.
L'étude de la carte fournit une première indication que
l'on complète, sur le terrain, par un levé exécuté de part et
d'autre du tracé provisoire ; on arrête ainsi le tracé définitif.
Celui-ci comporte des courbes de rayon minima, des. pentes
et des rampes maxima, afin de réduire le plus possible les
terrassements à exécuter. Dans le choix des rampes et
Courbes limites, il faut tenir compte des nécessités du trafic
de la voie, le rendement de celle-ci étant d'autant plus con-
sidérable que son profil et son tracé comportent de moin-
dres rampes et courbes.
Les terrassements s'exécutent par emprunts et dépôts en
évitant le plus possible les transports de terre longitudi-
naux, en proscrivanttoujours la montée des déblais.
La pose de la voie se l'ait au fur et à mesure que la plate-
forme est livrée et sans ballast. Le train de pose amène le
matériel de voie que des équipes successives de coltineurs
CHEMINS DE FER 855
de traverses, de coltineurs de rails, d'attacheurs déchargent
et mettent en place. On peut ainsi, en travaillant de jour
seulement, poser i kilomètre par jour et doubler presque ce
chiffre par un travail continu, à la condition toutefois de
disposer de main-d'oeuvre et de matériel en quantités suffi-
santes.
Derrière le chantier de pose, fonctionne un chantier de
relevage et de ballaslage de la voie.

Réparation des grands ouvrages d'art. — Les


déviations permettent, ainsi qu'on vient de le dire, de con-
tourner l'obstacle que franchissait un ouvrage d'art détruit
par l'ennemi; on peut dans certains cas entreprendre sa
réparation si cette opération doit rétablir en moins de temps
la continuité du rail.
Les ouvrages à réparer sont, en principe, les ponts et
les viaducs, à l'exclusion des tunnels; ceux-ci, en effet, exi-
gent en général, pour être remis en état, plus de temps qu'il
n'en faut pour les contourner.
Un pont ou viaduc détruit peut être réparé par un ouvrage
d'art en charpente. Les sapeurs de chemins de fer sont spé-
cialement exercés à la construction rapide des estacades et
des poutres en bois. Ces troupes disposent, comme guide
dans leur travail, d'un Aide-mémoire de charpente qui
indique un nombre de types suffisants pour répondre à la
plupart des cas qui peuvent se présenter. L'outillage, des
parcs sur rails permet déjà de battre rapidement les pilots
qui sont l'élément essentiel des estacades ; il pourrait être
complété avantageusement par des outils mécaniques qui
rendent plus rapide le traArail du bois. Les troupes alle-
mandes de chemins de fer sont, dotées, sous ce rapport, de
moyens d'action très puissants.
Le franchissement de la brèche ouverte dans un ouvrage
d'art peut être obtenu plus rapidement encore par l'emploi
du matériel de ponts métalliques démontables. La France
en a, la première, été pourvue, sur l'initiative du comman-
856 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
dant, depuis général, Marcille; les armées rivales l'ont
imitée et ont profité de l'expérience acquise chez nous.
Les ponts Marcille sont en acier, à âme pleine, de quatre
t}rpes différents, correspondant respectivement aux portées
maxima de 10, 20, 3o et 4o mètres. Chacun d'eux est formé
d'éléments qu'on assemble les uns au bout des autres pour
constituer le pont; ils peuvent d'ailleurs être disposés à

Fig. 316. — Élément de pont Marcille.

voie supérieure ou à voie inférieure, c'est-à-dire de manière


que le train circule au-dessus des poutres ou à l'intérieur.
La figure 316 donne l'idée suffisante d'un de ces éléments.
Pour le montage du pont, les éléments, amenés sur wa-
gons ou wagonnets spéciaux, sont déchargés à l'aide de
bigues (fig. 3ij), déposés sur des galets de roulement, et
assemblés entre eux. Le pont constitué, muni d'un avant-
bec et d'un contrepoids, est lancé (fig. 3i8), c'est-à-dire
amené par roulement au-dessus de la brèche à franchir et
CHEMINS DE FER 857
déposé sur des piles de décalage. Celles-ci sont formées de
pièces de bois parfaitement équarries reposant sur les sup-
ports définitifs préalablement arasés. On enlève de part et

Fig. 317. — Bigue de déchargement pour pont Marcille.

d'autre symétriquement les pièces de la pile de décalage


pour faire reposer la poutre suivies supports; des vérins
hydrauliques la soutiennent dans cette opération.

Fig. 318. — Lancement d'un pont Marcille..

Le pont Marcille a l'avantage d'une grande simplicité de


montage et de lancement, mais les éléments des types de
grande portée sont lourds (18 tonnes) et ne peuvent cir-
culer que sur les voies ferrées.
858 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
Les ponts Henry, également réglementaires en France,
sont destinés à répondre aux exigences qui seraient incom-
patibles avec les propriétés inhérentes au matériel Marcille.
Il sont, à cet effet, composés d'éléments relativement légers
(800 à 900 kilos au maximum) à l'aide desquels on consti-
tue des poutres métalliques en treillis. On peut ainsi franchir
des brèches allant jusqu'à 3o mètres avec des poutres sim-
ples de 3m 76 de hauteur, jusqu'à 45 mètres avec des
poutres dé hauteur double, composées des mêmes éléments
superposés. Ces ponts sont toujours à voie inférieure.

Fig. 3ig. — Pont Henry. Montage. Figure schématique.

Le transport des divers éléments des poutres peut à la


rigueur se faire sur route, ce qui permet théoriquement
d'entreprendre deux réparations à la fois sur une même
voie. Le montage des ponts Henry, dont la figure 3ig donne
une idée très sommaire, est peut-être plus compliqué et un
peu plus long que celui des ponts Marcille. Néanmoins,
les deux systèmes ont fait leurs preuves dans les diverses cir-
constances où ils ont été utilisés en temps de paix sur les
voies ferrées françaises, pour l'établissement de ponts tem-
poraires (1888, Artemare [Marcille]; 1889, pont sur le Var ;
1906, Douai [Henry]).
Les ponts démontables en treillis, formés d'éléments de
CHEMINS DE FER 85 g
petites dimensions, sont adoptés de préférence à l'étranger :
en Allemagne, système Lùbbecke; en Italie, système Eifel.

Service des chemins de fer aux armées. — Le


ministre fixe, au début de la guerre, les limites entre le ter-
ritoire placé sous les ordres du commandant en chef, ou
zone des armées, et celui restant sous son autorités, ou zone
de l'intérieur. Ces limites peuvent être modifiées au cours
des opérations.
Dans la zone de l'intérieur, les transports sont ordonnés
par le ministre et exécutés par les compagnies nationales
sous la direction de commissions de réseau et de commis-
sions subordonnées.
Dans la zone des armées, les transports sont ordonnés
par le commandant en chef des armées, réglés par le direc-
teur des chemins de fer aux armées, placé sous les ordres
du directeur de l'arrière, et exécutés :
i° Par l'intermédiaire des commissions de réseau, au
moyen du personel des compagnies nationales sur les lignes
qui peuvent leur être confiées. Ces lignes vont de la zone
de l'intérieur à des stations dites de transition;
20 Entre ces stations de transition et les stations termi-
nus dites gares de ravitaillement, par l'intermédiaire des
commissions de chemins de fer de campagne ('), au moyen
des troupes de chemins de fer.
Ces troupes comprennent les compagnies de sapeurs de
chemins de fer du 5e régiment du génie et les sections de
chemins de fer de campagne formées au moyen du personnel
militarisé des compagnies nationales. Chacune de ces sec-
tions a un effectif de près de i 3oo hommes et comprend
les représentants des trois grands services : voie, traction
et exploitation.

(>) Une commission de chemins de fer de campagne comprend : un officier


supérieur, président ; un ingénieur des chemins de fer ; un capitaine d'état-major,
plus un personnel subalterne.
86o 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
La mission essentielle des sapeurs de chemins de fer est
de rétablir les voies ferrées, exceptionnellement de les
exploiter en attendant l'arrivée du personnel des sections
de chemins de fer de campagne. A celles-ci incombe en
principe l'exploitation, avec l'entretien et l'amélioration des
voies réparées.
CHAPITRE LV1I

TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE

La télégraphie, auxiliaire à peu près indispensable du


service d'exploitation des voies ferrées, constitue aujour-
d'hui, pour les armées en campagne, un puissant agent de
communication. Grâce à elle, le commandant en chef peut à
tout instant transmettre ses ordres aux généraux qu'il dirige,
connaître leur position, se renseigner sur l'ennemi, et com-
biner les mouvements des diverses parties de l'armée, de
manière à les faire concourir au succès général. <
Il n'est donc pas inutile de connaître le principe des
appareils qu'on y emploie, tout officier pouvant être appelé
à utiliser un poste télégraphique ou à le détruire.
Dans la plupart, des systèmes de télégraphie, les lettres
constituant les mots sont remplacées par des signes particu-
liers empruntés à un alphabet imaginé par l'Américain
Morse. Les éléments de ces signes sont des traits et, des
points combinés ensemble, comme l'indique le tableau sui-
vant :
Alphabet Morse
:\, A, k, K, v, V,
h, B, _... 1, L,
.—..
__-.__
w,W,
d',
D,
Z m. M,
n,'N, x, X, _-. . - —
..
c pi P,'
é, É, ch, GH,
f, F, ri(all<l),
r.' R,
ii' H',
- s, S,
o idem,
ïi idem,
___
.._—
—.
i, I, t, T,
u, U,
_
862 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

Chiffres
i ______ 5
6
9 __.
o __________
4
'.. '.. _T

Ponctuation et signes particuliers


Point.
Point et virg. ._._._.
Trait d'union. . —
Commencern"' ...._
Virgule. de transmis-
. . .-—_. — .—
Deux points. —.___... sion ...
'
.__.__.__.__
Points d'inter-. Accusé de .ré-
rogation ou ception ou
demande de compris. ...«__.
répétition
Point d'excla-....
__ — . . Erreur .
. .
Fin de trans-
.
...........
mation . .__..__
Apostrophe .. . — —__.
mission.
Invitation . à. . — . —— . — .
Barre de frac-. transmettre .._ — .__.
Point alinéa. .._._..
Attendre . ..._-.-
La longueur du point doit, être le tiers de celle du trait;
entre les divers signes d'une lettre il doit y avoir un inter-
valle d'un point; entre les diverses lettres on met l'intervalle
d'un trait et entre les mots l'intervalle de deux traits.
Pour produire ces divers signaux, on peut employer
comme agents de transmission la lumière ou l'électricité. On
a ainsi les appareils de télégraphie optique et ceux de la
télégraphie électrique auxquels il convient de rattacher les
téléphones et la télégraphie sans fil.

Télégraphie optique

Les appareils de télégraphie optique se composent : i°


d'une source lumineuse; 2° de lentilles et miroirs destinés à
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 863
concentrer ses rayons en un faisceau cylindrique ; 3° d'un
obturateur mobile servant à produire, à volonté, les interrup-
tions de lumière ; 4° d'une lunette au moyen de laquelle on
peut percevoir les signaux envoyés par le correspondant.
Chaque appareil comporte d'ailleurs ces divers éléments
et les deux postes en communication sont organisés d'une
manière identique.
Pour le service de campagne, la concentration du faisceau-
lumineux est opérée à l'aide de lentilles d'une construction
spéciale, imaginées par le colonel du génie Mangin. Pour
les appareils de position dont la portée est plus grande, elle
est obtenue au moyen de miroirs argentés.

L'appareil de campagne à lentilles, du calibre de i o cen-


timètres, se compose essentiellement d'une lampe à pétrole
A (fig. 320), placée au foyer principal d'un groupe de
deux lentilles L et L', qui transforme les rayons émanant
de la lampe en un faisceau cylindrique dont la portée est
nécessairement plus grande. Un dispositifrécemment adopté
permet d'utiliser l'acétylène dans le même appareil. Der-
rière la lampe se trouve un miroir concave M, dont le centre
de "figure correspond au foyer des deux lentilles Z, et L'et au
centre de la source lumineuse. Ce miroir utilise les rayons
dirigés vers l'arrière de l'appareil, qui seraient perdus sans
sa présence ; il a donc pour effet d'augmenter l'intensité de
la source lumineuse.
Un diaphragme D, placé devant la lampe, ferme une
ouverture pratiquée dans la cloison B du compartiment des
lentilles. Ce diaphragme peut être déplacé facilement, en
agissante l'extérieur sur un levier P. Il permet d'obtenir
des éclats lumineux séparés par des occultations d'une
durée plus ou moins longue, suivant les conventions de l'al-
phabet Morse.
Pour recevoir les signaux du poste opposé, une lunette
G F est placée
sur le côté de la boîte ; elle est maintenue
à l'une de
ses extrémités par un collier muni de trois vis
864 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
calantes K, If, K", qui permettent de déplacer légèrement
son axe par rapport à celui de l'appareil d'émission.

Les deux postes à mettre en communication sont l'un et


l'autre munis d'un appareil de cette espèce. Lorsque l'on veut
établir la correspondance, il faut i° les régler, c'est-à-dire
rendre parallèles, dans chacun d'eux, les axes de la lunette
et du faisceau lumineux; 2° les diriger l'un sur l'autre.
Pour effectuer le réglage, on ouvre le diaphragme D ; on
enlève le miroir M et on introduit dans le tube R, placé der-
rière la lampe, une douille contenant un disque de verre
dépoli et deux petites lentilles qui forment avec les grandes
lentilles L et L' une véritable lunette. On se sert de cette
lunette pour viser un point assez éloigné et bien distinct, tel
qu'une étoile, un clocher ou un arbre et on amène -l'image
de cet objet, qui se projette sur le verre dépoli, au centre
de ce disque. Cela fait et l'appareil restant immobile, on
agit sur les vis calantes K et K' de la lunette de réception,
jusqu'à ce que l'objel précédemment visé apparaisse au mi-
lieu du champ de cette lunette. On cale alors celle-ci dans
sa position et l'appareil est réglé.
Pour le diriger, il suffit de le déplacer de telle sorte qu'en
regardant par la lunette F G, on aperçoive la station oppo-
sée. La communication est alors établie. La nuit, on faci-
lite la recherche de la station opposée au moyen de signaux
lumineux (pistolets signalcurs et flambeaux Lamarre).

Dans la manipulation de cet appareil, on doit espacer les


signaux assez largement pour éviter que la persistance des
impressions lumineuses sur la rétine ne produise de la con-
fusion. Aussi la correspondance est-elle assez longue.
La lampe à pétrole donne de bons résultats la nuit, mais,
le jour et par un soleil éclatant, elle est moins avantageuse.
On la remplace par la lumière solaire. Pour cela, on enlève
la lampe A et le miroir M, puis on place sur le dessus de la
boîte un héliostat qui, par un système particulier de miroirs,
Coupe par l'axe

Élévation postérieure

Fig. 3ao. — Appareil de campagne à lentille.

MANUEL 1)K l-'ORTIFICA'rlOK 55


866 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
concentre les rayons lumineux et les dirige sur l'axe de
l'appareil. La portée est ainsi augmentée-dans une forte pro-
portion.
La portée varie beaucoup avec les conditions atmosphé-
riques. Le jour, par temps couvert, la lampe ne permet pas
de dépasser 7 à 8 kilomètres avec l'appareil de 10. Le soleil
permet d'atteindre i5 kilomètres et même plus si l'atmo-
sphère est très pure.
La nuit, avec la lampe à pétrole, la portée moyenne est
de 10 kilomètres.

Dans les placesfortes, pour établir la correspondance des


divers ouvrages entre eux et avec les parties de terrain non
occupées par l'ennemi, on fait usage d'appareils analogues
mais de plus gros calibre. Les uns, de i4, de 24 et de 3o cen-
timètres, sont portatifs; ce sont des appareils qu'on a sup-
primés du matériel de campagne en raison de leur poids.
Les autres, de 4o, de 5o et de 60 centimètres, sont établis à
poste fixe. Ces appareils utilisent tous le pétrole; ceux de 60
sont parfois éclairés à l'acétylène ou même à l'électricité.
On admet que la portée moyenne, de nuit, est, en kilo-
mètres, d'une fois et demie le calibre. Pour un appareil de
24, elle est d'environ 36 kilomètres.
Le jour, à la lampe, elle est réduite à la moitié ou au tiers ;
par contre, le jour avec le soleil, et la nuit avec l'électricité,
on atteint des portées beaucoup plus considérables.
Il existe un appareil de 120 qui assure la communication
régulière entre la France et la Corse (220 kilomètres).
Gomme on le voit, la télégraphie optique est d'un emploi
très simple et n'exige aucun lien entre deux postes qu'il s'a-
git de faire communiquer ; mais elle a l'inconvénient d'exiger
une atmosphère bien claire et des situations particulières
pour les postes.
Ceci ressortira mieux, d'ailleurs, de la comparaison entre
les divers systèmes de télégraphie, qui termine le présent
chapitre.
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 867

Télégraphie électrique
Toute communication de télégraphie ordinaire comprend:
i° une source d'électricité; 2° un fil conducteur.réunissant
les deux stations ; 3° à chacun des deux postes des appareils
capables de former et de recevoir des signaux.
Les divers systèmes ne diffèrent entre eux que par la
constitution de ces derniers appareils. Tous ont pour base
le principe suivant : l'expéditeur envoie dans la ligne des
courants électriques d'une durée plus ou moins longue ; ces
courants sont reçus à l'autre extrémité sur un électro-
aimant, dans lequel ils produisent des aimantations d'une
durée plus ou moins grande, que l'on utilise pour produire
certains mouvements capables de faire reconnaître les si-
gnaux envoyés.
Le système qui réalise cette combinaison de la manière la
plus simple est le système Morse ; c'est d'ailleurs le premier
en date et celui dont l'usage est le plus répandu ; c'est éga-
lement le seul employé dans la télégraphie militaire, aussi
ne sera-l-il parlé que de celui-là dans ce qui va suivre.
Sources d'électricité. — La pile est, de toutes les sour-
ces d'électricité, celle qui fournit les meilleurs résultats au
point de vue de la régularité des courants et de la commo-
dité de l'emploi en télégraphie.
Les divers systèmes de piles ne conviennent pas égale-
ment à cet usage. Il faut, en effet, pour la télégraphie, un
appareil aussi économique et aussi facile à entretenir que
possible, mais fournissant cependant d'une façon très régu-
lière de l'électricité à faible tension.
La pile Daniel! et la pile Marié-Davy sont en usage dans
la télégraphie civile.
Dans la première, le pôle négatif est formé par une lame
de zinc amalgamé plongeant dans de l'acide sulfurique très
étendu d'eau, et le pôle positif, par une tige de cuivre placée
868 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

au milieu d'une dissolution de sulfate de cuivre, contenue


dans un vase poreux baignant lui-même dans l'eau acidulée.
Dans la seconde, la tige et le sulfate de cuivre sont rem-
placés par un morceau de charbon de cornue et une disso-
lution très concentrée de sulfate d'oxydule de mercure.

Ces piles à deux liquides se prêteraient mal aux exigences


de la télégraphie militaire, qui leur préfère en conséquence
le dispositif connu sous le nom de pile Leclanché.

Fig. 321. — Pile Leclanché.

La pile Leclanché, type de forteresse (fig- 32i), est for-


mée d'un vase extérieur en gutta-percha, contenantjune dis-
solution très concentrée de sel ammoniac, dans laquelle
plonge un barreau de zinc formant le pôle négatif de la
pile. A l'intérieur de ce premier vase s'en trouve un second
en terre poreuse, renfermant un mélange de charbon et, de
bioxyde de manganèse finement pulvérisés, dans lequel
plonge une tige de charbon de cornue formant le pôle posi-
tif. Les deux vases sont fermés par un couvercle muni d'un
orifice par lequel on peut verser l'eau sur le sel ammoniac.
Un certain nombre de ces éléments sont réunis dans une
boîte et assemblés en tension : c'est-à-dire que le pôle posi-
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 86 g
tif de chacun d'eux est relié au pôle négatif de l'élément
voisin et ainsi de suite.
LA pile de campagne présente avec la précédente les diffé-
rences suivantes :
Le vase extérieur est en ébonite; la dissolution de sel
ammoniac est rendue gélatineuse par de la gélosine, en sorte
qu'il n'y a plus de liquide ; le crayon de zinc est remplacé
par une plaque; le vase poreux est supprimé et le mélange
qu'il contenait remplacé par des agglomérés de même ma-
tière. Le tout est recouvert d'une couche de paraffine.

Conducteurs de l'électricité. —Pour réunir les deux


stations, il semble a priori qu'un double fil soit nécessaire,
afin de former un circuit complet aboutissant aux deux pôles
de la pile. L'expérience a montré qu'il n'en était rien et
qu'un seul fil était suffisant, à condition de mettre en com-
munication avec la terre : au premier poste, celui des deux
pôles auquel n'aboutit pas le fil de ligne ; au second poste,
l'extrémité libre du fil enroulé sur la bobine de l'électro-
aimant. La terre agit comme fil de retour, suivant l'expres-
sion consacrée.

Le fil conducteur peut être : i° suspendu en l'air : la


ligne est alors appelée aérienne ; 2° appuyé sur le sol même ;
c'est le cas des lignes dites terrestres; 3° enfoncé en terre
ou sous l'eau : la ligne prend alors le nom de souterraine
ou sous-marine.
Les lignes aériennes permanentes sont formées d'un fil de
fer galvanisé de 4 millimètres de diamètre (*), qui présente
les conditions voulues de conductibilité et de résistance à la
traction et. à l'usure. Afin d'éviter les déperditions d'électri-
cité par les supports, on.le fait reposer sur des isolateurs,

(') Sur les lignes très courtes, on peut, à la rigueur, remplacer le fil de fer
de 4 millimètres par celui de 2 millimètres de diamètre que l'on rencontre pres-
que partout.
87O 4" PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
godets en porcelaine (fig. 322), fixés par des armatures en
fer aux arbres, aux maisons ou, le plus souvent, à de grands
poteaux établis de distance en distance.
Le service télégraphique de première ligne n'emploie le
fil nu que pour la réparation des réseaux existants. Il utilise
alors un fil métallique de 1 millimètre de diamètre, à âme
d'acier recouverte de cuivre, beaucoup plus léger que celui
de 4 millimètres existant en petite quantité dans les appro-
visionnements.
Les isolateurs employés sont en ébonile (gutta-percha

Fig. 322. — Isolateurs.

vulcanisée), matière aussi isolante et beaucoup moins fragile


que la porcelaine.
Les lignes terrestres exigent l'emploi d'un conducteur
muni d'une enveloppe isolante et présentant une résistance
suffisante pour avoir peu à craindre du passage des voitu-
res. Elles ne sont d'ailleurs nécessaires qu'en campagne.
Le conducteur normalement employé par le service de
première ligne pour ses constructions de lignes est le câble
de campagne. Il se compose d'une âme conductrice for-
mée de dix-neuf fils de omm 3 de diamètre tordus ensemble
(douze en cuivre étante, sept en acier étamé), d'une enve-
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 87 I
loppe isolante formée de deux tubes de caoutchouc et d'une
enveloppe protectrice constituée par une tresse en filin.
Ce câble a un diamètre total de 4 millimètres, une résis-
tance à la traction de 120 kilos, un poids de 28 kilos au
kilomètre. Il est transporté en bobines de 1 kilomètre.
Il existe aussi dans les approvisionnements, mais en petite
quantité, du câble léger. Il a un diamètre de 3 millimètres,
une résistance à la traction de 4o kilos seulement et un poids
de 12 kilos au kilomètre.
Ces câbles peuvent reposer sur le sol; encore faut-il pren-
dre la précaution de ne jamais faire reposer le câble sur la

Fig. 323. — Câble télégraphique souterrain.

surface des routes empierrées, et de l'enfouir à une faible


profondeur quand on doit en traverser une.
Les lignes souterraines ou sous-marines exigent égale-
ment des câbles isolés, mais doués en plus d'une résistance
extrêmement grande, pour n'avoir rien à craindre de l'effet
destructeur de l'humidité. Elles sont fort en usage aujour-
d'hui, et présentent sur les lignes aériennes le grand
avantage d'être à l'abri des tempêtes magnétiques de l'at-
mosphère, qui interrompent souvent les communications
télégraphiques.
Il existe dans les principaux pays d'Europe un réseau
souterrain reliant la capitale aux principales villes et desser-
vant en particulier les places fortes. Le câble allemand, dont
872 Ztc PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
la figure 323 montre la disposition, est formé de sept conduc-
teurs, composés chacun de sept fils de cuivre, de omm7 de
diamètre, entourés de gutta-percha. L'ensemble de ces
conducteurs est noyé dans une enveloppe en chanvre gou-
dronné, garantie par une armature formée de dix-huit fils
de fer galvanisés de 3mm8 de diamètre. Le diamètre total
est de 3i millimètres. Ce câble est placé à 1 mètre de pro-
fondeur en terre.
L'inconvénient des lignes souterraines est de présenter
d'assez grandes difficultés de réparation quand on en a
opéré la destruction en plusieurs endroits à la fois.

Appareils de transmission et de réception. — Le


système Morse comprend deux appareils distincts : « un
manipulateur, ou appareil de transmission, et un récepteur.
Manipulateur. — Le manipulateur Morse (fig. 324) se
compose d'un levier métallique AB, oscillant autour d'une

Fig. 32^. — Manipulateur Morse.

charnière métallique O, et pouvant buter contre deux bor-


nes de métal C et D fixées, comme la charnière O, sur une
planchette de bois. Au repos, un ressort r maintient le levier
appuyé sur l'une des bornes C. Un bouton B, en bois ou en
ivoire, placé à l'extrémité du levier, permet de le mettre en
contact avec l'autre borne D.
Le milieu O du levier est mis en communication avec la
ligne ; la borne de repos C, avec le récepteur de la station
expéditrice ; et la borne D, avec la pile de cette même sta-
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 873
tion. Le second pôle de cette pile est en communication avec
la terre, comme il a été dit ci-dessus.
Le fonctionnement est facile à comprendre. A l'état de
repos, le manipulateur fait partie du circuit qui amène les
dépêches de la station opposée ; mais, si on appuie sur le
bouton B, on rompt la communication avec la borne C, on
l'établit au contraire avec la borne D, et on envoie par la
ligne, à la station opposée, des courants d'une durée plus ou
moins longue suivant que le contact dure plus ou moins
longtemps.
Pour produire un trait de l'alphabet Morse, on appuie
trois fois plus longtemps que pour produire un point, et on
laisse entre deux émissions consécutives des temps plus ou
moins longs, suivant l'intervalle qui doit séparer les signes.

Récepteur. — L'appareil de réception (fig. 325) est


formé, d'une part, d'un électro-aimant D, mis en commu-

Fig. 325. — Récepteur Morse.

nication avec la ligne par l'intermédiaire du manipulateur


de la station même, ainsi que cela vient d'être expliqué;
l'autre extrémité du fil de la bobine est réunie à la terre.
D'autre part, une tige métallique horizontale AB est sou-
874 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

tenue, en un point O, par un support, et peut osciller autour


de ce point. Elle porte à l'extrémité B une petite masse de
fer doux, placée Aris-à-vis de l'électro-aimant et capable
d'être attirée par lui ; à l'état de repos, cette petite masse B
en est maintenue écartée par un ressort à boudin C.
Sous la partie A de la tige AB, est fixée une lame re-
courbée A N, dont l'extrémité N se trouve presque en con-
tact avec une bande de papier EF, que deux rouleaux H
et À', mus par un mouvement d'horlogerie, entraînent d'une
manière uniforme. Lorsque cette extrémité N se soulève,
elle vient appuyer la feuille de papier contre une petite
roue R, enduite d'encre grasse ('), qui imprime sur cette
fouille des traits plus ou moins longs, suivant que le contact
a duré plus ou moins longtemps.
On conçoit dès lors le fonctionnement de cet appareil :
lorsque le courant passe, l'électro-aimant attire la masse B ;
la lame N se soulève, appuie le ruban de papier contre la
roue R et produit ainsi un trait continu. Dès que le courant
est interrompu, la bande de papier, tout en continuant
d'avancer régulièrement, s'écarte de la roue R et le trait,
cesse. Ainsi, les émissions de courant longues ou brèves de
l'appareil de transmission produisent, sur le papier du ré-
cepteur, des traits ou des points qui correspondent aux
signaux habituels de l'alphabet Morse.
Lorsque aucune dépêche n'est attendue, on arrête le
mouvement du ruban de papier à l'aide d'un levier M agis-
sant sur un appareil de déclenchement.
Pour régler le récepteur, il faut, agir sur le ressort C cl,
sur le barreau de fer doux G de la bobine, de façon que
l'action du premier soit suffisante pour ramener le levier AB

(') On obtient aujourd'hui des signes semblables sans avoir recours à l'encre
grasse, en employant, pour la confection des rubans EF, du papier imprégné
d'un cyanure dont le courant, électrique suffît pour produire la décomposition.
Chaque contact, de la lige AN avec ce papier produit alors, à la surface de
celui-ci, une tache bleue qui a l'apparence d'un Irait ou d'un point suivant la
durée do l'appui.
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 875
dans sa position d'équilibre dès que le courant cesse de
passer, sans toutefois empêcher l'attraction lorsque le cou-
rant passe.

Appareils accessoires. — Les éléments qu'on vient,


d'étudier sont suffisants, à la rigueur, pour établir une
communication, mais il est presque indispensable, pour
obtenir un bon fonctionnement des appareils, de leur
adjoindre un certain nombre d'accessoires qui. vont être-
successivement passés en revue.

Sonnerie. — Pour éviter aux stationnaires des postes


d'avoir constamment l'oeil fixé sur leurs appareils, et pour
les avertir au moment de l'expédition des dépêches à leur
destination, on place dans le circuit des sonneries électri-
ques. Ces appareils sont essentiellement composés d'un
timbre sur lequel est appuyée au repos la panne d'un petit
marteau qu'un électro-aimant soulève, lorsque le courant
passe dans sa bobine, et qu'il laisse retomber lorsque ce
courant est interrompu.
.

Galvanomètre. — II est nécessaire, d'autre part, que l'ex-


péditeur d'une dépêche soit assuré que le courant néces-
saire à la transmission passe réellement dans son appareil.
Pour cela, on intercale dans le circuit un galvanomètre,
c'est-à-dire une aiguille aimantée, placée au centre d'une
bobine à laquelle on donne généralement la forme d'un
cadran vertical placé devant les yeux de l'expéditeur. Dès
que le courant traverse la bobine, l'aiguille aimantée, oscil-
lant sous l'influence de l'électricité, en accuse l'existence.

Commutateur. — On a vu, d'après ce qui précède, que


dans un poste au repos, on plaçait une sonnerie dans le cir-
cuit pour être averti de l'arrivée des dépêches. Afin de pou-
voir changer aisément le trajet du courant et envoyer celui-
ci tantôt dans la sonnerie, tantôt dans le récepteur, on fait
876 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

usage de commutateurs. Leurs dispositions sont très variées.


Le plus simple et le plus employé est le commutateur bava-
rois que représente la figure 326. Des blocs métalliques
isolés peuvent être mis en communication au moyen de

Fig. 326. — Commutateur.

fiches métalliques qui prennent place dans des échancrures


ménagées entre eux à cet effet.

Paratonnerres. — Lorsque l'atmosphère est fortement,


chargée d'électricité, les fils de ligne sont influencés et
prennent une tension électrique qui peut devenir dange-
reuse pour les appareils et même pour les opérateurs. Il est

Fig. 327. — Paratonnerre à pointes.

donc indispensable d'ajouter, aux dispositifs déjà décrits,


des paratonnerres capables de faire circuler dans le sol le
trop-plein de l'électricité, au risque d'interrompre les com-
munications.
Le paratonnerre à pointes (fig- 327), qui est le plus gêné-
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 877
ralement usité, est formé de deux plaques parallèles, A et
B, munies de pointes ; l'une d'elles A est placée dans le
circuit, l'autre B communique avec la terre. Quand la pre-
mière est traversée par des courants de trop forte tension,-
la seconde s'électrise par influence, et, grâce au pouvoir
des pointes, l'électricité de la première s'écoule dans le sol.
Il existe encore une autre espèce de paratonnerre, qui
permet de préserver les fils fixes des récepteurs, ce que ne
peuvent faire complètement les appareils précédents : c'est
le paratonnerre à fil préservateur, dont la construction est
un peu plus compliquée et que l'on se contentera de citer,
pour mémoire.
On remarquera d'ailleurs que, dans les cas d'orages, les
communications devenant impossibles, il est plus simple de
placer complètement les appareils en dehors du circuit, ce
qui évite tout danger.

Montage d'un poste. — Il reste à étudier l'agencement


qu'il convient de donner à ces différents organes pour cons-
tituer un poste télégraphique capable de fonctionner. On se
bornera au cas le plus simple, celui d'un poste communi-
quant avec un seul autre poste (Voir la fig. 328).
Les divers appareils sont placés sur une table et occupent
dans le courant l'ordre suivant : le paratonnerre à pointes
P, en dehors de la pièce ; le paratonnerre à fil préserva-
teur F, lorsqu'il en existe un ; le galvanomètre G et le com-
mutateur C. De ce dernier partent deux fils ; l'un aboutit à
la sonnerie S, l'autre au milieu de la barre du manipula-
teur et de là au récepteur R. La pile locale L communique,
d'un côté, avec la seconde borne du manipulateur, et, de
l'autre, avec la terre. A ce même fil de terre viennent abou-
tir les fils des paratonnerres et les seconds, fils de la sonne-
rie et du récepteur.
Dans les postes.de campagne, les trois appareils : para-
tonnerre, commutateur, sonnerie sont groupés dans la
botte-sonnerie, et les trois derniers : galvanomètre, manipu-
878 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
lateur, récepteur sont groupés dans l'appareil Morse de
campagne.
Lorsqu'un poste est intermédiaire, il peut arriver qu'il
serve simplement à transmettre les dépêches circulant dans
toule la ligne; on y dispose alors fréquemment un relais,

Fig. 828. — Disposition d'un poste simple.

c'est-à-dire une pile locale et un appareil spécial, destinés


à renforcer le courant de la ligne.
Le<poste simple à une direction doit être le type normal
de campagne, parce que le poste multiple, dans lequel le
même manipulateur et le même récepteur desservent plu-
sieurs lignes, ne permet avec les diverses lignes que des
communications successives et non simultanées. L'inconvé-
nient pourrait être sérieux dans le service de première
ligne.
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 879
Toutefois, on peut être amené à constituer des postes
multiples, qui réalisent une simplification du service,- avec
une économie de matériel et de personnel. Les boites de
forteresse sont, d'habitude, organisées pour deux direc-
tions.
Les postes multiples desservant plus de deux directions
sont généralement munis d'un tableau annonciateur.

Règles de manipulation. — Pour manipuler com-


modément, on recommande de saisir le bouton du manipu-
lateur entre les deux premiers doigts placés en dessous, le
pouce appuyé sur le dessus, l'avant-bras reposant sur la
table. On peut ainsi imprimer aisément les divers mouve-
ments à l'appareil. On a soin de laisser entre chaque signe
d'une même lettre un intervalle égal à un point, entre deux
lettres l'intervalle d'un trait, entre deux mots l'intervalle de
deux traits.
En commençant, il est bon d'aller lentement et d'espacer
beaucoup les caractères.

Matériel des lignes militaires. — L'établissement,


en arrière de leur zone d'opérations proprement dite, de
communications télégraphiques à l'usage des armées en
campagne, ne nécessite, à proprement parler, aucune dis-
position spéciale puisque rien n'empêche de se conformer
dans ces régions aux règles ordinaires du temps de paix.
Pour les travaux à exécuter en première ligne, au con-
traire, il a fallu créer un matériel particulier, facile à trans-
porter, peu encombrant et capable, en un mot, de se plier
aux exigences du service.
Ce matériel est porté sur des voitures de plusieurs sortes :
La voilure-poste constitue un véritable bureau télégra-
phique et porte i kilomètre de câble léger. Elle est fermée.
Pour simplifier le service, elle est organisée en poste mul-
tiple à quatre directions; elle possède un tableau annoncia-
teur et deux appareils Morse munis de cordons souples avec
88o 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE
fiches permettant de desservir à la fois deux des quatre
lignes. Les deux autres directions peuvent être mises en
communication directe; enfin, un parleur (Voir page 882)
permet, de donner le signal « Attente » aux lignes qui appel-
lent lorsque les deux'Morse sont occupés.
Le chariot de travail est l'organe essentiel de la cons-
truction des lignes. Il transporte le matériel et l'outillage
nécessaires, et peut recevoir à l'arrière un axe de déroule-
ment pour une bobine de câble.
La voilure légère, construite en forme de break pour
transporter huit hommes, peut à l'occasionremplir le même
office que le chariot de travail.
La voiture dérouleuse porte aussi à l'arrière les ferrures
•pour axe de déroulement. Elle est la voiture de transport
de câble de la section de compagnie télégraphique.
La source d'électricité est la pile Leclanché (Voirpage
868), sans liquide, dont les substances solides peuvent durer
fort longtemps.
La partie la plus encombrante dans les transports est le
conducteur. On l'emploie sous deux formes : le câble isolé
(de campagne ou léger), pour les lignes terrestres ou pour
les lignes aériennes qu'on n'a pas le temps de placer sur
des isolateurs ; et le fil nu, bimétallique, de 1 millimètre,
pour les ligues ordinaires. Le câble de campagne constitue
à lui seul la presque totalité de l'approvisionnement.
Le câble ou le fil est enroulé autour de bobines métalli-
ques, que l'on monte sur un axe, à l'arrière des voitures,
ou sur des brouettes spéciales, pour le dérouler.; les bobi-
nes, de plusieurs modèles, contiennent 1 kilomètre de câble
de campagne, 5oo mètres de câble léger ou 1 5oo mètres de
fil bimétallique.
Les isolateurs sont en ébonife (gutta-percha vulcanisée) ;
le fond de la cloche porte un trou taraudé qui permet de
fixer l'isolateur soit sur une tige coudée qu'on enfonce
dans les supports existants (arbres, murs, etc.), soit,
lorsque les supports naturels font défaut, à l'extrémité d'une,
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 881
tige en bambou, de 4 mètres de hauteur, dont la partie
inférieure, munie d'une pointe en fer, est enfoncée dans
le sol.
Dans les lignes temporaires en câble, on n'emploie pas
d'isolateurs. La ligne repose sur des crampons, mais pour
éviter le frottement du câble sur les arêtes de fer, la tige du
crampon est entourée d'un tube de caoutchouc.
Enfin, pour la pose de la voie, on fait usage de perches
munies de crochets, d'échelles, etc., et autres engins que
les chariots télégraphiques transportent avec eux.

Pose des lignes militaires. — Grâce à cette heureuse


disposition du matériel, l'établissement d'une ligne militaire
ordinaire se fait habituellement sans grande difficulté.
L'atelier qui en est chargé se dispose de la manière sui-
vante: en avant, marche d'abord le chef d'atelier, qui in-
dique les points sur lesquels la ligne doit passer. Il est
suivi d'un marqueur, qui trace sur les arbres, maisons, etc.,
des signes conventionnels destinés à transmettre aux ou-
vriers en arrière, les indications du chef d'atelier.
Vient ensuite le chariot portant le fil conducteur : un
distributeur placé sur cette voiture donne aux aides qui
marchent à côté, les crochets, supports, échelles, etc., néces-
saires à la pose des supports. Un dérouleur suivant le cha-
riot assure, d'autre part, le dévidement du câble; il est
secondé par deux aides qui disposent au fur et à mesure ce
conducteur d'électricité sur l'un des côtés de la route suivie
par le chariot.
Derrière ces ouvriers, marchent enfin les monteurs, qui
attachent le câble aux supports. Us fonctionnent en deux-
équipes se dépassant alternativement. Dans chacune d'elles
le monteur dispose d'une échelle et l'aide, d'une lance à
fourche.
Lorsqu'on emploie le câble léger, la pose se fait au moyen
d'un appareil de déroulement porté à dos d'homme.
Quand une bobine est épuisée, c'est-à-dire lorsque l'ate-
MANUEL DE MORTIFICATION 56
882 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
lier a posé i kilomètre de câble, le sous-chef de l'atelier
vérifie la ligne au moyen d'un parleur.
Cet appareil, représenté par la figure 329, peut affecter
la forme n° 1 ; il est alors formé d'un électro-aimant A
qu'on place dans le circuit, et d'une masse C, en fer doux,
attirée par l'électro-aimant. Les chocs de cette masse
contre le support, dont la partie inférieure B est creuse,
pour former résonnateur, produisent des sons grâce aux-
quels une oreille exercée peut discerner les divers signaux
Morse.
On lui donne quelquefois aussi la forme 11e 2, imaginée

Fig. 32g. — Parleurs.

par M. Trouvé ; ses dimensions sont alors réduites à celles


d'une grosse montre. A l'inférieur est placé le récepteur,
dont A est l'électro-aimant, et Cla masse de fer doux, et à
l'extérieur le manipulateur M, établi sur le côté de la boîte.
Trois anneaux, fixés sur le pourtour, sont mis en communi-
cation respectivement avec la terre, la ligne et une petite
pile locale. L'appareil ainsi complété forme donc un véri-
table poste portatif complet.
L'expérience montre qu'un atelier, organisé comme on
vient de l'indiquer, emploie environ vingt-cinq minutes
pour poser 1 kilomètre de ligne : mais on peut diminuer le
temps nécessaire à cette construction, lorsque la ligne est
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 883
un peu longue et que l'on dispose de deux ateliers. On fait
alors travailler ceux-ci à une certaine distance l'un de
l'autre, 8. kilomètres par exemple : dans ces conditions,
l'atelier qui travaille en tête se met en marche au moment
où le second commence la pose de la ligne; il parcourt
aisément i kilomètre en dix minutes et peut alors commen-
cer à travailler dès qu'il a franchi les 8 kilomètres, de sorte
que le temps nécessaire à la construction de 2 kilomètres,
pour deux ateliers, est de 25 plus 10, soit 35 minutes, ce
qui revient à dire qu'on exécute 1 kilomètre en dix-huit mi-
nutes.

Destruction et réparation des lignes télégraphiques


Il est très facile de mettre une ligne télégraphique mo-
mentanément hors de service ; il suffit pour cela de couper
le fil de ligne ou d'enlever dans un poste une pièce quel-
conque des appareils de transmission; mais pour qu'une
destruction de ligne soit réellement efficace, c'est-à-dire
pour qu'elle produise une interruption de service de quel-
que durée, il faut que les coupures du fil soient fréquem-
ment répétées et bien dissimulées de manière que leur
recherche soit longue à opérer.
A cet effet, après avoir coupé un fil aux environs d'un
support, on en réunira les deux extrémités à l'aide d'une
corde ou par tout autre procédé dissimulant la coupure,
sans rétablir la communication électrique. On pourra encore
créer des dérangements le long des poteaux, en mêlant les
(ils ou en produisant des dérivations dans le sol. Le temps
nécessaire à la recherche et à la réparation des dérange-
ments de cette nature adroitement exécutés est presque
toujours plus long que celui qu'il faudrait employer pour la
construction d'une nouvelle ligne.
On peut encore rompre les poteaux de support avec la
mélinite; une charge latérale de deux pétards ou une charge
884 4C PARTIE •
ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
de un pétard placées dans un trou pratiqué dans le poteau
suffisent à le briser. Si la chose est possible, les poteaux
brisés sont brûlés ou coupés en plusieurs morceaux afin de
les mettre hors d'usage.
Pour détruire une ligne souterraine, on doit en connaître
approximativement l'emplacement. On fait alors un forage
à la profondeur voulue, avec une barre à mine Binet, et
on y place une cartouche de mélinite, pour produire une
chambre dans laquelle on Arerse de la poudre. L'explosion
de cette charge de poudre donne un entonnoir dans lequel
on recherche le câble. Celui-ci trouvé, on le coupe à la
hache ou on le rompt en faisant détoner deux pétards de
mélinite placés au contact du câble, entre ce câble et les
terres, si la chose est possible.

Fig. 33o. — Commutateur de ligne.

Dans un poste que l'on veut mettre hors de service, on


brise les appareils, les piles, et on disperse les morceaux.
Si l'on n'a pas le temps de faire une destruction complète,
on peut se contenter d'enlever les électro-aimants des ré-
cepteurs, ce qui les met entièrement hors de service.
Il est, toujours plus habile, lorsqu'on s'empare d'une ligne
de l'ennemi et qu'on dispose d'un peu de temps, de sur-
prendre les dépêches qu'il envoie, et même, si on le peut,
de lui en envoyer de fausses, capables de l'induire en erreur.
A cet effet, on emploie un commutateur de ligne (fig. 33o),
formé d'une barre A B de matière isolante (ébonite ou
autre), portant à ses deux extrémités des mâchoires métal-
liques M et M'. On saisit le fil de la ligne à l'aide de cha-
cune de ces mâchoires, et on le coupe entre les deux, comme
l'indique la figure 33o. Le courant arrivant du côté M, par
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 885
exemple, passe alors dans le fil C mis en communication
avec la mâchoire M par la. poupée métallique P, et revient,
par l'autre extrémité D du circuit dérivé CD, dans la pou-
pée P', puis dans la mâchoire M, et finalement dans le fil
de la ligne. En installant un parleur dans le circuit G D, on
peut donc recevoir les dépêches de l'ennemi et au besoin lui
en envoyer de fausses.
On peut aussi surprendre les dépêches de l'ennemi en
montant un poste en dérivation sur la ligne qu'il utilise. Il
suffit de brancher un fil sur la ligne sans l'interrompre et
d'amener ce fil à la charnière du manipulateur d'un poste.
Un commutateur de ligne, nouveau modèle, permet de
monter à volonté sur une ligne un poste embroché ou un
poste en dérivation. Il diffère de celui qu'on vient de décrire
par une lame de cuivre mobile qui permet de relier les deux
mâchoires métalliques.
Pour placer l'appareil en embrochage, on opère comme
il a été dit ci-dessus. Pour le mettre en dérrvation, on relie
lés deux mâchoires par la lame et on monte l'appareil sur
un fil fixé à l'une quelconque des bornes P ou P'.
Ces deux dispositions, augmentent la résistance de la
ligné, par- suite diminuent l'intensité du courant, ce qui
pourra donner l'éveil aux télégraphistes ennemis, s'ils sur-
Areillent leur ligne. C'est une des raisons pour lesquelles on
a doté récemment la télégraphie de campagne d'appareils
de mesure qui permettent de surveiller constamment l'in-
tensité du courant et, par suite, de découvrir les pertes à la
terre et les tentatives de l'ennemi pour monter sur la ligne
un poste embroché on un poste en dérivation.
La réparation d'une ligne est toujours assez longue si les
dérangements sont nombreux, aussi le plus souvent vaut-il
mieux en établir une nouvelle en utilisant les parties intactes
de l'ancienne. Les arbres des routes sont, en pareil cas, par-
faitement suffisants comme supports et l'on n'éprouve géné-
ralement de difficultés que pour trouver des isolateurs. On
en formera de très satisfaisants, lorsque la chose sera pos-
886 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
sible, avec des verres à pied remplis de résine et convena-
blement fixés sur les supports.

Téléphonie

L'invention du téléphone ne remonte qu'à l'année 1876,


et déjà cet appareil est entré complètement dans les habi-
tudes de la vie ordinaire. Dès son apparition, on a recherché
de quelles applications il était susceptible aux armées ; les
différents essais entrepris, tant en France qu'à l'étranger,
ont paru démontrer que son emploi devait être restreint au
service des petites unités.
Bien que d'une très grande simplicité et d'un maniement
assez commode pour que chacun puisse s'en servir presque
sans apprentissage, le téléphone ordinaire a en effet le dou-
ble inconvénient de ne pas laisser de traces écrites des
dépêches et d'exiger de chaque correspondant une perpé-
tuelle attention, puisqu'il ne possède que des moyens très
imparfaits d'avertissement.

Téléphones. — Le téléphone se compose essentielle-


ment d'un aimant prolongé par un noyau de fer doux autour
duquel est enroulée une bobine de fil très fin, dont les extré-
mités s'attachent aux deux fils de la ligne. Devant, l'extré-
mité de la bobine est placée une mince plaque métallique
capable de vibrer sous l'influence des ondulations sonores.
Deux appareils identiques sont placés aux extrémités
d'une ligne double. Si l'on parle devant la plaque de l'un
des téléphones, celle-ci est animée de mouvements vibra-
toires qui modifient le champ magnétique de l'aimant et
déterminent des courants induits dans le fil de la bobine.
Ces courants, arrivant par la ligne dans la bobine de l'autre
téléphone, modifient identiquement lé champ magnétique
de l'aimant de cet, appareil, en sorte que la plaque vibre
synchroniquement avec la première et reproduit la parole.
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 887
L'un des correspondants place le pavillon de son télé-
phone devant sa bouche et parle à voix ordinaire, mais en
articulant bien les syllabes ; l'autre place le sien à son
oreille et entend distinctement les sons produits, avec une
altération assez sensible dans l'intensité et dans le timbre.
Pour appeler l'attention de son collègue, celui des deux
opérateurs qui veut entamer la conversation souffle, devant
son téléphone, dans un sifflet à anche rendant un son rau-
que; l'autre appareil produit alors un bourdonnement assez

Fig. 331. — Téléphone Aubry.

léger perceptible à quelques mètres de dislance, dans un


endroit clos et au milieu du silence.
Ce moyen d'avertissement, assez imparfait, a l'inconvé-
nient d'exiger de chaque correspondant une perpétuelle
attention.
Le service de la télégraphie militaire emploie dans les
postes de campagne un téléphone genre Aubry que repré-
sente la figure 331. L'aimant plat, de forme circulaire, porte
deux noyaux de fer doux entourés de deux bobines enrou-
lées en tension. L'aimant et la membrane vibrante sont
contenus dans une boîte cylindrique en cuivre qui est, fer-
mée, sur la face correspondante à la membrane, par un
888 4° PARTIE •
ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
couvercle en ébonite percé en son centre d'un trou. L'ai-
mant n'est pas fixé au fond de la boîte, mais sur une mem-
brane en maillechorl qui participe au mouvementvibratoire
et en augmente l'amplitude. Les fils des bobines sont reliés
à deux conducteurs souples qui sortent de la boîte.

Microphones.-—Les courants induits développés dans


les téléphones sont peu intenses et ne permettent pas de
transmettre la parole au delà de quelques kilomètres. Pour
les distances plus grandes, on remplace, pour la transmis-
sion, le téléphone par le microphone dont le principe est le
suivant: Dans un circuit, parcouru par le courant d'une
pile, sont intercalés des corps conducteurs ayant entre eux
une faible surface de contact, par exemple un cylindre re-
posant par ses extrémités sur deux prismes. Une plaque
élastique étant mise au contact de ce cylindre, si l'on parle
devant elle, les vibrations sont transmises au cylindre et
font varier l'étendue et l'intimité de son contact avec le cir-
cuit, ce qui entraîne des variations dans l'intensité du cou-
rant. Si, d'autre part, on a placé sur ce circuit un téléphone,
la plaque de celui-ci est actionnée par les variations du
courant et reproduit la parole.
Le microphone sert donc de transmetteur et le téléphone
de récepteur. Un pareil poste est dit microléléphonique.
La portée des appareils peut être encore augmentée par
l'utilisation d'une bobine d'induction. Dans le dispositif pré-
cédent, le téléphone récepteur est actionné par les variations
d'intensité du courant, lesquelles résultent des modifica-
tions que le microphone apporte à la résistance totale de la
ligne. Ces dernières variations deviendront relativement
faibles si la ligne, étant longue, offre une grande résistance
et le téléphone sera faiblement actionné.
Pour éviter cet inconvénient, on monte le microphone et
le téléphone sur deux circuits,distincts. Le premier com-r
prend le microphone, la pile et le gros fil d'une bobine
d'induction; la résistance de ce "circuit étant faible, le mi-
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE- 889
erophone y détermine de grandes variations dans l'intensité
du courant. Le deuxième circuit comprend le téléphone et
le fil fin de la bobine d'induction; les variations d'intensité
du premier circuit déterminent dans le second des courants
induits très énergiques qui actionnent le téléphone.

On voit donc que, tandis qu'en télégraphie on utilise un
courant constant qu'on se borne à lancer et à rompre, en
téléphonie, on utilise les courants d'induction dont l'inten-
sité, variant à chaque vibration de la voix, permet. d'en
rendre toutes les nuances.
On a reconnu que l'existence du fil de retour favorise
beaucoup le fonctionnement du téléphone. On l'utilise tou-
jours dans les lignes permanentes. En téléphonie militaire,
ce second fil serait une sujétion gênante, aussi y a-t-on
renoncé, malgré les avantages qu'il présente.
L'armée emploie le microphone Ader. L'appareil utilisé
dans les installations fixes (postes de forteresse) a la forme
d'un pupitre dont le couvercle en sapin constitue la plaque
vibrante. Ce couvercle porte sur sa face inférieure trois
prismes de charbons parallèles percés d'alvéoles dans les-
quelles reposent des cylindres de charbon ; prismes et cylin-
dres sont placés dans le circuit.
L'appareil de campagne est d'un modèle réduit ; il a la
forme d'une boîte cylindrique dont le couvercle sert de plan-
chette vibrante.
L'installation des postes microtéléphoniques nécessite un
certain nombre d'accessoires : tableaux annonciateurs, com-
mutateurs, avertisseurs ou appels. Comme appel, on peut
employer la sonnerie trembleuse, comme en télégraphie.
On l'actionne en lançant dans la ligne le courant d'une pile
spéciale, ou celui d'une petite machine magnéto-électrique.
L'appel est dit, dans le premier cas, électrique et, dans le
second cas, magnétique. On emploie aussi les appels pho-
niques dans lesquels c'est le téléphone récepteur lui-même
qui émet un son assez fort pour être entendu. Le sifflet à
anche dont on a déjà parlé ne donne qu'un bruit peu in-r
89O 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

tense. On obtient un son plus puissant au moyen de l'appel


Sieur ou appel-chien. Il consiste en un aimant en fer à che-
val portant deux bobines entre lesquelles tourne une roue
en laiton portant sur son pourtour de petites masses de fer
doux. La rotation rapide de la roue détermine la formation
de courants induits qui font rendre un son au téléphone
récepteur.

Montage des postes. — Le poste le plus simple con-


siste en un téléphone Aubry servant à la fois de transmet-
teur et de récepteur ; une corne d'appel sert d'avertisseur.
•Sa portée ne dépasse pas 6 kilomètres. C'est un appareil de
secours plutôt qu'un poste proprement dit.
Le poste téléphonique de campagne se compose de trois
téléphones système Aubry, un de grand modèle pour la
transmission, deux de petit modèle pour la réception ; il est
complété par un appel Sieur. Son poids est de 2 kilos, sa
portée moyenne de 12 kilomètres. (L'équipage de pont pos-
sède sept postes de ce modèle.)
On tend à abandonner ces postes magnétiques. Le véri-
table poste de campagne est le poste microtéléphoniqne
modèle i8yg. Il est monté avec bobine d'induction et pos-
sède un appel vibré qui produit un son suffisant.
Tous les appareils peuvent être contenus dans une saco-
che en cuir ; la boîte à pile est fixée sur un côté de la saco-
che. Le poids est de 4 kilos et la portée, en bonne ligne,
dépasse 5o kilomètres.
Par analogie avec le parleur télégraphique, il existe un
parleur téléphonique.
Il ne permet pas de transmettre la parole, mais seulement
des signaux Morse. Le transmetteur est un manipulateur
Morse, le récepteur un téléphone. Le mouvement du mani-
pulateur ferme un circuit inducteur, lequel agit sur le circuit
induit du téléphone et détermine la production d'un son aussi
longtemps qu'on appuie sur la manette du manipulateur;
on perçoit ainsi les signaux Morse faits sur ce dernier.
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 89I
Le parleur téléphonique, qui émet des courants d'induc-
tion beaucoup plus intenses que les autres appareils, per-
met d'utiliser les lignes de très grande résistance ou mal
isolées, dont on ne pourrait tirer parti autrement.

Construction des lignes. — On peut utiliser les


conducteurs indiqués pour la télégraphie. Mais le fil nor-
malement employé est le fil bimétallique de omm 6 de dia-
mètre à âme d'acier recouverte de cuivre. La bobine de
i kilomètre ne pèse que 3ks 200.
On emploie aussi un câble extra-léger.
La pose se fait sans voiture, le dérouleur portant la
bobine au moyen d'un plastron. Le fil uu est simplement
posé sur les supports naturels ; il peut même reposer à terre
si le sol est sec. On voit que la pose est facile et, rapide.
C'est là un sérieux avantage du téléphone..

Télégraphie sans fil


Ce nouveau mode de correspondance qui a rendu déjà de
si importants services, notamment au cours de la campagne
du Maroc, a pour point de départ la découverte récente
d'une propriété des ondes hertziennes d'être perceptibles
après avoir franchi de très grandes distances.
Les ondes sont produites par un transmetteur (fig- 332),
condensateur puissant entre les bornes duquel jaillit, sous
forme d'étincelles, une décharge oscillante. Les armatures
du condensateur sont reliées l'une à la terre, l'autre à l'an-
tenne constituée par un fil ou une série de fils métalliques
isolés, dressés en l'air à peu près verticalement. Pour pro-
duire les décharges, on place les deux bornes aux extrémi-
tés du fil d'une bobine d'induction; celle-ci est actionnée
par un circuit primaire, fermé à volonté par un manipu-
lateur Morse, et dans lequel un accumulateur ou une autre
source puissante d'électricité fait passer des courants in ter-
8g2 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GENIE

rompus par un trembleur. L'appareil envoie donc des ondes


hertziennes pendant un temps correspondant à la durée de
chacun des signaux Morse.
La partie essentielle du récepteur est le détecteur d'ondes,
ou cohéreur, fondé sur le principe suivant : lorsque certains
conducteurs à contact imparfait, tels que la limaille de
métaux, sont placés dans le circuit d'une pile, ils laissent
passer le courant dès qu'ils sont soumis à l'action des ondes

Fig. 332. — Télégraphe sans fil. Transmetteur.

hertziennes. Le premier en date des cohéreurs, celui de


Branly, est un simple tube rempli de limaille de fer. Lorsqu'il
a été rendu conducteur, il reste tel, à moins qu'un léger choc
ne le ramène à son état primitif; ce résultat est obtenu par
un trembleur électrique, ou tapeur actionné par le courant
lui-même.
Le capitaine du génie Ferrie a imaginé un détecteur élec-
trolytique à la fois très sensible et aulodécohéreni (qui re-
devient automatiquement non conducteur après chaque
train d'ondes). Il se compose d'une ampoule contenant de
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 8g3
l'acide sulfurique dans lequel plonge, d'une part, un fil de
platine relativement, gros, d'autre part, un tube de verre que
traverse un fil très fin dont la pointe sort du tube d'une
faible quantité.
Le détecteur d'onde, quelle que soit sa nature, ferme
donc un circuit chaque fois qu'il est influencé par une onde
électrique. Au moyen du courant qui passe alors dans le

Fig. 333. •—
Télégraphe sans fil. Récepteur.

circuit, on actionne soit un récepleur Morse, soit, un télé-


phone.
Avec le cohéreur à limaille, on emploie le récepteur
Morse. Mais, comme le cohéreur ne peut fonctionner que
sur un courant très faible qui serait incapable d'actionner
le Morse, on ne demande à ce courant que d'agir sur un
relais très sensible qui ferme le circuit d'une pile plus puis-
sante sur lequel sont intercalés le Morse, le tapeur et une
sonnerie d'appel.
8g4 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
La figure 333 montre le schéma du poste récepteur. Le
cohéreur communiquant d'un côté avec l'antenne, de l'autre
avec la terre, est placé sur le circuit pointillé qui comprend
un élément de pile et un électro-aimant E peu résistant. A
l'arrivée d'une onde, le cohéreur laisse passer le courant,
l'électro-aimant, attirant la palette R du relais, ferme le cir-
cuit plein et le récepteur Morse enregistre, tandis que le
décohéreur ou tapeur entre en action.
Avec le détecteur électrolytique Ferrie, on emploie un
téléphone placé dans son circuit. Le téléphone émet un son
chaque fois qu'une onde frappe le détecteur. La lecture au
son est donc imposée et l'enregistrement par la bande se
trouve supprimé; Cette disposition qui semble, a priori, un
défaut grave, constitue, au contraire, une réelle supériorité.
En effet, la difficulté en télégraphie sans fil consiste à dis-
tinguer les signaux à recevoir des signaux parasites; leur
réunion donne souvent, sur la bande, un ensemble indéchif-
frable, tandis qu'au son une oreille exercée parvient à éta-
blir entre eux une différence.
Les résultats obtenus avec la radio-télégraphie sont re-
marquables. La tour Eiffel communique régulièrement avec
Casablanca (2 000 kilomètres). On a même pu échanger
quelques mots entre l'Europe et l'Amérique. Mais si pour
la marine la radio-télégraphie est un instrument précieux,
elle ne saurait dès à présent supplanter, sur terre, le télé-
graphe ordinaire et le téléphone, à cause de la complication
de ses «appareils.
Cet inconvénient, joint à l'impossibilité de réaliser pra-
tiquement la synIonisation des postes, forme le plus sé-
rieux obstacle aux applications militaires de la télégraphie
sans fil.
La plupart des récepteurs placés dans le rayon d'ac-
tion d'un transmetteur sont influencés par les ondes qu'il
émet, bien que la communication entre deux appareils soit
meilleure lorsque ceux-ci sont accordés pour une même
longueur d'onde, on n'a pas résolu encore le problème
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 8g5
d'établir des récepteurs qu'un seul transmetteur pourrait
actionner.
Il est permis de croire que l'avenir réserve à la radio-télé-
graphie de nouveaux progrès, et il est bien évident que si
on réalise un jour des appareils de campagne simples, por-
tatifs et syntonisés entre eux, ce mode.de communication
sera appelé à jouer un rôle important aux armées.
Dès à présent, on peut l'utiliser avec langage chiffré,
mais il faut s'attendre à voir l'ennemi gêner nos communi-
cations par les ondes qu'il enverra et nous tenir prêt à
troubler les siennes par le même procédé.

Comparaison entre les divers systèmes de télégraphie


Le télégraphe optique a le grand avantage de n'employer
aucun conducteur entre les stations, ce qui le met à l'abri
des entreprises de l'ennemi. Avec les gros appareils, il per-
met de communiquer à des distances considérables ; il se
prête donc à d'assez nombreuses applications.
Mais il exige que les stations soient placées de manière à
s'apercevoir, ce qui est quelquefois fort difficile ; la mise en
communication de deux appareils, dont la position n'est pas
exactement connue a priori, est souvent très longue ; il ne
peut être employé par les temps de brouillard ou de pluie,
assez fréquents dans les régions élevées qui conviennent le
mieux à l'installation de ses postes ; enfin, il ne laisse pas
de traces écrites des dépêches.
En campagne, son usage sera donc assez limité, sauf
dans certains pays, comme l'Algérie, où l'emploi d'un fil
conducteur difficile à protéger est la plupart du temps inad-
missible, et où l'atmosphère, presque toujours limpide,
facilite la correspondance optique à de très grandes dis-
tances.
Dans les places assiégées il est d'un secours précieux
pour communiquer avec l'intérieur du pays et avec les
896 4° PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
places voisines, lorsque les circonstances extérieures per-
mettent son fonctionnement.

Le télégraphe électrique est évidemment plus maniable,


puisqu'il n'exige pas des correspondants une position par-
ticulière. Son établissement est relativement rapide. Les
appareils laissent des traces écrites des dépêches, ce qui est
une garantie sérieuse pour l'expéditeur et le destinataire.
Enfin, la communication une foisétablie, les postes peuvent,
correspondre par tous les temps, sauf en cas d'orage magné-
tique, et c'est là un avantage précieux à la guerre.
Aussi, bien que les fils en puissent être coupés et les
dépêches interceptées par l'ennemi,- ce qui peut entraîner
les plus graves conséquences, le télégraphe électrique est-
il encore aujourd'hui le meilleur instrument de communi-
cation rapide des armées en campagne.
Le téléphone est d'un emploi simple et commode, mais il
n'enregistre pas automatiquement, comme le télégraphe,
les communications échangées. L'inconvénient est d'autant
plus grave, qu'il s'agit d'unités d'ordre plus élevé, parce
que une erreur découverte tardivement peut avoir des
conséquences irréparables. Par contre, les lignes télépho-
niques peuvent être construites sans précautions, simple-
ment, rapidement, avec un matériel léger. L'usage du
téléphone est familier à tous. C'est pourquoi son emploi
s'impose pour les petites unités et la cavalerie, tandis que
le télégraphe doit rester l'instrument du service d'armée,
dans lequel le téléphone ne tient que la place d'un appareil
de secours ou complémentaire.

Le télégraphe sans fil peut dès à présent servira relier


les places fortes entre elles et avec le reste du pays, il a fait
en outre ses preuves comme moyen de communication à
très grande distance ; son domaine doit s'étendre encore et
il serait, prématuré d'essayer dès maintenant d'en fixer les
limites.
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 897

Organisation du service de la télégraphie militaire

Le service de la télégraphie militaire, autrefois assuré


exclusivement par les agents militarisés de l'administration
des postes et télégraphes, a été réorganisé par la loi du
24 juillet 1900, créant un bataillon de sapeurs-télégra-
phistes.
Ce service est, en France, organisé par armée.
Il comprend :
i° Un service de première ligne, dirigé par un officier su-
périeur du génie, sous l'autorité du chef d'état-major géné-
ral de l'armée et confié à des unités de sapeurs-télégraphistes
(Voir chapitre Ll).
Le réseau établi par le service de première ligne relie
l'armée aux corps d'armée, aux centres de renseignements,,
à la direction des étapes et des services et au service télé-
graphique de deuxième ligne.
20 Un service de deuxième ligne, dirigé par un fonction-
naire supérieur militarisé de l'administration des postes et
télégraphes, sous l'autorité du directeur des étapes et des
services. Ce service est confié à des sections techniques
constituées par un personnel civil militarisé fourni par l'ad-
ministration des postes et télégraphes. Elles exploitent le
réseau civil dans la zone de l'arrière.
La jonction entre les services de première et de deuxième
ligne se fait en un poste de jonction fonctionnant comme
poste de transit.
La télégraphie est jusqu'à présent, en France, un service
d'armée ; on n'a pas prévu son affectation aux corps d'ar-
mée et moins encore aux unités d'ordre inférieur. Il n'en a
pas été de même chez les belligérants de la guerre de
Mandchourie, où la liaison télégraphique était établie jus-
qu'aux brigades. Tout en faisant la part des facilités que
donnait, sous ce rapport, la fixité relative des années éta-
MANUEL DE I-OnTIFICATIOX 57
898 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
blies pendant plusieurs journées sur des positions, il faut
reconnaître que le commandement a trouvé des avantages
très grands dans cette organisation. Peut-être sera-t-on
amené à s'en rapprocher dans les armées européennes et
l'Allemagne est entrée dans cette voie en 1907 en augmen-
tant le nombre de ses unités de télégraphistes.

Service dans l'armée. — Chez nous, la compagnie


télégraphique d'armée comprend six sections identiques et
un échelon de matériel.
La section est l'organe de travail, l'échelon est l'approvi-
sionnement de matériel.
Sommairement, chaque section comprend: 1 officier;
56 hommes de troupe ; 6 voitures (2 chariots de travail,
2 voitures légères, 1 voiture-poste, 1 dérouleuse); 19 che-
vaux ; 5 bicyclettes.
La section peut, pour un déplacement rapide, transporter
la totalité de son personnel en voiture ou à bicyclette. Ce
transport complet sera cependant exceptionnel. En tout cas,
les hommes seront allégés de leur sac, mais conserveront
leurs armes. Ces mesures sont indispensables pour que les
hommes puissent à la fois faire l'étape, travailler et souvent
même assurer de nuit l'exploitation du réseau.
La section transporte : 5 kilomètres de câble de cam-
pagne; 16 kilomètres de câble pour téléphone; 24 perches;
10 Morses; i5 piles; 8 postes microtéléphoniques ; 3 télé-
phones Aubry; 4 appareils optiques de 10 centimètres.
Pour les constructions de lignes, la section utilise le
matériel de l'échelon, dont un. ou plusieurs chariots sont
mis à sa disposition. La petite quantité de câble qu'elle
possède en propre sert à parer à l'imprévu.
Les bicyclistes portant du matériel léger peuvent faire
rapidement les réparations peu importantes.,
L'échelon comprend : 54 hommes; i3 voitures (10 cha-
riots de câble, 3 chariots de perches); 60 chevaux.
O transporté au total; 200 kilomètres de câble de cam-
TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE 8g9
pagne ; 80 kilomètres de câble pour téléphone ; 1 060 per-
ches, etc.
Au total, la compagnie possède : 60 appareils Morse ;
48 postes microtéléphoniques; 24 appareils optiques de
10 centimètres; 23o kilomètres de câble de campagne;
60 kilomètres de câble léger; 176 kilomètres de fil bimétal-
lique de omm6 pour téléphone.
Le parc du génie d'armée possède une réserve de maté-
riel télégraphique et un petit détachement de personnel ; il
ravitaille la compagnie télégraphique.
CHAPITRE LVIII

COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE

Dans les cas, encore assez nombreux en temps de guerre,


où les divers moyens de communication étudiés dans le
chapitre précédent viennent à faire complètement défaut,
on se trouve évidemment dans la nécessité d'avoir recours
à d'autres procédés.

Pigeons voyageurs
A défaut d'autres dispositifs, on emploiera, par exemple,
les pigeons voyageurs, qui dans le siège de Paris, en 1870,
.
ont rendu de si précieux services.
Ce mode de correspondance, dont l'usage remonte à la
plus haute antiquité, est fondé sur la faculté naturelle que
possèdent les pigeons de retrouver le chemin de leur colom-
bier habituel, lorsqu'on vient à les en séparer. Ces oiseaux
peuvent ainsi franchir des distances considérables (plus de
1 000
kilomètres) avec des vitesses énormes (1 5oo, 1 600 et
même 1 800 mètres à la minute).
Pour s'en servir, il faut donc organiser à l'intérieur des
places de guerre, et à l'extérieur dans des localités qui ser-
viront de stations postales pour les dépêches émanant des
villes assiégées, des colombiers, dans lesquels les pigeons
sont aduits, c'est-à-dire accoutumés à leur gîte, et entraînés
pour le service auquel on les destine.
Lorsque les pigeons sont nés au colombier, leur éducation
COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE 9OI
se fait tout naturellement. Ceux qui viennent d'un autre
colombier doivent arriver âgés : de trente jours au moins,
sans quoi ils seraient trop jeunes pour pouvoir se nourrir
eux-mêmesj et de trente-cinqjours au plus, car, passé cette
période, ils sont déjà aduits à leur ancienne demeure, cher-
chent à y retourner, et comme ils sont encore trop faibles,
se perdent en route. II faut environ dix à quinze jours pour
aduire les jeunes pigeons ; il est rare que l'opération réussisse
sur des pigeons âgés.
L'installation des colombiers est extrêmement simple; on
utilise les greniers d'un bâtiment, en les aménageant de
manière à créer plusieurs compartiments à claire-voie. Les
précautions essentielles à prendre sont d'éviter absolument
l'humidité et les rongeurs, d'entretenir le sol dans un état
suffisant de propreté et d'avoir une bonne ventilation, Le
long des murs, on place des nids pour chaque couple de
pigeons, dans des espèces de casiers de 3o à 5o centimètres,
fermés chacun par une porte à coulisse. Des mangeoires et
des abreuvoirs sont posés sur le sol, que l'on recouvre d'une
légère couche de gravier.
Lorsque les pigeons sont aduits, il . faut les entraîner.
Pour cela, on les emmène à des distances de plus en plus
grandes : 10, 20, 3o, 4°> 5o kilomètres, etc. On a soin de
les faire boire avant de les lâcher, et de séparer les exercices
successifs d'entraînement par des repos.
On n'entraîne point les pigeons militaires au delà de 600
à 700 kilomètres, et l'on ne fait même subir des épreuves
aussi considérables qu'aux sujets les plus vigoureux.
Le temps pendant lequel un pigeon peut être séparé du
colombier atteint aisément quatre et même cinq mois : on a
vu, pendant le siège de Paris, des pigeons exilés de leur
colombier depuis cinq mois, faire pour y revenir un trajet
de 3oo kilomètres (de Port-de-Piles, département de la
Vienne, à Pains), en un jour et demi, en plein hiver et dans
un pays couvert de neige.
En général, le lâcher des pigeons doit se faire de jour,
902 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

en ayant soin d'éviter les vents contraires, les fortes pluies
et surtout la neige et le brouillard.
Les dépêches que portent les pigeons sont insérées dans
des tubes de plumes d'oie, de 4 à 5 centimètres de long,
attachés aux plumes de la queue, aux rémiges ou couteaux,
selon l'expression des spécialistes. On choisit ordinairement
une des plumes du milieu ; on s'assure de sa solidité en
exerçant une légère traction, et on passe la tige de cette
plume dans le tuyau de la plume d'oie. La dépêche, inscrite
sur une petite feuille dé papier très mince, de 4 centimètres
de largeur au plus, est enroulée, de manière à former une
espèce de petite cigarette légèrement conique, puis intro-
duite dans le tube contre la plume de l'oiseau; on la main-
tient en place au moyen d'un bout d'allumette qui sert de
coin.
Ce procédé a été largement employé pendant le siège de
Paris, en 1870. Eu égard à l'énorme quantité de dépêches
que l'on demandait alors à faire passer de la sorte, on eut
recours à un procédé ingénieux pour réduire leurs dimen-
sions : toutes les dépêches étaient d'abord imprimées sur
une espèce de journal, dont on prenait une épreuve photo-
graphique sur un papier-pelure spécial, ayant 4 sur 3 cen-
timètres. Arrivées à Paris, ces épreuves, placées dans un
appareil de projection, étaient agrandies, lues et recopiées,
pour être remises aux intéressés. •

Le précieux parti que l'on a tiré des pigeons voyageurs


dans ces circonstances douloureuses, a conduit, tant en
France qu'à l'étranger, à faire de leur emploi une étude
sérieuse. Des colombiers militaires, contenant chacun plu-
sieurs centaines de pigeons, ont été installés dans les places
frontières françaises de l'Est. La Belgique et l'Allemagne
en ont de même établi dans leurs principales forteresses ; il
<en existe notamment dans la place de Strasbourg. Il faut
donc compter que dans les prochaines guerres de siège, ce
mode de correspondance sera très fréquemment usité.
COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE go3
Les troupes de cavalerie utilisent les pigeons voyageurs
pour faire parvenir les renseignements. Ces pigeons, qui
proviennent des colombiers situés sur le théâtre d'opéra-
tions, sont transportés, soit dans une voiture-colombier (di-
visions de cavalerie), soit dans des paniers portés à dos
d'homme (détachements).
La marine les utilise aussi pour permettre aux navires
chargés de la surveillance au large de transmettre les ren-
seignements.
On peut relier deux places, distantes au plus de 60 kilo-
mètres, au moyen de pigeons dressés à faire'le '.voyage'
aller et retour'. On y parvient en privant les pigeons dei

nourriture dans leur pigeonnier d'habitation et en les habi-


tuant à aller prendre leurs repas dans un autre pigeonnier
où on les retient momentanément prisonniers.

Aérostation
L'emploi des ballons aux armées suivit de près leur inven-
tion; il date des guerres de la Révolution. Une compagnie
d'aérostiers rendit notamment de grands services dans la
défense de Maubeuge et à la bataille de Fleurus (1794)-
La fabrication de l'hydrogène nécessaire au gonflement,
demandait alors la construction d'une véritable usine et né-
cessitait plusieurs jours. C'est cette lenteur, incompatible
avec la rapidité que prit la guerre pendant la période napo-
léonienne, qui explique le discrédit complet dans lequel
tombèrent les ballons. L'aérostation militaire disparut pour
près d'un siècle.
Les services précieux et inattendus que rendirent les bal-
lons pendant le siège de Paris en 1870 (") déterminèrent de

(') Du 23 septembre 1870 au 28 janvier 1871, soixante-quatre ballons ont


franchi les lignes prussiennes : cinq seulement-ont été pris; deux ont été per-
dus., Ils ont emporté 64 aéronaules,- 91 passagers, 363 pigeons voyageurs et
g 000 kilos de dépêches, représentant 3 millions de lettres. Les aéronautes
n'étaient le plus souvent que de braves marins exercés quelques jours d'avance
aux manoeuvres de l'aérostation. • -
9û4 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES. DU GÉNIE
nouvelles recherches qui aboutirent, en 1875, à la création
d'un matériel aérostatique militaire par les capitaines
Renard et Krebs (*). A quelques perfectionnements près,
c'est celui qui est actuellement réglementaire en France.
Le ballon sphérique est utilisé pour des ascensions cap-
tives et des ascensions libres : dans le premier cas, comme
observatoire ; dans le second, comme organe de correspon-
dance. Ce ballon est donc ou rivé au sol, ou esclave du
vent. Depuis longtemps, on a compris tous les avantages
que l'on pourrait tirer, au point de vue militaire, de ballons
dirigeables. Seuls, ils permettent une reconnaissance com-
plète de l'ennemi et assurent la liberté des communications
en tous sens entre les places fortes. En 1884, les capitaines
Renard et Krebs, avec leur ballon France, réussirent les
premiers à décrire un circuit fermé. Mais la vitesse obte-
nue, 6m 5o, était encore trop faible pour que le ballon pût,
dans la majorité des cas, lutter contre le vent. Grâce à des
progrès récents et décisifs, notre armée a été dotée, la pre-
mière, de ballons dirigeables susceptibles de rendre les plus
grands services.

Parc aérostatique de campagne. —- On a donné, au


chapitre LI, la composition d'une compagnie d'aérostiers
et de son parc; on ajoutera ici quelques renseignements sur
Le matériel.
Le ballon normal français est sphérique; il a 10 mètres
de diamètre, une capacité de 54o mètres cubes et peut en-
lever deux personnes (2). Son enveloppe est formée de deux
couches de caoutchouc minces alternant avec deux étoffes
de coton; elle se t ermine, à la partie inférieure, par la
manche d'appendice qui sert au gonflement et s'ouvre

(') Ces deux officiers ont été les fondateurs du service de l'aérostation mili-
taire ; le premier, décédé en igo/| après être parvenu au grade de colonel, a
laissé le souvenir d'un savant doublé d'un ingénieur aussi remarquable par la
fécondité de son esprit que par la limpidité de ses démonstrations.
(s) Il existe, cri outre, dans le parc aérostatique, un ballon, dit auxiliaire »
<e

de 2O0 mètres cubes, susceptible d'enlever un seul homme.


COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE 905
d'elle-même squs la pression du gaz quand celui-ci demande
à s'échapper. A la partie, supérieure se trouve la soupape
qui est manoeuvrée depuis la nacelle. Cette soupape, inventée
par le colonel Renard, est à double effet, elle permet:
i° Pour les manoeuvres momentanées, une ouverture mo-
dérée dont 1 aéronaute reste maître et
qui lui permet de laisser échapper une
quantité de gaz limitée ;
2° Pour l'atterrissage, une ouverture
rapide et complète mais définitive.
La nacelle est suspendue au ballon
par l'intermédiaire d'un filet et d'un sysr
tème de suspension remarquablement
organisé pour éviter les oscillations sous
l'action du vent. Le filet se termine en
tronc de cône par dix-huit suspentes S
qui aboutissent au cercle de suspension C
(fig. 334).
Pour une ascension libre, la nacelle
est suspendue directement au cercle de
suspension. Si on agissait de même
pour un ballon captif, en attachant le
câble à la nacelle, fout le système pren-
drait, sous l'action du vent, une position
inclinée. Le câble, par sa torsion, impri-
mant en outre à la nacelle un mouve-
Fig. 33/|. — Suspension
ment de rotation, rendrait très difficile Renard.
la situation des aéronautes. C'est pouiv
quoi le colonel Renard a imaginé la suspension que repré-
sente la figure 334- Les éléments en sont : le conoïde Co,
la barette b, les pinceaux PP et le trapèze T. La grande
base de ce dernier, à laquelle est suspendue la nacelle, reste
constamment horizontale et le mouvement de torsion se
trouve évité.
Le câble est métallique et formé de fils d'acier enroulés au-
tour d'un fil téléphonique. Sa longueur est de i ooo mètres,
906 4C PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
mais, par suite de son inclinaison sous le vent et de sa
flexion, le ballon n'atteint jamais cette hauteur.
La mise en station d'un ballon captif est obtenue en dé-
roulant un câble porté sur une voiture-treuil; chez nous, ce
treuil est mû par une machine à vapeur ; en Allemagne et
dans d'autres pays il l'est à bras. Le treuil à vapeur permet
des ascensions et des descentes plus rapides, mais il est
plus lourd que l'autre, aussi les parcs aérostatiques qui sont
munis du premier sont-ils moins mobiles que ceux dotés du
second.
Le ballon peut être transporté gonflé. Ce mode de trans-
port est normal dans le voisinage de l'ennemi, afin d'éviter
des regonflements fréquents, qui prennent, du temps et con-
soihirient rapidement la provision d'hydrogène. Tout obs-
tacle à franchir, pont ou ligne télégraphique,nécessite alors
une manoeuvre qui ralentit la marche, mais les sapeurs aéros-
tiers l'exécutent aisément.
Une des principales difficultés à vaincre pour rendre pra-
tique l'emploi des ballons à la guerre a été la production du
gaz destiné au gonflement. La France a tout d'abord résolu
la question, grâce aux études du colonel Renard. L'appareil
français, fondé sur le principe de l'action de l'acide sulfu-
rique dilué sur le zinc et le fer, comporte un réservoir à cir-
culation et l'emploi d'une machine à vapeur; le mélange
d'acide sulfurique et d'eau passe dans un récipient conte-
nant du zinc ou de la tournure de fer, et l'hydrogène s'en
dégage. Le procédé allemand est à voie sèche, et le gaz est
produit dans des cornues chauffées au rouge où l'on intro-
duit des cartouches contenant un mélange de chaux et de
zinc pulvérisés.
Le procédé français est plus rapide, mais nécessite l'em-
ploi de voitures très lourdes, il exige qu'on dispose d'eau
sur le lieu de fabrication ; le procédé allemand, moins ra-
pide, comporte des voitures plus légères, et le transport des
cartouches est plus aisé que celui des produits chimiques
du procédé français ; il est applicable en tout lieu. L'une et
COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE 9O7
l'autre méthode exigent environ trois heures pour-la pro-
duction du gaz nécessaire à un gonflement, ce qui les rend
peu pratiques dans la guerre de campagne et réduit leur
emploi à celle de siège.
Un progrès considérable a été réalisé depuis 1890 et a été
inspiré par les Anglais qui, dans leurs campagnes du Sou-
dan, ont employé des réservoirs d'acier contenant le gaz
hydrogène comprimé. On s'est mis, en France et en Alle-
magne, à étudier la question, et elle a été résolue également
des deux côtés ; on est arrivé à produire les réservoirs
d'acier, qui ont dès lors pris place dans les parcs aérosta-
tiques. Ceux-ci, délivrés du poids considérable des voitures
de production d'hydrogène, sont ainsi deArenus plus mo-
biles. En outre, la durée du gonflement s'est trouvée réduite
dé trois heures à quelques minutes, et la possibilité d'em-
ployer les ballons à la guerre a été considérablement aug-
mentée. '

Les voitures-tubes portent six tubes d'acier. contenant de


l'hydrogène comprimé à i33 atmosphères; chacun de ces
réservoirs pèse 25o kilos et a 4 mètres de longueur. La
voiture pèse au total environ 3 000 kilos. Quatre voitures
sont nécessaires pour un gonflement.
Le ballon captif n'est pas utilisable lorsque la vitesse du
vent dépasse certaines limites ; il s'élève d'autant moins
haut que le vent est plus violent. En outre, l'action du vent
est beaucoup augmentée si le ballon est incomplètement
plein de gaz, car il se produit alors des poches qui offrent à
l'air une grande résistance. Pour une vitesse de vent de
10 mètres, les ascensions avec le ballon normal deviennent
pénibles et les observations difficiles. Elles ne seraient par
suite possibles qu'un jour sur deux en moyenne.
On aurait intérêt à ce point de vue à augmenter les di-
mensions du ballon, parce que la force ascensionnelle croît
comme le cube du diamètre, tandis que la résistance offerte'
au vent n'est que proportionnelle au carré de cette dimen-
sion. On l'a fait pour le ballon de place qui peut, en raison
908 4C PARTIE
, ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
de la fixité de son installation, être plus lourd que le ballon
de campagne. Le ballon de place cube 760 mètres. Sa sta-
bilité est encore augmentée par sa rigidité, obtenue grâce à
l'adjonction d'un ballonnet à air à l'intérieur du ballon. L'air
s'engouffre de lui-même par des fenêtres dans le ballonnet et
le remplit d'autant plus que le ballon a perdu plus de gaz.
Le ballon de place peut, ainsi, faire des ascensions captives
par des vents de 12 mètres.
Les Allemands ont adopté un ballon captif, différent du
nôtre, qui participe des propriétés du cerf-volant ; ils le

F.ig. 335. — Drachen-Ballon.

nomment Drachen-Ballon (Jl-g. 335). Il a la forme d'un


cylindre terminé par deux hémisphères ; sa longueur est de
14 mètres, son diamètre de 6 mètres, il cube 600 mètres.
Par suite de la suspension de la nacelle Arers l'arrière et du
câble vers l'avant, il se tient dans une position inclinée
comme le cerf-volant et l'action de l'air, tendant à l'élever,
augmente sa stabilité. Il possède un ballonnet à air qui
assure sa rigidité et un gouvernail, rempli d'air, qui amortit
ses déplacements.
Le Drachen-Ballon est plus avantageux que le ballon
sphérique, pour les vents supérieurs à 10 mètres; il con-
serve à peu près la même altitude (45o à 5oo mètres), par
tous les vents.
Par temps calme, le Drachen-Ballon, à cause de son
COMMUNICATIONS PAR VOIE AERIENNE 909
poids plus considérable et de la complication de son équi-
pement, est inférieur au ballon français, il s'élève moins
haut. De plus, en cas de rupture du câble, le Drachen-
Ballon ne présente pas les mêmes garanties que le ballon
sphérique pour l'ascension libre.
Les ballons captifs sont employés comme observatoires.
Le service de reconnaissance exige en général le concours
de deux officiers : un officier du génie, aérostter et com-
mandant du ballon, chargé de la manoeuvre de l'aérostat,
et un deuxième officier, observateur, choisi d'après la nature
des observations à faire: dans l'état-major s'il s'agit des dis-
positions générales de l'ennemi, dans l'artillerie pour le tir
des batteries, le génie enfin pour les travaux de défense de
l'ennemi, etc. Les aéronautes coinmuniqiient avec la terre
au moyen du téléphone noyé dans le câble.
Le ballon est devenu indispensable, à l'artillerie dans la
guerre de siège. Le tir indirect, dont l'emploi se généralise
de plus en plus dans l'attaque et dans la défense des places,
ne donne de résultats sérieux que si l'on peut en observer
convenablement les points de chute. Dans ce but, on utilise
les clochers, les arbres, des échafaudages mobiles, mais
aucun de ces observatoires improvisés ne vaut le ballon
captif. Dès que l'aéronauteatteint une altitude de 3oo à4oo
mètres, il aperçoit sous lui une étendue de terrain considé-
rable, où aucun détail ne lui échappe.
Toutefois, l'observation d'une position ennemie ne pou-
vant être bien faite que si on n'en est pas trop éloigné, l'aéro-
naute court d'assez sérieux dangers; il résulte en effet
d'expériences de tir entreprises dans divers pays, qu'à
2 000 mètres de distance un ballon captif, élevé à 4oo ou
5oo mètres d'altitude, est assez rapidement atteint par des
éclats de shrapnels et, par suite, mis hors de service. Cette
circonstance, qui enlève un peu de sa valeur au ballon,
n'est évidemment pas de nature à en interdire l'emploi, les
aéronautes devant être exposés au danger à l'égal de tous
les autres belligérants.
giO 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
D'ailleurs à 5 000 mètres des pièces de campagne et à
6 ooo mètres des pièces de siège, les ballons peuvent être
considérés comme hors d'atteinte et il est possible, à ces
distances, en donnant au câble qui retient le ballon son dé-
veloppement maximum, d'obtenir des observations très
suffisantes dans la plupart des cas.

Ballons dirigeables. — A la suite des recherches qui


durent.depuis l'origine des ballons, la solution pratique du
problème de leur direction est enfin trompée. On y est par-
venu :
i° En réduisant la résistance de l'air par des dispositions
convenables du ballon et de son grément;
2° En utilisant les moteurs très légers que l'industrie n'a
produits que tout récemment;
3° En réalisant la stabilité du ballon malgré sa grande
vitesse.
Déjà le ballonLa France, de 1884, possédait une partie de
ces qualités essentielles au dirigeable; ceux que M. Julliot
a établis(Lebaudy, Patrie, Bépubliqué)]ieaveni être consi-
dérés comme les réalisant entièrement.
La diminution de résistance de l'air est obtenue: par la
forme allongée (cigare ou poisson) adoptée depuis long-
temps pour les projectiles ; par la suppression du filet; par
l'invariabilité de la forme. Cette dernière peut être réalisée,
comme dans les ballons captifs, par un ballonnet à air, à
cette différence près qu'on y insuffle de l'air au moyen d'un
ventilateur; c'est la solution imaginée il y a plus de cent
ans par le général Meusnier, dont les travaux ont servi de
point de départ aux études modernes, c'est celle que le
colonel Renard et M, Julliot ont adoptée. En Allemagne, le
comte Zeppelin obtient l'invariabilité de forme par une en-
veloppe extérieure métallique.
La stabilité du ballon du type Patrie, le plus parfait de
ceux créés jusqu'alors, résulte d'abord de l'invariabilité de
la forme, elle est complétée par une plate-forme rigide sur
COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE 9i I
laquelle est fixé le ballon, et par des plans stabilisateurs;
ceux-ci, constitués au moyen de cadres métalliques sur les-
quels une étoffe est tendue, font participer le ballon aux
propriétés de l'aéroplane. Enfin, par le cloisonnement du
ballonnet, on évite des déplacements d'air qui, produits ini-
tialement par le tangage, accentuent ce dernier mouvement
et le rendent dangereux.
Le ballon Patrie (') avait 61 mètres de long, iomgode
diamètre au maître-couple, une capacité de 3 65o mètres
cubes. Sa plate-forme, de 22 mètres de long sur 6 mètres de
large, portait les gouvernails, horizontal et vertical, ainsi
que la nacelle contenant un moteur de 70 chevaux action-
nant deux hélices latérales. Le ballon possédait, à droite
et à gauche du maître-couple, deux ailerons. Ces organes,
qu'on pouvait incliner dans un sens ou dans l'autre, per-
mettaient de parer aux ruptures d'équilibre accidentelles
sans dépense de lest ni de gaz. Le Patrie transportait une
provision d'essence de 3oo litres permettant une marche de
dix heures au moins. II pouvait recevoir cinq personnes.
En un an, le Patrie a fait quarante-trois ascensions, décrit
un circuit fermé de i4o kilomètres et fait le voyage de Paris
à Verdun (240 kilomètres) en 6h45. Le ballon s'est toujours
comporté comme un bloc rigide, sans roulis ni tangage, évo-
luant avec facilité et précision à la volonté de son équipage.
On peut résumer comme suit les résultats obtenus :
« i° La vitesse propre, bien que n'ayant pas été mesurée
très exactement, peut être évaluée à 4o kilomètres à l'heure;
« 20 Dans une ascension en boucle fermée effectuée par un
vent de 6 à 7 mètres par seconde, on peut compter sur une
vitesse de 3o kilomètres à l'heure, permettant un parcours
de 3oo kilomètres en dix heures;
« 3° Comme, d'autre part, le ballon porte un approvision-
nement d'essence pour au moins dix heures., il peut évoluer
dans un rayon de i5o kilomètres autour du point d'attache;

(') Revue du Génie, février 1908 : « Le ballon dirigeable Patrie ».


gi2 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

« 4° La quantité de lest qu'il porte et la capacité de son


ballonnet lui permettent de naviguer en toute sécurité jus-
qu'à l'altitude de i 5oo mètres avec quatre aéronautes dans
la nacelle Q). »
Le ballon Patrie a été détruit par un coup de. vent au
cours d'un stationnement en rase campagne, mais les résul-
tats qu'il avait permis d'obtenir confirmaient l'avance consi-
dérable que nos officiers et ingénieurs possédaient alors sur
tous les autres dans le domaine de l'aéronautique.
Depuis cette époque, l'Allemagne, qui jusque-là gardait
une attitude expectante eh présence des expériences fran-
çaises, a paru prendre un vif intérêt à la question. Le dépar-
tement de la guerre a chargé le major Gross, des aérostiers,
de créer un ballon militaire dirigeable, tandis que les pou-
voirs publics encourageaient et soutenaient les entreprises
privées du comte Zeppelin et du major Parseval.
La Revue militaire des armées étrangères (décembre 1908-
janvier 1909) contient à ce sujet d'intéressants renseigne-
ments, desquels 011 a extrait ce qui suit :

Ballons dirigeables allemands. — Les dirigeables


allemands sont construits d'après trois types :
r° Le type non rigide, où le ballon est formé d'une simple
enveloppe à laquelle est suspendue la nacelle sans interpo-
.
sition d'aucun bâti rigide. C'est le système Parseval ;
20 Le type demi-rigide ; il diffère du précédent en ce que
l'enveloppe du ballon est fixée à une plate-l'orme métallique
à laquelle est suspendue la nacelle. C'est le système du
major Gross, imité du Lebaudg;
3° Le type rigide, du comte Zeppelin, dans lequel le
ballon est constitué par une carcasse métallique recouverte
d'une étoffe résistante contenant à l'intérieur plusieurs
ballons qui assurent à l'ensemble sa force ascensionnelle.
Chacun de ces systèmes a ses propriétés spéciales, ses

(l) Reuu.edu Génie, février 1908 : « Le ballon dirigeable Patrie ».


COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE gi3
avantages, ses inconvénients; c'est pourquoi l'autorité mili-
taire n'en a exclu aucun et possède, à l'heure actuelle, des
ballons de ces trois types.
Le non-rigide a contre lui que sa constance de forme,
indispensable à la stabilités repose uniquement sur le jeu
de ses ballonnets et de ses ventilateurs et que, par suite, sa
sécurité est à la merci d'une avarie de ces organes. Mais,
son poids mort étant réduit au minimum, sa force ascen- '
sionnelle est maxima pour un cube déterminé. L'absence
de bâti rigide rend le transport facile dans un petit nombre de
voitures, propriété qui fait de ce ballon un engin particu-
lièrement propre à la guerre de campagne.
Le système rigide, dont la constance de forme est assurée
en tout temps, a contre lui son poids. A volume égal, les
ballons de ce type ont une force ascensionnelle plus faible,
emportent moins d'aéronautes et une moindre provision
d'essence. Il faut en conséquence donner à ces engins des
dimensions considérables. En raison de ces grandes dimen-
sions et de la constance de forme, qui subsiste même après
dégonflement, le transport de ces ballons par les riioyens
ordinaires est impossible, l'atterrissage sur la terre ferme
de cette carcasse énorme et fragile est très dangereux et on
ne peut maintenir le ballon à terre par un vent violent.
Le système demi-rigide jouit d'une stabilité plus certaine
que le non-rigide. Moins transporlable que ce dernier, il l'est
cependant parce que sa plate-forme rigide est démontable.
Il peut atterrir partout et être dégonflé en cas de danger; il
évite donc les inconvénients très graves du système rigide.
Voici les résultats obtenus avec les ballons des divers
types :

Système non rigide. — Le Parseval n° 2, commandé


par l'État à une compagnie privée, a été définitivement
acquis après ses essais.
Il a comme caractéristiques : longueur, 58 mètres; dia-
mètre, gm6o ; cube, 3 800 mètres cubes.
MANUEL DE FORTIFICATION 58
gi4 4e PARTIE ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
Il possède un moteur de 100 chevaux actionnant une
seule hélice.
A l'intérieur du ballon, deux ballonnets, l'un à l'avant,
l'autre à l'arrière, ont pour but, à la fois, de conserver au
ballon sa rigidité et, en réglant convenablement la quantité
d'air insufflée par le ventilateur dans chacun d'eux, de créer
une prépondérance de poids à l'avant ou à l'arrière. Cette
variation dans l'équilibre du ballon produit une inclinaison
longitudinale qui permet un mouvement vertical- sans
dépense de lest ni de gaz.
La nacelle est suspendue sans l'intermédiaire d'un filet,--
par de simples cordes fixées à un ourlet de l'enveloppe et
passant sur des poulies, disposition qui assure une bonne
répartition.des efforts.
L'hélice, non rigide, ne.se tend que sous l'action de la
force centrifuge.
Les conditions imposées aux essais étaient les suivantes :
« i° Accomplir un voyage d'une durée supérieure à dix
heures;
« 20 Pouvoir s'élever à i 5oo mètres et naviguer une heure
à cette altitude ;
Avoir une vitesse mesurée de n mètres à la seconde
« 3°
(environ 4o kilomètres à l'heure) ;
« 4° Pouvoir être gonflé en un lieu quelconque sans l'aide
d'un hangar ;
.

« 5° Pouvoir être transporté rapidement et facilement sans


être gonflé ou après avoir été dégonflé. »
Le Parseval n° 2 a satisfait à ces essais ; il a notamment
accompli un voyage d'une durée de onze heures et demie ;
.

sa vitesse a atteint 5o kilomètres à l'heure; il transporte cinq


ou six passagers; le gonflement et l'appareillage demandent
quatre heures et demie.

Système demi-rigide. — Le Gross n° 2, expéri-


menté en 1908, a 66 mètres de long, 11 mètres de dia-
mètre; il cube 4 5oo mètres cubes et possède deux mo-
COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE ' ', Cjlb
teurs de 76 chevaux, actionnant chacun une hélice à trois
ailettes. r

Sa nacelle peut contenir de six à huit personnes.


Le ballon possède Une quille de forme allongée constituée
par des tubes d'acier et d'aluminium; cette quille, suspen-
due par des cordes fixées à deux ourlets de l'enveloppe,
porte : vers le milieu de sa longueur, les deux hélices; à
l'avant, deux gouvernails de hauteur et, à l'arrière, une
surface verticale de stabilisation qui, elle-même, porte le
gouvernail de direction. Les hélices, en raison de l'éloi-
gnement dû moteur placé dans la nacelle, sont commandées
par une corde de transmission en fil d'acier.
Le Gross n° 2 a fait, eh 1908, de nombreuses ascensions
assez souvent marquées par des accidents; Il a cependant
réussi à parcourir i5o kilomètres dans un voyage d'une
durée dé cinq heures et quart, mais, dans un autre essai de
sortie de vingt-quatre heures, partant de Berlin vers l'ouest
par un vent sud-ouest de 4 à 6 mètres, il se trouva, au bout
d'environ sept heures, à 170 kilomètres dans la direction du
nord-est; il fut gravement endommagé dans l'atterrissage;.
Sa vitesse propre n'a pas dépassé 36 kilomètres à Fheure.

Système rigide. —Depuis 1900, le comte Zeppelin a


mis successivement en expérience quatre ballons de ce
système, assez peu différents les uns des autres.
La carcasse, recouverte d'une étoffe tendue, est faite de
tubes et de fils d'aluminium; elle porté intérieurement des
cloisons qui divisent l'aérostat en compartiments séparés
(il en existait dix-sept dans le Zeppelin n° /); chacun d'eux
est occupé par une enveloppe pleine de gaz qui en épouse
la forme.
Le ballon est muni de. deux nacelles réunies par une
sorte de passage couvert au milieu duquel est une cabine.
Ses dimensions dans le Zeppelin n° 4 atteignent i35 mètres
de long, 11 mètres de diamètre, il cube 15 000 mètres cubes.
Deux moteurs de Ïi4 chevaux actionnent chacun une paire
Gl6 4C PARTIE
•— ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
d'hélices. Deux gouvernails assurent la direction, tandis
que la stabilité est maintenue par un gouvernail de hauteur
à l'action duquel s'ajoute au besoin la surcharge d'un poids
de i5o kilos, mobile de l'avant à l'arrière. *'
Malgré des premiers résultats assez peu encourageants,
les pouvoirs publics, qui avaient déjà aidé l'inventeur,
firent voter au budget de 1908 une somme de 2 687 5oo francs
pour acquérir les Zeppelin n° 3 et n° 4-
Les conditions imposées étaient les suivantes :
« Effectuer un parcours d'au moins 4oo kilomètres dans
un voyage d'une durée de vingt-quatre heures; atterrir en
terre ferme au cours du voyage et pouvoir demeurer ancré
sur l'emplacement atteint; pouvoir s'élever à de grandes
hauteurs (1 200 mètres au moins) pour y être à l'abri du tir
-ennemi; enfin effectuer toutes ces opérations avec l'essence,
l'eau et l'huile emportées au départ sans avoir besoin de se
ravitailler en cours de route. »
Le Zeppelin n° 4 réussit un certain nombre d'ascensions,
notamment un voyage de douze heures en Suisse, au cours
duquel la vitesse propre atteignit 56 kilomètres.
Il entreprit et réalisa le 4 août 1908 un voyage de vingt-
quatre heures, dans lequel il parcourut en deux étapes
73o kilomètres à une vitesse moyenne de 3o kilomètres.
Dans la première partie de son trajet (488 kilomètres), il
atteignit la vitesse de 4.okm25o. Mais l'enthousiasme soulevé
sur son passage fut de courte durée, car le ballon ayant
atterri dans une prairie où il fut ancré, une tempête s'éleva
qui le détruisit complètement.
Cet accident qui termina si mal à propos un parcours
non fermé il est vrai, mais dépassant en durée et en étendue
tous ceux obtenus jusqu'alors, n'a découragé ni l'inventeur,
ni l'État, ni le peuple allemand. Un immense effort finan-
cier et un puissant appui moral sont venus soutenir le
comte Zeppelin, dont chacun doit admirer la ténacité; un
nouveau dirigeable est actuellement en chantier tandis que
les essais sont repris avec un ancien modèle.
COMMUNICATIONS PAR VOIE AÉRIENNE ' 917
L'accident du Patrie avait montré l'impossibilité de
conserver en station, en plein champ, un dirigeable gonflé y

et, par suite, la nécessité de créer pour ces engins des han-
gars les protégeant de la tempête. Pas plus que les autres,
les navires aériens ne peuvent se passer de ports de refuge.
Le Zeppelin, en raison de ses dimensions et de la rigidité
de son enveloppe, paraît exiger même un hangar flottant
dont l'ouverture de sortie puisse être orientée dans le sens
du vent afin d'éviter les efforts transversaux exercés à la
sortie du ballon et qui ont occasionné des accidents. Un
doute subsiste donc encore sur la possibilité d'utiliser cet
engin d'une manière pratique. .
Actuellement, il existe six hangars à ballons en territoire
allemand :
Deux à Friedrichshafen pour les Zeppelin, un fixe, un
flottant;
Trois près de Berlin, dont deux militaires ;
Un à Metz destiné au Parseval n" 2.
Les Allemands considèrent les dirigeables comme des
agents précieux d'exploration. Il est probable qu'ils envi-
sagent également un autre emploi de ces engins, car la
presse a signalé les expériences faites par le bataillon
d'aérostiers sur le lancement d'engins explosifs de la
nacelle d'un dirigeable.

En résumé, dans l'étal actuel des choses, le ballon captif


fait partie du matériel des armées et ses services y sont
réglés ; le dirigeable est entré en lice, on peut s'attendre à
enregistrer ses progrès rapides.
Jusqu'à présent, la France conserve l'avance qu'elle a
prise sur les autres pays dans l'organisation des parcs aéro-
statiques ; la plupart des nations étrangères, à l'exception
de l'Allemagne et de l'Angleterre, ont demandé à notre in-
dustrie leur matériel de ballons, que deux établissements
(Yon et Lachambre) ont su produire en s'inspirant plus ou
moins du matériel réglementaire. La Belgique, le Dane-
gi8 4e PARTIE
— ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE
mark, l'Italie, la Hollande, le Portugal, la Roumanie, la
Russie, l'Espagne et le Japon sont pourvus de parcs prove-
nant de Tune ou de l'autre des deux maisons françaises
qu'on vient de citer.
Les ballons ont figuré dans les guerres coloniales du der-
nier quart de siècle. Les Anglais lies ont employés au Soudan
en 1882, nous en avons également fait usage au Tonkin en
i884j avec succès. Si la campagne de Madagascar de 1895
n'a pas fourni l'occasion de les utiliser sur le champ de ba-
taille, elle a du moins confirmé la démonstration, déjà faite
en 1884, des excellentes conditions dans lesquelles notre
matériel est confectionné, puisqu'il a pu résister aux nom-
breuses chances d'avarie que comporte un transport de
longue durée sur mer et dans un climat particulièrement
chaud. Sa conservation sous les régions tropicales n'a pas
davantage laissé à désirer. L'expédition de Chine (1900-1901)
a fourni une nouvelle démonstration des qualités du maté-
fiel français et de sa supériorité sur tous les autres de cette
époque.
Nos dirigeables ont été les premiers à parcourir l'espace :
ils sauront aussi, on n'en doit pas douter, se montrer les
plus puissants et les plus hardis dans l'avenir.
TABLE DES MATIÈRES

Pages
PRÉFACE v

PREMIÈRE PARTIE
FORTIFICATION PASSAGÈRE

CHAPITRE I. — GÉNÉRALITÉS ET DÉFINITIONS. i


.
CHAPITRE II. ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LA FORTIFICATION

DE CAMPAGNE. — Généralités. — Profil et tracé.. — Dénomi-
nation des feux d'après leur direction. — Mode de représenta-
tion adopté. — "Considérations générales sur le tracé. — Feux
directs et feux de flanc. — Tracé dès ouvrages de campagne.
— Ouvrages et lignes. — Ouvrages ouverts à la gorge. —
Ouvrages fermés.—: Lignes
CHAPITRE III.
....i. .
— EFFETS DU TIR. — § Effets du tir de l'infan-
. .
6

terie. — § 2. Effets du tir de l'artillerie zi


CHAPITRE IV. ARMÉES EN CAMPAGNE.
— OUTILLAGE DES —
Outils actuellement réglementaires. — Répartition de l'outilr
lage. — Outillage des armées étrangères : Allemagne; —
Angleterre; —Autriche; —Belgique; — Italie; — Russie;
— Suisse ; — Japon. — Tableau comparatif 29
CHAPITRE V. TRANCHÉES^ABRIS.
— — § 1. Tranchées de fortifi-
cation de campagne légère à l'usage des troupes d'infanterie :
Tracé; —Ateliers; —Exécution; —Aménagements indivi-
duels. — § 2. Tranchées de fortification de campagne renfor-
cée. — § 3. Profils allemands : Effets du tir de l'artillerie
contre les tranchées ;+—Amélioration des tranchées-abris; —
Bonnettes; — Traverses ;, —Abris ; 52
. .
CHAPITRE VI. —'ORGANISATION DÉFENSIVE DES ACCIDENTS
DU TERRAIN'. —^ Aménagements< sommaires. — Levées de

terre. — Rigoles et .fossés..-y- Routes et chemins.—' Haies.


•—
Murs. — Clôtures en bois. — Grilles. — Ruisseaux. —
Organisation défensive : bois,-— maison,— ferme, — village. 79
g20 TABLE DES MATIERES
Pages
CHAPITRE VII. — ORGANISATION DU CHAMP DE BATAILLE. —
Principes d'organisation des points d'appui. — Organisation
d'un point d'appui artificiel. — Emplacement de l'artillerie.
— Choix des positions. —>- Cours d'eau. —- Tête de pont. —
Défilé. — Champs de bataille 117
.

CHAPITRE VIII. — PRINCIPES CONCERNANT L'EXÉCUTION DES


TRAVAUX. — Utilisation des outils du parc du génie de corps
d'armée. —: Considérations générales sur le but et l'emploi de
la fortification du champ de bataille. i4o

CHAPITRE IX. — FORTIFICATION DE POSITION. — But et emploi.


Effets des projectiles de campagne i53

CHAPITRE X. — DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION DE POSI-


TION. •— Parties constitutives. — Nomenclature. — Discus-
sion. — Angle mort. —r Profil triangulaire. — Equilibre des
déblais et des remblais. — Profils divers de retranchements
de campagne
..... r

CHAPITRE XL — DU TRACÉ DANS LA FORTIFICATION DE POSI-


159

TION. — Lignes Continues. — Ouvrages fermés. — Groupes


; d'ouvrages. — Flanquement 172

CHAPITRE XII. — CONSTRUCTION DES OUVRAGES. — Tracé. —


Piquetage. — Relief. — Profilement. — Ateliers. — Nombre
de travailleurs. — Exécution des terrassements. — Procédés
pour activer l'exécution. — Retranchement progressif.
CHAPITRE XIII. DÉPENSES ACCESSOIRES.
...
Palanques.
i83

— — —
Tambours. — Abatis. — Réseaux de fils de fer. — Trous de
loup. —Petits piquets. — Palissades. — Fraises. — Chevaux
de frise. — Chausse-trapes. — Planches à clous. — Fou-
gasses. — Inondations. •— Emplacement des défenses acces-
soires. — Effets du tir de l'artillerie contre les défenses acces-
soires 1 Q5

CHAPITRE XIV. — REVÊTEMENTS. — Fascinages. — Gabions.


Fascines. — Claies. — Treillis métalliques. — Briques

crues. — Sacs à terre. — Pierres sèches. — Gazons. — Pisé.
— Charpente 211
CHAPITRE XV, — ORGANISATION INTÉRIEURE DES OUVRAGES
DE POSITION. — Bonnettes. — Traverses. — Parados. —
Abris. — Magasins. —Abris actifs. — Blockhaus. •— Coffres
TAULE DES MATIÈRES 921
Pages
flanquants. — Entrée des ouvrages. — Réduits. — Disposi-
ons générales des ouvrages. — Anciens ouvrages de compa-
gnie. •— Ouvrage russe de Nanchan. — Travaux complémen-
taires 218

CHAPITRE XVI.

DÉFILEMENT
DES OUVRAGES Ak
CHAPITRE XVII. ÉPAULEMENTS POUR L'ARTILLERIE DE

CAMPAGNE. — Embrasures. — Barbettes. — Epaulements
français et allemands 250

CHAPITRE XVIII. •-- ATTAQUE ET DÉFENSE DES POSITIONS


FORTIFIÉES.
— Attaque. — Reconnaissance. — Choix du
point d'attaque. — Préparation par l'artillerie. — Combat
d'infanterie. — Destruction des défenses accessoires. —
Assaut. —- Attaque des ouvrages très fortement retranchés.
— Défense. -— Effectif 263

CHAPITRE XIX.
— FORTIFICATION SEMI-PERMANENTE. .... 282

DEUXIÈME PARTIE

FORTIFICATION PERMANENTE

PRÉLIMINAIRES.
CHAPITRE XX.
— — Caractère des ouvrages
permanents. — Installation de l'artillerie. — Abris. — Emploi
de la maçonnerie et du fer. — Dépense. — Aperçu général
sur l'attaque des places 287

CHAPITRE XXI...-^ DU PROFIL DANS LA FORTIFICATION PER-


MANENTE. — Différentes parties du profil. — Parapet. —
Terre-plein. — Fossé. — Magistrale..— Escarpes.— Contres-
carpes. — Lunettes. — Chemins couverts et glacis. — Angles
niorts. — Modifications au profil normal. — Profil triangu-
laire. •—Commandements 29O

CHAPITRE XXII. TRACÉDANS LA FORTIFICATION PER-


— DU
MANENTE. — Importance de l'angle mort, du Manquement.'
— Différents tracés. — Indépendance de l'escarpe et du para-
pet. — Définition des parties principales du tracé. — Repré-
sentation des ouvrages de fortification 3i8
CHAPITRE XXIII.

TRACÉ BASTIONNÉ.
— Front bastionnê. —
Dehors : Tenaille; — Demi-lune (glacis-masque).; — Réduit
g2 2 TABLE DES MATIERES
Pages
de demi-lune ; —' Contre-garde ; — Places d'armes saillantes
et rentrantes; — Réduit de places d'armes; — Chemin cou-
vert ; — Glacis ; — Coupures ; — Communications (poterne,
double, caponnière, .sortie .de chemin.couvert,.ha-ha, pas-de-
souris). •— Principe des trois points couvrants. — Ouvrages
intérieurs : Cavalier; —Retranchementintérieur; —Réduit. 326
CHAPITRE XXIV. — ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS BASTIONNÉS.
— Historique. — Tracés de Vauban. — Premier système. —
Deuxième et troisième systèmes. —Tracés postérieurs à Vau-
ban
.......
CHAPITRE XXV.

TRACÉ POLYGONAL.
.........
— Caponnière: Position ;
347

— Réunion au corps de place ; — Forme générale ; .— Dispo-


sition intérieure; — Fossé diamant; — Flanquement de la
tête (créneaux, mâchicoulis) ; —- Embrasure-tunnel ;— Capon-
nières bétonnées ou cuirassées. —Coffres de contrescarpe :
Eclairage du fossé. — Ouvrages intérieurs : Cavalier; —
Retranchement, intérieur. — Dehors : Ravelin; — Couvre-
faces ; — Chemin couvert ; — Places d'armes ; — Réduit ; —
Communications 356
.
CHAPITRE XXVI. — ÉTUDE DE QUELQUES TRACÉS POLYGO-
NAUX. — Historique. — Montalembeft, Carnot. — Fort
Alexandre à Coblentz. — Front de Koenigsberg ou néo-prus-
'-, sien. — Front polygonal en site aquatique ou front d'Anvers.
— Tracé polygonal appliqué aux forts de 1870 à i885. —.
Tracé polygonal appliqué aux ouvrages postérieurs à i885. 378
.
CHAPITRE XXVII.— DISCUSSION COMPARATIVE DES SYSTÈMES
BASTIONNÉ ET POLYGONAL 3g4
CHAPITRE XXVIII. INTÉRIEURE DES OUVRA»
— ORGANISATION
GES PENDANT LA PÉRIODE DE 1870 A 1885. — Défilement.
— Parapets. — Traverses. — Parados. — Abris : Casernes
et magasins ; •— Magasins à poudre . :
.
402
CHAPITRE XXIX. — INSTALLATION DE L'ARTILLERIE DANS LES
OUVRAGES DE 1870 A 1885. — A ciel ouvert. — Sous case-
mate. — Casemates avec visière. — Casemates à tir indirect.
— Casemates à tir direct, à la Haxo
4!4
CHAPITRE XXX. — ORGANISATION DES PLACES MODERNES. —
Constitution d'une place forte. — Noyau central. — Ouvrages
.
avancés. — Forts détachés. — Citadelles. — Voies de com-
munications. — Communications électriques et aériennes 420
. .
TABLE DES MATIÈRES 923
Pages
CHAPITRE XXXI. ORGANISATION DES PLACES DANS LA
^—
Éloignement. Écar-
— Forts. —
PÉRIODE DE 1870 A 1885.

tement,—Forme. —Mode de.flanquement..— Organisation
des crêtes. — Répartition de l'artillerie, de l'infanterie, des
locaux d'habitation. — Abris. — Communications intérieures.
— Entrées. — Approvisionnement de l'eau. — Dehors. —
Modes d'occupation du terrain. — Batteries annexes. —
Communications extérieures. -— Armement et garnison. —
Réduits 43i
.
CHAPITRE XXXII. — LA FORTIFICATION DEPUIS 1885. —
Influence de l'obus à balles et de l'obus-torpille. 453
. . . . . .
CHAPITRE XXXIII. — LA FORTIFICATION DEPUIS 1885. — Orga-
nisation des places et des ouvrages. -— Classification des sys-
tèmes : A) Lignes de petits ouvrages à intervalles rapprochés;
— B) Points d'appui avec batteries intermédiaires (batteries
traditores, casemates de Bourges); — C) Points d'appui con-
tenant de l'artillerie. — Propositions du colonel von Schwarz.
— Feste ......
CHAPITRE XXXIV.
— LA FORTIFICATION DEPUIS 1885. — Sys- ...
46o
.
tèmes adoptés par les grandes puissances.— Dispersion de
l'artillerie et des munitions. — Organisation de là ligne prin-
cipale de défense. -— Forts (profil et tracé, abris). — Flanque- '

ment des intervalles. — Défense propre des forts. — Organes


de surveillance. — Ouvrages intermédiaires. — Emplacement
des forts et des ouvrages intermédiaires. — Organisation
des intervalles (positions d'infanterie, batteries). — Munitions
d'artillerie (magasins" de batterie, de secteur). — Voie ferrée.
— Positions de résistance' en avant et en arrière .de la ligne
.
principale 479
CHAPITRE XXXV.
— CUIRASSEMENTS. — Casemates et batteries
cuirassées. — Coupoles et tourelles de Saint-Chamond, Gruson,
du Creusot, pour mortiers, à éclipse, Galopin, transportables. 5o5
CHAPITRE XXXVI. ÉTUDE DES PLACES FORTES DE METZ ET

DE STRASBOURG.—=Mets : Description du terrain; — Forts
détachés; — Noyau central; — Point d'attaque. — Stras-
bourg : Description du terrain ; — Forts détachés ; — Noyau
central ; — Point d'attaque 526
CHAPITRE XXXVII. ISOLÉS OU FORTS D'ARRÊT.
— FORTS
PETITES PLACES..— Description générale. — Ouvrages de
Molshoim.
. .. .. .. .. .. .. ... .. .......... 546
924 TABLE DES MATIÈRES
Pages
CHAPITRE XXXVIII. DÉFENSES ACCESSOIRES DANS LA FOR-

TIFICATION PERMANENTE. — Plantations. — Inondations. —
Systèmes de mines 556
CHAPITREXXXIX. — FORTIFICATION DES COTES ET PLACES
MARITIMES. — Généralités. — Défense mobile de mer. —
Défense fixe de mer. — Défense fixe de terre. — Batteries de
côte. —: Forts, côtiers. — Forts à la mer. — Organisation
d'une place maritime. — Défense des rades, plages et passes.
— Place d'Anvers et défense du bas Escaut. —' Place de
Portsmouth et île de Wight 564
CHAPITRE XL. —
UTILITÉ ET ROLE DES PLACES FORTES
... 582

TROISIEME PARTIE
ATTAQUE ET DÉFENSE DES PLACES

CHAPITRE XLI. — MODES D'ATTAQUE IRRÉGULIERS. — Préli-


minaires. — Diverses opérations contre les places. •— Blocus.
— Différents modes d'attaque des places : A) Par surprise ; —
B) De vive force; — C) Bombardement
CHAPITRE
..........
XLII. — SIÈGE RÉGULIER. — INVESTISSEMENT. —
691

Périodes successives du siège régulier. — Organisation de


l'armée de siège. — Investissement. — Organisation de la
ligne d'investissement. —Effectif de l'armée d'investissement.
— Protection extérieure. — Exemple : Champigny 607
CHAPITRE XLIII. — SIÈGE RÉGULIER. — PRÉPARATIFS DU
— Choix du point d'attaque. —
SIÈGE PROPREMENT DIT.
Projet d'attaque. —Artillerie. —Génie.
CHAPITRE
.........
XLIV. — SIÈGE RÉGULIER. — LUTTE SUR LE FRONT
627

D'ATTAQUE. — Ligne de couverture de l'artillerie. — Cons-


truction des batteries de siège. — Emploi de l'artillerie de
siège. — Organisation du service dans la zone d'attaque. —
Garde des approches. — Marche d'approche 635
CHAPITRE XLV. SIÈGE RÉGULIER. TRAVAUX D'APPROCHE.
— —
— Parallèles et cheminements. — Tranchée simple. — Sape
volante. — Sape pleine.-— Ensemble des cheminements. —
Sape double. — Crochets et traverses tournantes. — Couron-
nement du chemin couvert. — Guerre de mines. — Descente
et passage du fossé ...................... 646
TABLE DES MATIÈRES 926
Pages
CHAPITRE XLVL SIÈGE RÉGULIER. BRÈCHES.— ASSAUT.
— —
OPÉRATIONS FINALES.
— — Brèches : Emplacements et
dimensions; — Batteries de brèche; — Position avancée de
l'artillerie de siège ; — Exécution des brèches. —- Assaut. —
Dernières opérations du siège 672

CHAPITRE XLVII. — ATTAQUES BRUSQUÉES. — Attaques brus-


quées à la Sauer
CHAPITRE XLVIII.
,,,.,..,,.,,,-,,,,,..
DÉFENSE D'UNE PLACE FORTE.
683

— — Géné-
ralités. — Effectif de la garnison. — Sa répartition. — Orga-
nisation des services. — Conseil-de défense. — Gomité de
surveillance des approvisionnements de siège. -— Organisa-
tion de la défense. — Armement des lignes de défense. —
Emploi de l'artillerie. — Conduite de la défense. — Capitula-
tion.— Défense contre les attaques irrégulières 690

CHAPITRE XLIX. DÉFENSE D'UN FORT ISOLÉ 715


— ATTAQUE ET .,

CHAPITRE L.
— PORT-ARTHUR. —
Description de la place.

Opérations. •— Front de terre. — Enceinte centrale. :— Posi-
tions avancées.— Opérations extérieures.— Bataille de Nan-
chan. — Observations. — Opérations du siège. — Attaque
brusquée. — Attaque régulière. — Deuxième attaque géné-
rale. — Travaux d'approche et troisième attaque générale.—
Quatrième assaut général. — Attaque par l'ouest. —-Prise de
2o3. — Prise de Kikouan-nord 720
. ... . . .

QUATRIEME PARTIE
ORGANISATION ET SERVICES DU GÉNIE

CHAPITRE LI. — ORGANISATION ACTUELLE DE L'ARME DU


— Composition de l'arme du génie. — Troupes du
GÉNIE.
génie en temps de paix. — Eléments du génie aux armées.
— Composition, des unités. — Etat-major du génie d'un corps
d'armée. — Compagnie, de sapeurs-mineurs, d'équipage de
ponts, de parc du génie de corps d'armée. — Parc du génie
d'armée. — Compagnie de sapeurs-télégraphistes, d'aérostiers,
de sapeurs de chemins de fer. — Unités des divisions de
cavalerie. — Autres unités. — Etat-major particulier du
génie 743
... ... . ... . .. .
926 TABLE DES MATIÈRES
Pages
CHAPITRE LU. — DESTRUCTIONS. — Outils de destruction. —
Poudre et mélinite. — Artifices. — Engins et appareils élec-
triques. — Confection des charges de mélinite. — Charges à
employer pour la destruction des divers obstacles 754
LUI. — TRAVAUX DU CAMP.
CHAPITRE
— Préparation du ter-
rain. — Baraques et abris. — Service de l'eau. — Abris de
bivouac 766

CHAPITRE LIV. — ROUTES. — Définitions. — Profil en long, en


travers. — Destruction d'une route. — Réparation d'une
route 774
CHAPITRE LV. '— PONTS MILITAIRES.
— Définitions. — Consti-
tution du tablier. — Equipages de pont. — Ponts d'équipage,
de circonstance,\de chevalets à quatre pieds, de pilotis, de
pilots. légers; dé bateaux de commerce. — Radeaux. — Ponts
mixtes, de voitures, de gabions, etc. — Service de garde et
.
'de protection -des ponts militaires. — Précautions à prendre
dans le passage sur les ponts. — Ponceaux. — Réparation
des ponts. — Ponts Tarron. — Passerelles. — Supports flot-
tants.— Supports fixes. — Moyens auxiliaires de passage des
-
cours d'eau. — Passage à gué, sur la glace, dans des bateaux
isolés ou accouplés, sur des portières, sur les ponts volants,
traillos ou bacs. — Destruction des ponts
CHAPITRE
. . ....
LVI. — CHEMINS DE FER. — De la voie. — Particu-
. .
; 780

larités de la. voie. — .Points, spéciaux. —Bifurcations.— Tra-


versées et croisements. — Plaques tournantes. •— Ouais d'em-
barquement. — Matériel roulant. — Roues et essieux. —
Locomotives. — Service d'exploitation. — Réservoirs d'eau.
— Signaux.-.— Marche des trains. — Lignes à voie étroite.
— Tramways. — Destruction des voies ferrées : de la voie,
des ouvrages d'art, des appareils d'exploitation, du matériel
,

roulant. — Réparations des voies ferrées : déviations, répara-


tion des grands ouvrages d'art, ponts métalliques démontables
Marcille et Henry. — Service des chemins de fer aux armées. 818
.

— Alphabet.
CHAPITRE LVI1. TÉLÉGRAPHIE MILITAIRE.

Morse. — Télégraphie optique. — Télégraphie électrique. —
Sources d'électricité. — Conducteurs. — Appareil de trans-
mission et de réception. •—- Appareils accessoires : sonnerie ;
•—
Galvanomètre; — Commutateur; — Paratonnerre. —
Montage d'un poste. — Règles de manipulation. — Matériel
des lignes militaires. -^.Pose des lignes militaires. —Des-
TABLE DES MATIERES 927
Pages
traction et réparation des lignes télégraphiques. — Télépho-
nie. — Téléphones. —• Microphones. — Montage des postes.
— Construction des lignes. — Télégraphie sans fil. — Com-
paraison entre les divers systèmes de télégraphie. — Organi-
sation du service de la télégraphie militaire. — Service dans
l'armée 861

CHAPITRE LVIII. AÉRIENNE.


— COMMUNICATIONS PAR VOIE —
Pigeons voyageurs. — Aérostation. — Parc aérostatique de
campagne. — Ballons dirigeables goo

Nancy, impr. Berger-Levrault et C«

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