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Compte rendu de lecture

Vladimir Jankélévitch : La Manière et l’Occasion.


Par Philippe Bouchard pour Dr. Jérôme Melançon

Dans La Manière et l’Occasion, Vladimir Jankélévitch expose sa métaphysique du


temps et ce qu’il considère être une éthique (et non esthétique) de l’art. Puisque la musique est
un art qui prend place dans le temps, l’extrait intitulé «Le charme du Temps» m’a tout de suite
interpellé. L’extrait final, «Le charme de l’Instant et de l’Occasion» m’a aussi semblé approprié,
puisque la musique improvisée se développe vraisemblablement dans une succession
d’instants. Avant de tenter d’extraire les idées véhiculées par Jankélévitch dans ce livre, il est
important de citer un extrait qui, à mes yeux, représente parfaitement son style d’écriture
particulier. À propos de l’instant, l’auteur nous dit : «L’énergie spirituelle se développe dans le
temps pur, qui est le mode d’être du faire-être et la manière qu’a le non-être d’être ou l’être de
n’être rien : car telle est la dimension du devenir; mais les occasions activent et libèrent cette
énergie dans une durée concrète». Cette écriture dynamique est ce pourquoi j’ai préféré la
lecture de ce texte dont la version francophone était à ma portée plutôt que son écrit sur la
musique, Music and the Ineffable, qui ne m’était accessible qu’en anglais. Dans cet extrait,
Jankélévitch rappelle en une phrase succincte que pour lui, le Temps est une succession
d’instant qui se trouve à créer. Cette création (ce faire-être) est exemplifiée par cette «énergie
spirituelle» ci-mentionnée. À chaque instant, nous assistons à du nouveau, ce qui fait que ce
qui n’est pas ne sera alors jamais, créant un «vide présent» et que ce qui est prend alors vie :
devenant plus que ce qui aura pu être, étant habité d’un je-ne-sais-quoi qui transcende toute
définition selon l’auteur.
Une autre idée corollaire à la performance jazz est son idée du Temps, soit plutôt une
«innovation continuée» qu’une «simple continuation». L’innovation, on la trouve à l’instant
même de la croisée des chemins entre ce qui nous arrive, ce qui advient, et notre décision.
Jankélévitch parle ici de l’instant insaisissable où le futur devient et que notre être passe du
maintenant au passé, et cet exemple se prête très bien à l’improvisation, où la rencontre de
notre intention (comme le conçoit Nietzche) et de ce qui advient se produit dans un flux continu
d’instants créatifs, ou encore une fois : «d’innovation continuée».
Alors que ces lignes font ressortir l’idée du je-ne-sais-quoi et de l’instant, pendant
lesquelles le philosophe nous invite à saisir toutes les occasions, il termine son livre en
soulignant la petitesse de la vie humaine. Comme la terre est un petit point dans le contexte
spatial, la vie humaine est une mince ligne dans l’infini du temps. Il cite Pascal : «Le fini
s’anéantit en présence de l’infini» pour ensuite ajouter que la vie humaine est condamnée à finir
dès qu’elle commence et que la vie d’un Homme, aussi longue soit-elle, n’est que «découpée
dans le vaste océan obscur, elle est un instant d’instants». Cette dernière phrase replace donc
l’importance de l’instant entre le «deviendra» et le «plus-jamais», l’instant présent, le moment
de l’action et donc de l’être au coeur de la vie humaine, qui ne peut être saisi, qui est pour ainsi
dire in-fini puisqu’il n’est pas. Bien que toute vie se termine pour retourner dans un rien infini, un
avenir inconcevable, Jankélévitch affirme que toute vie n’est que succession d’occasions toutes
aussis inconcevables, des moments qui ne sont «Presque-rien».

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