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captifs -Y Gozlan

Trois humanitaires en fin de mission en ex-Yougoslavie prennent le mauvais tournant et


tombent dans les griffes de trafiquants d'organes. Ces derniers les séquestrent et les
nourrissent. Et à chaque fois qu'une commande tombe, un pensionnaire aussi.

Victime dans une certaine mesure de son système de prod, Captifs est un petit film sans
prétention qui a la bonne idée de subvertir la mécanique trop bien huilée du torture porn. Pas
super bien produit, franchement pas bien vendu, le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est pas
servi par certaines des options qui président à sa destinée. Cependant, et c'est suffisamment
rare pour être signalé (surtout dans le cinoche de genre français), il a un scénario qui se tient
et une réalisation cohérente, et le tout se permet même de donner un coup de collier au dernier
acte. En termes de production, Sombrero nous y avait déjà habitués, la construction de Vertige
étant relativement similaire.

Il faut néanmoins dépasser une vente du film qui laisse dubitatif, comme si la production n'y
croyait pas plus que ça : peu d'affichage pour un nombre pourtant honorable de copies,
quasiment pas de promo, des visuels et une bande annonce qui singent bêtement Ils (peut-être
pour mieux vendre le film à l'étranger où Ils avait connu un joli succès d'estime, mais alors on
vous met au défi de reconnaître Zoé Felix dessus)... A croire que le destin du film est déjà
joué à l'avance. C'est dommage car pour une première réalisation, qui plus est sur un sujet
relativement convenu, le film de Yann Gozlan ne manque pas de charmes... A commencer par
une interprétation qui, mis à part un Arié Elmaleh bien transparent, fonctionne bien tout en
n'en faisant pas trop. Les ravisseurs sont agréablement justes, loin de l'aspect "sourcils-
moustache de méchant de film muet", et gagnent de fait une crédibilité de gars au turbin (si
ignoble soit-il) que quelques touches de cruauté viennent rehausser sans la ruiner. Il faudra à
l'avenir qu'on garde un œil sur Philippe Khrajac par exemple. Mais la grosse et bonne surprise
vient de Eric Savin, trop cantonné aux rôles de troisième couteau d'habitude. Espérons qu'on
continue à lui donner des rôles importants, le gars a les épaules pour les tenir.

Quant à Zoé Felix... Dans le monde de l'offre et de la demande en saltimbanques lochées et


fionnées, Tartuffe et Procuste gambadent main dans la main plus qu'ailleurs, et ça fait
quelques années que la Zoé en fait discrètement les frais. Jolie, charismatique, bonne actrice,
on devrait la voir beaucoup, beaucoup plus (remarque, Mylène Jampanoï a le même problème
de sous-représentation) dans le cinéma autochtone. Mais voilà les places sont chères et les
meilleures sont déjà trustées par une chiée de filles-de pour la plupart tout sauf saillantes.
Bref. Il est agréable de la voir de plus en plus en tête d'affiche, d'autant qu'ici elle donne de sa
personne sans grande retenue (non, pas comme ça, bande de godelureaux, quoique son top
moulant soit du plus bel effet pour tous les érotomanes déviants que nous sommes), les
séquences du sang de sanglier et celle de l'écarteur à paupières étant par exemple bien
croquignolettes. Les Dieux savent à ce titre comme certaines acrobaties auxquelles elle se plie
ici sont assez casse-gueule en termes de crédibilité (va te bagarrer contre une rogomme qui
fait deux fois ta taille tiens, pas facile de pas avoir l'air bête) et que courir et se faire taper
dessus à longueur de métrage perd rapidement de sa fraîcheur. A ce propos, et pour un
premier film, Gozlan fait preuve d'une retenue surprenante dans l'utilisation de son héroïne,
laquelle ne se voyant par exemple pas obligée de passer par une scène de baiser lesbien ou de
trifouillage de bouton magique (ça nous change). Qu'il en soit salué.

Un script pas si convenu que ça, qui va au bout de ses idées (on n'y va pas par quatre chemin
quand un prisonnier tente une évasion, les mesures les plus drastiques sont après tout les plus
efficaces, surtout quand on a des chalumeaux sous la main) mais sans bousculer sa propre
logique (ni viols ni tortures, les captifs sont un business et pas un amusement pour leurs
geôliers), une belle photographie et un découpage sec et savant complètent la liste des bonnes
raisons d'aller en salle plutôt que sur Emule. En revanche, on ne sait toujours pas dialoguer un
film de par chez nous, sans doute coincés que l'on est entre les deux traditions opposées et
écrasantes du polar audiardien et de la diction ampoulée à la Bresson. Il y a bien entendu des
exceptions, et Captifs n'en fait pas partie. Alors que les deux bons tiers du film fonctionnent
très bien en étant quasi-muettes (des invectives incompréhensibles des kidnappeurs à la
trouille réelle que colle la sonnerie du téléphone), on devra se taper des tunnels de dialogue
sottement explicatifs et sonnant assez platement à une oreille qui aimerait qu'on lui foute la
paix et qu'on arrête de lui réexpliquer ce que l'œil comprend très bien tout seul.

A propos d'être sottement explicatif, la caractérisation vaut son pesant de petits Larousse :
outre le gars qui nous cause de ses gamins en se rendant compte que son engagement
humanitaire relève d'un syndrome de Zorro plus égotiste que désintéressé (bravo mec, tu viens
de trouver une belle lapalissade, on espère juste que t'étais pas dans la section psychologique
de ton convoi MSF), et le collègue-qui-aimerait-bien-faire-le-cul-à-l'héroïne-mais-qu'est-en-
fait-un-gentil-garçon, on doit se choper AUSSI la caractérisation de Carole faite à l'obus de
48. C'est bien sympathique de lui coller une phobie des chiens due au massacre de sa sœur
quand elles étaient gosses, ça fait des intermèdes fort amusants (vraiment, du fun en barre une
fois les chiens lâchés), mais à trop vouloir tout justifier avec zèle, Gozlan et Lemans
alourdissent leur propos, allongent artificiellement leur récit, et aplatissent un peu trop
véhémentement sur le bouton "pathos" de leur console d'effets. Pas besoin par exemple
d'avoir une petite sœur décédée pour vouloir secourir sa voisine de cellule de huit ans vouée
au désossage industriel. La phobie canine aurait pu être introduite par un évènement
quelconque en début de seconde bobine, et sans tous ces flashbacks, on aurait gagné en
célérité, et dix minutes de moins auraient donné un film plus équilibré, allant bille en tête vers
son dernier acte revanchard (de très loin le plus convaincant du film, et une belle pièce de
mise en scène). Parce qu'à part ça, c'est vachement bien, et y'avait vraiment pas besoin d'aller
coller du psychologisme lourdaud. A force d'être taxés d'infantilisme depuis des décennies, les
tenants du cinéma de genre français se sentent obligés de donner de ces signes d'intelligence,
même quand le film qu'il font est objectivement solide et s'en sortirait mieux sans.

Ben voilà, un bien joli petit film, humble, bien torché et rarement en baisse de régime.
On flippe gentiment mais sans voyeurisme, on n'a pas le sentiment d'être pris pour des
imbéciles ou de voir un caprice de sale môme et tout ça fait du bien à voir. Un film solide
et sympathique qui mérite qu'on y jette un œil, malgré une poignée de scories qui le
préservent de l'excellence - mais qu'on lui passera grâce à sa bonne bouille. Et à celle de
Zoé.

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