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« L’observatoire du shopping »
par Marc Filser, Professeur, Université de Bourgogne
et Pascal Brunon, Agence Grands Boulevards
Nous allons vous présenter une initiative exploratoire que nous tenterons de mettre
en place. Je garde donc évidemment ma casquette d’universitaire – certainement
plus très pur mais toujours relativement dur quant à un certain nombre de principes,
notamment à propos de l’aide que la recherche universitaire peut apporter aux
entreprises. Dans la limite de nos modestes ressources intellectuelles et matérielles,
nous nous devons d’enrichir réflexions et débats.
Je crois que la recherche universitaire garde un atout fantastique : elle ignore la
pression du temps. Les entreprises nous le reprochent suffisamment. Notre métier
n’est pas un métier de conseil : il ne nous appartient pas d’apporter des réponses
clefs en main à des questions à court terme. Si nous nous référons à la dichotomie
du court terme, du moyen terme et du long terme, la recherche universitaire est une
institution typiquement tournée vers le moyen et le long terme.
Je crois que nous avons cependant un important déficit. Etienne Thil est un lieu de
présentation de résultats pratiquement aboutis. Nous nous étions amusés l’an
dernier avec Jean Yves Duyck, à analyser le fonctionnement du colloque. Celui-ci est
devenu un colloque universitaire. Des thésards présentent des communications très
académiques. Vous avez raison : le CNU considère le colloque Etienne Thil comme
une référence, avec comité de lecture.
La recherche académique produit de très bonnes thèses, mais ces études semblent
déconnectées, en aval et en amont des courroies de transmission.
En amont, les directeurs de thèse ont un vrai problème dans le formatage des sujets
de thèse. Là je vais encore me faire quelques ennemis supplémentaires, mais depuis
décembre 2003, j’en ai déjà tellement que je n’en suis pas à quelques-uns près ! En
résumant, disons que 80 % des thèses traitent du comportement des
consommateurs. Ces travaux ont le schéma suivant :
- dans un premier temps, je trouve, dans le Journal of Marketing ou dans le
Journal Of Consumer Research une caractéristique psychologique ou psycho-
sociologique jamais traitée en France ;
- cette variable peut être reliée à d’autres. Les combinatoires de la psychologie
humaine sont à peu près illimitées. Je connais peu de concepts qui ne
puissent être reliés à deux ou trois autres.
- Cette juxtaposition m’amène à deux autres problématiques : l’élaboration des
échelles qui doivent être propres : la validité, la fiabilité doivent être vérifiées.
Si les mesures sont propres, il est alors possible d’appliquer le modèle
d’équation structurelle – il y a toujours quelqu’un pour faire fonctionner
LISREL, AMOS ou EQS. Pourvu que les RMSEA, GFI, AGEFI et quelques
autres soient bons, la thèse est terminée. On peut cependant se demander à
quoi cela peut bien servir.
Je caricature certes un peu ! Tout ce processus s’est développé car il existe une
mécanique académique en place qui a produit ces standards. Et de ce point de vue,
les thésards peuvent rendre grâce à l’association française de marketing qui a su
superformater les thèses en marketing. Les thèses les moins problématiques pour
une carrière académique sont les thèses de marketing : vous en connaissez les
figures imposées. La surconsommation de sécurité des jeunes thésards rejoint
l’exposé précédent.
4 - L’Observatoire du shopping
Lorsque dans les enquêtes réalisées, vous faites appel à des échantillons
d’étudiants, et ce à des fins de validité externe, je trouve cette démarche peu fiable.
Ces échantillons d’étudiants sont tout a fait adaptés à des fins de validité interne
pour tester un outil de mesure mais absolument pas pour une validité externe. Si
j’étais chef d’entreprise, je ne miserai pas un euro sur les conclusions d’une étude
uniquement fondée sur des étudiants alors que la cible concerne les plus de 50 ans–
l’exposé précédent a bien validé cette hypothèse.
Nous avons donc un triple problème relatif tout d’abord à la définition des sujets. Il
serait souhaitable d’alimenter les sujets par les questions que se posent les
entreprises. Cela ne signifie pas que les thèses vont devenir des études de marché.
Mais on peut rapprocher les préoccupations des entreprises de cette phase –
toujours laborieuse pour le thésard et le directeur de thèse – pendant laquelle on
essaie de formaliser un sujet qui ait une double pertinence académique et
managériale. Je pense que nous sommes pertinents sur le plan académique et peu
pertinents au plan managérial, en général, dans la phase de définition des sujets – je
suis moi-même un grand responsable de cette dérive : la vingt-sixième thèse que je
dirige sera soutenue dans quinze jours. Mais il n’est jamais trop tard pour essayer
d’améliorer les choses.
Enfin, les résultats des travaux de recherche pourraient être communiqués en dehors
des instances académiques où le nombre des participants professionnels reste
toujours assez limité, et ailleurs que dans les grandes manifestations
professionnelles qui ne s’intéressent pas à l’université, ce qui se comprend. J’ai été
invité pour la dernière fois au salon du commerce en 1986, et depuis je n’ai jamais
été sollicité. La recherche universitaire est vraiment très en marge de ces structures.
Il existe donc une place pour un réseau qui accompagnerait les recherches en
distribution.
Le colloque Etienne Thil a été un grand succès dans le rapprochement des équipes
universitaires. Qui sont les protagonistes et que veulent-ils faire ? Je laisse la parole
à Pascal Brunon.
La question qui prédomine est de savoir, pourquoi une agence de publicité comme
Grands Boulevards a-elle eu l’idée de se rapprocher de la recherche en marketing
alors qu’il s’agit d’un monde étrange pour ses clients et que cela ne concerne pas
vraiment ce qu’ils recherchent immédiatement ?
Pourtant, les problématiques auxquelles nous sommes confrontés et les questions
de nos clients dépassent de loin, dans la recommandation stratégique, de simples
idées de bon sens car nous avons besoin de fonds stratégiques pour répondre avec
une certaine éthique et non pas juste avec un peu de politique commerciale.
Grands Boulevards est une agence, filiale d’un groupe de marketing opérationnel,
spécialisée sur les réseaux de distribution, de clients, et de commerciaux. Ce groupe
a développé une expérience auprès d’enseignes de distribution dans le commerce
spécialisé. Ce savoir-faire nous permet d’intervenir dans le domaine du conseil en
communication. Nous opérons à la fois auprès de marques produits qui souhaitent
émerger au sein de la distribution, et auprès d’enseignes qui désirent faire partie de
la shopping list du consommateur.
J’ai été très content d’apprendre que j’avais un comportement très jeune, puisque
j’allais chercher mes informations sur lnternet. On est d’ailleurs devenu beaucoup
plus intelligents, dans les agences, depuis l’utilisation d’internet. La toile nous a
permis d’accéder à vos thèses de recherche et travaux d’études mais nous avons
pris conscience de notre ignorance à déceler où étaient les thèses intéressantes,
capables de répondre à nos questions. Nous nous sommes alors mis à la recherche
de personnes qui soient des courroies de transmission. De là est née l’idée de nous
rapprocher de gens de la recherche qui pourraient nous apporter du fond et de la
stratégie.
Lorsque nous travaillons l’image et la commercialité, nous finissons par intervenir sur
l’image des enseignes, le devenir des marques enseignes. Alors que les travaux de
Jean-Noël Kapferer portent essentiellement sur la marque produit, le concept de
marque enseigne est un élément nouveau. Mais est-il vraiment pertinent de nous
pencher sur cette problématique alors que pour le consommateur cela ne signifie
rien ? Nous pressentons qu’il désire partager des valeurs avec son enseigne ; nous
ignorons dans quelle mesure et dans quel cadre.
Inversement, les recherches réalisées en matière de productivité/ points de vente
tant pour les marques enseignes que pour les marques produits, prennent
principalement en compte la grande distribution. Les formats autres que la grande
distribution ou la grande surface alimentaire sont à peu près absents des réflexions.
Ces constatations nous ont amenés, grâce au réseau, à nous rapprocher de Marc
Filser, et du CERMAB, qui représentent pour nous une véritable porte ouverte sur le
monde de la recherche.
Marc Filser :
Pascal Brunon :
Marc Filser :
Notre rôle est celui d’un relais, d’une mise en relation proposant éventuellement
aussi des supports méthodologiques. Il peut être intéressant pour des chercheurs de
voir ce qui s’est fait dans certaines entreprises et pour certaines entreprises de
connaître les méthodologies développées dans certaines études. Les indicateurs de
mesures sont en règle générale sous-utilisés. Vous passez quatre ans de votre vie à
développer une échelle de mesure qui n’est jamais réutilisée neuf fois sur dix.
L’AFM va mettre en place, par exemple, un référencement des échelles, mais les
entreprises risquent d’en ignorer l’existence. En outre, le site de l’AFM obligera à
effectuer un peu de traduction, or ce n’est pas tout à fait l’objectif principal. Il n’est
donc pas inutile qu’une structure intermédiaire réalise une explication de telle ou telle
échelle.
Maintenant c’est à vous de jouer. L’Observatoire du shopping est une expérience qui
débute par un cycle de conférences. Les intervenants viennent du CERIDICE, de
Paris IX, de Rouen, de Lyon. Il vous appartient de voir ce que vous pouvez déceler
comme opportunité dans vos recherches pour nous informer de vos interrogations en
écrivant à marcfilser@u-bourgogne.fr.
J’en profite pour rappeler que les journées de recherche en marketing de Bourgogne
ont lieu les 4 et 5 novembre prochains, nous aurons trente quatre communications
dans neuf sessions – six pays seront représentés.