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COUNCIL :: r: CONSEIL
/» OF EUROPE * * * DE L'EUROPE
t

COMMISSION EUROPÉENNE
DES DROITS DE L'HOMME

Requêtes n°^ 6780/74 et 6950/75


CHYPRE.
contre
TURQUIE

Rapport de ia Commission
(adopté le 10 juillet 1976)

VOLUME I

STRASBOURG
SECRET

Requêtes N° 6780/7^ et 6950/75

CHYPRE c. TURQUIE

RAPPORT DE LA COMMISSION

(adopté le 10 juillet 1976)

VOLUME I

45,823
06.2
TABLE DES MATIERES

VOLUME I

Pages

Table des matières t i - xi


Liste des principaux documents xii
Introduction (par, 1 - 5) 1 "3
PARTIE I - GENERALITES (par. 6-85) %, 4-32
Chapitre 1 - Genèse des événements (par. 6 -18) 4-9
Chapitre 2 - Substance des requêtes (par. 19 - 23) .... 10-14
(a) Requête N° 6780/74 (par. 19-20) 10
(b) Requête N^ 6950/75 (par. 2 1 - 2 2 ) 11 - l4
(c) Déclaration du Gouvernement défendeur
(par. 25) 14
Chapitre 3 - Procédure devant la Commission
(par. 2 4 - 4 9 ) 15-20
(a) Procédure quant à la recevabilité
(par. 25 - 29) 15 - 16
(b) Procédure quant au fond (par. 30-49).. I6 - 20
Chapitre 4 - Application des articles 28 et 31 de la
Convention aux circonstances de l^espèce
(par. 50 - 59) 21 - 24
Chapitre 5 - Eléments de preuve recueillis
(par, 6 0 - 7 5 ) 25-29
Introduction (par. 60 - 64) 25
I, Témoins et personnes interrogés
(par. 6 6 - 6 9 ) 26-27
1, Témoins (par. 66 - 68) 26-27
2. Personnes interrogées (par. 69) . . . 27
II. Autres éléments de preuve (par. 70-75) 27 - 29
1. Lieux visités (par. 70) 27
2. Films (par. 71) 28

./
11 -

Pages
3. Rapports 5 déclarations et
documem:s divers (par. 72 - 75).-. 28 - 29
(a) Rapports d'organismes inter-
nationaux (par. 72) 28
(b) Déclarations (par. 73) '28
(c) Documents divers (par. 74-75). 28 - 29
Chapitre 6 - Difficultés rencontrées pour établir les
faits de la présente affaire (par.76-85).< 30 - 32
I. Portée des allégations (par. 77) .... 30
II. Non-participation du Gouvernement
défendeur à la procédure quant au
fond (par. 7 8 - 7 9 ) ' 30
III. Nature des éléments de preuve
(par. 8 0 - 8 2 ) 30-31
IV. Responsabilité de la Turquie au
regard de ia Convention (par.83-85).. 32
PARTIE II - EXAMEN DES ALLEGATIONS CONTENUES DANS LES
DEUX REQUETES (par, ^o - 505) 33 - 156
Introduction (par. 8 5 - 8 8 ) 33
Chapitre 1 - Déplacement de personnes (par. 89 - 212).. 34 - 74
Introduction (par. 8 9 - 9 1 ) 34
A. Argumentation des Parties 34 - 37
I. Gouvernement requérant
(par. 9 2 - 9 7 ) 34-36
II. Gouvernem.ent défendeur
(par. 98) 37
B. Article pertinent de la Convention
(par. 99 - 100) 37
C. Eléments de preuve recueillis 37-64
I. Renseignements généraux sur les
personnes déplacées à Chypre
"(par. 101 - 106) * 37 - 39
II. Mouvements de personnes provoqués
par l'action militaire turque
et observés pendant les 2 phases
de combats véritables (20 - 22
juillet et 14--15 août 1976)
par, 1 0 7 - 1 1 ^ ) 39-42
III,Mesures de déplacement prises pendant
les phases de combats véritables et
non directement liées aux opérations
m.ilitaires turques (par. 115 - 165) . 42 - 58
(a) Déplacement de Chypriotes grecs
à l'intérieur des zones contrôlées
par l'arm.ée turque(par. 117-122) .. . 42 - 45
./.
Pages

(b) Expulsion au-delà de la ligne


de démarcation de Chypriotes
grecs du nord (par.123-130) 45 - 48
(c) Transfert négocié de Chypriotes
grecs détenus dans le nord vers
la zone contrôlée par le Gouver-
nement requérant(par. 131-149)... 48-53
(d) Chypriotes grecs déportés en
Turquie continentale et trans-
férés à leur libération, vers
la zone contrôlée par le
Gouvernement requérant
(par. 150 - 158) 54 - 56
(e) Transfert négocié, pour des
raisons humanitaires, de personnes
nécessitant une surveillance
médicale ainsi que d'autres
personnes vers la zone contrôlée
par le Gouvernement requérant
(par. 159 - 165) 56-58
IV. Refus d'autoriser le retour des
personnes déplacées (par. 166-178).. 58 - 63
V, Dislocation de familles provoquée
oar le déplacement de Chypriotes
grecs (par, 179 - 18^1) 63 - 64
D. Evaluation des éléments de. preuve
recueillis (par. I85 - 200) 65 - 69
I. Généralités (par. I85) 65
II. Mouvements de personnes provoqués
par l'action militaire, turque
(par. 186 - 188) 65
III, Mesures de déplacement prises
pendant les phases de com.bats véri-
tables et non directement liées aux
ODerations militaires turques
(par. 189-- 198) 66 - 68
(a) Expulsion de personnes de leurs
foyers et leur transfert vers
d'autres endroits dans le nord
(par. 190) 66
(b) Expulsion au-delà de la ligne de
démarcation (par, 191 - 193) .... 66-67
(c) Transfert négocié de prisonniers
et de détenus, y compris ceux
emprisonnés en Turquie
(par. 194-197) 67-68
(d) Transfert négocié, pour des
raisons hum.anitaires, de person-
nes j'écessitant une surveillance
médioale ainsi que d'autres
persiinnes (par. 198) 68
Pages
IV. Refus d'autoriser le retour des
réfugiés et des expulsés '.par. 199) 68 - 69
V. Dislocation de familles chypriotes
grecques provoquée par leur déplace-
ment ' ( par . 200 ) ' 69
;. Responsabilité de la Turquie au regard
de la Convention 69-71
I. Mouvements de personnes provoqués
par l'action militaire turque
et observés pendant les phases de
combats véritables, et refus d'auto-
riser le retour des réfugiés dans le
nord (par. 201 - 203) 69-70
II. Mesures de déplacement prises pendant
les phases de com/cats véritables et
non directem.ent liées aux opérations
militaires turques (par. 204 - 205).. 70 - 71
(a) Mesures de déplacement à l'inté-
rieur de la zone septentrionale
de Chypre et expulsion au-delà
de la ligne de démarcation
(nar. 20^^) 7^-71
(b) Transfert négocié de personnes
vers la zone contrôlée par le
Gouvernement requérant, et refus
d'autoriser leur retour dans le
nord (par. 205) 71
III. Dislocation de familles (par. 206)... 71
P. Conclusions 72 - 74
I. Généralités (par, 207) : 72
II. Mouvements de personnes provoqués
par l'action m.ilitaire turque
et observés pendant les phases de
combats véritables et refus d'auto-
riser le retour des réfugiés (par.
208) 72
III. Mesures de déplacement prises pendant
les phases de combats véritables et
non directement liées aux opérations
militaires turques (par. 209 - 210).. 72 - 74
(a) Mesures de déplacement dans le
nord de Chypre et expulsions
au-delà de la ligne de démarca-
tion (par. 209) 72-73
(b) Transfert négocié de personnes
vers la zone contrôlée par le
Gouvernem.ent requérant, et refus
d'autoriser ces personnes à
rentrer dans leurs foyers dans le
nord (par. 210) 73-74
IV. Dislocation de famille (par. 211) 74
V. Réserve concernant l'article 15 de la
fnnvpnr.-î on ( m^T? . ?^?^ 74
Pages

Chapitre 2 ­ Privation de liberté (par.213 ­ 3l4) 75 ­ 109


Introduction (par. 213) '.' ^'. » ; : : :■ 75
A. "Personnes enclavées" (par.215­236) ... 75­83
I. Argumentation des Parties
(par. 215 ­ 2l8) 75­76
(1) Gouvernement reauérant
(par. 215 ­ 217) 75­76
(2) Gouvernement défendeur (par.218). 76
II. Article pertinent de la Convention
(par. 219 ­ 220) 76­77
III. E léments de preuve recueillis
(par. 221 ­ 229) 77 ­ 81
IV. Evaluation des élém.ents de oreuve
(par. 230 ­ 231) \ 8l
V. Responsabilité de la Turquie au
regard de la Convention (par.232­233) 82
VI. Conclusions (par. 234 ­ 236) 82­83
B. "Centres de détention" (par. 237 ­ 289) 83 ­ 101
I. Argumentation des Parties
(par. 237 ­ 24l) 33 ­" 84
(1) Gouvernement requérant
(par. 237 ­ 240) 83­84
(2) Gouvernement défendeur (par. 241) 84
II. Articles pertinents de la Convention
(par. 242) 84
III. E léments de preuve recueillis
(par. 243 ­ 273) 85­97
(a) Séquestration dans des centres de
détention ouverts dans des écoles
et des églises (par. 247 ­ 258).. 85 ­ 92
(b) Séquestration dans des maisons
particulières (par. 259 ­ 265)... 92 ­ 94
(c) Séquestration à l'hôtel du Dôme,
à Kyrenia, et dans le village de
Bellapais (par. 266 ­ 273) 94­97
IV. Evaluation des éléments de preuve
recueillis (par. 274 ­ 278)" 98 ­ 99
V. Responsabilité de la Turquie au regard
de la Convention (par. 279 ­ 284) 99 ­ 100
VI. Conclusions (par. 285 ­ 289) 100 ­ 101
C. "Prisonniers et détenus" (par.29O­313).. 101 ­ 109
I. Argumentation des Parties
(par. 290 ­ 293) 101­102
(1) Gouvernement requérant
(par, 290­292) 101­102
(2) Gouvernem.ent défendeur
(par.. ::'93) 102
- VI -
Pages
II. Article pertinent de la Convention
(par. 294) 102
I I I , Elém.ents de preuve r e c u e i l l i s
(par, 295 - 302) 102-106
IV, Evaluation des éléments de preuve
recueillis (par. 303 ^ 305) 107
V. Responsabilité de la Turquie au regard
de la Convention (par. 307 - 308) .. 107
VI. Conclusion (par. 309 - 313) 108 - 109
D. Observation finale (par. 3l4) 109
Chapitre 3 - Non-resoeet du droit à la vie
(par. 515 - 356) 110-119
A. Argumentation des Parties
(par. 315 - 317) 110
I. Gouvernement requérant (par.315-316) 110
II. Gouvernement défendeur (par. 317) .. 110
B. Article pertinent de ia Convention
(par. 318) 110-111
C. Eléments de preuve recueillis
(par. 319 - 342) 111 - 116
I. Elém.ents de preuve concernant des
meurtres (par. 319 - 529) 111 - 114
II. Eléments de preuve concernant les
personnes portées disparues
(par. 330 - 3^2) 114-116
1. Renseignemients fournis par des
organisations chypriotes s'occupant
des problèmes posés par les person-
nes portées disparues(par.330-332) 114 - 115
2. Action des Nations Unies
(par. 333-338) 115-116
3. Autres elém.ents de preuve
(par. 339-342) '. II6
D. Evaluation des éléments de preuve
recueillis (par. 343 - 349) 117-118
I. Eléments de preuve concernant les
meurtres allégués (par. 343 - 346).. 117
II. Eléments de preuve concernant la
disparition de personnes (par.347-349) 117 - II8
S. Responsabilité de la Turquie au regard de
la Convention (par. 350 - 351) II8
I. Meurtres (par. 350) II8
II. Personnes portées disparues(par.351) 118
F. Conclusion (par. 352 - 356) II8 - 119
Chapitre 4 - Mauvais traitements (par.357 - 410) .... 120 - 135
A. Allégations de viol (par. 358 - 374) ... 120 - 124
I. Argumentation des Parties (par.358-359) 120
1. Gouvernement requérant (par. 358) . 120
2. Gouvernem.ent défendeur (par. 359) 120
- vil -

Pages
II. Article pertinent de la Convention
(par. 360) 120
III, Elém.ents de preuve recueillis
(par. 361 - 370) 120-124
IV. Evaluation des éléments de preuve
recueillis (par. 371 - 372) 124
V. Responsabilité de la Turquie au regard
de la Convention (par. 373) i24
VI, Conclusion (par. 374) 124
B, Conditions de détention (par, 375-405).. 124 - 134
I. Sévices (par. 375 - 394) 124-132
1. Argumentation des Parties
(par. 375 - 379) 124-125
(a) Gouvernem.ent requérant
(par. 375 - 378) 124-125
(b) Gouvernement défendeur
(par, 379) 125
2. Article pertinent de la Convention
(par. 380) 126
3. Eléments de preuve recueillis
(par. 381 - 389) 126-130
4. Evaluation des éléments de preuve
recueillis (par. 390 - 392) 131
5. Responsabilité de la Turquie au
regard de la Convention (par. 393) 132
6. Conclusion (par. 394) 132
II, Refus de distribuer des vivres et des
médicaments (par. 395-405) 132 - 134
1. Argumentation des Parties
(par. 395 - 396) 132
(a) Gouvernement requérant (par.395) 132
(b) Gouvernement défendeur (par.396) 152
2. Article pertinent de la Convention
(par, 397) 132
3. Eléments de preuve recueillis
(par. 398 - 401) 132 - 133
4, Evaluation des elém.ents de preuve
recueillis (par, 402 - 403) 133
5, Responsabilité de la Turquie au
regard de la Convention (par. 404) 13^
6, Conclusion (par, 405) ». 134

,/
- VI11

Pages

Autres fcrm.es d'agression physique


infligées à des personnes non détenues
(par. 406 - 4lC) 134 - 135
I, Argumentation des Parties
(par, 406 - 407) 134
1. Gouvernem^ent requérant (par. 406) 134
2. Gouvernement défendeur (par.407) 13^
II, Article pertinent de la Convention
(par. 408) 134
!II. Observations sur les éléments de
preuve recueillis (par. 409) 135
IV. Conclusion (par. 410) 135
Chapitre 5 ' Non-respect du droit de propriété
(par. 411 - 487) 136 - 152
A Argumentation des Parties
(par. 411 - 432) 136 - lu
I. Gouvernement reauérant
136 - 140
(par. 4il - 421)
1. Biens immeubles (par.411-431) .- 136 - 138
(a) Maisons et terres 156 - 137
( p a r 4lii - 415)
(b) E x p l o i t a t i o n s a g r i c o l e s ,
comm.erciales e t i n d u s t r i e l l e s
( p a r , 4l6 - 4 l 8 ) .,.. 37
(c) S e c t e u r de t o u r i s m e
(par. 419 - 421) 138
2. Biens meubles (par. 422 - 429).. 138 - 140
(a). Pillages (par, 422 - 424) .. 138 - 139
(b) Vols (par. 425 - 429) 139 - 140
3- Destructions de biens meubles et
im.meubles (par, 430-451) 140
II, Gouvernement défendeur (par. 432)., 141
Article pertinent de la Convention
(par. 433) 141
Eléments de preuve recueillis
(par. 434 - 470) 141 - 149
I. Biens immeubles (par. 436-452) .... l4l - 145
1. Maisons et terres (par.436-438). 141 - 142
2. Exploitations agricoles, commer-
ciales et industrielles
(par. 445 - 452) 142 - 143
3. Secteur du tourisme(par.445-452) 143 - 145

/.
- IX -

Pages
II. Biens m.eubles (par. 453-466) 145 - l48
1, Pillages (par, 453 - 462) l45 - 147
2. Vols (par. 463 - 466) l47
I I I , D e s t r u c t i o n s de b i e n s m.eubles e t
immeubles ( p a r . 467 - 470) l48
D. E v a l u a t i o n des élémionts de p r e u v e r e c u e i l l i s
( p a r . 471 - 482) \ 148 - 151
I. Généralités (par. 4?!) l48
II. Biens immeubles (par. 472 - 479) l49 - 150
1. Maisons et terres (par. 472-476) l49 - 150
2. Exploitations agricoles, commerciales
et industrielles (par. 477) 150
3. Secteur du tourisme (par, 478-479) .. 150
III, Pillages et vols de biens meubles
(par. 480) "150
IV. Destructions de biens (par. 481-482) ... 151
E. Responsabilité de la Turquie au regard de la.
Convention (par. 483 - 485) 151
F. Conclusion (par, 486 - 487) 151 - 152
Chapitre 6 - Travail forcé (par. 488 - 495) 153 - 154
A. Argumentation des Parties (par. 488-489) ... 153-
I. Gouvernement requérant (par. 488) 153
II. Gouvernement défendeur (par. 489) 153
B. Article pertinent de la Convention (par.490) 153
C. Eléments de preuve recueillis (par.491-492) 154
D. Evaluation des elém.ents de preuve recueillis
(par. 493) ". 154
E. Responsabilité de la Turquie au regard de
la Convention (par. 494) , 154
F. Conclusion (par, 495) 154
Observations finales (par. 496 - 505) I55 - 156
I. Article 1 de la Convention (par.496-498). 155
II, Article 13 de la Convention (par.499-501) 155
III, Article l4 de la Convention (par.502-503) I56
IV. Articles 17 et I8 de la Convention
(par. 504 - 505) 156
Pages
PARTIE III - ARTICLE 15 DE LA CONVENTION
(par. 506 - 531) 157 - l62
A. Argumentation des Parties (par.506-518) 157 - 159
I. Gouvernement requérant (par-507-517) 157 - 158
II. Gouvernement défendeur (par. 5l8), . . 159
B. Article pertinent de la Convention
(par, 519) t 159 - 16O
C. Communications faites par la Turquie
conformément à 1'article 15 (3)
(par, 520 - 523) 160
I. En ce qui concerne la partie septen-
trionale de Chypre (par. 520) I60
II. En ce qui concerne la Turquie conti-
nentale (par. 521 - 523) 160
D. Avis de la Commission (par. 524 - 531) 161 - l62
I, En ce qui concerne la partie septen-
trionale de Chypre (par. 525-528),,. I6I - 162
II, En ce qui concerne les localités de
Turquie où des Chypriotes grecs ont
été détenus (par, 529 - 531) l62
PARTIE IV - CONCLUSIONS 163 - I67
I, Déplacement de personnes I63
II. Privation de liberté I63 " 165
1, "Personnes enclavées" . I63 ~ l64
2, "Centres de détention" l64
3. "Prisonniers et détenus" 164 - I65
4. Remarque finale I65
III, Non-respect du droit à la vie I65
IV, Mauvais traitements , I65 - I66
V, Non-respect du droit de propriété .. 166
VI, Travail forcé , , . , I66
VII, Autres questions . , , . , I66 - I67
Opinion dissidente de M, G. SPERDUTI, partagée par
M. S. TRECHSEL, quant à l'article 15 de la Convention 168 - 171
Opinion Individuelle de M. F, ERMACORA 172 - I8I
Opinion individuelle de M, M. TRIANTAFYLLIDES l82 - I83
Opinion individuelle de M, E, BUSUTTIL l84 - 185
- XI
î

Pages

Opinion dissidente du Professeur B. DAVER l86 - 195


Opinion individuelle de M. G. TENEKIDES 196-197
Opinion dissidente de M. S. TRECHSEL quant à
1 ' article 14 de la Convention 198

/Volume II - Annexes I - XIV7


/Annexe XV - Règlement amiable - Documient séparé/
- Xll

LISTE DES PRINCIPAUX DOCUMENTS

auxquels il est fait référence dans le présent Rapport

Abréviation Titre com.olet

Requête I Requête N° 6780/74, du 19 septembre 1974,


adressée au Secrétaire Général du Conseil
de l'Europe par le Représentant Permanent
adjoint de Chypre auprès du Conseil de
l'Europe (pour le texte de la requête, cf.
par. 19 du présent Rapport),

Requête II Requête N^ 6950/75, du 21 m.ars 1975,


adressée au Secrétaire Général du
Conseil de l'Europe par le Représentant
Permanent de Chypre auprès du Conseil de
l'Europe (pour le texte de la requête,
cf. par. 21 du présent Rapport).

Particulars I' "Détails de la requête" N° 6780/74 soumis


par le Gouvernement requérant le 15 novembre
1974.

Particulars II "Détails de la requête" N° 6950/75 soumis


par le Gouvernem.ent requérant le l4 juillet
1975.
Statements I* Déclarations concernant des faits exposés
dans les "Détails I" (Annexe C aux "Détails I")
Statements II* Annexe C aux "Détails II",
Hearing on Com.pte rendu intégral ( "Verbatim Record" ) de
admissibility* l'audience sur la recevabilité des requêtes,
audience tenue à Strasbourg les 22 et 23 mai
1975 (Doc, S 3635) .
Décision sur la Décision ce la Commission du 26 mai 1975 sur
recevabilité la recevabilité des requêtes N^ 678O/74 et
N^ 6950/75 introduites par Chypre contre la
Turquie (Annexe I au present Rapport).
Verbatim Record" Compte rendu intégral de l'audition des témoins
tenue par la Délégation à Chypre du 2 au
6 septem.bre 1975 (Doc. 41.351).
Addendum Addendum au Compte rendu intégral de l'audition
des témoins tenue par la Délégation à Chypre du
2 au 6 septembre 1975 (Doc. 4i.987).

X Ces documients n'existent qu'en langue anglaise. Pour la commodité


du lecteur, nous les avons intitulés en français, dans le corps
du Rapport, comme suit : Détails ( '"Particuliers"), Déclarations
("Statements"), Com.pte rendu intégral ("Verbatim Record"),
Addendum ("Addendum") et audience sur la recevabilité ("Hearing
on admissibility"),
INTRODUCIION

1. On trouvera ci-après un résumé des deux requêtes introduites devant la Commis-


sion européerjie des Droits de l'Homme par la République de Chypre en vertu de l'arti-
cle 24 de la Convention e^uropéer^ne des Droits de l'Homme,

Dans sa première requête (n*^ 6780/?4), le Gouvernement requérant a déclaré


que la Turquie avait envahi Chypre le 20 Juillet 1974, qu'au 30 J^aillet elle occupait
une partie inportante du nord de l'île, et qu'au l4 Août 1974 les .zones occupées par
les forces tui'^ques représentaient quelque ^0^ du territoire de la République, Le Gou-
vem3ment requérant a allégué des violations des articles 1 5 2 , 3 . 4 , 5 3 6 , 8, 13 et
17 de la Convention, de l'article 1 du Protocole rP 1 et de l'article 14 de la Conven-
tion combiné aux articles susmentionnés.

Dans sa seconde requête (n° 6950/75), le Gouvernement requérant a affinné que


depuis l'introduction de sa première requête, la Turquie avait commas, et continuait
de commettre, par des actes n'ayant aucun rapport avec des opérations militaires,
d'autres violations des articles susmentioni^és daris les territoires qu'elle occupait.

2. Le Gouvernement défendeur a soutenu que les requêtes étaient irrecevables po'ur


les motifs suivants : dans les de^jx cas, le requérant n'était pas habilité à représen-
ter la République de Chypre et n'était donc pas fondé à saisir la Commission sur la
base de l'article 24 de la Convention ; les voies de recours internes n'avaient pas
été épuisées, contrairement au:=£ dispositions de l'article 26 de la Convention ; le
Gc-uvemement défende^jr n'exerçait pas sa juridiction sur la partie de Chypre où la
plupart des actes allégués avaient été prétendument commis ; enfin, les requêtes cons-
tituaient un abus du droit de requête (l).

3. La Commission a décidé la jonction des deux requêtes le 21 Mai 1975-

Après avoir reçu les obser\^atioriS écrites des Parties sur la recevabilité des
requêtes, la Commission les a entendues en le-jrs plaidoiries sur ce point les 22 et
23 Mai 1975.

Le 26 Mai 1975, la Commission a déclaré les requêtes recevables. Cette déci-


sion, et la liste des représentants des Parties à l'audience, sont à reproduire à
l'annexe I au présent Rapport.

--. Afin de mener à bien la double mission qui lui incombe aux termes de l'article
28 de la Convention, à savoir établir les faits de la cause et se mettre à la dispo-
sition des Parties en \r\ie de parvenir à un règlem.ent amiable, la Commission a cons-
titué une Délégation qui, au cours ce son enquête, a entendu des tém.oir.s et recueilli
des éléments de preuve supplémentaii'^es à Ch5rpre, en septembre 1975. Par ailleurs, la
Commission et la Délégation se sont mises à la disposition des Parties en vue de
parvenir à un règlement amiable de l'affaire.

Le Gouvernement défendeur, pour les raisons exposées dans sa communication


du 27 Noverribre 1975 (l), n'a pas participé à la procédure quant au fond et n'était pas
disposé à engager des négociations avec le Gouvernement requérant en vue de parvenir
à un règlement amiable de 1''affaire.

(1) Pour les détails de l'argumentation^ cf. l'annexe I au présent Rapport.


2 "

Les problèmes de droit soulevés par cette non­participation seront examinés


au chapitre h de la Partie I du présent Rapport.

5, La Commission a rédigé le présent Rapport conformément à l'article 31


de la Convention, après délibération au cours de sessions plénières, les mem­
bres suivants ayant été présents à l'ensemble ou à une partie seulem.ent de
ces ses£ion.s :

im. j . E . s . FAViChin, Président


,-1
S^r^ERDUTI, Premier Vice-Présiden
C.A. N0RGAARD, Sedonc Vice-Président
F, ER^/LACORÛ
M.A, ■PRLÛJ^JTAFYLLIDES
E. BUSUTTIL.
L. KT^LT.RERG
B. DAVER
OPSAHL
^, CUbU'ERS
C,H,F, ?OLC<
T r^
FHOWH.IN
n. JORUNDSSON
R.J. DUPL^Y
G, 'ZENF,K"nDES
TRSCrSEL
s.
3,J. ?aERNA.N
N. XT.ECKER

Ce rapport a été adopté le 10 Juillet 1976 et est désormais transmis au


Comité desffirâstrescoraormément à l'article 31 (l),

Un règlement amiable de l'affaire n'a pu être obtenu ; en conséquence,


ainsi qu'il est préyu au paragraphe 1 de l'article 31, la Carmûssion dans le
présent Rapport :

(1) constate les faitsj et

(2) formule un avis s^jr le point de savoir si les faits ainsi constatés
révèlent de ia part du Gouvernement défendeur une violation des obli*­
gâtions lui inccmJDant aux termes de la Convention,

(1) Annexe Ii au présent Rapport.


3 "

Pour établir les faits rapportés dans le présent Rapport, la Commission


s'est fondée sur les conclusions présentées et les éléments de preuve recueil'
lis jusqu'au l8 Mai 1976,

Le texte intégral des Tnémoires et plaidoiries des Parties, les docu-


ments produits à l'app^ji de leurs thèses respectives, et le conpte rendu
intégral de l'audition des témoins sont conservés dans les archives de la
Commission et sont à la disposition du Comité des Ministres,

J.
4 -

PRE?^[IERE FAHTIE- -^^ GElOi^LITES

Chapitre 1 - Genèse des événements

6, Chypre a été sous la domination turque de 1571, date à laquelle les Turcs
l'ont conquise sur les Vénitiens, jusqu'en 1878, où elle est passée sous l'ad-
jijinistration britannique, Annexée à la Co^ororine britannique en 1914, elle est
devenue colorie de la Couronne en 1925, après que la Turquie eut recorriu cette
annexion aux tenr,es du Traité de Lausanne du 24 Juillet 1923 ( 1 ) T

7i En 1931, de graves désordres ont éclaté a Chypre, à la suite de la deman-


de de rattacb^ement à la Grèce ("Enosis") formulée par les Chypriotes grecs
(80^ enyix'on de la population), Après la seconde guerre mondiale, les Chyprio-
tes grecs, sous la direction de Mgr Makarios, ont repris leur action en faveur
de 1' "Enosis", mais les Ch^^riotes turcs (environ lS% de la population) ont
rejeté la formule du rattachement à la Grèce et proposé soit la poursuite de
l'administration britannique, soit le partage de l'ile.

A la Conférence de Londres de 1955, les Ministres des Affaires étran-


gères de Grèce, de Turquie et du Royaume-Uni n'ont pu parvenir à une solution.
Des mesures d'exception (2) ont été prises à Chypre par les autorités britan-
niques pour mettre fin aux opérations de guerrila de l'EOKA (Organisation na-
tionale de la lutte chypriote), mouvement dirigé par le colonel Grivas, ancien
officier de l'armée grecque,

L'Assemblée Générale des Nations Unies, saisie depuis 1955 de la ques-


tion de l'autodétermination de Chypre, a invité instamment, à plusieurs repri-
ses, les parties intéressées à trouver tme solution par négociation.

8. La proposition de faire de Ch^^re un état indépendant, acceptée par Migr


Makarios a débouché, en fin de compte, sur l'ouverture de négociations et,
à la Conférence de Zijrich (1959), sur la conclusion d'un accord entre la Grè-
ce et la Turquie, qui a été accepté ultérieurement par le Royaume-Uni et les
dirigeants des communautés ch2,^riote grecque et turque (accord de Londres) (3)

(1) Société des Nations -Recueil des Traités, vol. 28, p.12 (n^ 701).
L'article 20 du Traité est ainsi libellé ;"La Turquie déclare reconraî-
tre l'annexion de Ch;>^re proclaœe par le Gouvernement britannique le
5 Novembre 1914".

(2) Cesïïes'oresont fait l'objet de la requête n^ 176/56- Grèce c, Royaume-


Url -cf. Annuaire de la Convention européeane des Droits de l'Homme,
vol. 1, pp. 123 et 130.

(3) A la suite de cet accord, il a été décidé d'arrêter la procéd^ore con-


cernant la requête n* 176/56, ainsi qu'^jne autre requête introduite
par la Grèce contre le Royaum.e-Uri (n^ 299/57)- cf. Annuaire, vol. 2,
pp. 175 et sulv.
^ p ­

Pour donner effet à ces accords, les instruments suivants ont été si­
gnés :

le Traité du 16 Août 1960 (1) relatif à la création de la République de


Chypre, qui disposait que le territoire de la République conprenait
l'île de Chypre, à l'exception des bases militaires de Dhekhelia et
d'Akrotiri (qui restaient sous la souveraineté du Royaurae­Unl) ;

le Traité d'alliance du l6 Août I960 (2), aux termes duquel Chypre . la


Grèce et la T'urq^iie s'engageaient à repousser toute attaque ou agression
contre l'indéperdance ou l'intégrité territoriale de Ch^re j par ailleurs,
ce traité prévo^/ait la création d'un Quartier Général I^ipartite ainsi
que le stationnem.ent de contingents militaires s^jr le territoire de la
République, les contingents grec et turc dei^ant se composer respective­
ment de 950 officiers, sous­officiers et soldats grecs et 650 officiers,
sous­officiers et soldats Turcs ;

le Traité de garantie du l6 Août i960 (2), par lequel Chypre s'engageait


à m^ntenir l'ordre constitutioraiel créé, et aux termes duquel la Grèce,
la Turquie et le Roya'ume­Url se portaient garants de cet ordre ainsi que
de l'indépendance et de l'intégrité de Chypre,

9, Aux termes de la Constitution de Chypre de i960, prévue dariS les accords


susmentionnés, le pouvoir exécutif apparteriait à vn Président chypriote grec
(Migr Makarios depuis 196O) et à un Vice­président chypriote turc (M, Kùtchïlk,
auquel a succédé M, Denktash). Les décisions du Conseil des Ministres, conpo­
sé de 7 Chypriotes grecs et de 3 Chypriotes turcs, s'ijiposaient au Président
et au Vice­président, qui pouvaient toutefois exercer le'.^ veto dans les affaires
intéressant la sécurité, la défende et les affaires étrangères. Les membres
de la Chambre des Représentants étaient élus à raison de 70^ par la commionauté
chypriote grecque et de 30^ par la communauté chypriote turque ; la fonction
publique devait corrprendre 70^ de Chj^riotes grecs et 30^ de Chj^riotes turcs,

10, E n 1963, de graves incidents ont éclaté à Chypre entre les deux coninu­
nautés et ont entraîné des merts et des dégâts matériels dans les deux canps,
L^ administration a cessé de fonctionner sur une base bicommonautaire. Il y a
eu d'autres violences intercommunautaires en 1964, 1965 et 1967t

Une Force des Nations Urles chargé du maintien de la paix (Forces des
Nations Unies à Chypre ­ UNFICY?) a été envoyée dans l'île en 1964, et des re­
présentants des Nation.s Unies ont fait des tentatives de médiation (Rapport
Plaza de 1965). Celles­ci ayant échoué, des conversations interccmmunautalres

111 /

(1) Nations Unies ­Re>;^ueil des Traités, vol, 382,; p. 11 (I n® 5476)


(2) Nations Unies ­Rç'^ueil des Traités, vol, 397;­ p,288 " (I n° 5712)
(3) Nations Unies ­Recueil des Traités, vol, 382,',p, 5 (l n^ 5475) ■
texte de ce trait^^ est reproduit à l'annexe i;'l au'^présent Rapport.
ont débuté en 1958, sous les auspices du Secrétaire Général des Nations Urles,
et se sont pcursiiivies jusqu'en Juillet 1974. Ces conversations ont permis de
réaliser certains progrès, mais non es parvenir à un accord définitif,

11, Le 6 J-oillet 1974, le Président Makarios a rendu publique une lettre


qu'il avait adressée le 2 Juillet au général Ghizikis, chef du nouveau régime
grec depuis le mois de Ncr/embre 1973^ Il accusait dans cette lettre 1' "EOKA-
B", organisation illégale qui menait uiie campagne terroriste contre son Gou-
vernement depuis 1972, ainsi que des officiers de la Garde nationale chypriote,
de rationalité grecque, d'avoir attenté à sa vie, à l'instigation d'organismes
relevant du Gou\remement gr*ec, Le général Denissis, chef de la Garde nationale
chirpriote^ ayant été appelé à Athènes le 13 J^uillet, un coup d'état a eu lieu
à Chypre le 15 Juillet 1974 sous la direction d'autres officiers grecsj et le
Président Makarios a dû quitter l'île le l6 Juillet,

12, En T-orquie, le conseil rational de sécurité s'est réuni le 15 Juillet


1974. Le Conseil des Ministres a décidé le lendemain de convoquer les deux
chambres de l'Assemblée Nationale poijr le 19 Juillet, Dans une note adressée
au Royaume-Url, la Turquie a réclamé^ en application du Traité de garantie,
une action conjointe du Royaume-Uni et de la Turquie pour protéger l'indépen-
dance de Chypre, et a fait savoir que si cette action n'était pas entreprise,
elle agirait urllatéralement, comme préyu par le Traité, Des conversations
ont eu lieu à. Londres, le I8 Juillet, entre M, Scevit, Premier ministre de
Turquie, M, Isik, Mnistre des affaires étrarigères par intérim,, et M. Callaghan,
Flnistre des Affaires étrangères du Royaume-Uni^ mais aucun accord n'a pu se
faire au sujet d'^une action conjointe, D'importantes unités de l'année ont été
acheminées vers le sud et l'ouest de la Turquie, Le 19 Juillet, l'Assemblée
Nationale (Ciiamibre des Députés et Sénat) s'est réunie à bjuis^^los à Ankara,
elle seule étant conpétente, aux termes de la Constitution t^urque (art, 66),
pour ordonner l'envoi de forces armées à l'étranger.

Le 20 Juillet 1974, des unités de l'armée t'ùrque bénéficiant d'un appui


naval et aérien ont été débarquées à Chypre, dans la région de Kyrenia, L'ob-
jectif de cette opération a été décrit comme suit dar.s un communiqué (1) du
Gouvernement du même jo-or ;

"Un coup d'Etat a été déclenché à Chypre par le contingent grec station-
né dans l'île, ainsi que par la Garde nationale gr-ecque, organe de caractère
anticonstitutionnel qui est entièrement sous le coîiir^ndement et le contrôle
d'officiers de la Grèce continentale. Comme les forces inpliquées dans le
coup sont des unités militaires sous le commandement direct d'-on Etat étranger,
l'indépendance et l'intégrité territoriale de Ch^,?pre ont été gravement compro-
mises par cette action, L'actuelle situation dar.s l'île, telle qu'elle se pré-
sente après le coup, a profondément assombri les perspectives d'averlr de l'E-
tat indépendant de Chypre, Dan^ ces circonstances, il faut espérer que tous les
Etats favorables à l'indépendance et à l'intégrité territoriale de Chjpre sou-
tiendront la Turq;jie dans son action yisant à restavirer l'orxire légitime dans
L'île, action qu'elle a entreprise en tant qu'Etat, qui s'est porté garant
'indépendance de Chypre en yertu de traités internationaux,

(1) Publié dans le numéro spécial ^'Cyprus" de la revue trimestrielle turou?


''Foreign Policy'-" (Ankara, 1974/75), pp, 224 et 225 -
"7

Après avoir pris toute la mesure des événements récents dans l'île,
et vu l'échec des consultations et des efforts qu'il a entrepris confor-
mément au Traité de garantie de i960 en tant qu'une des Puissances garan-
tes, le Gouvernement de la République de Turquie a décidé de s'acquitter
des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4/2 dudit Traité,
dans le but de permettre à Chypre de survivre comme Etat indépendant et de
sauvegarder son intégrité territoriale ainsi que la sécurité des personnes
et des biens de la communauté turque, de même que celle de nombreux chyprio-
tes grecs qui ont à faire face à toutes sortes de dangers et de pressions
sous la nouvelle Administration,

Notre action pacifique vise, d'une part, à éliminer le danger visant


l'existence même de la République de Chypre et les droits de tous les
Chypriotes et, d'autre part, à restaurer l'indépendance, l'intégrité et la
sécurité territoriales ainsi que l'ordre établi par les Articles fondamen-
taux de la Constitution, Dans l'action qu'elle a entreprise en tant que
Puissance garante, la 'Turquie est inspirée par le sincère désir de coopé-
rer au rétablissement de la sécurité avec la Force des Nations Unies char-
gée du maintien de la paix dans l'île, D'un autre côté, yu l'objectif qui
est assigné à cette action, les Chypriotes grecs sincèrement attachés à
l'indépendance de Chypre et au règne de la démocratie dans l'île n'ont pas
à se faire d'inquiétude. L'objectif de la Turquie est de rétablir la sécurité
et les droits de l'homme, sans discrimination aucune entre les CcHTjmunautés,

Notre objectif à Ch^re, Etat bicommunautaire, est d'obterlr que les


conversation.5 intercomm-unautaires débutent aussi rapidement que possible,
en yue de rétablir la situation qui existait avant le coup ainsi que l'or*^
dre légitime, Toutefois, il est naturel que nous ne puissions pas considérer
comme un interlocuteur valable l'actuelle Administration de fait qui a pris
le pouvoir par la force brutale et qui ne représente pas la Communauté chyprio-
te grecque.

Une fois l'ordre constitutionnel rétabli, la Turq^oie s'en tiendra stric-


tement à. ce qui est demandé à une puissance garante qui s'est acquittée des
obligations qui lui incombent a^ux termes des trai,tés qu'elle a signés,"

Le 22 Juillet 1974, les -Linités de l'armée turque débarquées dans la


zone de Kyrerla avaient fait leur liaison avec des unités militaires turques
déjà en poste ou parachutées dans la partie septentrionale de Nicosie,

13 i A la s-uite de la Résolution 353 adoptée par le Conseil de sécurité des


Nations Unies le 20 Juillet 1974 (1), un cessez-le-feu a été conclu, qui de-
vait entrer en vigueur le 22 Juillet, à 16 heures i toutefois, la zone des

y.

(1) Annexe 7 au présent Rapport.


^ 8-

opérations militaires turques a continué de 5'étendre jusqu'au 30 Juillet


1974, date à laquelle elle représentait approxirratiyement un triangle,
dont une des pointes se trouvait dans la partie septentrionale de Nicosie,
et les dejx autres x^espectiyement à. six miles environ à l'Ouest et à six
miles à l'est de î^renla,

Le coup d'Etat ayant échoué. M, Clerides, Président de l'Assemblée,


est devenu Président en exercice de Chij'pre, le 23 Juillet 1974,

La première conj^érence de C-enèye des Mnistres des Affaires étrangèrv


res de Grèce, de T-^jrquie et du Royaum-e^Url, se réiinissant en tant que re^^
présentant des Puissances garantes a^ix termes du Traité de garantie, s'est
ouverte le 25 Juillet 1974 et a publié le 30 Juillet une déclaration (1)
par laquelle elle convoq^uait une seconde conférence pour le 8 Août,

14, La seconde Conférence de Genèye a échx>ué et le l4 Août 1974, les


forces turques ont repris leurs opérations militaires avec, selon le-^r
Etat^majer général, plus de 20,000 hom-es et de 200 chars, Un cessezT-le^;reu
a été déclaré le lo /ioût, à 17 heures. Les forces turques avaient alors
atteint une ligne allar:t de Morphou au sud de Famagouste, et traversant
Nicosie ^ dans deux zones, à Louroujina et à l'ouest de Famagouste, elles
avaient dépassé cette ligne.

Le président Makarios est rentré à Chypre le 7 Décembre 1974,

c: L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a créé un groupe de


travail S^JT 'Chypre le 5 Septembre, et adopté les Résolutions 736 et 737 le
15 Septezôire 197^, Le groupe de travail s'est rendu à. Ch.ypre du 12 au 14
Décembre ï Le 27 Janvier 19*75, l'AssemJDlée parlementaire a adopté la Recom-
mandation 756 relative B:JX questions traitées dans le rapport sur Chypre
établi par la Ccrnrcission de la population et des réfugiés (2), Du 10 au
13 Mars, le groupe de travail s'est rendu à Ar^kara et à Athènes et, le
10 Avril, la Commission des questions politiques a remis un rapport sur
Chypre airisi qu'un projet de recorcnandaticn (3), que l'Assemhlée Parlemen-
taire a adopté à l'urarlrlté le 2^ Pr'jril 1975, Le 9 Janvier 1976, la Com-
mission des questions politiques a so^^mis un rapport sur la situation en
MéditeT^ranée orientale, ainsi qu'un projet de résolutici"! relatif à la si-
tuation à Chv^re (4), que l'Assemlée Parlementaire a adopté le 30 Janvier,

l5. Depixls les tout débuts de la "situation explosive" à Chj'pre, en Juillet


1974, le Conseil de séc^jrltê des Nations Urles n'a. cessé d'agir. Des centai-
nes de lettres 1 J 1 ont été adressées par les dirigeants des deux Comniunau-
tés, les comm'irlcations écrites d'Etats mentjres des Nations Urles concernés
ont traité de la situation, et des rlapports spéciajix ÔM Secrétaire Général
sur l'évolution à Ch^v-pre ont été so-jmis au Conseil de sécurité ;5),

Annexe P/ au present Rapport,


(2) Conseil de l'Europe, doc, 3566 (Rapporteur : M, F o m i ) ,
(3) Conseil de l'Europe, doc, 36OO (Rapporteur : M. Karasek),
(a) Conseil de l'Europe, doc. 3708 (Rapporteur ; M. Karasek).
(5) Les documents pertinents des Nations Unies figurent au dossier
de l'affaire.
' L'action des Nations Unies s'est concrétisée notamm.ent par ;
- Les résolutioris 353 (l), 360 (2), 36I (3) du Conseil de sécurité et diverses
autres résolutior.s (concernant notanment le renforcement de l'LWICYP) ;
- Les résolutions 3212 - X X H (^), 3395 -XXX (5) et 3450 -X>3: (6) de l'Assem-
blée Générale i
- Les résolutions 4 (XXXI) (7) et 4 (XXXII) (8) de la Commission des Droits
de l'Homme ;
- des conversations intercommunautaires tenues sous les auspices du Secré-
taire Général (9).
17. Des conversations intercorununautaires menées par MM, Clerides et
Denktash ont eu lieu par intermittence entre Septembre 1974 et Février 1975.
Le 20 Septembre 1974, un accord est intervenu sur l'échange des prisonniers
et détenus, échange qui s'est achevé le 31 Octobre, Suite à un accord du
11 Novembre 1974, les autorités turques ont achevé, le 28 Novembre, d'évacuer
vers le sud des personnes détenues dans les deux derniers centres de déten-
tion de Voni et Gypsou, Le 17 Janvier 1975, un sous-comité pour les questions
humanitaires a été créé.
Le 13 Février 1975, une assemblée constituante créée par la Communauté
chypriote turque a proclame la zone située au nord de la ligne de démarca-
tion (10) Etat fédéré turc de Chypre et, le 8 Juin, -une constitution a été
promulguée pour cet Etat,
D'autres entretier^s interccmmunautaires ont eu lieu à Vienne en Avril,
Juin et Juillet/Août 1975. Ils ont débouché sur un accord autorisant tous
les Chypriotes turcs du sud à se rendre dans le nord, et les Chypriotes
grecs du nord à demeurer sur place ou à aller dans le sud ; en outre, cet
accord prévoyait la venue dans le nord de prêtres et d'enseignants chypriotes
grecs ainsi que la rétmion daos cette partie du pays de 800 familles chyprio-
tes grecques (11), Les entretiens intercomrrjonautaires suivants, qui devaient
se tenir à New-York, ont été ajournés en Septemj^re 1975, sans résultat et
sine die ; toutefois, de nouveaux entretiens ont eu lieu à Vienne du 17 au
21 Février 1976, En avril 1976, les de-jx Communautés ont échangé des propo-
sitions écrites portant sur les divers aspects du problême chypriote. Aucune
autre réunion n'a eu lieu depuis lors entre les deux représentants des Com-
mui-autés aux entretiens, représentants qui sont maintenarit M , papadopoullos
et Oran,
18. Le problème chypriote présente un grand nombre d'aspects et d'éléments
internationaux et nationa'ox, politiques, sociaux, psychologiques, économiques
et humanitaires. En conséquence, le problème de la protection des droits de
l'homme soulevé par les présentes requêtes n'est qu'un élément parmi de nom-
breux autres.
Tî) Annexe y au présent Rapport, cf, par, ±3 ci-dessus,
(2) Annexe ^T^
6) Annexe 711.
(4)
(5) Annexe-vin,
Annexe IX,
(6) Annexe X,
(7) Annexe XI,
(8) Annexe K H
(9) Cf, par, 17 ci-après,
(10) Cf, par, 14 ci-dessus.
(11) Cf. par. 178 ci-après.
10

vSubstance des reauêtes

a) Requête r° 6780/74

19 « Le 19 Septembre 197'-, le Gouvernement requérant a soumis cette requête


à la Commission dar-s les termes suivants ;

"1. La République de Ch^^'pre soutient que la République turque n-a


cessé de violer au co'jrs des événements évoqués ci-après, en Turquie
comme à Chrore^ les articles 1, 2 , 3 , 4, 5, 5, 8., 13 et 17 de la Con-
vention, l'article 1 du premier Protocole additicm.el, ainsi que l'ar^
ticle 1^ de la Convention combiné avec les articles précités,

2, Le 20 Juillet 1974, la Turquie a, sans déclaration de guerre,


envahi Cr^^ire et entrepris des opérations militaires sur son territoire
au moyen de forces terrestres, maritimes et aériennes : elle a fini par
occuper, à la date du 30 Juillet 1974, une partie Importante du nord
de l'île,

3, Le 14 J'uillet 1974, par de nouvelles opératior^s militaires, la


Turquie a étendu son occupation à 40^ environ du territoire de la Ré-
publique de Chypre, Elle contiriUe de l'occuper,

4, Au cours de ces opérations et de cette occupation militaire,


les forces armées turques ont, d'une fa^cn systématique et selon une
politiojae bien arrêtée, massacré sariS discrimination civils et mili-
taires, soumis des personnes des de~ax sexes et de tous âges à la tor-
ture et à des peines et traitements inhumains et dégradants - notam-
ment viols et détentions dans des conditions irihumaines ^ et procédé
à des -arrestations ;.elles retiennent encore arbitrairement prisonniè-
res à Oh^re et en Turquie des centaines de personnes qu'elles astrei-
gnent a^ux travaux forcés dan^ des conditions comparables à l'esclavage
ou à la servitude ; en déplaçant des milliers de personnes et en refu-
sant à 1"ensemble des Chypriotes grecs de rentrer* chez eux, elles ont
séparé des familles et porte atteinte à la vie privée : elles ont dé-
troit des bien^ matériels ou ejnpêché leurs détenteurs d'en jouir li-
brement ; tous ces actes ont été dirigés uniquement contre les Chy-
priotes grecs en raison, notamment, de le^ur origine, de le^ur race et
de leur religion,

» > î » ( * t î

20, Le Gouvernement reouérsr.t a apporté des précisions s'ur ces allégations


dans ses conclusions écrites du 15 Novembre 1974 (intitulée ""Détails de la
requête"), à l'audience tenue les 22 et 23 >Iai 1975 et au cours de la procé-
dui-'e ultérieure devant la Commission et sa Délégation,

/ .
- 11 -

b) Requête n» 6950/75

21. Le 21 Mars 1975, le Gouvernement a soumis cette requête à la Commission


dans les termes s^oivants ;

"1, La République de Chypre soutient que la République turque viole


continuellement, depuis le 19 Septembre 1974, date de l'enregistrement
de la requête n^ 6780/74, dans la zone occupée à Chypre par son armée
et soumise de fait à sa seule autorité (cf, par, 12, IS et 19 des Dé-
tails de la requête n^ 6780/74 en instance devant la Commission des
Droits de l'Homme), les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 13 et 17 de la
Con'/ention, l'article 1 du Protocole additionnel, ainsi que l'article
14 de la Convention combiné a^/ec les articles précités,

2, Dep-uis le 19 Septembre 1974, la Turquie occupe 40^ du territoire


de la République de Ch^re. Les Détails de ladite requête exposent les
conditions de cette occupation..,

3. Dans la zone occupée par les Turcs, les atrocités et les crimes
s'uivants dus à une conduite systématique des pouvoirs publics turcs,
en violation flagraite des obligations qu'impose à la Turquie la Con-
vention européenne des Droits de l'Homme, ont été commis entre le
19 Septembre 1974 et la date d'enregistrement de la présente requête ;

(a) meurtres de civils, y conpris femmes et vieillards, camiis de


saig-froid, Q^uelque 3,000 personnes (pour la plupart des civils)
q^ui se trouvaient dans la zone occupée par les Turcs sont tou-
jours portées disparues ; on craint qu'elles n'aient été massa-
crées par l'armée turque ;

(b) 'viols en série. Même des femmes de 30 ans ont été sauvagement
violées par des soldats de l'armée turque. Dans certaines ré-^
gions, la prostitution forcée de jeunes filles chypriotes
grecques est encore pratiquée. De nomi)reuses femmes restées
dans la zone occupée se sont trouvées enceintes après des viols
commis par des soldats turcs j

(c) expulsion de quelque 200.000 Chypriotes grecs de leurs terres


et de leurs maisons par l'armée turque (cf. par, 20 c des Dé-
tails de la requête n^ 6780/74). L'armée turque les empêche
toujours de revenir dans la zone occupée, Devenus des réfugiés
dans leur propre pays, ils vivent en cairps dans des conditions
inhumaines, ILn outre, les autorités militaires turques conti-
nuent à expulser les Chypriotes grecs qui vivent encore dans
la zone occupée, en enfermant la plupart d'entre eux dans des
caips de concentration. Ils ne sont raême pas autorisés à empor-
ter leurs affaires personnelles de première nécessité, Leurs
maisons et leurs biens ont été distribués aux Qiypriotes turcs
venus du sud de l'île dans la zone occupée ain.si qu'aux nombreux
turcs amenés illégalement de Turquie pour tenter de modifier la
structure de la population de Z'r^'ove ;

/ ,
12 -

(d) les soldats turcs pillent toujours autant les maisons et les
bâtiments commerciaux appartenant aux Chypriotes grecs ;

(e) les vols de produits agricoles et de bétail, les appropriations


de maisons, le pillage des grands magasins, des usines et des
boutiques appartenant aux Cn.ypriotes grecs ainsi que les vols de
bijo^jx et autres objets de valeur trouvés sur eux lors de leur
arrestation par l'armée t^urque continuent. Les produits agrico-
les appartenant aux Ch^^priotes grecs continuent d'être récoltés
et exportés directement ou indirectement vers plusieurs pays
d'Europe. Les Chypriotes grecs résidant dans la zone occupée
par les Turcs n'ont recou\rré aucun de leurs biens et aucune
indemnité ne le-ur a été versée ^

(f) saisie, appropriation, exploitation et distribution de la terre,


des maisons, des entreprises et des usines appartenant aux
Ch;;/priotes grecs (cf. par, 20 F des Détails de la requête
n* 6780/74) se poursuivent ;

(g) des milliers de civils 'Chypriotes grecs de tous âges et des


deux sexes sont détenus arbitrairement dans d'affreuses condi-
tions par les autorités militaires t'urques dans la zone occupée.
De nouveaux caïïps de concentration ont été ouverts à cette fin.
Le rapport mentionné dan^ ,,, les observations du Gouvernement
de Cnypre s^ur la recevabilité de la requête n^ 5780/74 décrit
les conditions de cette détention pour certains prisonniers, La
situation de la plupart d'entre eux est désespérée j

(h) les détenu.s et les habitants Chypriotes grecs de la zone occupée,


y compris les enfants, les femmes et les vieillards, sont tou-
jours l'objet de tortures systématiques et d'autres traitements
inhumairxS et dégradants, camme les sévices corporels, les élec-
tro-chocs, les privations de no^urriture et de soins médicaux,
etc ;

(i) trai^aux forcés. De nombreuses personnes priscrnières de l'armée


turque, y conpris des femmes, ont été et continuent d'être as-
treintes à un travail forcé ou obligatoire pendant leur déten-
tion :

/ ,
13 -

(j) destruction délibérée de bien^ appartenant aux Chypriotes grecs,


y compris d'objets du culte se trouvant dans les églises ortho-
doxes grecques ;

(k) déportation en Turquie de noiobreux Chypriotes grecs habitant


dans la zone occupée par les Turcs ;

(1) séparation des familles. De nom;breuses familles sont encore dis-


persées à la suite des arrestations et des expulsions dont il
est question plus haut.

4, Les atrocités citées sont absolument indépendantes des opérations '


militaires, Elles ont toutes été commises à un moment où aucune opération
militaire ou autre combat n'était engagé,

5, Ces atrocités et ces crimes ont été dirigés contre les Chypriotes
grecs en raison de leur origine ethnique, de leur race et de leur reli-
gion, l'objectif était d'exterminer la population grecque des territoires
occupés afin d'y installer les Turcs et de créer ainsi, artificiellement,
un territoire de population turque pour faire progresser la politique de
création d'un "Etat fédéré chypriote turc". C'est dans le cadre de cette
politique que les membres de l'armée turque qui ont pris part - l'inva-
sion (4'o,000 environ) et leurs familles ont été récemment déclarés ci-
toyens de'l'Etat fédéré chypriote turc" proclamé illégalement et unila-
téralement -et qui n'est autre que l'ensemble des territoires chypriotes
occupés- avec la bénédiction officielle de la 'Turquie et se sont enparés
des bier^ des Chypriotes grecs,

6, Dan-S de telles circonstances, aucun recours devant les tribiunaux


turcs ne pouvait être efficace et approprié en ce qui concerne les crimes
et atrocités allégués. En tout état de cause, ces crimes et atrocités
ont été commis dans des circonstances qui relèvent leg victimes de
l'obligation d'épuiser les voies de recours internes au sen^ de l'article
26 de la Convention,

7, L'occupation turque des régions en question a également porté at-


teinte aux droits et libertés des Chypriotes turcs qui y vivaient, y
compris de ceux que, po^ur servir les objectifs politiques de la Turq'uie,
on a fait venir du sud de l'île où ils avaient le'ur maison et leurs biens

8, Tous les crimes et atrocités cités peuvent être prouvés, notamment


par les dépositions de témoins oculaires. On peut également recueillir
le témoignage d'organisations internationales coirime les Nations Unies
et la Croix-Rouge internationale.

,/
- 14

9, D'autres précisions s'ur ces violations des Droits de l'Homme, y


compris des déclarations de témoins, seront commimiquées dès que possi-
ble.

10, A noter qu'il n'a pas encore été possible de connaître avec exac-
titude l'ampleur des atrocités commises par les Turcs dans les régions
occupées ; en effet, celles-ci sont encore fermées, les autorités mili-
taires turques en interdisant l'accès, même à l'UNFICYP et aux organi-
sations humanitaires.

22, Le Gouvernement requérant a précisé ces allégations à l'audience tenue


les 22 et 23 Mai 1975, dans ses conclusions écrites du 14 Juillet 1975 (inti-
tulées "Détails de la requête") et au cours de la procédure ultérieure devant
la Commission et sa Délégation,

c) Déclaration du Gouvernement défendeur

23. Dans une lettre du 27 Novembre 1975, le Cîouvemement défendeur a déclaré


que "la qualité de partie requérante de l'Administration chypriote grecque est
inopposable à la Turquie, T U qu'aucune instance ne peut être fondée à faire
reconnaître au Gouvernement turc, malgré sa volonté, la légitimité d'un
"Gouvernement" qui a usurpé les pouvoirs étatiques en violation de la Constitu-
tion dont la Turquie est garante," Il s'ensuivait, selon le Gouvernement, "que
la fonction de se m.ettre à la disposition des intéressés en yue de parvenir à
un rëglerrent amiable, fonction que l'article 28 de la Convention des Droits
de l'Homme prévoit ccmvB la principale tâche de la Commission, ne pourrait
être accomplie par la sirrple raison que le Gouvernement turc ne peut admettre
comme interlocuteurs les représentants d'une administration qu'il ne peut en
aucune manière reconnaître comme autorité légale habilitée à représenter la
République de Chypre", Le Gouvernement a déclaré qu'il était donc *dans l'im-
possibilité de participer à la procédure quant au fond devant la Commission,
En effet, depuis l'émission du communiqué de presse qui rendait publique la
décision de la Commission sur la recevabilité, le Gouvernement turc s'est abstenu
catégoriquement de participer à toute activité de la Commission, A cet égard,
il y a lieu de souligner que les propos tenus par l'Ambassadeur Gûnyer, le nou-
veau Représentant Permanent de la Turquie auprès du Conseil de l'Europe, lors
d'ijne visite de courtoisie qu'il a effectuée au Président de la Commission des
Droits de l'Homme, bien qu'ils fussent introduits dans le dossier de l'affaire
par un procès-yerbal dressé par les soins de la Commission, ne pourraient nul-
lement être interprétés comme une participation de m.on Gouvernement à l'examen
de fond de l'affaire par la ComfTàssion'\ (1),

. / .

(1) Le texte de cette lettre (original français) est reproduit intégralement


a l'Annexe II au présent Rapport.
15

Chapitre 3 - Procédure devant la Commission

24. L'historique de la procédure devant la Commission est décrite à l'Annexe


XIII au présent Rapport ; un compte rendu des efforts infructueux de la Commis-
sion po^ur par'/enir à un règlement amiable figure à l'Annexe X/, diffusée sous
forme d'un document distinct,

On trouvera ci-après un résumié de la procédure.

a) Procédure quant à la recevabilité

25. La requête n^ 6780/74 a été introduite le 19 Septembre 1974 et, sur les
instructions du President, portée le jour suivant à la connaissance du Gouver-
nement défendeur, celui-ci étant invité à soumettre ses obser\^ations sur la
recevabilité de cette requête,

La Commission a examiné la requête le 30 Septembre et décidé, le 1er Oc-


tobre 1974, d'inviter le Gouvernement requérant à lui fournir de plus airples
détails.

26. Les 'Détails de la requête" soumis par le Gouvernement requérant le 15 No-


vembre, et les obser^/atior^ du Gouvernement défendeur sur la recevabilité, en
date du 21 Novembre, ont été examinés par la Conmission les 13 et l4 Décembre
1974, La Commission a décidé d'inviter le Gouvernement défendeur, et ultérieu-
rement le Gouvernement requérant, à soumettre par écrit toute observation
complémentaire éventuelle,

27. Le 20 Mars 1975, la Commission, eu égard aux observation's ccoplémentaires


du Gouvernement défendeur du 22 Janvier et à la réponse du Gouvernement requé-
rant du 27 Février, a décidé de tenir une audience contradictoire sur la re-
cevabilité de la requête les 22 et 23 Mai 1975.

28. La^requête n^ 6950/75 a été introduite le 21 Mars 1975 et, sur les'
instructions de la Commission, portée à la connaissance du Gouvernement défen-
deur le 25 Mars, celui-ci étant invité à soumettre ses observations 3ur sa
recevabilité.

Le 21 Mai 1975, la Commission a examiné la requête, les observations


du Gouvernement défendeur du 24 Avril et la réponse du Gouvernement requérant
du 10 J^Iai 1975» La Coirmission a décidé la jonction des deux requêtes et d'in-
citer les Parties à l'audience susmentionnée de présenter leurs plaidoiries
sur la recevabilité des deux requêtes,

29. La Commission a entendu les Parties en leurs plaidoiries sur la receva-


bilité des deux requêtes les 22 et 23 Vidl, et a délibéré les 23, 24 et 26 Mai
1975. Le 26 Mai, elle a déclaré les requêtes receyables,

./,
16

Les Parties ont été informées de cette décision le jour même. Le texte
intégral de la décision (1) a été approuvé par la Commission le 12 Juillet
et porté à la connaissance des Parties le 16 Jiiillet 1975.

b) Procédure quant au fond

30, Pour s'acquitter des missions qui lui incombent aux termes de l'article
28 de la Convention, la Commission a créé, le 28 Mai 1975, une Délégation com-
posée de M. Fawcett," Président, et de 5 autres membres, à savoir MM, Ermacora,
Busuttil, Frowein, Jorundsson et Trechsel,

Le 30 Mai 1975, la Délégation a adopté vn programme provisoire pour


l'établissement des faits de la cause et pour la conduite, s'il y avait lieu,
des enquêtes visées à l'article 28 (a). Ce programme a été cornrnunique aux
Parties, qui ont été invitées à rencontrer la Délégation en Juin 1975.

31, Dans un communiqué de presse du 30 Mai 1975 (2), le Gouvernement défen-


deur, après avoir réaffirmé que l'Administration chypriote grecque ne pouvait
pas représenter, à elle seule, la République de Chypre, a déclaré que la dé-
cision de la Commission sur la recevabilité des requêtes n'aurait pas pour
effet de miodifier ce point de vue. En conséquence, le Gouvernement turc ne
reconnaîtrait pas l'administration chypriote grecque ccsnme le CJouyemement
de Chypre (et) comme partie à la (aux) requête (s)",

Dans une communication du 6 Juin 1975, le Gouvernement défendeur, se


référant à la déclaration ci-dessus, a fait valoir que la procédure (prévue
par l'article 28) ne pouvait pas commencer tant qu'il n'aiirait pas reçu
comm^unication du texte définitif de la décision de la Commission sur la re*;-
cevabilité.

32, Après avoir consulté les autres membres de la Délégation, le Président


a décidé, le 10 Juin 1975, que la réiinlon avec les Parties serait maintenue
au motif que le raisornement à la base de la décision de la Commission sur la
recevabilité était san^ rapport avec l'objet de la réunion,

Dan^ une cormiunication du l6 Août 1975, le Gouvernement défendeur,


invoquant l'article 46 (4) du Règlement intérieur de la Commission (3), a
déclaré maintenir sa position.
./,
(1) Annexe I au présent Rapport.

(2) P^iblié par le Représentant Permanent de la Turquie auprès du Conseil


de l'Europe. (Le cornmoniqiaé de presse de la Commission annonçant que
les requêtes avaient été déclarées receyables a été publié le luême
jour),

(3) "La décision de la Commission est motivée. Le Secrétaire de la Ccarmis-


sion la communique au requérant, Il la communique également à la Haute
Partie Contractante mise en cause, sauf dans le cas visé au paragraphe 1
et dans le cas où, en application du paragraphe 2 du présent article,
des renseignements ont été obtenus du seul requérant,".
33- A la réunion de la Délégation du 19 Juin 1975, les représentants du
Gouvernement requérant ont fait des s^uggestions concernant le programme pro-
visoire de la Délégation (1). Le Gouvernement défendeur n'était pas repré^
sente.

La Délégation a décidé de se rendre à Ch^ypre en Septembre pour entre-


prendre son enquête, Les détails de cette décision ont été portés à la con-
naissance des Parties, qui ont été avisées, par ailleurs, que le texte in-
tégral de la décision de la Commission sur la recevabilité, établi s'ur la
base des délibérations du mois de fei, serait approuvé à la session de
Juillet de la Commission et comm^uniqué a-ox Parties immédiatement après,
Toutefois, conformément à la pratique de la Commission, la procéd-ure prévue
à l'article 28 pouvait être entamée avant que cette communication ait été
faite ; cela n'était interdit ri par la Convention, ni par l'article 46 (4)
du Règlement intérieiur.

34. Dans un message-télex du 26 Juin 1975, le Gouvernement requérant a


affirmé que la Turquie, ne tenant aucun coripte de l'instance en cours devant
la Commission, avait comnls de nouvelles violations de la Convention, en
particulier à Famagouste. Daos une communication du 2 Juillet, le Gouverne-
ment requérant s'est plaint notamment de l'expulsion de Chypriotes grecs du
nord de Chypre par les autorités militaires Turques,

35. Le texte intégral de la décision s^ur la recevabilité des requêtes (2)


a été approuvé par la Commission le 12 Juillet et comtminlaué aiix Parties le
16 Jioillêt 1975",

Sur la proposition de la Délégation, la Commission a suggéré à la


même date au Gouvernement défendeur que des représentants de celui-ci et des
memibres de la Délégation se réunissent avant le I6 Août 1975 pour débattre
des questions de procédure ; le Gouvernement requérant serait également in-
vité à participer à cette ré^union,

Le Gouvernement défendeur n'a pas répondu à cette invitation et la


réunion n'a donc pas eu lieu.

36. Les "Détails de la requête" n® 6950/75 ont été versés au dossier par
le Gouvernement requéraî'it le 1er Août 1975.

37. Le 1er Septembre 1975, la Délégation (3) s'est réunie à Nicosie, Du


2 au 6 Septembre 1975, elle a entendu 17 témoins, visité 2 cairps de réfugiés
et recueilli des éléments de preuve supplémentaires, Des détails sur cette
enquête sont donnés au Chapitre 5 ci-après,

V,
(1) Mentionné au paragraphe 30 ci-dessus.

(2) Annexe I au présent Rapport.

(3) M, Frowein n'a pas pris part à cette enquête,


- 18 -

Le Gouvernement aéfende'or n'a pas participé à cette enquête et, en


con^séquence, la Délégation a décidé d'entendre tous les tém.oins en l'absen-
ce également des représentants du Gouvernement requérant.

Le Gouvernement requérant a fourni des facilités pour la conduite de


l'enquête, conformément à l'article 28 (a) in fine de la Convention, Bien
qu'il ait été invité à en faire autant, le Gouvernement défendeur n'a ni
offert ri fourni la m-oindre facilité.

38, Les détails de cet épisode sont les suivants : le 1er Septembre 1975,
le Président et le Délégué principal ont téléphoné à l'Ambassade de Turquie
à Nicosie pour demander si le Gouverrement défendeur enverrait un représentant
et si les Délégués pourraient pénétrer, s'ils le désiraient, dans la partie
septentrionale de Chypre, Le chef de mission par interim a répondu que le
Gouveniement turc estimait to^ajours que le fait pour la Délégation de recueil-
lir les éléments de preuve constituait uri excès de pouvoir C'ultra vires"),
étant donné les objections soulevées par son Gouvernement contre la décision
de la Commission s^ur la recevabilité j par ailleurs, seules les autorités de
l'Etat fédéré turc avaient compétence pour autoriser le fait de recueillir
des éléments de preuve, ou des visites, dar^ cette zone. Il a conseillé de
contacter M. unel ou M. Orek, ce dernier ayant été désigné, en l'absence de
M. Denktash qui se trouvait à l'étrar^ger, comme Président par interim, de
l'Etat fédéré.

M, 'Orek a critiqué à la radio, le 1er Septembre 1975, le caractère


partial de l'enquête de la Conirlssion. Après un coup de téléphone du Délégué
principal, il a donné son accord pour m e réunion. Le 4 Septembre, avec
l'approbation de la Délégation, Wi, Fawcett et Ermacora ont fait une visite
à M, Orek, dans le secteur septentrional de Nicosie, Il a été précisé à
M. Orek, et celui-ci l'a con^firmé dais une émission de radio ultérieure, que
les Délégués venaient le voir, non pas en sa qualité de Président par interim,
mais pour l'inviter comire l'une des notabilités chypriotes t'urques, avenir
témoigner devant la Délégation ou à désigner des personnes susceptibles de
tém,oigner ou des endroits où il pourrait être utile de se rendre, Famagouste
en particulier, dans le ca-ôi^e de 1-examen des présentes requêtes. Il a répondu
qu'il n'était disposé à faire ou à autoriser rien de tel, à m.oin^ que la
Commission n'enquête aussi sur les griefs des Chypriotes turcs contre le
régime de Chypre, depuis 1963, et en particulier sur les griefs concernant
certains incidents s-ir^v^enus à Tokhni et à Maratha en 1974, Il lui a été fait
observer que, pour diverses raisons qui lui ont été exposées, ces plaintes
n'étaient pas de la corrpétence de la Commission et de sa Délégation, à moins
qu'elles niaient des rapports avec les points soulevés dans les présentes
requêtes introduites devant la Commission ou qu'elles ne fassent l'objet de
requêtes distinctes fondées sur l'article 24 de la Convention,

. / ,
Q r-

39. Le Délégjé principal a aussi rendu visite à M. Gorgé, Premier conseiller


j-uridique et politique auprès de l'UNFICYP, pour chercher à savoir, en parti-
cHier, si cet organisme ou les Nations Unies pouvaient aider la Commission
dariS son enquête, en fournissant notamment des éléments de preuve et, en par-
ticulier, les rapports d'enquêtes des Nations Unies sur les atrocités allé-
guées tant par les Chypriotes grecs que par les Chypriotes turcs. Au cours
d'une long'ue conv^ersation, pendant laquelle il a passé en revue l'ensemble
de la situation à la romière de sa lo.ngue expérience de Chypre, M. Gorgé a
expliqué qu'il était indispensable de préserver l'impartialité absolue de
l'U'NFICYP et que cet organisme ne devait donc pas donner ne serait-ce que
l'îjTpression de prêter son concours à une enquête pouvant être dirigée contre
l'un ou l'autre des caïïps en présence dans l'île. Il a déclaré qu'il était
donc au regret de ne pas pouvoir fo^umir d'éléments de preuve ou proposer
des témoins à la Délégation.

40. Le 11 Septembre 1975, la Délégation a comm'uniqué au Gouvernement défen-


deur la déposition d'un des témoins entendus à Chypre, témoin qui, selon ses
dires, avait été déporté, avec d'autres Ch^riotes grecs, par les forces
armées turques dans une prison d'Adana, en Turquie (1). Le Gouvernement a été
invité, d''une part, à pemettre à la Délégation de se rendre danjs cette prison
pour y entendre des témoins et, d'autre part, à désigner les témoins qu'il
so'uhalteralt éventuellement faire entendre.

Le 5 Octobre 19755 le Représentant Permanent de la Tarq^oie a informé le


Président de la Commission que son Gouvernement ne pouvait accepter aucune
procédure iripliquant la reconnaissance de 1 '"Administration chypriote grecque".
Il a ajouté que la déposition recueillie était mensongère et que le Gouverne-
ment n'accorderait pas de facilités pour la conduite d'une enquête à Adana (2).

^1, Des détails complémentaires sur les requêtes ont été versés au dossier
par le Gouvernement requérant le I7 Septembre et le 3 Octobre 1975.

42. Les 6 et 8 Octobre 1975, la Coïrmssion a examiné les requêtes à la lu-


mière des éléments de preuve recueillis à Chypre. Elle a décidé, d'une part,
d'inviter les Parties à formuler des observations sur ces éléments de preuve
et, d'autre part, de leur demander de lui faire savoir si elles souhaitaient
proposer des élémeiits de preuve supplémentaires et présenter des conclusions
finales sur le fond des requêtes lors d'une audience contradictoire,

^3. Dans un message^télex du 22 Octobre 1975, le Gouvernem.ent requérant


s^est plaint de ce qu'on était en train de faire venir dans le nord de Chypre
un graid nombre de Turcs ce Turquie.

Le 10 Novembre 1975, le Gouvernement a déclaré qu'il ne souhaitait


présenter aucune conclusion supplémentaire.

. / .

(1) Témioin Pirkettis, cf, compte rendu intégral, pp. 40-57

(2) Une note sur cette réunion figure à l'Annexe XT/,


- 20

44. Le Gouvernement défende^ur, dariS ^une lettre du 27 Novembre 1975 (1) a


déclaré que "la qualité de partie requérante de l'Administration ch^riote
grecque est inopposable à la Turquie" et que par voie de conséquence^ le
Gouvernement turc se voyait dans 1^ impossibilité de participer, dar^ la
présente affaire, à une quelconque procéd-ure fondée sur l'article 28 de
la Convention.

^5- Le Gouvernement requérant a répondu le 10 Décembre 1975 que les ar-


g^xients présentés par le Gouvernement défendeur avaient déjà reçu une réponse
dar^s la décision de la Commission s'ur la recevabilité des requêtes. Le Gou-
vernement requérant a estimé qu'une instance, comme la présente, dont l'ob-
jet est de saisir la Commission de violations alléguées de l'ordre public
e'uropéen et d'ass^urer le respect des en.gasements juridiques contractés
dans le cadre de la Convention eiiropéerne des Droits de l'Homme, ne saurait
être tributaire de la question de savoir si la Haute Partie Contractante
contre laquelle les accusations pour violations des droits de l'homme sont
portées dev'ant la Commission reconnaît ou non le Gouvernement qui porte
ces accusatioris,

46. Les l8 et 19 Décembre 1975, la Ccnrrlssion a pourS'Oivâ son examen des


requêtes à la lumière des communications susmentionnées des Parties, Elle
a décidé de mettre ^jn terme à son enquête et, pour les raisor:s exposées
au -Chapitre suiv"ant, de rédiger vn Rapport conformément à l'article 31 le
la Convention,

47. Les 10, 11 et 12 I-'iars 1975, la Commission a examiné des parties de son
projet de Rapport, Elle a décidé d'inviter les Parties à so^umettre leurs ob-
servations éventuelles sur l'applicabilité de la Convention à une sitiiation
G' militaire, coimie en l'espèce, en gar-dant à l'esprit les dis-
positions ae l'article .i5

48. Les 14, 15, 17 et 13 î^ai 1976, la Commission a poursuivi son examen du
projet de Pappcrt à la lumière des communications du Gouvernement requérant
du 15 Avril et du 10 Mai, ainsi que de celle du Gouvernement défendeur du
15 Avril 1976. Elle a décidé de ne pas tenir une audience, demandée par le
Gouvernement requéra'it, sur 1^ applicabilité de la Convention à une situation
d' militaire, comme en l'espèce.

Les 83 9 et 10 Juillet 1976., la Co:mmission a pours'oivi son examen du


projet de rapport. Elle a adopté le présent Rapport le 10 Jvàllet,

/ .

(1) Cf, par. 23 ci-dessus et Annexe I I ,


21

Chapitre 4 - Application des articles 28 et 31


de la Convention aux circonstances de l'espèce

50, La Commission, après avoir pris acte du refus du Gouvernement défendeur


de participer à la procédure prévue à l'article 28 de la Convention, a débattu
de la procédure à sui'^/re dans les circonstances de l'espèce.

51, Après sa décision s^ur la recevabilité des requêtes, la Commission avait


une double mission à remplir aux termes de l'article 28 ;

conformément au paragraphe (a), elle devrait, afin d'établir les faits,


"procéder à un examen contradictoire de la requête avec les représen-
tants des parties et, s'il y a lieu, à une enquête pour la conduite
efficace de laquelle les Etats intéressés fourniront toutes facilités
nécessaires, après échange de vues avec la Comnlssion ;

conformément au paragraphe (b), elle devait "se mettre à la disposition


des intéressés en vue de par/enir à un règlement amiable de l'affaire
qui s'inspire du respect des droits de l'homme, tel que les reconnaît
la présente Convention".

52, Lorsque la procédure concernant une requête retenue par la Commission


ne se termine pas par un règlement amiable ou par une décision de la Commis-
sion prise en application de l'article 29 de la Convention ou de l'article
49 de son Règlement intérieur, la Commission doit en outre, en vertu de
l'article 31 de la Convention,"rédiger un rapport dans lequel elle constate
les faits et forroule un avis sur le point de savoir si les faits constatés
révèlent de la part de l'Etat intéressé, une violation des obligations qui
lui incombent aux termes de la Convention".

53» Ni la Convention, ni le Règlement intérieur de la Commission ne contien-


nent une disposition visant expressément le cas où la partie défenderesse,
comme dans les présentes requêtes, ne coopère pas avec la Commission à l'ac-
conplissement de la mission qui incombe à celle-ci aux termes de l'article 28.
Pour faire face à cette situation dans le cadre de l'article 28, la Commission
a donc tenu coirpte de la pratique qu'elle avait suivie dans des affaires anté-
rieures et, en particulier, de la procéd'ure suivie dais la pr^Tâère affaire
grecque. En outre, bien que leurs fonctions au regard de la Convention diffè-
rent à certains égards, la Commission a aussi pris note de l'article 49 du
Règlement la Cour européenne des Droits de 1*Homme (1),

, ,/ .

(1) "... lorsqu'une Partie ne se présente pas ou s'abstient de faire valoir


ses moyens, la Chambre statue,".

Cf, aussi l'article 53 du Statut de la Cour internationale de justice,


qui est libellé comme suit ;

"1. Lorsqu'une des parties ne se présente pas, ou s'abstient de faire


valoir ses moyens, l'autre partie peut demander à la Cour de lui adjuger
ses conclusions,

2, La CoLir, avant d'y faire dr'oit, doit s'assurer non seulement qu'elle
a coiïpétence,.., mais que les conclusions sont fondées en fait et en
droit,".

1
22

54, La Commission relève d'abord que pour s'acquitter de sa mission consis-


tant à établir les faits d'une affaire, elle doit s'efforcer d'obtenir la
coopération des parties. Cela ressort clairement de l'article 28 (a)^^ qui dis-
pose que la Commission procède à un examen contradictoire de la requête "avec
les représentants des parties", et qui précise que les Etats intéressés fourni-
ront, après échan.ge de vues avec la Commission, toutes facilités nécessaires
pour la conduite de toute enquête éventuelle.ment nécessaire,

En outre, aux termes de l'article 28 (b), la Commission doit se mettre


à la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement amiable.

55. Toutefois, il ne découle d'aucune de ces dispositions que le fait pour


une partie défenderesse de ne pas apporter sa coopération à la procédure prévue
à l'article 28 pourrait empêcher la Commission d'achever, dans toute la mesure
du possible, son examen de la requête et de soium.ettre un Rapport au Comité des
Ministres conformément à l'article 31 de !fe Convention (l),

. I .

(1) Dans quatre affaires dont la Cour internationale de justice a été saisie
récemment, le Gouvernement défendeur ne s'est pas présenté et la Cour a
statué sur le fond ; Affaires de la ccnpétence en matière de pêcheries
(Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c, Islande, CIJ
Recueil 1974, p. 3 ; République fédérale d'Allemagne c, Islande, ibid,,
p, 175) et Affaires des essais nucléaires (Australie c, France, ibid,,
p. 457). le paragraphe 15 des deux derniers arrêts (cf, pp, 257 et 451)
est libellé comme suit ;

"Il est regrettable que le Gouvernement français ne se soit


pas présenté pour développer ses arguments sur les questions qui
se posent en la phase actuelle de la procédure et qu'ainsi la Cour
n'ait pas eu l'aide que l'exposé de ces arguments et toute preuve
fournie à l'appui auraient pu lui apporter, La Cour doit cependant
poursuivre l'affaire pour aboutir à une conclusion et, ce faisant,
doit tenir conpte non seulement des preuves et des arguments qui
lui sont présentés par le demandeur, mais aussi de toute documenta-
tion ou preuve pertinente. Elle doit sur cette base s'assurer en
premier lieu qu'il n'existe aucun obstacle à l'exercice de sa fonc-
tion judiciaire et en second lieu, s'il n'existe aucun obstacle
de ce genre, que la requête est fondée en fait et en droit,",
- 23

56. Ces considérations s'accordent avec la procédure adoptée par la Commission


dans la Première affaire ^ecque, et la Cormlssion a suivi la même procédure
en ce qui concerne les présentes requêtes, observant que ces deux affaires ont
en commun les éléments suivants :

le Gouvernement défendeur a pleinement coopéré au stade de l'examen de


la recevabilité ;

bien qu'inconplète, l'enquête prévue à l'article 28 (a) de la Convention


a été effectuée. La Commission rappelle à cet égard que dans la Première
affaire grecque, la sous-Commission a décidé de mettre fin à sa visite
en Grèce parce qu'elle avait été empêchée d'entendre d'autres témoins et
de visiter un cairp de détention et une prison (1) ; dans la suite de la
procédure, le Gouvernement défendeur s'est abstenu de soumettre des con-
clusions écrites ou orales à la Sous-Commission (2),

57. La Commission a aussi tenu compte de la procédure qu'elle a adoptée, à


l'occasion de la Seconde affaire grecque, dans son "Rapport sur l'état actuel
de la procédiure", du 5 Octobre 1970. les paragraphes 18 à 20 de ce Rapport
sont libellés comme suit :

"l8. En matière de procédure judiciaire, tant les systèmes juridiques


nationaux que les tribunaux internationaux s'en tiennent au principe
général suivant ; un défende-ur ne peut pas se soustraire à la juridiction
d'un tribunal conpétent en refusant sijiplement de participer à la procès-
dure engagée contre lui. C'est un principe général de procédure judiciaire
qu'un tribunal conpétent peut prononcer un jugement par défaut. La Com-
mission est d'avis que ce principe devrait également s'appliquer dans le
cadre'de sa procédure, S'il n'en était pas ainsi, un défendeur pourrait
trouver trop facile de se soustraire aux obligations déco^ulant de la
Convention, en évitant simplement de comparaître devant la Canmission,
et pourrait même être encouragé à le faire. Dans cette mesure, il peut
donc être nécessaire de ne pas s'en tenir strictement au principe menticn-^
né ci-dessus selon lequel les conclusions de la Commission devraient être
fondées sur les arguments des deux parties et les éléments de preuve
produits par elles. Toutefois, la Commission devrait, même dans de telles
circonstances, s'assurer que l'information dont elle dispose est suffi-
sante po^ur lui permettre d'exprimer une opinion bien fondée ; il né
saurait être question de conclure automatiquement en faveur du requérant,
en faisant abstraction des circonstances de l'affaire,

(1) Cf. par, 23 du Rapport de la Commission du 5 NovemJore 1969, vol. 1,


1ère partie, p, 8.

(2) Cf. par. 29-51 et 34-35 du Rapport de la Commission, ibid,, pp. 9-11*
24 -

19. Les circonstances de la présente affaire revêtent un caractère


très particulier. La Commission croit devoir rappeler que la dénoncia-
tion de la Convention par le Gouvernement défendeur et son retrait du
Conseil de l'Europe ont eu lieu à un moment où le Comité des Ministres
était saisi d'une proposition tendant à suspendre la Grèce en tant que
membre du Conseil, Après que le Gouvernement grec eut annoncé sa déci-
sion de se retirer, le Comité des Ministres a adopté, le 12 Septembre
1969, la Résolution (69) 51 dar^ laquelle il déduit que ce Gouvernement
s'abstiendra de participer dorénavant, à coiipter de ce jour, aux acti-
vités du Conseil et conclut qu'il n'y a plus lieu, de ce fait, de
poursuivT?e la procédure de suspension, EÎi outre, le Président du Comité
des Ministres a informé l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe,
le 29 Janvier 1970, que la majorité des Délégués des Ministres ont estimé
au cours de leur l36e réunion que, à partir de la date de l'adoption de
la Résolution (69) 51, la Grèce, tout en restant formellement membre
du Conseil jusqu'au 31 Décembre 1970, doit être considérée comme étant
suspendue de facto de son droit de représentation et, dès lors, ne peut
plus participer aux activités du Conseil de l'Europe,

20, Dans ce conteîcte, le refus du Gouvernement grec de participer'


à la procédure engagée devant la Commission par les Gouvernements requé-
rants n'apparaît pas sous le m.ême jour que la situation type à laquelle
on pourrait s'attendre quand un Gouvernement défendeur fait défaut devant
la Commission, les raisons générales qui amèneraient normalement la
Coiîinission à "prononcer un jugement par défaut" (cf, par. I8 ci-déssus)
n'ont pas le m.ême poids en 1'occurence, le refus du Gouvernement défen-
deur de se présenter devant la Commission pouvant être rattaché en
quelque sorte aïox rapports existant généralement entre le Conseil de
l'Europe et la Grèce".

58, La Commission considère que les circoriStances décrites dan^s le Rapport


susmentionné sont notablement différentes de la situation procédurale dans
les présentes requêtes. Elle note à cet égard que la Turquie, Partie défenderesse
aux présentes requêtes, est un Etat membre du Conseil de l'Europe et une Haute
Partie Contractante à la Convention des Droits de l'Hoiune, qui continue de
coopérer au sein du Comité des Ministres à l'examen des questions relatives à
l'application de ladite Convention.

591 En conséquence, la Commission ne juge pas approprié dans les présentes


requêtes, d'adresser un rapport- intérimaire au Comité des Ministres, Elle con-
clut qu'elle doit établir le Rapport vise à l'article 31 de la Convention, sur
la base des éléments dont elle dispose.
25

chapitre 5 - Eléments de preuve recueillis

Introduction

60. La Commission a rencontré dans son enquête des diffic^ultés particulières


qui sont décrites au Chapitre 6 ci-après,

61. Dans son programme provisoire (l), la Délégation de la Commission a estimé


qu'il fallait procéder à des enquêtes dans les zones de Chypre où cela paraîtrait
nécessaire, et ce aux firxS ;

- de découvrir la meilleiure jùanière de recueillir des éléments de preuve au


sujet des violations alléguées, et

- d'entendre les témoins et de se rendre dans les endroits qui pourraient se


révéler utiles à cet effet.

En conséquence, la Délégation a proposé d'interroger d'abord un"certain


nombre de dirigeants de communauté, par exerrple les maires des localités sur
lé territoire desquelles des violations de la Convention avaient prétendument
été commises et, à cet effet ;

- d'inviter'le Gouvernement requérant à désigner un nomhre restreint de Chefs


de communauté et à indiquer les yiolations alléguées auxquelles ils avaient
eu affaire, et

- d'inviter ultérieurement le Gouvernement défendeur *à proposer des témoins


susceptibles de témoigner au sujet de ces mêmes allégations,

Sur la base des renseignements ain^i obtenus, la Délégation se proposait de


fixer le programme pour sa procédure ultérieure.

62. A la réunion de la Délégation du 19 Juin 1975, le Gouvernement requérant


a soumis une liste de chefs de canmurauté et d'autres témoins représentatifs
qui pouvaient témoigner, selon lui, en raison de leur situation, au sujet des
violations alléguées ; le Gouvernement a aussi fait certaines propositions en
ce qui concerne des endroits où il était souhaitable que la Délégation se rende,

63. pendant son séjour à Chypre, du 2 au 6 Septembre 1975, là Délégation a


entendu 14 témoins sur les 29 proposés par le Gouvernement requérant, Elle a
aussi entendu 3 autres témoins, réfugiés en provenance de la zone de Kyrénla,
et des membres de la Délégation ont interrogé onze réfugiés dans ces camps de
réfugiés,

64. Le Gouvernement défende'ur, bien qu'il y ait été invité^ n'a proposé
aucun témoin et n'a présenté auc^un autre élément de preuve ('^).

65. Pour établir les faits décrits dans le présent'Rapport, la Commission


s'est fondée sur les conclusions présentées et les éléments de preuve recueillis
jusqu'au I8 Mai 1976 (3).

(1") Cf, par. 30 ci^essus.


(2) Cf. par. 40, 42 et 44 ci-dessus, '/'
(3) Cf. par. 5 ci-dessus.
- 26

!• Témoins et personnes interrogées

Témoins

66. Pendant son séjour à Chypre, la Délégation a entendu les témoins sui-^
vants (1), qui avment été proposés par le Gouvernement requérant en raison
de leur situation particulière ;

Mme S. Soulioti Présidente de la Croix-Rouge chypriote,


Nicosie,

M. P. Stylianou Président du Comité panchypriote des


personnes "enclavées".

M. A. Pirkettis Membre de l'Association panchypriote des


prisonniers expatriés et détenus en Turqiaie,
Nicosie.

M. P. Hâdjiloizou Inspecteur de police chargé d'enquêter sur


les plaintes pour atrocités commises par les
Turcs, Athalassa, Nicosie.

Docteur X. Charalambides Médecin, ancien Maire adjoint de Kyrenia,


Nicosie.

M. A. Odysseos Avocat, ancien Président du Conité scolaire


de Morphou.

Docteur Hadjikakou Député, médecin à Famagouste, présentement


à Lamaca,

M. M, Sa'/vides Député, Président de la Chanibre chypriote de


commerce et d'industrie, Nicosie.

M. A. Andronlkou Directeur général de l'Office chypriote du


tourisme, Nicosie,

M, L. Tryfon Président de l'Association chypriote des


propriétaires, Nicosie,

M. A, Anastasiou Directeur général du Ministère de 1'intérieur


et de la défense, Nicosie,

M. G. lacovou Directeur du ser"/ice spécial chargé du bien-


être et du reclassement des personnes déplacées,
Nicosie,

M. J, Kaniklides Avocat à Lamaca (anciennement à Famagouste),

M, A, Azinas Commissaire au développement coopératif,


Nicosie,

./,

(1) Cités dans l ' o r d r e dans lequel i l s ont été o i t e n l i s


27 ­

67. La Délégation a aussi entendu comme témoins les réfugiés suivants, en


provenance de la région de Kyrenia :

fee M. Kyprianou, Nicosie,(précédemment E lia),


M. Efthymioy, Nicosie, (précédemment Karavas).
Mme S. Eftymiou, Nicosie, (précédemment Karavas),

68. Hormis Mne Kyprianou, tous ces témoins ont déposé en anglais, Le conpte
rendu intégral de leur addition fait l'objet d'un document distinct (1).

2. Personnes interrogées

69, Les membres de la Délégation de la Commission ont interrogé, par le


truchement d'interprètes, 11 réfugiés du cairp installé dans les locaux de
l'orphelinat de Nicosie, ainsi que du cairp de Stavros, le 5 Septembre 1975»
Le conpte rendu de ces entretiens fait l'objet d'un document distinct (2),

II­ Autres éléments de preuve

1, Lieux visités

70, Les membres de la Délégation sont allés voir à Nicosie ;

la ligne de démarcation ("ligne yerte^') séparant la zone contrôlée par


le Gouvernement requérant de la partie septentrionale de la ville ; et

les caïïps de réfugiés mentionnés au paragraphe 66 ci­dessus,

2. Films

Le 4 Septembre 1975, la Délégation a assisté à la projection d'une série


de courts films d'actualité assen±ilés et présentés par la Compagnie chypriote
de radiotélévision ( O C R ) , dont les thèmes et les sources sont ifes suivants (3) ;

Thème source
* " ".' » '­ .««■'■. ■

Conférence de presse donné par des jeunes filles


prétendant avoir été violées (date des prises de
vnies : 25,8.197^) CCR

;\rrivée en provenance d'Adana de prisonniers de


guerre libérés (date des prises de vues ;
27.10,1974). CCR

./.

(1) Doc. 41.351


(2) Addentum au conpte rendu intégral de l'audition des témoins
(Doc. 41,987), pp, 1­15.
(3) Cf, ibid. p. 99.
- 28 -

Thème Source

Entretiens avec trois prisonniers de guerre


libérés au sujet de la manière dont ils ont
été traités. L'un d'eux décrit comment des
prisonniers de guerre ont été tués. CCR
Entretiens avec des habitants de Davlos et
d'autres villages du nord-est de Chypre pré-
tendant avoir été explusés de leurs foyers
en Juin 1975. CCR
Entretiens avec une femm.e de Kyrénla au sujet
des épreuves qu'elle a subies (date des prises
de vues : fin Juillet 1974). CCR
Arrivées de personnes qui ont été internées à
Gypsou, Voni et Vitsadha (date des prises de
v^ues : novembre 197^). CCR
Entretien avec un prisonrder de guerre blessé
(qui décrit comm.ent il est sorti vivant d'une
tuerie et de quelle manière il a été repris
ultérieurement). CCR
Arrivée de prisonniers de guerre libérés,
attendus par leurs parents. CCR
Personnes "enclavées" dans des villages occupés RAI &
par les Turcs. VISNEWS

3. Rapports, déclarations et documents divers

a) Rapports d'organismes internationaux

72, La Commission a pris note de divers rapports (1) (à la disposition du public)


du Secrétaire Général des Nations Unies et de l'Assemblée Consultative du Conseil
de l'Europe, traitant des événements survenus à Chypre en 1974 et 1975,

b) Déclarations

73, De nombreuses déclarations individuelles ont été soumises par le Gouverne-


ment requérant à l'appui des allégations de yiolations de la Convention contenues
dans les présentes requêtes. Les noms des auteurs de ces déclarations ont été
omis "pour des raisons de sécurité", mais le Gouvernement s'est offert de les
faire connaître, si la Commission le désirait ; parmi les auteurs de ces déclara-^
tions, trois ont été entend'us comme témoins par la Délégation (2),

c) Documents divers

74. D'autres documents ont été communiqués par ;

le Gouvernement requérant à l'appui de ses conclusions, et

des témoins qui ont déposé devant la Délégation (3).

(1) Cf. par. 15 et 16 ci-dessus.


Y.
(2) Mme Kyprianou ainsi que M. et Mme Efthymiou,
(3) Cf. Addentum, pp, 16-98.
- 29 -

75' Par ailleurs. M, Orek et l'Office turc de l'information ont conmuniqué


aux Délégués des collections de rapports et de publications diverses traitant
des événements sur^/enus à Chypre depuis 1963, ainsi que de certains aspects
de l'administration depuis cette date. Ces collections ont été reçues par le
Délégué principal, qui a expliqué aux donateurs qu'elles ne pourraient pas
être versées au dossier de la Commission, à moins qu'elles ne soient remises
par le Gouvernement défendeur et qu'elles ne présentent de l'intérêt pour
l'examen des présentes requêtes (1).

(1) Cf. par, 38 ci-dessus,


- 30

Chapitre 6 - Difficultés rencontrées pour établir

les faits de la présente affaire

76. Avant d'examiner les allégations du Gouvernement requérant (1), la


Commission souhaite attirer l'attention, d'une part, sur certaines difficultés
qu'elle a rencontrées, dans les circonstances particulières de l'espèce, pour
établir les faits et, d'autre part, sur les solutions qu'elle a adoptées pour
surmonter ces difficultés.

I. Portée des allégatioriS

77. L'une des caractéristiques de la présente affaire réside dans le nombre


de violations alléguées de la Convention.

La Commission a donc dû limiter le champ de son enquête sur les yiolations


alléguées, et n'a examiné qu'un nombre réduit de cas considérés comme represent

II, Non-participation du Gouvememaent défendeur


à la procédure quant au fond

78. Comme il a déjà été indiqué (2), le Gouvernement défendeur n'a pas participé
à la procédure de la Commission préyue à l'article 28 (a) de la Convention ;
honnis la déclaration susmentionnée (3), il n'a présenté aucune conclusion et
aucun élément de preuve au sujet des violations alléguées, et il n'a pas accordé
de facilités pour l'enquête de la Commission, contrairement aux dispositions de
l'article 28 (a) in fine ; la Délégation de la Commission s'est yu refuser
l'accès en Turqiuie (4), ainsi que toute coopération de la part des autorités
turques ou chypriotes turques po^ur la conduite d'une enquête dans le nord de
Chypre (5).

79. En l'absence de conclusions de la part du (îouvemement défendeur, la


Conmission, pour les raisons exposées ci-dessus (6),a procédé à l'établissement
des faits à partir des éléments dont elle disposait,

III. Nature des éléments de preuve

80. Les éléments de preuve concernant les allégations du Gouvernement requérant


proviennent dans une large mesure des dépositions de tém^oins qui ont révélé leur
identité, ainsi que de docum.ents, notanment des déclarations écrites soumises
par ce Gouvernement, En outre, tous les témoins entendus, y conpris ceux choisis
par la Délégation, étaient Chypriotes grecs,

^ ,/,

Cf, Partie II du présent Rapport,


Cf, par, ^ ci-dessus.
Par, 40 in fine.
Cf. par. 40 in fine,
Cf, par, 38,
Cf. Chapitre 4,
31

81. Néanmoins, les éléments de preuve à la disposition de la Commission, et


les faits établis à partir de ceux-ci, peuvent être considérés comme offrant
principalement dans une optique chjpriote grecque une vue d'ensemble des événe-
ments et incidents incriminés. La Commission fait observer à cet égard que :

- certains événements et incidents mentionnés dans les requêtes sont pour la


plupart connus du public. En particulier, le déplacement massif de populations
du nord vers le sud de Chypre après le 20 Juillet 1974 est un fait incontesta-
ble qui ne nécessite, en tant que tel, aucune enquête particulière ;

- la Commission a basé ses conclusions en partie sur des rapports d'autres


organisations internationales, notamment les Nations Unies ;

- les témoins entendus par la Délégation de la Commission à Chypre ont déposé,


à quelques exceptions près, avec ^une modération et une objectivité qui ren-
dent leur témoignage plausible ; certains d'entre eux (1) ont confirmé des
déclarations contenues dans les "Détails des requêtes", dont ils ne pouvaient
pas avoir eu directement connaissance ;

- dans l'évaluation des éléments de preuve recueillis, elle s'est abstenue de


tirer aucune conclusion du fait que le Gouvernement défendeur, malgré toutes
les possibilités qui lui avaient été offertes, n'a fait aucune déclaration
au sujet des allégations du Gouvernement requérant et n'a proposé aucun élé-
ment de preuve allant à 1'encontre de ces allégations,

82. En outre, la Commission fait observer à cet égard que vu qu'il n'a pas
été possible d'enquêter de manière approfondie sur tous les faits, elle distin-
guera, dans son établissement des faits, entre :

- les aspects généralement connus ;

- les faits établis de manière convaincante pour la Canmssion ;

- les élém.ents de preuve qui vont de sâjrples indices à de fortes présonptions,


en passant par des indices sérieux (2) ;

- les allégations qui n'ont pas été étayées par des élânents de preuve pertinents.

,/.

(1) MM. Pirkettis, Kanikledes, Kyprianou, ainsi que M. et jy&re Ephtymiou,

(2) Cf. le Rapport de la Commission sur la Première affaire grecque, yol,


II, 1ère partie, p. 422.
32 -

IV, Responsabilité de la Turquie au regard de la Convention

83. Dans sa décision sur la recevabilité des présentes requêtes, la Commission


a conclu que les forces armées turques à Chypre ont fait -"relever de la juridic-^
tion" de la 'Turquie, au sens de l'article 1 de la Convention, l'ensemble des
personnes ou des biens se trouvant à Chypre, "dans la mesure où elles exercent
leur autorité sur ces personnes ou ces biens",

84. A la lumière de cette décision, la Conjnission a examiné, pour chacune


des plaintes étudiées (1), le point de savoir si les actes commis étaient inpu^^
tables ou non à la Turquie au regard de la Convention,

85. En dernier lieu, la Commission fait observer que la substance des pré-
sentes req^uêtes lui irposait de restreindre, pour l'essentiel, le champ de son
enquête aux actes et incidents dont la Turquie, pouvait être tenue pour respon^
sable en tant que Haute Partie Contractante, Les yiolations de la Convention
prétendument commises par Chypre ne pouvaient être prises en considération
comme telles que si la Turquie ou une autre Haute Partie Contractante les avait
dénoncées dans une requête introduite devant la Commission sur le fondement
de l'artiûfe 24 de la Convention (2).

./,

(1) Partie II du présent Rapport,

(2) Cf. par, 38 in fine,


)J)

PARTIE II - EXAî^îEN DES ALLEGATIONS CONTEMJES


DANS LES DEUX REQUETES

Introduction

86. La Commission examinera les allégations du Gouvernement requérant dans


l'ordre suivant :

déplacement de personnes (art. 8 de la Convention)- Chapitre 1 ;

privation de liberté (art, 5) ^ Chapitre 2 ;

non-respect du droit à la vie (art, 2)' - Chapitre 3 ;

mauvais traitements (art. 3) - Chapitre 4 ;

non-respect du droit de propriété (art, 1 du Protocole n® 1) -


Chapitre 5 ;

travail forcé (art, 4 de la Convention) - Chapitre 6 ;

87. Pour chacune de ces rubriques, on trouvera dans ce Rapport ;

les conclusions pertinentes des Parties ;

l'article applicable de la Convention ;

les éléments de preuve recueillis -,

une évaluation de ces éléments de preuve ;

l'avis de la Commission quant à la responsabilité de la Turquie, au regard


de la Convention, en ce qui concerne les actes incriminés ;

la conclusion de la Commission sur l'allégation de violation.

88. Pour la raison exposée ci-dessus (1), la Commission a dû restreindre le


champ de son enquête sur les violations alléguées en l'espèce. En conséquence,
elle n'a pas consacré un examen distinct aux griefs du Gouvernement requérant
concernant ;

les perquisitions domiciliaires (art. 8 de la Convention) ;

les atteintes au droit de correspondance (art, 8) ;

la détention de Chypriotes grecs arrêtés sur la ligne de démarcation


(art. 5 ) .
./,
(1) Cf. par. 77.
3^

Chapitre I ^ Déplacement de personnes

Introduction

89. Un grand nombre des allégations du Gouvernement requérant concernant des


violations des droits de l'hormie prétendument commises par l'armée turque dais
le nord de Chypre sont étroitement liées au déplacement massif de la population
chypriote grecque de cette région. En conséquence, la Commission examinera
d'abord le point de sav'oir si l'expulsion alléguée de quelque 200,000 Chypriotes
grecs et (ou) le refus allégué de les laisser rentrer chez eux dans la partie
septentrionale de l'île constituent en tant que tels, s'ils sont établis, des
violations de la Convention,

90. D'autres allégations de violations de la Convention visant non pas les


mesures de déplacement proprement dites, mais les circonstances particulières
dans lesquelles ont été appliquées des mesures alléguées d'expulsion dans des
cas indi'^/iduels3 conme des mauv'als traitements, la mise en détention, le non-
respect du droit de propriété, etc.,., doivent être distin.gués du déplacement
proprement dit et seront examinées dans le contexte pertinent, dans des chapi-^
très ultérieurs.

91. En dexrder lieu, en ce qui concerne le déplacement de personnes, la Com^


mission juge nécessaire de faire une distinction entre :

les m.ouvements de personnes provoqués par 1 ' intervention militaire turque

les mesures de déplacement non directenent liées à ladite intervention


militaire (expulsions de personnes de leurs foyers, expulsions et trans-
ferts au-delà de la ligne de démarcation, etc,,.);

le refus de laisser rentrer les réfugiés et les expulsés, et

la dislocation de familles provoquée par les mesures de déplacement.

Cette distinction, qui n'apparaît pas dans les conclusions du Gouvernement ve-^
quérant, sera observ-ée par la Commission dans sa présentation et son évaluation
des éléments de preuve recueillis, ainsi que dans son avis sur les points de
droit,

A. Argumentation des parties

I. Gouvernement reauérant

92. Le Gouvernement requérant fait valoir que depuis 1964, la Tiurquie mène
à l'égard de Chypre -une politique visant à imposer un échange de populations entre
les Communautés chypriotes grecque et turque, de manière à créer une situation

,/
35 -

dans laquelle chacune des deux communautés occuperait une partie distincte de
l'île. Cette politique est connue sous le nom de "Plan Attila" (1).

93. L'intervention militaire de 1974, et particulièrement sa seconde phase


qui s'est déroulée entre le l4 et le l6 Août 1974, ont visé à mettre en oeuvre
ce plan par le recours à la force (2). Les atrocités commises pendant cette
opération ont fait partie de la tactique visant à provoquer une division
géographique de l'île, en détxniisant et en éliminant totalement la population
grecque des zones occupées et en créant une zone de population turque (3)t

94, Les mesures prises par l'armée turque ont consisté notamment ;

à déporter en Turquie des honmes faits prisonniers (4) ;

à transporter des personnes (pour la plupart des femmes, des enfants et


des hommes âgés) vers la ligne de démarcation et à les expulser yers
les zones contrôlées par le Gouvernement requérant (5). Le Gouvernement
fait état tout particulièrement de l'expulsion, sous la forme qui vient
d'être décrite, d'environ 600 habitants des villages de Karmi, Trimithi,
Tnermia, Kazaphani et Ayios Georgios, le 2 Août 1974 (6), ainsi que de
778 personnes, pour la plupart de la région de Karpasia, entre le 27 et
le 30 Juin 1975 (parmi ces personnes se trouvaient les derniers habitants
des villages d'Ayios Serghios, Gerani, Akhana, Engomi, Kalopsida, Davlos,
Ayios Georgios et Spartharikon)(7). Par ailleurs, I.O51 personnes, dont
des eni^ants et des personnes âgées des régions de Kyrenia et de Karpasia,
auraient été expulsées entre les mois de Janvier et de Mai 1976 (8) ;

à détenir des personnes, qui étaient restées dans les zones contrôlées
par l'armée turque, dans des "canps de concentration", où elles ont été
forcées de vivre dans une misère telle qu'elles ont sombré dans le
désespoir, et en ont été réduites, pour soulager leur détresse, à donan-
der l'autorisation d'aller dars les zones contrôlées par le Gouvernement
requérant (9) ;

./,

(1) Détails I, par. 9.


(2) Détails I, par. 8.
(3) Détails I, par. 22 et 24.
(4) Détails I, par, 20 I ; Détails II, par. 12 k, en ce qui concerne
les conditions de détention en Turquie, cf, aussi ci-après, Chapitres
2 C et 4 B.
(5) Détails I, par. 20 G et 22 B (IV) ; Détails II, par, 12 c (iii).,
(6) Détails I, par, 22 B, second alinéa,
(7) Message-télex du Gouvernement requérant du 2 Juin 1975,
(8) Message-télex du Gouvernement requérant du 10 Mai 1976.
(9) Détails I, par. 20 C et 23 ; Détails II, par, 2, 12 c(i). Cf aussi
Chapitres 2 B et 4 3 ci-après.
36

à forcer des individus, soit par la menace des armes, soit par l'imposition
p'cir les autorités militaires turques de conditions d'existence inhumaines,
à signer des demandes de transfert vers les zones contrôlées par le Gouver-
nement requérant (1) ;

à créer dans le nord de Chypre des conditions telles que les Chypriotes
grecs ne souhaiteraient pas y retourner m.ême si on les y autorisait,-Le
Gouvemem.ent requérant se plaint, en particulier, de faits accomplis,
comme l'attribution de maisons et de biens appartenant à .d3s Ch^ypriotes
grecs à des Chypriotes turcs et à des colons tui-'cs (2) ;

à refuser obstiném.ent de laisser les Chypriotes grecs réintégrer leurs


foyers dars la zone contrôlée par les forces turques (3) ;

95. Ces mesures ont eu po^ur résultat que sur une population totale d'environ
200,000 Chypriotes grecs dans le nord, il ne restait plus que 14,000 personnes
environ en Septembre 197^ et quelque o.OOO en Juillet 1975. Le Gouvernement
requérant souligne que les personnes qui ont quitté le nord (environ hG% de
la population grecque de l'île) ne sont pas allés dans le sud de leur plein gré,
en mettant à profit la "liberté d'aller dans le sud" proclamée par les autorités
t^urques, mais qu'elles ont toutes été expulsées par l'armée turque et qu'on ne
les a pas autorisées à revenir (4),

96. Le Gouvernement requérant a aussi fait référence à des déclarations qui


auraient été faites par des fonctionnaires turcs. Ainsi, le principal Porte-
parole du Ministère tur-c des Affaires étrangères, M. Seml Akbil, aurait déclaré
que les 8.000 Ch^/priotes grecs demeurant encore dans le nord devraient peut-
être aussi être éloignés. M. BarutcU, Chef du Département "Grèce et Chypre"
du même Ministère, a mcdifié cette déclaration en disant que seuls les Chypriotes
grecs qui avaient demandé l'autorisation de partir étaient en train d'être trans-
férés, et qu'il ne s'agissait pas d'une expulsion (5).

97.' 'Toutefois, selon le Gouvernement requérant, certaines personnes concernées


ont été obligées à signer des demandes en yue de leur transport vers les zones
contrôlées par le C-ouvemement requérant ; dans leur majorité, elles n'ont
même pas signé ces demaides et ont obstinément refusé d'abandonner leurs foyers,
En réalité, toutes ces personnes ont été déplacées de force (6).

7,
(1) Détails II, par. 12 G (ii) ; cf, aussi le télex du Gouvernement requérant
du 10 î/lai 1976 relatif aux cas de mauvais traitements qui auraient eu lieu
en 1976.
(2) Détails II, par. 20 F et 24 ; Détails_II, par. 12 f j messages-télex du
Gouvernement requérant du 26 Juin 1975, par, B et du 22 Octobre 1975, selon
lesquels les importations de colons turcs auraient augmenté et se produi-
raient de façon systématique et sur une grande échelle, "dans le but de
medifier l'équilibre racial de l'île".
(3) Détails I, par. 20 C ; Détails II, par. 12 c.
(4) annexe "A" aux observations du Gouvernement requérant sur la recevabilité
de la requête I, -par, 11.
(5) Message-télex du Gouvemaiient requérant du 2 Juillet 1975,
(6) Ibid.
37 -

II, Gouvernement défendeior

98, Le Gouvernement défendeur qui, poiK* des raisons exposées ci-dessus (1),
n'a pas participé à la procédure quant au fond, n'a fait aucune déclaration
au sujet de ces allégations,

B. Article pertinent de la Convention

99, La Commission estime que 1 'éloignement de personnes de leurs foyers,


mesure incriminée dans les présentes requêtes, soulève des questions sur le
plan de l'article 8 de la Convention (atteintesau droit au respect du domicile
et de la vie privée et familiale). Elle prend acte à cet égard de la thèse du
Gouvernement requérant selon laquelle "en déplaçant des milliers de personnes
et en refusant à l'ensemble des Chypriotes grecs de rentrer chez eux", les
forces années turques ont "séparé des familles et porté atteinte à la vie
privée". (2),

100, L'article 8 de la Convention stipule :

"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,


de son domicile et de sa correspondance,

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice


de ce droit que poiir autant que cette ingérence est prévue par la loi et
qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est'né-
cessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-c^tre écono-^
mique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions
pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection
des droits et libertés d'autr'ui,",

C, Eléments de preuve recueillis

I. Renseignements généraux sur les personnes déplacées à Chypre

101, Vu la portée et la gravité des griefs contenus dans les présentes requêtes
et concernant le déplacement de Chypriotes grecs du nord de l'île à la suite de
Inaction militaire turque de 1974, la Commission a d'abord cherché à obte-
nir des renseignements d'ordre général sur le déplacement de personnes à Chypre,

102, La Commission note que le déplacement de personnes à Chypre, par suite


des événements de 1974, s'est produit sur une très grande échelle et a affecté
tout à la fois des Cnypriotes grecs et des Chypriotes turcs, encore que les
premiers aient représenté l'écrasante majorité des personnes déplacées, Le
nombre de Chypriotes grecs déplacés vers le sud s'élève à 180,000 environ,
coirane il sera précisé ci-après ; le nombre de Chypriotes turcs qui se sont rendus
dans le nord est de 40,000 environ, dont quelque 17,000 ont été transférés en

,/.

(1) Cf, Partie I, par. 23

(2) Requête I, par. 4,


-58 -

application d'accords négociés (l). La situation globale en ce qui concerne les


personnes déplacées à Chypre est décrite dans les rapports F o m l et Karasek à
l'.ûssen-iblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (2), ainsi que dans les rap-
ports du Secrétaire Général des Nations Unies sur les événements à Chypre (3).

103, Le fait que l'écrasante majorité de la population chypriote grecque a


quitté le nord de Chvpre à la suite de l'action militaire t-urque de 1574
est conriu de tout le monde et n'a besoin d'être corroboré par'aucm élément de
preuve particulier, A cet égard, la Commission fait sinplement référence aux
rapports du Conseil de l'Europe et des Nations Unies susmentionnés (4), ainsi
qu'à la visite faite par ses Délégués, le 5 Septemibre 1974, dans deux cairps
de réfugiés situés dans la zone contrôlée par le Gouvernement requérant (5).

104, S'agissant du nomhre de Chypriotes grecs déplacés, la Délégation de la


Commission a entendu deux témioins occupant des postes de responsabilité dans
des organismes d'aide aux réf^ugiés à Chypre ; à savoir M, George lacovou,
directeur du Ser^yice spécial chargé du bien-être et du reclassem.ent des per-
sonnes déplacées (organisme créé par le Gouvernement requérant et fonctionnant
depuis le 20 Août 1974), et I^!îme Stella Soulioti, Présidente de la Croix-Rodage
chypriote,

Mm-e Soulioti a déclaré qu'il y a eu quelque 26.000 réfugiés après la


première phase de l'action militaire t'irque (3 août 1974) et 170,000.
après la seconde (22 Août 1974). Elle a estimé que le nomhre de réfugiés a
dû encore augmenter po'ur atteindi^e environ 210.000 en Septembre 1975 i
toutefois, elle a admis que ses chiffres étaient peut-être moins sQrs que
ce'ux que M. lacoyou pouvait fournir (6).

M. lacovou a déclaré qu'avant même la création du Service spécial, il


était chargé de l'immatriculation des personnes qui s'étaient trouvées dépla-
cées pendant la première phase de l'action militaire, et qu'il y avait
environ 30.000 réfugiés à cette époque, Par ailleurs, il a déclaré que d'après
les dossiers du Service spécial, il y avait 182,827 personnes déplacées en
Septembre 1975, dont 135.716 ne pouvaient pas subvenir à leurs besoins et

,/.

(1; Environ 9-000 ont été éloignes, aux termes d'un arrangement anjglo-r-turc
de Janvier 1975, de la zone de la base souveraine britanique d'Episkopi,
où ils avaient cherché refuge ; environ 8,000 ont été déplacés dans le
cadre de l'accord interccmm'unautaire conclu lors de la troisième série
des entretiens de Vienne, en Août 1975.
(2) Cf, Partie I, par. 15 ci>-dessus,
(3) UT^' doc, S/11353 et Add, 1-33 ] S/11468 et Add. 1-4 ; S/ll488/Add. 2 ;
S/11568 j S/11717 po^ur la période allant jusqu'à Juin 1975.
(4) Cf, par. 102 ci-dessus.
(5) Le camp de réfugiés installé dars les locaux de l'orphelinat de Nicosie,
et le camp de réfugiés de Stavros 5 cf. les entretiens avec des personnes
de ces caips, pp, 1-15 de 1'Addendum.
(6) Conpte-rendu intégral pp, 5^6. Mme Soulioti a aussi fait état des chiffres
suivants ; 22.7.197^ - 3.000 réfugiés, 30,7.1974 ^ 15,000.
39 ^

recevaient une aide du Service spécial, dé, sorte qu'il connaissait parfaitement
leur nombre. Initialement, il y avait même eu 203.000 réfugiés nécessiteux, mais
nombre des persomes cul avaient quitté les zones du sud limitrophes des terri-
toires contrôlés par la Turquie y étaient retournées dans 1'intervalle (1).

105. Parmi les rapports susmentionnés (2), le rapport F o m i à l'Assemblée


Parlem.entaire, faisant référence aux données publiées par le Gouvernement
requérant, indique que le nombre de réfugiés chypriotes grecs est passé de
203,600 le 1er Septembre 1974 à 179.000 le 21 Novembre 1974, 24,000 personnes'
étant rentrées dans leurs foyers à Nicosie ou à proximité de la zone occupée par
les Turcs (3).

Selon un rapport des Nations Unies du 9 Juin 1975, le nombre de Chypriotes


grecs déplacés était de 182.000 à cette date, leur effectif total s'étant accru
de 3.000 environ depuis le 21 Novembre 1974, en raison principalement du trans-
fert de Chypriotes grecs du nord vers le sud (4).

106. Les méthodes et le processus selon lesquels s'est effectué le déplacement


des Chypriotes grecs ont été décrits par de nombreux témoins. La Commission
prend note ici, d'une part, des dépositions de tém.oins, entendus par sa Déléga-
tion à Chypre, qui avaient quitté le nord à la suite de l'intervention militaire
de l'été 1974 et, d'autre part, des déclarations de personnes interrogées dans
les cairps de réfugiés. Certaines d'entre elles ont aussi fait une description
générale des mouvements de populations, tels qu'elles les avaient vus. D'autres
éléments figurent dans -un grand nombre des déclarations écrites soumises par
le Gouvemem.ent requérant- En dernier lieu, il existe des documents pertinents
des Nations Unies, comme les rapports de l'U'NFICYP sur certains incidents ou
ce-ux du Secrétaire Général des Nations Unies sur les entretiens intercommunau-
talres qui ont eu lieu sous ses auspices,

II, Mouvements de personnes provoqués par l'action militaire tijrque


et observes pendant les deux phases de combats véritables
(20-22 Juillet et 14-16 Août 197?! ^

107. Il ressort des éléments de preuve soumis à la Commission que dans leur
majorité les personnes déplacées ont abandonné leurs foyers dans le nord de
Chypre en raison de l'action militaire turaue, pendant les deux phases
de combats véritables (20-22 Juillet 1974 et l4-l6 Août 1974).

103. Selon le témoignage de Mme Soulioti, les 170,000 réfugiés dénomhrés le


22 Août 1974 étaient pour une très grande part des personnes qui avaient fui (5).

./,

(1) Coîipte rendu intégral p, 159.


(2/ Cf. par. 102 ci-dessus.
(3) Conseil de l'E'urope, doc. 3566, par. 13^
(4) U^J doc, S/11717, par, 34.
(5) Coirpte rendu intégral, p. 5.
40

Ceci a été confirmé par M. lacoyou, qui a attiré l'attention sur l'état
psychologique de ces gens (1), 1 1 a signalé que même les Chypriotes grecs
des zones qui n'avaient jamais été atteintes par les troupes turques avaient
reflué et n'étaient rentrés chez eux qu'après la fin des combats (2),

109. Tout porte à croire que la fuite des Chypriotes grecs abandonnant la
zone des combats a débuté dans les tout premiers jours de l'action
militaire turque de Juillet 1974. Un rapport des Nations Unies du 22 Juillet
1974 signale qu'ijn des problèmes majeurs rencontrés par tous les contingents
des Nations Unies a été celui des réfugiés, dont la plupart étaient concentrés
dans les zones de Kyrerla et de Famagouste (3). Le tém.oin Soulioti a aussi
déclaré, en ce qui concerne les personnes déplacées pendant la premiere phase,
que certaines ont peut-être fui de le^ur propre chef (^),

110, Toutefois, il y a lieu de penser que les principaux mouvements de réfu^


giés se sont produits pendant la seconde phase de l'action militaire
turque. Les témoins Odysseos et Kaniklides ont estimé qu'au début de cette
phase, les gens sont partis, pris de panique, parce qu'ils étaient horrifiés
par le souvenir des événements de Juillet et par les histoires que racontaient
les réfugiés venant de la zone de K\rrenia s^ur le comportement des troupes
turques à l*égard des civils chypriotes grecs (5),

Mî Odysseos a déclaré à la Délégation qu'il avait lui-*5nême quitté


Morphou le 1^ Août 1974, lorsque la nouvelle s'était répandue que les troupes
turques approchaient de la région ; lorsqu'elles sont entrées dans Morphou le
16 Août, il ne restait plus que 600 Chypriotes grecs (sur plus de 6^000) (6),

M, Kaniklides a déclaré qu'il était resté à Famagouste parce qu'il y


vivait avec sa mère paralysée, mais qu'au moins 95^, voire 99^, de la popular
tion de Famagouste est partie lorsqu'elle a appris l'échec des (secondes)
négociations de Genèye, car "aucune famille sensée ne voulait demeurer à
Famagouste dans ces conditions" (7).

m . Le témoin lacoyou a déclaré que le yillage d'Akhna (Athna) a été occupé


par l'armée turque après le cessez-le-feu du 16 Août 1974 ; trois personnes
seulement y sont restées, D'un autre côté, la population locale et de nombreux
réfugiés sont restés à Akheritou jusqu'à l'arrivée des troupes turques. Ce
vdllage, qui est situé en bordure de la base souveraine de Dhekelia Ayios
Nikolaos, a/ait été jugé sûr - à tort, comme les événements l'ont m.ontré,
Le yillage a été attaqué et il y a eu des tués (8),

./,

(1) Coirpte^rendu intégral pp. 167 et 174,


(2) Cf.^par, 104 ci-dessus, et compte-rendu intégral p. I65.
(3) m doc, S/11353/Add, 2, par. 131
(4^ Gonpte^rendu intégral p, 5.
(5^ CoirptO'^rendu intégral pp, 90 et 18O. Cf, aussi Chapitres 3 et ^ ci-après,
(6) Compte^rendu intégral pp, 89 et 90. I l ressort d'un rapport des Nations
Unies du 15 Août 197^1 l;s/11353/Add, 27, par, 4) que Morphou a été éyacuée
par la Garde nationale et les c i v i l s ,
(7) Conpte-rendu intégral p, I80,
(8) CoTïpte-r^rendu pp, 173-174,
- 41

112. Les témoins suivants ont déclaré à la Délégation de la Commission qu'ils


avaient eux-mêmes quitté, ou avaient vu d'autres personnes quitter, leurs foyers
dans le nord, à cause de l'intervention militaire turque, sans qu'une contrainte
physique directe eût été exercée sur eux ;

(a) M. Efthymiou et M:ne Kyprianou ont décrit de quelle manière eux-mêmes


et leurs familles, comme un grand nombre d'autres personnes, ont quitté
leurs foyers près de Kyrenia, pour s'éloigner de la zone des conbats,
dès qu'ils eurent appris l'arrivée des forces turques, pendant la pre-
mière phase de 1'intervention militaire (20-21 Juillet 1974) ; toutefois,
ils ont fini par être pris par les soldats turcs (l).

(b) Le docteur Charalambides, ancien maire adjoint de Kyrenia, a déclaré


qu'immédiatement après la fin de la première phase des combats, de
nombreuses personnes, dont lui-même (le 23 Juillet 1974), ont quitté
leurs foyers à Kyrenia, parce qu'ils ne se sentaient plus en sécurité,
et se sont réfugiés à l'Hôtel du Dcme, qui était alors sous la protection
des Nations Unies (2),

(c) M, Odysseos a déclaré avoir quitté Morphou le 14 Août 1974, avant l'arri-
vée de l'armée turque (3).

(d) M. Kaniklides, de Famagouste (4), a déclaré avoir yu partir des membres


de sa famille (5) et avoir eu des CQnniuru.cations téléphoniques avec des
clients qui avaient quitté Famagouste (6) avant l'entrée des troupes
turques dans cette ville.

(e) Le docteur Hadjikakou a déclaré qu'il dirigeait un hôpital militaire à


Lysi, Après une attaque aérienne, il avait fait transférer tous ses ma^
lades de Lysi à Famagouste, Il a ensuite reçu l'ordre {du Gouvernement
requérant, semble-t-il) de rester à Famagouste et d'y travailler à
l'hôpital gouvernemental, hôpital qui a été évacué à son tour vers l'en-
clave d'Ormidhia, sur la base britannique de Dhekelia (7).

113. "Parmi les personnes interrogées dans les camps de réfugiés, la réfugiée
B. a déclaré qu'elle^-même et sa famille avaient quitté le village de TraMioni
ayant l'arrivée des troupes turques et qu'elle avait vu partir aussi d'autres'
personnes (8). Le réfugié D,, de Palekythro, qui a été détenu à Voni, a déclaré
que les autres membres de sa famille sont passés dans le secteur grec en raison
du danger (9)t Trois garçons du canp de réfugiés de Stavros (H,, I, et J,,
âgés de 11 à 14 ans) ont déclaré avoir quitté leurs foyers avec leur famille (10),

(1) Cf, Ccîîpte rendu Lntégral, pp. 197*^198 et 204-205j Cf. aussi Déclarations J,
n® 59, 60 et 82, qui font référence aux mêmes incidents.
(2) Compte rendu intégral p, 73.
(3; Cf. par, 110 ci-dessus.
(4) Cf. par. llO ci-dessus,
(5) Conpte rendu intégral, pp, l80-l82.
(6) Ibid., p. 184.
(7) Conpte rendu intégral, pp. 105-106.
(8) Addendum, pp. 4-5-
(9) Addendum, p, 9.
(10) Addendum, pp. 13-14.
42 -

114. Il y a lieu de penser que les mouvements de réfugiés chypriotes grecs


quittant le nord de l'île se sont arrêtés dès que cette zone a été occupée
par les troupes tiorques. A l'issue des phases de combat véritables (20-22 Jiiillet
et l4-l6 Août 1974), les Chypriotes grecs qui se trouvaient encore dans les zones
passées sous le contrôle de l'armée turque se sont yu irrposer des restrictions
à leur liberté de déplacement (1), et il semhle même que les forces turques
aient stoppé la fuite des réfugiés chypriotes grecs, Plusieurs déclarations
écrites (2) décrivent l'arrestation par les troupes turques de réfugiés en
fuite.

III. Mesures de déplacement prises pendant les phases de combats véritables


et non directement liées aux operations militaires turques .

115. De nombreux indices portent à croire qu'après la fin des combats'véritables,


le déplacement de Grecs chypriotes à l'intérieur et vers l'extérieur des zones
contrôlées par l'année turque a eu lieu sous la surveillance effective des auto-
rités civiles ou militaires de ces zones.

116. La Commission a recueilli des indices de l'existence des formes siuivantes


de déplacement ;

(a) le déplacement de Chypriotes grecs à l'intérieur des zones contrôlées par


l'armée turque, en particulier après qu'on les eut dépossédés de leurs
maisons et de leurs biens (3) ;

(b) l'expulsion au-delà de la ligne de démarcation de Chypriotes grecs du


nord (4) ;

(c) le transfert négocié de Chypriotes grecs détenus dans le nord vers la


zone contrôlée par le Gouv^emement requérant (5) }

(d) la déportation de Chypriotes grecs en Turquie continentale, d'où ils ont


été transférés, après leur libération, vers la zone contrôlée par le
Gouvernement requérant (6), et

(e) le transfert négocié, po^ur des raisons humanitaires, de personnes nécessi-


tant une surveillance médicale, ainsi que d'autres personnes, vers la zone
contrôlée par le Gouvernement requérant (7),

(a) Déplacement de Ch5rpriotes grecs à l'intérieur des zones contrôlées


par l'armée turque

117. De très nomhreùx indices'portent à croire que d'importants groupes de


ch;vpriotes grecs ont été transférés du nor-d de Cî"iypre vers d'autres lieux situés

(1) En ce qui concerne les restrictions Imposées aux personnes dites "enclavées",^
cf, Chapitre 2 A ci-après,
(2) Cf. par exenple Déclarations I, n° 2, 46, 52, 58, 70, 8l, 83 et 90,
(3) Cf. par, 117-122 ci-après.
(4) Cf, par. 121-130 ci-après.
(5) Cf. par. 131-149 ci-après,
(6) Cf, par, 150-158 ci-après,
(7) Cf, par, 159-165 ci-après.
43

sur le territoire contrôlé par l'armée turque. Il semble qu'un nombre très
élevé de persomes, y conpris, dans de nombreux cas, tous les demders habi-
tants des villages chypriotes grecs, ont été ainsi éloignés de leur lieu de
résidence habituel ; toutefois, un pourcentage relativement élevé de ces
personnes avaient quitté leurs foyers pour se réfugier chez d'autres personnes,
des parents, des amis et, dans certains cas, des étrangers.

118. De nombreux indices portent à croire que des personnes ont été contraintes
physiquement de quitter leurs maisons, même lorsqu'elles en étaient propriétaires,
Ainsi, la réfugiée A., du camp de réfugiés installé dans les locatix de l'orpheli-
nat, a déclaré qu'elle-m.ême et sa famille avaient été chassés de leur maison
d'Ayios Georgios, en Juillet 1974 (1). Les témoins Kyprianou et V, Ephtimiou
ont déclaré que leur groupe avait été contraint sous la menace des armes de
sortir d'une cave, ou d'une écurie, où il s'était caché (2). Le témoin
M. Andronikou, Directeur général de l'Office chypriote du tourisme, a déclaré
que deux propriétaires d'hôtel qui avaient été expulsés étaient venus le voir ;
le propriétaire de l'Hôtel Constantia à Famagouste, qui était resté s^ur place
après l'évacuation de la ville parce qu'il avait une fille clouée au lit, avait
été invité par les autorités militaires turques à s'en aller, sous peine de
subir des conséquences désagréables. Une dame, propriétaire de l'Hôtel Bellapais
à Kyrerla, avait reçu l'ordre de quitter l'hôtel, et on avait menacé de la tuer
si elle n'obtenpérait pas (3). En outre, il apparaît que de nombreuses personnes
ont reçu l'ordre de se rassembler dans certains endroits (l'école ou l'église)
de leurs villages respectifs (4), Quand elles, n'ont pas été séquestrées immédia-
tement sur place (5), elles ont été emmenées en autobus et dans d'autres véhi-
cules ,

119. Particulièrement pendant la première phase de l'intervention militaire


turque, il y a lieu de penser que des groupes de personnes ont été conduits
vers des points de rassemblement situés en dehors des villages, et qu'ils
étaient retenus là pendant de courtes périodes, puis autorisés à rentrer dans
leurs villages. De telles "excursions forcées" se sont répétées plusieurs fois
dans certains endroits et, dans certains cas, les villageois ont trouvé à leur
retour leurs maisons pillées. Finalement, les hommes ont été faits prisonniers,
et les enfants et les femmes expulsés vers les zones contrôlées par le Gouverne^
ment requérant,

120. Un rapport des Nations Unies du 5 Octobre 1976 confirme eue de tels inci-
dents ont bien eu lieu (6), Des tém.oins oculaires ont aussi décrit des inci-
dents analogues devant les Délégués.

./,

(1) Addendum, pp. 1-12,


(2) Conpte rendu intégral, pp. 198-205,
(3) Conpte rendu intégral, pp, 126-127,
(4) Voir par exenple la déclaration du témoin Pir^^-ettis, Coirpte rendu intégral,
p, 42, ainsi que les Déclarations I, n° 1, 3, 12, 13^ 1^, 29, 32, 4l, 49,
50, 53 et 68.
(5) Cf, par exenple les Déclarations I, n° 3, 21, 33, 36, 47, 49 et 51,
(6) UN doc. S/11353/Add, 15, par. 8 a ) ,
44

Ainsi, M, Pirkettis, un instituteur de 37 ans, a déclaré qu'il était en


vacances dars le nord, à Trimithi, lors de l'arrivée des Turcs, Les 26 et 29
Juillet 1974, on a dit aux habitants de ce village de se rassembler dans la
co-ur de l'école, p'uis on les a conduits à Boghazi en autobus et en camion.
Après avoir été ramenés dans leur yillage, ils ont été conduits à nouveau à
Boghazi, mais cette fois tous les homes de 15 à 70 ans, dont lui-^ême, ont
été "séparés de leur famille à Boghazi et emmenés en Turquie (1), Sa famille
a été ramenée une nouvelle fois au village, puis expulsée vers le sud quelques
jo'urs plus tard (2).

La réfugiée C , du camp de réfugiés installé dans les locaux de l'orphe-


linat de Nicosie, a déclaré qufâ.le-même et d'autres personnes qui s'étaient
réfugiées dans la maison de ressortissants anglais, dans le yillage de Karmi,
ont été expulsées et conduites dans un chanp, Environ 200 personnes ont été
retenues là pendant plusieurs heures, puis conduites par la route Kyrenia-
Nicosie à Boghazi, d'où elles ont été ramenées à leur village. Les hommes,
dont le fils de C , ont alors été faits prisonniers, et elle-même et d'autres
habitants du village ont été expulsés après plusieurs jours de séquestration (3).

Des incidents analogues sont décrits dans des déclarations écrites soumises
par le Gouvernement requérant, dont certaines mentionnent et confirment les
déclarations susmentionnées concernant les événements de Trimithi et de Karroi (4),

121. En outre, il y a lieu de croire que dans d'autres cas, des groupes de
chypriotes grecs ont été transportés, soit directement de leurs villages, soit
des points de rassemblement susmentionnés vers divers lieux de détention situés
sur le territoire contrôlé par l'armée turque :

(a) Les hommes qui ont été ultérieurement qi:alifiês officiellement de


"prisonniers ou détenus" dans le cadre des accords intercommunautaires
et dans les documents des Nations Unies ont été habituellement condijits
à la prison de Saray ou au Garage Pavlides dans le secteur turc à la
canpagne (par exenple le camp d'Acrades), La plupart d'entre eux ont été
déportés ultérieurement en Turquie (5).

(b) De nombreuses personnes, pour la plupart des fenmes, des enfants et des
hommes âgés, ont été conduits dars certains centres de détention, dont
les principaux se trouvaient à Gypsou, îferathoyouno, Vitsada, Voni et,
plus tard, Morphou (6). Mme Soulioti a communiqué des tableaux donnant
des détails sur ces transferts (7)»

./.

(1) Compte rendu, pp. 41-4^1,


(2) lûid., p. 57.
(3) Addendum, po, 6-8,
(4) Déclarations I, n^ 3, 4, 68, 92 (Trimithi) et 69 (Kami),
(5) Voir Chapitre 2 C ci-après,
(6; Voir Chapitre 2 E ci-après.
(7) -'addendum', pp. 22-23,
45

(c) En dernier lieu, des habitants de Kyrenia et des villages voisins ont été
conduits par des soldats turcs à l'Hôtel du Dôme à Kyrenia. Ceci a été confira
par des rapports des Nations Unies (1) et par des témoins entendus par la Délé-
gation, notamment le témein Soulioti (2) et le docteur Charalambides, témoin
oculaire, qui a été détenu dans ce même hôtel (3). D'autres personnes qui sont
allées à l'Hôtel du Dôme, ou qui y ont été conduites pour le^ur sécurité par
les forces des Nations Unies, ont finalement aussi été détenues par l'armée
turque et n'ont pas été autorisas à rentrer chez elles (4).

122. En été 1975, le processus de déplacement de Chypriotes grecs dans le nord


de Ch^ypre avait pris fin, soit par le retour des personnes concernées dans leurs
foyers dans le nord, soit par leur expulsion ou leur transfert négocié vers la
zone contrôlée par le Gc-uvemement requérant.

(b) Expulsion au delà de la ligne de démarcation (5)


de Chypriotes grecs du nord

1231 Un rapport des Nations Unies fondé sur des renseignements communiqués le
5 Août 1974 par l'UNFICYP décrit de quelle manière des groupes de Chypriotes
grecs ont été expulsés de la zone contrôlée par l'armée turque et transportés
jusqu'à la ligne de démarcation, Selon ce rapport, on a dit à quelques fermes
et enfants d'un grand nombre de villages de quitter ces derniers et de traverser
la ligne pour aller sur le territoire contrôlé par la Garde nationale. D'autres
ont été transportés en autobus, sans leurs effets personnels, jusqu'à Nicosie,
puis libérés avec ordre de traverser la "ligne verte" pour aller dans le secteur
chypriote grec de la ville (6),

124, Des expulsions pures et simples de groupes de personnes conduites en


autobus et à bord de divers véhicules jusqu'à la ligne v^erte ont aussi été décri*
tes par Mme Soulioti, qui a déclaré (7) avoir assisté en personne à leur arrivée
et s'être occupée de leur hébergement à 1'Acropolis Gymnasium à Nicosie, où elle
en a interrogé certaines. Comme Présidente de la Croix-Rouge chypriote, elle
avait aussi reçu différents rapports d'agents de la Croix-Rouge qui s'étaient
occupés de ces personnes déplacées, à leur arrivée sur la ligne yerte.

(1) UN doc. S/11353/Add. 15 par. 18 a.


(2) Conpte rendu intégral, p. 7. Selon ce témoin, "quelques personnes ....
ont été ramassées dans les villages à l'ouest de Kyrenia pendant la
première phase, et conduites à l'Hôtel du Dôme",
(3) Conpte rendu intégral, p, 73.
(4) Cf. Chapitre 2 B ci-après.
(5) La "ligne de démarcation" désigne la ligne séparant les territoires
contrôlés, à l'époque des faits, d'une part par le (îouvemement requérant
et, d'autre part, par les forces turques. - cf. par. 14 ci-dessus,"
(6) UN doc, S/11353/Add. 15, par, 8 b.
(7) Conpte rendu intégral, pp, 3^6.
46

Selon ce témoin, il y a eu trois vagues d'expulsions ;

- le 2 Août 19'74, 600 personnes environ ont été chassées de cette façon de
Trimithi, Karmi et Ayios Georgios, trois villages situés à l'ouest et tout
à côté de Kyrenia,

- selon des déclarations faites à la Crolx-Rouge chypriote entre le 17 et le


2^ Août 1974, les villages d'Omorphita, Trakhoni, Mandres, Assia et Livadia
ont connu le même sort pendant la seconde phase de l'action militaire
turque. T%e Soulioti n'a pu indiquer le nombre total de personnes expulsées
pendant la seconde phase, mais elle a déclaré avoir été informée de ce que
300 habitants d'Assia avaient été évacués vers Dhekhelia.

- en dernier lieu, selon ce même témoin, 900 personnes, principalement de la


région de Karpasia, ont été expulsées en J^uin 1975 ; elle a été informée de
cette expulsion par les agents de la Croix-Rouge qui les avalent accueillies,
Par ailleurs, ce témoin a ccmmurlqué une copie d'me lettre adressée le
8 Juillet 1975 par M. Matsoukaris, Chef du Service des questions h.-amanitaires
du Gouvernement requérant, à M. Schmid de Gruneck, Chef de la Mission du
Comité international de la Croix-Rouge, à Nicosie, lettre qui décrivait les
conditions dans lesquelles ces expulsions se déroulaient (1),

125. Un témoignage indirect ("hearsay evidence") au sujet d'expulsions


d'habitants de Trimithi et d'Asha (Assia) a été fourni par M, lacoyou. Celui-
ci a déclaré que les habitants d'Asha avaient été embarqués sur des autobus
et conduits au yillage de Pergamos, voisin de la base souveraine de Dhekhelia,
où on les avait libérés en leur disant de passer de l'autre côté (2), Quant
aux expulsions de la zone de Karpasia, il a déclaré (3) ;

"Des Turcs (Chypriotes turcs) n'ont cessé de se rendre dans la zone


contrôlée par l'armée turque, par divers moyens. Le moyen officiel
a été à l'origine l'échange de prisonniers j puis la réunion des famil-
les. Cela s'est fait par voie d'accords, L'échange récent qui a fait
l'objet d'un accord à Vienne a été inspire par le désir des Turcs
d'expulser 10.000 personnes de la péninsule de Karpas, à moins que les
Turcs du sud ne soient autorisés à aller dans le nord. De fait, ils
avaient conmencé à mettre leur menace à exécution et avaient expulsé
850 Grecs de la zone de Karpasia, et au cours des entretiens de Vienne,
il a été convenu que le Gouvernement autoriserait les Turcs de la zone
contrôlée par le Gouvernement à aller dans le nord et que les autorités
turques accepteraient ^un effectif de 85O."

(1) Addendum, pp. 17-191


(2) Conpte rendu intégral, p. 167
(3) Ibid,, p, 165,
-47

126. La Délégation de la Conroission a aussi entendu plusie-urs personnes qui


ont déclaré avoir été expulsées du nord de Chypre ou avoir été témoins oculaires
de semblables expulsions.

Parmi les réfugiés que les Délégués ont interrogés dans le canp de réfugiés
installé dans 3es locaux de l'orphelinat de Nicosie, une personne, la réfugiée
A., a déclaré que des Chypriotes turcs l'avaient forcée à quitter sa maison
d'Ayios Georgios, En fin .de compte, elle a été conduite sur la ligne yerte, à
Nicosie, le 2 Août 1974. Toutes les personnes du canp étaient venues ensemble
jusqu'à la ligne yerte.(1).

Une autre femme du même canp, la réfugiée C , de Karmi^ a décrit l'expulsion


des habitants de son village ; lorsque les troupes turques sont arrivées en Juil-
let 1974, elles ont emmené en véhicules environ 200 habitants du village vers
un endroit situé sur la route reliant Kyrenia à Nicosie. Après intervention des
Nations Unies, ces habitants ont été reconduits dans leur village. Puis les
hommes (parmi lesquels le fils de C.) ont été séparés des autres personnes et
déportés en Turquie. Les autres habitants ont été séquestrés plusieurs jours
dans leurs maisons. Le 2 Août 1974, ils ont été conduits en camion à Nicosie,
où ils ont été libérés à proximité de la ligne yerte, devant l'Hôtel Ledra
Palace (2),

Le témoin Pirkettis a décrit des événements analogues survenus à Trimithi (3):


il a été déporté en Turquie (4), mais les membres de sa famille ont été "relâ*^
chés" et transférés vers le sud quelques jours après qu'il eut été séparé d'eux,
le 29 Juillet 1974 (5).

127. Des descriptions d'exp'ulsions collectives figurent aussi dans un certain


nombre de déclarations écrites scnumises par le Gouvernement requérant, Selon
certaines déclarations, leurs auteurs ont été chassés de leurs maisons (6),
tandis que d'autres déclarations indiquent que leurs auteurs ont été appréhendés
au domicile d'autres personnes ou pendant qu'ils fuyaient (7).

128. Plusieurs de ces déclarations se rapportent aux év^énements de Trimithi,


qui ont aussi été décrits par le témoin Pirkettis. Dans l'ensenible, elles con-
firment son témoignage, en ajoutant cette précision que les derniers habitants
de Trimithi ont été conduits jusqu'à la ligne verte dans trois autobus, le
2 Août 1974 (8). Deux autres déclarations écrites faites par- des habitants
d'Ayios Georgios et de Karml confirment les déclarations orales des réfugiés
A, et C, (9).

./.

Addendum, pp. 1-3.


Addendum, pp. 6-8,
Cf, par. 120 ci-dessus.
Cf. par, 298 ci-après.
Conpte rendu intégral, p. 57.
Déclarations I, n^ 11 (Famagouste), 57 (MiaMilia), 68 (Trimithi),
69 (Karmi) et 70 (Palekythro).
Cf. par exemple les Déclarations I, n® 4, 46, 63 et 90.
Déclarations I, n^ 3, 4, 68 et 92,
Déclarations I, n*^ 13 et 69,
" 48 -

129. D'autres déclarations concernant des expulsions ont été soumises par le
témoin Tryfon, Président de l'Association chypriote des propriétaires. Parmi
les déclarations qui, selon ce témoin, ont été faites à son Association,l'une
d'elles décrit l'expulsion forcée de l84 habitants d'un village, le 7 Août
1974 (1), Une autre déclaration écrite soumise par M. Tryfon décrit une expul-
sion collective d'environ 60 personnes, le 27 Novembre 1974 (2).

130. En dernier lieu, un film de la Conpagnie chypriote de radiotélévision


montrant des entretiens avec des habitants de Davlos et d'autres villages du
nord-est de l'île, qui ont déclaré avoir été expulsés de leurs foyers en Juin
1975, a été projeté devant la Délégation de la Commission dars les studios
de cette m.ême Conpagnie, à Nicosie, le 4 Septembre 1974 (3).

(c) Transfert négocié de Chypriotes grecs détenus dans le nord vers


la zone contrôlée par le Gouvernement requérant

131. Certains indices portent à croire que de très nombreux'Chypriotes grecs,


précédemment détenus, ont été transférés vers la zone contrôlée par le Gouver-
nement requérant (4),

132. S'agissant de la détention dans le nord de l'île, la Commission note


qu'aux dires de plusieurs témoins, les "canps de concentration", en particulier,
ont représenté un artifice délibéré pour vâder la région de sa population
grecque (5).

/.

(^) Addendum, p, 92,

(2) Addendum, p. 91-

(3) Addendum, p. 99, film n° 3.


(4) Au sujet des diverses forme
pour les conditions de détention, voir le Chapitre 4 B ci-après. En ce
qui concerne la détention en Turquie, voir la section d) ci-après,

(5) Cf, les témoignages de Soulioti, Conpte rendu intégral, p, 9, Stylianou,


ibid,, p, 36, Hadjiloisou, ibid, p, 70, et lacovou, ibid, pp. I67 et
174-175» M, lacovou a parlé d'un "processus psychologique visant à faire
partir les gens" parallèle au "processus physique d'évacuation des gens",
.1:9

133. A cet égard, certains témoins ont fait référence aux déclarations faites
par M. Zuger, Représentant du Comité international de la Croix-Rotige (CICR),
et M. Kelly, Représentant du Haut Commissaire des Nations Unies pour les
Réfugiés (UNHCR), devant M. Weckmann-^inoz, Ambassadeur des Nations Unies,
M. Denktash et M. Clerides, à la réurlon qu'ils ont tenue le 7 Février
1975 (1).

Ces déclarations, qui ont aussi été soumises par le Gouvernement requé-
rant (2), sont les suivantes :

"Zuger

Les personnes qui ont été amenées de leur village à Morphou ont été
entassées, soiis bonne garde, dans un bâtiment d'école. Elles ne sont
pas libres d'en sortir ; il s'agit pour la plupart d'hommes et de
femmes assez âgés et de jeunes enfants. La situation ressemble à celle
qui existait à Voni, Gypsou et Vitsadha, Ces gens veulent aller dans
le sud parce qu'on ne les autorise pas à rentrer dans leurs foyers.
Ils ne font, à notre connaissance, l'objet d'aucune contrainte physique,
mais il est vrai qu'après 6 mois de séquestration, ils ont l'inpression
qu'il n'y a plus d'espoir pour eux. Même les habitants de Morphou ne
sont pas autorisés à vivre chez eux, exception faite pour une famille.
Nos médecins craignent pour la vie dé ces personnes. La plupart'd'entre
elles sont résignées, elle sont couchées sur le sol et se désintéres-
sent totalement de tout ce qui se passe autour d'elles 5 elles se
contentent de pleurer. La Croix-Rouge leur fournit l'aide qu'elle peut,
sous forme de médicaments, etc, mais ce n'est pas suffisant. Pour des
raisons humanitaires, nous recommandons instamment leur transfert vers
le sud,

M, Kelly ;

Il faut distinguer entre leur situation pendant les deux derniers miois
et celle qu'ils connaissaient dans leurs villages, ils ne voulaient pas
aller dans le sud. H s souhaitaient rester chez eux. Maintenant qu'ils
ont été transférés à Morphou, ils vivent dars des conditions matérielles
déplorables : ils sont séquestrés dans un bâtiment d'école, sans être
autorisés à en sortir ; ils sont totalement découragés. Ils sont couchés
sur le sol et pleurent, A notre connaissance, l'armée les a transférés
sans aucune explication. On ne les a pas autorisés à enporter leurs
meubles ou leurs affaires personnelles, sauf quelques vêtements.
J'étais allé les voir auparavant ; ils étaient heureux dans leurs foyers,
dans leurs villages.

,/.

(1) Cf. les témoins Odysseos, Conpte rendu intégral, p. 94, et lacovou,
ibid. , p, 168.

(2) Annexe A à ses observations sur la rec"vabilité de la requête I.


^r, -
- 5

M. Zuger :

Ils ont demandé à aller dans le sud après avoir été chassés de leurs
villages. D'après les visites que nous avons faites dans leurs villages,
nous pouvons dire qu'auparavant ils étaient heureux chez eux."

134. Au vu de ces déclarations, la Conïïnission a jugé nécessaire d'examiner les


conditions dans lesquelles les Chypriotes grecs'détenus dans divers endroits du
nord ont été libérés, puis transférés v^ers la zone contrôlée par le Gouvernement
requérant.

135. Il y a lieu de penser que le transfert des personnes qui avaient subi
une longue période de détention - par opposition à celles qui ont été expulsées
unilatéralement après avoir été détenues pendant peu. de temps (1) ^ s'est fait
sur une base de réciprocité, dans le cadre d'accords intercommunautaires conclus
en application de la Déclaration de Genèye, signée le 30 Juillet 1974 par les
Mnlstres des Affaires étrangères de la Grèce, du Roya\:mie-Uni et de la Turquie (2).
Le paragraphe 3 D de cette Déclaration (3) est libellé comme suit :

"Le personnel militaire et lés civils détenus à la suite des récentes


hostilités seront soit échangés, soit libérés, sous la supervision du
Comité international de la Crolx-Rouge, dans le plus bref délai possible.''

136. Le 4 Août 1974, l'Ambassade de Turquie à Nicosie a fait parvenir le message


suivant à l'UNFICYP, avec prière de le transmettre aux autorités chypriotes
grecques :

"Faisant référence à l'alinea'3 (d) de la Déclaration de Genèye, la


Turquie se déclare prête à libérer tous les civils grecs et chypriotes
grecs se trouvant dans les zones sous contrôle turc, sans souci de
l'égalité des effectifs.

La Turquie so'uhaite que les autres parties intéressées fassent une décla^
ration analogue, et le CICR devrait assumer ses responsabilités"et 5'acquits
ter de sa mission à cet"égard en déclarant qu'il est prêt à coopérer, La
Turquie donne la priorité, à la libération des civils, et l'échange des
prisonniers de'^iralt intervenir une fois tous les civils libérés," (4)

(1) Cf. Section b) ci-dessus,

(2) Cf. Partie I, par. 13-

(3) Cf. Annexe W .

(4) U>-J doc. S/11353/Add. 15, par. 11


51 -

137. Les entretiens intercommunautaires ont alors débuté, à la suite de la


visite que le Secrétaire Général des Nations Unies avait faite à Chypre du
25 au 27 Août 1974 (1). Ces entretiens ont eu lieu entre M, Clerides, Président
par interim, et M. Denktash, Vice-président, avec le concours de l'Ambassadeur
Weckmann-Munoz, Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies,
ainsi que d'autres fonctionnaires des Nations Unies, dont un représentant du
Haut Commissaire des Nations Urles pour les réfugiés, et en présence d'un
représentant du CICR (2).

138. Un premier accord préliminaire, conclu le 6 Septembre 1974, a prévu,


d'une part, l'élaboration immédiate d'un plan pour la libération de l'ensenible
des prisonniers et détenus et, d'autre part, la libération par priorité, dans
le cadre du plan, des prisonniers et détenus malades et blessés, ainsi que des
prisonniers et détenus âgés de moins de I8 ar^ et de plus de 50 ans (3)-

139. Un accord du 11 Septembre 1975 a prévu la libération de certaines catégo-


ries de prisonniers et de détenus, notamment les jeunes de moins de I8 ans,
les étudiants, les enseignants ainsi que les prisonniers et détenus malades et
blessés (4), A une autre réunion tenue le 13 Septembre 1974, il a été décidé de
donner la priorité à l'échange des prisonniers et détenus malades et blessés,
et d'inclure dans les catégories des personnes à libérer les personnes âgées
(à partir de 55 ans) ainsi que les personnels religieux, médical et paramédical (5)
Le premier échange de prisonniers malades et blessés intervenu en application
des accords susmentionnés a été organisé par le CICR, avec le concours de
l'UNFICYP et d'organisations médicales et d'assistance des deux Communautés,
devant l'Hôtel Ledra Palace, à Nicosie, le 16 Septembre 1974, Cent seize Chypriotes
grecs et 126 Chypriotes turcs, qui avaient été transportés en autobus jusqu'à
l'Hôtel, ont été échangés (6). L'échange de prisonniers et détenus malades et
blessés s'est achevé le 21 Septembre 1974,par la libération de 111 Chypriotes
turcs et de 42 Chypriotes grecs (7).

140. Le plan du CICR pour la libération de tous les prisonniers et détenus


restants a été adopté à la réunion intercanmunautaire du 20 Septembre 1974,
après que les parties intéressées eurent mis la dernière main aux listes de
prisonniers et de détenus (8). L'exécution de ce plan a débuté le 23 Septembre (9)
et, après ^une interruption liée au délai occasionné par le rapatriement des

/.

(1) Cf, Un doc. S/11468 et S/II568, par, 62 et 63.


(2) U-M doc. S/11568, par-. 64.
(3) UN doc. S/11353/Add. 15, par. 11.
(4) UÎNj doc. S/ll468/Add, 2, par. 17
(5) Ibid,, par. 19.
(6) Ibid., par. 20,
(7) UN doc. S/ll468/Add, 3, par, 15.
(8) UN doc, S/ll468/Add, 3, par. l4 b ; cf. aussi S/11468/Add, 2, par, 20,
en ce qui concerne le retard provoqué par la non-production des listes
de prisonniers, ccntrairenjent à ce qui avait été ccnveniu le 6 Septemibre,
(9) . Uî^l doc. S/ll468/Add, 3, par, 15.
- 52 -

prisonniers de Turquie (1), s'est terminée le 31 Octobre 1974. Selon un rapport


des Nations Unies du 6 Décembre 197^ (2), 5.8l6 prisonniers au total ont été
libérés des deux côtés dans le cadre de ce programme. Cet effectif se décompose
comme suit :
Cnypriotes grecs 2,487 Chypriotes turcs 3-308
Ressortissants grecs 9 Ressortissants turcs 12
1 4 1 . Toutefois, il semble que les personnes dans les centres de détention
n'aientpas été classées conne prisonniers ou détenus et que le chiffre susmentionné
d e 2,4?8 prisonniers et détenus chypriotes gr*ecs recouvre essentiel]enent des
persoî-j'es qui ont été libérées après leur déportation e n Turquie. D e f a i t , il
semlle que la majorité d'entre elles aient été déportées et un faible pourcentage
seulement est représenté par des personnes qui ont été détenues à la prison
d e Saray o u a u Garage Pavlides, à Nicosie,

142. Le témoin Soulioti a déclaré que ce sont là les deux endroits où des pri-
sonniers de guerre ont été détenus par les Turcs à Chypre (3). Elle a fait
état de la libération de 2,526 prisonniers de guerre chyj:riotes grecs au total,
s^ur lesquels 2.380 avaient été emmenés en Turquie (4).
143. Lorsque les entretiens intercommunautaires ont repris à Vienne sous les
auspices du Secrétaire Général des Nations Unies, à la fin d'avril 1975, les
deux canps ont déclaré qu'à leur connaissance, ils ne détenaient plus de prison-
niers de guerre ou d'autres détenus non déclarés (5)t Cette affirmation a été
réitérée lors de la troisième série des entretiens de Vienne, en ''-^ût 1975 (6),
Toutefois, il semble que ces déclarations n'alent..non plus"fait référence aux
p-ea'»sonnes détenues dans les centres de détention du noru de Cnypre,
1^^, Le transfert des personnes se trouvant dans les centres de détention
du nord de Chypre est intervenu en application d'accord spéciaux conclus à
l'échelon intercomm'unautaire en Novembre 1974. Ainsi, il a été décidé le
11 NovsmjDre que quelque I.50O Chypriotes grecs "se trouvant" à Voni et Gypsou
seraient évacués yers le sud. Selon un rapport des Nations Unies, l'évacuation
de 389 Chypriotes grecs détenus à Voni s'est terminée le 18 Novembre 1974.
L'évacuation des Chypriotes grecs détenus à Gypsou s'est achevée le 30 Novembre ;
1.123 personnes au total ont été transférées vers le sud, A la même date, quel-
que 250 Chypriotes turcs ont été transférés de Mandres vers le nord (7),
1^-5. Au sujet de l'évacuation des centres de détention, en Noyanbre 1974,
yine Soulioti a fait la déposition suivante :

./.

(1) Cf, par. 154 ci-après,


(2) m doc, S/11568, par, 51,
(j)) Compte rendu intégral, p . .13.
(4) Ibid., pp. 23-24,
(5) UN doc. 3/1168^, Annexe.
[S] Communiaué de presse du 2 Août 1975, U^^f doc. S/II789, Annexe, p,2,
(7) U^I doc/s/11568, par. 47,
- 53

"Il y avait dans ces canps quelque 2,440 personnes au total ; elles ont été
évacuées entre le 15 et le 29 Novembre 1975."

Interrogée sur le point de savoir vers quelle destination elles ont été évacuées,
ce témoin à répondu :

"Elles ont été transférées par la Croix-Rouge internationale après la


conclusion d'un accord entre M, Clerides et M. Denktash. Elles ont été
conduites vers le secteur grec et toutes remises à la Croix-Rouge chypriote"
(organisation dont le téïïK)in est la Présidente) (2).

146, En dernier lieu, il ressort du rapport sur l'Opération des Nations Unies
à Cnypre, po^ur la période allant du 7 Déceml)re 1974 au 9 Juin 1975, que sur
250 Chypriotes grecs qui avaient été "concentrés" à Morphou après avoir été
expulsés de villages voisins, 21 seulonent n'ont pas été évacués vers le sud (3).

147. La plupart des déclarations orales et écrites de personnes qui ont été
détenues dans des centres de détention ne décrivent pas les circonstances de leur
transfert yers le sud. Toutefois, il sen±)le que ces personnes aient généralement
éprouvé un sentiment de soulagement d'avoir enfin été autorisées à partir,

148, S'agissant du transfert vers le sud des personnes séquestrées à l'Hôtel


du Dôme, à Kyrenia (4), la Commission n'a trouvé aucun indice de l'existence
d'arrangements intercommunautaires spécifiques. Pendant le tenps où ces personnes
se trouvaient encore sous la "garde tutélalre" des Nations Unies, cette organisa-
tion s'est efforcée, vainement, d'obtenir qu'on les laisse rentrer dans leurs
foyers (5)» Les Nations Unies ont eu davantage de succès au yillage de Bellapais,
où sur quelque 2.000 Chypriotes grecs se trouvant sous la "garde tutélaire" des
Nations Unies, 100 ont été autorisés à rentrer chez eux et à se déplacer libre-
ment (6). En ce qui concerne l'Hôtel du Dôme, il a été signalé que pendant la
période allant du 7 Décembre 1974 au 9 Juin 1975, seules étaient restées sur
place 53 personnes sur les 350 qui y avaient été séquestrées, Sur les 287 person-
nes qui sont parties, 7 ont été autorisées par les autorités chypriotes turques a
rentrer dans leurs foyers, à Kyrenia (7), tandis que les autres ont été libérées
progressivement et transférées vers le sud,

149. Le témoin Charalambides, médecin et ancien maire adjoint de Kyrenia, qui


avait été à l'Hôtel du Dôme depuis Juillet 1974, a déclaré avoir été "déporté"
de l'Hôtel du Dôme le 5 Avril 1975, après qu'il s'était plaint auprès des auto-
rités t^urques de ne pas avoir été autorisé à aller voir un malade le 21 Mars,
On lui a d o m e deux jours pour quitter Kyrenia ; "Le message est venu par l'in-
termédiaire de la Croix-Rouge, dans une lettre que M, Denktash a adressée à
M, Clerides ; ce message précisait que si je n'avais pas quitté Kyrenia dans
les deux jours, je serais mis en prison et interrogé" (8),

(1) Conpte rendu intégral, p. 10.


(2) roid.
(3) U'N doc. S/11717, par. 40,
(4) Cf. Chapitre 2, par. 266-273 ci-après
(5) u%' doc. S/11353/Add, 10, par, 6.
(6) L'N doc, S/11353/Add. 16, par. 6
(7) UN doc. S/11717, par. 4o.'
(8) Conpte rendu intégral, pp. 73^74.
54

(d) Chypriotes grecs déportés en Turquie


continentale et transfères, à ^
leur libération, v^ers la zone contrôlée
par le Gouvernement requérant
150. Comme il est précisé ci­après (1), environ 2,000 Cliypriotes grecs de sexe '
nasculin ont été déportés en Turq­uie­pour y être détenus, Le Gouvernement requé­
rant parle de leur "expatriation forcée" (2). Toutefois, il est difficile de
savoir dans quelle mesure ces personnes ont continué d'être tenues éloignées
de lemurs foyers après leur retour à Chypre et, plus particulièrem.ent, après qu'on
les eut transférées, à leur libération, vers la zone contrôlée par le Gouveme­
m­ent requérant. Pour une certaine partie, au moins, il s'agissait de membres
de la Garde nationale, et l'on peut penser que certains d'entre eux étaient des
résidents de la zone encore contrôlée par le Gouvernement requérant, vers la­
quelle ils retournaient. Certains des civils qui ont été déportés étalent peut­
être aussi des résidents de cette zone; De fait, le témoin Pirkettis a déclaré
que lorsqu'il a été fait prisonnier, il était en vacances dans le nord de
l^île (3).

151. D'un autre côté, il ressort de déclarations écrites et orales que des mem­
bres de la Garde nationale et d'autres personnes qui ont été déportés avaient
été arrêtés à leur domicile ou après avoir été expulsés de leurs foyers dans
le nord. A cet égard, la Conmission fait référence aux indications susmention­
nées (^),

152. Les arrangements en ■^/ue de la libération des personnes qui avaient été
déportées en Turquie ont été inclus, semble­t­il, dans les arrangements généraux
relatifs, d'aune part, à l'échange de catégories particulières de prisomiers et
de détenus et, d'autre part, à la libération, dans le cadre d'un plan du CICR,
de to^^ les prisonniers et détenus restants. Les documents des Nations Unies
traitant de cette question ne font pas de distinction entre les personnes déportées
en Turquie et les autres prisonniers et détenus. E n fait, les prisonniers et
détenus chypriotes grecs qui ont été libérés sur la base de la Déclaration de
Genève du 30 Juillet 1974 ainsi que des accords intercommunautaires conclus en
application de celle­ci et portant sur les "prisonniers et détenus" ont été,
semble­t­il, dars leur majorité, des personnes qui avaient été déportées en
l'^urquie (5).

153. Ainsi, un document des Nations Unies du 18 Septembre 1974 consacre une
mention particulière au fait que le, deuxième échange prév^u par l'accord inter­
communautaire du 13 Septembre 1974 n'est intervenu qu'après le retour de
Turquie des prisonniers grecs chypriotes malades et blessés (6). ■

(1) Cf, Chapitre 2 C.


(2) Détails I, par. 20 I i Détails II, par. 12 k,
(3) Compte rendu intégral, p, 4l.
(4) et, par, 121 ci­dessus,
(5) Cf. par. I4l ci­dessus,
(6) UN doc, S/ll468/Add. 2 par. 23,
- 55

154. Selon un rapport des Nations Unies du 3 Octobre 1974 (1), la libération
générale des prisonniers et détenus a été provisoirement interronpue le 25 Sep-
tembre 197^ pour deux raisons ; les derniers prisonniers chypriotes grecs
n'étaient pas encore rentrés de Turquie, et quelque l64 détenus chypriotes grecs
qui avaient choisi de réintégrer leurs foyers dans des zones sous contrôle turc
n'avaient pas reçu l'autorisation des forces turques à cet effet et étaient
retenus dans le secteur chypriote turc de Nicosie (2).

Toutefois, ces difficultés ont été surmontées à la réunion intercanmunau-


talre du 30 Septenlbre 1975. L'accord conclu à cette réunion précise notamment
que :

a) ... des dispositions sont en cours d'élaboration en vue d'assurer le


retour de Turquie des prisonniers et détenus chypriotes grecs.

b) Les Chypriotes grecs "déracinés" ("stranted") qui résidaient habituel-


lement dans les zones chypriotes grecques auront la possibilité de
rentrer dans leurs foyers. Il en sera de même pour les Chypriotes
turcs.,." (3).

155. En application de ces accords, 106 prisonniers et détenus chypriotes grecs


sont rentrés dans leurs villages en Karpasia, le 2 Octobre, 35 à Bellapais et
4 à Morphou, le 3 Octobre - toutes localités sous contrôle turc. Dix-neuf pri-
sonniers et détenus, qui avaient choisi d'aller dans le sud, ont été renis aux
autorités chypriotes grecques par l'entremise du CICR, devant le Ledra Palace,
le 3 Octobre (4).

Selon le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur l'Opération


des Nations Unies à Chypre, en date du 6 Octobre 1974, 533 prisonniers et détenus
chypriotes grecs au total sont retournés dans leurs villages dans le nord (autre-
ment dit 20^ environ des 2,487 qui avaient été libérés) (5).

156. Il est difficile de dire si les prisonniers chypriotes grecs qui ont été
autorisés à rentrer dans leurs foyers dans le nord avalent tous été détenus en
Turquie, Toutefois, la Commission note que selon le Gouvernement requérant,
seuls les ex-prisonniers qui ont été détenus en Turquie et qui résident mainte-
nant dans les zones occupées par les Turcs sont tenus de se présenter à la
police locale deux fois par jour (6),

,/

(1^ UN doc, S/ll468/add, 3 par, 15.


(2) Cf, aussi le comnuniqué de presse du CICR du 25 Septembre 1974, soumis
par le témoin Soulioti, Addendum p, 24.
(3-)- UN doc, S/ll68/Add, 3, oar, 16,
(4^ roid,, par, 17,
(5) UN doc. S/11568, par, 51» Le nombre correspondant de prisonniers et
détenus chypriotes turcs qui sont restés dans le sud après leur libération
par le Gouvernement requérant s'élève à 84, soit environ h% des 3,308
Cnypriotes turcs, au total, qui ont été libérés,
(6) Détails II, pp, 10-11,
- 56 -

157- Outre les éléments de preuve contenus dans des publications des Nations
Uni.es, la Carimission a recueilli des témioignages directs sur la libération des
prisonniers détenus en 'Turquie, Ainsi, il ressort de la déclaration du témoin
Pirkettis qu'on n'a pas demandé à l'avance aux prisonniers vers quelle zone
ils vo;ulaient aller à le^ur libération et qu'on ne leur a pas dit non plus où
ils allaient être libérés. On les a sinplement ramenés à Chypre et libérés
devant l'Hôtel Ledra Palace (1).

158. Dans les studios de la Radiotélévision chypriote, à Nicosie, la Délégation


de la Commission a assisté à la projection de deux films de la Conpagnie chypriote
de radiotélévision montrant l'arrivée de prisonrûers de guerre libérés, à laquelle
M. Pirkettis avait déjà fait référence (2),

(e) Transfert négocié, pour des raisons humanitaires, de personnes


nécessitant une surveillance médicale ainsi que d'autres
personnes vers la zone contrôlée par le Gouvernement requérant

159. Outre des groupes de prisonniers et détenus chypriotes grecs qui ont été
transférés "en bloc", dans les conditions décrites ci-dessus (3), des personnes
ont été transférées, pour des raisons humanitaires, vers la zone contrôlée par
le Gouvernement requérant. Elles ont d'ordinaire été transférées av^ec l'aide
du CICR ou de l'UTSIFICYP, en application d ' arrangem.ents de caractère général
ou particulier.

160. En particulier, un accord interccmnrunautaire conclu le 30 Septembre 1974


a pré^Ai que les personnes nécessitant une surveillance médicale, notanment les
femmes enceintes, auraient la possibilité de se rendre dans leurs zones respec-
tives pour s'y faire soigner dans un hôpital ou un dispensaire, ou par un mé-
decin (^).

161. Le Sous-comité pour les questions humanitaires, créé en application d'une


décision prise par M . Clerides et Denktash le 17 Janvier 1975, a eu notamment
poiur mission d'organiser le transfert, respectivement vers le sud et le nord,
des enfants chypriotes grecs et ch5.priotes turcs "déracinés" (5).

162. En dehors de ces mes^'ures d'ordre général, certains cas ont, semble-t-il,
fait l'objet d^un examen individuel dans le cadre des entretiens interconxnunau-
taires, particulièrement à des revnions de caractère prive, entre 1^4. Clerides

*/,

(1) Conpte rendu intégral, pp, 51-62,


(2) Addendum, p. 99, filins n^' 2 et 7.
(3) Cf. Sections (c) et (d) ci-dessus,
(4) UN doc. S/ll4ô8/Add, 3, par, 16 c.
(5) Cf. 'JK doc, S/11717, par. 47,
- Of

etDenlctash, à la fin de chaque session. Ainsi, Mme Soulioti a déclaré qu'un


garçon de 16 ans qui avait sijrvécu à une tuerie a été transféré le 7 Juin 1975,
après intervention de M. Clerides (1). Le témoin Stylianou a déclaré avoir
attiré l'attention de M, Clerides sur la nécessité de transférer des jeunes
filles qui avaient été violées (2).

163. Le transfert effectif a été réalisé dans chaque cas avec le concours
du CICR ou des Nations Unies. Ainsi, il ressort d'un rapport des Nations Unies
du 6 Décembre 1974 que l'Ul^CIVPOL (3) a apporté une contribution très importante
à la mise en oeuvre du programme d'aide humanitaire, notamment en fournissant
des escortes pour l'évacuation de personnes pour des raisons médicales ou autres (4)
Un autre rapport des Nations Urles pour la période allant jusqu'au 9 Juin 1975
signale que des médecins de l'UNFICYP ont examiné des malades dont l'évacuation
était envisagée (5).

164. Les descriptions de cas individuels faites par des ténoins devant la
Délégation de la Commission montrent qu'il a souvent fallu surmonter des obsta-
cles très inportants avant de pouvoir finalement organiser le transfert.

Ainsi, dans le cas, signalé par le témoin Soulioti, d'un garçon de I6 ans
qui a finalement été transféré après intervention de M. Clerides, le Haut
Canjnissaire des Nations Unies pour les réfugiés, le Prince Saddrudin Aga Khan,
avait tenté précédemment de l'emmener avec lui lorsqu'il se trouvait dans le
nord de Chypre, le 23 Août 197^. Toutefois, un fonctionnaire turc était intervenu
et avait fait sortir le garçon de la voiture du Haut Commissaire, Selon le témoin,
cet incident a été filmé et rrontré à la télévision (6).

Le docteur Charalambides, ancien maire adjoint de I^renia, qui avait conti-


nué d'exercer pendant sa séquestration à l'Hôtel du Dôme, à Kyrenia, a fait état
du transferts d'urgences vers les zones contrôlées par le Gouvernement, trans-
ferts qu'il est parvenu à organiser avec l'aide de la Croix-Rouge, malgré de
grandes difficultés dans certains cas (7).

Un autre témoin, le docteur Hadjikakou, a signalé le cas d'un de ses mala-


des qui, après plusieurs mois de détention a été remis à M, Clerides, dans le
bureau de M, Denktash, le 7 Août 1975.

Le témoin Kaniklides a déclaré que les Nations Unies l'avait transféré,


ainsi que sa mère paralysée, du vieux quartier de Famagouste yers la zone
contrôlée par le Gouvernement, après que des membres de sa famille eurent avisé
cette organisation. Un tenps très lor^ s'est écoulé jusqu'à ce qu'ils obtiennent
finalement l'autorisation de partir (9).

,/,

(1) Compte rendu intégral, p. 20.


(2) Conpte rendu intégral, pp. 29 et 34
(3) La police civile de l'UNFICYP.
(4) UN doc. S/11568, par, 57.
(5) UN doc. S/11717, par, 40,
(6) Conpte rendu intégral, pp, 20-21,
(7) Conpte rendu intégral, p.76.
(8) Conpte rendu intégral, p. 111,
(9) Conpte rendu intégral, pp. 193-195,
-. 58 -

155- " la troisième série des entretiens de Vierme, il a été


convenu d'une manière géraérale, à l'échelon Inter-communautaire,
que les Chypriotes grecs se trouvant alors dans le nord seraient
libres d'y rester, mais qu'ils seraient autorisés à aller dans
le sud s'ils en faisaient la demande, sans être soumis a "ans
quelconque pression (l)c
Il ressort d'un rapport intérimaire du Secrétaire Général
des Nations Unies, du 13 septembre 1975, que 14-9 Chypriotes grecs
ont été autorisés à se rendre dans le sud en application de cet
accord (2)«
IV, Befus d'autoriser le retour des personnes déplacées
166« Comme il a été dit ci-dessus (3), ^-m certain nombre de
Chypriotes grecs qui avaient été détenus dans divers endroits oi}t
été autorisés, à leur libération, ù rentrer dans leurs^foyers dans
le norde En particulier, les Nations Unies ont signalé que 20%
environ des "prisonniers et détenus" ont été autorisés à retourner
dans le nord, en applicatoon des dispositions d'un accord inter-
comnrunautaire du 50 septenbre 1974-. 3n outre, certaines des
personnes séquestrées à l'Hôtel du Dome à Kyrenia ont finalement été
autorisées h rentrer dans leurs foyers dans la partie septentrionale
de l'île,
167» Sn ce qui concerne les personnes qui se sont trouvées
déplacées dans la zone contrôlée par le Gouvernement requérant,^
soit parce qu'elles avaient fui. soit parce qu'elles avaient été
expulsées ou fait l'objet d'un -transfert négocié vers le sua,
il y a lieu de penser qu'au plus 1.000 d'entre elles ont été
autorisées à rentrer dans leurs foyers dans le nord. Elles
appartenaient à des catégories particulières (prêtres et
enseignants par eicemple) qui ont été traitées comne des cas
exceptionnels (-4-).
168. Les personnes qui se sont trouvées déplanées dans la partie
méridionale ont été physiquement empêchées de retourner dans le
nord, car la ligne de démarcation ("ligne verte" à Nicosie) a été
he2?metiquement bouclée par l'armée turque. Les membres de la
Délégation de la Commission ont eux-mêmes franchi cette ligne au
point de passage du Ledra Palace, 1 Nicosie (5), et vu les barrages
routiers dans les autres secteurs de Nicosie. Selon des rapports
des Nations Unies, les deu:: camps ont consolidé leurs positions
défensives à l'extérieur de Nicosie en installant des fortifications
le long de la ligne de déiaarcation et, en particulier, de vastes
champs de mines T G ) . L'accès au;: zones contrôlées par les forces
turques et aux villages au nord, où des Chypriotes grecs étaient
restés, a été restreint mené pour l'L^-lT'ICy? (7), et la liberté
de mouvement des Chypriotes grecs a été soumise dans ces zones
à des restrictions générales (S).

1) un doc. S/11789/Ânnexe, p. 1, par. 2 et 5.


2) UIT doc. S/11789/Add. 2, par. 4-'.
(3) Cf. par. 143 et 155. ^ *
4-) Cf. Partie I, par. 17, ci-dessus, et par. 178 ci-après.
5) Cf. Partie I, par. 70.
(6) UN doc. S/11568, par. 27-30 et S/ir7l7, par. 18, 19 et 21.
(7) uîT doc. S/11568- par. 31 e-c 33, S/1162-^, par. 17 et
S/11717, par. 22 et 23c
(8) Cf. Chapitre 2 A ci-après. Il est également fait référence à la
plainte du Gouvornenent requérant concernant la détention de
Chypriotes grecs arrêts sur la ligne de démarcation
(cf. par. 83 ci-après).
169­ ^es témoins ont cité lès exemples suivants de tentatives
infructueuses faites par des Chypriotes grecs déplacés pour retourner
dans leurs foyers dans le nord:
le témcin Odyssées a déclaré que pendant la première
phase de l'action militaire turque, en juillet 1974*5 des
réfugiés se trouvant ci Horphou ont essayé de retourner à
Lapithos^ Karavas, Ayios Georgios et Vavylas. Ils n'ont pas
étécutonsés à pénétrer dans ces localités et ont donc
dû retourner à Horphou (l).
Le témoin Andronikou a déclaré que la propriétaire du Palace
liotel de Famagouste, d'origine britannique et mariée à
un Ch^rpriote grec, lui avait dit avoir tenté à plusieurs
reprises, mais sans succès, de retourner voir son hotel
après son départ. E lle a finalement réussi à aller à
Famagouste, en septembre 1974­, avec des représentants
d'ambassades que les forces militaires turques avaient
autorisés à aller sur place avec une escorte (2).

Le témoin Kaniklides a déclaré qu'immédiatement après la fin


de la phase des combats du mois d'août 1974­, de nombreuses
personnes ont essayé de retourner à Famagouste, mais qu'elles
ont toutes été prises, et certaines déportées en Turquie (3).
Le témoin Hadkikakou a déclaré qu'il était retourné à
l'^amagouste, occupée par les n?urcs, après le cessez­le­feu,
le 18 ou 19 août 1974­, et apparemment rien ne lui est alors
arrivé; toutefois, il a été empêché d'y retourner plus
tard (4).
170. Le fait qu'un grand nonibre de Chypriotes grecs déplacés ont
tenté, vainement, de faire valoir leur pretention de rentrer dans
leurs foyers dans le nord est démontre par la grande manifestation
de femmes ch;>priotes grecques (soutenues par des femmes non­chypriotes),
ayant pour mot d'ordre "Les femmes rentrent chez elles", qui a eu lieu
à Lherinia, au sud­est de Fanagouste, le 20 avril­1975 (5)«
171. E n ce qui concerne l'action des Nations Unies en ­^/ue du
reto'ar des personnes déplacées dans leurs foyers dans le nord,
l'Assemblée Générale, dans sa Résolution 3212 (29) du 1er novembre 1974
(6), a considéré "que tous les réfugiés doivent regagner leurs foyers
J . ■

Compte r e n d u _ _ i n t é g r a l , p . 9 0 .
B^
c3)
r o i d o , p . 12y,>
r o i d . , p . 187.
(4) Ibid., X). 113.
(5) UîT doc. S/11717, par. 29.
(6) Cl. par* 5 de la Eésolution figurant à l'Annexe VIII au
présent Rapport. Cette résolution a été adoptée par 117
voix contre .^ero et aucune abstention, la ITurquie ayant voté
pour la Puesolution. Pour expliquer son vote, le Ministre
des Affaires étrangères de Turquie a déclaré que le problème
des réfugiés avait un aspect politique et humanitaire jui
était étroitement lié à la solution poD.itique du problème
chypriote. Cf. UlT doc. A/PV. 2275 (provisoire), pp. 161­162)
- 60 -
sains et saufs", et a invité les parties intéressées "à prendre
d'urgence des mesures ii cette fin"'. Le Conseil de sécurité c
approuvé cette Résolution le 13 décembre 1974- et invite le Secrétaire
Général à faire rapport sur sa mise en oeuvre (l).
172. Le 24 janvier 1975, le Secrétaire Général a demandé au>:
parties intéressées de lui communiquer tous les renseignements
pertinents sur les mes-'ures prises ou envisagées par elles. Toutefois,
seules Chypre et la Grèce ont répondu officiellement (2). Le
Gouvernement grec a déclaré que les efforts qu'il avait faits pour
activer la mise en oeuvre de la disposition suivant laquelle "tous
les réfugié doivent regagner leurs foyers sains et saufs'' avaient
été infructueux. Dans chaque cas, les Turcs avaient répondu que
cette question était d'ordre politique et qu'elle devait recevoir
une solution dans le cadre d'un règrement politique (3).
173* Ee 13 février 1975, la Commission des Droits de l'Homme
des Nations Unies, faisant référence à la Résolution 3212 (}[XIX) de
l'Assemblée Générale, a demandé L: toutes les parties intéressées
d'oeuvrer pour le plein rétablissement des droits de l'homme parmi
la population chypriote et de prendre d'urgence des mesures pour le
retour de tous les réfugiés dans leurs foyers en toute sécurité (4).
174* Le 20 novembre 1975, l'Assemblée Générale des Nations Unies
a demandé à nouveau aux parties intéressées de prendre d'-orgence
des mesures pour aider tous les réfugiés à rentrer en toute sécurité
dans leurs foyers de leur plein gré et de régler tous les autres
aspects du problème des réfugiés; par ailleurs, elle a demandé
instamment à toutes les parties de s'abstenir de toute action
unilatérale contrevenant à la Résolution 3212, y compris de toute
modification de la structure démographique de Chypre (5).
La Turquie est le seul Etat à avoir voté contre cette
Resolution (6). Lors du précédent débat général de l'Assemblée
Générale réunie en séance plénière, le représentant de la Turquie
avait déclaré que le retrait des troupes et le règlement du problème
des réfugiés ne pouvaient pas être négociés en dehors de leur
contexte; ils devaient faire partie d'une solution globale à laquelle
il faudrait parvenir- Par ailleurs, il a démenti l'allégation du
Gouvernement requérant selon laquelle la Turquie modifiait la
struct'ure démographique du nord de Chypre en faisant \''enir des
colons de Turquie continentale, et il a déclaré que la Turquie ne
faisait venir des travailleurs chypriotes turcs que pour remédier à
Is pénurie de main-d'oeuvre; à l'origine, ces travcilleurs
S'étaient enfuie de Ch^y-pre parce qu'on les persécutait (7)»
./.
'1)
>
Cf, Résolution 565 (1974) du Conseil de sécurité.
r^ s*UE doc. S/11624, par. 11, et Annexes P et G,
lbid.« Annexe P, oar. 2.
i< Cf. Résolution 4 (XXXI) de la Commission des Droits de
l'PIomme des Nations Unies (cf. Annexe XI au présent Rapport).
(5) Résolution 5595 (^-S), par. 4 et 6 (cf. Annexe IX au
présent Rapport).
(^ Cf. UiT doc"A/PV. 2413 (provisoire), p. 73-
v7^ Cf. OîïïJ - Chronique mensuelle, vol. 12, no. 11
(décembre 1975), P- 15,
­ 61 ­
175» le 27 fé\'rier 1976, la Commission des Droits de l'Homme
des Nations Unies, exprimant se préoccupation de constater, d'ione
part, que l'application de sa résolution précédente n'avait g^uère
progressé et d'autre part,■la'détresse dans laquelle continuaient
de vi*^7re les personnes déplacées LI Chypre, et invitant instamment
toutes les parties ù s'abstenir d'actions unilatérales^tendant à
modifier la"^ structure démographique de Chypre, a adopté ^ine
Résolution s'inspirant de la Résolution de l'Assemblée Générale du
2Cême novembre 1975 (l)­
176. E n dehors des activités susmentionnées de l'Assemblée
Générale et du Conseil de sécurité_j l'action entreprise par la
Turquie dans le cadre des Nations Unies au sujet du retour dans le
nord des Chypriotes grecs déplacés a consisté notamment à communiquer,
en vue de leur diffusion comme dociunents officiels des Nations Unies,
des déclarations de représentants de la Communauté ch^^riote turqu.
Ainsi, le Représentant Permanent de la Turquie au2c Nations Unies a
transmis:
­ . une lettre de protestation de la Présidente d'une organisation
de femmes chypriotes turques contre la m^anifestation des
femmes chypriotes grecques du 20ème avril 1975 (2), déclarant
notamment qu'après les privations des droits de l'homme dont
les Ch3.p)riotes t^lrcs avaient souffert, il leur était
absolument impossible de cohabiter avec les Chypriotes
grecs (3);
en mai 1975^ peu de temps avant la deuxième série des
entretiens intercommunautaires de Vienne, une lettre de
ri. Donî^tash faisant grief au Gouvernem.ent requérant de
continuer d'utiliser le problème des réfugiés, qui se
posait en réalité dans les deux camps, comjne une arme
politique contre les Turcs, en subordonnant toute solution
politique au retour des réfugiés. Vu les implications sur
le plan politique et de la sécurité que le retotir des
réfugiés soulevait, cette approche ne pouvait être tenue
que pour irresponsable et irréaliste (4);

en ^uin 1975, une nouvelle lettre de îi. D^snktash déclarant


que le retou­r des réfugiés était une question à régler dans
le cadre d'une solution definitive du problème ch^rpriote (5).
177» les vues des autorités chypriotes turaues sur la question
du retour dans le nord des Chj^^riotes grecs déplacés ­ vues qui
semblent être partagées par le Gouvernement turc ­ ont été e:cposées
"comme suit dans­ la procoiamation du I3 février 1975, annonçant la
création d'un Etat fédéré turc de Olrfpre (6):
­ •/ •
(1) Résolution 4 (XXXII) de la Commission des Droits de l'Homme
des Nations Unies (cf. Annexe XII au présent Rapport).
(2) Cf. par. 170.
(3) Ul^ doc. S/11759.
(4) UN doc. S/II7O6.
(5) UI\^ doc. S/II7I8.
(6) Cf. Partie I, par. 17, du présent Rapport. Cette proclamation
est reproduite dans le document des Nations Unies S/11624,
Annexe B.
- 62 -
"Le Conseil dos Hinistres et l'Assemblée législative de
1'Administration autonome chypriote turque ....
. . . a .

Ayant conclu qu'il leur est impossible de cohabiter avec


les co-ïond.ateu.rs chypriotes grecs de la République de Chypre;
Ayant conclu que la seule manière de rétablir la
tranquillité, la sécurité et une paix durable dans l'île
consiste pour les deujc communautés à vivre parallèlement
dans leurs zones respectives, en développant leurs
structures internes ....''
178. La question du retour dans le nord des Chypriotes grecs
déplacés a aussi fait partie, semble-t-il, des sujets des entretiens
politiques à l'échelon intercommunautaire, particulièrement au::
réunions de Vienne.
Le communiqué publié h la fin de la première série des
entretiens de Vienne déclare qu'il a été procédé à un examen détaillé
de la question des personnes déplacées ainsi que des aspects
géographiques d'un éventuel règlement h Chypre (l).
A l'issue de la deuxième série des entretiens de Vienne,
le Secrétaire Général des Nations Unies a fait observer que
l'impasse concernant la base essentielle d'un règlem.ent demeurait,
l'une des principales difficultés résidant dans le désaccord sur
la priorité à donner a-^x^z différents aspects d'un futur règlement,
l'une des parties souhaitant d'abord mettre en place les pouvoirs
et les attributions du gouvernement central, l'autre désirant
d^abord clarifier les aspects^territoriaux qui avaient une
incidence vitale sur le problême des réfugies (2).
Un accord limité a finalement été conclu à la troisième
série des entretiens de Vienne (31 juillet - 2 août 1975)*
Cet accord prévoyait, en liaison avec un arrangement autorisant
les Chypriotes grecs du nord à rester sur place ou à aller dans le
sud s'ils le scuJicitalent, que
"priorité sera donnée à la réunion des familles, ce qui
peut aussi impliquer le transfert vers le nord d'un
certain nombre de Chypriotes grecs se trouvant
actuellemeiit dans le sud." (3)

. ./.
1 >
UN doc. S/11684, Annexe.
2) UE doc. S/11717, par. 66.
(3) Comm^oniaué de presse publié à Vienne le 2 août 1975,
LIT doc. S/11789, Ar-nexe, point 5. Cf. Partie I, par. 17,
du présent Rapport.
- 63 -

Il ressort d'un rapport des Nations Unies du


13 septembre 1975 qu'à cette date, 296-Chypriotes grecs avaient
été transférés vers le nord dans le cadre de cet accord, avec
l'aide de l'UliPICYP, et que 14 autres Chypriotes grecs, dont
8 enseignants, dex'"aient faire l'objet d'une pareille mesure
le 16 septembre 1975 (l)-

V. Dislocation de familles provocuée par


le déplacement de Chrrpriotes p;recs
179« Il y a lieu de croire que l'éloignement de Chypriotes
grecs de leurs foyers dans le nord a eu pour effet de disloquer
de nombreuses familles.
•180. Dans le cadre des mouvements de réfugiés chypriotes
grecs provoqués par l'action militaire turque et observés
pendant les deuzc phases de combats véritables en juillet et août 1974,
"Un certain nombre de personnes, principalement des viellards, des
invalides, des femmes et des enfants, ont été abandonnées par leur
famille et sont devenues "enclavées". Ceci a été confirmé par
certains témoins (notamment le témoin Kaniklides, qui est resté
avec sa mère à Pamagouste, alors que d'autres membres de sa famille
sont partis) (2), des personnes interrogées dans lès camps de
réfugiés (3), ainsi que par de nombreuses déclarations écrites
so-umises par le Gouvernement requérant (4). Un rapport des Nations
Unies mentionne aussi ce fait (5)»
181. ^ Il y a tout lieu de penser que le déplacement de Chypriotes
grecs à l'intérietir de la partie septentrionale de Chypre,
consécutif aux phases de combat véritable, a abouti à disloquer
d'autres familles: en effet, les hommes et les autres membres de
leurs familles ont été transférés vers des lieuse de détention
différents (6), ou bien les hommes ont été mis en détention et les
autres membres de leurs familles expulsés au-delà de la ligne de
démarcation. Ceci est confirmé par le témoin Pirkettis, qui a été
victime de ces mesures (7). Cela a été mentionné aussi par d'autres
témoins (3), des personnes interrogées dans les camps de réfugiés (9),
ainsi que dans un grand nombre de déclarations écrites soumises par
le Gouvernement requérant (10).

•/.
(1) UN doc. S/11789/Add. 2, par. 4. Cf aussi la déclaration du
témoin lacovou mentionnée au par. 125 ci-dessus, et des
déclarations analogues des témoins Stylianou, Compte rendu
intégral, p. 35, et^Odysseos, Compte rendu integral, p. 101,
sur la portée limitée de cet accord.
(2) Compte rendu intégral, pp. 181-182.
(3) Addendum pp. 4, p et 9-*
(4) Par exemple. Declarations I, no 2, 11, 12, 15, 28, 29, 62,53 et 72,
(5) UlT doc. S/11353/Add. 15 par. Sa.
(6) Cf. Chapitre 2 ci-après, par. 314.
(7) Compte rendu intégral, p. -^1-4.
(8) Par exemple le témoin Soulioti, Compte rendu intégral, p.4;
le témoin lacovou, ibid., p. 167«
(9) Addendum, pp. 1-3, 7 et I3.
(10) Par exemple. Déclarations I, no 3, 21, 22, 23, 34, 45, 49, 52 et 69
- 64 -

182. Le transfert de Chypriotes grecs détenus vers le sud de


Chypre, en application des accords intercommunautaires pertinents,
n'a apparemment pas eu pour effet de disloquer de nombreueses
autres familles. Les Nations Unies ont signalé que les prisonniers
ch\^riotes turcs libérés aux termes de ces accords ont choisi dans
de nombreux cas d'aller dans le nord, alors que leurs familles
demeiiraient encore dans des enclaves chypriotes turques dans le
sud (l); toutefois, rien de tel n'a été signalé au sujet des
Chypriotes grecs, et il apparaît que 20/é des prisormiers et détenus
chypriotes grecs qui ont finalement été autorisés à rentrer d-ans
leurs foyers dans le nord, principalement dans la région de I^arpasia,
y ont rejoint leurs familles, tandis que ceuyz qui ont choisi d'aller
dans le sud, avaient aussi leurs familles dans le sud (2). Les
accords intercommunautaires sur la libération des prisonniers
paraissent donc avoir eu pour effet moins de disloquer les familles
chypriotes grecques que de leur réunir.

183. Toutefois, des familles chypriotes grecques se trouvaient


encore disloquées après les transferts négociés, et cette situation
s'est prolongée du fait du refus d'autoriser les Chypriotes grecs
à rentrer dans leurs foyers dans le nord-
Le problème a, semble-t-il, été examiné à l'échelon
intercommunautaire et des solutions partielles sont progressivement
intervenues, par exemple grâce au programme pour le transfert des
enfants chypriotes grecs et chypriotes turcs "déracinés" (3)«
Un accord en vue de la réunion des familles a finalement été conclu
lors de la troisième série des entretiens de Vienne, en juillet/août
1975 (4). Toutefois, même cet accord n'a eu que des effets limités.
Des témoins ont déclaré que les personnes qui ont été effectivement
autorisés à rentrer chez elles avaient été choisies par les Turcs (5)
184. Le témoin lacovou a déclaré qu'après la conclusion de
l'accord, il y avait encore des familles^disloquées. Toutefois,
leur nombre ne devait pas être très élevé, seuls 10.000 Chypriotes
grecs enclavés se trouvant dans le nord- Ce nombre dépend aussi
de ce que l'on considère comme une unité familiale. Il existe
un concept familial élargi à Chjrpre et, selon ce tr- -'n, les effets
de la dislocation se font probablement sentir sur . '' unitô
familiale plus grande. Ce témoin était disposé à fournir des
renseignements statistiques sur le nombre de familles disloquées
et le degré de parenté des personnes séparées (5).
.A
(1) UÎT doc. S/11568, par. 4?.
(2) Cf. les déclarations des témoins Odysseos, Compte rendu
intégral, p. 101, et lacovou, ibid., p. lo5-
(3) Cf. par. 151 ci-dessus.
(4) Cf. par* 178 ci-dessus.
(5) Cf. les déclarations de témoins mentionées à la note de bas
de page 3Î note 5 ci-d.essus.
(6) Compte rendu intégral,p. 171.
- 65 -

D. Evaluation des éléments de preuve recueillis


1- Généralités
185» Comme il est notoire que l'écrasante m.ajorité de la
population chypriote grecque de la sone septentrionale s'est
trouvée déplacée à la suite de l'action militaire turque
de 1974-, la Commission ne juge pas nécessaire de recueillir des
éléments de preuve particuliers pour corroborer ce fait- S'agissant
du nombre de personnes touchées, la Commission tient pour plausibles
les chiffres mentionnés par le témoin lacovou, à savoir qu'environ
182.000 Chypriotes grecs se trouvaient déplacés au mois de
septembre 1975 (1)*

II. Mouvements de personnes provoqués par l'action


militaire turque
186. La Commission considère qu'il ressort des éléments de
preuve dont elle dispose que la grande majorité des Chypriotes grecs
déplacés a quitté le nord sous l'effet direct de l'action
militaire turque.
Nombreux sont ceirc qui ont fui, pendant la première
phase de l'action, les sones de combats véritables, ou celles
jugées susceptibles de devenir le théâtre d'opérations militaires.
Il s'est alors développé, au sein de la population chypriote
grecque, un sentiment de crainte et d'horreur inspiré par les
rumeurs circulant au sujet du comportement des troupes turques -
sentiment décrit de manière convaincante par les témoins Odysseos
et Kaniklides, oui venaient de Morphou et de Pamagusta, deim:
localités très éloignées l'une de l'autre (2); de ce fait pendant
la second phase de l'action, des régions entières ont été
évacuées pas leurs résidents chypriotes grecs avant même l'arrivée
des troupes turques (3)»

187* Ea Commission n'a pas examiné le cas des quelque 20.000


réfugiés qui n'ont quitté que temporairement leurs fovers situés
dans le sud à proximité de la ligne de démarcation (4).
188. La Commission n'a pas été en mesure de déterminer le nombre
exact de personnes qui ont fui. Toutefois, elle a supposé que
ce chiffre était supérieur à 17O.OOO, ^ni que toutes les autres
catégories de personnes déplacées ne représentent globalement que
quelques milliers par rapport au total susmentionné de 182.000.
.A
(1) cr. nar lO^t- ci-dessus.
110 ci-dessus.
(2) Cf. p a r
(3) Cf. par 104, 105, 110 et 112,
^ Cf. p a r 10^1- et 105.
- 66 -

III. Mesures de déplacement, prises pendant les phases de


combats véritables et non directement liées aux opérations
militoires turques
189* Ea Commission considère qu'il ressort des éléments de preuve
dont elle dispose qu'un grand nombre de Chypriotes grecs qui sont
restés dans le nord après l'arrivée des troupes turques ont été
arrachés à leur environnement habituel et soumis temporairement à
diverses mesures de déplacement.
(a) Expulsion de personnes de leurs foyers et leur transfert
vers d'autres endroits dans le nord '
190. Parmi ces mesures, on peut citer l'expulsion de Chypriotes
grecs de leurs maisons, même lorsqu'ils en étaient propriétaires,
leur rassemblement daris certains endroits, les "excursions forcées"
vers d'autres lieux où ils ont été détenus pendant des périodes
allant de plusiers heures à plusiers jours, et leur transfe^rt vers
des prisons, des centres de détention ou d'autres lieux analogues.
Ces m.esures n'ont pas seulement été décrites dans un très
grand nombre de déclarations individuelles, dont certaines se
corroborent, notamment des déclarations faites oralement devant
la Délégatior^ de la Commission à Chypre. Leur existence a aussi
été confirmée par des rapports des Nations Unies et du Comité
international de la Crolx-Rouge, rapports dont l'exactitude ne peut
être mise en doute (!)•
(b) Expulsion au-delà de la ligne de démarcation
^ ' l i n I I I I II I 1 I I I I 1 1 I I

191- La Commission tient pour établi que l'expulsion vers le sud


des derniers civils de certains villages du district de Kyrenia
(Trimithi, Ayios Georgios et Karmi), transportés en^autobus
jusqu'à la ligne verte, devant l'Hôtel Ledra Palace a Nicosie, le
2 août 1974 a été -une opération organisée. Plusiers personnes ont
fait devant la Délégation de la Commission une description
détaillée de ces événements, qui a été confirmée par des déclarations
écrites soumises à la Commission. Par ailleurs, le témoin Soulioti
a assisté à l'arrivée de ces expulsés et s'est occupé de les loger;
un rapport des Nations Unies fondé sur des renseignements émanant
de l'UNPICYP traite apparemment des mêmes événements, encore qu'il
ne mentionne ni lieu ni nom (2).
192^ A partie de cette constation, la Commission a tout bien
de penser que les autres expulsions collectives mentionnées par
le témoin Soulioti (3) se sont aussi déroulées de la manière décrite.
Il en est ainsi en particulier de l'e:q)ulsion alléguée de pe:
de la sone de Karpasia, en juin 1975Î expulsion dont d'autres
témoins ont aussi fait état. La Déléfsation de la Commission a
A

^'-} Cf. r)ar 117-122 ci-dessus.


(2) Cf. p a r 123, 124 et 125 ci-dessus.
(5) Cf. par 124 ci-dessus.II./.
- 67 -

assisté à la projection d'un film montrant des personnes qui


déclaraient avoir été expulsées en juin 1975 ; la Délégation a
aussi reçu communication d'une copie d'une lettre officielle
adressée au CICR, à Nicosie, et protestant contre ces expulsions.
Toutefois la Commission n'a pas été en mesure d'établir si des
demandes de transfert vers le sud ont été faites par un certain
nombre de ces personnes et, dans l'affirmative, si ces demandes
ont été faites spontanément-
193. S'agissant des autres expulsions collectives, particulièrement
d.e celles qui se sont produites pendant la seconde phase
de' l'action militaire turque, la Commission ne dispose que de
témoigiiages indirects.
(c) Transfert nép;ocié de prisonniers et de détenus,
y compris ceux emprisonnes en Turquie
194. Il est notoire (1) que plusiers milliers de prisonniers
et de détenus chypriotes grecs, y compris ceu:c^emprisonnés en
Turquie, sont devenus des personnes déplacées à la suite de leu.r
transfert, à leur libération, vers le sud en application des
diispositions de la Déclaration de Genève et de divers accords
intercommunautaires.
195- La Commission n'a pas examiné de façon approfondie le
point de savoir dans quelle mesure ces personnes ont pu ou non
choisir de rentrer dans leurs foyers dans le nord. Elle obser^/e
que c'est avec difficulté qu'on a pu obtenir que 20?é des prisormiers
qui avaient été détenus en Turquie, soient autorisés à rentrer dans
leurs foyers dans le nord, mais on peut supposer, dans ces
circonstances, que le reste de ce groupe de prisonniers a été
composé de personnes qui avaient effectivement choisi, à leur
libération, d'aller dans le sud (2). D'un autre côté, il ressort
de la déposition du témoin Pirkettis qu'on n'a pas dem-andé au:;:
détenus vers quelle région ils souhaitaient aller à leur libération (5)

196. S'agissant des personnes qui ont été détenues dans des
centres de détention dans le nord de Chypre, la Commission tient
pour établi qu'on leur a pratiquement interdit de rentrer dans leurs
foyers dans le nord. Seuls un très petit nombre d'entre elles a été
libéré dans le nord. Ceci est enregistré dans des documents publics
des Nations Unies (4). En outre, les déclarations faites par
les représentants de l'UN[îCR et du CICR à la réunion inter-
ccmmunautaire du 5 février 1975 (5)^ réunion dont la Commission
tient le procès-verbal pour exact, indiquent que la volonté de ces
personnes de rester dans les zones sous contrôle turc a été brisée
du fait des conditions d'existence qui leur ont été imposées.
M* Zuger déclare expressément : "Ils souhaitent se rendre dans le
sud parce qu'on ne les autorise pas à rentrer dons leur foyers".
.A
(1) Cf. par. 137-142 ci-dessus.
(2) Cf. par. 154-156 ci-dessus.
(3) Cf. par. 157 ci-dessus.
(4) Cf. par. 144 ci-dessuSo
(5) Cf. par. 133 ci-dessus.
- 68 -

En outre^ -certains témoins ont donné l'impression que les centres


de détention représentaient xm artifice spécial pour l'évacuation
de la population chypriote grecque du nord (1). Du fait de la
nor-participation du Gouvernement défendeur à la procédure quant au
fond, la Commission n'a pas été en mesure d'enquêter plus avant
sur la destination de ces centres. Toutefois, elle note que les
détenus ont finalement éué transférés vers le sud en application
d'accords passés entre le Gouvernement requérant et l'administration
chypriote turque. A la lumière de ce qui précède, la Commission
tient pour très vraisemblable que les centres de détention ont
servi, entre autres choses, à l'évacuation de la population
chypriote grecque.

197- La Commission dispose d'éléments de preuve précis en ce


qui concerne les circonstances du déplacement vers le sud des
personnes séquestrées à l'Hôtel du Dôme à KjTenia (2). La Comralssion
tient pour établi que dans leur grande majorité, ces personnes n'ont"
pas été autorisées à rentrer dans leur foyers à Kyrenia. A cet
égard, elle tient pour plausible le témoignage de M. Charalambides,
qui est d'ailleurs confirmé par des documents des Nations Unies.
Toutefois, les rapports des Nations Unies ne précisent pas sur
quelle base ces personnes ont été transférées vers le sud. Le
traitement réservé au docteur Charalambides tient peut-être au rôle
eminent qu'il jouait en tant qu'unique médecin chypriote grec dans
la région, et en tant qu'ancien maire adjoint de Kyrenia. Son cas
ne saurait donc être considéré comme représentatif.
ià.) Transfert nérsocié, pour des raisons humanitaires,
de personnes nécessitant une surveillance medicaie
ainsi que d'autres personnes
198- En dernier lieu, le transfert vers le sud, pour des
raisons humanitaires, de personnes nécessitant .une surveillance
médicale ainsi que d'autres personnes, en application d'accords
intercommimautaires ou d'a2?rangements individuels, paraît avoir
été dans l'intérêt des personnes concernées ; de fait, elles ont
souvent été transférées sur leur demande. Les cléments de preuve
recueillis par la Commission tendent à m^ontrer que la difficulté
particulière rencontrée par cette catégorie de personnes a consisté
a supprimer les obstacles empêchant leur transfert rapide. En
conséquence, la Commission n'a pas été en mesure d'établir oue
leur bransfert proprement dit a représenté une mesure imposée (3)»
17. Befus d'autoriser le retour des réfutés et des expulsés
199. 11 est notoire eue dans leur très grande majorité, les
Chypriotes grecs déplaces dans le sud de Ch;^npre ne sont pas rentrés
dans leurs foyers dans le nord. S'il est possible que certaines

(1) Cf. par. 132 ci-dessus.


(21 Cf. par. 148-149 ci-dessus.
1,3} Cf. par. 159 et sulv., et 198 ci-dessus.
­ 69 ­

de ces persormes ne désirent pas retourner dans une région se


trouvant présentement sous administration chypriote turque,
il n'en demeure pas moins■qu'elles sont•physiquement empêchées
ne serait­ce que d'aller voir leurs maisons dans le nord, et^qu'elles
ne sont pas autorisées à y retourner définitivement. Ceci a été
établi par les documents pertinents des Nations Unies, notamment
les rapports sur la mise en oeuvre des résolutions de l'Assemblée
Générale et du Conseil de sécurité demandant ce retour ; par
ailleurs, ce fait est confirmé par les témoignages directs
recueillis par la Délégation de la Commission à Chypre (1).
V­ Dislocation de familles chypriotes grecques provoquée
par leur déplacement
200. La Commission tient pour établi qu'à la suite des mesures
de déplacement qui ont affecté de nombreux Chypriotes grecs, de
nombreuses familles se sont trouvées c.isloquées pendant des périodes
allant de plusiers jours à plus d'un an. Le refus de laisser les
réfugiés chypriotes grecs rentrer dans leurs foyers dans le nord
a prolongé cette situation, et l'accord intercommunautaire
d'août 1975 n'a pas résolu complètement le problème (2). La
Commission n'a pas été en mesure, au cours de son enquête liD_itée (5)?
de déterminer le nombre exact de personnes et de familles affectées.
E. Responsabilité de la Turquie au regard de la Convention
I. Mouvements de personnes provoqués par l'action
militaire turque et observée pendant les phases de combats
véritables, et refus d'autoriser les réfugies a retourner
dans le nord
201. Dans sa décision sur la recevabilité des présentes requêtes,
la Commission a examiné la question de savoir si la responsabilité
de la Turquie était engagée""du fait que des personnes ou des biens
se trouvant à Chypre sont passés, à la suite de son action militaire,
sous son autorité et sa responsabilité effectives à l'époque
considérée". La Com.mission a conclu que les forces armées turqixes
font que "relèvent de la juridiction" de la Turquie, au sens de
l'article 1 de la Convention, l'ensemble des autres biens et persormes
se trouvant à Chypre "dans la mesure ou ces représentants exercent
leur autorité sur ces personnes ou ces biens" (4).
202. La Commission a examiné la question de l'imputabilité à la
Turquie, au regard de la Convention, des mou\^ements de persormes
provoqué par son action militaire (5)­ Toutefois, elle ne
.A
(1) Cf. par. 15C­178 ci­dessus.
(2) Cf. par. 179­183 ci­dessus.
io) Cf. Partie I,.par. 77 ci­dessus.
W Cf. imnexe I, par. 10 de la Partie "E n droitull
(5) Cf. par. 107 et sulv. ci­dessus.
­ 70 ­

nécessaire ou utile de répondre à cette question, eu


égard à la conclusion exposée au paragraphe suivant, à laquelle
elle est parvenue au sujet d.u refus d'autoriser les réfugiés à
rentrer dans leurs foyers dans le nord.
205­ E n ce qui concerne ce refus, il ressort des éléments de
preuve dont dispose la Commission que la Turquie a encouragé et
soutenu activement la politique de l'administration chypriote
turque consistant à ne pas autoriser les réfugiés chypriotes
grecs à rentrer dans leurs foyers dans le nord de Chypre. Cet
appui ne s'est pas limité à une action diplomatique, comme des
déclarations contre le retour des Chypriotes grecs dans le nord
prononcées devant l'Assemblée Générale des Nations Unies (l), d­es
votes centre les résolutions demandant ce retour (2), et la
communication de déclarations hostiles à ce retour faites par de.s
représentants de la Communauté chypriote turque (3)­ Oe soutien
a aussi consisté, notamment, à empêcher physiquement les réfugiés
chypriotes grecs de rentrer chez eux dans le nord (4), grâce a la
présence de son armée dans la partie septentrionale de Chypre ainsi
qu'au bouclage de la ligne de démarcation à l'aide de fortifications
et de champs de mines. La Commission considère que par ces
mesures visant à empêcher le retour de ces réfugiés dans le nord,
la Turquie a effectivement exercé im contrôle, qui a eu pour effet,
à cet égard, de faire relever lesdites personnes de sa juridiction,
au sens de l'article 1 de la Convention, tel qu'l a été interprété
dans la décision de la Commission sur la x^ecevabilité. ■ Le refus
de laisser les réfugiés chypriotes grecs rentrer chez eux dans le'
nord doit donc être imputé à la Turquie au regard de la Convention.

II. Mesures de déplacement prises pendant les phases de combats


\^6ritables et non directement liées au:: operations
militaires turques
(a) Mesures de déplacement à l'intérieur de la zone
septentrionale de Chypre et é:­:pulsion au­delà de
la lir:ne d.e demarcation
204. La Commission tient pour établi que les troupes turques ont
pris une part active à l'application des mesures de déplacem.ent
suivantes (5) :
l'expulsion de Chypriotes grecs de leurs m.aisons dans le nord
de Chypre, même lorsqu'ils en étaient propriétaires
le transport de Ch;}'prictes grecs vers d'autres lieux situés
sur le territoire contrôlé par l'armée turque, notamment divers
lieux de détention ;
l'expulsion de Chypriotes grecs au­d.elà de la ligne de démarcation ;
la création dans le nord de conditions d'existence telles que des
Chypriotes grecs ont dû déménager vers le sud (6).
./ •

1) Cf. par. 171­175 ci­dessus.


,2) Cf. par. 174 ci­dessus.
(3)■ Cf. par­ 176 ci­dessus.
(4) Cf. par. 168 ci­dessus.
(5) Cf. par. 190­195 ci­dessus.
(6) Cf. par. 196 ci­dessus.
- 71 -

Ces mesures ont été appliquées alors que les persormes


touchées se trouvaient sous le contrôle,effectif des forces armées
turques et relevaient, par conséquent, de la juridiction de la
Turquie, au sens de l'article 1 de la Convention, tel qu'il a été
interprété dans la décision susmentionnée de la Commission.
L'éloignement de Chypriotes grecs de leurs foyers, qui a été le
résultat de ces mesures, doit donc erre imputé à la 'Turquie au
regard de la Convention.
(b) Transfert nép;ocié de personnes vers la zone contrôlée
par le Gouvernement requérant, et refus d'autoriser
leur retour dans le nord
205. La Commission a examiné la question d.e l'imputabilité à
la Turquie du transfert négocié de personnes vers le sud de
Chypre (l). Toutefois, elle ne juge pas nécessaire ou utile de
répondre à cette question, eu égard à la conclusion à laquelle
elle est parvenue au sujet du refus d'autoriser les persormes
transférées à retourner dans leurs foyers dans le nord.
En ce qui concerne ce refus, la situation des personnes
transférées vers le sud en application des divers accords
intercommunautaires est identique à celle des réfugiés ; le refus
d'autoriser les persormes transférées à rentrer dans leurs foyers
dans le nord doit être imputé à la Turquie pour les mêmes raisons
que le refus d'autoriser le retour des réfugiés (2).
III. Dislocation de familles
205. La dislocation de familles chypriotes grecques résultant
des mesures de déplacement impu'cables a la Turquie au regard, de la
Convention doit, pour les raisons e^^posées ci-dessus, être Imputée
à la Turquie pour les mêmes motifs. Il n'ensuit que la prolongation
de la dislocation des familles résultant du refus de laisser les
réfugiés chypriotes grecs rentrer dans leurs foyers doit être imputée
à la Turquie, de même que la dislocation de familles provoquée par
l'expulsion de certains de leurs membres au-delà de la ligne de
démarcation ou par le transfert de membres de la même famille vers
des lieux de détention différents (3).

/.

(1) Oi. par. 194-197 ci-dessus. Cf. aussi par. 204 in fine
(2) Cf. par. 203 ci-dessus.
(3) Cf. par. 200 ci-dessus.
- 72 -

P. Conclusions
Généralités
207. La Commission a examiné les griefs visant le déplacement
de Ch^rpriotes grecs sous l'angle de l'article 8 de la Convention (1)*
Elle note que le Protocole No. 4 garantissant^des droits comme^celui
à la liberté de mouvement et au choix de la résidence n'a pas été
ratifié par les Parties. En tout état de cause, l'article S n'est
pas affecté par le Protocole.
II. Mouvements de persormes provoqués par l'action
militaire turque et observes pendant les phases de combats
véritables, et refus d'autoriser le retour des réfugies*
208. Comme il a été indiqué ci-dessus (2), la Commission n'a pas
exprimé d'avis quant à l'imputabilité à la Turquie, au regard de la
Convention, des mouvements de réfugiés chypriotes grecs provoqués,
pendant les phases de combats véritables, par l'action
militaire tur(jue. Vu qu'en tout état de cause, le refus d'autoriser
ces réfugiés a rentrer chez eux dans le nord doit être imputé à
la Turquie, la Commission limitera aussi sa conclusion à cet aspect
de la question.
La Commission considère que le fait d'empêcher physiquement
les réfugiés chypriotes grecs de rentrer dans leurs foyers dans le
nord représente une violation, imputable à la Turquie, de leur
droit; au respect de leur domicile, droit garanti par l'article S (1)
de la Convention. Cette viola1;ion ne peut être justifiée par aucum
des motifs visés au paragraphe 2 de ce même article.
La Commission conclut par 13 voix contre 1 qu'en refusant
d'autoriser plus de 170-000 réfugiés chypriotes grecs à rentrer d.ans
leurs foyers dans le nord, la Turquie, dans tous ces cas, n'a pas
agi, et continuait de ne pas agir (5), conformément aux dispositions
de l'article 8 de la Convention.
III. Mesures de déplacement prises pendit les phases de
combats véritablec et non direct6m.ent liées aux
opérations milital.reG turques
(a) Mesures de déplacement dans le nord de Chypre et
expulsions au-delà de la ligne de demarcation
209- La Commission considère que l'expulsion de Chypriotes grecs
de leur logement, même lorsqu'ils en étaient propriétaires,
expulsion imputable à la Turquie au regard de la Convention,
./ •

(1) Pour le texte de l'article, cf. par. 100 ci-dessus


(2) Cf. par. 202 ci-dessus.
(3) Au 18 mai 1975 (cf. par. 5 ci-dessus).
- 73 -

représente une atteinte am: droits garantis par l'article 8 (1)


de la Convention, à savoir le droit de ces persormes au respect de
leur domicile et/ou leur droit au respect de leur vie privée.
La Commission considère, en outre, que le transport de Chypriotes
grecs vers d'autres lieim:, en particulier les "excursions forcées"
a l'intérieur du territoire contrôlé par l'armée turque, et
l'expulsion de Chypriotes grecs au-delà de la ligne de démarcation,
qui sont également imputables à la Turquie au regard de la
Convention, représentent aussi une atteinte à leur droit^au
respect de leur vie privée. Toutefois, d.ans la mesure où le
déplacement de Chypriotes grecs dans le nord de l'île a été un
corollaire nécessaire de leur détention, il doit, de même que
cette détention, être examiné au Chapitre 2 (privation de liberté).

Les atteintes susmentiormées portées par l'armée tuzraue,


dans le nord de l'île aux droits garantis par l'article 8 (ij
ne peuvent être justifiées par aucun des motifs visés au paragraphe
2 de l'article 8.
La Commission conclut par 12 voix contre 1 qu'en e:q)ulsant
des Chypriotes grecs de leur logement, même lorsqu'ils en étaient
propriétaires, et en les transportant vers d'autres lieux dans
le nord ou en les expulsant au-delà de la ligne de démarcation,
La Turquie a commis des actes qui ne sont pas conformes au droit
au respect du domicile, garanti par l'article 8 de la Convention.
(b) Transfert négocié de personnes vers la zone contrôlée
par le Gouvernement rêquèrant"T et refus d'autoriser
ces persormes a rentrer dans leurs foyers dans le nord
210. Comme il a été dit ci-dessus (1), la Commission n'a pas
exprimé d'avis quant à l'imputabilité à la Turquie, au regard de la
Convention, des transferts de Chypriotes grecs vers le sud aie:
termes de divers accords intercommunautaires. Vu qu'en tout état
de cause le refus d'autoriser ces personnes à rentrer dans leurs
foyers dans le nord doit être imputé à la Turquie, la Commission
limitera sa conclusion à cet aspect de la question.
La Commission considère que le fait d'empêcher physiquement
ces Chypriotes grecs de rentrer dans leurs foyers dans le nord
représente une atteinte à leur droit au respect de leur domicile,
droit garanti par l'article 3 (l) de la Convention. Cette atteinte
ne peut être justifiée par aucun des motifs pré-/us au paragraphe 2
de cet article.

(1) Cf. par. 205


- 74 -

La Commission conclut par 13 voix contre 1 qu'en refusant


d'autoriser le retour dans leurs foyers situés dans le nord de
plusieurs milliers de Chypriotes grecs qui avaient été transférés ^^v-*^
ve^*s le sud en application d'accords intercommunautaires^ la
Turquie, dans tous ces cas, n'a pas agi, et continuait "de ne pas
agir (1), conformément au:-: dispositions de l'article 8 de la
Convention.
IV- Dislocation de familles
211. La Commission conclut que la dislocation de familles
provoquée par des mesures de déplacement imputables à la Turquie
au regard de la Convention (2) s'est traduite par des atteintes
au droit des persormes concernées au respect de leur vie familiale,
droit garanti'par l'article 8 (1) de la Convention. Ces atteintes
ne peuvent être justifiées par aucim des motifs prévus au
paragraphe 2 de cet article.
La Commission conclut par 14 voix contre 1 et une
abstention qu'en provoquant, par des mesures de déplacement, la
dislocation de nombreuses familles chypriotes grecques, la
Turquie n'a pas agi, cette fois encore, conformément aux #
obligations qui lui incombent en vertu de l'article 8 de la Convention,
V. Réserve concernant l'article 15 de la Convention
212. La Commission se réserve d'examiner dans la Partie III du
présent Rapport la question de savoir si les atteintes susmentiormées
aux droits protégés par l'article 3 ont été justifiées, en tant
que mesures d'exception, au regard de l'article 15 de la Convention.

./.

1) Au 18 mai 1976 (cf. par. 5 ci-dessus).


2) Cf. par. 179 et sulv., 200 et 200 ci-dessus
- 75 -

Chapitre 2 - Privation de liberté


Introduction
213. La Commission examinera les allégations contenues dans les
deux requêtes et concernant la privation de liberté infligée à des
Chypriotes grecs par les forces armées turques à Chypre, dans
1 * ordre suivant :
- l'allégation de privation générale de liberté imposée à la
partie de la population^chypriote grecque qui est.restée
dans le nord après l'action militaire turque ("personnes
enclavées") ;
l'allégation de privation de liberté imposée à des civils
chypriotes grecs qui, selon le Gouvemment requérant, ont été
"concentrés" dans certains villages du nord, en particulier
Gypsou, Marathovouno, Morphou, Vitsada et Voni, ou à l'Hôtel du
Dôme à Kyrenia ("centres de détention") ;
la privation de liberté Infligée à des persormes qualifiées
de "prisormiers et détenus" dans les accords intercommunautaires,
notamment les personnes détenues en Turquie continentale ou
encore au garage Pavlides et à la prison de Saray, dans le
secteur turc de Nicosie ("prisonniers et détenus").
214. Gomme il a été dit ci-dessus (1), la Commission n'examinera
pas de façon distincte les allégations du Gouvernement requérant
concernant la prix^ation de liberté infligée au::: Chypriotes grecs
arrêtés sur la ligne de démarcation.
A. "Persormes enclavées"
I. Arn:umentation des Parties
(1) Gouvernement requérant
215- Le Gouvernement requérant allègue d'une manière générale,
que les forces armées turques ont détenu arbitrairement de
nombreux civils chypriotes grecs de tous âges et des deux sexes, dnns
le nord de Chypre (2).
216- Il déclare que les personnes "enclavées", dans leur ensemble,
étaient à la merci des forces turques et étaient des otages
auxquels il était interdit de s'éloigner de leur "lieu de
détention" (3).
-A

fl) Cf. p a r . 8 8 .
(2) Cf. Requête I , p a r . 3? e t Requête I I , p a r . 3 S*
(3) D é t a i l s , p a r . 20 G.
- 76 -

217- Selon le Gouvernement, les derniers Chypriotes grecs


"enclavés" dans le nord (environ 9-000) étaient pratiquement
en état de détention, car, bien qu'ils fussent autorisés à
aller dans le sud (1), ils n'étaient pas libres de se déplacer
dans le nord. Ils étaient soumis à un couvre-feu entre 21 heures
et 6 heures, n'étaient autorisés à aller dans leurs champs ô, moins
d'avoir obtenu une autorisation spéciale et, dans tous les cas,
n'étaient pas autorisés à aller d'un v'-illage à im autre. Les
persormes "enclavées" étaient constamment surveillées par les"
autorités turques. En particulier, les persormes qui avaient été
détenues en Turquie et qui résidaient dans^les zones occupées par
les Turcs étaient tenues de se présenter à la police deux fois par
jour. Un grand nombre d'entre elles ont été arrêtées pour être
interrogées ou ont été mises en prison, par exemple, pour ne pas
avoir salué des militaires turcs (2).

(2) Gouvernement défendeur


218. Le Gouvernement défendeur^qui, pour les raisons exposées
ci-dessus (3), n'a pas pris part à la procédure quant au fond., n'a
fait aucune déclaration au sujet de ces allégations.
II, Article applicable de la Convention
219- La Commission considère que les restrictions imposées à
la liberté des persormes dites "enclavées" dans le nord de Chypre,
restrictions incriminées dans les présentes requêtes, peuvent
soulever des questions sur le^plan de l'article 5 cLe la
Convention. Elle prend note à cet égard de la thèse du Gouvernement
requérant selon laquelle les persormes "enclavées" pouvaient
"pratiquement être conGidérces comme en état d-e détention" (4).

220. l'article 5 ^.e la Convention dispose que:


"1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté.
Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas
suivants et selon les voies légales:
(b) s'il est détenu régulièrement après
condamnation par un tribunal compétent ;
(b) s'il a fait l'objet d'une arrestation ou
d'ime détention régulière pour insoumission à une
ordormance rendue, conformément à la loi, par un tribtinal
ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation
prescrite par la loi ;
./.

Cf. Chapitre 1, par. 17S ci-dessus.


(2) Détails II, par. 12 g.
(3) Cf. Partie I. par. 23»
(4) Cf. déclaration du Gouvernement dans Détails II, et le
paragraphe 217 ci-dessus.
- 77 -

(c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être


conduit devant l'autorité judiciaire compétente,
lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner^
qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des^motifs
raisonnables de croire à la nécessite de l'empêcher de
commettre une infraction ou de s'enfuir après
l'accomplissement de celle-ci ;
(d) s'il s'agit de la détention régulière d'un
mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de
sa détention régulière, afin de la traduire devant
l'autorité compétente ;
(e) s'il s'agit de la détention régulière d'une
persorme susceptible de propager une maladie contagieuse,
d'un aliéné, d'un alcoolique, d'-on toxicomane ou d'un
vagabond ;
(f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la
détention régulière d'une persorme pour l'empêcher
de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou
contre laquelle ime procédure d'e::pulsion ou d'extradition
est en cours.
2o Toute personne arrêtée doit être informée, dans le
plus court délai et dans une langue qu'elle comprend,
des raisons de son arrestation et de toute accusation
portée contre elle.
3. Toute persorme arrêtée ou détenue, dans les
conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article,
doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre
magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires
et a le droit d'être jugée dans un délai raisormable,
ou libérée pendant la procédure. La mice en liberté peut
être subordormée à xme garantie assurant la comparution
de l'intéressé à l'audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou
détention a le droit d'introduire un recours devant lui
tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de
sa détention et ordonne sa libération ci la détention est illégal
5- Toute persorme victime d'une arrestation ou d'une
détention dans des conditions contraires aux dispositions de
cet article a droit à réparation."
III. Eléments de preuve recueillis
221. Il est notoire qu'une fraction de la population chypriote
grecque du nord de l'île est restée sur place après l'action
militaire turque. Selon des documents des Nations Unies, le nombre
de ces personnes s'élevait à I5.OOO environ en décembre 197^^ (l)î et
à environ IO.5OO (plus quelque 1.000 Maronites) en juin 1975 (2).
....—..«........^_»_*..._.w • / •

(1) UN doc.S/1156S, par. 43.


(2) mi doc.S/11717, par. 35.
- 78 -

222. Selon iin rapport du Haut Commissaire des Nations Unies pour
les réfugiés, en date du 51 octobre 1974 (l), parmi les 15-000
Chypriotes grecs qui se trouvaient à 1* époque d-ans le nord de
de Chypre., il y en avait de 7 à 8.000 qui habitaient des
zones épargnées par les opérations militaires et qui vivaient
encore dans leurs villages, pour la plupart en Karpasie
septentrionale ; la vie économique de ces villageois a été
perturbée, mais leur situation était meilleure que cells d'autres
Chypriotes grecs de la zone septentrionale, qui ont été soit
regroupés dans des églises, des écoles, des hôtels ou d'autres
bâtiments publics, soit isolés dans leurs propres villages (2).

223. 11 ressort d'autres rapports des Nations Unies que. la


plupart des persormes '^enclavées" qui sont restées dans le nord
jusqu'en juin 1975 habitaient encore leurs propres maisons, alors
que la majorité des autres personnes qui avaient subi diverses^formes
de détention avaient déjà 5té transférées vers la zone contrôlée par
le Gouvernement requérant (3)- H a aussi été signalé que les
persormes "enclavées" vivaient dans des conditions difficiles et
que leur liberté de déplacement à l'eirtérieur de leurs propices
villages était soumise à des restrictions. En raison de la
désorganisation de l'économie, ils avaient besoin d'une aide, qui
leur a été fournie par le Gouvernement requérant et acheminée
régulièrement par l'Ul^ICYP (4). Les équipes humanitaires qui
avaient accès aux villages chypriotes grecs du nord devaient être
accompagnées par des officiers de liaison turcs- Les efforts de
l'UNPÏCYP pour établir des postes d'observation à proximité des
villages chypriotes grecs et pour organiser des patrouilles en vue
d'assurer la sécurité des Chypriotes grecs dans le nord, comme
l'UNPICYP le faisait pour les enclaves chypriotes turques dans le
sud, n'ont pas aboutis Cb)-

224. Des témoins ont fourni à la Délégation de la Commission des


renseignements sur les conditions d'existence des Chypriotes grecs
"enclavés".
La Commission prend note ici, en particulier, du témoignage
de M. Stylianou, instituteur et Président du "Comité panchypriote
des personnes enclavées". Ce témoin a déclaré que cette association'
privée avait recueilli des informations sur les personnes "encla'/ôes"
auprès de civersec sources, notam^ment des déclarations de pci-Gonnes
qui avaient pu quitter la zone septentrionale, et des lettres
écrites par des personnes "enclavées" à leurs parents dans le sud (6)

(1) UN doc. S/11488/Add. 2, par. 2 c


2) Pour cet'ue dernière catégorie de persormes, cf. section B ci-après
(5) Cf. Chapitre 1 ci-dessus, en particulier oar- I3I et sulv.
(4) Cf. UN doc. S/11717- ^ar. 35 et 40.
(5) Cf. UI^ doc- S/11563, par. 23 et 33; S/1162^:, par. 17 et
S/11711, par. 7. /
(6) Cf. Compte rendu intégral, p. 37-
- 79 -

225' Aux dires de ce témoin, il y avait environ 3.000 Chypriotes


grecs "enclavés" dans la région de Karpasia, 2.000 dans le district
de l'ç-renia et une centaine dans d'autres régions (l). Ces chiffres
englobent, apparemment, d-es personnes qui se trouvaient dans les
cerrres de détention et qui feront l'objet d'im examen distinct (2).
Le témoin a déclaré (3) que le couvre-feu empêchait les
persomes "enclavées'* de sortir ae chez elles pendant la journée,
de 6 heures jusqu'à 12 heures "dans la_zone turque", et jusqu'à
20 heures "dans les zones grecques", lies persormes "enclavées''
n'étaient pas autorisées à aller dans ^jn autre village ou à
s'éloigner de plus d'une certaine distance (1 km ou 1 mile) de leurs
maisons ; elles n'avaient même pas l'autorisation d'aller travailler
dans leurs champs (-î-)- Les mêmes restrictions s'appliquaient dans
l'ensemble de la zone contrôlée par les forces turques, mais des
restrictions supplémentaires étaient en vignzeur dans le district
de /vyrenia, où les Chyprio'jes grecs n'étaient pas autorisés à quitter
leurs maisons ou à aller rjur leur ^^éranda. Dans la ville de liyrenia,
ils avaient même besoin d'rme escorte pour aller à l'église,
escorte qui leur a été parfois refusée- Ainsi, les Chypriotes
grecs de K^Trenia n'ont pas pu acheter de •/iande pendant un riois
en"/iron, parce qu'on a refusé de les escorter jusqu'au marché. Le
rémoin a estimé que la plupart des Cliypriotes grecs de la zono de
Kyrenia souhaitaient aller dans le sud, alors que ceux de Karpasia,
qui n'étaient pas maltraités, souhaitaient rester sur place pour
l'instanr, pom? voir à qiielle solution on aboutirait (5)-

2.?6« En outre le témoin Stylianou a déclaré (6) que les Chypriotes


grecs qui ont ézé autorisés à retourner dans la zone contrôlée par
les forces turques, en application c_es dispositions de l'acco3:d
interoommunautaire d'août 1975 sur la réunion des familles (7),
3on~ revenus en fait dans ces régions où régnait le couvre-feu.
Ils onr été disposés à l'accepte::- pour rejoindre leurs familles,
pour s'occuper de leurs biens et parce qu'ils ont cru que la zone
de Karpasia finirait 'oo.r être rendue au::-: Chypriotes grecs, de sorte
qu'ils pouvaieni; espérer être libres après quelques mois.

(1) Compte rendu intégral, o- 32. ^e témoin a aussi communiqué


des chiffres au mcic d'aoûô 1975 et soumis des tableaux
montrant la répartition des effectifs de persormes "enclavées"
au 14 janvier 1975 (Addendum, yp-p^ 25-23).
ZI. section 3 ci-api^lc.
(3J Ccmpôe rendu intégral, PC. 32-33•
(4) Cf. UN doc. £/1146S/Addri, oar. 8, du 10 septembre 1974,
selon lequel les habitants de la région de Karpasia avaient
des difficultés pour récolter le coton, "car la plupart des
jeunes gens étaient détenus".
K3) Compte rendu intégral, p* 56.
(6) Compce rendu inbégral, -orp. 35-36.
(7) C£. Chapitre 1, ci-dessus, par. 178.
- 30 -

227* Parmi les témoins entendus par la Délégation de la


Commission, un seul est resté très longtemps dans la zone contrôlée
par les forces turques, à savoir le docteur Cliaralambides, ancien
maire adjoint de Kyrenia, qui s'est réfugié à l'Hôtel du Dôme
jusqu'au 5 avril 1975- En sa qualité de médecin, il était autorisé
a quitter l'hôtel, escorté par un agent de police chyprio-te grec,
pour aller voir ses malades (1). Il a ainsi PU décrire non
seulement les conditions d'existence des Chj'prlotes grecs à
l'Hôtel du Dôme (2), mais aussi celles des Chypriotes grecs dans
la ville de Kyrenia- Il a déclaré (3) qu'environ 200 d'entre
eux sont restés chez eim:, dans le quartier des villas de Kyrenia
(''Upper Kyrenia") jusqu'en avril 1975Î date à laquelle il est
parti. Les rapports entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs
de ce quartier ont toujours été bons et le sont restés
après l'action militaire turque. Les Chypriotes grecs y
bénéficiaient de la protection de leurs voisins chypriotes turcs.
Ils étaient autorisés à sortir dans la rue et à faire des courses
jusqu'à 21 heures.

Par ailleurs, ce témoin a déclaré qu'en dehors des


Chypriotes grecs de l'Hôtel du Dôme et de ceu:;: du quartier des
villas de Kyrenia, aucim Cliypriote grec n'était resté dans la ville.
228. Les autres témoins entendus par la Délégation n'ont
pu donner que des renseignements fragmentaires sur les Chypriotes
grecs "enclavés" dans le nord.
Le témoin Hadjiloisou a déclaré qu'on a exercé des pressions
suy certaines personnes influentes de la région de Karpasia, en
leur disant qu'elles étaient soupçormées de détenir des armes ou
d'avoir des contacts avec des persormes qui se cachaient dans la
montagne., etc. (4). Le témoin Odysseos a évoqué la situation des
derniers habitants de Morphou, avant qu'ils ne soient transférés
vers le centre de détention installé dans " l'école, en septembre 197^1-
II a déclaré qu'il y a eu des perquisitions, mêm^e de nuit, pour
vérifier que les persormes étaient bien là, et que des mauvais
traitements ont été infligé3 (5)- Le témoin lacovou n'a pas pu
dire quel objectif particulier on poursuivait en soumettant
les Chypriotes grecs à des restrictions, comme des personnes
''enclavées". Il a déclaré que les forces turques les avaient
trouvés dans la zone passée sous leur contrôle et qu'elles
estimaient pouvoir s'en servir ultérieurement pour arracher acz
avantages politiques ; ainsi, lorsqu'elles ont commencé à les
expulser, elles ont exercé par la m-ême des pressions sur le
Gouvernement requérant pour qu'il autorise le transfert de Chypriote:
turcs vers le nord (6).
229- Les déclarations écrites soumises par le Gouvernement requérant
contiennent les renseignements suivants sur les restrictions d'oidre
général imposées à la population "enclavée"- /'

^1; Compte rendu integral, p. 73-


(2^ Cf. ci-après, section B.
(3^ Compte rendu intégral, pp. 82-83-
(4) . Compte rendu intégral, pp. 69-70.
(5) Compte rendu intégral, p. 92.
(6) Compte rendu intégral, p. 172.
- 51 -
Un jardinier de Vassily, du district de Pamagouste, qui est
resté sur place jusqu'au 5G juin 1975: aurait déclare;
"La plupart des Chypriotes grecs qui sont encore dans
les zones occupées par les T'u.rcs sont terrifiés ; ils
ne peuvent aller et venir librement et ne peuvent se
rendre dans un autre village sans autorisation" (l).
Une femme mariée d'Yialcusa aurait déclaré qu'en août 1974,
un couvre-feu a été imposé tous les jours de 13 heures à
6 heures, et qu'il était encore en vigueur en février 1975)
date à laquelle elle est partie (2).
IV. Evaluation des éléments de preuve
230. Les éléments de preuve recueillis ne permettent pas à la
Commission de se faire une idée précise des conditions d'ez:istence
des Chypriotes grecs "enclavés" dans le nord de Chypre, dans la
mesure où ils n'ont pas fait l'objet de mesures de détention
particulières (3)* Les cléments de preuve recueillis auprès de
témoins sont fragmentaires et en partie contradictoires,
particulièrement en ce qui concerne les modalités d'application du
couvre-feu. En outre, il s'agit presque uniquement de témoignages
indirects, exception faite pour la déposition du docteur
Charalambides sur la situation dans le quartier des villas de
Kyrenia (4). Les renseignements figurant dans des documents des
'Nations Unies et dans les déclarations écrites soumises ne permettent
pas de compléter le tableau de la situation. Les seules conclusions
auxquelles on peut arriver avec quelque certitude sont les suivantes

(a) un cou\rre-feu, impliquant l'obligation de demeurer


chez soi, a été imposé, généralement pendant la
nuit, à la population chypriote grecque du nord de
Chypre ;
(b) les Ch^'prictes grecs du nord ont vu leur liberté de
sortir de leurs \'illages soumise à des restrictions.
231• Les conditions exactes et l'application (5) du couvre-feu,
ainsi çue l'étendue et l'application des restrictions imposées à la
liberté dec persormes de sortir de leurs villages n'ont pas fait
l'objet de plus amples enouctes. La Commission observe, à cet
égard, qu'il aurait fallu enquêter dans le nord de Chypre, région
dans laquelle sa Délégation n'a pas été autorisée à se ren<.'^..
./.

(1) Déclarations II, No. 16, P. 3-


(2) Déclarations II, No. 20.
(j)) Cf. section ci-après-
(4) Cf. par. 227 ci-descus.
(5) En particulier, la question de savoir si un couvre-feu a aussi
été décrété pendant la journée, comme l'a déclaré le témoin
Stylianou (cf. par. 225 ci-dessus). Le Gouvernement requérant
se plaint 'uniquement de l'imposition d'un couvre-feu pcnd.ant
la nuit (cf. par. 217 ci-dessus).
- 82 -

V. Responsabilité^ de la Turouie au regard de la Convention


232. Comme la Commission n'a pas été en mesure^d'établir tous
les faits pertinents concernant les présentes allégations, il lu-i
est impossible de déterminer dans quelle mesure le traitement imposé
à la population ch3p)riote grecque "enclavée" est imputable à la
Turquie au regard de la Convention. En particulier, elle n'a pas
tranché la question de savoir si le couvre-feu et les restrictions
imposées à la liberté d'aller et venir ont été proclamés par les
autorités militaires turques ou par l'Administration chypriote
turque - chacune agissant de sa propre initiative ou sur les
instructions des autorités turques.

233- Toutefois, sur la base des éléments de preuve dont elle


dispose, la Commission incline à penser que les restrictions imposée,
à la liberté de déplacement et, à un degré moindre, le couv:?e-feu,
ont été appliqués avec le concours de l'armée turque : s'il est
fréquemment fait référence à des policiers chypriotes turcs dans
les déclarations faisant état de perquisitions et de contrôles
nocturnes, il semble que les déplacements de personnes d'im */lllage
à 1*autre ont été contrôlés plus particulièrement par les forces
armées turques. Ce contrôle confirme que les personnes concernées
relevaient de la juridiction de la Turquie, au sens de l'article 1
de la Convention.

71 - Conclusions
254. La Commission a examiné, à la lumière des dispositions de
l'article 5 <ie la Convention (1), les restrictions d'ordre général
imposées à la liberté des Chypriotes grecs dans le nord de Ch5"pre.
A cet égard, elle a pris note aussi des dispositions de l'article 2
du Protocole No. 4 de la Convention, au:;: te::mes desquelles quiconque
se trouve rcguliorement sur le territoi:?e d'un Etat a le droit d'y
circuler librement.

235- La Commission, par 8 voix contjre 5 et 2 abstentions,


estime tout d'abord que sur la base des éléments de preuve d-ont
elle dispose (2), elle a suffisamment d'informations pour conclure
que le couvre-feu imposé pendant la nuit amc Chypriotes grecs
"enclavés" dans le nord de Chypre, tout en représentant une
restriction à leur liberté, ne constitue pas une privation de
liberté au senc de l'article 5 (l) de la Convention.
236. Par ailleurs, la Commission estime par 12 voix contre 0 et
2 cbstentions que sur la base des éléments de preuve dont elle
dispose (3): elle a suffisamment d'informations pour conclure que
les restrictions alléguées imposées au:: déplacements en dehors de
la zone habitée des villages du nord de Chypre tomberaient
davantage sur le coup de l'article 2 du P..'Otoccl No. 4, qui n'a
./.

(1) Cf. par- 220 ci-^dessu KJ «

(2) Cf. par. 230-231.


(5) Cf. par. 230-231.
- 33 -

été ratifié ni par Chypre ni par la Turquie, que sous celui ô,e
l'article 5 <ie la Convention. En conséquence, la Commission n'est
pas en mesure de conclure à une violation de l'article 5 ue la
Convention, dans la mesure où les restr^ictions imposées au::
Chypriotes grecs pour les empêcher de se déplacer librement à
l'extérieur de leurs villages dans le nord de Chypre, sont imputables
à la Turquie.
B. "Centres de détention"
I. Arrnimentation des parties
(1) Gouvernement recuérant
237* Le Gou\'ernement rrequérant fait valoir que les forces armées
turques ont détenu des milliers de persormes d.ans le nord de Chin)re^
arbitrairement et sans justification légale (1) ; il déclare que
ces personnes ont été détenues essentiellement dans des "camps de
concentration", dont les pires étaient ceim-: de Voni, Marathovouno,
Vitsada et Gypsou (2).
238, Le Gouvernement allègue en premiere lieu qu'en pénét:?ant
dans les régions habitées, les forces turques ont immédiatement
arrêté et mis en dStention les Chypriotes :jrecs, parce qu'ils étaient
grecs : la même politique a été appliquée a l'égard de tous les
Chypriotes grecs que l'armée d'invasion a trouvés sur son chemin (3)«
Selon le Gouvernement, ce-ux qui n'ont pas été détenus comme
prisonniers de guerre (4), autrement dit les femmes, les enfants et
les hommes âgés, ont été mis dans des "camps de concentration",
lorsqu'ils n'ont pas été e:cpulsés (5)- Jjcnc ces camps, des centaines
de personnes, depuis des bébés jusqu'à des persormes de 90 ans, ont
été détenues dans c.ez espaces récuits, dans de mauvaises conditions,
sans installations sanitaires (G), et avec interdiction de sortir.
Les détenus ont souv'^ent été transférés d'une "zone de concentration"
vers une autre et regroupés (7)-

239- Le Gouvernement requérant se plaint aussi de ce que les


autorités turques ont détenu quelque 3*000 habitants du district
de Kyrenia à l'Hôtel du Dôme à Kyrenia et dans le village de
Bellapais. Il déclare eue la Plupart d-e ces personnes ont été
./.

(1) Cf. Requête I, par. 3? et Requête II, oar. 3 g.


(2) Détails I, par. 20 G et 25-
(3) Détails I, par. 20 G et 22 E (i).
(4) Pour la détention des persormes considérées comme "prisonniers
et détenus" et qui ont parfois été désignées commes des
"prisormiers de guerre", cf. section C ci-après.
(5) Pour les cas de déplacement forcé vers le sud de Chypre par
déportation de groupes de persormes au-delà de la ligne de
démarcation, cf. le Chapitre 1 ci-dessus.
(6) Pour les conditions de détention, voir le Chapitre 4 E ci-dessous
(7) Détails I, par. 23-
­ 34

arrêtées chez elles par l'armée turque et transportées vers les


lieux de détention susm.entiorméG. Las autres ont^été forcées,
pendant les premiers jours de l'invasion, de se réfugier dans ces
endroits. E n novembre 197^­­) les autorités militaires turques^
détenaient encore environ 450 de ces persormes à l'Hôtel du Dôme,
et 1.000 à Bellapais. Les détenus n'étaient pas autorisés à
quitter leur lieu de détention pour se rendre à leurs maisons
voisines (1).
240. Dans sa seconde requête, le Gouvernement requérant a lait­
valoir q'ue des camps de concentration supplémentaires avaient été
ouverts'pour séquestrer des civils chypriotes grecs dans le nord
de Chypre (2).
Il a fait une distinction .entre le "camp de concentration
supplémentaire créé à Horphou après l'introduction de la
première reouête, et d'autres lieux de détention, notamment :
­ l'Hôtel du Dôme à Kyrenia ­ 53 détenus ;
­ Lapithos (Kyrenia) ­ environ 150 détenus ;
­ Larnaca de Lapithos (K^Tenia ) ­ environ 30 détenus ;
­ Trikomo (Pamagouste) ­ environ 120 détenus ;
­ Kondemenos (Kyrenia) ­ en^^'iron 8 détenus ;
­ Kalopsida (Pamagouste) ­ environ 10 détenus :
­ Spathariko (Pamagouste) ­ environ 9 détenue (3)­
Par ailleurs, il a été déclaré, d'une part, quelle camp
de concentration de Morphou a été progressivement évacué, de sorte
qu'il ne contenait plus que 30 détenus environ^en mars 1975 et
12 en juillet 1975 et, d.*autre part, que les détenus des trois
derniers lieux de détention susmiontionnés ont été expulsés pendant
l'été 1975 vers les zones contrôlées par le Gouvernement requérant (4)
(2) Gouvernement défendeur
241. Le Gouvernem.ent défendeur qui, pour les raisons e:q?osées
ci­dessus (5)? 21'a pas participé à la procédure quant au fond,
n'a fait aucune déclaration au sujet de ces allégations.
II. Articles pertinents de la Convention
242. La Commission considère que les allégations susmentionnées
relati­v'es à la concentration de Chypriotes grecs du nord d.ans des
centres de détention soulèvent des questions sur le plan de l'article
5 de la Convention (6). La question de savoir si les conditions
de cette détention soulèvent des questions sur le plan de l'article 3
de la Convention fera l'objet d'un exam.en distinct (7)­
•/•

(1) Détails I, par. 20 G, p. 15­


(2) Requête II, par. 3 U*
(3) Détails II, par, 12 g.
(4) roid.
(5) Cf. Partie I, par. 23­
(G; Pour le texte de l'article 5, cf. par. 220 ci­dessus.
(7) ■ Cf. Chapitre 4 B ci­apros.
- 85 -

m . Eléments de preuve recueillis


243o II reDCO.-t des éléments de preuve recueillis par la
Cotun^ission que, r.:ise à part une petite partie de la population
chypriote gj-cccue du nord dont les membres habitaient des zones
épargnées par les opérations militaires de 1974 et qui ont continué
de vivre dans leurs villages comme des "personnes enclavées, c'est-
à-dire soumises à un régime de oouvre-ieu et à des restrictions
imposées à leurs déplacer.ent3 (1), il y a eu un nombre considérable
de Chypriotes grecs, éparpillés sur la zone plus directement
affectée par Inaction militaire turque, qui se sont aussi
trou\^es "enclavés" au départ, mais pour être bientôt soumis à un
régime de stricte séquestration dans certains endroits.

244. Tout porte à croire que ces endroits étaient notamment:


(a) de grands centres^de détention installés dans des écoles
et des églises, où plusieurs centaines de personnes ont
été séquestrées en particulier dans les villages de G-ypcou,
Marathovomic. Vitsada et Voni et, un P O U plus tard, à
Horphou (2) ;
(b) des maisons particulières, où de petits groupes de persormes
ont été enfermées (3) ;
(c) l'Hôtel du Dôme à Kyrenia, où des Chypriotes grecs
s'étaient trouvés à l'origine sous la "garde tutélaire"
des Nations Unies (isme situation analogue a existé dans
le village de Bellapais) (4).
243» Les personnes séquestrées dans ces endroits ne figuraient
pas dans la catégorie des "prisonniers et détenus" visée par les
accords intercommunautaires et les documents des Nations Unies.
Toutefois, il y a été fait référence à plusiers reprises (Lcxio ces
instruments comme à im groupe de personnes distinct, particulièrement
dans le cadre des arrangements conclus en \"ue de leur transfert
vers le sud de Chypre (5)*
246. Les témoignages et indices concernant la nature de la
séquestration dans chaque catégorie de licuc: susmentionnés seront
présentés de manière distincte dans les paragraphes suivante.
(a) Séouestration dans des centi-cs de détention oux"crtc
dans des écolec et des ér-iisi's
247» La Commission a déjà relevé que de nombreux Chypriotes grecs
du nord ont été transférée de leurs lieu:: de résidence vers d'autres
endroits sur le territoire cont::ôlé par l'armée turque (6). Elle
a constaté que de nombreux: civils ont été conduits ou ont :?eçu
l'ordre de se diriger vers d.es lieimc de racsenblement dans leur
/.

a i m e a ii c i - a e s s u s .
Cf. par. 247-258 c i - a p r è s .
Cf. par. 259-265 c i - a p r è s .
Cf. par. 266-273 c i - a p r è s .
Cf. Chapitre 1 ci-descus, par. 14^1-, 146 et 148.
Cf. Chapitre 1 ci-dessus, par. 117-122-
- 36 -

respectifs, généralement l'église ou l'école (l). Si la


de ces lieux de rassemblement ont eu, semblc-t-il, mi
caractère temporaire (2), certains sont devenus des liexix de
détention permanents, où ont été aussi condiuits des Chypriotes
grecs des villages voisins,
248, A partir des éléments dont elle disposait, la Commission
n'a pas été en mesure de dresser une liste complète de ces centres
de détention. Elle observe que les cinq villages de Voni,
Marathovouno, Vitsada, Gypsou et Morphou, évoqués dans la plupart
des témoignages, ont généralem^ent été mentiormées à titre d'exemples,
ce qui laisse supposer ou'il y a eu d'aut:"es endroits où des
conditions analogues prévalaient. Toutefois, ces autres end:.-*oits
n'ont pas été identifiés, et il n'a donc pas été possible d'enquêter
sur les conditions de séquestration qui y :?égnaient. La Commission
doit donc limiter le champ de ses conclusions aicc cinq centres
susmentiormés.
249- Parmi les documents des Nations Unies traitant de ces centres,
on peut citer :
- un rapport du Secrétaire Général^du 18 septembre 1974, selon
lequel des Chypriotes grecs ont été rassemblés dans un ceitain
nombre d'endroits. Los principaur-: endroits se trouvaient
à Gvpsos (district de Pamagouste) /5007, Marathovouno (district
de Famagouste) /4007,et Voni (district de Nicosie) /H007 (3) ;
- un autre rapport du 17 octobre 197^? selon lequel des représentants
de l'Ul'\liCR, accompagnés de fonctiormaires du Croissant Rouge,
ont visité, ont visité des groupes de Ch^npriotes grecs dans le
nord ; à la suite de cette visite, l'UNPICYP a livré des
couvertures et des vivres aime Chypriotes grecs nécessiteim:
de Voni, Gypsou, Vitsada et Dhavlos (^U- 11 est indiqué dans le
même rapport que les cond.itions d'existence de quelque 2.000
Chypriotes grecs, d-es vieillards pour la plupart, qui vivaient
regroupés dans certains endroits situés dans les zones sous
contrôle turc, donnaient des motifs d'inquiétude. -Ces
observations ne visaient pas les 400 Chypriotes grecs de la zone
de Morphou, non plus les 2.500 Chypriotes grecs qui vivaient
encore, dans des^conditions difficile également (5), dans les
villages de la région de Kyrenia ;
un rapport du Haut Commissaire des Nations Unies pour les
réfugiés, du 30 octobre 1974, faisant référence au:<: Chj'priotes
ont été soit regroupés dans des érrlises.
/

(l) Cf. Chapitre 1 ci-dessus, par. 118-


(2j Par exemple, l'église et l'école du village ne Palel^rthro, *
auxquelles font j?éférence im grand nombre de déclarations
écrites soumises par le Gouvernement requérant (cf. Déclarations I,
No. 12, 29, 41, 49, 53, 71, 89, 103, 107, 109, 112 et 113)- Un ,
rapport des Nations Unies^du 5 août 1974 (UN doc. S/11553/Add. 15,
par. S a) fait référence à des lieu:x de rassemblement "principlae-
ment à Kyrenia"(Hôtel du Dôme), Bellapais, Karmi et Trimithi".
(3) UN doc. S/11468/Add. 2, par. 11. '
(4) UÎT doc. S/1146S/Add. 4, par. 8.
(5) UN doc. S/1146a, Add. 4, par. 11-
- 87 -

des écoles, des hôtels ou d'autres bâtiments publics, soit


isolés dans leurs propres villages ; il s'agissait presque
exclusivement de persormes âgées, d'invalides, de femmes et
d*enfants (l) ;
- un chapitre du rapport sur l'Opération des Nations Unies à
Chypre pour la périoc.e allant de mai à décembre 197^5 dans
lequel sont résumées les dispositions adoptées en vue du
transfert vers le sud des persormes séquestrées dans les centres
de détention. A noter les passages suivants : Quelque 2.5OO
Chypriotes grecs vivent dans le dénuement dans les régions du
nord où ils ont été"concentrôs" ... A la réunion que MH» Clerides
et Denktash ont tenue le 11 novembre, il a été décidé qu'environ
1.500 Chypriotes se trouvant à Voni (-•.) et Gypsou (.-•)
seraient évacués vers le sud ... (2) ;

- un chapitre du rapport sur l'Opération des Nations Unies à


Chypre pour la période allant de décembre 197''t- à juin 1975?
indiquant que 250 Ch;}qpriotes grecs des villages voisins de
Morphou avaient été concentrés dans ce dernier village et que
seuls 21 d'entre eux n'ont pas été évacués vers le sud.
25O- Il ressort des déclarations faites à une réunion inter-
communautaire, le 7 février 1975, par dez représentants du CICR
et de 1'UNHCR, déclarations rendues publiques ultérieurement par
le Gouvernement requérant et soumises à la Commission (4), que la
situation à Morphou ressemblait à celle qui existait à Voni,
Gypsou et Vitsada. M. Zuger, représentant du CICR, a mentionné
les aspects suivants des conditions de séquestration, aspects qui
peuvent soulever des questions sur le plan de l'article 5 é.e la
Convention :
- les personnes séquestrées étaient pour la plupart des hommes
et des femmes assez âgés et des jeunes enfants ;
- ils avaient été amenés de leurs villages à Horphou ;
- ils étaient entassés, sous borme garde, dans un bâtim.ent d'école ;
- ils n'étaient pas autorisés à sortir de ce bâtiment.
H. Kelly, représentant de I'UINIHCR, a déclaré :
- que les persormes séquestrées avaient été conduites de leurs
villages à Morphou par l'armée turque, contre leur gré et zano
recevoir aucune explication ;
qu'elles étaient séquestrées dans un bâtiment d'école,dans
des conditions matérielles déplorables ;
.A
^1) UN doc. S/11483/Add. 2, Armexe, par. 20.
i^2) UN doc. S/11568, Par. 47 ; cf. aussi Chapitre 1 ci-dessus,
par. 144-145.
(3) Un doc. S/11717, par. 40 ; cf. aussi Chapitre 1 ci-dessus,
par. 146.
(4) Pour le texte intégral et la référence, cf. Chapitre 1 ci-docsus,
par. 133-
- 88 -

- qu'elles n'étaient p a s autorisées à sortir de ce bâtiment ;


- qu'elles n'avaient pas été autorisées à emporter des meubles
ou des effets p e r s o n n e l s , sauf quelques v ê t e m e n t s .

251 - Le témoin Soulioti a soumis au:>: Délé^;ués de la Commission


le compte rendu d'im journaliste français (l"), qu'on peut résumer
comme suit : il s'est rendu à Gypsou le 4 octobre 1 9 7 4 , avec
l'autorisation des autorités militaires turques et en compagnie
d'officiers t u r c s . Il a dû franchir u n barrage de barbelés avant
d'arriver dans la zone habitée du village. Il a visité quelques
maisons qui étaient encore h a b i t é e s , presque exclusivement par
des femmes ( 2 ) . L e s hommes étaient gardés dans l'école du v i l l a g e .
Il 3 réussi à obtenir l'autorisation de visiter aussi l'école.
Il y a va 245 personnes ayant entre 5 0 e t 85 a n s . L'une d'elles
lui a dit que certaines persormes étaient' très m a l a d e s . Elles
avaient été amenées à l'école après avoir été ramassées dans
les villages des environs ; elles ne pouvaient pas sortir et ne
possédaient que les vêtements qu'elles avaient sur elles lorsque
les Turcs les avaient emmenées ( 3 ) - H y avait aussi des enfants
dans l'école. L e s Turcs ont dit qu'ils attendaient la réouverture
de l'école, mais l'école avait été détruite. La raison officielle
pour garder ces enfants dans 1'"école-prison", était, selon le
journaliste, qu'ils avaient tenté de v o l e r de la nourriture ( 4 ) .

P a r a i l l e u r s , il ressort du compte rendu de ce journaliste


^ue les hommes séquestrés dans l'école n'étaient pas autorisés
a v o i r leur f e m m e . Occasiormellement, l'ime des épouses était
autorisée à leur apporter de la soupe ou du café. On a dit au
journaliste qu'il y aurait eu assez de place dans le village pour
loger tous les d é t e n u s .

252. Le témoin Soulioti a aussi communiqué des tableaux établis


par la Croix-Rouge chypriote à partir de zoz dossiers et contenant
des détails sur l e s pe^j'sonnes transférées vers les centres do
détention de Gypsou, Morphou, Vitsada et Voni ( p ) - L e s données
figurant dans ces tableau:: sont incomplètes, m a i s elles n ' e n
donnent pas moins certains renseignements sur les villages en
provenance desquels les persormes ont été t3?ansférées dans les
camps, ainsi que sur les dates au:;:quelles ces transferts ont eu lieu,
On ^trouvera ci-aPros les données p e r t i n e n t e s , disposées
de façon légèrement différente.

.A
(1) Addendum, pp. 19-21-
(2) Cf. par. 260 ci-après.
(j?) Addendum, p . 2 0 .
(4) Addendum, p. 21.
(5) Addendum, pp. 22-23-
­ 89

Transferts de persormes vers des centres de détention


Nombre de
Centre de Nombre total personnes i.n provenance
détention de détenus transrÔ3?ées de Date
Gyp s 01 1,251 7^ liilia 2. 9.7^!-
26 Leflronico 2. 9.7^i-
127 Alzantliou 5. 9-7^!-
35 — 8. 9.7^
130 flanûre s S. 9.74
17 riamoudi )
ïripimeni ) 8. 9.74
Eoutsovenis )
35 1^-Gi )
S;>ngrasi ) 9.74
Lapathos )
132 G^nosou 0 . 9.74
55-^!- - 2 5 . 9.74

Morphou 579 110 }


175 )
— 5 . 9-74
51 — 26. 9.74
55 •mm
2 . 10.74
19 - 1 1 . 10.74
+ 1GS
persormes trans­
férées dans des 9.10 ­
maisons çartic­ 1.11.74
ulières a Morohou

Vitsada 569 11^! Marathovouno 5.10.7^J

Voni 635 51 Q3.74


9 21. 9.74
1o on. 9­74
S Kythr­ea 14.10.74
y £.10.74

253* Dans sa déposition orale au sujet des centres de détention (1),


le témoin Soulioti a aualifé ces derniers de "zones de concent3:ation".
Elle a déclaré avoir été informée pour la premiere fois des conditions
régnant dans ces centres par le journaliste français susmenjioxmé^
qui était venu la voir après sa visite à G^.nosou et avait demandé u la
Croix­Rouge de faire son possible en faveur des personnes concernées.
Les déclarations de ce journaliste ont été cor­firmées ultérieurement
par dtes personnes qui avaient été transférées à partir de Gypous et deVcm

254. Le témoin Soulioti a eu l'impression que les centres de détention


étaient en réalité des "camps de concentration". Ces centres, qui ont
été créés pendant la seconde phase de l'intervention militaire
turque, étaient situés à Voni, G;j^psou, Vitsada et Marathovouno, à l'est
de Kyrenia, ainsi qu'à Morphou, a l'ouest. Les personnes
personnes qui
qui cta:
étaient
■estées dans les villages, et même celles qui en étaient originaireG,
particulièrement autour de la zone de Kjrthrea, ont été expulsées de . / .

(1) Compte rendu Intégral, P P . 7­11•


­ 90 ­

leurs foyers et regroupées,les hommes à l'église dans un cas, et


les femmes dans l'école ou dans diverses maisons. Les personnes
regroupées dans les églises, les écoles ou les maisons, étaient
gardées par des soldats et n'étaient pas autorisées à quitter ces
lieux. Il en a été ainsi particulièrement à Morphou. Dans d'autres ^
camps, elles n'étaient pas autorisées non plus à communiquer entre
elles, à aller d'une pièce à l'autre, ou d'une m.aison à l'autre.
Parmi ces persormes, il y avait des vieillards, des enfants, et
même des bébés­ Dans un premier temps, ni la Croix­Rouge ni les
Nations Unies n'ont pu se rendre dans ces endroits, mais la^Croix­
Rouge internationale a finalement été autorisée à y aller, à la fin
de septembre 197^* Selon ce témoin, les commandants de tous les
centres de détention étaient des Turcs de Turquie continentale, mais
quelques­uns des gardes étaient Chyrjriotes turcs. Il y avait
environ 2.^^40 personnes au total dans ces camps. E lles ont été
évacuées entre le 15 novembre et le 29 novembre 197^ en application
d'^m accord intercommunautaire amenées par le CICR, et toutes remises
à'la Croix­Rouge chypriote, dont le témoin est la Présidente.

255­ Le témoin Odysseos, avocat et ancien Président du Comité


scolaire de Norphou, a d.éclaré (1) que l'une des écoles de Morphou,
la seconde école élémentaire, avait été transformée en "camp de
concentration". D'après ô.es déclarations qu'il avait recueillies,
par intérêt purement persormel. il savait que toutes les persormes
qui étaient restées à Morphou (environ 600; avaient été conduites
dans le bâtiment scolaire courant septembre 1974. Dans un premier
temps, elles ont fait l'objet de tracasseries dans leurs propres
maisons et se sont entendu dire: "Vous feriez mieux d'aller à l'école,
c'est plus sûr là­bas". Une vieille femme épileptique qu'il
connaissait a été trane^portée à l'école en camion. Toutes ces
personnes ont été logées dans l'école et donc une maison particulière
juste à côté de l'école. Ces bâtiments étaient à quelque 50 mètres
seulement du commissariat do police. Les persormes qui y étaient
détenues n'avaient pas été autorisées à emporter des affaires
personnelles. E lles étaient accompagnées, et pendant la nuit
n'étaient pas autorisées à sortir. Tout exercice était interdit
et les détenus pouvaient seulement aller et venir dans la pièce où
ils se trouvaient. Au début, la Croix­Rouge n'a pas été autorisée
à venir les voir. Plus tard, elle a pu venir une foie tous lea
15 jours et, de temps à autre, une fols pa::* semaine. Il y avait
des fils de fer barbelé derrière le bâtiment d'école. Persorme,
pas même les gens de Morphou, n'ont été autorisés à aller chercher
chez eux des effets personnels. Quelques personnes âgées ont
finalement été évacuées de l'école et "conduites dans des maisons
particulières (2). Selon le témoin, le centre de détention de
Morphou a fonctionné entre septembre 1974 et juillet 1975, noie penchant
lequel les derniers détenus ont été libérés. Des habitante de
villages voisins (Kapouti, Syrianoldiori, Zodia, Prastio, Argalii,
Katohopia, Pendsyia) ont aussi été amenés au centre au début de 1975»■

256. Le témoin lacovou. Directeur du Service spécial charvgo du


bien­être et du reclassement des persormes déplacées, a e:q")liqué
à la Délégation de la Commission que le Service spécial était ,
•/•

(1) ■ Compte rendu intégral, pp. 92­96.


(2; Cf. par. 262 ci­après.
- 91 -

chargé, notamment de faire parvenir des vivres aux Ch3?priotec grecs


"enclavés" dans le nord de Ch^p>re (1). Par ailleurs, il a déclaré
que les conditions dont il est fait état dans les déclarations
susmentiormées de I^IÏi. Zuger et Kelly (2) ne prévalaient pas dans
1^ensemble de la zone contrôlée par l'armée turque. Elles étaient
typiques de Morphou, Gypsou, Voni et Vitsada, qui étaient "à peu de
chose près des camps de concentration". A sa connaissance, tout
ceci ne concernait que quelques centaines de personnes (3)«
257* La Délégation de la Commission a aussi entendu, dans des
camps de réfugiés, des persormes qui ont déclaré qu'elles-même et/ou
des membres de leurs familles avaient été détenues dans l'vm ou
l'autre des centres susmentionnés.
Ainsi, le réfugié D. , agriculteur à Palelîythro, a déclaré
avoir été conduit à Voni le 21 août 1974, huit jours après l'a::Tivée
des troupes turques dans sa région. Selon lui, 500 personnes y ont été
séquestrées, les hommes à l'église, les femmes et les enfants dans
l'école, et des vieillard,s dans des maisons particulières. Ellec
ont toutes été gardées par des Turcs. Dans l'église, où il a été
séquestré, il y avait environ 120 personnes. Elles n'étaient pas
autorisées à quitter l'église pour aller uriner, mais les gens
allaient dans un entrepôt à farine tout proche et dans des m-aieons du
village pour se procurer de la nourriture. Il est resté à Voni
environ trois mois. Le camp a été évacué par fournées successives.
Environ 200 persormes ont été évacuées par groupes de 10 à 50 (4).
Le réfugié J., âgé de 11 ans, a déclaré avoir été séquestré
dans l'école de Voni, avec les femmes. D'après ses dires, les soldats
turcs les avaient menacés de leur tirer dessus s'ils quittaient
l'école (5).
La réfugiée B., de Trakhoni, a déclaré que son père avait
été détenu à Voni. Selon elle, les persormes qui se trouvaient là
n'étaient gardées que par des soldats turcs, et non par des Ch^.'priotes
turcs, et elles étaient punies lorsqu'elles désobéissaient à leurs
ordres, par exemple à celui de ne pas se parler (6).
Le réfugié E. a déclaré qu'on l'avait chassé de sa maison
de Kythrea pour le conduire dans une m.aison de Marathovouno, où il
a été séquestré pendant trois jours, puis conduit à Vitsacm^ où il
est reeté un mois, pour être conduit pour finir à Gypsou, ou il a passé
trois autres mois (7)«
258. Il ressort d'un grand nombre de déclarations écrites soumises
par le Gouvernement requérant que leurs auteurs ont été détenus dans
un ou plusiers des centres susmentiormés. /

Cl) Compte rendu intégral, p. 151.


^2) Par. 250 ; pour le texte intégral, cf. le Chapitre ci-deseue,
par. 133.
(3) Compte rendu intégral, p. 159.
'^^4) Addendum, pp. 9-10-
(5) - Addendum, p. 14.
(6) . Addendum, pp. 5-5.
(7) Addendum, p. 11.
- 92 -

La plupart de ces déclarations font référence aux conditions


qui prévalaient à Voni (l). Dans l'eneemble, elles confirment le
témoignage des persormes interrogées dans les camps de réfugiés,
horn:is la déclarations d'ime personne indiquant que les gardée
étaient uniquement des ClryV'Xlotez turcs (2j. Selon une autre
déclaration écrite, il ressort d'un recensement Ci.es détenus qui
a été fait à Voni, le 21 août 197'^^- par un officier turc, avec l'aide
d'un Chypriote grec (dont l'identité a été révélée) qu'il y avait
654 personnes au total (3)- H ressort d'xme autre déclarotion que
les détenus à Voni n'étaient pas autorisés à communiquer avec les
persormes se trouvant dans les autres locau:: (4).
Des déclarations font aussi référence au>: conditions do
détention à Marathovouno, Vitsada et Gypsou (p)* Toutes les
personnes ayant déclaré avoir été détenues à î'Iarathovouno ont dit
qu'elles avaient été transférées ultérieurement à Vitsada, et
certaines, pour finir, à Gypsou.
(b) Séquestration dans des malsons particulières
259. 11 ressort des dépositions de témoins et de personnes
entendues dans les camps de réfugiés, ainsi que de déclarations
soumises par le Gouvernement requérant que des Chypriotes grecs
du nord ont été séquestrés dans des maisons particulières, avec
interdiction formelle d'en sortir. Leixr situation était donc
différente de celles des Ch^,'priotes grecs "enclavés", mentiormée
ci-dessus (6), et les témoins ont généralement parlé d'eu:^: comme
de "personnes détenues".
260. Les tableaui: des effectifs de persormes transférées vers les
centres de détention, soumis par le témoin Soulioti, font clairement
ressortir, en ce qui concerne Morphou, que sur un total de 579 détenus,
55 ont été séquestrés dans une maison de la rue Hiaoulls, 63 dans tme
maison de la rue Apollon, et 5O dans diverses autres maisone (7).
Le compte rendu d'un journaliste ficançais sur les conditions c.e
détention à Gypsou, soumis par ce même témoin (8), fait également
une distinction entre les personnes détenues dans des maisone (dee
vieilles femmes pour la plupart) et celles ô.étenues dans l'école.
Dans sa déclaration orale à la Délégation de la Commission, le témoin
Soulioti a fait état à plusiers reprises de maisons particuliè:?es
à propos des centres do d.étention "(9)« /

(1) Cf. Déclarations I, No. 1, 12, 41, 47, 49, 51, 72, 89, 98-105,
199, 111, 112, 119, 120 et Déclarations II, No. 9, 13 et I9.
(2) Déclarations I, No- 93.
(3) Déclarations I, No. 41.
(4) Déclarations I, No. 111.
(5) Déclarations I, No. 7I* ^5, 76, 114-116; Déclarations II, No. 7
et 18.
(G) Cf. section A du présent Chapitre.
(7) Addendum, pp. 22-23 5 ^i* aussi par. 252 ci-dessus.
^8) Addendum, pp. 19-21 ; cf. aussi par. 251 ci-dessus.
1,9) Compte rendu intégral, pp. 3-10.
93 ­

261. Le témoin Stylianou a également fait état de la séquestration


de petits groupes de persormes dans des maisons particulières qui^
étaient indépendantes des centres de détention, et il a commmiiqué
des chiffres^, au mois d'août 1975, pour certains villages du district
de Kyrenia (1). Il a déclaré que ces petits croupes, composés par­
exemple de 5 persormes seulement dans un cas (Ayia Irene),ont été
séquestrés en permanence dans une maison, et dans d'autres cas,
par exemple à Lapithos, dans deux ou trois maisons, bien qu'il y eût
en tout 131 persormes. E lles avaient été expulsées de chez elles et
transférées dans d'autres maisons, et elles étaient gardées par d.es
patrouilles de soldats turcs (2).
262o Le témoin Odysseos a fait été de l'utilisation de maisons
particulières en liaison avec le centre de détention de Morphou.
Il ressort de ses déclarations que dans une petite maison particulière
voisine du bâtiment d'école qui servait de centre de détention,
quelque 60 persormes ont été séquestrées d.ans des conditions
analogues à celles qui régnaient dans l'école (3). Plus tard, quelques
persormes âgées ont été évacuées de l'école et conduites dans trois
maisons particulières d^e Morphou, à savoir tme cinquantaine dans la
maison d'un pharmacien dans la rue Solomos, entre 30 et 35 dans une
maison de la x'­ue Miaouli, et 48 dans une maison de la rue Apollon.
En février ou mars 1975, <ies habitants des villages de Pendayia,
Nikitas et Prastio ont été amenés dans ces maisons, et les derniers
d'entre eux n'ont été libérés qu'en juillet 1975 (4). Ce morne
témoin a aussi fait référence a des déclarations de persormes qui
ont dit avoir été regroupées dans deux ou trois maisons de Pendayia.
On les y avait amenées après les avoir chassées de leurs villages
voisins de Zeros, Karavoetassi, Potamos, Kambou et Petra (5)*
253. Le témoin Tryfon a soumis des declarations que des pc:;eonmes
avaient faites, selon lui, à l'Association chypriote des prop::iétai:­'es,
dont il est le Président. Ces persormes ont déclaré que les forces
turques les avaient expulsées de leurs propres maisons pour les
séquestrer dans d'autres, notamment à Lapithos et Karavas (6).
26­^­ Paimi les personnes interrogées dans les camps de réfugiée,
la réfugiée C. a décloré avoir été détenue à Khrmi pendant 13 jours,
avec d'autres habitants de eon village, dans une maison appartenant
5 des ressortissants britarmiques, ou elle s'était réfugiée procéd.emment
et è laquelle elle a été ramenée après "une "excursion forcée" à
­l'oghazi. E lle a déclaré que les persoimee détenues dans cotte maison
n*étaient pas ûutoricéee à sortir et que la Croix­Rouge n'était pas
autorisée à les approcher ; elles étaient entièrement sous le contrôle
des Turcs. Un Chypriote turc les gardait, et les Turcs de Tui^quie
ne lui permettaient pas d.e faire quelque chose pour soulager leur
détresse (7). La réfugiée D., qui été séquestrée dans 1'église de Voni,
a déclaré que des persormes âgées ont été détenues dans des maisone
du village de Voni (3). ^/^

(1) Compte rendu intégral, P. 32.


(2) Compte rendu intégral, p. 53»
^3) Compte rendu intégral, p. 93*
(4Ï Compte rendu intégral, p. 95«■
(5) Compte rendu intégral, P. 96.
(6) Addendum, Déclarations pp. 90, 91, 93 et 9^'­
(7) Addendum, pp. 7­8.
(S) Addendum, p. 10.
- 94 -
255- Des déclarations écrites de particuliers, soumises par le
Gouvernement requérant, font aussi état de longues périodes de
séquestration dans des Fiaisons particulières (1).
(c) Séquestration à l'Hôtel du Dôme, à Kyrenia, et dans ^
le village de Bellapais
266. Pendant les premiers jours de l'action militaire'turque,
qui a débuté le 20 juillet 1974 par un débarquement dans la région
de Kyrenia, l'une des principales régions touristiques de Chypre,
l'Hôtel du Dôme à Krenia a servi de refuge et de point de raceemblement
pour les touristes étrangers. Ceux-ci ont été rapidement évacuée,
mais l'hôtel a continué de servir d'abri pour de nombreuses
personnes, que les docum.ents des Nations Unies ont décrites comme
étant sous la "garde tutélaire" des Nations Unies.
267» Selon un rapport des Nations Unies dm 24 juillet 197'^'-, il 7
avait parmi ces persormes des civils chypriotes grecs et d.G ci'/ile
grecs, ainsi que des membres de la Garde nationale blessés (2).
Il y aurait eu 500 Chypriotes grecs dans l'hôtel le 26 juillet 1974 (5)*
La manière dont ils y étaient venus a été décrite dans un résumé
des événements publié le 5 août. Il est précisé dans ce résumé que
les Chypriotes grecs o[ui étaient restés dans les villes et villages
chypriotes grecs ont été -am.enés par les troupes turques à plueiere
points de rassemblement, notamment l'Hôtel du Dôme à Kyrenia, et le
village de Bellapais (4).
268. Selon un rapport des Nations Unies du 28 juillet 197^1-?
l'UNPICYP a proposé ses bons offres pour l'élaboration d'arrangcm^onts
qui auraient permis auj: Chypriotes grecs "détenus" à Kyrenia et à
Bellapais, ainsi qu'am-c Chypriotes turcs détenus à Limassol et Larcana,
de rentrer dans leurs foyers. Toutefois, ces efforts ont appa:?emment
échoué en ce qui concerne l'Hôtel du Dôme (5)* A Bellapaic, loe
autorités turques ont renvoyé 100 prisonniers chypriotes gr^-^ece
au village et les ont laissés rent3?er chez eui-: le 5 août 197^î-»
Les Nations Unies ont signalé que ces persormes, et plusiers centaines
de civils chypriotes grecs qui étaient restés au village, ont pu
se déplacer librement après que l'UNPICYP ont recommencé à
patrouiller dans le village, en application d'un accord passé avec
les autorités militaires tu2:ques (6).
./.

(1) Addendum, p. 10.


(2) Par e:cemple, Décla?:*ations I, No. 46, 5I, 5^î-; Décla3?atione II,
No- 7- 8, 11 et 12.
(3) UN doc. S/11353/Add. 6, par. 8.
(4) UN doc. S/11553/Add. 3, par. 6.
(5) UN doc. 3/11355/Add. 15, par. S a. G'agissant de Bellapais,
il a été signalé ir.itialement que 5-000 Ch;>'p*iûtes grecs, dont
100 blessés, étaient sous la "gard.e tutélaire" des Nations Uniee *
(UN doc. S/11353/Add. 5, par. 5, Add. 7, par. 6 et Add. C, par. 6).
Leur nombre était passé à 2.000 le 30 juillet 1974 (UIT d.oc.
S/11353/Add. 11. par. 5).
(6) UN doc. S/11353/Âdd. 10, par. 6.
(7) UN doc. S/11353A'^^ô.. 15, par. 8.
­ 95 ­

269­ Ld liberté do déplacement de la Perce des Nations Unies dans


le nord de Chypre a été progressivement restreinte. Ainsi, il a été
signalé le 30 juillet 197^ï­ qne les forces ''turques avaient informé
l'UNPICYP que la distribution de toute aide e:rtérieure dest5.née à
Bellapais et à l'Hôtel du Dôme dievrait se faire par le canal
l^arn:ée turque (1). Le 14 août 197^, premier jour de la seconde
de phase de l'action militaire turque, le commandant turc a
ordormé au persormel de l'UÎ'E^ICYP d'évacuer l'Hôtel du Dôme et le
village de Bellapais, qui avaient tous devj^z servi de postes
d'observation aux Nations Unies; l'UNPICYP s'est exécuté après
avoir élevé une protestation. Seul un observateur du CICR est reste
à 1*hôtel (2)» Bien que la "garde tutélaire" des Nations Uniee
eût apparemment dispai^a dans ces conditions, ' les personnes eo
trouvant dans l'hôtel y sont restées. Dans le rapport sur* l'Opération
ces Nations Unies à Chypre pour la période allant de décembre 197^1­
à juin 1975, il est dit que sur les 350 persormes qui avaient été
initialement séquestrées à l'Hôtel du Dôme, 53 seulement sont
restées­ Sept ont été autorisées par les autorités chypriotes
turques à rentrer dans leurs foyers, à Kyrenia (3)­

270, Parmi les dépositione entendues va'S' la Délégation de la


Commission, la principale, s'agissant des conditions de détention à
l'Hôtel du Dôme, est celle d.u docteur Charalambides, médecin et
ancien maire adjoint de Kyrenia, qui a lui­même été séquestré dans
ce bâtiment jusqu'au 5 avril 1975­ Oe témoin a déclaré (4)
qu'après l'invasion turque de juillet 1974, il est d'abord reeté ■
dans sa maison à Kyrenia, puis, lorsqu'il fût devenu trop dangereuse
de demeurer sur place, il s'est rendu avec sa femme à l'Hôtel d.u
Dôme, le 23 juillet­ Lorsqu'il est arrivé à l'Hôtel, il y avait
encore quelque 800 étrangers, qui ont été évacués peu après.
Plus tard, de nombreuses personnes sont venues se réfugier? à
l'Hôtel, certaines amonéoe par les Nations Unies, c'a\itres pai'
l'armée turque. Après l'évacuation des étrangers, l'Hôtel a abrité
environ 800 personnes au total. E lles sont restées sous la
protection des Nations Unies pendant un mois. A l'issue de la
seconde phase de l'action militaire turque, les Nations Unies
ont été obligées de partir et ont été relevées par des policière
chypriotes turcs. Les forces turques sont restées à l'e^rtérieur
et n'op_t pas été autorieéce à pénétrer dans l'Hôtel­

271­ E n tant que médecin, le témoin a été autorisé à quitte:,''


l'Hôtel, escorté par un policier chypriote turc, pour aller voir? eee
malades. Dons les débuts, d.'autree personnes aussi pouvaient quitter
l'Hôtel sous escorte, pa:: e:^emple pour aller à la bang^ue ou au marché,
mais des restrictions de nlu.s en plus nombreuses ont été imposées
après Noël 1974­ L'inspecteur de police chypriote turc qui était
de garde à l'ent::ée de l'Hôtel recevait sez ordres du commandant
turc, auquel il faisait rapport chaque fois qu'un problème ec posait.

(1) UN doc. S/11353/Add­ 11, par. 5.


(2) UN doc. S/ll953/Add. 25­ T^ar. 10, 12 et 18,
(3) I3N doc. S/11717, par. 40.
(4) Compte rendu intégtoal, P P . 72­86.
- 96 -

Le commandant lui-même est entré d.ans l'Hôtel à trois


reprises. Au départ, les personnes séquestrées dans l'Hôtel
n'ont pas été autorisées à aller sur les vérandas de sorte qu'elles
ont demandé au commandant la permission d'aller à la piscine die
l'Hôtel. Cette permission leur a été accordée et, en septembre, ^
elles ont aussi été autorisés à sortir de l'Hôtel pour aller se
promener sur le port deu.^: fois par semaine, et pour se rendire dans
une églises voisine, le d;.imanche, entre 9 heures et 11 heures.
Toutefois, en décembre 197^-» ces sorties ont'été supprimées sans
autre explication. Le témoin a demandé au commissariat de police
de lui délivrer im laisses-passer pour pouvoir faire plus facilement
son travail de médecin, mais il n'a pas obtenu gain de cause.
Toutefois, il a pu retourner de temps à autre chez lui, soue
escorte, pour y chercher d.es instruments chi:?urgicaiix ou dec
médicaments. Promesse^a été faite à plusieurs j?eprises am:
personnes séquestrées à l'Hiôtel du Dôm.e qu'elles seraient autorisées
à rentrer chez elles ; H. Denhtash, qui est venu à l'Hôtel avec
lU Clerides, l'avait également promis. Les conditions de vie d.ans^l'Eôtel
était meilleures que dans
y a v a i t ^ ^ " '^^ r^T^â^a
d'autres régions du nord de Chypre. Au début,
/^o-^ •> iTT^+-rsi rs^^i^^r^-;-*- -^v^^-i-^^ /cnn *v«-«„-^«« ^-i_ c-^
en avait
vivres o._. ^^ ^^ ^^ u^m^jua
1975, il n'y restait plus que"^5"personnes^
272. D'autres témoins ont évoqué les conditions de "détention"
à l'Hôtel du Dôme:

Le témoin Soulioti, qui a déclaré qu'avant la création d.ee


"véritables zones de concentration", pendant la seconde
phase de l'action militaire turque, "quelques pereormes
avaient été ramassées dans les villages à l'ouest de K^i?enia,
pendant la premiè:?e phase, et conduitee à l'Hôtel du Donc"

- a pas été tenue, mais les détenus ont été autorisée _


faire une promenade de temps en temps et à aller à l'église ;
ces privilèges ont été supprimés plus tard (3)*

Le témoin Stylianou, qui a déclaré que 47 personnee étaient


encore détenues à l'Hôtel du Dôme le 4 août 1975 ( 4 ) .

Le témoin lacovou, qui a déclaré (5) qne les habitante 0.c


Kyrenia s'étaient réfugiés à l'Hôtel du Dôme à cause d.ee
atrocités perpétrées pendant les prem.iers jours de l'action
militaire turque. Plus tard, ils ont voulu rentrer dans leurs
foyers à Kyrenia, mais en dépit des promesses faites par
les dirigeants turcs, l'autorisation ne leur a pas été d.ormôe.
Environ cinq familles seulement ont été autorisées à rentrer
chez elles ; les autres ont été transférées vers la eone
contrôlée par le Gouvernement recuérant ( 6 ) . /i

(1) Compte rendu intégral,p. 7-


^2) Compte rendu intégral, p- 13-
(,3) Compte rendu intégral, p. I5.
(4) Compte rendu intégral, p. 32.
(5) Compte rendu intégral, p. 169.
(6) Cf. Chapitre 1 ci-deseus, par. 148-149»
- 97 -

273- Seules quelques déclarations écrites soumises par le


Gouvernem_ent requérant font référence aux conditions de vie.à
1'Hôtel du Dôme.
- L'auteur d'tme de ces déclarations (l), une femm.e oui s'est déclarée
propriétaire d'tm super-marché à Kyrenia, a signalé que le
23 juillet 1974, les membres autrichiens de l'UNCIVPOL (police
civile de l'UNI''ICYP) avaient conseillé à tous les Chypriotes grecs
d'aller à l'Hôtel du Dôme, qui était gardé par des membres
autrichiens et canadiens de la Porce chargée du maintien de la paix.
Ch3o_ue fois que des soldats turcs de Turquie continentale ou des
Ch;;/priotes grecs ont visité les locaux de l'Hôtel, ils ont été
escortés par des m_embres de l'UNPICYP. D'un autre côté, les
délégations de l'UNPICYP et du CICR, et les journalistes étrangers qui
sont venus à l'hôtel, devaient être escortés par des soldats ou
des policiers turcs, qui étaient présents chaque fois que les
personnes séquestrées dans l'Hôtel avaient des contacts avec des
étrangers. Par ailleurs, les Turcs empêchaient les agents de
l'UNPICYP de se déplacer librement dans l'Hôtel. Un jour, ils
ont tra:asféré, sans aucune escorte des Nations Unies, tous les
hommes âgés de 18 à 58 ans à la prison de Saray, à Nicosie; au
bout de six joirrs, seuls quelques personnes âgées et ouelq^aes
citoyens britanniques ont été renvoyés à l'Hôtel du Dome.' A
la mi-août, l'armée turque et des officiers de police ont sommé
l'UNPICYP de quitter l'Hôtel et de le leur remettre dans les
trois heures, faute de quoi on tirerait sur son personnel.
Les membres de l'UÎ^IPICYP sont partis après avoir" informé les
personnes demeurant dans l'hôtel qu'ils.avaient reçu l'assurance
qu'il ne leur arriverait rien. Plus tard, des militaires turcs
ont autorisé des membres de la Croix-Rouge à rester avec les gens
de l'Hôtel. Les militaires turcs étaient libres d'entrer dans
l'Hôtel et ont amené d.e temps à autre des journalistes de Turquie
pour faire des intervievjs. JJOS personnes séquestrées dans l'Hôtel
ont constitué un comité chargé de s'occuper de tous leurs problèmes.
Avant que l'auteur de la déclaration eut été relâché avec sa
famille, le 13 septembre 1974, des soldats turcs leur ont dit
qu'ils seraient échangés contre des prisonniers turcs.

- L'auteur d'une autre déclaration (2), une femme de 23 ans, a


déclaré être allée à l'Hôtel du Dôme avec sa famille le
23 juillet 1974, à la suite de l'occupation de Kyrenia par
l'armée turque, la veille. L'entrée et les abords de l''Hotel
étaient gardés par des policiers turcs et des membres de la
police militaire turque. Les jours suivants, des soldats turcs
ont amené à l'Hôtel des Grecs de Kyrenia et de villages voisins
(Ayi o s Ge orgi o s, Trimithi, Karmi, Ptherikha, Karava s}, environ
400 personnes en tout. Au début d'octobre les persormes
séquestrées dans l'Hôtel ont été autorisée à aller dans leurs
maisons, sous escorte^ pour les inspecter. Le 6 octobre, après
en avoir reçu l'autorisation, elles ont été accompagnées par
des T^ircs à l'église de K. Kyrenia pour la nettoyer.

,/
(1) Déclarations I, No. 39.
(2) Déclarations I, No. 67
­ 98 ­

IV, E valuation des elements de preuve recueillis


2'^4. La Commission considère eue les éléments de preuve reeeuillis
permettent d'établir que des Chypriotes grecs du nord de Chypre ont été^
séquestrés pendant de très longu.es périodes dans certains endroits,
notamment des centres de détention, des maisons particulières et l'Hôtel
du Dôme à Kyrenia.
275. E n ce qui concerne les centres de détention, il a été établi­
qu'il en existait dans des écoles et des églises à Voni, Gypsou et
Morphou. Certains indices permettent aussi de penser que des centres
analogues ont e^cisté à Marathovouno et Vitsada, mais la Commission n^est
pas en mesure, à partir des éléments dont elle dispose, de préciser les
conditions qui y régnaient. Il ressort de déclarations écrites et
orales eue les persormes infennées dans les centres de détention
installes dans ces deux villages ont été évacuées vers Gypsou avant la
conclusion, en novembre 1974, des arrangements intercommunautaires
portaiat sur le transfert vers le sud des personnes soumises à ces mesurer
de séquestration. Ceci expliquerait pourquoi l'accord intercommunautaire
pertinent mentionne seulement Gypsou et Voni. Par ailleurs, il y a tout
lieu de penser que le centre de Morphou n'a été complètement installé
que plus tard.

276. La Commission tient pour établi que plus de 2.000 Chypriotes


grecs, principalement des civils, parmi lescuels se trouvaient des
vieillards et des enfants, ont été transfères dans les centres, que
leur liberté de mouvement y a été en conséquence restreinte et qu'ils
ont été gardés à vue dans des conditions déplorables. Ceci est confirmé
non seulement par les dépositions écrites et orales de personnes ayant
déclaré avoir été elleG­mêmies séquestrées dans un ou plusieurs de ces
centres, mais encore par des témoignages indépendants, comme les
déclarations faites par dos agents de l'UNHCR et du CICR à une réunion
intercommunautaire, dont le procès verbal est jugé exact par la
Commission, et le compte rendu d'un journaliste qui a décrit les
conditions de vie à Gypsou. Si les documents pertinents des Nations
Unies ne donnent pas de détails sur les conditions d'existence dans les
centres, ils ne contredisent nullement les constatations susmentionnées,
mais tendent généralement à les confirmer. Les personnes séquestrées
dans ces centres l*o?it été, dans la plupart des cas, pendant deux à troir;
mois.

277. E n ce qui concerne la séquestration dans des maisons particulière


la Commission estime qu'une dietinction doit être faite entre les maisonr^
utilisées comme annexes des centres de détention, et les autres maisons,
(a) Il ressort de certains témoignages qu'au moins à Gypsou et
Morphou, des maisons particulières ont servi d­annexes aux centre
ce détention existant dans ces localités,
se
sin
dans
(b) Il ressort aussi de témoignages que dans d'autres localités, par^
exemple Lapithos, des Chypriotes grecs ont aussi été séquestrés
dans des maisons particulières, qui leur appartenaient ou dans
lesquelles
lesquelles ils
lis avaient
avaient été
ete transférés. Tout port^
transieres. xout porte à croire ■
ont parfois
que les conditions d^e:^istence dans ces maisons O]
été analogues à celles qui régnaient dans les cen'très de ..
- 99 -

détention ; toutefois, la Commission n'a pas été en mesure, à partir


des éléments dont elle disposait, de se faire une idée précise de toutes
les circonstances pertinente,s, par exemple la durée de la
séquestration, le nombre de persormes touchées, le point de savoir si
elles étaient gardées à vue en permanence, etc.
278. En dernier lieu, en ce qui concerne la séquestration de Chypriote,
grecs à l'Hôtel du Dôme, la Commission constate qu'elle a pris la relève
de la garde tutélaire'' des Nations Unies, qui existait aussi à Bellapais
Bien qu'il ait été démontré à la Commission que des Chypriotes grecs de
Kyrenia et des villages voisins ont été conduits à l'hôtel par des
militaires turcs, alors que celui-ci se trouvait encore sous le contrôle
des dations Unies, il est difficile de savoir si cela s'est fait contre
leur gré. Outre ces -Chypriotes grecs, il y a eu sans doute de
nom.breuses personnes, dont le principal témoin qui a déposé devant la
Commission au sujet de cette question à savoir le docteur Charalambides,
qui sont allés se réfugier à l'Hôtel de leur plein gré, certaines sur
les conseils de l'UNPICYP. Toutefois, la Commission tient pour établi
que les personnes se trouvant à l'Hôtel ont rapidement vu leur liberté
de déplacement soumise à des restrictions. Ils ne pouvaient quitter
l'Hôtel, sous escorte, qu'après en avoir obtenu l'autorisation,
autorisation qui était accordée au compte-goutte, pour aller faire des
courses, se rendre à l'église, faire xme promenade hygiénique deux fois
par semaine et, semble-t-il, vne fois au début d'octobre 1974, pour
allet inspecter leurs maisons. A cette exception près, les personnes
séquestrées dans l'Hôtel n'ont pas été autorisées à se rendre dans
leurs maisons. Les arrangements en faveur du docteur Charalsimbides,
qui a été autorisé à aller chercher chez lui des médicaments et des
instruments chirurgicaux, ct à se rendre au chevet de malades à
Kyrenia, ont eu, semble-t-il, un caractère spécial et ne sauraient
être tenus pour représentatifs. Par ailleurs, la Commission tient
pour établi qu'après le retrait de l'UNPICYP, l'Hôtel du D'dme a été
gardé par des Chypriotes turcs, placés sous les ordres d'iin commandant
turc, qui est venu de temps è- autre inspecter l'Hôtel. Les
autorisations de quitter l'Hôtel ont été délivrées de plus en plus
rarement, particulièrement après Noël 1974. D,ns leur majorité, les
personnes séquestrées dans l'Hôtel ont apparemment été transférées
vers le sud pendant le premier trimestre de 1975.

^' Responsabilité de la Turquie au regard de la Convention


279. 11 a été établi qu'un grantl nombre des personnes
séquestrées dans les centres de détention ou à l'Hôtel du Dome
y avaient été conduites par l'armée turque (1).
280. Il a aussi été établi que les centres de détention étaient
comunandés par des officiers turcs (2), auxquels les gardes,
notamment des militaires turcs et des policiers chypriotes turcs,
rendaient compte lorsque des décisions importantes devaient être prises.

TT7 Cf. par. 247, 250, 267, 270 et 272 ci-dessus.


(2) Cf. par. 251, 254, 255 et 257 (la déclaration isolée du
Réfugié B, affirmant le contraire, n'est qu'un témoignage
indirect et n'infirme pas, en principe, les autres témoignages
reeeuillis, qui font référence à des centres et des périodes
différentes.
- 100 -

281, Une situation analogue a existé à l'Hôtel du Dôme après


le 14 août 1974, date h laquelle l'UNPICYP a été contrainte
d'évacuer l'Hôtel, qui est passé entièrem.ent sous le contrôle des
autorités militaires turques (l). Toutefois, la Commission n'a pas
été en mesure, à partir des éléments de preuve dont elle disposait,
ce préciser le degré de contrôle que les Turcs exerçaient sur
l'Hôtel avant cette date (2)•

282o II s'ensuit que les personnes séquestrées dans les centres


de détention, et celles séquestrées à l'Hôtel du Dôme après
le 14 août 1974, se sont trouvées sous le contrôle effectif de
l'armée turque. La Turquie a donc exercé sa juridiction sur ces
personnes, au sens de l''article 1 de la Convention, tel qu'il a été
interprété dans la décisiora de la Com.mission sur la recevabilité,
et la séquestration de ces personnes doit donc être imputée à la
Turquie au regard de la Conventione

283. En ce qui concerne la séquestration dans des maisons


particulières, la Commission constate que les conditions de séquestration
dans des résidences particulières ayant servi d'annexés aux centres de
détention ont été les m.omes que dans ces derniers ; en conséquence,
la séouestration de Chypriotes grecs dans ces miaisons doit aussi être
imputée à la Turquie, vu que ces personnes ont été placées sous le
coTumandement d'officiers turcs et gardées avec l'a:'de de soldats turcs (3'
284. En revanche, la Commission n'a pas été en mesure de préciser les
conditions de séquestration dans d'autres m.aisons particulières isolées.
Toutefois, tout porte à croire que ces locaux, également, ont souvent
été sous le contrôle de l'armé turque (4).
VI* Conclusions
285- La Commission conclut par 13 voix contre une que la séquestration
de plus de 2.000 Chypriotes grecs dans des centres de détention installés
dans des écoles et des églices à Voni, Gypsou et liorphou, séquestration
qui est imputable à la Turquie, a représenté une privation de liberté au
sens de l'aritcle 5(1) de la Convention. La séquestration dans ces
centres n'a été ordoîmée conformieraent à aucune procédure prescrite par la
loi, et n'a répondu à aucum des motifs justifiant la détention qui sont
visés aux alinéas (a) à (f) de l'article 5(l). Il s'ensuit que la
séquestration de Chypriotes grecs dans les centres de détention G U S -
mentionnés n'a pas été conforme à l'article 5(1) de la Convention.
285. Par ailleurs, la Commission jiige par 13 voix contre une que la
séquestration de Chypriotes grecs dans des maisons particulières à Gypsou
Morphou, maisons dans lesquelles ces persormes ont été gardées dans do
aire à

(1) Cf. en particulier par. 270, 271 et 273 ci-dessus.


(2) Cf. par. 166-269 ci-dessus.
(3) Cf. par. 260 et 262 ci-ucssus.
(4) Cf. par. 261, 263 et 264 ci-dessus.
- 101 -

287. En dernier lieu, en ce qui concerne l'Hôtel du Dôme,


la Commission n'est pas'appelée à examiner la compatibilité de
la "garde tutélaire" offerte initialement par les Nations Unies
avec les dispositions de l'article 5 àe la Convention. Comme il
n'a pas été précisé dans auelle mesure les autorités turques
contrôlaient l'Hôtel avant le retrait de l'UNFICYP, la Commission
se propose de restreindre ses conclusions à la période postérieure
au 14 août 1974, date à laquelle l'entière responsabilité de
l'Hôtel a été assumée par les autorités turques.
238. La séquestration, après cette date, de Chypriotes grecs
dans les locaux de l'Hôtel, sans qu'ils aient la possibilité d'en
sortir sans autorisation et sans escorte, a représenté,- selon la
Commission, une privation de liberté au sens de l'article 5 (1) ^e
la Convention. Cette privation de liberté n'a été ordonnée
conformément à auctme procédure prescrite par la loi et n'a
répondu à aucun des motifs pouvant justifier la détention, qui
sont visés aux alinéas (a) à (f) de l'article 5 (l)-
La Commission conclut par 10 voix contre 2 et 2 abstentions
que la séquestration de Chypriotes grecs à l'Hôtel du Dôme à
Kyrenia après le 14 août 1974, imputable à la Turquie, n'a pas été
conforme à l'article 5 (l) àe la Convention.
289. La question de savoir si l'im quelconque des cas de
privation de liberté susmentionnés pouvait se justifier au regard
de l'article 15 (l) de la Convention sera examinée dans la
Partie III du présent Rapport.

0. "Prisonniers et détenus"
I. Arprum-entation des parties
(l) Gouvernement requérant
290. Le Gouvernement requérant fait valoir que les forces
armées turques ont arrêté et détenu, arbitrairement et sans
justification légale, des centaines de Ch;^^riotes grecs, tant à
Chypre qu'en Tarquie (l).
291. Le Gouvernement déclare qu'.en pénétrant dans les régions
habitées, les forces turques en ont immédiatement arrêté les
habitants chypriotes grecs. En règle générale, les hommes ont
été séparés et détenus d l'écart des vieillards, des fenanes et
des enfants (2).

1) Requête I, par. 3.
Il]2) Détails I. par. 20 G et 22 A.
­ 102 ­

Des Chypriotes grecs de sexe masculin ont été détenus


prisonniers, notamment, à la prison de Saray et au garage
Pavlides^ dans le secteur tturc de Nicosie. La plupart d'entre
eux ont été déportés ultérieurement en Turquie, où ils ont été
emprisonnés à Adana, Amasia et Atiama. Les persormes déportées
étaient pour la plupart des civils âgés de 16 à 70 ans .(!)•
La Tarquie n'a pas communiqué de listes complètes de
ces détenus. ^Au total 2.460 personnes^ dont plus de 2.000
avaient été déportées en Turquie, ont été progressivement libérées
en application des arrangements intervenus (2). Le dernier groupe
de prisonniers détenus en Turouie a été libéré à la fin d'octobre
1974 (3).
292. E n outre, le Governement requérant déclare que certains
indices conduisent à penser qu'il y a im certain nombre de
persormes portées disparues parmi^celles qui ont été expatriées,
et il invite la Commission à enquêter sur le point de savoir si
elles sont encore détenues en Turquie (4).
(2) Gouvernement défendeur
295. Le Gouvernement défendeur qui, pour les raisons exposées
ci­dessus (5), n'a pas pris part à la procédure quant au fond, n'a
formulé aucune conclusion au sujet de ces allégations. ^Le
Représentant Permanent de la Turquie a contesté^ à la réunion du
6^bctobre 1975 (6), le témoignage de H. Pirkettis au sujet de la
détention en Turquie.
II. Article pertinent
— ■ ■ 1 1 ^ — Il I. .11—III I !■ ■im.ll I.M-.I
de la Convention
..11.. 11». ■ !■! Il . . ■ — ■ ■ - .1.11 ■ ■ - I ■ « I l I ■■■!

294. La Commission considère que les allégations susmentiormées


relatives à l'arrestation et à la détention de Chypriotes grecs de sexe
masculin comme dos "prisormiers et détenus" soulèvent des questions
sur le plan de l'article 5 à.e la Convention (7). La question
de savoir si les conditions de cette détention ont été contraires
à l'article 3 à.e la Convention fera l'objet d'un examen distinct (8).
III. E léments de preuve recueillis
295. 11 a déjà été signalé que les "Chypriotes grecs enclavés"
et les personnes séquestrées dans les "centres de détention" dans
le nord de Ch;>^re n'ont pas été qualifiés de "prisonniers et
détenus" dans les accords intercommunautaires et les documents
pertinents des Nations Unies (9). La Commission se doit

Détails I, par. 20 G et I.
Détails I, par. 20 I.
3) Détails II, par. 12 K.
Ibid*
Cf. Partie I, par. 23.
Cf. Partie I, par. 40 et Armexe XIV.
Pour le texte de l'article 5, cf. par. 220 ci­dessus,
Cf. Chapitre 4 B ci­dessous.
Cf. par. 221­223 et 245 ci­dessus.
- 103 -

maintenant d'examiner la situation des personnes que les deux


Parties aux présentes requêtes ont officiellement qualifiées de
"prisonniers et détenus". A cet égard, la Commission observe
qu'apparemment les deux camps ont eu "^^des prisonniers et des
détenus", dont les effectifs étaient comparables. Toutefois,
la Commission n'a h se prôccuper, en l'espèce, que des
''prisonniers et détenus" chypriotes grecs, dont la détention
est imputable à la Tarquie. Elle note que 2.487 "prisonniers
et détenus" chypriotes grecs avaient été libérés au mois
d'octobre 1974, en application de plusieurs accords
intercommunautaires Cl)-
296. Les accords intercommunautaires et les documents des
Nations Unies faisant référence à ces personnes ne font état
que de la libération des "prisonniers et détenus", et de leur
transfert vers leurs camps respectifs. Ils ont été décrits
ci-dessus dans le contexte du déplacement des personnes
concernées (2).
Dans l'ensemble, lesdits documents ne donnent pas de
détails sur les circonstances dans lesquelles ces persormes
ont été faites prisonnières» Toutefois, il ressort de ces
documents Q'^'il J avait parmi elles des civils (3), des
individus âgés de moins de 18 ans et de plus de 55 ans, ainsi
que des religieux, des médecins et des travailleurs paramédicaux
(4), et qu'un certain nombre de ces "prisonniers et détenus"
ont été déportés en Turquie (5).

297» D'autres documents des Nations Unies font référence aux


prisonniers et détenus, ù savoir:
- un rapport du 31 juillet 1974, selon lequel l'UÎTFICYP et
le CICR ont défini d'un commun accord, le 30 juillet, leurs
domaines d'activités respectifs; le CICR s'est chargé,
notamment, de venir en aide aux "prisonniers" (6);
- ""on rapport du 5 août 1974 signalant que la plupart des hommes
des villages chypriotes grecs situés'dans les zones alors
contrôlées par les forces turques avaient été faits
prisonniers et conduits, escortés par des militaires turcs,
vers la zone de Boghazi-Getmyeli-Orta Keuy (7);
- un rapport du 6 août 1974, signalant que le CICR avait rendu
visite à 127 Ch3q;>riotes grecs de sexe "masculin qui avaient
été conduits de Kyrenia au commissariat de police de Saray (8);

./.
(1) Cf. UL^T doc. S/1156S, par. 51.
(2) Cf. Chapitre 1 ci-dessus, en particulier par. 135-149.
(3) Cf. la Déclaration tripartite de Genève du
30 juillet 1974, ainsi que la note de la Turquie addressee
;\ l'UNPICYP le 4 août 1974, mentionnée au Chapitre 1
ci-dessus, par. 135-136.
(4) Cf. Chapitre 1 ci-dessus, par. 138-139.
(5) Cf. Chapitre 1 ci-dessus, par. IpO et ss.
(6) UIT doc.'^S/11353/Add. 12, par. 5-
(7) UN doc. S/11353/Add. 15, par. 3 b.
(3) UN doc. S/11353/Add. 16, par. 8.
- 104 -

- ma rapport du 15 août 1974, selon lequel les chars turcs avaient


atteint le vieux quartier de Pamagouste, où des membres de la
Garde nationale ont été faits prisormiers; le coiomandant turc
a alors demandé aux troupes de la Garde nationale se trouvant
dans la zone de i'"amagouste de se rendre, et la Garde nationale
a demandé des conditions précises de reddition (l);
- mi rapport du 10 septembre 1974, selon lequel 50G Chypriotes grecs
ont été capturés le 26 août par les forces turques dans la
région de Karpasia; les habitants de cette région avaient
des difficultés pour récolter le tabac, car la plupart des
hommes jeimes étaient détenus (2).
298. L'un des témoins entendus par la Délégation de la
Commission, M. Pirkettis, a déclare avoir été fait prisonnier et
déporté en Turquie (3)* Il se trouvait en vacances dans le nord
avec sa famille et s'était réfugié dans ime mnison de Trimithi
à l'arrivée des troupes turques. Les habitants de Trimithi ont
été rassem^blés dans l'école et dans l'église et emmenés de force,
par deux fois, à Boghazi^ les 26 et 29 juillet 1974. La seconde
fois, tous les hommes âges de 15 à 70 ans, dont le témoin, ont
été séparés sur place de leurs familles et enfermés dans un parc
à moutons. En face, il y avait ""in enclos dans lequel étaient
gardés des militaires chypriotes grecs ^ui avaient été faits
p.risonniers auparavant. Certains ont déclaré être là depuis
9 jours déjà« Le lendemain, on a attaché les prisonniers, on
leur a bandé les yeux et on les a embarqués sur un navire h
destination de Mersin, en Turquie. Parmi les prisormiers se
trouvant sur le navire, il y avait des militaires chypriotes grecs,
qui ont été séparés des autres détenus à l'aide de barbelés.
De Mersin, le témoin a été conduit avec d'autres prisonniers à
Adana et transféré, vers Adana, le 26 août. Il a été libéré et
transféré vers le sud de Chypre le 26 octobre 13?^\-»
Le témoin a dorme des détails sur quelques-uns de ses
codétenue. L'un d'emc était gardien de prison, un autre
chirurgien de la police ch;}^riote (4). Il a aussi parlé du
beau-pere d'un policier qui avait été arrêté en même temps que
lui à Trimithi "(5)- H s estimé que sur les 2.000 personnes
e:>cpatriées, environ 400 seulement étaient des militaires (6).
Les militaires n'ont pas été séparés des civils pendant leur
duétention en Turquie (7).
299. Les autres témoins qui ont parlé de prisonniers et
de détenus sont les suivants:

/.
UN doc. S/11353/Add. 27, par. 4 et 5.
TIN doc. S/11468/Add. 1, para. 8.
Compte rendu intégral, p. 40-57.
Cf. Compte rendu intégral, p. 49.
Compte rendu intégral, p. 50.
Compte rendu intégral, p. 52,
Compte rendu intégral, p. 53.
— J-'-'p —

- Mme Soulioti, qui a fait référence à des listes de "prisonniers


de guerre" communiquées à la Croix-Rouge, et qui a déclaré
que les deux endroits où ces prisormiers avaient été détenus
S Chypre étaient la prison de Saray et le garage Pavlides à
Nicosie (!)• Elle a déclaré avoir assisté à la libération
des prisonniers de guerre, dont la plupart avaient été cond.uits
à Adana et libérés sur place. Sur les 2.526 prisormiers de
guerre, seuls 146 n'avaient pas été emmenés en Turquie. Ils
n'étaient pas tous membres des forces armées: il y avait parmi
euj>: des prêtres et des civils qui avaient été faits prisonniers
dans leurs villages, après avoir été séparés de leurs
familles (2).
- Le docteur Hadjikakou, qui a déclaré qu'à leiu? arrivée dans
les villages chypriotes"grecs, les troupes turques avaient
l'habitude de séparer les hommes des autres habitants et de
les conduire soit au "camp de concentration du garage
•Pavlides", soit à la prison de Saray, à Nicosie, où ils
les détenaient pendant des périodes allant de quelc^ues jours
à plusieurs mois. Un grand nombre a été transporte par
bateau en Tarquie. Il a entendu raconter la même histoire
par 30 à 40 personnes, qui faisaient partie de ses électeurs
ou d^e ses malades (3). Le témoin a aussi soumis un dossier
qu'il avait établi, dormant des détails sur des cas
individuels (4).
- Le témoin Azinas, qui a déclaré que des directeurs de
coopérative avaient été conduits à Adana, parmi lesquels le
gérant de la Coopérative des planteurs de tabac, dont
un Ch^^riote turc a pris la place (5).
300. Ont aussi parlé de personnes faites^prisormièrs les
personnes suivanbes interrogées par les Délégués de la Commission:
- La réfugiée A., d'Ayios-Georgios, a déclaré avoir vu des
soldats turcs faire prisonniers deux soldats dans la rue de
son village (6), nés soldats turcs ont fouillé sa maison et
arrête son fils et dem: autres soldats. On n'a eu aucune
nouvelle d'eux par la suite (7). Son autre fils servait dans
l'armée à Koutsovendis pendant la seconde phase de l'intervention
militaire turcue. On l'a vu pour la dernière fois au garage
Pavlides (8).'
- La réfugiée C , de Karmi, a déclaré que dans son village les
Turcs avaient séparé tous les hommes des autres habitants,
et les avaient emmenés en Turquie; son fils a été détenu en
'Turquie (9).
./.
Compte rendu integral, p. 18.
Compte rendu intégral, p. 22-23.
Compte rendu intégral, p. 108,
Addendum., pp. 38-44,
Compte rendu intégral, vv, 224-227»
Addendum, p. 1.
Addendum, p. 2.
Addendum, p. 3-
Addendum, p. 7.
106

- Le réfugié E«, de Kythrea, a déclaré avoir donné des vêtements


civils à 6 militaires grecs qui étaient venus chez lui. Il
les a identifiés plus tard lors d'une confrontation organisée
par un officier turc ("capitaineà trois étoiles"), et ils
ont été arrêtés (1
- Le réfugié H., un garçon de 14 ans, a déclaré que les gens
de son village avaient été rassemblés dans l'école, le
15 août 1974, au moment de l'arrivée des soldats turcs;
ces derniers les ont conduits en dehors du village, et
fouillés. Tous les jeimes de 18 à 40 ans ont été arrêtés
et conduits au commissariat de police de Saray, à Nicosie (2),
301. De nombreuses déclarations écrites soumises par le
Gouvernement requérant émanent de personnes qui ont déclaré
avoir été faites prisonnières ou avoir assisté à l'arrestation
d'autres persormes (3). Plusieurs d'entre elles ont déclaré
qu'elles étaient membres de la Garde nationale et qu'elles
avaient été conduites en 0?urquie continentale (4); certaines
dont un prêtre et le chef d'une commission de village, ont déclaré
qu'elles étaient des civils et qu'elles avaient été emmenées
en Turquie (5). L'une d'elles a déclaré être chef de village
et avoir été arrêtée par les Chypriotes turcs, puis détenue
à la prison de Saray et au garage Pavlides (6;.
Le Gouvernement requérant a soumis, le 13 mai 1975,
sept autres déclarations qui auraient été faites, à leur
libération^ par des Chypriotes grecs de se::e masculin qui avaient
été déportes et détenus en 0?urquie (7). Le Gouvernement a aussi
communiqué "un dossier contenant "une sélection de faits et
de divers indices concernant des prisonniers de guerre chypriotes
grecs non déclarés et des personnes portées disparues", établi
en août 1975 par le "Comité panchypriote des parents et membres
de la famille des prisonniers non déclarés et des persormes
portées manquantes" (8),
302, En dernier lieu, la Délégation de la Commission a assisté
à la projection de films d'actualités de la Compagnie chypriote
de radiotélévision, m.ontrant l'arrivée de prisonniers de guerre
libérés (9) et 1'interview d'un ancient prisonnier de guerre (lO).

/ .
1) Addendum^ p. 11.
2) Addendum, p<. 13.
3) Déclarations l. Nos. 5, 53, 35, 36, 37, ^ , 53, 63, 79,
33, 36, 83^ 90, 92, 93, 95. Declarations II, Nos, 1,
12, 15, (detenus au cam^p d'Acrades).
4) Déclarations I5 Nos. 3,"55, 36, 37, 79, 93.
5) Par e::ample, Declarations I, Nce. 86. 88, 92 (un prêtre),
96 (un chef'de commission de village)•
il] Déclarations 1, No. 33
Pour de plus amples détails, cf. Chapitre 4 B ci-après,
par. 3891
(8) Pour de plus amples détails, cf. Chapitre 3 ci-après,
par«, 33O0
(9) Addendum, n. 99, No. 2 et 7.
(10) Ibid., No.^6,
- 107 -

IV. Evaluation des éléments de preuve recueillis


305„ La Commission tient po'-ir établi que plus de 2.400 Chypriotes
grecs ont été arrêtés pendant la première et la seconde
phases de l'a ction ij^iiitaire turque, et emprisonnés jusqu'à leur
libération, intervenue en application d'accords intercommunautaires
conclus en septembre 1974 et e::écutés à la fin d'octobre 1974.
La CorDmission constate que plus de 2.000 de ces prisonniers ont
été déportés en Turquie, où'ils ont été détenus dans les prisons
d'Adana et d'Amasia. Les autres, environ 146 personnes selon le
témoin Soulioti, ont été séquestrés dans deux endroits dans le secteur
turc de Nicosie, à savoir la prison de Saray et le garage Pavlides,
304« Le Commission constate qu'il y avait parmi ces prisonniers
un nombre appréciable de mem^bres de la Garde nationale, mais que
ces derniers n'ont pas tous été arrêtés pendant la phase des
combats véritables. Toutefois, certains indices donnent à penser
que tous ces militaires ont été ultérieurement déportés en Turquie,
305» La Commission constate, par ailleurs, que de nombreux
prisonniers étaient des civils, qui ont été détenus dans le nord
de Chypre ou déportés en^Tarquie, notamment n. Pirkettis, le
principal témoin qui a déposé devant la Commission sur ce point,
3C6. La Commission n'a pas été en mesure de déterminer si des
prisonniers Chypriotes grecs non déclarés sont encore détenus
par les Turcs, comme le prétend le Gouvernement recuérant.
Le problème des.personnes portées disparues fera l'objet d'un
examen distinct tl).
W Responsabilité de la -Turouie au regard de la Convention
307. Les Chypriotes grecs déportés et emprisonnés en Turquie
se sont manifestement trouvés sous le contrôle effectif des
autorités turques et, par là-même, sous la jim?idiction de la
Tarquie au sens de l'article 1 de. la Convention. Leur détention
doit donc être imputée à la Turquie au regard de la Convention.
306c La Commission n'a pas pu recueillir suffisamment
d'indices pour établir que les deux emplacements où des prisonniers
ont été gardés dans le nord de Chypre, à savoir la prison de
Saray et le garage Pavlides, étaient sous le contrôle de l'armée
turque ou étaient gardés par des militaires turcs. En conséquence,
la Commission n'est pas e:a mesure, à partir des éléments dont
elle dispose, de dire si la détention'de Chypriotes grecs dans
ces endroits est ou non imputable à la Tarauie.

•A
(1) Cf* Chapitre 3 ci-après, par, 3I6. 330-342 et 351.
- 108 -

"V"!. Conclusions
309. La Commission considère que la détention de militaires
chypriotes grecs en Turquie, qui est manifestement imputable à
la Turquie au regard de la Convention, a représenté une privation
de liberté au sens de l'article 5 (l) àe la Convention» Vu que
cette détention n'a répondu à aucun des motifs prévus aux alinéas
(a) à (f) de cette disposition, la Commission conclut par 13
voix contre tme qu'elle n'a pas été conforme à l'article 5 (1)
de la Convention^
310. En ce qui concerne la détention de civils chypriotes grecs,
la Commission considère que, dans la mesure où elle a eu lieu
en 'Turquie et où, par ^conséquent, elle est imputable à la Turquie,
elle a également représenté une privation de liberté au sens de
l'article 5 (l) de la Convention, et qu'elle n'a répondu à auctm
des objectifs visés aux alinéae (a) à (f) de cette disposition.
En conséquence, la Commission conclut par 13 voix contre une que
la détention de civils en Turquie a également été contraire à
l'article 5 (l) de la Convention.
311. Toutefois, vu qu'elle n'a pas été en mesure d'établir
l'imputabilité à la Turquie, au regard de la Convention, de la
détention de 146 Chypriotes grecs à la prison de Saray et au
garage Pavlides, dans le secteur turc de Nicosie (l), la
Commission conclut par 10 voix contre 2 et 2 abstentions qu'elle
n'est pas appelée à formuler un avis sur la coriformité avec
l'article 5 de la Convention de la détention de prisonniers
chypriotes grecs dans le nord de Chypre.
312. La question de savoir si l'tm quelconque des cas de
privation de liberté susmentionnés, en particulier la détention
de militaires comm.e prisormiers de guerre, a été justifiée au
regard de l'article 15 de la Convention, sera examinée dans la
Partie III du présent Rapport.
313- La Commission a tenu compte du fait que Chypre et la
Turquie sont Parties à la (troisième) Conventioia de Genève du
12 août 1949, concernant le traitement des prisonniers de guerre,
et qu'au sujet des événements de l'été 1974, la Turquie, en
particulier, a assuré le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) de son intention d'appliquer la Convention de Genève et
de sa volonté d'accorder toutes les facilités nécessaires pour
une action humanitaire (2)« De fait, des délégués du CICR ont
pu aller voir régulièrement les militaires et les civils auxquels
les autorités des deux camps avaient accordé le statut de prisormiers
de guerre (3). Parmi ces personnes, il y avait, avant la reprise

(1) Sf, par. 3O8 ci-dessus,


(2) Cf. International Reviev; of the Red Cross, 14 (1974),
p. 456.
(3) Ibid., p. 605.
- 109 -

des hostilités, le 14 août 1974, 385 Chypriotec grecs à Adana,


qui ont rreçu la visite de dem: délégués du CICR, dont l'im était
médecin, 63 Chypriotes grecs à la prison de Saray, située dans
le secteur turc de Nicosie, et 3.268 Chypriotes turcs dans
des camps à Chj^-pre (l).
Après la fin des combats du mois d'août, le CICR a obtenu
l'autorisation d'aller voir des prisonniers chypriotes grecs,
d'abord dans les camps de transit à Chypre, puis dans trois
camps en Itirquie, ainsi que plusieurs milliers de prisormiers
ch3/priotes turcs dans quatre camps situés dans le sud de
O^

Eu égard à ce qui précède, la Commission n'a pas jugé


nécessaire d'examiner la question d'une violation de l'article 5'
de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qui
concerne les personnes qui ont bénéficié du statut de prisonniers
d-e guerre,
D, Observation finale
314. La Coramission a décidé par 7 voix contre 6 et 3 abstentions
de ne pas examiner de manière distincte les répercussions de la
détention s^ir l'exercice du droit au respect de la vie privée et
familiale, et du domicile (art. 3 de la Convention),

_ ^ ./.
U) Cf. International Revievj of the Red Cross, 14 (1974).
pp. 456 et 605.
(2) îbid, p. 605.
­ 110 ­

Chapitre 3 ­ Non­respect du droit à la vie

A. Ar plument a tion des Parties

I^ Gouvernement requérant
315. Le Gouvernement requérant fait valoir que des tueries de
civils sans aucun rapport avec des opérations militaires ont été
pratiquées systématiquement par l'armée turque : ont été tués non
seulement des soldats désarmés qui s'étaient rendu, mais encore des
civils, dont des enfants âgés de 5 mois à 11 ans, des femmes et
des hommes, dont certains avaient jusqu'à 90 ans, et même des .
infirmes paralysés, des aveugles et des arriérés mentaux. Des
témoins oculaires ont fait état de centaines d'exécutions de
Chypriotes grecs par les forces turques (l). Parmi les actes
incriminés, on peut mentionner l'exécution de personnes qui avaient
tenté de se rendre dans les zones sous contrôle militaire turc
pour aller chercher des effets personnels dans leurs maisons (2).
316* Le Gouvernement crait,par ailleurs,qu'une grande partie des Chyprd
otes grecs qu'on avait vus pour la dernière fois dams la zone occupée par
les Turcs et dont on rfapas encore de nouvelles(3.000 au moins,dont un tièi
grand nombre de civils) aient été victim.es de tueries (3). Il y a
lieu de croire que ces persormes sont tombées aux mains de l'armée
turque, mais les autorités turques ont déclaré ne rien savoir sur
elles (4). La catégorie des personnes portées disparues .et
présumées avoir été tuées par les forces turques comprend des
personnes arrêtées par ces forces, alors qu'elles s'approchaient de
la zone contrôlée paroles Turcs ou qu'elles s'y égaraient, dans la
mesure où les autorités turques n'ont dorme par la suite aucun
renseignement sur leur sort (5).
II. Gouvernement défendeur
317* Le Gouvernement défendeur qui, pour les raisons exposées
ci­dessus (6), n'a pas participé à la procédure quant au fond,
n'a fait aucune déclaration au sujet de ces allégations.

B. Article applicable de la Convention

318. Les faits allégués par le Gouvernement requérant soulèvent


des questions sur le plan de l'article 2 de la Convention, ainsi
libellé: *
. / i

(1) Détails ±, p. 8.
(2) Détails II, p, 4.
(3) Détails I, p. 8.
(4) Détails II, p. 5.
(5) Ibid., p. ^■.
(6) Cf. Partie I, par. 23.
- Ill -

"1. . Le droit de toute persorme à la^vie est protégé par


la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque
intenticrmellement, sauf en exécution d'une sentence capitale
prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de
cette peine par la loi.
2* La mort n'est pas considérée comme infligée en
violation de cet article dans les cas où elle résulterait
d'un recours à la force rendu absolument nécessaire:
(a) pour assurer la défense de toute persorme contre
la violence illégale ;
(b) pour effectuer une arrestation régulière^ou pour
empêcher l'évasion d'\me personne régulièrement
détenue ;
(c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute
ou une insurrection."

C. Eléments de preuve recueillis

Eléments de preuve concernant des meurtres


319. La Commission a déjà déclaré (1) qu'elle avait dû
limiter le champ de son enquête sur les violations alléguées
en l'espèce. En ce qui concerne les meurtres allégués, les
Délégués, pendant la période fixée pour l'audition de témoins
à Chypre, n'ont entendu des témoins oculaires qu'au sujet
de l'incident survenu près d'Ella. II. et Mme. Efthymiou (2)
et lime. Kyprianou (3) ont témoigné au sujet de cet incident, au
cours duquel 12 civils de sexe masculin ont été tués, le 21 avril
1974, en présence de la famille de certains d'entre eux.
320. Mme. Kyprianou a déclaré que dans cette tuerie, elle
a perdu son mari, son père, deux beaux-frères et un oncle.
Elle-même et un groupe d'habitants de son village ont été faits
prisonniers par les soldats turcs, alors qti-e, fuyant les
bombardements, ils tentaient d'atteindre la montagne. Tous les
hommes arrêtés étaient des civils portant des vêtements civils.
Les militaires turcs leur ont dit qu'ils devraient attendre
les orders de leur officier, qui déciderait de leur sort. Quand
l'officier est arrivé, il a paru en colère et a ordonné auzc
soldats de prendre la position couchée, ce qu'ils ont fait, en
chargeant leurs fusils. Un autre soldat, qualifié de "brave type",
est intervenu et les militaires turcs ont discuté pendant une
demi™heure. Puis ils ont séparé les hommes des femmes et, en
présence des femmes, ont commencé à tirer sur les hommes; ils en
ont tué 12. Certains des hommes tenaient des enfants et trois
de ces derniers ont été blessés (4). ,

(1) Cf. Partie I, par. 77-


(2) Compte rendu intégral, pp. 203-22. M. et rfeie. Efthymiou
sont les auteurs des Déclarations I, No. 60 et 82,
(3) Compte rendu intégral, p. 197.
(4) Compte rendu intégral, pp. 198-201.
- 112 -

321. La déclaration de îlme. Kyprianou a été entièrement confirmée


par le témoignage de II. et Mme. Efthymiou, H. Efthymiou étant le
seul homme du groupe de civils qui soit sorti vivant de la fusillade•
Ils ont déclaré que la fille du couple Efthymiou a été blessée
lorsque le père de Vu Efth;}nniou, qui tenait l'enfant, a été atteint
par les balles (1). Cet incident est aussi décrit dans des
déclarations écrites soumises comme pièces à conviction (2).
322. Deux autres cas de tueries sont signalés dans deu:>:
déclarations écrites de persormes qui affirment en avoir été témoins
oculaires, et di.ont le nom et l'adresse peuvent être communiques par
le Gouvernement requérant. Selon la première déclaration, cinq
hommes (deii:>: bergers âgés respectivenment de 60 et 70 ans, deu::
maçons âgés respectivenment de 20 et 60 ans, et un plombier de 19 ans)
ont été tués par les Turcs à Trimithi (3). Selon la seconde
déclaration, trente militaires chypriotes grecs, qui étaient détenus
comme prisormiers à Palelcythron, ont été tués par des militairee
turcs ~(^).
323» En outre, le témoin Stylianou, Président du Comité.
panchypriote des persormes enclavées, a fait état de tueries à
Palekythro et a indiqué le nom et l'adresse des personnes qui,
d'après lui, en avaient été témoins oculaires (5). Dans detc: de ces
cas, des militaires de la Garde nationale qui s'étaient rendus aux
troupes turques ont été exécutés. Ces incidents ont été décrits
au témoin par des militaires qui avaient échappé à la fusillade.
Dans chaque cas, entre 30 et 40 militaires ont été abattus. Dans
le second cas, les militaires qui s'étaient rendus ont été conduits
aux fours à chaux cm village, où ils ont été fusillés et brûlés
de manière à ne laisser aucune trace «
Un autre incident rapporté par H. Stylianou a été le meurtre
de 17 membres.de deu:>: familles voisines, dont 10 femmes et 5 enfants
âges de 2 à 9 ans. Par ailleurs, M. Stylianou a soumis un document
qu'il a dit être la traduction en anglais d'ime déclaration faite
par écrit par un garçon de 16 ans qui avait échappé à la tuerie (6).
324» Le dernier incident mentionné a aussi été rapporté par
Mme. Soulioti (7) et signalé, en outre, dans les notes manuscrites
que le docteur Hadjikakou a soumises dans le cadre de sa déposition (8)

1) Compte rendu intégral, p. 214.


v2) Déclarations I, No. 20 et 59.
(3) Déclarations 1, No. 5 Of. aussi No. 92.
(4^ Déclarations I, No. 43. Cf. aussi No. 119.
(5) Compte rendu Intégral, pp. 29-31*
(6) Addendum, pp. 33-35.
(7) Compte rendu intégral, -p]p. 19-20.
s)
/rl^
Addendum,
---1-*" -
p. 41.
'.-1
Le docteur Hadjikakou a fait état'de cas de sévices, de viols
et de meurtres qui lui avaient été rapportés par des malades,
qui avaient été soit victimes, soit-témoins oculaires des
incidents, et dont il peut communiquer l'adresse. S'agissant du
meurtre susmentiormé de 17 civils a Paleli;>n:hron, le doctuer
Hadjikakou a noté le nom d'une personne qui a découvert les
corps dans une cour.
325. Les notes du docteur Hadjikakou décrivent d'autres
meurtres, notamment :
l'exécution par des militaires turcs de 8 civils faits
prisonniers dans la zone de Prastio, le lendemain du
cessez-le-feu du 16 août 197^ (l) ;
le meurtre de plusiers civils par des soldats turcs à
Ashia (2) ; '
le meurtre par des militaires turcs de 5 militairee
ch;^priotes çrecs sans arme qui s'étaient réfugiés dans
une maison a Voni (3) ;
la fusillade de 4 femmes, dont l'une a survécu parce
qu'elle avait fait la morte (4).
325. D'autres meurtres ont été signalés par le témoin Soulioti,
Présidente de la Croix-Rouge chypriote, et par îi. Pirkettis ;
ces deux témoins ont dorme le nom de prétendus témoins ociilaires
de ces incidents (5).
327* Certaines des personnes interrogées dans les camps de
réfugiés ont également fait état de meurtres :
Le témoin B. a déclaré que des militaires turcs avaient
tué d.e nombreux habitants de son village. "Ils sont
entrés dans les maisons et ont tué les gens". (6)
Le témoin D., de Palekythron, a déclaré qu'environ 18
habitants de son village ont été fusillés, mais qu'il
n'était pas là lorsque cela est arrivé (7).
Le témoin E. a diéclaré que des Turcs avaient fusillé un
berger (8).
Le témoin P. a déclaré que des Turcs avaient emmené son
T^.-î-^-i et son gendre sur le bord d'ime rivière et les
c-valent fusillés (9).
./.

(1) Addendum, p. 59•


(2) Addendum, ^''o. 41-42.
(3) Addendum, p « 43.
(4) Addend.um, p. ^ . ^
v5) Compte rendu intégral, pp. 17-21 et P. 50.
(6) Addendum, p. 4.
(7) Addendum, p. 10.
(8) Addendum, P. 11.
(9) Addendum, p. 12.
­ Viil ­

323. E n dernier lieu, la Commission note qu'en dehors des


déclarations écrites mentionnées au par. 8 ci­dessus­ de nombreuses
autre? déclarations écrites ont été soumises à l'appui des deu:­':
requêtes, décrivant des meurtres de civils dans des maisons, dans
les rues ou dans les champs (1), ainsi que le m­eurtre de personnes »
qui étaient en état d'arrestation ou détenues (2). Un grand nombre
de ces déclarations ont été faites par de prétendus témoins
oculaires (3)? et la plupart des autres par des persormes qui ont
décrit de quelle manière elles avaient retrouvé les cadavres de
parents, d­amis et d'habitants de leurs villages. Huit déclarations
décrivent le meurtre de militaires qui ne se battaient pas (4).
Cinq déclarations mentiormant la découverte d'un charnier à
Dherynia (5)«
329. Toutes ces décla.rations écrites ont été recueillies par le
témoin Hadjiloisou (6) ou, sur ces instructions, par d'autres policiers,

II. E léments d^e preuve concernant les personnes portées disparues


Rens e ip:nement sfournis pas des organisations chyprioteG
s'occupant des problèmes poses oar les personnes portées
aisparues
330« Le Gouvernement requérant a soumis un dossier, établi par
le ­'CoTrité panchypriote des parents et membres de la famille des
prisonniers non déclarés et des persormes portées disparues", du
mois d'août 1975: ^"^ T^^l contient une sélection de faits et d'autres
indices concernant des prisonniers de guerre chypriotes grecs non
déclarés ainsi que des personnes portées disparues. Les noms de
2.197 persormes portéec disparues, ainsi que divers détails les
concernant, figurent à l'imnexe A de ce dossier. On peut aussi y
trouver;

des renseignements sur les étudiants portés disparus ;


des photographiée de Chypriotes grecs faits prisormiers par
1*armée turque. Certains prisormiers sont identifiôs et
déclarés disparais. La plupa:?t de ces photographies ont été
publiées dans les journa^ix. notamment le "Special Ne;;e
Bulletin" diffusé par les autorités chypriotes turques le
'■:­ septembre 1974, et 1^ magazine turc "Hayat", du 19 septembre
^^/­ ;
uns liste de^pereormes qui ont parlé à la "Bayrak" (station de
redic^turque) et sont encore portées disparues ;
des déclarations relati­^es à l'arrestation, par des militaires
turc£ et des Chypriotes turcs, de persormes portées disparues,
./.

(1) Déclarations I. No. 1­4, 15, 16. 21, 32­38. 41, 43, 45. 54.
S5, 53. 62, 71, 50, 85­ 92, 96, 98; 99. 102­105, 111, 113.
119­ 120, et Déclaraticns II, No. 10. 11, 13. '
(2) Déclarations II. No. 9, 19­
(3) Déclarations I. No. 35, ^C, 46, 49, 50, 56, 57­ 59, 72, 35,
87­ 91, 94. 122, et Déclarations II, No. 2, 4. 5, 7, 15.
(4) Déclaratione I, No. 41, 45, i!^, 64, 70, 80, IÔ3, II9.
(5) Déclarations II, No. 6­10.
(6) Compte rendu intégral, pp. 53­71.
331* Kme. Soulioti, Présidente de la Croix­Rouge chypriote, a
déclaré devant la Délégation de la Commission, le 2 septembre 1975^
que 2.5OG personnes étaient portées disparues. E lle craignait que
la majorité d'entre elles n'aient été tuées, à en juger par les
meurtres signalés par téléphone à des agents de la Croix­Rouge par
des persormes qui se trouvaient dans la zone occupée par les ■Turcs
pendant la second phase de l'intervention militaire turque (l).
332c H. Stylianou, Président du Comité panchypriote des personnes
"enclavées", a déclaré que son Comité avait dénombré deux mille et
quelques centaines de personnes portées disparues (2).
2. Action des Nations Unies
333o Dans un rapport au Conseil de sécurité des Nations Unies (5)?
du 5 août 1974, le" Secrétaire Général a déclaré que^l'UNPICIP avait
créé un bureau spécial chargé de s'occuper du problême des persormes
portées disparues. E nviron 800 personnes, comprenant à la fois des
Chypriotes grecs et des Chypriotes turcs, étaient portées manquantes
à cette date, et environ 3^0 personnes portées disparues avaient
été retrouvées.
334, Aux conversations intercommimautaires de Vierme, en 1975Î les
deux camps ont affirmé à plusiers reprises qu'ils ne détenaient
pas de prisormiers de g^ierre ou d'autres persormes non déclarées
et sont convenus de s'accorder mutuellement toutes facilités
pour des recherches sur la base de renseignements communiqués par
l'autre côté (4).
535* Le 9 décembre 1975^ l'Assemblée Générale des Nations Unies
a adopté la Résolution 3^50 (IQCx) sur les persormes portées dlspaxues
à Chypre (5).
336. Il ressort du rapport de la Troisième Commission (6) que
le projet de résolution susmentiormé, présenté par le représentant
de Chypre le 12 novembre 1975, contenait la phrase suivante, au
troisième paragraphe du préambule ;
"Gravement préoccupée par le sort de plus de 2.000 Chypriotes
portés manquants a la suite du conflit armé à Chypre";(7)
(traduction du Secrétariat).

v­y^
/T Compte rendu intégral, p. 17­
(2) Compte rendu intégral, p. 3I­
(3) S/11353/Add. 15 (p­ 3, par. 9 ) .
(4.) Conseil de sécurité des Nations Unies, doc. S/11684, Aimexe
(Communiqué de presse du 3 ^­ai 1975), et doc. S/11789, Annexe
(Communiqué de presse du 2 août 1975).
(5) Cf. Armexe XI.
(6) Doc» A/10284/Add. 1.
(7) Loc. cit.. p. 17.
­ 116 ­

^37,
y.
Le représentant de la Tarquie a proposé, le 14 novembre 1974,
de libeller ce paragraphe comme suit (1) :
"Gravement préoccupée par le sort des persormes portées
manquantes a la suite des violences et du conflit à
Chypre": (traduction du Secrétariat).
A la même réunion, le représentant de Chypre a modifié son
projet et proposé d'adapter la phrase suivante :
"Gravement préoccupée par le sort d'un très grand nombre
de Chypriotes portes manquants à la suite du conflit armé
à Chypre"; (2) (traduction du Secrétariat).
338. Le 19 novembre 1975, la Commission a rejeté l'amendement
turc par 26 voix contre 20, et 73 abstentions et adopté le projet
de résolution, dans sa forme révisée, par 98 voix contre une (la
Turquie) et 21 abstentions (3).
5* Autres éléments de preuve
339. Plusiers des réfugiés entendus par les Délégués ont déclaré
QrC'.e des parents ou des habitants de leurs villages étaient portés
disparus (4),
540, Le docteur Hadjikakou a fait état, dans ses notes manusc:cites,
de rapports conce.mant le cas de persormes qui ont été emmenées
par les Turcs et dont on n'a pas entendu parler depuis (5). H a
signalé notemirent que certains habitants d'Ashia, qui avaient reçu
1''ordre d'enterrer des habitants de leur village en dehors de celui­
ci, ne sont jamais revenus (6).
341a Le témoin Pirkettis a déclaré que lorsqu'il a quitté le camp
de détention d'Amasya/Turquie, xme vingtaine de persormes ont été
retenues ; toutefois, il pense qu'elles ont été relâchées par la
suite (7)»
.342. Les témoins Soulioti, Hadjiloisou, Anastasiou et le docteur
Hadjikakou ont tous déclaré que par suite du manque de coopération de
la part du côté turc, les organes chypriotes grecs n'ont X}az pu
enquêter danz la zone occupée par les Turcs (8), par exemple pour '
r.
entifier les cadavres déccuvex^ts dans des charniers ou ailleurs.
i:,v­i ■

/.

\C^ J J. u — 1.*. •
(.3) P o u r des dôtails sur ces v o t e s , c f . l o c . c i t . , r^-^. 18­19 et 22­23.*
(4) Addendum, pp, 2, 4 et lo-
(5) Addendum, p. 41.
(6) Addendum, P. 42. ,
7) Compte rendu intégral, p. 5^­
3) Compte rendu intégral, pp. 10, 65, 106 et I52.
D. E valuation des éléments de preuve recueillis

I, E léments de Preuve concernant les meurtres allégués


343. E n ce qui concerne le meurtre de 12 civils près d'Ella (1),
la Corimission note que les trois témoins oculaires, bien que
personnellement affectés par 1^incident, ont déposé de façon.calme
et précise. Leurs déclarations n'ont pas été contradictoires et
leurs versions détaillées et précises de l'incident sont plausibles.
La Commission a la conviction que leur témoignage est sincère et
correct.

54­'h, La déposition du témoin Stylianou concernant le meurtre de


17 civils à PalekjMjhron (2) est corroborée par les témoignages du
docteur Hadjikakou et d'tme personne interrogée dans im camp de
réfugiés (le témoin D.). K­ Stylianou et le docteur Hadjikakou ont
fourni des témoignages indirects, mais ils se sont offerts d'indiquer
le nom et l'adresse de témoins oculaires.
345. hes réfugi és qui ont témoigné au sujet de meurtres ont été
choisis au hasard et n'ont pas eu le temps de préparer leurs
déclarations. Ils ont tous paru honnêtes et dignes de confiance,
et la Commission n'a aucune raison de douter de l'exactitude de leurs
déclaraticns.
346* Les déclarations écrites soumises au sujet d'autres ­
meurtres n'ont pas fait l'objet de plus amples enquêtes, pour les
raisons déjà exposées (3)­ Toutefois, combinées aux éléments de
preuve susmentiormés et à la déposition de Mme. Soulioti, elles
dorment tout lieu de penser que de nombreux meurtres ont été commis.
II. E léments de preuve concernant la disparition de persormes
347. Les éléments de preuve dont la Commission dispose (4) ne
lui permettent pae de se prononcer sur le sort des Chypriotes grecs
portés disparus. Cela tient en partie au fait que la Délégation de
la Commission n'a pas été autorisée à se rendre dans la partie
septentrionale de Chypre, non plus que sur les lieux,, en Turquie,
où des prisonniers chypriotes grecs étaient ou avaient été détenus.
343. Dans le présent Rapport, la Commission se préoccupe seulem.ent
du sort des personnes portées disparues à partir du 20 juillet 1^74,
date du début de l'action militaire turque^ E lle ne se
préoccupe pas des personnes portées disparues à la suite du coup
d'Etat du 15 juillet 1974, qui a précédé l'action susmentionnée^

^,1./ '­^­ par. 319­321 ci­dessus.


par. 323 ci­deseus.
\ r-r par. 77 et 319 ci­dessus.
r^)
( ■
par. 33O­342 ci­dessus.
- 1

349. Toutefois, il ressort des éléments de preuve recueillis :


qu^il est généralement admis qu'"un nombre considérable de
Chypriotes" sont encore déclarés "disparus à la suite du
conflit armé à Chypre" (1), c'est-à-dire le conflit entre
Ch7/pre et la Turquie ;
qu'un certain nombre de persormes portées disparues ont été
identifiées comme étant des Chypriotes grecs faits
prisonniers par l'armée turque (2).
E. Responsabilité d.e la Turquie au regard de la Convention
1* Meurtres
350. I l ressort des témoignages que des meurtres ont été commis
près d'Elia par des militaires turcs agissant sous les ordres d'un
officier (3)-
Par ailleurs, il ressort que les victimes se trouvaient,
à 1^époque des faits, sous "l'autorité et la responsabilité
effectives" de la T^irquie, au sens de la décision de la Commission
sur la recevabilité c.es présentes requêtes (4). En conséquence, ces
meurtres sont imputables à la Tarquie au regard de la Convention.

Dans les autres cas (5), des soldats turcs ont aussi été
présentés comme responsables.
11- Personnes portées disparues
35I"' La Commission estime qu'il y a ■<me présomption de
responsabilité de la Turquie pour le sort des personnes qui ont été
détenues par les 'Turcs. Toutefois, à partir des éléments dont elle
dispose, la Commission n'est pas en mesure de d^éterminer si, et
dans quelles circonstances, les prisormiers chypriotes grecs
portés disparas ont été privés du Ci.roit à la vie (6).

P. Conclusion
352. La seconde phrase du premier paragraphe de l'article 2 de
la Convention dispose que la mort ne peut êt3?e infligée à quiconque
' ntentionnellement, sauf en e::écution d'une sentence capitale
roncncée p-?.r un tribunal au cas où le délit est puni de cette
peine par la loi. Le paragraphe 2 de cet article vise trois autres
cas dans lesquels, par exception, la mort peut être infligée.

(1) Cf^ par. 335-358 ci-dessus.


(2) Cf. paro 330 ci-dessus.
v3) Cf. par. 319-321 ci-dessus.
(4) Cfe Annexe 1, par. 10 de la partie "En droit".
(5) Cf. par. 322-324 ci-ciessus.
(6) . Cf. Chapitre 2, par. 30c
19 -

353- La Commission considère par 14 voix contre une que les


éléments de preuve dont elle dispose donnent tout lieu de penser
que la Turquie a violé l'article 2 (1) de la Convention dans un
nombre appréciable de cas. La Commission fait observer qu'elle a
limité le recueil d'éléments de preuve à une audition d'im nombre
restreint de témoins représentatifs, et que les Délégués," pendant
la période fixée pour l'audition des témoins, n'ont entendu des
témoins oculaires qu'au sujet de l'incident d'Elia. Il ressort
des éléments de preuve recueillis sur cet incident que 12 civils
ont été tués près d^Elia par des militaires turcs commandés par un
officier, en violation de l'article 2 (1),
35^" Au vu des éléments très détaillés d.ont elle dispose au
sujet d'autres meurtres allégués par le Gouvernment requérant,
la Commission conclut par 14 voix contre une que des meurtres ont
été commis ailleurs qu'à Elia, et sur une plus grande échelle que
dans cette localité,
355- Rien n'indique que ces cas de non-respect du droit à la
vie aient été justifiés en vertu des paragraphs 1 ou 2 de l'article
356. La (question de savoir si l'un ^quelconque des actes
susmentionnés a entraîné des "décès résultant d'actes licitee de
guerre", au sens de l'article 15 (2) de la Convention,sera examinée
n"ans la Partie IIIdu présent Rapport.

.A
­ 120 ­

Chapitre 4 ­ Mauvais traitements

357« Les allégations de mauvais traitements formulées par le


Gouvernement requérant seront examinées sous les rubriques suivantes
allégations de viol ;
conditions de détention ;
autres formes d'agression physique contre des persormes
non détenues.
A. Alléf^ations de viol
I. Argumentation des parties
(1) Gouvernement requérant
358. Le Gouvernment requérant se plaint de ce que des femmes de
tous ages, de 12 à 71 ans, ont été violées à plusiers reprises, au
point parfois de souffrir d'hémorragie ou de devenir folles. Dans
certaines régions, la prostitution forcée a été pratiquée, toutes
les femmes et les jeunes filles d'im village étant ramassées^et
placées dans des chambres séparées dans des maisons vides, où elles
ont été violées à plusiers reprises par des militaires turcs. Dans
certains cas, des persormes de la même famille ont été violées
plusiers fois, certaines en présence de leurs propres enfants­
Dans d'autres cas, des femmes ont été violées brutalement en public.
En de nombreuses occasions, les viols ont été accompagnés de
brutalités : par exemple, des victimes ont été mordues violemment au
point d'être grièvement blessées, on leur a cogné la tête contre
le sol et on leur a se:?rG la gorge au point de les étouffer.
Dans certains cas, après une tentative de viol, la victime a etc
poignardée ou tuée. Parmi les persormes violées, on trouve ô.es
femmes enceintes et dies arriérées mentales (1).
(2) Gouvernement CLCXendeur
359. Le Gouvernement défendeur^qui, pour les raisons exposées
ci­dessus (2), n'a pas participé à la procédure quant au fend., n'a
fait auc­nie déclaration au sujet d.e ces allégations.
II. Article applicable de la Convention
360. Les faite allégués soulèvent des questions sur le plan de
l'article 3 de la Convention, qui dispose que :
'■■Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou
traitements inhumains ou dégradants."
IIIc E léments de Preuve recueillis
351. Les éléments de preuve recueillie concernant les allégations
de viol sont ti­és nombrem:.

(1) Détails I, pp. S­9.


(2) Cf. Partie l", par. 23
- 121 -

Des témoignages directs ont été recueillis grâce aujc


dépositions des docteurs Charalambides et Hadjikakou, qui ont
déclaré avoir examiné des victimes de ces viols.
362. Le docteur 'Charalambides a déclaré devant la Délégation :
"Etant médecin, on m'a amené quelques personnes qui avaient
été viciées, mais on ne voulait pas que cela se sache, car il
s^agissait de jeunes filles ; lorsque les jeunes filles violées
ont demandé si elles pouvaient avoir recours à mes services en tant
T-^e gjmécologue - car je suis également gynécologue pour la eone de
Kyrenia - l'administration turque a refusé. De ce fait, toutes ces
persormes ont été conduites à Nicosie par l'intermédiaire de la
Croix-Rouge»"

Il a confirmé que dans les cas où il avait procédé à un


examen, il avait eu la conviction, en tant que médecin, qu'il y
avait eu viol (1).
363* Le docteur Hadjikakou a aussi déclaré qu'il avait ciû
traiter des victimes de viol et que dans 70 cas environ, les examens
a^ixquels il avait procédé lui avaient permis de conclure,
médicalement parlant, qu'il y avait bien eu viol.
364. Dans ses notée manuscrites soumises dans le cadre de sa
déposition, le docteur Hadjikakou a mentiormé les cas suivante de .
viol qui lui avaient été signalés (2) :
Une fille arriérée mentale, âgée de 24 ans, a été violée
dans sa maison par 20 soldats successivement. Quand elle
a commencé à crier) ils l'ont jetée par la fenêtre dm
second étage. Elle a eu une Imcation des vertèbres et est
devenue paralysée. . ne docteur H!adjikakou a soigné sa
blessure à la colo:ane vertébrale.
Un jour après leur arrivée a Voni, d.es Turcs ont emmené des
filles dans une maison voisine et les ont violées.
Une fille de Palelcybhrou qui était détenue avec d'autres
dans une maison a été obligée de sortir sous la' menace d'une
arme et a été violée.
A Tanvu, des militaires turce ont tenté de violer une
écolière de 17 ans- Elle a résisté et a été abattue.
Une femme de Gypsou a signalé que 25 filles avaient été
obligées par les Turcs à se livrer à la prostitution à
Marathovoimo.
Une autre femme a assisté au viol de plusiers filles.
Une femme de Voni a été violée à trois reprises par 4
persormes chaque fois. Elle s'est trouvée enceinte.
./.

(1) Compte rendu intégral, p. 80.


(2) . Addendum au Compte rendu intégral, pp. 39? ^1-
- 122 -

365'» La Délégation a aussi entendu des témoins oculaires.

Un _d.es bornâmes interrogés dans les camps de réfugiés


(le témoin i:^.) a déclaré qu'il avait vu des militaires turcs
violer trois femmes à Ayios Georgios. Par ailleurs, il a signalé
que de nombreuses filles avaient été violées à Marathovouno ; lui-
mêne et sa famille les avaient entendu crier (4).
366- Un autre témoin a déclaré que sa femme avait été violée
en présence de ses enfants (5)-
367- 11 a aussi été signalé à la Délégation que des femmes qui
avaient été violées par d-es militaires turcs se sont fait avorter
à la base britannique (6).
368. Mme. Soulioti, M. Hadjiloisou (7), I^- Odysseos C8) et
M. Stylianou (9/ ont témoigné au sujet de viols qui leur avaient
été signalés.
M« Stylianou a parlé du cas de 25 filles qui, après avoir été
violées, sont allées se plaindre auprès d'officiers turcs qui les
ont violées à leur tour. Le témoin s'est offert de donner le nom
d'ime de ces victimes et a déclaré que celle-ci était disposée à
venir témoigner devant la Délégation. En outre, il a mentionnnô
le cas d'ime femme de 50 ans qui avait été violée dans ses champs
par 10 soldats et avait d.û être hospitalisée à Kyrenia (10),

./.

(l) Cf, ci-dessus, Chapitre 3, Non-respect du droit à la vie^


par. 320.
Ç2) Compte rendu intégral, p. 199-
O) Compte rendu intégral, p. 220.
(4) Addendum, p, 11.
Compte rendiu intégral, p. 57-
Compte rendu intégral, p. 34.
Compte rendu, p. 71-
(5) Compte rendu, p. 93*
(9) Ti^Ei.Soulioti et M. Stylianou ont dorme le nom de témoins
oculaires et de victimes : Compte renom intégral, pp. 19 et 34.
(10) Compte rendu intégral, pp. 33"3^î--
- 123 "

rime. Soulioti a fait les déclarations suivantes :


en août 1974, alors que le téléphone fonctionnait encore,
la Croix-Rouge a reçu des appels téléphoniques en provermnce
de Palelcythrou et Kaponti (à l'ouest de Kyrenia), signalant
des viols (1) ;
iin homme (dont l'identité a été révélée) a signalé que sa -
femme avait été poignardée dans le cou parcequ'elle
résistait à une tentative de viol, et que sa petite-fille,
âgée de 6 ans, avait été poignardée^et tuée par des
militaires turcs qui participaient à la tentative de viol (2)
une je'-jne fille de 15 ans et demi qui avait été violée a été
confiée à la Crolx-Rouge (3) ;
le témoin a dû s'occuper de 33 femmes libérées des camps de
Voni et d.e Gypsou, qui avaient toutes été violées, certaines
en présence de leur mari et leurs enfants ; d'autres
avaient été violées à plusiers reprises, ou placées dans
desïï:aisonsfréquentées par des militaires turcs. Les
femmes ont été conduites à l'hôpital d'Akrotiri, sur la
base souveraine, pour y être soignées. On a constaté
que trois ci'entre elles étaient enceintes (4).

569' La Délégation a aussi assisté à la projection d'un film


montrant l'intsrviev/ de cinq filles qui déclaraient avoir été violées,
370. En dernier lieu, des déclarations écrites de 41 pereormes
prétendant avoi.r été violées (5), âe 4 persormes prétendant avoir
été témoins cculai:?ee de viols (6), et de 24 témoins prétendant avoir
entendu parler c^e viole (7) ont été soumises. Ces déclarations ont
été recueillies par le témoin Hadjiloisou (8), ou par d'autres
policiers sur ses instructions, et le nom et l'adresse des auteurs
des déclarations peuvent être commimiqués par le Gouvernement
requérant. Ces déclarations font état notamment de viols répéter
par un ou plusiers militaires turcs (9), de viols en présence de
proches parents (10), de viols commis par des officiers

(2; Compte rendu intégral, p. 19.


(3} Compte reiadu i n t é g r a l
(4) Compte rendu intégral, p. 26,
(5) Déclarations I, No. 11,~12, 13, 15, 16-19, 21-29, 59, 6:
luO-lOS, 110, 111, 113-115, 117, lis, 120-122; Déclarations
5, 11
n
y^j Déclaraticne 1, No. 14, 75, 32, 97*
(7) Déclarations I, No. 1, I5, 20, 24, 41, 45, 60. 70-72, 76, 81,
85, 92, 94, 93, 99, 109, 119; Déclarations Ii; no. 2, 3, 9,
13, 14.
(8) Compte rendu intégral, pp. 58-71.
(9) Déclarations l, No. 12, 15, 17, 18, 21, IO3, 108, 111, 113-115,
118, 120 (victime violée par 7 Turcs), 121, 122; Déclarations II,
11
(10) Déclarations I, No.-11, I3 et 118
- 124 -

turcs (1), de prostitution forcée (2) et du viol d'ime femme


enceinte de cinq mois (3).
IV. Evaluation des éléments de preuve recueillis
571» La Délégation a noté que les deux m.édecins qui ont témoigne,
à savoir les docteursHadjikakou et Charalambides, se sont efforcés
d'être précis et d'éviter toute exagération. Leurs déclarations
ont été corroborées par les autres témoins, en particulier
M. Kyprianou, M. Efthymiou et le témoin E., ainsi que par les
nombreuses déclarations écrites qui ont été soumises à la
Délégation. La Commission est donc convaincue que les dépositions
faites oralement sur ce point sont correctes.
372. Pour les raisons déjà ei^oposées (4), les déclarations
écrites soumises n'ont pas fait l'objet de plus amples enquêtes.
Toutefois, combinées aux élém-ents de preuve susmentionnés, elles
dorment tout lieu de penser que de nombreux: viols ont été commis.
V. Responsabilité de la Turquie au regard de la Convention
373. Il ressort des témoignages que des viols ont été commis pas
des miilitaires turcs et, dans deux cas au moins, par des officers
turcs, et ce pas seulement dans quelques cas isolés d'indiscipline.
Il n'a pas été montré que les autorités turques aient pris des
mesu?aes pour empêcher ces actes ou que d'urne manière générale, elles
aient pris des sanctions disciplinaires à la suite de ces incidents,
La Commission considère donc que le fait de ne pas avoir empêché
lesdits actes est imputable à la Turquie au regard de la Convention.
VI. Conclusion
374. La Commission conclut par 12 voix contre une que les viols
décrits ci-dessus, et considérés comme avérés, représentent des
"trpitements inhumains" au sens de l'article 3 ^e la Convention, qui
sont imputables à la Turquie.
B. Conditions de détention
I. Sévices
(1) Arp-umentation des parties
(a) Gouvernement reauérant
375- Le Gouvernement requérant affirme que des centaines de
persormes, dont des enfants, des femmes et d.es vieillards, ont été
systématiquement torturées et soumises à des traitements sauvages
et humiliants pendant qu'elles étaient détenues par l'armée turque.

(1) Déclarations I, No. IO5, 111.


(2) Déclarations I, No. 106; IO7, 111.
(3) Déclaraticns 1, No, 61.
(4) Cf. par. 77 et 319 ci-dessus.
- .L27 ­

Elles ont été battues, au point parfois de devenir informes. Un


grand nombre d'entre elles ont subi notamment les tortures suivantes:
on les a fouettées, on leur a cassé des dents, on leurra cogné la
tête contre im mur, on les a battues avec des massues électriflces,
on a éteint des cigarettes sur leur peau, on a sauté et marché sur
leur poitrine et leurs mains, on leur a versé sur le corps dee
liquides sales, on les a piquées à coup de baïonette, etc. Nombre
d'entre elles ont été maltraitées au point de devenir de véritables
épaves sur le plan mental et physique (1).

376c Parmi les personnes qui ont subi pareils traitements, on


trouve celles qui ont été déportées et emprisormées en Turquie. La
plupart étaient des civils âgés de 16 à 70 ans. Pendant leur
transport et leur détention, ces personnes ont été sauvagement
maltraitées• On les a blessées, battues, on leur a donné dee coupe
de pied, des coups de fouet, on leur a bandé les yeux, on les a
menottées, on leur a tapé dessus au point de les faire saigner, etc. (2)

377­ Les brutalités incriminées ont atteint leur maximum après


la conclusion des accords d_e cessez­le­feu et l'adoption des
résolutions pertinentes par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
La plupart des actes décrits ont été commis à xm moment où les forces
armées turques n'étaient engagées dans aucime opération militaire.
Plus de 1,000 déclarations recueillies auprès de prétendue victimes
ou témoins décrivent lee mauvais traitements. E lles révèlent
chez les forces turques un comportement prouvant que les atrocités
faisaient partie de la tactique que les forces d'invasion devaient
appliquer. E lles visaient à dét??uire la population grecque et la
faire disparaître des sones occupées par les 'Turcs, pour y faire
venir des Turcs et y créer une zone de population turque (3)*
378. Des vieillards, des femmes et des enfants qui s'étaient
cachés pour éviter d'être expulsés de leurs foyers ont été
rassemblés par l'armée turque et placés dans des camps de
concentration, dont les principaux: se trouvaient à Voni, "Marathovouno,
sada et Gjpsou, où l'inhumanité des traitements qui leur ont été
nfliges défie 1'imagination (4).
(b) Gouvernment défendeur
379, Le Gouvernement défendeur qui, pour les raisons expoeuee
ci­dessus (5),n'a pas participé à la procédure quant au fond, n'a,
en dehors de la déclaration susmentiormée (6), fait aucune déclaration
au sujet de ces allégations.
./.

(1) -L.' C '_■ U. J­ ­L..­ J. , y ♦ a. ^_'.

(2) Ibid.
n Ibid... DD. 18­19.
Ibid., p. 20.
Gf. Partie I, par. 23
6) Cfc Partie I, par. ^:­0 in fine.
- 126 -"

(2) Article pertinent de la Convention


380, Les allégations du Gouvernement requérant soulèvent des questions sur le
plan de l'article 3 de la Convention,
(3) Eléments de preuve recueillis
381, Le principal témoin entendu par la Délégation au sujet des allégations de
mauvais traitements infligés à des personnes détenues est M. Pirkettisp un insti-
tuteur de 37 ans (1), qui a été déporté à Adana,
Il a déclar-é que lui-même et ses codétenus ont été battus à plusieurs re-^
prises après leuf arrestation, pendant leur trariSport vers Adana^ à la prison
d'Adana et, ultérieurement, au camp d*Amasya où il avait été transféré,
382, Ses déclarations contiennent les passages suivants ;
en ce qui concerne la période postérieure à son arrestation à Chypre ;
"ils nous ont bandé une nouvelle fois les yeux, nous ont einbarqués dans
des autobus et se sont mis à nous cogner dessus ^ c'est la première fois
qu'on nous a frappés très dur sur la tête avec des fusils, avec le canon
du fusil ou avec l'autre côté du fusil, à coups de poing et à coups de
pied : et il y a autre chose, ils nous ont retiré nos chaussures à ce
inoment-là et nous ont fait marcher dans les chaiips qui étaient pleins
d'épines, de chardons,., On n'arrêtait pas de nous cogner dessus." (2).
^ en ce q m concerne le transport en bateau vers la Turquie ;
"Puis on nous a conduits au bateau, et là encore on nous a cogné dessus
très fort... On était attachés tout le tenps ,.. J'en ai perdu le ser^
du toucher .., Je n ' ai plus eu aucune sensation de rien pendant deux à
trois mois ... Toutes les fois que nous demandions de l'eau ou que nous
parlions^, on nous battait" (3).
en ce qui concerne l'arrivée à Adana ;
"... puis ils nous ont conduits un par un dans des cellules, en nous
faisant passer dans un long couloir ,., la marche dans ce couloir a été
une autre épreuve terrible. Environ 100 soldats se tenaient de chaque
côté, avec des bâtons, des massues, et ils nous ont tous cogné dessus
alors que nous allions vers l'autre bout du couloir. J'ai été frappé au
moins cinquante fois, et reçu des coups de pied, le tenps que j'atteigne
l'autre bout du couloir." (^).

(1) Compte rendu intégral, pp* ^0 et suiv,


(2) Compte rendu intégral, p, i|^.
(3) Conpte rendu intégral, p. 45.
(4) Conpte rendu intégral, p, 46,
- 127 "

en ce qui concerne les conditions de détention à Adana :

*' ... celai q m disait qu'il souhaitait voir un médecin était battu ,,,
On était passés à tabac tous les jours. Je ne dirai pas que c'était un
passage à tabac organisé, mais nous étions toujours battus,^ particulièrement
par des soldats, parfois par des officiers (1). Un ou deux soldats étaient
très gentils, mais ils avaient peur, comme ils nous l'ont dit, de se mon-
trei"* gentils avec nous "(2).

en ce qui concerne son transfert vers Amaq/a ;

"on nous a embarqués une nouvelle fois dar^ des camions et conduits à la
gare. Il y avait beaucoup de soldats à la gare, beaucoup de policiers et
beaucoup de ger^, et ils ont commencé à cracher sur nous, à nous insulter ;
quand on nous a obligés à passer devant eux, ils nous ont dorné des coups
de pied, ils nous ont battus, etc ,,," (3).

en ce vqui concerne la détention à Amasya :

"cette fois encore, on a été soumis a des mauvais traitements continuels".(4)

383. Le témoin a aussi dorné les précisions suivantes ;

des codétenus, dont il a révélé l'identité, ont été maltraités. Ainsi, à


A'rasya, un hoirnie de 27 ans a reçu des coups de pied dans la bouche et a
perdu plusie^jrs dents, et sa mâchoire inférieijre a éclaté en morceaux. Un
autre homm.e a été frappé à la poitrine avec une serrure en fer par un soldat
t-ûrc et toute sa poitrine est devenue noire ; il a eu mal pendant une se-
maine (5) ;

un officier t'irc q^ii, selon -"in soldat turc, apprenait le karate, s'exerçait
en frappant chaque prisonrler ;

un autre prisonrler lui a dit que deux ou trois fois, deux ou trois pri-
somiers ont été pendus par les pieds pendant des heures au-dessus du trou
d^vn v/ater 6) ;

un homne, dont le témoin a révêlé l'identité, lui a montré son dos qui
avait été abimê par un sous-lieutenant, qui avait l'habitude de piquer tous
les prisomiers a^'ec une épingle cr^aque fois qu'il le pouvait^ lorsqu'il
conduisait les prisomiers dans la cour (7).

y.
(1) Conpte rendu intégral, p. 47.
(2) Conpte rendu intégral, p. ^7.
(3) Compte rendu intégral, p, ^7.
(4) Compte rendu intégral, p, ^9.
(5) Compte rendu intégral, p. 49-
(6) Conpte rendu intégral, p, 50.
(7) Corp te rendu intégral, p, 50»
- 128

384, Le témoignage de M, Pirkettis a été très largement confirmé par le docte'ur


Hadjikakou, qui a déclaré que les personnes déportées qui rentraient d'Adaiia
étaient toutes très amaigries et que par neuf fois il avait été relevé des traces
de blessijres (1), Par ailleurs, le docteur Hadjikakou a signalé des cas de mau- *
vais traitements dans des canps à Chypre, et a ajouté qu'il pouvait comra'jrdquer
ses dossiers parce que les victimes qu'il avait examinées l'y avaient autorisé (2),
Il a décrit comme suit les conditions de détention au garage Pavlides, à la pri- »
son de Saray et à Adana, telles que d'anciens détenus les lui avalent dépeintes (3)

"On les a gardés là plusieurs jours, certains plusieurs mois, sans couver^
ture ; on les tenait éveillés la nuit en faisant exprès du bruit. Au début, et
pendant plusieurs semaines, ils n'ont eu pour seiile nourriture qu'''un huitième de
miche de pain par joiir, et quelques olives de tenps en tenps, Il y a\mt deo:
seaux à eau et deux gobelets, qui n'étaient jamais nettoyés, et dont 1,000 person-
nes environ devaient se servir pour boire. Les toilettes étaient maculées de ma-
tières fécales qui débordaient des cuvettes, et le sol était couvert de matières
fécales et d'urine. On parlait de personnes enchaînées, les yeux bandés, qui
avaient été conduites à Kyrenia pour être ernbarquées à destination de la Tui'quie,
mais po^ir une raison incormue, elles ont été ramenées le lendemain. On les a
finalement détachées, on ne leur a pas donné d'eau pour se laver la figi^re et
nettoyer leurs vêtements, et elles ont dû nettoyer ces derniers en les frottaiit
sur les murs et les planchers. Ceux qui ont été envoyés en Turquie ont été places,
attachés, dans la cale d'un navire turc. Certaines personnes ont été détachées,
mais d'autres sont restées attachées pendant tout le trajet, Elles demandaient
de l'eau et' on ne leur a donné que des tasses d'eau de mer, A leur arrivée dans
les prisons turques, on les a fait marcher et courrirdans les couloirs, passer
entre des soldats turcs qui les battaient s parfois avec des fouets, parfois
avec la crosse de leur fusil. Puis on les a conduits dans la cour où l'on a
retiré à certains leurs chaussures, le contenu de le^irs poches et leur argent,
A la prison d'Adana, on a enfermé 76 personnes dans une cellule. Ils ont été
gardés dans leur cellule pendant 10 jo^urs ; d'autres, pendant deux ou trois
semaines avant d'être autorisés à aller dans la cour. On a distribue trois ser-
viettes pour 76 prisonrners et un morceau de savon pour 8 personnes, par mois,
pour se laver et pour laver leurs vêtements. On parle aussi, et il s'agit d'uiie
histoire entièrement confimée, d'un médecin de la prison d'Adana qui passait
à tabac tous les prisonniers qui venaient le voir. Une nuit, on lui a amené un
malade qui souffrait de rétention d'urine, et il l'a projeté dans l'escalier à
coups de pied,"

(1) Conpte rendu intégral, pp, 108 et lOS,

(2) Conpte rendu intégral, p, 110,

(3) Coirpte rendu intégral, p, 108,


129 "

385. S'agissant de cas individuels, le docteur Hadjikakou, notamment, a décrit


le sort de deux civils. Par suite des mauvais traitements qu'il avait subis,
l'Lui d'e^ax a dû s'amputer de ses orteils avec une lame de rasoir, Cet homme
avait été pris à /îchnaj alors qu'il allait dans son village pour prendre des
affaires dans sa maison. Cet homne ainsi qu'un autre, qui a été appréhendé au
même endroit, ont été battus avec des objets durs. Quand il a demandé de l'eau,
on lui a donné un verre d'urine. On lui a ensuite marché sur les orteils jusqu'à
ce qu'ils bleuissent, deviennent tout erl"lés, et ultérieurement gangreneux.
L'odeur était telle qu'il a dû se couper les orteils avec ^one lame de rasoir.
L'autre hcmm.e a subi le même traitement et, lorsqu'il a été conduit à l'hôpital
Kanellos, à Nicosie, il a accepté qu'on l'ampute des jambes ; il n'a pas sur/écu
à l'opération (1), D'autres détails figurent dans les notes manuscrites soumises
par le docte^ir Hadjikakou dans le cadre de sa déposition (2).

385. Mrre Soulioti a décrit comne suit les conditions d'existence dans les
centres de détention, telles qu'elles lui ont été dépeintes (3) :

"Les personnes qui avaient été mises dans ces églises, ces écoles, ces mai-
sons, toutes ensemble, étaient gardées par des soldats ; elles n'étaient pas
autorisées à quitter les locaux où elles se trouvaient. Elles étaient gardées
dans des conditions terribles d'entassement. En fait, elles couchaient les
unes sur les autres. Elles n'avaient pas de matelas ou même de couvertures
sur lesquels s'allcriger. Il n'y avait pas de facilités sanitaires, particu-
lièrement du fait que l'eau avait été coupée et qu'elles devaient boire l'eau
des puits qui étaient parfois pollués. Les vieillards étaient entassés pêle-
mêle avec de jeunes erl'ants, y compris des bébés. Dans une chambre de dimension
normale, par exenple, il y avait environ 76 femmes, enfants et bébés ; selon
une autre déclaration, il y avait 150 personnes dans une des pièces de l'école,
Le seule nourrlt-ore, partic^ulièrem^ent au début, était celle qui restait dans les
malsons où elles se trouvaient. Selon les déclarations, les hommes, des veil-
lards pour la plupart, étaient battus régulièrement sans raison apparente,"

En ce qui concerne les Chypriotes grecs qui ont été détenus en Turquie,
Mme Soulioti a déclaré qu'elle a assisté à la libération des prisonniers, "Ils
sont arrivés dans un très mauvais état, tout déguenillés ; ils n'avaient pas
pris de bain dep'uis l&.jr arrestation et certains d'entre eux boitaient, disant
qu'ils avaient été très sévèrement battus.'^ (4)

./,

(1) Compte rendu intégral, pp. 110-111

(2) Addendum, p, 38,

(3) Compte rendu intégral, pp, 8-9,

(4) Conpte rendu intégral, p, 23,


130

387. i^i. Stylianou a décrit comme suit le traitement infligé aux Chypriotes
grecs "enclavés" (1) :

"Après la seconde attaque turque, en Août 1974, nous avions environ *


15.000 Chypriotes grecs "enclavés" dar.s les zones occupées par les Turcs,
Leurs conditions de ^ri e étaient tragiques ' dans plusieurs cas et dans plu­
sie­jrs zones, du fait que dans plusieurs zones des centaines de persomes
"enclavées" étalent battues et des dizaines exécutées, et qu'un grand
nombre étaient maltraitées 5 les Grecs étaient aussi maltraités, On a coupé
les oreilles à certains, commue à Palekythro et Tr'ahonL .,, "

Paisant référence à des déclarations en sa possession, I^I. Odysseos a


décrit comme suit les conditions d'existence de Chypriotes grecs "enclavés"
darjs le bâtiment d'école à Morphou :

"Environ 60C personnes y ont été amenées et logées, si l'on peut dire,
dar­s un petit nombre de pièces, environ 6 dans une pièce, 9 dans une autre,
15 dans ^one troisième ; il y avait environ 60 persomes dans cette petite
maison. Pas­de couverture au début ; ils ont dû dormir soit sur les pupitres,
soit à même le sol en béton ; aucune nourriture. Ils n'ont pas été autorisés
à prendre un seul effet personnel. Ils étaient séquestres et des soldats
turcs les gardaient en permanence, jour et nuit ; pas de lumière la nuit.
Lorsqu'ils voulaient aller aux toilettes, qui se trouvaient à 50 mètres du
bâtiment, ils devaient demander l'autorisation ; on les accompagnait, mais
jamais la nuit ; ils n'ont jamais été autorisés à sortir la nuit, Nous le
savons d'après des déclarations, particulièrement celle de cette femme
(identité révélée) qui avait de tenps en temps des crises et avait la
diarrhée ; elle était forcée de faire ses besoin­S dans la pièce où elle vivait
et en présence des gens qui s'y trouvaient".

"On ne pouvait pas se laver du tout, Les geris ne pouvaient pas prendr'e de
■bain, se laver, et la personne (identité révélée) qui est restée environ
2 mois dans ce bâtiment scolaire déc?Lare qu'elle a gardé les nêmes vêtements
pendant ces 2.mois. Si je puis me permettre de décrire moi­même l'état de
ces persomes, je dirai que j'ai vu des gen^ que je connaissais très bien ­
c ' étaient des voisins bien connus; de moi '<­ qui étaient des épaves sur le ■
plan psychologique," (2)

388. Cinq réf^agiés (les témoins 3., C­, D., H., et K.), qui ont été interrogés
par les Délég^ués dans des caxnçjs de refi^giés, ont déclaré qu'ils avaient été
victijTies ou témoins oc^olaires de passages à tabac dans les centres de déten­
tion (3).

389. PlusieuT'S déclarations écrites font état de coups infligés aux détenus
a Voni (4), Palei<:ytrrc (5), ^■îarathovouno (6) et Vitsada (7), Il existe aussi
une déclaz'­ation selon laquelle il n^y a pas eu de mauvais traitements à Vorl (8).
Le 13 i'îai 197i3; le C­ouvemement requérant a soumis sept autres déclaraticns faites
par un ci\H et six soldats qui ont été emprisonnés en Turquie et qui se plai­
gnent de sévices et d'une alimentation insuffisante. *

(1) Conpte rendu intégral, p, 23­


(2) Conpte rendu intégral, pp. 93­94.
(3) Addendum, p. 5 (canp de Voni), 7^ S, l4 (came­ de Voni) et 15.
(4) Déclarations I, n° 47, 89, iOC, 105, 107.
(5) Déclarations I, rP 48,
(6) Declarations I, n° 75»
(7) Déclarations I, nP 114, llô,
(8) Déclaration.s I, n"" 12.
131 "

(4) Evaluation des élémients de preuve recueillis

390« La Commission, cor-sidérant le sérieux des témoins entendus, et le fait


que leurs déclaratioPiS se co.nfirm.ent dans une certaine mesure, tient ces décla-
rations pour cohérentes et plausibles, Elle retient tout particulièrement, après
examen approfondi, la déposition de M. Pirkettis, qu'elle tient pour honnête et
sincère,

391. Il est \T?ai que parmi les déclarations écrites soumises par le Gouverne-
ment requérant, il en est une selon laquelle les conditions de détention à
Adaria étaient assez satisfaisantes a une certaine époque (1), Toutefois, M.
pirkettis a déclaré qu'il y avait dans la prison des cellules qu'il n'avait jamais
vues et qui étaient probablement surveillées par d'autres gardiens (2). Ceci
expliquerait la divergence entre sa déposition et la déclaration écrite en
question, M. Pirkettis a également signalé que certains gardiens de prison avaient
un comportement amical et réprouvaient les mauvais traitements irl'ligés aux pri-
sonniers. Il n'y a donc pas de contradiction entre son témoignage et le fait
que des personnes qui ont été détenues ailleurs qu'à Adana ont déclaré avoir été
correctement traitées - tout au m.oins après le'ir arrivée. En outre, les descrip-
tions données par M. Pirkettis des passages à tabac infligés dans le couloir, à
l'arrivée à Adana, sont entièrement confirmées par la déclaration en question (3),
et la Commission note que dans les déclarations écrites soumises, les conditions
de détention des ch^riotes grecs en Turquie ont généralement été décrites comne
horribles (4), ou que la description a été arialogue à celle faite par K.
Pirketbis (5)»

392, Pour les raisons déjà indiquées (6), les déclarations écrites soumises
n'ont pas fait l'objet de plus amples enquêtes. Toutefois, combinées aux élémients
de preuve susmentionnés, elles donnent, elles aussi, tout lieu de croire que les
prisonniers ont subi des sévices.

,/

(1) Déclarations I, n° 3!
(2) Conpte rendu intégral, p. 55-
(3) Cf, aussi Déclarations I, n° 36, 37, 77, 83
(4) Déclarations I, n° 92.
(5) Déclarations I, n® 93? 96,
(6) Cf. par, 77 er 319 ci-dessus.
132

(5) Responsabilité de la Turq^iie en regard de la Convention

393. Les éléments de preuve recueillis permettent d'établir que dans un très
grand nombre de cas, les prisonniers ont été sévèrement battus ou ont fait
l'objet de sévices de la part de soldats turcs. Ces actes sont donc inputables
à la Turquie au regard de la Convention.

(6) Conclusion

394, La Commission, par 12 voix contre une, adopte la conclusion suivante :


le témoignage de M. Pirkettis et celui du docteur Hadjikakou suffisent à montrer
que dans uri certain nombre de cas des prisonniers ont subi des sévices de la
part de soldats turcs. Ces sévices ont entraîné de graves blessures et, au moins
dans un cas décrit par le docteur Hadjikakou, la mort de la victime. Du fait de
le^jr gravité, ils constituent des "traiten^ents inhumains" au sens de l'article
5 de la Convention, traltem.ents qui doivent être imputés à la Turquie.

II, Refus de distribuer des vi^/res et des médicaments

(1) -QrgLïïr.entation des parties


(a) Gouvemem.ent requérant
7,05, Le Gouvernement requérant allègue que des détenus ont été privés de nourri'
t-„ire, d'eau et de soins, et ce pendant des jours.

(b) Gouvememient défendeur

396, Le Gouvememaent défendeur a,ui, pour les raisons exposées ci-dessus (1),
n'a pas participé à la procédure quant au fond, n'a fait, hormis la déclaration
susmentionnée^ (2), aucune déclaration au sujet de ces allégations.

',2/ Article pertinent de la Convention

397, Les allégations susmentionnées du Gouvemem.ent requérant soulèvent des


questions sur le plan de l'article 3 de la Convention,

(3) Eléments de preuve recueillis

353, un cas de ref'us de distribuer de l'eau potable a été décrit par le témoin
pirkettis. Ce].ui-ci a déclaré que pendant deux jours et demi après son arrestation.
lui-m.âT:e et ses codétenus n'ont rien eu à boire et que la chaleur qui régnait
dans le cation qui les ennienait de Messine à Adana était telle que des personnes

Cf, Partie I, par. 23.

(2) Cf. Partie I, par, 40 in fine


133

se sont trouvées mal (1). A Adan^, quiconque demandait l'autorisation de voir


le médecin était battu. "Si l'on disait qu'on avait mal au ventre, on nous
donrnlt des coups dans le ventre, etc" (2). A Amasya, la nourriture était très
réduite et mauvaise (3).

399, Le docteur Hadjikakou a sigrialé que les prisonniers qui étaient emmenés
en Turquie recevaient de l'eau de mer lorsqu'ils demandaient à boire (4). Dans
les camps de détenus à Chypre, la nourriture était très mauvaise (5). Il a
mentioPiné le cas d'un homm.e, détenu dans l'un des centres, qui a été frappé à
coup de crosse de fusil. Il a eu l'épaule démise, mais on ne l'a pas conduit
à 'JiP. médecin (6),

400, Les témoins Soulioti et Odysseos ont également signalé que dans les
centres de détention, la nourrit^ire et les soins étaient insuffisants, voire
inexistants (7).

401, Il ressort de déclarations écrites soumises'par le Gouvernement requérant


eu-on a re.^usé de distribuer des vivres fournis par la Croix-Rouge et les Nations-
Unies (8) et que d'une manière générale, la nourriture ou les médicaments n'étaient
pas distribués, ou étaient fourras en quantités irsuffisantes (9) (10).

(4) Evaluation des éléments de preu\^e recueillis

402, La CcnînisEion, pour les raisons exposées ci-dessus (11), tient po'ir plau-
sibles les dépositions des témoins Pirkettis et Hadjikakou concernant les trai-
temients nifligés aux prisomiers déportés en Turquie. Il ressort de leurs dépo-
sitions que dars un certain nombre de cas, ces prisonniers, pendant des périodes
de durée variable, n'ont pas reçu suffisamment de vivres et que, dans certains
cas. on ne les a pas soignés de manière adéquate,

403, Pendant la période fixée pc-ur l'audition des témoins, les Délégués n'ont
pas pu enquêter sur tous les incidents décrits dans les déclarations écrites
mientiomëes. Toutefois, combinées aux dépositions orales susmentionnées, ces
déclarations donnent tout lieu de penser que dans un certain nombre de cas,
on a rer'ase de distribuer de l'eau et des vivres, et de soigner les malades.

(1) Conpte renàu intégral, p. 46.


(2) Compte rendu intégral, p, 47,
(3) Compte rendu intégral, p. 50.
(4j Conpte rendu intégral, p. 108
(5; Corrpt-e rendu intégral, p. 108
(6) Compte rendu intégral, p, '^"'''^
(?) Conpte rendu intégral, pp. 9 et 95,
(8) Déclarations I, n° 104,'105 et ll6.
(9) Déclarations I, n^ 36, 4l, 51, 52, 65, 68, 69, 80, 8I, 95.
(10) Déclarations I, n° 92 et 95.
(11} Cf. par, 3^8 - 349 ci-dessus,
134

(3) Responsabilité de la Turqioie au regard de la Convention

4o4, Les conditions de détention des prisonniers chypriotes grecs à Adana,


ainsi que des persomes détenues dans le nord de Chypre, exception faite pour
les centres de détention du garage Pavlides et de la prison Saray (1), doivent
être imputées à la Turquie au regard de la Convention, étant d o m é que toutes
ces personnes ont été arrêtées et gardées par l'armée turque,

(ô) Conclusion

^05. La Commission conclut par 12 voix contre une que le refus de distribuer
suffisamment de vivres et d'eau potable, et d'accorder des soins médicaux
adéquats, dars les cas susmentionnés et considérés comme avérés, représente
'un "traitemient inhumain" au sens de l'article 3 de la Convention, qui doit
être imputé à la Turq^uie.

C. Autres for^nes d'agression physique infligées


a des persomes non détenues

I. Argumentation des parties

(1) Gouvernement requérant

4Q6, Hormi les formes particulières de sévices examinées dans les Parties A et B
de ce Chapitre, le Gouvernement requérant prétend, d'une manière générale, que
les Chypriotes grecs de la zone occupée par les Turcs ont subi des traitements
inhumains de la part de soldats turcs.

(2) Gouvernement défendeur

407. Le Gouvernement défendeur qui, pour les raisons exposées ci-dessus (2)
n'a pas participé à la procédure quant au fond, n'a fait aucune déclaration au
S'jjet de cette allégation,

II. Article pertinent de la Convention

408. Les allégations du Gouvernement requérant soulèvent des questions sur le


plan de l'article 3 de la Convention,

7
(1) Cf. Chapitre 2, par. 3C8 et 309 ci-dessus.
(2) Cf, Partie I , par. 23.
- 135 -

m . Observations sur les éléments de preuve recueillis

409. Les dépositions orales recueillies par la Délégation de la Commission


au sujet des mauvais traitements ne visent que des personnes détenues.

Le Gouvernement requérant a soumis plusieurs déclarations écrites de


persomes non détenues qui auraient été battues par des soldats turcs (l).
Toutefois, pendant la période fixée pour l'audition des témoins, les Délégués
n'ont pas été en mesure d'enquêter sur les allégations de mauvais traitements
infligés à des personnes non détenues,

P/. Conclusion

410, La Commission, par 12 voix contre une, se borne donc à conclure que les
déclarations écrites soumises par le Gouvernement requérant donnent lieu de
penser que des soldats turcs ont maltraité des personnes non détenues.

./

(Ij Déclarations I, n° 28, 40, 56 et 100.


-^ 136 -

Chapitre 5 "^ Non-respect du droit de propriété

A. Argumentation des parties

-1-, Argumentation du Gouvernement requérant

411, Le Gouvernement requérant fait "valoir que des Chypriotes grecs du nord
de l'île ont été dépossédés de leurs biens à la suite :

(a) de l'occupation par les forces turques de cette partie de l'île,


où se trouvaient des milliers de maisons et d'acres de terre,
ainsi que d'entreprises appartenant à ces Chypriotes grecs ;

(b) de la dépossession de la population grecque de ces biens ;

(c) de la mise en détention de la population grecque restée sur place ;

(d) d'autres mesures prises par les autorités turques et décrites dans
des déclarations officielles du Gouvernement défendeur (1).

412, A l'appui de cette thèse, le Gouvernement requérant a versé au dossier


des déclarations écrites, signées par de prétendues victimes ou attribués à
de prétendues victnnes nomément désignées, et décrivant de nombreuses formes
de spoliation. Ces déclarations font état de la perte, subie par les personnes
déplacées, d'exploitations agricoles, de moutons et de têtes de bétail, de
maisons d'habitation, d'exploitations agricoles, commerciales et industrielles,
d'hôtels et de divers autres biens, perte provoquée par des mesures d'expulsion,
la saisie de biens meubles et leur enlèvement ultérieur par des soldats turcs,
ou encore par l'inposition" aux Chypriotes grecs de conditions de vie telles
qu'ils n'avaient d'autre solution que d'abandonner leur maison et leurs biens.

413, On trouvera ci-après les détails de cette argumentation :

(1) Biens immeubles

(a) Maisons et terres

414, Le Gouvemem.ent requérant fait valoir que toutes les terres et les maisons
appartenant à des Chypriotes grecs des zones occupées par les Turcs sont passées
sous l'emprise de l'arm.ée d'invasion et que la plupart d'entre elles ont déjà
été distribuées à des Chypriotes turcs et des Turcs que l'on a fait venir de
Tarq-uis pour qu'ils s'installent dans ces zones (2),

./.

(1) Détails I.

(2) , Ibid,, p, 12
- 137

415, Le Gouvemem.ent requérant a souligné à plusieurs reprises que les Chypriotes


grecs qui avaient été chassés de leurs foyers et de leurs terres par l'armée
t'orque étaient toujours empêches de rentrer en possession de leurs biens, et que
les autorités torques continuaient de spolier les Chypriotes grecs restants (1),

En outre, il fait valoir que la distribution de biens appartenant à des


Chypriotes grecs a été orgard.sée et accélérée de manière systématique,

(b) Exploitations agricoles, commerciales -et industrielles

416, Le Gouvernement requérant fait état de la saisie et de l'appropriation par


l'armée d'invasion d'entreprises et d'exploitations appartenant à des Chypriotes
grecs qui ont été expulsés et qu'on n'a pas autorisés à rentrer en possession
de le^irs biens, Il déclare que parmi les entreprises qui fonctioment actuellement
sous le contrôle turc, on trouye des laiteries et des entreprises de conditionne^
ment de la viande, les conserveries de Pamagouste et de Morphou travaillant
pour l'exportation, des moulins et des bisciiiteries, les principales usines
produisant de l'huile d'olive et de l'huile végétale, des usines de traitemient
de la caroube, des m.oulins à égruger, des entreprises de production de fourrage,
des usines textiles, de chaussures et d'habillement, presque toutes les fabriques
de briques et de mosaïque, toutes les installations productrices de chaux, l'unique
usine de tubes d'acier, le secteur des plastiques de Famagouste et le cœiplexe
industriel de Nicosie, qui est une concentration industrielle inportante (2).

417, Il fait valoir que par diverses déclarations officielles, le Gouvernement


turc a annoncé que tous les produits agricoles des zones occupées par les Turcs,
que les exploitations appartenant ou non à des Grecs, sont passés sous le con-
trôle et sont vendus par les soins des autorités turques. A cet égard, N. Ziya
Kuezzinoglu, Représentant Permanent de la Turquie auprès de la Conînunauté écono-
mique européenne, aurait déclaré en octobre 1974, d'une part que la surveillance
de la culture et de l'irrigation des vergers d'agrumes situés dans les zones
occupées était confiée à des experts venus de Turquie, qui avaient passé des
an'a^Tgements en ^Aie de l'enlèvement des fruits et, d'autre part, qu'un accord
de coninercialisation avait été conclu avec des organisations coopératives de
Turquie (3).

418, Le Gouvernement requérant déclare que des exploitations industrielles


appartenant à des Chypriotes grecs et situées dans les zones occupées par les
Turcs ont été reprises par deux grandes organisations turques ^ qui les font
fonctionner avec un personnel technique venu de Turq-oie, Plusieurs usines ont
été rouvertes et fonctioment à Zodhla, IVbrphcu, Pamagouste, Yialousa et Nicosie (4).

(1) Requête n*^ II et Détails II, p. 8, et messages-télex du 26 Juin,


2 Juillet, 22 Octobre 1975 et 10 Kiai 1976.
(2) Détails I, pp. 12-14.
(3) Poid. p. 11.
(4) Détails II, p. 8.
.38 -

(c) Secteur du tourisme

419. Le Gouvemiement requérant a déclaré (1) que tous les hôtels en état de ^
fonctionnement dars les zones occupées par les Turcs, soit au total 66 hôtels
d'ijne capacité de 8,368 lits, appartenaient à des Chypriotes grecs. De nom-
breuses autres installations touristiques appartenant à des Chypriotes grecs,
comme des appartements et des restaurants, sont situées dans la zone occupée,
particulièrement à Kyrenia et Famagouste, Selon le Gouvernement, le fait qu'un
accord a été signé, le 1er Octobre 1974, en vue de la création d'une Compagnie
du to'urisme, avec le concours de banques et de sociétés financières t^iorques et
ch:vpriotes turques, Conpagnie ayant pour mission d'exploiter les hôtels et les
installations touristiques des zones occupées par les Turcs, témoigne de
l'appropriation par la Turquie du secteur chypriote grec du tourisme, d'une
valeur globale s'élevant à des millions de livres.

420. Eîi outre, le Gouvememient allègue qu'après la signature de l'accord,


K, Bener, Directe^ur général de la Caisse d'épargne-retraite turque et l'^jn
des principaux actionnaires de cette Conpagnie, a déclaré que les intallatiors
to^uristiques et les hôtels de Kyrenia seraient prêts à recevoir des to'uristes
d'ici au "Kurban Bairam", c'est-à-dire vers la fin Décembre 1974, Le Premier
Ministre de 'Turquie a amoncê en Octobre 1974, qu'il était prévu de faire venir
environ 2.000 personnes de Turquie po^ur avoir le personnel nécessaire à l'exploi-
tation desdites installations touristiques avant la saison d'hiver, et qu'il
était aussi envisage de confier la gestion des hôtels à la Banque turque du tou-
risme et à diverses entreprises turques.

421, Le Gouvernement requérant fait état d'hôtels qui, selon lui, sont exploités
par* des Turcs, Le Fiinlstre turc du Tourisme aurait déclaré, le 16 Mai 1975,
qu'il n'avait aucun espoir de voir Chjrpre rapporter des recettes pendant la
saison touristique 1975 (2),

(2) Biens mieubles

(a) Pillages

422, Le pillage de maisons et d'exploitations coninereiales appartenant à des


Chypriotes grecs s'inscrit, selon le Gouvernement requérant, dans le cadre
d'une politique menée systématiquement par l'ar^née turque dars toutes les zones
occupées (3). Même les biens des Chypriotes grecs qui sont restés dans les zones
occupées par les Turcs n'auraient pas échappé à ce sort,

(1) Détails I, pp. 12-14,


(2) Détails II, p, 8,
(3) Détails I, p. 10, Détails II, p. 6 • messages télex du 26 Juin 1975
(pillage systématique de Famagouste) et du 10 Mai 1976,
139

Le butin aurait été chargé sur des véhicules militaires turcs et sur des auto-
bus saisis aux Chypriotes grecs, une part notable du butin notamment des véhicules,
des animaux, des meubles, du matériel de construction, etc., aurait été transpor-
tée en Turquie continentale à bord de bâtiments de la marine turque.

423, Un memhre chypriote turc de la "Chambre des Représentants" a fait observer


que 1'"opération pacifique" entreprise par les forces turques visait à gai'antir
les droits et libertés de la communauté chypriote turque, et non à permettre les
pillages et les spéculations qui duraient depuis des mois,

424. Le Gouvernement requérant ajoute que les chypriotes grecs de la région de


Karpasia et d'autres villages grecs situés dans les zones occupées par les Turcs
ont été expulsés et que les soldats turcs ont commencé à piller leurs maisons
en leur présence, alors qu'ils attendaient, à bord de véhicules, d'être conduits
vers le sud (1).

(b) Vols

425. Le Gouvemem.ent requérant se plaint du vol de produits agricoles, de têtes


de bétail, de logements, de marchandises se trouvant dans des magasins, des usines
et des bateaux appartenant a des Criypriotes grecs, ainsi que de bijoux et d'autres
objets précieux, y conpris de l'argent liquide trouvé sur les Chypriotes grecs
qui ont été arrêtés et détenus par l'armée turque. Il a soumis de nombreuses déclara-
tions à l'appui de ces allégations et prétend que d'^ine manière générale, tous
les produits laissés dans les entrepôts, les chanps, les usines, les maisons et
les boutiques appartenant à des Chypriotes grecs, et d'une vale^ar s'élevant à
des millions de livres, ont été saisis par l'armée turque, qui se les est appro-
priés, que rien n'a été rendu à leurs propriétaires et que ceux^s^i n'ont pas
été indemrlsés, Il se plaint, en particulier, de ce que des carottes, des agnxnes,
du tabac, des caroubes et d'autres produits agricoles des zones occupées par les
Turcs et qui appartenaient à des Chypriotes grecs, ont été rassemblésj puis
transportés à bord de bâtiments turcs vers les marchés de plusieurs pays européens(2;

426, De nombreux véhicules appartenant à des Chypriotes grées auraient été vendus
à des Chypriotes turcs sur le port de Famagouste, le 12 Février 1975.

./

(1) Message télex du 2 Juillet 1975.

(2) Détails I, p. 10,


Détails II, p. 7. Message télex du 10 Mai 1976,
.40

427. Le Gouvernement requérant affirme, en outre, que les troupeaux de nomDre'ux


Chypriotes grecs, qui ont été arrêtés alors qu'ils approchaient des zones con-
trôlées par les Turcs, ont été purement et sinplement confisqués par les forces *
turques. On estime que 48.000 porcs, 280,000 moutors et chèvres, 1.400.000 têtes
de volaille et environ 12.000 têtes de bétail appartenant à des Chypriotes grecs
et d'une valeur égale à 11 millions de livres ont été enlevés à leurs proprié-
taires dars les zones occupées, et que les autorités turques se les sont appro-
priés. Le-urs propriétaires ch.ypriotes grecs n'ont pas été autorisés à les no^irrir
et, lorsqu'ils ont essayé de le faire, ils ont été abattus ou faits prisonniers
par l'année turque (1).

428. Les autorités militaires turques ont dit aux chypriotes grecs des zones
occupées que les agrumes et autres produits agricoles appartenant aux Chypriotes
grecs devaient être considérés comne la propriété des autorites militaires turques.

429. Le Gouvernement requérant se plainfcaussi du vol de yachts et de bateainc


de pêche appartenant à des Chypriotes grecs et qui, selon le Gouvememient, ont été
inventoriés par les autorités militaires turques en vue de le'ur vente a-jx enchères
à des Cn;^priotes Turcs (2).

(3) Destruction de biens meubles et immeubles

430. Le Go^jvemement requérant affirm.e qu'un grand nombre de boutiques et


d'entrepôts, ainsi que de vergers et de plantations de citronniers apparteriant
à des Chypriotes grecs ont été incendiés par l'armée turque, à un moment où aucune
opération militaire n'était en cours. Des équipements ménagers, des vêtements
et du matériel médical ont été brisés, détruits ou brûlés, Les destructeurs ont
aussi saccagé et incendié des icônes, des objets religieux et des équipements
ecclésiastiques dans des églises orthodoxes grecques, dont certaines ont été
transformées en mosquées (3),

431 r Des centaines de milliers d'animaux n'ont pas pu être soignés par leurs
propriétaires grecs que l'armée d'invasion a forcés à quitter leurs villages,
Les animaux sont tombés aïox mains de l'armée turque, et des centaines ont été
abattus ou sont morts de faim ou par manque de soins vétérinaires (4 ).

Détails I, p. 10,
(2) Message télex du 26 Juin 1975.
(3) Détails I, pp, 17"l8, et II p: 12, A cet égard, le Gouvernement requérant
a aussi soumis un article publié dans "The Guardian" du 6 Mai 1976.
(4) Détails I, p. 18, et Détails II, p. 12,
- 141

II, Gouvernement défendeur

432, Le Gouvem-ement défendeur qui, pour des raisons exposées ci^dessus (1)
n'a pas participé à la procédure quant au fond, n'a fait aucune déclaration au
sujet de ces allégations,

B, Article pertinent de la Convention

433, La Commission considère que les allégations susmentionnées de non-respect


du droit de propriété soulèvent des questions sur le plan de l'article 1 du
Protocole n° 1, ainsi libellé :

"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens,


Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique
et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du
droit international.

Les dispositiors précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent


les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour
réglem.enter l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour
assurer le paiement des inpôts ou d'autres contributions ou des amendes,"

C, Eléments de preuve recueillis

434, Le fait que l'énorme majorité de la population chypriote grecque a été


éloignée de la zone septentrionale de Chypre, où elle a abandor^é des biens
meubles et immeubles, et qu'elle n'a pas été autorisée à retourner dans cette
zone, a été examiné au Chapitre 1 ci-dessus.

435, Toutefois, des éléments de preuve spécifiques concernant des événements


ayant affecté directement ou indirectement l'état dans lequel ont été abandonnés
ces biens ont été recueillis par la Commission auprès de nombreuses sources :
notamment les dépositions de témoins entendus par la Délégation ou de personnes
interrogées dans les canps de ref^jgies, les déclarations de prétendus témoins
oculaires so'Lîmlses par le Gouvernement requérant et par des témoins à l'audition,
des déclarations publiées des autorités turques et des documents des Nations
Unies.

I. Biens imneubles

1, Maisons et terres

436. Plusieurs témoins ont signalé que des Ch^ypriotes turcs, des soldats turcs (2)
ou des 'TuT'CS qu'on avait fait venir de Tarquie continentale occupaient des maisons
et des terres qui leur avaient été distribuées ou qu'ils venaient de prendre (3),

./

(1) Cf. Partie 1, par. 23.


(2) M e Soulioti, conpte rendu intégral, p. 12, M. Stylianou, ibid., pp.33,35 ;
M. Charalambides, ibid., pp. 77, 78, 82 ; M. Odysseos, ibid., pp.97, 99,100 ;
M, Tryfon, ibid., pp, 136, l4l,
(3) M. Soulioti, conpte rendu intégral, p, 12, M. Stylianou, conpte rendu intégra.!
p. 35 et M. Tryfon, conpte rendu intégral, p. l4l. Déclarations I, n^ 39,
142

437. En particulier, M, Charalambides, ancien maire adjoint de Kyrenia, a déclaré


avoir vu des Chypriotes turcs de Limassol occuper des maisons appartenant à des
Chypriotes grecs qui s'étaient réfugiés à l'Hôtel du Dôme à Kyrenia ; il a déclaré,
par ailleurs, que l'administration turque avait créé un "Office du logement"
chargé de distribuer les malsons abandonnées par les Chypriotes grecs. Il a aussi
mentionné l'occupation d'une maison par l'armée (turque), et d'un hôtel par des
marins (1), Le témoin Andronikou a également m.entiomé l'occupation de quelques
hôtels par les forces turques (2). Ces témoignages sont corroborés par les décla-
rations de prétendus témoins oculaires soumises par le Gouvernement requéraiit (3)^

438. M. Tryfon, Président de l'Association chypriote des propriétaires^ a déclai''é


que l'armée turque avait pris possession de 48.611 maisons appartenant à des
Chypriotes grecs et d'une valeur égale à 250 millions de livres environ (4).
Il a souimis des déclarations d'habitants de Lapithos, Ayios Georgios, Kyrerla,
Morphou, Karavas, etc., qui auraient été témoins oculaires de la distribution
de leiups maisons à des Chypriotes turcs et à des Turcs de Turquie continentale,
ou encore de l'occupation de leurs maisons par ces personnes (5). Il a êgalem^ent
fait référence à des publications dans lesquelles il était déclaré que les famil-
les des militaires turcs qui avaient combattu à Chypre étalent autorisées à verùr
s'établir sur place (6),

2, Entreprises agricoles, commerciales et industrielles

439. M. Sawides, Président de la Chambre chypriote de commerce et d'industrie,


a décrit la perte d'entreprises agricoles, commerciales et industrielles et a
d o m é une estimation de leur valeur (7).

Il a déclaré que ces renseignements lui avaient été communiqués par des
membres de la Chambre chypriote de commerce et d'industrie qui avaient rendu
conpte et indiqué le montant des dégâts qu'ils a'^/aient subis du fait de l'inva-
sion (8).

440. Selon ce témoin, de nombreuses exploitations agricoles, par exenple des


chanps d'agrumes, des plantations de tabac, etc,, étaient aux mains de Turcs
et inaccessibles à leurs propriétaires grecs ; les produits ont été confisqués
et exportés de Chypre, sans l'accord de leurs propriétaires et du Gouvernement
chypriote (9).

(1) M. Charalambides, conpte rendu intégral, pp. 77, 78 et 82,


(2) Compte rendu intégral, p. 129-
(3) Déclarations I, n° 39 et 73-
(4) Compte rendu intégral, p, 136.
(5) Addendum, pp, 90 et 94 \ Déclarations II, n° 3, 17 et 20 ;
Déclarations I, n^ 67.
(6) Conpte rendu intégral, pp, l40-l4l. Cf. aussi les dépositions des témoins
lacovou (conpte rendu intégral, p. 166) et Odysseos (conpte rendu irite-
gral pp, 97 et 99).
(7) Conpte rendu intégral, pp. 115-117.
(8) Ibid., p. 115.
(9) Ibid., p. 116,
- 1^13 -

441. Le témoin a fait référence à un extrait du N° 9008 du


"Reuter Fruit Report", du l8 octobre 1974, selon lequel les
exportations turques d'agrum.es, et particulièrement de citrons,
officiellement estimées et déclarées par la Turquie,- étaient
passées de 30.000 tonnes en 1973/74 à 80.000 en 1974/75- Selon
lui, cette augmentation de la production (turque) en l'espace
d'un an était impossible (les Chypriotes turcs possèdent moins
de 5 ^ des plantations d'agrumes), et la différence représentait
approxim.ativement la production de Chypre (1).
442. Selon ce même témoin, M. Muezzinoglu, Représentant Permanent
de la Turquie auprès de la Communauté économique européenne, qui
avait dirigé le Com.ité turc de coordination pour Chypre, a déclaré
que deux Fermes d'Etat étaient en cours de création dans le nord
de Chypre pour accueillir le bétail qui était alors parqué dans
des enclos provisoires (2).
443. S'agissant des entreprises industrielles et commerciales,
M. Sawides a déclaré que l'ensemble des installations, bâtimients-,
usines et miachines avaient été repris par les forces d'invasion
et qu'une partie des entreprises fonctionnaient avec la participa-
tion et sous le contrôle des Turcs (3).
Il a aussi fait état de très grosses pertes subies par tous
les grands établissements financiers, par exemple les banoues',
etc. (4).
444. Le témoin Azinas, Commissaire au développement coopératif,
a déclaré qu'il existait 238 coopératives dans la zone occupée ;
il a soumis un tableau récapitulant les pertes subies, notamment,
par les encaisses, les comptes en banque, les valeurs, les stocks,
les véhicules et le mobilier. Ces chiffres sont fondés sur les
déclarations des gérants desdites coopératives (5). En outre, il
a déclaré que les forces turques avaient obligé des employés du
Mouvement coopératif turc à diviser des plantations de la région
de Morphou appartenant à des Grecs et à les louer à des Chypriotes
turcs ; des locaux des coopératives auraient été utilisés sur
l'ordre des militaires turcs et par des Chypriotes turcs, par
exemple, l'Organisation des planteurs d'agrumes de Morphou.

Secteur du tourism.e
445. M. Andronikou, Directeur général de l'Office du tourisme,
a témoigné au sujet des pertes subies par les établissements
touristiques du nord appartenant à des Chypriotes grecs. Il a
soumis des tableaux indiquant le nombre d'hôtels en état de
fonctionnement, d'hôtels en construction, de chambres d'hôtel
et de diverses autres installations touristiques qui, selon le
tém.oin, représentaient plus de 100 millions de livres (6).

(1) Ibid,, p. 118 et Addendum pp, 48-49.


(2) Special News Bulletin, N° 29.33 du 17 octobre 1974
cf, Addendum, p, 46.
(3) Addendum, p, I16,
(4) Ibid., p, 119.
(5) Ibid., pp, 223 et 224 ; Addendum, p, 98,
(6) Compte rendu intégral, p, 124 ; Addendum^ pp,' 51-68
- 144 -

446. Il a aussi déclaré que des hôtels et divers établissements


touristiques avaient été occupés par les forces arm.ées turques,
qui les avaient utilisés comme quartier général ou pour des
usages connexes (1),
447. S'agissant de la gestion de ces établissements,
M. Andronikou a dit qu'il ressortait de déclarations faites
par des fonctionnaires du Ministère turc du Tourisme que
l'exploitation et la gestion effective de ces établissem:ents
étaient assurées par eux (2).
448. Interrogé par la Délégation sur le point de savoir s'il
ressortait desdites déclarations que des organismes turcs
s'étaient rendus effectivement propriétaires des hôtels, ou
si ces déclarations faisaient simplement référence à l'exploi-
tation desdits hôtels, M. Andronikou a répondu qu'il n'y avait
pas de déclaration indiquant que les Turcs s'étaient appropriés
des hôtels. Selon lui, tout laissait croire qu'ils exploitaient,
géraient et gardaient les recettes, tout comme si les biens en
question étaient les leurs (3).
449. Parmi les extraits de la presse turque soumis par
M, Andronikou (4) et concernant le tourisme dans la partie
septentrionale, un article signale que le docteur Evliyaglu,
Sous-secrétaire au tourisme et à l'information au Ministère
turc du Tourismie, et Président de la "Turkish Cypriot Tourism
Enterprises Ltd.", a notamment déclaré que son entreprise avait
été créée en vertu d'une décision du Conseil des Ministres (5),
450. Il ressort d'un autre article que tous les hôtels et
établissements touristiques relevant de l'Administration
autonom.e chypriote turque seraient transférés à l'entreprise
susmentionnée (6).
451. Selon un autre article de journal, le Premier Ministre
turc aurait déclaré, notamment, qu'il travaillait à l'élaboration
d'un plan qui aurait pour effet de confier la gestion des hôtels
à la Banque turque du tourisme et à divers hommes d'affaires
turcs (7) -

(1) Compte rendu intégral, p. 127.


(2) Ibid., p, 131.
(3) Ibid., pp. 129, 131-132.
(4) Addendum, pp. 69-80.
(5) Addendum, p. 74. Cf. aussi la déclaration de M. Andronikou,
Compte rendu intégral, p. 130.
(6) Addendum, p. 69.
(7) Ibid,, p. 70.
145

452, Deux articles avaient trait à la location d'hôtels :


l'un d'eux contenait un appel d'offres, fait par la "Tourist
Enterprise", pour la location d'un hôtel de 80 lits situés
sur la route Salamis Famagouste (1) ; l'autre citait le texte
d'une annonce de la même entreprise, aux termes de laquelle^
les personnes qui avaient soumissionné pour la location d'hôtels,
de restaurants, de plages, etc., dans les zones de Famagouste et
de Kyrenia, devaient venir aux bureaux de cette entreprise pour
débattre de la question du loyer (2). Ce dernier article donnait
égalem.ent les noms (turcs) et les adresses de personnes vivant
à Kyrenia, Nicosie, Adana, Ankara, ïstanboul et Amsterdam. En
outre, M. Andronikou a déclaré que le Gouvernement turc avait
invité tous les étrangers possédant des biens ou des intérêts
dans la nord de Chypre à en faire la déclaration (3).

II. Biens mieubles


1, Pillages
^53. Le témoin Pirkettis, qui a été appréhendé par les forces
turques et conduit à la prison d'Adana, a décrit comme suit les
pillages auxquels il avait assisté à Trimithi ;
"... Il était environ 11 h 30, chaque maison a été pillée ;
les soldats turcs, particulièrement, ont pris des choses
de valeur et de petire dimension, les radios, l'argent,
et tout a été parpillé sur le sol ; ils ont pris les
vivres ..." (4 ) .
454. M. Charalambides, qui avait par ailleurs un cabinet médical,
a décrit ccmime suit les pillages à Kyrenia (5) '•
"... pendant les premiers jours, c'est l'armée qui a
pillé les boutiques, prenant les choses lourdes, comme
les réfrigérateurs, les m.achines à laver, les postes de
télévision. Je l'ai vu parce qu'ils ont eu besoin de moi
pour chercher où se trouvaient des cadavres... C'est ainsi
que je sais que dans les principales rues de Kyrenia, toutes
les boutiques ont été pillées et vidées par l'armée et après,
bien entendu, le pillage a été le fait de tout le monde, car
toutes les portes et fenêtres étaient ouvertes, et il n'y
avait qu'à entrer ; toutefois, les choses lourdes ont été
enlevées à bord de camions militaires" (6).
455. Interrogé sur le point de savoir s'il avait assisté au charge-
ment sur des navires de marchandises volées ou pillées, ce témoin
a répondu par l'affirmative et dans les termes suivants :
"Oui. pendant les prem:ières semaines, ils ont fait venir
du port de Kyrenia des petits bateaux et nous avons assisté,
depuis l'hôtel du Dôme, tout proche, au chargement de voitures
et de marchandises, de réfrigérateurs, de grosses choses sur
ces navires" (7) .
./.
(1) Addendum, p. 79.
(2) Ibid., p. 79.
(3) Compte rendu intégral, p- 130.
(4) Compte rendu intégral, p. ^3.
(5) Compte rendu intégral, pp,. 78, 7 9 .
(6) Compte rendu intégral, pp.. 7 8 , 79.
(7) Compte rendu intégral. p . 82.
- 14D

456". Le témoin Kaniklides, avocat a Famagouste, a declare


que des événements analogues s'étaient produits dans sa
ville natale (1). Il a déclaré que contrairement à d'autres
habitants de Famagouste, il n'avait pas fui avant l'arrivée
des troupes turques, parce que sa mère était intransportable.
Une fois Famagouste occupée, il a passé plus de trois semaines
caché dans sa maison. Il a déclaré notamment :
"C'est à 2 heures du matin qu'a commencé un pillage
organisé, systématique, terrifiant, abominable, incroyable...
Nous avons entendu qu'on brisait les portes, dont quelques-
unes étaient en fer, on cassait des carreaux et nous nous
attendions à ce qu'ils entrent dans la maison d'une minute
à l'autre. Cela a duré environ quatre heures."
457. Interrogé par les Délégués sur le point de savoir si le
pillage avait été le fait de l'armée turque, il a déclaré (2) :
"Ce jour-là, je pense que tout était organisé ; il ne
pouvait s'agir que de l'armée turque."
458. Par ailleurs, M. Kaniklides a déclaré qu'il s'était aventuré
le lendemain à écarter les rideaux d'une fenêtre pour regarder
dans la rue et qu'il avait vu un homme habillé en civil et trois
soldats armés en train de piller une boutique (3) •
459- Certains des témoins ont déclaré avoir entendu parler de
pillages (4).
460, Une des personnes entendues par les Délégués dans les camps
de réfugiés a aussi déclaré qu'elle avait retrouvé sa maison
pillée (5)-
461, Par ailleurs, la Commission note que le Gouvernement requérant
a soumis un grand nombre de déclarations écrites de prétendus
témoins oculaires, décrivant des scènes de pillage à Kyrenia,
Pamagouste, etc. (5).
462, Ces témoignages sont corroborés par plusieurs rapports du
Secrétaire Général des Nations Unies faisant état de nombreuses
scènes de pillage qui ont accompagné les opérations militaires
dans les zones occupées (7). Ces documents signalent aussi
./.

(1) Compte rendu intégral, p. I86.


(2) Ibid., p. 186.
(3) Ibid., pp. 188 et 19^.
(4) Mme Soulioti : Compte rendu intégral, pp. 11 et 15 ;
M. Stylianou : Ibid., p. 33 ; M. Odysseos : Ibid., pp. 91 et 92
M. Sawides : Ibid., p. 120 ; M. Andronikou : Ibid., p. 127 ;
M. Tryfon : Ibid., pp. 136 et 138. M. Tryfon a soumis des
déclarations faites par de prétendus témoins oculaires (cf.
Addendum,- pp. 90-93), relatives à des pillages à Lapithos,
Ayios Georgios, Bellapais, Morphou et Karavas, Compte rendu
intégral, p. I67 ; M. lacovou : ibid., p. 167.
(5) Addendum, p. 7.
(6) Déclarations I, N^ 3, 12, 21, 29, 32, 33, 37, 39, 4i, 43, 46,
47, 49, 53, 54, 58, 61, 63, 66, 69, 71, 73-76, 78, 79, 85-87,
89, 92, 99, 100, 102, 104, 105, 109, 111, 112, 114-117, 120-122;
Déclarations II, N° 1-11, 13-2O.
(7) UN document S/II568, p. 11.

i
147

le déménagement par les forces turques de certains biens d'une


usine située au sud de Kalôpsidha (1), ainsi que des pillages
effectués par des Chypriotes turcs et les forces turques,
particulièrement à Famagouste-Varosha (2).

2. Vols
463. Le témoin Pirkettis a décrit (3) de quelle manière il
s'est fait voler des effets personnels :
"... Puis ils nous ont fait descendre des camions, en
laissant à l'intérieur les femmes et les enfants, et ils
ont pris tout ce qu'on avait : argent, montres, bagues et
croix, toutes les choses précieuses. Ils en ont fait un tas
sur une table ... puis un officier a dit : on vous rendra
tout cela plus tard. Mais je savais qu'il mentait, car il
ne pouvait pas savoir à qui appartenaient les diverses
choses. Ils n'écrivaient pas de nom sur les objets."
464, Le témioin Charalambides a déclaré (4) que pendant les deux
premiers jours, tous les gens qu'on trouvait cachés dans leurs
maisons étaient emmenés pour être interrogés et qu'ils perdaient
leur montre, leur briquet et leurs bagues ; ils sont tous venus
à l'Hôtel du Dôme sans ces objets.
465- Des personnes interrogées dans les camps de réfugiés ont
également fait état du vol d'effets personnels (5). Plusieurs
témoins ont déclaré avoir entendu parler de vols (6).
466, Par ailleurs, la Commission note que des vols ont aussi
été décrits dans un grand nombre de déclarations écrites faites
par de prétendus témoins oculaires et soumises par le Gouvernement
requérant (7).

(1) UN document S/11624, pp. 3 et 4.


(2) Ibid,, S/11717, p. 11. Cf, aussi Déclarations I, N° 10.
(3) Compte rendu intégral, p. 43.
(4) Compte rendu intégral, o. 84,
(5) Réfugié A, Addendum, p, 2,
Réfugié C, Ibid., p, 7-
Réfugié D, Ibid., p, 9.
Réfugié E^ Ibid., p. 12.
Réfugié G, Ibid., p. 13-
(6) Mme Soulioti, Compte rendu intégral, p, l6,
M, Odysseos, Ibid., pp, 95 et 96,
M, Tryfon, Ibid, p. 136 et Addendum, pp. 91-93.
(7) Déclarations I, N° 1, 3, 4, 7, 21, 23, 24, 28, 32, 33, 37-41,
43, 44, 47, 48, 51, 54, 57, 58, 63, 68, 70-72, 76, 80, 83, 88
94, 97, 100, 102, 109, 112, 113, 116, 121,
Déclarations II, N° 1, 4, 9, 13, 15, I6, I8, 19.
148 -

III, Destruction de biens meubles et immeubles


467. A propos de destructions de biens, le témoin Charalambides
a déclaré que certains de ses instruments médicaux ont été très
endomimagés au cours de la première perquisition faite à son
domicile par l'armée (1).
468. D'autres éléments ont été apportés par le témoin Kaniklides (2)
et des personnes entendues dans les camps de réfugiés, qui ont
déclaré avoir assisté à des destructions de biens par les forces
turques, à Famagouste, Ayios Georgios, Boghasi et dans les
environs de Mora (3).
469. Les témoins Odysseos (4), Tryfon (5) et Azinas (6) ont déclaré
avoir entendu parler respectivement d'un ordre donné par les
autorités militaires turques d'arracher une orangeraie desséchée
à Kalo Khorio, d'efforts déployés par les militaires turcs pour
incendier tous les bâtiments situés le long de la ligne verte de
Nicosie, et de la destruction de biens de consommation.
470. La Commission note, par ailleurs, qu'un certain nombre
des déclarations écrites faites par de prétendus témoins oculaires
décrivent la destruction de portes et de fenêtres, de meubles (7),
d'icônes, de bougeoirs et d'autres biens ecclésiastiques (8),
l'incendie de vergers et de récoltes (9), et le massacre d'animaux
(10).

D. Evaluation des éléments de preuve recueillis


I. Généralités
471. En ce qui concerne, d'une part, le déplacement de l'écrasante
majorité de la population chypriote grecque du nord de l'île, où
elle a abandonné des biens meubles et immeubles, et d'autre part,
le fait établi que ces personnes déplacées n'ont pas été autorisées
à rentrer chez elles dans le nord et n'ont pas pu, par conséquent,
rentrer en possession des biens qu'elles y avaient laissés, la
Commission renvoie à ses conclusions exposées au Chapitre 1
ci-dessus (11),
./.

(1) Compte rendu intégral, p. 74.


(2) Ibid,, p. 100.
(3) Réfugié A,, Addendum, p, 1.
Réfugié C, Ibid,, p, 7.
Réfugié H, Ibid,, p, 13.
(4) Compte rendu intégral, p, 101,
(5) Ibid., p. 139.
(6) Ibid., p, 229.
(7) Déclarations I, N° 21, 29, 62, 66, 67, 71, 84, 104 ;
Déclarations II, N*^ 2, 13, 18-20.
(8) Déclarations I, N° 4, 67, 71, 72, 75 ; Déclarations II, N° 9
(9) Déclarations I, N° 43, 80.
(lO)Ibid., N° 43, 66, 104,
(11) Cf, aussi, par. 434 ci-dessus.
- 149 -

II. .Biens immeubles


——^————~—————— ^
1' Maisons et terres
472. S'agissant de l'occupation de maisons et de terres par
des Chypriotes turcs, des soldats turcs et des Turcs de Turquie
continentale, le témioin Charalambides a fait une description
calme et précise des événements qui ont eu lieu à Kyrenia. Sa
déclaration est corroborée par les dépositions d'autres témoins
et par un certain nombre de déclarations écrites qui ont été
soumises (1).
Pour les raisons indiquées ci-dessus (2), la Commission
n'a pas pu enquêter sur tous les incidents décrits dans les
déclarations écrites, particulièrement ceux dans lesquels
étaient impliqués des Turcs de Turquie continentale. Toutefois,
combinées aux élém.ents de preuve susmentionnés, ces déclarations
constituent des preuves supplémentaires du fait que des maisons
et des terres ont été accaparées et occupées par des Chypriotes
turcs et des Turcs de Turquie continentale, entendant par là à
la fois des militaires et des civils,

473. La Commission observe, en outre, qu'environ 40.000 Chypriotes


turcs qui réâc^ient dans le sud, dont environ 17.000 transférés
dans le cadre d'accords négociés, ont gagné progressivement le
nord de l'île à partir de 1974 (3).
La Commission estime qu'en conséquence il a fallu loger
plus de 40.000 Chypriotes turcs dans la partie septentrionale
et que cet élément vient à l'appui des allégations concernant,
d'une part, l'occupation d'un très grand nombre de maisons et
de terres du nord appartenant à des Chypriotes grecs et, d'autre
part, la création d'un Office du logement chargé d'en assurer
la répartition (4).

474. En conséquence, la Comimission considère que les éléments de


preuve recueillis permettent d'établir que des maisons et des
terres appartenant à des Chypriotes grecs ont été prises et
occupées,

./.

(1) Cf. par. 436-438 ci-dessus.


(2) Cf. par. 77, ainsi que par. 319, 372 et 392. Coimne il a été
dit au paragraphe 78, la Délégation de la Commission s'est v u
refuser toute coopération de la part des autorités turques
ou chypriotes turques pour la conduite d'une enquête dans
le nord de Chypre.
(3) Cf. par, 102 ci-dessus.
(4) Cf. par. 437 ci-dessus.
150

Protocole N° 1.
476. En outre, la Commission a relevé de très nombreux indices
montrant que des Turcs de Turquie se sont installés dans des
maisons du nord de l'île appartenant à des Chypriotes grecs (1).
2. Exploitations agricoles, com.merciales et industrielles
477. La Commission ne voit aucune raison de mettre en doute
les témoignages de MM. Sawides et Azinas (2). Elle tient pour
établi que des exploitations agricoles, commerciales et industrielle;
ont été enlevées à des Chypriotes grecs, mais elle estime qu'elle ne
peut conclure définitivement sur la valeur desdites entreprises
et les responsables de leur exploitation après le 20 juillet 1974,
parce que la question n'a pas été examinée plus avant pour les
raisons exposées ci-dessus (3).
3. Secteur du tourisme
478. Le caractère plausible de la déposition détaillée du témoin
Andronikou ne peut être mis en doute. Toutefois, la Commission
estime que les chiffres relatifs à la valeur des entreprises
de ce secteur devraient faire l'objet d'un examen approfondi.
En ce qui concerne l'exploitation de certains hôtels de Kyrenia
et de Famiagouste nommément désignés, les coupures de journaux
contenant des annonces publicitaires pour des séjours dans
lesdits hôtels et pour la location d'autres hôtels, ainsi que
les déclarations des autorités turques viennent à l'appui du
tém.oignage de M, Andronikou (4).
479. La Commission conclut que les éléments de preuve jusqu'ici
recueillis prouvent avec une quasi-certitude que certains hôtels
du nord sont exploités par des Turcs ; d'autres enquêtes seraient
nécessaires pour déterminer la situation véritable en ce qui
concerne les propriétaires et la valeur de ces biens.
III. Pillages et vols de biens meubles
48C. Les tém.oins Pirkettis et Charalambides sont, comme il a
été dit ci-dessus (5) crédibles, et la Commission ne voit aucune
raison de douter du témoignage de M. Kaniklides. D'autres décla-
rations faites par d'autres témioins et des personnes entendues
dans les camps de réfugiés, ainsi que les nombreuses déclarations
écrites soumises, confirment entièrement les descriptions faites
par ces témoins (6). j
./ .

(1) Cf. par. 436 et 438.


(2) Cf. par. 439-444.
(3) Cf. par. 77 et 78.
(4) Cf. par. 445-452.
(5) Cf. Chapitre 4, par. 371 et 390-391
(6) Cf. par. 453-462 et 463-466.
- 151

En conséquence, la Comjtission considère que leurs


tém.cignages démiontrent avec une quasi-certitude que de
nom/Dreux vols et pillages sont imputables aux troupes
turques et à des Chypriotes turcs,
IV. Destructions de biens
481. Les témioignages plausibles du docteur Charalambides
et de M. Kaniklides sont corroborés par les dépositions
de personnes interrogées dans les camps de réfugiés, ainsi
que par un grand nomhre de déclarations écrites soumises. La
Com-mission est donc coni^aincue que des destructions de biens
ont eu lieu dans de nom.breux cas (1).
482. Les élémients de preuve relatifs à l'arrachage d'une
orangeraie desséchée, aux efforts déployés pour incendier
tous les bâtiments le long de la ligne verte de Nicosie,
et enfin a la destruction de biens de consommation, éléments
apportés par les témoins Odysseos, Tryfon et Azinas respecti-
vement, donnent tout lieu de penser que ces faits ont bien
existé (2).
E' Responsabilité de la Turquie au regard de la Convention
483. La Com.miission a déjà conclu que le refus d'autoriser
le retour dans le nord des réfugiés et expulsés chypriotes
grecs (3) doit être imputé à la Turquie au regard de la
Convention. Elle estime m.aintenant que les atteintes qui
en ont résulté à l'exercice par les Chypriotes grecs du
droit au respecr de leurs biens meubles et immeubles dans
le nord doivent également être imputées à la Turquie.
484. En outre, tout porte à croire que les forces turques
se sont emparées de miaisons et de terres, qu'elles ont
pillé et volé et qu'elles ont détruit certains biens. En
conséquence, ces actes doivent être imputés à la Turquie.
485. En ce qui concerne le non-respect par des Chypriotes
turcs du droit de propriété, la Commission considère que dans
la mesure où les personnes qui ont commis ces atteintes
agissaient sous les ordres ou l'autorité directs des forces
turques, ces atteintes doivent également être imputées à la
Turquie au regard de la Convention.

F. Conclusion
486. La Commission, par 12 voix contre 1, tient pour établi
que de nombreuses atteintes au droit de propriété des Chypriotes
grecs ont été commises, atteintes dont il est difficile de
déterminer l'am.pleur exacte. Ces atteintes doivent être imputées
à la Turquie au regard de la Convention, et il n'a pas été miontré
./.

(1) Cf, par. 467-470.


(2) Cf, par. 469.
(3) Cf. Chapitre 1, par. 108
- 152 -

qu'elles aient été justifiées par l'un quelconque des m.otifs


visés à l'article 1 du Protocole N*^ 1.
487. La question de savoir si l*un quelconque de ces actes
était justifié au regard de l'article 15 de la Convention
sera examinée dans la Partie III du présent Rapport.

,/.
- 153 -

Chapitre 6 - Travail forcé

A. Argumentation des parties

I. Gouvernement requérant
488. Le Gouvernement requérant fait valoir qu'un grand
nombre de personnes, dont des femmes, détenues par l'armée
turque dans les zones occupées par la Turquie, ont été
astreintes pendant leur détention à accomplir un travail
forcé et obligatoire consistant, par exemple, à curer des
cours d'eau pour permettre aux Turcs d'irriguer les champs,
à nettoyer et réparer des maisons, à construire et réparer
divers ouvrages, comme des ponts routiers, à ériger des
monuments, à évacuer des cadavres se trouvant dans des
maisons, à nettoyer des maisons mises à sac, à nettoyer
des quartiers généraux, à transporter des marchandises
pillées, etc. Ces travaux ont été effectués sous la menace
des armées et, dans de nombreux cas, jour après jour pendant
toute la période de détention (1).

II. Gouvernement défendeur


489. Le Gouvernement défendeur qui, pour les raisons exposées
ci-dessus (2), n'a pas participé à la procédure quant au fond,
n'a présenté aucune conclusion au sujet de cette allégation.
B. Article pertinent de la Convention
490. Les faits allégués soulèvent des questions sur le plan
de l'article ^ (2) de la Convention :
L'article 4 est ainsi libellé ;
"1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail
■ forcé ou obligatoire.
3, N'est pas considéré commue 'travail forcé ou obligatoire'
au sens du présent article :
(a) tout travail requis normalement d'une personne
soumise à la détention dans les conditions prévues par
l'article 5 de la présente Convention, ou durant sa m.ise
en liberté conditionnelle ;
(b) tout service de caractère militaire ou, dans le
cas d'objections de conscience dans les pays où l'objection
de conscience est reconnue comme légitime, un autre service
à la place du service militaire obligatoire ;
(c) tout service requis dans le cas de crises ou de
calamités qui menacent la vie ou le bien-être de la
communauté ;
(d) tout travail ou service formant partie des
obligations civiques normales."
./.

(1) Détails I, 0. 17.


(2) Partie I, pir. 23
- 154 -

C. Eléments de preuve recueillis


491. Aucun témoignage direct n'a été recueilli sur ce point.
492. Mme Soulioti a rapporté des déclarations de Chypriotes
grecs "enclavés" ou détenus, qu'on aurait forcés à travailler
dans les zones voisines (1). Des déclarations écrites analogues
ont aussi été soumises par le Gouvernement requérant. Selon
ces déclarations, des femmes, particulièrement, ont été
obligées de nettoyer des maisons occupées par des Turcs (2),
Dans un cas, elles ont dû évacuer des cadavres (3). Des
Chypriotes grecs de sexe masculin ont été astreints à faire des
travaux de construction ou à curer des cours d'eau (4).

D. Evaluation des éléments de preuve recueillis


493. La Commission n'a pas enquêté plus avant sur les faits
décrits dans les déclarations écrites en question. Toutefois,
ces faits sont l'indice que des personnes ont été astreintes
à accomplir certains travaux.
E. Responsabilité de la Turquie au regard
de la Convention
494. La plupart des déclarations mettent en cause des militaires
turcs.
En outre, il apparaît que les prétendues victimes se
trouvaient à l'époque considérée sous "l'autorité et la
responsabilité effectives" de la Turquie, au sens que la
Commission a donné à cette expression dans sa décision sur
la recevabilité des présentes requêtes (5).
F, Conclusion
495* La Commission, par 8 voix contre 3 et 1 abstention,
considère que les lacunes de l'enquête sur les allégations
de travail forcé ne lui permettent pas de conclure sur ce
point,

,/

(1) Compte rendu intégral, p. 11.


(2) Déclarations I, N^ 72, 76, 98, 100, 105, 110, 115 et 119
(3) Ibid,, N° 19, Cf, aussi N^ 104,
(4) Ibid,, N° 111,
(5) Cf, Annexe I, par, 10 de la partie "En droit".
155

Observations finales

I. Article 1 de la Convention
496. La Commission observe que dans les présentes requêtes,
le Gouvernement requérant a aussi allégué une violation de
l'article 1 de la Convention.
L'article 1 dispose :
"Les Hautes Parties Contractantes reconnaissent à
toute personne relevant de leur juridiction les droits
et libertés définis au Titre I de la présente Convention."
497. La Comm.ission a appliqué l'article 1 dans sa décision sur
la recevabilité des requêtes, lorsqu'elle a déterminé l'étendue
de sa compétence ratione loci (1).
498. Par 12 voix contre 1 et 3 abstentions, la Com-mission
estime, dans son examen de la présente affaire au fond, qu'il
ne se pose pas d'autre question sur le plan de l'article 1,
vu que cette disposition, qui ne garantit pas d'autres droits
que ceux énoncés au Titre I, ne saurait faire l'objet d'une
violation distincte. Elle fait référence à cet égard à son
Rapport sur la requête N° 5310/71 (Irlande c/Royaume-Uni) (2),
II. Article 13 de la Convention
499. Dans sa décision sur la recevabilité des requêtes, la
Commission n'a pas estimé que dans la situation que connaît
Chypre depuis le 20 juillet 1974, début de l'intervention
militaire turque, les voies de recours indiquées par le
Gouvernement défendeur puissent être considérées comme des
"voies de recours internes" efficaces et suffisantes au
sens de l'article 26 de la Convention (3).
500. Dans son examen de la présente affaire au fond, la
Commission a examiné l'article 13 de la Convention, ainsi
libellé :
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans
la présente Convention ont été violée, a droit à l'octroi
d'un recours effectif devant une instance nationale, alors
mêmie que la violation aurait été commise par des personnes
agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.."
501. Par 15 voix contre 1 et 2 abstentions, la Commission
constate l'absence d'indices permettant de penser que de telles
voies de recours étaient effectivement ouvertes.
./.

(1) Cf. Annexe I, par. 7-10 de la partie "En droit"


(2) Cf. Partie III de ce Rapport,
(3) Cf. Annexe I, par, 1" de la partie "En droit".
156

m . Article l4 de la Convention
502. L'article l4 est ainsi libellé :
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la
présente Convention doit être assurée, sans distinction
aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur,
la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes
autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'apparte-
nance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou
toute autre situation."
503. La Commission a constaté l'existence de violations d'un
certain nombre d'articles de la Convention. Elle note que les
actes contraires à la Convention ont été commis exclusivement
à 1'encontre de membres de l'une des deux communautés à Chypre,
à savoir la communauté chypriote grecque. La Commission conclut
par 11 voix contre 3 que la Turquie n'a donc pas assuré la
jouissance des droits et libertés proclamés dans ces articles,
sans distinction aucune, fondée sur l'origine ethnique, la race
et la religion,-comme l'exige l'article 14 de la Convention.
IV. Articles 17 et I8 de la Convention
504. En dernier lieu, la Commission observe que le Gouvernem.ent
requérant a aussi invoqué les articles 17 et I8 de la Convention
L'article 17 stipule :
"Aucune des dispositions de la présente Convention ne
peut être interprétée comme impliquant pour un Etat,
un groupement ou un individu, un droit quelconque de
se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant
à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la
présente Convention ou à des limitations plus amples de
ces droits et libertés que celles prévues à ladite
Convention."
L'article I8 stipule :
"Les restrictions qui, aux termes de la présente
Convention, sont apportées auxdits droits et libertés
ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel
elles ont été prévues."
505. La Commission conclut par 12 voix et 4 abstentions que
ces dispositions ne soulèvent pas de questions distinctes
en l'espèce.

./
- 157 -

PARTIE III - ARTICLE 15 DE LA CONVENTION

A. Argumentation des Parties

506. La Commission a décidé, le 12 mars 1976, d'inviter


les Parties à lui présenter leurs observations sur
"l'applicabilité de la Convention à une situation
d'actiai militaire, comme en l'espèce, en gardant à l'esprit,
tout particulièrement, les dispositions de l'article 15".
I. Gouvernement requérant
507. Le Gouvernement requérant a fait valoir (1) qu'en
vertu de la décision de la Commiission sur la recevabilité
des requêtes, la Convention est applicable indépendamment
de la situation militaire.
508. La Turquie a entrepris les opérations militaires
décrites dans les requêtes en vue d'imposer, en violation
du Traité de garantie et de la Constitution de Chypre
protégée par ce Traité, la solution fédérale dont elle se
réclame.
509. L'application de la Convention n'est pas exclue par le
fait que la Turquie était simultanément responsable aux
termes d'autres instruments internationaux, particulièrement
la Quatrièm.e Convention de Genève de 1949 '- dans le cadre
d'opérations militaires, un Etat est tenu de respecter non
seulement le droit humanitaire défini dans la Convention
de Genève ("jura in belle"), mais aussi les droits de l'homme
fondamientaux. La Résolution 2675 (XXV) de l'Assemblée Générale
des Nations Unies, du 9 décembre 1970, prévoit que les droits
fondamentaux de l'homme, tels qu'ils sont acceptés en droit
international et énoncés dans des instruments internationaux,
"demeurent pleinement applicables en cas de conflit armé".
510. En outre, l'applicabilité de la Convention européenne
des Droits de l'Homme aux conflits armés découle de son
article 15 (1), qui prévoit les cas de "guerre", alors que
cette référence ne figure pas à l'article 4 (1), par ailleurs
analogue, du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques.
La référence aux "autres obligations découlant du droit
international", qui figure à l'article 15 (1), exclut les
guerres violant des obligations comme celles qui découlent
de la Charte des Nations Unies ; elle présuppose que la
Convention s'applique aux conflits armés indépendamment de
l'applicabilité à ceux-ci d'autres obligations découlant du
droit international, de caractère conventionnel, comme la
Convention de Genève ou le Règlement de La Haye, ou de caractère
coutumler.
./.

(1) Observations du 15 avril 1976


58 -

La référence aux décès "résultant d'actes licites de


guerre", qui figure à l'article 15 (2), implique aussi que
la Convention européenne peut s'appliquer en même temps que
le droit de la guerre concernant les "jura in belle", vu
qu'au cours d'un conflit armé, il peut y avoir des décès
qui ne résultent pas d'actes licites de guerre, ce qui est
incriminé en l'espèce.
511. La dérogation visée à l'article 15 est "un droit de
l'Etat concerné" : l'article 15 (3) fait référence à la
Haute Partie Contractante "qui exerce ce droit de dérogation".
Si l'Etat concerné n'exerce pas ce droit de dérogation, nulle
autre personne ne peut l'invoquer et ni la Commission ni la
Cour ne peuvent l'appliquer d'office. La Turquie n'a invoqué
aucun droit de dérogation en l'espèce, bien qu'elle l'ai fait
par le passé en d'autres occasions. _^_^___
512', LlT'guerre que la Turquie a engagée contre Chypre e s t
"une guerre d'agression" et n'est donc pas envisagée par
l'article 15 (1). En outre, aucune dérogation appliquée
par la Turquie en ce qui concerne Chypre n'aurait pu demeurer
en vigueur après le 23 juillet 1974, date à laquelle l'ordre
constitutionnel de Chypre a été "restauré du fait de
l'accession à la présidence de la République du Président
de la Chambre des Représentants", Les véritables opérations
militaires ont été menées les 20, 21 et 22 juillet 1974
(première phase), ainsi que les l4, 15 et l6 août 1974
(seconde phase), alors que la plupart des violations
incriminées n'ont pas été commises pendant ces journées
et ont été sans rapport avec une quelconque guerre au sens
de l'article 15.
513. La Turquie n'a jamais informé le Secrétaire Général du
Conseil de l'Europe de mesures de dérogation prises en vertu
de l'article 15, et la Commission ne pouvait pas examiner
d'office le point de savoir si ces mesures étaient prises
"dans la stricte mesure où la situation l'exigeait". En tout
état de cause, la nature et la portée des actes incriminés
ne peuvent pas être considérées com.me conformes à la mesure
ainsi exigée.
514. Mêm^e si l'un quelconque de ces actes était considéré
(par ailleurs) comme conforme à l'article 15, il n'en
dem.eurerait pas moins incompatible avec "les autres
obligations" de la Turquie "découlant du droit international",
particulièrement les Conventions de Genève et le Règlement
de La Haye, et ne pourrait donc pas se justifier au regard
de 1'article 15.
515. Toute notification au Secrétaire Général des mesures
de dérogation aurait dû, aux termes de l'article 15 (3),
être adressée promptement ; aucune notification ne pouvait
encore être faite au stade final de la procédure de la
Commission,
516. Mêm.e si l'article 15 s'applique, aucune dérogation ne
pourrait être apportée à l'article 2, sauf pour les "décès résultant
d'actes licites de guerre",'non plus qu'aux articles 3, 4 (1)
ou 7 de la Convention ; un certain nombre i'actes incriminés
ont viole les articles 2, 3 et 4 (1),
,/.
- 159

517- Même si l'article 15 s'applique, toute dérogation apportée


par la Turquie serait incompatible, dans les circonstances.de
l'espèce, avec les articles^ 17 et l8.de la Convention.
II. Gouvernement défendeur
518, Le Gouvernement défendeur a fait la déclaration suivante (1)
"Il ne fait pas de doute que si toutes les conditions
requises par la Convention européenne des Droits de l'Homme pour
qu'une requête soit déclarée recevable, étaient remplies, la
question de l'applicabilité de ladite Convention en cas d'action
militaire et l'effet de l'article 15 sur une telle situation
devraient faire l'objet d'un examen de la part de la Commission
dans une affaire du genre de l'affaire portant les N° 6780/74
et N*^ 6950/75 devant la Commission.
A l'état actuel des choses, la situation est différente.
En effet, comme mon Gouvememient l'a déjà porté, à plusieurs
reprises, à la connaissance de la Commission, la requête dans
l'affaire susmentionnée est introduite par une administration
qui n'a pas la qualité d'agir au nom d'une "Haute Partie
Contractante", condition requise par l'article 24 de la
Convention. La Turquie, Etat garant du système constitutionnel
de la République de Chypre en vertu des accords de Zurich et de
Londres et des traités de i960 de Nicosie et admis comme tel
par la République de Chypre elle-même, n'a jam.ais reconnu cette
qualité à l'administration chypriote-grecque qui s'est constituée
en violation flagrante des traités internationaux susmentionnés.
D'après les règles bien établies du droit international, les
tiers ne peuvent, ni doivent appliquer, dans le domaine des
rapports déterminés par les parties à un traité, des règles
autres que celles convenues dans le traité par les parties en
cause. Mon Gouvernement croit donc fermement que l'argument qui
consiste à dire que la reconnaissance d'un gouvernement de fait
par un certain nombre d'Etats tiers et d'organisations inter-
nationales voudrait que ce gouvernement soit considéré comme un
gouvernement légal est inopposable à la Turquie.
Vu ce qui précède, vous conviendrez qu'il ne peut être
question pour m.on Gouvernement, au cours de la procédure
concernant le fond, de soumettre ses observations sur
l'applicabilité de ladite Convention à une action militaire
et les effets de l'article 15 s'y attachant."
B. Article pertinent de la Convention
519« L'article 15 de la Convention est libellé comme suit :
"1, En cas de guerre ou en cas d'autre danger public
mienaçant la vie de la nation, toute Haute Partie
Contractante peut prendre des m.esures dérogeant aux
obligations prévues par la présente Convention, dans
la stricte mesure où la situation l'exige et à la
condition que ces mesures ne soient pas en contradiction
avec les autres obligations découlant du droit inter-
national.
./.

(1) Communication du 15 avril 1976 (original français)


IbO

2. La disposition précédente n'autorise aucune déroga-


tion à l'article 2, sauf pour le cas de décès résultant
d'actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (par. 1)
et 7.
3. Toute Haute Partie Contractante qui exerce le droit
de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de
l'Europe pleinement informé des mesures prises et des
motifs qui les ont inspirées, Elle doit également informer
le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe de la date
à laquelle ces mesures ont cessé d'être en vigueur et les
dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine
application."
C. C(Dramunications faites par• la Turquie conformément
à 1',article 15 (3)
En ce oui concerne la part;ie septentrionale de Chypre
520. La Turquie n'a fait aucune communication aux termes de
l'article 15 (3) de la Convention en ce qui concerne la
partie septentrionale de Chypre.
II. En ce qui concerne la Turquie continentale
521. S'agissant de la Turquie continentale, le Représentant
Permanent de la Turquie a informé, par note verbale du
23 juillet 1974, le Secrétaire Général du Conseil de
l'Europe de ce qui suit :
"Le Gouvernement turc a proclamé l'état de siège pour
une durée d'un m^ois dans les provinces d'Ankara,
d'Istanboul, Tekirdag, Izmir, Aydin, Mugla, Manisa,
Kirklareli, Edirne, Çanakkale, Balikesir, Adana, Içel
et Hatay, en conformité avec l'article 124 de la
Constitution.
Prise en raison d'une situation qui pourrait rendre
la guerre nécessaire, situation prévue à l'article 15 (1)
de la Convention européenne des Droits de l'Homme, cette
décision relative à l'état de siège est communiquée par
la présente en application du paragraphe 3 dudit article."
522. Cette déclaration a été renouvelée par intervalles
jusqu'au 5 août 1975 et a visé dans tous les cas la région
d'Adana ; toutefois, l'état de siège a été levé dans certaines
autres provinces. Toutes les déclarations ont été notifiées
au Secrétaire Général,
523. Par une lettre du 12 novembre 1975, le Représentant
Permanent de la Turquie a informé le Secrétaire Général de
ce que "l'état de siège dans les départements d'Ankara,
d'Istanboul, d'Adana et d'Içel a été levé le 5 août 1975.
Ainsi, il ne reste aucun départem.ent où l'état de siège est
en vigueur".

/.
I6l

D. Avis de la Commission
524. La Commission a examiné le point de savoir s'il est
fondé, en l'espèce, d'appliquer l'article 15 de la Convention :
en ce qui concerne la partie septentrionale de Chypre
et/ou
en ce qui concerne les provinces de Turquie dans lesquelles
des Chypriotes grecs ont été détenus.
I. En ce qui concerne la partie septentrionale de Chypre
525. Dans sa décision sur la recevabilité des présentes
requêtes, la Commission a constaté que les forces armées
turques à Chypre font que "relèvent de la juridiction" de
la Turquie, au sens de l'article 1 de la Convention,
l'ensemble des autres biens ou personnes, dans la mesure
où "elles exercent leur autorité sur ces personnes ou ces
biens" (1). Il s'ensuit que dans la même mesure, la Turquie
était la Haute Partie Contractante compétente "ratione loci"
pour prendre toute mesure de dérogation, conformément à
l'article 15 de la Convention, affectant des personnes ou
des biens dans le nord de Chypre.
526. La Comm.ission note que la Turquie n'a fait aucune communica-
tion visée à l'article 15 (3) de la Convention, en ce qui concerne
les personnes ou les biens relevant de sa juridiction dans le
nord de Chypre (2).
Par ailleurs, la Commission observe qu'au stade de
de la recevabilité, le Gouvernement défendeur a fait valoir
qu'il n*exerçait aucune juridiction sur cette région (3),
La Commission rappelle que tant dans la première affaire
de Chypre (4) que dans l'affaire Lawless (5), elle a réservé
son opinion sur le point de savoir si la non-observation des
dispositions de l'article 15 (3) peut "entraîner la nullité
de la dérogation ou toute autre sanction". Dans l'affaire
Lawless, la Commission a aussi fait observer que l'obligation
d'informer le Secrétaire Général d'une mesure dérogeant aux
obligations prévues par la Convention constitue "un élément
essentiel du système institué par celle-ci pour assurer le
respect des engagem.ents souscrits par les Hautes Parties
Contractantes" ; par ailleurs, elle a observé qu'en l'absence
de cette information, les autres Parties ignoreraient qu'elle
est leur position au regard de l'article 24 de la Convention,
./.

(1) Cf. Annexe I, par. 10 de la partie "En droit".


(2) Cf, par. 520 ci-dessus,
(3) Cf, par, 2 ci-dessus,
(4) Voir le rapport (non publié) de la Commission du
26 septembre 1958 au sujet de la requête N° 176/56
(Grèce c/Royaume-Uni), Vol. 1, p, I8I,
(5) Cf. C.E,D.H,, série B, 196O-1961, pp, 74, 335-336.
l62

et que la Commission elle-m.ême ignorerait des faits qui


peuvent modifier l'étendue de sa propre compétence à
l'égard d'actes de l'Etat en cause (1),
527. En l'espèce, la Commission ne considère toujours pas
qu'elle soit appelée, d'une manière générale, à se prononcer sur
la question susmentionnée. Toutefois, elle juge qu'en tout état
de cause, l'article 15 exige un acte formel et public de
dérogation, comme une déclaration d'état de siège ou d'état
d'exception, et que lorsque la Haute Partie Contractante en
cause n'a pas proclamé cet acte, bien qu'elle n'eût pas été
empêchée de le faire dans les circonstances particulières,
l'article 15 ne peut pas s'appliquer.

528. La Commission conclut en l'espèce par 12 voix contre 3


qu'elle ne peut, en l'absence d'un acte formel et public
de dérogation de la part de la Turquie, appliquer l'article 15
de la Convention aux mesures prises par la Turquie à l'égard
de personnes ou de biens dans le nord de Chypre.
II. En ce qui concerne les localités de Turquie continentale
où des Chypriotes grecs ont été détenus
529. La Com.mission note que certaines communications, rappelées
ci-dessus (1), ont été faites par la Turquie conformément à
l'article 15 (3) de la Convention, en ce qui concerne certaines
provinces, dont la région d'Adana, dans lesquelles l'état de
siège avait été décrété.
530. Toutefois, la Commission considère que ladite déclaration
d'état de siège ne peut, dans les conditions prescrites à
l'arricle 15, être étendue de manière à couvrir le traitement
dont ont fait l'objet les personnes transférées du nord de
Chypre vers la Turquie.
531- La Commission conclut par l4 voix et 1 abstention qu'elle
ne peut, en l'espèce, appliquer l'article 15 de la Convention
au traitement infligé par la Turquie aux prisonniers chypriotes
grecs conduits et détenus en Turquie,
./.

(1) Ibid. - Les observations sur les projets de Pactes


internationaux relatifs aux droits de l'homme, établis
par le Secrétaire Général des Nations Unies (doc. A/2929),
contenaient les remarques suivantes sur la clause de danger
exceptionnel visée à l'article 4 du projet de Pacte inter-
national relatif aux droits civils et politiques : "47, Il
a été généralement reconnu que la proclamation d'un danger
public exceptionnel et la dérogation qui en résulte aux
obligations prévues dans le pacte constituent un sujet de
très graves préoccupations, et que les Etats parties ont
le droit d'être avisés de ces mesures. Par ailleurs, il a
été convenu que du fait que le recours à des pouvoirs
d'exception a souvent fait l'objet d'abus dans le passé,
une simple notification pure et simple n'est pas suffisante."
(traduction du Secrétariat).
(2) Cf, par, 521-523.
­ 163

PARTIE IV ­ CONCLUSIONS

La Com.mission,
Après avoir exam.iné les allégations contenues dans les
deux requêtes (cf. Partie II ci­dessus) ;
Après avoir constaté que l'article 15 de la Convention
n'est pas d'application (cf. Partie III) ;
Parvient aux conclusions suivantes :
I. Déplacement de personnes
1. La Commission conclut par 13 voix contre 1 qu'en refusant
d'autoriser le retour de plus de 170.000 Chypriotes grecs dans
leurs foyers dans le nord de Chypre, la Turquie, dans tous ces
cas, a violé, et continuait de violer (1), l'article 8 de la
Convention (2).
2. La Commission conclut par 12 voix contre 1 qu'en expulsant
des Chypriotes grecs de leurs m.aisons, même lorsqu'ils en
étaient propriétaires, en les transportant vers d'autres
endroits dans la partie septentrionale de Chypre, ou en les
déportant au­delà de la ligne de démarcation, la Turquie a
également violé l'article 8 de la Convention. (3)
3. La Commission conclut par 13 voix contre 1 qu'en refusant
d'autoriser le retour dans leurs foyers dans le nord de Chypre
de plusieurs milliers de Chypriotes grecs qui avaient été
transférés vers le sud en application d'accords intercommunau­
taires, la Turquie, dans tous ces cas, a violé et continuait
de violer (1) l'article 8 de la Convention (4),
4. La Commission conclut par l4 voix contre 1 et 1 abstention
qu'en provoquant, dans un nombre notable de cas, la dislocation
de familles chypriotes grecques par des miesures de déplacement,
la Turquie a violé cette fois encore l'article 8 de la Convention
(5).
II, Privation de liberté (6)

(a) La Commission conclut par 8 voix contre 5 et 2 abstentions


que le couvre­feu imposé pendant la nuit aux Chypriotes
grecs "enclavés" dans le nord de Chypre, tout en
représentant une restriction à la liberté, ne constitue
pas une privation de liberté au sens de l'article 5 (1)
de la Convention (7) ;
./.

( 1 ) Au 18 ma:i 1976 (cf, par, 5 ci­­dessus)


(2) Cf, par. 208,
(3) Cf. par. 209.
(4) Cf. par. 210 in fine,»
(5) Cf. ■par. 211 in ' fine
(6) Cf, auss:L par. 58 in fine.
(7) Cf, par. 235,
­ 164

(b) En outre, la Commission conclut par 12 voix


contre 0 et 2 abstentions, que les restrictions
alléguées à la liberté de déplacement en dehors
de la zone construite des villages du nord .de
Chypre tomiberaient davantage sous le coup de
l'article 2 du Protocole N° 4, qui n'a été ratifié
ni par Chypre ni par la Turquie, que sous le coup
de l'article 5 de la Convention. Elle n'est donc
pas en mesure de conclure à une violation de
l'article 5, dans la m.esure où les restrictions
imposées aux Chypriotes grecs en vue de les empêcher
de se déplacer librement à l'extérieur des villages
du nord de Chypre sont imputables à la Turquie (1).

"Centres de détention''
(a) La Commission conclut par 13 voix contre 1 qu'en
séquestrant plus de 2.000 Chypriotes grecs dans des
centres de détention installés dans des écoles et
des églises à Voni, Gypsou et Morphou, la Turquie
a violé l'article 5 (1) de la Convention (2),
(b) En outre, la Commission conclut par 13 voix contre 1
qu'en séquestrant des Chypriotes grecs dans des
maisons particulières à Gypsou et Morphou, dans
lesquelles ces personnes ont été gardées dans les
mêmes conditions que dans les centres de détention,
la Turquie a également violé l'article 5 ( D (3).
(c) En dernier lieu, la Commission conclut par 10 voix
contre 2 et 2 abstentions qu'en séquestrant des
■ Chypriotes grecs à l'Hôtel du Dômie à Kyrenia, après
le 14 août 197^, la Turquie a violé une fois de plus
l'article 5 (D (4) ,

(a) La Commission conclut par 13 voix contre 1 que la


détention de m.ilitaires chypriotes grecs en Turquie
n'a pas été conform.e aux dispositions de l'article 5
(1) de la Convention (5).
(b) La Commission conclut par 13 voix contre 1 que la
detention de civils chypriotes grecs en Turquie n'a
pas été non plus conform.e aux dispositions de
l'article 5 U ) (6) ,
(c) Considérant qu'elle n'a pas été en mesure d'établir
l'imputabilité à la Turquie, au regard de la Convention,
de la détention de 146 Chypriotes grecs à la prison de
Saray et au Garage Pavlides, dans le secteur turc de
Nicosie, la Commission, par 10 voix contre 2 et
2 abstentions, ne considère pas qu'elle soit appelée
à exprimer un avis sur la conformité avec l'article 5
de la détention de prisonniers chypriotes grecs dans le
nord de Chypre (7)
/.

( 1 ) Cf. p a r . 236.
( 2 ) Cf. p a r . 285.
(3) Cf. p a r . 286.
(4) Cf. p a r . 288.
(5) Cf. p a r . 309
(G) r f :■ ■ • '
T,-,o
- 165 -

(d) La Com-m.ission, par l4 voix contre 0 et 2 abstentions,


n'a pas jugé nécessaire d'examiner la question d'une
violation de l'article 5 en ce qui concerne les personnes
qui ont bénéficié du statut de prisonniers de guerre (1).

La Commission a décidé par 7 voix contre 6 et 3 abstentions


de ne pas examiner de façon distincte la question des répercus-
sions de la détention sur l'exercice du droit au respect de la
vie privée et familiale ainsi que du domicile (article 8 de la
Convention).
III. Non-respect du droit à la vie (2)
La Commission considère par l4 voix contre 1 que les
élémients de preuve dont elle dispose donnent tout lieu de
croire que la Turquie a violé l'article 2 (1) de la Convention
dans un nombre appréciable de cas. La Commission s'est bornée
à entendre un nombre limité de témoins représentatifs, et la
Délégation, pendant la période fixée pour l'audition des
témoins, n'a entendu des témoins oculaires qu'au sujet de
l'incident d'Elia. Les éléments de preuve recueillis sur
cet incident permettent d'établir que 12 civils ont été
tués près d'Elia, en violation de l'article 2 (1), par des
militaires turcs commandés par un officier.

Vu la documentation très détaillée dont elle dispose


sur d'autres meurtres allégués par le Gouvernement requérant,
la Commission conclut par l4 voix contre 1, d'après l'ensemble
des éléments de preuve, que des meurtres ont été commis ailleurs
et sur une plus grande échelle qu'à Elia.
Rien n'indique que l'un quelconque de ces cas de
non-respect du droit à la vie ait été justifié au regard
du paragraphe 1 ou de l'article 2,
IV, Mauvais traitemients
1, La Commission conclut par 12 voix contre 1 que les viols
décrits dans les cas mentionnés, considérés comme avérés,
représentent des "traitements inhumains" et, par là même,
des violations de l'article 5, dont la Turquie est responsable
au regard de la Convention (3).
2, La Commission conclut par 12 voix contre 1 que dans un
certain nombre de cas, des prisonniers ont subi des sévices
de la part de militaires turcs. Ces mauvais traitements ont
entraîné de très graves blessures et, dans un cas au m^oins,
la mort de la victime. Par leur gravité, ils représentent
des "traitemients inhumains" et, par là-même, des violations
de l'article 3, dont la Turquie est responsable au regard de
la Convention (4),
./.

(1) Cf, par, 313.


(2) Cf, Par. 353-355
(3) Cf. par, 374,
(4) Cf. par, 394,
- 166

3. La Commission conclut par 12 voix contre 1 que le


fait de s'être abstenu volontairement de fournir en
quantités suffisantes des vivres et de l'eau et d'accorder
des soins appropriés aux prisonniers chypriotes grecs détenus
à Adana, ainsi qu'aux détenus dans la partie septentrionale de
Chypre, à l'exception du garage Pavlides et de la prison de
Saray, représente également, dans les cas considérés comme
établis et dans les conditions décrites, des traitements
inhumains et, par là-même, des violations de l'article 3^
dont la Turquie est responsable au regard de la Convention ( 1 ) .

^. La Commission conclut par 12 voix contre 1 que les


déclarations écrites soumises par le Gouvernement requérant
incitent à penser que des militaires turcs ont maltraité" des
personnes non détenues ( 2 ) .

V. Non-respect du droit de propriété

La Commission, par 12 voix contre 1, considère comme


établi qu'il y a eu de nombreux cas de non-respect du droit
de propriété de Chypriotes grecs, dont l'ampleur exacte ne
peut être déterminée. Ce non-respect doit être imputé à la
Turquie au regard de la Convention et il n'a pas été montré
que ces atteintes aient été nécessaires pour l'un quelconque
des m.otifs visés à l'article 1 du Protocole N"^ 1. La Commission
conclut que cette disposition a été violée par la Turquie ( 3 ) -

VI. Travail forcé

La Commission, par 8 voix contre 3 et 1 abstention,


considère que les lacunes de l'enquête sur les allégations
de travail forcé ne permettent pas de conclure sur ce point (4)

V I I . Autres questions (5)

1, La Commission, par 12 voix contre 1 et 3 abstentions,


considère qu'il ne se pose pas d'autre question sur le plan
de l'article 1 de la Convention ( 6 ) .

2. La Commission, par 13 voix contre 1 et 2 abstentions,


constate que l'existence de recours effectifs exigés par
l'article 13 de la Convention n'a pas été démontrée ( 7 ) .

./ .

';i) Cf. par. 404 et 405.


(2) Cf. par. 410.
(3) Cf. par. 486.
(4) Cf. par. 495.
(5) Cf. aussi par. 88 (plaintes pour des perquisitions
domiciliaires et atteintes au droit de correspondance).
(6) Cf. par, 493,
(7) Cf. par, 501.
- 167 -
■H
3. Après avoir constaté l'existence de violations d'un
certain nomibre d'articles de la Convention, la Commission
note que les actes contraires à la Convention ont visé
uniquement des membres de 1'une des deux communautés à
Chypre, à savoir la communauté chypriote grecque. Elle
conclut par 11 voix contre 3 que la Turquie n'a pas assuré
la jouissance des droits et libertés reconnus dans ces
articles, sans distinction aucune fondée sur l'origine
ethnique, la race et la religion, comme le prescrit
l'article l4 de la Convention (1).
4. La Commission, par 12 voix contre 0 et 4 abstentions,
considère que la présente affaire ne soulève pas de questions
distinctes sur le plan des articles 17 et I8 de la Convention
(2).

Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission

(H.C. KRUGER) (J.E.S. PAWCETT)

(1) Cf. par, 503.


(2) Cf, par, 505.
- 168 -

OPINION DISSIDENTE DE M. G. SPERDUTI, PARTAGEE


PAR M. S. TRECHSEL, QUANT A L'ARTICLE 15 DE LA
CONVENTION

1. La Commission a, en la présente affaire, conclu a


l'inapplicabilité de l'article 15 de la Convention. Elle
a en effet abordé un problème nouveau d'interprétation dans
le cadre de l'article 15, problème qu'elle a énoncé et résolu
comme suit :
"en tout état de cause, l'article 15 exige un acte
formel et public de dérogation, comme une déclaration
d'état de siège ou d'état d'exception, et que lorsque
la Haute Partie Contractante en cause n'a pas proclamé
cet acte, bien qu'elle n'eut pas été em.pêchée de le
faire dans les circonstances particulières, l'article 15
ne peut pas s'appliquer" (Rapport, par. 527)

Cette affirmation a amené la Commission à ladite conclusion,


ainsi libellée :
"La Commission conclut par 12 voix contre 3 qu'elle ne
peut, en l'absence d'un acte formel et public de
dérogation de la part de la Turquie, appliquer
l'article 15 de la Convention aux mesures prises par-
la Turquie à l'égard de personnes et de biens dans le
nord de Chypre" (Rapport, par. 528).
Je ne saurais me rallier à cette manière de voir.
Puisqu'un problème général d'interprétation est en cause,
je considère mon devoir d'expliquer, ne fût-ce que brièvement,
les raisons de mon dissentim.ent.
2. Il convient de rem.arquer, au préalable, qu'un autre
problème d'interprétation de la Convention a également été
pris en considération par la Commission : celui des conséquences
juridiques se rattachant au non-respect de la règle qu'énonce
le paragraphe 3 de l'article 15 au sujet des renseignements à
transmettre au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe. La
Commission a, à cet égard, rappelé les précédents de la première
affaire de Chypre et de l'agàire Lawless et s'est arrêtée
notamment sur un passage du Rapport qu'elle avait adopté dans
l'affaire Lawless, passage portant sur la ratio de ladite
obligation (voir Cour eur.D.H., Série B, 196O-196I, pp. 335-336)
Elle a toutefois laissé une fois de plus ouvert le problème
ci-dessus :
"En l'espèce, la Commission ne considère toujours pas
qu'elle soit appelée, d'une manière générale, à se
prononcer sur la question susmientionnée" (Rapport,
par. 527).
3. A mon avis, l'obligation qu'énonce le paragraphe 3 de
l'article 15, bien que très importante, ne se prête pas à être
comprise de manière, telle que son respect strict et rigide,
constitue une condition indispensable'de la validité de
l'exercice du droit de dérogation que confère ce même article.
Alors qu'une telle sanction ne se dégage pas facilement des
principes généraux du droit international, il aurait été très
169

facile pour les Hautes Parties Contractantes de la prévoir


si elles avaient l'intention de l'établir : il aurait suffi
de dire que ce droit de dérogation ne peut, sous peine de
nullité, être exercé qu'en tenant le Secrétaire Général du
Conseil de l'Europe pleinement informé des mesures prises et
des motifs qui les ont inspirées.
Il est m.ême arrivé qu'une Haute Partie Contractante n'a
informé le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe des
mesures de dérogation prises par elle qu'après les avoir
déjà abrogées ou retirées (voir par exemple la Note verbale
déposée au Secrétariat Général le l6 novembre 1972 par le
Représentant Permianent du Royaume-Uni et se rapportant à la
situation de "danger public" qui s'était produite dans le
Protectorat de Rhodésie du Nord, Annuaire de la Convention
européenne des Droits de l'Homme, 19b2, p. 9T"! Sans qu'il
faille miamtenant se demander si une telle manière d'informer
le Secrétaire Général est en accord avec l'obligation qu'énonce
le paragraphe 3 de l'article 15, on remarquera cependant qu'il
s'agit d'une attitude qui ne témoigne pas de la conviction
qu'une sanction de nullité frappe l'exercice du droit de
dérogation au cas où cet exercice ne serait accompagné par
la transmission des informations requises.

Bref, l'obligation en question est, du moins en principe,


à concevoir comme une obligation autonomie en ce sens que sa
violation n'affecte pas l'exercice valable du droit de dérogation
découlant de ce même article.
Certes, le problème des conséquences juridiques d'une
telle violation demeure. Mais pour tout aspect autre que
celui que l'on vient d'examiner, il n'y a pas lieu
d'approfondir le problèmie.
4, Ceci dit, le point suivant doit retenir l'attention :
les mesures dérogatoires envisagées dans l'article 15 émanent
d'autorités publiques dans l'exercice de leurs fonctions et
revêtent du point de vue même du droit interne un caractère
exceptionnel. Elles sont de ce fait très peu concevables en
dehors de toute form.e de publicité. Il ne s'ensuit pas que de
telles formes doivent accompagner toute mesure concrète :
arrestation de personnes, saisie de biens et ainsi de suite.
On doit en effet distinguer entre ces mesures concrètes et
les actes qui les autorisent et les règlent. Qu'il s'agisse
de lois ou d'ordonnances ou de proclamations, il est inhérent
à la nature miêmie de ces actes qu'ils soient édictés au moyen
de certaines formes de publicité. D'autre part, il ne sem.ble
pas com.patible avec l'esprit de la Convention européenne qu'elle
envisage un droit de dérogation qui serait exercé sans mêm.e que
les citoyens de l'Etat, les habitants d'un territoire ou d'autres
personnes relevant à un autre titre de la juridiction de la Haute
Partie Contractante soient avertis dans quels cas et dans quelles
conditions ils pourront être soumis à des restrictions ou des
contraintes ou des sanctions contraires aux droits et libertés
que la Convention leur assure normalement.

./.
- 170 -

5. , Il y a cependant lieu d'ajouter que l'exigence de


publicité dont on vient de parler ne doit pas toujours et
nécessairemient être comprise en ce sens que le recours à
des formes de publicité doit im.médiatement précéder le
recours aux m.esures concrètes de dérogation. Il peut même
y avoir des situations se caractérisant comme suit :- II'
s'agit de situations prévues par la loi interne ou par la
loi internationale en tant que situations qui, du moment où
elles s'instaurent, déclenchent l'applicabilité de règles -
règles, selon les cas, de droit interne ou de droit inter-
national - d'après lesquelles des mesures d'exception pourront
être prises dans les conditions qu'elles envisagent. On ne voit
pas commient on pourrait déduire de l'article 15 la nécessité
d'avoir recours, par rapport à ces régies, à de nouvelles
formes de publicité.

C'est notamment le cas de l'occupation militaire d'un


territoire d'un Etat étranger : ainsi qu'on le lit dans le
deuxième volume du renommé Treatise d'Oppenheim (International
Law, II, Disputes, War and Neutrality, seventh edition edited
by H. Lauterpacht)
"Un occupant exerçant une autorité militaire sur le
territoire, les habitants de ce territoire sont soumis
à l'état de siège qu'il a décrété et doivent obéissance .
à ses ordres." (p. 438)
En effet, l'état d'urgence qu'entraîne pour les autorités
d'occupation l'établissement d'un régime m.ilitaire dans un
territoire étranger se différencie par rapport à d'autres
situations de nécessité du fait qu'il revêt, dans une large
mesure, certaines caractéristiques typiques, de sorte qu'il
suffit que l'occupation militaire soit notoire pour que l'état
de nécessité qu'elle a entraîné soit, dans son essence de
phénomène inhérent, également connu. Ceci a permis l'élabora-
tion des règles du droit de la guerre concernant l'occupation
de territoires et visant, entre autres, l'exercice de pouvoirs
d'exception par les autorités d'occupation (voir le Règlement
sur les lois et les coutumes de la guerre terrestre, annexé à
la 4ème Convention de La Haye de 1907).
6. L'ordre d'idées que l'on vient d'énoncer se prête à
développement ultérieur, toujours par rapport à l'hypothèse
de l'occupation militaire par une Haute Partie Contractante
du territoire d'un autre Etat,
On rembarquera que les règles du droit international
concernant le traitement de la population dans les territoires
occupés (et que contiennent notamment le Règlement de La Haye
de 1907 et la 4ème Convention de Genève du 12 août 1949) sont
indéniablement susceptibles d'aider à résoudre la question de
savoir si les mesures prises par la Puissance occupante par
dérogation aux obligations qu'elle devrait en principe observer,
en vertu de la Convention européenne, là où s'exerce (de jure
^^ de facto) sa juridiction, sont ou ne sont pas justifiées
d'après le critère que seules les mesures dérogatoires strictement
requises par les circonstances sont autorisées. En effet, ces
règles tiennent dûment compte des nécessités de la Puissance
occupante : elles s'inspirent de la recherche d'un juste
équilibre entre nécessités militaires et sauvegarde des droits
et intérêts de la population civile,

./,
71

• Il s'ensuit que le respect de ces mêmes règles par une


Haute Partie Contractante lors de l'occupation militaire du
territoire d'un autre Etat assurera, "en principe, cette Haute
Partie de ne pas dépasser les limites du droit de dérogation
que lui confère l'article 15 de la Convention. On citera, par
exemple, l'article 49 de la 4ème Convention de Genève, article
portant sur l'interdiction de s transferts forcés, en masse ou
individuels, dans les territoires occupés ainsi que sur.d'autres
obligations de la Puissance occupante en matière de déplacement
de personnes (1).

7. N'ayant eu pour but dans la présente opinion que de


prendre position sur un problème général d'interprétation,
je ne formulerais pas de conclusions particulières en ce
qui concerne 1'affaire qui forme l'objet du Rapport de la
Commission. Je noterai cependant que dans son paragraphe 314
in fine, ce Rapport contient le passage suivant ;
"Eu égard à ce qui précède, la Commission n'a pas jugé
nécessaire d'examiner la question d'une violation de
l'article 5 en ce qui concerne les personnes qui ont
bénéficié du statut de prisonniers de guerre."
■On peut affirmer dans l'ordre d'idées ci-de ssus que des
mesures, en elles-mêmes contraires à une disposition de la
Convention européenne, mais légitimement prises d'après le
droit international applicable à un conflit armé, sont à
considérer commio des mesures de dérogation légitim.e aux
obligations découlant de la Convention.

./

(1) On rappellera que d'après un article commun à cette.


Convention et aux autres trois Conventions de la même
Conférence diplomatique, "la Convention s'applique ra
également dans tous les cas d'occupation de tout ou
partie du'territoire d'une Haute Partie Contractante,
même si cette occupation ne rencontre aucune résistance
militaire" article ier commun, paragraphe 3).
- 172 -

OPINION INDIVIDUELLE DE M. F. ERMACORA

I. Quant à l'article 3 de la Convention


1. Tout en partageant la conclusion de la Com.mission
(cf. par. 373) suivant laquelle il n'a pas été montré que
les autorités turques aient pris des mesures adéquates pour
empêcher les actes incrim.inés, je souhaite souligner que
l'article 152 du Code miilitaire turc (1) contient une dispo-
sition sanctionnant le viol. Ma traduction du texte turc est
la suivante :
"Article 152
1. Les personnes qui se rendent coupables de viol ou
de défloration alors qu'elles sont au service de l'armée
sont punies conformément aux dispositions du Titre 8 du
Code pénal turc.
2. Si les délits mentionnés au paragraphe 1 sont commis
sur la personne de subordonnées, la sanction est majorée
de 50 % conformément à l'article 417 du Code pénal turc."
2. Tout en approuvant la conclusion de la Commission exposée
au paragraphe 393, je juge nécessaire d'utiliser le m.êm.e
argument que dans le cas du viol, à savoir qu'il n'a pas été
m.ontré que les autorités turques aient pris des mesures
adéquates pour empêcher que des soldats turcs n'infligent
des brutalités et d'autres sévices à des prisonniers. J'estime
que ce comportement, abstraction faite des obligations découlant
de la Troisième Convention de Genève, n'est pas un comportement
normial pour des militaires et que l'éthique militaire proscrit
cette forme de violence sur la personne des prisonniers. Omettre
de dire que la Turquie n'a pas empêché ces m.auvais traitements
pourrait donner l'impression que ceux-ci sont considérés comme
des infractions mineures à la discipline militaire, infractions
dont la prévention peut ne pas être réclamée.
II, Quant à l'article 1 du Protocole N^ 1
Tout en partageant la conclusion de la Commission,
exposée au paragraphe 434, je juge nécessaire de dire qu'il
n'a pas été montré que les autorités turques aient pris des
mesures adéquates pour empêcher les pillages, bien que les
pillages soient manifestement interdits et qu'ils constituent
des infractions punissables aux termes des articles 122, 125,
126 et 127 du Code militaire turc (2).

./.

(1) Cf, Cemal Kôseoglu, Hasiyeli Askerî Ceza ve Muhakem.e


Usulû Kanunlari, Istam.boul 1958, p. 146.
(2) Cf, loc. cit,, p, 120.
3 -

III. Quant à l'article 15 de la Convention


Je suis d'accord avec la Commission pour dire que
l'article 15 n'est pas d'application en l'espèce. Mon opinion
se fonde sur les observations suivantes concernant l'inter-
prétation de l'article 15 de la Convention à la lumière de
l'historique de son élaboration, com.binée à la manière dont
a été rédigé l'article 4 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, actuellement en vigueur.
1, L'article 15 de la Convention a un libellé sensiblement
identique à celui de l'article 4 du Pacte relatif aux droits
civils ez politiques (1), dont la rédaction préliminaire était
déjà achevée en 1948, alors que le prem.ier projet du Pacte
international relatif aux droits de l'homme était en cours
d'élaboration. L'article 22 de la Convention interaméricaine
des droits de l'homme contient aussi une clause qui correspond
exactem.ent à l'article 15 de la Convention européenne. Les
travaux préparatoires sur l'article 15 de la Convention
européenne ne renseignent aucunement sur l'intention des
parties à la Convention non plus que sur celle des rédacteurs
de cette clause.

2. Il semble que les rédacteurs de la Convention européenne


se soient fondés entièrement sur les résultats des travaux des
Nations Unies. De fait, à la Commission des Droits de l'Homme
des Nations Unies, la clause de dérogation qui figure désormais
à l'article 4 a été rédigée par un groupe de travail (2) ; cet
article était libellé comme suit :
"Article 4
1. En temps de guerre ou en cas d'autre danger public,
l'Etat peut prendre des mesures dérogeant aux obligations
prévues à l'article 2 ci-dessus dans la stricte mesure
des exigences de la situation,
2, L'Etat partie qui exerce ce droit de dérogation tient
pleinement informé le Secrétaire Général des Nations Unies
des mesures qu'il a ainsi prises et des motifs qui les ont
inspirées. Il doit aussi l'informer lorsque les mesures
cessent de s'appliquer et que les dispositions de l'article
reçoivent de nouveau pleine application," (traduction du
Secrétariat)

En mai 1948, le texte a été modifié et le second paragraphe


a été "réservé pour examen après rédaction des articles sur là
mise en oeuvre" (3). A la septième session de la Commission, le
texte était libellé comme suit :

./.

(1) UN Rés, 22000 A (XXI),


(2) Doc, E/CN 4/56 ; E/CN 4/AC 3/1 à 9 ; voir aussi le rapport
de la Commission sur la deuxièm.e session, doc. E/600,
(3) Doc, E/CN 4/95,,
'- 174 -

"Article 2"
1. En cas de dangers exceptionnels constatés par „un
..
acte officiel, ou de calamités, l'Etat peut prendre, dans
la stricte m.esure où la situation l'exige, des mesures
dérogeant aux obligations prévues dans le premier paragraphe
de l'article premier et dans la deuxièm.e partie du présent
Pacte.
2. La disposition précédente n'autorise aucune déroga-
tion aux articles 3, 4, 5 (paragraphes 1 et^2), 7, 11,
12 et 13. La disposition précédente n'autorise de la
part d'un Etat aucune dérogation qui, par ailleurs, serait
incompatible avec le droit international.
3. Les Etats contractants qui usent du droit de déroga-
tion doivent, par l'entremise du Secrétaire Général,
signaler aussitôt aux autres Etats contractants les
dispositions auxquelles ils ont dérogé, ainsi que la
date à laquelle ils ont mis fin à cette dérogation." (1)
Les amiendemients suivants à cet article ont été proposés :
"Article 2
1. Premier alinéa
Royaume-Uni
Substituer le texte suivant :
'En temps de guerre ou dans les m^oments d'autres dangers
publics exceptionnels menaçant l'existence de la nation,
les Hautes Parties Contractantes peuvent prendre, dans
la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures
dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte,
sous réserve que ces mesures ne scient pas incompatibles
avec les autres obligations que leur im.pose le droit
international,'
2, Deuxième alinéa
Yougoslavie
.^près les mots ; 'avec le droit international', se
trouvant à la fin du paragraphe 2 de l'article 2,
supprimer le point et ajouter :
'et notamm:er.t avec les principes de la Charte des Nations
Unies et de la Déclaration universelle des Droits de
l'Honmie' .
Royaume-Uni
Remplacer par le texte suivant :
'La disposition précédente n'autorise aucune dérogation
à l'article, sauf en ce qui concerne les décès résultant
de faits de guerre licites, ou aux articles 4, 5 (para-
graphes 1 et 2 ) , 7 et 11,'
./,
('1 > 7^^r> T7/PXÏ )i/A/in
- 175 -

3. Troisièm.e alinéa
Inde
Rem.placer les mots 'par l'entremise du Secrétaire
Général, signaler aussitôt aux autres Etats
contractants' par les mots 'signaler aussitôt que
possible au Secrétaire Général, qui en informera
l'Assemblée Générale des Nations Unies'.
Yougoslavie
Après les mots du texte actuel 'les dispositions
auxquelles ils ont dérogé', insérer les mots suivants :
'les motifs qui l'on provoquée'."
A la huitième session de la Commission (1952), la clause
en question a fait l'objet d'un vote. Le rapport de la
Commission (1) contient les observations suivantes :
"Article 3 (Dérogations)
227. A ses 330ème et 331ème séances, la Commission a
examiné 1'article 2.
278. Etendue des dérogations. Certains représentants ont
émxis l'idée qu'il conviendrait de préciser la nature des
dangers publics exceptionnels qui autoriseraient les
Etats à déroger aux droits énoncés dans le Pacte. A leur
avis, ces dangers devraient être assez graves pour menacer
dans son" existence la nation tout entière et non seulement
une partie de la nation, comme le font par exemple, les
catastrophes naturelles. On a reconnu que la guerre était
parmi les plus importants des dangers publics exceptionnels,
mais de nombreux représentants ont estimé que le Pacte ne
devrait pas en faire mention, pour qu'on ne puisse pas lui
reprocher de sembler admettre l'idée de guerre ou de prévoir
des dispositions particulières pour une telle éventualité.
La majorité de la Commission s'est également montrée
favorable à l'idée que le danger public exceptionnel
justifiant une dérogation aux obligations prévues dans le
Pacte devrait être constaté par un acte officiel. Toutefois,
certains représentants ont estimé que la notion de danger
public exceptionnel était trop étroite, car elle n'embrassait
pas les catastrophes naturelles qui, presque toujours,
justifieraient des dérogations aux droits énoncés dans le
Pacte ou, tout au moins, à certains de ces droits. Les
membres de la Commission ont été généralement d'accord
pour reconnaître que le Pacte ne devrait autoriser aucune
dérogation incompatible avec le droit international, mais
certains d'entre eux ont estimé qu'il y aurait lieu de
mxentionner à cet égard non seulement le droit international,

./.

(1) Doc, E/CN 4/669,


76 -

mais encore les principes de la Charte des Nations Unies


et de la Déclaration universelle des Droits de l'Hommie.
D'autres représentants ont souligné que les principes
de la Charte faisaient partie du droit international,
ce qui n'était pas le cas des principes de la Déclaration
universelle des Droits de l'Homme.

279- Les membres de la Commission ont été d'accord pour


reconnaître qu'aucune des dérogations aux obligations
prévues dans le Pacte ne devrait entraîner de diserimlnation
fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion ou l'origine sociale. Une discussion s'est engagée
sur la question de savoir si c'étaient uniquement ces
formes de discrimination qui lui étaient interdites. Pour
justifier l'emploi du mot "uniquement", on a fait valoir
qu'un Etat pourrait être amené à prendre certaines m.esures,
dérogeant aux droits énoncés dans le Pacte, auxquelles
pourrait être attribué un caractère discriminatoire du
seul fait qu'elles viseraient des personnes appartenant
à une certaine race, religion, etc.. ; car ce qu'il faut
éviter, c-'-est la discrimination fondée uniquement sur des
motifs de race, religion, etc.

280, La Commission s'est prononcée sur les textes dont


elle se trouvait saisie à sa 331ème séance. Elle a voté
par division sur l'amendement de l'URSS (E/CN.4/L.121).
Les mots 'motivés par des circonstances' ont été rejetés
par 9 voix contre 5, avec 4 abstentions ; les mots 'de
nature à menacer les intérêts du peuple et' n'ont pas été
adoptés, car ils n'ont obtenu que 8 voix contre 8, avec
2 abstentions. La Commission a alors adopté, par 13 voix
contre 0, avec 5 abstentions, l'amendement de la France
(E/CN.4/L.211) à l'amendement du Royaume-Uni (E/CN.4/L,139/Revl
qui tendait à ajouter, après les mots 'menace l'existence
de la nation', les mots 'et est constaté par un acte
officiel'. La Commission a ensuite rejeté l'amendement
de^la Yougoslavie (E/1992, Annexe III, section A, article 2)
qui tendait à ajouter, après les mots 'le droit international',
les mots 'et notamment les principes de la Charte des Nations
Unies et de la Déclaration universelle des Droits de l'Homm-e'.
La première partie de 1 'am.endement, jusqu'aux mots 'Nations
Unies', n'a pas été adoptée, car il y a eu 6 voix pour,
6 voix contre et 6 abstentions ; la seconde partie de
l'amendement a été rejetée par 7 voix contre 3, avec
8 abstentions, La Commission a enfin voté par division sur
l'am.endement du Royaume-Uni (E.CN.4./L.139/Rev. 1) : les mots
'menace l'existence de la nation" ont été adoptés par 14 voix
contre 4 ; le mot 'uniquemient ' a été adopté par 9" voix contre
7, avec 2 abstentions ; le reste de l'amendement, ainsi
m-odifié, a été adopté par 15 voix contre 0, avec 3 absten-
tions ,
■V,'"' . ■■

177

281. Limitation des dérogations. La Commission a


longuement discute des droits auxquels le Pacte ne
devrait autoriser aucune dérogation. Certains représen­
tants ont jugé satisfaisante la présente enumeration des
articles du Pacte auxquels, même en cas de danger public
exceptionnel, le paragraphe 1 de l'article 2 n'autoriserait
aucune dérogation. D'autres représentants ont estimé qu'il
serait nécessaire, avant que les travaux de rédaction du
Pacte ne s'achèvent, de consacrer une étude approfondie
aux droits qui devraient être placés dans la catégorie
de ceux auxquels il ne saurait être dérogé, même en cas
de danger public exceptionnel. On a fait observer que les­
droits énoncés aux paragraphes 1 et 2 de l'article 6 et
à l'alinéa a) du paragraphe 2 de l'article 8 (il s'agit
des articles 8 et 10 du projet de pacte relatif aux droits
civils et politiques) étaient de ceux qu'il conviendrait
d'inclure dans cette catégorie. Certains représentants ont
signalé que l'inclusion de l'article 13 (article 15 actuel)
dans cette catégorie risquerait de susciter certaines
difficultés, car il pourrait arriver que, en exerçant
l'un des droits énoncés dans cet article, l'on exerce en
même temps un des droits reconnus à l'article l4 ou à
l'article 15 (articles l6 et 17 actuels). C'est ainsi,
par exem^ple, que l'expression d'une opinion peut être
aussi la manifestation d'une croyance. Si, dans un tel
cas, il pouvait être dérogé aux articles l4 et 15, mais
non à l'article 13, l'on risquerait de se trouver dans
une situation sans issue. Les représentants qui ont
défendu ce point de vue ont fait observer qu'il se
posait à ce propos une question de fond car, tout en
étant, en principe, partisans d'interdire absolument
toute dérogation au droit à la liberté de penser, de
conscience et de religion, ils considéraient qu'il pourrait
être parfois nécessaire de déroger au droit de manifester
sa religion ou ses convictions, mais seulement dans la
mesure où de semiblables dérogations aux articles l4 ou 15
pourraient se justifier.

282. A sa 331ème séance, la Commission a adopté à l'unani­


mité la première phrase du paragraphe 2.
283. Notification de dérogation. Les m^embres de la
Commission ont été génêralem.ent d'accord pour reconnaître
que l'Etat désireux de déroger aux droits énoncés dans le
Pacte devrait faire connaître sa décision aux autres Etats
contractants, conformémient aux dispositions du paragraphe 3.
Certains représentants ont considéré qu'il ne suffisait pas
que l'Etat en question notifie sa décision, mais qu'il devrait
également exposer les raisons motivant cette décision ;
toutefois, il n'a pas été suggéré que l'Etat fasse connaître
les raisons justifiant chacune des mesures particulières qui
constitueraient une dérogation aux obligations prévues dans
le Pacte. Certains représentants ont également insisté sur la
nécessité de préserver le miaillon qui relie les Etats
contractants à l'Organisation des Nations Unies, estimant
que le Pacte constituerait également un engagement desdits
Etats à l'égard des Nations Unies.

./.
- 182 -

OPINION INDIVIDUELLE DE M. M.A. TRIANTAFYLLIDES

1. Je souscris aux conclusions de la Commission au sujet


des violations de la Convention.
2, Toutefois, il convient de souligner que le présent ■
Rapport ne présente pas chaque violation dans toute son
ampleur, car, vu l'urgence de l'affaire, il n'a pas été
possible d'entendre les centaines de-témoins disponibles
au sujet d'un nom.bre vraiment très élevé de plaintes
consécutives à une violation sans précédent de l'ordre
public européen.
3. De m.ême, le refus d'autoriser la Délégation de la
Commission à se rendre dans la partie septentrionale de
Chypre occupée par les Turcs a empêché d'enquêter sur de
très nom.breuses autres plaintes. Ce que la Délégation aurait
notammient découvert, au cours de cette visite, est décrit
dans un article publié dans le quotidien anglais "The
Guardian", du 6 mai 1976, par une équipe de la télévision
britannique, qui est parvenue à se rendre dans 26. villages,
anciennement grecs, de la zone occupée et qui a constaté que
seules les églises de quatre villages étaient encore dans un
état correct, et qui n'a pas trouvé un seul cimetière qui n'ait
été profané.
En-outre, si la Délégation avait pu se rendre dans la
zone occupée, la Commission aurait pu se rendre compte du
lien entre, d'une part, l'effort systém.atique pour modifier
la structure démographique de cette région par l'installation
de civils provenant de Turquie et, d'autre part, l'eloignemient
systématique de cette région de ses habitants chypriotes grecs ;
en outre, cette visite aurait grandement aidé à s'informer sur
le sort de nombreux Chypriotes grecs portés disparus.
4, En plus des violations de la Convention relevées par la
Com.missiori, je pense qu'au moins deux autres violations ont
été établies :
(a) Les restrictions im.pcsées à la liberté des Chypriotes
grecs ''enclavés" dans la zone occupée sont non seulement
contraires au quatrième Protocole de la Convention (qui
n'a été ratifié ni par Chypre ni par la Turquie), mais
se traduisent souvent, en raison de leur caractère étendu
et cum.ulé, par une privation de liberté contraire à
l'article 5 de la Convention,
(b) La manière dont de nombreux Chypriotes grecs ont
été détenus par les forces militaires turques et notammient
la séparation pure et simple des hommes et de leurs familles,
a non seulemient enfreint l'article 5 de la Convention
(ccmm.e l'a constaté la Commission), mais représente, par
ailleurs, une violation de l'article 8 de la Convention.

./.
183 -

5. Pour conclure, j'attirerai l'attention sur le .fait que


le présent Rapport fait apparaître des violations extrêmement
graves de 1'ordre public européen ; au moins deux d'entre
elles, qui sont d'une extrême gravité, à savoir le déplacement
de personnes et le non-respect du droit de propriété, se
poursuivent encore. Je pense qu'il est de mon devoir de
souligner l'urgence de rétablir l'ordre public européen à
Chypre,
- 188 -
Cette ingérence extérieure, irrégulière et illégale, a fait
disparaître les derniers vestiges de l'ordre constitutionnel
à Chypre. Le Gouvernem.ent défendeur a prétendu que dans ces
circonstances, les Puissances garantes étaient fondées à
intervenir, après consultation, pour rétablir l'ordre constitu-
tionnel dans l'île. Si les Puissances garantes ne se mettaient
pas d'accord sur une action conjointe, ce qui a été le cas,
chacune des puissances avait le droit, aux termes de
l'article 4/2 du Traité de garantie, d'agir seule comme elle
l'entendait. Il ne faut pas oublier que s'il n'y avait pas eu
d'intervention pour rétablir l'ordre constitutionnel dans l'île,
et défendre les droits de la communauté turque opprimée de
longue date, la Partie requérante n'aurait jam-ais eu l'occasion
d'introduire une requête devant la Commission. Par ailleurs,
cette intervention a inéluctablement favorisé l'effondremient
de la junte militaire d'Athènes et facilité la création d'un
régim.e dé.mocratique en Grèce.

En troisième lieu, je pense que dans la "genèse des


événements à Chypre", des faits importants ont été omis,
qui auraient pu éclairer le problème très complexe de Chypre.
A m-es yeux, pour donner une image fidèle et exacte de la
situation, notre Rapport aurait dû mentionner tous les
événements imiportants, particulièrement ceux qui ont débuté
en 1963 avec le massacre de familles turques à Nicosie et
dans les enclaves, et qui s'est poursuivi à partir de 1964
et pendant l'été 1974, avant et pendant l'intervention. Pendant
toutes ces années, la communauté turque de Chypre a été victim.e
de mauvais traitements systématiques de la part de la comm.unaute
grecque, La communauté turque a été victimie pendant cette period'
de nombreux crimes et atrocités. Traités comme des citoyens de
seconde zone, les Turcs n'ont même pas pu jouir de leurs droits
de l'homm.e fondamentaux. Une annexe récapitulant ces événements
dans l'ordre chronologique aurait aidé à mieux comprendre cette
situation tragique derrière laquelle se cachent de nombreux
facteurs humains, politiques, sociaux, culturels et économiiques.
Ces événements tragiques, signalés à l'époque par de
nomibreuses agences de presse internationales et dont ont été
aussi témoins des observateurs neutres sur place, conmie les
représentants étrangers accrédités et les mem/ores de la force
des Nations Unies chargée du maintien de la paix, ainsi que
de la Croix-Rouge internationale, ont malheureusement été à
l'origine de violences douloureuses et ininterrompues enrre
les communautés de 1'île.
Les autres remarques importantes que je souhaiterais
faire sont les suivantes : tout d'abord au stade de l'exam.en
au fond, la Commission ne s'est pas conformée aux dispositions
de 1'article 28, qui stipulent que :
"Dans le cas où la Commission retient la requête :
(a) afin d'établir les faits, elle procède à un examen
contradictoire de la requête avec les représentants des
parties et, s'il y a lieu, à une enquête pour la conduite
efficace de laquelle les Etats intéressés fourniront toutes
facilités nécessaires, après échange de vues avec la
Commission."
-' 189 -' '

Toutefois, la demande de la Partie requérante n'a pas


été examinée avec les représentants .du Gouvernement défendeur.
Ainsi, les conditions imperatives posées à l'article 28 n'ont
pas été rem.plies. On peut soutenir que toute Haute Partie
Contractante peut échapper aux obligations qui lui incomibent
aux termes de la Convention en se contentant de donner^ une
raison pour ne pas participer à la procédure devant la
Comm.ission, et qu'elle peut ainsi emipêcher la Commission
de remplir ses fonctions. Selon moi, si la Commission avait
constaté que les procédures prévues par la Convention étaient
ainsi entravées, la solution aurait consisté à soumiettre
l'affaire, avec un Rapport intérimaire, au Comité des Ministres
du Conseil de l'Europe, vu que pareille situation n'est pas
envisagée par la Convention et qu'elle soulève un problème
nouveau et com.plexe. Le Comité des Ministres aurait alors dû
prendre les mesures adéquates pour inciter le Gouvernement
défendeur à coopérer en envoyant des représentants et, par là
même, à aider au bon fonctionnement de la Commission.

A mes yeux, la Commission a eu tort de poursuivre sa


tâche en l'absence du Gouvernement défendeur. Elle a soutenu
dans son Rapport qu'en pareille situation, elle pouvait, comme
d'autres organes juridictionnels, tels que la Cour européenne
des Droits de l'Homme et la Cour internationale de Justice,
statuer in absentia (cf. Rapport, p, 21) , Toutefois, cette
solution n'est pas correcte parce que la Comm.ission n'est
pas un tribunal. Les dispositions explicites des textes
pertinents permettent aux tribunaux susmentionnés de juger
par défaut. Toutefois, rien n'est dit à cet égard dans notre
Convention, même implicitem.ent, en ce qui concerne la Commission.
Celle-ci fonctionne principalemient comme un organe d'instruction
doté d'attributions quasi-juridictionnelles .

Une autre observation importante que je souhaite faire,


c'est que le Rapport de la Commission est incomplet, vu que
les Délégués enquêteurs envoyés à Chypre ne se sont rendus que
dans la partie chypriote grecque de l'île. Les Délégués n'ont
entendu que des dépositions de Chypriotes grecs et, par voie de
conséquence, le Rapport ne présente qu'un aspect de la situation.
Il est évident que cette enquête limitée et partiale, qui n'a
duré que quelques jours, ne pouvait donner qu'une version des
faits incomplète et même déséquilibrée. On peut soutenir que.
la faute n'en est pas imputable à la Commission, puisque les
autorités de la partie septentrionale de Chypre n'ont pas
autorisé la Délégation à visiter cette partie de l'île et à
y mener les enquêtes nécessaires. Toutefois, la Commission a
été confrontée à cet égard à la même impasse que je viens de
mentionner. Selon moi, pour aboutir à une solution, la Commission
aurait dû s'adresser au Com.ité des Ministres et solliciter son
aide pour résoudre ce problèm.e politique. Une fois le problème
politique préliminaire réglé, la Commission aurait alors dû
se rendre un peu partout dans lîle et entendre des personnes
très diverses, y compris des Chypriotes grecs, et aurait achevé
son enquête conformément à l'article 28 (a) de la Convention.

./
- 190

Je voudrais dire aussi que notre Rapport ne contient


pas d'éléments de preuve littérale très importants et
hautemient pertinents, par exemple des rapports des Nations
Unies sur les violences intercommunautaires dans l'île. La
Commission aurait dû tenir compte de pareils documents
émanant d'une organisation neutre et impartiale comme les
Nations Unies.
Certains autres éléments de preuve importants ne
figurent pas non plus dans le Rapport. Ainsi, les autorités
des Nations Unies sur l'île se sont abstenues de témoigner
devant les Délégués. Elles ont déclaré que leur situation
d'impartialité et de neutralité les empêchaient de coopérer
avec la Comm.ission (cf. Rapport, p. 19). Cette attitude est
incompréhensible, vu que la Commission est une institution
internationale. Ces institutions internationales n'ayant
pas coopéré, la Commission s'est trouvée empêchée de remplir
sa mission aux termes de l'article 28 (a). Dans cette situation
également, la Commission aurait dû demander au Comité des
Ministres d'intervenir à ce sujet auprès des autorités
supérieures des Nations Unies.

En outre, je souhaiterais dire que la Commission et ses


Délégués enquêteurs ne se sont pas penchés sur les atrocités
commises contre des membres de la communauté turque, particu-
lièrement ceux qui étaient isolés dans des enclaves pendant
l'été 1974. Cette enquête aurait aidé la Commission à établir
une version plus ex'acte des événements ultérieurs. Bien qu'en
principe la Commission ne puisse agir seule, sans être saisie
d'une requête par une Haute Partie Contractante (1) - proba-
blement la Turquie en l'espèce - elle aurait pu à juste titre
examiner les allégations d'atrocités contre les Chypriotes
turcs dans la mesure où elles se rapportent aux questions
soulevées par la présente affaire. La Commission ne l'a pas
fait.
En ce qui concerne l'établissement des faits et les
éléments de preuve recueillis par la Commission, nous savons
que les élém.ents de preuve servent uniquement à aider à
1'établissem.ent de la vérité de faits contestés ou à la
solution de points litigieux. Or, certains des éléments
de preuve recueillis par la Commission ne sauraient, selon
moi, être considérés comme concluants. Ils ont davantage un
caractère circonstantiel ou de présomption. Certains témoi-
gnages ont eu en partie un caractère dérivé, s'agissant de
témoignages indirects ou de rumeurs ; par voie de conséquence,
ils n'étaient pas les meilleurs éléments de preuve pour établir
les faits contestés en l'espèce. Dans de nom^breux cas, il s'est
agi seulement de dépositions faites par des Chypriotes grecs.
En outre, dans une affaire interétatique, il est indispen-
sable que des éléments de preuve à décharge soient produits
pour parvenir à établir la vérité des faits contestés. En
l'espèce, le Gouvernement défendeur, pour les raisons exposées
dans ses conclusions, n'a pas participé à la procédure quant
au fond, et il n'a donc pas été possible d'obtenir des éléments
de preuve à décharge au cours de l'enquête et pour l'examen des
requêtes par la Commission,
./.

(1) A supposer que l'Etat concerné n'ait pas accepté le droit


de requête individuelle - ce que Chypre n'a pas fait.
- 191 -
Enrésum.é, les éléments de -preuve de caractère unilatéral
recueillis par la Commission au cours de sa très courte visite
dans l'île laissent planer des doutes sérieux quant au bien-
fondé des conclusions de la Commission et peuvent compromettre
le fondement mêm.e du Rapport ainsi que les conclusions relatives
à des violations de la Convention.
Par ailleurs, la Commission n'a pas traité de mianiere
adéquate dans son Rapport de la question de l'applicabilité
de la Convention à une situation de conflit armé, et ne l'a
pas appliquée à cet effet. L'article 15 dispose qu'en cas de
danger exceptionnel m.enaçant la vie de la nation, une Haute
Partie Contractante peut prendre des m.esures dérogeant aux
obligations prévues par la Convention, dans la mesure où la
situation l'exige. Bien que le Gouvernement défendeur n'ait
pas fait parvenir officiellement un avis de dérogation au
Secrétaire Général du Conseil de l'Europe au sujet de Chypre,
l'état de siège proclamé en Turquie et notifié au Secrétaire
Général du Conseil de l'Europe visait en réalité toutes les
provinces proches de Chypre. Bien que ce point n'ait pas été
soulevé par le Gouvernement défendeur au cours de la procédure,
je pense que la Commission aurait dû appliquer cet article à
cette situation. Comm.e le Gouvernement défendeur a rejeté
la thèse selon laquelle Chypre se trouvait sous sa juridiction,
il n'aurait pas pu invoquer ce point sans se contredire lui-même.
D'un autre côté, la Commission, en reconnaissant que la partie
septentrionale de l'île se trouvait sous la juridiction de fait
du Gouvernem.ent défendeur, aurait pu admettre, en bonne logique,
que l'état de siège existant en Turquie s'étendait aussi
effectivement aux parties de l'île se trouvant sous ]e contrôle
du Gouvernement défendeur.

S'agissant des problèmes d'imiputabilité et de responsabilité,


^'e pense que des actes isolés commis par des individus au cours
d'un conflit armé ne sauraient véritablement engager la respon-
sabilité d'un Etat, à moins qu'il n'ait été montré avec une
quasi-certitude que ces actes ont été ordonnés, organisés et
menés systémiatiqueme^t par les autorités responsables. Pour
attribuer ces actes au Gouvernement défendeur en l'espèce, la
Commission aurait dû aussi m.ontrer clairemient que les agents
compétents du Gouvernement défendeur ont officiellement toléré
ces actes. Cette tolérance n'a pas été prouvée de manière
concluante.
Conclusion
Pour les raisons exposées ci-dessus et après avoir observé
que la Partie requérante n'est pas la Haute Partie Contractante
légitime envisagée dans l'ordre constitutionnel initialement
mis en place par la Constitution de Chypre et sanctionné par
des Accords internationaux, après avoir constaté que le Rapport
de la Commission est inévitablement partial, malheureusem.ent
incomplet, qu'il ne présente pas un grand nombre de faits
pertinents très importants, qu'il conclut en l'absence de
preuves contraires, preuves dont la production constitue
l'essence mêm.e de tous les systèmes de droit modernes, qu'il
passe sous silence des questions juridiques im.portantes, et
qu'il est donc un Rapport déséquilibré qui ne peut aider
aucunem.ent à résoudre le très complexe problème^'posé, après
avoir noté, en outre, que dans les cas où une Partie n'apporte
pas sa coopération, la meilleure solution pour la Commission
./.
- 192

serait d'abord de s'adresser au Comité des Ministres pour


qu'il facilite son fonctionnement et lui permette de mener
à bien sa tâche dans les conditions prévues par la Convention,
je désapprouve l'ensemble du Rapport et m'oppose aux: conclu-
sions de la Commission concernant lesviolations de la Convention
alléguées par la Partie requérante.
- 193

ANNEXE

CONSTITUTION DE CHYPRE DU 6 AVRIL I960 (1)

Titre premier - Dispositions générales

Article premier. L'Etat de Chypre est une République


indépendante et souveraine à régime présidentiel, le Président
étant Grec et le Vice-Président Turc, chacun d'eux étant
respectivement élu par les Communautés grecque et turque de
Chypre conformément aux dispositions de la présente Constitution

Article 46, Le pouvoir exécutif est exercé par le Président


et le Vice-Président de la République.
Dans l'exercice du pouvoir exécutif, le Président et le
Vice-Président de la République sont assistés d'un Conseil
des Ministres composé de sept ministres grecs et trois
ministres turcs. Les ministres sont désignés, selon la
Comm.unaute à laquelle ils appartiennent, par le Président
ou par le Vice-Président de la République qui les nomme au
moyen d'un instrument signé par l'un et l'autre. Les ministres
peuvent être choisis en dehors de la Cham^bre des Représentants,
L'un des portefeuilles suivants : Ministère des Affaires
Etrangères, Ministère de la Défense ou Ministère des Finances,
peut être confié à un ministre turc. Le Président et le Vice-
Président de la République peuvent s'entendre pour remplacer
ce système par un système de roulement.
Le Conseil des Ministres exerce le pouvoir exécutif
conformément aux dispositions de l'article 54.
Les décisions du Conseil des Ministres sont prises à la
majorité absolue et, sauf dans le cas où le droit de veto
définitif ou de demande de révision est exercé par le Président,
ou le Vice-Président de la République, ou par les deux,
conformém.ent aux dispositions de l'article 57, elles sont
promulguées sans délai par publication au Journal Officiel
de la République conformément aux dispositions de l'article 57,

./.

(1) Traduction française parue dans Notes et études documen


taires (la documentation française, série politique),
N° 2761, 17 m.ars 1961.
194

Article 47. Les pouvoirs exécutifs exercés conjointement


par le Président et le Vice-Président de la République consistent
a :

(c) nommer les membres du Conseil des Ministres au moyen


d'un instrument signé par l'un et l'autre, conformément aux
dispositions de l'article 46 ;

Article 49. Les pouvoirs exécutifs exercés par le Vice-


Président de la République consistent à :

(d) opposer son veto définitif aux décisions du Conseil


des Ministres relatives aux Affaires étrangères, à la
Défense ou à la Sécurité, conformément aux dispositions
de l'article 57.

Article 50. 1. Le Président de la République et le Vice-


Président peuvent opposer, conjointement ou séparément, leur
veto définitif à toute loi ou décision de la Chambre des
Représentants, ou à toute partie desdites lois ou décisions
portant sur :
(a) les Affaires Etrangères, à l'exception de la
participation de la République aux organisations et
pactes d'alliance internationaux auxquels le Royaume
de Grèce et la République de Turquie sont parties.
Aux fins du présent alinéa, les "Affaires Etrangères"
comprennent :
(i) la reconnaissance des Etats, l'établissement des
relations diplomatiques et consulaires avec
d'autres pays et la rupture desdites relations.
L'agrément des représentants diplomatiques et
1'exequatur aux représentants consulaires. La
nomination de représentants diplomatiques et
consulaires, déjà en service, à des postes à
l'étranger et l'envoi en mission extraordinaire
à l'étranger d'envoyés spéciaux appartenant déjà
au corps diplomatique. La nomination de nouveaux
fonctionnaires diplomatiques et consulaires et leur
affectation à des postes à l'étranger, ainsi que la
nomination d'envoyés spéciaux et leur envoi à
l'étranger j

(ii) la conclusion de traités, conventions et accords


internationaux ;

./.
- 195 -

Article 54. Sous réserve des pouvoirs exécutifs


expressément réservés aux termes des articles 47, 48 et
49^ au Président et au Vice-Président de la République,
agissant séparément ou conjointement, le Conseil des
Ministres exerce les pouvoirs exécutifs dans tous les
autres domaines, à l'exception de ceux qui sont expressé-
ment réservés, en vertu des dispositions de la présente
Constitution, aux Chambres de Communauté, et notamment :
(a) la direction générale et le fonctionnement du
Gouvernement de la République, ainsi que la direction
de la politique générale ;
(b) les Affaires Etrangères, conformément aux disposi'
tions de l'article 50 ;

Article 57. 1. Toute décision prise par le Conseil


des Ministres doit être communiquée sans délai au Président
de la République et au Vice-Président.

3. Pour toutes décisions relatives aux


Affaires Etrangères, à la Défense ou à la Sécurité, confor-
mément aux dispositions de l'article 50, le Président de la
République, ou le Vice-Président, ou l'un et l'autre, ont le
droit d'opposer leur veto dans les quatre jours suivant la
date de la transmission de la décision à leurs services.
- lyo -

OPINION INDIVIDUELLE DE M. G. TENEKIDES

Je déclare être en principe d'accord avec le présent


Rapport pour tout ce qui concerne notamment les violations
de la Convention dans le cas considéré.
Usant toutefois de la faculté que me confère l'article
31 (1), je réserve mon opinion sur les points suivants :
1. Le nombre des cas concrets sur lesquels a porté l'estima-
tion de la Commission est loin de correspondre à la masse des
événem.ents (violations massives) qui constituent le fond de
tableau de 1'affaire.
Il en est ainsi, par exemple, des deux mille personnes portées
disparues. L'impossibilité de fournir, dans le cas
d'espèce, des preuves palpables de la violation de
l'article 2 (1) ne dégageait pas la Commission du
devoir de tirer les conséquences du manque d'informa-
tion, depuis deux ans, quant au sort de ces personnes.
La situation des Chypriotes grecs demeurés dans certaines
enclaves de la zone occupée n'a pas été examinée avec
l'attention voulue. Le signataire de ces lignes a la
conviction que des violations des articles 8 et 5 ont
été commises à 1'encontre de ces personnes.
Si des violations de l'article 1er du Premier Protocole
concernant le respect des biens ont été constatées en
ce qui concerne la propriété privée, avec les déductions
juridiques qui s'imposent, nulle mention n'est faite du
patrimoine'culturel (églises, monuments anciens ou
m.édiévaux, objets d'art, bibliothèques), lequel, compte
tenu des traditions locales, se situe, dans l'échelle
des valeurs, à un niveau particulièrement élevé,
La difficulté pour la Commission de porter un jugement
de caractère juridique sur ces deux derniers cas tient aux
obstacles auxquels se sont heurtés les Délégués aux fins
d'enquêter dans la partie nord de Chypre. Il en résulte que
la non-observation par le Gouvernement défendeur de l'article 28
concernant "l'obligation des Etats intéressés de fournir toutes
facilités nécessaires après échange de vues avec la Commission",
loin de constituer un simple incident de procédure, est d'une
gravité telle qu'elle aurait pu figurer dans les conclusions
du présent Rapport, parmi les violations m.ajeures de la Convention.
2, Tout acte d'"autorité publique" accompli par les Chypriotes
turcs en contradiction avec les dispositions de la Convention
est, du fait de la situation créée dans la zone d'occupation
militaire à Chypre, imputable à la partie défenderesse. Il
existe, en effet, de toute évidence, un rapport de causalité

./.
197

direct entre la présence de la force militaire venue du


continent et la possibilité pour des personnes de la même
origine ethnique d'accomplir de tels actes. Il en résulte
que le cas des l46 Chypriotes grecs détenus dans la prison
du Sarail ou dans le garage Pavlides, conjointement avec
d'autres cas analogues, sont, à mon avis, imputables au
Gouvernement défendeur.
3. Pour tout ce qui touche aux violations continues telles
qu'elles ont été relatées dans le Rapport, circonstances qui
compromettent gravement l'ordre public européen, la Commission
avait la possibilité en se fondant sur l'article 31 (3), de
proposer les mesures qui s'imposaient en la circonstance aux
fins d'un retour urgent à la situation commandée par le devoir
de mise en oeuvre de la Convention.
xyo

OPINION DISSIDENTE DE M. S. TRECHSEL


— ■ — —

EN CE QUI CONCERNE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION


— — — ■ - T . r iMiin- n l'T.ii

Contrairement a l'âvlê de la majorité de la Commission,


je considéré que 1*article 3 4 ne s'applique nullement dans
un cas où une violation dô la Convention a déjà êtë constatée*
De fait, la Commission se trouve devant une alternative : un
droit garanti par la Convention a­t­il été viole ou non ? Si
l*une des garanties énoncées aux articles 2 à 13 de la Convention,
I à 3 du Protocole N° 1 ou 1 à 4 du Protocole N^ 4 est jugée
avoir été violée, il n'y a pas place pour conclure, par ailleurs,
que la violation est aggravée par un élément de discrimination*
Je concède que la discrimination proprement dite pourrait
représenter une injustice, équivalente à la violation d'un
droit de l'homme. On pourrait alors dire, par exemple, que
le comportement des forces militaires turques à Chypre, du
fait qu'il a été discriminatoire, a violé les droits de l'homme
de l'ensemble de la communauté chypriote grecque dans le nord
du pays. Toutefois, l'article 14 de la Convention n 'interdit
les discriminations qu'en ce qui concerne "la jouissance des
droits et libertés qui sont reconnus" (dans la Convention).
Ce libellé doit être interprété commie signifiant qu'il ne peut
y avoir discrimination que lorsqu'une distinction déraisonnable
est faite entre des individus qui jouissent, encore qu'à des
degrés divers, des droits et libertés énoncés dans la Convention.
II pourrait en être ainsi, par exemple, d'une ingérence discri­
minatoire dans l'exercice de l'un des droits énoncés aux
articles 8 à 11, dans les circonstances visées au paragraphe 2
de ces articles. Toutefois, dès lors qu'il y a eu violation
de la Convention, le concept m.ême de discrimination/différenciation
raisonnable oerd tout intérêt.

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