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augustiniennes II, 1962, p. 273-309. Certains éléments de cette enquête ont été
repris et complétés dans un article postérieur : « Une lecture de Confessions VII,
ix, 13-xxi, 27 » Rev. Études august, 16, 1970, p. 94-99. G. Madec donne une liste
très complète des citations pauliniennes, qui vont dans le même sens que celles de
Conf. VII, 14-15 et ss. : Sermo 150, 9 (PL 38, 813), Sermo 197, 1 (PL 38, 1022),
Sermo 241, 3 (PL 38, 1135), Sermo 141, 2 (PL 38, 777), Sermo Mai 126, 7, Enarr. in
ps. 57, 18 ; In Ioh. evang. tract. 2, 4 ; 14, 3, etc.
C’est dans Conf. VII, 14-15 que la citation de Rom. 1, 21-23 apparaît à propos
des platoniciens pour la première fois ; elle reviendra souvent, on le verra. Mais
Augustin s'y était référé déjà en parlant des Manichéens :
a) Conf. V, 5 : « Leur cœur sans intelligence est plongé dans l’obscurité » (Rom.
I, 21)... » Bien que connaissant Dieu, ils ne le glorifient pas comme Dieu et ne lui
rendent point grâces ; ils s’égarent dans leurs raisonnements (1, 21 ab) et ils se disent
sages (x, 22a) » ... « Ils transforment la gloire du Dieu incorruptible... à la ressem
blance de l’image de l’homme corruptible... des oiseaux, des quadrupèdes, des
serpents (1, 23) »... « Us changent ta vérité en mensonge; ils honorent et servent
la créature plus volontiers que le créateur (1, 25) ».
b) C. Faustum 14, 10-11 : citation de Rom. 1, 25 : « Us ont honoré et servi la
créature à la place du créateur » ; et C. Faustum 20, 19 et 21, 6 : citation de l’ensemble
Rom. 1, 20-25 (cf. Madec, art. cité, 1962, p. 284, n. 62 ; art. cité, 1970, p. 94 a. 75.76).
3. On peut comprendre de diverses manières le reproche d’idolâtrie qu’Augustin
fait ici aux disciples de Platon : R. J. O’Connell pense que ce grief est général et
vise seulement l'orgueil des philosophes qui prétendent s’élever jusqu’à Dieu par la
raison et qui, considérant l’âme comme une parcelle de la substance divine, s’ido
lâtrent eux-mêmes : à proprement parler, ils adorent ainsi la créature, à savoir
l’âme, au lieu du créateur (Rom. 1, 25) (St. Augustine’s Early Theory of Man, A.D.
386-391, Cambridge, Mass. 1968, notamment le chap. 3 intitulé : Idolatry p. 87-111 ;
St. Augustine’s Confessions. The Odyssey of Soûl, Cambridge Mass. 1969). G. Madec,
étudiant spécialement la citation paulinienne dans Conf. VII, 15 (« Une lecture de
Confessions VII, IX, 13-xxi, 27. Notes critiques à propos d’une thèse de R. J.
O’Connell », Rev. Études augustin. 16, 1970, p. 93-106) estime que le culte polythéiste,
dont parle Saint Paul, rendu à divers « phantasmes » ou simulacres ou fictions,
au cours duquel sont adorés des idoles, ainsi que le soleil (p. 96), ne vise pas l'en
semble du néo-platonisme, mais certains de ces philosophes. Étant donné qu’Augus
tin, en mentionnant les libri platonicorum (VII, 13), ne donne aucun nom propre
d’auteur, il convient de songer à « la caution que le néo-platonisme post-plotinien a
donné au paganisme et au polythéisme » (p. 99). En effet, beaucoup pensent à Por
phyre qui s’intéressait fort à la théurgie et qui composa un traité sur les « Images des
dieux » (cf. CourCEPEE, Les lettres grecques, p. 164 — avec des réserves —;0’Meara,
La jeunesse de saint Augustin, 1948, p. 185-201 ; Porphyry’s Philosophy from Oracles
in Augustine, 1959, p. 151-176 ; A. Sopignac, B.A. 13, p. 78-79),
8 MARC LODS
qu’à la dévotion au veau d’or dans le désert, lui aussi d’origine égyptienne
(Ex. 32, 1-6 ; A et. 7, 39). Il s’exprime en toute clarté: «Voilà ce que j’ai
trouvé (chez les platoniciens), mais je n’en ai point mangé (Inveni haec
ibi et non manducavi) »4.
Et Augustin insiste : Issu moi-même des nations idolâtres (ex gentibus),
écrit-il, j’étais « tendu vers l’or (intenii aurum) » des Égyptiens, cet or
que les Israélites avaient, sur l’ordre de Dieu, subtilisé aux Égyptiens ;
mais, dit-il, « je n’ai prêté nulle attention (et non adtendi) aux idoles des
Égyptiens », auxquelles les Israélites avaient rendu hommage par le
moyen de l’or égyptien dont ils avaient fabriqué leur veau.
Dans ce même paragraphe, Augustin ne se présente pas seulement en
adversaire des « Égyptiens », mais aussi du même coup des « Athéniens »,
ceux auxquels Saint Paul s’était adressé ; il cite alors l’apôtre qui avait,
de la part de Dieu, proclamé devant l’Aréopage d’Athènes : « C’est de
Dieu que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Act. 17, 28).
De texte de VII, 15 se termine par une nouvelle référence à Rom. 1,
dont Augustin donne le verset terminal : Des païens (et les philoso
phes), écrit-il, ont erré par orgueil, confiant dans leurs fausses richesses :
« Ils ont changé la vérité de Dieu en mensonge et ont honoré la créature
plus volontiers que le créateur » (Rom. 1, 25).
De l’examen de ces trois paragraphes (VII, 13 à 15), on peut conclure
qu’Augustin ne fait certainement point état des sentiments que lui
a suggérés sur le moment la lecture zélée de Plotin, mais bien plutôt
de ses réflexions postérieures sur le rapport existant entre platonisme
et christianisme. Ce n’est d’ailleurs que plus tard, nous l’avons vu (VII, 27),
qu’il place le début de sa propre lecture des écrits de Paul.
On notera toutefois qu’Augustin insiste fortement sur la référence à
Rom. 1, 21-25 et qu’il y revient comme à un texte privilégié : les néoplato
niciens rentrent bien dans la catégorie que décrit l’apôtre ; ils sont capables,
parce que Dieu a accordé à tout être humain une part de sa révéla
tion, d’avoir une connaissance correcte du Dieu invisible et de lui rendre
la louange qui lui est dûe, mais, abusant par orgueil de cette grâce, ils sont
tombés dans l’égarement et la folie.
— VII, 16 : De l’avis commun5, ce paragraphe décrit une expérience
spirituelle qu’il a été donné au jeune Augustin de vivre à l’imitation et
avec l’aide de Plotin : on peut parler, en effet, d’une « extase plotinienne ».
D’auteur rapporte comment, « entrant dans l’intimité de mon cœur »
et voyant la réalité des choses « avec l’œil de mon âme », il est monté,
4. Augustin dit qu’il n’a pas fait comme Ésaü, dont il vient de parler, qui a vendu
son droit d’aînesse contre la possibilité de manger un « plat d'Égypte (Aegyptium
cibum) », c’est-à-dire de goûter à l’idolâtrie des Égyptiens.
5. A la suite de Paul H enry (Plotin et l’Occident, 1934, P- 112-114), Pierre Cour-
CEMÆ a entraîné l’adhésion à peu près générale par sa magistrale démonstration
{Recherches sur les Confessions, 1950, p. 159-167).
LE CHRIST D A N S LA CONVERSION DE S A I N T A U G U S T IN g
que j’aperçus les perfections invisibles (de Dieu) rendues visibles à l’intelli
gence à travers les œuvres de la création » (toujours Rom. i, 20)6.
Cependant, comme lors de l’expérience précédente, il est contraint de
redescendre dans les lieux terrestres, ne conservant de ce qu’il a entrevu
qu’une « mémoire amoureuse ».
Au paragraphe 24, Augustin dresse le bilan de ce qu’il vient d’expéri
menter : Non, il n’avait pas encore la voie afin de jouir pleinement de
Dieu. C’est, écrit-il, parce qu’il n’avait pas encore rencontré le Christ ;
il ne l’avait pas encore « embrassé » (amplecterer), ni reconnu comme
médiateur entre Dieu et les hommes (I Tim. 2,5), ni comme «homme placé
au-dessus de toutes choses et Dieu béni éternellement » [Rom. 9, 5)
ni comme chemin, vérité et vie (Jn. 14, 6), ni comme Verbe fait chair
(Jn. x, 14) ; et il se résume en ces mots : « Je n’étais pas encore assez
humble pour posséder Jésus Dieu de l’humilité ».
Nul doute que nous ayons dans ces considérations, non un témoignage
sur les sentiments qu’il avait autrefois éprouvés, mais un jugement qui
ne lui est venu à l’esprit que plus tard, lorsqu’il fait le bilan de son passé.
De paragraphe 25 fournit une analyse de ce qu’était alors la « christo
logie » du professeur milanais : nous y reviendrons d’ici peu. Celui-ci
voit en Jésus-Christ « un homme d’une éminence sagesse », « participant
à la sagesse d’une manière parfaite » ; ce n’est que « plus tard », écrit-il,
qu’il reconnut combien cette appréciation était incomplète et erronnée.
De paragraphe 26 élargit l’analyse en ce sens qu’Augustin expose
ici quelle était alors sa conception de Dieu lui-même. Son langage est
teinté de platonisme. Il rappelle ses expériences extatiques qui l’ont
rapproché de Dieu : il a déjà appris, explique-t-il, «à chercher la vérité au-
delà du monde des corps »7et, une fois de plus, il mentionne, pour exprimer
ce qu’il a découvert grâce aux platoniciens, le verset paulinien : « J ’aperçus
tes perfections invisibles rendues visibles à l’intelligence à travers les
œuvres de la création » (Rom. 1, 20).
Mais il poursuit : cette voie, dans laquelle il s’est à peine engagé,
ne l’a point mené au but ; il a reculé ; car, dans sa faiblesse, il méconnaît
encore Jésus-Christ comme Sauveur ; ce n’est que « plus tard » (postea)
qu’il trouvera l’apaisement, en méditant cette fois sur les Écritures :
nous reviendrons sur ces pages.
B : VII, 27 à VIII, 29
— VII, 27 ; Ce paragraphe fait mention de la lecture « avide » de
Saint Paul. Il commence ainsi : « Je me saisis avec la plus grande avidité
des œuvres vénérables (mot à mot : du vénérable stylet) de ton Esprit,
surtout celles de l’apôtre Paul (itaque avidissime arripui venerabilem stilum
spiritus tui, et prae ceteris apostolum Paulum) ». Augustin s’exprime
en termes semblables dans le Contra Academicos (II, 5) (novembre 386) :
arripio apostolum Paulum. Il ajoute qu’il a lu les écrits de l’apôtre en
entier : perlegi totum intentissime atque castissime.
Peut-on saisir une évolution qui se dessinerait chez le futur docteur à
partir de ce moment ?
Bien certainement il avait déjà pris connaissance auparavant des
lettres apostoliques, mais il précise dans le récit des Confessions : autrefois
il les avait lues dans leur teneur littérale (textus sermonis ejus) et y avait
perçu des contradictions internes et des désaccords entre l’écrivain
chrétien et le témoignage de la Roi et des Prophètes. Maintenant cela
change. En vérité, c’est parce que d’abord les livres platoniciens l’avaient
captivé qu’il s’est intéressé à l’apôtre Paul : «Je me mis (à le lire) et trouvai
(et coepi et inveni) que tout ce que j’avais lu de vrai là (illac = dans les
livres de Plotin) était dit ici (hac = chez Paul), avec ta grâce à l’appui
(cum commendatione gratiae tuae) ». En effet, ajoute l’auteur, la grâce
fait que l’on y voit clair et que l’on ne peut alors se glorifier que de ce
que l’on a reçu ; et « qu’as-tu que tu ne l’aies reçu » (I Cor. 4, 7) ? Si,
« selon l’homme intérieur, on peut prendre plaisir à Dieu » (Rom. 7, 22),
l’homme que nous sommes ne peut pas s’abstenir de pécher : « Qui me
délivrera de ce corps de mort, sinon ta grâce par Jésus-Christ notre
Seigneur » (Rom. 7, 24) ? C’est ce Jésus-Christ « que tu as créé au commen
cement de tes voies » (Prov. 8, 22), c’est lui « en qui le prince de ce monde
n’a rien trouvé qui fut digne de mort et qu’il a pourtant fait périr, annu
lant ainsi l’acte qui nous était contraire » (Col. 2, 38).
Nous continuons la lecture : or précisément tous ces témoignages sur le
Christ Sauveur, les livres platoniciens ne les présentent point. Et Augustin
12 M ARC LODS
termine son livre VII ainsi : « Autre chose est d’apercevoir du haut d’un
sommet boisé la patrie de la paix sans découvrir le chemin qui y mène...,
autre chose de tenir la voie qui y conduit... ; ces pensées me prenaient aux
entrailles, d’une manière surprenante, pendant que je lisais le moindre
de tes apôtres (cf. I Cor. 15, 9) ; j’avais considéré tes œuvres (considerave-
ram opéra tua) (reprise approximative de Rom. 1, 20) et j’étais dans la
stupéfaction ». Il convient donc de distinguer deux étapes successives sur
le chemin de la vérité ; apercevoir de loin le but, et s’engager sur la voie qui
y conduit, forment deux niveaux bien différents de la vie spirituelle ;
Augustin déclare qu’il n’en est encore qu’à la première étape : il ne peut
alors que « considérer » à distance la gloire de Dieu.
Il n’y a point de raison de douter qu’effectivement, après avoir lu
Plotin, Augustin s’est mis à l’étude de Saint Paul et qu’il s’est ainsi
rendu compte des analogies entre les deux doctrines ; un rapprochement
s’impose à lui et l’incite à la réflexion. Mais, lorsqu’il écrit qu’il manque au
platonisme un sauveur et que ce sauveur est le Christ, il n’est pas certain
du tout que ce défaut lui soit apparu sur le champ ; il est bien plus pro
bable que la référence à Jésus-Christ, qu’il mentionne à propos de la
« grâce » donnée par Dieu, afin de pouvoir suivre le chemin que sans
elle on ne peut qu’apercevoir de loin, soit le produit d’une réflexion pos
térieure aux événements qu’Augustin relate ici.
— VIII, 1-2 : Augustin fait le point avant la visite qu’il a décidé de
faire au prêtre Simplicianus. Il cite Saint Paul pour souligner qu’il
n’est pas encore parvenu au but : Je voyais encore les choses de Dieu en
énigme et comme au travers d’un miroir (I Cor. 13, 12), -— mon cœur
n’était pas encore purifié du vieux levain (I Cor. 5, 7). Et une fois de
plus il revient à Romains 1 pour avouer qu’il faisait alors partie de ces
païens qui, « tout en connaissant Dieu, ne le glorifient pas comme Dieu,
ni ne lui rendent grâces... et qui, tout en se donnant pour sages, sont
devenus fous » (Rom. 1, 21-22).
Soucieux de la conversation qu’il va avoir avec Simplicianus et conscient
de ses attaches sexuelles qui font de lui un captif, il note encore que
l’apôtre laisse le chrétien libre de vivre dans le célibat ou dans l’état
matrimonial (I Cor. 7, 27 ss.).
—■ VIII, 9-12 : Simplicianus a dirigé son entretien vers la conversion
par laquelle a passé le rhéteur romain Victorinus, quelques années aupa
ravant. Augustin en fait ensuite le commentaire.
Cet événement, dit-il (VIII, 9), est une illustration de la parole pauli-
nienne sur la grâce de Dieu, « qui a choisi ce qui est faible aux yeux du
monde pour confondre les forts, ce qui est vil pour réduire à néant ce qui
est » (I Cor. 1, 28). Ceci est écrit par l’apôtre qui, se disant « le plus petit »
(I Cor. 15, 9), avait converti l’orgueilleux Sergius Paulus (Ad. 13, 7-12),
montrant ainsi comment les vases vils, une fois purifiés, deviennent
des vases d’honneür utiles à leur maître et propres à toute bonne œuvre
(2 Tim. 2, 21).
LE CHRIST D A N S LA CONVERSION DE S A I N T A U G U ST IN 13
Uanalyse des citations de Saint Paul, que nous venons de faire, nous
conduit à la conclusion suivante : si l’on met de côté les références pauli-
niennes qui sont, semble-t-il, inspirées par des réflexions faites après les
événements par un Augustin émettant un jugement sur son passé et
évoquant ses souvenirs, il reste, pensons-nous, quatre textes qui ont
sérieusement arrêté la pensée d’Augustin lorsqu’il méditait sur les thèses
plotiniennes qui l’avaient enflammé :
1) Professant sa foi dans le plotinisme, il discerne, dans l’affirmation
de Saint Paul de Rom. i, 20, une résonnance du thème platonicien de
l’ascension de l’âme vers Dieu : le Dieu invisible se rend visible à l’intelli
gence par ses œuvres. Il ne s’agit que d’un seul verset, en vérité. Néan
moins, dans sa brièveté, cette proclamation lui a permis de dire qu’il
existait en tout cas sur ce point une vue commune entre christianisme et
platonisme (VII, 16.23.26)®.
2) Toujours dans la ligne du plotinisme dans laquelle il s’était engagé
à fond, Augustin aperçoit dans certaines affirmations néotestamentaires
sur le Verbe de Dieu une ressemblance heureuse avec le point de vue
des platoniciens relatif au Dogos de Dieu, pensée issue de sa pensée, et
c’est à ce propos qu’il mentionne le prologue de Jean, ainsi que le début du
développement christologique de Paul, Phil. 2, 6 : le Verbe est bien réelle
ment «en forme de Dieu » (VII, 14).
3) Avant la visite de Simplicianus qu’il rapporte au début du livre
VIII, il se réfère à l’apôtre à propos du problème de la continence ;
il est lié à sa concubine par des chaînes qu’il n’est pas capable de rompre,
bien qu’en son cœur il le désire. Il se souvient alors que Saint Paul, bien
que donnant sa préférence au célibat plutôt qu’au mariage, laisse au
chrétien la liberté d’être uni à une femme. Appliquant cette autorisation
à son propre cas, il se sent rassuré, au moins pour un temps (VIII, 2).
4) Tout à la fin de son cheminement apparaît une exhortation morale,
celle que l’apôtre donne aux chrétiens de Rome (Rom. 13, 13-14). Il ne
s’agit ni de christologie, ni de discours sur la contemplation de Dieu.
La parole de l’apôtre est une considération sur la nécessaire sanctification
du chrétien justifié : sauvé par Jésus-Christ, celui-ci doit s’abstenir de
tout excès de convoitise charnelle. Augustin a lu ces mots en pensant aux
liens sexuels qui, il le sentait profondément, le retenaient loin de Dieu.
Il a reçu cette parole apostolique comme une libération : si Dieu ordonne8
avec cette force et cette clarté la continence à l’homme, c’est qu’il lui
donne aussi la volonté et le pouvoir pour y parvenir.
En dehors de ces quelques références à l’apôtre Paul9, dont il ne faut
certes pas minimiser l’importance, on ne voit pas bien ce qu’Augustin,
à ce moment de sa vie, imprégné comme il l’était de platonisme, a pu
retenir de fondamental, pour la solution des problèmes qui le tourmen
taient, de sa lecture de l’apôtre. Il ne faut, en tout cas, pas douter de la
véracité de son témoignage au sujet de l’ardeur qu’il a mise à cette
entreprise ; mais on n’a pas l’impression que la théologie paulinienne
ait alors exercé sur lui une influence réelle. Ce n’est que sensiblement
plus tard qu’un changement sera perceptible. Il n’a d’abord retenu
de l’apôtre que ce qui lui paraissait s’accorder avec le platonisme, et c’est,
en somme, assez peu de chose10.
avec les écrits platoniciens ? Ce que nous avons dit, assez longuement,
de l’apôtre Paul nous permet de passer rapidement sur certains textes.
11. Cette structure a été fort bien mise en lumière par G. Madec (Rev. Études au
gust. 1970, p. 84-88), à la suite d ’O. du R oy iT,’intelligence de la foi..., p. 84 n. 19.20.21).
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2
i 8 M ARC LODS
ne lui ont point apporté, note encore quelques paroles qu’« il n’avait pas
lues chez eux », bien qu’il cherchât la voie (et quaerebam viam), à savoir
qu’«il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ »
(I Tim. 2, 5), que celui-ci est-au-dessus de toutes choses (Rom. 9, 5),
qu’il est la voie, la vérité et la vie (Jn. 14, 6), qu’il a été fait chair (Jn.
x, 14) et qu’il s’est humblement montré vêtu de notre « tunique de peau »
(Gen. 3, 21).
C : VII, 25 : Augustin brosse ici un schéma de sa position « christolo-
gique » à cette époque14 : « Je voyais seulement dans le Christ (tantumque
sentiebam) un homme d’une éminente sagesse à qui nul ne saurait être
égalé (excellentis sapientiae viro cui nuïlus posset aequari) ; sa merveilleuse
naissance d’une vierge, — symbole du mépris que l’on doit avoir pour
les biens temporels, au prix de l’immortalité, notre but —, me semblait
lui avoir mérité, par un effet de la providence divine, une grande autorité
de magistère (tantam auctoritatem magisterii mentisse) ». Donc Jésus-
Christ n’est qu’un homme, corps, âme et intelligence, « ce dont témoignent
les Écritures dans leur lettre (ex his quae de illo scripta tmderentur) »,
car « ce qu’elles rapportent est vrai (vera scripta sunt) ». « En Christ je
reconnaissais un homme complet (totum hominem in Christo agnoscebam) »,
« l’homme lui-même (ipsum hominem) ». « C’est... par une excellence sin
gulière de la nature humaine et une participation plus parfaite à la
sagesse, que je l’estimais placé au-dessus de tous les autres (magna quadam
naturae humanae excettentia et perfectiore pwrticipatione sapientiae praeferri
ceteris arbitrabar ».
Il convient de noter que cette christologie « humaniste », professée par
Augustin à cette époque, correspond d’une manière générale à ce que le
néoplatonicien Porphyre a écrit sur Jésus-Christ dans sa Philosophie des
Oracles, dont Augustin lui-même, dans la Cité de Dieu, nous donne d’im
portants extraits : « De Christ fut un homme très pieux et il est devenu
immortel... Mais c’est par ignorance que les chrétiens l’adorent... Il était
lui-même juste et, comme les justes, il a été admis dans le ciel. Aussi ne le
blasphémeras-tu pas... » (Civ. Dei XIX, 23, 2 ; E u sè b e , Dem. evang.
III, 7, 1-3). Nous pouvons reconnaître en Conf. VII, 25 un écho de cet
exposé platonicien sur le Christ15.
16. Sur Amelios et ses rapports avec le texte d’Augustin, cf. G. Bardy (B.A. 34,
1959 , P- 634) ; A. Sougnac (B.A. 13, 1962, p. 682) ; P. CouRCEEEE (Recherches...
p. 172). Parmi les commentateurs anciens, CyrieeE d’AeExandrib, C. Julianum 8
(PG 76, 936a) et T héodore?, Thérapeutique II, 87-89 (SC 57, p. 162).
17. P. CouRCEEEE (« St Augustin photinien », 1954, p. 66, et Les Confessions
dans la tradition littéraire, p. 36) pense qu’il n’est question ici que d’une influence
des livres platoniciens, surtout ceux de Porphyre. A. Soeignac (B.A. 13, 1962,
p. 694) explique la mention de Photinus en admettant qu’il existait un groupe
de disciples de Photinus à Milan, avec lesquels Augustin se serait trouvé en contact.
Selon O’ConnEEE (St Augustin’s Early Theory of Man, 1968, p. 260-263), le « photi-
nianisme » dont s’accuse Augustin est une variante de la théologie « antiochéenne »,
selon laquelle le Logos s’unit à un homme complet (Logos-Anthrôpos) ; ce qui, aux
yeux de O’Connell, n’est point hérétique du tout ; tout au plus est-il question d’une
erreur de formulation ; c'est cette erreur-là qu’il aura à cœur de dénoncer plus tard.
18. G. Madec (Rev. Études augustin. 16, 1970, p. 119). Tel est aussi l’avis d’O.
DU R oy (L’intelligence de la foi, 1966, p. 92 note) qui estime que la christologie
dont témoignent les écrits d’Augustin à ce moment « est tout à fait exempte de
photinianisme ».
20 MARC LODS
Or ce qui a mis fin à la crise que subissait le futur docteur, ce n’est pas
une proclamation de la réalité du salut, ni une annonce de la rédemption
du monde, ni une affirmation sur la vie chrétienne en Jésus-Christ ;
c’est une simple exhortation éthique sur la mise en pratique des com
mandements de Dieu ; elle est empruntée à la seconde partie de la lettre,
là où l’apôtre ne fait que tirer les conséquences pratiques de la doctrine
exposée auparavant avec tant d’éclat.
Augustin n’a donc pas été arrêté dans son chemin par une parole
néotestamentaire proclamant la seigneurie ou la puissance du salut
du Christ, mais par une exhortation apostolique mentionnant seulement
qu’à la base du commandement relatif à la vie journalière du fidèle, il y
a la présence nécessaire de Jésus-Christ dont il faut qu’il soit « revêtu ».
De Christ n’est sans doute point absent de la certitude qui s’est emparée
brusquement du futur chrétien ; mais on ne peut certes pas dire qu’il y a
tenu la première place. Il n’apparaît point comme le sauveur ou le média
teur rencontré personnellement, ni même comme celui qui apporte aux
hommes en général des commandements nouveaux de la part de Dieu,
mais comme une aide venant au secours d’une volonté indécise.
En somme, d’après les Confessions, ni avant la crise, ni pendant, ni
au moment même où celle-ci se dénoue, le Christ n’apparaît comme ayant
été le moteur de l’évolution en cours.
Nous pouvons même dire que la lecture du livre IX qui suit ne nous
fournit pas non plus d’indice d’après lequel, ni au lendemain de la scène
du jardin, ni pendant le séjour à Cassiciacum, ni au moment du baptême,
ni non plus lors des derniers entretiens avec Monique, la réflexion d’Au
gustin se soit arrêtée sur ce que contenait, à ses yeux, l’acte de confesser
sa foi au Christ Jésus incarné19.
^ ’influence platonicienne semble donc bien demeurer l’influence
dominante. A ce propos, il ne faut point méconnaître que, dans certains
milieux cultivés, en particulier à Milan même, la philosophie néoplato
nicienne se trouvait être imprégnée de christianisme. En dehors du témoi
gnage donné par Augustin lui-même, nous avons signalé ci-dessus deux
exemples selon lesquels certains philosophes de cette école professaient
19. On ne peut guère faire état du texte de Conf. IX, I, car il est, en vérité, trop
peu probant pour ce qui regarde le temps précédant le baptême : adressant sa louange
à Dieu et évoquant sa récente délivrance, Augustin reconnaît qu’après une longue
suite d’armées, il a pu alors incliner son cou devant « le Christ Jésus, mon soutien
et mon rédempteur» et courber ses épaules sous son joug léger (Mt. 11, 30). Ailleurs
encore (IX, 9), Augustin rapporte qu’au cours de ses méditations de Cassiciacum,
il lit le Psaume 4, versets 3 et 4 : « Jusques à quand, fils des hommes, aurez-vous le
cœur appesanti ; sachez que le Seigneur a magnifié son saint ». Il applique ces derniers
mots au Christ que le Seigneur Dieu a ressuscité et glorifié et qui répand ensuite son
Esprit sur les siens. Cette référence « christologique » est encore bien peu consistante ;
elle ne va pas plus loin que les passages des dialogues dont il sera question dans notre
étude.
LE CHRIST D AN S LA CONVERSION DE S A I N T A U G U S T IN 23
20. Quelle que soit la durée de ce postmus ; lire à ce sujet l'étude très précise
G. Madec (« Une lecture de Confessions VII, ix, 13-xxi, 27 », Rev. Études augustin.
1970, p. 107-123).
LE CHRIST D A N S LA CONVERSION DE S A I N T A U G U ST IN 25
avec plus de détail, mais, dans le temps qui a précédé ces entretiens,
il n’est pas encore très avancé sur sa route23.
4. — La scène du jardin
La. scène du jardin, telle qu’elle se présente dans l’autobiographie des
Confessions, n’est-elle qu’une fiction littéraire ? Augustin, qui lui donne
dans les Confessions, une allure poétique24, n’en fait point mention
dans les précisions biographiques que fournissent les dialogues de Cassi-
ciacum (C. Acad. II, 5 ; De vita beata 4), qui ont cependant été écrits
quelques semaines après les événements.
Il semble toutefois impossible de ne pas tenir compte de l’importance
énorme que visiblement son auteur lui attribue parmi les diverses péri
péties de son itinéraire spirituel, au cours de l’année 386. La scène du jar
din, qui clôt solennellement le livre VIII des Confessions et qu’Augustin
n’a pas songé à remettre en question dans ses Rétractations (II, 6), cons
titue un point d’arrivée stable au bout d’un long et dur chemin25.
23. Il serait intéressant de mener une enquête sur les pages des Confessions qui
relatent la période qui précède le contact avec les platoniciens (V, 23 à VII, 12).
On peut constater que, depuis le début de son séjour milanais, le jeune rhéteur se
pose des questions toutes semblables à celles dont nous avons fait mention et y
répond dans le même style incertain. Dès son arrivée à Milan, il mentionne ses incer
titudes à l’égard de la personne du Christ de la même manière que deux ans plus tard :
Dors de son premier contact avec Ambroise, il écrit : « J’avais perdu tout espoir
(desperabam) de trouver (la vérité) dans ton Église... Je demeurais suspendu à
ses paroles (d’Ambroise), insouciant et dédaigneux du fond... De salut est loin
des pécheurs (cf. Ps. 118, 155), tel que j’étais alors » (V, 23). « J’étais sans espoir
(desperandi) que la voie qui mène à toi fut ouverte à l'homme... Je ne me croyais pas
encore tenu d’entrer dans la voie catholique... D’Église catholique ne m’apparaissait
pas encore victorieuse » (V, 24). Cherchant la certitude, « je trouvais beaucoup
plus de probabilité dans les opinions d’un grand nombre de philosophes (que chez les
chrétiens) » (V, 25). Toujours à l’écoute des homélies d’Ambroise : « Je gardais mon
cœur contre toute adhésion (tenebam cor meum ab omni adsensione) » (VI, 6). Pris par
des projets mondains, « je tardais (tardabam) à me tourner vers le Seigneur » (cf.
Sir- 5 . 7) (VI, 20). Quand Monique arrive à Milan, il lui dit qu’il n’est pas encore
catholicus christianus : « Je n’avais pas encore atteint la vérité ». Monique se déclare
quand même assurée qu’un jour elle verrait son fils fidelem catholicum, c’est-à-dire
chrétien ayant la « foi », ce qui n’est pas alors le cas (VI, 1).
24. De récit « fourmille d’intentions littéraires », écrit P. CouRCEEEE (Recherches,
p. 191).
25. P. CouRCEEEE, qui est disposé à regarder la scène du jardin comme un simple
doublet littéraire d’une scène analogue, rapportée par Ponticianus, où il est question
de la « conversion » au célibat de deux jeunes courtisans de Trêves (Conf. VIII, 15)
(Recherches, p. 197), reconnaît par ailleurs qu’Augustin a bien été amené à prendre
la décision capitale de rompre avec sa vie mondaine et sentimentale, à un moment
précis dont il a eu conscience : « On ne saurait douter que la crise suprême n’ait
eu lieu un certain jour dont Augustin a retenu la date », à savoir exactement,
comme le dit Augustin lui-même (Conf. IX, 2, 4), vingt jours avant les vacances de
la vendange, ce qui donne les premiers jours d’août 386 (ouvr. cité, p. 201). D’ailleurs
il ne faut pas trop s’étonner de ne point voir figurer l’anecdote du jardin dans les
écrits de Cassiciacum. De baptême n’est pas davantage évoqué dans le « De immorta-
28 MARC LODS
ce n’est pas suffisant pour dire que c’est lui qui est personnellement
intervenu par sa parole.
5. — Témoignage christologique des Dialogues
Des trois dialogues datant certainement de Cassiciacum (C. Academicos,
De vita beata, De ordine) (sans doute novembre et décembre 386), qui cé
lèbrent abondamment la sagesse et la gloire de Dieu, ne sont pas, quoi
qu’on en ait dit, très riches numériquement en développements relatifs à la
personne du Christ. Il faut reconnaître que les conditions dans lesquelles ils
ont été composés contraignaient, en quelque sorte, leur auteur à demeurer
dans des normes très strictes : ce sont des leçons de philosophie données à
des jeunes gens et basées sur des entretiens dialogués entre Augustin et
ses amis et élèves. Cependant, étant donné que ces écrits se placent entre
la scène du jardin et le début des catéchèses en vue du baptême, on
peut considérer comme particulièrement important le témoignage chris
tologique donné par celui qui va peu après être instruit dans la confession
de foi de l’Église.
A : Textes peu significatifs par eux-même ou se rapportant en premier
lieu à d’autres interlocuteurs qu’à Augustin.
a) De ord. I, 29 (B.A. 4 p. 348) : De jeune Dicentius discute avec son
camarade Trygetius ; il en vient à affirmer que le Christ est Fils de Dieu
et qu’il est réellement Dieu. Augustin arbitrant la conversation, approuve
son élève par ces mots : « Ce n’est pas improprement que le Fils reçoit le
nom de Dieu ».
b) De ord, I, 21 (id. p. 336) : Il ne s’agit que du seul Dicentius qui se
déclare enthousiasmé par la philosophie. De texte s’achève par ces mots :
« Et il rendait grâces au Christ en soupirant (Et cum suspirio gratias
Christo agebat) ».
c) De ord. I, 32 (id., p. 356) : Augustin dialogue avec Monique ; il fait
l’éloge de la vraie philosophie qui n’est pas une sagesse de ce monde,
mais provient d’un monde caché à nos regards ; c’est ce que le Christ a
dit (satis ipse Christus significat) ; « Mon royaume n’est pas de ce monde »
(Jn. 18, 36).
B : Témoignages sur le Verbe issu de la sagesse de Dieu qui ne sont
pas sans analogie avec la christologie exposée dans les Confessions, notam
ment avec le tableau dressé VII, 25 :
a) De vita beata 34 (B.A. 4, p. 282) : «Nous avons ainsi appris, d’autorité
divine, que le Fils de Dieu n’est rien d’autre que la Sagesse de Dieu
(Dei Filium nihil esse aliud quam Dei sapientiam) ; et le Fils de Dieu est
évidemment Dieu ». D’accent est bien mis sur la divinité du Verbe de
Dieu identifié à la Sagesse.
b) C. Acad. II, 1 (B.A. 4, p. 62) : « Celui que je prie, le Verbe de Dieu,
c’est la Vertu et la Sagesse du Dieu suprême (summi Dei Virtutem atque
3° M ARC LODS
Sapientiam). Car n’est-ce pas elle-même que les mystères nous pré
sentent comme Fils de Dieu (tradunt Dei Filium) ? » La mention du
Verbe, étant puissance et sagesse de Dieu, provient sans doute de I Cor.
i, 2428. Cependant la formule n’est précisément pas différente de celle
des platoniciens ; cette terminologie est fort semblable, de toute manière,
à celle qu’Augustin avait précédemment utilisée29.
c) C. Acad. III, 43 (B.A. 4, p. 200) : Dans cette conclusion de l’ensemble
du traité, Augustin fait un parallèle entre autorité et raison : «... Tout
le monde sait que nous sommes amenés à la connaissance sous la double
pression de l’autorité et de la raison (auctoritatis atque rationis). Aussi
est-ce pour moi une certitude, que je ne m’écarterai absolument sur
aucun point de l’autorité du Christ (a Christi auctoritate) ; car je n’en
trouve pas qui ait plus de poids. Quant à ce qui doit être recherché par la
raison la plus subtile (subtilissima ratione persequendum est)..., j’ai con
fiance de pouvoir trouver pour le moment chez les platoniciens des doc
trines qui ne répugnent pas à nos mystères (apud platonicos me intérim
quod sacris nostris non repugnet reperturum esse confido) ». Un double
mouvement intérieur est donc ressenti par Augustin : l’autorité du
28. A.-M. I/A BonnardièrE (Augustinus magister III, p. 90-100) note que I Cor.
1, 24 est la première citation scripturaire qui nous ait été conservée ; cf. O. du Roy,
Vintelligence de la foi, p. 32-33. Dans le texte du De vita beata 34, qui vient d’être
mentionné, il n’est question que de la sagesse de Dieu ; est-ce également une allusion
au texte de Saint Paul ?
29. Ce texte de C. Acad. II, 1 est à rapprocher, en particulier, de Conf. VII, 25.
Il faut noter aussi que le thème du Christ Sagesse de Dieu a été longtemps
privilégié chez Augustin. De vera religione 3 (B.A. 8, p. 27-28) (texte signalé et
commenté par G. Madec, Rev. Études augustin. 1970, p. 128-129) : Augustin,
développant le thème de la Vertu et de la Sagesse de Dieu, suppose ici un entretien
avec Platon, lequel déclare accepter de reconnaître en Jésus-Christ un être « que
la Vertu et la Sagesse de Dieu ont soustrait à la loi de la nature (quant forte ipsa
Dei Virtus atque Sapientia ab ipsa rerum natura exceptum), et, après l’avoir éclairé,
non par l’enseignement des hommes, mais dès le berceau, par une illumination intime,
l’ont doué d’un charme si vif, d’un ascendant si fort et d’une dignité si haute...
c’est par l’action et le gouvernement de la Sagesse de Dieu que celui-ci (le Christ),
pour le véritable salut du genre humain, s ’est acquis un mérite personnel immense et
qui dépasse l’homme (sapientiae Dei, qua g estante et gubernante ille pro vera salute
generis humani, magnum aliquid proprium, et quod supra homines esset mereretur) ».
Ce texte a ceci de particulier que le Verbe n’est point identifié à la sagesse de Dieu ;
il est seulement soumis à cette sagesse, exactement comme dans Conf. VII, 25 ; il y a
certainement ici une coloration de christologie humaniste. On peut remarquer encore
que, dans la très belle prière qui ouvre les Soliloques (I, 2-6), Augustin s’adresse
bien, on n’en peut point douter, au Dieu de l’Évangile et non au Dieu des philo
sophes, car elle est comme saturée de réminiscences néotestamentaires, prouvant
que son auteur a médité la Bible en « chrétien ». Cependant, alors que tout semblait
l’y pousser, il ne fait aucune mention de Jésus-Christ, ni comme référence à sa
« théologie » quand il médite sur Dieu, ni comme médiateur de la prière elle-même.
Au moment où il écrit les Soliloques (sans doute peu après le séjour à Cassiciacum),
deux choses seulement, avoue-t-il, l’intéressent et sollicitent sa réflexion 1 Dieu et
l'âme, « absolument rien d'autre (nihil omnino) » (I, 7 ; cf. I, 27 ; II, 1) ; ce qui
signifie que, dans sa méditation, il se tourne vers Dieu sans éprouver le besoin
de faire intervenir aucun médiateur entre lui-même et Dieu.
LE CHRIST D A N S LA CONVERSION DE S A I N T A U G U S T IN 31
30. Il est bien difficile de dire, avec A. Solignac (B.A. 13, p. 108), à propos de ce
texte C. Acad. III, 43, que « la foi chrétienne devient alors la norme qui juge la
raison sans supprimer la raison ». Il nous paraît difficile aussi de suivre O. du Roy,
lorsque, citant uniquement, dans le texte du C. Acad., le membre de phrase relatif à
l'autorité reconnue au Christ, il écrit : « On ne peut douter que sa soumission soit
entière et décidée » (L’intelligence de la foi, p. m ) ; il parle plus loin encore de
« soumission absolue à l’autorité du Christ » (p. 112). Sa conclusion nous paraît bien
trop catégorique, au moins trop concise. Plus loin (p. 123) il explique mieux le
texte, pensons-nous, en disant que « la raison ou la possession de la vérité est le
but suprême, l’autorité ou la foi est le moyen d’y parvenir ».
31. Sur la curieuse formule : corpus agere, signifiant l’incarnation, cf. T. van
Bavee, Recherches sur la christologie de saint Augustin, 1954, p. 6, n. 3, et G. Madec,
Rev. Études augustin. 1970, p. 126 n. 247.
32 M ARC LODS
37. Ce sont les termes mêmes avec lesquels O. dtj R oy présente le dilemme
(L’intelligence de la foi, p. in ) .
3
34 M ARC LOBS
Marc IyODS
38. Nous nous permettons de renvoyer, pour les considérations finales de cet
exposé, à notre article : « A propos de l’itinéraire spirituel de St Augustin », Positions
luthériennes 2, 1954, p. 49-69.