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Archipel

Ilen Surianegara (1924-2000)


Marcel Bonneff

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Bonneff Marcel. Ilen Surianegara (1924-2000). In: Archipel, volume 61, 2001. pp. 3-6;

doi : https://doi.org/10.3406/arch.2001.3603

https://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_2001_num_61_1_3603

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Hen SURIANEGARA
(1924-2000)

Le 26 juin 2000 s'est éteint à Jakarta, à l'âge de 75 ans, celui qui fut
certainement parmi les personnalités de sa génération un des plus fidèles amis
de la France. Pak lien ne manquait jamais de réaffirmer son attachement à
notre pays, soutenant sans réserve toute entreprise culturelle
franco-indonésienne.
Ainsi fut-il un des tout premiers à saluer et à encourager la naissance
d' Archipel, en 1971, à l'époque où il était conseiller à l'ambassade
d'Indonésie à Paris, sans chercher pour autant à y exercer une quelconque
influence. Il fut aussi, il y a quelques années (1992) une des chevilles
ouvrières du Forum Jakarta-Paris, une initiative consacrée à la réhabilitation
puis à l'exposition des tableaux de peintres «parisiens» que Pak lien avait
lui-même réunis, lorsqu'à la fin de son séjour en France comme attaché
culturel et de presse (1954-1959), il avait fait appel à des dons gracieux comme
amorce d'un futur musée d'art moderne; la collection rapportées par lien -
quelque soixante-dix toiles et cent lithographies - dormait dans les combles
du Musée National quasiment oubliée... Parmi les autres activités du Forum,
la traduction en indonésien d'ouvrages de philosophie et de sciences sociales
et leur édition à l'usage d'un large public faisaient partie de ces «idées»
propres à alimenter des échanges que Pak lien avait rêvé toute sa vie, en tant
que diplomate mais plus encore en tant qu'homme de culture, de voir se
multiplier.
D'origine soundanaise, né à Bandung le 29 décembre 1924, lien
Surianegara fréquentait le lycée technique (SMT) de Jakarta au moment de
l'occupation japonaise, avant d'être admis en 1945 au Koogyo Daigaku, la
faculté technique de Bandung qui deviendra l'ITB. Lors de la proclamation
de l'indépendance, on le trouve parmi les jeunes activistes de Bandung puis,
avec l'arrivée des alliés, sa connaissance de l'anglais et du français (outre le
néerlandais) lui permet de se rendre utile comme interprète. Il jouera ce rôle
notamment auprès des journalistes étrangers - servant aussi accessoirement
de correspondant pour l'AFP - lorsque la République d'Indonésie aura replié
sa capitale à Yogyakarta. Il sera à la fois interprète et porte-parole aux
négociations avec les Hollandais à Kaliurang en 1948. Employé par le ministère

Archipel 61, Paris, 2001


de l'Information, il a entre autres tâches d'assurer les émissions en français
de la Radio Republik Indonesia et ainsi, comme il se plaisait à l'évoquer, à
faire savoir au monde le combat des Indonésiens pour la reconnaissance de
leur indépendance. Il lui est bientôt donné de suivre le cursus de la nouvelle
Akademi Ilmu Politik, ce qui lui ouvrira ensuite, vers 1950, la possibilité de
poursuivre des études en France à «Sciences Po» Paris (avec, rappelait-il,
Jacques Chirac parmi ses condisciples).
Il fut pour un temps (1954) représentant de l'agence Antara à
Amsterdam, avant d'embrasser la carrière diplomatique, devenant tout
naturellement, comme on l'a vu, attaché culturel et de presse à Paris. À l'issue de
ce séjour, rappelé au ministère des Affaires étrangères à Jakarta, il devint
chef du service d'information avant de suivre en 1962 le cursus du SES-
KOAD à Bandung (sa connaissance de l'armée lui vaudra, quelque 20 ans
plus tard - 1980-1983 - sous l'Ordre nouveau, d'être vice-gouverneur de
l'Institut de la Défense nationale, Lemhanas). Il fut ensuite conseiller à
l'ambassade indonésienne au Japon et, à partir de 1964, jouissant de toute la
confiance de Soekarno, chargé d'affaires en Algérie, se consacrant plus
particulièrement à la préparation du «second Bandung» qui devait se tenir à
Alger mais fut ajourné sine die. De retour au ministère en 1967, il fut chargé
de la formation des diplomates et, après un nouveau séjour en Europe (Paris
puis Bonn, entre 1969 et 1975), il se vit confier la direction des affaires
sociales et culturelles (sosial-budaya). La fin de sa carrière diplomatique
sera consacrée au Maghreb, avec une ambassade en Tunisie (1977-1980; il
est également accrédité au Maroc et en Libye) et pour finir, après l'intermède
du Lemhanas, de nouveau en Algérie comme ambassadeur (accrédité en
Guinée et au Mali), jusqu'en 1986, date de sa retraite.
Il s'agit là des grandes lignes d'une carrière somme toute assez classique,
où la compétence et le professionnalisme l'emportèrent sur les préférences
politiques (en l'occurrence les sympathies pour le PSI et l'admiration pour
Sjahrir, puis l'attachement à la personnalité de Soekarno) sans être toutefois
dénués d'esprit critique envers le régime de Soeharto. La dimension «afro-
asiatique» jointe à la francophonie d'Ilen donnèrent également à sa carrière
un relief tout particulier, sans parler du caractère relativement pionnier à son
époque des relations avec le Maghreb. Plus encore que son côté
professionnel, on retiendra de la diplomatie telle que la pratiquait lien la double
exigence de dignité de l'Indonésie et d'ouverture sur le monde, une exigence
qu'on peut sans doute faire remonter à la période de la Revolusi Fisik où
l'esprit d'indépendance nationale trouvait à s'exalter dans la reconnaissance
internationale.

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Hen Surianegara et Deny s Lombard (Jakarta, dec. 1993)

Hen Surianegara aura de surcroît contribué à faire que cette volonté


d'ouverture emprunte en priorité les chemins de la culture ; il était persuadé
que sur ces chemins l'Indonésie avait tant à offrir. À Paris, dans son premier
poste, il fit œuvre de défricheur en cherchant à faire connaître en français
quelques auteurs indonésiens contemporains ; il en résulta un petit recueil
publié en 1958 : Poèmes et Nouvelles, choix de littérature indonésienne
contemporaine. Au Japon quelques années plus tard, il s'illustra dans cette
«diplomatie culturelle» en faisant voyager à travers le pays diverses troupes
de musique, de danse ou de théâtre traditionnels.
À son retour d'Algérie en 1967, lien se trouva selon ses dires «au milieu
d'un désert culturel» ; il obtint le soutien d'Ali Sadikin, alors gouverneur de
Jakarta (c'était l'époque où celui-ci fit créer le TIM), pour lancer en 1968,
avec ses amis Ajip Rosidi et Ramadhan KH, la revue littéraire et culturelle
Budaya Jay a. Pendant une dizaine d'années (elle disparut en 1979), la revue
dirigée par Pak lien fut une revue de référence pour les milieux intellectuels
indonésiens, avec quelques grandes signatures, entre autres celle de
Soedjatmoko, et la révélation de jeunes talents : Nono Anwar Makarim,

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Arief Budiman, Goenawan Mohamad, etc. Prenant des risques avec
l'idéologie dominante, un Nono Anwar Makarim, par exemple, y prétendait
«rompre avec les chaînes d'une dictature mentale».
À la retraite, tout en dirigeant le Lembaga Indonesia- Amerika (1988-
1993) un institut d'enseignement de l'anglais, il multipliera ses contacts et
interventions dans les milieux artistiques et intellectuels ; il participera aussi
de près, à travers plusieurs associations, au renouveau de la langue et de la
culture du Priangan (voir la notice que lui a consacré la récente
Encyclopédie de la Culture soundanaise).
lien Surianegara avait livré quelques souvenirs et réflexions à Emmanuel
Subangun (et ses collaborateurs de l'Association Alocita) en vue d'une
publication restée inédite : lien Surianegara di tepi sejarah. On y redécouvre
le demi-siècle d'indépendance indonésienne, sous le regard vigilant d'un
défenseur des droits de l'homme et de la liberté individuelle. Il s'insurgeait
contre l'assimilation, courante en Indonésie, de celle-ci à l'individualisme
forcené, censé être une perversion de l'Occident. La lecture de Camus,
Malraux, Sartre (qu'il était fier d'avoir pu interviewer dans les années 50), la
grande admiration qu'il éprouvait pour E. Du Perron découvert plus
récemment, le confortaient dans sa défense de l'individu face à l'État totalitaire,
face au régime militariste (et il avait même parfois pris des risques à se dire
marxiste...). Le sectarisme religieux ne lui faisait pas moins horreur, lui qui
était resté musulman tout en reconnaissant l'apport des valeurs, en particulier
la tolérance, que lui avait inculquées l'école chrétienne fréquentée dans son
enfance. La «stratégie culturelle» qu'il appelait de ses vœux ne pouvait se
concevoir sans la liberté, source de créativité.
L'image du «passeur» entre les cultures, pour utiliser une expression en
vogue, sied parfaitement à Pak lien. «Le vent de la mer a poussé ma barque,
jusqu'à la limite de l'horizon et je me suis arrêté au lac de la culture... il
mène à d'autres lacs, celui de l'économie, de la politique, etc. [...] mais je
m'y suis arrêté, car le lac de la culture ne sera jamais sec ; il est très paisible
et il a tout pour satisfaire» (propos recueillis par Subangun).
lien Surianegara était un passeur, il avait pour barque l'humanisme.

Marcel BONNEFF

Archipel 61, Paris, 2001

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