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Corporatisme
Doctrine prônant une "troisičme voie" entre le capitalisme sauvage et le socialisme qui exalte la
lutte des classes, le corporatisme cherche une solution ŕ la question sociale, sérieuse dčs les
années 1870. Tourné vers le passé et la nation, il la voit dans l'organisation des professions, dans
la modernisation des Corporations d'Ancien Régime, symboles d'une supposée harmonie
ancestrale brisée par la Révolution française. La doctrine, qui connaît de multiples tendances,
trouve un écho dans les encycliques Rerum novarum (1891) de Léon XIII et Quadragesimo
Anno (1931) de Pie XI ( Mouvement chrétien-social ). Le corporatisme est présent en France dčs
la fin du XIXe s. dans le courant catholique social et le projet d'"ordre social chrétien". Dans les
Etats totalitaires, Italie fasciste, Portugal salazariste et Espagne franquiste, il sera appliqué sous
la forme du corporatisme d'Etat, ce dernier créant autoritairement les organisations corporatives
et les contrôlant. Par contre, le corporatisme d'association, celui proposé en Suisse, veut laisser
aux métiers la liberté de s'organiser.
En Suisse, le corporatisme apparaît dans les années 1880 ( Conservateurs catholiques , Union de
Fribourg ). Son véritable développement sera le fait de l'entre-deux-guerres. Opposé ŕ la
démocratie parlementaire, le corporatisme remet en cause les fondements de l'Etat rationnel issu
de 1848, oeuvre des radicaux. Il prône une société soustraite au suffrage universel, considéré
comme une illusion, et un Etat dans lequel toutes les couches sociales se sentiraient intégrées et
non assistées. Il pénčtre en Suisse par l'intermédiaire d'associations de laďcs fortement encadrés
par le clergé. Son principal porte-parole, l'abbé fribourgeois André Savoy, vise surtout ŕ organiser
les travailleurs. Entre 1920 et 1925, l'abbé enregistre d'importants progrčs, ŕ la suite de l'échec de
la grčve générale de 1918.
Puis c'est au tour du patronat d'envisager le corporatisme comme remčde ŕ la démocratie. Dans
un premier temps, soucieux de restituer ŕ l'économie son efficacité dans une concurrence de plus
en plus vigoureuse, petits et grands patrons attendent du corporatisme la réforme de l'Etat qui les
mettra ŕ l'abri des interventions d'un parlement colonisé par les partis politiques et objet de leurs
plus vives critiques. Le sens de l'ordre, le respect des hiérarchies les coalisent sous l'étiquette
corporatiste. De fait, avec le secours des syndicats ouvriers, se met en place une organisation du
capitalisme, caractérisée par la création du Bureau industriel suisse en 1921 (Office suisse
d'expansion commerciale/OSEC dčs 1927), chargé de la promotion de la production helvétique,
et par l'institutionalisation des rapports entre les associations faîtičres de l'économie et l'Etat.
Mais cette alliance entre industrie et artisanat, scellée par le désir de contourner le parlement
dans la résolution des problčmes d'ordre économique, ne résistera pas ŕ la crise des années 1930.
Nostalgique de la Suisse d'avant 1798, le corporatisme, cloisonné en ordres imperméables et
garant d'une trčs idéalisée cohésion sociale, postule une limitation de la libre concurrence par le
biais d'une planification coordonnée non par l'Etat mais par les corporations, et le rejet des
institutions parlementaires, qu'il juge sources de chaos. Il fait front également contre
l'interventionnisme centralisateur de la Confédération et contre l'avancée de l'Etat social, ŕ ses
yeux facteur de divisions. Anticapitaliste et antisocialiste, le corporatisme veut la réconciliation
et non la lutte des classes, la collaboration entre le capital et le travail, la défense des Classes
moyennes . Fédéraliste, fidčle ŕ l'image transmise par la tradition d'une Suisse primitive
authentiquement démocratique, il ręve d'un Etat arbitre soutenu par les corps constitués de la
société, uniques piliers de l'unité nationale: la commune, la famille, le métier, l'Eglise, la nation;
en somme une démocratie directe qui serait de nature organique.
Cette philosophie conquiert de larges milieux dans les années 1920. En 1924 se constituent les
Amis de la corporation, qui essaiment dans de nombreux cantons, notamment romands. Vaud et
Genčve engendrent des fédérations corporatives; Fribourg adopte une loi sur les corporations, qui
n'entrera toutefois pas en vigueur. En 1933 se crée l'Union corporative suisse, chargée de rallier
la Suisse alémanique qui a ses propres foyers, en particulier ŕ Saint-Gall. Preuve du profond
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désarroi dans lequel est plongé le systčme démocratique, de nombreux politiciens radicaux et
libéraux distinguent dans un corporatisme franchement politique une structure capable de sauver
le pays. Sur le plan fédéral, l' Union suisse des arts et métiers (USAM) se rapproche des thčses
corporatistes, ainsi que de groupements qui visent une rénovation de la Suisse dans un tel cadre,
comme la Suisse nouvelle. Toutefois seul le parti catholique conservateur adhčre au
corporatisme, dont la doctrine, conceptualisée par Jakob Lorenz, correspond ŕ sa volonté de
dépasser l'affrontement entre libéralisme et socialisme.
La ferveur corporatiste culmine en 1934 avec le lancement d'une initiative populaire demandant
la révision de la Constitution fédérale dans un sens corporatiste: le Conseil national, en tant que
représentant des corporations de droit public, devait ętre désigné par les exécutifs communaux
dans chaque canton et non plus par le peuple. Mais une lourde hypothčque občre ce projet. Si les
partisans de la révision, parmi eux de nombreux catholiques conservateurs, n'avaient pu
convaincre l'industrie et les radicaux, ils avaient reçu l'appui des divers fronts apparus dčs 1933,
dont certains franchement fascisants ( Frontisme ). Bien qu'adversaires d'un corporatisme
résurgence des corporations du Moyen Age ou d'un Etat corporatif (Ständestaat) tel que le
réclament des fascistes, les corporatistes ne parviennent pas ŕ éliminer l'ambiguďté majeure qui
entache leur idéal: la proximité de plusieurs de leurs cercles avec des groupes nationalistes, voire
fascistes. L'attirance avouée de plusieurs de leurs théoriciens, męme démocrates, pour le systčme
italien mis au point par Mussolini et les appels ŕ un Etat fort et antidémocratique, fréquents chez
certains corporatistes comme ceux de la Ligue vaudoise , soulignent les interprétations trčs
diverses que l'on peut tirer du corporatisme politique, toujours ŕ mi-chemin entre renouveau
démocratique et autoritarisme. Le passage de syndicalistes au corporatisme, surtout aprčs la
conclusion de la Paix du travail (juillet 1937), et la confirmation du corporatisme comme partie
intégrante du climat de Défense spirituelle qui s'installe en Suisse ŕ la veille de la guerre,
achčvent de consolider sa vocation nationale comme rempart contre les influences étrangčres.
Mais le corporatisme s'épuise: le rejet de l'initiative pour la révision de la Constitution en
septembre 1935 marque le début de son déclin. Le discrédit que lui inflige le fascisme, l'échec de
l'unité patrons-ouvriers au sein des corporations dčs 1940 et le non-aboutissement d'une nouvelle
révision constitutionnelle en 1942 (Initiative Stalder) ruinent ses espoirs. A Genčve la Fédération
des syndicats patronaux (1928, Fédération romande des syndicats patronaux dčs 1983), dans le
canton de Vaud les Groupements patronaux de la Fédération vaudoise des corporations (1940,
Groupements patronaux vaudois dčs 1947, Fédération patronale vaudoise dčs 1995) sont les
héritičres de la "troisičme voix". Dčs 1942, l'USAM passe dans le camp libéral, préférant la
liberté économique ŕ un soutien de moins en moins sűr de la part de l'Etat. La prospérité de
l'aprčs-guerre souligne le succčs du capitalisme organisé qui débouche sur la limitation de la
concurrence, l'instauration des contrats collectifs de travail, l'extension de l'Etat-providence et le
triomphe de la paix du travail. Cette réorganisation de l'économie libérale ( Articles économiques
) relčve en fait d'une tentative de synthčse transcendant les antagonismes jaillis de la société de la
seconde moitié du XIXe s. Dans ce sens, le corporatisme a certes eu une influence et apporté de
nouvelles idées, mais il n'a pas lancé l'évolution constatée dčs 1945.
Bibliographie
-R. Ruffieux, Le mouvement chrétien-social en Suisse romande, 1969
-Q. Weber, Korporatismus statt Sozialismus, 1989
-K. Angst, Von der "alten" zur "neuen" Gewerbepolitik, 1993
-Ph. Maspoli, Le corporatisme et la droite en Suisse romande, 1993
Olivier Meuwly
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Corporations
L'émergence des corporations est liée ŕ celle de la bourgeoisie urbaine, qui dčs la fin du XIIIe s.
tentera de participer au pouvoir politique. Au XIIe s., les artisans des villes d'Europe occidentale
et centrale ( Artisanat ) commencčrent ŕ s'organiser par métiers ou groupes de métiers dans des
associations qui prendront le nom de corporation au XVIIIe s. seulement; en italien, on parlait de
mestiere ou arte (puis de corporazione), en allemand de Zunft (premičre attestation ŕ Bâle en
1226), de Gilde (en Allemagne du Nord, Guilde ) ou Gaffel (Rhénanie inférieure). Au XIXe s., les
origines des corporations furent un objet de controverses pour les historiens et les économistes:
certains les faisaient remonter aux associations professionnelles liées ŕ l'économie domaniale,
d'autres y voyaient de libres groupements résultant du mouvement associatif médiéval, d'autres
enfin des institutions créées par le seigneur de la ville pour mieux contrôler le marché.
1- Bas Moyen Age
2- Epoque moderne
3- XIXe sičcle
Références bibliographiques
Artisanat
Du bas Moyen Age au début du XXe s., l'artisanat peut ętre défini comme un travail manuel
exécuté avec des outils simples. L'artisan -- entrepreneur et producteur -- travaille seul ou aidé
par autrui ( Compagnons , apprentis) tantôt sur commande pour la clientčle locale, tantôt pour
constituer un stock qu'il écoulera lui-męme. Les petites entreprises, dirigées par des Maîtres ,
dominent. Aujourd'hui, la notion d'artisanat inclut des exploitations de taille et de technicité
variables oeuvrant principalement dans le domaine des produits de luxe ou d'art ( Arts décoratifs
), fabriquant sur demande des pičces uniques ou assurant l'entretien et la réparation d'articles
industriels. L'industrie et les administrations publiques intčgrent elles aussi des métiers
artisanaux.
Jusque vers 1950, l'histoire de l'artisanat est restée dans l'ombre de celle des Corporations . Seuls
quelques chercheurs l'ont étudiée sous l'angle économique et juridique. Ce n'est qu'ŕ partir de
1970 que le sujet se voit envisagé dans une perspective proprement anthropologique, incluant des
thčmes aussi divers que l'artisanat urbain et rural, les migrations, le compagnonnage, la vie
quotidienne, les mentalités.
1- Origines
4- La formation
5- L'artisanat rural
6- Un bastion masculin
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7- Rivalités entre artisans citadins et campagnards
Références bibliographiques
Artisanat
4- La formation
La formation englobant l' Apprentissage et le compagnonnage fut réglementée sur le modčle
allemand ŕ partir de la fin du XVe s. chez les selliers, les chaudronniers, les fabricants de poęles
et autres, avant d'ętre généralisée au XVIe s. Elle était assurée par les corporations.
L'apprentissage était précédé d'une période d'essai, au bout de laquelle le candidat était
formellement embauché comme apprenti en présence de la maîtrise. L'apprentissage achevé, le
maître "acquittait" son apprenti devant le męme collčge et l'envoyait accomplir son tour de
compagnonnage. La réglementation ne déterminait que les grandes lignes (trois ou quatre ans
d'apprentissage), les détails (durée précise, frais d'apprentissage, vivre et couvert chez le maître)
étant ŕ fixer dans un contrat privé. Ce n'est qu'au XVIIe s. que plusieurs années de voyage furent
exigées pour l'accčs ŕ la maîtrise, sans laquelle l'exercice d'une profession indépendante était
exclu. La présentation d'un chef-d'oeuvre et le passage d'un examen n'étaient en revanche pas
requis dans tous les métiers.
La formation obligatoire était un moyen de réduire la concurrence. En temps de crise, l'artisanat
ralentissait la relčve (un seul apprenti par atelier, voire arręt total du recrutement), rendait
l'apprentissage plus long et plus coűteux et l'accčs ŕ la maîtrise plus difficile. Il favorisait les fils
des maîtres et écartait sans recours les indésirables, c'est-ŕ-dire les enfants illégitimes et ceux
dont le pčre pratiquait un métier considéré comme infamant ( Vils métiers ).
Artisanat
5- L'artisanat rural
En dehors des activités domestiques des paysans, des métiers liés aux Banalités ou organisés ŕ
l'échelle d'une région (fabricant de poęles, chaudronnier, sellier), il n'existait gučre d'artisanat
indépendant dans les campagnes du bas Moyen Age. Dans des listes de compagnons des villes du
XVe s., on voit néanmoins mentionnés des villageois, sans que cela impliquât une reconnaissance
de l'artisanat rural comme corps de métier. Avec l'accroissement de la population, des fils de
paysans sans domaine se mirent ŕ vivre au XVIe s. de travaux pratiqués jusqu'alors ŕ titre
accessoire. Des métiers comme tailleur, cordonnier, tisserand connurent l'affluence, tout comme
le bâtiment; puis, ŕ partir de 1550 déjŕ, on trouva des forgerons, des cordiers, des charrons, des
selliers et des tonneliers dans de nombreux villages. La récession des années 1560 ŕ 1580 incita
les artisans ŕ réclamer, comme leurs collčgues citadins avant eux, des mesures officielles de
protection contre la concurrence. Une organisation corporative semblait imminente.
Il n'y eut cependant de corporations rurales que dans les campagnes bernoises, lucernoises et
soleuroises, dans le sud de l'Argovie, dans les bourgades de Suisse centrale, puis en Suisse
orientale et dans la campagne bâloise; la Suisse française et la Suisse italienne ne les connurent
pas. Pour préserver leur monopole urbain, des villes corporatives comme Zurich et Schaffhouse
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empęchčrent les artisans villageois de s'organiser. Ceux-ci avaient toutefois la possibilité
d'adhérer ŕ une corporation citadine. Des cantons patriciens comme Berne ou Lucerne
encouragčrent au contraire la création de corporations rurales, qui adoptčrent pour la plupart les
statuts de leurs collčgues des villes. En dépit de certaines différences, la situation était
sensiblement la męme dans toutes les campagnes, męme dans l'ouest et le sud du pays. Il y avait
des maîtres affiliés ŕ des corporations leur imposant, sur le modčle citadin, des normes régissant
l'apprentissage, l'exploitation de l'atelier, la lutte contre la concurrence, et puis des artisans
inorganisés mais qualifiés, compagnons possédant leur propre établissement, et enfin des "gâte-
métiers" semi-qualifiés ou autodidactes. Sur ce point, les campagnes différaient
fondamentalement des villes, oů seuls les membres d'une corporation étaient admis. Les gâte-
métiers étaient des Tauner employés comme Journaliers par les paysans qui les affectaient ŕ des
besognes agricoles aussi bien qu'artisanales. Ils étaient bon marché et fournissaient surtout des
travaux de réparation. En butte aux tracasseries des maîtres citadins aussi bien que ruraux,
exploitée par la clientčle, cette main-d'oeuvre sous-qualifiée réussissait ŕ se maintenir grâce ŕ une
demande constante. On comptait aussi parmi les gâte-métiers de nombreux tisserands ruraux
travaillant ŕ domicile pour des marchands-fabricants ( Travail ŕ domicile ).
On estimait communément ŕ la campagne qu'un artisan, qualifié ou non, ne pouvait vivre de son
seul travail artisanal et qu'il lui fallait nécessairement une activité d'appoint. Il possédait en
général une maison ou partie de maison, un jardin ou un champ et la jouissance des communaux
(bois, pacages, terres labourables). Tous vivaient plus ou moins en autarcie. Les autorités leur
imposaient des tarifs et des salaires inférieurs. Cette activité mixte ŕ dominante agricole était
aussi de rčgle pour les concessionnaires des entreprises banales (comme les meuniers, les
aubergistes et les forgerons) qui, soumis ŕ des tarifs et salaires officiels, vivaient surtout du
commerce de matičres brutes (grains, vin, fer) et des revenus de leur domaine, souvent
considérable.
Interdit dans les villes, le Travail en journées , consistant ŕ servir la clientčle ŕ domicile en étant
maigrement payé au temps, était trčs répandu ŕ la campagne, oů la population était par principe
hostile aux artisans villageois loyaux envers leur corporation. Le mécontentement ŕ leur égard
culmina au XVIIe s.: l'Emmental réussit ŕ interdire les corporations pour un certain temps en
1644 et la population des campagnes zurichoises ŕ révoquer partiellement leurs privilčges dans
les années 1650. Les corporations finirent par tolérer largement le travail en journées. Les
métiers "bourgeois" (potier d'étain, pelletier, mégissier, orfčvre, peintre, sculpteur, vitrier, verrier)
parvinrent en revanche ŕ imposer leur monopole citadin sur le territoire des cantons corporatifs et
patriciens et ŕ bloquer l'exportation des matičres premičres ŕ la campagne. La colčre contre
l'oppression exercée par les villes sur l'artisanat rural se manifesta notamment dans les villages
schaffhousois en 1790 et sur les rives du lac de Zurich en 1794.
Artisanat
6- Un bastion masculin
Alors que dans le monde rural, le bénéficiaire d'une tenure pouvait ętre aussi bien une femme
qu'un homme, il en alla tout autrement dans les villes européennes oů l'artisanat devint un
bastion masculin et fortement misogyne. Au début du Moyen Age, les femmes avaient encore
accčs aux métiers du cuir, de la fourrure et des textiles, mais elles en furent bientôt exclues. Les
corporations décrétčrent que seuls les hommes seraient admis ŕ la maîtrise. Dans les ateliers ne
travaillaient, officiellement du moins, que des hommes: maître, compagnons et apprentis. Les
tisserands mis ŕ part, on ne formait que des artisans de sexe masculin. Le droit corporatif ne
tolérait le travail féminin qu'en cas de décčs du maître. La veuve ne pouvait cependant diriger
l'atelier qu'en attendant que son fils fűt en âge de le reprendre. Ainsi son rôle se bornait lŕ encore
ŕ maintenir la prérogative de l'homme.
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Quand la tarification des prix et salaires par l'autorité eut entraîné, ŕ partir de la crise des années
1690, une paupérisation rampante de l'artisanat, de nombreux artisans des villes retombčrent
dans les couches moyennes ou inférieures de la société. Ceux de la campagne ne se retrouvčrent
souvent gučre mieux lotis que les journaliers et les gâte-métiers. A tel point qu'au XVIIIe s., la
limitation des entreprises ŕ trois ou quatre emplois parut elle-męme dépassée. Męme en ville, les
ateliers commencčrent ŕ ne plus compter de compagnons étrangers, sans se réduire pour autant
au seul patron. Les statuts corporatifs ne disent mot en effet de la collaboration de l'épouse et des
enfants. Fils et filles fournissaient le travail d'un apprenti ou d'un compagnon. Dans les métiers
"pauvres", les ateliers devinrent des Entreprises familiales peu coűteuses, privées désormais des
compagnons étrangers qui avaient incarné l'internationalité de l'artisanat. Sous l'Ancien Régime,
l'humeur voyageuse du Moyen Age finissant fut progressivement étouffée. La Réforme frustra
d'abord les compagnons du libre choix de leur itinéraire, puis la peur de la concurrence les rendit
sédentaires. Et surtout, de nombreux jeunes se virent retenus des années durant dans l'entreprise
paternelle pour servir de main-d'oeuvre bon marché jusqu'au moment oů ils seraient en mesure
de "racheter" leur voyage pour ouvrir enfin leur propre atelier. Réduits ŕ employer des enfants,
les patrons formčrent męme leurs filles au métier, sans qu'elles bénéficient il est vrai du statut
d'apprenties, qui leur aurait permis d'exercer un travail indépendant au décčs de leur pčre. Les
travailleuses célibataires étaient persécutées par les corporations et réduites ŕ mendier en dépit de
leurs compétences professionnelles. Les femmes n'avaient droit qu'ŕ la lingerie et au tissage;
mais les tisserands les toléraient seulement et les écartaient de leur organisation.
Artisanat
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économiques devaient transformer au XVIIIe s. l'ancienne fierté professionnelle des artisans des
villes et campagnes en un orgueil de caste occupé de futilités.
L'impression d'un déclin de l'artisanat sous l'Ancien Régime que pourraient donner ces
incessantes récriminations est toutefois fausse. Dans les campagnes, les professions non
agricoles, artisanales comprises, sont abondamment représentées ŕ la fin du XVIIIe s. S'élevant,
selon les régions, ŕ 20-40% de la population active (18% dans l'Unterland zurichois, 37% dans
les campagnes bernoises), elles ont une importance économique certaine. Nombre d'entre elles,
surtout dans la construction et l'artisanat d'art, ont laissé des oeuvres d'un haut niveau. Il n'en est
pas moins indubitable que l'excčs de mesures protectrices a empęché pour une large part
l'artisanat de se moderniser.
Artisanat
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1895 l'accéléra. Il s'étendit finalement ŕ l'organisation politique, ŕ une réforme de l'apprentissage
et ŕ une réorientation complčte.
Comme il apparaissait clairement que l'industrie était en train de supplanter l'artisanat, ce dernier
se chercha des alliés et décida de se rapprocher ŕ petits pas du commerce de détail, de l'
Hôtellerie , du secteur des Services et de quelques branches industrielles. Ce rapprochement
influença du reste la langue: alors qu'en allemand, on avait distingué pendant trois sičcles
Handwerk (artisanat) de Gewerbe (commerce), les deux termes se confondirent désormais. La
nouvelle politique se traduisit pendant plusieurs décennies par une vague de fondations
d'associations professionnelles locales et d'organisations d'entraide (coopératives d'achat ou
commerciales, fiduciaires, services de comptabilité ou de conseil d'entreprises, caisses de
compensation et caisses maladie). En męme temps, la formation des artisans optait pour le
"systčme dual" alliant ŕ l'apprentissage pratique dans une entreprise l'enseignement théorique
d'une école professionnelle. Ce systčme est aujourd'hui complété par des cours d'introduction
(obligatoires depuis 1980) et une formation complémentaire menant ŕ la maîtrise ou ŕ une école
professionnelle supérieure (loi fédérale de 1997).
La fondation de l' Union suisse des arts et métiers (USAM) (1879) et des unions cantonales
coiffant les organisations locales marqua des étapes décisives dans cette nouvelle ligne. Elle
permit ŕ l'artisanat et au petit commerce de se faire entendre dans les assemblées politiques, au
męme titre que les associations ouvričres, patronales ou paysannes. L'espoir d'un retour aux
corporations obligatoires et aux entraves ŕ la concurrence n'était pas mort pour autant, se
ranimant ŕ l'occasion des crises ou lorsqu'une profession était menacée. Ce fut le cas dans les
années 1933-1935 avec le projet d'"ordre corporatif" ( Corporatisme ) et en 1954 avec l'appel des
cordonniers, coiffeurs, selliers et charrons demandant la protection de l'Etat sous la forme d'un
certificat de capacité obligatoire. Ces deux tentatives furent rejetées par le peuple.
La liberté du commerce et de l'industrie n'alla donc pas de soi pour l'artisanat suisse qui s'était
inspiré durant des sičcles des usages et réglementations de l'Empire et qui ne s'écarta de ce
modčle qu'au XIXe s. Alors qu'en Allemagne, les organisations artisanales réussissaient ŕ obtenir
pas ŕ pas une restauration des corporations et des entraves ŕ la concurrence, l'artisanat suisse resta
déréglementé, sans protection contre la concurrence, sans organisation contraignante, sans
obligation de maîtrise ni limitation des domaines d'activité.
Artisanat
a
En milliers (chiffres arrondis)
b
Secteurs secondaire et tertiaire, sans administration publique
c
1-9 personnes
Sources: Les arts et métiers en Suisse, 1979, 14, 278; Recensement des entreprise
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La haute conjoncture d'aprčs 1950 imprima un essor inattendu aux arts et métiers. Les
professions artisanales s'ouvrirent aux femmes ( Travail féminin ). Des changements divers
touchčrent la taille des entreprises et leur mécanisation; d'oů le passage bien connu du
systčme de l'exploitation artisanale et du commerce de détail ŕ celui de la production
industrielle et de la grande distribution. Comme le terme Gewerbe n'a pas de définition
précise en Suisse et que les statistiques ne font pas de distinction entre entreprises
artisanales et industrielles, il faut s'en tenir aux grandes lignes de l'évolution. Aprčs 1950,
la dimension moyenne des établissements, compte non tenu des fléchissements passagers
intervenus dans les décennies 1970 et 1990, est en phase d'augmentation (7 personnes en
1955, 9,5 en 1965, 9 en 1975, 11 en 1985, 8 en 1991, 10 en 1995). La part des petites
exploitations a diminué entre 1955 et 1995 ("mort du petit commerce", etc.), cependant que
le nombre d'entreprises individuelles recommençait ŕ croître ŕ la faveur d'un renversement
de tendance. De męme, on note une réduction du nombre d'hommes et de femmes employés
dans les petits établissements, suivie cependant d'une nouvelle augmentation ŕ partir de la
décennie 1970. Comme les métiers artisanaux se partagent aujourd'hui entre les arts et
métiers, l'industrie et les services, ils participent également au recul général du secteur
secondaire au bénéfice du tertiaire.
A partir de 1950 au plus tard, l'artisanat a cessé de jouir d'une existence propre en Suisse.
Comme pour l'industrie et les services, c'est d'une transformation permanente des
structures et d'une adaptation rapide aux progrčs techniques que dépend la réussite
économique de chaque entreprise.
Corporations
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Les corporations médiévales ne se confinaient pas au cadre local. Elles formaient de vastes
associations d'artisans qui s'étendaient par exemple ŕ tout le Rhin supérieur ou moyen; elles
envoyaient des délégués aux rencontres qui se tenaient aussi dans de petites villes comme
Laufenburg ou Baden. Les débats portaient sur des accords économiques, sur les rčglement
corporatifs et, surtout dans la région du Rhin supérieur, sur la stratégie ŕ adopter face aux
revendications des compagnons, lesquels s'organisaient aussi pour échanger des informations sur
la situation et sur les agissements des maîtres. Il existait par exemple de telles associations chez
les potiers (le chevalier bâlois Henman Offenburg reçut en fief de l'empereur, en 1435, la
fonction de "chef de la ligue des potiers des villes et campagnes entre Ravensburg et
Strasbourg"), les charpentiers, les charrons et les tailleurs de pierre, ainsi que pour les bonnetiers
(dčs le XVIe s.) et pour les rétameurs qui, trčs dispersés géographiquement, se rassemblaient en
"cercles". Les divisions confessionnelles semblent avoir eu raison de ces associations aux XVIe-
XVIIe s.
Corporations
2- Epoque moderne
A la Réforme, les antagonismes religieux vinrent s'ajouter aux vieilles oppositions économiques:
dans beaucoup de cas, en particulier ŕ Bâle et Zurich, les simples artisans, en majorité favorables
ŕ la nouvelle foi, se dressčrent contre les autorités fidčles au catholicisme, issues de la classe des
marchands et artisans aisés. A Bâle, les premiers firent abolir ŕ cette occasion la possibilité
d'appartenir ŕ plusieurs corporations - ŕ l'une comme personne physique (Leibzünftigkeit), ce qui
impliquait la participation aux services obligatoires (guet, lutte contre le feu, armée), et ŕ d'autres
ŕ titre spirituel (Seelzünftigkeit), ce qui donnait accčs ŕ leurs activités religieuses et
confraternelles. Cette pratique avait permis aux membres "physiques" des corporations
privilégiées (Herrenzünfte: négociants, épiciers, marchands de vin, changeurs et orfčvres) de
prendre le contrôle sur les corporations d'artisans et donc sur le Conseil; tous les dirigeants
économiques et politiques sortaient de ce milieu.
Les corporations tenaient pour essentielles leurs activités sociales et caritatives. On se rencontrait
dans leurs maisons et Trinkstuben soit salles ŕ boire, dont l'emplacement, l'architecture, le décor,
le mobilier et l'argenterie exprimaient la richesse et le prestige des propriétaires. Les banquets
rituels, fętes et cérémonies officielles renforçaient la solidarité interne et permettaient d'affirmer
face ŕ l'extérieur une identité forte. Visible lors des grandes processions, réceptions princičres,
prestations de serment, lors des fętes de tir et visites confédérales, l'ordre de préséance des
corporations dépendait de leur ancienneté ou de leur prestige. Des difficultés économiques et le
déclin de certains métiers au XVIe s. accentučrent les tendances ŕ la fermeture apparues au bas
Moyen Age. Les candidats potentiels ŕ la maîtrise se virent opposer des barričres financičres et
idéologiques. Strictement observés depuis la Réforme, les critčres de naissance légitime et
d'"honorabilité" excluaient des corporations les enfants nés hors mariage, ceux dont les parents
ou les grands-parents portaient cette tache, ceux dont le pčre exerçait un "vil" métier (bourreaux,
équarrisseurs, fossoyeurs, voire, en certains temps et lieux, baigneurs, bergers et tisserands de
toile), ceux issus d'adeptes d'une autre confession, de non-bourgeois ou - en pays germanophone
- de "Welsches", ainsi que les juifs. Ces critčres limitaient le cercle des filles et femmes qu'un
futur maître pouvait songer ŕ épouser. Les effectifs des corporations restčrent faibles de ce fait et
aussi en raison des frais imposés au compagnon qui voulait ętre reçu ŕ la maîtrise (exécution d'un
chef-d'oeuvre, droit d'entrée, banquet, vin d'honneur, don ŕ la confrérie).
Les veuves des maîtres et leurs filles jouissaient de certains droits. La veuve pouvait remplacer le
défunt pour quelque temps, mais on attendait d'elle qu'elle transmette l'atelier soit ŕ un nouveau
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mari - s'il appartenait ŕ la męme corporation -, soit ŕ son fils, de maničre ŕ rétablir l'état normal
des choses. La Confédération n'a pas eu de vraies corporations féminines telles qu'on en connaît
dans les métiers du textile ŕ Paris, Cologne et Nördlingen (des maîtresses y formaient les
apprenties, tandis que leurs maris s'occupaient d'acheter les matičres premičres et d'écouler la
production). A la fin du Moyen Age, on se mit ŕ bannir les femmes, męmes les propres filles des
maîtres, des activités artisanales. Les compagnons refusaient de travailler avec des femmes ou
pour les maîtres qui en formaient. Ils menaçaient de boycotter ces patrons afin de les dissuader
de recourir ŕ des femmes et ŕ des apprentis, moins bien payés. Leur attitude reflčte
indubitablement une situation de concurrence économique; elle révčle aussi d'une part la
conviction que le travail féminin a moins de valeur que celui des compagnons, dont la qualité
était reconnue par des rituels et des procédures de droit public, d'autre part un attachement aux
valeurs masculines et ŕ leurs formes d'expression collective.
Des rites précis marquaient le passage de l'état d'apprenti ŕ celui de compagnon, puis de maître.
Mais les inégalités sociales qui se creusaient dans les villes du bas Moyen Age changčrent les
structures corporatives et les conditions d'exercice des métiers. Souvent les compagnons ne
trouvaient plus de place de maître et devaient se contenter de leur état. S'ils acceptaient un
ouvrage hors métier, si par exemple ils faisaient les moissons pour gagner quelque argent, ils
portaient atteinte ŕ l'honneur de la corporation et risquaient d'en ętre exclus. Des maîtres
tombaient dans la dépendance de marchands ou de collčgues plus riches pour lesquels ils
travaillaient. Beaucoup allčrent donc s'établir ŕ la campagne, oů ils pouvaient produire ŕ
moindres frais, mais en tentant de garder leur clientčle. En se retirant de leur corporation, ils
échappaient aux taxes et services (guet), mais perdaient aussi une protection. En outre, aux
alentours des villes corporatives, ils étaient considérés comme des gâte-métiers, des concurrents ŕ
abattre.
L'écart entre maîtres riches et pauvres favorisa la formation de dépendances et de liens
clientélaires passant par la sous-traitance. Avec la Protoindustrialisation , la fabrication tendit ŕ se
déplacer ŕ la campagne, surtout dans le textile et dans l'horlogerie. Dčs le XVIe s., les
corporations urbaines durent affronter la concurrence du Verlagssystem (plus tard celle de la
Manufacture ), organisé ŕ la campagne par des marchands-entrepreneurs et par leurs propres
membres, qui non seulement échappaient ainsi aux rčgles corporatives et aux contrôles de qualité
(inspections officielle et corporative), mais trouvaient sur place une abondante main-d'oeuvre ŕ
bon marché, hommes, femmes et enfants, qualifiés ou non. Cette tendance se renforça au XVIIIe
s., mais sans remettre en question le systčme corporatif.
Corporations
3- XIXe sičcle
La République helvétique abolit en 1798 l'obligation de faire partie d'une corporation pour
exercer un métier. Elle desserra le carcan protectionniste, supprima les privilčges corporatifs et,
męme si elle ne voulait pas renoncer ŕ toute rčgle dans ce domaine, proclama la Liberté du
commerce et de l'industrie , afin de créer un ordre économique moderne qui ne soit plus fondé
sur des prérogatives d'état. Mais ce grand tournant ne fut qu'un intermčde. En 1803, les cantons
de Zurich, Bâle, Schaffhouse et Soleure rétablirent les corporations. En revanche, la liberté
républicaine se maintint dans ses grandes lignes en Suisse romande. La Restauration de 1815
remit en vigueur le systčme corporatif dans la plupart des cantons, mais sans lui rendre le
pouvoir politique. Le pouvoir économique lui échappera lors des réformes constitutionnelles des
années 1830, dans les cantons de Schaffhouse (1831/1834), Bâle-Campagne (1832), Soleure
(1834) et Zurich (1830/1837), mais ŕ Bâle-Ville en 1874 seulement, aprčs reconnaissance de la
liberté générale d'association et inscription de la liberté du commerce dans la Constitution
fédérale.
14
Certaines corporations se sont maintenues, sous la forme de Sociétés amicales et de bienfaisance,
ou sous celle de clubs de prestige jouant encore un rôle important, comme on le voit au
Sechseläuten de Zurich. La disparition du systčme corporatif fit la fortune d'entrepreneurs établis
dans des villages et bourgades, actifs surtout dans le textile. Mais elle entraîna aussi la
paupérisation de beaucoup d'ouvriers, livrés au jeu de l'offre et de la demande. Ce n'était plus
seulement, comme dans le Verlagssystem, les fileurs et les tisserands qui souffraient des bas
salaires. La Formation professionnelle , autrefois tâche centrale des corporations, fut assumée par
les nouvelles écoles spécialisées, quoique les entreprises continuent ŕ former des apprentis. Des
associations professionnelles municipales et cantonales, l' Union suisse des arts et métiers
(USAM) , (1879) et d'autres institutions reprirent dans la seconde moitié du XIXe s. les fonctions
des corporations dans la représentation des intéręts des artisans et la défense de leurs idées sur le
plan politique.
Artisanat
1- Origines
On peut supposer que la tradition artisanale la plus ancienne sur le territoire de la Suisse actuelle
remonte ŕ la préhistoire et qu'elle concernait essentiellement le travail des métaux ( Artisanat des
métaux ). Les fouilles archéologiques ont mis au jour des ateliers (vers 300 av. J.-C.) dans les
oppida celtes, tel celui de la presqu'île d'Enge ŕ Berne. Tourné vers l'exportation, le travail du
verre se distingue des diverses productions de cette époque par sa qualité d'un haut niveau. Dans
la Suisse gallo-romaine (Ier s. av. J.-C. au Ve s. apr. J.-C.), un artisanat nourri des traditions
romaines se répandit dans tous les territoires colonisés. Dans les civitates et dans les vici, dans
les castra, des artisans façonnant le métal, le verre, la céramique, le bois, la pierre, le cuir ou
créant des objets d'art travaillaient pour la clientčle locale et parfois lointaine (bronziers). Cette
production est attestée par des vestiges archéologiques, des inscriptions et des témoignages
littéraires. Aprčs les grandes invasions, seul l'artisanat de pointe (orfčvrerie, armurerie, métiers
d'art) capable de rivaliser avec ses modčles romains ou byzantins parvint ŕ survivre dans les
anciennes cités, dans les cours ou dans les couvents. Pour le reste, la plupart des activités
artisanales, męme celles nécessaires aux grands domaines médiévaux, n'occupčrent
qu'accessoirement une population vouée en priorité aux travaux des champs ( Agriculture ).
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F1395
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2- Une forme économique novatrice:174.ht
l'artisanat dans la ville médiévalemlF13
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Artisanat
Artisanat
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Conséquence de la formation accélérée d'Etats territoriaux autour des villes, la crise de
l'économie urbaine ŕ la fin du Moyen Age marque une premičre fracture. Dans les années 1460,
des signes de dépression et des menaces de concurrence se multipličrent. A Lucerne (1463/1471),
Zurich (années 1460), Berne (1464/1467) et Fribourg (1505), les artisans tentčrent d'éliminer par
des décrets l'artisanat rural et les marchés campagnards, considérés jusqu'alors comme
insignifiants, pour s'assurer le monopole des activités artisano-commerciales. Politique restée
inopérante: ŕ Zurich, elle fut balayée en 1489 par le soulčvement paysan contre Hans Waldmann.
En revanche les tensions sociales ŕ l'intérieur męme de l'artisanat citadin eurent un effet plus
durable. De grandes entreprises (comptant de nombreux compagnons, apprentis et manoeuvres)
florissaient ŕ côté de "pauvres" maîtres ŕ court de commandes. Ces derniers voyaient dans le
cumul de la production et du commerce pratiqué par les artisans "riches" la cause de leurs
malheurs et n'attendaient de salut que dans le partage "équitable", c'est-ŕ-dire égalitaire, du
travail, des revenus et des charges. Leur revendication d'un ordre économique "juste" s'inspirait
de courants socio-religieux apparus dans les villes d'Empire. Ici comme lŕ-bas, il en résulta une
réglementation dirigiste des activités économiques.
Le nouveau systčme s'édifia par étapes, comme dans les cités rhénanes. Bâle, Zurich et Lucerne
prirent les devants au cours de la seconde moitié du XVe s.; les autres villes, tant corporatives
que patriciennes, suivirent aux XVIe-XVIIe s. Les diverses régulations furent édictées ŕ l'occasion
d'effondrements économiques, surtout lors des récessions des années 1460, des décennies 1560-
1580 et de la période qui suivit 1690. Elles subsistčrent la crise passée. Dirigées contre la liberté
d'entreprise héritée du Moyen Age, elles rétrécirent peu ŕ peu le champ d'action des artisans.
Ainsi l'interdiction, prononcée pour la premičre fois ŕ Bâle en 1491, de cumuler les "petits" et les
"grands" métiers, l'artisan ne pouvant vendre que ses propres produits et le commerçant ne
pouvant en fabriquer. S'y ajouta celle de s'associer dans le petit commerce ou d'exploiter ŕ
plusieurs un męme atelier, męme entre pčre et fils; puis aux XVIe-XVIIe s., l'obligation de s'en
tenir ŕ de petites entreprises ne comptant pas plus de trois ou quatre emplois et le
contingentement des matičres premičres: céréales pour les boulangers, bétail pour les bouchers,
tan et peaux pour les tanneurs ( Boulangerie , Boucherie , Tannerie ). Chaque métier se voyait
assigner des activités sévčrement délimitées pour éviter toute concurrence. Les entraves ŕ cette
derničre eurent pour corollaire de privilégier les seuls membres des corporations et d'entraîner
des poursuites ŕ l'encontre des étrangers non affiliés, des artisans des campagnes et des
colporteurs. Les maîtres établis étaient chargés par les autorités de définir les normes de qualité
et d'en vérifier le respect, celles-ci se réservant la fixation et la surveillance des prix et salaires. A
partir des XVIe-XVIIe s., chaque corps de métier disposa d'un rčglement professionnel approuvé
par le Conseil.
En Suisse romande, les corporations et rčglements de métiers n'apparaissent qu'au XVIe s.: ŕ
Genčve, sous la pression des autorités et ŕ la requęte des réfugiés huguenots, alors que Neuchâtel
et Lausanne s'inspiraient du modčle des villes alémaniques. Dans l'ensemble, l'histoire de
l'artisanat de la Suisse de langue française reste peu connue, les chercheurs ayant privilégié
jusqu'ici les branches tournées vers l'exportation, telles que les textiles, l'horlogerie ou l'artisanat
d'art ŕ Genčve, les mines et la sidérurgie ŕ Neuchâtel, secteurs relevant davantage de la
Manufacture et de l'industrie que de l'artisanat. Si la Suisse méridionale a produit des artisans de
renommée européenne -- architectes, maçons, tailleurs de pierre, stucateurs, etc. -- que le manque
de commandes contraignit ŕ émigrer vers l'étranger ( Maestranze ) oů ils formčrent leurs propres
corporations (comme, par exemple, les confréries lombardo-suisses d'artisans du bâtiment dans
toute l'Europe au XVIe s.), l'artisanat resta en grande part inorganisé au Tessin męme.
Ce qui est certain, c'est que la réglementation ne parvint pas ŕ imposer l'"ordre juste" escompté.
Sous l'Ancien Régime, il y eut avant comme aprčs des maîtres riches et des maîtres pauvres, des
métiers lucratifs comme forgeron, pelletier, tanneur, teinturier ( Teinturerie ), meunier, lesquels
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avaient su se réserver le négoce des matičres premičres, et des métiers "pauvres" fortement
encombrés, tels que tailleur, cordonnier, menuisier, charpentier, cordier ou tisserand. Les
nouvelles dispositions apportčrent certes dans un premier temps un élan ŕ l'artisanat (notamment
les hausses des décennies 1620-1640 et 1660-1670), mais l'interdiction de commercer et la
limitation ŕ de petites entreprises eurent pour conséquence inéluctable l'apparition aux XVIe et
XVIIe s. de nouvelles formes de production telles que la manufacture et l'industrie rurale
dispersée ( Verlagssystem ), en dehors de l'artisanat et finalement en concurrence avec lui.
Les rčglements ne réussirent pas ŕ empęcher la société et les techniques d'évoluer. Les armuriers,
fabricants d'arcs ou d'arbalčtes médiévaux furent éliminés aux XVe-XVIe s. par les fabricants
d'arquebuses, de carabines et de canons. A partir du XVIe s., on eut besoin de papetiers plutôt que
de parcheminiers. La croissance démographique et l'augmentation de la demande firent naître au
XVIIe s. de nouveaux métiers: boutonnier, peignier, chaussetier et faiseur de bas, fabricant de
forets, cloutier, perruquier, relieur, horloger, facteur d'orgues. Apparus dans les villes, ceux-ci ne
tardčrent pas ŕ gagner aussi les villages.
Artisanat
4- La formation
La formation englobant l' Apprentissage et le compagnonnage fut réglementée sur le modčle
allemand ŕ partir de la fin du XVe s. chez les selliers, les chaudronniers, les fabricants de poęles
et autres, avant d'ętre généralisée au XVIe s. Elle était assurée par les corporations.
L'apprentissage était précédé d'une période d'essai, au bout de laquelle le candidat était
formellement embauché comme apprenti en présence de la maîtrise. L'apprentissage achevé, le
maître "acquittait" son apprenti devant le męme collčge et l'envoyait accomplir son tour de
compagnonnage. La réglementation ne déterminait que les grandes lignes (trois ou quatre ans
d'apprentissage), les détails (durée précise, frais d'apprentissage, vivre et couvert chez le maître)
étant ŕ fixer dans un contrat privé. Ce n'est qu'au XVIIe s. que plusieurs années de voyage furent
exigées pour l'accčs ŕ la maîtrise, sans laquelle l'exercice d'une profession indépendante était
exclu. La présentation d'un chef-d'oeuvre et le passage d'un examen n'étaient en revanche pas
requis dans tous les métiers.
La formation obligatoire était un moyen de réduire la concurrence. En temps de crise, l'artisanat
ralentissait la relčve (un seul apprenti par atelier, voire arręt total du recrutement), rendait
l'apprentissage plus long et plus coűteux et l'accčs ŕ la maîtrise plus difficile. Il favorisait les fils
des maîtres et écartait sans recours les indésirables, c'est-ŕ-dire les enfants illégitimes et ceux
dont le pčre pratiquait un métier considéré comme infamant ( Vils métiers ).
Apprentissage
Le terme d'apprentissage désigne généralement en Suisse la formation aux métiers du commerce,
de l'industrie, de l'artisanat et de l'agriculture, accomplie pour l'essentiel dans une entreprise. Les
apprentis passent ainsi la plus grande partie de leur temps dans l'établissement, l'usine ou l'atelier.
La formation fait directement partie du travail quotidien productif, elle est axée sur la pratique et
résulte la plupart du temps d'une coopération avec des professionnels expérimentés. Elle a pour
principe le comportement imitatif: l'apprenti assimile une activité, en général manuelle, que lui
montre un adulte, idéalement le maître (ou la maîtresse) d'apprentissage. Elle échappe donc
largement ŕ la formalisation. Elle permet ŕ l'apprenti, tout en l'intégrant socialement, d'acquérir
de l'expérience, des connaissances sur la profession et sur l'entreprise (dont certaines dépassent le
cadre de son activité quotidienne) et des savoir-faire, sans compter, ce qui est important et fait sa
spécificité, les habitudes et les comportements propres au métier.
18
L'apprentissage moderne est issu de celui pratiqué dans les villes européennes au Moyen Age.
Chaque métier, chaque Corporation obéissait ŕ des coutumes locales qui influençaient la
formation ( Artisanat ). L'apprenti vivait le plus souvent sous le męme toit que son maître et
faisait en quelque sorte partie de la famille. Ses parents devaient payer une somme qui variait
considérablement selon la profession choisie et la réputation de la corporation. L'apprentissage,
qui durait trois ou quatre ans, se terminait par un examen. Le candidat reçu avait alors en main
un certificat qui en faisait un Compagnon et lui permettait d'ętre admis dans le métier. Cet
"affranchissement" était souvent lié ŕ une cérémonie d'initiation, sorte de baptęme.
Pour beaucoup d'apprentis, l'état de compagnon représentait l'achčvement de la formation.
L'obtention de la maîtrise, indispensable pour s'établir ŕ son compte, ne dépendait pas seulement
d'un compagnonnage de plusieurs années suivi d'un examen -- avec présentation éventuelle d'un
chef-d'oeuvre -- devant la corporation, mais aussi du fait que les maîtres limitaient
volontairement le nombre des ateliers. A partir du XVIIe s., la durée de l'apprentissage et du
compagnonnage fut augmentée et l'examen de maîtrise rendu plus difficile. Ces mesures
assuraient la qualité des produits, mais réduisaient aussi le nombre des entreprises d'une région
ou d'une ville et éliminaient les concurrents potentiels. Ce double objectif est ŕ l'origine des
conflits qui opposčrent compagnons et maîtres, membres des corporations et non-membres, les
corporations entre elles ou les corporations aux pouvoirs publics.
Un apprentissage simplifié, moins cher et moins long, échappant au contrôle des corporations, fit
concurrence dčs le XVIIe s. ŕ l'apprentissage traditionnel. Initialement pratiqué dans les métiers
non réglés, moins bien considérés, il se répandit toujours plus dans les campagnes oů fleurissait
le travail ŕ domicile, dans des activités comme le tissage, le tressage de la paille ou le tricotage de
bas. Au XIXe s., les fabriques renoncčrent ŕ toute forme d'apprentissage. Lorsque l'essor
industriel et le libre-échange entraînčrent la mévente des produits artisanaux, peu compétitifs, les
artisans furent lents ŕ comprendre que, pour concurrencer l'industrie et l'étranger, il leur fallait
améliorer la qualité en perfectionnant la formation.
La réforme fut longue ŕ réaliser. Lorsque, ŕ la fin des années 1820, la Société suisse d'utilité
publique discuta de participation sociale et politique, d'intégration, de cours complémentaires,
tant les artisans que leurs sociétés cantonales et la Société suisse des arts et métiers (1849-1864)
se raidirent dans leur refus, prétextant le danger de la concurrence. Ce ne fut qu'aprčs 1870 que
les corps de métiers acceptčrent les idées nouvelles, sous l'impulsion décisive de l'Association
suisse des arts et métiers -- aujourd'hui Union suisse des arts et métiers (USAM) -- fondée en
1879. Le modčle de l'apprentissage, dont le principe est encore largement appliqué de nos jours,
finit par s'imposer dans les années 1880. Comme l'école primaire, il fut influencé par les
examens pédagogiques des recrues introduits en 1875, dont il reprit la matičre: en plus de
l'apprentissage pratique dans l'entreprise, il prévoyait une formation théorique dans des cours
complémentaires (futures écoles professionnelles) qui dispensaient notamment l'instruction
civique, répétaient le programme de l'école primaire, tout en y ajoutant des branches spécifiques,
telles que le dessin et les connaissances propres ŕ chaque métier ( Formation professionnelle ).
L'arręté fédéral de 1884 sur les subventions aux établissements de formation professionnelle
permit de développer un systčme double (dit "dual"), ŕ savoir le travail dans l'entreprise,
complété par des cours dans une école professionnelle ou une école des arts et métiers.
Dans le but de conserver tout ŕ la fois l'apprentissage traditionnel chez un maître et de
moderniser la formation aprčs l'école obligatoire, les associations professionnelles et les partis
politiques demandčrent ŕ l'unisson l'intervention de l'Etat: soutien aux cours complémentaires,
création de nouvelles institutions telles que des ateliers publics qui offriraient une formation de
base dans un établissement scolaire. Ils réclamčrent aussi des musées des arts et métiers. Enfin,
ils souhaitaient que l'Etat réglemente la formation professionnelle au niveau national et surveille
les conditions d'apprentissage. Il fallut attendre la loi fédérale de 1930 pour que fussent enfin
19
imposés, pour les professions artisanales, industrielles et commerciales, un contrat-type
d'apprentissage et l'obligation d'avoir suivi les cours d'une école professionnelle pour se présenter
ŕ l'examen final. La loi fut révisée en 1963 et en 1978, ŕ chaque fois pour améliorer et valoriser
l'apprentissage sans toucher ŕ ses aspects fondamentaux. Le systčme, qui nécessite la
collaboration de divers acteurs -- associations professionnelles, Etat, école, entreprises, parents et
apprentis --, a fait preuve de sa valeur au point de s'ętre maintenu, certes sous une forme
modifiée et toujours plus scolaire, jusque dans la société postindustrielle.
Sources: OFS
Bibliographie
-G. Frauenfelder, Geschichte der gewerblichen Berufsbildung der Schweiz, 1938
-K. Stratmann, Die Krise der Berufserziehung im 18. Jh. als Ursprungsfeld pädagogischen
Denkens, 1967
-L. Mottu-Weber, «Apprentissage et économie genevoise au début du XVIIIe s.», in RSH,
20, 1970, 321-353
-P. Gonon, A. Müller, Öffentliche Lehrwerkstätten im Berufsbildungssystem der Schweiz,
1982
-E. Wettstein, Die Entwicklung der Berufsbildung in der Schweiz, 1987
-J.-P. Tabin, Formation professionnelle en Suisse, 1989
-E. Fallet, A. Cortat, Apprendre l'horlogerie dans les Montagnes neuchâteloises 1740-1810,
2001
Philipp Gonon/AN
Compagnons
C'est au XVe s. que le mot "compagnon" (ŕ l'origine "celui qui mange le męme pain") a pris le
sens d'"ouvrier qui a fini son apprentissage"; il succédait dans cette acception au terme "valet".
L'équivalent allemand fut d'abord Knecht, qui désignait aussi les Domestiques , également
dépendants, salariés, nourris et logés, puis Geselle. Vers 1500, ce dernier terme était réservé, en
Suisse alémanique, aux maîtres artisans groupés en "sociétés" (Gesellschaften), mais il
s'appliquait déjŕ, dans les villes d'Allemagne, aux simples compagnons réunis en groupements
professionnels. Cet usage passa en Suisse au cours du XVe s. et s'imposa définitivement dans la
seconde moitié du XVIe.
Dans l' Artisanat , la division en apprentis, compagnons et Maîtres existe depuis le Moyen Age.
Aprčs une période d' Apprentissage , on accédait au statut de compagnon, souvent au cours d'une
cérémonie rituelle; puis venaient l'affiliation ŕ une Corporation et l'installation comme maître. Au
XIVe s., les compagnons de 15 ŕ 25 ans prirent conscience de leur identité sociale et se
distancičrent des autres groupes de salariés, tels les journaliers, les manoeuvres, les domestiques,
20
les employés municipaux. Les compagnons se distinguaient en outre par leur mobilité, leur
célibat et leurs organisations couvrant de vastes territoires. Ils faisaient généralement partie d'une
Confrérie : ces institutions, connues depuis le milieu du XIVe s. dans la haute et moyenne vallée
du Rhin, organisaient les funérailles et les messes anniversaires de ses membres défunts.
S'entraidant en cas de maladie ou s'ils tombaient dans l'indigence, les groupes de compagnons
disposaient souvent de leur caisse de secours et d'un ou deux lits acquis dans les hôpitaux
municipaux. En męme temps, ils se rassemblaient dans des associations régionales et
suprarégionales qui favorisaient l'échange d'informations et la mise au point d'actions concertées
ŕ vaste échelle contre les maîtres artisans et les autorités, afin de mieux soutenir leurs
revendications. L'itinérance des compagnons est attestée depuis le XIVe s. Elle répondait ŕ une
demande de main-d'oeuvre qualifiée et provoqua une diffusion rapide des connaissances
professionnelles. Au XVIe s., pour soulager le marché du travail et lutter contre le chômage
structurel, on prolongea la durée du tour et on le rendit obligatoire. Il touchait plus les villes que
les campagnes, oů les entreprises employaient rarement des compagnons étrangers. Selon les
branches, le rayon migratoire était plus ou moins grand. Les Alémaniques servaient fréquemment
dans les villes impériales d'Allemagne. Aprčs la Réforme, les compagnons ne purent plus
s'engager dans des lieux dont ils ne partageaient pas la confession, ce qui contribua au déclin de
leurs associations suprarégionales. A partir du XVIe s., une "xénophobie" grandissante poussa les
corporations ŕ se refermer sur elles-męmes, ce qui eut pour effet de freiner la mobilité des
compagnons.
Au bas Moyen Age, les rôles fiscaux et les listes d'habitants de Nuremberg, Strasbourg, Bâle et
Fribourg-en-Brisgau permettent d'établir que les compagnons et les servantes représentaient un
quart environ de la population de ces villes. Les ateliers étaient de taille modeste. Sauf dans
l'imprimerie, un maître employait rarement plus d'un ou deux compagnons; il semble que le tiers
ou la moitié des maîtres travaillaient seuls. La majorité des compagnons et des apprentis vivaient
dans la maison du maître, sous sa responsabilité. Il n'avait toutefois pas le droit de les punir
corporellement. Les normes des corporations ne prévoyaient pas le mariage des compagnons et
rendaient parfois plus difficile aux mariés l'accčs ŕ la maîtrise; cependant, les compagnons
tisserands, vignerons et ceux du bâtiment s'affranchirent trčs tôt de l'obligation d'habiter chez
leur maître et vécurent, conjugalement le plus souvent, dans leur propre logis. Les rapports entre
maître et compagnon reposaient sur une base assez libre. Le concept médiéval d'obligation
réciproque impliquait l'obéissance et la fidélité des compagnons (comme des apprentis et des
domestiques); le maître, de son côté, leur devait assistance en cas de maladie. Les compagnons
pouvaient faire partie de la corporation de leur patron, avec des droits restreints.
Au bas Moyen Age et ŕ l'époque moderne, les compagnons, grâce aux bons systčmes de
communication et aux mécanismes de représailles de leurs organisations, devinrent une force
politique, capable męme de prendre part ŕ des émeutes. On suppose qu'ils profitčrent du manque
de main-d'oeuvre dű aux ravages de la peste pour faire passer leurs revendications, lors d'une
premičre vague d'actions collectives qui s'étendit de 1348 ŕ 1421. Les conflits débutčrent chez les
meuniers et tisserands des villes du Rhin (Fribourg-en-Brisgau, Bâle, cités alsaciennes), suivis de
soulčvements des compagnons forgerons, dont le Royaume allait de Bâle ŕ Rottweil en passant
par Aarau, Zurich et Schaffhouse. Au XVe s., les corporations, puis les villes prirent des mesures
de défense contre les mouvements de compagnons, mais sans succčs durables. Les cordonniers,
tailleurs, fourreurs, boulangers, potiers, selliers et cordiers formčrent les associations les plus
combatives. Aprčs la Réforme, ŕ laquelle les compagnons contribučrent aux côtés des maîtres, les
imprimeurs se montrčrent particuličrement revendicatifs sur le plan des salaires. Les
compagnons s'efforcčrent de lutter contre la concurrence du travail féminin meilleur marché: ils
déclarčrent que la collaboration avec des filles ou avec des maîtres qui en formaient était
déshonorante et ils sanctionnčrent les maîtres fautifs et leurs compagnons. Les mutations
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structurelles et la stagnation de certains métiers rendirent improbable, entre la fin du XVe et le
XVIIIe s., l'accession d'un compagnon ŕ la maîtrise (excepté dans certaines branches trčs
spécialisées). Le compagnonnage, d'étape qu'il était, devint pour beaucoup un état permanent.
Ces "éternels compagnons" restaient économiquement dépendants ou s'installaient comme gâte-
métiers ŕ la campagne, oů ils étaient en butte aux poursuites conjointes des maîtres et des
compagnons pour concurrence déloyale. Les compagnons défendirent avec véhémence les droits
corporatifs pour lutter contre la détérioration de leurs perspectives professionnelles et de leurs
conditions de travail. Ils se défendirent jusqu XIXe s. en organisant, souvent dans un vaste cadre,
des actions telles que décri, boycott, grčve ou départ collectif d'une ville. Les principales causes
de conflits avec les maîtres furent jusqu'au XIXe s. les sempiternels problčmes de rémunération,
les questions relevant du droit du travail, la juridiction interne, les perturbations dues aux rituels
collectifs de bienvenue et de congé entre collčgues, le placement, les horaires de travail, le droit
au lundi férié et le travail pour son propre compte.
A l'époque moderne, les compagnons créčrent leurs rituels et le langage secret qui leur permit,
jusqu'au XIXe s., de se reconnaître ŕ leur arrivée dans une ville étrangčre. Ce faisant, ils
continuaient de se distinguer des domestiques. Aux XVIIe et XVIIIe s., la naissance de l'industrie
ŕ domicile et de la manufacture remit en question le monopole des corporations. Les travailleurs
impliqués dans ces nouvelles formes d'occupation n'appartenaient ŕ aucune classe traditionnelle;
ils prirent modčle au XVIIIe s. sur les compagnons. Ils s'efforcčrent d'ętre considérés comme tels
et de ne pas ętres classés parmi les domestiques. De vieux compagnons qui avaient perdu toute
chance de devenir maîtres durent s'engager en revanche comme ouvriers salariés.
Au XIXe s., il se créa, par réaction ŕ l'industrialisation, une image du compagnon incarnant une
idéologie romantique et rétrograde de l'artisanat. Mais dans la réalité, les compagnons se
ralličrent au mouvement progressiste proche des idées révolutionnaires de 1830-1848. La
rencontre en Suisse d'anciens membres de groupes d'opposition, venus surtout d'Allemagne du
Sud, et d'artisans et Ouvriers allemands marqua jusque dans les années 1840 les idées politiques
des Associations ouvričres allemandes qu'ils formčrent dans presque toutes les grandes villes de
Suisse alémanique et romande. Les sociétés locales ou régionales de compagnons se fondirent
dans le mouvement syndical ( Syndicats ), dont le compagnonnage médiéval fut présenté comme
un précurseur. La Grutli , fondée en 1838, fut dans la seconde moitié du XIXe s. un lieu central
d'identité sociale et nationale pour les compagnons. Les moyennes entreprises remplaçant les
petites ŕ la fin du XIXe s., de plus en plus de compagnons, les serruriers et mécaniciens par
exemple, durent travailler en fabrique. Les conditions peu favorables au mariage en incitčrent un
grand nombre ŕ s'établir comme ouvriers.
Bibliographie
-A. Griessinger, Das symbolische Kapital der Ehre, 1981
-W. Reininghaus, Die Entstehung der Gesellengilden im Spätmittelalter, 1981
-H.-J. Ruckhäberle, éd., Bildung und Organisation in den deutschen Handwerksgesellen- und
Arbeitervereinen in der Schweiz, 1983
-K. Schulz, Handwerksgesellen und Lohnarbeiter, 1985
-A.-M. Piuz, L. Mottu-Weber, L'économie genevoise de la Réforme ŕ la fin de l'Ancien Régime,
1990
-A.-M. Dubler, «Fremde Handwerksgesellen in der Stadt Luzern des 15. Jahrhunderts», in
JHGL, 9, 1991, 41-70
-A.-M. Dubler, éd., Histoire de l'artisanat, 1993
Katharina Simon-Muscheid/WW
22
Confréries
Les confréries (lat. confraternitates) sont des associations de fidčles, reconnues par l'Eglise, dont
le but est d'accomplir des oeuvres de piété et de charité.
1- Moyen Age
2- Temps modernes
Références bibliographiques
1- Moyen Age
Apparues en Europe au XIe-XIIe s., en Suisse au XIIIe s., les confréries ont leurs modčles dans les
associations de l'Eglise d'Orient qui, dčs le IVe s., s'occupaient de faire soigner leurs membres et
d'en organiser les funérailles, et dans les fraternités de pričre des couvents d'Europe occidentale,
mises en place dčs le VIe s. ( Libri confraternitatum ). Elles avaient toutes pour but l'organisation
de funérailles, la célébration d'offices pour les morts et la pratique de la charité (prise en charge
des pauvres, soutien financier d'hôpitaux, entraide matérielle entre les confrčres). Elles assuraient
aussi une fonction de sociabilité, notamment ŕ l'occasion de la procession et du repas qui avaient
lieu le jour de la fęte de leur saint patron. Sur le plan spirituel, elles étaient rattachées ŕ un
chapitre, ŕ un couvent (en particulier ceux des ordres mendiants), ŕ une Paroisse ou ŕ un hôpital.
Organisées de façon trčs précise, les confréries étaient dirigées par un prieur et régies par des
statuts.
Au XIIIe s. déjŕ, on peut trouver des confréries d'ecclésiastiques: on en connaît une ŕ Berne
(rattachée ŕ l'ordre des chevaliers teutoniques), une ŕ Lucerne (formée au XIIIe s. autour du
couvent des franciscains) et celle des chapelains du Grossmünster de Zurich (premiers statuts en
1323). Dčs le XIVe s. sont attestées dans les chapitres de campagne (de Zurich, Lucerne ou
Cham-Bremgarten par exemple) des confréries ecclésiastiques régionales, qui plus tard admirent
aussi des laďcs.
Les confréries de laďcs (hommes et femmes), manifestations de la Piété populaire , connurent un
développement trčs différent selon les régions. La forte extension des confréries du Saint-Esprit,
attestées dčs le XIIIe s. ŕ Lausanne (1219) et Genčve (1279), est propre ŕ la Suisse romande; dans
la plupart des paroisses des cantons actuels de Genčve et de Vaud apparurent entre le XIVe et le
XVIe s. des confréries, dédiées généralement au Saint-Esprit, qui fournirent souvent le noyau de
la future administration communale; elles distribuaient des aumônes, mais accumulaient aussi de
grandes fortunes. D'autres semblent avoir une connotation plus politique, comme celle de la
communauté de Lausanne.
En Suisse alémanique, les confréries sont souvent liées étroitement aux organisations urbaines de
métiers. A Bâle, les premičres associations d'artisans constituées en confréries datent de 1226 et
1248. Elles étaient intégrées aux Corporations , mais géraient leur propre caisse. Dans les autres
villes corporatives, mais aussi dans les cantons patriciens, de nombreuses confréries d'artisans se
développčrent, surtout au XVe s. Elles regroupaient les membres d'une corporation (par exemple
la confrérie de la corporation des Tonneliers, attestée ŕ Zurich en 1431, rattachée aux
franciscains) voire de plusieurs, comme celle de Saint-Luc et Saint-Eloi ŕ Zurich, fondée en
1437, rassemblant orfčvres, peintres, peintres verriers, teinturiers, verriers, brodeurs sur soie,
maîtres monnayeurs et selliers.
Quelques confréries étaient destinées aux artisans non membres d'une corporation, aux
compagnons, aux valets, aux apprentis. Elles sont comparables ŕ bien des égards aux Abbayes et
aux Royaumes . Ainsi sont attestées des confréries de compagnons foulons et tisserands ŕ Zurich
23
dčs 1336 et de vignerons au Petit-Bâle au XVe s. Les compagnons, vu leur mobilité, ont sans
doute favorisé le développement de confréries débordant les limites d'une localité ou d'une
profession. Il en va de męme pour les confréries de merciers, de ménétriers ou de pélerins de
Compostelle, plus tard pour celles, nombreuses, de Notre-Dame, du Rosaire, de Saint-Sébastien,
de Saint-Wendelin.
Les confréries, liens entre l'Eglise et la société, étaient soumises au droit canon. Les autorités
ecclésiastiques mirent parfois un terme ŕ des abus, ŕ des tendances sectaires et, au XVe s., ŕ des
développements incontrôlés: ŕ Lausanne, l'évęque Guillaume de Menthonay abolit en 1404 toutes
les confréries existantes et les remplaça par une seule, dont il rédigea les statuts; ceci n'empęcha
pas une floraison de nouvelles créations dans la seconde moitié du XVe s. Les autorités
municipales intervenaient également dans la gestion des confréries; ainsi, ŕ Fribourg, elles
contrôlaient entičrement celle du Saint-Esprit dčs 1350.
Au point de vue quantitatif, on constate une différence entre l'est et l'ouest de la Suisse. Les
comparaisons sont difficiles, faute d'une typologie et vu l'état disparate de nos connaissances. Il
est avéré que les confréries se multipličrent aux XIVe et XVe s. en Suisse romande (20
attestations ŕ Lausanne en 1380; 38 ŕ Genčve en 1487 et 49 en 1529). Le nombre de confrčres
était fort variable, mais certaines confréries en rassemblaient plusieurs centaines, comme celle de
Saint-Jacques ŕ Berne dont la liste des membres, de 1509 ŕ 1511, énumčre quelque 400 noms.
Les confréries intervenaient aussi dans la vie économique, oů elles fonctionnaient comme
pręteurs (exemples ŕ Genčve, Lausanne, Zurich). Dans les localités qui adoptčrent la Réforme,
les confréries furent supprimées et leur fortune, parfois considérable, passa généralement aux
communes ou ŕ leurs institutions de charité.
Véronique Mariani-Pasche
Abbayes
Jusqu'ŕ la fin du XIXe s., le terme indique les diverses corporations de métiers, mais au Moyen
Age, il désignait également, en plus des Confréries religieuses, des formes particuličres
d'associations ou d'organisations de jeunes gens, telles que les Royaumes , les Sociétés de
jeunesse et celles de Tir . Ces abbayes sont des associations masculines et entičrement laďques,
dont la structure hiérarchique est basée sur celle des confréries religieuses. Toutefois, les
associations de jeunesse et les sociétés de tir ont des buts distincts: alors que les activités
principales des abbayes médiévales consistent ŕ organiser des fętes et contrôler les
comportements déviants, la fonction des sociétés de tir est essentiellement d'assurer la défense de
la communauté et de l'ordre public. A partir du moment oů la Réforme s'imposa, les
organisations de jeunesse furent abolies ou privées de leurs prérogatives initiales; ŕ la suite de ces
changements, certaines abbayes, comme celle de Saint-Pierre ŕ Genčve, se transformčrent en
associations militaires et leurs fonctions devinrent semblables ŕ celles des sociétés de tir.
Bibliographie
-J.-J. Fiechter, Les abbayes vaudoises, 1991
-I. Taddei, Fęte, jeunesse et pouvoirs: l'Abbaye des Nobles Enfants de Lausanne, 1991
-N. Schindler, «Les gardiens du désordre», in Hist. des jeunes en Occident, 1, 1996, 277-329 (it.
1994)
Ilaria Taddei/CHR
24
Confréries
2- Temps modernes
Une fois la crise de la Réforme passée, les confréries connurent un nouvel âge d'or dans les pays
catholiques et devinrent ŕ l'époque baroque (XVIIe-XVIIIe s.) l'une des principales manifestations
de la piété populaire. Le pape Clément VIII fixa leur statut juridique et religieux dans la bulle
Quaecumque (1604). Leur nom rappelait un mystčre de la foi, un saint, une oeuvre de piété ou un
ordre: confréries du Saint-Sacrement, de Notre-Dame, du Rosaire, de la Doctrine chrétienne, de
la Cordeličre (franciscains), du Rosaire (dominicains), du Scapulaire (carmélites). Normalement
rattachées ŕ une église paroissiale ou conventuelle, bénéficiant d'indulgences, elles avaient
souvent parmi leurs principaux buts statutaires, comme au Moyen Age, l'organisation des
funérailles de leurs membres.
Les confréries de l'époque moderne en Suisse sont mal connues. On admet qu'elles se sont
développées, dans les régions rurales de Suisse centrale, orientale et méridionale, surtout aprčs le
concile de Trente. Parmi les confréries les plus répandues dčs le XVIIe s., on trouve sans doute
d'abord celles du Rosaire, la plus importante parmi celles liées au culte marial; elles furent
introduites lors de la Réforme catholique dans de nombreuses paroisses de Suisse centrale et
jusqu'au XVIIIe s. dans toutes celles relevant du prince-abbé de Saint-Gall. Ensuite viennent
celles de la Passion du Christ, du Saint-Sacrement, de la Bonne Mort, du Scapulaire et des saints,
en particulier ceux que l'on invoque dans la vie quotidienne et dans les circonstances difficiles:
Agathe, Barbara, Antoine, Joseph, Sébastien.
Les Lumičres, puis la vie associative qui se développa dans la seconde moitié du XIXe s. firent
décliner les confréries, qui se relevčrent encore une fois quand les mouvements de restauration
ecclésiastique du XIXe s. en firent des instruments de la pastorale (favorisant la vie spirituelle
sous forme de pričre personnelle, recueillements, processions) et en créčrent męme de nouvelles,
dans l'esprit du temps (confréries du Sacré-Coeur). En revanche, les efforts de renouvellement
entrepris vers la fin du XIXe s. échoučrent (comme la fondation en 1887, par l'évęque de Saint-
Gall Augustin Egger, d'une "confrérie des familles" qui devait encourager ses membres dans la
pratique des vertus chrétiennes). Quelques confréries ont cependant survécu jusqu'ŕ nos jours, par
exemple celles de Saint-Magne ŕ Sargans, fondée en 1492, de Sainte-Cécile ŕ Rapperswil (SG)
en 1737 ou de Notre-Dame ŕ Bremgarten (AG) en 1452.
Franz Xaver Bischof/PM
Corporations
3- XIXe sičcle
La République helvétique abolit en 1798 l'obligation de faire partie d'une corporation pour
exercer un métier. Elle desserra le carcan protectionniste, supprima les privilčges corporatifs et,
męme si elle ne voulait pas renoncer ŕ toute rčgle dans ce domaine, proclama la Liberté du
commerce et de l'industrie , afin de créer un ordre économique moderne qui ne soit plus fondé
sur des prérogatives d'état. Mais ce grand tournant ne fut qu'un intermčde. En 1803, les cantons
de Zurich, Bâle, Schaffhouse et Soleure rétablirent les corporations. En revanche, la liberté
républicaine se maintint dans ses grandes lignes en Suisse romande. La Restauration de 1815
remit en vigueur le systčme corporatif dans la plupart des cantons, mais sans lui rendre le
pouvoir politique. Le pouvoir économique lui échappera lors des réformes constitutionnelles des
années 1830, dans les cantons de Schaffhouse (1831/1834), Bâle-Campagne (1832), Soleure
(1834) et Zurich (1830/1837), mais ŕ Bâle-Ville en 1874 seulement, aprčs reconnaissance de la
25
liberté générale d'association et inscription de la liberté du commerce dans la Constitution
fédérale.
Certaines corporations se sont maintenues, sous la forme de Sociétés amicales et de bienfaisance,
ou sous celle de clubs de prestige jouant encore un rôle important, comme on le voit au
Sechseläuten de Zurich. La disparition du systčme corporatif fit la fortune d'entrepreneurs établis
dans des villages et bourgades, actifs surtout dans le textile. Mais elle entraîna aussi la
paupérisation de beaucoup d'ouvriers, livrés au jeu de l'offre et de la demande. Ce n'était plus
seulement, comme dans le Verlagssystem, les fileurs et les tisserands qui souffraient des bas
salaires. La Formation professionnelle , autrefois tâche centrale des corporations, fut assumée par
les nouvelles écoles spécialisées, quoique les entreprises continuent ŕ former des apprentis. Des
associations professionnelles municipales et cantonales, l' Union suisse des arts et métiers
(USAM) , (1879) et d'autres institutions reprirent dans la seconde moitié du XIXe s. les fonctions
des corporations dans la représentation des intéręts des artisans et la défense de leurs idées sur le
plan politique.
Bibliographie
-P. Caroni, Le origini del dualismo comunale svizzero, 1964
-P. Liver, «Das Dorf», in Abhandlungen zur schweizerischen und bündnerischen
Rechtsgeschichte, 1970, 122-132
-R. Göpfert, Festschrift zur 50. Generalversammlung des Schweizerischen Verbandes der
Bürgergemeinden und Korporationen, 1994
-J. Petermann, Die luzernerischen Korporationsgemeinden, th. ms., Fribourg, 1994
-A. Hubli, Die Genossamen Schillingsrüti und Sattelegg, 1995
Hans Stadler/PM
Bibliographie
-P. Caroni, Le origini del dualismo comunale svizzero, 1964
-M. Fürstenberger, Bewahren Helfen Fördern: 100 Jahre Bürgergemeinde Basel, 1976
-K. Buchmann, Die Bürgergemeinde - Idee und Wirklichkeit, 1977
-Th. Julen, Das Burgerrecht im Oberwallis, 1978
-Th. von Erlach et al., Die Burgergemeinde Bern, 1986
-L. Carlen, Die Bürgergemeinde in der Schweiz, 1988
-J. Dubas, Hist. de la bourgeoisie de Fribourg, 1992
-B. Sieber, Bürgergemeinde und Einwohnergemeinde der Stadt Luzern, mém. lic. Zurich, 1996
Basil Sieber/PM
Commune
Collectivité de droit public exerçant, sur un territoire restreint, des pouvoirs relevant de la
puissance publique, la commune (all. Gemeinde, ital. comune) est l'unité administrative la plus
proche du citoyen dans le systčme étatique suisse, qui comporte trois niveaux. En allemand, le
terme de Gemeinde peut désigner aussi une assemblée ( Landsgemeinde , Assemblée des
communiers ).
Vers la fin du haut Moyen Age se formčrent des associations, plus larges que la famille ou le
clan, qui répondaient ŕ des besoins humains de protection et d'entraide. Ces communautés (telles
les communautés de voisinage ), en acquérant progressivement le droit de se donner leurs
propres rčgles et de prononcer des sanctions, finiront par donner naissance aux communes,
dotées d'une autonomie politique et juridique.
La commune politique moderne date de la République helvétique. Mais les privilčges des
communes bourgeoises n'ont été définitivement supprimés que par la Constitution fédérale de
1874. Alors que la société subissait de profondes mutations, les communes suisses sont restées
un élément d'une remarquable stabilité depuis cent cinquante ans. Certes l'industrialisation, puis
le développement du secteur tertiaire, la formation de grandes agglomérations, la mobilité accrue
et l'augmentation du nombre des navetteurs ont attaqué les bases structurelles des communes,
28
tandis que les médias modernes ont sapé leur autonomie culturelle. Cependant, leur nombre n'a
gučre varié et elles ont gardé leur place. Elles jouent un rôle politique important, servent de cadre
social et restent pour les habitants un lieu oů il est encore possible, au moins partiellement,
d'influencer directement les conditions de la vie quotidienne.
1- Moyen Age et époque moderne
Références bibliographiques
Commune
1.2- Evolution
Commune
Moyen Age et époque moderne
Commune
Moyen Age et époque moderne
1.2- Evolution
Plus le détenteur laďque ou ecclésiastique de la Seigneurie foncičre était faible et le souverain
désintéressé, plus les communes renforçaient aisément leurs compétences - et vice-versa. Pour
s'assurer leur approvisionnement, les villes cherchaient ŕ soumettre le territoire environnant en
accordant la bourgeoisie aux habitants et en rachetant systématiquement les droits de justice. Aux
XVe et XVIe s., ayant repris des tâches de protection et des droits fiscaux, les autorités
souveraines intensifičrent leurs activités administratives dans les campagnes et bourgades,
stoppant ainsi le processus de communalisation. Il s'ensuivit des révoltes. Mais il subsista des
collectivités, urbaines ou rurales, "arrętées quelque part sur la voie de la souveraineté complčte"
(Ulrich Im Hof).
30
A l'ouest de la Sarine, les aspirations ŕ l'autonomie communale se heurtčrent aux prétentions de
la maison de Savoie, qui certes soutint en ville de Genčve les bourgeois contre l'évęque, mais
dont le systčme administratif (châtellenies, seigneuries) ne laissait pas beaucoup de place aux
communes.
La situation était plus favorable dans les vallées alpines, dont les intéręts en fait de trafic
commercial concordaient avec ceux des villes. L'immédiateté impériale accordée ŕ Uri en 1231 et
ŕ Schwytz en 1240 aplanit la voie de l'autonomie, quand bien męme les prétentions de seigneurs
étrangers s'y opposčrent jusqu'ŕ ce que le sort des armes (Morgarten, Sempach) clarifie le débat.
Dans les Préalpes de la Suisse orientale, les efforts des Habsbourg pour créer une seigneurie
territoriale favorisčrent la formation de communes, en faisant des villages des cercles
administratifs et judiciaires. Dans les vallées des Grisons et du Valais, le pouvoir politique fut
l'objet de longs démęlés avec la noblesse et les évęques; les communes, qui avaient conclu des
alliances entre elles (Ligue de la Maison-Dieu aux Grisons, dizains en Valais), finirent par
prendre le dessus entre le XIIIe et le XVe s. Les communes des vallées tessinoises obtinrent des
libertés comparables, qu'elles garderont en partie sous la domination des Confédérés.
L'époque de la Réforme fut bénéfique pour les communes des bailliages communs. La premičre
Paix nationale (Kappel, 1529) donnait aux paroisses le droit de choisir leur confession, ce qui
provoqua, surtout en Thurgovie et dans le Toggenbourg, un renforcement des institutions locales
autonomes.
Commune
Moyen Age et époque moderne
Autorités communales
Autorités exerçant, sur le plan communal, des compétences de nature exécutive, législative ou
judiciaire.
1- Moyen Age et époque moderne
Références bibliographiques
Commune
Moyen Age et époque moderne
32
Cooptation
La cooptation est la nomination de nouveaux membres d'un corps ou d'une assemblée par des
personnes qui en font déjŕ partie ou par un petit groupe qui en a seul la compétence. Cette
procédure est vraisemblablement aussi vieille que l'humanité et antérieure ŕ celle de l' Election .
Sous la République romaine, les tribuns du peuple et les sénateurs étaient cooptés; d'autres
charges étaient pourvues par élection.
Des éléments de cette tradition électorale antique subsistčrent au sud des Alpes jusqu'au Moyen
Age. Dans les villes du nord, des conseillers investis de tâches judiciaires et administratives
furent nommés d'abord par le seigneur, puis par les Conseils qui lui succédčrent et dont les
membres étaient parfois désignés par l'assemblée des bourgeois. En Suisse, le droit de vote des
hommes aptes au service militaire s'imposa dans les cantons campagnards, tandis que l'élection
libre et directe des conseillers disparut dans les villes vers la fin du Moyen Age, les autorités se
complétant elles-męmes selon diverses procédures. Au mieux, il ne restait plus ŕ l' Assemblée des
communiers qu'ŕ entériner les choix préalables du Conseil.
A Zurich, aprčs les luttes civiles de 1336, une moitié du Petit Conseil était élue par les
corporations et l'autre moitié cooptée par les Konstaffel, représentants des anciennes familles
patriciennes dirigeantes. Le Grand Conseil , attesté depuis le milieu du XIVe s., était
vraisemblablement coopté par le Petit Conseil. A Berne, les quatre bannerets, représentants des
principales corporations, nommaient les Seize, soit seize membres du Grand Conseil chargés de
repourvoir les places vacantes dans ce dernier, d'entente avec le Petit Conseil. A Lucerne, l'ancien
Petit Conseil nommait le nouveau; de męme, le Conseil des Cent se complétait lui-męme. On
retrouvait ce type de procédure dans les autres villes. Męme dans les cantons campagnards qui
pratiquaient formellement l'élection libre, une cooptation de fait se développa en faveur des fils
et des gendres, concentrant le pouvoir dans les mains de véritables dynasties de Magistrats
supręmes . Bien que combattue, notamment lors des Révoltes urbaines et par les partisans des
Lumičres, la cooptation constituait un élément essentiel de la culture politique d'Ancien Régime.
On ne la percevait pas, ŕ l'époque, comme une négation des vieux principes républicains de
liberté et d'égalité. Les historiens d'aujourd'hui tendent ŕ la considérer de męme, dans son
contexte, au lieu de continuer ŕ la mesurer ŕ l'étalon du droit naturel égalitaire de la Révolution
française.
La cooptation disparut sous la République helvétique, mais refit surface sous une forme déguisée
dans l'acte de Médiation, puis ouvertement dans les constitutions cantonales de la Restauration,
de toute évidence ŕ Zurich, Berne, Saint-Gall et Bâle, moins ostensiblement ŕ Lucerne, Fribourg
et Soleure. Męme dans les nouveaux cantons d'Argovie, Thurgovie, Saint-Gall, Tessin et Vaud,
une partie seulement des députés étaient élus directement par le peuple, le Grand Conseil
intervenant pour désigner les autres. Aprčs 1830, sous la Régénération, la cooptation fit peu ŕ peu
place au suffrage universel (masculin), d'abord dans les cantons de Saint-Gall, Thurgovie, Bâle-
Campagne et Vaud, puis d'Argovie, Soleure et Lucerne en 1841 et de Berne en 1846.
La Constitution fédérale de 1848 supprima la cooptation en exigeant que les constitutions
cantonales assurent l'exercice des droits politiques d'aprčs des formes républicaines -
représentatives ou démocratiques. Celle de 1999 renforce dans son article 51 l'exigence de
légitimité démocratique des autorités cantonales. En revanche, la cooptation continue d'ętre
pratiquée dans des associations économiques, culturelles et sociales (par exemple les fondations).
Elle figure encore dans certaines législations cantonales, sous la forme atténuée du droit de
présentation en vue de compléter conseils communaux, commissions et conseils d'administration
d'établissements de droit public.
Bibliographie
-K. Loewenstein, Kooptation und Zuwahl, 1973
33
-H.C. Peyer, Verfassung
-P. Blickle, «Friede und Verfassung», in Innerschweiz und frühe Eidgenossenschaft, 1, 1990, 15-
202
-A. Kölz, Neuere schweizerische Verfassungsgeschichte, 1992
Peter Steiner/AN
Bibliographie
-K.S. Bader, Studien zur Rechtsgeschichte des mittelalterlichen Dorfes, 2, 1962
-L. Carlen, Rechtsgeschichte der Schweiz, 1968 (31988)
-P. Blickle, éd., Landgemeinde und Stadtgemeinde in Mitteleuropa, 1991, 5-38, 169-190, 191-
261
Andreas Würgler/WW
Droit de cité
Selon la Constitution fédérale, "a la citoyenneté suisse toute personne qui possčde un droit de
cité communal et le droit de cité du canton" (art. 37). Le droit de cité, dit aussi droit de
bourgeoisie, est donc triple: nationalité suisse, indigénat cantonal et bourgeoisie communale, le
citoyen suisse étant "bourgeois" d'une "commune d'origine", éventuellement de plusieurs. Le
34
droit de cité s'acquiert soit par naturalisation, soit automatiquement quand les conditions prévues
par la loi sont remplies. En Suisse, il se transmet selon le droit du sang (ius sanguinis) des
parents ŕ l'enfant, męme adopté, mais aussi par mariage, si la personne concernée est domiciliée
depuis un certain temps dans une commune suisse. Le droit de cité comporte divers droits et
devoirs: Droits politiques , protection diplomatique, Liberté d'établissement , pas d'expulsion ni
d'extradition, Service militaire obligatoire . Il ne peut ętre conféré qu'ŕ des personnes physiques;
il est donc l'expression juridique de la relation entre l'individu et l'Etat dont il est ressortissant.
Sur le plan communal, il faut distinguer Commune politique et Bourgeoisie ou commune
bourgeoise. Les droits et devoirs politiques (communaux et cantonaux) de tout citoyen suisse
s'exercent au lieu de domicile, dans le cadre de la premičre. Par ailleurs, les membres d'une
commune bourgeoise ont dans celle-ci un droit de vote et de participation financičre, en vertu de
dispositions qui diffčrent d'un canton ŕ l'autre. Généralement, les membres d'une bourgeoisie
doivent avoir le droit de cité de la commune politique correspondante. Parmi les devoirs liés au
droit de cité communal, citons l'obligation d'accepter une tutelle.
1- Le droit de bourgeoisie au Moyen Age et ŕ l'époque moderne
Références bibliographiques
Droit de cité
35
Droit de cité
Bourgeoisie
Au sens actuel, la bourgeoisie est une couche sociale, ensemble différencié de personnes
appartenant ŕ la classe moyenne supérieure et disposant d'une fortune et d'une formation
intellectuelle. Il est plus aisé de la définir par des critčres culturels qu'économiques. Elle connut
son "âge d'or", du moins en Europe occidentale, entre les révolutions de 1848 et la Premičre
Guerre mondiale. Elle a exercé une influence particuličrement durable en Suisse, oů la noblesse
36
avait déjŕ perdu le pouvoir au début de l'époque moderne. L'origine de la bourgeoisie remonte au
XIIe-XIIIe s., époque des fondations de villes, dont les habitants privilégiés reçurent le nom de
bourgeois, d'oů le sens ancien du terme. Au cours des aléas de son histoire, cette bourgeoisie
urbaine, dont une partie tendit ŕ se transformer en aristocratie aux XVIe-XVIIIe s., s'est élargie
grâce ŕ l'apport de nombreux éléments ruraux.
1- La bourgeoisie au Moyen Age et ŕ l'époque moderne
Bourgeoisie
La bourgeoisie au Moyen Age et ŕ l'époque moderne
Combourgeoisie
Alliance ou traité (all. Burgrecht) par lequel une ville étend ŕ une autre ville, ŕ un couvent, ŕ un
particulier (en général un noble détenant des droits seigneuriaux et fonciers) ou ŕ un groupe (une
corporation par exemple) son Droit de cité . Cette concession peut ętre "perpétuelle" ou
temporaire (et renouvelable). Le serment solennel qui scelle cet acte lui confčre une supériorité
sur d'autres types d'alliance. Le combourgeois (du lat. comburgensis attesté dčs 1249), se voit
accorder la jouissance - plus ou moins restreinte il est vrai - des privilčges réservés aux
bourgeois: protection militaire et judiciaire, accčs aux marchés. Il apporte de son côté ŕ la ville
des troupes, des revenus (droit d'entrée, taxe foncičre sur l' Udel , impôts), une influence sur les
arbitrages extérieurs et un meilleur approvisionnement de ses marchés. La maničre dont un traité
de combourgeoisie répartit les charges et les droits reflčte le rapport de force entre les
contractants. Apparu pour la premičre fois chez le moine saint-gallois Notker l'Allemand vers
l'an mille, le mot Burgrecht désigna d'abord le droit de cité romain, plus tard, en Allemagne
méridionale, un fief libre ou encore, semble-t-il, le droit particulier ŕ un château ou ŕ une ville; il
ne prit le sens de comborugeoisie qu'ŕ partir du XIIIe s., dans le territoire de la Suisse actuelle.
S'ajoutant ŕ la conquęte, ŕ la prise en gage et ŕ l'achat, l'instrument juridique de la combourgeoisie
devint en Suisse, entre le milieu du XIIIe s. et celui du XVIe, un moyen spécifique d'édifier des
Seigneuries territoriales . En demandant ŕ ętre reçus, les nobles ou communautés paysannes ont
plus d'une fois contribué eux-męmes ŕ l'accroissement territorial des villes. Le traité de
combourgeoisie est souvent l'amorce d'un processus qui conduit, pour les uns de la prise
d'influence ŕ l'intégration pure et simple en passant par une période de protectorat, pour les autres
d'un simple renforcement de structures autonomes existantes ŕ une émancipation définitive par
rapport ŕ l'ancien seigneur. C'est ainsi que la ville de Berne réussit par une politique de
combourgeoisie particuličrement offensive ŕ étendre son hégémonie sur la presque totalité des
nobles, villes et couvents environnants ( Confédération bourguignonne ). Dans l'Oberland
bernois, les gens du Hasli et du Gessenay usčrent d'abord de leur combourgeoisie avec Berne
pour s'affirmer face aux comtes de Gruyčre, aux sires de Weissenburg et ŕ leurs créanciers. A plus
long terme, ils durent toutefois constater qu'elle avait permis ŕ la ville de les absorber. De męme,
la ville de Zurich imposa sa combourgeoisie aux cités et seigneuries des environs tout en
s'assurant un droit de préemption. Fribourg et Lucerne menčrent sous une forme atténuée une
politique semblable, tandis que Bâle et Soleure ne montraient qu'un faible intéręt pour la
combourgeoisie.
Les cantons ŕ landsgemeinde développčrent aussi des combourgeoisies, dites Landrecht. Y ętre
admis pouvait permettre de s'émanciper du pouvoir féodal et de jouir d'une quasi égalité de droits
dans le canton (Urseren dans le canton d'Uri, Arth dans celui de Schwytz). Tout comme les villes,
les cantons campagnards y virent aussi un moyen de soutenir des structures autonomes contre un
suzerain (Glaris et Schwytz appuyčrent le Toggenbourg contre l'abbé de Saint-Gall), ou de
substituer tout simplement leur domination ŕ celle de l'ancien seigneur (Uri dans la Léventine,
Schwytz dans la vallée d'Einsiedeln).
Le rattachement ŕ la Confédération de territoires sis ŕ l'ouest, ŕ l'est et au nord, soit comme
cantons souverains (Fribourg, Soleure, Schaffhouse), soit comme pays sujets (Argovie, Vaud) ou
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alliés (abbaye et ville de Saint-Gall, Bienne, Genčve, Valais, Ligues rhétiques) fut préparé ŕ
chaque fois par un traité de combourgeoisie. A l'ouest, ceux que Berne avait conclus en 1525
avec des seigneurs vaudois et la ville de Lausanne lui servirent en 1536 de prétexte pour annexer
le Pays de Vaud. Des combourgeoisies avec Berne et Fribourg ličrent ŕ la Confédération des
parties de l'évęché de Bâle (Bienne et l'Erguël en 1344/1352, La Neuveville en 1388), Soleure
(1345), la seigneurie de Valangin (1401, 1427), le comté et la ville de Neuchâtel (1406, 1408). La
prévôté de Moutier-Grandval était combourgeoise de Bâle (1406), Soleure (1462) et Berne
(1486). Pour la République de Genčve, devenue indépendante en 1536, les combourgeoisies
confédérées (Fribourg 1519, Berne 1526) avaient été des étapes importantes dans sa lutte
d'émancipation envers l'évęque et le duc de Savoie (lequel, en 1477 encore, avait conclu avec ces
męmes villes des traités du męme type pour lui-męme et Genčve). Grâce ŕ sa combourgeoisie
bernoise (1406), la ville de Neuchâtel put s'affirmer face au comte. Les combourgeoisies
accordées par Lucerne, Uri et Unterwald au Valais (1416/1417) avaient le caractčre d'un accord
bilatéral entre partenaires égaux en droits. A l'est, d'autres combourgeoisies (1403, 1411)
permirent ŕ Appenzell de s'affranchir de l'abbé de Saint-Gall. Ce dernier passa lui-męme en 1451
une combourgeoisie perpétuelle avec Zurich, Lucerne, Schwytz et Glaris, ce qui fonda son statut
de pays allié. La ville de Saint-Gall devint combourgeoise de divers cantons ŕ partir de 1412. Dčs
1339, des combourgeoisies furent accordées ŕ des membres des Ligues rhétiques alors en voie de
formation. Mais dans ce réseau de traités qui se chevauchaient et parfois se concurrençaient, tous
n'eurent pas un effet durable ni męme stabilisateur. Il arriva qu'il en résultât un conflit (guerres de
Laupen en 1339, de Berthoud en 1384, de Sempach en 1386, de Zurich en 1440) ou une crise: la
combourgeoisie perpétuelle de 1477 entre Zurich, Berne, Lucerne, Fribourg et Soleure faillit
provoquer une scission entre cantons-villes et cantons campagnards, au point qu'elle dut ętre
dissoute en 1481 ( convenant de Stans ).
La bourgeoisie foraine ou externe était une forme de combourgeoisie accordée individuellement
ŕ des personnes qui continuaient de résider hors de la ville. Mais il arrivait que des communes ou
des villages entiers y accčdent; l'admission massive de bourgeois forains, pratiquée par les villes,
surtout en période de crise (Berne au XIVe s., Lucerne entre 1330 et 1386, Zurich entre 1351 et
1450), alla souvent de pair avec l'octroi de combourgeoisies, toutes deux servant au demeurant
les męmes visées territoriales. Recherchée par les ruraux de rang servile, l'admission individuelle
ŕ la bourgeoisie foraine rencontra de fortes résistances chez les féodaux, qui y voyaient une
atteinte ŕ leurs droits seigneuriaux. C'est pourquoi l'Empire interdit une premičre fois en 1231,
puis plus sévčrement encore dans la Bulle d'or de 1356, l'admission tant ŕ la bourgeoisie foraine
qu'ŕ la combourgeoisie. Il ne réussit toutefois pas ŕ imposer cette mesure aux cantons confédérés,
qui continučrent ŕ décider qui pourrait admettre des bourgeois externes et oů.
Au XVIe s., les traités de combourgeoisie perdirent de leur importance, la formation territoriale
de la Suisse étant en grande partie achevée, męme si, ŕ la Réforme, quelques villes de Suisse et
d'Allemagne méridionale en conclurent encore pour mieux défendre la foi nouvelle. Ces
Combourgeoisies chrétiennes (1527-1531) furent éphémčres et l'on procéda, pour des raisons
confessionnelles, ŕ la dissolution d'accords plus anciens (entre l'évęque de Coire et Zurich en
1531, Fribourg et Genčve en 1534). Aprčs avoir conquis le Pays de Vaud, Berne contraignit
quelques villes (Payerne en 1536, Avenches en 1537, Lausanne en 1538) ŕ dénoncer leurs traités
avec Fribourg. Il n'y eut plus par la suite de nouvelles combourgeoisies importantes. Quelques-
unes n'en continučrent pas moins d'ętre reconduites ou partiellement révisées (par exemple celles
de Berne avec Genčve en 1558, de Schwytz et Glaris avec le Toggenbourg en 1703, de Soleure
avec Neuchâtel jusqu'en 1756, de Zurich, Lucerne, Schwytz et Glaris avec l'abbaye de Saint-Gall
en 1767, de Berne avec la prévôté de Moutier-Grandval jusqu'en 1774). Jusqu'ŕ l'écroulement de
l'Ancien Régime, les sujets campagnards invoqučrent les vieilles combourgeoisies et
bourgeoisies foraines pour se justifier lors des Révoltes paysannes . Ainsi Wädenswil en 1646, le
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Toggenbourg en 1703-1712, Fribourg en 1781-1784 ( soulčvement Chenaux ), sans compter l'
affaire de Stäfa (1794-1795).
Combourgeoisies chrétiennes
La victoire des réformés ŕ Berne en 1527 eut des répercussions sur le plan fédéral. Zurich, sortant
de son isolement, songea ŕ garantir la sécurité de la Réforme par des alliances confessionnelles
séparées. Du 25 décembre 1527 au 15 octobre 1529 furent signées les combourgeoisies de Zurich
et Constance, de Berne et Constance, puis celle de Zurich et Berne, étendue ŕ Saint-Gall, Bienne,
Mulhouse, Bâle et Schaffhouse. Ces alliances avaient pour but d'une part la défense de la foi
nouvelle, d'autre part le soutien actif de la Réforme dans les bailliages communs. En s'affirmant
ainsi et en faisant preuve d'un esprit missionnaire agressif et expansionniste, les réformés
poussčrent les catholiques ŕ s'allier ŕ leur tour ( Alliance chrétienne ).
La premičre paix nationale de 1529 ( Paix nationales ) éloigna Zurich de son vrai but: imposer la
Réforme ŕ toute la Confédération. C'est pourquoi Zwingli fit appel ŕ des puissances étrangčres: il
parvint ŕ conclure une alliance avec Strasbourg le 5 janvier 1530. Le 18 novembre 1530, Zurich,
Bâle et Strasbourg s'alličrent au lointain landgrave de Hesse; l'abstention de Berne indique que
l'arc était trop tendu. En outre, la Ligue de Smalkalde (1531) entraînait les protestants de Haute-
Allemagne dans le camp de Luther, ce qui vouait ŕ l'échec la politique imposée par Zwingli et
Zurich. La victoire des catholiques dans la seconde guerre de Kappel (octobre 1531) mit fin ŕ
toutes les combourgeoisies chrétiennes.
Bibliographie
Bourgeoisie
La bourgeoisie au Moyen Age et ŕ l'époque moderne
Bourgeoisie
La bourgeoisie aux XIXe et XXe sičcles
Communauté
1- Théories
Du XIXe s. aux années 1950, on a largement recouru ŕ la théorie de la "communauté de marche"
ou Markgenossenschaft pour expliquer l'origine de la communauté: dans les territoires
("marches") conquis par les Germains, les terres auraient été attribuées par le prince ŕ des clans
appelés centenies, qui les auraient cultivées et exploitées de maničre collective. Le clan, entité ŕ
la fois économique et politique, aurait donné naissance ŕ la "communauté de marche". L'empire
franc et le régime féodal auraient fait disparaître cette structure, qui aurait toutefois survécu ŕ
l'état de relique dans la gestion des Biens communaux , des alpages et des foręts.
Les travaux plus récents, en revanche, relčvent que les communautés de marche n'apparaissent
qu'au Moyen Age classique et au bas Moyen Age; il s'agit de communautés de village ou de
Voisinage qui s'associent pour réglementer ŕ plus grande échelle l'exploitation de biens
communaux. Ce ne sont donc pas d'hypothétiques "communautés de marche" du haut Moyen
Age qui sont ŕ l'origine de la plupart des communautés, mais les villages et voisinages.
43
Communauté
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Alpes, le Vorarlberg et le Jura, (XIIe et XIIIe s.), celles du district schwytzois de la Marche
(défrichements et achats du bas Moyen Age) ou celles des Stierenberg dans le Jura soleurois.
L'organisation interne des communautés relevait du droit coutumier. Les premiers statuts écrits
n'apparurent qu'au XIIIe s., ainsi celui de 1240 pour l'alpage d'Eginen, en Valais. Les pressions
exercées par les seigneurs variaient selon les régions. Lŕ oů ils étaient puissants (évęque de Bâle
dans le Jura), ils revendiquaient la propriété et la libre disposition des biens communaux, en
déterminaient les rčglements d'exploitation et en étaient les principaux utilisateurs (Obermerker).
Lŕ oů leur emprise était faible, par exemple dans les pays d'Uri et de Schwytz, les communautés
géraient les biens communaux sans influence extérieure.
On constate une tendance générale ŕ la concentration, due ŕ la réunion de plusieurs villages dans
des communautés de marche. Mais le partage des biens communaux entre plusieurs villages,
hameaux ou voisinages est assez fréquent aussi. Ainsi virent le jour les communautés de
voisinage du Tessin ( Degagna ) et les Tagwen de Glaris; ŕ Obwald, les paroisses se divisčrent en
Teilsamen, ŕ Nidwald, en Ürten et ŕ Grindelwald en Bergschaften. Le plus souvent, cette
réorganisation se fit ŕ la suite de Conflits liés aux droits d'usages ( Marchenstreit ). A Uri et ŕ
Schwytz, les grandes communautés de vallées subsistčrent telles quelles: Corporation (commune
bourgeoise) d'Uri et d'Ursern, Oberallmeind et Unterallmeind . Les principaux organes de la
communauté (consortage, Bäuert , Bergschaft, vicinantie) étaient l'assemblée de ses membres,
puis les procureurs, gardes ou maîtres d'alpage qui la présidaient, exécutaient les décisions et
procédaient aux contrôles. Les communautés les plus élaborées prenaient leurs décisions ŕ la
majorité, mais elles devaient tenir compte des intéręts de chacun des membres. Elles géraient les
biens communaux ŕ l'instar d'une propriété collective.
Les foręts, terrains et prés communaux qui se trouvaient ŕ proximité des habitations étaient le
plus souvent exploités individuellement par chaque membre de la communauté. En bien des
endroits, l'exploitation des arbres fruitiers cultivés sur des terres communales avait un caractčre
communautaire. La pâture du bétail au printemps et en automne, ainsi que la garde des vaches et
des chčvres qui restaient ŕ la ferme durant l'été étaient confiées ŕ un berger ou ŕ un chevrier
employé par la communauté. Les travaux d'entretien se faisaient collectivement. Au Moyen Age
déjŕ, il existait deux systčmes d'exploitation des alpages, indépendamment des structures de
propriété: la gestion communautaire confiée ŕ des employés et la gestion individuelle. Les deux
formes coexistent dans l'ensemble de l'espace alpin. Aux Grisons, la gestion individuelle est
particuličrement fréquente dans les régions colonisées par les Walser.
Les communautés joučrent un rôle politique important. Elles favorisčrent la cohésion sociale
entre villageois relevant parfois de différents seigneurs fonciers et soumis ŕ des statuts personnels
trčs inégaux (hommes libres et serfs). En assumant, au-delŕ de leur rôle premier, diverses
responsabilités (chemins, ouvrages hydrauliques, approvisionnement en eau, édifices religieux,
entretien des ministres du culte, compétences juridictionnelles), les communautés villageoises et
de vallée devinrent des éléments constitutifs d'une structure étatique naissante.
Communauté
Commune
XIXe et XXe sičcles
1.2- Evolution
Plus le détenteur laďque ou ecclésiastique de la Seigneurie foncičre était faible et le souverain
désintéressé, plus les communes renforçaient aisément leurs compétences - et vice-versa. Pour
s'assurer leur approvisionnement, les villes cherchaient ŕ soumettre le territoire environnant en
accordant la bourgeoisie aux habitants et en rachetant systématiquement les droits de justice. Aux
XVe et XVIe s., ayant repris des tâches de protection et des droits fiscaux, les autorités
souveraines intensifičrent leurs activités administratives dans les campagnes et bourgades,
stoppant ainsi le processus de communalisation. Il s'ensuivit des révoltes. Mais il subsista des
collectivités, urbaines ou rurales, "arrętées quelque part sur la voie de la souveraineté complčte"
(Ulrich Im Hof).
A l'ouest de la Sarine, les aspirations ŕ l'autonomie communale se heurtčrent aux prétentions de
la maison de Savoie, qui certes soutint en ville de Genčve les bourgeois contre l'évęque, mais
dont le systčme administratif (châtellenies, seigneuries) ne laissait pas beaucoup de place aux
communes.
La situation était plus favorable dans les vallées alpines, dont les intéręts en fait de trafic
commercial concordaient avec ceux des villes. L'immédiateté impériale accordée ŕ Uri en 1231 et
ŕ Schwytz en 1240 aplanit la voie de l'autonomie, quand bien męme les prétentions de seigneurs
étrangers s'y opposčrent jusqu'ŕ ce que le sort des armes (Morgarten, Sempach) clarifie le débat.
Dans les Préalpes de la Suisse orientale, les efforts des Habsbourg pour créer une seigneurie
territoriale favorisčrent la formation de communes, en faisant des villages des cercles
administratifs et judiciaires. Dans les vallées des Grisons et du Valais, le pouvoir politique fut
l'objet de longs démęlés avec la noblesse et les évęques; les communes, qui avaient conclu des
alliances entre elles (Ligue de la Maison-Dieu aux Grisons, dizains en Valais), finirent par
prendre le dessus entre le XIIIe et le XVe s. Les communes des vallées tessinoises obtinrent des
libertés comparables, qu'elles garderont en partie sous la domination des Confédérés.
L'époque de la Réforme fut bénéfique pour les communes des bailliages communs. La premičre
Paix nationale (Kappel, 1529) donnait aux paroisses le droit de choisir leur confession, ce qui
provoqua, surtout en Thurgovie et dans le Toggenbourg, un renforcement des institutions locales
autonomes.
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Le corporatisme mexicain dans la tourmente
Par José Esteban
Depuis l'intronisation de Zedillo ŕ la présidence de la République, une confusion totale rčgne au
Mexique. Aux prises avec des vents tourbillonnants, l'ordre politique se disloque et les rituels,
les rčgles tacites qui le cimentaient, sont balayés les uns aprčs les autres. Des inerties demeurent
pourtant.
Chaque semaine amčne son lot de « jamais vu ». Cela a commencé avec l'affrontement public
entre Salinas de Gortari et son successeur, le premier refusant de se plier ŕ la rčgle de la mise ŕ
mort politique du président sortant, qui s'est soldé par la fuite précipitée de ce dernier vers les
Etats-Unis. Il y a eu ensuite le déchaînement d'une guerre ouverte des clans au sein du Parti
révolutionnaire institutionnel (PRI), débouchant sur la rupture du pacte séculaire de non-
agression entre les élites mexicaines et l'emprisonnement de Raul Salinas, le frčre de l'ex-
président, accusé d'avoir commandité l'assassinat du premier secrétaire du PRI en septembre
dernier.
Le 1er mai de cette année, c'est l'un des plus beaux joyaux du kitch « priiste » qui a volé en
éclats. Pour la premičre fois depuis 1925, le président de la République n'a pas présidé, du haut
de son balcon, le traditionnel défilé du syndicalisme officiel.
En 1994, les cohortes ordonnées des grandes corporations ouvričres et du service public se
succédaient encore, sous une pluie de papiers multicolores, devant le Palais national pour
réaffirmer leur allégeance au chef de l'Etat : un « Gracias, seńor Presidente » obtenu, non moins
traditionnellement, moyennant un jour de congé payé...
Le premier mai indépendant
Depuis quelques temps pourtant, une manifestation « off » se déroulait en marge du défilé
officiel, avec la participation des syndicats indépendants et les sections dissidentes des grandes
corporations. Les slogans hostiles au régime, les moqueries, la dérision s'y exprimaient
bruyamment.
Cette année, les digues se sont finalement rompues. Fidel Velasquez, le patriarche décrépit du
syndicalisme domestiqué, a prudemment décidé d'annuler le défilé, reconnaissant son incapacité
ŕ contrôler le mécontentement, et c'est une gigantesque manifestation indépendante, rassemblant
plus de 100 000 personnes, qui a déboulé dans les rues du centre de la capitale achevant son
parcours sur le Zocalo. Les sections dissidentes du service public, des organisations ouvričres et
paysannes y côtoyaient des étudiants, des habitants des quartiers défavorisés, des chômeurs. Les
manifestations de soutien aux zapatistes, les tirades acerbes contre le gouvernement, les
exclamations de triomphe, la joie d'en avoir fini avec le simulacre annuel se męlaient ŕ l'angoisse
silencieuse d'hommes seuls marchant avec une pancarte : « j'ai perdu mon travail » ou « prenez-
moi tout, mais pas mon emploi ».
En toile de fond, la profonde récession qui touche actuellement le Mexique. Outre les centaines
de milliers d'emplois supprimés depuis le début de l'année, la population mexicaine subit
actuellement une terrible compression de son pouvoir d'achat : alors que le gouvernement prévoit
un taux d'inflation de 40 % (50 % selon la plupart des économistes) pour cette année, le salaire
minimum ne devrait dans le męme temps augmenter que de 18 %, d'oů une perte de pouvoir
d'achat de ce revenu d'au moins 20 %, une chute sans précédent pour une seule année.
Cette manifestation convoquée par la Coordinadora intersindical primero de mayo (Coordination
intersyndicale premier mai), constituée ŕ cette occasion, visait également ŕ soutenir le SUTAUR-
100, l'organisation des travailleurs de la compagnie des bus de Mexico.
49
Confrontation
Le gouvernement a lancé, au mois d'avril dernier, une attaque frontale contre cette organisation.
Aprčs avoir déclaré en faillite l'entreprise publique de transport en commun, la Ruta-100, il a
emprisonné cinq des dirigeants de son syndicat, ainsi que son conseiller juridique, accusés de
corruption et de détournements de fonds. Cette opération musclée a soulevé un tollé au sein de
l'opposition qui a dénoncé l'illégalité du dépôt de bilan de l'entreprise (étant depuis longtemps
massivement financée par des fonds publics, elle échappait au droit commercial) et la manoeuvre
politique qu'occultaient les accusations portées contre le syndicat. Celui-ci était en effet tenu par
le Mouvement prolétaire indépendant, formation politique qui a, depuis plusieurs mois,
développé des liens avec les zapatistes.
Outre le démantčlement d'une puissante organisation indépendante, il s'agit de la part du
gouvernement d'une action qui s'insčre dans le processus de privatisation des entreprises
publiques. La Ruta-100 est passée entre les mains d'industriels proches du pouvoir qui ont ŕ
présent les coudées franches pour réembaucher un personnel purgé de ses « éléments subversifs
».
Ce premier mai indépendant atteint l'un des piliers historique du régime mexicain : le
corporatisme. C'est ŕ Lazaro Cardenas que l'on doit la constitution, dans les années trente, des
grandes corporations ouvričres et paysannes qui permirent d'intégrer de larges fractions des
populations urbaines et rurales ŕ l'Etat mexicain. Une caste de dirigeants syndicaux, maintenus ŕ
leurs postes, pour certains, depuis cinquante ans (Fidel Velasquez, 94 ans, en est l'exemple le
plus flagrant) se substitua ainsi aux anciens caciques locaux, assurant, ŕ l'échelle nationale, une
médiation entre les élites politiques et des bases populaires compartimentées. Ces intermédiaires
constituaient le pivot de l'échange corporatiste, obtenant de leurs adhérents un soutien au pouvoir
en contrepartie de progressions salariales et d'avantages sociaux.
Avec la crise de la dette et la mise en place des politiques d'ajustement structurel, ce systčme a
progressivement connu une mutation. Avec les sévčres pertes de pouvoir d'achat et le blocage de
la redistribution, survenus pendant les années quatre-vingts, l'érosion, initiée dans les années
soixante-dix, de la capacité de contrôle des dirigeants corporatistes s'est approfondie. Les
privatisations, de męme que les restructurations de l'organisation productive, en particulier
l'exigence de la flexibilité du travail, ont peu ŕ peu desserré les liens entre l'Etat et les
corporations, accentuant le pouvoir des entreprises dans la définition des différents aspects de la
relation salariale, notamment les rémunérations et les conditions d'embauche.
Néo-corporatisme
Le sociologue du travail mexicain E. de la Garza remarque pourtant que l'un des traits de ce «
néo-corporatisme » demeure une subordination des dirigeants syndicaux cette fois directement
au président de la République, qui obtient d'eux l'acceptation des politiques de stabilisation, en
échange, grâce ŕ la répression des mouvements indépendants, de la protection de leur position de
monopole. Cette relation a en particulier joué un rôle essentiel dans la signature des pactes
salariaux successifs sur lesquels a reposé la réduction notable du taux d'inflation obtenue
jusqu'en 1994.
Aprčs la montée en puissance de la contestation en 1988, le gouvernement de Salinas était
parvenu ŕ contrer l'essor des dissidences démocratiques au sein des syndicats officiels, cela au
prix de concessions matérielles, autorisées par le retour ŕ la croissance du début des années
quatre-vingt-dix. Avec l'effondrement de l'économie mexicaine et la grave crise des finances
publiques, cela devient beaucoup plus problématique.
La subordination des dirigeants au chef de l'Etat, relayée par la structure patriarcale et clientéliste
des organisations officielles, semble assurer le maintien d'une forte emprise de l'Etat sur les
relations salariales. Cependant tout porte ŕ croire que la fronde des sections démocratiques issues
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des corporations officielles va se trouver considérablement renforcée dans les mois et les années
ŕ venir, mettant en question la capacité du gouvernement ŕ maîtriser les revendications salariales,
et par conséquent ŕ restaurer la stabilité monétaire, élément crucial d'une stratégie économique
fondée sur l'attraction de capitaux étrangers.
Dissidence démocratique
Le Mexique connaît ŕ l'heure actuelle une intensification des manifestations de rejet de la
politique économique et de contestation du régime en général. Ainsi, les travailleurs de Ruta-100
continuaient, fin mai, ŕ s'insurger contre la mise en faillite de leur entreprise : aprčs avoir tenté en
vain d'accéder ŕ Los Pinos, la résidence présidentielle, une colonne de dix mille d'entre eux
bloquait la circulation du périphérique pendant plusieurs heures, recueillant le soutien des
passants.
Le 6 juin dernier, 5 000 paysans venus ŕ pied de l'Etat du Tabasco, situé au sud-est du Mexique,
bloquaient l'entrée de la bourse de Mexico, affolant les opérateurs financiers.
Au-delŕ de ces mouvements qui, bien que massifs, peuvent sembler isolés, il semble bien qu'un
processus d'organisation du syndicalisme indépendant soit en cours. En témoigne la
Coordinadora intersindical primero de mayo qui rassemble plus de cinquante signataires, dont, il
est vrai, une majorité de syndicats universitaires, associés avec des organisations du service
public et une dizaine de syndicats de l'industrie et d'agriculteurs. Cette coordination incarne le
réveil de la société civile déclenché par l'insurrection zapatiste.
Pour un syndicalisme autonome
Dans un document adressé au président, elle affirme : « Nous ne sommes pas une force
insurrectionnelle bien que nous ne soyons pas une force parlementaire. La démocratisation du
pays doit inclure la société civile organisée, en particulier les syndicats, et pas seulement les
forces politiques. Nous ne croyons pas en un processus de transition ŕ la démocratie qui n'inclue
pas les syndicats (...) Notre indépendance nous autorise ŕ développer une politique d'amples
alliances, dans le but de venir ŕ bout des politiques néo-libérales et de restructurer le
mouvement syndical de ce pays ».
Assailli de toutes parts, le pouvoir mexicain semble en mauvaise posture pour reporter bien longtemps l'échéance de
la démocratie syndicale.
Le bâtard de l'économisme
Le corporatisme menace la démocratie, soutient John Saul.
John Saul
"Je suis content d'être ici, dans l'amphithéâtre IBM..." C'est par cette boutade, tout à fait
conforme à son style, que John Saul a ouvert sa conférence à l'École des Hautes Études
Commerciales mardi dernier. L'événement constituait également le lancement québécois de son
dernier ouvrage, La civilisation inconsciente.
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Ex-gestionnaire d'entreprises financières et commerciales, John Saul s'est recyclé dans le roman
et l'essai à saveur philosophique. La civilisation inconsciente, dont l'édition originale anglaise a
remporté le Prix du Gouverneur général 1996, est le dernier volet d'une trilogie décapante
commencée avec Les bâtards de Voltaire et poursuivie avec Le compagnon du doute.
Dans chacun de ces livres, John Saul s'applique à déconstruire le discours politico-économique
dominant en s'amusant à en faire ressortir les contradictions, les faussetés et les mensonges. "Si
les économistes étaient médecins, écrit-il, on les traînerait en justice pour faute professionnelle."
En conférence, il ajoutait que "l'économie est le seul domaine où la réalité ne compte pas et où
l'on peut dire n'importe quoi".
Corporatisme et idéologie
Dans La civilisation inconsciente, il s'en prend plus particulièrement au corporatisme, qu'il
oppose à la démocratie. "Le corporatisme est une idéologie qui nie et détruit la légitimité de
l'individu en tant que citoyen d'une démocratie. Le déséquilibre particulier de cette idéologie
mène à un culte de l'intérêt personnel et à la négation du bien public."
Pour John Saul, la légitimité de l'État doit reposer sur l'engagement désintéressé de l'individu
dans la société; c'est ce qu'il nomme individualisme, lui donnant ainsi le sens contraire de ce que
le sens commun y voit. L'individualisme compris comme synonyme d'égoïsme est un
détournement du sens premier du terme, soutient-il. Une distinction capitale pour comprendre le
propos de John Saul, mais sur laquelle il est passé peut-être trop rapidement, tant dans son livre
que dans sa conférence.
L'individualisme responsable est bien entendu possible dans notre société, convient-il, mais il n'a
pas la place qui devrait lui revenir et il est écrasé par ces autres légitimités que sont Dieu, la
royauté et surtout les groupes d'intérêt; trois usurpateurs qui s'entendent comme larrons en foire.
"Le langage du corporatisme d'aujourd'hui est le même que celui des dirigeants des années 1920
et gravite autour du thème "famille, travail, patrie". Pour comprendre que nous avons affaire à
une idéologie, remplacez le mot "efficience" qui revient sans cesse dans le discours des
corporatistes par l'expression "par la grâce de Dieu" et vous verrez que tout marche très bien."
Autre marque de l'idéologie corporatiste: l'inévitable. "Pour les gestionnaires, tout est inévitable:
la crise, la décroissance, le désengagement, le chômage. Pourquoi avoir une élite dirigeante si
tout est inévitable? On gaspille ainsi les résultats de 150 ans de travail."
Le problème, c'est qu'une "élite gestionnaire gère, écrit John Saul. Une crise, malheureusement,
requiert de la réflexion, et la réflexion n'est pas une fonction de gestion." Et vlan!
Pour le conférencier, dont les formules-chocs se situent entre l'ironie socratique et l'imagerie
satirique de Sol, l'un des pires mensonges du corporatisme et de nous faire croire que le progrès
de l'économie entraîne le progrès de la démocratie. "C'est une bêtise, une fantaisie enfantine,
déclare-t-il. Les avancées de la démocratie se sont toujours faites avant les bonds économiques et
malgré l'économie. L'économie laissée à elle-même comme moteur du progrès conduit à la
catastrophe parce qu'elle n'a pas de vision."
Cette catastrophe, nous la vivons présentement alors que ceux qui ont bénéficié des mesures
sociales s'appliquent à les démonter parce qu'elles seraient nuisibles à l'économie de marché et
parce qu'il faut bien sûr, c'est inévitable, payer la dette.
Humanisme et gestion
On pourrait croire qu'avec un tel discours John Saul était en territoire ennemi, dans une école de
gestion comme les HEC. Paradoxe s'il en est un, le conférencier était, pour la deuxième fois,
l'invité du groupe Humanisme et gestion, deux notions qu'il met en opposition tout au long de ses
essais.
"Il est essentiel que son discours soit entendu par des gestionnaires et non seulement par les
sociologues ou philosophes", nous a confié Alain Chanlat, responsable du groupe qu'il qualifie
lui-même d'"antigroupe" tellement il ne cadre pas avec la culture de l'établissement.
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Citant le philosophe et économiste Saint-Simon, le professeur Chanlat définit ainsi la philosophie
de Humanisme et gestion: "Faire en sorte que le gouvernement des personnes soit à la hauteur du
degré de sophistication de l'administration des choses."
Une vision des choses qui colle entièrement à John Saul. En effet, tout l'intérêt de son propos est
dans le fait que l'auteur provient du milieu de l'économie, milieu qui maintenant doit le
considérer comme un bâtard. À partir des contradictions que nous sommes à même d'observer
dans le discours des économistes et des politiciens, il parvient à mettre en évidence que l'ordre
actuel des choses n'est ni inévitable ni immuable; cet ordre a déjà été autrement, plus empreint
d'humanisme, et pourrait le redevenir si le citoyen responsable s'en donne la peine.
Son dernier ouvrage n'est par contre pas le plus limpide. Si la critique a salué le style vif, alerte et
dynamique de ses romans et des deux essais précédents, l'écriture du troisième est plutôt lourde
et le fil conducteur, pas toujours évident. Peut-être est-ce dû à la traduction qui, dans ce cas-ci,
n'a pas relevé de la même personne. Quoi qu'il en soit, l'ouvrage est à signaler, ne serait-ce que
parce qu'il lance un couac dans la trop belle harmonie du discours dominant.
Daniel Baril
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associé au dossier Corporatisme
Le corporatisme d'État
Giuseppe de Tollis
Extrait
Le corporatisme étatique moderne n'a que très peu de ressemblance avec
la structure corporative médiévale. Les corporations du moyen âge ne
pouvaient dépasser le cadre des relations de travail, situées à l'intérieur
d'une hiérarchie professionnelle, à cause des particularités économiques
de l'époque et de la conception à dominante théocratique de la société et
de l'État. La stratification sociale elle-même s'opposait à une extension
politique des corporations. Dans une situation politique où l'État lui-
même est devenu corporatif, il est permis de parler de totalitarisme,
sinon de fascisme.
Tout dans l'État, rien en dehors de l'État, rien contre l'État. Telle est la
conception d'un État corporatif aux alentours des années vingt, au
moment où le capitalisme libéral, déjà durement attaqué par le
socialisme marxiste, avait engendré une petite bourgeoisie désemparée,
54
en quête d'idéal et de statut. Quant au prolétariat urbain et rural, victime
du clivage social accentué par la guerre, il ne pouvait qu'être séduit par
le socialisme.
Les corporations sont, dans cette conception, les organes naturels par
lesquels s'exprime et se manifeste la Nation. L'individu n'est pas le but
de l'État. Il n'est pas non plus la base de l'État, qui est construit, pour ses
propres fins sur les corporations elles-mêmes, considérées comme
organes fonctionnels de l'État. Dans cette échelle hiérarchique de l'État
et de l'individu, la corporation prend donc un rang intermédiaire.
L'échec du système
L'État libéral est incapable d'assurer les conditions sociales de sa propre légitimité.
Michel Bernard
et Michel Chartrand
mars 1999
La croissance de la complexité sociale est le fait majeur des dernières années. Dans un contexte
de mondialisation des échanges, de précarisation des conditions de travail, d'augmentation du
risque technologique, de concentration et de cartellisation des entreprises, de libéralisation du
capital et du progrès de son anonymat, de défiscalisation, de déréglementation, de
«flexibilisation» des États, la nation devient un simple cadre neutre où les intérêts concurrents
s'affrontent de plus en plus librement malgré que le besoin de mutualisation face aux risques
s'accroît. Pourtant, l'individualisme libéral progresse et triomphe.
57
Nature de l'hypercomplexité
Zaki Laïdi a bien décrit le malaise de l'hypercomplexité. Voici ce qu'il dit : dans «Malaise dans la
civilisation», Freud se réfère à Romain Rolland et à ce que ce dernier appelait le «sentiment
océanique». Je crois qu'une partie du malaise de la mondialisation découle de ce «sentiment
océanique», né de l'élargissement de nos références et de l'idée de dépossession face à
l'immensité des problèmes auxquels nous nous trouvons confrontés. (...) La mondialisation place
l'homme sur la défensive, voilà pourquoi celui-ci a moins le souci de l'autre. Il l'a d'autant moins
que le monde dans lequel il est plongé est dépourvu de finalité . En effet, au nom de la liberté
individuelle, l'ultralibéralisme décrète que l'État doit être neutre par rapport aux finalités,
qu'aucun but ne peut être poursuivi en commun. On aboutit à une société nihiliste qui n'appuie
aucune tradition, aucune définition réelle du bien. C'est la république procédurale qui ne veut
défendre que les droits-libertés individuels. Une forme vide dans laquelle seuls les individus
peuvent y placer un contenu en fonction de leurs intérêts personnels. Les droits sociaux sont en
train de se vider de leur contenu, de se faire indexés aux paramètres du laisser-faire économique.
Par exemple, qui signifie le droit au travail s'il n'est opposable à personne, même pas à un État
devenu minimal. C'est ainsi qu'aux États-Unis on se gargarise avec assurance de droits de la
personne alors que les programmes sociaux dépérissent et les prisons se remplissent.
Michael Walzer a étudié et documenté comment les individus libéraux sont de plus en plus
dissociés et s'éloignent continuellement les uns des autres . Par exemple, à cause de leur travail,
des fusions de compagnies, des pertes d'emplois, les Américains déménagent plus souvent que
tout autre peuple dans l'histoire de l'humanité. Ils ont de moins en moins de sentiment
d'appartenance à un lieu donc à une communauté. Cette subordination au capital fait que
l'éclatement des familles est plus élevé qu'il n'a jamais été dans toute autre société. Le
développement technologique accéléré, l'explosion de la consommation, le mélange des
populations font que les héritages du passé sont relativisés. L'individualisme fait que les citoyens
libéraux restent en dehors de toute organisation politique à tous les niveaux. L'intérêt personnel
étant la règle, ils votent peu ou ils se bornent à choisir ponctuellement le parti qui représentent le
mieux leurs intérêts.
La mauvaise réponse : l'individualisme libéral
Marx avait lancé cet impératif catégorique : renverser tous les rapports dans lesquels l'homme est
un être humilié, asservi, délaissé, méprisé. Nous percevons cette situation d'hypercomplexité,
consentie au nom de la liberté du capital, comme une nouvelle vulnérabilité, une sorte de
déracinement qui découle de la réduction des hommes à de simples ustensiles de la logique de
l'efficacité du capital, instrumentalisés à la loi d'airain du profit. L'ultralibéralisme progresse et il
est totalitaire ; il réduit le lien social à une relation marchande et le seul mot d'ordre est le profit.
L'État n'est plus que le gardien de la coexistence des intérêts privés.
Pourtant, cette situation d'hypercomplexité sociale contemporaine, devrait changer la nature de
ce que les membres d'une communauté authentique reconnaissent se devoir les uns les autres. Le
contrat social est un accord pour parvenir ensemble à des décisions sur les biens qui sont
nécessaires à notre vie commune, et pour nous conférer ces biens les uns aux autres. Le type de
réponse qu'exigent ces nouveaux risques devrait être source d'une solidarité unificatrice.
Au contraire, les individus sont de plus en plus atomisés. L'individualisme libéral réduit l'État au
rôle de gestion de la coexistence entre des visions conflictuelles du bien. La poursuite d'un bien
communautaire est présenté comme un mal absolu, le chemin de totalitarisme, un viol des
particularités individuelles garanties par les droits-libertés. Les ultralibéraux persistent à qualifier
de reliquat d'esprit tribal la recherche d'un but commun, en particulier la justice sociale perçue
comme une révolte contre la logique de la Grande Société. La société libérale est différenciée et
également, de ce fait, fragmentée. À cette fragmentation de la société, correspond une
58
fragmentation du moi libéral, dont les projets identitaires personnels ne peuvent jamais être que
des synthèses risquées et révisables d'une disparité d'expériences, de besoins, de loyautés,
d'orientations de valeurs et d'identités sociales.
Là où le citoyen ne perçoit plus son rapport à autrui que sous l'angle des droits individuels, la
solidarité sociale se désagrège. L'individualisme de la société libérale mine ses propres bases :
elle ne peut honorer de manière durable les principes de justice. Pour ce faire, l'État doit assurer
une tâche que le principe de neutralité lui interdit d'exercer : inculquer à ses citoyens une
conception du bien de la communauté susceptible d'engendrer chez eux un sens de la solidarité
sociale et du patriotisme .
Les formes futiles de la réalisation de soi
L'individu libéral ne participe plus à la communauté, il est radicalement sous-déterminé et divisé,
il est contraint à se réinventer continuellement. L'insignifiance générale de la société de
consommation tente de lui faire croire qu'il peut se définir par sa consommation. Choisir ses
biens de consommation devient un acte suprême d'affirmation de soi. L'immense force de
persuasion des conglomérats de toutes sortes transforment les individus en des êtres de manque,
qui courent d'une consommation à l'autre dans un monde-supermarché. Marcuse avait écrit un
livre, L'homme unidimensionnel, qui décrivait les Américains comme des esclaves heureux dans
un monde au fond répressif, le totalitarisme économico-technique. Il faisait une description
méprisante de la consommation débile et confortable, une sorte de folie commune qui tue la
force révolutionnaire. La prolifération des biens matériels produit l'abêtissement. Aristote aurait
pu ajouter que vivre uniquement pour ses désirs personnels nous rapproche de la nature animale.
Le philosophe Charles Taylor traite de la culture de l'authenticité. Le problème est le suivant :
comment trouver soi-même son projet de vie contre les pressions du conformisme et vivre une
vie plus responsable? Il nous met en garde contre ces formes égocentriques et narcissiques de
l'épanouissement de soi qui ont pris le dessus depuis les dernières décennies. L'affirmation futile
jette toutes les valeurs par la fenêtre au nom de l'affranchissement social. C'est une liberté
comme acte gratuit ; faire n'importe quoi pour affirmer la liberté en soi. Plus largement, cette
fausse authenticité consiste à s'affirmer en tournant le dos aux impératifs de la société, à tout ce
qui transcende le moi, aux exigences de la solidarité.
L'individu libéral n'existe pas
L'individu naturellement libre des libéraux n'existe pas, c'est une erreur philosophique : la liberté
est à conquérir et à développer dans la société. L'individu, serait-il le plus libre, est façonné par
son environnement culturel, par une tradition. Les libéraux nous présentent des individus isolés,
éthiquement neutres, qui choisissent leurs valeurs comme leur bière au dépanneur. L'objectif de
vie, la définition de la vie bonne est un processus de compréhension de soi dans un contexte
communautaire. Les communautariens veulent renforcer les liens qui rendent possible l'union
sociale. Un individu intégré à sa communauté, contrairement à l'individu égoïste de l'ordre
spontané du marché imaginé par le scénario des libéraux, considérera sa propre vie comme
diminuée s'il vit dans une communauté injuste.
Les libéraux nous disent qu'au nom de la liberté individuelle, l'État neutre devrait se garder
d'encourager des modes de vie, des définitions du bien alors que les compagnies et corporations
disposent de fortunes considérables pour nous imposer leurs définitions du bien et du beau. Les
compagnies n'hésitent pas à utiliser un discours stratégique visant à présenter leur bien privé
comme le bien général. Revers de la médaille du principe de la neutralité étatique, l'État libéral
ne peut plus constituer le bien commun nécessaire à la liberté réelle de peur qu'il soit
controversé. Bien sûr, la constitution et la promotion d'un bien commun implique une certaine
privation de liberté, par exemple il faut le financer et lever des impôts. Mais, sans ce bien
commun, il n'y aurait pas de liberté réelle.
59
L'État communautaire
La démocratie, la réalité de la participation, la justice politique se mesurent par la possibilité
qu'ont les citoyens de se faire entendre ou tout au moins d'exiger que l'on tienne compte de leur
point de vue. Mais les libertés politiques sont peu utilisées par le peuple faute de moyens. Loin
de s'interroger sur la volonté générale, les médias reproduisent le discours d'une petite clique de
commentateurs, d'invités permanents, toujours les mêmes : la fonction de communication est
confisquée par une poignée d'acteurs visibles, chefs de partis politiques, présidents d'associations
patronales, distributeurs de cotes de crédit, journalistes des grands médias. Le débat public
bloque sur les idées reçues par ces acteurs conservateurs. C'est ainsi que la couverture des
dernières élections au Québec fut d'une très grande pauvreté intellectuelle, fondée sur le discours
des «chefs», sur les sondages, le tout répété ad nauseam. Tout est scellé, on nous intime de
s'adapter à la mondialisation, au travail précaire, à la flexibilisation. Les trois principaux partis
sont des alter ego en pensée. C'est la fosse commune des idées. Le discours politique est devenu
un simple discours publicitaire comme un autre, une astuce pour contrôler les esprits. La dernière
campagne électorale a été l'occasion de constater à quel point le peuple ne croit plus au discours
des hommes publics et se désengage de la vie politique.
L'État libéral est incapable d'assurer les conditions sociales de sa propre légitimité. Les libéraux
nous disent qu'étant donné notre fragmentation, nous ne pouvons nous attendre à nous mettre
d'accord sur ce qu'est le bien. Il ne s'agit pas d'utiliser le pouvoir de l'État pour renforcer des
définitions controversés de la vie bonne. Dworkin comparant la communauté à un agent collectif
du type «orchestre» souligne que la vie communautaire d'un orchestre est limitée à la production
de musique orchestrale : c'est seulement une vie musicale. Ces faits déterminent le caractère et
les limites de l'intégration éthique de la vie des musiciens au sein de la vie communautaire. Le
fait du pluralisme nous oblige à définir la musique que jouera l'orchestre, à fonder le lien
politique sur un consensus par recoupement sur des convictions politiques plutôt que sur une
doctrine religieuse ou morale englobante.
Nous affirmons que les risques encourus dans la situation d'interdépendance complexe
contemporaine exigent une conception communautaire du bien, une mutualisation qui est contrée
par la doctrine ultralibérale actuellement en progression. La logique des seuls droits-libertés est
incapable de générer ce type d'engagement. Le bien relève d'une logique politique tandis que la
défense des droits individuels conduit au seul développement du système judiciaire et
bureaucratique. Dernièrement, un tribunal de la Colombie-Britannique vient d'exonérer au nom
du droit d'expression un détenteur de pornographie infantile. S'il fallait que l'on défende avec tant
de vigueur le droit social, le droit aux soins de santé, à l'éducation...
Alors que la nation perd son pouvoir de façonner un bien commun, ce risque accru nous invite à
nous solidariser. La prise de conscience de ce risque et de son omniprésence, peut servir à
reconstituer un lien ontologique entre l'individu et la société. La nouvelle demande d'activités
mutualisées, telle que l'économie sociale, en témoigne. C'est dans la perspective de cet État
communautaire que nous défendons le revenu de citoyenneté inconditionnel pour tous. Il s'agit
donc de déterminer dans quel domaine la communauté peut être un orchestre. Par exemple, le
revenu de citoyenneté pourrait être un domaine où l'État pourrait orchestrer l'égalité face à
certains biens premiers.
L'organisation face aux risques inhérents à la complexité sociale apparaît alors comme un acte
communautaire authentique non controversé. Il y a quelque chose de scandaleux à ce que
l'ensemble de la culture humaine, l'avancement technique et la capacité de création de richesses
n'aient pas résolu le problème de l'accès aux biens premiers. Il faut mettre à jour ce qui ne tourne
pas rond dans une doctrine libérale qui, au nom de la liberté, permet qu'une partie appréciable de
la population soit dans l'insécurité quant aux biens premiers.
___________________
60
LADI, Zaki, Malaise dans la mondialisation, Paris, Les éditions Textuel, 1997, p. 31.
WALZER, Michael, « La critique communautarienne du libéralisme », dans BERTEN, A., DA 2.
SILEIRA, P., POURTOIS, H., Libéraux et communautariens, PUF, 1997,
WALZER, Michael, Sphères de justice ; une défense du pluralisme et de l'égalité, Seuil, 1997, p.
104.
WELLMER, Albrecht, « Conditions d'une culture démocratique », dans Libéraux et
communautariens, op. cit., p. 375-399.
TAYLOR, Charles, La liberté des Modernes, PUF, 1997.
TAYLOR, Charles, Les sources du moi, Boréal, 1998. Aussi, Grandeur et misère de la modernité,
Bellarmin, 1992.
DWORKIN, R., « La communauté libérale », dans Libéraux et communautariens, op. cit., p.
337-358.
FERRY, Jean-Marc, Philosophie de la communication, tome 2, « Justice politique et démocratie
procédurale », Cerf, 1994, p. 32.
DWORKIN, Ronald, op.cit.
MOREAU, Jacques, L'économie sociale face à l'ultra-libéralisme, Paris, Syros, 1994.
toptop
61
3. la participation active de Manoïlesco à la vie scientifique italienne et ses permanents liens
avec des savants, fonctionnaires culturels et personnalités politiques de la pèriode
recherchée.
Manoïlesco débuta presque en même temps dans la vie scientifique et politique, peu après la fin
de la première guerre mondiale. Dans ses premièred contributions scientifiques il soutenait
l'accroissement du rôle de l'État en économie par l'utilisation des mécanismes financiers,
monétaires et de crédit et l'accélération du redressement industriel par l'élargissement de la base
technique.
Dans le gouvernment Averesco de 1926-1927, Manoïlesco a détenu la fonction de sous-secrétaire
d'Etat au Ministère des Finances. Dans cette qualité officielle, il a entrepris deux voyages en
Italie, en mai-juin 1926 et janvier-février 1927. Parmis les buts de ces missions figuraient la
préparation d'un traité d'alliance italo-roumain, le règlement de l'ancienne dette roumaine et la
conclusion d'un éventuel emprunt roumain en Italie [2]. Pendant ses voyages Manoïlesco a
rencontré quelques officialités italiennes de haut rang et a établi des liens personnels dans le
monde universitaire de Rome, relations qu'il a su cultiver dans les années à venir.
En 1929 Manoïlesco a publié à Paris, aux éditions Giard, dans l'importante collection
Bibliothèque Économique Internationale la première version de son œuvre fondamentale
Théorie du protectionnisme et de l'échange international. Le livre a été tout de suite traduit en
italien et édité en 1930.
Dans son ouvrage, Manoïlesco utilise son propre instrumentaire méthodologique, redéfinissant
ou, selon le cas, introduisant les concepts de productivité du travail, bénéfice individuel et
bénéfice national, la stimulation des branches économique les plus productives et la stimulation
des producteurs indigènes, par rapport aux étrangers, et au niveau de l'économie mondiale,
l'établissement des critères rationnels concernant les droits de douane et la décentralisation
économique du monde.
La volume de Manoïlesco a été lu et recensé par des économistes italiens de différentes
orientations, comme l'ancien théricien socialiste Achille Loria et les corporatistes G. Arias et E.
Corbinno. Entre Manoïlesco, d'un coté, et Loria, de l'autre, s'est déroulée une intéressante
polémique portant sur l'originalité et les conséquences de la thése du doctrinaire roumain
concernant l'exploitation de certaines nations par les autres par l'intermède du commerce
international [3].
A la fin de 1931 et au courant de 1932, en marge de l'ouvrage de Manoïlesco ont été organisés en
Italie plusieurs débats et tables rondes. Au centre des controverses se trouvaient les concepts,
dont je faisais mention auparavant, de production nette, bénéfice national et productivité du
travail.
Pour Manoïlesco la production nette se calculait comme différence entre la valeur de la
production globale et les dépense matérielles préexistantes, ou entre les valeurs qui sortent de
l'entreprise et celles qui y entrent [4]. Plusieurs auteurs italiens ont remarqué que les deux
définitions n'étaient pas équivalentes et la deuxième définition ne portait pas de caractére
scientifique. Felice Vinci considérait que la production nette était, en effet, la production brute
diminuée par les droits de douane, point de vue rejeté, comme étant simpliste, par Manoïlesco
[5]. Ernesto Glane, parmi d'autres, proposait l'élimination de la valeur des biens
nonréproductibles du calcul des dses matérieles préexistantes; Manoïlesco accepta cette
remarque, mais l'estima comme insignifiant pour sa définition [6].
Le doctrinaire roumain considérait que le bénéfice national exprimait la valeur de la production
nette, étant la somme des valeurs nouvellement crées dans chaque entreprise et branche de
production. Entre le bénéfice national, définit comme auparavant, et le bénéfice de l'entrepreneur
(qui mesurait le montant de son profit), il n'y avait d'après lui aucune relation de détermination.
Cette situation, estimait Luigi Bottini, présupposait soit le contrôle de l'Etat sur les entreprises
62
privées, soit l'étatisation des entreprises de grande et moyenne taille [7]. Manoïlesco rejetait cette
objection, invoquant l'argument que son analyse se trouvait sur le terrain strictement économique
et ne portait par sur les aspects de politique socioéconomique.
Pour Manoïlesco, la productivité du travail se définissait comme rapport entre la valeur de la
production nette et le nombre de salaries [8]. Corado Donvito estimait que la définition de
Manoïlesco exprimait tout simplement le principe hédoniste, sans aucun élément de nouveauté
scientifique. L'auteur roumain admettait cette objection, mais la réduisait à une simple remarque
concernant un trait général de l'activité économique [9].
En avril 1932 Manoïlesco a commencé à éditer à Bucarest, en roumain, la revue Lumea Nouă
(Le Nouveau Monde), par laquelle il se proposait de populariser ses idées économiques et
sociopolitiques dans les rangs du public roumain. Parmi les italiens qu'on retrouve comme
auteurs dans les pages de cette revue figuraient Ugo Spirito et Niccolo Gianni. Le dernier, par
exemple, était présent avec un article dans le numéro 5, 1934 et avec une recension dans le
numéro 3, 1935 [10].
En mai 1931, Manoïlesco a répondu favorablement a l'invitation de participer au congrés
scientifique organisé ă Ferrara sur le thčme de la doctrine corporatiste. Ŕ cette manifestation se
sont rendu des spécialistes connus en la matičre, italiens - Dino Alfieri, Carlo Costamagna, Ugo
Spirito, Carlo Emilio Ferri -, aussi bien qu'étrangers - Werner Sombart, Ottmar Spann etc. Dans
son intervention au congrés, Manoïlesco a remarque le rapprochement existent entre ses idées et
celles corporatistes italiennes, mais aussi les solutions différents qu'il envisageait dans des
problèmes de substance. Ainsi devait l'État corporatiste, aussi bien que des régions
géographiques, par la décentralisation du pays. Faisant référence à sa présence, quelques
participants italiens considéraient Manoïlesco comme un adepte convaincu du corporatisme,
impatient d'appliquer ses idées en Roumanie [11].
En novembre 1932, Manoïlesco a pris part aux travaux du congrès de l'Académie Italienne.
Désireuses d'accorder à cet évènement une grande importance, les autorités italiennes ont invité
une pléiade de spécialistes étrangers de prestige scientifique, parmi lesquels se trouvaient Gabriel
Hanotaux, Werner Sombart, Alfred Weber, Otto v. Franges, Elmer Hantos et beaucoup d'autres.
La communication de Manoïlesco a fait une synthèse de sa doctrine économique; l'auteur a
insisté surtout sur l'idée de partage de l'Europe en deux groupes de pays - les uns industriels, les
autres agricoles -, les pays industriels exploitant les pays agricoles par les biais du commerce
international. Sa thèse a été soutenue chaleureusement par beaucoup de participants, y compris
par le secrétaire général du congrès, qui l'a mentionné d'une manière particulière dans le rapport
final. Les publications italiennes ont largement relaté sur la communication de Manoïlesco, et un
extrait de celle-ci a paru sur la manchette de plusieurs journaux [12].
La personnalité et les idées de Manoïlesco se sont maintenues au centre de l'intérêt du monde
scientifique italien dans les années suivantes. Quelques échos de son activité apparaissent dans
les quotidiens de grand tirage Corriere della Sera, Giornale d'Italia et dans la revue Ottobre.
Manoïlesco a publié à Paris en 1934, dans les éditions F. Alcan, son livre Le Siècle du
corporatisme. La doctrine du corporatisme intégral et pur. Dans cet ouvrage, il se propose
d'analyser, du point de vue historique, social et économique, les fondements de la doctrine
corporatiste. Pour prouver l'opportunité de l'avènement du corporatisme, Manoïlesco entreprend
une analyse critique des valeurs propres a l'Etat libéral et à l'économie de marché, qu'ils
considèrent comme périmées. De son coté, il décrit l'organisation de l'État corporatiste, ses
fonctions, le rôle des corporations, la position des différentes catégories sociales etc. Par
l'ensemble du livre, Manoïlesco envisageait la qualité de théoricien de première importance du
corporatisme, dans une variante différente de celles qui étaient en voie d'application en Italie,
aussi bien qu'en Autriche ou au Portugal.
63
L'attitude des corporatistes italiens par rapport à cette démarche scientifique de Manoïlesco a été,
cette fois-ci, beaucoup plus nuancée. D'un coté, quelques-uns ont signalé avec satisfaction
l'apparition d'un livre en mesure de consolider l'échafaudage idéologique corporatiste. Ainsi
montrait Giovanni Bortolotto l'importance fondamentale, à son avis, de l'ouvrage de Manoïlesco
pour comprendre l'idée corporatiste. Giovanni Marchesi considérait le doctrinaire roumain
comme une grande autorité dans la matière, de même Francesco Vito l'appréciait pour
l'originalité de sa conception corporatiste [13]. De l'autre coté, les doctrines officiels du
corporatisme italien, tel Carlo Costamagna et d'autres, qui revendiquiaient pour eux la qualité de
théoriciens du phénomène corporatiste, aussi bien que les officialités italiennes ont exprimé des
réserves à l'egard du livre de Manoïlesco.
Dans les années 1936-1937 le doctrinaire roumain a continué de participer à des manifestations
scientifiques organisés en Italie et d'entrenir des relations étroites avec les cercles intellectuels du
pays. Dans la presse italienne figuraient des recensions, notes et commentaires sur les travaux de
Manoïlesco, dont les échos se trouvaient dans la revue Lumea Nouă.
La montée de l'idéologie fasciste à la fin des années 1930, aussi bien que ses propres frustrations
politiques ont déterminé le raprochement plus marqué de Manoïlesco des positions du régime
fasciste italien. "L'Italie fasciste, notait-il, reprsente le pionnier de l'État nationaliste affirmé par
héroisme et constructivisme" [14]. Cette appréciation, et d'autres dans le même registre, ont été
réceptionné avec satisfaction dans les milieux culturels lies au régime fasciste italien. Sur la
même ligne se situe l'attitude de la revue Lumea Nouă, qui a salué les interventions militaires
italiennes en Ethiopie et en Espagne.
Au début de l'année 1938, Manoïlesco a été invité, tout ensemble avec un groupe de
sympathisants, aux fêtes organisées par les autorités italiennes à l'occasion du bimillénaire depuis
la naissance de l'empereur romain Auguste. Présent aux fêtes, Manoïlesco a fait des déclarations
favorables aux résultats économiques et politiques de l'application de la doctrine corporatiste en
Italie, déclarations reçues avec satisfaction par ses hôtes [15].
La détérioration de la situation internationale et le déclenchement de la seconde guerra mondiale
ont déterminé, parmi d'autres conséquences, la perturbation des relations scientifiques
internationales. En plus, la famille Manoïlesco a subi des pertes matérielles, fait de nature à
limiter ses possibilités de voyager. Même dans cette situation, le doctrinaire roumain a fardé des
contactes étroits avec plusieurs auteurs italiens, et des références à son œuvres étaient présentes
dans les articles de A. Fossati, L. Gangemi et G. Signorelli.
En été 1940 Manoïlesco a été désigné ministre des affaires étrangères dans le gouvernmente
dirigé par Ion Gigurtu. Sous la pression des forces révisionnistes, soutenues d'ailleurs par les
autorités fascistes italiennes, l'Etat roumain a été obligé à accepter des pertes territoriales
importantes au bénéfice des États voisins. En sa qualité officielle, Manoïlesco a signé l'arbitrage
(considéré par l'historiographie roumaine comme un vrai Diktat) de Vienne, qui établissait la
nouvelle ligne de frontiérw roumaino-hongroise [16]. Tout le capital de sympathie, réel ou au
moins prétendu, dont jouissait Manoïlesco parmi les officialités et l'opinion publique italienne,
n'ont servi à rien: ses tentatives pour le canaliser en faveur de la cause roumaine ont échoué
inéluctablement.
[1] V. NECHITA, Doctrina economică şi corporatistă a lui Mihail Manoilescu [La doctrine
économique et corporatiste de Mihail Manoïlesco], thèse, Académie des Sciences Économiques,
Bucarest, 1971: 17.
[2] M. MANOILESCU, Memorii [Mémoires], Bucarest, 1993: I, 63-65 et 78-82.
[3] Rivista Bancaria, janvier et août, 1930. Voire également M. MANOILESCU, Memorii,
Bucarest, 1993: II, 238.
64
[4] M. MANOILESCU, Forţele naţionale productive şi comerţul exterior. Teoria
protecţionismului şi a schimbului internaţional [Les forces nationales productives et le
commerce extérieur. La théorie du protectionnisme et de l'échange international], Bucarest,
1986: 67-80.
[5] Ibidem: 81.
[6] L'Economia, décembre 1931.
[7] Rivista di politica economica, juillet 1932: 680-697.
[8] M. MANOILESCU, Forţele naţionale productive şi comerţul exterior: 65-67.
[9] Industria Lombarda de 11 juillet et 10 septembre 1932. Voire également M. MANOILESCU,
Forţele naţionale productive şi comerţul exterior: 103.
[10] Lumea Nouă 5, 1934 et 3, 1935.
[11] M. MANOILESCU, Memorii, vol. 2: 314-316.
[12] Ibidem: 339-342.
[13] Ibidem: 371-372.
[14] Lumea Nouă 4, 1947: 231.
[15] Ibidem 2, 1937: 231.
[16] M. MANOILESCU, Dictatul de la Viena [Le diktat de Vienne], Bucarest, 1991: 195-203.
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