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Leandro Gomez

LA NATION QUÉBÉCOISE

SOC2005
DÉMOCRATIE, CITOYENNETÉ ET PLURALISME

Université du Québec à Montréal


Le 19 Mai 2008
À l’heure de la mondialisation et des grandes migrations Sud- Nord, le Québec est le seul endroit
en Amérique où l’on trouve encore le désir de fonder un État-Nation indépendant.
Ce phénomène ne va pas sans conséquence dans la représentation que se font les membres de
cette société, souverainistes ou pas, à propos de ce que serait le Québec suite à une possible
séparation du Canada.
Évidemment, le fait qu’une population cherche son indépendance implique qu’un État-Nation se
verra amputer une partie, ce que généralement donne lieu à un conflit entre l’État constitué et la
nation qui veut se constituer en État.
Ainsi, deux récits idéologiques se sont formés pour valider ou pour refuser la viabilité du projet
de nation québécoise, inscrits dans une continuité historique, le premier met l’accent sur le
caractère inclusif et civique du nationalisme québécois, tandis que l’autre, le discours fédéraliste,
fait ressortir le contenu raciste et exclusif de ce dernier.1
Quelle conséquence peut mener cette tension pour la constitution d’une identité nationale propre
dans le cas des québécois?
Dans le chapitre 1 de son livre Le Québec expliqué aux immigrants, Victor Armony fait référence
à la difficulté que la société québécoise a pour se donner une identité claire, car, pour reprendre
ses termes :
L’identité québécoise s’inscrit dans une relation conflictuelle de majorité/ minorité : elle est
majoritaire (…) dans l’espace sociopolitique québécois, mais non pas exclusive, alors qu’elle se vit
comme minoritaire dans l’espace canadien et de façon plus large, nord-américain. D’autre part,
l’identité québécoise moderne se construit à travers une rupture, voire une négation, de son
antécédent : l’identité canadienne française, celle du passé rural, religieux, conservateur et soumis.2
Face à ce portrait, certains pourraient se demander comment créer un État-Nation pluraliste mais
fort, sur la base de la culture québécoise, dans un moment où les migrations de cultures
différentes dans cette région du monde sont de plus en plus nombreuses et en sachant que
l’identité québécoise se sent déjà menacée par le monde anglophone qui l’entoure et que ces
nouveaux venus pourraient être vus comme une nouvelle menace pour l’émancipation de la
nation québécoise? C’est ce qu’on essaiera de faire avec ce court travail.

En effet, en jetant un coup d’œil sur l’histoire du nationalisme québécois, en utilisant des
éléments tirés du livre Le Québec expliqué aux immigrants, notamment les chapitres 3 et 4, et
faisant appel au concept de nation proposé par Benedict Anderson, on croit pouvoir faire un

1
Victor, Armony, Le Québec expliqué aux immigrants, Montréal, vlb éditeur, 2007, voir le chapitre III
2
Ibid., p.38
travail sérieux et capable de démontrer la viabilité du projet de nation québécois, fondé, bien sûr,
sur les bases de la démocratie.

Le nationalisme québécois est, dans l’imaginaire nationaliste, plus vieux que plusieurs pourraient
le penser. En fait, la nation québécoise, selon l’intelligentsia nationaliste, a connu plusieurs
étapes qui ont abouti dans le type de nationalisme qu’on connaît aujourd’hui.

De cette façon, on pourrait dire que le nationalisme québécois a connu trois étapes, chacune
influencée et ancrée dans son contexte historique et social respectif.

En effet, bien que pour plusieurs d’entre nous l’idée de nationalisme québécois semble une
nouveauté, on peut dégager, selon le récit nationaliste québécois, une première étape qu’on
pourrait nommer « étape des patriotes » durant laquelle plusieurs « citoyens » du Bas Canada se
sont soulevés pour exiger le contrôle du gouvernement par eux-mêmes et l’indépendance vis-à-
vis du royaume britannique, cette révolte s’est soldé par un échec à cause de la capture et
l’ultérieur assassinat de la plupart de leaders de la révolte, qu’on a appelé les patriotes.

Le Parti Québécois a décrit, dans son programme de 1991, cette période de la façon suivante :

Colonie française conquise et cédée à l’Angleterre, nous obtenons en 1791 un parlement


colonial où la majorité des députés patriotes se voient refuser de désigner et de contrôler le
gouvernement. L’insurrection de 1837-1838 entraîne l’union forcée avec le Haut-Canada et la
mise en minorité des représentants de notre peuple3.

On peut dire que par la suite il y a eu une relative calme, au moins sur le plan théorique, et qu’on
ne retrouve pas des grands changements dans le nationalisme canadien français que jusqu’au
début du XXe siècle.
Durant cette période, le nationalisme québécois passe de ce qu’Éric Hobsbawm appelle, le
nationalisme patriotique, c’est-à-dire, purement fondé dans l’identification avec l’État, au
nationalisme ethnolinguistique, basé dans la langue et l’ethnie, comme son nom l’indique4.

3
Parti Québécois, Programme du Parti Québécois (édition 1991), Montréal : Service des communications du Parti
Québécois, pp.12-13. D’ailleurs, l’expression notre peuple relève d’une construction imaginée de la nation
québécoise car, on a du mal a croire qu’en 1791 on puisse parler du peuple québécois, surtout quand on sait que
plusieurs des patriotes étaient anglophones et que la principale demande était le contrôle du parlement local, plutôt
que l’indépendance face aux anglais. Voir notamment, Pierre, Meunier, L'insurrection de 1837 a Saint-Charles et le
seigneur Debartzch, Montréal, Fides, 1986, 168 p.
4
Hobsbawm, Eric, Nation et nationalismes, Paris, Gallimard, 1992, 247 p. voir notamment les chapitres III et IV
En effet, à cause de sa culture catholique, différente de la culture protestante canadienne, sa
différence linguistique vis-à-vis du reste du Canada, et son caractère rural, la société québécoise
commence se faire une identité commune, mais cette identité est basée sur la répulsion face à
quiconque « différent » aux francophones, blancs, catholiques. Guy Rocher présent cette période
comme suit :

Jusqu'à la fin des années 50, on peut dire que la culture politique québécoise reflétait la culture
de la classe rurale. Celle-ci, jusqu'au milieu du siècle, jouissait du poids politique le plus
important. Il en est résulté que la culture politique québécoise jusqu'aux années 50 était
marquée par-dessus tout par la valorisation de la fidélité: fidélité au passé, aux traditions, à la
langue, à la religion catholique, au droit civil français. (Durant cette période) l'État n’a pas le
droit d'enseigner. L'enseignement revient à la famille, à l'Église, disait-on. À l'État revient
comme fonction principale d'assister et appuyer l'Église et la société civile dans leurs
missions: mission d'éducation, de service de santé, de bien-être et missions proprement
religieuses5

On voit bien que dans cette description une peur à la modernité (les changements sociaux,
culturels, économiques, etc.), représentée aussi par la peur à l’inconnu et à l’étranger et que s’est
exprimée par l’affirmation d’un « nous » identifiable (francophone, catholique, blanc).

En effet, le fait qu’à cette époque, mise à part quelques canadiens anglophones (faisant souvent
figure d’exploiteurs), la plupart de la population québécoise était relativement homogène
linguistiquement et culturellement, a facilité la construction d’un « nous » opposé à « eux », à
savoir, tous les autres personnes différentes à la description du canadien français représentés
d’abord par l’anglophone oppresseur. Cependant, cette fermeture vers l’extérieur ne pouvait pas
être éternelle.

En effet, la modernité aussi rejetée avant les années 50, ne pouvait pas être cachée pour toujours à
une population entourée par les États-Unis et son American Way of life et en plein processus
d’urbanisation, processus qui produisait une nouvelle configuration sociale, plus accorde à la vie
de la ville et aux aspirations de la bourgeoisie industrielle naissant.

Comme nous le dit Léon Dion :

5
Rocher, Guy, « La culture politique du Québec » in revue L’Action Nationale, Montréal, vol. 87, no 2, février
1997, p.29. Cette description nous rappelle cette double tension identitaire dont parlait Armony et nous met face à la
rupture que le nouveau nationalisme québécois va connaître quelques années plus tard.
Le déplacement de la population vers les villes ayant accentué les répercussions d'une
industrialisation du système économique, commencée pendant les années 30 et dont la
prédominance devait s'affirmer après la seconde guerre mondiale. Le gonflement des effectifs
urbains, en particulier dans la région montréalaise, facilita l'éclatement des cadres culturels de
la société traditionnelle devenus trop étroits pour contenir les aspirations à la modernité des
classes montantes6

Poursuivant la réflexion de Dion on peut affirmer que, au besoin d’une réforme sociale

S’ajoutait la révision d'une idéologie nationaliste séculaire et la redéfinition de sa communauté


politique de référence par une population amenée à se saisir en tant que société globale et non
plus comme partie intégrante d'une communauté plus large. C'est ainsi qu'à côté d'une
« nation » canadienne-française sans identité autre que culturelle émergea un second support
d'identification nationale - politique cette fois - celui de « l'État » québécois7

On voit comment on rentre à un nationalisme patriotique qui modifie rapidement les institutions
existantes jusqu’à ce moment et que, dans une période marquée par l’État Providence, commence
une modernisation des structures politiques et économiques d’une façon contrôlée sous le mode
de production fordiste.

Évidemment, la langue et la culture francophone étaient, et continuent à l’être, au cœur du projet


nationaliste, mais ils n’étaient plus les seuls facteurs qui détermineraient son existence, on devait
se munir d’un État québécois capable de maintenir les acquis obtenus depuis le début de la
révolution tranquille, et qui se sont traduits par une amélioration de la qualité de vie des
personnes qui habitaient le Québec.

Ainsi, le gouvernement du Québec a repris le contrôle des ressources naturelles, notamment


l’électricité, et a commencé un processus de modernisation avec un État fortement
interventionniste sur le plan économique et laïque sur le plan éducatif.

Les salaires ont monté, l’éducation est devenue la base du développement québécois, la création
des cégeps et la laïcisation du système de santé, contrôlé par l’église avant cette période, ont
constitué les éléments clés d’une période d’enrichissement de la société québécoise. Guy Rocher
parle ainsi de cette période :

6
Léon Dion et Micheline de Sève, “Québec ou l'émergence d'une formule politique alternative”. In Cloutier,
Édouard et Latouche, Daniel, Le système politique québécois, Montréal: Éditions Hurtubise HMH, 1979,
Collection: L'homme dans la société, p. 541
7
Ibid., p.539
« Nous (les québécois) sommes progressivement passés à un nationalisme qui a voulu être celui
de la modernité avec la Révolution tranquille. Le nationalisme s'est alors exprimé dans l'esprit
d'un Québec qui voulait se moderniser, qui voulait entrer dans la modernité8 »

L’entrée à la modernité s’est aussi produite avec une aperture au monde, la réalisation de
l’exposition universelle et des jeux olympiques ont attiré les regards du monde vers le Québec, et
avec elles sont venus les touristes et encore plus des immigrants.

Mais l’arrivée des immigrants n’allait pas sans poser des problèmes à la reproduction de la
société québécoise. En effet, comme nous le montre Armony, déjà en 1970 on voyait apparaître
de tensions entre les immigrants et les québécois, soucieux de défendre leur société et leur culture
du pragmatisme des immigrants9.

Ainsi, le gouvernement québécois a dû créer des lois pour contrecarrer l’indifférence des
immigrants face au sort du français, ainsi le 26 août 1977 le Parti Québécois a crée la loi 101, loi
qui vise l’utilisation de la langue française dans tous les établissements et oblige aux enfants des
immigrants à assister à l’école francophone si leurs parents n’ont pas reçu leur éducation en
anglais, ce qui constitue pour Armony « le socle d’une mutation sociétale sans précédents »10.

L’essoufflement du modèle fordiste, la flambée des prix du pétrole et la remise en question de


l’État providence vient mettre fin à une période de relative calme sociale et surtout d’une
augmentation de la qualité de vie au Québec, et en général dans le monde. En 1980, le 20 mai, le
projet de souveraineté-association du gouvernement péquiste est rejeté dans une proportion de
59,6%11, ce qui ferme un chapitre du nationalisme québécois identifié à l’État providence et
ouvre une nouvelle étape pour celui-ci.

Ainsi, après la défaite référendaire, et la mise en place du modèle néolibéral, le gouvernement


québécois a modifié ses politiques économiques, il est devenu beaucoup moins interventionniste
mais surtout beaucoup moins axé sur des politiques de protection à la population, même s’il reste
plus axé sur le filet social que d’autres provinces du Canada.

8
Voir Guy Rocher, idem. p. 27
9
Voir Victor Armony, Idem. P. 68
10
Ibid. p. 69.
11
Voir les résultats de ce référendum dans le site suivant :
http://www.electionsquebec.qc.ca/fr/tableaux/Referendum_1980_8483.asp
En 1995, un deuxième référendum a eu lieu et le projet d’un État québécois est rejeté à nouveau
dans une proportion de 50,6%, moins de 55.000 voix.

Le soir même de cette consultation, l’alors Premier ministre du Québec, Jaques Parizeau, a fait
une allocution dans laquelle il a invoqué l’influence du vote ethnique dans la défaite du
mouvement nationaliste, voici la phrase que tous les médias du Québec ont publié le lendemain :

« C'est vrai, c'est vrai qu'on a été battus, au fond, par quoi ? Par l'argent puis des votes ethniques,
essentiellement. »12.

Cette déclaration porte en elle l’un des constats dont Armony parlait et qu’on a montré au début
du texte, la tension majorité/minoritaire qu’entretient la culture québécoise vis-à-vis du Canada,
la culture anglophone en général et les immigrants.

En effet, il est clair que M. Parizeau en disant être battu par l’argent faisait allusion au Canada
anglophone qui a versé des énormes quantités d’argent pour éviter l’indépendance du Québec,
pour ce qui est des votes ethniques il ne faut rein dire d’autre sauf que cette déclaration a
beaucoup aidé aux détracteurs de la souveraineté québécoise, qui se sont rapidement dépêchés
pour signaler le caractère discriminatoire du mouvement et a mis l’accent sur la méfiance que
certains québécois éprouvent à l’endroit des immigrants et leur capacité à s’intégrer à la société
québécoise et par conséquent à adhérer au mouvement nationaliste.

Pour ce qui est de l’autre tension, c'est-à-dire celle qui fait référence au rejet de l’identité
canadienne-française on a vu tout au long de l’exposé comment constamment tous les auteurs
cités font référence à la naissance d’un nouveau nationalisme de type patriotique, comme dirait
Hobsbawm, dans lequel l’État est le but est le principe de la nation québécoise, comme le dit
Gilles Bourque la société québécoise « oscille entre deux pôles d’attraction : assimilation et
indépendance. Par l’assimilation elle devient l’autre; par l’indépendance elle devient ‘’soi’’. » 13

Il est clair qu’une société qui exprime constamment la peur d’être assimilée et prétend devenir
un État souverain sera toujours suspecte de discrimination vis-à-vis de ceux qui peuvent mettre
en risque la survie de sa culture, comment éviter alors qu’un tel jugement ait lieu en même temps
que l’identité québécoise est la source d’un nouvel État-Nation?

12
Allocution de M. Jaques Parizeau le 30 Octobre 1995 à la suite des résultats du référendum pour la souveraineté du
Québec, Pour voir l’allocution complète
http://www.cric.ca/fr_html/guide/referendum/referendum1995_parizeau.html
13
Victor Armony, ibid. p.94
En 2001 la population immigrante au Québec arrive à 9,9% du total14, même si cette quantité est
inférieure à la moyenne canadienne il reste de même une chiffre importante dans une
communauté d’environ 8 millions d’habitants, exactement 7 237 479, selon statistiques Canada.

Les minorités visibles représentaient 7% de la population québécoise en 200115 et elles


continuent d’augmenter.

Dans ce contexte de multiculturalisme, il est évident que le nationalisme québécois, devrait


essayer d’attirer cette population en vue d’un nouveau référendum et éviter ainsi une nouvelle
défaite dû au vote négatif de ces communautés.

Toutefois, cette intégration ne peut pas être le fruit d’un effacement d’une culture propre au
Québec, représentée surtout par le français, elle doit être le résultat d’une entente entre le Québec
et les nouveaux venus, entente implicite qui est garantie par la charte québécoise des droits et
libertés de la personne, mais qui demande certaines efforts de la part de l’immigrant, surtout sur
le plan linguistique au cas où il voudra rentrer aux études supérieures ou pour la langue dans
laquelle ses enfants poursuivront ses études primaires et secondaires16, par le biais de la loi 101.

Le fait que le Québec ait un ministère exclusivement dédié aux politiques d’immigration montre
le grand intérêt que, sur tous les plans, représente cette population pour le Québec17 et son désir
de faire adhérer cette population à la nation québécoise, Marhraoui nous dit à ce propos :

Dans son plan stratégique, le MRCI affirme vouloir orienter son action vers le renforcement,
chez tous les citoyens, de l’adhésion aux paramètres fondamentaux du vivre ensemble, tels que
le respect des droits et libertés, l’exercice de leurs responsabilités civiques et sociales et la
reconnaissance de l’égalité entre les personnes, ce qui permet de fortifier la « cohésion
sociale » sur la base du rapprochement, la concertation et la participation des personnes de
toutes origines, les groupes d’appartenance, les organisations et institutions, et en favorisant
leur insertion civique et sociale18

14
Cité dans Azzeddine Marhraoui, Nationalisme et diversité ethnoculturelle au Québec (1990-2000) : divergences
et convergences à propos du projet de citoyenneté québécoise, UQÀM, 2004, p.62
15
Est considéré comme membre d’une minorité visible « toute personnes, autre que les autochtones, qui ne sont pas
de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche » Ibid. p.66
16
Levine, M.V, La reconquête de Montréal, Montréal, VLB Éditeur, p.191 cité in Marhraoui, Azzeddine, op.cit.
p.76
17
Main d’œuvre moins chère, occupation du territoire face au vieillissement et au faible taux de natalité du Québec
notamment.
18
Azzeddine Marhraoui, Idem. p.97
Le dilemme entre une multitude de cultures au sein du Québec et le projet indépendantiste
québécois serait réglé, au moins théoriquement, avec une compénétration de l’immigrant avec la
culture québécoise dans les termes que Guy Rocher emploie dans la phrase suivante :

« La clé de voûte d'un Québec souverain est d'abord la tradition française enracinée et adaptée au
Québec, enrichie par la dynamique des interactions qu'elle a connue dans le passé et continue de
connaître avec toutes les autres cultures qui l'accompagnent et s'y associent »19.

Cette phrase va dans le même sens de la définition de nation que nous propose Benedict
Anderson, à savoir celle « (d)’une communauté politique que s’imagine à la fois souveraine et
limitée de façon inhérente. »20

Cette définition de la nation nous est utile car elle s’intéresse moins dans le fait de savoir si la
nation est fausse ou vrai que dans le fait de savoir comment elle se construit et s’imagine.21 Ainsi,
dans le cas qui nous intéresse, et pour reprendre les termes d’Armony, « l’identité québécoise ne
se réduit nullement à la langue. Mais la langue est le miroir qui permet aux Québécois de se
reconnaître en tant que tels. »22

Ainsi, si la nation québécoise se représente à partir de sa langue il devrait être plus facile
d’intégrer ceux qui viennent d’ailleurs car « la langue n’est pas un instrument d’exclusion : en
principe, quiconque peut apprendre une langue donnée. Au contraire, elle est foncièrement
inclusive »23. Toutefois, la réalité nous démontre qu’il ne suffit pas de parler la même langue
pour se représenter comme membre d’une même nation. Qu’est-ce qu’il faudrait alors?

Comme on l’a vu il y a quelques lignes, la loi 101 représente un moment très important dans
l’histoire de la société québécoise, cela pour deux raisons : d’abord elle assure l’usage de la
langue française comme langue commune pour tous, deuxièmement, elle oblige les immigrants
dont l’éducation primaire n’a pas été reçue en anglais à envoyer leurs enfants à l’école française,
garantissant ainsi la formation de nouveaux citoyens québécois.

19
Rocher, Guy, « Du nationalisme canadien-français au projet souverainiste: quelle continuité ? » in Le Devoir,
Montréal, édition du 16 Avril 2007, page A7-idées
20
Benedict Anderson, Comunidades imaginadas « reflexiones sobre el origen y la difusión del nacionalismo »,
México, Fondo de cultura económica, 1993, p. 23.
21
Ibid., p.
22
Victor Armony, Idem., p. 74
23
Benedict Anderson, Idem., p. 190
Le résultat de l’application de lois visant une meilleure maîtrise du français par les immigrants
loin d’avoir réduit la quantité d’étrangers qui choisissent le Québec comme nouvelle terre
d’accueil, en plus d’avoir fait augmenter la quantité d’immigrants allophones capables de
maîtriser le français a permis de créer un espace commun à travers d’autres institutions (faut-il
dire que ces institutions fonctionnent aussi en français?) qui fortifient le lien entre l’immigrant et
le gouvernement provincial24.

Mais ce ne sont pas seulement les lois sur la langue qui devront être au cœur d’un appareil
juridique capable de faire adhérer ceux qui ne sont pas des « québécois de souche ».

En effet, bien que l’enseignement du français aux immigrants soit un pas en avant, cela ne suffit
pas pour leur assurer un traitement d’égalité dans leur vie quotidienne.

Or, ce que le gouvernement du Québec devrait faire est d’appliquer les lois nécessaires pour que
tout type de discrimination soit puni ou fasse l’objet d’une réparation de la part de l’infracteur,
comme le montre Bosset25, le gouvernement québécois a déjà mis en place des institutions qui
visent à garantir le libre exercice des droits et libertés de tous les citoyens dans un pied d’égalité.

En prônant cette approche on croit se trouver dans la même longueur d’onde que Jacques
Beauchemin qui propose « construire un nationalisme qui puisse constituer un lieu de
rassemblement capable de fonder une éthique sociale faite de solidarité et de reconnaissance des
différences. »26

En appliquant ces deux mesures, qui sont déjà en vigueur au Québec on a déjà mis en place des
éléments clés pour la création d’un État québécois. La question serait alors qui serait citoyen
québécois?

Il nous semble que cette question peut se répondre par elle-même si un État fournit les
conditions économiques, sociales et culturelles nécessaires pour qu’un immigrant puisse être à
l’aise dans la société d’accueil.

En d’autres termes, le nationalisme québécois devrait chercher à garantir des conditions de vie
dignes à tous ceux qui habitent sur son territoire, ce qui créerait un lien entre ceux qui ne se sent

24
Voir Marie McAndrew, « Projet national, immigration et intégration dans un Québec souverain. Dix ans plus tard,
l’analyse proposée tient-elle la route? » in Sociologie et Sociétés, vol.38, n. 1, pp. 213-233.
25
Voir Pierre Bosset, « Les mesures législatives de lutte contre la discrimination raciale au Québec, un bilan
institutionnel », Revue sur les Nouvelles Pratiques Sociales (NPS), vol. 17, n. 2,
26
Victor Armony, Idem., p.127
pas identifiés avec le récit nationaliste et l’État, dans ce contexte il serait souhaitable un
élargissement de la démocratie participative et une reconfiguration des rapports État-économie,
appliquant des mesures capables de garantir une série de services qui ajoutés à la maîtrise du
français et le respect des différences à partir d’une normativité juridique forte feraient du nouvel
État québécois une institution attirant pour ceux qui ne se sentent pas québécois et un motif de
fierté pour ceux qui adhérent et se sentent membres de cette communauté.

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