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Remy Vanherweghem

26038****

TRANSFORMATIONS DU NATIONALISME QUÉBÉCOIS:

DE LA COMMISSION TREMBLAY À LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

Final report

Professor C. Scholtz

Department of Political Science


McGill University
December 1st, 2009
Table  des  matières  

Introduction  ............................................................................................................................................  2  

Le  Québec  après  la  Deuxième  Guerre  mondiale  .........................................................................  3  

La  commission  Tremblay  ....................................................................................................................  7  

La  Révolution  Tranquille  .................................................................................................................  11  

Conclusion  .............................................................................................................................................  17  

Bibliographie  .......................................................................................................................................  18  

1
Introduction

La mort de Maurice Duplessis est un moment charnière dans l’histoire du Québec

contemporain. Si l’événement marque populairement la fin de la « grande noirceur » et le début

de la Révolution Tranquille, c’est aussi l’ensemble du nationalisme québécois qui sera redéfinis à

cette époque. Parce que sa définition se basera désormais sur la promotion d’un État Providence

laïque et teinté d’un nouveau nationalisme, la relation qu’entretiendra, à partir de ce moment, le

gouvernement québécois avec Ottawa sera, elle même, profondément transformée. Et cette

transformation, cette nouvelle donne, n’est pas nécessairement à l’avantage d’Ottawa et de la

fédération. En observant les transformations s’opérant dans la société civile de la province dès la

fin de la Deuxième Guerre mondiale et ce jusqu’à la Révolution Tranquille en tant que telle, on

peut comprendre un peu mieux la nature des changements majeurs survenus à cette époque

apparemment tranquille mais profondément troublée. Les petits changements de coulisses

s’additionnant à cette époque formeront un nouveau paradigme nationaliste qui guidera plus que

jamais les relations du Québec avec Ottawa. Ces changements de coulisses contribueront au

remplacement des élites et leaders traditionnels par une nouvelle classe d’intellectuels ayant

profondément intégrés l’idée d’un Canada fondé par deux peuples (Français et Anglais) et dont

les idées seront marquées par ce genre d’éléments particulièrement apparus après la guerre. Bref,

parce que les transformations s’opérant dans la société québécoise dès 1945 et jusqu’au début des

années 1960 sont à ce point viscérales, cette période est un point tournant de l’histoire de la

province, oui, mais également de toute la fédération.

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Le Québec après la Deuxième Guerre mondiale

Dans la foulée des efforts de guerre fournis pendant la Deuxième Guerre mondiale, le

Québec connaît une importante vague d’urbanisation et d’industrialisation dès le milieu des

années 1940, réduisant d’autant l’importance de l’agriculture comme pilier central de l’économie

de la province. Ce phénomène a deux conséquences importantes, conséquences qui influenceront

le développement économique et politique pour de nombreuses années à venir : la fiabilisation de

l’économie (versus l’imprévisibilité d’une société dont l’économie est principalement agraire)

mais, nous nous intéresserons particulièrement à ce point, la dissolution progressive du « mythe

rural » comme élément fondateur de la société canadienne française et du nationalisme québécois

(Behiels 1985, 11).

Maurice Duplessis, réélu Premier Ministre en 1944 après une courte interruption libérale

(de 1939 à 1944) de son règne débuté en 1936, fonde son idéologie et ses politiques sur un

nationalisme dit « traditionnel », prônant la conservation de la langue française et de la religion

catholique comme éléments fondateurs du concept de « nation » (Rocher 2002, 3). Ainsi, à cette

époque, le nationalisme traditionnel est formé autour d’une dualité religieuse et linguistique et le

désir, pour les canadiens français, de pouvoir perpétuer leurs pratiques (religieuses et

linguistiques) dans un monde résolument plus anglo-saxon que le souhaiterait l’Église et les élites

traditionnelles en général. Duplessis exploite à fond cette fibre nationaliste pour gagner en

popularité et, de façon plutôt cohérente, en fera l’élément central de sa manière de gouverner.

Son règne en est un de conservatisme social : les politiques publiques mises en place sont

3
minimales – l’État n’intervient pour ainsi dire pas dans les affaires privées – et ne reflètent en

rien la montée en importance des courants plutôt keynésiens, faisant la promotion d’un État

Providence, naissant dans d’autres États du monde et même de plus en plus populaires à l’époque

dans le reste du Canada. L’Église et l’État se côtoient de très près : certains rôles semblant

aujourd’hui naturellement part du joug de l’État sont, alors, assumés par l’Église. Ainsi, les soins

de santé tout comme l’éducation sont la responsabilité du clergé, qui tient beaucoup à ces rôles,

particulièrement liés au pouvoir; la relation des individus avec l’Église catholique romaine est

ainsi viscérale qu’elle fournit aussi bien la santé – la vie – que le savoir. De même, l’Église et les

élites traditionnelles cultivent l’idéal de la ruralité auprès de la population canadienne française,

et ce depuis bien plus longtemps que le règne, la vie même, de Duplessis (Meadwell 1993, 205).

Et cette idéalisation de la vie campagnarde et de l’agriculture ne sont pas sans conséquences

tangibles : la majorité francophone catholique (la formule frôle le pléonasme dans le contexte) est

sous-représentée dans les institutions bureaucratiques comme dans le commerce de la province.

Cette sous-représentation rend ces milieux hostiles aux francophones (soucieux de perpétuer leurs

traditions catholique et, bien sur, de communiquer dans leur langue), contribuant d’autant plus au

« mythe rural », la campagne étant belle et bien un bastion catholique et francophone où le mode

de vie traditionnel peut être mené à bien (Rocher 2002, 3). Ce mythe est pris très au sérieux par

la population et l’État, et pendant longtemps la province résiste partiellement à l’urbanisation et à

l’industrialisation parce que les Québécois francophones – représentés par les élites

traditionnelles, notamment l’Église – rejettent ces phénomènes par crainte d’être entrainés dans

un modèle anglo-saxon ne laissant aucune place à leur ‘précieuse’ identité nationale (qui, il est

important de le marteler, est linguistique et religieuse à cette époque) (Rocher 2002, 3). Ainsi, le

Québec n’avance pas vers la modernité… Enfin, pas officiellement. Malgré la volonté du clergé,

de l’État et de la majorité, il est pourtant difficile de freiner ces phénomènes, qui surviendront

4
insidieusement mais sûrement, la population migrant lentement dans les grandes villes (Montréal,

Québec, Gatineau, Sherbrooke, etc.) et les industries, manufactures et autres représentants des

secteurs de la production lourde ouvrant leur portes et trouvant, nécessairement, la main d’œuvre

obligatoire chez les francophones pour fonctionner. Mais tout ça se fait en catimini, en dehors du

discours politique et populaire, et sur le long terme.

Ce rejet – idéologique – de la modernisation de la province trouve son reflet politique

auprès de Maurice Duplessis. Outre les politiques adoptées par le gouvernement unioniste sont-

elles le reflet de ce conservatisme populaire, mais, dans le cadre de ses relations avec Ottawa, le

gouvernement de Duplessis adopte une position particulièrement teintée de cette idéologie.

L’attitude adoptée par Québec prend la forme d’une défense coûte que coûte de l’autonomie

provinciale : devant le fédéral, Duplessis clamera « rendez-nous notre butin » (Angers 1997, 9).

Or, si le fédéral avait eu tendance, sous Mackenzie King par exemple (avec son ministre Ernest

Lapointe [Angers 1997, 237]), à accepter plus ou moins l’idée d’un droit des provinces à être

autonomes jusqu’au limites permises par la constitution et de croire même que le fédéral serait

finalement une créature de ces même provinces pour faciliter la gestion (c’est l’opinion de

Duplessis), la situation change dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale alors que le fédéral

ressent alors le besoin de s’impliquer plus largement dans la création de politiques sociales et

fiscales. Le fédéral, ayant des moyens tout de même non négligeables pour des responsabilités

relativement limitées, s’intéresse à offrir des services sociaux aux citoyens, voguant sur la vague

de l’État Providence en développement un peu partout dans le monde, quitte à empiéter sur les

compétences des autres gouvernements de la fédération s’il le faut. Les provinces, en général, ne

s’y opposent pas tellement; l’idée de bénéficier de nouveaux programmes sociaux, d’un filet

social, n’est pas mal perçue…sauf au Québec. C’est l’époque que Cameron et Simeon (2002)

5
qualifieront de « fédéralisme coopératif ». Or, pour Duplessis – et l’Église, toujours soucieuse

d’être en contrôle de la « Providence » –, le genre de politiques qu’Ottawa veut mettre en place,

parce qu’elles marchent sur les juridictions de la province en tentant d’imposer un rôle accru à

l’État (ce que Duplessis veut, à tout prix, éviter), va à l’encontre des droits constitutionnels du

Québec (Rocher 2002, 3). Dès 1945, en conférence fédérale-provinciale, Duplessis tient

fermement à ce que les compétences des gouvernements – telle que définies par la constitution

lors de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique de 1867 – soit observées strictement (ou

religieusement devrait-on dire). En aucun cas, Duplessis ne cède le moindre terrain, quitte à

perdre la face et même subir les conséquences financières de sa ligne idéologique en perdant une

partie de l’argent provenant de transferts compensatoires (Angers 1997, 237-238). Mais qu’en

est-il de la position des citoyens de la province? Les libéraux provinciaux, alors dans

l’opposition, militent fermement contre l’attitude de Duplessis dans ses négociations avec le

fédéral comme dans son refus de moderniser la province. En 1948, une élection provinciale a

lieu : Duplessis l’emporte haut la main dans les comtés francophones, démontrant la popularité

de sa position dans un vote quasi-plébiscitaire (Angers 1997, 238). Ce ne sera pas pour cette fois,

mais des changements profonds sont néanmoins à l’œuvre, malgré l’appui incontestable à

Duplessis : la Deuxième Guerre mondiale a provoquée une augmentation de la population des

villes de la province, et l’effort de guerre une industrialisation importante, contribuant d’autant à

l’urbanisation et à sortir la population des campagnes. Ces changements sont néanmoins

progressifs et ne sautent pas aux yeux : ils semblent se produire « en coulisse », sans impact

encore sur le discours nationaliste de l’époque. Pourtant, ça ne saurait tarder : ils contribueront à

la naissance d’un nouveau mouvement nationaliste, qui trouvera ses bases dans l’organisation

naissante de la société civile et profitera du remplacement, encore éventuel, des élites

6
traditionnelles par une nouvelle classe d’intellectuels plutôt néo-nationaliste qui, en coulisse,

prépare déjà son entrée dans l’espace politique.

La commission Tremblay

En 1953, Duplessis décide de lancer une commission d’enquête – la Commission Royale

d’Enquête sur les Problèmes Constitutionnels (Commission Tremblay). Cette commission

s’inscrit dans la lignée du rapport Rowell-Sirois et, plus récemment, du rapport Massey, ces

derniers menaçants la position autonomiste défendue par Duplessis en proposant, par exemple, le

financement fédéral des institutions d’enseignement postsecondaire (dans le cas du rapport

Massey). La commission, dirigée par le juge Thomas Tremblay, est plus ou moins pour

Duplessis un prétexte pour gagner du temps et de la légitimité dans les négociations entreprises

avec le gouvernement fédéral. Le dépôt du rapport sera reporté à de multiples reprises, au point

ou il faudra attendre 1956, trois ans après le début des audiences, pour en obtenir les résultats

finaux. Et les résultats ne sont guère surprenants quand on considère les motivations entretenues

par Duplessis lors de la fondation même de cette commission : « […] it is a land-mark in the

literature of federalism: it describes and explains more fully than any other public document the

position and anxieties of Quebec in the federal state, and defends the concept of a strict

federalism as the essential basis for the success of Canada's national experiment. For the

Tremblay Commissioners the issue of Quebec in the federation and the issue of the French in the

nation are one and the same » (Brady 1959, 259). Bref, le rapport se range parfaitement dans la

ligne dure adoptée par le gouvernement de Duplessis et suggère une approche conservatrice,

« autonomiste », dans les questions de fiscalité et d’intervention fédéral-provincial. Peut-être

l’élément le plus important à retenir du document lui-même, même si les rédacteurs ne sont pas

7
les premiers ni les derniers à prendre ce point de vue, dans le cadre de cet essai, sera

l’attachement du rapport à la thèse des deux nations fondatrices comme base argumentaire (Brady

1959, 269-270). Cette idée d’un Canada duel, fondé par deux peuples (Anglais et Français), on la

retrouvera un peu plus tard chez les néo-nationalistes de la Révolution Tranquille et le choix

d’une position sur l’histoire par les rédacteurs du rapport Tremblay n’est pas sans lien. Mais la

commission Tremblay, dans sa démarche, ne se limite pas à ce genre de questions (relations

gouvernementales), et c’est ce qui fait, a posteriori, son intérêt tout particulier. Le principe

visant à gagner du temps dans les négociations avec Ottawa en prolongeant artificiellement la

durée des audience (et le temps de rédaction), à la demande (explicite ou implicite) de Duplessis,

permet à la commission d’étendre son questionnement à une gamme bien plus large que prévu de

sujets : relations municipalités-provincial, culture, intervention du gouvernement, instruction

publique, etc.

La Commission Tremblay visite 19 villes québécoises et reçoit 217 mémoires de 1953 à

1954 (Sarra-Bournet 2007, 47). Les premier intervenants, partiellement responsables de la tenue

de la commission – proviennent de différents milieux d’affaires ou de gouvernement : les

municipalités – via l’Union des Municipalités du Québec – et les commissions scolaires

demandent à Ottawa dans leurs mémoires de rendre aux provinces les responsabilités fiscales

assumées depuis la guerre tout en assurant la santé financière des provinces afin qu’elles puissent

assumer leurs propres responsabilités. De son côté, la Chambre de Commerce de Montréal –

formée particulièrement d’élites traditionnelles – insiste pour que le Québec ait les moyens

financiers de ses ambitions (qu’on notera pour l’instant assez maigres; mais les élites

traditionnelles formant la Chambre sentent peut-être le vent tourner) (Sarra-Bournet 2007, 46).

Outre ces groupes initiaux et leurs demandes plutôt frileuses, pour ne pas dire traditionalistes, la

8
commission fait vite face à une série d’intervenants issus d’horizons extrêmement divers et de

demandes révélatrices d’un changement s’opérant dans la société : la Ligue d’Action Nationale

demande une nouvelle constitution où la souveraineté des provinces serait reconnue et la Société

Saint-Jean-Baptiste une place particulière pour les Canadiens français – un État-Nation – au sein

du Canada. Mais la question des relations entre gouvernements n’est pas l’unique préoccupation

des participants et de la commission : développement des ressources naturelles, pensions

d’assistance, etc. Et les groupes militants traditionnels (comme la SSJB) ne sont pas les seuls à

intervenir : de l’Union Catholique des Cultivateurs (future UPA) à différentes troupes de scouts

soucieuses de l’avenir de la jeunesse, la société civile s’assemble en groupes de pressions divers,

sans l’implication de l’Église, pour faire valoir ses intérêts. Seuls les syndicats se font discrets,

encore plutôt attachés à des positions conservatrices et proches du pouvoir. Notons tout de même

le mémoire déposé par la Fédération des unions industrielles du Québec (un syndicat) et rédigé

par Pierre-Elliot Trudeau, réaffirmant grossièrement l’importance d’un équilibre entre le

gouvernements de la fédération et soulignant l’importance du fédéral comme remède à certains

déséquilibres régionaux (Sarra-Bournet 2007, 48).

Sur le principe d’intervention de l’État dans les affaires privées, la Commission estime

compatible la tradition gouvernementale québécoise de gestion avec une certaine participation

accrue de l’État dans la vie économie et sociale, quoi que ce rôle ne devrait pas contrevenir à

l’initiative privée (Sarra-Bournet 2007, 51-52). Cette incursion sur le sentier du rôle de l’État est

en dehors des limites du mandat de la Commission, et aurait du, selon l’ordre des choses, être

rapidement élidée, pour ne jamais figurer dans le rapport. Pourtant, la Société Civile –

représentée par les différents intervenants et dépositaires de mémoires – s’exprime avec

insistance sur le sujet en audiences, et la Commission n’a d’autre choix que de le noter, même

9
brièvement, dans son imposant rapport. Idem pour l’éducation : un nombre impressionnant de

mémoires y faisant référence et ce malgré que la commission ne soit pas en principe supposée

aborder le sujet d’aucune manière sinon peut-être du point de vue d’un financement éventuel des

institutions par le fédéral (comme le proposait le rapport Massey). Les mémoires déposés sur le

sujet ayant souvent comme base une vision traditionnelle de l’éducation revendiquent pourtant

parfois la création d’institutions étatiques encadrant le domaine, jusqu’à soulever même l’idée

extrêmement annonciatrice de la Révolution Tranquille d’un Ministère de l’éducation nationale.

Même si, pour la Commission, la question de l’éducation se transformera – comme anticipé – en

une occasion de contredire le rapport Massey et l’intervention du fédéral dans le financement des

universités et de rappeler l’importance de ce champ de compétence comme exclusivement

provincial, le débat sur l’éducation comme un domaine de l’État et non plus de l’Église semble

être lancé (Sarra-Bournet 2007, 52-53). Qui plus est, le rapport final se permet de mentionner ce

que Duplessis ne veut pas entendre : ce qui a été proposé en audiences sur l’éducation y figure en

bon et du forme.

Le rapport final de la commission, on l’a dit déjà, demeure conservateur et fait appel à

l’idée d’une définition stricte des limites des champs de compétences des provinces : même si

Duplessis tablettera le rapport sitôt sorti (il contient après tout quelques idées naissantes sur

l’éducation et le rôle de l’État qui ne plaisent pas beaucoup à Duplessis), ce dernier n’offre rien

de bien exaltant ni de très saillants signes d’un changement social en cours, et considère encore

moins des voies d’avenir pour le Canada et la collaboration entre francophones et anglophones

dans la fédération (Smiley 1965, 80). En revanche, tout le processus menant à son écriture aura

été en soi révolutionnaire pour le Québec de l’époque : les idées des néo-nationalistes sont

exprimées publiquement par des groupes de pression organisés en dehors de l’égide de l’Église

10
ou du corporatisme traditionnel (Sarra-Bournet 2007, 57). Encore une fois, comme c’est le cas

pour l’urbanisation et l’industrialisation, c’est un changement de coulisse qui s’opère pendant les

années 1950. La société civile se mobilise et le discours nationaliste traditionnel change

progressivement. Si les facteurs sont nombreux – ce changement sera aidé notamment par

l’apparition de la télévision (la définition d’Anderson de « nation »1 prenant alors un sens

nouveau) ou par l’essor de la société de consommation contribuant à la redéfinition de l’idée du

« nous, québécois » (Lévesque 1976, 738) – ces changements de coulisses jouent un rôle majeur

dans la mutation du discours nationaliste et, de ce fait, la relation de Québec avec Ottawa.

Pendant ce temps, même si le Québec lutte pour freiner le développement des politiques sociales

à Ottawa, la fédération s’équipe de programmes sociaux en faisant fi du Québec. Ainsi, l’État

Providence canadien se construit lentement mais sûrement dès la fin de la Deuxième Guerre

mondiale, certaines provinces emboîtant également le pas dans leurs juridictions (Béland et

Lecours 2006, 81). Si le Québec est en retard, ce ne sera cependant plus le cas très longtemps…

Tous les changements de coulisses dont nous avons parlés n’ayant besoin que d’un important

déclencheur pour se manifester et s’unir en réaction en chaine. Or, en 1959, la mort du Duplessis

viendra jouer ce rôle, marquant la fin d’une époque et un nouveau départ pour la société

québécoise, mais également une nouvelle donne pour les relations entretenues avec Ottawa.

La Révolution Tranquille

L’idée n’est pas ici de couvrir l’ensemble des changements opérants après la mort de

Duplessis – la tâche aurait peine à être accomplie dans un ouvrage comprenant plusieurs tomes –

mais de s’intéresser à la transition entre la période d’après Guerre et le début des années 1960 du

1
Benedict Anderson, Imagined Communities (Londres : Verso, 1991), 6.

11
point de vue des relations fédéral-provincial et des demandes du Québec, particulièrement en

regard des éléments apparus silencieusement dans l’après-guerre.

La mort de Duplessis engendre une restructuration politique majeure au Québec : Jean

Lesage, ancien ministre de Louis Saint-Laurent et réputé farouche adversaire des positions de

Duplessis sur la question de l’autonomie provinciale, arrive à la tête des Libéraux provinciaux.

Sa position, une fois candidat au gouvernement provincial, change radicalement de sa position

centralisatrice adoptée à Ottawa. Son parti – composé d’une importante quantité d’intellectuels

issus de différentes organisations privées (comme Le Devoir par exemple; auparavant on aurait

plutôt vu dans ce rôle d’anciens journalistes de La Patrie [Meadwell 1993, 205]) et bien

déterminés à sortir la ruralité du discours politique (McWhinney 2008, 6) – se lance ouvertement

dans la rhétorique nationaliste plus que tout parti avant lui (Angers 1997, 12). Le parti libéral

décide également de sortir des tiroirs le rapport de la Commission Tremblay et d’en faire,

grossièrement redéfini, la structure de base de sa plateforme électorale. Cette conception de

l’autonomie provinciale et du Canada comme issu de deux peuples fondateurs s’accompagnera

d’une accroche qui laisse peu de doutes : « Maîtres chez nous » (Angers 1997, 12). Les Libéraux

remportent l’élection… et pourtant les choses changeront radicalement de l’ancienne approche

unioniste. Le programme ouvertement nationaliste ayant porté au pouvoir les libéraux ne

réponds pas exactement aux mêmes impératifs que l’ancien nationalisme duplessiste en ce sens

qu’il vise avant tout une amélioration du positionnement des francophones dans la société

québécoise de même que la modernisation du Québec en général, peu important l’ethnicité des

bénéficiaires. Bref, pour arriver à leurs fins, contrairement à l’Union Nationale qui jusque là

tenait les rennes depuis la fin de la Guerre, les Libéraux n’hésiteront pas à utiliser l’appareil de

l’État provincial. Avant tout, ils rapatrieront progressivement les responsabilités déléguées

12
jusque là à l’Église (Béland et Lecours 2006, 81) : santé, éducation, etc. Le nationalisme, dont la

redéfinition avait commencé après la Deuxième Guerre mondiale avec l’émergence des néo-

nationalistes, trouve ici son sens nouveau : fondé non plus sur la conservation de la pratique

religieuse et de la langue, le nationalisme québécois se met à intégrer comme éléments centraux

des concepts tel que la démocratie, l’État, la Modernité (Rocher 2002, 3). Bref c’est un

nationalisme qui naît de l’État moderne et d’une certaine pratique des sciences sociales (Handler

1984, 56). Mais, qu’attendre du nationalisme sinon qu’il soit exclusif sur certains critères (même

s’il se défend bien, dans sa version « néo », d’être ethnique)… Ainsi, ce néonationalisme

québécois demeure bien lié au groupe qui a créé son prédécesseur : les canadiens francophones

(ou plus spécifiquement les Québécois francophones). La défense de la condition des

francophones au sein des institutions et de la société en générale est la priorité du gouvernement

de Lesage – et des autres gouvernement qui suivront pendant la Révolution Tranquille (d’aucun

diront tous les gouvernements qui suivront). Rappelons nous de l’affirmation de la thèse des

deux peuples fondateurs utilisé par la Commission Tremblay pour appuyer son argumentaire.

Cette conception d’un Canada duel est intégralement reprise par le mouvement néo-nationaliste

et dans l’exercice du pouvoir des libéraux des années 1960. Ainsi, le paradigme du Canada

biculturel est-il solidement intégré dans le discours nationaliste – même modéré – au Québec et

dans le processus même de création de politiques publiques dès les années 1960 (Lafontaine

1995, 1042-43). Difficile dès lors de déloger cette conception pour promouvoir – plus tard – le

multiculturalisme canadien comme modèle historique.

Le rôle grandissant de l’État québécois sous la Révolution Tranquille pose problème dans

ses relations avec le fédéral. Si le Québec négocie la possibilité de se retirer d’une sélection de

programmes fédéraux en échange de recevoir les fonds pour mener à bien l’équivalent mais au

13
niveau provincial (un système de « opt-out » en sommes [Béland et Lecours 2006, 81]), l’État

fédéral est en expansion malgré tout. Et on peut dire la même chose du provincial. Les risques

de collisions et de conflits constitutionnels sur qui a le droit de faire quoi augmentant d’autant

lorsque deux paliers de gouvernements tentent de couvrir une portion de plus en plus large de

services auprès de leurs populations. Bref le fédéralisme coopératif des années 1950 cède alors

sa place à un fédéralisme basé sur la compétition et la lutte pour le financement et les

responsabilités; c’est l’ère du fédéralisme compétitif (Cameron et Simeon 2002, 51). Le discours

néo-nationaliste n’aide en rien Ottawa à trouver des justifications à intervenir dans le champ des

compétences de la province : alors que l’idée était déjà délicate du temps de Duplessis, toute la

rhétorique du « Maître chez nous » teinte ce genre d’interventions d’un nouveau sens, beaucoup

plus grave. Ottawa n’est plus qu’un autre palier de gouvernement : c’est carrément l’agresseur.

De même, la population ne considère plus l’État québécois comme un subalterne du

gouvernement fédéral : avec la Révolution Tranquille, la « Province de Québec » devient « Le

Québec » (même « L’État du Québec » fait son apparition dans un discours de Jean Lesage)

(Fontaine 1995, 1041). Difficile pour Ottawa de faire valoir l’intérêt collectif du Canada quand

la population d’une province se sent soudainement fondamentalement distincte du reste du pays,

jouant la carte de la thèse des deux peuples fondateurs (Anglais et Français, maintenant

Québécois). D’ailleurs, il est à noter que le Québec se dira le mouvement politique de l’ensemble

des francophones du pays (Rocher 2002, 4), remettant peut-être en question, du même coup, la

notion de territorialité associé à son statut de Province, du moins simplement en suggestion.

Bref, c’est tout le principe de la fédération qui est fragilisé, et les choses ne semblent pas prêtes

de s’arranger.

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Avec la poursuite de la modernisation de l’État provincial, les relations entre citoyens et

l’État québécois se multiplie : l’Église, autrefois responsable de la santé et l’éducation (entre

autres choses), est remplacée par Québec. Ce qui était vrai pour l’Église est également vrai pour

l’État : avec le savoir et la santé, difficile de trouver plus intimes connexions avec les citoyens.

De la carte « soleil » au bulletin scolaire, le drapeau québécois trône toujours bien en vue. Et

pourtant, ce ne sera pas tout : viendront éventuellement s’y greffer d’autres services (les pensions

de vieillesses par exemple) pourtant assurées ailleurs par le fédéral de même que d’imposantes

institutions dont le caractère « national » et distinctif sont mis en valeur comme réussite locale (la

Caisse de Dépôts et Placements du Québec par exemple), moussant d’autant le nationalisme

populaire. Bref, Ottawa n’a pas le beau rôle : outre les douanes peut-être, les contacts du

quotidien avec le palier fédéral sont exceptionnellement rares (même la GRC est remplacée par

une agence provinciale, même si ce n’est pas unique au Québec et relève déjà du fait historique à

l’époque). Et mal l’en pris, la bureaucratie du gouvernement fédéral est accusé en plus, dès Louis

Saint-Laurent, d’être formée d’une troupe où les francophones – et même le personnel bilingue –

sont fortement sous-représentés, y compris dans la province elle-même (Johnson 1995, 80). Bref,

alors que le provincial s’impose comme défenseur de la majorité francophone, comme État

nourricier et omniprésent, le fédéral, lui, est carrément hostile lorsqu’il n’est pas absent. Voilà

une source de légitimité supplémentaire – en apparence du moins – donnée à Québec dans ses

négociations avec le fédéral dès le début des années 1960. Et cette idée d’État puissant dans un

État faible attise les flammes du feu néo-nationaliste, féru de modernisation, de démocratie et

d’une place particulière pour le Québec dans la fédération, si ce n’est pas un État propre lui-

même. Et c’est sur ce dernier point que le débat se cadre dès lors. Mais, entre les néo-

nationaliste qu’on dira dès lors séparatistes et les autres, l’origine néo-nationaliste de ces

intellectuels demeure, et influencera les leaders que ces courants – devenus divergeant –

15
produiront. Ainsi, la pensée néo-nationaliste est-elle intégrée non seulement (et évidemment) par

les supporteurs de l’indépendance de la province, mais également (et plus surprenant), par de

nombreux partisans du camp du « non ». Difficile dès lors pour Ottawa de trouver des alliés et

collaborateurs dans les gouvernements québécois qui suivront, qu’ils soient Libéraux, Unionistes

et, sans surprise, Péquistes. Notons même que cette conception néo-nationaliste est celle qui

bercera et nourrira la réflexion de politiciens fédéraux, à commencer par Pierre-Elliott Trudeau.

La mort de Duplessis et la Révolution Tranquille aura, définitivement, changée l’histoire du

fédéralisme canadien, a mari usque ad mare.

16
Conclusion

Le développement économique et social suivant immédiatement la Deuxième Guerre

mondiale a un rôle particulièrement important dans l’histoire du Québec contemporain. Même si

les changements s’opérants alors sont plutôt subtils, c’est toute la dynamique, l’ensemble de la

façon de penser la place des Québécois dans le Canada, qui se transforme. Également, même si à

première vue l’abandon de la position autonomiste de Duplessis semble être une bonne nouvelle

pour le gouvernement fédéral, la Révolution Tranquille, et la nouvelle élite qu’elle engendre,

semble plutôt créer l’effet inverse : le fédéral est délégitimé dans la province, le nationalisme

connaît un jour nouveau sous une forme plus « acceptable » d’un point de vue éthique, certes,

mais d’autant plus revendicatrice et populaire, même chez ceux qu’on dira « fédéralistes ». Bref,

la mort du Duplessis et le développement de l’État Providence dans la province condamnent le

fédéral à un rôle de vilain, rôle qu’il continuera d’occuper à long terme.

La traduction littérale du terme anglais originalement utilisé pour décrire la Révolution

Tranquille, quiet revolution, parle plutôt de son silence que sa nature « tranquille ». L’expérience

de la fin des années 1940 et des années 1950, où tous les changements se sont effectués au vu et

au su de tous mais sans alerter personne qu’un profond changement allait se produire, nous

montre qu’une révolution majeure, un changement dans les relations fédéral-provincial ou une

nouvelle identité sont à portée de l’histoire et, pourraient se produire, là encore, en catimini.

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